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PIERRE WIGNY

KATH. UNIVERSITEIT LEUVEN


Nederlandse afdeling B 912
fAC. RECHTSGELEERDHEID
BIBLIOTHEEK

DROIT
ADMINISTRATIF

Principes Généraux

QUATRIÈME ÉDITION
REVUE ET AUGMENTÊE

BRUXELLES
EDITIONS BRUYLANT

1962
Patris dilectissimi
memoriae sacrum
K.r:n UNiVERSITEIT LE '
Nederland UVEN
fAC. RECHT se afdeling
BlBUQSGfLEERDHEJO
H:lEfK.

INTRODUCTION

1. L'épuisement de deux éditions des Principes généraux


du Droit administratif, la création d'un Conseil d'Etat et
la constitution d'une véritable jurisprudence, expliquent
la publication de ce nouvel ouvrage. Puisque Ie texte a été
complètement refondu, un titre différent s'imposait. Mais
Ie dessein est toujours Ie même : montrer fortement la
structure du Droit administratif. Celui-ci est de création
prétorienne. Ses principes sont discutés, souvent même
ignorés. Ils existent pourtant. Dans ce manuel on ne s'atten-
dra pas à trouver une discussion détaillée des questions,
mêmes importantes, un appareil critique de références. Ceci
doit être l'reuvre des auteurs de monographies qui, dans
notre pays, sont nombreux et estimables, ou l'objet d'un
Traité. Le présent volume remplit un plan plus modeste et
cependant nécessaire. Il constitue un effort de synthèse.
Une remarque soulignera la nécessité de pareille re-
cherche. Même en France, il n'y a pas deux auteurs qui
aient suivi Ie même plan. Certes, chacun peut aborder une
matière d'un point de vue personnel et si possihle original.
Mais les classements sont si divers que leurs oppositions
révèlent une incertitude dans Ie développement logique de
la pensée.
Une attention particulière a donc été donnée à l'enchaî-
nement des matières. On a aussi insisté sur les « principes »,
les « théories » et les « règles » sans se faire illusion sur Ie
caractère relatif et nécessairement transitoire de ces syn-
thèses. Tout Droit - et plus spécialement un Droit préto-
8 INTRODUCTION

rien - se déforme et reprend une nouvelle forme sous la


poussée des faits sociaux. Encore faut-il que ses interprètes
aident cette évolution à se faire en bon ordre.
Le Droit administratif est une discipline juridique qui a
la réputation d'être austère et qui, cependant, dans ce
monde moderne, compte parmi les plus passionnantes. Le
conflit éternel entre !'individu et Ie pouvoir reprend au-
jourd'hui sous une nouvelle forme. Il est plus dangereux
pour l'homme car l' Administration est impersonnelle, omni-
présente et a bien plus de prétentions que les rois ahsolus.
Il faut refaire la synthèse. Organisation et fonctionnement
permanent et régulier des services publics, tout en respec-
tant les libertés des personnes et en ménageant leurs inté-
rêts légitimes, tel est Ie noble hut du Droit administratif.
Les limites entre Ie Droit administratif et Ie Droit consti-
tutionnel étant imprécises, il a paru inutile de reprendre
dans ce livre des développements qui, logiquement, eussent
pu y trouver place mais ont déjà été donnés dans mon
Droit constitutionnel, publié chez Ie même éditeur.

NOTE POUR LA QUATRIEME EDITION

Le texte a été entièrement revu et mis à jour. Les théories des


servitudes d'utilité publique, de la responsabilité délictuelle, des
droits subjectifs et des règles de compétence font l'objet d'ex-
posés nouveaux.
Pour ne pas allonger Ie manuel, ces ajoutes ont été compensées
en partie par la suppression de passages que n'exigeait pas la
clarté de !'argument ou la lisibilité de l'exposé.
Dans la mesure du possible, la numérotation des paragraphes
a été respectée - non sans quelque artifice - pour faciliter--les
références entre éditions.
CHAPITRE PRELIMINAIRE

NOTION DU DROIT ADMINISTRATIF

A. NoTION
~,-wrii1,•···,
2. Il est impossible de définir Ie Droit administratif en
partant de la fonction administrative, c'est-à-dire celle qui
consiste, pour les administrations publiques, à pourvoir à
la satisfaction des intérêts du public dans Ie cadre de'> nor-
mes légales. En effet, les administrations publiques n'exer-
cent pas seulement cette mission. Elles contribuent aussi à
l'élaboration des normes légales elles-mêmes; en d'autres
termes elles légifèrent dans la mesure ou elles exercent Ie
pouvoir réglementaire. De plus, elles jouent un röle juri-
dictionnel chaque fois qu'est organisé un contentieux admi-
nistratif. Or à tous ces points de vue, leur activité est régie
par Ie Droit administratif.
Dira-t-on plutöt que Ie Droit administratif a pour fonde-
ment la notion organique de l' administration publique
(Etat, province, commune, établissement public, etc.) <lont
il règle l'organisation et Ie fonctionnement? Cette base plus
large n'est pas encore satisfaisante puisque Ie régime des
concessions - c'est-à-dire de services assurés, non par des
administrations publiques, mais par des particuliers -
relève incontestablement du Droit administratif.
11 faut choisir une notion plus extensive encore : celle du
service public. Mais cette fois-ci il faudra restreindre la
base devenue trop large en excluant Ie service législatif et
Ie service j udiciaire. Voici finalement la définition pro-
posée : le Droit administratif est cette branche du Droit
public interne par laquelle les diff érents services publics
qui sont créés pour satisfaire l'intérêt public, qui sont
groupés en administrations de l'Etat, des provinces, des
communes, ou sont sous la dépendance de ces administra-
tions, et qui constituent généralement des personnes publi-
10 CHAP. PRÉLIMINAIBE - NOTION DU DROIT ADMINISTRATIF

ques, sont régis, dans le cadre dil Droit constitutionnel, par


des règles spéciales au point de vue de leur organisation,
de leur f onctionnement et de certaim; litiges auxquels leur
activité donne lieu.
Heprenons les différents éléments de cette définition.

1. La branche du Droit public interne...

3. Notion formelle qui n'est pas discutée.

2. ... par laquelle les différents services publics créés pour


satisfaire l'intérêt public.

4. C'est la réalité fondamentale de la vie publique et par


conséquent la notion de base du Droit administratif. Dans
Ie chapitre suivant nous définirons Ie service public comme
une entreprise créée par les gouvernants pour assurer
d'une manière permanente et régulière la satisfaction des
besoins publics jugés essentiels: il faut.clone à la fois un
hut qui est l'intérêt public et un moyen qui est l'organi-
sation publique créée pour Ie satisfaire.

a. - Importance du service public.


5. Cette place centrale donnée au service public a été
contestée en France pour des raisons particulières au Droit
administratif de ce pays. Ces critiques ont trouvé chez nous
un écho inj ustifié. La meilleure définition est celle qui, non
seulement comporte tous les éléments nécessaires, mais
encore met en vedette les plus importants. Le service public
est certainement la notion la plus caractéristique. L'action
publique se sert d'un instrument - Ie service public -
pour atteindre un objectif : l'intérêt général. On verra à
chaque page de ce manuel que cette idée constitue la jus-
tification des règles du Droit administratif. Précisons que
pour la définition de celui-ci, Ie moyen est plus important
que la fin. Le bien public, a écrit Hauriou, n'esLpas_le
monopole de l'Administration. Les particuliers exercent
aussi des activités vitales pour la collectivité (boulangers,
médecins, fournisseurs d'électricité) sans que cette activité
en principe, donne matière au Droit administratif. Mais

N05 2 à 5
CHAP. PRÉLIMINAIRE - NOTION DU DROJT ADMINISTRATIF 11

l'existence d'un service public justifie son application. En


étudiant les services publics, on aurait examiné la totalité
des interventions de l'Etat (Buttgenbach, (Manuel de Droit
administratif, 1959, n° 53).
L'accent est donc bien placé sur l'élément Ie plus impor-
tant de la définition. Mais est-il aussi universel en ce sens
qu'on Ie retrouve dans toutes les matières régies par notre
discipline ?
L'action publique est toujours incorporée aujourd'hui
dans une organisation d'hommes et de biens, plus perma-
nente et plus puissante qu'un homme isolé et mortel. Pour
prendre l'exemple Ie plus frappant ou l'autorité paraît a
première vue la plus individuelle, Ie Roi est l'organe du
service public de la Couronne qui continue à fonctionner
même si Ie titulaire vient à disparaître (interrègne, ré-
gence). Il en est ainsi lorsque l' Administration gère les inté-
rêts publics tout comme dans Ie cas ou elle utilise son
autorité souveraine et exerce la puissance publique. L'ar-
mée, la police ne sont pas des associations d'hommes forts
mais des services publics organisés. Ainsi assure-t-on par
la personnalisation, l'objectivité et la continuité de l'action
administrative, Ie respect de la règle légale, l'égalité des
administrés.
b. -'- Intérêt public.
6. Le bien public peut être réalisé de diverses façons.
Le service public peut fournir directement la prestation;
il peut aussi, par ses pouvoirs de police, discipliner les
activités privées pour qu'elles y tendent ou du moins ne
s'en écartent pas. Comparez par exemple l'exploitation
d'un réseau ferré et la réglementation de la circulation,
sur les routes, des autobus privés. Comparez encore au
chapitre des biens, les immeubles du domaine public que
Ie service public utilise pour son fonctionnement (forte..:
resse, prison) et ceux qu'il affecte directement à l'usage
public (pare, voirie).

c. - Extension.
7. L' Administration qui dirige les services publics n'est
pas seule soumise aux règles du Droit administratif. Elle
en provoque l'application à ceux avec lesquels elle entre

N"" 5 à 7
12 CHAP. PRÉLIMINAIRE - NOTION DU DROIT ADMINISTRATIF

en contact. Si .elle nomme du personnel ou réquisitionne


des biens pour son organisation, si elle arrête des règle-
ments généraux, prend des décisions individuelles, conclut
des contrats, provoque par sa faute des dommages, si un
conflit surgit avec un particulier, Ie Droit administratif
détermine la portée juridique de ces actes pour elle et
pour les tiers.
Certaines entreprises, sans être des services publics, sont
d'intérêt public et de ce chef, peuvent exceptionnellement
utiliser certains procédés de Droit administratif (n° 187).

3. • • • qui sont groupés en administrations de l'Etat, des


provinces, des communes ou sous la dépendance de ces
administrations ...

8. Cette précision est importante à plusieurs points de


vue.
D'abord les services publics ne sont généralement pas
isolés, mais groupés en Administrations. Ces groupements
ne sont pas fictifs mais correspondent à une réalité j uri-
dique comme nous Ie verrons dans Ie paragraphe suivant.
Ensuite en précisant qu'il s'agit des Administrations de
l'Etat, des provinces et des communes, nous écartons cer-
tains services publics <lont l'étude relève d'autres branches
du Droit : Ie service législatif (Chambres, administrations
dépendantes comme la questure, Cour des comptes) est
régi par Ie Droit législatif et Ie service judiciaire (cours et
tribunaux, administrations dépendantes comme Ie greffe)
est régi par les lois sur l'organisation judiciaire et sur la
procédure.
Enfin par services publics sous la dépendance de ces
administrations, nous visons d'une part les établissements
publics et autres organismes « parastataux » soumis à
tutelle, et les « concessions » qui, non seulement contrac-
tuellement, mais aussi administrativement, sont contrölées
par les pouvoirs publics.

4. • •• et qui constituent généralement des personnes_publi-


ques ...
9. L' Administration, a écrit Hauriou, est un vaste exer-
cice de droits. Ce sont les services publics qui, en fonction-

N08 7 à 9
CHAP. PRÉLIMINAIRE - NOTION DU DROIT ADMINISTRATIF 13

nant leur donnent naissance. Mais quels sant les sujets de


ces droits ? Ce ne sant pas les services publics eux-mêmes.
Ils n'ont pas chacun une personnalité juridique séparée.
Celle-ci est souvent accordée globalement à des groupes de
services publics : Etat, provinces, communes. Il est donc
important d'étudier distinctement ces personnes. ·
Elles sant qualifiées de publiques ou de Droit public par
opposition aux personnes de Droit privé <lont elles se dis-
tinguent par l'organisation interne et la capacité.
Enfin les services publics, isolément au en groupe,
constituent généralement des personnes publiques. Il faut
réserver en effet Ie cas des services exploités par des con-
cessionnaires. Dès lors les droits et obligations qui résultent
de leur fonctionnement profitent et sant à charge de ces
personnes privées.

5. . .. sont régis par des règles spéciales dans Ie cadre du


Droit constitutionnel. ..

10. C'est la notion de service public qui justifie un droit


spécial, un Droit administratif.
Le procédé de Droit privé suppose l'égalité des intérêts
particuliers en conflit, si recommandables ou égoïstes
soient-ils. Le Droit civil protège également Ie vendeur et
l'acheteur, Ie bailleur et Ie locataire. Mais lorsqu'une des
parties exploite un service public, pareille égalité n'est plus
concevable. Par définition, Ie service public assure la satis-
faction d'un intérêt, jugé essentie!, de la communauté; son
fonctionnement ne peut être ni interrompu, ni troublé. En
cas de conflit, l'intérêt particulier doit passer après l'inté-
rêt général. D'ou la nécessité de procédés spéciaux du Droit
administratif qui assurent en toute hypothèse Ie respect du
second sans cependant sacrifier inutilement Ie premier.
Par exemple un particulier ne peut acquérir qu'à
l'amiable Ie bien d'autrui, si nécessaire lui soit-il; mais
une personne publique peut l'exproprier moyennant juste
et préalable indemnité. En Droit privé Ie louage de services
est de nature contractuelle; Ie sta tut d'un fonctionnaire est
« réglementaire » : il peut être modifié unilatéralement
par l'Administration.
Dans l'intérêt du service public, l' Administration peut
renoncer à ces procédés spéciaux et recourir aux formes

N 08 9 à 10
14 CHAP. PBÉLIMINAIRE - NOTION DU DROIT ADMINISTRATIF

du Droit privé. Journellement elle achète des biens de gré


à gré ou signe des contrats de travail ou d'emploi. Mais ce
recours n'est jamais sans réserve. Nous verrons qu'ici
encore se fait sentir la notion du service public. Pour
assurer sou fonctionnement absolument nécessaire, on
admet assez facilement des solutions exceptionnelles, même
à défaut de texte légal ou de clause expresse.
Les règles du Droit administratif ne se limitent pas à
l'octroi de privilèges à l' Administration. Celle-ci est, elle
aussi, assujettie à l'intérêt général; des obligations parti-
culières lui sont imposées auxquelles doivent correspondre
des droits subjectifs chez les administrés. Le Droit admi-
nistratif a au surplus élaboré, pour la protection de ces
derniers, des théories novatrices qu'ignore Ie Droit privé,
par exemple celle de l'imprévision en matière contractuelle
ou celle de l'égalité des charges dans Ie domaine délictuel.
Ces règles spéciales sont établies dans le cadre de la
Constitution. Il est délicat de fixer les limites du Droit
constitutionnel, du Droit public et du Droit administratif.
Bornons-nous à souligner que les dispositions constitution-
nelles donnent certaines directives qui doivent être res-
pectées.
Le Droit administratif est autonome et exceptionnel.
Il est d'abord autonome en ce sens qu'il est constitué de
règles qui non seulement lui sont propres, mais, de plus,
s'organisent autour de principes fondamentaux au point
de constituer une synthèse originale. ·
Il est au surplus exceptionnel, c'est-à-dire qu'il fait de
larges emprunts au droit commun qu'il se contente d'adap-
ter à ses points de vue particuliers. Ainsi la constitution des
sociétés intercommunales qui sont des personnes de Droit
public, peut se faire dans les formes du Droit commercial;
ainsi encore la théorie des contrats administratifs procède
par voie d'amendement à la théorie générale des contrats.

6. ... au point de vue de leur organisation, de leur fonction-


nement et de certains litiges auxquels cette activité donne
lieu.
ll. L'existence de règles spéciales est évidente pour
l'organisation. Une commune ne ressemble pas à une
société commerciale ni un établissement public à un éta-
blissement · d'utilité publique.

N 00 10 à Il
CHAP. PRÉLIMINAIRE - NOTION DU DROIT ADMINISTRATIF 15

Elle est aussi certaine en ce qui concerne I'activité des


personnes publiques. Le Droit administratif emploie des
procédés spéciaux pour leur assurer les moyens nécessaires
(en hommes et en choses) et pour régler leur activité
(contrats, mesures unilatérales, responsabilité délictuelle).
Les juridictions qui règlent les conflits éventuels inté-
rcssent à la fois l'organisation des personnes publiques
(constitution de juridictions administratives) et leur acti-
vité. Quant à ce dernier point, il faut préciser en effet que
les personnes publiques en tant que telles, ne bénéficient
pas d'un privilège de juridiction; en d'autres mots, elles ne
jouissent pas dans leurs litiges avec des particuliers, de la
garantie d'un tribunal spécial. Mais dans la mesure ou
elles sont tenues d'agir d'une certaine façon, les administrés
ont un droit subjectif à cette prestation ou abstention. Ce
droit qui n'est pas toujours civil, ne découle pas du Code
civil, peut être du ressort des juridictions administratives
(Const., art. 92 et 93).

B. DROIT OBJECTIF ET DROIT SUBJECTIF

12. Le mot « Droit » a deux significations très diffé-


rentes.
Dans son sens objectif, il désigne !'ensemble des déci-
sions, que ce soient des normes générales ou des ordres
particuliers, par lesquelles les autorités compétentes im-
posent une certaine conduite soit aux fonctionnaires, soit
aux individus. Le Droit ainsi entendu comprend les lois,
les règlements administratifs, les principes généraux, les
usages, les divers arrêtés de l'Autorité. Il faut lui donner
la maj uscule pour éviter toute équivoque.
Puisque ces dispositions fixent des règles de conduite,
elles peuvent aboutir à créer des droits subjectifs. Les
bénéfidaires prétendant agir conformément aux règles
légales ou aux décisions de l'autorité, peuvent imposer à
autrui, même récalcitrant, soit un acte, soit une omission.
Par exemple, Ie créancier peut exiger Ie paiement de la
somme due; Ie propriétaire s'oppose à toute incursion sur
son bien. Si les débiteurs ne s'y soumettent pas, ils y seront
contraints.

N 08 11 à 12
16 CHAP. PRÉLIMINAIRE - NOTION DU DROIT ADMINISTRATIF

C. DIVISION DE L'EXPOSÉ

13. Dans une première partie nous donnerons la struc-


ture de l'Administration; nous définirons les entités juri-
diques, les sujets de droit pour qui Ie Droit administratif
a été conçu : ce sont les services publics groupés en per-
sonnes publiques.
Dans la deuxième partie, nous étudierons les procédés
juridiques spéciaux, les moyens d'action que Ie Droit
administratif met à la disposition de ces entités juridiques.
En d'autres termes après avoir précisé l'organisation des
personnes publiques, nous verrons leur activité.
Enfin la dernière partie est consacrée aux problèmes
juridictionnels. Ce fonctionnement des personnes publi-
ques donnera lieu à des contestations. Devant quel prétoire
devront-elles être portées et comment seront-elles tran-
chées?

N° 13
TITRE I

STRUCTURE DE L'ADMINISTRATION

Une notion est fondamentale en Droit administratif.


C'est celle de service public <lont le fonctionnement doit
être assuré par des moyens j uridiques particulièrement
énergiques. Elle sera étudiée dans le chapitre premier.
Ce ne sont pas ces services eux-mêmes qui sont les sujets
de droits et de devoirs, mais bien les personnes chargées
de leur gestion. Dans le chapitre II sera dégagée la notion
de personne publique, c'est-à-dire de personne de Droit
public, créée spécialement pour assurer l'entreprise d'un
service public, ainsi que celle de personne privée chargée
exceptionnellement d'un service public.
Le chapitre III contient l'exposé de certains problèmes
juridiques fondamentaux que pose l'organisation des per-
sonnes publiques.
Dans le chapitre IV seront passées brièvement en revue
les modalités de l'organisation juridique des diverses espè-
ces de personnes publiques.
CHAPITRE PREMIER

LE SERVICE PUBLIC

14. Les entreprises publiques s'opposent aux entreprises


privées. Les premières, communément appelées « services
publics » ont un sta tut juridique spécial qui fait prévaloir
l'intérêt public sur l'intérêt particulier (n° 21).
Alors que la section première donne la définition, les
sections suivantes traiteront respectivement de la création,
des règles générales du fonctionnement, enfin de la sup-
pression des services publics. Dans une dernière section
nous examinerons les règles de Droit administratif qui
peuvent être appliquées à certaines entreprises privées.

SECTION I

NOTION

A. DÉFINITION

15. Le service public est une entreprise créée et con-


trólée par les gouvernants pour assurer, d'une manière
permanente et régulière, à défaut d'iuitiative privée suffi-
samment efficace, la satisfaction de besoins collectifs jugés
essentiels (Appel Liège, chambres réunies après Cass.,
21 févr. 1950, R. J. D. A., 1951, 150, Gdes Brasseries Ixelles).
Analysons les différents termes de cette définition.

1. Les gouvernants, responsables du bien public ...

16. C'est la raison d'être des gouvernants de pourvoir au


bien public. Ils sont juges d'abord du caractère vital des
besoins publics, ensuite de l'insuffisance de l'initiative

N 06 14 à 16
20 CHAP. I. - LE SERVICE PUBLIC

privée, enfin de la nécessité d'une entreprise publique.


Pour la définition des gouvernants, voyez la section Il.

2. • .. jugeant qu'un besoin collectif et essentie!...

17. C' est parce que la sa tisfaction d'un besoin est vitale
pour la communauté qu'un service public est soumis à des
règles spéciales de Droit administratif qui en assurent de
façon certaine, Ie fonctionnement régulier et permanent.
Ce besoin doit être collectif. Les gouvernants ne se pré-
occupent que du bien public. Aucun intérêt privé, si respec-
table soit-il, n'est suffisant pour justifier leur intervention.
On objectera peut-être, à titre d'exemple que les commis-
sions d'assistance publique assurent directement Ie bien de
certains individus. En réalité Ie bien commun est à base
de solidarité; c'est encore lui qu'on réalise indirectement
en soutenant les éléments les plus faibles de la population.
Ce besoin collectif doit être essentie!. Sa non-satisfaction
doit compromettre gravement Ie bien public. Cette der-
nière notion est variable selon les temps et les lieux. Par
exemple, les assurances sociales légales n'ont paru néces-
saires que depuis peu. lnversement la restauration m,tio-
nale ne peut constituer un besoin collectif que pendant
quelques années après la guerre. Ce sont les gouvernants
qui seuls sont juges de ce caractère vital du besoin.

3. . .. n'est pas satisfait par l'initiative privée ...

18. Cette condition, contestée par une partie de la doc-


trine, constitue néanmoins un élément de la définition.
Cet élément n'est pas imposé par la logique juridique
et pourrait être supprimé dans une autre conception de
l'Etat. Mais notre Droit constitutionnel est conçu dans Ie
respect de la personne et de ses libertés. Si l'on reconnaît
aux gouvernants Ie pouvoir de créer à leur discrétion des
services publics qui viennent limiter ou remplacer l'initia-
tive privée, on peut arriv~r par une évolution_ progr-essive
et peut-être non délibérée à établir un régime ou la liberté
économique, dont les liens avec la liberté de pensée sont
certains, n'existera plus.
Souvent Ie législateur, en créant un service public, a
souligné la nécessité de suppléer à l'initiative privée.

N08 16 à 18
SECTION I. - NOTION 21

lei encore, eet élément de la définition a un caractère


relatif. Le ravitaillement de la population, qui est vital, est
assuré par les particuliers en temps de paix. Mais en cas
<le guerre, on crée un service public de ravitaillement. Ce
sont les gouvernants qui ont Ie pouvoir d'appréciation.

4. •.. créent et contrölent une entreprise...

19. Telle est l'action <lécisive du pouvoir public.


Entreprise : L'action publique ne se traduit pas par
des actes isolés. L'entreprise signifie une activité ordonnée
et orientée vers l'intérêt général à satisfaire.
Création : Les gouvernants groupent les personnes et
les biens orientés vers la même fin. Ils peuvent aussi re-
prendre une organisation existante et lui donnent un carac-
tère public (Caisses privées d'allocations familiales. -
Cass., 19 févr. 1942, R. A., 1942, 389). L'organisation maté-
rielle de l'entreprise peut être confiée à des particuliers
(concessionnaires). Mais touj ours les gouvernants sont
à !'origine de l'entreprise : ils en décident au moins Ie
principe.
Ne constitue donc pas mi service public l'entreprise qui
est simplement soumise à autorisation. Le röle actif appar-
tient à l'initiative privée qui seule crée l'entreprise. Les
pouvoirs publics peuvent seulement empêcher ou condi-
tionner cette initiative. Aux transports par route, on oppo-
sera les transports par fer qui sont créés (ou concédés) par
une loi; aux caisses d'épargne privées on comparera la
Caisse générale d'Epargne et de Retraite fondée par une loi.
Controle : Cette dépendance vis-à-vis des gouvernants
<loit exister non seulement au début de l'entreprise, mais
pendant toute son existence. Eux seuls sont juges de
l'existence et <le l'étendue des besoins essentiels qui, avons-
nous <lit, sont variables; eux seuls doivent donc avoir à
tout instant la compétence de modifier Ie service public
pour assurer leur satisfaction adéquate. Le controle qui
caractérise Ie service public est plus qu'une réglementation
légale ou administrative de l'activité, plus que la surveil-
lance <le cette activité par des fonctionnaires. Il implique
Ie pouvoir de modifier, ou même de supprimer l'entreprise
en cours d'existence pour mieux tenir compte des besoins
du public.

N 08 18 à 19
22 CHAP, I. - LE SERVICE PUBLIC

Les banques surveillées par des reviseurs restent donc


des entreprises privées. Sont aussi privées les entreprises
de prêts hypothécaires ou d'assurances sur la vie quoique
Ie type même de leurs contrats soit étroitement réglementé.
Mais la Commission Bancaire ou l'Office Central de Crédit
Hypothécaire sont des services publics.

5. . .. pour assurer cette satisfaction d'une manière régulière


et continue.

20. Puisque Ie besoin est essentie!, les deux qualités de


l'entreprise publique seront un fonctionnement jamais
insuffisant et jamais interrompu. Les obstacles matériels
posent des problèmes de technique qui doivent être résolus
de la même façon par l'Etat ou les entrepreneurs parti-
culiers. Mais seul Ie législateur peut briser toute résistance
juridique, assurer un résultat légal nonobstant tout droit
contraire. Tel est Ie hut des procédés du Droit administratif.

B. JMPORTANCE DE LA NOTION DE SERVICE PUBLIC

21. D'abord elle est fondamentale en Droit adminis-


tratif. C'est parce que l'entreprise de service public doit
satisfaire un besoin collectif et vital qu'elle est soumise à
un régime exceptionnel : Ie Droit administratif. Celui-ci
fait prévaloir en tous cas l'intérêt général. Ce n'est pas
pour cela que les intérêts légitimes des particuliers sont
sacrifiés. Le progrès du Droit a consisté à limiter de plus
en plus Ie pouvoir discrétionnaire des gouvernants et, par
voie de conséquence, à protéger davantage les individus.
C'est une évolution indispensable. A défaut de pareille
organisation juridique, l'Administration risque d'être plus
tyrannique que tous les despotes de l'Histoire parce qu'elle
est à la fois omniprésente et anonyme.
Ensuite tout service public, qu'il soit assuré par l'Etat ou
par un particulier (par exemple un concessionnaire) est
soumis en raison de sa nature même, à certaines règles
(n° 30). De plus, chaque service public est régi par une loi
ou par un règJement orgariique qui fixè les-droffi et ies
devoirs des fonctionnaires, des usagers et des administrés.
Enfin les personnes de Droit public ont un statut spécial
parce que leur fonction est de gérer des services publics.

N 08 19 à 21
SECTION II. - CRÉATION 23

SECTION II

CREATION

22. Seuls les gouvernants sont compétents pour créer un


service public; c'est leur fonction et leur raison d'être.
L'appréciation d'un particulier au sujet de l'existence d'un
besoin essentie! de la communauté et de la nécessité d'une
intervention de la puissance publique pour Ie satisfaire est
évidemment sans effet juridique.
Mais de quelles autorités publiques s'agit-il ?

A. SERVICES PUBLICS NATIONAUX

Pour les services publics de l'Etat, il faut distinguer la


compétence du législateur et celle du gouvernement.

1. Le législateur.

· 23. Seul Ie Pouvoir législatif est compétent. Les Cham-


bres sont souveraines. Cependant, la Constitution leur a
imposé certaines directives. Elle leur interdit d'ériger des
cultes en service public et de transformer Ie clergé en un
corps de fonctionnaires (art. 14 et 16). Positivement, elle
leur ordonne de créer la Cour des comptes (art. 116), etc ...
La compétence des Chambres par préférence à l'Exé-
cutif est d'abord une conséquence de la nature même du
régime parlementaire : La politique générale de l'Etat est
contrölée par des assemblées élues. Le minimum de con-
trole est que les Chambres fixent les cadres généraux de
cette activité en autorisant la création des services publics.
On peut <lire aussi que Ie Parlement vote les crédits
nécessaires. Ceci est moins exact, car de nombreux services
publics ne sont pas financés au moyen de ressources bud-
gétaires (Voyez par exemple la Commission Bancaire et
la plu part des services concédés).
Un autre argument se fonde sur les dispositions expresses
de la Constitution. L'existence d'un service public implique
nécessairement une limitation aux libertés individuelles.
C'est tout un groupe d'activités qui est soustrait à l'initiative
privée. L'exclusion est totale quand il y a monopole. La
restriction reste grande en !'absence de monopole. Même

N 06
22 à 23
24 CHAP. I. - LE SERVICE PUBLIC

alors Ie service public bénéficie de règles spéciales qui por-


tent atteinte aux droits privés : réquisition des personnes et
expropriation des biens, actes exécutoires de plein droit.
D'une manière plus générale, il n'a pas à se préoccuper du
déficit; sa gestion qui est par hypothèse nécessaire sera en
tous cas continuée et une solution quelconque devra être
trouvée à ses embarras financiers. C'est un concurrent pri-
vilégié. Or, d'après l'économie générale du titre II de la
Constitution, les limites aux libertés individuelles ne peu-
vent être fixées que par une loi (art. 7 et 11).

2. Le gouvernement.

24. Le législateur, seul compétent, peut déléguer ses pou-


voirs à l'Exécutif (n° 101).
Si Ie législateur exerce lui-même sa compétence, Ie gou-
vernement doit encore intervenir. Les Chambres en effet
décident en général uniquement Ie principe de la création
du service (elles Ie font d'ailleurs souvent d'une façon
indirecte en imposant à l' Administration des prestations
nouvelles). Il appartient à l'Exécutif de réunir alors les
moyens administratifs nécessaires et de créer effectivement
Ie service.

B. SERVICES PUBLICS RÉGIONAUX

25. Il s'agit des services provinciaux et communaux.

1. Les conseils provinciaux et communaux.


La Constitution a attribué aux institutions provinciales
et communales tout ce qui est d'intérêt provincial et com-
munal (art. 108, 2). Ce sant les conseils qui sant compé-
tents pour prendre les décisions importantes. Il leur appar-
tient de créer les services publics. Leur initiative s'exerce
dans les limites de leur compétence territoriale et sous
réserve de l'exercice de la tutelle.

2. Le Pouvoir centrat___ .

26. La loi qui règle constitutionnellement l'activité des


organes locaux (art. 108, prem. alin.) peut leur imposer la
création de certains services déterminés : commissions

N 015 23 à 26
SECTION II. - CRÉATION 25

d'assistance publique, école primaire, etc ... Le gouverne-
ment peut utiliser les moyens de la tutelle coercitive
(n° 126) : inscription d'office des dépenses obligatoires au
budget des communes; envoi de commissaires pour l'uti-
lisation effective de ces crédits.
L'Exécutif ne peut directement imposer un service pu-
blic, qui, selon la loi, est facultatif (voir aussi n° 162).

C. SERVICES PUBLICS DÉCENTRALISÉS

27. Certains services sont détachés de l'administration


centrale de l'Etat, de la province ou de la commune
pour former une institution parastatale, paraprovinciale
ou paracommunale. Les autorités précédemment citées sont
compétentes pour décider leur création et leur détachement.

D. CRÉATION PROGRESSIVE

28. Souvent l'autorité compétente crée un service public


sans lui donner explicitement cette qualification. La nature
çle l'entreprise résulte de la réunion des caractères objec-
tifs qui ont été dégagés (n08 15 et s.). Mais parfois une
entreprise originairement privée tombe progressivement
sous Ie controle de plus en plus accentué des pouvoirs
publics. Citons Ie service des allocations familiales qui était
d'abord une initiative généreuse mais libre de certains
patrons et qu'une loi a ren<lu obligatoire et a minutieuse-
ment réglementé. A quel moment de l'évolution l'entre-
prise se mue-t-elle en service public ? Quand Ie controle
des autorités sera-t-il accentué au point de devenir une
vraie maîtrise ? (voyez aussi n° 85). Le problèmc présente
un grand intérêt pratique. Car dès qu'il y a service public,
on peut réclamer l'application des règles générales vala-
bles pour tout service public (n08 30 et s.). Pour une muta-
tion provisoire, cf. n° 37.

E. ÜROITS SUBJECTIFS

29. Quel est Ie droit du particulier ?


L'existence d'un service public est décidée soit par la
loi soit en vertu d'une loi (n° 23). Le législateur est souve-

N 08 26 à 29
26 CHAP. I. - LE SERVICE PUBLIC

rain et ne peut recevoir d'inj onctions de personne. Mais
qu'arrive-t-il si ce législateur a imposé l'organisation de ce
service aux autorités administratives? Par exemple, chaque
commune doit avoir une école ou une commission d'assis-
tance publique. Le particulier peut saisir les autorités hié-
rarchiques ou de tutelle. Leur refus - et une inaction pro-
longée serait analysée comme un refus (n° 496) - justifie
une action en excès de pouvoir <levant Ie Conseil d'Etat.

SECTION 111

FONCTIONNEMENT

Chaque service public a sa « loi > qui en règle plus ou


moins minutieusement Ie fonctionnement. Mais trois règles
s'appliquent à tous les services publics parce qu'elles dé-
coulent de leur nature, même à défaut de texte.

A. INALIÉNABILITÉ DE LA SOUVERAINETÉ

30. Le législateur, seul juge du besoin public et des


moyens de Ie satisfaire, peut à tout moment modifier l'or-
ganisation d'un service public. On ne peut jamais lui
opposer des droits acquis. Ceux-ci doivent céder <levant
l'intérêt général qui réclame une modification.
Voilà pourquoi il est préférable de reconnaître à l'usa-
ger comme au fonctionnaire d'un service public un droit
réglementaire plutöt qu'un droit contractuel (n° 340). Une
situation réglementaire peut être modifiée unilatéralement
par l'autorité publique.
Cependant on remarquera que même un engagement
contractuel ne peut faire obstacle à la modification d'un
service. Par exemple, les concessions peuvent être retirées
avant terme ou modifiées. Le concessionnaire ne peut s'y
opposer mais seulement obtenir une indemnité (n° 379).

B. FoNCTIONNEMENT PERMANENT ET RÉGULIER-

31. Un service public ne peut être interrompu puisqu'il


répond à un besoin vital de la communauté. C'est précisé:.

N°' 29 à 31
SECTION III, - FONCTIONNEMENT 27

ment pour une raison de sécurité qu'on a orgamse une


entreprise publique plutöt que de laisser agir l'initiative
privée (Cass., 10 janv. 1950, Pas., 1950, I, 302, Etat beige,
c./ S. A. « La Centrale Electrique du Nord »; - Cass.,
8 janv. 1952, Pas., 1952, I, 242, Etat beige c./ Dehon).
Par application de ce principe, les agents des services
publics sont tenus à des devoirs que ne connaissent pas les
employés et ouvriers : absence du droit de grève, système
de la démission acceptée, théorie des fonctionnaires de fait,
délégation exceptionnelle de pouvoir, etc.
Pour les contrats, la théorie de l'imprévision se fonde
sur la même idée d'assurer Ie fonctionnement du service.
Se justifient de la même façon des procédés juridiques
exceptionnels du Droit administratif : privilège du préa-
lable, immunité de l'Administration contre toute voie d'exé-
cution forcée, droit de réquisition des personnes et des
choses indispensables.

C. EGALITÉ DES BELGES DEVANT LES SERVICES PUBLICS

32. L'égalité juridique des Belges n'est pas sanctionnée 1


dans la Constitution par un texte de principe. Mais des
applications particulièrement importantes sont expressé-
ment prévues : accès aux emplois publics (art. 6), égalité '
<levant Ie juge (art. 8), égalité fiscale (art. 6 et 112).
Ce principe de l'égalité doit être respecté dans l'organi-
sation des services publics. Il ne peut y avoir de privilège
pour les charges et avantages qui résultent de leur fonc-
tionnement (C. E., 27 oct. 1960, R. J. D. A., 1961, 1948, Elsen).
Ceci est vrai pour Ie recrutement des fonctionnaires .
(n° 230), les contrats à passer avec les fournisseurs (n° 359), /
la situation juridique des usagers (n° 337). -

D. DROITS SUBJECTIFS

33. Les règles de fonctionnement qui viennent d'être


détaillées mais qui peuvent être complétées par bien d'au-
tres règles constituant Ie statut administratif particulier
d'un service public déterminé, peuvent donner lieu à des
droits administratifs subjectifs (n°" 455 et s.).

N 08 31 à 33
28 CHAP. J. - LE SERVICE PUBLIC

SECTION IV

SUPPRESSION

A. AUTORITÉS COMPÉTENTES

34. Ce sont celles qui étaient compétentes pour créer Ie


service. Elles seules peuvent constater que Ie besoin n'existe
plus (suppression des tribunaux de dommages de guerre)
ou peut être satisfait adéquatement à l'avenir par l'initia-
tive privée (suppression des services de ravitaillement
après la guerre).
Pour l'Etat, ce sera donc en principe Ie législateur, et
par délégation, l'Exécutif; pour les provinces et communes,
les conseils sont compétents dans Ie cadre des lois.
Lorsqu'une autre autorité a reçu par délégation Ie pou-
voir de créer Ie service, est-elle également habilitée à Ie
supprimer ? La réponse est affirmative si la délégation
implique la faculté d'apprécier l'opportunité. Ce n'est que
dans ce cas que la compétence de créer emporte celle de
supprimer. Si au contraire, l'autorité déléguée était obligée
de créer Ie service, il faut une nouvelle délégation pour
l'obliger ou l'autoriser à y mettre fin.

B. DISPARITION DE FAIT

35. Un service public ne peut-il pas <lisparaître automa-


tiquement sans l'intervention des autorités si un de ses
éléments essentiels n'existe plus ?
D'abord on pourrait songer au cas ou Ie besoin à satis-
faire disparaît en fait. La solution est négative car seul Ie
législateur apprécie souverainement en droit si Ie besoin
collectif ou la nécessité d'une intervention publique existe
encore. Il ne suffit pas que Ie dernier orphelin de guerre
ait atteint sa majorité pour que l'O. N. 0. G. ait perdu sa
raison d'être. Le législateur peut décider, et en fait a décidé
d'élargir la missi-On de eet organisme. _ __
On ne conçoit pas non plus qu'un service public doive
être dissous faute de moyens. Les autorités responsables du
bien public sont tenues d'y pourvoir.
Mais on peut faire remarquer que Ie service public doit

N05 34 à 35
SECTION V. - LES ENTREPRISES PRIVÉES 29

nécessairement s'incorporer dans un organisme pr1ve et


que les particuliers en Ie supprimant font disparaître én
fait Ie service public (voy. en cas d'application : Brux.,
31 mai 1856, B. J., 1856, 739).
En réalité s'il confie Ie service public à une gestion pri-
vée, Ie législateur devra prendre des précautions suffisantes
pour éviter ce <langer. Ou bien il créera un organisme
public suppléant, en cas de besoin, aux administrations
particulières; tel est, en matière d'assurances légales, Ie
róle des Caisses Nationales Auxiliaires. Ou bien Ie légis-
lateur subordonne à autorisation la suppression de !'orga-
nisme privé. Tel est Ie cas de la Banque Nationale (A. R.,
23 sept. 1937, art. 5); de même, les concessionnaires doivent
exécuter leur contrat jusqu'au terme fixé.

C. DROITS SUB JECTIFS

36. Le pouvoir des autorités est discrétionnaire. Parfois


Ie particulier peut demander des dommages-intérêts.
Citons dans ce sens Ie cas des concessionnaires du service
public (n° 379), cel ui des associés privés dans les associa-
tions de droit public {n° 73). N e peut-on pas imaginer
qu'un usager qui aurait créé une entreprise en fonction de
l'existence d'un service {par exemple une voie de chemin
de fer) et qui aurait reçu par exemple des assurances de
l' Administration sur la continuité de ce service, serait
autorisé à demander des dommages-intérêts si la suppres-
sion de ce service lui cause un préjudice grave ?

SECTION V

LES ENTREPRISES PRIVEES

37. A la différence des services publics, les entreprises


privées sont créées et dirigées par des particuliers. Elles
peuvent cependanf, fournir matière au Droit administratif.
D'abord elles sont disciplinées, en vue de l'intérêt géné-
ral, par les pouvoirs de police tant au point de vue de leur
création qu'à celui de leur fonctionnement (n08 409-410).

N 08 35 à 37
30 CHAP. I. - LE SERVICE PUBLIC

Elles peuvent aussi obtenir des avantages financiers


(subventions). Certaines jouissent de prérogatives réser-
vées en principe aux personnes publiques : servitudes léga-
les au profit des mines, forêts, sources minérales et ther-
males, protection spéciale en cas de grève, droit de fouille
pour les constructeurs de routes, pouvoirs de police, etc ...
Ces interventions ne sont pas inconstitutionnelles. La
liberté d'agir - et en particulier la liberté du commerce
et de !'industrie - sont plutöt protégées par l'économie
générale de la Constitution que par un texte précis
(n° 411).
Mais leur réglementation légale est possible.
Cette emprise des autorités administratives sur les acti-
vités privées a tendance à augmenter. C'est ce que l'on
appelle l'interuentionnisme. Celui-ci aussi est discuté mais
la controverse est de nature politique et non pas juridique.
En droit, il faut indiquer toutefois une limite : I' Admi-
nistration ne peut multiplier les entraves au point de vin-
culer les initiatives privées devenues incapables de diriger
l'entreprise et restant néanmoins financièrement respon-
sables de ses succès comme de ses échecs. Il y aurait là une
organisation larvée d'un service public.
Exceptionnellement, la réglementation peut devenir si
stricte que l'entreprise privée répondant à un besoin essen-
tie! devient temporairement un service public. Tel est
l'effet de la réquisition (voyez pour les meuniers et hou-
langers l'arrêté royal du 14 novemhre 1961, Mon., 15 nov.).
Le résultat est que pendant la durée de la réquisition l'en-
treprise est soumise aux servitudes du service public (fonc-
tionnement, égalité des usagers, etc.).
CHAPITRE II

LES PERSONNES PUBUQUES


38. Les entreprises sont dirigées par des personnes qui
profitent des droits et supportent les obligations résultant
de leur fonctionnement. lei s'établit une nouvelle distinc-
tion : c'est celle des personnes publiques et des personnes
privées. Elle n'est pas exactement symétrique à celle des
entreprises publiques et des entreprises privées. En d'au-
tres termes, toutes les entreprises publiques ou services
publics ne sont pas gérés exclusivement par des personnes
publiques mais peuvent aussi être confiés à des parti-
culiers. Tel est Ie cas de la concession. Inversement, les
personnes publiques <lont l'activité principale est d'assurer
les services publics peuvent-elles exceptionnellement pour-
suivre des activités privées ? Ce point est discuté (n° 45).

SECTION I
NOTION DE LA PERSONNE PUBLIQUE

A. PERSONNIFICATION

1. Notion.

39. On a passionnément discuté Ie caractère réel ou arti-


ficiel de la personnalité juridique. Une association privée,
une commune sont-elles dotées de la personnalité aussi
« naturellement > qu'un individu ? La vérité est que la per-
sonnalité est toujours une création de la loi, non de la
nature. Dans bien des législations, il y a des hommes qui
· ne sont pas des personnes. Tel est l'effet de la mort civile
qu'un article 13 de notre Constitution a prohibée; telle est
aussi la signification de l'esclavage. Inversement on peut
imaginer que certaines législàtions barbares accordent la
personnalité entière, y compris Ie droit de famille, la capa-
cité de se marier, à des idoles en pierre.

N 08 38 à 39
32 CHAP. II. - LES PEBSONNES PUBLIQUES

Quelle est donc la portée de la personnalité ? Ce procédé


juridique consiste à désigner les sujets de droits, en d'au-
tres termes quels êtres ont des intérêts juridiquement
protégés.
Le Droit positif moderne reconnaît d'abord comme des
personnes, tous les humains sans exception. De plus, il
constate que les hommes, par leur activité, créent des
centres secondaires <l'intérêts collectifs qui sont suffisam-
ment uniformes et liés pour être considérés isolément et il
sanctionne ce fait en leur accordant aussi la personnalité
juridique. Ce phénomène d'une formation de centres
secondaires se présente de deux façons : ou bien les hom-
mes se groupent; ils séparent de leur patrimoine pour Ie
mettre en commun une partie de leurs biens ou ils consa-
crent à une activité commune une partie de leurs efforts :
c'est l'association ou société. Ou bien les hommes créent
une organisation de biens et d'agents : ç'est la fondation
ou établissement. Le législateur reconnaît comme une per.:.
sonne soit l'association, soit l'organisation.

2. lmportance de la technique.

/ 40. La technique juridique de la personnification a


; constitué un progrès décisif du Droit public.
' D'abord, en accordant une personnalité à l' Administra-
/ tion, on a tendu à institutionnaliser Ie pouvoir, à distinguer
la chose publique de ses administrateurs, à empêcher ceux-
ci de se croire les propriétaires ou tout au mains les posses-
seurs de celle-là. ·
Ensuite, la personnalité, en rattachant à une entité per-
manente l'activité des services publics stabilise l'exercice
de l'autorité qui ne dépend plus des conceptions indivi-
duelles de ses organes, et favorise la création d'une juris-
prudence.
Enfin, au point de vue économique, la personnalité fonde
l'unité d'un patrimoine, permet l'établissement d'un budget
et d'un bilan, la gestion économique du service guidée par
une connaissance comptable du prix de revient.

B. LA PERSONNE PUBLIQUE

41. Parmi les personnes, on distingue donc les personnes


physiques qui sont les êtres humains et les personnes juri-

N08 39 à 41
KATH. UNIVERSITEIT LEUVEN-
Nederlandse afdeling
FAC. RECHTSGELEERDHEID
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SECTION I. - NOTION DE LA PERSONNE PUBLIQUE 33

diques. Parmi ces dernières, il en est de privées et de


publiques.

1. Définition.

42. La Cour de cassation a défini la personne publique


comme « une création de la puissance souveraine qui, en
lui conférant la personnalité civile, la dote d'un patrimoine
distinct en vue d'un service public et des fins supérieures
qu'il se propose d'atteindre » (Cass., 26 avr. 1894, Pas., 1894,
I, 188).
De son cöté, Ie Conseil d'Etat (13 juill. 1949, R. J. D. A.,
1949, 159, Bonheure, note Lespès) a visé des « organismes
qui ont été créés par les pouvoirs supérieurs pour s'acquit-
ter d'un service public sous leur autorité ».
Voici la définition proposée : la personne publique est
une personne de Droit public créée et controlée par les
gouvernants pour gérer un ou plusieurs services publics.

a. - Personne de Droit public.


43. Nous allons voir dans un instant que les personnes
publiques ont pour fin exclusive la satisfaction d'intérêts
publics. Il est dès lors naturel qu'on ait recours aux pro-
cédés juridiques spéciaux du Droit administratif.
Au point de vue de l'organisation, une province ou une
commune ne ressemble pas plus à une société commerciale
qu'un établissement public à un établissement d'utilité pu-
blique. Certes, dans les deux cas, la même technique est
employée : système de l'association ou de la fondation;
règle de la spécialité. Mais il y a des. règles particulières
aux personnes publiques : principes de la séparation des
pouvoirs, de la compétence spécialisée, finalisée et mor-
celée entre divers organes, tutelle administrative, etc.
Même originalité pour Ie fonctionnement : théories du
statut réglementaire du personnel, du domaine public, du
choix des cocontractants par adjudication publique, etc.
Enfin la personne publique peut seule avoir, mais n'a
pas toujours, la puissance publique. Qu'est-ce à <lire ?
1° très souvent elle impose unilatéralement des obliga-
tions à des tiers (n° 190). Ainsi par des mesures fiscales
elle impose à tous les citoyens une contribution financière

N05 41 à 43
34 CHAP. II. - LES PERSONNES PUBLIQUES

aux charges publiques. Elle exige leur collaboration directe


par la réquisition des personnes ou des biens;
2<> qu'ils aient une origine contractuelle ou unilatérale,
ses droits sant directement exécutoires dans de nombreux
cas sans qu'il faille attendre que les contestations éven-
tuelles soient préalablement tranchées par les tribunaux.
C'est ce qu'on appelle Ie privilège du préalable. Par
exemple la réclamation du contribuable ne suspend pas
l'exigibilité des impóts directs régulièrement enrölés;
3° si l'obstacle est non pas juridique, mais matériel, la
force publique est à la disposition des personnes publiques;
4° Les conséquences j uridiques de la puissance publique
tout comme celles de ses autres activités doivent être im-
putés à la personne publique (n°" 51 et 473).

b. - Créée el contrólée par les gouvernants.


