Vous êtes sur la page 1sur 16

VUIBERT DROIT

11e édition

Droit
administratif
Serge Velley

T LE COU
U
TO

+
RS

À JOUR
DE DES
LA DÉCISION
CONSEILSQPC
DU 22 JUIN 2012
MÉTHODOLOGIQUES
SUR LA LIBERTÉ
DU MARIAGE
Chapitre 3

Décentralisation
(59) Centralisation, déconcentration, décentralisation
L’exposé des principes (I) sera suivi de l’étude de l’administration française, qui
allie éléments centralisés (II) et décentralisés (III), dès lors que la décentralisation
ne peut se concevoir sans un État central et une administration déconcentrée. Au
demeurant, autonomie et libre administration ne signifient pas indépendance :
décentralisation territoriale et déconcentration administrative forment de
ce point de vue un couple indissociable1.

I. Principes
I.1. Centralisation
(60) Centralisation et déconcentration
La centralisation accorde le monopole de l’activité administrative à une seule
personne morale de droit public2 : l’État. Mais c’est là une conception idéale,
rarement réalisée puisque cette volonté de soumettre les affaires du pays à un
centre de décision ne peut convenir qu’à de petits ensembles. La centralisation de
l’autorité exige, pour se maintenir sur de vastes territoires, une déconcentration
du pouvoir au profit de représentants du pouvoir central au niveau local, soumis
comme tels à sa puissance hiérarchique. Centralisation et déconcentration
apparaissent de la sorte comme pratiquement indissociables.
La déconcentration, concept forgé par L. Aucoc dans la deuxième moitié
du XIXe siècle3, ne conduit donc pas à l’apparition de personnes morales dis-

1. L’article 1 de la loi du 6 février 1992 dispose de la sorte que « l’administration territoriale de la


République est assurée par les collectivités territoriales et par les services déconcentrés de l’État ».
2. Les personnes morales – de droit public ou de droit privé – sont des groupements (État,
collectivités territoriales, associations, syndicats, sociétés) à qui est accordée la qualité de sujet de
droit, à l’instar des personnes physiques. Elles disposent de personnels et d’un patrimoine, et sont
en mesure d’édicter des actes juridiques et d’ester en justice dans la limite des droits et obligations
qui leur sont reconnus.
3. L. Aucoc, Conférences sur l’administration et le droit administratif, Paris, 3 vol., 1878-1882 (2e ed.),
vol. 1, pp. 97-98.

61
Organisation

tinctes de l’État, mais seulement à une réorganisation des compétences au sein de


l’administration étatique. Elle favorise la mise en place d’une administration plus
consciente des réalités locales, mais aussi mieux à même de s’assurer de l’exacte
application des mesures prises. Ce n’est donc pas l’effet du hasard si les premières
mesures importantes de déconcentration seront édictées par Louis Napoléon
Bonaparte (le futur Napoléon III), quelques mois après le coup d’État du 2
décembre 1851. C’est, pour reprendre une formule célèbre de O. Barrot, prési-
dent du Conseil au début de la IIe République, « toujours le même marteau qui
frappe, même si on en a raccourci le manche ».
En France, le principal bénéficiaire de la déconcentration sera le préfet,
créé par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800).

(61) Un principe séculaire


La centralisation n’est pas un phénomène récent. C’est le résultat d’un effort
séculaire de la monarchie française, magnifiquement exposé par A. de Tocque-
ville dans L’Ancien Régime et la Révolution. L’auteur y déploie la vision quelque
peu idéalisée d’un système centralisé construit autour du Conseil du roi, « corps
administratif d’une puissance singulière » cumulant les prérogatives d’une Cour
suprême et d’un tribunal administratif supérieur, d’un conseil du gouvernement
et d’un conseil supérieur de l’administration ; du contrôleur général des
finances, à la fois ministre des Finances, de l’Intérieur, des Travaux publics et
du Commerce ; et de l’Intendant, « agent unique, dans les provinces, de toutes
les volontés du gouvernement »1. La réalité est moins majestueuse et plus
rassurante. Ces prétentions se trouvaient en effet combattues par la multitude
des agents et des juridictions dont les compétences s’enchevêtraient, les privilè-
ges accordés à des particuliers, à des villes et à des provinces, le caractère indocile
des parlements et autres cours souveraines2...
La centralisation serait donc un « produit » de l’Ancien Régime ; ce serait
même « la seule portion de la constitution de l’Ancien Régime qui ait survécu à
la Révolution, parce que c’était la seule qui pût s’accommoder de l’état social
nouveau que cette Révolution a créé »3. Radicalement remise en cause en 1789,
la centralisation connaı̂tra un rapide retour en grâce avec les « nécessités »
induites par la Révolution et la guerre européenne, avant de se voir renforcée
et consacrée par Bonaparte. Avec la création des préfets4 et l’abandon du
principe électif pour les agents administratifs locaux5, l’administration française

