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La question en anglais de cette séance est : does politics matter ? (pour comprendre l'action publique).
L'électorat, à travers son vote, se fait le juge rétrospectif du bilan des gouvernements et donc des PP qu'ils
ont menées ; et ils choisissent les nouveaux dirigeants, notamment en se prononçant sur leurs programmes
électoraux, c'est-à-dire les PP qu'ils entendent mener sous la nouvelle législature. Il y a donc un lien très fort
entre la vie politique – électorale et les PP.
La composition du budget de l'Etat reflète d'ailleurs souvent l'orientation idéologique des gouvernants : Bush
junior aux USA qui voulait faire la guerre au terrorisme, avait un budget de la défense en expansion. De la
même façon, en France en 2002, un effort particulier a été fait en faveur de la sécurité (les budgets concernés
ont augmenté de 17% alors que les autres postes n'ont augmenté que de 3,2%).
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sont associés à des dépenses sociales généreuses et les gouvernements de droite à des dépenses en matière
de défense.
Le parti dont la couleur politique semble la plus éloignée de la réforme entreprise est plus en mesure de bâtir
une coalition ad hoc pour soutenir sa politique (il obtient en effet généralement le soutien du camp adverse,
idéologiquement plus proche de la réforme) ; c'est aussi un gage pour mieux contrôler les groupes d'intérêt.
De la même façon, la proximité d'une échéance électorale peut conduire des gouvernements à hâter la mise
en œuvre d'un dispositif afin de pouvoir en retirer des bénéfices politiques dans les urnes.
Mais l'influence peut aussi jouer dans l'autre sens... La proximité d'élections peut en effet conduire à repousser
des décisions afin d'éviter une sanction dans les urnes ; c'est ce qu'on appelle la « blame avoidance » (Cf.
Weaver, 1986), c'est-à-dire l'évitement de la sanction. L'idée est la suivante : les électeurs sont plus sensibles
à ce qu'on leur a fait qu'à ce que l'on fait pour eux, c'est-à-dire qu'il y a un biais négatif dans le comportement
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électoral : la sanction l'emporte toujours ; le vote est plus rétrospectif (portant sur les politiques passées) que
prospectif (sur les politiques futures). Les gouvernants vont donc éviter de prendre des décisions dont les coûts
sont importants à court-terme (alors que les bénéfices sont diffus et peu visibles à moyen terme). Cela signifie
qu'il y a généralement des périodes de non décision avant des élections.
Il existe d'autres stratégies possibles (autres que la non-décision) pour éviter la sanction électorale :
• Limiter l'agenda ou « noyer le poisson » en envahissant l'agenda avec d'autres enjeux.
• Redéfinir l'enjeu (pour rendre le coût de sa prise en charge moins visible). Ex : le PACS, non défini
comme un « mariage homosexuel » par le PS pour obtenir davantage de soutien et rendre l'enjeu « plus
acceptable ».
• Différer les effets d'une décision (mise en œuvre reportée au-delà de l'élection).
• Déléguer la décision à des instances non-politiques (agences par exemple) qui porteront la responsabilité
de la décision contestée ou impopulaire.
• Trouver un bouc-émissaire (en imputant la responsabilité de décisions impopulaires à d'autres). Ex : UE /
Bruxelles ; le gouvernement précédent, etc.
• Produire un consensus pour répartir le blâme sur le plus grand nombre d'acteurs politiques possible
(dilution de la responsabilité).
Le problème : le risque de survalorisation du rôle de ce leader ; il faut en effet aussi prendre en compte le
contexte (économique et politique), les interactions de ce leader avec d'autres acteurs (rôle de l'entourage de
Thatcher par exemple, comme les think-tank néo-conservateurs), etc.
Travaux les plus aboutis sur cette questions : ceux de Cerny (travail sur De Gaulle, 1988) : trois variables
doivent être prises en compte :
• Les skills, soit les capacités et compétences personnelles du leader.
• Les rules, soit les normes et la fonction occupée par le leader (son rôle institutionnel).
• Les fashions ou le contexte, soit les éléments de l'environnement qui sont propices à son leadership
(résonance cognitive, air du temps favorable, bon contexte économique, etc.).
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Section 2 : Mais une influence limitée
§1 : Des PP déterminées par des facteurs qui
vont au-delà de la compétition politique
Il y a tout d'abord des données structurelles qui pèsent sur l'action publique. Cf. travaux de Wilensky (1975) :
les dépenses liées à l'Etat providence dépendent avant tout de la croissance économique et des variations
démographiques (comme le vieillissement de la population, qui est le principal moteur de réforme des systèmes
de protection sociale dans les démocraties avancées sur les dernières décennies).