44. C'est cette maîtrise qui distingue la personne publi-
que de la personne de Droit privé.
Pendant longtemps, les sociétés commerciales et les
associations sans hut lucratif, aujourd'hui encore les éta-
blissements d'utilité publique, ne peuvent se constituer et
n'obtiennent la personnalité juridique que moyennant
l'autorisation spéciale des pouvoirs publics. Cet acte admi-
nistratif ne suffit pas pour donner à ces organismes Ie
caractère de personne publique. En effet, les particuliers
ont l'initiative de la création; ils conservent la maîtrise de
la gestion.

c. - Pour assurer la gestion des services publics.


45. C'est parce que la personne gère des services publics
essentiels pour la collectivité, que sa création et son fonc-
tionnement sont soumis à des règles spéciales.
Mais à cóté des services publics, la personne publique
peut-elle exercer des activités qui n'ont pas cette nature
et constituent des entreprises commerciales, industrielles
ou financières ? La réponse est négative. Les- personnes
publiques n'ont d'autre raison d'être que la gestion des
services publics.
Aucune difficulté n'a été soulevée tant que ces personnes
publiques ont rempli des fonctions de caractère adminis-

N 06 43 à 45
KATH. UNIVERSITEIT LEUVEN
Nederlandse afdeling
FAC. Rl:CHTSGELEERDHEID
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SECTION I. - NOTION DE LA PERSONNE PUBLIQUE 35

tratif. Une hésitation s'est manifestée lorsque les communes


ont géré certaines entreprises industrielles selon les métho-
des commerciales (par exemple des régies de distribution
d'électricité), mais on n'a pas tardé à reconnaître à ces
entreprises Ie caractère de services publics. Une personne
publique peut exercer des activités annexes à l'entreprise
principale (C. E., 6 oct. 1955, R. J. D. A., 1956, 101, Us.
Braine-le-Comte).
On a dit plus haut que les gouvernants apprécient dis-
crétionnairement l'existence d'un besoin collectif et la
nécessité de Ie satisfaire par la création d'un service public.
Dans Ie cas des nationalisations, Ie législateur a estimé
qu'une production plus forte ou une répartition plus équi-
table sont des besoins essentiels qui ne peuvent être satis-
f aits que par la mise des industries de base sous Ie controle
des gouvernants.
L'exercice abusif de ce pouvoir discrétionnaire pourrait
conduire à des abus dangereux pour les libertés indivi-
duelles. C'est pourquoi il nous a paru nécessaire dans la
définition du service public de donner une précision : pour
Ie créer, il ne suffit pas de constater l'existence d'un besoin
collectif; il faut encore que ce besoin ne soit pas satisfait
(l'une manière suffisante par l'initiative privée. La Consti-
tntion beige a été conçue dans Ie respect de la personne. La
liberté de la personne constitue Ie principe. Les interven-
tions autoritaires de l'Etat sont des exceptions qui doivent
être justifiées par la nécessité.

2. Critique d'une autre conception.

46. La doctrine qui vient d'être énoncée est celle du


Conseil d'Etat (Arrêt de principe, Bonheure précité).
La Cour de cassation n'a pas suivi sans hésitation Ie
Conseil d'Etat. Elle a nié Ie caractère d'autorité adminis-
trative et, par conséquent, d'établissement parastatal à la
Société Nationale des Chemins de Fer Belges : « Si sous
divers aspects (cette société) s'écarte du mode de fonction-
nement habituel des sociétés, ces éléments ne suffisent pas
pour en faire une administration publique caractérisée,
notamment, par une participation à l'exercice du pouvoir
public, par la non-limitation dans Ie temps et par l'absence
de tout esprit de lucre; que l'utilité publique que peut pré-
senter un organisme ne suffit pas pour lui conférer Ie

N 08
45 à 46
.36 CHAP. II. - LES· PERSONNES PUBLIQUES

caractère d'administration publique » (Cass., 8 févr. 1952,


R. J. D. A., 1952, 144, S. N. C. F. B. c./Vandevoorde, note
Buttgenbach; - voyez aussi un vieil arrêt Cass., 26 avr.
1894, Pas., 1894, I, 188 critiqué par Resteau, Sociétés
anonymes T. Jer, 116). .
Dans eet attendu, la Cour de cassation présente des cri-
tères différents de ceux qui ont été commentés ci-dessus
pour définir une administration publique. lls méritent
d'être examinés, encore que dans sa jurisprudence la plus
récente la Cour ait assoupli sa position.

a. - Participation à l' exercice des pouvoirs publics.


47. Avec les progrès de l'interventionnisme économique
et social, de nombreux services publics n'exercent plus la
puissance publique.
b. - Non-limitation dans Ie temps.
48. Ce critère est vrai pour les personnes publiques terri-
toriales qui groupent de nombreux services publics néces-
sairement permanents : la substance de l'Etat n'est pas
affectée par Ie fait qu'on ajoute ou supprime un départe-
ment. Mais les personnes publiques parastatales sont spé-
cialisées et n'existent que dans la mesure oit restent néces-
saires les services publics qu'elles doivent gérer.

c. - Absence de tout esprit de lucre.


49. Cette condition n'est pas toujours remplie.
D'abord, certaines entreprises peuvent être gérées selon
des méthodes commerciales, c'est-à-dire en se fondant sur
la considération du prix de revient; c'est une méthode qui
assure l'exploitation la plus économique.
Ensuite, d'autres entreprises qui assurent en premier
Iieu la satisfaction de besoins essentiels (énergie électrique,
transports en commun) peuvent avoir accessoirement pour
hut de fournir à la collectivité des ressources financières.
A la limite, on peut concevoir que certaines entreprises
soient exploitées dans un hut uniquement-fiseal (régie fran-
çaise des tabacs). L'alimentation des caisses publiques con-
stitue un besoin collectif vital. Mais pareille méthode de
financement, si elle est généralisée, peut être dangereuse
pour réconomie privée et les libertés individuelles.

N 08 46 à 49
SECTION J. - NOTION DE LA PERSONNE PUBLIQUE 37

C. IMPORTANCE DE LA NOTION

50. La constitution des personnes publiques est originale;


par exemple, il faut toujours admettre - même à défaut
de texte - un minimum de tutelle assurant l'autorité de
l'Etat (n° 119). Même celles qui prennent des formes de
Droit commercial ne sont pas des sociétés anonymes ou des
coopéra tives ordinaires ( ex : L., 1 er mars 1922, art. 5).
L'activité de toutes les personnes publiques est régie par
certaines règles générales (n° 64 et s.) .
. Seules les personnes publiques sont dirigées par des
« autorités administratives » <lont les actes peuvent être
annulés par Ie Conseil d'Etat (n° 495). Il n'en est pas de
même pour les personnes privées, même si elles sont char-
gées d'un service public.

D. EsPÈCES DE PERSONNES PUBLIQUES

1. Etat.

· 51. Aucun texte exprès ne lui accorde la personnalité


juridique. Mais celle-ci résulte de !'ensemble de la légis--
lation et de la pratique.
Les départements ministériels ne constituent pas des
personnes juridiques distinctes (Brux., 16 déc. 1922, R. A.,
1924, 83). Cependant en vertu de la loi sur la comptabilité
de l'Etat, il n'y a pas de compensation légale entre Jes
dettes et créances qu'un particulier peut avoir vis-à-vis de
différents départements (Cass., 29 nov. 1923, R. A., 1924,
371), né de jonction entre les actions exercées par lui
contre ces départements (Brux., 3 janv. 1924, R. A., 1924,
373.
La personnalité juridique absorbe-t-elle toute la réalité
sociologique? En d'autres termes, bénéficie-t-elle des droits
et· est~elle grevée des obligations qui résultent de toutes
les activités de l'Etat des services groupés sous ce vocable ?
Autrefois on faisait une distinction célèbre entre la ges:-
tion et la souveraineté. La personnalité juridique de l'Etat
concernait son activité patrimoniale; au contraire les actes
de la puissance publique proprement dite, l'exercice de
J?imperium, ne devaient pas lui être rapportés.
: Cette thèse est aujourd'hui abandonnée; la Cour de cas-
sàtion admet que même s'ils exercent ]'imperium, les

N08 50 à 51
38 CHAP. II. - LES PERSONNES PUBLIQUES

agents n'agissent pas pour leur propre compte mais pour


celui de l'institution dont ils sont les organes (conclusions
du min. public sous Cass., 14 avr. 1921, Pas., 1921, I, 136).
La responsabilité de l'Etat est engagée même par un acte
de puissance publique (Cass., 5 nov. 1920, Pas., 1920, I, 93).
lnversement les droits résultant de l'exercice de !'imperium
profitent au patrimoine de l'Etat : une réquisition fait cn-
trer Ie bien dans Ie domaine de l'Etat. Bref « l'Etat souve--
rain et l'Etat personne civile sont une personnalité unique
<lont ces expressions servent à distinguer les activités di-
verses:. (Cass., 5 mars 1917, Pas., 1917, I, 118; Cons. Av.
gén. Delahaye avant Gand, 10 avr. 1954, R. J. D. A., 1957,
224, note Matton) (n° 473).

2. Personnes publiques subordonnées :


territoriales et parastatales.
5.2. On pourrait concevoir que les services publics soient
tous gérés par l'Etat. Pareille centralisation a été pendant
longtemps la limite vers laquelle tendait l'évolution poli-
tique. Le pouvoir centra! se fortifiait aux dépens des orga-
nismes locaux. Mais au moment ou les tàches assumées par
les pouvoirs publics se multiplient, on constate au contraire
Ic souci de décharger l'Etat de certaines d'entre elles.
Les personnes publiques subordonnées sont de deux
sortes : les unes groupent tous les services publics qui sont
organisés pour satisfaire les besoins d'une collectivité ré-
gionale. Ce sont les provinccs et les communes. De ces
ensembles territoriaux - Etat, provinces, communes -
peuvent être détachés certains services publics qui reçoi-
vent une personnalité distincte : ce sont les établissements
parastataux au paraprovinciaux ou paracommunaux.
Entre les deux groupes, les distinctions sont nettes.
D'abord, les personnes publiques territoriales sont pré-
vues par la Constitution qui garantit à la fois leur exis-
tence, leur compétence et leur autonomie obligatoire
(art. 31 et 108). Il n'en est pas ainsi pour les établisse-
ments parastataux sauf peut-être pour les polders et
wateringues-(Const., art. 113).
Ensuite, les personnes publiques territoriales ont un
caractère politique accusé. Leurs organes sont électifs,
leurs séances, leur budget et leurs comptes sont publics
(Const., art. 108). Ainsi s'exerce à la fois l'influence et Ie

N 00 51 à 52
SECTION I. - NOTION DE LA PERSONNE PUBLIQUE 39

controle de la collectivité. Au contraire, les établissements


parastataux, paraprovinciaux ou paracommunaux sont
d'une nature plus technique; ils sont soumis à l'impulsion
et au controle de l'autorité supérieure et non pas à la col-
lectivité elle-même.
Enfin, s'occupant constitutionnellement de tous les inté-
rêts provinciaux et communaux, les personnes publiques
territoriales ont, dans Ie cadre de leur ressort territoria!,
une compétence fort large; pour les autres établissements,
la règle de la spécialité est plus rigoureuse (n° 68).

·'~
SECTION II " ~

CREATION ET ORGANISAT~DES PERSONNES


\ PUBLIQUES

A. AuTORITÉS COMPÉTENTES POUR LA CRÉATION

53. Il faut, pour accorder la personnalité, un acte légis-


latif spécial (par exemple la Régie des Télégraphes et Télé-
phones ou, en Droit privé, un établissement d'utilité puhli-
que); ou bien Ie législateur indiquera les conditions géné-
, rales auxquelles est subordonné l'octroi automatique de
cette personnalité (par exemple loi du 1 er mars 1922 sur les
/ associations intercommunales. - Cass., 19 févr. 1942, R. A.,
1942, 389).
Dans ce dernier cas, qui prendra l'initiative de provoquer
la création de !'organisme bénéficiant de la personnalité?
C'est ici que se marque la différence entre la personne pri-
l véc et la personne publique. Tandis que les premières sont
'créées par des particuliers, les autres sont l'reuvre des
autorités publiques.
En ce qui concerne les provinces et les communes, la
' Constitution elle-même prévoit l'intervention d'une loi
(art. 1er). Les établissements parastataux dépendant de
l'Etat sont créés par la loi ou en vertu de la loi. Quant à
ceux qui sont détachés de l'administration provinciale ou
\communale, leur création est décidée, en vertu de la loi, par
Ie conseil provincial (L. P., art. 72) ou par Ie conseil com-
munal (L.C., art 71). Les associations de Droit public

N"" 52 à 53
40 CHAP. II. - LES PERSONNES PUBLIQUES

[groupant plusieurs communes et dépassant par hypothèse


Jes limites de l'intérêt communal ne peuvent être décidées
par les seuls conseils communaux ou provinciaux inté-
ressés; il faut une intervention législative (L., ter mars
11922; -L., 18 juill.1959, art.17).

B. INDÉPENDANCE DES PERSONNES PUBLIQUES

54. Les personnes publiques sont autonomes. D'ou :


Statuts distincts. - D'abord les règles spéciales de Droit
administratif applicables à l'une ne sont étendues à l'autre
qu'en vertu d'une disposition de la loi; par exemple l'Etat
est soumis pour ses marchés à la règle de l'adjudication
publique (n° 352), pour ses opérations financières, au con-
trole de la Cour des compies (n° 174) ; en cas de silence
de la loi, ces formalités ne s'imposent pas aux établisse-
ments publics. Naturellement, toutes les personnes publi-
ques sont assujetties aux règles découlant de leur nature
même (n° 64) ou de celle du service public qu'elles assu-
rent (n° 30) ; notamment les principes de spécialité, de
légalité, de régularité, d'égalité des usagers leur sont à
ïoutes applicables.
Subordination. - Puisque en principe les personnes
publiques sont autonomes, les liens de subordination sont
exceptionnels; ils doivent avoir un fondement légal qui est
limitativement interprété. Les pouvoirs d'organisation, de
nomination, de discipline et d'autorité hiérarchique qui
existent de droit dans Ie cadre d'une personne publique
parce que sans eux ce serail Ie désordre, ne s'étendent à
une autre personne publique qu'en vertu de la loi.
Le pouvoir de tutelle est toujours exercé par les autorités
d'une personne publique sur une autre. Mais son impor-
tance est aussi strictement réglée par la loi : il ne peut être
étendu à des actes non prévus; une autorité de tutelle ne
peut se substituer à une autre; un procédé de tutelle -
l'autorisation - ne peut être imposé si la loi ne prévoit que
l'annulation.
Dédoublement fonctionnel. - Le même individu - ou
Ie même corps constitué - peut remplir des fonctions
relevant de plusieurs personnes publiques et même de
pouvoirs constitutionnels diff érents. Par exemple, Ie

N08 53 à 54
SECTION II. - NOTION DE LA PERSONNE PUBLIQUE 41

bourgmestre qui est l'organe de sa commune est aussi un


agent du pouvoir centra!; comme ministère public auprès
des tribunaux de police, il est un auxiliaire de la justice.
Ce dédoublement fonctionnel a des effets pratiques.
Les actes sont imputés à d'autres personnes (n° 390).
Leurs conditions de validité peuvent être différentes.
Ces actes sont soumis à l'autorité soit hiérarchique soit
de tutelle (n"" 117 et 121).
lls sont annulables ou non par Ie Conseil d'Etat (n° 500).

C. AVANTAGES DE LA MULTIPLICATION

On a déjà dit qu'après un mouvement séculaire vers la


centralisation, on constate aujourd'hui une tendance à
multiplier les personnes chargées d'un service public.

1. Règles particulières.

55. Le statut juridique différera de celui de l'Adminis-


tration centrale : conditions de recrutement, contrats de
gré à gré, comptabilité industrielle permettant de cakuler
Ie prix de revient et d'organiser un financement séparé.
Sans doute, la multiplication des personnes publiques
n'est pas indispensable et il suffirait d'assouplir les règles
appliquées à l'Etat (n° 172). Ce serait admettre une diver-
sité nécessaire en lui refusant Ie support juridique adéquat.

2. Autonomie des organes de gestion.

56. Ceux-ci échappent au pouvoir hiérarchique, ont


l'initiative des décisions et ne sont soumis qu'au pouvoir
de tutelle sauf les administrations personnalisées (n° 151).
On fait d'abord coïncider l'autorité et la responsabilité
Celui qui prend les décisions a pu étudier personnellement
!'affaire, soit parce qu'il est sur place, soit parce qu'il est
techniquement qualifié. Ensuite ce procédé juridique pro-
tège les libertés et intérêts individuels en facilitant la colla-
boration des particuliers. En laissant les intéressés eux-
mêmes participer à la désignation des organes de direction

N08 54 à 56
42 CHAPITRE Il. - LES PERSONNES PUBLIQUES

(élection des conseillers communaux; présentation de cer-


tains membres de la Commission Bancaire), et en accor-
dant à ces organes l'exclusivité de l'initiative, on les pro-
tège contre une influence trop forte des autorités gouver-
nementales centrales.
L'inconvénient est que ces multiples personnes publiques
n'aient plus une vue d'ensemble des besoins à satisfaire
et de leur importance respectivc. Il est à craindre que
chacune d'elles, pour faire fonctionner ses services publics,
ne compromette d'autres intérêts généraux, peut-être plus
importants. La solution pratique est double. Les personnes
décentralisées ne sant pas indépendantes mais soumises
au pouvoir de tutelle. Ensuite l'organisation d'un conten-
tieux administratif puissant permettra de contröler les
différentes jurisprudences et <l'établir à postériori l'unité.

D. LIMITES DE CETTE MULTIPLICATION

57. Pour les provinces, la Constitution fixe un chiffre


minimum de neuf (Const., art. 1er). Ce sont surtout les
établissements parastataux qui se multiplient. A la limite,
pareille tendance aboutirait à vider l'Etat de toute sub-
stance. Ce serait une féodalité administrative ou Ie pou-
voir souverain se diluerait en suzeraineté.
Dans une étude sur les délégations de pouvoir (Dans :
Revue de l'Enregistrement) M. Molitor remarque que cer-
taines fonctions, de leur nature, ne souffrent pas de <lé-
centralisation. Ce sont les services publics politiques (affai-
res étrangères, police et sûrcté, levée des impöts, etc.).
Y a-t-il vraiment une impossibilité juridique ? L'Etat cen-
tralisé des rois de France affermait l'impöt et Ie recru-
tement des bandes armées. Aujourd'hui c'est un établisse-
ment public décentralisé qui assure l'amortissement de la
<lette publique, et la Croix-Rouge de Belgique n'est-elle pas
«!'auxiliaire» du Service de Santé de l'Armée (L., 20 mars
1891, art. 7) ?
Mais la décentralisaHon est impossible chaque fois que
la Constitution donne expressément au Ro1un- pouvoir qui
doit être exercé par lui-même. Par exemple l'armée ne
peut être décentralisée puisqu'il la commande (art. 68).
De l'économie générale de notre Droit public, nous

N05 56 à 57
SECTION II. - NOTION DE LA PERSONNE PUBLIQUE 43

déduirons volontiers une seconde limite moins précise mais


plus large : la décentralisation des services publics doit
être exceptionnelle. Elle ne se justifie que si la gestion ne
peut être assurée d'une façon aussi satisfaisante par l' Admi-
nistration centrale, soit dans son organisation actuelle soit
après réorganisation. La section de législation du Conseil
d'Etat amis en doute l'utilité de la personnalité civile accor-
dée à des organes consultatifs tels que Ie Conseil national
du travail (Doe. Pari. Chambre 1950-51, n° 504).

E. MuLTIPLICATION ET DÉCENTRALISATION

58. Il faut d'abord définir la décentralisation. C'est Ie


procédé de Droit administratif par lequel des agents suhor-
donnés sont soustraits au pouvoir hiérarchique des auto-
rités supérieures pour n'être soumis qu'à leur pouvoir de
tutelle. (Pour une définition de ces pouvoirs, voy. n 08 115
et 119). Ces agents ont l'initiative de la décision, ils accom-
plissent des actes juridiques. Leurs chefs ne retiennent
qu'un pouvoir passif de controle.
1° Toute création d'une personne publique dans Ie cadre
d'un Etat implique-t-elle une décentralisation? Ce sera Ie
cas général mais non pas exclusif. Il y a deux exceptions :
Les organes de la personne publique nouvelle peuvent
rester engagés dans les liens de la hiérarchie vis-à-vis de
la personne publique principale : c'est Ie cas de l'admi-
nistration personnalisée (n° 151). Le ministre compétent
peut donner des ordres.
La personne publique peut échapper aussi bien au pou-
voir hiérarchique qu'au pouvoir de tutelle et n'être pas
subordonnée. C'est ce qui distingue Ie fédéralisme.
2" Si la création d'une personne publique n'est pas néces-
sairement un acte de décentralisation, faut-il admettre
inversement que toute décentralisation implique la créa-
tion d'une nouvelle personne publique, ou au moins l'exis-
tence préalable d'une seconde personne publique <lont on
accroît la compétence? La réponse est affirmative. Dans Ie
cadre d'une même personne publique, il ne peut y avoir
que déconcentration; les agents subordonnés peuvent rece-
voir Ie pouvoir de décision. Mais dans la mesure ou ils
restent soumis à l'influence - peut-être restreinte (n° 117)

N 05 57 à 58
44 CHAPITRE U. -- LES PERSONNES PUBLIQUES

- des atitorités supérieures, c'est un pouvoir hiérarëhiquè


et non une simple tutelle qui s'èxerce sur eux.

F. AuTORITÉS coMPÉTENTES
POUR FIXER LE STATUT DES PERSONNES PUBLIQUES

59. Il ne suffit pas de créer les personnes juridiques de


Droit public; il faut les organiser juridiquement, fixer leur
statut. Pour cela, il faut résoudre un certain nombre de
questions. Q}:!__el est _l~~r obj et social et par conséquent leur
(ë)2!!_cilá2- Quels sont les organes compétents? Quelles sont
les grandes règles gouvernant leur activité : statut du per-
sonnel, régime des biens, règlement des opérations?

1. Etat.
Deux règles vont s'appliquer concurremment.

a. - Le Roi.
60. Il est compétent pour organiser l'Administration cen-
tràle et les services extérieurs de cette administration. Il
règle par arrêté royal Ie statut des fonctionnaires, précise
la compétence et les attributions des différents agents, dé-
termine le nombre des ministères, leurs divisions et leurs
liaisons organiques. Le pouvoir organisateur du Roi trouve
son fondement dans les articles 29, 66 et 67 de la Consti-
tution . et dans Ie principe général de l'indépendance du
pouvoir exécutif (C. E., 12 déc. 1957, R. J. D. A., 1958, 123,
Deprez, note Crabbé (n° 130).

b. - Le pouvoir législatif.
61. Cette compétence ne peut être qu'exceptionnelle.
Sinon, la souveraineté de l'Exécutif disparaît. L'action du
gouvernement finirait par être enserrée dans un tel réseuu
de réglementations légales qu'elle perdrait toute sponta-
néité. Nous aurions un gouvernement d'assemblée, les
ministres n'étant que les exécutants des __Ghambres. C'est
contraire à la Constitution· qui reconnaît trois pouvoirs.
L'intervention du législateur est parfois nécessairè. Il en
-sera ainsi lorsque l'organisation de· la personne publique
porte atteinte aux « droits constitutionnels » des· Belges.

N 08 58 à 61
SECTION II. - NOTION DE I,A PERSONNE PUBLIQUE 45

Ces dérogations peuvent être établies uniquement par la


loi. Par exemple tous les Belges ont un égal accès aux
emplois civils et militaires (Const., art. 6). Il faudra une
loi pour réserver à titre exceptionnel certains emplois aux
anciens combattants et à leurs enfants (L., 3 août 1919 et
21 juill. 1924; - sic pour les anciens fonctionnaires du
Congo belge : L., 21 mars et 27 juin 1960).
En dehors de ces cas obligatoires, Ie législateur a la
faculté d'intervenir dans .d'autres matières, du fait que la
èonstitution a fortement marqué la prédominance de la
loi (Const., art. 67 et 78). Répétons encore que ce doit être
exceptionneL Un bon régime parlementaire sigrtifie que Ie
pouvoir exécutif collabore avec Ie pouvoir législatif muis
rie · lui est pas asservi. De louables scrupules ont été expri-
més quand on a voulu régler par la loi Ie statut des fonc-
tionnaires ou Ie nombre de ministères .

. 2. Autres personnes publiques.

. _62. La. compétence du législateur pour organh;er ces


pèrsonhes. publiques est normale, exclusive.
Pour les provinces _et les communes, elle est expressé-
ment prévue :_ « Les institutions provinciales et commu-
nales· sont réglées par des lois » (Const., art. 102).
En pratique il en a été de même pour les administrations
µcrsónnalisées, établisscments publics et associations de
droit public. Le législateur qui les crée (n° 162) est aussi
com~étent :pour les organiser.

3. Compétence subsidiàire des chefs de service.

63. Dans Ie cfidre ainsi fixé par les autoritês supé'rièures,


il faut reconnaitre aux chefs de service un droit général
d'prganisation. Le service public doit fonctionnèr. Celui
qui a · 1a respónsabilité juridique de son fonctionnement ·
dóit, ex officio, être compétent pour prendre toutes les me-
s-ures nécessaires. ·
Par exemple, êhaque ministre arrête 1e règlement d'ordre
intérieur. de son département. S'il n'y avait pas un statut
des agents de l'Etat fi:xé soit par la loi, soit par ü.n arrêté
royal, chaque chef de département serait compétent pour
régler Ie recrutement et l'avancement pour ses services .
.Il doit en être de même pour une personne publique

N 08 61 à 63·
46 CHAPITRE Il. - LES PERSONNES PUBLIQUES

parastatale. Les organes dirigeants sont compétents pour


établir les règlements d'ordre intérieur, dans Ie cadre fixé
par les statuts.

SECTION 111
REGLES GENERALES

Les personnes publiques ont été conçues essentiellement


pour gérer les services publics. Cette mission influe sur
leur fonctionnement : quelle que soit leur espèce, elles sont
soumises à des règles générales qui ne sont pas écrites dans
les textes mais qui sont imposées par leur essence même
et qui ont été dégagées par la doctrine.

A. RÈGLE DE LA SPÉCIALITÉ
64. Une personne physique a en principe la capacité de
\.:
jouïssance de tous les droits. Créée pour une mission dé-
terminée, une personne publique est au contraire spécia-
lisée. Elle peut accomplir les actes juridiques nécessaires
à cette mission. Elle n'a pas d'autre pouvoir mais elle a
tous ceux-là, même à défaut de texte exprès. (C. E., 6 oct.
1955, A. A. C.A., 1955, 778, Fabrimetal).
Droits civils : La règle est certaine. Point n'est besoin de
spécifier que la personne publique peut acheter ou em-
baucher. Sont exclus les droits qui de leur nature ne peu-
vent être exercés par un être moral (par exemple, Ie }us
connubii) ou ceux qui lui sont déniés par la loi (par
exemple, Ie droit de compromettre, C. E., 6 juill. 1951,
R. J. D. A., 1952, 30, Alliances des Mutualités chrétiennes).
Procédés de Droit administratif : Pour l'acte unilatéral
et spécialement la décision exécutoire d'office (n° 190),
l'acte réglementaire (n° 213), l'attribution de compétence
doit être formelle. Car ces prérogatives sont les consé-
quences non de la personnalité publique mais de la· qualité
de puissance publique qui appartient à l'Etat, aux provin-
ces, aux communes et pas nécessairement aux institutions
parastatales (Buttgenbach, Manuel, n° 47).
Libertés constitutionnelles : Elles sont conçues pour les
personnes physiques et non civiles. L'activité de ces der-
nières est réglée par Ie principe de la spécialité. Voyez ce-

N08 63 à 64
SECTION 111. - RÈGLES GÉNÉRALES 47

pendant l'article 108, 2" de la Constitution qui garantit la


liberté d'association aux communes.

1. L'Etat.

65. L'Etat doit assurer Ie bien commun. Celui-ci est mul-


tiple et changeant. Les gouvernants eux-mêmes en fixent
le contenu et les limites.
Cependant, la règle de la spécialité s'applique à l'Etat.
D'abord, il faut admettre des limitations constitution-
nelles. Certaines entreprises sont réservées à l'initiative
privée; il en est ainsi pour les cultes (Const., art. 14 et 16).
D'autres sont de la compétence d'autres personnes publi-
ques : tout ce qui est d'intérêt provincial et communal est
' du ressort des pouvoirs subordonnés (Const., art. 31 et 108).
\ Ensuite et surtout, l'activité de l'Etat est limitée à la
1
réalisation du bien commun. Elle ne peut avoir directement
. pour objet l'avantage d'un particulier ou d'un fonction-
naire.

2. Provinces et communes.

a. - Limitations territoria/es.
r 66. Provinces et communes ne peuvent s'occuper des
intérêts nationaux. Mais elles sont seules compétentes pour
gérer les intérêts provinciaux et communaux.
A vrai <lire, le législateur n'est guère gêné par cette inter-
diction. Il peut décider que tel intérêt est devenu national;
il lui suffit même de régler une matière pour lui faire per-
dre son caractère régional et lui attribuer un intérêt
national (n° 145). Mais, à défaut de pareil déclassement
exprès ou tacite; Ie pouvoir central ne peut intervenir; par
exemple, quand il exerce la tutelle, il ne peut apprécier
que l'intérêt général et non l'intérêt régional des décisions
prises par les pouvoirs subordonnés; à fortiori ne peut-il
pas se substituer à eux (n° 119).

b. - Limitations matérielles.
67. Dans Ie cadre territoria!, les provinces et les com-
munes ont, comme l'Etat, une compétence indéfinie. Elles
peuvent donc créer des services nouveaux. La question a

N 05 64 à 67
48 CHAPITRE Jl. - LES PERSONNES PUBLIQUES

été résolue par l'affirmative lorsque certaines communes


ont créé des régies industrielles.
Mais les provinces et les communes, tout comme l'Etat,
ne peuvent qu'organiser des services publics en vue de
l'intérêt général; elles ne peuvent prendre valablement une
initiative dans l'intérêt direct et exclusif d'un particulier.

3. Personnes publiques parastatales.

, 68. La règle de la spécialité joue à plein. Les personnes


\,publiques parastatales n'ont d'autres pouvoirs que ceux qui
sont nécessaires à l'accomplissement de leur objet social.
_Celui-ci est limitativement défini par leurs statuts.

B. RÈGLE DE LA FINALITÉ

69. Les personnes privées exercent librement les droits


qui leur sont reconnus par la loi. On se marie par amour,
pour avoi_r des enfants, pour des raisons d'intérêt matériel
ou simplement par souci de convenances mondaines; un
individu emploie à sa guise les biens de son patrimoine.
Il en va autrement pour les personnes publiques. Non seu-
lement leur compétence est strictement limitée à la réali-
sation de leur objet social mais de plus elles ne peuvent
utiliser qu'à cette fin, les pouvoirs qui leur sont accordés.
! Un fonctionnaire qui utiliserait sa compétence dans un
1 autre hut se rendrait coupable d'un détournement de pou-
voir (n05 91-195). Une nomination anticipée ou avec effet
rétroactif n'est pas faite dans l'intérêt du service et, à ce
titre, est irrégulière (n° 238).
La prédominance de la fin qui, rappelons-le, est l'intérêt
général, est si forte qu'elle a un autre effet diamétralement
opposé : si d'un cöté elle limite les pouvoirs des fonction-
naires, dans d'autres cas elle peut les élargir. Certains
vices de forme ou de fond qui affecteraient normalement
la validité d'un acte administratif, seront couverts dans
certains cas exceptionnels par Ie simple fait que l'effet
voulu par Ie législateur a été néanmoins atteint. On ne
tiendra pas compte de l'omission d'une -form-alité,- même
essentielle, si ce vice n'a pas influé sur la décision qui a été
finalement prise (n° 504). Dans des cas exceptionnels,
s'appliquent la théorie de la nécessité (n° 93), du fonction-
naire de fait (n° 94), de la force majeure (n° 193).

N 08 67 à 69
SECTION 111. - RÈGLES GÉNÉRALES 49

On rattache au principe de finalité Ic pouvoir qu'a


l'Administration de modifier les engagements contrac-
tuels : théories de l'imprévision (n° '366) et de l'équation
financièrc (n° 365).

C. RÈGLE DE LA LÉGALITÉ

. Le principe de la légalité peut être pris dans deux accep-


tjons différentes qui sont l'une et l'autre exactes.

1. Supériorité de la loi formelle .


. 70. On entend par loi formelle celle qui est ainsi qna-
lifiée en raison de sa forme. C'est donc l'acte qui a été voté
par les deux Chambres, sanctionné, promulgué et publié
par Ie Roi.
Dans notre orgànisation constitutionnelle, les personnes
publiques sont soumises à la loi. Celle-ci est l'expression
s,upérieure de la volonté nationale.
, Ceci se marque d'abord dans leur organisation : les pro-
vinces et les communes (Const., art. 108) et les personnes
publiques parastatales (n° 14.ID sont organisées par la loi.
Quant à l'Etat lui-même,, itpréexiste à la loi : de plus, la
Constitution a organisé la séparation des pouvoirs. Il en
résulte que, dans son organisation, l'Exécutif est indépen-
dant de la loi. ~c•est Ie Roi qui fixe le nombre et la consis-
tance des ministères, le statut des agents de l'Etat, etc.
Ceci résulte de la combinaison des articles 29 et 67 de la
Constitution (n° 130). Toutefois, même dans l'organisation
de l'Administration nationale, Ie législateur a une compé-
tence subsidiaire; quand il établit une loi en cette matière
elle ·s'impose à tous les fonctionnaires.
La suprématie de la loi formelle se marque encore dans
le.fonctionnement des personnes publiques. Le principe est
que les actes de l' Administration ne peuvent être illégaux.
Ils ne peuvent d'abord être contraires aux lois, les violer,
les suspendre ou dispenser de leur exécution (art. 67).
L'article 107 de la Constitution est plus précis : ces actes
doivent être positivement conformes aux lois; en d'autres
tennes, ils doivent se fonder sur une loi. Le controle de.
cette exigence constitutionnelle est facilité par la pratique
administrative qui consiste à mentionner dans le préam-
bule de chaque acte la loi en vertu de laquelle ce dernier

N 08 69 à 70
50 CHAPITRE II. ~ LES PERSONNES PUBLIQUES

est pris. Il doit toutefois être pris non pas nécessairement


en application mais en vertu d'une loi. Celle-ci peut laisser
beaucoup de liberté à' l'Exécutif qu'elle habilite.
Le fondement légal n'est pas nécessaire lorsque I' Admi-
nistration tire son pouvoir directement de la Constitution
elle-même. Nous en avons trouvé une première application
en ce qui concerne l'organisation interne de l'Etat. Une
autre découle de l'article 108 de la Constitution qui donne
aux conseils provinciaux et communaux la compétence
pour tout ce qui est d'intérêt provincial et communal. La
loi peut confirmer et préciser mais non pas fonder ou
limiter ces attributions générales. On verra ailleurs qu'en
matière de police l'Exécutif possède aussi un pouvoir
réglementaire autonome (n° 131, adde n° 423).

2. Supériorité de Ia loi matérielle.

71. On entend par loi matérielle tout acte normatif,


quelle que soit l'autorité <lont il émane. Ce peut donc être
une loi, un arrêté royal réglementaire, un règlement pro-
vincial ou communal. C'est ici qu'intervient Ie beau prin-
cipe de la légalité qui a été énoncé par Duguit dans ses
Etudes de Droit public, p. 274. Dans un Etat de droit,
l'Administration ne prendra pas une décision particulière
qui ne puisse se justifier par une règle impersonnelle,
objective, préexistante, et tout intéressé aura toujours re-
cours <levant une juridiction contentieuse pour faire appré-
cier la légalité de cette décision, sa conformité avec la
uorme légale ou réglementaire. Telle serait incontestable-
ment la meilleure et la plus sûre sauvegarde contre !'ar-
bitraire. La décision ne serait pas j ustifiée uniquement
par les circonstauces de l'espèce mais par des motifs géné-
raux établis sans considération de personnes.
Cette règle marque plutöt une tendance. On en trouve
une application intéressante dans la jurisprudence du
Conseil d'Etat qui sanctionne l'adage : Pati legem quem
f ecisti. Une autorité administrative ne peut déroger par un
arrêté particulier à un arrêté réglementaire. La question
a été longtemps débatfüe parce que r-on refusait d'établir
une hiérarchie entre les arrêtés royaux; une autorité peut
défaire ce qu'elle a fait. La décision contraire a finalement
prévalu. La règle générale exclut une décision particulière
prise en sens contraire. Il faudrait au préalable modifier

N 08 70 à 71
SECTION IV. -- FIN DES PERSONNES PUBLIQUES 51

la règle elle-même. Ceci est une application de l'article 6


de la Constitution selon lequel tous les Belges sont égaux
<levant la loi. Dans cette disposition Ie mot « loi » doit être
entendu dans son acception matérielle et s'étend aux règle-
ments de l'Administration (n° 505).

D. DROITS SUBJECTIFS

A l'obligation de la personne publique de respecter dans


son activité, les limites de sa compétence, les règles de la
spécialité, de la légalité ou de la finalité, correspondent
des droits subjectifs chez les administrés (n08 455 et s.).

SECTION IV

FIN DES PERSONNES PUBLIQUES

A. FIN

72. L'autorité compétente pour créer une personne pu-


blique l'est aussi pour la supprimer.
La compétence du législateur est constitutionnellement
prévue pour les provinces et les communes (art. 1, 2, 3).
La loi fondamentale fixe une limite : les neuf provinces
existant en 1930 ne peuvent être supprimées ( art. 1 er et 2).
De même, la dissolution d'une administration personna-
lisée ou d'un établissement public est décidée par la loi
ou en vertu de la loi.
On hésitera peut-être pour les associations de Droit pu-
blic. Ne peuvent-elles pas se dissoudre par la seule volonté
de leurs membres? Non, car Ie législateur réservera tou-
jours soit à lui-même (Société Nationale des Chemins de
Fer Vicinaux, Société Nationale de Distribution d'eau, etc.),
soit par délégation au gouvernement (association inter-
communale), Ie pouvoir d'approuver ou d'improuver cette
décision de dissolution. S'il n'a rien dit dans la loi orga-
nique, il faut en conclure non pas que les parties sont libres
de mettre fin à l'association mais au contraire qu'elles ne
peuvent pas prononcer sa dissolution avant Ie terme fixé.

N 01 71 à 72
52 CHAPITRE Il, -- LES PERSONNES PUBLIQUES

B. DROITS SU.BJECTIFS

1. Décision de dissoudre.

73. En principe les pouvoirs publics sont èntièrement


libres. Cependant les associations de Droit public posent
un problème. L'Etat souverain ne peut se dérober aux
engagements de l'Etat associé; or se~ partenaires peuvent
avoir des droits à faire valoir contre la suppressio'n de
l'association ou la modification profonde de ses statuts;
D~abord, l'Etat ne jouit pas d'un pouvoir arbitraire. S'il
ordonne i1nilätéralement la dissolution, ce doit être à la
suite d'un manquement <lont la gravité est contrólée par
Ie Conseil d'Etat (C. E., 10 nov. 1960, R. J. D. A., 1961, 63,
Commune d'Olloy) ou pour une raison d'intérêt général:
On peut imaginer que la loi roette fin à des intercommu-
nales ou à des sociétés régionales d'investissement qui ne
répondent plm, à un besoin public.
Les associés obtiendront-ils une indemnisation ?
Le législateur peut envisager l'octroi éventuel de dom-
mages-intérêts aux associés privés. Il n'y est pas tenu, parce
qu'il est souverain. Mais les principes fondamentaux de
notre Droit imposent logiquement cette solution. Il est sou-
haitable que la question soit clairement réglée dans les
statuts pour que, dès la constitution de l'association, les
membres privés puissent faire leurs calculs sur des bases
sûres (L., 1 er mars 1922, art. 16).

C. DÉVOLUTION DU PATRIMOINE

A qui reviennent les biens d'une personne publique d~s-


soute?

1. Provinces et communes.

74. L'ensemble du territoire sera toujours constitution-


nellement réparti en provinces-et communes ( art-+, 2 et 3).
La province ou la commune qui disparaît fait donc place •à
une personne territoriale qui en prend la suite et nörmale-
ment doit succéder à sa situation active et passive (cf. L.C.,
art. 151 et 152).

N 06 72 à 74
SECTION IV. - FIN DES PERSONNES PUBLIQUES 53

2. Administrations personnalisées,
établissements publics et associations de droit public.

a. - Administrations personnalisées.
75. Celles-ei restent soumises au pouvoir hiérarchique
·des autorités dirigeant les personnes publiques. - Etat,
province ou commune - <lont elles se sont détachées. Pra-
·tiquement Ie hut de ce procédé juridique est de distinguer
dans Ie patrimoine général de l'Etat, un patrimoine spécial
et de soumettre celui-ci à des règles particulières de gestion,
de comptabilité et de budget. A vee la disparition de l'admi-
nistration personnalisée, les biens ainsi détachés font
retour au patrimoine général.

b. - Etablissements publics.
76. On serait tenté de j ustifier la même solution par la
m.ême considération. Mais ce point de vue n'est que par-
tiellement exact. L'octroi de la personnalité n'a pas été ici
un simple artifice juridique qui autorise des règles spé-
ciales de gestion. Le législateur a accordé une véritable
autonomie aux organes directeurs. Les tiers ont pu tenir
compte de cctte modalité; par exemple, ils ont grossi par
des dons et des legs la dotation primitive.
Certes Ie législateur peut toujours, en cas de dissolution,
décider que tous ces biens feront retour à l'Etat. Mais est-ce
la bonne solution? Le problème peut avoir une importance
-pratique considérable. On l'a vu en France quand les
fabriques d'église ont été supprimées par suite de la sépa-
ration de l'Eglise et de l'Etat.
·· Il nous semble qu'en Droit positif beige, les biens doivent
,conserver dans toute la mesure du possible leur destination
,primitive. C'est la solution expressément adoptée par la loi
du 27 juin 1921 pour les biens des établissements d'utilité
publique (art. 29, al. 2). Elle a été aussi appliquée à des
établissements publics. Les commissions d'assistance pu-
blique ont succédé aux · <lroits et obligations des hospices
civils et bureaux de bienfaisance (L., 10 mars 1925, art. 2).
et ont dû respecter les affectations de biens légalement
établies ( exemple : art. 84). Les fondations de bourses
d'étu<le sont des établissements publics. La loi du 19 dé-
cembre 1864 autorise Ie gouvernement à les modifier, les

N 05 75 à 16
54 CHAPITRE II. - LES PERSONNES PUBLIQUES

fusionner, à prendre en cas de besoin les mesures néces-


saires pour atteindre Ie but que s'est proposé Ie fondateur
(art. 45). Pour les fabriques d'église voyez Cass., 25 avril
1873, Pas., 1873, I, 188.
Bien entendu, Ie législateur est compétent pour décider
non seulement que l'établissement public doit être sup-
primé mais encore que Ie besoin collectif n'existe plus
(n° 17). Dans ce cas les biens doivent faire retour au patri-
moine général. Il y aurait un gaspillage à leur laisser une
affectation inutile.
Ceci est vrai même pour les fonds d'origine privée. Celui
qui affecte des biens à un service public sait que celui-ci
dépend dans son existence de la volonté du législateur. Il
ne pourrait demander la révocation pour inexécution des
conditions et charges si Ie service public est non pas réor-
ganisé mais supprimé. Il pourrait stipuler expressément
qu'en pareil cas les biens lui seront remis. Mais Jèze fait
remarquer avec exactitude que cette clause ne peut avoir
une valeur perpétuelle. Sa validité ne pourrait dépasser
par exemple la vie du donateur et du premier successeur
du testateur. Notre Droit répugnerait à une ernprise indé-
finie sur les biens aliénés.

c. - Associations de droit public.


77. Le fait mêrne du groupernent de plusieurs personnes
justifie une autre règle juridique. Le principe énoncé par
l'article 1853 du Code civil est de bon sens. Les reprises
sont proportionnelles aux apports. Cette idée est appliquée
par la loi du 10 mars 1925, dans ses articles 41, 44, 45 aux
comrnissions intercommunales d'assistance.
Si la loi Ie perrnet, cette règle peut être conventionnelle-
rnent rnodifiée. Par exernple l'Etat, en cas de dissolution
de la Société Nationale de Crédit à l'Industrie, a droit à
une part de l'actif encore qu'il n'ait pas été apporteur de
capitaux.

SECTION V

LES PERSONNES PRIVEES


Aux personnes publiques, s'opposent les personnes de
Droit privé (individus, sociétés comrnerciales, associa-

N 05 76 à 77
SECTION V. - LES PERSONNES PRIVÉES 55

tions sans hut lucratif). Celles-ei sont créées par des par-
ticuliers et exercent généralement une activité d'intérêt
privé. Leur régime est celui du Droit civil ou commercial.

A. PERSONNES PRIVÉES CHARGÉES o'uN SERVICE PUBLIC

78. Exceptionnellement ces personnes peuvent être char-


gées d'un service public. Ceci va-t-il régir sur Ie statut juri-
dique de leur personnalité? Non, parce que par hypothèse
Ie législateur a précisément recherché dans ce cas, pour ses
services publics, les avantages inhérents à une gestion pri-
vée selon les procédés de Droit privé. Il a, par exemple,
estimé que Ie service des tramways fonctionnerait mieux
s'il était confié à une société concessionnaire.
Le législateur emploie différents procédés juridiques
pour charger une personne privée de la responsabilité d'un
service public.

1. Concession.

79. La concession du service public est Ie contrat admi-


nistratif par lequel les autorités compétentes confient à une
personne privée - et parfois à une autre personne pu-
blique - l'exploitation d'un service public à des conditions
réglementaires. Elle est étudiée plus loin (n° 377).

2. Agréation.

80. La différence entre la concession et l'agréation est


que la première est de nature contractuelle et donne au
concessionnaire des droits acquis <lont la méconnaissance
j ustifierait des dommages-intérêts. La seconde est un acte
unilatéral qui peut toujours être retiré, en principe sans
indemnité (voyez une distinction pareille entre la conccs-
sion sur Ie domaine public et l'autorisation de stationne-
ment ou permission de voirie (n° 327).

a. - Notion.
L'agréation est l'acte unilatéral par lequel les autorités
compétentes confient à une personne privée, - et parfois
une autre personne publique - l'exploitation totale ou
partielle d'un service public à des conditions réglemcn-

N"" 77 à 80
56 CHAPITRE Il. - LES PERSONNES PUBLIQUES

taires. Nous n'envisageons ici que Ie cas ou la personne


agréée est privée.
Il faut distinguer l'agréation <lont l'objet est la gestion
d'un service public et l'autorisation qui est une mesure de
police portant sur une entreprise privée. Par exemple, une
exploitation de transport de choses par route, !'ouverture
d'une banque ou d'une société hypothécaire doivent être
autorisées; ces entreprises restent privées parce que ·1es
particuliers en gardent l'initiative et le controle, dans le
cadre des règlements et cahier des charges. Au contraire,
un particulier doit être agréé pour le transport régulicr «;Ie
personnes par route car c'est un service public et dans cette
mesure il tombe sous le contröle des autorHés publiques.
La terminologie de Ia loi et de la doctrine est imprécise
et confond agréation et autorisation.
Les personnes physiques ou j uridiques qui sont agréées,
tout comme les concessionnaires, gardent leur caractère
privé. En effet, leur existence ne dépend pas des autorités
publiques. A cöté du service pour lequel elles sont agréées,
elles peuvent continuer à trailer des affaires strictement
privées.
Mais dans certains cas, cette collaboration a pour effet
de modifier profondément la structure de !'organisme au
point de Ie transformer en une personne publique. Tel est
ravatar que la Cour de cassation prétend découvrir dans
les caisses primaires d'allocations familiales. Celles-ei dé-
pendent entièrement des autorités publiques puisque le
retrait d'agréation entraîne la dissolution. De plus, le ré-
gime qui leur est imposé apparaît spécialement et exclu-
sivement adapté à leur mission publique (Cass., 19 févr.
1942, R. A., 1942, 389).
Ce cas exceptionnel mis à part, Ie particulier agréé garde
son statut privé. Si c'est une société, Ie Code de commerce
règle sa constitution et son fonctionnement. Ses agents ne
sont pas des fonctionnaires (n° 220). Ses relations avec les
tiers sont régies par Ie Droit privé (n° 187). Ses actes ne
peuvent être annulés par le Conseil d'Etat (n° 500).

b. - Régime;
Cependant Ie fait que Ie particulier est agréé pour colla-
borer à un service public a diverses conséquences.
Octroi et retrait de l'agréation : Ces actes qui, à la diffé-
SECTION V. - LES PERSONNES PRIVÉES 57

rence de la concession, sont unilatéraux, dépendent donc


de la seule volonté de l' Administration. Cependant, la loi
créant Ie service public - ou un règlement pris en vertu
de celle-ci - peut lui imposer l'octroi ou Ie retrait à l'égard
de particuliers remplissant ou ne remplissant plus certai-
nes conditions objectives. D'une manière générale, les dé-
cisions de l'Administration doivent être inspirées par
l'intérêt public. Pouvoir discrétionnaire n'est pas pouvoir
arbitraire (n° 90). Un retrait en principe fait sans indem-
nité, peut donner lieu à réparation s'il n'est pas justifié
par des raisons d'intérêt général.
Loi du service : Le service public reste sous Ie controle
des autorités qui peuvent Ie modifier; la régularité du fonc-
tionnement, l'égalité des usagers doivent être assurées
(n° 30). L'agréé se soumet aux autres dispositions régle-
mentaires. Ne peuvent protester les pharmaciens agréés
àuxquels la direction du service public de l'assurance
nialadie-invalidité refuse, à la suite de fraudes, Ie rem-
boursement des prestations (C. E., 29 mai 1956, R. J. D. A.,
~957, 39, Ordre des pharmaciens).
3. Autres formes juridiques.
81. Le législateur n'est pas lié par une forme juridique
pour charger une personne privée de la gestion totale ou
partielle d'un service public.
· Le contrat confiant à une congrégation religieuse la
desserte des services intérieurs d'un höpital n'est pas un
contrat de concession (C. E., 21 juin 1956, R. J. D. A., 1957,
114, Crèvecreur) .
En dehors de tout contrat, la loi a chargé directement la
Banque Nationale, à !'origine société de Droit commercial,
du service de caissier de l'Etat.