1. A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, 1856, rééd. Idées/Gallimard, 1967,


livre II, chap. 2, pp. 100 et s.
2. Rappelons que, sous l’Ancien Régime, les Parlements sont des cours de justice qui exercent
aussi des fonctions que l’on qualifierait aujourd’hui d’administratives. Tocqueville « affinera » sa
présentation de l’Ancien Régime dans le chap. 6.
3. Tocqueville, op. cit., p 98.
4. Loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800).
5. Constitution du 22 frimaire an VIII (13 déc. 1799), art. 41. Ces agents sont nommés par le
Premier consul à partir de listes communales et départementales établies par les électeurs (art. 7 et 8).

62
Décentralisation

devient en effet une « chaı̂ne d’exécution (qui) descend sans interruption du


ministre à l’administré et transmet la loi et les ordres du gouvernement jus-
qu’aux dernières ramifications de l’ordre social avec la rapidité du fluide élec-
trique »1.
Cette administration de type quasi militaire fera la force, mais aussi la
faiblesse des gouvernements français du XIXe siècle. Devenue un simple instru-
ment entre les mains du pouvoir, elle acceptera sans broncher les coups d’État et
révolutions venus de Paris. Ces avantages évidents l’emportant sur des défauts
plus masqués, le système administratif napoléonien ne sera que prudemment
amendé à compter de la monarchie de Juillet et de la IIIe République2, avant de
voir son économie bouleversée par la loi du 2 mars 1982 et la révision constitu-
tionnelle du 28 mars 2003.

I.2. Décentralisation
(62) Décentralisation territoriale et décentralisation technique
La décentralisation est un mode d’administration qui consiste à créer des per-
sonnes morales distinctes de l’État, soustraites à sa puissance hiérarchique mais
non à son contrôle, à qui l’on confie certaines activités administratives. Elle peut
être réalisée suivant deux procédés très différents :
1) La décentralisation territoriale confère l’expédition des affaires admi-
nistratives locales à des collectivités territoriales élues, distinctes et autonomes
de l’État. Elle se traduit par la multiplication des personnes morales de droit
public en charge de l’administration dans le cadre d’une circonscription infra-
étatique : communes, départements ou régions.
2) La décentralisation technique confie la gestion de certains services
publics à des personnes morales de droit public spécialisées (établissements
publics, groupements d’intérêt public) voire même, avec le phénomène de
privatisation qui affecte l’administration française, à des personnes morales
de droit privé telles que les associations ou les sociétés anonymes.
Cette forme de décentralisation se rencontre à tous les niveaux – étatique,
régional, départemental et communal. Elle se trouve gouvernée par le principe
de spécialité : la personne publique ou la personne morale de droit privé
considérée ne gère en principe qu’une activité de service public déterminée3 –
fabrication et transport de l’énergie électrique pour EDF, transport et distribu-
tion du courrier pour La Poste...

1. Discours de Chaptal, orateur du gouvernement et futur ministre de l’Intérieur, devant le Corps


législatif, le 28 pluviôse an VIII (Archives parlementaires, 2e série, t. 1, p. 230).
2. Lois des 21 mars 1831 et 22 juin 1833 organisant l’élection des conseillers municipaux et des
conseillers généraux (réforme abandonnée après le coup d’État du 2 déc. 1851) ; lois du 10 août 1871
sur les départements et du 5 avril 1884 sur les communes.
3. § 117.