Même chose concernant les budgets (Cf. « pétrification du budget français » souligné par A. Siné) : le
déterminant partisan est quasiment absent pour expliquer leur évolution ; 80% des crédits (voire 90% dans
certains cas) sont reconduits quasiment à l'identique chaque année. C'est-à-dire que les choix politiques ne
portent finalement que sur des allocations marginales.
Il faut également tenir compte du poids du contexte. Et cette pression du contexte est d'autant plus vérifiée
aujourd'hui avec la mondialisation et l'interdépendance croissante des économies.
Premier modèle : l'incrémentalisme (Cf. Lindblom, 1959) qui souligne la préférence pour le statu quo
(changement à la marge, progressif, marginal, etc.).
Deuxième modèle : le néo-institutionnalisme historique avec la path dependence (Cf. Pierson) qui souligne
le poids des choix passés (idée d'héritage dans l'action publique), les phénomènes d'inertie et de résistance
au changement.
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Européanisation, transnationalisation, internationalisation, interdépendance ; etc. : toutes ces évolutions
viennent limiter les marges de manœuvre des Etats et des acteurs politiques qui les incarnent – on parle de
plus en plus de « recul de l'Etat » (voir les leçons consacrées à l'européanisation et aux PP internationales).
>>> Les PP sont donc « sous-contrainte », ce qui relativise l'influence de la variable politique sur la conduite
de l'action publique.
On constate en fait que l'influence politique est variable :
• Elle varie en fonction du contexte et de la conjoncture (dans quelles conditions le parti est arrivé au
pouvoir ; avec qui il doit gouverner ; avec quelles contraintes économiques ; etc.). Ex : la marge de
manœuvre politique est beaucoup plus grande quand le dirigeant politique arrive au pouvoir suite à une
grande victoire électorale, qu'il n'y a pas de coalition au pouvoir, que c'est une période de croissance
économique et qu'il décide de développer l'action publique dans un domaine encore relativement vierge
(où le poids du passé se fait peu sentir). Ex : le PACS pour le gouvernement Jospin à la fin des années
1990.
• Elle varie en fonction du secteur d'action publique concerné. Ex : les politiques économiques et sociales
sont beaucoup plus contraintes car les dépenses publiques y sont importantes, il y a une longue
tradition et une forte institutionnalisation (path dependence) et elles sont davantage touchées par la
mondialisation et l'intégration européenne (c'est d'ailleurs dans ces secteurs que l'on constate le plus
grand rapprochement programmatique entre les grands partis de gouvernement de droite et de gauche).
• Elle varie en fonction du type de PP concernée (Cf. typologie de Lowi présentée dans la séance 1) :
les politiques distributives et redistributives semblent plus contraintes que les politiques constitutives et
réglementaires. De la même façon les politiques dites « symboliques » (et notamment les politiques
d'affichage qui disent, plus qu'elles ne font Cf. travaux d'Edelman, 1977), sont celles pour lesquelles la
variable politique et partisane semble le plus jouer. L'important, c'est d'afficher la capacité d'action des
élus – mythe selon lequel le décideur politique peut changer les choses (« Yes we can » d'Obama). C'est
cette dimension qui alimente la vie politique et les campagnes électorales.
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Section 3 : Etude de cas, les politiques
publiques sous la présidence Sarkozy
Cf. De Maillard et Surel, Les politiques publiques sous Nicolas Sarkozy, Paris, Presses de Sciences Po, 2012,
pp. 15-45.
C'est aussi la présidentialisation des institutions et de la pratique politique : grande emprise sur le
gouvernement (Fillon est un « collaborateur ») ; G7 à l'Elysée (réunion des ministres, sans le 1er ministre,
dans les premiers mois de la présidence) ; collaborateurs élyséens qui jouent un rôle important et sont
médiatisés (interventionnisme des « hommes du président » tels Guéant ou Guaino) ; des domaines de PP
sont « annexés » par la présidence (politique étrangère notamment, avec développement d'une diplomatie
parallèle à celle du ministère des affaires étrangères ; politique en matière financière ; protection sociale ;
environnement ; et même politique scolaire avec l'anecdote de la lecture obligatoire de la lettre de Guy Mocquet
en classes de lycée). On parle « d'omni-président ».
Comment peut-on classer les PP menées sous la présidence Sarkozy ? On peut tout d'abord distinguer deux
polarités différentes :
1. les politiques aux ambitions politiques importantes / celles ayant des ambitions affichées plus limitées ;
2. les politiques dont la mise en œuvre est conforme aux objectifs fixés / celles qui ne suscitent que des
changements restreints.