B. PERSONNES PRIVÉES COLLABORANT


A UN SERVICE PUBLIC

Entre la gestion privée d'un service public, telle qu'elle


est réalisée notamment par la concession, et sa gestion pu-
blique telle qu'elle se fait dans une régie centralisée ou un
organisme parastatal, s'interposent des types hybrides que
l'ingéniosité des juristes et les nécessités pratiques modi-
fient sans cesse pour assurer une collaboration des repré-
sentants du secteur public et de ceux du secteur privé.

N 80 à 81
08
58 CHAPITRE Il. - LES PERSONNES PUBLIQUES

1. Régie intéressée.

82. Selon une terminologie exacte, la régie désigne une


entreprise conduite par l'autorité publique elle-même. Des
travaux publics faits en régie s'opposent à ceux qui sont
exécutés par des adjudicataires; une régie communale
d'électricité est un service public d'électricité exploité par
la commune et doit être distingué du service concédé.
Lorsqu'un service exploité en régie reçoit une personna-
lité civile distincte de l' Administration <lont il se détache,
nous avons une administration personnalisée.
Partant de la régie « pure » on a inventé la régie inté-
ressée.

a. - Notion.
L'administration centrale de l'Etat, de la province ou de
la commune ou même d'une intercommunale, garde la
responsabilité du service quine reçoit pas une personnalité
distincte et continue à constituer administrativement une
régie. Mais sa gestion technique est confiée par contrat à
un exploitant privé. Celui-ci reçoit une rémunération fixe
ou variable; pour Ie surplus, les aléas financiers de l'entre-
prise sont à charge de la personne publique. Plus fonda-
mentalement, celle-ci garde la haute main sur Ie service,
elle conserve sur Ie régisseur son pouvoir hiérarchique et
lui donne des instructions.

h. - Régime.
Conclusion et résiliation du contrat : Tout comme la
concession, la régie intéressée est un contrat qui donne au
régisseur des droits. One résiliation avant terme est tou-
jours possible (n° 379) mais implique indemnisation.
Loi du service : Le service public qui est centralisé ne
jouit pas d'une personnalité distincte, tout au plus d'une
autonomie technique et financière (n° 172; A. R., 18 juin
1946, art. 1 er). Le régisseur est smnnis à la loi du service.
Dispositions contractuelles : Mais Ie régisseur est protégé
par son contrat qui lui garantit une rémunération forfai-
taire ou proportionnelle, qui lui réserve Ie droit d'être con-
sulté, voire celui de décider seul en certaines matières.
SECTION V. - LES PERSONNES PRIVÉES 59

2. Association de Droit public.

83. La collaboration organique entre personnes publi-


ques et privées peut aussi s'établir dans Ie cadre d'un éta-
hlissement parastatal.

a. - Notion.
Plus précisément, des associations de Droit public peu-
vent grouper uniquement des personnes publiques ou com-
prendre aussi des personnes privées. On parle en langage
courant des « intercommunales mixtes ». Des organismes
nationaux tels que la Banque Nationale, l'Institut de ré-
escompte et garantie, la Sabena, sont aussi constitués en
vue de cette coopération.

b. - Régime.
La présence d'associés privés implique Ie respect de leurs
intérêts légitimes (fonctionnement : n° 153; - dissolution
et répartition du patrimoine : n° 73). Mais les pouvoirs
publics gardent la maîtrise. Dans les intercommunales,
l'influence des communes selon !'esprit de la loi du 1 er mars
1922 doit rester prépondérante (Buttgenbach, Manuel,
n° 226; cfr. L., 18 juill. 1959, art. 17 qui prévoit la parti-
cipation des communes dans les sociétés d'équipement mais
ne leur réserve pas la prépondérance). Si les pouvoirs
publics n'ont plus Ie controle, nous avons éventuellement
une société d'intérêt public (n° 85).

3. Concessions.

84. D'autres formules dérivent de la concession. Celle-ci


à l'état pur, laisse au concessionnaire la responsabilité
entière de l'entreprise. Dans les limites du cahier des
charges, il fait fonctionner Ie service public de la manière
qui lui paraît la plus économique et en supporte tout
l'avantage ou toute la perte sous réserve des redevances
à payer au service concédant. Mais des contrats récents
prévoient la constitution d'une commission mixte ou se
rencontrent les représentants du concédant et ceux du
concessionnaire pour arrêter de commun accord, selon des
procédures préétablies, des décisions importantes (n° 378).

N 08 83 à 84
60 CHAPITRE II. - LES PERSONNES PUBLIQUES

C. PERSONNES PRIVÉES o'INTÉRÊT PUBLIC

85. La réalité sociale et la pratique législative font lente-


ment apparaître une nouvelle catégorie de personnes pri-
vées qui intéressent Ie Droit administratif et pour lesquelles
nous proposons Ie nom de personnes privées d'intérêt
public.
Il ne s'agit pas ici des associations sans hut lucratif et
des établissements d'utilité publique. Ces deux espèces
résultent d'un mouvement doctrinal et législatif différent.
Pendant très longtemps, Ie législateur a hésité à donner Ie
privilège de la personnalité j uridique à des associa tions
ou à des fondations qui ne poursuivaient pas un hut de
lucre. Il craignait de ressusciter la mainmorte. Ultérieure-
ment, d'une façon de plus en plus libérale, il a accordé eet
avantage selon des procédures simplifiées à des associations
et établissements <lont l'objet était particulièrement digne
d'intérêt.
La catégorie juridique de personnes privées qui est en-
visagée ici, est autre. Quoique leur activité ne constitue pas
un service public, elle est apparue d'un intérêt public
suffisant pour que les autorités ne se contentent pas d'exer-
cer leurs pouvoirs de police, mais entendent participer plus
intimement à la gestion.

a. - Notion.
L'association d'intérêt public est une personne juridique
de Droit privé qui a pour objet l'intérêt public, qui de ce
fait bénéficie de la participation organique des pouvoirs
publics et qui, par conséquent, est soumise à un régime
exorbitant du Droit commercial ou civil.
Reprenons les diff érents éléments de cette définition :
Une association d'intérêt public : Ce terme englobe les
organismes qui ont pris la forme d'une société civile ou
commerciale aussi bien que celle d'une association sans hut
lucratif ou même sui generis.
Est une personne juridique de Droit privé : ainsi s'op-
pose-t-elle aux organismes parastataux eLnotamment aux
associations de Droit public (n° 83).
Qui a pour ob jet l'intérêt public : Tout comme celle de
service public, la notion d'intérêt public est évolutive.
Chaque génération établit ses propres critères.
SECTION V. - LES PERSONNES PRIVÉES 61

L'activité de certaines entreprises pourrait être grave-


ment nuisible à la communauté. Par exemple la loi fran-
çaise du 11 août 1936, autorise Ie gouvernement, même à
défaut d'expropriation, à organiser sur les fabriques d'ar-
mes un controle interne.
Une autre catégorie comporte les sociétés dans lesquelles
l'Etat a des intérêts patrimoniaux tellement importants
qu'ils justifient un controle interne. Il s'agit de la mise en
valeur de son domaine privé. Cette variété était particu-
lièrement foisonnante au Congo belge.
Qui, de ce fait, bénéficie de la participation organique
des pouvoirs publics : la participation doit être organique.
Il ne suffit pas d'un simple placement d'argent qui est
accidentel, provisoire et extrinsèque à la société. Celle-ci
n'est pas nécessairement consultée puisque les titres peu-
vent être achetés en bourse. Il serait illogique qu'une opé-
ration qui s'est passée en dehors d'elle, vienne bouleverser
son économie juridique (Jèze, « Le régime juridique des
entreprises de fabrication et de vente du matériel d'arme-
ment », Revue de Droit public, 1937, p. 456).
Un simple placement peut justifier de la part de l'Etat
diverses mesures. Par exemple, une loi ou un règlement
détermine les titres qui peuvent être acquis. Il existe dans
Ie cadre de l'inspection générale des finances une section
qui suit l'activité des différentes sociétés dans lesquelles
l'Etat est financièrement intéressé. Mais cette réglementa-
tion est interne à l'Etat et étrangère à la société qui con-
serve son autonomie.
Mais, lorsqu'il s'agit d'une société d'intérêt public, la
participation est organique. Les pouvoirs publics prennent
part à la gestion, assument dans une certaine mesure la
responsabilité de celle-ci. Ils ne Ie font pas seulement pour
surveiller la sécurité de leur placement, mais pour favo-
riser Ie hut d'intérêt public orientant l'activité de la société.
Et qui, par conséquent, est soumise à un régime exorbi-
tant du Droit commercial ou civil: L'Etat peut se contenter
d'invoquer à son profit l'application des dispositions du
Droit privé. S'il a souscrit au capita!, il exercera les droits
de tout actionnaire; au cas ou Ie nombre des voix <lont il
dispose à l'assemblée générale est suffisamment important,
il aura des représentants au conseil d'administration. S'il
est prêteur, il fera partie des assemblées d'obligataires.
62 CHAPITRE ll. - LES PERSONNES PUBUQUES

S'il a accordé une concession, il trouve sa garantie dans Ie


contrat qui impose à la société un cahier des charges. Mais
dans les associations d'intérêt public, les autorités prennent
en considération l'importance de l'objet social et obtiennent
une influence exceptionnelle par des dispositions exorbi-
tantes du Droit commun.

b. - Régime.

Pour être clair, il faut comparer l'association d'intérêt


public et !'organisme parastatal.
Constitution : Un établissement parastatal peut être créé,
modifié ou dissous par une décision unilatérale de l' Admi-
nistration.
Quand il s'agit d'une association d'intérêt public, les par-
ticuliers ont l'initiative de l'élaboration et de la modifica-
tion des statuts. Mais les pouvoirs publics doivent les
approuver soit originairement, soit au moment ou ils pren-
nent part à l'activité de la société.
Gestion : Dans l'établissement parastatal, l'autorité pU-'
blique garde Ie pouvoir du dernier mot, soit qu'elle puisse
imposer directement ses décisions, soit que par l'exercice
de son droit de tutelle, elle exerce un droit de veto. Dans
l'association d'intérêt public, Ie controle interne des inté-
rêts collectifs est organisé sans cependant être aussi rigou-
reux.
Par exemple, l'Etat se réserve une part du capita!; il
subordonne à son autorisation toute augmentation, stipule
qu'un pourcentage déterminé des nouvelles actions lui est
attribué (Législation minière congolaise, art. 76).
L'Etat actionnaire, prévoit statutairement que ses titres
seront nominatifs. Il controle l'identité de ses associés
privés, par exemple leur nationalité. Il subordonne à son
autorisation la cession de leurs titres. A l'asseinblée géné-
rale, il dispose d'un nombre de voix plus grand que ne Ie
justifierait sa participation financière ou écarte à son profit
la disposition limitant la puissance de vote d'un seul action-
naire à un cinquième- du total des veix-; il peut être repré-
senté par un fonctionnaire non actionnaire; il peut aussi
provoquer à lui seul une réunion.
Au conseil d'administration, les pouvoirs publics se ré-
servent un certain nombre de sièges, indépendamment du

N° 85
SECTION V. - LES PERSONNES PRIVÉES 63

nombre de leurs actions. Ces administrateurs seront nom-


més directement par l'autorité et non pas élus par l'assem-
blée générale. Dispense d'un cautionnement pourrait être
prévue. Leur responsabilité peut être différente.
Les autorités peuvent aussi avoir Ie droit de nommer ou
<l'agréer Ie président et !'administrateur-délégué, ainsi que
des commissaires avec pouvoir d'investigation et voix con-
sultative. Certains actes peuvent être soumis à autorisation
expresse : création de filiales, cession d'activité, fusion ...
• Ces dispositions dérogatoires sont diverses. Mais elles ne
peuvent jamais aboutir à attribuer en fait la direction de
la société aux autorités publiques. Ce serait transformer
l'association d'intérêt public en un véritable organisme
parastatal.

d. - Conclusion.
86. Concluons par une comparaison :
La société de commerce poursuit un hut de lucre. C'est
une entreprise privée. Elle est gérée par des particuliers;
son statut est fixé par les lois commerciales. Si l'Etat y a
pris un intérêt, ce n'est que sous la forme d'un placement.
Dès lors il est soumis au Droit commun; il n'est représenté
à l'assemblée générale et au conseil d'administration que
dans une mesure proportionnelle à son apport. Il n'y a pas
de raison de déroger aux dispositions de la loi sur les
sociétés.
Un organisme parastatal est chargé d'un service public.
Dès lors, l'influence de l'autorité publique doit être déter-
minante. Un statut de Droit public assure cette prédomi-
nance.
Enfin, l'association d'intérêt public gère une entreprisc
privée, mais celle-ci touche à l'intérêt général. Les pouvoirs
publics participent d'une manière organique à sa gestion.
Des dispositions exceptionnelles garantissent leur influence.
Les notions de service public et d'intérêt public ne sont
pas stables. Elles évoluent avec les années. Une activité
aujourd'hui privée sera jugée demain une entreprise inté-
ressant essentiellement l'intérêt public. Par voie de con-
séquence, la personne qui exerce cette activité est soumise
à des réglementations de plus en plus précises qui finissent
par modifier son statut.
L'Histoire contient de nombreux exemples de ces ava-

N 08 85 à 86
64 CHAPITRE ll. - LES PERSONNES PUBLIQUES

tars: originairement, la Banque Nationale de Belgique était


considérée comme une société anonyme pareille aux autres.
Petit à petit son caractère d'intérêt public s'est affirmé.
Personne ne doute aujourd'hui qu'elle soit une association
de Droit public.
On a déjà cité Ie cas des allocations familiales : des cais-
ses primaires fondées par les particuliers se sont trans-
formées en organismes d'Etat (n° 28).
Il peut être délicat de distinguer société de Droit privé,
société d'intérêt public, association de Droit public. Chaque
fois, il faut étudier de près la nature que Ie législateur
attribue à l'activité considérée et la part d'influence qu'il
a réservée aux autorités publiques dans la constitution et
la gestion de !'organisme.
CHAPITRE 111

COMPETENCE ET POUVOIRS
Le statut des personnes publiques soulève deux questions
importantes qui méritent un examen particulier.
Le premier est celui de la compétence. Il fera l'objet de
la section 1. Quels individus ont Ie pouvoir d'accomplir des
actes juridiques pour compte de cette personne ?
La compétence peut être morcelée entre un grand nom-
bre d'organes. De plus, il y a de nombreuses personnes
publiques. Ce morcellement ne va-t-il pas entraîner des
contrariétés de politique? Par quels procédés Ie ramène-
t-on à l'unité fondamentale de l'Etat? C'est ce qui sera
étudié dans la section Il.

SECTION I
LA COMPETENCE

87. Dans l'organisation de toutes les personnes juridi-


ques et singulièrement des personnes publiques, un point
capita! doit être résolu : celui de la compétence.
Un individu exerce lui-même. sa capacité juridique : il
acquiert, transforme, perd ses droits par les actes qu'il
accomplit. Les incapables ne sont que l'exception. Mais la
situation est inverse pour les personnes juridiques. Elles
ont une capacité; mais elles n'ont ni intelligence ni volonté
· propre pour l'exercer. Il faut que des hommcs accomplis-
sent pour leur compte les actes nécessaires. C'est ce qu'on
appelle les o_rganes.

A. NonoN
1. Définition.
88. La compétence est Ie pouvoir légal d'accomplir des
actes juridiques pour Ie compte d'une personne publique.

N 08 87 à 88
66 CHAPITRE 111. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

Pouvoir légal : Il ne s'agit pas d'un mandat convention-


nel. Il résulte de la loi qui organise la personne publique.
La première conséquence est que la compétence est
d'attribution. Elle est attachée à la fonction plus qu'à
l'agent. Elle existe avant l'investiture et après la désinves-
titure de telle personne déterminée. Elle est fixée par la
loi et ne peut être modifiée par voie conventionnelle.
La deuxième conséquence est que la compétence, pour
l'agent, n'est pas un droit mais une charge. Celui qui en
a été investi ne peut se dispenser de l'exercer. Il ne peut
se décharger de cette mission sauf si la loi organisatrice
en a prévu la possibilité. La <lélégation est exceptionnelle.
D'accomplir des actes juridiques. La compétence ne con-
cerne que les fonctionnaires qui engagent par leurs actes
j uridiques la personne publique. Ils en sont les organes.
Les autres agents sont <le simples collaborateurs qui pré-
parent ces actes juri<liques ou exécutent des besognes ma-
térielles. Hormis Ie cas de délégation, ils n'ont pas de com-
pétence mais des attributions.
Il ne faut pas être « compétent » pour engager par sa
faute la responsabilité aquilienne d'une administration : ce
n'est pas un acte, mais un fait juridique, c'est-à-dire un
fait matériel entraînant des conséquences juridiques.
Pour le compie : La compétence se distingue de la capa-
cité qui est Ie pouvoir d'accomplir des actes juridiques
pour son propre compte. Savoir si une personne publique
peut faire des actes commerciaux est une question de
capacité. Déterminer l'organe qui les accomplira est un
problème de compétence.
La capacité des personnes publiques est traitée au n° 64.
D'une personne publique : Pour les personnes privées,
on parle plutöt des « pouvoirs » de tuteur ou de !'admi-
nistrateur de société. En Droit public, on dit que Ie juge
est compétent pour connaître d'une cause, que Ie ministre
est compétent pour engager financièrement l'Etat.

2. Compétence et principes généraux.

a. - Principe de la spécialité.

89. Il gouverne non seulement la capacité de jouïssance


des personnes publiques qui, nous l'avons dit, est limitée

N 08 88 à 89
SECTION I, - LA COMPÉTENCE 67

à l'accomplissement de leur fin sociale (n° 64) mais aussi


la compétence de leurs organes.
C'est en effet une pratique certaine de notre Droit public
que la compétence est morcelée. Le pouvoir d'accomplir
les différents actes j uridiques est divisé entre plusieurs
organes pour obtenir un meilleur résultat; par exemple, les
ministres sont chacun les chefs d'une Administration.
En outre, pour la validité d'un seul et même acte, on pré-
voit souvent Ie concours de plusieurs organes. C'est ainsi
(1ue l'acte d'une autorité décentralisée ne sera fréquem-
ment valide que s'il a été autorisé ou approuvé par l'auto-
rité de tutelle. Cette collaboration est une précieuse garan-
tie pour les administrés car elle limite les risques d'abus.

b. - Principe de la légalité.
90. Toute personne publique y est soumise (n° 70). Ses
agents doivent agir conformément à la loi et aux règle-
ments. De ce principe, on déduit la distinction entre la
compétence liée et Ie pouvoir discrétionnaire.
La compétence de l'agent est liée dans la niesure oû il
est tenu d'agir on de ne pas agir de la manière fixée par
la loi; au contraire, quand il jouit d'une certaine liberté
d'appréciation, d'une certaine initiative, son pouvoir est
discrétionnaire.
Compétence liée et pouvoir discrétionnaire se mêlent
dans une mesure variahle. Prenons Ie cas d'une nomina-
tion : d'abord, l'antorité compétente cst-elle obligée de
pourvoir à la vacance ou peut-elle ne pas nommer? En-
suite, est-elle tenue de désigner telle pcrsonne déterminée :
Ie plus ancien, Ie premier classé dans un concours, Ie béné-
ficiaire d'une priorité, ou bien choisit-elle lihrement Ie
candidat qui lui paraît Ie meilleur?
Il nc faut pas confondre pouvoir discrétionnaire et pou-
voir arbitraire. L'Administration reste toujours soumise
au principe de la finalité. Elle ne peut se décider que dans
l'intérêt du service. Par exemple, Ie retrait d'une autori-
sation révocable doit néanmoins être motivé par l'utilité
publique et non par la seule fantaisie des autorités (C" E ..
2 févr. 1951, R. J. D. A., 1951, 167, Henrion; - voy. pour le
retrait d'une agréation : n° 80; - d'une permission de
voirie : n° 330; - d'une autorisation de bàtir : n° 384; -
adde, n° 73.

N"" 89 à 90
68 CHAPITRE UI. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

c. - Principe de la f inalité.
91. Ainsi qu'il vient d'être rappelé, Ie principe de la
finalité implique que la compétence ne peut être exercée
que pour la fin en vue de laquelle elle a été donnée.
La finalité de l'acte administratif est définie de la ma-
nière la plus générale comme étant l'utilité publique. Ce
ne peut jamais être l'avantage d'un particulier ou du fonc-
tionnaire lui-même. Souvent, la loi précise l'objectif. Par
exemple, si les autorités communales peuvent interdire un
spectacle public, ce ne peut être que pour assurer l'ordre
public et jamais pour établir une censure (n°" 195 et 416).'
Ainsi la compétence se distingue-t-elle du pouvoir en
Droit privé. La première constitue un procédé j uridique
original du Droit administratif. lei encore, Ie recours à ce
procédé se justifie par la préoccupation fondamentale qui
fonde toutes les théories et toutes les pratiques de cette
.discipline; il faut assurer Ie fonctionnement régulier du
service public.
Quand un tuteur ou un administrateur de société utilise
ses pouvoirs pour ruiner, à son profit, Ic pupille ou la
société, il devra rendre des comptes. Mais son acte est néan-
moins valide à l'égard des tiers. Il n'en est pas de même en
Droit administratif. L'acte accompli par un agent compé-
tent dans un intérêt privé qui n'est pas celui du service pu-
blic, est annulable pour détournement de pouvoir.

B. LE DÉFAUT DE COMPÉTENCE

1. Notion.

92. La compétence peut faire défaut de divers~s façons.


Exces de pouvoir : D'abord, nous avons dit qu'elle est
morcelée. Il y a excès de pouvoir quand l'agent dépasse
les limites de sa compétence. Des distinctions doivent être
faites selon que la limite dépassée concerne soit les ma-
tières traitées, soit Ie ressort territoria!, soit la durée des
pouvoirs : compétence ralione materiae, ratione loci, ra-
tione temporis.
Une forme particulière d'excès de pouvoir est l'empie-
lement. Un agent accomplit des actes juridiques qui de-
vraient être faits par un collègue ou par un inférieur
auquel la délégation a été préalablement donnée.

Nes 91 à 92
SECTION I. - LA COMPÉTENCE 69

Dé{aut d'investiture : Une personne exerce bien un acte


qui est de la compétence d'une fonction mais en réalité elle
n'est pas titulaire de cette fonction. lei encore des distinc-
tions doivent être faites. L'investiture a pu être viciée : la
nomination de l'agent, par exemple, est nulle pour des
raisons de fond, de forme ou de procédure. Ou bien l'inves-
titure est périmée: un agent continue à exercer sa fonction
après démission acceptée, révocation, mise à la retraite.
Ou encore Ie prétendu agent ne peut faire valoir aucun
titre, même irrégulier. Ce dernier cas s'appelle I'usurpa-
tion.
Le défaut de compétence vicie l'acte; celui-ci est en prin-
cipe annulable ou nul (n° 196). Dans certains cas patents
on peut même prétendre qu'il est inexistant (n° 199). Mais
cette nullité ou inexistence est limitée par l'application de
deux théories prétoriennes : celle de la nécessité et celle du
fonctionnaire de fait.

2. Théorie de la nécessité.

93. Des fonctionnaires régulièrement investis, peuvent,


dans des circonstances exceptionnelles et en raison de l'ex-
trême urgence, accomplir valablement des actes normale-
ment illégaux soit en raison d'un excès de pouvoir soit pour
vice de forme ou de fond.
Les con tours de cette j urisprudence sant assez nets. Il
faut d'une part deux conditions : circonstances exception-
nelles et extrême urgence; Ie Conseil d'Etat en vérifie la
réalisation. D'autre part, l'effet est de valider des actes
irréguliers. On couvre ainsi, au point de vue de la compé-
tence, l'excès de pouvoir mais non Ie vice d'investiture.
Cette jurisprudence s'applique à d'autres irrégularités de
forme ou de fond (n° 193).
Le fondement juridique de cette solution se trouve dans
Ie principe de la continuité du fonctionnement du service
public ainsi que dans celui de finalité gouvernant la per-
sonne publique (n° 69). C'est un bel exemple du gouverne-
ment des juges. L'arbitraire de l'Administration, son acti-
vité irrégulière est j ustifiée par l'importance des taches à
accomplir mais est contrólée et limitée par un pouvoir juri-
dictionnel.

NOS 92 à 93

'
70 CHAPITRE III. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

3. Théorie du f onctionnaire de fait.


94. Si la théorie précédente s'applique à l'excès de pou-
voir, celle-ci vise l'autre vice de compétence, à savoir l'in-
vestiture irrégulière, à l'exclusion de l'usurpation.
Pour déterminer les contours de la théorie du fonction-
naire de fait, distinguons periodes de paix et de guerre.
En période normale, la théorie se fonde sur Ie souci d'as-
surer la sécurité juridique. Le plus souvent, Ie particulier
est incapable de contröler si les fonctionnaires avec les-
quels il traite ont été régulièrement investis. Celui qui se
présente pour son mariage <levant l'échevin de l'état civil,
ne vérifie pas la régularité du titre de ce dernier. Mais la
confiance du particulier n'est légitime que s'il y a chez Ie
fonctionnaire de fait une possession d'état. En d'autres ter-
mes, celui-ci doit accomplir régulièrement, paisiblement,
les actes de sa fonction dans les locaux officiels sans être
inquiété par les autorités supérieures. Comme Ie dit Jèze,
cela rend l'investiture « plausible ». Un fonctionnement irré-
gulier contesté du service, doit alerter les administrés.
Les particuliers de bonne foi peuvent donc invoquer à
leur profit les actes des fonctionnaires de fait. Mais l' Ad-
ministration peut-elle leur opposer ces actes ? Il semble
que non. L'Administration a commis une faute en mainte-
nant une situation apparente irrégulière. Elle ne peut s'en
prévaloir. Sur la validité des actes passés par un notaire
<lont la nomination a été annulée, voyez Reiters, sous C. E.,
3 mai 1955, R. J. D. A., 1955, 256, De Boosere.
Examinons maintenant Ie cas de la guerre. La doctrine
du fonctionnaire de fait peut être invoquée même dans les
cas ou il n'y avait pas d' error communis de la part des
administrés qui connaissaient l'irrégularité de l'investiture,
ni de faute de la part de l'Administration qui était inca-
pable de suivre les procédures régulières. On invoque dans
ce cas Ie principe de la nécessité d'assurer Ie service public.
Par exemple, « celui qui a été revêtu d'une commission par
une autorité qui n'en avait pas Ie droit, n'est pas fonction-
naire » (Cass., 13 juill. 1838, Pas., 1838, I, 340). Mais il a été
j ugé que : « doit être considéré -con1me_____bourgmestre en
vertu de la loi du 10 mai 1940, la personne installée par un
délégué de la députation permanente, dans une commune
totalement privée de direction, par suite de !'absence du
titulaire, alors que l'article 107 de la loi communale n'a pu

N°94
SECTION I. - LA COMPÉTENCE 71

être appliqué ». Peu importe si l'intéressé n'a pas prêté Ie


serment constitutionnel. Les actes qu'il accomplira seront
valides (Trib. Nivelles, 4 juin 1941, R. A., 1942, 361).
Trois conditions paraissent nécessaires : carence des
autorités régulièrement constituées, impossibilité de les
remplacer régulièrement, enfin investiture de fait qui,
quoique irrégulière, n'est pas une usurpation.
Lorsque les actes contestés sont nombreux, une loi inter-
vient souvent pour régler leur sort juridique et pour
exclure toute contestation. Il en a été ainsi en France dans
la fameuse affaire des mariages de Montrouge. Ceux-ci
avaient été célébrés par un conseiller à qui Ie maire avait
irrégulièrement délégué les pouvoirs d'officier civil. C'était
un cas d'empiètement. Une loi l'a régularisé.
En Belgique, l'arrêté-loi du 5 mai 1944 traite des usur-
pations de pouvoir en temps de guerre. C'est une législa-
tion de circonstance
Dans Ie système de la loi, les secrétaires généraux nom-
més avant Ie 16 mai 1940 avaient un titre régulier et, par
conséquent leurs actes étaient valables; cependant, dans de
nombrcux cas, ils se sont rendus coupables d'empiètement
de compétence. Par ailleurs, les secrétaires généraux nom-
més après cette date sont, sinon des usurpateurs, du moins
des fonctionnaires dont l'investiture est irrégulière et tous
leurs actes en sont viciés (Cass., 11 juin 1953, Pas., 1953,
I, 787, Halmes-Akens c./ Lennartz et consorts).

C. ÜRGANISATION DE LA COMPÉTENCE

1. Concentration.

95. Le pouvoir organisateur (n° 59), répartit la compé-


tence entre les différents organes de la personne publique.
Généralement, on constate un phénomène de concen-
tration. Un très petit nombre d'agents ont Ie droit d'accorn-
plir des actes juridiques valables pour compte de cette
personne. Cette concentration est favorable à l'autorité.
Elle évite les conflits de politiques et les contrariétés de
décisions.
La fonction réglementaire est réservée à quelques auto-
rités (n° 215). Il en est de même pour la fonction j uridic-
tionnelle (n° 469). Il est moins connu mais aussi certain
que la fonction administrative est concentrée en un petit

N 94 à 95
01
72 CHAPITRE III. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

nombre de mains. Certes, les actes de l'autorité sont pris


par un grand nombre de personnes mais ce n'est qu'en
vertu de délégations. Ccci nous amène à la déconcentration.

2. La déconcentration.

a. - Définition.
96. La déconcentration consiste à donner, généralement
dans Ie cadre d'une même personne publique, la compé-
tence d'accomplir certains actes juridiques, non pas aux
chefs du service, aux organes statutaires, mais à des agents
qui leur sont hiérarchiquement subordonnés.
Aucune difficulté ne se pose lorsqu'il s'agit d'attribution
(n° 88 in fine). Un ministre ou un bourgmestre peut délé-
guer la signature du courrier ordinaire, habiliter un agent
à faire des enquêtes ou à accomplir d'autres devoirs. Le
problème de la déconcentration ne surgit qu'à propos de
la compétence proprement dite, c'est-à-dire du pouvoir de
faire des actes juridiques pour Ie compte de la personne
publique. Détaillons cette proposition.
La déconcentration donne la compétence d'accomplir des
actes juridiques : ici se marque l'utilité de ce procédé juri-
dique. Il tend à faire coïncider la responsabilité et l'auto-
rité. Chaque homme tranche autant d'affaires qu'il peut
en étudier personnellemcnt. Les chefs ne sont pas de sim-
ples machines à signer.
La délégation peut être personnelle - par exemple celle
donnée par Ie ministre à son chef de cabinet ( cf. à ce pro-
pos C. E., 27 mars 1956, R. J. D. A., 1957, 2, Vantreels, note
Debra). Elle devient caduque quand Ie ministre ou Ie
délégué est remplacé parce qu'elle implique un lien de
confiance. D'autres délégations modifient l'aménagement
des compétences entre différentes autorités administratives,
indépendamment de la personne des titulaires, et ont de ce
fait un caractère permanent.
Agents subordonnés: la déconcentration ne supprime pas
Ie pouvoir hiérarchique. Celui-ci continlre--à s'exercer avant
la décision (n° 115). Souvent, les autorités supérieures se
réservent Ie droit de revoir !'affaire endéans un certain
délai après la décision de l'agent compétent : c'est la réfor-
mation (A. R., 30 nov. 1939, art. 5 et 6). Dans d'autres cas,

N 08 95 à 96
SECTION I. - LA COMPÉTENCE 73

sans attendre cette décision, elles peuvent, s'il leur plaît,


exercer elles-mêmes Ie pouvoir délégué : c'est l'évocation
(A. R., 9 mai 1944, art. 3).
Généralement dans le cadre de la même personne publi-
que: L'organisation, non seulement de l'Etat, mais aussi
de toute personne publique, peut être déconcentrée. Le mot
« généralement » réserve le cas exceptionnel de l'adminis-
tration personnalisée (n° 151). Il faut aussi tenir compte de
la théorie de dédoublement fonctionnel (n° 54). Un gou-
verneur de province peut être, en sa qualité d'agent du
pouvoir centra!, l'instrument d'une déconcentration.

b. - Distinction avec la décentralisation.


97. Concentration et déconcentration ne doivent pas être
confondues avec centralisation et décentralisation (n° 52
et 58). Cette dernière implique touj ours l'existence d'une
personne publique distincte tandis que la déconcentration
s'opère Ie plus souvent dans Ie cadre de la même personne
pnblique. Surtout la décentralisation soustrait normalement
les agents au pouvoir hiérarchique des autorités supérieures
pour ne laisser à celles-ci qu'un pouvoir de tutelle, tandis
que la déconcentration maintient la subordination hiérar-
chique. Le statut hybride _des administrations personnali-
sées empêche de formuler ces oppositions en termes absolus.

c. - Déconcentration f aite par le pouvoir


organisateur lui-même.
98. Le pouvoir organisateur de la personne publique
(n° 59) peut attribuer statutairement la compétence non
aux chefs de service, aux dirigeants, mais à des agents
subordonnés. Il en est ainsi pour l'Etat <lont l'organisation
est réglée concurremment par l'Exécutif et par Ie Légis-
latif (n° 60).
Par exemple Ie pouvoir législatif peut faire de la décon-
ccntration en attribuant directement la compétence d'exé-
cuter la loi, non pas au Roi (Const., art. 67), mais à des
agents subordonnés. On citera Ie pouvoir de décision
accordé par la loi aux directeurs provinciaux des contri-
butions.
Quand la compétence est accordée par la loi « au gou-
vernement», un problème d'interprétation se pose. Le légis-

N 08 96 à 98
74 CHAPITRE III. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

lateur visait-il Ie Roi, Ie conseil des ministres ou Ie ministre


compétent? (Cass., 6 févr. 1891, Pas., 1891, I, 54; - article,
R. A., 192.5, p. 5 et surtout 8). C'est une question de fait.

d. - Possibilité de délégation expressément prévue


par le pouvoir organisateur.
99. Tout en fixant la compétence des organes, Ie pouvoir
organisateur peut prévoir expressément la possibilité de
délégation par ceux-ci. Reprenons Ie cas de la loi et du Roi.
La loi : Celle du 20 j anvier 1892 a autorisé Ic Roi à suh-
déléguer au ministre des Chemins de fer Ie pouvoir de
modifier Ie tarif des péages. L'arrêté royal du 14 août 1933
a la valeur d'un acte du Législatif (puisqu'il a été pris en
vertu de pouvoirs spéciaux du 17 mai 1933; il a été modifié
et complété par l' A. R. n° 87 du 30 nov. 1939, pris également
en vertu des pouvoirs spéciaux). Il autorise Ie Roi à attri-
buer aux gouverneurs de province et commissaires d'ar-
rondissement l'exercice des pouvoirs qui lui sont attribués
par la loi en matière d'intérêt provincial, local ou parti-
culier; Ie Roi a effectivement accordé unc délégation (A. R.,
9 mars 1935). Selon la Cour de cassation qui interprète très
strictement Ie principe que les pouvoirs sont d'attribution
(n08 88 et 100), ce n'est pas une délégation, par Ie Roi, des
pouvoirs que la loi lui impose d'exercer lui-même, mais
bien la désignation, par Ie Roi, de l'autorité que la loi lui
permet d'investir de cette charge (Cass., 12 juill. 1938, Pas.,
1938, I, 275). Subtile distinction.
Le Roi : Il peut déconcentrer la compétence qui lui est
propre. Son pouvoir de nomination des fonctionnaires
(Const., art. 66) pent faire l'objet d'une délégation en ce
qui concerne les agents d'un rang subalterne. De même son
pouvoir général de prendre des arrêtés de police est décon-
centré en faveur des gouverneurs de province et commis-
saires d'arrondissement. On verra plus loin que l'existence
même de ce pouvoir a été aprement discutée (n° 131). Mais
Ie fait de sa délégation par Ie Roi à ses représentants en
province n'a soulevé aucune objection ni au Parlement ni
en doctrine. Il y avaitcependant un_ problème_ ju_rjdique de
Droit constitutionnel que nous allons retrouver à la fin de
eet exposé. Enfin, Ie pouvoir réglementaire du Roi (Const.,
art. 67) est déconcentré lorsque Ie ministre est autorisé par
lui à prendre des arrêtés ministériels. On notera Ie cas

N 08 98 à 99
SECTION I. - LA COMPÉTENCE 75

particulier des arrêtés ministériels fixant l'organisation


intérieure des départements. Le ministre est Ie chef du
service <lont il règle l'organisation, dans Ie cadre des lois.
Il n'y a pas ici délégation du pouvoir royal. Pour les autres
arrêtés ministériels, on doit chaque fois se demander si la
compétence du Roi de faire des règlements a été bien dé-
concentrée (Voy. obs. sous Brux., 20 sept. 1930, R. A., 1931,
149).
e. - Délégation tacitement admise.
100. Mais que faut-il décider lorsque Ie pouvoir organi-
sateur n'a rien dit? C'est ici que surgit réellement la diffi-
culté. Dans notre opinion il faut dégager deux règles.
Principe : Toute délégation est interdite. C'est ce qu'af-
firmait avec force un arrêt de la Cour de cassation du
6 février 1891 (Pas., 1891, I, 54). « Attendu que la souve-
raineté réside dans la nation et que les pouvoirs qui tous,
émanent d'elle, ne sont exercés que par délégation. Attendu
que les attributions déléguées ne comportent en principe
aucune subdélégation ». Ceci est aussi vrai pour l'Etat que
pour toutes les autres personnes publiques. Pour Ie conseil
provincial on consultera notamment l'arrêt de la Cour de
cassation du 6 juillet 1895, R. A., 1896, 437, qui reprend les
mêmes formules.
Laissons de cöté cette idée que l'autorité primitivement
compétente tient ses pouvoirs « par une délégation de la
nation », ce qui oblige à qualifier de « subdélégation :i> Ie
transfert ultérieur de cette compétence à une autre auto-
rité. La première délégation n'est qu'une image accréditée
par lc vocabulaire révolutionnaire. Il vaut mieux dire,
comme nous l'avons proposé plus haut, que Ie pouvoir
organisateur rcmplit sa mission en définissant la compé-
tence des différents organes de la personne publique. Dès
lors la règle interdisant la <lélégation s'exprime dans les
termes suivants : Une attribution de compétence a pour
objet une fonction et non un droit; une délégation ruinerait
l'économie générale de la personne publique, telle qu'elJe
a été voulue par Ie pouvoir organisateur.
Restrictions : La vie administrative deviendrait impos-
sible si les chefs de service devaient tout faire par eux-
mêmes. Même en !'absence de toute autorisation par Ie
pouvoir organisateur, des délégations sur des points de
détails sont admises.

N 08 99 à 100
76 CHAPITRE III, · - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

c S'il est de principe que les pouvoirs sant inaliénables


et intransmissibles, il n'est pas interdit à l'autorité déléguée
par la nation, d'établir des autorités secondaires chargées
d'agir sous son controle en prenant des mesures de détail.
Sous réserve de son approbation expresse ou tacite, cette
mission toute précaire et toujours révocable, confiée aux
agents, n'implique aucune aliénation ou transmission de
pouvoir » (Cass., 4 mai 1920, R. A., 1920, 390). « Le Roi peut
se décharger sur ses ministres du soin de prendre certaines
mesurcs d'exécution d'une réglementation qu'il a lui-même
établie », sans déléguer Ic pouvoir d'établir des règles nou-
velles (Cass., 3 mai 1921, R. A., 1921, 462 et 1922, 38). Notre
Droit « ne s'oppose pas à des subdélégations partielles et
secondaires concernant des mesures secondaires ou complé-
mentaires » (Brux., 20 sept. 1930, R. A., 1931, 149 et 241
avec obs.; B. J., 1931, 15 avec conclusions Louveaux; -
voy. aussi C. E., 8 juill. 1952, R. J. D. A., 1953, 47, Roels :
pas de délégation en matière d'expulsion d'étrangers et
C. E., 6 mars 1953, R. J. D. A., 1953, 200, Pirotte admettant
la délégation dans des « affaires dont Ie nombre et la com-
plexité excluaient vraiscmblablement toute autre solution»).
Tous ces arrêtés visent une déconcentration dans Ie cadre
de l'Etat. Mais il en est de même pour les autres personnes
publiques. Nous citerons un arrêt de la Cour de cassation
du 26 j anvier 1903 (Pas., 1903, I, 95). « Si l'article 78 de
la loi du 30 mars 1836 attribue au conseil communal seul
Ic droit de faire des ordonnances de police, aucun texte de
loi nc s'opposc à ce que, par son ordonnance, Ie conseil
délègue au collège échevinal, Ie soin de compléter certaines
parties accessoires de son reuvre ».
Un autre tempérament à l'interdiction de la délégation
est fourni par la force majeure. La règle de la continuité
du service public justifie la délégation quand Ie fonction-
naire compétent est dans l'impossibilité d'agir (Cass.,
8 janv. 1952, J. T., 1952, 33.1; - adde Cass., 10 janv. 1950,
Pas., 1950, I, 302).
Conclusions : Partant de cettc j urisprudence, on pourrait
énoncer dans les termes suivants les conditions moyennant
lesquelles une déconcentration, non prévue par Ie pouvoir
organisateur, peut cependant être réalisée.
Tout d'abord la délégation ne peut avoir pour objet !'en-
semble du pouvoir accor<lé à l'autorité supérieure; elle ne

N° 100
SECTION I. - LA COMPÉTENCE 77

peut porter que sur des mesures « d'ordre secondaire ou


complémentaire ». (Voyez conclusions avocat général Lou-
veaux, <levant Bruxelles, 20 sept. 1930, B. J., 1931, 15). S'iJ
s'agit de réglementation, les règles accessoires seules peu-
vent être données par l'autorité inférieure (Cass., 3 mai
1921 et Cass., 21 janv. 1903 précités; - adde Bruxelles,
29 mars 1894, Pas., 1894, Il, 311; - comp. Brux., 28 févr.
1894, Pas., 1894, Il, 184). Quand c'est un autre acte admi-
nistratif, on tiendra également compte de son importance.
Par exemple Ie pouvoir de nomination qui, en principe, ne
comporte pas de délégation (Cass., 23 mars 1903, R. A., 1903,
448), peut être délégué quand il faut nommer des agents
subalternes. « L'adoption d'une école privée n'est pas une
de ces mesures insignifiantes et de pure administration
intérieure <lont les règlements puissent être abandonnés au
caprice d'un ministre». (Concl. Mesdach de Ter Kiele, <le-
vant Cass., 6 févr. 1891). La Cour de cassation a donc jus-
tement refusé d'admettre la légalité d'une délégation en
cette matière. Mais la fixation du quantum d'une garantie
à exiger de certains contribuables a bien moins d'impor-
tance et peut être déléguée (Brux., 29 mars 1894, précité).
Ensuite l'autorité supérieure ne doit pas se dépouiller
complètement. Elle garde dans certaines limites Ie pouvoir
de réformer les décisions des agents délégués. C'est auto-
matique lorsque la déconcentration a pour objet les dispo-
sitions accessoires d'une réglementation. En conservant Ie
pouvoir de modifier les cadres généraux de cette régle-
mentation, l'autorité supérieure peut, par voie de consé-
quence, remplacer les règles complémentaires prises par
ses délégués. Parfois même se réservera-t-elle expressé-
ment ce droit (L., 4 août 1914, A. R., 6 oct. 1914; - Cass.,
4 mai 1920, R. A., 1920, 390), la réglementation de !'agent
inférieur n'entrant en vigueur qu'après son approbation
expresse ou tacite.
Pour les autres actes administratifs qui ne sont pas de
nature réglementaire, l'autorité supérieure n'est pas dé-
munie puisqu'elle conserve sur les agents déconcentrés son
pouvoir d'instruction et dans certains cas son pouvoir
hiérarchique. Elle peut en effet donner des ordres avant
l'accomplissement de l'acte et dans certains cas se réserve
le pouvoir de Ie réformer après coup (n° 115).
78 CHAPITRE III. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

f. - Difficulté d'ordre constitutionnel.


101. Reste à résoudre une dernière difficulté qui est
d'ordre constitutionnel. Le premier pouvoir organisateur
est évi<lemment le constituant. Les autres pouvoirs organi-
sateurs, le Législatif et l'Exécutif (n° 59) ne peuvent pas
houleverser l'économie générale de la loi fondamentale.
Dès lors on peut se demander si toutes les attributions et
délégations de compétence que nous venons d'analyser et
de justifier, sont bien autorisées par la Constitution.
1° L'Etat: La Constitution est précise : elle donne direc-
tement au Roi la compétence de faire des règlements et
arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois (art. 67) et de
nommer « aux emplois d'administration générale et de
relation extérieure » (art. 66). N'exclut-elle pas implicite-
ment toute délégation, toute déconcentration en ces ma-
lières ? N'y a-t-il pas violation de la Constitution lorsque Ie
Roi délègue à des agents subordonnés la responsabilité de
l'exécution des lois ou lorsque la loi confie directement
l'exécution à ces agents ?
Certes, parmi les pouvoirs royaux il faut distinguer les
« propres du Roi ». Il s'agit de ceux qui doivent être néces-
sairement exercés par lui-même, sans aucune possibilité de
délégation. Tel est par exemple Ie pouvoir de sanctionner
et promulguer les lois ou de faire gràce.
Mais en est-il ainsi pour tout ce qui concerne l'organi-
sation administrative de l'Etat? Faut-il donner cette portée
aux articles 66 et 67? Notre Droit public, tel qu'il est précisé
par une pratique séculaire, justifie une réponse négative.
Il a toujours paru très naturel d'une part que Ie légis-
lateur confie directement l'exécution d'une loi à un minis-
tre, à une autre autorité subordonnée. Cela n'a pas été jugé
une violation de l'article 67. Par conséquent, il paraît na-
turel d'admettre aussi la constitutionnalité de la déconcen-
tration décidée par Ie Roi lui-même.
La question constitutionnelle a été surtout agitéc à pro-
pos des lois de pouvoirs spéciaux qui juridiquement abou-
tissent à donner à un gouvernement une partie de la com-
pétence législative. Sous eet aspect spécial, elkconcerne
Ie Droit public et non Ie Droit administratif. De plus, il ne
s'agit pas de déconcentration, c'est-à-dire de délégation à
un agent subordonné, mais de transfert de compétence à
un autre organe souverain.
SECT. II. - COORDINATION DES AUTORITÉS COl't1PÉTENTES 79

2" Provinces et communes : Le Roi ne peut déléguer dé-


finitivement, même si c'est en partie, Ie pouvoir de tutelle
qu'il tient de l'article 108-5° (avis C. E., Doe. Sénat, 1961-62,
R. A., 1961, 78). One délégation est possible si Ie Roi con-
serve Ie pouvoir d'intervenir soit conjointement, soit en
seconde instance.

SECTION II

COORDINATION DES AUTORITES COMPETENTES

102. Les règles d'organisation étudiées jusqu'à présent


sont en quelque sorte centrifuges : en effet, la compétence
à l'intérieur d'une même personne publique est répartie
entre de multiples agents; ceci peut aller jusqu'à la dé-
concentration. Par ailleurs, la décentralisation, en multi-
pliant les personnes publiques, aggrave Ie morcellement.
Il est intéressant de remarquer que souvent, la loi ne va
pas jusqu'au bout de la déconcentration ou de la décentra-
lisation; elle laisse en réalité la compétence à l'autorité
centrale. Tel est Ie résultat de certaines techniques qui ne
donnent pas Ie pouvoir de décision mais seulement une
influence à l'autorité subordonnée. Par exemple, celle-ci
a un droit d'avis; quand on exige l'avis conforme cela veut
<lire que l'autorité supérieure peut ne pas prendre la déci-
sion, mais si elle s'y décide, ne peut s'écarter de l'avis.
Même procédure dans Ie domaine des nominations lorsque
Ie choix de l'autorité centrale est limité par des présenta-
tions. Même technique encore pour les décisions qui sont
apparemment prises par l'autorité subordonnée mais doi-
vent être rendues exécutoires par celle qui lui est supé-
rieure (n° 102). Si même il y a réellement déconcentration
ou décentralisation, l'autorité supérieure dans des cas ex-
ceptionnels garde la possibilité de prendre elle-même la
décision, soit en évoquant !'affaire, c'est-à-dire en enlevant
le dossier des mains de !'agent inférieur avant qu'il ait pris
la décision (n° 209) soit en se réservant la possibilité de
réformer cette décision. On voit que la souplesse des tech-
niques est considérable.
Dans cette section nous examinons Ie cas ou la compé-
tence est réellement morcelée par une déconcentration ou

N 08 101 à 102
80 CHAPITRE III, - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

une décentralisation qui donne effectivement Ie pouvoir de


décision à un agent inférieur. Cette répartition peut être
dangereuse. Le bien public est indivisible. Certes, les inté-
rêts généraux à satisfaire sont variés. Mais ils se compé-
nètrent et sont hiérarchisés. Par exemple, l'organisation
d'un service de transport ne peut mettre en péril la défense
nationale.
Voilà pourquoi, à cöté de la décentralisation et de la dé-
concentration, un second principe d'organisation vise au
regroupement du pouvoir au profit des autorités supérieu-
res. Nous étudierons successivement les cinq procédés par
lesquels celles-ci maintiennent la cohésion de toutes les acti-
vités publiques. Il s'agit des pouvoirs d'organisation, d'in-
struction, de discipline, de hiérarchie et de tutelle.
Les chefs de service doivent en effet donner d'abord à
leurs agents des attributions définies et organiser leur tra-
vail en équipe. Ils dirigent ensuite leur tàche par des
instructions qui sont au besoin sanctionnées par des me-
sures disciplinaires. Enfin, ils interviennent directement
dans l'accomplissement des actes qui engagent l' Adminis-
tration par l'exercice des pouvoirs hiérarchique et de
tutelle.