63
Organisation

Si la décentralisation technique apparaı̂t comme un simple mode de


gestion du service public fondé sur des considérations d’opportunité et d’effi-
cacité, la décentralisation territoriale emporte en revanche une dimension
politique qui en fera l’une des principales revendications des XVIIIe et
XIXe siècles.

(63) Un principe révolutionnaire rapidement abandonné


La décentralisation opérée en 1789 tient en premier lieu du fait accompli. La
reconnaissance par l’Assemblée constituante de l’existence d’une « municipalité
dans chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de campagne »1 apparaı̂t être
la conséquence directe de la « grande peur » qui s’empare des campagnes fran-
çaises. Elle se présente aussi comme une condition nécessaire à l’enracinement du
nouveau régime, et comme une précaution prise à l’encontre du roi, titulaire
d’un pouvoir exécutif considérablement affaibli par la réforme décentralisatrice.
Mais elle n’en relève pas moins d’une authentique inspiration libérale visant à
« acclimater » la liberté en retirant à l’État la connaissance « des affaires parti-
culières, et pour ainsi dire privées de chaque ressort municipalisé »2. « Les
municipalités, note Barère, sont à la liberté politique ce que les jurés sont à la
liberté civile, c’est-à-dire la base essentielle à établir. »3 La Constituante créera
ensuite des assemblées élues de district et de département, placées « sous l’au-
torité et l’inspection du roi »4.
Très vite, toutefois, la dichotomie existant entre une administration cen-
trale nommée par le roi et des administrations locales élues allait se transformer
en un conflit de légitimités qui n’épargnera pas l’Assemblée elle-même5. Le vice
essentiel du système résidait toutefois dans l’absence de représentant du pouvoir
central auprès de ces administrations locales élues. Aucune mesure de déconcen-
tration n’accompagnait la décentralisation, essentielle pourtant à l’exécution des
lois et au maintien de l’ordre.

1. Loi du 14 décembre 1789.


2. Thouret, séance du 29 septembre 1789 (Archives parlementaires, 1re série, t. 9, p. 208).
3. AP 1re série, t. 9, p. 691. C’est là une idée force de l’opinion libérale du XIXe siècle,
brillamment exposée par Tocqueville dans De la démocratie en Amérique : « C’est pourtant dans la
commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce
que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font
goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales, une nation peut
se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de liberté » (1835-1840, rééd. Idées/
Gallimard, 1968, p. 59). La décentralisation ne présente cependant pas que des avantages :
moindre professionnalisation et plus grande dépendance des élus locaux à l’égard de leurs électeurs,
risques de corruption...
4. Loi des 22 décembre 1789-janvier 1790, sect. 3, art. 1 et 2.
5. La Constitution du 3 septembre 1791 s’en fait l’écho dans son titre 3, chap. 4, section 2.
L’article 2 rappelle que « les administrateurs n’ont aucun caractère de représentation ». Selon
l’article 3, « ils ne peuvent ni s’immiscer dans l’exercice du pouvoir législatif, ou suspendre
l’exécution des lois, ni rien entreprendre sur l’ordre judiciaire, ni sur les dispositions ou opérations
militaires ».

64
Décentralisation

L’indispensable complémentarité des mesures de décentralisation et


de déconcentration devait se faire sentir davantage encore après la chute de la
monarchie, le 10 août 1792. Les Assemblées auront alors recours à divers
expédients (représentants en mission et « agents nationaux »), finalement rem-
placés et institutionnalisés en l’an III par des « commissaires du Directoire »
chargés de surveiller et requérir l’exécution des lois1. Bonaparte allait consacrer
ce mouvement centralisateur en créant les préfets2 et en réduisant le rôle des
assemblées locales à la portion congrue3.