A partir de là, les deux auteurs (De Maillard et Surel) proposent une typologie en 5 entrées des PP sous
Sarkozy :
• 1ère catégorie : les politiques qui ont abouti à des changements significatifs sans avoir toujours été
anticipées ou conçues comme une priorité de la « rupture » annoncée en 2007. Ex : réforme des
retraites de 2010 ; gestion de la crise de 2008 (plan de sauvetage des banques par exemple). Il
s'agit généralement de réactions pragmatiques à des situations de crise (Sarkozy et son gouvernement
profitent d'opportunités circonstancielles).
• 2ème catégorie : les PP annoncées comme des « marqueurs » possibles de la présidence de Sarkozy
(présentes dans le programme présidentiel et rapidement inscrites à l'agenda ; grand investissement du
président ; présentées comme les preuves de la capacité réformatrice de Sarkozy). Ex : Grenelle de
l'environnement ; LRU (autonomie des universités) ; décision de ne pourvoir qu'au remplacement d'un
fonctionnaire sur 2 partant à la retraite. Ces politiques sont vues comme des succès de l'action publique
du président (même si la réalité est en fait plus complexe – notamment en ce qui concerne le Grenelle) ;
et elles nourrissent le crédit présidentiel.
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• 3ème catégorie : les initiatives vite étouffées (et qui n'étaient pas de réelles priorités pour l'action
gouvernementale). Ce sont des « coups de sonde », bénéficiant d'un investissement limité du président,
d'une exposition médiatique éphémère avant d'être rapidement oubliées. Ex : plan Marshall des
banlieues ; politique de la mémoire de la Shoah ; débat sur l'identité nationale ; etc. Il s'agit le plus souvent
de propositions mal préparées et/ou soutenues par une fraction seulement de l'entourage présidentiel
et de la majorité parlementaire ; elles sont généralement vite retirées (le coût électoral anticipé étant
trop élevé).
• 4ème catégorie : ce sont les réformes les plus problématiques car il existe un grand écart entre les
ambitions initiales affichées et les réalisations effectivement constatées à long-terme ; il s'agit de toutes
les réformes avortées, empêchées ou inversées. Exemple le plus flagrant : le revirement complet
concernant le bouclier fiscal – mais on pourrait retrouver la même chose en politique étrangère en ce
qui concerne la « Françafrique ».
• 5ème catégorie : les réformes « imposées » à l'agenda présidentiel – en fonction du contexte ou d'une
continuité obligée de l'action gouvernementale (Cf. path dependence).
Les orientations politiques sont changeantes – il n'y a pas de perspective d'ensemble cohérente (pas une
orientation idéologique claire et précise) : on ne discerne pas d'idéologie structurée dans les choix du président
Sarkozy et les logiques sont parfois contradictoires (retour aux pratiques antérieures en matière de politique
africaine ; recul en matière d'environnement ; même va-et-vient dans la politique économique – passage de la
relance à l'aide de rabais fiscaux à de l'austérité budgétaire, etc.).
Il s'agit avant tout d'un mandat marqué par des crises (crise russo-géorgienne, crise financière et économique)
et Sarkozy utilise ces crises pour manifester sa capacité de réaction. Parfois même, il cherche à « produire »
l'événement ; en matière de politique étrangère par exemple, Sarkozy privilégie une politique « de
sommets » (et non pas le tissage patient de relations diplomatiques de long-terme). Il a également recours
au « blame claiming » qui consiste à rechercher un gain politique en se fondant sur la capacité à faire face
à la contestation de la réforme entreprise.
>>> Les deux auteurs arrivent à la conclusion que ce qui caractérise le mieux la présidence de Sarkozy est
le « governing by campaigning » (Cf. Wroe et Herbert, 2009), soit gouverner en faisant campagne – avec
une place prépondérante accordée aux slogans.
Il s'agit d'une pratique politique où la communication constitue un élément central (un des éléments constitutifs
de l'action, et non pas un simple accompagnement de l'action).
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On n'est pas face à une présidence de rupture – il y a énormément de continuité, de retour en arrière et
d'évidement progressif de certaines politiques. Il existe donc un écart important entre le discours volontariste
et offensif du candidat, puis du président Sarkozy, et les changements substantiels qui sont finalement réduits.
Si la présidence de Sarkozy se démarque pour une raison, c'est davantage du fait de sa méthode, qui est un
mélange de réaction politique, de coups médiatiques et de succession ininterrompue d'initiatives – bien plus
que pour la cohérence de son orientation politique. La forme s'impose davantage que le fond.
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