A. Pouvom n'oRGANISATION

1. Notion.

103. Déf inition : C'est Ie pouvoir de prec1ser, dans Ie


cadre fixé par la loi et les statuts, la structure et les con-
ditions d'activité de la personne publique, pour assurer Ie
bon fonctionnement des services publics qui lui sont con-
fiés. Tous les agents d'une personne publique constituent
une équipe qui s'étage en pyramide et travaille en colla-
boration. Il est donc nécessaire que les organes statutaires
de cette personne publique agencent les différents services
qui la constituent et, dans ce cadre, donnent à chacun sa
place et ses attributions. Exercent Ie pouvoir d'organisation
les autorités supérieures qui nomment un agent, lui don-
nent une affectation, opèrent un détaehement -ott un-dépla-
cement. Elles utilisent Ie même pouvoir en fixant les con-
ditions de travail, les procédures administratives à suivre.
Actes: Le pouvoir comporte aussi bien des actes indi-
viduels (affectation) que réglementaires (statut du per-

N 08 102 à 103
SECT. II. - COORDINATION DES AUTORITÉS COI\IPÉTENTES 81

sonnel), aussi bien des actes juridiques (répartition de


compétences) que matériels (aménagement des locaux).

2. Qui I'exerce ?
104. Le pouvoir d'organisation est exercé, dans Ie cadre
statutaire de la personne publique, par Ie chef de service.
L'Etat: Ce sont les ministres qui sont les chefs des dépar-
tements. En principe, leur autorité est discrétionnaire; elle
est cependant limitée par des lois et règlements de plus en
plus nombreux. Pour la création et la su.ppression d'em-
plois, la fixation des cadres organiques, Ie barème des
traitemcnts, intervicnnent Ie service d'administration géné-
rale, l'inspection des finances et Ie Comité du budget. Tou-
tes les propositions entraînant des dépenses doivent être
soumises à de nombreux controles préalables.
Provinces et communes : Le pouvoir organisateur est
exercé par les conseils (L. P., art. 65, 85; - L. C., art. 75,
84 et 85) ou l'organe exécutif (gouverneur : L. P., art. 126;
- bourgmestre : L. C., art. 90, 11 ° et 12°; - art. 93).
Personnes publiques parastatales : Les autorités diri-
geantes organisent leurs services dans Ie cadre des lois et
des statuts .
3. Sur qui?

105. Dans Ze cadre de la même personne publique : Le


pouvoir d'organisation s'exerce sur tous les agents de la
personne publique puisque chaque personne doit avoir une
place déterminée dans l'équipe.
Extension : Exceptionnellement, dans les cas cxpressé-
ment prévus par la loi (n° 54), les autorités d'une personne
publique interviennent dans l'organisation d'une autre per-
sonne publique. Notamment les pouvoirs centraux se réser-
vent certaines nominations (par exemple, Ie hourgmestre,
Ie commissaire de police : L.C., art. 125) ou la fixation de
certains éléments du statut ou du barème du personnel
(n° 163; loi du 16 février 1954 pour les établissements para-
stataux). Ces prérogatives ne font pas partie du pouvoir de
tutelle <lont elles se distinguent par deux caractéristiques
principales. D'abord l'autorité supérieure a l'initiative, ce
qui peut exclure toute autonomie de la personne publiquc
subordonnée; ensuite et corrélativement, elle ne se horne

N08 103 à 105


82 CHAPITRE III, - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

pas à défendre la légalité et l'intérêt général mais prend


en considération l'avantage et les préférences de la collec-
tivité subordonnée (n° 122). La nomination du bourgmestre
est un exemple frappant.

4. Portée juridique et droits subjectifs.

106. En principe les décisions d'organisation sont des


mesures « d'ordre intérieur » prises dans l'intérêt exclusif
du service; Ie pouvoir organisateur les prend, les modifie
et les rapporte discrétionnairement (n° 504). Mais elles
peuvent aussi être conçues pour garantir certains intérêts
privés des fonctionnaires ou des administrés; ceux-ci peu-
vent avoir dans ce cas des droits subjectifs. Par exemple,
les règles du statut du personnel et du barème des traite-
ments fondent de pareils droits pour les agents, mais non
les décisions fixant les attributions (affectation, détache-
ment, déplacement) etc. (n° 273). Pour les fournitures et les
marchés, les tiers ne peuvent invoquer des mesures internes
(crédit budgétaire, visa du ministre des Finances) mais
bien les formalités protectrices de l'adjudication publique
(n° 359). Il faut aussi rappeler la réserve générale : comme
tous les actes administratifs, ceux-ci ne sont réguliers que
s'ils respectent les principes de légalité et de finalité (n° 69
et 70). Un acte d'aff ectation sera annulable s'il est contraire
à la loi; un déplacement sera irrégulier s'il masque une
mesure disciplinaire (n° 275).

B. Pouvorn o'INsTRUCTION

1. Notion.

107. Définition : C'est Ie pouvoir d'éclairer et de guider


les agents subordonnés.
Actes : Les instructions peuvent avoir pour objet soit un
acte juridique soit une attitude, la rectification de certains
agissements sans portée juridique. Tantöt ce sont des dé-
pêches individuelles dictant à tel agent une_eonduife déter-
minée dans un cas particulier; tantöt ce sont des circu-
laires donnant des directives générales.
Distinction : Les instructions doivent être distinguées des
ordres, des injonctions impératives qui sont l'objet du pou-

N05 105 à 107


SECT. II. - - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES 83

voir hiérarchique. En effet, elles n'imposent des obligations


juridiques ni à !'agent lui-même ni aux tiers; ce ne sont
que des actes préparatoires. Notamment une circulaire qui
donne des directives générales ne doit pas être confondue
avec un règlement qui a pour objet la formulation des
normes obligatoires s'imposant aux agents à l'égal de la loi
(Cass., 18 oct. 1951, Pas., 1952, I, 61; Epoux Cuelemans c/
les Hospices de Bruxelles; - C. E., 5 déc. 1950, R. J D. A.,
1951, 100, Velghe).
Parmi les instructions, on distinguera les nombreux avis
qui sont requis entre autorités supérieures et subordonnées
pour l'exercice de la tutelle. C'est plutöt à ce dernier pou-
voir que se rattache alors la procédure (n° 126).

2. Qui l'exerce?

108. Toute autorité supérieure possède ce pouvoir;


même si elle n'a pas la compétence de faire des règlements,
elle peut envoyer des circulaires.

3. Sur qui?

109. Le pouvoir d'instruction est exercé sur tout agent


subordonné, même déconcentré, même clécentralisé; les
circulaires ou dépêches ministérielles sont adressées aux
agents du département ainsi qu'aux provinces, au commu-
nes, aux services parastataux.
Certains agents exerçent une activité intellectuelle qui
n'est f éconde que si elle est libre; ils ne sont pas soumis à
ce pouvoir d'instruction. Telle est la situation des profes-
seurs d'université, des juges administratifs, des médecins
dans les höpitaux. Encore la réserve doit-elle être limitati-
vement entendue. Un professeur ne recevra pas d'instruc-
tions sur les opinions qu'il professe mais des dépêches peu-
vent prescrire la manière d'établir les horaires, de signer
dans un registre de présence, etc.

4. Portée juridique et droits subjectifs.

110. Les instructions n'ont pas de force obligatoire. L'acte


d'une autorité subordonnée contrevenant à une circulaire
ou à une dépêche engage l' Administration.
Cependant, des instructions qui ne lient pas juridique-

N 08 107 à 110
84 CHAPITRE III. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

ment l'agent exercent sur lui une pression morale. En effet.


Ie subordonné qui y contrevient s'expose aux rigueurs du
pouvoir disciplinaire. ·
Simples actes préparatoires, les instructions ne fondent
pas des droits subjectifs pour les tiers. La légalité d'une
circulaire ne pourrait donner lieu à l'application de l'ar-
ticle 107 de la Constitution : « une circulaire ministérielle
ne peut avoir de force obligatoire par elle-même; elle ne
fait que refléter !'opinion du ministre dans les limites des
t lois en vigueur » (Trib. Brux., 18 janv. 1928, R. A., 1928,
454). Par ailleurs, les instructions ne peuvent pas fonder
un recours en annulation (C. E., 29 juill. 1949, R. J. D. A.,
1949, 170, \Villemart, n° 451 et s.). Mais il ne faut pas se
laisser prendre aux mots. Une circulaire peut être plus
qu'une simple information et contenir une véritable mesure
administrative exécutoire, être matériellement sinon for-
mellement un règlement. Ainsi est recevable Ie recours en
annulation contre une note de service modifiant les con-
ditions d'accès à certains emplois (C. E., 8 juill. 1949,
R. J. D. A., 1949, 155, Santé; - C. E., 2 juin 1950, R. J. D. A.,
1950, 211, Joset).

C. PouVOIR DISCIPLINAIRE

1. Notion.
111. Définition : C'est Ie pouvoir de réprimer à poste-
riori les fautes de service des agents subordonnés, fautes
que Ie pouvoir d'instruction avait pour hut de prévenir.
Actes : Les devoirs des agents concernent non seulement
l'exercice convenable de leurs fonctions mais s'étendent à
leur vie privée. Par celle-ci, ils ne peuvent compromettre
Ie prestige de l'Administration ou la confiance que celle-ci
doit avoir en ses fonctionnaires (n° 262). Le pouvoir disci-
plinaire pourrait sanctionner de pareilles fautes de la vie
privée dans ses rapports avec la fonction (C. E., 12 juill.
1952, R.J. D.A., 1953, 56, Bogaert et Debunne, note Crabbe).
Distinction : A la différence de la répressi-on -pénale, il
tend, non pas au chatiment et à !'amendement du coupable
mais au bon fonctionnement du service public, non pas à
la répression d'une infraction mais à celle d'une faute de
service. La même faute peut être sanctionnée disciplinaire-

N 08 110 à 111
SECT. II. - COORDINATION DES MJTORITÉS COMPÉTENTES 85

ment et pénalement sans qu'on puisse objecter Ie principe:


non bis in idem (Trib. 9 j uill. 1941, R. A., 1944, 72). Mais
on évitera de donner deux sanctions disciplinaires succes-
sives (A. R., 19 janv. 1939, R. A., 1939, 178). En vertu de la
même règle, l'acquittement prononcé par une juridiction
criminelle ou correctionnelle n'empêche pas une sanction
disciplinaire de la faute de service qui subsiste (A. R.,
21 févr. 1939, R. A., 1939, 236).
On peut hésiter sur la nature de certaines mesures admi-
nistratives ressenties comme une sanction par les inté-
ressés. Le blame dépend de l'exercice de pouvoir d'instruc-
tion qui comporte normalement l'éloge comme la critique
à moins qu'un statut réglementaire n'en fasse une peine
disciplinaire (C. E., 21 oct. 1960, R. J. D. A., 1961, 41, Peeters
et Bruggemans). Sauf détournement de pouvoir, Ie retrait
d'un acte irrégulier de nomination n'ayant pas encore un
caractère définitif n'est pas une sanction disciplinaire.

2. Qui l'exerce?

112. L'autorité qui a organisé la personne publique indi-


que les agents qui sont investis de ce pouvoir. Celui-ci est
donc exercé par des autorités administratives et non pas
par des juges, comme en matière de répression. Sauf dis-
position en sens contraire, Ie pouvoir de nomination im-
plique celui de révocation et celui de discipline.

3. Sur qui?
113. Dans le cadre de la même personne publique : Tous
les agents sont soumis à une autorité disciplinaire. Seuls
les ministres, chefs de la hiérarchie, y échappent, mais ils
sont politiquement responsables envers Ie Parlement.
Extension : Exceptionnellement, Ie pouvoir disciplinaire
est exercé par Ie pouvoir central sur les agents et personnes
publiques subordonnées (L.C., art. 111 et 123; - L.,
3 juill. 1903; - L., 24 déc. 1953, art. 5.
Le personnel des personnes publiques déccntralisées est
disciplinairement soumis aux organes directeurs de ces
institutions. Mais quelle est la situation des organes direc-
teurs eux-mêmes ? Faut-il les comparer à ce point de vue
à des ministres ? Echappent-ils à tout controle discipli-
naire ? Le respect de !'autonomie des établissements para-

N 08 111 à 113
86 CHAPITRE 111, - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

stataux justifierait cette immunité tandis que la nécessité


de maintenir une certaine unité dans l'Etat fait souhaiter
que la loi organisatrice de ces personnes publiques fixe Ie
principe et les limites d'un pouvoir disciplinaire en faveur
des autorités centrales.
Le pouvoir disciplinaire ne peut être exercé sur des per-
sonnes qui ne font pas partie de l' Administration, par
exemple sur des agents démissionnaires (A. R., 29 juill.
1937, et 31 juill. 1938, R. A., 1939, 235; cf. aussi n° 280).
Un entrepreneur qui n'est pas inscrit sur la liste des
entreprises agréées pour les travaux publics ou qui en est
exclu parce qu'il ne remplit plus les conditions générales
(garanties financières, juridiques et techniques) ne subit
pas une peine. Il en est de même pour celui dont l'agréation
est retirée pour faute grave ou pour Ie pharmucien agréé
qui à titre de sanction, n'obtient pas Ie remboursement des
médicaments fournis aux assurés sociaux (n° 80). Sur ces
tiers, l' Administration n'a pas Ie pouvoir disciplinaire.

4. Portée juridique et droits subjectifs.

ll4. Une procédure peut être organisée par l'autorité


administrative elle-même (statut des agents de l'Etat) ou
par la loi (L., 30 juill. 1903 pour les agents communanx).
C'est uniquement en s'appuyant snr ce texte que les trihu-
naux contrölent, sur Ie pied de l'article 107 de la Consti-
lution, la légalité - mais non l'opportunité - des mesures
disciplinaires. Ils ont même dans un cas qui a fait sensation
accordé des dommages-intérêts (n° 444). A défaut de dis-
positions légales, ils refusent de censnrer l'exercice de ce
pouvoir : Ie chef de service est seul juge de la discipline
(Liège, 22 juin 1933, .B J., 1934, 502; - ville de Spa c./ L. .. ,
Cass., 12 nov. 1936, Pas., 1936, I, 418, Pelegrin c./ Colonie
du Congo beige). C'est la grande différence avec la répres-
sion pénale (Cons., n° 505).
De son cöté, Ie Conseil d'Etat annule toute décision enta-
chée d'excès ou de détournement de pouvoir. Même à défaut
de texte._ il invoque les_principes ~énéraux du d-Foit, impose
Ie respect de certaines règles générales: Il n'y a pas de sanc-
tion sans texte; les droits de la défense doivent être res-
pectés, notamment l'intéressé doit avoir la possibilité de se
justifier (C. E., 20 mai 1954, D et B 1954, 478, Créteur) et

N 08 ll3 à ll4
SECT. II. - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES 87

celle de préparer sa défense en consultant les dossiers et


en jouissant des délais nécessaires (C. E., 18 mars 1955
D et B, 1955, 273, Mombach); les décisions doivent être
motivées (rr 467).
0

Une mesure disciplinaire définitive peut-elle être retirée


ou révisée - à défaut de texte légal ? Il semble que oui
puisqu'elle ne constitue pas un droit acquis mais au con-
traire une charge pour !'agent (n° 205).
D'une manière plus générale, les agents obtiennent des
droits subjectifs dans la mesure ou la compétence de
l'Administration est liée.

D. Pouvorn HIÉRARCHIQUE

1. Notion.

ll5. Définition: C'est Ie pouvoir de formuler des injonc-


tions ou des défenses et aussi de suspendre, annuler ou
réformer les actes juridiques des agents subordonnés.
Le pouvoir hiérarchique comporte :
a) Ie pouvoir d'injonction impérative (à distinguer du
pouvoir d'instruction ou de conseil). Les supérieurs
donnent l'ordre d'agir, de prendre telle décision ou de
s'en abstenir;
b) Ie pouvoir d'annuler la décision de !'agent inférieur;
c) Ie. pouvoir de réformation. Le supérieur non seulement
annule la décision mais lui en suhstitue une autre;
d) Ie pouvoir d'évocation. Plutöt que d'annuler ou de
réformer l'acte de son subordonné, Ie chef se saisit rle
!'affaire et prend l'initiative de la décision.
Actes : Les ordres ou défenses peuvent avoir pour objet
des prestations matérielles aussi bien que des actes juri-
diques. Ce sont ces derniers seuls qui peuvent être annulés
ou réformés.
Distinction : L'injonction obligatoire se distingue de l'in-
struction. Par ailleurs, Ie pouvoir hiérarchique ne peut être
confondu avec Ie pouvoir juridictionnel (n° 461). A la
différence d'un juge, Ie supérieur hiérarchique prend en
considération, non seulement les raisons de légalité, mais
aussi les motifs d'opportunité. Saisi d'une réclamation, il
lui est loisible en principe (n° 521) de rester passif sans
qu'on puisse lui reprocher un déni de justice. La procédure

N 08 ll4 à ll5
88 CHAPITRE III. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

n'est pas fixée et les droits de la défense ne sont pas ga-


rantis. La décision attaquée peut être non seulement annu-
lée mais réformée. La décision de l'autorité supérieure n'a
pas l'autorité de la chose jugée, peut être rapportée ou
faire l'objet d'un recours juridictionnel.
Pouuoir hiérarchique et déconcentration : Comment se
concilie la déconcentration de compétence (n° 96) <lont
bénéficient par hypothèse les agents subordonnés qui peu-
vent accomplir des actes juridiques et Ie pouvoir hiérar-
chique ? Le chef de service garde sur ces agents Ie pouvoir
de surveillance et de discipline; il est compétent pour leur
donner des instructions et sanctionner leur inobservation.
1° Peut-il aussi annuler ou réformer la décision ?
En principe la réponse est affirmative. L'autorité supé-
rieure pent non seulement influer par son action préalable
sur la décision à prendre, mais elle peut aussi l'annuler ou
la réformer, une fois qu'elle est prise.
Mais une réserve limite la règle.
L'annulation et la réformation ne peuvent s'exercer que
sur les actes administratifs qui n'ont pas créé de droits en
faveur des tiers. Par exemple, une nomination ou une con-
vention régulièrement faite par l'agent compétent ne peut
être annulée par son supérieur. Mais celui-ci peut rappor-
ter un règlement ou une <lécision individuelle n'accordant
pas de droit, en respectant éventuellement les formes pré-
vues. Sa décision n'a pas d'effet rétroactif. Elle modifie
l'acte à <later du jour ou elle est prise (cf. Ie retrait n° 205).
Tel est Ie principe général. La loi peut en décider autre-
ment. Par exemple, l'arrêté royal du 30 novembre 1939
dispose que les décisions des gouverneurs et autres agents,
prises en matière d'intérêt provincial, local ou particulier
ne sont définitives que si dans Ie délai d'un mois de leur
notification, elle ne font pas l'objet d'un recours au Roi
ou n'ont pas été évoquées d'office par Ie Roi. Ce délai sus-
pensif affecte tous les actes, même ccux qui accordent des
droits aux tiers. Pour déterminer la date à partir de la-
quelle la nouvelle décision sort ses effets, on rapprochera
cette situation de la réf_ormatio_n e11 m_atièr~ de tutelle.
2° L'autorité supérieure peut-elle empêcher l'agent de
prendre librement la décision soit en lui enjoignant de
statuer dans un sens déterminé, soit en évoquant !'affaire
pour la trailer elle-même ?

N° 115
SECT. Jl. - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES 89

lei la réponse de principe est négative. Pareilles procé-


dures sont contradictoires avec l'idée même de déconcen-
tration. Il y a empiètement de pouvoir (n° 92).
L'autorité organisatrice du service public a prévu qu'une
même affaire serait examinée à différents échelons de la
hiérarchie. C'est la garantie d'un examen complet de cha-
que dossier, garantie que Ie procédé de la substitution
aboutit à supprimer.
Mais exceptionnellement, un texte exprès peut prévoir
l'injonction impérative ou l'évocation.

2. Qui l'exerce?

116. Tout supérieur a l'autorité hiérarchique. Mais il


doit respecter les échelons sous peine d'ébranler Ie prin-
cipe d'autorité.

3. Sur qui?

117. Dans Ie cadre de la même personne publique, Ie


pouvoir hiérarchique s'exerce sur les agents centralisés.
Tous ont un chef hiérarchique, à l'exception des ministres
qui sont au sommet de la pyramide. La réserve faite, à
propos du pouvoir d'instruction, en faveur de certains
agents - professeurs, médecins, juges administratifs -
remplissant des fonctions requérant une grande indépen-
dance, s'applique à fortiori au pouvoir hiérarchique.
Extension : Le pouvoir hiérarchique ne s'étend pas aux
agents des autres personnes publiques (sauf les adminis-
trations personnalisées) car il serait contradictoire avec
!'autonomie qu'a voulu réaliser la décentralisation (n° 56).
Toutefois, il peut y avoir dédoublement fonctionnel (n° 54).
Un gouverneur qui est l'organe de sa province est aussi un
agent de l'autorité centrale et comme tel soumis à ses
ordres.
Le ministre exerce-t-il Ie pouvoir hiérarchique sur les
personnes qui représentent sou département dans les con-
seils délibérants ? La réponse est négative quand deux con-
ditions sont réunies; il faut d'abord que Ie conseil soit un
organe qui exerce une fonction propre soit de décision soit
d'avis; dans ce cas Ie représentant n'est pas !'agent du
ministre mais le membre d'un organe collectif. Il faut en-
suite que l'agent concoure à la décision; à un commissaire

N 08 115 à 117
90 CHAPITRE III, - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

du gouvernement qui Ie représente sans voix délibérative,


Ie Ministre peut donner des instructions impératives.

4. Portée juridique et droits subjectifs.

ll8. Les injonctions et défenses sont obligatoires pour


les agents subordonnés. Ainsi se présente un conflit diffi-
cile : les agents sont soumis à la légalité; par ailleurs, ils
doivent suivre les instructions de leurs supérieurs hiérar-
chiques. Quelle <loit être leur attitude lorsque ces instruc-
tions sont illégales? On n'admettra pas facilement que <les
inférieurs puissent discuter la régularité des ordres qu'ils
reçoivent. D'une part, ils ne connaissent pas tout Ie dossier
et notamment les étu<les faites par l'autorité supérieure et,
d'autre part, leur résistance risque d'énerver l'action admi-
nistrative. On se montrera plus sévère pour les militaires
que pour les fonctionnaires civils. A l'armée, l'obéissance
doit être passive. Un agent ne peut donc faire état de sim-
pies scrupules, de doutes. Ccpendant, si l'illégalité de l'in-
struction est flagrante et porte sur une matièrc grave,
!'agent ne peut pas exécuter l'ordre. Si l'affaire est pénale,
il risquerait d'être poursuivi comme complice (C. P.,
art. 152 et 260; - Cass., 19 févr. 1857, Pas., 1857, I, 164,
Le Breux c./ Delandsheer; - adde L., 20 juin 1947).
Quant aux tiers, deux questions se posent.
D'abord, peuvent-ils s'opposer à l'annulation ou à la
réformation par l'autorité supérieure, d'une décision prise
en leur faveur? On a déjà dit que la réponse est affirma-
tive s'ils ont un <lroit acquis sauf loi en sens contraire.
lnversement, les tiers sont-ils autorisés à demander au
supérieur hiérarchique de modifier une décision <lont ils
se plaignent? Toujours, ils peuvent adresser une requête;
c'est ce qu'on appelle un recours gracieux. Dans certains
cas, la procédure est légalement prévue et organisée. C'est
Ie recours hiérarchique proprement dit. Si l'autorité supé-
rieure est tenue légalement de pren<lre position, la théorie
dite du recours parallèle oblige d'y recourir avant toute
demande en annulation par Ie Conseil d'Etat (n° 507).
Un recours administratif imposant l'obligation de statuer
sur la réclamation implique pour l'autorité l'obligation de
motiver son rejet pour permettre au Conseil d'Etat d'appré-
cier la régularité de la décision attaquée. (Voyez en matière

N"" 117 à 118


SECT. II. - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES 91

d'urbanisation, C. E., 1 er févr. 1961, R. J. D. A., 1961, 150,


,Conseil de Fabrique N. D. De Montaigu.)
Tout ceci doit s'éclairer par quelques exemples. Un règle-
ment est établi par une autorité inférieure; Ie supérieur
hiérarchique peut Ie rapporter puisque, de soi, Ie règle-
ment ne crée pas de droits. Il en est de même pour des
décisions individuelles : l'affectation d'un agent dépend de
l'Administration, sans que Ie fonctionnaire puisse s'y oppo-
ser; dès lors l'affcctation donnée à un agent par sou chef
direct peut être modifiée par l'autorité supérieure.
Prenons maintenant Ie cas 011 la décision a créé un droit.
Une autorisation, une licence est refusée; un blàme est in-
fligé par l'autorité administrative compétente. Même à
défaut de texte, l'intéressé peut demander l'audience du
Ministre : c'est Ie rccours gracieux. Il dispose parfois d'un
recours organisé par la loi. Malgré la terminologie, de nom-
breuses « commissions d'appel » ne connaissent pa<, d'un
recours j uridictionnel, mais d'un recours hiérarchique
légal : licence de transports routiers, procédure en change-
ment de nom, expulsion d'un étranger, etc. La loi ou l'ar-
rêté qui accorde Ie recours en précise la portée : annnla-
tion, réformation, etc.
Malgré son caractère discrétionnaire, Ie pouvoir hiérar-
chique constitue, dans de très nombreux cas, la seule pro-
tection des administrés. Il ne faut pas sous-estimer l'impor-
tance de la garantie ainsi accordée au particulier. Dans un
pays policé, l'Administration a Ie souci du bien public et
est prête à examiner objectivement les critiques que sou-
lève la légalité ou l'opportunité de ses actes. Néanmoins,
cette force du recours, si utile soit-elle, est insuffisante pour
remplacer la garantie que constitue pour les administrés
un véritahle controle juridictionnel.

E. PouvoIR TUTÉLAIRE

l. Notion.
119. Définition : Ce sont les pouvoirs limités et généra-
lement de simple controle que les autorités supérieures
excrcent sur les organes des pcrsonnes publiques décen-
tralisées pour surveiller la légalité de leur activité et faire
respecter l'intérêt général. (Pour une étude fouillée : Dem-
bour, Les actes de la tutelle administrative en droit beige).

N 08 ll8 à ll9
92 CHAPITRE 111, - CO.~PÉTENCE ET POUVOIRS

En principe les personnes publiques décentralisées jouis-


sent de !'autonomie; c'est l'avantage essentie! de la décen-
tralisation. On ne peut donc sans contradiction les sou-
mettre au pouvoir hiérarchique d'une autorité supérieure.
D'autre part, ces personnes publiques décentralisées ne
sont pas indépendantes mais subordonnées. Il faut que les
autorités supérieures veillent à la légalité de leurs activités
et protègent l'intérêt général; d'ou l'organisation d'un pou-
voir de tutelle limité dans son étendue et dans son action.
Dans son étendue : il ne s'exerce que dans les cas et
selon les procédures limitativement fixés par la loi.
Dans son action ensuite : l'initiative et la responsabilité
restent chez les organes des personnes publiques décentra-
lisées; l'autorité centrale ne peut se substituer à eux. Elle
est seulement compétente pour censurer leurs actes. On
cite toutefois quelques exceptions. Dans Ie cas de réforma-
tion sur recours ou de tutelle coercitive, l'autorité centrale
impose sa volonté : !'autonomie n'existe plus.
Echappent à la tutelle :
1° Les actes matériels dont la réalité toute concrète ne
peut être effacée par une simple opération juridique.
2° Les actes juridictionnels parce qu'ils sont accomplis
par un juge, par hypothèse indépendant (n° 466) et parce
qu'ils ont l'autorité de la chose jugée; ces actes ne peuvent
être attaqués que par les voics juridictionnelles. Il en est
de même pour les actes des agents administratifs agissant
comme auxiliaires de la justice, par exemple Ie bourgmestre
faisant office de ministère public près les tribunaux de
simple police (C. E., 22 mai 19,53, R. .J. D. A., 1953, 256,
Celiou).
3° Les contrats, puree que l'autorité de tutelle n'a de
pouvoir que sur une des deux parties et parce que Ie tiers
a des droits acquis. Les actes administratifs « détachables »
accomplis par l' Administration en vue de la conclusion de
contrats sont sujets à tutelle (C. E., 9 avril 1954, D et B,
1954, 355, C.A. P. Mons).
Distinction : II ne faut pas confondre la tutelle adminis-
trative et celle qui est organisée par Ie Droit civil. Celle-ci
est prévue pour protéger l'incapable-t c-elle-là- n'est pas
conçue pour protéger Ie pouvoir subordonné mais à l'avan-
tage de la collectivité supérieure; il s'agit d'assurer Ie res-
pect par tous de la légalité ainsi que l'unité de la politique
générale.

N° 119
SECT. Jl. - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES 93

Comme Ie pouvoir hiérarchique et pour les mêmes rai-


sons, Ie pouvoir de tutelle se distingue du pouvoir juridic-
tionnel. Pour une comparaison entre l'annulation pronon-
cée par un juge et celle décidée par l'autorité de tutelle,
voy. le n° 197).
2. Qui l'exerce?

120. La tutelle étant exceptionnelle, puisqu'elle limite


!'autonomie qui appartient en principe à des personnes pu-
bliques, doit être exercée par les autorités désignées par Ie
pouvoir organisateur (n° 59), en fait par la loi, ou en
vertu de la loi. Une substitution n'est pas possible.
1° C'est généralement Ie Roi qui l'exerce. Très exception-
nellement, cette fonction est remplie par Ie pouvoir légis-
latif. Par exemple, les délihérations des conseils provin-
ciaux et communaux peuvent être annulées par les Cham-
bres lorsque Ie Roi n'a pas fait usage de ses prérogatives
dans les délais légaux (L. P., art. 89; L.C., art. 87).
Sur les provinces, Ie pouvoir tutélaire est exercé par Ie
Roi sur recours du gouverneur (L. P., art. 12.5 et 89).
Pour les communes, l'autorité tutélaire appartient selon
Ie cas au Roi, au gouverneur, à la députation permanente
(L.C., art. 76, 77, 86 et 87). Souvent, celle de ces autorités
qui est compétente ne peut statuer qu'après avoir pris
l'avis d'une autorité de tutelle inférieure (voir par exemple
l'article 76).
Sur les établissements parastataux d'Etat, la tutelle est
exercée par Ie Roi ( ou un ministre par délégation). La
tutelle générale suppose l'intervention d'un commissaire
du gouvernement qui prend son recours <levant le ministre.
Sur les établissements communaux, la tutelle est exercée
par Ie conseil communal, la députation permanente, éven-
tuellement Ie Roi.
2" Des délégations sont constitutionnellement possibles
(cfr. n° 101). Mais elles doivent rester partielles (n° 147).
Des délégations sont consenties en vertu de la loi aux
gouverneurs et aux commissaires d'arrondissement en ma-
tière provinciale et communale (A. R., 22 mars 1954;
adde A. R., 14 août 1933 et 30 nov. 1939).
3° Un ministre exerce-t-il Ie pouvoir de tutelle ? La loi
peut Ie décider ainsi parfois en termes équivoques (n° 98;
- C. E., 12 juin 1952, D et B, 1952, 547, Peereboom).

N 08 ll9 à 120
94 CHAPITRE III. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

L'annulation de l'acte accompli par l'autorité subordon-


née peut faire l'obj et d'un recours. Une question pratique
est de savoir si Ie ministre n'exerce pas illégalement et
sans délégation Ie pouvoir de tutelle en négligeant de pré-
senter au Roi Ie projet d'arrêté royal que constitutionnelle-
ment il doit signer avec Ie chef de l'Etat. N'empêche-t-il
pas Ie Roi de statuer et ne refuse-t-il pas seul, en fait, l'an-
nulation ? Il en est certainement ainsi dans tous les cas ou
Ie Roi est légalement obligé de statuer sur Ie recours dans
un délai déterminé. Mais dans les hypothèses ou la tutelle
est facultative, la jurisprudence admet que Ie chef de
département renonce à présenter un projet d'arrêté refu-
sant l'annulation en termes exprès. Ce serait pur forma-
lisme. (Dembour, op. cit., n 05 159 et s.). Il en est de même si
la tutelle est obligatoire (approbation, autorisation) sans
que la loi ait imposé un délai à l'autorité de tutelle (n° 122,
5°). Au surplus Ie dialogue qui peut s'engager entre Ie Roi
et son ministre au sujet d'un acte <levant porter Ie seing
et Ie contreseing, est constitutionnellement secret et ne peut
faire l'objet d'investigations ou de discussions (C. E.,
24 mai 1960, R. J. D. A., 1960, 172, Vanden Dries, Mol et
erts).
3. Sur qui?

121. Est soumise à la tutelle l'activité des agents des


personnes publiques décentralisées. Il faut excepter les
administrations personnalisées soumises au pouvoir hiérar-
chique (n° 151). On tiendra compte du dédoublement fonc-
tionnel (n° 54).
4. Portée juridique.

122. La tutelle peut prendre deux formes principales.


Ou bien elle est générale, en ce sens que l'autorité supé-
rieure peut l'exercer sur tous les actes de la personne pnbli-
que subordonnée : annulation et suspension, droit de veto.
Ou bien elle est spéciale parce qu'elle doit s'exercer sur
certains actes limitativement désignés par la loi : autori-
sation, approbation, avis.
Citons enfin à part les cas de tutelle coercitive, oû l'ini-
tiative appartient finalement à l'autorité centrale : réfor-
mation sur recours, envoi de commissaires spéciaux.
Avant d'examiner séparément les divers procédés de

N05 120 à 122


SECT. II. - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES 95

tutelle, il faut développer quelcrues considérations générales


applicables à tous et fondées sur deux idées : d'abord l'in-
dépendance des personnes publiques est la règle, leur
subordination est l'exception (n° 54); ensuite la loi et
l'intérêt général doivent prévaloir.
1° Les textes organisant la tutelle doivent être strictement
interprétés. Pas d'extension à des actes non prévus
(C. E., 11 déc. 1956, R. J. D. A., 1956, 257, Goddijn; -
C. E., 12 juin 1956, R. J. D. A., 1957, 46, Byl); pas de
substitution d'une autorité à une autre, d'un procédé à
un autre; pas d'extension des délais.
2° La tutelle a pour objet la légalité et l'intérêt général;
l'autorité supérieure ne peut fonder sa décision ni sur
l'intérêt d'un particulier (C. E., 18 nov. 1952, A. A.C. E.,
1952, 1080, Jobe), ni même sur celui de la collectivité
subordonnée. Par exemple, Ie Roi ne peut annuler la
décision d'un conseil communal qui serait légale et sans
inconvénient pour l'Etat, pour la seule raison que selon
lui, elle est préj udiciable à la commune. Le conseil
communal est seul juge (C. E., 8 juin 1951, R. J. D. A.,
1951, 280, Delwart).
3° Dès lors l'acte de l'autorité subordonnée soumis à tutelle
et l'acte de l'autorité de tutelle ne se confondent pas
en un acte unique. L'autorité subordonnée reste res-
ponsable de son acte, même approuvé, vis-à-vis des
tiers (adde n° 126). L'acte de l'autorité subordonnée et
l'acte de tutelle peuvent faire l'objet de recours distincts
en annulation (n°• 123, 124). Devant Ie Conseil d'Etat,
une autorité ne peut soutenir l'action à la place de
l'autre (C. E., 6 nov. 1956, A. A.C. E., 1956, 693; - C. E.,
13 oct. 1960, R. J. D. A., 1960, 18, Le jeune).
4° Les vices d'illégalité et d'inopportunité peuvent infec-
ter tous les actes de la personne publique subordonnée.
Il faut donc des procédés de tutelle générale qui puis-
sent les atteindre tous, même ceux qui ont conféré des
droits aux tiers. Telle est la portée de l'annulation et de
la suspension préalable. Au contraire, seuls les actes
particulièrement importants doivent être soumis à avis,
autorisation, approbation et exceptionnellement à réfor-
mation, c'est-à-dire à la tutelle spéciale.
La distinction entre tutelle générale et spéciale en-
traîne certaines conséquences. La tutelle générale de
96 CHAPITRE 111. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

suspension et annulation est facultative. L'autorité supé-


rieure peut intervenir ou ne pas intervenir; en pratique,
elle ne surveille que certaines décisions du pouvoir
subordonné, souvent après avoir été alertée par un de
ses agents (gouverneur d'une province, commissaire du
gouvernement). Mais une fois qu'elle se décide à inter-
vention, la suspension ou l'annulation doivent être pro-
noncées conformément au Droit (Dembour, op. cit., n°
98). Pour la tutelle spéciale la compétence est liée: !'exa-
men par l'autorité supérieure est obligatoire. Il en est
ainsi même pour un avis (C. E., 5 mars 1953, D et B,
1953, 284, Comm. d'lxelles).
La seconde conséquence est que la tutelle spéciale est
d'ordinaire exercée d'office, puisqu'elle doit en tous
cas intervenir (Ex.: L.C., art. 76; L.P., art. 86). Au
contraire la tutelle générale est d'ordinaire déclenchée
par un recours; celui-ci est pris par un agent de l'auto-
rité centrale (gouverneur de province, commissaire du
gouvernement (ex. : L. P., 36.125 et L.C., art. 77) <lont
l'intervention est pratique : étant sur place, il fait Ie tri
des affaires importantes et discutables; l'autorité supé-
rieure peut, sauf disposition contraire de la loi, ne pas
y donner suite. Parfois, la loi veut donner une garantie
toute particulière à la partie intéressée qui est, soit l'au-
torité subordonnée elle-même, soit un tiers ( ex. : L. P.,
art. 79; - L.C., art. 75, 85bis, 93, 109, 114, 114bis) en
lui accordant directcment un recours. Dans ce cas la
tutelle est spéciale; Ie Roi, saisi d'un pareil recours doit
statuer; nous verrons même que souvent, il peut non
seulement annuler la décision mais la réformer, c'est-à-
dire lui substituer sa propre décision.
5° Pour respecter !'autonomie et pour assurer la stabilité
juridique, une bonne technique législative implique
l'indication d'un délai après lequel, Ie pouvoir de tutelle
ne pouvant être exercé, l'acte de la personne subor-
donnée est définitivement valable et efficace, même s'il
est inopportun, même s'il est illégal.
La loi peut expressément décid~r_ q_u'au contraire, en
laissant s'écouler Ie délai, l'autorité supérieure a impli-
citement frappé l'acte de caducité - par exemple refusé
l'approbation. Dans ce cas une approbation tardive est
sans valeur (C. E., 26 avr. 1955, R. J. D. A., 1955, 218,
SECT. II. - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES 97

Ville de Malines, note Debra). Seuls restent ouverts les


recours j uridictionnels.
Que faut-il décider si aucun délai n'est fixé? Une
réponse raisonnable fait une distinction entre tutelle
facultative et tutelle obligatoire. Pour la première,
l'inaction de l'autorité supérieure peut s'interpréter,
après un certain temps, comme une renonciation tacite
à l'annulation; la validité de l'acte peut intéresser les
tiers; elle ne doit pas rester indéfiniment douteuse. Au
contraire, si l'exercice de la tutelle est obligatoire (auto-
risation, approbation, annulation), l'inaction de l'auto-
rité de tutelle de l'acte suspend indéfiniment l'exécution
(C. E., 4 juin 1953, A.A.C.E., 1953, 739, Commune d'Ixel-
les).
La loi peut en disposer autrement par un texte exprès
(L., 10 mars 1925, art. 52 sur les legs faits à une com-
mission d'assistance publique; - C. E., 20 janv. 1956"
R. J. D. A., 1956, 223, C.A. P., Monceau-sur-Sambre).
Dans quel délai doit être introduit Ie recours lui-
même ? Si la loi n'a pas fixé de délai, l'inaction équi-
vaut à une renonciation tacite (contra: Dembour, op.
cri., 144). C'est logique puisque l'intéressé est libre d'in-
troduire Ie recours et n'est pas obligé d'y renoncer for-
mellement.
6° Qu'elle soit générale ou spéciale, la tutelle s'exerce sur
des actes individuels de l'autorité décentralisée. Dans
chaque cas l'opportunité doit en effet être examinée.
Le pouvoir de tutelle ne peut définir à l'avance les
conditions générales auxquelles il subordonne son ac-
cord. Un règlement obligatoire serait illégal parce qu'il
limite, au-delà des prescriptions de la loi, !'autonomie
des personnes subordonnées. Mais on admettrait la
validité d'une simple circulaire qui constitue l'exercicè
du pouvoir d'information et qui n'engage juridiquement
ni Ie controleur ni Ie contrölé. La distinction est assez
subtile, n 05 213 et 107 (C. E., 9 mai 1950, R. J. D. A., 1950,
201, Florus; - C. E., 22 oct. 1951, R. J. D. A., 1952, 115,
Comm. Comines).
7° A défaut de texte prescrivant un écrit, un avis préalable,
une motivation, etc., aucune forme n'est requise d'une
façon générale (C. E., 1 er févr. 1956, A. A.C. E., 19fi6,
115, Van der Keybus). L'approbation peut être tacite
et résulter notamment de l'approbation des comptes.
98 CHAPITRE JIJ. · - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

a. - Annulation sozwent précédée de sllspension.


123. Par l'annulation, l'autorité de tutelle met à néant
une décision de l'autorité contrölée parce qu'elle est con-
traire au Droit ou à l'intérêt général.
C'est d'ordinaire un acte de tutelle générale et facul-
tative. Elle est Ie procédé toujours disponible pour la
défense de la loi ou de l'intérêt général. Elle peut atteindre
tous les actes juridiques, y compris ceux qui confèrent des
droits aux tiers. (Camp. sur ce dernier point avec Ie pou-
voir hiérarchique).
On a vu que l'annulation sur recours de la partie inté-
ressée est un procédé de tutelle spéciale et obligatoire. Une
question intéressante est de savoir si la procédure ainsi
organisée doit être si strictement interprétée qu'elle exclut
l'utilisation du pouvoir d'annulation qui dépend de la
tutelle générale et qui sur certains points peut être plus
large (Dembour, op. cit., n° 146, 3°). Par ailleurs l'annula-
tion sur recours, implique souvent pour l'autorité supé-
rieure Ie pouvoir de réformation, c'est-à-dire non seulement
d'anéantir la décision querellée mais d'y substituer une
nouvelle (n° 127).
Puisque l'initiative appartient à l'autorité subordonnée,
l'annulation doit être entière, j amais partielle. Cependant,
Ie fait que des décisions distinctes sant consignées dans un
seul document, ne crée pas un lien entre elles. Annuler les
unes et laisser subsister les autres ne constitue pas un excès
de pouvoir (C. E., 7 avr.1950, R.J.D.A., 1950, 155, Leclercq).
La décision d'annulation de l'autorité supérieure joue Ie
röle d'une condition résolutoire <lont il faut considérer Ie
triple effet :
1° Avant sa réalisation : L'acte est valable. Personne ne
peut s'y soustraire. Notamment l'autorité subordonnée,
craignant l'annulation ne peut retirer un acte suspendu, du
mains quand il confère des droits aux tiers. Tel serail par
exemple Ie cas d'une nomination (dépêche ministérielle du
8 août 1898 et avis du Conseil de législation du 6 avril 1878,
R. A., 1899, 517). De son cöté Ie pouveir- j-udic-iaire ne peut
refuser de l'appliquer, bien entendu s'il a été pris dans les
formes légales et dans les limites de la compétence (Cass.,
29 janv. 1906, Pas., 1906, I, 114).
Tant qu'il n'est pas annulé par l'autorité de tutelle, l'acte

N° 123
SECT. ll. - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES 99

a<lministratif peut être l'objet d'un recours en annulation


<levant Ie Conseil d'Etat, sous réserve de l'exception du re-
cours parallèle (n° 507).
2" La condition se réalise : L'acte est radicalement nul
dès son origine. Par exemple, l'agent dont la révocation a
été annulée, a droit au rappel des traitements (Brux.,
26 janv. 1935, Pas., 1937, II, 127, Commission d'assistance
publique de la Ville d'Anvers c./ Jeanne-Victorine Hof-
mans). L'annulation est définitive, irrévocable. De son cöté,
l'autorité subordonnée ne peut reprendre la même décision
(C. E., 24 juin 1949, R. J. D. A., 1949, 122, C. Anderlecht).
L'arrêté d'annulation peut être attaqué en Conseil d'Etat,
notamment pour ses motifs. La juridiction administrative
pourra constater par exemple que l'acte de l'autorité subor-
donnée n'est pas illégal; mais l'appréciation de son oppor-
tunité, de sa conformité à l'intérêt général, lui échappe
(C. E., 27 juin 1950, R. J. D. A., 1950, 241, Brasseur). Elle
sanctionnera aussi les autres causes d'excès de pouvoir, par
exemple !'absence d'une formalité substantielle comme la
motivation (L. C., art. 86 et 87; L. P., art. 125; C. E., 20 avr.
1951, R. J. D. A., 1951, 225, Pietrons et Thibaut).
3° La condition fait déf aut : L'annulation n'ayant pas eu
lieu dans Ie délai prescrit, la validité de l'acte devient
définitive. Notamment Ie pouvoir de tutelle ne peut refuser
ultérieurement d'approuver une décision conforme à un
règlement dont elle n'a pas prononcé l'annulation (C. E.,
7 juill. 1950, R. J. D. A., 1951, 5, Fraikin, note Buttgenbach,
C. E., 10 avr. 1951, R. J. D. A., 1951, 204, Comm. de Saint-
Lenaarts, note De Visscher). La situation de l'administré
est différente (n° 499). L'acte non annulé peut être attaqué
en Conseil d'Etat.
L'annulation est unc cfficace et indispensable mesure de
tutelle générale. Sa gravité est accrue encore par la rétro-
activité nécessaire de ses effets. Deux précautions sont
prises; l'une, déjà étudiée (n° 122, 5°), est la fixation d'un
<lélai, et l'autre est la possibilité d'une suspension conser-
vatoire qui empêche toute exécution précipitée et laisse à
l'autorité supérieure Ie loisir d'étudier Ie dossier.
Examinons cette formalité :
4° Suspension : Vis-à-vis des personnes publiques terri-
toriales, les gouverneurs sont souvent autorisés à prendre
leur recours au Roi. De même les commissaires du gouver-
·100 CHAPITRE III. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

nement attachés aux organismes parastataux ont un « droit


de veto». L'acte attaqué est suspendu. Qu'est ce-à-dire ?
D'abord la suspension empêche provisoirement l'exé-
cution jusqu'au moment ou l'autorité de tutelle renonce à
l'annulation soit explicitement, soit implicitement en lais-
sant passer Ie délai d'annulation (C. E., 19 janv. 1951,
R. J. D. A., 1951, 138, Bourguet). Ensuite l'arrêté de sus-
pension interrompt Ie délai pendant lequel Ie recours peut
être introduit en Conseil d'Etat contre !'acte de l'autorité
subordonnée. Cette interruption se prolonge jusqu'à l'ex-
piration de la période au cours de laquelle Ie Roi peut
annuler la décision (C. E., 25 avr. 1950, R. J. D. A., 1950, 193,
Van Coppenolle; C. E., 17 nov. 1950, R. J. D. A., 1951, 67,
Coop. Habitations à bon marché). Si Ie Roi refuse d'an-
nuler la décision, l'interr:uption cesse à partir du moment
ou Ie requérant a eu connaissance de la décision royale
(arrêt Van Coppenolle précité; - sur un projet de loi,
voyez Ie n° 205).
L'arrêté de suspension lui-même, analysé comme un acte
préparatoire de la procédure en annulation, ne peut être
attaqué en Conseil d'Etat (C. E., 23 juin 1950, R. J. D. A.,
1950, 234, Chilia tte) .

b. - Approbation.
124. Pour les actes particulièrement importants, il ne
suffit pas que l'autorité s,upérieure ait la possibilité d'inter-
venir; elle doit positivement et explicitement donner son
consentement. Celui-ci peut prendre différentes formes :
ce peut être soit une approbation ultérieure soit une auto-
risation préalable.
La doctrine et la pratique modernes tendent à confondre
ces deux formes et n'accordent plus grande importance à
l'ordre chronologique. Il serail peut-être faux de <lire au-
jourd'hui qu'un acte non autorisé est inexistant tandis
qu'un acte non approuvé est seulement imparfait. Cepen-
dant, les deux procédés sont différents et doivent avoir une
portée juridique distincte. Certes, parfois Ie législateur les
a confondus; de ce fait la jurisprudence est confuse. Mais
pour la clarté, la terminologie doit être exacte.
Examinons d'abord l'approbation.
Par l'approbation l'autorité de tutelle déclare à poste-
riori qu'une ·aécision de l'autorité subordonnée peut sortir

N 08 123 à 124
SECT. II. - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES 101

ses effets parce qu'elle est conforme au droit et ne blesse


pas l'intérêt général. C'est un acte de tutelle spéciale et
obligatoire (C. E., 31 oct. 1952, R. J. D. A., 1953, 125, Wiard).
Nous avons dit que l'approbation peut être tacite.
Toujours en vertu du principe que l'initiative appartient
au pouvoir subordonné, elle doit être pure et simple (L. P.,
art. 87). Elle peut toutefois être limitée dans Ie temps
(Cass., 28 janv. 1884, B. J., 1884, 161, La Cie lmmobilière
c./ Commune de Saint-Gilles). Une approbation accordée
« sous réserve du droit des tiers > n'est conditionnelle que
dans la forme car cette réserve va de soi (Liège, 30 nov.
1876, Pas., 1877, II, 54, la Commune de Herve c./ Moreau; -
Bruges, 22 mars 1911, R. A., 1911, 462, S. A. Force Eclairage
par l'Electricité).
L'approbation doit être analysée comme une condition
suspensive dont dépend, non pas la validité, mais l'exé-
<:ution de l'acte de l'autorité subordonnée. Quels en sont
les effets?
1° Avant sa réalisation : L'acte administratif est valable
mais imparfait. Il ne peut être rctiré (Liège, 19 juin 1863,
Pas., 1863, Il, 265, Ville de Hasselt c./Etat et Teüwens, avis
précité du Comité de législation, R. A., 1899, 517). De son
cóté, Ie particulier ne peut passer à l'exécution (Bruges,
22 mars 1911, précité; - Huy, 15 mars 1928, R. k, 1929,
276; - Liège, 31 mars 1949, Pas., 1950, Il, 5, Daelemans e./
Gomm. de Boortmeerbeek), mais est néanmoins engagé
(L.C., art. 76, 3°; L., 12 juill. 1931), pour les donations;
Cass., 11 juill. 1927, Reu. comm., 1928, 222) sauf disposi-
tion contraire de la loi (L. org. ens. primaire, art. 35).
L'acte administratif non encore approuvé ne peut faire
grief à l'administré et ne peut faire l'objet d'u'n recours
pour excès de pouvoir <levant Ie Conseil d'Etat (C. E.,
30 juin 1950, R. J. D. A., 1950, 248, Wyns). L'administré qui
passe à l'exécution ne pourrait se retourner contre Ie pou-
voir subordonné (Cass., 11 juill. 1927, précité) sauf si celui-
ci en leur enjoignant de commencer les travaux lui a laissé
croire que l'approbation était reçue (Liège, 31 mars 1949,
précité; - Buttgenbach, Manuel, p. 151, note).
2° Si la condition se réalise : C'est-à-dire si l'approbation
est donnée, l'acte est valable dès sou origine (Cass., 28 avr.
1904, Pas., I, 209, Eugène Fabri c./ Ernest Fabri). Par
exemple, en cas de concession, si la loi a été modifiée entre
102 CHAPITRE 111. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

la date de l'adjudication et celle de l'approbation, il faut


se reporter à la date de l'adjudication pour apprécier la
validité du cahier des charges (D.P., Anvers, 29 avr. 1936,
R. A., 1937, 120). Naturellement, les vices juridiques pro-
pres à l'acte ne sont pas couverts par l'approbation; les
recours juridictionnels restent ouverts (C. E., 11 juin 1952,
R. J. D. A., 1953, 14, Schraepen; - voy. cependant : C. E.,
13 juin 1952, D et B, 1952, 563, Vennekens).
L'approbation est irrévocable. Si l'acte approuvé crée des
droits en faveur de tiers, Ie pouvoir subordonné qui ne
pouvait Ie rctirer pendenle conditione ne peut pas, à for-
tiori, Ie supprimer unilatéralement après approbation
(comp. avec l'autorisation n° 125).
Puisque l'acte approuvé ne fait grief à l'administré qu'à
dater de l'approbation, Ie délai du recours contentieux ne
commence à courir qu'à partir du jour de cette approba-
tion malgré l'effet rétroactif de cette décision (C. E., 30 juin
1950, R. J. D. A., 1950, 247, S. A. Carrières de la Falize; -
voy. cependant C. E., 12 juill. 1952, D et B, 1952, 763,
Heyvaert).
Il est possible d'intro<luire un recours en Conseil d'Etat
non contre l'acte approuvé mais contre l'acte d'approbation
lui-même (n° 497) (C. E., 1 er avr. 1952, R. J. D. A., 1952, 256)
pour les vices qui lui sont pro pres ( C. E., 24 oct. 1949,
R. J. D. A., 1950, 9, Grisar).
3° Si la condition fait défaut, l'acte qui n'est pas
approuvé est nul dès son origine (Liège, 30 nov. 1876, pré-
cité). On affirrne généralement que cette nullité est rela-
tive et ne peut être invoquée que par la personne publique
en faveur de qui elle a été prévue (Gand, 19 mai 1909,
R. A., 1909, 497). C'est confondre tutelle administrative et
tutelle de Droit civil. Il ne s'agit pas de la protection d'un
incapable mais d'une formalité substantielle d'ordre public
qui concerne l'intérêt général.

c. - Autorisation.
125. Par l'autorisation, l'autorité de tutelle déclare à
l'avance qu'une décision envisagée par l'autörité contrölée
peut être prise parce qu'elle est conforme au droit et ne
hlesse pas l'intérêt général.
Un avis qui doit être conforme est en réalité une autori-
sation (ex : L. C., art. 56, al. 2).