(64) La réforme décentralisatrice sous la Ve République


L’économie générale du système administratif français sera fortement amendée
par la loi du 2 mars 1982, votée par la majorité socialiste de l’époque. La région
voit son existence reconnue par la loi, et l’exécutif départemental et régional se
trouve transféré du préfet au président du conseil général ou régional. La tutelle
– expression fort dépréciative indifféremment utilisée pour qualifier le pouvoir
exercé sur les mineurs, les incapables majeurs ou les collectivités territoriales –
est supprimée et remplacée par un contrôle administratif allégé.
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 procède quant à elle à un
véritable renversement des principes, puisque l’article 1C dispose désormais que
l’organisation de la République est décentralisée. Profondément remaniés, les
articles 72, 73 et 74 C en développent les principales conséquences :
. Le principe décentralisateur suppose en premier lieu que l’existence de
ces collectivités, ou tout du moins de certaines d’entre elles, soit garantie par la
Constitution. « Les collectivités territoriales de la République, dispose l’article
72C révisé, sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à
statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. Toute
autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place
d’une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa ». La région,
organisée jusque-là par la loi du 2 mars 1982, accède de la sorte à un statut
constitutionnel. L’article évoque aussi les collectivités à statut particulier comme
la Corse et les collectivités d’outre-mer, appellation qui remplace dorénavant
celle de territoires d’outre-mer.
. La révision de 2003 confirme et consacre l’empilement des nivaux d’ad-
ministration avec le maintien des communes, des départements et des régions.
Cette complexité se traduit par la formulation d’un critère de répartition des
compétences nécessairement flou, associant le principe de subsidiarité, issu du
droit communautaire, à une clause générale de compétence remise en cause
en 2010, réaffirmée en 2013 et, semble-t-il, condamnée en 2014 ! Ces collecti-
vités ont en effet « vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des com-

1. Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795), art. 191. Les articles 189 à 201 sont consacrés
au contrôle, à la surveillance et à la réglementation des compétences des administrations locales.
2. Loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800).
3. Constitution du 22 frimaire an VIII (13 déc. 1799), art. 7, 8 et 41.

65
Organisation

pétences qui peuvent être le mieux mises en œuvre à leur échelon »1. L’article
72C peut ainsi proscrire d’un même mouvement toute tutelle exercée par une
collectivité territoriale sur une autre, et autoriser le législateur à créer des
collectivités ou des groupements « chefs de file » !
La loi du 16 décembre 2010 avait pour objet de simplifier ce que l’on
nomme parfois le « millefeuille » institutionnel français. La première réforme,
maintenue par l’actuelle majorité, porte sur l’achèvement et la rationalisation
de l’intercommunalité. Elle vise à réduire des trois quarts le nombre des
structures intercommunales et à créer deux nouveaux artefacts, relatifs aux
agglomérations et regroupements de grandes dimensions : les métropoles et les
pôles métropolitains. La loi du 17 mai 2013 a seulement modifié le statut de
ces métropoles, et en a étendu le champ d’application aux grandes villes de
province2.
La deuxième réforme, emblématique, consistait à remplacer les quelque
4 037 conseillers généraux et 1 880 conseillers régionaux par un peu moins de
4 000 conseillers territoriaux siégeant indifféremment dans les conseils généraux
et régionaux. Cette mesure – mal acceptée des élus locaux – a été abrogée par la
loi du 17 mai 2013 et la dualité antérieure, rétablie. Toutefois, le mode de
scrutin des élections cantonales est profondément modifié ; les conseillers géné-
raux, rebaptisés pour l’occasion « conseillers départementaux », seront désor-
mais élus au scrutin binominal majoritaire à deux tours, un homme et une
femme devant être désignés par chaque canton en application du principe de
parité. Le nombre de cantons sera en conséquence divisé par deux, passant de
4 000 à 2 000, et le redécoupage devra se faire sur des « bases essentiellement
démographiques », reprenant en cela une jurisprudence traditionnelle du Conseil
constitutionnel3.

(65) Le principe de libre administration des collectivités territo-


riales
Énoncé dès 1958, le principe de libre administration des collectivités territo-
riales voit ses effets considérablement développés par les réformes de 1982 et
2003. « Dans les conditions prévues par la loi, énonce l’article 72C, ces collec-
tivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir
réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. »

1. Art. 72C al. 2.


2. Le CC a estimé que le principe de libre administration des collectivités territoriales ne pouvait
être opposé à ce renforcement de l’intercommunalité : 2013-303, 304 et 315 QPC du 26 avril
2013, AJDA 2013.884. Toutefois, le rattachement forcé à un EPCI de communes isolées ou
enclavées, tel qu’il a été mis en place par la loi du 16 décembre 2010, vient d’être déclaré contraire
à ce même principe (CC 2014-391 QPC du 25 avril 2014, AJDA 2014.887).
3. CC 85-196DC du 8 août 1985, R. 63. Solution étendue aux élections locales par CC 87-
227DC du 7 juillet 1987, R. 41.

66
Décentralisation

.Cette très importante disposition consacre le rôle prééminent accordé à


la loi dans la décentralisation territoriale. La liberté d’administration s’exerce en
effet « dans les conditions prévues par la loi », précision déterminante désormais
placée au commencement de la disposition1. L’article 34C précise que la loi
« détermine les principes fondamentaux [...] de la libre administration des
collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources », et l’article
24C confère au Sénat la mission spécifique d’assurer leur représentation au
Parlement.
La décentralisation, ou tout du moins certains de ses aspects les plus
importants, se trouve ainsi placée hors d’atteinte de l’administration centrale.
La loi n’est cependant pas toute-puissante : doté d’une valeur constitutionnelle2,
le principe de libre administration des collectivités locales s’impose au légis-
lateur, qui peut certes l’aménager, notamment pour le concilier avec d’autres
principes de même valeur3, mais non le supprimer.
. L’article 72C fait du principe électif l’une des conditions essentielles de
la décentralisation, encore renforcé par la révision constitutionnelle du 23 juillet
2008, qui inscrit dans le domaine de la loi « les règles concernant [...] les
conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des mem-
bres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ». L’élection ne
s’impose toutefois que pour les conseils ; la garantie constitutionnelle ne s’étend
pas à l’exécutif des collectivités territoriales.
Jusqu’à cette dernière révision, la référence à la gestion par des conseils élus
excluait le référendum comme mode d’administration des collectivités territo-
riales décentralisées ; cette restriction se trouve désormais « levée » par l’arti-
cle 72-1C révisé4.
. L’article 72C consacre aussi l’existence d’un pouvoir réglementaire
local, déjà admis par la jurisprudence avant la révision constitutionnelle du
28 mars 20035. Cette compétence demeure bien entendu subordonnée à la
loi, mais aussi au pouvoir réglementaire national6.

1. L’ancien article 72C disposait : « Ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus
et dans les conditions prévues par la loi. »
2. CC 79-104 DC du 23 mai 1979, R. 27 et, surtout, 82-137 DC du 25 février 1982 (lois de
décentralisation), R. 38. Un principe désormais garanti par la QPC, contrairement au principe
décentralisateur consacré à l’art. 10 (CE 21 sept. 2012, Cnes de Couvrot et de Poligny, 2 esp.,
AJDA 2012.1769).
3. Principe de continuité (82-149 DC du 28 déc. 1982, R. 76), d’égalité (84-185 DC du 18 janv.
1985, R. 36)...
4. « [...] Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération ou d’acte
relevant de la compétence d’une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la
voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité. »
5. CE 27 novembre 1992, féd. Interco CFDT, R. 426 ; 1er avril 1996, dépt de la Loire, R. 109.
6. C’est ainsi que l’article 72C autorise les CT à « déroger, à titre expérimental et pour un objet et
une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs
compétences ».

67
Organisation

Mais la décentralisation est aussi affaire de moyens, financiers et humains1.


La réforme restera un mot si elle ne s’accompagne pas des transferts financiers
nécessaires à sa mise en œuvre. L’article 72-2C prévoit certes la libre disposition
de leurs ressources « dans les conditions prévues par la loi », et la compensation
budgétaire intégrale de tout nouveau transfert de compétence. L’État joue donc
un rôle essentiel à ce niveau, et l’autonomie proclamée trouve sa limite dans
l’existence constitutionnellement reconnue de « dispositifs de péréquation des-
tinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales »2.