N 05 124 à 125
SECT. II. - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES 103

L'autorisation comme l'approbation est un procédé de


tutelle spéciale et obligatoire.
Elle précède la décision de l'autorité subordonnée tandis
que l'approbation lui est postérieure. De cette différence
découlent plusieurs conséquences.
Elle peut être conditionnelle, partielle ou temporaire;
c'est logique puisque la décision de l'autorité subordonnée
n'est pas encore prise.
Faut-il ajouter que l'acte non autorisé est inexistant
tandis qu'un acte non approuvé est seulement imparfait ?
En pratique, Ie défaut d'autorisation peut être suppléé par
une approbation ultérieure. Ce n'est pas une solution logi-
que; elle ne se recommande que pour des raisons prati-
ques. Encore faut-il que Ie caractère préalable de la for-
malité ne soit pas selon la loi un élément substantie! de sa
validité (Buttgenbach, Manuel, n° 162; Cass., 27 déc. 1888,
R. A., 1889, 101. Comm. de Velsique-Ruddershove c./ Ceu-
pens; C. E., 25 nov. 1955, A. A.C. E., 1955, 912, Kinique).
Les effets juridiques se déduisent aussi du caractère
préalable de l'autorisation.
1° L'autorisation permet l'acte envisagé mais n'y oblige
pas. L'autorité subordonnée peut renoncer à la décision
qu'elle n'a pas encore prise; de son cöté l'autorité de tutelle
peut retirer une autorisation <lont on ne s'est pas encore
prévalu.
L'autorisation, qui ne fait pas grief, ne peut être attaquée
seule en Conseil d'Etat.
L'acte autorisé engage la responsabilité de la personne
subordonnée.
2° Le refus d' autorisation empêche l'autorité contrölée
de prendre la décision projetée.

d. -Avis.
126. En vertu de son pouvoir d'instruction, l'autorité
supérieure peut donner en toutes matières des conseils,
directives non obligatoires (n° 107). Mais on vise ici les
avis que les pouvoirs subordonnés doivent demander avant
de prendre la décision ou au contraire ceux que l'autorité
de tutelle doit requérir d'une autre (notamment la dépu-
tation permanente) avant d'exercer son controle (n° 147).

N 08
125 à 126
104 CHAPITRE ID. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

C'est donc un procédé de tutelle spéciale et obligatoire.


La consultation porte exclusivement sur Ie point de
savoir si l'acte administratif projeté est conforme à la loi
et à l'intérêt général.
Ces avis n'ont pas force obligatoire. Ils n'obligent pas
l'autorité compétente à agir; si elle prend la décision, ils
ne la forcent pas à agir dans Ie sens recommandé (C. E.,
30 juin 1950, R. J. D. A., 1950, 250, Bay). L'avis conforme
est en réalité une autorisation.
Les avis peuvent être une formalité substantielle dont
dépend la validité de l'acte projeté.

e. - Tutelle coercitive.
127. Ce sont des actes par lesquels l'autorité de tutelle
se substitue à l'autorifé subordonnée qui est en défaut
d'accomplir un devoir imposé par la loi.
Cette limitation de !'autonomie se justifie soit par la
nécessité d'assurer en tous cas l'exécution de certains <le-
voirs expressément imposés par la loi aux pouvoirs sub-
ordonnés, soit d'accorder une plus complète garantie aux
intérêts particuliers. ·
On distingue les mesures d'office, l'envoi d'un commis-
saire spécial, la réformation sur recours.
Par les mesures d'office, l'autorité de tutelle prend la
décision. L'atteinte à !'autonomie est souvent plus appa-
rente que réelle puisque d'ordinaire Ie pouvoir subordonné
ne disposaH d'aucune compétence discrétionnaire et était
tenu d'agir (Buttgenbach, Manuel, n° 175). Ainsi l'autorité
supérieure inscrit-elle d'office au budget des provinces, <les
communes ou des établissements publics subordonnés, les
dépenses que la loi met obligatoirement à leur charge; elle·
ordonne la perception des recettes nécessaires pour y faire
face (L. P., art. 87; L.C., art. 124, 129bis, 144, 147; loi du
10 mars 1925 organique de l'assistance publique, art. 30, 62,
63, 65). Elle remédie à certaines carences par exemple en
matière de nomination (défaut de présentation : L.C.,
art. 124, 129bis; exclusion d'un cang_i_<lat prioritaire; L.,
3 août 1919 et 27 mai 1947). Elle intervient aussi en matière
disciplinàire, lorsque des fautes graves ne sont pas sanc-
tionnées par l'autorité compétente (loi comm., art. 111 et
123; comp. loi organique de l'enseignement primaire,

N01 126 à 127


SECT. Il. - COORDINATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES lOS
art. 25, al. 7 et C. E., 31 déc. 1956, R. J. D. A., 1957, 244,
Van der Aerschot).
L'envoi d'un commissaire peut être justifié par la com-
plexité de la situation, la nécessité d'une information sûre,
la possibilité de vaincre l'inertie de l'autorité compétente.
C'est ce commissaire qui prendra éventuellement la déci-
sion (L. P., 110 et 127; - L.C., art. 88).
Enfin la réformation est traditionnellement autorisée
quand, en raison de l'importance des intérêts, la loi ouvre
un recours en annulation à la partie intéressée.
Ce sont des procédés de la tutelle spéciale et obligatoire.
Il s'agit bien de mesures de tutelle. L'autorité supérieure
ne peut intervenir qu'à défaut de la subordonnée. Les dé-
cisions ne peuvent être prises qu'après mise en demeure
et refus (ou inaction prolongée) des autorités provinciales
on communales, normalement compétentes. (Dembour, op.
cit., n° 131). Ces mesures, à la différence d'autres procédés
de tutelle, se fondent exclusivement sur l'illégalité. Des
considérations d'intérêt général sont insuffisantes.
La tutelle est spéciale, c'est-à-dire qu'elle ne s'exerce que
sur les actes spécifiés par la loi. Vu son caractère exception-
nel elle n'est utilisée qu'en dernier ressort. C'est ainsi que
M. Dembour explique qu'elle frappe provinces ~t com-
munes mais non les personnes publiques parastatales. Le
Roi peut faire d'une autre façon pression sur les autorités
dirigeant ces dernières car il exerce sur elles Ie pouvoir
de révocation et de discipline (op. cit., n° 129).
Enfin la tutelle est d'ordinaire obligatoire. L'autorité
supérieure ne peut rester indifférente à l'illégalité. Elle
apprécie toutefois l'utilité d'un commissaire car ce n'est,
en quelque sorte, qu'une procédure préalable à la décision.
Puisque l'autorité supérieure agit pour compte de la per-
sonne publique subordonnée, les décisions seront prises
dans la forme imposée à celle-ci; c'est à elle qu'incombera
la responsabilité (sauf bien entendu si la mesure d'office
n'était pas justifiée; C. E., 28 mai 1953, D et B, 1953, 713,
Ville d'Andenne); elle supportera les frais administratifs,
notamment occasionnés par l'envoi d'un commissaire.
L'envoi d'un commissaire spécial empêche immédiate-
ment l'autorité subordonnée de prendre des décisions dans
Ie cadre de la mission confiée à ce commissaire.
106 CHAPITRE III. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS

La réformation se fait toujours sur recours; l'autorité


supérieure n'intervient pas d'office. Une décision de réfor-
mation n'a pas d'effet rétroactif (Cass., 23 mars 1931, R. A.,
1931, 47).
Une analyse de la plupart des recours autorisés par la loi
fait apparaître que ceux-ci ne jouent que dans des matières
ou l'intérêt est mixte, c'est-à-dire ou l'intérêt communal et
l'intérêt provincial sont mélangés (Buttgenbach, op. cit.,
n° 276).

N° 127
CHAPITRE IV

STATUT DES DIFFERENTES PERSONNES


PUBUQUES

Dans Ie cadre de ce manuel, on ne peut qu'indiquèr les


caractéristiques générales qui se retrouvent dans toutes les
personnes publiques d'une même catégorie.
Les trois premières sections seront consacrées respective-
ment à l'Etat, aux personnes publiques territoriales et aux
personnes publiques parastatales. Dans une quatrième sec-
tion, on examinera Ie statut de certains services publics qui
ne jouissent pas d'une personnalité civile distincte, mais
ont un statut spécial dans Ie cadre de l'Etat, des provinces
ou des communes.

SECTION 1
ETAT

A. ÜRGANES ET FONCTIONS

1. Les trois pouvoirs.

128. Les trois organes de l'Etat moderne sont Ie pouvoir


législatif, Ie pouvoir exécutif et Ie pouvoir judiciaire.
Le Droit administratif ne traite que du pouvoir exécutif;
encore ne l'étudie-t-il pas dans son ensemble. Les principes
sont donnés dans Ie Droit constitutionnel (n° 10).
Des organes, il faut distinguer les fonctions.
Il y a aussi trois fonctions : la fonction réglementaire, la
fonction administrative et la fonction juridictionnelle.
On a prétendu pendant longtemps que les trois organes
sont spécialisés en ce sens que chacun d'eux exerce une
seule fonction. Les actes j uridictionnels sont réservés par
108 CHAPITRE IV. - STATUT

exemple au pouvoir judiciaire. Cette théorie est aujour-


d'hui abandonnée : chacun des pouvoirs exerce les trois
fonctions. L'Administration fait des règlements, accomplit
des actes d'exécution et a des tribunaux administratifs.
Le Droit administratif s'occupe donc des trois fonctions
dans la mesure ou elles sont exercées par l'organe exécutif.
Mais il n'a pour objet aucune fonction dans son ensemble,
pas même la fonction administrative. Il ne règle pas, par
exemple, les actes administratifs accomplis par Ie pouvoir
législatif (naturalisations) ou par Ie pouvoir judiciaire
(tenue du registre de commerce par Ie Greffe).

2. Principe de la séparation des pouvoirs ou organes.

129. L'organisation de l'Etat se fonde sur Ie principe de


la séparation des pouvoirs. L'exposé de cette théorie cardi-
nale relève du Droit constitutionnel. Il suffit de dire ici
que la théorie implique une multiplicité d'organes - ou
pouvoirs - séparés qui doivent concourir pour l'accom-:-
plissement des actes importants. La séparation des organes
qui crée donc la nécessité d'une collaboration empêche dé
ce fait le coup de force légal d'une seule autorité et con-
stitue une des meilleurs garanties de la liberté.
La subordination de l'Exécutif à la loi est fortement mar-
quée par la Constitution. D'une part, Ie Roi exécute les lois
sans pouvoir ni les suspendre ni dispenser de leur exécu-
tion (art. 67). Les actes illégaux ne seront pas sanctionnés
par les tribunaux ordinaires (art. 107). Au surplus, ils
seront annulés par Ie Conseil d'Etat.
Par ailleurs, l'Administration, dans une mesure que nous
définirons, est justiciable des tribunaux ordinaires.
L'Exécutif reste cependant un pouvoir souverain comme
on va Ie démontrer.

3. Indépendance de I' Administration


vis-à-vis du pouvoir législatif.

a. - Organisation interne de l'AdmznisTratiön.


130. La souveraineté de l'Exécutif se marque d'abord
dans son organisation. Le statut des fonctionnaires, les
règlements organiques des départements ministériels sont

N"" 128 à 130


SECTION 1, - ÉTAT 109

établis par Ie Roi. Le législateur est aussi compétent mais


son intervention doit rester exceptionnelle (n° 61).
La souveraineté de l'Exécutif s'affirme aussi dans l'exer~
çice de ses diverses fonctions.

b. - Fonction réglementaire.
131. Dans son essence ce pouvoir est identique au pou-
voir législatif. Il a pour objet l'élaboration de normes ohli-
gatoires. La compétence qu'a l'Administration de faire des
règlements peut avoir un double fondement.
1° Pouuoîr exercé dans Ie cadre de la loi ; Certes l'Exé~
cutif se trouve dans une situation subordonnée. Le Roi
« fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécu-
tion des lois sans pouvoir j amais ni suspendre les lois elles-
mêmes ni dispenser de leur exécution » (Const., art. 67,
sanctionné par !:art. 107). Même limitation au pouvoir
réglementaire des provinces et communes.
Mais Ie Roi fait plus qu'appliquer mécaniquement les
dispositions légales. D'abord il « dégagera du principe des
lois les conséquences qui en découlent naturellement » ce
qui laisse une large marge à l'interprétation (Cass., 18 nov.
1924, Pas., 1925, I, 25). Ensuite, entre les différentes maniè-
res d'exécuter la loi, l'Exécutif, dans la mesure ou il n'est
pas lié par une indication expresse, a Ie choix des moyens.
Très souvent la loi n'est applicable que lorsque les obli-
gations des citoyens ont été précisées par des arrêtés d'exé-
cution. Tant que l'Exécutif n'a pas collaboré à l'reuvre
législative, à son rang sans doute mais d'une manière essen-
tielle, celle-ci reste imparfaitè. Or, dans cette cööpération,
il j ouit d'indépendance. Quelle que soit la précision des
dispositions légales, elles laissent du jeu.
· 2° Pouuoir autonome : Dans Ie domaine particulier de la
police, !'autonomie du pouvoir réglementaire est encore
heaucoup plus accentuée. L'arrêté royal ne doit pas se
développer dans Ie cadre d'une loi, mais peut être pris
même à défaut de loi.
. Ceci a été vivement contesté. Mais Ie principe est hors de
discussion depuis la loi du 5 juin 1934 qui est une véritable
loi interprétative de l'article 67 de la -Constitution.
· La question clairement posée dans la Revue de l'Admi-
nistration (1934, 197) avait été portée à la connaissance du

N 08 130 à 131
110 CHAPITRE IV. - STATUT

Sénat par M. Vinck. Tout Ie débat à la Haute Assemblée


n'a roulé que sur ce point de Droit constitutionnel. Le mi-
nistre de l'Intérieur a nettement déclaré qu'en votant la loi,
Ie Parlement résolvait définitivement par l'affirmative la
controverse sur Ie pouvoir réglementaire général de police
du gouvernement (Anna/es parlementaires, Sénat, 1933-
1934, p. 898 et 918). Le texte a été voté.
Quel est Ie fondement de ce pouvoir ? On peut <louter
que les lois révolutionnaires généralement invoquées et
notamment Ie décret du 22 décembre 1789 - j anvier 1790
soient encore en vigueur (étude précitée R. A., 1934, 197).
En ce qui concerne plus spécialement Ie gouverneur, il est
difficile de citer les articles 128 et 139 de la loi provinciale
qui ne visent pas directement des arrêtés réglementaires.
Le gouvernement a invoqué l'article 67 de la ConstitutiC)Il
qui donne au Roi Ie pouvoir d'assurer l'exécution des lois.
Le maintien de l'ordre public n'est-il pas la première con-
dition de cette application? (Déclaration de M. Pierlot,
Anna/es parlementaires, 1934, p. 903; exposé des motifs,
A.R., 22 juin 1936).
Ceci oblige de réduire la compétence autonome de l'Exé-
cutif à ce qui concerne directement la paix publique. Lors-
qu'il s'agit de sécurité proprement dite, Ie droit et Ie devoir
du gouvernement est de prendre les arrêtés nécessaires
même en !'absence de loi. Le peuple ne peut périr faute
de texte et les textes ne peuvent tout résoudre à !'avance.

c. - Fonction administrative.
132. Les services publics sont créés par Ie législateur et
leur fonctionnement est régi par une loi organique
(n° 21). Mais ces dispositions devront être précisées par des
arrêtés d'exécution, et surtout l' Administration, soumise à
la légalité, est maîtresse de l'opportunité.
D'abord Ie législateur peut lui laisser la liberté de dé-
cider la création du service public. Une commune peut
mais ne doit pas avoir un corps de sapeurs-pompiers.
Ensuite l' Administration, dans des cas plus fréquents,
appréciera souverainement l'oppurtunité -du fonctionne-
ment du service une fois créé. Par exemple la loi du 12 fé-
vrier 1897 sur l'expulsion des étrangers laisse un large
pouvoir d'appréciation au gouvernement. C'est l'Adminis-
tration qui détermine si tel individu est indigent et s'il a

N 131
05
à 132
SECTION I, - ÉTAT

droit à un secours de l'assistance publique. Cette apprécia-


tion peut être soumise dans certains cas à des controles
j uridictionnels.
Enfin l'Administration est très généralement maîtresse
de choisir les moyens techniques pour faire fonctionncr Ie
service. Si Ie Parlement a décidé la création d'un chemin
de f er, elle fix era Ie tracé de la voie, Ie nombre et l'horaire
des trains, les points d'arrêt. Elle décidera si elle exproprie
tel terrain, accepte l'offre de tel soumissionnaire, engage
tel agent plutöt que tel autre. Domaine immense ou elle
agit sans controle. Certes, dans ce domaine aussi, sa liberté
peut être limitéc par la loi qui peut lui imposer Ie tracé
de la voie et par conséquent les terrains à exproprier, la
désignation du plus bas soumissionnaire, la nomination du
premier classé <lans un concours. Ce sera exceptionnel. La
technique législative permet de donner des normes géné-
rales et non pas de régler les cas d'application.
Bref, dans la gestion des services publics la part d'ini-
tia tive souveraine, de pouvoir discrétionnaire de l'Admi-
nistration est extrêmement importante. La différence est
grande entre une règle abstraite et une politique concrète. '

d. - Fonction }uridictionnelle.
133. Les tribunaux administratifs sont aussi indépen-
dants vis-à-vis du législateur que les magistrats de l'ordre
j udiciaire pour interpréter les lois et les appliquer (n° 466).

4. lndépendance vis-à-vis du juge.


134. Elle sera précisée au chapitre XII.
On distingue compétence subjective et objective : la pre-
mière est Ie pouvoir de vider au fond un différend. La
seconde consiste à limiter ou supprimer la valeur j uridique
d'un acte administratif.
135. Contentieux subjectif: Nous verrons qu'en fait
l'Administration jouit d'une large immunité à l'égard des
tribunaux judiciaires (ch. XII et XIII).
136. Contentieux ob jectif : Selon l'article 107 de la Con-
stitution les tribunaux n'appliquent les arrêtés administra-
tifs qu'autant qu'ils sont conformes aux lois. La portée de
cette disposition est analysée au n° 475.

N 08 132 à 136
112 CHAPITRE IV. - STATUT

B. ÜRGANISATION GÉNÉRALE DE L'ADMINISTRATION

137. On a vu plus haut que l'Administration centrale est


unique et les départements ministériels, comme leur nom
l'indique, n'en sont que des parties sans personnalité juri-
dique distincte (n° 51). Par ailleurs, l'Exécutif organise
comme il l'entend ses services. Le Roi tire du pouvoir de
nommer les ministres (Const., art. 65) celui de détermiqer
et de modifier leurs attributions, c'est-à-dire de fixer Ie
nombre, la structure et la démarcation des départements
(C. E., 18 mai 1956, R. J. D. A., 1957, 31, Zimmer). L'inter-
vention du législateur est possible et exceptionnelle.
Il est impossible même de schématiser, dans ce manuel,
toute l'organisation administrative de l'Etat : les départe-
ments ministériels se décomposent en directions générales
et directions; on distingue d'autre part les services cen-
traux et les services extérieurs; parmi ceux-ci certains
bénéficient d'un sta tut autonome (n° 172). Des fonctions
sont remplies non pas par des individus mais par des col-
lèges, etc.
Pour assurer -la coordination nécessaire, il y a des or-
ganes spécialisés <lont l'action s'étend à tout Ie corps admi-
nistratif. Au point de vue politique, fonctionnent Ie conseil
des ministres et les comités ministériels restreints; à
l'échelon administratif, se trouvent Ie service d'administra-
tion générale et Ie comité supérieur de controle; pour assu-
rer l'unité financière, citons Ie corps des inspecteurs de
finances, la comptabilité des dépenses engagées, etc.
Une question est importante : Quelles sont les autorités
administratives compétentes pour accomplir valablement
des actes juridiques pour Ie compte de l'Etat? Deux prin-
cipes dominent ·toute la matière. D'une part l'autorité est
fortement concentrée, d'autre part les nécessités pratiques
imposent de larges délégations.

1. -Principe général de la concentration.


138. Dans Ie cadre de l'Etat, l'autorité est concentrée
dans la personne du Roi. Ceci résulte des articles 29 et 67
de la Constitution. Selon Ie premier; au Ror a~pparûem-Ie-
pouvoir exécutîf tel qu'il est réglé par la Constitution; se-
Ion Ie second, c'est Ie Roi « qui fait les règlements et arrêtés
nécessaires pour l'exécution des lois ». Ajoutons encore

N 06 137 à 138
SECTION IJ. - PERSONNES PUBLIQUES TERRITORIALES 113

l'article 66 qui réserve au Roi Ie droit de nomination et,


par conséquent, celui d'organiser l'administration.
, Les arrêtés royaux doivent toujours être contresignés par
un ministre responsable (Const., art. 64).

2. Délégations.

139. Pareille concentration doit être allégée par de p.om-


breuses délégations. Le Roi ne pourrait signer seul les
nombreux actes que requiert l'activité quotidienne des ser-
vices publics. Il se réserve les grandes décisions (n° 96).
La délégation ne contredit pas et ne ruïne pas l'unité
nécessaire de l'Etat. Car Ie pouvoir hiérarchique subsiste.
Le Roi (et son ministre) peut évoquer !'affaire ou dicter
la décision, l'annuler voire la réformer (n° 115). Au sur-
plus, la délégation ne doit être que partielle et n'avoir pour
obj et que des mesures secondaires ou accessoires (n° 100).
Dans la délégation, on peut distinguer deux échelons; les
décisions qui peuvent être prises par le ministre seul -
et non pas en contresignant un arrêté royal - et d'autres
qui peuvent être prises par des fonctionnaires. Dans des
cas exceptionnels, elle est faite au bénéfice d'organes dé-
,centralisés. C'est Ie dédoublement fonctionnel (n° 54).

SECTION Il

PERSONNES PUBLIQUES TERRITORIALES

A. DES ORGANES ET LES FONCTIONS

140. Comme pour l'Etat, on distingue organes et fonctions.

1. Organes.

L'idée de la multiplicité des pouvoirs ou organes a été


encore appliquée. On y trouve un organe délibérant, un
organe exécutif et un organe de controle.
Si l'Exécutif émane dans une certaine mesure des assem-
blées (échevins, députés permanents et généralement
bourgmestres, qui sont choisis dans Ie sein des conseils
communaux ou provinciaux), la loi n'a toutefois pas orga-

N 08 138 à 140
114 CHAPITRE IV. - STATUT

mse un régime parlementaire selon lequel les assemblées


peuvent à tout moment renverser et remplacer l'Exécutif.
Pareil système aurait trap agité les petites collectivités
et aurait nui à la bonne administration des intérêts publics.
D'ailleurs si les membres de l'Exécutif sant nommés pour
un terme déterminé, Ie controle de leur gestion est assuré
pendant toute la durée de leur mandat : les assemblées
doivent voter les budgets et les décisions de principe leur
sant réservées; d'autre part, Ie gouvernement qui émane,
lui, de la majorité parlementaire, exerce la tutelle.

2. Fonctions.
On retrouve chez les personnes publiques territoriales
les trois fonctions, administrative réglementaire et juridic-
tionnelle. Les deux dernières doivent être caractérisées.
1° Fonction réglementaire : Elle ne peut être exercée
que dans les limites de la compétence matérielle, en d'au-
tres termes, elle doit porter sur des objets d'intérêt, soit
provincial, soit communal. Mais par Ie fait même que pro-
vinces et communes s'occupent d'une matière, elles lui
reconnaissent un intérêt régional au local.
Encore faut-il qu'une autre qualification ne soit pas
donnée par une autorité supérieure. Dès qu'une loi au un
arrêté royal est intervenu, les pouvoirs subordonnés ne
peuvent plus s'en occuper. Toutefois, on admet des règle-
mentations complémentaires adaptant les règles générales
aux situations locales. Un règlement provincial a Ie même
effet à l'égard de la compétence réglementaire des com-
munes.
En matière de police, Ie pouvoir réglementaire commu-
nal n'existe que dans les cas expressément prévus par la
loi. Cette exception au principe de la compétence indéfinie
dans Ie cadre communal, s'explique par Ie caractère excep-
tionnel du pouvoir de police qui, par son exercice, limite
les libertés individuelles et la propriété privée. Celles-ei
sant protégées par la Constitution et ne peuvent être régle-
mentées que par la loi au en vertu d'une loi.
La compétence pour faire des rè--glements-appartient au
conseil provincial (L. P., art. 85) et au conseil communal
(L. C., art. 78), exceptionnellement en matière de police,
au bourgmestre (L. C., art. 94) (n 425, 426).
05

Les règlements sant publiés soit au Mémorial adminis-

N° 140
SECTION II. - PERSONNES PUBLIQUES TERRITORIALES 115

tratif de la province, soit dans les communes par voie d'af-


fiche. Ceux qui ne concernent pas la généralité des citoyens
sont notifiés. Ces formalités sont nécessaires pour leur
donner force obligatoire.
Les actes réglementaires des provinces et communes sont
sujets au controle de la tutelle. La théorie générale de
l'acte réglementaire a été faite au n° 213.
2° Fonction juridictionnelle : Elle est exercée par la
députation permanente en matière d'élection, de compta-
bilité et de fiscalité communales et en d'autres domaines.
On a souvent critiqué cette intervention d'un corps qui
n'est pas spécialisé dans la mission de juger et qui au sur-
plus a un caractère politique accusé.
La théorie de la fonction et de l'acte juridictionnels est
exposée au chapitre XII.
3° Puissance publique : Les autorités provinciales et
communales ont les privilèges de la puissance publique
(n° 221). Elles lèvent les impöts, exercent les pouvoirs de
police, prennent des décisions exécutoires, bénéficient de
l'exécution d'office et du privilège du préalable.

B. ÜRGANISATION GÉNÉRALE

141. Le statut des personnes publiques territoriales s'or-


ganise autour de deux idées fondamentales.
La première est que la décentralisation ainsi réalisée
se justifie surtout par des considérations politiques. Certes
on peut faire valoir des arguments techniques. Pour assu-
rer un meilleur fonctionnement des services publics, il est
souvent utile de rapprocher !'administrateur de l'admi-
nistré. Mais dans bien des cas, un regroupement et une
centralisation des services auraient assuré des prestations
meilleures. La justification fondamentale de la décentrali-
sation territoriale est politique. Il faut faire contröler la
gestion des services par les collectivités qu'ils desservent.
La deuxième idée est fondée sur l'unité de l'Etat. Il
faudra donner au pouvoir centra! les moyens d'assurer Ie
respect des lois et de l'intérêt général par ces personnes
publiques.
Les personnes publiques territoriales sont donc à la fois
politiques et subordonnées. Ces deux caractères influent
sur leur structure et sur leur mode de fonctionnement. Par

N 08 140 à 141
116 CHAPITRE IV. - STATUT

Ie premier, elles se rapprochent de l'Etat; par Ie second,


elles ressemblent aux personnes publiques parastatales.

1. Caractère politique.
a. - Origine élective.
142. Les membres des institutions provinciales et com-
munales tirent leur autorité de l'élection.
D'abord, les conseillers provinciaux et communaux sont
désignés par élection directe (Const., art. 108; L. 19 oct.
1921, L., 4 août 1932, l'une et l'autre amendées ultérienre-
ment à plusieurs reprises). Ceci crée des droits subjectifs
(à l'électorat, à l'éligibilité, à la régularité des opérations
électorales), qui sont de nature politique (Const., art. 93).
Ensuite, les échevins (L. C., art. 2) et les députés per-
manents (L. P., art. 3) sont élus par les deux conseils.
Enfin, Ie bourgmestre est nommé par Ie Roi au sein du
conseil, sauf exception (L. C., art. 2). Seul Ie gouverneur
est indépendant de l'élection; il est nommé et révoqué par
Ie Roi (L. P., art. 4).

b. - Mandataires politiques.
143. Tous ces personnages, à l'exception du gouverneur
de province, sont des mandataires politiques.
Les conseillers, échevins, députés permanents, n'ont pas
Ie statut des fonctionnaires; ils n'entrent pas dans la
hiérarchie administrative. Ils ne sont pas dans une sitna-
tion contractuelle mais réglementaire. Leur situation juri-
dique ne peut donc être modifiée soit de leur propre
volonté, soit même de l'accord des électeurs. Il leur est
interdit d'accepter des mandats impératifs. Par contre, tout
élément de cette situation juridique peut, à tout moment,
être modifié par la loi sans qu'aucun droit acquis puisse
être invoqué contre elle.
Enfin, ces mandatairés politiques ne sont rien individuel-
lement. Ils font partie d'un corps collectif qui est Ie véri-
table organe de la personne publique territoriale.

c. - Les assemblées.
144. Les assemblées bénéficient de certaines garanties
assurant leur indépendance vis-à-vis de l'autorité centrale.

N 08 142 à 144
SECTION II. - PERSONNES PUBLIQUES TERRITORIALES 117

Le conseil provincial élit son président, son vice-prési-


dent, forme son bureau et élit les députés permanents
(L. P., art. 49).
Le conseil communal est présidé par Ie bourgmestre qui
est nommé par Ie Roi et qui peut être remplacé en cas
d'empêchement (L.C., art. 65).
Les deux assemblées ont la maîtrise de leur ordre du
jour dans les limites de leur compétence constitutionnelle.
La loi précise la durée minima des sessions pour Ie con-
seil provincial (L. P., art. 44 et 45) avec des réunions de
plein droit. Le conseil communal s'assemble toutes les fois
que l'exigent les affaires comprises dans ses attributions.
Il est convoqué par Ie collège; cette convocation peut être
requise par un tiers des membres en fonction.
Les séances sont en principe publiques (Const., art. 108;
L. P., art. 51; - cons. C. E., 23 mai 1961, arrêt 8599, charte
communale 1961, n° 392).

2. Caractère subordonné.

Le caractère subordonné des personnes publiques terri-


toriales se marque de diverses manières.

a. - Compétence.
145. Elle est limitée aux intérêts provinciaux et commu-
naux (n° 66) ou aux matières d'intérêt général qui leur
sont confiés par la loi.
Décentralisation territoriale : Provinces et communes
sont prévues par la Constitution. Celle-ci ne donne pas une
énumération limitative des matières, mais leur confie tout
ce qui est d'intérêt exclusivement provincial et communal
(art. 31 et 108). Mais qui appréciera ce caractère? Ce sont
les autorités régionales et locales elles-mêmes qui Ie con-
statent par Ie scul fait de leur action : elles peuvent inter-
venir partout ou l'intérêt de la collectivité leur paraît l'exi-
ger. Toutefois, Ie législateur vient limiter cette liberté
d'appréciation. Il impose certains devoirs, oblige par
exemple les communes d'assurer l'ordre, l'enseignement
primaire, l'assistance publique. lnversement il soustrait à
la compétence des provinces et communes des matières
qu'il estime devenues d'intérêt général; il Ie fait soit ex-
pressément, soit implicitement en réglant ces matières par

N°" 144 à 145


118 CHAPITRE IV. -- STATUT

une loi (cf. Cass., 21 oct. 1954, R. J. D. A., 1954, 308, Van
Hulst). Pour les règlements de police, voy. n° 140, 2, 1°.
Déconcentration : Les autorités provinciales et commu-
nales ne sont pas seulement les organes de ces personnes
publiques; elles sont aussi souvent appelées à gérer des
intérêts généraux pour Ie compte de l'Etat. En d'autres
termes, elles sont des instruments non seulement de décen-
tralisation mais encore de déconcentration (n° 96). C'est
ainsi que les conseils communaux et provinciaux donnent
leur avis sur les questions d'intérêt général qui leur sont
posées par Ie gouvernement (L. P., art. 123; L.C., art. 75;
adde pour la députation permanente : L. P., art. 78 et 106).
Gouverneurs et bourgmestres remplissent eux aussi des
fonctions non seulement locales mais nationales; ils ont la
responsabilité de la tranquillité et du bon ordre (L. P.,
art. 128 et 129; L.C., art. 105). Ils sont chargés de l'exécu-
tion des lois et arrêtés dans les provinces et communes
(L. P., art. 124; L. C., art. 90). Le bourgmestre participe
à l'exercice de la police judiciaire (Code d'instruction cri-
minelle, art. 9, 11 et 50) et remplit les fonctions de minis-
tère public dans certaines communes (L., 18 j uin 1869,
art. 153). L'arrêté royal du 14 août 1933 dispose que Ie
Roi peut confier aux gouverneurs de province et aux com-
missaires d'arrondissement des pouvoirs qui lui appartien-
nent de par la loi en matière d'intérêt provincial, local ou
particulier (adde A. R. du 30 nov. 1939).
Ces missions sont nombreuses et absorbent une grande
partie de l'activité des autorités subordonnées. On peut
parfois se demander à quel titre celles-ci interviennent. Un
bourgmestre qui est chargé par la loi de la police de la
voirie, agit-il comme organe de sa commune ou comme un
agent du pouvoir centra!? Du point de vue de !'autonomie,
il n'a pas d'instruction à recevoir <lans Ie premier cas, car
les communes ne sont soumises qu'au pouvoir de tutelle;
il doit suivre les ordres du ministre, son supérieur hiérar-
chique dans la seconde hypothèse. Par voic de conséquence,
la responsabilité de ses actes est imputée, selon !'analyse,
à la commune ou à l'Etat (n° 390) (De Visscher,_note sous
Cass., 21 oct. 1954, R. J. D. A., 1954, 308, Van Hulst; -
Buttgenbach, dans Rev. crit. jur., 1958, 130).
Pouvoir politique : Les personnes publiques territoriales
participent à la vie politique nationale.
SECTION ll. - PERSONNES PUBLIQUES TERRITORIALES 119

Les conseils provinciaux élisent les sénateurs (Const.,


art. 53) présentent des candidats à certaines fonctions judi-
ciaires (Const., art. 99).

b. - Jnterdiction d'assemblées communes.


146. Les assemblées ne peuvent élargir leurs intérêts et
leur influence en tenant des assemblées communes. Certes,
plusieurs provinces et plusieurs communes peuvent s'en-
tendre et s'associer pour régler et gérer en commun des
objets d'intérêt provincial ou d'intérêt communal (Const.,
art. 108, L., 1 er mars 1922, modifiée Ie 18 mai 1929). Mais
leurs conseils ne peuvent délibérer en commun (Const.,
art. 108).
c. - Organisation de la tutelle.
147. La tutelle est Ie pouvoir qui est donné aux autorités
supérieures de s'opposer aux décisions par lesquelles les
provinces et les communes violent la loi ou blessent l'in-
térêt général. Le principe est établi par l'article 108, 5°.
Celle-ci peut être générale et se traduit par une annu-
lation sur recours du gouverneur, éventuellement après
suspension (L. P., art. 125 et 89; L.C., art. 86 et 87) (n° 123).
La tutelle peut aussi être spéciale et prendre la forme
d'approbation et d'autorisation. Pour la province, elle est
organisée par les articles 86 et 88 de la loi provinciale;
pour la commune, la tutelle spéciale prend la forme soit
d'un avis de la députation permanente du conseil provin-
cial et d'une approbation du Roi (L.C., art. 76), soit celle
de l'approbation de la députation permanente avec recours
éventuel au Roi (art. 77) (n° 124).
La tutelle peut être positive. En certains cas, un droit
d'injonction est reconnu à l'autorité supérieure; notam-
ment les dépenses obligatoires peuvent être inscrites d'of-
fice au budget. Des commissaires peuvcnt être envoyés
dans les communes (n° 127).
Imposée pour assurer l'unité de l'Etat (Const., art. 108,
5°; cfr. n° 139), la tutelle ne peut être déléguée par Ie Rai
que très partiellement (n° 101) et à la condition de réserver
la décision finale grace à la possibilité d'annulation, réfor-
mation, évocation (n° 115; avis C. E., Doe. Sénat, 1961-62,
n° 20).

N 00 145 à 147
120 CHAPITRE IV. - STATUT

SECTION 111

PERSONNES PUBLIQUES PARASTATALES


148. Les types d'établissements parastataux peuvent être
indéfiniment multipliés et leur statut se ramène, par con-
séquent, difficilement à une unité.
La loi du 16 mars 1954, a imposé quelques principes gé-
néraux, surtout dans Ie domaine financier. Elle classe un
grand nombre d'établissements en diverses catégories <lont
les régimes ne sont pas identiques. Les principes établis par
la loi du 16 mars 1954 ne peuvent être étendus aux orga-
nismes d'Etat qui ne sont pas repris dans la liste ni aux
établissements provinciaux et communaux. En effet, les
personnes publiques sont en principe indépendantes. Les
règles de subordination ou de normalisation sont excep-
tionnelles et doivent être strictement interprétées (n° 54).

A. EsPÈCE~ DE PERSONNES PUBLIQUES PARASTATALES

149. Ces services publics sont détachés de l'Etat, de la


province ou de la commune et reçoivent une personnalité
distincte.
Résolvons d'abord une question de terminologie. Puis-
qu'il faut un néologisme pour désigner une notion nouvel-
lement dégagée, on préférera parastatal à paraétatique.
Ce dernier vocable est déshonoré par un hiatus et n'est
pas plus rationncl. Il est composé à partir d'un adjectif
« étatique » que Ie français ignore. Les organismes détachés
de provinces et communes, dans une langue exacte, <le-
vraient être appelés paraprovinciaux et paracommunaux~

1. Principe de classement.
150. Le législateur a fait preuve d'imagination. C'est
souvent par manque d'information qu'il ne reproduit pas
fidèlement les meilleures formules. Une loi organique qui
donnerait les statuts de différents types de personnes para-
statales ne résoudrait pas Ie problème. C---ar le- législateur
ne peut se lier lui-même. Malgré Ie texte organique, il pour-
rait créer une personne publique qui n'appartient à aucune
des catégories prévues.
Cependant, Ie désordre juridique n'est pas aussi grand

N 05 148 à 150
SECTION III. - PERSONNES PUBLIQUES PARASTATALES 121

qu'il paraît. La doctrine s'est attachée à découvrir certains


critères de classement. Les tentatives qui se sont fondées
sur la nature de l'entreprise ainsi personnalisée et qui ont
cherché à opposer les services administratifs aux services
industriels ou commerciaux ont toujours échoué. C'est
d'une autre manière qu'il faut aborder Ie problème. On
doit examiner par quels procédés juridiques est assurée
l'unité nécessaire de l'Etat malgré la multiplicité des per--
sonnes publiques.
En cette matière, M. Buttgenbach a fait en Belgique,
reuvre de pionnier (Théorie générale des modes de gestion
des Services publics en Belgique).

2. Administration personnalisée.

'.1.51. Dans un premier système, Ie pouvoir hiérarchique


continue à subsister. Les autorités centrales ont, sur les
organes de la personne publique parastatale, Ie même
pouvoir que sur leurs propres agents. Elles peuvent dicter
une décision, la réformer. On a alors des administrations
personnalisées .
. Elles se définissent « les services qui sont détachés de
l'Etat, d'une province ou d'une commune pour constituer
une personne publique distincte <lont les organes de gestion
restent soumis au pouvoir hiérarchique des autorités natio-
nales, provinciales ou communales ».
L'idée de décentralisation n'est qu'à demi exploitée
(n° 58). Si l'on retient Ie principe d'une personnalité dis-
tincte, il n'y a pas à proprement parler d'autonomie de
gestion. Quelle est l'utilité de ce procédé juridique ?
· C'est de pouvoir donner au service un statut spécial : re-
crutement, barème, contrat de gré à gré - et surtout un
patrimoine distinct ( cfr. nos 173 et 174). Insistons sur ce
dernier point.
· D'abord, l'existence d'un patrimoine distinct intéresse les.
tiers. Il ne s'agit pas des créanciers car qui serait plus
solvable que l'Etat avec sa toute puissance fiscale? Mais
l'on vise les donateurs ou contribuables qui seront mieux
assurés de l'affectation spéciale donnée aux sommes qu'ils
ont versées.
D'autre part, la création de ce patrimoine permet une
comptabilité commerciale avec des comptes de capita!,
d'amortissements et de réserves soigneusement séparés des

Nos 150 à 151


122 CHAPITRE IV. - STATUT

comptes d'exploitation. D'ot1 la possibilité d'une gestion


industrielle fondée sur la considération du prix de revient.
Gestion économiquc ne veut pas <lire gestion lucrative;
elle peut être délibérément déficitaire, mais au moins pour-
ra-t-on évaluer l'importance de ce sacrifice.
Parmi les administrations personnalisées. citons à titre
d'exemple la Régie des Télégraphes et Téléphones, la Régie
des Services frigorifiques de l'Etat, la Régie des Voies
aériennes.
3. Etablissement public.
152 lei, les autorités supérieures n'ont plus Ie pouvoir
de dicter la décision. Elles peuvent simplement s'y opposer.
Au pouvoir hiérarchique est substitué Ie pouvoir de tutelle.
L'Etat ne peut pas dire « je veux » mais simplement « je
m'oppose ». Dans ce cas, nous avons des établissements
publics.
Ceux-ci sont <les services publics qui sant détachés de
l'Etat, d'une province ou d'une commune pour constituer
une personne publique distincte dont les organes de direc-
tion sont autonomes mais soumis au pouvoir tutélaire des
autorités gouvernementales, provinciales ou communales.
L'établissement public est une personne publique qui est
créée par voie de fondation (n° 39). Ce qui est exactement
l'objet de cette fomlation n'est pas une portion de biens
qui serait détachée de !'ensemble du patrimoine de la per-
sonne publique mais le service public lui-même avec son
organisation, ses pouvoirs, ses moyens aussi bien intellec-
tuels que matériels. Voilà pourquoi il faut reconnaître la
qualité d'établissement public à des conseils économiques
ou sociaux (Conseil centra} de l'économie, conseils profes-
sionnels, Conseil supérieur des classes moyennes, Conseil
national du travail) ou à des organimes professionnels
comme l'ordre des avocats, des médecins au des pharma-
ciens, encore qu'ils n'aient guère de patrimoine propre.
L'essentiel est qu'il s'agit de services publics décentralisés
et personnifiés (comp. Buttgenbach, Manuel, n 05 242 et
245).
Les établissements publics se diff érencient des adminis-
trations personnalisées en ce qu'ils ont !'autonomie de
gestion; celle-ci n'est pas absolue puisque les autorités
supérieures gardent, à défaut de pouvoir hiérarchique,
celui de tutelle.

N()I! 151 à 152


SECTION 111. - PERSONNES PUBLIQUES PARASTATALES 123

On pourra déterminer par cette précision quand Ie légis-


la teur <loit préférer créer un établissement public plutót
qu'une administration personnalisée. Il Ie fera chaque fois
que l'Etat ne doit pas être directement mêlé à la gestion du
service public, soit parce qu'une exploitation technique est
délicate et susceptible d'influencer Ie secteur privé (orga-
nismes financiers tels que la Caisse Nationale de Crédit
Agricole, l'Institut National de Crédit Hypothécaire, etc.),
smt parce que l'activité touche de trop près à la liberté
d'opinion (Tempore! des cultes, Radiodiffusion), soit parce
que Ie bon renom <l'impartialité de l'administration cen-
trale doit rcster à l'abri de tout soupçon, etc.
La doctrine et la j ur1sprudence n'ont distingué que len-
tement l'établisscment public de l'établissement d'utilité
publique. Le critère de la différence est que Ie premier est
une personne publique créée par l'autorité publique et
<lont Ie hut exclusif est de gérer un service public (n° 50).