(66) Décentralisation territoriale, déconcentration et fédéralisme


À la différence du fédéralisme, qui attribue une autonomie législative plus ou
moins importante à des États fédérés qui disposent d’une constitution séparant
les pouvoirs3, la décentralisation territoriale n’intéresse que le pouvoir exécutif et
conduit à l’apparition de collectivités infra-étatiques. L’indivisibilité de
l’État s’exprime par le truchement d’une législation édictée par un pouvoir
législatif unique, mais aussi par l’existence d’un contrôle exercé par le pouvoir
central sur les autorités décentralisées.
La formule de l’article 72 C exclut en théorie toute possibilité de dérive
fédéraliste. Il n’est en effet question que d’administration et non de législation,
ainsi que le précise son dernier alinéa qui prévoit l’existence, « dans les collecti-
vités territoriales de la République », d’un « représentant de l’État, représentant
de chacun des membres du gouvernement » en charge « des intérêts nationaux,
du contrôle administratif et du respect des lois ». Décentralisation et libre
administration ne signifient donc pas indépendance ; la décentralisation doit
nécessairement s’accompagner d’une déconcentration indispensable à la
préservation de l’autorité de l’État, ainsi que le prouve l’échec de l’expérience
décentralisatrice des années 1789-17924.
La réforme décentralisatrice opérée à compter de 1982 a cependant imposé
de délicats ajustements avec le principe de l’indivisibilité de la République
proclamé à l’article 1C5. Un principe devenu très compréhensif, qui exige
seulement un pouvoir législatif unique et peut donc se satisfaire de la diversité
des statuts des collectivités territoriales et du droit local applicable6. Une

1. Art. 72-2C. Les CT disposent de ressources fiscales propres (taxe d’habitation, taxes foncières) et
de deux dotations globales versées par l’État : la dotation globale d’équipement (DGE) et la
dotation globale de fonctionnement (DGF).
2. Un mécanisme qui ne peut cependant pas être invoquer en appui d’une QPC (CE 21 sept.
2012, Cne de Vitry-sur-Seine, AJDA 2012.1769).
3. Aux États-Unis, les États fédérés comme le Texas, le Montana ou la Californie disposent chacun
d’un Congrès, d’un gouverneur et d’une Cour suprême.
4. § 63.
5. « La France est une République indivisible, [...] ». Le principe d’unité, qui lui est tradition-
nellement associé, n’apparaı̂t pas explicitement dans le texte constitutionnel.
6. En théorie, l’unité supposerait une législation unique pour l’ensemble du territoire. La règle a
toujours connu des exceptions avec, notamment, le droit local alsacien-mosellan et le principe de
spécialité législative appliqué aux colonies françaises.

68
Décentralisation

évolution favorisée par le Conseil constitutionnel qui évoque moins le principe


d’indivisibilité de la République que celui d’unicité du peuple français, qui
présente l’avantage de recentrer les obligations constitutionnelles du législateur
autour du principe d’égalité1.
De ce point de vue, l’une des innovations les plus discutées de la révision du
28 mars 2003 porte sur le droit à l’expérimentation, qui permet désormais aux
collectivités territoriales de déroger, sous certaines conditions, « aux dispositions
législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences »2. Pour
ses partisans, cette capacité nouvelle permettrait de concilier heureusement l’indi-
visibilité de la République et l’unicité du peuple français avec la nécessaire diversité
des statuts et du droit local applicable. Ses adversaires y voient au contraire la porte
ouverte à une possible territorialisation du droit3, et une menace pour le principe
d’égalité. Une crainte exagérée, dès lors que l’expérimentation doit être autorisée
par la loi ou le règlement national, et « pour un objet et une durée limités ».
Surtout, elle ne peut porter atteinte aux « conditions essentielles d’exercice d’une
liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti »4, restriction qui
consacre une jurisprudence déjà ancienne du Conseil constitutionnel5.
Le principe d’indivisibilité de la République se trouve en revanche direc-
tement atteint lorsque la Constitution confère à la Nouvelle-Calédonie le droit
d’édicter en certaines matières des « lois du pays » 6, ou à certaines collectivités
territoriales d’outre-mer telles que la Polynésie française, la faculté de prendre
des actes relevant du domaine de la loi7.

II. L’administration centralisée


Si le principe décentralisateur a été consacré par la révision constitutionnelle du
28 mars 2003, l’administration centralisée n’a pas disparu pour autant, qui
regroupe l’administration centrale (1) et l’administration déconcentrée (2).
Nous étudierons ensuite les rapports de pouvoir institués au sein de cette
administration centralisée (3).