4. Association de droit public.

153. La création d'une personne publique parastatale


peut poser d'une autre façon Ie problème de l'unité du
commandement. Parfois, en effet, plusieurs personnes se
sont unies pour organiser l'entreprise que constitue Ie ser-
vice public. Il s'agit d'une véritable association volontaire
et non pas d'un groupement obligatoire. Personne ne songe
à <lire que les communes se fondent par voie d'association;
mais ces personnes publiques territoriales sont administrées
par des organes collectifs. De même, certaines personnes
publiques parastatales ont à leur base un groupement obli-
gatoire et sont gérées par des organes collectifs. Elles n'en
sont pas moins des établissements puhlics. Tels sont par
exemple les ordres des avocats, des médecins ou des phar-
maciens, les conseils professionnels de Droit public. L'asso-
ciation que nous visons a une autre nature. L'entreprise à
laquelle une personnalité juridique est accordée ne se crée
et ne fonctionne que par les volontés libres et convergentes
de différentes personnes, soit exclusivement publiques, soit
publiques et privées. Par exemple les intercommunales se
constituent par un accord conclu entre l'Etat, les provinces,
les communes et même les particuliers.
Ce caractère permet de distinguer une troisième caté-
gorie de personnes publiques parastatales. Car ici l'autorité
124 CHAPITRE IV. - STATUT

des pouvoirs centraux est limitée d'une autre manière. Ce


sont les associations de Droit public.
Celles-ei sont donc des services publics qui sont détachés
de l'Etat, d'une province ou d'une commune pour consti-
tuer par le système de l'association une personne publique
distiucte <lont les organes de direction sont autonomes mais
soumis au pouvoir tutélaire des autorités gouvernemen-
tales, provinciales ou communales.
On ne peut les confondre avec les administrations ner-
sonnalisées. Sur ces associations de Droit public, l'Etat
n'exerce pas le pouvoir hiérarchique mais simplement le
pouvoir de tutelle. Les autres pouvoirs publics et les par-
ticuliers ne voudraient pas s'associer à l'Etat si celui-ci se
réservait Ie droit de dicter toutes les décisions.
Pas de confusion possible non plus avec l'établissement
public. Il faut laisser une certaine autonomie à la volonté
des associés. Ceci réagira sur Ie statut administratif et
financier de !'organisme. Si l'Etat veut modifier les statuts,
s'il envisage même la suppression de !'organisme, il devra
consulter les associés; si ceux-ci ne sont pas d'accord, ils
peuvent avoir droit à des dommages-intérêts (n° 73).
Cette distinction n'a pas toujours été aperçue; on relève
un certain flottement de la terminologie dans la jurispru-
dence et dans les lois. La loi du 1er mars 1922 qualifie d'éta-.
blissements puhlics les associations intercommunales d'as-
sistance publique. Fait la même erreur un arrêt de la Cour
de cassation (Cass., 19 févr. 1942, R. A., 1942, 389) qui veut-
reconnaître Ie caractère public des caisses primaires d'al-
locations familiales.
On a confondu les associations de Droit public, non seu-
lement avec les établissements publics, mais aussi, et plus
souvent encore, avec de simples associations de Droit privé.
Cette erreur d'analyse résulte du fait qu'on n'y a pas dé-
couvert les deux éléments spécifiques d'une personne pu-
blique : création spéciale par les autorités publiques, aux
fins exclusives de gérer un service public. Toute personne
publique, même si elle prend Ie vêtement d'une société
commerciale, ne peut être confondue avec celle-ci (cf. L.,
ter mars 1922 sur les intercommunales, art. 5) et garde en
raison de sa nature, des traits distinctifs.
Ainsi l'arrêt de la Cour de cassation (Cass., 26 avril 1894,
Pas., 1894, I, 188) qui a précisément donné la définition de
la personne publique, a refusé <l'en reconnaître une dans

N° 153

\
\
SECTION III. - PERSONNES PUBLIQU~S PARASTATALES 125

la Société Nationale des Chemins de Fer Vicinaux. Le rai-


sonnement est vigoureusement réfuté par Resteau ([,es
sociétés anonymes devant le droit beige, tome I, n° 166).
Malgré l'économie de toute la loi de 1922, il s'est trouvé
une juridiction déclarant que« les associations provinciales
et communales sont des individualités de Droit privé >
(Liège, 12 juill. 1929, R. A., 1930, 237, sur Huy, 12 juill.
1928, R. A., 1929, 373).
Pour la Société Nationale des Chemins de Fer Belges, la
jurisprudence de Cour de cassation et du Conseil d'Etat
se sont longtemps opposées (C. E., 11 févr. 1958, R. J. D. A.,
1958, 167, Vervoort).
Il faut examiner plus particulièrement les cas ou l'Etat
s'est acquis une position prépondérante dans l'association.
·Par exemple, il s'est réservé la possibilité de nommer Jes
dirigeants en dehors des assemblées générales. Il en est
ainsi pour la Société Nationale des Chemins de Fer Vici-
naux, la Société Nationale de Distribution d'eau, la Société
Nationale des Habitations à bon marché, la Société Natio-
nale de la Petite pi'opriété terrienne. Même dans des orga-
nismes d'économie mixte ou Ie capita! privé est largement
teprésenté, l'Etat s'est assuré la majorité absolue à l'assem-
blée générale (Société Nationale des Chemins de Fer, Ban-
que Nationale, Société Nationale de Crédit à l'lndustrie).
Parfois même il a pris la précaution d'écarter à son profit
l'article 76 des lois coordonnées sur les sociétés commer-
ciales limitant la puissance de vote des gros actionnaires
(Société Nationale de Crédit à l'Industrie).
' Prépondérance ne veut cependant pas <lire dictature.
D'abord, s'il s'agit d'un modification essentielle des sta-
·tuts (notamment de la dissolution avant terme ou de la
prorogation), la règle de l'unanimité joue et Ie capital
privé, quoique minoritaire, a son mot à <lire.
Les associés minoritaires interviennent même dans Ie
controle de la gestion quotidienne. Le ministre qui détient
la maj orité des actions et, par conséquent, nomme la ma-
j orité des dirigeants, ne peut cependant exercer sur ceux-ci
Ie pouvoir hiérarchique. One fois qu'il sont nommés, ces
dirigeants sont les organes de la personne publique décen-
'tralisée. Ils ne peuvent être porteurs d'instructions impéra-
tives; la décision doit résulter d'une libre délibération.
Parmi les associations de Droit public, des subdivisions
sont concevables. On peut, par exemple, citer à part les
126 CHAPITRE IV. - STATUT

intercommunales qui sont régies par une loi spéciale (L.•


1 er mars 1922, à comparer par exemple aux sociétés régio-
nales d'investissement prévues par l'article 17 de la loi
du 18 j uillet 1959 ou les communes peuvent aussi s'associer
avcc d'autres pouvoirs publics et des particuliers).
Mais ces distinctions sont-elles nécessaires? Plus on va loin
dans l'analyse, plus on s'éloigne des principes fondamen-
taux du Droit et plus on risque d'avancer des règles qui
généralisent l'ut plurumque fit, et qui peuvent être contre-
dites par une nouvelle initiative du Législatif.
,
B. LES ORGANES ET LES FONCTIONS

Les personnes publiques parastatales réalisent la décen-


tralisation par service (cf. L., 16 mars 1954, complétée par
A. R., 15 déc. 1957 [pris en vertu de la loi du 12 mars 1957]).
Fonctions: Leur compétence est limitée par leur objet
(n° 89). En principe, et sauf disposition expresse de la loi.
elles n'exercent ni la fonction réglementaire (n° 215) ni la
fonction juridictionnelle (n° 461); elles ne disposent pas
non plus de la puissance publique et elles n'ont pas Ie pou-
voir de contrainte (décision exécutoire, pouvoir de police.
etc.).
Organes : lei aussi, on constate leur multiplicité.

1. Organes de gestion.

154. On distingue généralement un organe délibérant


et un organe exécutif. Cette dualité est une tradition de
notre Droit administratif. Elle existe nécessairement dans
les associations de Droit public; on la trouve encore dans
les établissement publics. Même au sein des administrations
personnalisées, soumises à l'autorité hiérarchique d'un seul
ministre. peut être organisé un conseil consultatif ou les
diff érents chefs de· département intéressés auront leurs
délégués. Ils seront ainsi tenus au courant de la gestion,
pourront exprimer leur opinion et tout conflit qui ne serait
pas résolu à l'amiable sera évoqué en conseil des ministres.
Si la collaboration de particn-Hers est prévue fpar exem-
ple régie intéressée, association de Droit public) l'influence
des pouvoirs publics doit rester prépondérante (n° 83).
Sinon nous avons une société d'intérêt public (n° 85). Mais
les particuliers ont des droits.

N 08 153 à 154
SECTION ID. -- PERSONNES PUBLIQUES PARASTATALES 127

2. Organes de surveillance.

155. Puisque les personnes publiques parastatales sant


subordonnées, on trouve chez elles comme chez les person-
nes publiques territoriales, des organes de surveillance.

a. - Commissaires du gouvernement.
156. Sauf dans les administrations personnalisées, sou-
mises au pouvoir hiérarchique (n° 151), on trouve prati-
quement partout des « commissaires du gouvernement».
Leur présence a été généralisée par la loi du 16 mars 1954
qui prévoit pour chaque établissement deux commissaires,
l'un nommé par Ie ministre <lont relève !'organisme et
l'autre par Ie ministre des Finances. Ce sant des fonction-
naires qui surveillent la politique générale de la personne
publique décentralisée. Ils permettent au ministre d'exer-
cer son pouvoir de tutelle générale en prenant leur recours
suspensif contre les actes contraires aux lois, aux statuts
ou à l'intérêt général.
L'annulation peut amener des troubles qu'il convient de
limiter. La loi <lu 16 mars 1954 fixe un délai suspensif de
trois jours pour prendre Ie recours. Si Ie ministre n'a pas
statué dans les 15 jours, la décision est définitive (art. 9-10).
Ces fonctionnaires doivent avoir les droits nécessaires
pour l'accomplissement de leur mission. Par exemple, ils
doivent avoir Ie pouvoir d'investigation; ils peuvent se faire
assister par des experts. Ces pouvoirs ne sont pas toujours
définis par la loi avec suffisamment de clarté. Celle du
16 mars 1954 dispose que les commissaires, pour l'accom-
plissement normal de leur mission, peuvent assister avec
voix consultative aux réunions des organes de gestion.

b. - Réviseurs.
157. A cöté des commissaires du gouvernement, des ré-
viseurs jouent Ie même röle que les commissaires des
sociétés commerciales (L., 16 mars 1954, art. 13). lls sont
désignés autant que possible parmi les membres de l'In-
stitut des réviseurs d'entreprise et sont nommés de com-
mun accord par Ie ministre <lont !'organisme relève et Ie
ministre des Finances. lls contrölent la consistance des
biens et l'exactitude des écritures. lls signalent au ministre

N 05
155 à 157
128 CHAPITRE IV. - STATUT

des Finances et aux autorités dirigeant l'établissement


controlé toute irrégularité ainsi que toute situation sus-
ceptible de compromettre la solvabilité. Ils leur adressent
un rapport annuel. (La Régie des Télégraphes et Télé-
phónes est controlée par une Commission de surveillance).

c. - Comptables des dépenses engagées.


158. Ces comptables controlent !'engagement des dépen-
ses et non pas leur paiement. La dépense est ainsi saisie
dès son origine par l'obligation imposée à l'ordonnateur de
la soumettre au visa d'un agent qui recherche si les crédits
budgétaires sur lesquels elle doit s'imputer ne sont pas
épuisés. C'est donc un controle purement financier.
La loi du 20 juillet 1921 a introduit cette formalité dans
la comptabilité de l'Etat. Mais un régime similaire a été
étendu par l'article 6bis de la loi du 16 mars 1954 à divers
établissements parastataux.
A notre avis, ce controle préalable se conçoit si l'autorité
controlante a Ie pouvoir d'établir Ie budget dont elle assure
ainsi Ie respect. Or, cela n'est vrai que pour les adminis-
trations personnalisées dont Ie budget et les comptes sont
établis par Ie mi1,1istre et votés par les Chambres. Au con-
traire, établissements publics et associations de Droit public
· jouissent de !'autonomie. Ils font eux-mêmes leur budget
qui est simplement soumis à l'approbation - expresse ou
tacite - de l'autorité de tutelle. Il est illogique de prévoir
un controle plus sévère pour l'exécution que pour l'établis-
sement de cette prévision. Dans les deux cas, l'exercice
normal du pouvoir de tutelle doit être suffisant.

d. - Inspecteurs des finances.


159. Ces fonctionnaires suivent l'exécution du budget et
contribuent dans Ie domaine purement financier à l'étude
des mesures propres à réaliser des économies dans les dé-
penses publiques. Ils peuvent être consultés sur les pro-
grammes de dépenses dus à l'initiative du gouvernement
ou <lu Parlement, sur l'incidence financière desproj ets de
réfurme, etc. Ils se situent donc entre le comptable et le
commissaire du gouvernement. Comme le second, ils sui-
vent la politique générale - mais à l'instar du premier,
leur compétence n'est que financière.

Noà 157 à 159


SECTION 111. - PERSONNES PUBLIQUES PARASTATALES 129

Les inspecteurs remplissent d'abord leurs fonctions dans


les administrations centrales. Ils contrölent aussi les admi-
nistrations personnalisées (L., 16 mars 1954, art. 8). Le
<langer de mégalomanie et de gaspillage est aussi grand
dans les services publics décèntralisés que dans les admi-
nistrations centrales directement dirigées par un ministre
responsable <levant les Chambres.

C. ÜRGANISATION GÉNÉRALE

160. A la différence des personnes publiques territo-


riales, les établissements parastataux n'ont pas de caractère
politique. Leurs taches ont en principe une nature techni-
que. L'autorité supérieure conserve la responsabilité de
maintenir l'unité de l'action administrative.

1. Action directe.

161. Administrations personnalisées : Elles sont sou-


mises au pouvoir hiérarchique du ministre. Mais elles béné-
ficient d'une large déconcentration. Les organes de direc-
tion jouissent d'une compétence qui leur permet d'accom-
plir des actes juridiques. La loi organique devrait préciser
avec exactitude dans quelle mesure cette déconcentration
reste compatible avec l'exercice du pouvoir hiérarchique
(n° 115); notamment les actes engageant l'administration
personnalisée vis-à-vis des tiers peuvent-ils être faits d'of-
fice par l'autorité supérieure (droit d'évocation); lorsqn'ils
sont accomplis par les organes de l'administration person-
nalisée, dans quelle mesure et dans quel délai peuvent-ils
être annulés ou réformés par cette autorité ?
Etablissements publics et associations de Droit public :
Us sont autonomes. Cependant, cette autonomie n'est pas
absolue. Pour certaines matières particulièrement impor-
tantes, Ie législateur réserve à l'administration centrale Ie
pouvoir de décision. Citons les cas les plus fréquents.

a. - Création.

162. La création de la personne publique indépendante


est faite par la loi ou en vertu de la loi. Les statuts doivent
être établis ou approuvés de la même façon (n° 53 et 59).

N08 159 à 162


130 CHAPITRE IV. - STATUT

b. - N ominations.
163. Si !'autonomie des établissements publics et asso-
ciations de Droit public était entière, le pouvoir central se
bornerait à approuver ou à improuver la désignation des
organes de gestion. C'est ainsi par exemple que les admi-
nistrateurs de l'CEuvre Nationale de l'Enfance, qui est un
établissement public, sont choisis par cooptation sans même
que le choix du conseil doive être ratifié par le ministre.
Pareille solution est cependant illogique et pratiquement
n'a presque jamais été admise. Si l'autorité supérieure
confie la gestion de certains services publics à des autorités
indépendantes, encore faut-il qu'elle en soit sûre.
Pour les établissements publics, les nominations sont
normalement faites par le Roi. Les désignations faites par
le Parlement seraient mains bonnes parce qu'inspirées par
des préoccupations politiques (pour la Radio et la Télé-
vision, on a voulu protéger la liberté d'opinion). La nomi-
nation directe par le Roi peut être tempérée par un droit
de présentation. Encore faudrait-il, dans un système ra-
tionnel, reconnaître au Roi le pouvoir de rejeter tous les
noms qui lui ont été soumis et d'exiger de nouvelles présen-
tations. Il ne peut en aucun cas être forcé de confier un
service public à des mains indignes ou incapables. Parfois,
certains membres sont désignés en raison de leurs fonc-
tions (Office Central de la Petite Epargne, Fonds d' Amor-
tissement de la Dette publique). Le système est admissible
s'ils ont été nommés à ces fonctions par le Roi, dont l'in-
fluence, quoique indirecte, reste ainsi prépondérante.
Pour les associations de Droit public, l'Etat peut se ré-
server encore Ie droit de nommer certains administratenrs
ou même tout Ie conseil d'administration (lnstitut de Récs-
compte et de Garantie). Mais il est natnrel de reconnaître
une part d'influence à l'assemblée générale groupant les
représentants du capita!. Encore faudrait-il que son choix
soit ratifié par Ie Roi. La raison est toujours la même. Il
s'agit d'un service public qui ne peut être confié sans con-
trole à des représentants d'intérêts particuliers. Quel que
soit Ie mode de nomination, Ie Roi, pour les-mêmes raisons,
devrait toujours se réserver le pouvoir de révocation.
Outre les membres directeurs, Ie Roi nomme souvent Ie
fonctionnaire qui est chargé de la gestion j ournalière :
secrétaire général, directeur, etc.
SECTION III. - PERSONNES PUBLIQUES PARASTATALES 131

Les agents ainsi nommés sont dans une situation régle-


mentaire et non pas contractuelle (n° 228). Le pouvoir de
nommer implique normalement celui de révoquer (n° 112)
et d'une façon plus large Ie pouvoir disciplinaire.

c. - Ressources f inancières.

164. Le troisième point sur lequel les statuts des établis-


sements publics et associations de Droit public devraient
réserver la possibilité d'une intervention directe de l'auto-
rité supérieure est celui des ressources financières. Les
recettes doivent être proportionnées aux nécessités du ser-
vice public, <lont seule cette autorité peut juger l'étendue
Lorsque !'organisme est financé par des crédits budgé-
taires ou des avances du Trésor, Ie controle de l'Etat est
indiscutable. Il doit en être de même lorsque les ressources
sont fournies par Ic public. On doit empêcher qu'un tarif
qui s'avère trop élcvé puisse être maintenu pour satisfaire
les ambitions des organes de gestion ou inversement qu'un
tarif trop bas compromette la stabilité financière d'un
service public qui, par essence ne peut être interrompu.
(Société Nationale des Chcmins de Fer Belges; Société Na-
tionale des Chemins de Fer Vicinaux; intercommunales:
L., 1er mars 1922, art. 7). Cette mcsure devrait être généra-
lisée (L., 16 mars 1954, art. 2, modifié).
Des redcvances qui ont Ie caractère d'impöts doivent être
votées annuellement par les Chambres (Const., art. 111).
L'augmentation des ressources permanentes d'origine
privée (capita!, emprunt, libéralité), ne peut évidemment
être directement imposée. lei il faut une approbation (L.,
16 mars 1954, art. 12).
Il est utile de ccntraliser toutes les disponibilités finan-
cières en une seule trésorerie, par exemple en imposant Ie
dépöt à l'office des chèques postaux des fonds disponibles
à court terme et l'investissement en fonds publics des avoirs
liquides plus permanents (L., 1954, art 12). Ainsi l'Etat
peut-il mieux utiliser des sommes qui, dispersées dans les
caisses de chaquc institution parastatale, seraient moins
avantageusement employées.
D'une façon plus large, l'équilibre budgétaire doit être
assuré (L., 1954, art. 3, § 5).

N 08 163 à 164
132 CHAPITRE IV. - STATUT

J,. Tutelle de l'autorité supérieure.


L'autorité supérieure intervient directement pour im-
poser sa décision dans certains cas exceptionnels. De plus,
elle exerce un pouvoir de tutelle qui s'étend à toute l'acti-
vité des établissements publics et des associations de Droit
public.
a. - Tutelle générale.
165. La tutelle générale est extrêmement efficace parce
qu'elle s'étend à tous les actes. D'autre part, elle n'entrave
pas la gestion normale parce que son exercice n'est pas
automatique. Le commissaire ne prendra son recours que
contre des actes déterminés qui lui paraissent contraires
aux lois, aux statuts ou à l'intérêt général. Encore devrait-
on stipuler que ce veto doit être exprimé dans un délai
limité et n'a qu'un effet suspensif. Il est levé s'il n'est pas
ratifié par Ie ministre endéans ce délai. C'est Ie système de
la loi de 1954.

b. - Tutelle spéciale.
166. La tutelle spéciale signifie que la validité de cer-
tains actes particulièrement importants est toujours subor-
donnée à l'approbation expresse de l'autorité supérieure.
Il semble que les statuts devraient imposer cette forma-
lité à tous les organismes en ce qui concerne :
- Ie statut du personnel, Ie barème des rémunérations,
jetons de présence, tantièmes, participations aux bénéfices;
- Ie règlement organique et d'ordre intérieur;
- les actes financiers importants.

3. Statut financier.

167. Le statut financier d'un grand nombre d'organismes


parastataux a été unifié par la loi du 16 mars 1954, com-
plétée par I' A. R. du 18 déc. 1957 pris en vertu de la loi du
12 mars 1957.
a. - Comptabilitê.
168. Un des avantages qu'implique la création d'une per-
sonne publique parastatale est de pouvoir introduire les
règles de la comptabilité commerciale qui sépare les comp-

NUi 164 à 168


SECTION 111. - PERSONNES PUBLIQUES PARASTATALES 133

tes de capita! et les comptes d'exploitation et permet seule


de déterminer Ie prix de revient. L'Etat ne pratique qu'une
comptabilité de caisse qui peut être suffisante pour les
services publics administratifs, mais qui est défectueuse
quand il s'agit de services à caractère industrie}, commer-
cial ou financier (L., 16 mars 1954, art. 7).

b. - Budget el compies.

169. La loi du 16 mars 1954 impose un budget (art. 2);


des comptes annuels et même des situations périodiques
plus rapprochées (art. 6). C'est la condition d'une politique
générale plus réfléchie, plus prévoyante. Par Ie rappro-
chement de ces estimations avec les chiffres que fournit
l'exécution, on facilite Ie travail de la direction et des
organes de surveillance. Toutes les divergences attirent
immédiatement l'attention, ce qui permet de déceler en
temps opportun des erreurs et de redresser la situation.
Il est indispensable que Ie budget - et les comptes -
groupent toutes les recettes et toutes les dépenses, quelles
qu'en soient !'origine ou la nature. On admettra difficile-
ment par exemple qu'un établissement public soumette aux
autorités des documents ne reprenant que les subsides de
l'Etat et les dépenses qu'ils financent. Car, Ie subside de
l'Etat n'est accordé en connaissance de cause que si les
Chambres sont au courant de !'ensemble des besoins de
l'institution parastatale ainsi que de tous ses moyens finan-
ciers, même d'origine privée.
D'ailleurs, les recettes privées prennent Ie caractère de
deniers publics par Ie fait même qu'elles sont affectées à
un service public et, de ce chef, doivent être reprises dans
les décomptes présentés à l'autorité de controle.
Cependant Ie budget - à la différence des comptes -
peut ne pas s'étendre aux comptes d'exploitation d'entre-
prises financières ou commerciales; la Caisse d'Epargne ne
peut prévoir dans ses budgets l'évolution de ses comptes de
dépöts et de ses placements.
Outre la règle de l'universalité, celle de la spécialité du
budget doit être précisée dans les statuts. Dans quelle
mesure des transferts et des dépassements sont-ils auto-
risés? (cf. L., 1954, art. 5) .

N 08 168. à 169:
134 CHAPITRE IV. - STATUT

c. - Autorités compétentes
pour établir Ie budget et les compies.

170. Administrations personnalisées: Elles sont soumises


au pouvoir hiérarchique du ministre et font partie de
l'administration générale de l'Etat. Leur personnalité juri-
dique n'est que Ie support d'un patrimoine distinct, non
d'une réelle autonomie. Leur budget et leurs comptes doi-
vent donc être arrêtés par Ie ministre compétent et votés
par les Chambres. Mais les retards de la procédure parle-
mentaire sont incompatibles avec une gestion commerciale
saine. Le défaut d'approbation au 1 er janvier n'empêche
pas l'utilisation des crédits sauf s'ils concernent ou impli-
quent une catégorie nouvelle de dépenses (L., 19154, art. 4).
L'approbation est impliquée dans Ie vote du budget du
département.
Etablissements publics et associations de Droit public: Ils
jouissent de !'autonomie. Celle-ci implique en premier lieu
Ie pouvoir d'établir Ie budget et les comptes. Le pouvoir de
décision des organes directeurs serait illusoire si l'activité
de !'organisme était étroitement bridée par les prévisions
d'un budget établi par une autorité extérieure. Mais il va
de soi que ces actes financiers extrêmement importants
doivent être soumis au controle de l'autorité de tutelle; la
loi du 16 mars 1954 prévoit en outre, pour les établisse-
ments auxquels elle s'applique, la communication aux
Chambres en annexe au budget du département compé-
tent (art. 2 et 3). lei encore Ie défaut d'approbation au
1 er janvier par J'autorité de tutelle ne peut en tra ver Ie ser-
vice. Les crédits inscrits au budget peuvent être utilisés à
moins qu'il ne s'agisse d'une catégorie nouvelle de dépen-
ses. Pour les comptes, voyez art. 6.

d. - Controle.

171. Le role des commissaires du gouvernement, inspec-


teurs de finances et réviseurs a déjà été exposé ..
La Cour des comptes exerce son controle sur les person-
nes publiques parastatales visées par la loi du 16 mars 1954
(art. 13). Ce controle peut être exercé par place (et non
pas sur pièces) dans une certaine mesure.

N° 170
SECTION IV. - SERVICES PUBLIQUES CENTRALISÉS 135

SECTION IV
SERVICES PUBLICS CENTRALISES
A STATUT SPECIAL

A. NonoN
1. Nature.
172. Les services publics groupés dans la même personne
publique - qu'il s'agisse de l'Etat, des provinces ou des
communes - ont normalement Ie même statut juridique.
Cependant Ie législateur peut soumettre des services dé-
terminés à un régime spécial sans cependant leur octroyer
unc personnalité distincte.
Dans Ie cadre de l'Etat, citons la Régic du Travail péni-
tentiaire (L., 30 avr. 1931, A. R., 3 nov. 1931).
Pour les provinces et les communes, l'arrêté royal du
26 juillet 1939 introduit dans la loi communale les articles
147bis, 147ter et 147quater et dans la loi provinciale, les
articles 114bis, ter et quater selon lesquels les établisse-
ments et services à caractère industrie! ou commercial dé-
signés par Ie Roi sont organisés en régies et gérés en dehors
des services généraux de la commune ou de la province,
suivant des méthodes industrielles et commerciales. lei en-
core il n'y a pas de personnalité juridique pour ces régies
qui tiennent cependant un bilan, un compte d'exploitation
et un compte des profits et pertes. Un arrêté royal d'exécu-
tion a été pris uniquement pour les communes Ie 18 juin
1946. Le Roi fixe par catégories les services qui peuvent
bénéficier de ce régime. Pour Ie surplus, les provinces et
communes décident librement si en fait tel établissement
déterminé doit être organisé en régie (C. E., 19 janv. 1961,
R. J. D. A., 1961, 142, Commune d'Olloy).

2. Distinction avec les établissements parastataux.


173. Certains auteurs contestent la distinction entre les
services publics à statut spécial et les établissements para-
stataux. Ils font remarquer d'abord que les uns et les autres
peuvent se trouver dans Ie même état de dépendance vis-
à-vis des autorités de l'Etat, de la province ou de la com-
mune. Celles-ei n'exercent-elles pas leur pouvoir hiérar-
chique snr les administrations personnalisées (n° 151), tout

N 08 172 à 173
136 CHAPITRE IV. - STATUT

comme sur les services publics à statut spécial ? On ajoute


qu'inversement Ie régime administratif et financier des
services à statut spécial peut être d'une originalité plus
prononcée que celui de certains établissements parastataux.
Ces rapprochements ne sant pas concluants.
Il y a entre Ie service public à statut spécial et l'établis-
sement parastatal une différence fondamentale : Ie pre-
mier n'est pas un sujet distinct de droit et continue à faire
partie de l'Etat, de la province oude la commune; Ie second
a reçu la personnalité civile : c'est une personne publique
qui s'oppose à l'Etat, à la province ou à la commune. D'im•
portantes conséquences peuvent être déduites.
La personne publique parastatale a en principe des diri-
geants distincts. D'ordinaire, ceux-ci ont l'initiative de la
décision et ne sont soumis qu'au controle de la tutelle. Le
cas des administrations personnalisées est exceptionnel.
En second lieu, la personne publique parastatale a, par
définition, un statut qui lui est propre. Les règles juridi-
ques qui ont été conçues pour l'Etat, la province ou la com-
mune ne peuvent lui être étendues que par une disposition
expresse du législateur; cette application n'est pas auto-
matique (n° 41). La règle inverse joue pour les services
publics à statut spécial quine bénéficient pas de la person-
nification juridique. Faisant toujours partie de l'Etat, de
la province ou de la commune, ils sont soumis au même
régime; leur statut spécial est exceptionnel et doit être
restrictivement · interprété.
Enfin, la personne publique parastatale a un patrimoine
séparé de celui de l'Etat, de la province ou de la commune.
Il forme un gage général distinct pour ses créanciers. La
distinction est tellement forte que la personne publique
parastatale peut contracter avec la personne publique ter-
ritoriale dont elle a été détachée.

3. Utilité des deux techniques.


17 4. En principe, les services publics doivent être soumis
au régime général de l'Etat, de la province ou de la com. .
mune. Ce statut a été conçu pour eux. Y iB-troduire une
certaine diversité rend la direction compliquée et les
controles malaisés. Un statut spécial ne doit être accordé
qu'exceptionnellement.
Citons quelques exemples : il serait difficile d'engager

N 08 173 à 174
SECTION IV. - SERVICES PUBLIQUES CENTRALISÉS 137

les musiciens de l'Orchestre national selon la procédure


suivie par le Secrétariat permanent du recrutement. Les
services qui ont un caractère industriel ou commercial
doivent être gérés selon les méthodes commerciales; les
règles de la comptabilité publique leur sont inapplicables.
Quand faut-il aller plus loin, accorder la personnalité
juridique au service public ? Divers cas peuvent être cités.
Un établissement parastatal est nécessaire lorsque le
1
législateur veut donner une certaine autonomie aux diri-
geants du service public, remplacer le pouvoir hiérarchi-
que qu'exercent les autorités supérieures par un simple
pouvoir de tutelle. Ceci visc les établissements publics et
les associations de Droit public mais non les administra-
tions personnalisées.
La personnalité est encorc indispensable si les règles du
statut sont en contradiction avec celles que la Constitution
clle-même impose aux personnes publiques territoriales.
Par exemple, si l'on veut faire échec à l'unité et à l'uni-
versalité du budget - principes qui excluent toute com-
pensation préalable entre les recettes et les dépenses
(Const., art. 115), - au controle de la Cour des comptes
(Const., art. 116), à la nomination des agents par le Roi
ou en vertu d'une délégation royale (Const., art.. 66), il
faut créer un établissement parastatal. Cette solution s'im-
pose encore, si pas constitutionnellement, du moins en
bonne technique juridique, lorsque le statut prévu est telle-
ment différent qu'il impliquerait un grand nombre de déro-
gations à des lois importantes régissant l'administration de
l'Etat, de la province ou de la commune. Enfin, la person-
nalité est nécessaire si Ie service public doit avoir un patri-
moine distinct et non seulement une comptabilité particu-
lière.
En fait un grand nombre d'établissements parastataux
ont été créés pour des raisons insuffisantes. Ils devraient
rentrer dans l'administration générale de l'Etat, de la pro-
vince ou de la commune, quitte à leur accorder le privilège
de certaines règles particulières.

B. ÜRGANISATION

Le statut spécial est fixé par les autorités compétentes


pour organiser la puissance territoriale dont ces services
relèvent.

N° 174
138 CHAPITRE IV. - STATUT

Chaque fois que Ie statut spécial implique une dérogation


à une règle légale, l'intervention du législateur est néces-
saire. Par exemple, si l'on veut soustraire un service aux
règles générales de la comptabilité telles qu'elles sont orga-
nisées par la loi de 1846, il faut qu'une loi accorde cette
dérogation. On a vu que Ie législateur est intervenu pour
les régies provinciales et communales.
Ces statuts sont divers (cf. Wathour, Services publics
autonomes (lnst. Sciences adm.; - Matton : L'autonomie
administrative, R. J. D. A., 1960).

N° 174
TITRE II

L'activité de l' Administration

176. Après avoir décrit dans un premier titre la structnre


de l'Administration - un ensemble d'entreprises conçues
dans l'intérêt du public et de ce chef appelées services
publics, Ie rattachement juridique de ces entreprises à des
personnes - il convient d'étudier l'activité de l'Adminis-
tration. Nous ne visons pas ici les procédés matériels de
fonctionnement, les techniques administratives ou indus-
trielles, mais bien les procédés juridiques que Ie Droit met
à leur disposition pour atteindre leur fin. Il n'est jamais
inutile de Ie répéter : c'est l'idée du service public qui
justifie Ie recours à des règles spéciales.
Dans un chapitre V, nous préciserons d'abord dans quelle
mesure les personnes publiques peuvent recourir aux pro-
cédés du Droit administratif et non pas à ceux du Droit
privé. Puis nous donnerons une théorie générale de l'acte
administratif, c'est-à-dire de celui qui est accompli par une
personne publique conformément au Droit administratif.
Les chapitres suivants seront consacrés à !'examen de
ces différents procédés juridiques.
Pour fonctionner, une personne publique a d'abord be-
soin d'agents. Dans Ie chapitre VI nous préciserons leur
sta tut.
Il faut ensuite aux services publics des biens. Le cha-
pitre VII sera consacré aux théories du domaine privé et
du domaine public. Le régime des deniers publics, leur
acquisition, leur gestion, leur dépense, leur controle, relè-
vent d'une autre discipline juridique : Ie Droit financier.
La personne publique doit contracter avec des tiers ou
se défendre contre leurs demandes d'indemnité. La ques-
tion des obligations sera traitée dans Ie chapitre VIII. La
responsabilité aquilienne de la personne publique, sera
l'objet du chapitre IX.
Enfin, un chapitre X étudiera les mesures de police qui
n'ont pas d'équivalent dans Ie Droit privé.

N" 176
CHAPITRE V

LFS MOYENS D' ACTION EN GENERAL

177. Dans leur activité, les personnes publiques et leurs


services publics, sont soumis à des règles juridiques spé-
ciales <lont !'ensemble constitue Ie Droit administratif.
Les personnes publiques peuvent aussi recourir aux pro-
cédés du Droit privé. Une première question sera résolue
dans la section première. Quelles sont les sphères d'appli-
cation respectives du Droit administratif et du Droit privé?
L'acte administratif est celui <lont les conditions de vali-
<lité et les effets sont réglés par Ie Droit administratif.
Dans la section Il, on en donnera la théorie générale. Les
sections suivantes seront consacrées à l'étude particulière
de certaines catégories importantes d'actes administratifs.
Une remarque générale concerne l'ordre de présentation
des matières. Les règles du Droit administratif et la théorie
des actes administratifs ne touchent pas seulement à l'ac-
tivité des personnes publiques mais encore à leur consti-
tution. En ce qui concerne par exemple la sphère d'appli-
cation du Droit administratif et du Droit privé, l'organi-
sation d'une commune est gouvernée exclusivement par les
règles du Droit public tandis que celle d'une société inter-
communale peut se faire selon les procédés du Droît com-
mercial. Quant à la théorie de l'acte administratif, elle
s'applique aussi aux actes qui sont accomplis pour la con-
stitution des personnes publiques.
Logiquement, Ie présent chapitre aurait donc pu figurer
en tête du volume. La clarté de !'exposé en aurait cepen-
dant souffcrt. L'existence d'un Droit administratif et la
théorie de l'acte administratif ne se justifient que par rap-
port aux personnes publiques et aux services publics. Il
fallait donc commencer par expliquer ceux-ci.

N° 177
142 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

SECTION I
DROIT ADMINISTRATIF ET DROIT PRIVE

A. CoNcURRENCE DU DRoIT ADMINISTRATIF


ET DU DROIT PRIVÉ

1. Droit administratif.

178. Les personnes publiques sont créées pour assurer


l'intérêt général, en gérant des services publics. D'ou la
nécessité d'un Droit spécial qui fait en tous cas prévaloir
l'intéret du public sur cel ui des particuliers (n° 45). Les
exemples sont nombreux : les agents des personnes publi-
ques se trouvent dans une situation réglementaire et non
pas contractuelle; leurs biens font partie du domaine public
ou privé; leurs deniers sant soumis à un régime spécial;
les contrats a<lministratifs ne doivent pas être confondus
avec ceux du Droit civil; la responsabilité aquilienne des
personnes publiques est réglementée d'une façon particu-
lière. Tout ceci sera détaillé dans les chapitres suivants.

2. Droit privé.

179. Les personnes publiques ne sont pas soumises exclu-


sivement au Droit administratif. Elles peuvent recourir
dans une mesure variable aux procédés du Droit privé.
Le fonctionnement de tout service public est soumis à
des impératifs. Il faut assurer l'inaliénabilité de la souve-
raineté, Ie fonctionnement permanent et régulier d'une
entreprise vitale pour la communauté, l'égalité de tous les
usagers devant ce service (n° 32). Dès lors, les règles du
Droit privé, appliquées à une personne publique, sont
amendées pour tenir compte de ces exigences.
Ainsi les droits et devoirs des fonctionnaires, même s'ils
se trouvent dans une situation contractuelle, ne sont pas
exactement ceux de !'employé d'un particulier (n° 257). Les
modes d'acquisition des biens du domaine public diffèrent
partieHement de ceux prévus---par Ie Code civil (n° 298) ;
les contrats conclus par une personne publique sont soumis
à des règles spéciales (n08 342 et s.).
Ainsi se pose une question importante. Quel est exacte-
ment ce Droit privé applicable aux personnes publiques.

N()S 178 à 179


SECTION I. - DROIT ADMINISTRATIF ET DROIT PRIVÉ 143

Est-ce Ie Code civil et Ie Code de commerce? Ne faut-il pas


plutót supposer qu'il s'agit d'un droit commun supérieur
dont Ie Code civil serail la version applicable aux parti-
culiers et <lont une autre version concernerait les personnes
publiques?
La controverse a une grande portée pratique : si l'on opte
pour l'application du Code civil aux personnes publiques,
on doit admettre que les dérogations à ces dispositions sont
exceptionnelles et doivent toujours être justifiées par un
texte. Dans Ie cas contraire, la pratique administrative et
une jurisprudence prétorienne peuvent admettre des amen-
dements qui se j ustifient par les nécessités du service
public. La seconde thèse est la plus logique.
Voici un cas d'application; la Commission d'assistance
publique exerce la tutelle sur diverses catégories de mi-
neurs (L., 10 mars 1925, art. 76). Cette tutelle est soumise
à des règles particulières. Par exemple, l'administration
des biens est confiée non au membre tuteur, mais au re-
ceveur (art. 80); la commission peut, sous certaines con-
ditions, disposer des biens en cas de décès du pupille (art.
82). Pour Ie surplus, faut-il appliquer les règles du Code
civil sans modifications supplémentaires ? Les droits qui
n'ont pas été expressément attribués à la Commission d'as-
sistance publique, par exemple celui de choisir l'établis-
sement d'éducation, lui appartiennent-ils ou restent-ils un
attribut de la puissance paternelle d'un auteur toujours
vivant? (Buttgenbach, Manuel, n° 816bis).

B. SPHÈRE D'APPLICATION DU DROIT ADMINISTRATIF


ET DU DROIT PRIVÉ AUX PERSONNES PUBLIQUES

Il faut distinguer les personnes publiques territoriales


et les personnes publiques parastatales.

1. Personnes publiques territoriales.

180. Elles sont soumises au Droit administratif. Les pro-


cédés de celui-ci ont été conçus originairement pour les
services administratifs qu'elles groupent. Tel est Ie prin-
cipe. Toutefois, les règles du Droit privé sont exception-
nellement appliquées.

N 05
179 à 180
144 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

a. - Disposition légale en faveur de certains actes.


181. La loi peut prévoir l'application du Droit privé
d'abord pour certains actes déterminés mais au profit de
tous les services publics groupés dans la même personne
publique territoriale. Par exemple, si les marchés au nom
de l'Etat sont faits en principe avec concurrence, publicité
et à forfait, la loi elle-même prévoit des exceptions ou ils
peuvent être traités de gré à gré (L., 15 mai 1846, art. 21
et 22). Ces règles visent certains actes mais s'appliquent à
tous les services de l'Etat, à tous les départements.

b. - Disposition légale en faveur de certains services.


182. La loi peut formuler différemment l'exception. Le
recours au Droit privé n'est permis qu'à certains services,
mais en faveur de tous leurs actes juridiques ou de la plu-
part d'entre eux : certaines « régies » sont gérées selon la
loi, « dans les formes commerciales » (n° 172).

c. - Lacunes du Droit administratif.


183. La nécessité de fait et par conséquent la possibilité
légale de recourir au Droit privé peut provenir du carac-
tère exceptionnel du Droit administratif. Celui-ci n'est pas
complet. Il n'établit pas, par exemple, une réglementation
nouvelle pour tous les contrats que devraient passer les
administrations. Dans cette mesure, celles-ci · doivent re-
courir au Droit privé.

2. Personnes publiques parastatales.


184. Celles-ei ont une personnalité distincte. Dès Iors les
règles du Droit administratif qui s'appliquent à l'Etat, à
la province ou à Ia commune ne peuvent pas leur être
automatiquement étendues (n° 54). Bien au contraire, une
personnalité distincte leur a été souvent accordée dans Ie
hut précis de les soustraire à ces règles. Il faudra donc con-
sulter Ie statut de chaque personne publique parastatale.

a. -- Indication expresse ou implicite dans Le~ s_lalut


de la personne publique.
185. Parfois la loi dispose que la personne publique est
gérée «dansles formes commerciales » (Régie des P. T.T.);

N05 181 à 185


SECTION Il. - LES ACTES ADIIIINISTRATIFS. GÉNÉRALITÉS 145

parfois aussi la personne publique parastatale est consti-


tuée selon les modes du droit commercial (tel est Ie cas des
intercommunales). A notre avis, il faut alors interpréter
largement la volonté du législateur; Ie recours aux règles
du Droit privé est en principe autorisé; il est interdit dans
les cas exceptionnels ou Ie statut lui-même prévoit un pro-
cédé du Droit administratif.
Pour les organismes qu'elle vise, la loi du 16 mars 1954,
prévoit que Ie Roi fixe Ie cadre et Ie statut du personnel
qui doit donc se trouver dans une situation réglementaire
(art. 11); une loi du 28 avril 1958 leur impose les clauses
techniques et administratives du Cahier des charges de
l'Etat pour les travaux et fournitures (art. 12).
b. - Nature de la personne publique.
186. Lorsque la loi n'impose pas un régime, les autorités
responsables de !'organisme décentralisé ont Ie choix entre
procédés de Droit public et procédés de Droit privé. Si
elles n'ont pas exprimé clairement leur choix, on doit pré-
sumer Ie recours aux procédés administratifs quand il
s'agit d'administration personnalisée et établissement pu-
blic, aux procédés de Droit privé pour les associations de
Droit public. La question a été souvent débattue pour dé-
finir Ie sta tut du personnel (n° 229).

3. Personnes privées chargées d'un service public.


187. Les personnes privées chargées d'un service public,
par exemple les concessionnaires, recourent en principe
aux règles du Droit privé. C'est précisément pour profiter
de cette souplesse qu'on leur a confié la gestion du service.
Exceptionnellement, on les autorisera à employer les
procédés du Droit administratif : réquisition, expropria-
tion, pouvoir réglementaire, pouvoir de police. Il faudra
alors une disposition légale dans ce sens.

SECTION II
LES ACTES ADMINISTRATIFS
GENERALITES
L'Administration remplit sa mission, exerce son activité,
en accomplissant une multitude d'actes.

N 08 185 à 187
146 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

Les uns sont purement matériels : qu'on songe aux mul-


tiples opérations techniques qu'impliquent l'administration
et la conduite d'une armée ou l'exploitation d'un chemin
de fer. Ces actes peuvent être des faits juridiques. Le
machiniste qui conduit sa locomotive accomplit un acte
matériel; s'il écrase un homme, il y a fait juridique.
Les autres actes sont juridiques; ceci veut dire qu'ils
sont accomplis pour atteindre certains effets de droit :
nomination, octroi de pension, contrat de fourniture, etc.

A. Acrns MATÉRIELS

188. Les actes matériels, donnent lieu à d'importantes


théories, encore peu fouillées.
Théorie de l'imputabilité : Les actes matériels ne sont
pas accomplis en vue de modifier l'ordre juridique. Mais
ils peuvent avoir des conséquences juridiques, notamment
l'obligation de réparer Ie préjudice.
Quand sont-ils imputables à la personne publique? Pour
les actes juridiques, on applique les règles de la compé-
tence. Pour les actes matériels, Ie principe, qui n'est pas
encore pleinement reconnu, doit être que l'activité d'un
agent engage la personne publique quand celle-ci lui a
donné les moyens d'agir comme il l'a fait. La condition est
réalisée si l'acte a été fait pendant et à !'occasion du tra-
vail; elle est encore satisfaite, en logique, si l'agent a utilisé
les moyens mis à sa disposition par la personne publique
- son titre, son uniforme, son accès aux locaux, parcs et
dépöts, en d'autres termes s'il n'a pu accomplir l'acte que
parce qu'il est agent, tandis qu'il en aurait été empêché
comme simple particulier.
Théorie de l'annulation: Les actes juridiques peuvent
être annulés, mis à néant; c'est, en droit, comme s'ils
n'avaient jamais existé (C. E., 8 nov. 1955, R. J. D. A., 1956,
132, Vanderroest). Mais les actes matériels dans lesquels
ils se concrétisent ou par lesquels ils s'exécutent ne peuvent
être supprimés. On annule une révocation; en droit Ie fonc-
tionnaire est réintégré; en fait il reste la victime d'une me-
sure qui a été publique. On annule une a_!ljudication; dans
l'intervalle, Ie contrat peut avoir été exécuté. On met fin à
une décision juridique; mais un ordre de la police ne peut-
être ainsi rapporté par un décision judiciaire (Buttgenbach,
Manuel, n° 384, note 1; C. E., 1 er avr. 1954, R. J. D. A., 1954,

N08 187 à 188


SECTION Il. - LES ACTES ADMINISTRATIFS, GÉNÉRALITÉS 147

166, Bohne; - C. E., 30 avr. 1954, R. J. D. A., 1954, 203,


Frederic et Buch).
Il est aussi possible que l'acte matériel puisse être effacé
mais que Ie coût de l'opération soit disproportionné. Dé-
truire une maison construite sans autorisation est grave.
L'annulation d'un acte juridique qui a donné lieu à des
actes matériels d'exécution, peut donc laisser subsister un
problème de dommages-intérêts, d'amende ou d'indemni-
sation.
Voies de fait : Un acte juridique peut être affecté d'une
irrégularité grossière, soit que la décision soit d'une façon
flagrante sans valeur, soit que la mesure d'exécution soit
tout à fait irrégulièrc. Il n'est pas annulable mais inexistant
(n° 199). Ce n'est qu'un acte matériel.
Lorsque cette « voie de fait» porte atteinte à des droits
particulièrement protégés, la propriété ou une liberté pu-
blique, les tribunaux admettent des remèdes énergiques.
D'abord ils enjoignent à l'Administration d'y mettre fin,
ou préventivement lui interdisent d'y procéder (Liège,
18 févr. 1956, J. T., 1956, 148, Commune de Vedrin c./ S. A.
Exploitation régionale) alors que pareilles injonctions dans
l'état actuel du Droit, sont considérées en général comme
un empiètement défendu du pouvoir judiciaire sur les
attributions de l' Administration.
Ensuite l'Administration n'a pas Ie privilège du préalable
et l'administré peut lui résister.
Enfin des dommages-intérêts sont dus (cf. Etudes A.M.
Gillis, J. T., 1959, 378_; -- Buttgenbach, Manuel, p. 330,
note 1 et références).
Controle des faits : Si la loi fait dépendre la légalité
d'une décision d'un certain nombre de données de droit ou
de fait, Ie Conseil d'Etat vérifie si les données invoquées
existent bien dans leur matérialité et correspondent à ce
qu'a prévu Ie législateur. Il peut mêmc à eet effet ordonner
une expertise (C. E., 21 nov. 1957, R. J. D. A., 1958, 111,
Etablissements Calmein et Cie).

B. Acrns JURIDIQUES

189. Les actes juridiques administratifs se divisent en


deux grandes catégories : les actes unilatéraux et les con-
trats.

N°• 188 à 189


148 CHAPITRE V. - LES !UOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

Cette analyse peut être raffinée. Les actes plurilatéraux


ne se ramènent pas aux seuls contrats. D'autres exigent
pour leur conclusion valable Ie concours de multiples
volontés. Citons par exemple la décision d'une autorité
subordonnée qui doit encore être approuvée pour sa vali-
dité par l'autorité de tutelle. Un traité international conclu
par l'Exécutif doit être approuvé par les Chambres. Avant
d'ordonner l'expulsion d'un étranger, Ie gouvernement doit
consulter les autorités judiciaires. Cependant, ces actes qui
sont plurilatéraux par Ie fait du concours de plusieurs
volontés restent cependant unilatéraux dans un autre sens
que nous retiendrons seul ici. Ils imposent unilatéralement
des effets de droit à certains tiers qui n'ont pas concouru
à leur formation. Dans cette mesure, ils s'opposent aux
contrats. Nous pouvons donc retenir l'opposition fonda-
mentale : actes unilatéraux et contrats.
Les contrats administratifs se rapprochent fort des con-
trats civils. Les règles sont simplement infléchies en cas de
besoin pour tenir compte de l'intérêt général. Ces diver-
gences sont soulignées au chapitre VIII.
Plus importants sont les actes unilatéraux <lont nous
ferons ici la théorie générale. Ils constituent un privilège
<les autorités publiques. Les particuliers ne créent dans Ie
chef d'autrui des droits et des devoirs que par voie de con-
trat ou tout au moins avec leur accord. Une donation, une
succession, doivent être acceptées. Mais I' Administration
peut imposer unilatéralement des effets juridiques. Par
une réquisition, par un règlement, par un enrölement fiscal
elle crée des droits et des devoirs. Le bien public l'exige;
il ne peut dépendre du consenteinent des individus.
Les actes administratifs unilatéraux sont divers.

SECTION III
ACTE ADMINISTRATIF UNILATERAL

A. DÉFINITION

L'acte administratif unilatéral est un acte juridique qui


est régi par les règles du Droit administratif et qui crée
unlatéralement des effets de droit.
SECTION III, - ACTE ADMINISTRATIF UNILATÉRAL 149

Une première distinction fondée sur la portée obligatoire


de l'acte oppose l'avis, l'acte préparatoire et la décision.
Une autre distinction se fonde sur la fonction <lont ils
constituent l'exercice. Il y a des actes réglementaires, des
actes juridictionnels, des actes administratifs.
Examinons les caractéristiques générales avant d'étudier
les différentes espèces.

B. CoNDITIONs DE VALIDITÉ

1. Existence d'une personne.

190. Comme tout acte juridique, l'acte administratif uni-


latéral doit être accompli par une personne. Par exemple
l'arrêté de constitution d'une commission paritaire régio-
nale a été annulé par Ie Conseil d'Etat (C. E., 17 avr. 1951,
R. J. D. A., 1951, 211, S. A. Belgian Bunkering, note De
Visscher). Les actes qui sant postérieurs au prononcé de
l'annulation, doivent être certainement considérés comme
inexistants. A notre avis, il en est de même pour les actes
qui ont été accomplis antérieurement dans les limites de
leur compétence légale par les organes de la commission
paritaire. On ne peut, en effet, invoquer la théorie du fonc-
tionnaire de fait (n° 94). Ce n'est pas un organe <lont l'in-
vestiture est contestée; c'est la personne publique elle-
même qui n'existe pas.