1. CC 91-290 DC du 9 mai 1991, R. 50 (statut de la Corse), censurant la mention faite par la loi
d’un « peuple corse, composante du peuple français ». Cf. aussi CC 99-412 DC du 15 juin 1999,
R. 71 (charte européenne des langues régionales ou minoritaires) : les principes d’indivisibilité,
d’égalité et d’unicité du peuple français « s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à
quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de
croyance ». Une jurisprudence qui n’a pas été remise en cause par l’article 75-1C introduit par la
révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, selon lequel « Les langues régionales appartiennent
au patrimoine de la France ».
2. Art. 72C.
3. Conduisant à l’apparition de droits locaux – municipaux, départementaux et régionaux –
distincts et divergents.
4. Art. 72C.
5. CC 84-185 DC du 18 janvier 1985, R. 36.
6. Art. 77C.
7. Art. 74C, réservant les « intérêts propres » des collectivités d’outre-mer.

69
Table des matières

Première partie
L’INTÉGRALITÉ DU COURS 1

Introduction .............................................................................................................................................. 3

TITRE 1
ORGANISATION
Chapitre 1. Séparation des autorités administratives
et judiciaires ........................................................................................................................................... 9

I. Principe ....................................................................................................................................... 9

II. Modalités d’application ............................................................................................... 11

III. Exceptions ................................................................................................................................ 14

IV. Sanction ...................................................................................................................................... 19

Chapitre 2. Séparation de la justice administrative


et de l’administration active .............................................................................................. 25

I. Le principe ............................................................................................................................... 25

II. Les juges.................................................................................................................................... 31

III. Les recours .............................................................................................................................. 40

IV. La décision de justice ................................................................................................... 55

Chapitre 3. Décentralisation ............................................................................................... 61

I. Principes ..................................................................................................................................... 61

II. L’administration centralisée .................................................................................... 69

III. L’administration territoriale décentralisée ................................................ 79

TITRE 2
MISSIONS
Chapitre 1. Les fins ......................................................................................................................... 93

I. Unité : le service public ............................................................................................... 93

II. Diversité : les services publics ............................................................................. 120

347
Droit administratif

III. Un SP particulier : la police administrative ............................................. 139

Chapitre 2. Les moyens ............................................................................................................ 153

I. La décision administrative unilatérale .......................................................... 156

II. Le contrat administratif ............................................................................................... 172

TITRE 3
OBLIGATIONS
Chapitre 1. Légalité ........................................................................................................................ 187

I. Structure : la hiérarchie des normes.............................................................. 190

II. Modalités ................................................................................................................................... 214

III. Sanction : le contrôle de légalité ....................................................................... 219

Chapitre 2. Responsabilité ................................................................................................... 235

I. Le droit à réparation ...................................................................................................... 236

II. La responsabilité pour faute .................................................................................. 247

III. La responsabilité sans faute .................................................................................. 271

CONCLUSION GÉNÉRALE 291

ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE 293

Deuxième partie
QUESTIONNAIRE À CHOIX MULTIPLE 295

Troisième partie
CONSEILS MÉTHODOLOGIQUES 315

Quatrième partie
MISE EN PRATIQUE DE LA MÉTHODE 329

Index 343

348
11e édition

Droit
administratif
Serge Velley, maître de conférences
à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense

Le droit administratif est au cœur de la conception française de


l’État de droit. Spécifique, il règle la partie de l’activité administrative
que la République ne peut soumettre au droit commun et s’efforce
de répondre aux défis de notre époque : construction européenne
et mondialisation, crise de l’État-providence et privatisation de
l’administration.

Cet ouvrage permet d’appréhender de manière synthétique et


didactique l’organisation de l’administration française, ses missions
et ses obligations. Constamment actualisé, il présente et approfondit
les notions et les principes essentiels du droit administratif et propose
une évaluation des connaissances (QCM) ainsi qu’un entraînement
aux techniques de la dissertation et du commentaire d’arrêt assorti
de conseils méthodologiques.

Cet ouvrage s’adresse :


• aux étudiants en licence et master ;
• aux candidats aux concours administratifs (ENM, ENSP, IRA, etc.)
et aux examens professionnels (CRFPA, etc.).
Photo : © TMAX / Fotolia.com

ISBN : 978-2-311-40025-0

Retrouvez tous les


ouvrages Vuibert sur www. .fr

Vous aimerez peut-être aussi