2. Compétence de l'organe et principe de la spécialité.


191. A la différence d'une personne physique, une per-
sonne juridique n'a pas elle-même une volonté. Il lui faut
un organe (n° 88). Celui-ci doit être compétent. La compé-
tence peut s'envisager sous différents aspects (n 89 et s.).
08

On se souviendra du principe de la spécialité (n° 64).


De l'obligation de respecter la compétence dans Ie temps,
on peut déduire Ie principe de la non-rétroactivité des actes
administratifs. Des fonctionnaires ou corps administratifs
ne peuvent empiéter sur la compétence de leurs prédéces-
seurs ou successeurs sauf si la loi Ie prévoit. La jurispru-
dence beige, moins sévère que la française, interdit la rétro-
activité seulement quand elle porte atteinte à un droit
acquis (Cambier, Conseil d'Etat et règle de droit, J. T.,
1952, 118; - Dumont, Etude dans R. J. D. A., 1957, 182; -

N 08 189 à 191
150 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

C. E., 22 déc. 1955, R. J. D. A., 1956, 196, Manguette; - cons.


C. E., 16 déc. 1955, R. J. D. A., 1956, 175. Cinéma, Palais des
Beaux-Arts, note Remion).

3. Consentement.

192. La volonté de l'organe compétent accomplissant un


acte juridique pour compte de la personne publique ne doit
pas avoir été viciée.
Il peut y avoir dol. On cite Ie cas du fonctionnaire qui a
demandé et obtenu sa réintégration mais qui a démissionné
immédiatement après en réclamant sa pension (Conseil
d'Etat français, Revue de droit public, 1951, p. 889). Même
s'il s'agit d'un avis, Ie membre d'un collège personnelle-
ment intéressé ne peut participer à la résolution.
La violence est difficilement concevable.
L'erreur peut être un véritable vice de consentement. Il
en est ainsi par exemple lorsque l'autorité se trompe sur
l'identité de la personne qui a été nommée; un avis doit
être donné en connaissance de cause; il est sans valeur
si la question est posée en termes ambigus (C. E., 31 juill.
1951, R. J. D. A., 1952, 54, Boon; - Avis C. E., 6 mai 1960,
R. J. D. A., 1960, 161, Colimpex).
L'erreur peut consister dans une mauvaise appréciation
des éléments de fait ou dans une fausse interprétation de
la loi et, dans ce cas, provoquer une illégalité.

4. Conditions de f orme et de fond.

193. L'organe doit respecter les conditions de forme et


de fond prescrites par la loi pour la validité de l'acte. Sinon,
utilisant mal sa compétence, il commet un excès de pouvoir.
Sur la forme considérée comme condition de vali<lité, la
jurisprudence administrative a élaboré toute une théorie
(n° 504).
Il faut aussi rappeler la théorie dite du parallélisme des
formes. Un acte pris selon certaines formes et après cer-
taines procédures ne peut être modifié ou abrogé que selon
les-niêmes formes et les mêmes p-roeédures-;- Par exemple,
un arrêté royal délibéré en conseil des ministres ne peut
être modifié qu'en observant les mêmes modalités; de
même, l'autorité compétente pour nommer est aussi com-
pétente pour révoquer. Sans doute, Ie législateur peut pré-

N08 191 à 193


SECTION III, - ACTE ADMINISTRATIF UNILATÉRAL 151

voir des formes différentes pour créer un effet juridique


et pour Ie supprimer. Mais à défaut de pareille indication,
la théorie du parallélisme semble exprimer un principe de
la logique juridique (cf. Buttgenbach, Manuel, n° 629).
Un acte administratif unilatéral doit-il être motivé? Cette
formalité n'est pas requise en principe (comp. sur ce point
avec les actes juridictionnels (n° 470), sauf quand elle est
imposée expressément ou implicitement (C. E., 16 déc.
1955, R. J. D. A., 1956, 185, Leroy, obs. Haesaert; - C. E.,
15 déc. 1955, R. J. D. A., 1956, 173, Moris Seltzer - L'Elan,
note Etienne). Une théorie s'ébauche selon laquelle Ie pou-
voir de l'Administration n'étant jamais arbitraire, ses actes,
même à défaut de toute obligation légale de les motiver,
doivent être pris dans une forme telle que Ie Conseil d'Etat
puisse déterminer si les conditions légales de validité sont
bien réunies. Par exemple, la fermeture des charbonnages
par voie administrative est prévue par la loi quand les
sièges ne réalisent pas un minimum de productivité. La
décision est entachée d'excès de pouvoir s'il n'est pas établi
que cette condition légale est remplie (C. E., 30 juin 1961,
Charbonnage du Gosson).
La motivation ne peut consister en une clause de style.
Si elle est expressément prévue par une loi, son défaut
rend l'acte annulable, même si Ie motif existe en fait.
L'exactitude de la motivation doit d'ailleurs être contrö-
lée par l'autorité hiérarchique ou de tutelle ou par toute
juridiction saisie du litige (C. E., 24 mars 1960, R. J. D. A.,
1960, 115, Lelar; - C. E., 27 févr. 1959, Commune de
Schoten; - C. E., 21 nov. 1957, R. J. D. A., 1958, 111, Ets.
Calmein et Cie).
La force majeure peut être invoquée pour faire admet-
tre la validité d'un acte administratif auquel manque une
condition - même essentielle - de validité. Quand l'action
administrative est indispensable, elle ne peut être para-
lysée. Il en est ainsi non seulement pour l'omission de for-
mes (C. E., 1er févr. 1961, R. J. D. A., 1901, 151, Montjoie),
Ie dépassement du délai (n° 93) mais même pour Ie dé-
faut de compétence : fonctionnaire de fait (n° 94) déléga-
tion irrégulière (n° 100) défaut d'une formalité de tutelle :
C. E., 18 oct. 1955, R. J. D. A., 1956, 119, Comm. d'Alken
(n° 504).

N° 193
152 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

5. Principe de la légalité.

194. Il ne suffit pas qu'un organe compétent ait pris


valablement une décision remplissant intrinsèquement les
conditions prévues pour eet acte. Il faut encore que cette
décision ne viole pas la légalité « externe ». Seront irrégu-
lières les décisions particulières qui ne sont pas conformes
à des lois ou même à des règlements administratifs (n° 71).

6. Principe de la finalité : fin et motif.

195. La fin est Ie hut légal pour lequel l'autorité admi-


nistrative a reçu la compétence. Le principe de la finalité
(n° 69) établit que la compétence ne peut être exercée que
dans ce hut. L'agent qui utiliserait sa compétence à une
autre fin est coupable d'un détournement de pouvoir.
De la fin, on peut distinguer Ie motif. Parfois, la loi pré.:.
cise les circonstances qui permettent à l'agent d'intervenir.
Prenons l'exemple de l'interdiction de la projection d'un
film par une autorité communale. Celle-ci n'est compétente
que pour assurer l'ordre public, non pour exercer une cen-
sure, ni pour assurer la sécurité matérielle des spectateurs
(Cass., 16 janv. 1922, Pas., 1922, I, 132, Pompei). C'est la
fin, et les détournements de pouvoir seront sanctionnés
(n° 91). Mais, de plus, la loi communale précise que, même
<lans un hut de police, l'autorité ne peut intervenir que
pour prévenir un trouble menaçant « dans des circonstan-
ces extraordinaires ». C'est Ie motif.

C. NULLITÉ

1. Possibilité d'annulation.

196. L'annulation est toujours possible, car il faut sanc-


tionner l'invalidité résultant du fait qu'une des conditiöns
cle validité n'est pas remplie.

2. Autorité.

197. L'annulation est prononcée par une autorité autre


que celle qui a accompli l'acte. Ce peut être une autorité
hiérarchiquement supérieure (n° 115), tutélaire (n° 119),
juridictionnelle (n° 493).

N"" 194 à 197


SECTION 111, - ACTE ADMINISTRATIF UNILATÉRAL 153

L'annulation par l'autorité supérieure ou tutélaire est un


acte administratif; celle par Ie Conseil d'Etat est un acte
juridictionnel. Par conséquent :
Le Conseil d'Etat connaît de tous les actes, qu'ils soient
administratifs ou juridictionnels. L'autorité de tutelle
n'exerce pas sa compétence sur les actes juridictionnels.
Sa propre décision peut être attaquée en Conseil d'Etat.
Le Conseil d'Etat doit être saisi par un recours. Souvent
Ie Roi annule d'office.
Le Conseil d'Etat doit statuer tandis que l'exercice de la
tutelle peut être facultatif.
Le Conseil d'Etat annule pour violation de la loi mais
l'autorité de tutelle tient compte aussi de l'intérêt général;
Les arrêts du premier ont l'autorité de la chose jugée;
les recours juridictionnels sont ouverts contre un arrêté
royal.
La réformation de la décision de !'agent subordonné par
son supérieur hiérarchique, peut s'analyser en une annu-
lation du premier acte et l'accomplissement d'un acte nou-
veau en remplacement du premier.

3. Effets.
198. L'annulation sort ses effets ex tune; par hypothèse
une condition de validité faisait défaut dès Ie début. Ce-
pendant, trois remarques doivent être faites.
La première est qu'un acte annulable doit être exécuté
jusqu'à ce qu'il ait été mis à néant par annulation ou par
retrait. C'est une conséquence du privilège du préalable.
La seconde remarque est que certains vices peuvent être
couverts par des régularisations ultérieures : l'acte origi-
nairement irrégulier devient ainsi valide ( exemple: n° 504).
Enfin, pour assurer la stabilité juridique, Ie législateur
a soumis à de nombreuses conditions et notamment à des
délais souvent réduits, les actions en annulation. Le terme
expiré, l'acte irrégulier ne peut plus être attaqué.
L'annulation une fois prononcée opère, avons-nous dit,
avec effet rétroactif. Cependant, ce principe doit être en-
core entendu avec certaines atténuations. Certains droits
individuels acquis de bonne foi conformément à eet acte
seront respectés d'une manière ou d'une autre. C'est áinsi
que Ie fonctionnaire <lont l'acte d'investiture a été annulé
aura cependant droit au traitement afférent à la période

N 08 197 à 198
154 CHAPITRE V, -- LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

durant laquelle il a exercé effectivement les fonctions. De


même l'adjudicataire de travaux publics a Ie droit d'être
payé si Ie contrat est exécuté avant l'annulation de l'acte
d'adjudication (n° 403).

4. Théorie de l'inexistence.

199. Certains auteurs ont prétendu qu'à défaut d'une


condition essentielle, un acte n'est pas seulement annulable
par une autorité qualifiée. Il est inexistant.

a. - Distinction entre l' acte inexistant et l' acte annulable.


200. Par opposition à l'acte annulable, l'acte inexistant :
- n'aurait aucun effet de droit, même provisoire;
- ne pourrait en aucun cas être régularisé par une for-
malité ultérieure;
- ne bénéficierait pas du privilège du préalable. Les
particuliers peuvent s'y opposer, avant tout jugement;
- est exposé à toute démarche des particuliers tendant
à faire constater Ie vice à tout moment, par tous les moyens
et sans respecter aucun délai;
- corrélativement peut être retiré en tout temps par
l'autorité (C. E., 20 déc. 1960, R. J. D. A., 1961, 113, Dilien).
- est une voie de fait qui engage la responsabilité de ses
auteurs.
b. - Limitation de la théorie.
201. On tend à limiter la théorie pour deux raisons.
D'abord, les autorités publiques bénéficient d'une pré-
somption qui, dans les cas limites, se traduit par Ie privi-
lège du préalable. Tant qu'il n'y a pas intervention judi-
ciaire, l'administré doit obéir. Très souvent Ie conflit amè-
nera malgré tout l'administré <levant Ie juge, soit qu'il
veuille se défend re contre la pression administrative, soit
qu'il demande une réparation, soit d'une manière générale
qu'il veuille faire constater l'illégalité.
Par ailleurs, les administrés n'ont guère Ie loisir de véri-
fiel"--la régularité de l'acte administratif. __
La stabilité juridique exige donc que les autorités publi-
ques soient obéies tant que leurs décisions n'ont pas été
retirées ou annulées et que, d'autre part, les particuliers
puissent demander cette annulation ou ce retrait.

N 198 à 201
08
SECTION III. - ACTE ADMINISTRATIF UNILATÉRAL 155

Voilà pourquoi la théorie a été progressivement réduite.


En p'ratique, on procède à l'annulation chaque fois que
c'est possible, même si l'acte est inexistant par défaut de
compétence de son auteur. Ainsi écarte-t-on tout doute et
assure-t-on la stabilité juridique.
La théorie de l'inexistence est surtout utile lorsque les
délais d'annulation sont épuisés (n° 205; C. E., 20 déc. 1960,
R. J. D. A., 1961, 113, Dilien; - Sur cette question, voir
pourvoi du premier avocat général Terlinden, <levant Cass.,
29 janv. 1906, Pas., 1906, I, 114, en ce qui concerne Ie con-
trole du pouvoir judiciaire : art. 107 de la Constitution;
la dépêche du ministre de l'Intérieur du 3 juin 1904, Bulle-
tin de l'Intérieur, 1904, 72, au point de vue du controle de
l'autorité tutélaire. Voir aussi la loi du 5 mai 1944, sur les
actes accomplis par les fonctionnaires illégalement nom-
més pendant la guerre (11° 94).

9
D. ABROGATION

1. Possibilité d'abrogation.

202. L'abrogation d'un acte juridique unilatéral est tou-


jours possible ,car elle est une application du principe de
l'inaliénabilité de la souveraineté (11° 30).
Elle peut être totale ou partielle.
Elle peut être directe ou indirecte et implicite. Elle est
indirecte et implicite quand elle découle d'un acte admi-
nistratif nouveau qui contredit l'acte antérieur et, par con-
séquent, l'ahroge. Par exemple, si un fonctionnaire est dé-
mis d'office, son acte de nomination est abrogé.

2. Autorité.

203. L'abrogation est prononcée par l'autorité dont


émane l'acte administratif unilatéral.

3. Effets.

204. L'abrogation n'a d'effets que pour l'avenir. Il faut


-envisager la possibilité de dommages-intérêts pour ceux
,qui sont atteints dans leurs droits subjectifs.

N08 201 à 204


156 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

E. RETRAIT

1. Possibilité du retrait.

205. En principe, un acte administratif unilatéral peut


toujours être rapporté.
On doit faire une exception pour l'acte qui a conféré à
un administré un droit acquis (C. E., 6 nov. 1951, R. J. D. A.,
1952, 123, Van Landeghem, note De Pover; - C. E., 3 mars
1952, R. J. D. A., 1952, 217, De Troyer; - C. E., 20 mai 1952,
R. J. D. A., 1952, 293, Maes). Pareil acte ne peut être retiré
que s'il est illégal; il doit être rapporté dans Ie délai du
recours contentieux ou, si un recours a été introduit, jus-
qu'à la clöture des débats. Au-delà de ce délai, Ie retrait
ne peut intervenir valablement que si l'acte est entaché
d'une irrégularité telle qu'il y a lieu de Ie tenir pour inexis-
tant, s'il a été pris à la suite de manreuvre frauduleuse ou
si une disposition légale expresse en autorise Ie retrait
(C. E., 20 déc. 1960, R. J. D. A., 1961, 113, Dilien) (rappro-
chez avec la théorie de la rétroactivité, n° 191).
La loi peut en décider autrement. Un projet (Doe. Sénat
1961-62, R. A., 61-78) propose que l'acte suspendu puisse
être retiré même s'il a accordé des droits aux tiers et même
si la suspension invoque non pas son illégalité mais son
inopportunité.
Voici un cas d'application montrant l'utilité de ces dis-
tinctions. Lorsqu'une suspension préventive par mesure
d'ordre n'est pas convertie en peine disciplinaire, mais est
levée (A. R., 2 oct. 1937, art. 101 et 102) il y a abrogation
sans effet rétroactif et non retrait. Si l' Administration doit
reconstituer fictivement la carrière de l'intéressé, elle n'est
pas tenue de remettre en question la régularité des nomi-
nations et promotions survenues dans l'intervalle pour
sauvegarder les droits de l'intéressé à l'avancement (C. E.,
27 mars 1956, R. J. D. A., 1957, 4, Woestyn,_Rapport Huber-
lant).

2. Autorité.

206. Le retrait est fait par l'autorité qui a accompli


l'acte. ·

N 08 205 à 206
SECTION IV. - DÉCISION ExÉCUTOIRE 157

3. Effets.
207. Le retrait rétablit Ie statu quo ante et se distingue
ainsi de l'abrogation qui n'a pas d'effet rétroactif (Voir
cependant C. E., 24 avr. 1951, R. J. D. A., 1951, 231, Tan-
nerie et Maroquinerie belges, note De Visscher).

SECTION IV
DECISION EXECUTOIRE ET ACTE PREPARATOIRE

On a vu plus haut que les actes administratifs unilaté-


raux pouvaient être classés selon leur portée obligatoire.
On oppose l'acte préparatoire à la décision exécutoire.

A. Acrn PRÉPARATOIRE

208. L'acte préparatoire prend des formes très diverses.

1. Notion

Il est une mesure qui prépare la décision. Ce peut être


une manifestation d'opinion (un avis ou une présentation)
une formalité (publication avant adjudication, classement
des candidats avant nomination), etc.

2. Conditions
Il est soumis aux conditions générales de validité d'un
acte unilatéral : compétence, absence ou vice de consente-
ment, conditions légales de forme et de fond.
L'avis, fréquent en Droit administratif, mérite une men-
tion particulière.
Il doit être préalable à la décision (sur un cas curieux
cons. C. E., 22 déc. 1960, R. J. D. A., 1961, 119, Jacquemin).
La demande d'avis peut être facultative ou obligatoire
pour l'autorité qui prend la décision. Celui qui est consulté
ne peut se dérober à sa fonction; notamment un collège ne
peut arguer qu'aucune opinion ne recueille une majorité
suffisante. L'avis doit être donné en connaissanèe de cause
(C. E., 2 avr. 1955, R. J. D. A., 1955, 252, De Bock).
Des techniques permettent de <loser l'influence de l'avis.
Par exemple celui-ci doit être obligatoirement motivé,
voire publié, ce qui augmente sa force contraignante.

N 08 207 à 208
158 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN CÉNÉRAL

On prévoit souvent l'avis conforme. En général cela


signifie que l'autorité compétente peut ne pas prendre la
décision mais si elle s'y résout doit suivre la recomman-
dation. Parfois, l'autorité compétente est tenue d'agir et
par conséquent de se rallicr à l'avis conforme sans pouvoir
se réfugier dans l'abstention. C'est ce qui a été jugé pour
la suppression des notariats en surnombre sur avis concor-
dant des autorités consultées (C. E., 3 mai 1955, R. J. D. A.,
1955, 256, De Boosere, note Reiters).
Parfois, l'avis défavorable empêche la décision (A. R.,
13 janv. 1935 interdisant au Roi d'étendre par voie d'arrêté
à toute une branche d'industrie un accord approuvé, signé
par la majorité des intéressés si Ie conseil du contentieux
économique exprime un avis défavorable à cette extension.
L'avis est souvent prévu avant que l'autorité supérieure
annule ou réforme la décision d'un pouvoir subordonné. Il
en est ainsi en matière de tutelle; par exemple, Ie Roi ne
met à néant un arrêté communal, sur recours du gouver-
neur, qu'après avoir pris l'avis de la députation perma-
nente (L. C., art. 86). Il peut en être de même pour Ie
pouvoir hiérarchique; Ie ministre ne revoit et éventuelle-
ment réforme Ie refus d'une licence par !'Office des trans-
ports par route qu'après un avis défavorable d'une « com-
mission d'appel » (A. R., 9 mai 1936; - C. E., 13 nov. 1956,
R. J. D. A., 1957, 193, Borremans, note Flamme).

3. Effets

L'acte préparatoire peut ne concerner que Ie bon fonc-


tionnemcnt de l'Administration elle-même. Par exemple,
une décision entraînant dépense implique crédit budgétaire
accord éventuel du Comité du budget, visa du comptable
des dépenses engagées, etc. Ce sont des mesures d'ordre
intérieur sans effet j uridique pour les tiers.
Mais des formalités peuvent aussi avoir beaucoup d'im-
portance pour les tiers intéressés à la décision. Ces derniers
peuvent naturellement toujours introduire des recours au-
près de l'autorité compétente ou sapérieHre · --
y a-t-il un recours juridictionnel ?
La mesure préparatoire peut être une condition de vali-
dité de la décision elle-même qui peut être annulée parce
qu'elle a été omise. Il faut excepter Ie cas ou elle influe
SECTION IV. - DÉCISION EXÉCUTOIRE 159

d'une manière décisive sur la décision (mauvais classe-


ment ou omission d'un candidat dans une présentation).

B. DÉCISION EXÉCUTOIRE

209. La décision exécutoire est un acte administratif


unilatéral qui comporte une décision entraînant des effets
de droit et qui est directement exécutoire, même en cas de
contestation et de résistance. C'est l'acte Ie plus caracté-
ristique du Droit administratif. Nous avons déjà donné
l'idée fondamentale. Le Droit privé protège et respecte
également toutes les personnes, Ie bailleur comme Ie loca-
taire, l'employcur comme l'employé, Ie vendeur comme
l'acheteur. Certes, des dispositions légales peuvent être
protectrices pour l'une des parties. Mais généralement, ce
sera en faveur de celle qui est plus faible pour rétablir en
droit une égalité qui a été rompue en fait. Dans Ie cadre
de ces dispositions impératives d'ordre public, les diverses
volontés restent égales en puissance et en valeur. Aucune
ne peut s'imposer à l'autre.
Toute autre est la philosophie du Droit administratif. Le
service public qui sert un intérêt essentie!, un besoin vital
de la communauté, doit fonctionner et dès lors la volonté
de la personne publique est plus respectable et doit pré-
valoir.
La pratique administrative a créé des variétés intéres-
santes de décisions exécutoires.
On cite la décision prise par un organe et « rendue exé-
cutoire » par une autorité supérieure. Cette technique a été
d'abord employée pour les commissions paritaires <lont Ie
caractère d'autorité a<lministrative était à !'origine incer-
tain et qui en tous cas n'ont pas Ie pouvoir réglementaire
(A. L., 9 juin 1945; Haesaert dans Rev. dr. soc., 1955, 85 et
Horion, Rev. Dr. int. et Dr. comp., 1954, 246). Elle a été
appliquée par l'article 4 de la loi du 8 novembre 1961 aux
décisions du directoire charhonnier imposant fusion ou
services communs; ce directoire ayant un caractère indu-
bitablement parastatal, il eut été plus simple d'employer
les formules traditionnelles : soit décision gouvernemen-
tale sur avis conforme du directoire (n° 208), soit décision
du directoire soumise à la tutelle gouvernementale d'appro-

N 08 208 à 209
160 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

bation (n° 124) - Cf. avis C. E. et explications embarras-


sées du gouvernement (Doe. Sénat, C. E., 1961, R. A., 6135,
n° 146).
La variété la plus récente a été empruntée à la technique
juridique du Droit communautaire européen par la même
loi. A cóté des « décisions » proprement dites, obligatoires
dans tous leurs éléments, on trouve les « recommanda-
tions » qui, selon l'article 8 « comportent obligation dans
les buts qu'elles assignent mais laissent aux intéressés Ie
choix des moyens propres à atteindre ce hut ».
210. La décision exécutoire se caractérise par deux pri-
vilèges.
Privilege de l' exécution d' office : L' Administration ren-
contrant une résistance chez Ie sujet passif de son droit, ne
doit pas obtenir d'un juge (ou d'un notaire) un titre exé-
cutoire. Elle peut exécuter immédiatement et, au besoin,
iequérir la force publique. Les services publics ne peuvent
être arrêtés; l'ordre de l'autorité doit être obéi.
L'exécution d'office est un privilège dangereux puis-
qu'elle porte gravement atteinte à la liberté des individus
et prive l'administré de la protection judiciaire. Aussi Ie
privilège n'est-il pas accordé uniformément dans tous les
cas. Il est exceptionnel.
Il peut d'abord être prévu par un texte formel. On peut
citer de nombreux exemples en matière agricole : échenil-
lage (A. R., 29 juill. 1887, art. 4); fièvre aphteuse (arrêté
du Régent, 15 oct. 1947, art. 31); échardonnage (A. R., 2 mai
1887, art. 5); destruction de houblon sauvage (A. R., 28 juin
1925, art. 4); lutte contre Ie hamster (A. R., 15 juin 1937,
art. 2) ; lutte contre Ie doryphore (arrêté du Régent du
6 mai 1946, art. 2).
A défaut de texte, l'exécution d'office sera aussi admise
moyennant diverses conditions. D'abord, il faut désobéis-
sance ou résistance caractérisée de l'intéressé. On ne se sub-
stitue à lui qu'à la dernière extrémité. Ensuite, il faut
nécessité et urgence : aucun autre moyen de coercition suf-
fisamment rapide ne se trouve à la disposition de l'Admi-
nistration; il n'en sera-pas ainsi si---les textes eux-mêmes
prévoient soit une procédure civile d'exécution, soit la
sanction d'une pénalité. Enfin, la mesure administrative
prise doit tendre uniquement à la réalisation de l'opération
prescrite par la loi.

N'"' 209 à 210


SECTION IV. - DÉCISION EXÉCUTOIRE 161

Il y a d'autre part des exceptions absolues. Le privilège


de l'exécution d'office ne peut supprimer les garanties con-
stitutionnelles. Notamment, la liberté individuelle doit être
respectée. Nul ne peut être détenu sans mandat judiciaire
régulier. Nul ne peut être privé de sa propriété sans indem-
nité (Const., art. '11); l'expropriation pour cause d'utilité
publique suppose accord ou jugement. Mais l'exécution
d'office est admise pour des mesures conservatoires,
comme des saisies en douane, ou des mesures urgentes de
police, comme la démolition d'un immeuble menaçant
ruïne (Cass., 28 oct. 1935, Pas., 1936, I, 14).
Privilège du préalable : Les particuliers ne peuvent se
faire justice. Il faut attendre que Ie juge ait dit Ie droit.
Au contraire, une contestation n'arrêtera pas l'activité des
services publics : il faut obéir d'abord et réclamer ensuite.
C'est Ie privilège du préalable.
Privilège essentie! puisque à cause de lui Ie particulier
qui se prétend lésé sera demandeur - c'est-à-dire aura la
charge de la preuve - et puisque très souvent son assigna-
tion ne suspend pas l'exécution.
Les auteurs français citent des exemples qui sont aussi
valables en Belgique: obligation de payer ses impöts directs
malgré l'introduction d'une réclamation ou d'un recours,
droit des autorités budgétaires de liquider elles-mêmes les
dettes de l'Administration; obéissance aux ordres verbaux,
même mal fondés, de la police.
Bien entendu, Ie particulier n'est pas démuni. Auprès de
l'Administration elle-même, il peut introduire des recours
gracieux ou contentieux. Mais l'Administration, juge et
partie, peut être mal disposée. Des juridictions administra-
tives impartiales et indépendantes sont nécessaires.
Remarquons d'ailleurs qu'un.,,action en justice, même si
elle est accueillie et sanctionnée par un jugement, ne peut
fonder des moyens de contrainte. L' Administration choi-
sira Ie moment et Ie moyen de faire droit au particulier
sans entraver Ie fonctionnement du service public (n° 31).

2. Conditions de validité
2ll. Elles sont d'abord celles de tout acte unilatéral (n°
190).
Personnes publiques compétentes : La décision exécu-
toire met en jeu la puissance publique. Les personnes pu-

N 05 210 à 211
162 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

bliques territorialcs ont cette compétence; les personnes


parastatales ne les possèdent qu'en vertu de la loi.
Parfois Ie législateur emploie une technique particulière
pour relever Ie niveau administratif auquel la décision exé-
cutoire est finalement prise par une autorité administra-
tive. Si les commissions paritaires rédigent des conventions
collectives entre employeurs et employés, si Ie Conseil
national des Mines peut conclure à la fermeture d'un char-
bonnage <lont la productivité est insuffisante, ces règle-
ments doivent être rendus exécutoires par arrêté royal.
Organes compétents : Par ailleurs, la décision ne peut
pas être prise par n'importe quel agent mais uniquement
par les autorités administratives (n° 221).
Conditions de fond et de forme : Elles varient selon les
décisions. Les principes de légalité et de finalité doivent
toujours être respectés (n°• 194, 195).

3. Effets
La <lécision exécutoire doit être obéie par tous les inté-
ressés. C'est vrai même si elle est irrégulière. Voilà ce qui
en fait la force. Mais elle peut être annulée par Ie Conseil
d'Etat (n° 497).

C. ENTRÉE EN VIGUEUR DES DÉCISIONS EXÉCUTOIRES

212. Du caractère exécutoire, il faut distinguer Ie carac-


tère obligatoire des décisions. Quand celles-ci lient-elles Ie
public et l'Administration?
Une décision exécutoire de l'Administration est directe-
ment opposable par tous les particuliers à l' Administration
elle-même en vertu de l'adage pat ere legem quem f ecisti
(Cass., 5 janv. 19'56, R. J. D. A., 1956, 71, Commissariat
beige du rapatriement c./ Verbeke). Mais, pour que celle-ci
puisse invoquer sa propre décision et exiger l'obéissance
des particuliers, certaines formalités sont requises.
Une promulgation constatant la régularité de la procé-
dure est prévue pour les lois mais non pour les actes admi-
nistratifs.
Au contraire une publication ou une notification est
imposée par la Constitution (art. 129). Quand il s'agit d'une
décision individuelle, la notification suffit. Pour un règle-
ment, voyez n° 217 (L., 18 avr. 1898, art. 6, pour les arrêtés

N 05 211 à 212
SECTION V. - LES ACTES RÉGLEMENTAIRES 163

royaux; L. P., art. 117 et 188; L.C., art. 102; L., 28 Jmn
1932; à défaut de disposition légale expresse, les règle-
ments édictés par les établissements publics ne doivent pas
être publiés au Moniteur (C. E., 16 nov. 1956, R. J. D. A.,
1957, 203, Hautecloque).
Selon l'article 5 de la loi du 18 avril 1898, les arrêtés
royaux sant publiés par la voie du Moniteur, texte français
et texte flamand en regar<l, dans Ie mois de leur date; ils
sant obligatoires. Le dixième jour suivant celui de la publi-
cation, à mains que l'arrêté n'ait fixé un autre délai (Cass.,
31 mai et 31 oct. 1921, Pas., 1921, I, 388 et 1922, I, 41; Cass.,
25 janv. 1926, Pas., 1926, I, 195).
Sur la manière <lont les règlements militaires s'imposent
aux militaires soldés, cf. Tribunal civil de Charleroi,
1er févr. 1955, R. J. D. A., 1955, 148, Leys, note Van Eede.
Il n'est pas dérogé aux dispositions qui exigent en outre
d'autres publications pour certains arrêtés (Voyez notam-
ment la loi sur l'ivresse).

SECTION V

LES ACTES REGLEMENTAIRES

Parmi les actcs administratifs unilatéraux, on a fait une


première distinction - entre les décisions exécutoires et les
actes préparatoires - fondée sur Ie caractère obligatoire
de ces actes. Une autre opposition dépend de la fonction
exercée par l' Administration: il y a des actes administratifs
ordinaires, <les actes j uridictionnels, enfin des actes régle-
mentaires.
Les actes juridictionnels font l'objet d'un chapitre dis-
tinct (chap. XII). Quant aux actes réglementaires, les indi-
cations données sous une forme fragmentaire dans diverses
parties de ce livre méritent d'être regroupées ici.
A. DÉFINITION

213. L'actc administratif réglementaire est une décision


exécutoire qui donne les règles générales et abstraites gou-
vernant la création, la transformation et la suppression de
droits et d'obligations. Il est Ie résultat de l'exercice de la

N 05
212 à 213
164 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

fonction réglementaire. Tels sont des arrêtés royaux régle-


mentaires, des règlements ministériels, provinciaux, com-
munaux, - mais non de simples circulaires par lesquelles
une autorité supérieure fait simplement connaître à ses
subordonnés son interprétation d'une disposition ou leur
recommande collectivement une certaine politique.

B. CARACTÉRISTIQUES

214. A partir des prescriptions constitutionnelles, la doc-


trine a cherché à dégager une théorie de la hiérarchie des
normes. Entre les diff érents actes réglementaires, on peut
établir des degrés; les normes d'un rang inférieur ne peu-
vent contrevenir à celles qui les dominent.
Les arrêtés royaux doivent être conformes aux lois
(Const., art. 67 et 107).
Les règlements ministériels ne peuvent contrevenir ni
aux lois ni aux arrêtés royaux, car les chefs de départe-
ment n'exercent Ie pouvoir réglementaire que par délé-
gation du Roi (n° 99).
Entre les actes réglementaires du Roi lui-même, ne peut-
on pas établir une nouvelle distinction? On pourrait pré-
tendre qu'un arrêté royal réglementaire délibéré en Con-
seil des ministres ne pourrait être modifié ou abrogé ulté-
rieurement par un arrêté royal ordinaire. La solution est
certaine si la formalité de la délibération est imposée soit
par la loi soit par l'Exécutif lui-même qui veut assurer de
cette façon la stabilité de la réglementation (voir par exem-
ple arrêté royal du 2 octobre 1937, établissant Ie statut des
fonctionnaires). Même à défaut de texte, la solution nous
paraît raisonnable.
Enfin, les règlements provinciaux communaux ne peu-
vent pas contrevenir aux lois et arrêté généraux (n° 141).

C. CoNDITIONS DE VALIDITÉ

215. Les conditions générales applicables à tout acte


unilatéral ont été données (n00 190 et s.).
Personnes publiques : Le pouvoir réglementair_e est exer-
cé par les personnes publiques territoriales. Peut-il être
attribué par Ie législateur à des institutions parastatales?
On objecte que ceci n'est prévu par aucun texte constitu-
tionnel. Mais on peut citer divers cas d'application : (Banc

N 011 213 à 215


SECTION V. - LES ACTES RÉGLEMENTAIRES 165

d'épreuve d'armes à feu : L., 25 mai 1884; - Conseil de


l'ordre des avocats : décret 14 déc. 1810; - Comtnission
bancaire, A. L., 30 janv. 1935; - Conseil de l'Ordre des
médecins, L., 25 juill. 1938, et pharmaciens, L., 19 mai
1949).
Organes compétents : Le pouvoir réglementaire n'ap-
partient qu'à un nombre réduit d'autorités. Le Roi
pour l'Etat (Const., art. 67); Ie conseil communal et excep-
tionnellement Ie bourgmestre pour la commune (Const.,
art. 31 et 68; - L. C., art. 78 et 94) ; Ie conseil provh1cial
(L. P., art. 85) pour la province.
La délégation de ce pouvoir à des autorités subordonnées
n'est admise que dans des limites étroites (nos 99 et s.).

D. EFFETS
216. Situation réglementaire et situation contractuelle :
Le règlement crée des droits et des devoirs subjectifs.
Celui qui invoque ou auquel on impose un règlement, se
trouve dans une situation juridique toute différente de
celui qui fonde son droit sur un contrat. On a cependant
confondu les deux situations. Ceci s'explique par Ie fait
que Ie règlement ne s'applique pas toujours automatique-
ment. Parfois, il faut l'accomplissement préalable de cer-
tains actes, appelés pour cette raison « actes conditions >.
Tantöt on exigera une décision administrative; par exem-
ple, les lois et les arrêtés sur les monuments et les sites ne
protègent un immeuble qu'après classement. Parfois, c'est
la volonté d'un particulier qui est prévue à titre. de con-
dition; par exemple, c'est l'assignation libre du justiciable
qui déclenche l'application <les règles de procédure; cette
assignation valablement lancée, Ie juge doit <lire Ie droit
sinon il y a déni de j ustice. Enfin on trouve des cas ou
parmi les conditions sont exigés cumulativement un acte
de l'Administration et un acte libre du particulier. C'esl
ici que l'analyse juridique doit être précisée.
Il serait en effet aisé de confondre ce concours de volon-
tés avec un accord constitutif de convention. Tel est Ie cas
d'un fonctionnaire. Il a fait acte de candidat et l' Adminis-
tration Ie nomme. Ces deux volontés aboutissent~elles à Ia
formation d'un contrat? La nomination ne peut-elle pas
s'analyser comme l'acceptation de Ia candidature? Telle
peut être encore la situation de l'usager d'un service public,

N 08 215 à 216
166 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

par exemple de l'abonné à la Régie des Téléphones


(n° 337). En réalité, les deux actes de volonté ne sont que
<les conditions déclenchant l'application du règlement. Les
obligations des parties découlent de ce règlement et non
pas de l'accord de leurs volontés.
Conséquences : Puisque les obligations découlent du rè-
glement, les parties sont impuissantes à en fixer la nature
et l'étendue. Dans la mesure oû existe un statut des agents
de l'Etat ou un arrêté réglementant Ie fonctionnement de
la Régie des Téléphones, les pouvoirs publics aussi bien
que les intéressés ne peuvent stipuler des conditions parti-
culières plus ou mains avantageuses.
Ensuite, Ie fait que les obligations découlent du règle-
ment et non pas de l'accord des parties se marque non
seulement au moment ou elles viennent à naître, mais en-
core pendant toute leur cxécution. Un contrat est la loi des
parties (Code civil, art. 1134). Il ne peut être modifié que
de leur consentement. Au contraire, un règlement peut être
amendé unilatéralement par l'autorité compétente, même
si les intéressés subissent un désavantage. C'est une appli-
cation du principe de l'inaliénabilité de la souveraineté.
Il est admis par exemple que les attributions, les traite-
ments et Ie régime de pension des fonctionnaires peuvent
être modifiés en cours de carrière. Mais il faut bien pré-
ciser la compétence dont jouissent les pouvoirs publics :
ils peuvent modifier Ie règlement lui-même et ainsi appor-
ter unilatéralement des changements aux droits et devoirs
de tous les intéressés régis par ces dispositions; ils ne sont
pas en droit de modifier la situation juridique d'une per-
sonne déterminée par une décision individuelle.
Cette opposition pourrait être développée mais les deux
traits principaux qui viennent d'être dégagés suffisent pour
démontrer combien Ie procédé administratif du règlement
est plus favorable au bon fonctionnement du service public
que Ie procédé contractuel du Droit privé. Dans Ie régime
réglementaire, les autorités gardent une plus grande liberté
et peuvent plus facilement adapter l'organisation juridique
aux nécessités changeantes du service public, __
Ob}ections : Certains auteurs ont fait appel au concept
juridique du contrat d'adhésion. D'une part, un des con-
tractants a sa liberté réduite à l'acceptation ou au refus en
bloc des clauses proposées. ·
SECTION V. - LES ACTES RÉGLEMENTAIRES 167

D'autre part n'est-il pas admis que, même en cours d'exé-


cution des conventions, Ie législateur peut toujours en mo-
difier les dispositions impératives? (Maurice Cornil : Por-
tée de l'arrêté du 15 novembre 1920, B. J., 1939, 449; - voy.
aussi Horion : Droit social et secteur public, Anna/es de la
Facizlté de Liège, 1956, 23).
Pareille réfutation ne nous paraît pas convaincante.
L'assurance légale contre la vieillesse en faveur des
ouvriers ne se fonde pas sur un prétendu contrat d'adhé-
sion; l'ouvrier est obligé de s'affilier, la Caisse Générale
d'Epargne et de Retraite ne peut refuser l'inscription et
toutes les modalités de la police sont fixées d'autorité par
la loi.
Dans ce cas extrême, Ie prétendu sollicitant n'a pas plus
de liberté que Ie prétendu adhérent. Prenons maintenant
Ie cas de la nomination d'un fonctionnaire. Certes, Ie jeu
des volontés particulières est ici plus apparent : acte de
candidature d'une part, acte de nomination d'autre part.
La volonté de la personne publique est particulièrement
efficace puisqu'elle est !'auteur du Statut des fonction-
naires. Mais qu'on prenne soin de distinguer logiquement
deux temps : d'abord l'Administration modèle à sou gré Ie
statut ou Ie règlement, règle objective applicable à tous les
cas similaires. Ensuite elle est liée par cette règle tout
comme Ie particulier. Si elle procède à !'engagement, elle
doit choisir Ie candidat Ie mieux classé au concours d'en-
trée (A. R., 2 oct. 1937, art. 26). Elle ne peut lui offrir des
conditions exceptionnelles. Sa volonté, comme celle de l'in-
téressé, n'ont plus qu'un seul et identique objet : provoquer
l'application de la règle générale à un cas particulier.
La deuxième objection soulignant l'existence dans tout
contrat, de <lispositions impératives qui peuvent être modi-
fiées en cours d'exécution, n'est pas non plus définitive.
D'abord on peut <liscuter l'assimilation : les règles impé-
ratives qui s'appliquent à un contrat ne sont généralement
pas d'ordre public. Le contractant peut renoncer, s'il lui
scmble bon, à cettc protection. La nullité n'existe en effet
qu'cn faveur de la personne protégée; elle peut être cou-
verte ou prescrite.
Au contraire, dans la situation réglementaire, les ohli-
gations découlent directement du règlement. Il s'agit de
régler le fonctionnement d'un service public. Une violation
168 CHAPITRE V. - LES MOYENS D'ACTION EN GÉNÉRAL

peut donc être invoquée par toute personne intéressée;


elle ne peut être ni couverte ni prescrite.
Il faut distinguer dans certains contrats une partie régle-
mentaire (Voy. un cas d'application, n° 380).
Celle-ci peut être très large, par exemple dans Ie contrat
de travail. On peut même imaginer qu'elle finit par être
tellement envahissante qu'elle ne laisse plus à la volonté
aucune influence. On passe alors d'une catégorie juridique
à l'autre.

E. ENTRÉE EN VIGUEUR

217. Puisqu'il s'agit de lier toute une collectivité d'indi-


vidus, les règles de publicité sont particulièrement sévères.
L'article 129 de la Constitution dispose : « Aucune loi, au-
cun arrêté ou règlement d'administration générale, provin-
ciale ou communale, n'est obligatoire qu'après avoir été
publié dans la forme déterminée par la loi » (L., 18 avr.
1898, L. P., art. 117 et 118, L. C., art. 72 et 102; L., 28 juin
1932). Consultez Ie n° 212.

Noa 216 à 217


CHAPITRE VI

LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

218. Pour que les services publics fonctionnent, l' Admi-


nistration a d'abord besoin de personnel.
Le Droit administratif a élaboré pour ces agents des
statuts spéciaux qui sont, comme les autres chapitres de ce
Droit, dominés par Ie souci de faire prévaloir l'intérêt gé-
néral. L'intérêt de l'employeur et celui de !'employé ne sont
pas égaux; il faut assurer en toutes circonstances Ie fonc-
tionnement permanent et régulier du service sans cepen-
dant sacrifier inutilement, en cas de conflit, les intérêts
légitimes des agents.
On constate aujourd'hui une tendance sans doute encore
légère à ne plus faire des fonctionnaires des « public ser-
vants », des serviteurs de l'Etat, mais au contraire de faire
de l'Etat la chose de ces agents. C'est èe que l'on trouve au
fond de la revendication du droit de grève : les agents
pourraient interrompre leurs prestations pour défendre des
intérêts personnels; c'est aussi Ie résultat qu'amènerait un
abus du droit d'association, de la· puissance syndicale des
fonctionnaires.
Le principe de la finalité (n° 69) condamne de pareilles
conceptions. Tous les services publics constituant !'essence
même de l'Etat fonctionnent et doivent fonctionner unique-
ment dans l'intérêt du public. La personnification juridique
est précisément une technique qui a été inventée au cours
des siècles pour distinguer l'Etat qui est la res publica et
les gouvernants qui pouvaient être tentés de confondre
leurs intérêts privés ou dynastiques avec ceux de l'Etat
(n° 40). La question que l'on croyait définitivement vidée
prend une nouvelle actualité avec Ie développement des
services publics et l'omniprésence de l'Administration.
Un autre aspect aussi inquiétant de l'évolution des idées
et des institutions doit être souligné. Dans un régime démo-
cratique, les ministres sont les chefs des administrations

N° 218
170 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBUCS

publiques; ils sont responsables de leur organisation et de


leur fonctionnement <levant les élus de la nation. Or, ils
sont soumis de plus en plus aux pressions des conseils de
direction ou des organisations syndicales avant de pren-
dre une décision concernant l'organisation des services, Ie
recrutement, la promotion ou Ie statut des agents. Tant
qu'il ne s'agit que d'un avis, la procédure est bonne. Ces
hauts fonctionnaires sont impartiaux, permanents et con-
naissent la technique administrative: ces syndicats empê-
chent les abus de !'arbitraire, une gesnon partisane. Mais
il ne faudrait pas que ces conseils dégénèrent, en droit ou
en fait, en des pressions coercitives.
Il faut apprécier dans Ie même esprit Ie problème des
délégations. Une pareille déconcentration en faveur de
fonctionnaires techniciens et permanents se justifie par Ie
souci de la bonne gestion administrative. Encore faut-il
que Ie chef politique du département garde Ie pouvoir émi-
nent du dernier mot.
Quel sera Ie plan de ce chapitre?
Une distinction fondamentale doit être faite selon la
nature volontaire ou forcée de la collaboration.
En principe, l'Etat compte sur Ie travail volontaire
d'hommes qui prestent leurs services comme une activité
professionnelle. Ceux-là sont au sens prop re du mot des
agents publics. Le recours de plus en plus généralisé à ces
collaborations volontaires se justifie par Ie respect que doit
manifester Ie pouvoir dans notre régime politique envers
la liberté humaine ainsi que par Ie souci d'obtenir un meil-
leur rendement.
Cependant, l'Administration ne peut pas être paralysée
par la volonté des individus. Le service public doit être
assuré. Si l'on ne trouve pas Ie concours spontané des pro-
fessionnels, on recourra à la réquisition.
Parfois Ie consentement peut manquer du cöté de l'Ad-
ministration. Tel est Ie cas du fonctionnairc de fait (n° 94).
On examinera d'abord Ie statut des agcnts publics; des
sectiofls seront consacrées à- la définition de !'agent public
et à des généralités sur son statut, à l'entrée en service,
aux droits, aux devoirs, enfin à la sortie du service. Les
mêmes questions seront posées au sujet des requis dans
une section finale.

N° 218
SECTION I. - NOTION DE L' AGENT PUBUC 171

SECTION I
NOTION DE L'AGENT PUBLIC

A. DÉFINITION DE L'AGENT PUBLIC

219. Est agent public tout individu attaché volontaire-


ment à une personne publique pour laquelle il remplit un
emploi quelconque de nature permanente et non acciden-
ielle.
Reprenons les diff érents élémcnts de cette définition.

1. Tout individu attaché volontairement


à une personne publique.
220. Peu importe la personne publique : Etat, province,
commune, personne publique parastatale. Le statut variera
selon Ie cas, mais Ie lien qui existe entre l'agent et la per-
sonne publique suffit pour justifier des conséquences juri-
diques uniformes.
Peu importe aussi Ie service public auquel l'agent preste
ses services. Toutefois ne relèvent pas du Droit administra-
tif les services publics de la législature et de la justice. Les
magistrats, greffiers, fonctionnaires des deux Chambres
exercent une fonction publique. Mais ce ne sont pas des
fonctionnaires administratifs.
Il n'y a pas d'agent public lorsque l'entreprise est privée.
Un évêque n'est donc pas un fonctionnaire (Const., art. 16).
Il en est de même pour les collaborateurs des associations
sans hut lucratif et des établissements d'utilité publique.
Même solution encore pour Ie personnel du concessionnaire
d'un service public si ce concessionnaire est un particulier
ou une société de Droit privé. Toutefois, Ie cahier des char-
ges peut contenir des dispositions dérogatoires au droit
commun et prévoir notamment que sous certains aspects,
Ie statut des employés sera fixé, non pas par Ie contrat
d'emploi, mais par un arrêté réglementaire (C. E., 21 juin
1956, R. J. D. A., 1957, 114, Crèvecceur).
Le lien entre la personne publique et !'individu doit être
volontaire. Ce n'est pas nécessairement un contrat. Une
nomination peut être précédée d'un acte de candidature;
encore faut-il que Ie collaborateur soit libre. Sinon il est
un requis.

N 05
219 à 220
172 CHAPITRE VI. ~ LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

Des particuliers peuvent être amenés à collaborer au


fonctionnement d'un service public sans devenir agents.
Par exemple, selon l'article 6bis de l'arrêté-loi du 28 dé-
cembre 1944, complété par la loi du 4 juillet 1946, « les
organisations professionnelles représentatives du corps mé-
dical et les organisations professionnelles représentatives
<les autres personnes habilitées à dispenser des soins de
santé octroyés à charge de l'assurance, peuvent être asso-
ciées, avec leur accord, au fonctionnement de l'assurance-
maladie, selon les modalités que Ie Roi détermine ». Le
Conseil d'Etat précise: « Le pharmacien qui accepte de prê-
ter ses soins aux assurés sociaux est Ie collaborateur volon-
taire du service public ». En acceptant de collaborer au
service de l'assurance maladie-invalidité, il s'engage par
Ie fait même à ne rien faire qui pourrait porter atteinte au
bon fonctionnement de ces services (C. E., 14 mars 1958,
R. J. D. A., 1958~ 197, Association pharmaceutique beige),
mais il n'est pas fonctionnaire. ·

2. Pour laquelle il remplit un emploi quelconque.

221. Qn ne fait aucune distinction d'après Ie mode d'en-


trée au service : nomination (fonctionnaire), ou contrat
(fonctioimaire), élection (membre de commission d'assis-
tance publique), ou désignation par un particulier (colla;.
teur de bourse d'études, réviseur de banque, garde-chasse).
Peu importe aussi la nature des fonctions (sera considéré
comme agent Ie travailleur manuel : A. R., 2 oct. 1937,
art. 7), leur caractère consultatif, Ie fait qu'elles constituent
ou non une occupation exclusive, l'existence d'une rémuné-
ration (l'agent peut exercer sa fonction gracieusement :
Cass., 24 d.éc. 1928, Pas., 1929, I, 45), Ie mode de rémuné-
ration (!'agent peut être payé par un particulier : reviseur
de banque).
Mandataires publics: Il faut mettre dans une catégorie
à part certains agents qui exercent mie fonction de carac-
tère politique. Leur statut ne concerne pas Ie Droit admi-
ministratif. Tel est Ie cas des mandatahes publlcs : au sens
strict, ceux-ci sont des agents publics. Collectivement, ils
sont l'organe d'une personne publique. Mais l'élection qui
établit un lien entre eux et Ie public organisé sous forme de
~orps électoral et, par voie de conséquence les soustrait à la

N 00 220 à 221
SECTION 1. - NOTION DE L'AGENT PUBLIC 173

hiérarchie administrative, justifie pour eux un statut parti-


culier (n° 143). Tels sont les sénateurs, députés, conseillers
communaux et échevins, conseillers provinciaux et députés
permanents.
Les ministres se trouvent aussi dans une situation parti-
culière. Chefs politiques des administrations publiques, ils
engagent leur responsabilité <levant les Chambres. Ils ont
un statut spécial qui n'est pas celui des agents administra-
tifs et est réglé par Ie Droit constitutionnel.
Il en est de même pour les bourgmestres. Certes, ils sont
nommés et révoqués par Ie Roi et soumis à l'autorité du
ministre de l'Intérieur. Mais, très généralement, ils sont
choisis dans la majorité du conseil communal. Ce sont des
mandataires publics qui n'ont pas de statut administratif.
La situation des gouverneurs de province est diff érente.
Ce sont de véritables fonctionnaires. Mais en vertu de leurs
fonctions ils ont un statut particulier.
Organes et préposés: La notion d'« organe » par oppo-
sition au « préposé » est faite notamment en matière de
responsabilité délictuelle (n° 386). L'organe est l'agent
individuel ou Ie collège qui selon la loi organisatrice ou
les statuts de la personne publique, exerce en propre, d'une
façon immédiate et sans délégation, une partie de la com-
pétence. Tel est Ie ministre, Ie gouverneur, Ie bourgmestre,
l'autórité statutaire d'un établissement parastatal. Par
opposition les préposés sont tous les agents qui sont nom-
més et dirigés par les organes.
Autorités administratiues : Le concept d'auto.rité admi-
nistrative, très important pour la compétence d;annulation
du Conseil d'Etat (n° 500) est plus large. Ont cette qualité
non seulement les organes mais aussi les préposés qui exer-
cent la compétence par délégation. Parmi ces derniers on
peut faire une nouvelle distinction. Certaines délégations
laissent Ie préposé sous l'autorité hiérarchique des organes.
La déconcentration peut être si énergique qu'elle supprime
cette subordination dans la mesure ou la compétence délé-
guée est exercée. Par exemple Ie conservateur des hypo-
thèques, Ie directeur des contributions directes prennent
leurs décisions à l'abri de toute injonction,. évocation et
réformation (n"" 96 et s.).
Agents de la puissance publique : Enfin, certains agents
sont détenteurs de la puissance publique · par rapport à
174 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

d'autres qui se bornent à administrer. La vieille distinction


entre imperium et gestion a un fond de vérité. Seules cer-
taines personnes publiques et pour leur compte certains
agents, exercent le pouvoir, c'est-à-dire peuvent unilaté-
ralement imposer leur décision à des tiers, qu'il s'agisse
d'ordres matériels de la police ou de décisions unilatérales
exécutoires, qu'il s'agisse de contraindre par un recours
immédiat à la force ou plus subtilement d'imposer unilaté-
ralement des obligations j uridiques.

3. De nature permanente et non accidentelle.

222. Si le lien avec Ie service public n'est qu'exception-


nel, un statut spécial de l'agent n'est pas nécessaire.
Ce qui doit être permanent, c'est l'emploi et non la te-
nure. Le greffier provincial est un agent public quoiqu'il
soit nommé pour un terme de six ans. Le magistrat qui
préside un jury central d'examen est en cette qualité un
fonctionnaire de l'ordre administratif encore qu'il n'exerce.
ses fonctions que pendant quelques jours. C'est que dans
ces deux cas, les fonctions elles-mêmes sont permanentes.
Celui qui est nommé à titre provisoire à une fonction per-
manente est un agent public (Conseil d'Etat, arrêt 3270,
Bossels). Par contre, les surnuméraires, intérimaires, en-
gagés pour faire face à un surcroît transitoire de besogne
ou pour accomplir des taches spéciales et provisoires, ne
sont pas des agents publics. Cette solution est formellement
donnée en droit positif par le statut des agents de l'Etat
(art. 1 et 5). Le requis ou mobilisé civil n'est pas non plus
un agent public non seulement parce que sa collaboration
est forcée, mais aussi parce que sa fonction est temporaire
(L., 5 mars 1935; Brux., 2 avr. 1946, R. A., 1946, 266).

8. LE STATUT JURIDIQUE DE L'AGENT PUBLIC

1. Diversité des statuis.


223. Une première diversité découle de la multiplicité
des personnes publiques. Les statuts des agents de l'Etat,
des provinces, des communes, des établissements publics,
n'ont guère de chances d'être uniformes, puisqu'ils émanent
d'autorités différentes (ch. IV). Pour la même personne
publique, des statuts spéciaux sont parfois nécessaires pour

N 06 221 à 223
SECTION I. - NOTION DE L' AGENT PUBLIC 175

certaines catégories d'agents. Par exemple, si dans Ie cadre


de l'Etat Ie régime des fonctionnaires est réglé par arrêté
royal, celui du corps enseignant (Const., art. 17) et celui
des militaires (Const., art. 118) sont fixés constitutionnelle-
ment par la loi.
Cette diversité peut aboutir à une surenchère : des agents
qui appartiennent à des corps différents, mais qui peuvent
faire vuloir la même préparation académique et les mêmes
prestations professionnelles, sont tentés de se jalouser, de
réclamer les privilèges du voisin en négligeant leurs pro-
pres avantages. L'arrêté royal du 28 janvier 1935 et l'arrêté-
loi du 10 janvier 1947 ont consacré Ie principe de l'équi-
valence des rémunérations pour les services de l'Etat, des
provinces et des communes .
Dans ce Précis, nous nous bornerons à dégager les prin-
cipes généraux qui doivent se retrouver dans tous les sta-
tuts, parce qu'ils découlent de la notion fondamentale du
service public ou parce qu'ils sont formellement exprimés
dans la Constitution.

2. Autorités compétentes pour organiser Ie statut.

224. C'est celle qui est compétente pour organiser d'une


manière générale la personne publique. Nous allons retrou-
vcr les mêmes principes que dans Ie chapitre Il.

a. - Administration centrale.
Compétence générale du Roi.
225. Pour les services centralisés de l'Etat, Ie Roi est
compétcnt. Ce principe se fonde sur plusieurs textes con-
stitutionnels : l'article 29 dispose qu'au Roi appartient Ie
pouvoir exécutif; l'article 67 Ie charge de l'exécution des
lois et lui donne par conséquent Ie pouvoir d'organiser les
services nécessaires; selon l'article 66, alinéa 2, Ie Roi
nomme aux emplois d'administration générale et de rela-
tions extérieures, sauf les exceptions établies par les lois.
Du droit exprès de nomination, on a déduit la compétence
plus large d'organiser tout Ie statut des agents (C. E.,
12 juill. 1952, R. J. D. A., 1953, 56, Bogaert et Debunne; -
C. E., 12 déc. 1957, R. J. D. A., 1958, 123, Deprez).
Aux arguments de textes, s'ajoutent les principes.

N 05
223 à 225
176 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

La Constitution consacre la séparation des pouvoirs.


Celle-ci implique que l'Exécutif souverain s'organise
comme il I'entend (n° 130). Les ministres sont politique-
ment responsables <levant les Chambres. Cette responsa-
bilité serait injustifiée et ne pourrait être sanctionnée si
les chefs de département pouvaient prétendre que la poli-
tique critiquée est imputable au fait que la loi elle-même a
organisé un mauvais recrutement <les fonctionnaires et
leur a reconnu des droits et des devoirs peu compatibles
avec Ie bon fonctionnement des services.
Un statut fixé par arrêté royal est-il moins stable qu'un
sta tut établi par la loi? L'obj ection est de pure forme. Les
agents publics jouissent d'une stabilité de fait que ne con-
naissent pas les employés privés. Cette sécurité s'est encore
accrue depuis l'instauration d'un Conseil d'Etat. Au sur-
plus l'arrêté royal du 2 octobre 1937, fixant le statut des
agents de l'Etat, a été délibéré en Conseil des ministres et
ne peut être mo<lifié qu'en suivant la même procédure
(C. E., 26 août 1949, R. J. D. A., 1949, 196, François, note
De Visscher) (n° 215). Un chef de département ne pourrait
y apporter <les dérogations individuelles.

Compétence exceptionnelle de la loi.

L'intervention du législateur est prévue dans trois cas


précis par la Constitution elle-même : en faveur du per-
sonnel enseignant dans les établissements ou l'instruction
publique est <lonnée aux frais de l'Etat (art. 17), (C. E.,
30 juin 1950, R. J. D. A., 1950, 243, Frédéricq), à l'avantage
des militaires et <les gendarmes (Const., art. 118 et 120);
de plus, les pensions ne peuvent être accordées qu'en vertu
d'une loi (art. 114).
L'article 66 précité prévoit d'une façon générale la pos-
sibilité d'une intervention législative. Par exemple c'est en
vertu d'une loi que la nomination et la révocation des em-
ployés de la Cour des comptes (L., 29 oct. 1846, art. 18) ou
du Conseil d'Etat (L., 23 <léc. 1946, art. 41) appartiennent
à ces hautes juridictions et non au Roi.
Parfois, la loi intervient, non pas pour établir Ie statut
complet d'une catégorie particulière d'agents, mais pour
régler un point déterminé.

N° 225
SECTION I. - NOTION DE L' AGENT PUBLIC 177

b. - Provinces et communes.
226. lei la compétence du législateur est normale (Const.,
art. 108). Il en est de même pour les établissements qui en
dépendent (loi sur les commissions d'assistance publique,
art. 27 et suivants; loi sur les commissions provinciales de
bourses d'études, art. 24 et suivants).
Les lois provinciale et communale règlent, eri ces rna-
tières, la compétence des autorités subordonnées.
Des lois ont limité !'autonomie communale, notamment
en matière de traitements et pensions (par ex.: L., 10 janv.
1947), de discipline et de stabilité de l'emploi (L., 30 j uill.
1903; adde L., 14 févr. 1961, art. 71 et 72 modifiés par L.,
27 juill. 1961).

c. - Etablissements publics
et associations de Droit public.
227. lei encore, il faut admettre la cornpétence normale
du législateur. On objectera que l'arrêté royal du 2 octo-
bre 1937, en son article 1er, prévoit expressément son exten-
sion possible aux établissements ou offices publics. Mais il
a été souligné dans Ie rapport du cornmissaire royal (p. 18),
qu'en assimilant Ie personnel de ces établissements à celui
des adrninistràtions centrales et en fixant leurs statuts, Ie
Roi n'exercerait pas un pouvoir propre. Ce serait un arrêté
d'exécution pris en vertu de la loi organique de chacun de
ces établissements (Const., art. 67).
Le législateur a parfois expressément organisé un statut
spécial pour Ie personnel de certains organismes parasta-
taux, que ce soit une régie (Voies aériennes : L., 20 nov.
1946, art. 9), un établissement public (Caisse générale
d'épargne et de retraite : L., 16 mars 1865, art. 11), une
association de Droit public (S. N. C. B., L., 23 juill. 1926,
art. 13). Des lois ont étendu aux institutions parastatales
les règles fixant l'àge de la retraite et Ie régime de pension
des agents de l'Etat (L., 16 oct. 1954, art. 16; - L., 28 avr.
1958).
Le législateur peut aussi déléguer son pouvoir au Roi. Il
Ie fait par une loi spéciale pour un organisme déterminé
ou par une disposition générale; c'est ainsi que la loi du
16 mars 1954 complétée par l'arrêté royal (en vertu de
pouvoirs spéciaux) du 18 décembre 1957, donne une longue

N"" 226 à 227


178 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBUCS

liste des personnes publiques dont Ie statut du personnel


doit être fixé par arrêté royal.
Si Ie législateur, soit directement, soit par délégation,
n'intervient pas, les autorités dirigeant la personne puhli-
que parastatale, trouvent dans !'autonomie de celle-ci la
justification de leur compétence (C. E., 17 juin 1955,
H.. J. D. A., 1956, 28, Smets, note Putzeys; - cf. n° 54).

3. Nature du lien juridique.

a. - Contrat ou règlement.
228. Nous retrouvons ici la distinction, déjà étudiée dans
son principe (n° 216), entre Ie contrat et Ie règlement.
On peut prétendre découvrir dans Ie lien qui unit l'agent
à la personne publique, les éléments d'un contrat de louage
de services. L'étendue des obligations réciproques des par-
ties dépend de l'accord de leurs volontés. Tel est Ie procédé
de Droit privé. L' Administration peut y recourir.
Ceci veut-il dire que ces conventions seront régies par
les lois sur Ie contrat de travail ou d'emploi?
En ce qui concerne les agents temporaires, naguère sou-
mis à un régime contractuel, l'arrêté du 2 octobre 1937
emploie une formule bien plus prudente. L'exposé des
motifs explique que « Ie statut, sans étendre Ie champ d'ap-
plication de la loi, s'y réfère et applique aux agents tem-
poraires une série de mesures analogues à celles de la loi
sur Ie contrat d'emploi» (cf. n° 179).
L'article 6 dit expressément que l'on applique les règles
résultant de la loi sur Ie louage de services, « sauf les dis-
positions du présent statut qui sont expressément appli-
cables aux agents temporaires ». (Cf. Cass., 7 oct. 1943,
R. J. D. A., 1946, Commission d'assistance publique d'An-
derlecht, note Moureau). Le Droit privé ne sera pas
appliqué sans modifications. On devra nécessairement y
introduire des clauses dérogatoires justifiées par l'intérêt
du service public.
Mais Ie lien conventionnel n'est pas Ie plus fréquent. En
principe, Ie statut de tous les agents des services publics
est réglementaire. Cette règle n'a été que lentement déga-
gée. Elle a été nettement affirmée par la Cour de cassation:
« La collation des emplois publics est en dehors de toute

N 08 227 à 228
SECTION I. -- NOTION DE L' AGENT PUBLIC 179

tractation contractuelle » (Cass., 8 déc. 1932, Pas., 1933, I,


44 et Cass., 30 avr. 1936, Pas., 1936, I, 230).
L'intérêt pratique de la distinction entre situation régle-
mentaire et situation contractuelle est important.
La situation réglementaire protège l' Administration et
assure l'application des principes de la régularité et de la
permanence du service public (n° 31). Elle est aussi favo-
rable à l'agent qui notamment jouit d'une plus grande
stabilité de l'emploi et est mis à l'abri de !'arbitraire ou
du favoritisme par ce qu'il bénéficie de règles générales
établies sans acceptation de personnes.
Mais l'agent aura parfois intérêt à défendre une situation
contractuelle. En effet, Ie personnel sous statut est écarté
du bénéfice des lois de prévoyance sociale (L., 28 déc. 1944,
art. 2; - Cass., 2 déc. 1954, Pas., 1955, I, 309, <Euvre Na-
tionale de l'Enfance c./ Miocque; - Cass., 29 avr. 1960,
J. T., 1960, 718) ainsi que des lois sur la réparation des
accidents (Cass., 4 déc. 1959, Pas., 1960, I, 402). Il ne peut
être représenté aux commissions paritaires professionnel-
les. Les litiges ne sont pas de la compétence du Conseil de
prud'hommes.

b. - Applications.
229. Examinons les différentes personnes publiques.
Etat : Le statut des agents de l'Etat est formel (art. 6 a
contrario). Le rapport du commissaire royal « qui équivaut
aux travaux préparatoires » (exposé des motifs de l'arrêté),
opte formellement pour la solution réglementaire (p. 12),
et toute l'économie de l'arrêté se justifie par cette concep-
tion fondamentale.
Il en est de même pour les fonctionnaires de l'Etat aux-
quels l'arrêté du 2 octobre 1937 ne s'applique pas, en vertu
de l'article 2 : les gouverneurs de province et commissaires
d'arrondissement, Ie personnel scientifique des établisse-
ments d'enseignement supérieur et des établissements scien-
tifiques, Ie personnel enseignant des établissements d'en-
seignement artistique ou technique ou colonial, sont nom-
més et non pas contractuellement engagés. La solution a
été ultérieurement étendue au personnel temporaire (A.
Rég., 30 avr. 1946; - pour les ouvriers A. R., 10 avr. 1948).
Il faut réserver la possibilité d'exception; par exemple,

N 00 228 à 229
180 <.:HAPITRE VL - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

les agents du service de programmation sont engagés par


contrat (A. R., 14 oct. 1959 avec avis C. E.).
Provinces et communes : La règle est la même. La situa-
tion des agents est en principe réglementaire. Une preuve
s'en trouve dans l'article 29 de la loi du 7 août 1922 sur Ie
contrat d'emploi, qui exclut expressément de son applica-
tion les employés des provinces et communes.
Personnes publiques parastatales : Les principes juridi-
ques ne sont pas fermement établis.
Il a déjà été souligné que Ie statut réglementaire est Ie
plus normal pour les personnes publiques. Mais à défaut
de loi, il ne leur est pas imposé. Elles ont ici comme ail-
leurs, Ie choix entre Ie procédé de Droit public et Ie procédé
de Droit privé, entre l'investiture par nomination et !'en-
gagement par contrat (C. E., 16 oct. 1959, R. J. D. A., 1959,
236, Conf. nat. de la Construction, note Reiters; - C. E.,
23 sept. 1960, R. J. D. A., 1961, 9, Brabant, note Delio; -
C. E., 13 sept. 1960, R. J. D. A., 1961, 8, Harboort; - contra:
Huberlant. La situation juridique du personnel des institu-
tions parastatales, R. J. D. A., 1960, 4e trim.).
Souvent Ie problème est tranché par la loi organique, un
arrêté royal, les statuts, des décisions générales ou indi-
viduelles des autorités dirigeantes. En !'absence d'une solu-
tion formelle, il faut présumer un statut réglementaire pour
les administrations personnalisées et établissements publics.
Quant aux associations de Droit public, la forme commer-
ciale ou civile prise par !'organisme réagit dans une cer-
taine mesure sur leur activité. En particulier Ie régime du
personnel sera régi par les dispositions du Droit privé
sauf exceptions légales (Cass., 29 avr. 1937, Pas., 1937, 1,
131, S. N. C. B. c./ Mousset) et sous réserve des clauses
exorbitantes du Droit commun qui doivent tenir compte
des exigences particulières du service public.
La jurisprudence est hésitante. Un arrêt critiqué du Con-
seil d'Etat a présumé Ie régime contractuel non seulement
pour les associations de droit public mais pour les établis-
sements publics (C. E., 27 juin 1958, R. J. D. A., 1959, 260,
note Wampach). La Cour de cassation, dans son arrêt du
29 avril 1960 (J. T., 1960, 718) présume plutöt un régime
réglementaire. Ces décisions emploient des formules de
principe qui, si elles sont prises à la lettre, donnent une
solution valable pour toutes les institutions parastatales

N" 229
SECTION II. - ENTRÉE AU SERVICE 181

dont Ie statut du personnel n'est pas réglé par une disposi-


tion expresse. Mais la plupart des arrêts fondent leurs con-
clusions sur des éléments de fait (par ex. : C. E., 26 juin
1959, R. J. D. A., 1959, 196, De Greef).
Observations générales : Lorsque un statut réglementaire
du personnel existe, les agents peuvent-ils être recrutés par
contrat dans certains cas exceptionnels? La raison de dou-
ter est qu'en principe l'Administration ne peut déroger par
aucune décision particulière à une règle générale : Patere
legem quem f ecisti. Si l'exception est expressément prévue,
il n'y a pas de difficulté (Sta tut des agents de l'Etat, art. 6).
Même en !'absence de texte, elle est d'ordinaire admise
pour les agents auxiliaires remplissant des taches occasion-
nelles (C. E., 8 janv. 1960, R. J. D. A., 1960, Arie Debra; -
Cass., 7 oct. 1943, R. A., 1943, 43). Elle peut aussi être tolé-
rée dans d'autres cas raisonnables (Cass., 4 déc. 1959, Pas.,
1960, I, 402).
Un statut peut n'être que fragmentaire. Il sera complété
par l'application des principes généraux du droit, qui à
vrai <lire ne fournissent que peu d'indications (n° 505): la
jurisprudence s'inspire aussi du statut des agents de l'Etat
{C. E., 13 nov. 1957, R. J. D. A., 1958, 87, Féron).
Que faut-il décider lorsque Ie Roi, chargé par la loi d'éta-
blir un statut n'y a pas encore procédé? La solution dépend
d'une interprétation difficile de la volonté du législateur.
A-t-il affirmé que les fonctionnaires sont dans une situation
statutaire <lont les modalités seront précisées par l'autorité
compétente? Se borne-t-il à charger celle-ci d'établir pour
l'avenir ce statut à la fois dans son principe et ses détails?
(C. E., 29 oct. 1954. - Sur toutes ces questions, cfr. Huber-
lant, op. cit.).

SECTION II

ENTREE AU SERVICE

Rappelons d'abord les règles constitutionnelles ainsi que


celles résultant de la nature du service public.

N° 229
182 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

A. RÈGLES CONSTilUTIONNELLES ET FONDAMENTALES

1. Egalité.

a. - Principe constitutionnel.
230. Tous les Belges ont un égal accès aux fonctions
publiques (Const., art. 6). Par voie de conséquence, on
n'admet plus l'hérédité des fonctions, sauf l'exception con-
stitutionnelle du Roi. On citera une seconde dérogation
curieuse : les collateurs de bourses d'étude et les adminis-
trateurs spéciaux de commissions d'assistance publique
peuvent devoir être choisis parmi les parents du fondateur.
Cette exception s'explique par .une mise au point tardive
de la technique juridique. S'il fallait actuellement organi-
ser ces institutions pour la première fois, on ferait des
bourses d'étude plutót des établissements d'utilité publique
que des établissements publics.
Une autre conséquence est l'interdiction de distinctions
fondées sur la langue ou les opinions philosophiques. Serait
illégale, une décision écartant d'un recrutement des can-
didats pour la seule raison qu'ils sont diplómés d'un éta-
blissement qui n'appartient pas à l'Enseignement officie!
(C. E., 9 mars 1957, R. J. D. A., 1957, 277, Lignon).
Si Ie pacte scalaire prévoit une répartition des fonctions
à conférer dans l'enseignement public et tient compte par
conséquent des conceptions philosophiques des candidats,
c'est en vue d'un respect plus large du principe de l'égalité
entre toutes les familles qui sont les usagers du service de
l'enseignement.
N'est pas inconstitutionnel, Ic statut spécial qui, dans Ie
cadre d'un établissement hospitalier, tient compte des obli-
gations conventuelles des religieuses qui en assurent la
desserte (C. E., 21 juin 1956, R. J. D. A., 1957, 114, Crève-
creur).
La meilleure garantie de l'égalité est probablement l'obli-
gation de publier les vacancestl'empfoi, telle qu'elle a été
prévue par diverses lois (à vrai dire, celle du 3 août 1919,
art. 11, avait, en principe, l'effet contraire d'assurer Ie pri-
vilège de réintégration des anciens combattants). Cette pu-
blicité n'est pas constitutionnellement obligatoire.

N° 230
SECTION II. - ENTRÉE AU SERVICE 183

b. - Réglementations.
231. La règle n'exclut par les conditions de capacité et
d'idonéité, du moment qu'elles sont générales et objectives.
Ces règles générales peuvent être établies par arrêté royal.
Par exemple, Ie statut des agents de l'Etat subordonne
I'accès à chaque catégorie à la production d'un diplöme
différent d'études. L'article 18 du statut ne viole pas l'éga-
lité constitutionnelle : si la procédure de recrutement est
exceptionnelle pour engager des personnes d'une haute
valeur administrative, scientifique, technique ou artistique,
elle reste cependant ouverte à tous ceux qui remplissent
objectivement ces conditions (C. E., 28 janv. 1956, R.J.D.A.,
1956, 244, Talloen, note Putzeys).
Selon les lois linguistiques, les emplois publics sont ré-
servés aux candidats prouvant qu'ils ont été formés dans
la culture régionale. Un bourgmestre, membre de droit
d'un conseil de fabrique, est remplacé par un échevin,
lorsqu'il n'est pas catholique (Répertoire pratique, v° Cul-
tes, n"" 253 et 257).
De même, les f emmes en principe admissibles à tous les
emplois publics, ne sont écartées que lorsque l'exercice
normal de la fonction est incompatible avec leur sexe
(C. E., 29 mai 1952, R. J. D. A., 1952, 297, Lalmand. Pour
l'application corrélative de la règle aux hommes, voy. C. E.,
lO avr. 1951, R. J. D. A., 1951, 204, Commune de Saint-
Leenaerts, note De Visscher).
La règle n'empêche pas non plus l'établissement d'in-
compatibilités <lans l'intérêt du service. Par exemple l'ar-
ticle 68, 5° de la loi électorale communale dispose que ne
peuvent être ni bourgmestre ni échevin... les agents et
employés des administrations financières. lei, l'incompa-
tibilité est établie par la loi. Limitant l'éligibilité, elle doit
être de stricte interprétation selon Ie Conseil d'Etat (C. E.,
24 mars 1954, Blockmans, et C. E., 30 juin 1960, R. J. D. A.,
1960, 191, Vcrlaine, avis et rapport substitut Roland).
c. - Application.
232. La règle est certaine pour l'Etat, les provinces et
les communes; elle nous paraît aussi sûre pour les admi-
nistrations personnalisées, les établissements publics et les
associations de Droit public. Sa violation donnerait lieu à

N"" 230 à 232


184 CJ1APITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

l'exercice du pouvoir de tutelle ou fonderait une action en


excès de pouvoir.
2. Nationalité beige.
a. - Principe constitutionnel.
233. L'accès des fonctions publiques est réservé aux
Belges, sauf les exccptions prévues par la loi. Cette règle
énoncée dans l'article 6 de la Constitution a été surtout
inspirée par un souci de dignité nationale. Elle doit donc
être largement entendue et non pas limitée aux fonctions
de commandement. C'est ainsi que Ie statut des agents de
l'Etat !'applique à toutes les fonctions, même manuelles
(A. R., 2 oct. 1937, art. 16).

b. - Exceptions légales.
234. La Constitution prévoit des exceptions légales (pro-
fesseurs d'université, consuls, administrateurs spéciaux des
co:rhmissions d'assistance publique, etc.). Une exception
très discutable, à défaut de texte légal est celle de secré•
taire et trésorier de fabrique d'église (Répertoire pratique,
v° Cultes, n° 238).

Application.
c. -
235. La règle s'applique non seulement aux provinces et
communes, mais aussi aux établissements publics et aux
associations de Droit public. Ce n'est pas toujours observé.
3. Serment.
a. - Principe constitutionnel.
236. L'obligation du serment est imposée par Ie décret du
20 juillet 1831 et est sanctionnée par l'article 261 du Code
pénal.
On a été tenté de la limiter aux agents supérieurs exer-:-
çant un pouvoir d'impérium. Mais la justification de cette
formalité impose une application plus large. Tous les
agents, y compris les plus humbles, les cheminots, les pos-
tiers, les expéditionnaires, ne sont-ils pas aussi indispensa-
bles au fonctionnement régulier et permanent du service
public? Ce fonctionnement ne dépend-il que de la con-
science des chefs? C'est une conception bien peu démocra-
tique.

Na. 233 à 236


SECTION II. - ENTRÉE AU SERVICE 185

En principe, un agent est investi de sa fonction, dès avant


la prestation de serment, mais il est réputé démissionnaire
s'il ne remplit pas cette formalité (Cass., 1 er oct. 1881, Pas.,
1881, I, 381. Pour les agents de l'Etat, A. R., 2 oct. 1!)37,
art. 48). Le Conseil d'Etat n'annule pas l'acte de nomina-
tion; aux autorités supérieures de prendre leurs respon-
sabilités (C. E., 6 oct. 1959, R. J. D. A., 1959, Bosmans).

b. - Application.
237. L'arrêté royal du 2 octobre 1937 impose Ie serment
à tous les agents de l'Etat, quel que soit leur grade.
Nous serions partisans de la même solution pour les
provinces, communes et établissements publics. Ce n'est pas
la règle qui est aujourd'hui appliquée.
Pour les associations de droit public, Ie serment devrait
être imposé aux agents dans une situation réglementaire.

4. Principe de la finalité.

238. Une nomination ne peut se faire que dans l'intérêt


du service et non pas dans celui du candidat. Une nomi-
nation anticipée est nulle puisqu'il n'y a pas de vacance
et que théoriquement Ie service peut normalement fonc-
tionner. Il en est de même pour une nomination faite avec
effet rétroactif dans l'intérêt du bénéficiaire. Une nomi-
nation « hors cadre» doit être prévue par Ie statut (C. E.,
1 juill. 1960, R. J. D. A., 1960, 174, Janssens. Pour la nomi-
nation in extremis pendant les derniers jours ou l'autorité
est encore compétente avant les élections, voyez C. E.,
4 janv. 1954, A. A.C. E., 1954, 5, Bael).

B. MooALITÉs DE L'INVESTITURE

Elles sont extrêmement diverses. Dégageons les règles


générales qui tendent toutes au même but : désigner Ie plus
digne dans l'intérêt du service public.

1. Nomination.
239. Le procédé Ie plus courant est la nomination. Celle-
ci s'analyse comme un acte unilatéral d'investiture par

Noa 236 à 239


] 86 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBUCS

l'autorité. La nécessité d'une candidature préalable ou


d'une acceptation ultérieure ne la transforme pas en un
contrat (n° 216).

2. Election.
240. Un second procédé de désignation des titulaires de
fonctions publiques est l'élection par un corps électoral
plus ou moins large. Par exemple : les membres de com-
missions d'assistance publique sont élus par le conseil
communal, des membres du conseil de gestion de la Radio-
diffusion Télévision Beige sont désignés par les Chambres.
Ce système plus rarement employé, se j ustifie quand,
dans la direction d'un service décentralisé, ces agents qui
sont soustraits au pouvoir hiérarchique, doivent rester dans
leur action en communauté d'idées avec Ie groupement
électeur.

3. Cooptation.
241. Citons les fabriciens (Décret, 30 déc. 1809, art. 8),
les membres du Conseil supérieur de l'<Euvre Nationale de
l'Enfance.

4. Tirage au sort.
242. Le procédé était encore appliqué pour les miliciens
par la loi de 1913. Dans l'ordre judiciaire, Ie choix des
jurés et des membres des tribunaux militaires dépend dans
une certaine mesure du tirage au sort.

5. Contrat.
243. Les divers procédés d'investiture qui viennent d'être
cités, créent une situation réglementaire. En Droit positif
beige certains agents peuvent être engagés par contrat.

C. AUTORITÉ COMPÉTENTE

244. Quelle est l'autorité compétente pour faire la nomi-


nation ou !'engagement par contrat?
Etat : L'article 66 de la Constitution donne ce pouvoir
au Roi qui peut Ie déléguer dans des limites étroites
(n° 100).

N"" 239 à 244


SECTION II. - ENTRÉE AU SERVICE 187

Provinces et communes : Elles jouissent d'une autono-


mie politique. Les conseillers provinciaux et communaux
sont élus; ils élisent les députés permanents et échevins.
Mais gouverneurs et hourgmestres sont nommés par Ie
Roi parce qu'ils sont à la fois organes de la personne terri-
toriale et agents du pouvoir centra!. Il en est de même du
grefficr provincial (sur présentation, L. P., art. 4).
Pour Ie pcrsonnel ordinaire des distinctions doivent être
faites. A la province, les services dits extérieurs de l'Etat
- (Direction provinciale des contributions, des travaux
publics etc.) - font partie de l'Administration centrale et
sont soumis à sou statut.
Nombre de hureaux de l'Administration provinciale pro-
prement dite dépendent aussi de l'Etat, parce que les affai-
res générales et provinciales sont inextricablement mêlées
(n° 145); leurs agents sont aussi membres de l'Administra-
tion centrale. Sans doute sont-ils nommés par Ie gouver-
neur (sur présentation de la députation permanente pour
les postes supérieurs : L. P., art. 126), mais Ie sta tut des
agents de l'Etat leur est applicable (C. E., 12 déc. 1957,
R. J. D. A., 1958, 124, Deprez, note Crabbe).
Les agents provinciaux sensu stricto, c'est-à-dire ceux
qui appartiennent à des bureaux s'occupant des affaires
exclusivement provinciales sont à la nomination du con-
seil provincial ou par délégation, de la députation perma-
nente (L. P., art. 65). Leur sta tut est mal réglé.
Dans les communes, Ie personnel est nommé par les
organes communaux, sous réserve d'approbation par les
autorités de tutelle. Le conseil communal choisit Ie secré-
taire communal (L.C., art. 109), les receveurs communaux
(L.C., art. 114), les employés (L. C., art. 84 et 85); Ie
bourgmestre ou son délégué à l'état civil, nomme les fonc-
tionnaires de ce service (L. C., art. 93) ; Ie Roi nomme dans
les villes importantes, sur présentation, Ie commissaire de
police (L. C., art. 123) et Ie gouverneur nomme les gardes
champêtres des communes rurales (L. C., art. 129).
Per.rnnnes publiques parastatales : Les administrations
personnalisées qui restent soumises au pouvoir hiérarchi-
que ont, comme les administrations centrales, un personnel
qui est à la nomination du Roi, sous réserve de délégation.
Les étahlissements publics et associations de Droit public
bénéficient de !'autonomie et ne sont soumises qu'au pou-
188 CHAPITRE VI, - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

voir de tutelle. Sans doute Ie Roi nomme-t-il leurs autorités


dirigeantes (n° 163), mais celles-ci, à leur tour choisissent
leurs collaborateurs. Telle est la règle. Toutefois, Ie légis-
lateur, qui est Ie pouvoir organisateur (n° 62), ou Ie Roi
par délégation, peuvent réserver les nominations au pou-
voir centra!. Par exemple, un arrêté royal du 22 novem-
bre 1954 charge Ie ministre du Travail et de la Prévoyance
sociale de nommer à tous les emplois dans toutes les insti-
tutions parastatales dépendant de son département. Cette
solution, juridiquement possible a été à juste titre critiqnée
(avis rr 51 du 24 nov. 1955 du Conseil national du Travail,
0

pp. 22 et 131). Non seulement c'est politiser des organismes


auxquels la gestion paritaire et représentative devrait assu-
rer un caractère strictement technique, mais surtout c'est
limiter indûment !'autonomie de la personne puhlique.
Comment pourrait-on reprocher une mauvaise gestion à
des autorités auxquelles on impose leurs collaborateurs?
Le pouvoir de nommer et le pouvoir de fixer le statut du
personnel : Ces deux pouvoirs sont en général exercés par
les mêmes autorités; c'est à bon droit que la jurisprudence,
en cas de doute attribue une des deux compétences à l'au-
torité qui possède indubitablement l'autre. Mais il peut y
avoir dissociation. Ce cas se produit pour les agents provin-
ciaux qui sont à la fois nommés par Ie gouverneur et sou-
mis au statut des agents de l'Etat (C. E., 12 déc. 1957,
R. J. D. A., 1958, 124, Deprez, note Crabbe). C'est aussi Ie
cas pour les établissements parastataux dont Ie statut du
personnel, conformément à la loi de 1954, doit être établi
par Ie Roi et <lont les agents sont nommés par les autorités
dirigeant ces établissements. L'autorité subordonnée qui
est soumise aux règles d'un statut, a une liberté diminuée
dans l'exercice de son pouvoir de nomination. Cette liberté
pourrait même ne plus exister, par exemple dans Ie cas ou
Ie statut établi par arrêté royal impose Ie recruternent par
concours et par conséquent la nomination du candidat pre-
mier classé.

D. CoMPÉTENCE LIÉE ET DROITS susJECTIFS

En principe, ceux qui nomment - ou engagent par con-


trat - exercent un pouvoir discrétionnaire. Ils sont respon-
sables de la bonne marche du service. Leur responsabilité

N° 244
SECTION II, - ENTRÉE AU SERVICE 189

serait énervée si on leur imposait des collaborateurs dans


lesquels ils n'ont pas confiance. Cependant, des règles
limitent cette liberté du choix dans l'intérêt du service.
Dans la mesure ou Ie statut d'une personne impose à l'au-
torité certaines procédures ou certains choix, les nomina-
tions irrégulières peuvent être annulées pour excès ou dé-
tournement de pouvoir.

1. Conditions d'idonéité.
245. Les dispositions légales ou réglementaires peuvent
fixer certaines conditions générales d'idonéité : aptitudes
physiques (age, examen médical; pour Ie sexe voir Ie n°
230), morales (civisme, certificat de bonne vie et mreurs),
intellectuelles (diplómes).

2. Examen ou concours.
246. La nomination peut être subordonnée à un examen
ou à un concours. Le premier élimine les inaptes; Ie second
classe en plus ceux qui sant admissibles. C'est Ie moyen
Ie plus énergique pour combattre Ie favoritisme. La for-
mule est recommandable lorsque Ie mérite respectif des
candidats peut être objectivement contrólé par un examen.
Ce n'est pas toujours Ie cas. Il est des qualités morales
(magistrats), des vertus de gouvernement (gouverneurs de
province), voire des aptitudes intellectuelles (professeurs
d'université), qu'un simple examen ne suffit pas à déceler
et qu'un concours ne parviendrait pas à doser.
La portée j uridique exacte de cette procédure dépend
des différents statuts. Généralement, l'autorité ne peut
nommer que les récipiendaires ayant réussi !'examen ou
le concours. Mais elle n'est pas obligée de les nommer.
Elle pourra notamment, après un délai raisonnable, négli-
ger Ie solde de la réserve de recrutement et organiser une
nouvelle épreuve.
S'il s'agit d'un concours, l'autorité est d'ordinaire liée
par Ie classement. Elle doit nommer d'abord Ie premier.

3. Nomination sur présentation ou avis.


247. Un autre procédé pour limiter Ie choix de l'autorité
compétente est de reconnaître à des organismes publics ou

N 05 244 à 247
190 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

même à des particuliers, un droit d'intervention. Celui-ci


peut prendre des formes diverses.
La présentation lie l'autorité. Ce système est à recom-
mander quand Ie fonctionnaire doit inspirer une confiance
toute spéciale à certains groupes d'administrés (exemple :
certains membres de la Commission bancaire sont désignés
par les banques). Il est prudent de protéger l'intérêt géné-
ral en maintenant une certaine liberté pour l'autorité, soit
en prévoyant des listes doubles ou triples, soit en disposant
que de nouvelles candidatures peuvent être exigées.
l/ avis ne lie pas l'autorité qui peut finalement imposer
un autre choix. lei, il paraît bon de concilier Ie pouvoir
discrétionnaire de l'autorité avec Ie désir d'utiliser la con-
naissance que certains organismes peuvent avoir de la
valeur technique des candidats (exemple : membres des
commissions paritaires).

4. Prioritaires.
248. Une priorité peut être reconnue à certaines catégo-
ries de candidats (militaires, agents temporaires, anciens
agents coloniaux, etc.). Cette priorité ne peut être accordée
que par une loi (rr 61).
0

SECTION III
AVANCEMENT

A. RÈGLES FONDAMENTALES

Principe de finalité.
249. L'avancement intéresse Ie fonctionnaire dont la
carrière doit être bien organisée. Mais sa réglementation
doit se justifier d'abord par l'intérêt du service public. Il
est de la plus grande importance que l' Administration ait
<le bons chefs.
Il s'ensuit que l'avancement n'est possible qu'en cas ·de
vacance <l'un emploi supérieur. Il ne peut se faire ni avant,
ni après avec effet rétroactif, ni hors cadre sauf disposition
expresse du statut.
Une autre conséquence concerne Ie retard dans l'avan-
cement. Le refus d'avancement ne peut jamais être con-

N 08 247 à 249
SECTION 111. - AVANCEMENT 191

sidéré comme une mesure du pouvoir disciplinaire soumise


aux formalités qui assurent l'exercice régufier de ce grave
mais nécessaire pouvoir des autorités (n° 111); il peut
toutefois être fautif et engage la responsabilité de l'Admi-
nistration.

B. MoDALITÉs DE L'AVANCEMENT

250. On <listingue l'avancement de grade et l'avance-


ment de traitement.
Le premier est Ie seul véritable. Il s'analyse comme une
désinvestiture de l'ancienne fonction et une nouvelle nomi-
nation soumise aux règles et affectée des modalités expo-
sées plus haut.
L'avancement de traitement permet de récompenser les
agents méritants qu'arrêtent à un certain niveau soit leurs
capacités personnelles, soit l'encombrement des cadres.

C. COMPÉTENCE LIÉE ET DROITS SUBJECTIFS

251. En principe, Ie pouvoir des autorités responsables


de la bonne marche du service est discrétionnaire. C'est la
condition même de leur responsabilité. La règle est donc
l'avancement au choix. Mais les dispositions légales ou
réglementaires pcuvent imposer des limites à ce choix.
Dans cctte mesure les intéressés peuvent obtenir l'annula-
tion d'une décision accordant ou refusant une promotion -
éventuellement obtenir des dommages-intérêts.

1. Idonéité.
252. Comme pour les nominations, il doit y avoir des
conditions physiques (àge, santé) ou intellectuelles (diplö-
mes, aptitude à commander).

2. Ancienneté.
253. La promotion du plus ancien en grade a l'avantage
<l'écarter la brigue et Ie favoritisme mais elle ne favorise
pas la sélection des meilleurs.
Quelle est la portée j uridique de la condition d'ancien-
neté? Elle varie selon les statuts. On peut se demander par
exemple si Ie plus ancien a droit à la nomination dès que

N 06
249 à 253
192 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

la vacance s'ouvre (Ie contraire a été jugé pour les offi-


ciers : Cass., 30 avr. 1936, Pas., 1936, I, 230, conclusions
Paul Leclercq). Lorsqu'il décide la nomination, Ie Roi doit-
il nécessairement donner la préférence au candidat Ie plus
ancien? L'ancienneté n'est-elle qu'une condition parmi
d'autres?

3. Examen ou concours.

254. On a déjà souligné les avantages et les inconvé-


nients de cette procédure. lei encore, il faudra déterminer
soigneusement l'effet juridique de cette formalité. La com-
pétence de l'autorité n'est pas nécessairement liée. Par
exemple, celui qui a réussi !'examen théorique et pratique
conduisant au grade de major n'a pas un droit subjectif
à la nomination. Il n'a rempli qu'une des conditions préa-
lables. Il en est d'autres : ancienneté, age, aptitude à exer-
cer Ie commandement, etc.

4. Autres modalités.

255. Les divers statuts ont pris des précautions de plus


en plus grandes contre !'arbitraire des dirigeants. C'est
ainsi que les articles 70 et 75 du statut des agents de l'Etat
ont été détaillés par l'arrêté royal du 7 août 1939. On pré-
voit notamment un signalement contradictoire, la publicité
<le la vacance de l'emploi, l'avis du comité de direction, la
possihilité d'un recours des concurrents, l'intervention des
organisations syndicales, etc.
Selon Ie Conseil d'Etat, la communication aux agents des
vacances d'emplois de promotion et !'examen objectif des
titres des divers candidats, est un principe général de Droit
administratif. Il doit donc être respecté quel que soit Ie
statut de l'agent, même à défaut de dispositions expresses
(C. E., 29 oct. 1954, R. J. D. A., 1955, 44, de Kempeneer).
Par contre, les règles du statut des agents de l'Etat qui
prescrivent la notification des propositions d'avancement
aux candidats et leur accordent la faculté d'un recours, ne
peuvent être étendues aux autres statuts-qui ---ne compren-
draient pas de pareilles dispositions (pour la notification
et la réclamation, voir C. E., 14 juill. 1955, D et B, 1955, 657,
Pilate; - pour la Chambre des recours, voyez C. E., 22 oct.
1955, R. J. D. A., 1956, 139, Doumont). Il en est de même

N"" 253 à 255


SECTION IV, - DEVOIRS DES AGENTS DES SERVICES PUBLICS 193

pour Ie signalement qui doit être expressément prévu pour


être imposé (C.E., 14 juill.1955, précité).
Les résultats sont décevants. Certes, il faut protéger les
agents contre !'arbitraire des dirigeants de services, mais
ce ne doit pas être au détriment du service lui-même. Les
précautions sont si minutieuses et si détaillées, eiles sont
si sévèrement sanctionnées par Ie Conseil d'Etat, qu'elles
ne laissent pratiquement plus de place à l'appréciation des
chefs de service investis de la responsabilité des nomina-
tions. En fait si pas en droit, l'avancement à l'ancienneté
se substitue lentement à l'avancement au grand choix. Pour
éviter !'arbitraire, on tombe dans la routine. Cependant,
Ie choix des hommes est un élément essentie! de l'art de
gouverner. Rien ne remplacera en définitive une appré-
ciation personnelle.
On doit déplorer une autre déviation: à force de se défier
de !'arbitraire politique des ministres, on leur a substitué
!'arbitraire administratif des comités de direction. Celui-
ci est plus redoutable que celui-là, parce qu'il est anonyme
et n'a à rendre compte ni aux Chambres ni à !'opinion
publique (C. E., 15 juin 1951, R. J. D. A., 1951, 292, Watson).

5. Barèrne.

256. _Les avancements de traitement ne sont pas discré-


tionnaires. Ils sont limités et réglés par des barèmes.

SECTION IV
DEVOIRS DES AGENTS DE SERVICES PUBLICS

257. Les devoirs varient de statut à statut et de fonction à


fonction. Nous nous bornerons à citer ceux qui résultent,
soit de la notion même de service public, soit des textes
constitutionnels. Dans ce cas, leur application est générale.
Ils incombent aussi bien aux fonctionnaires de l'Etat, des
provinces et des communes, qu'aux agents des établisse-
ments publics et des associations de droit public; ils doivent
être remplis par ceux qui sont dans une situation réglemen-
taire comme par le personnel qui a été recruté par contrat.
Peu importe dans ce dernier cas, si la convention d'enga-
gement ne les prévoit pas. Nous avons déjà dit que, lorsque

N 00 255 à 257
194 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

I' Administration recourt à des procédés de Droit privé,


c'est sous Ie bénéfice de dérogations justifiées par la néces-
sité de sauvegarder Ie fonctionnement régulier du service.

A. DEVOIRS DECOULANT DE LA NÉCESSITE D'UN FONCTION-


NEMENT PERMANENT DU SERVICE PUBLIC

1. Absence du droit de grève.

258. Les agents ne peuvent s'abstenir collectivement


du travail pour arrêter la marche d'un service qui, par dé-
finition, est indispensable à la communauté. Une grève
constitue toujours une faute disciplinaire grave. Dans Ie
même ordre d'idée, nous verrons dans la section VII, qu'un
agent se trouvant dans une situation réglementaire, ne
peut mettre fin unilatéralement à ses fonctions; sa démis-
sion doit être acceptée.
Le prétendu droit de grève a fait, comme on pouvait s'y
attendre, l'objet de vives discussions politiques (séances de
la Chambre du 13 janvier 1920 et du 9 juin 1920, <lont on
trouvera un résumé dans Ie Répertoire pratique, V" Fonc-
tionnaires, 1105 266 et s.).
On a voulu limiter l'interdiction aux agents exerçant
l'autorité publique, mais n'est-il pas peu démocratique et
peu objectif d'ainsi déprécier la valeur et l'importance du
travail des collaborateurs de rang inférieur; pour assurer
la marche des trains, les chauffeurs de locomotives sont
aussi nécessaires que les directeurs généraux à Bruxelles.
On ne peut prendrc Ie public en otage pour défendre les
intérêts particuliers. Un intérêt général qui a été jugé
essentie!, ne doit pas être mis en péril. Le Droit adminis-
tratif a été conçu pour faire prévaloir ces intérêts généraux.
Cette solution, fermement défendue en doctrine, est affir-
mée en droit positif - il est vrai, en termes diplomatiques
et d'une manière indirecte - par l'article 7, alinéa 3, de
l'arrêté royal du 2 octobre 1937 sur Ie statut des agents <le
l'Etat. On se souviendra aussi que la loi du 5 mai 1935 sanc-
tionnant Ie délit d'abandon de poste est applicable à tous
les agents de services publics. - - -
Il y a cependant dans les protestations de caractère poli-
tique et social, une vérité importante qui doit être dégagée
et <lont-il faut tenir compte. Dans Ie conflit d'intérêts qui
peut les opposer à leur employeur, les agents de services

N"" 257 à 258


SECTION IV. - DEVOIRS DES AGENTS DES SERVICES PUBLIC! 195

publics auxquels on refuse Ie droit de grève perdent leur


arme la plus efficace. Ceci doit être compensé par un ren-
forcement d'autres mesures de protection. Le statut des
agents de l'Etat a organisé des voies légales de recours. Le
système restait gravement incomplet tant qu'il n'y avait
pas un Conseil d'Etat, une juridiction indépendante qui dit
Ie droit entre l'Etat et ses fonctionnaires.
L'interdiction du droit de grève s'applique non seulement
au personnel de l'Etat, des provinces et des communes,
mais aussi à celui des établissements publics et des asso-
ciations de Droit public. Le public ne peut être privé de
chemins de fer, de gaz ou d'électricité par suite d'un conflit
sur des droits privés. La règle s'applique aussi bien aux
agents qui se trouvent dans une situation réglementaire
qu'au personnel cngagé par contrat.
La reconnaissance <l'un droit de grève limité est actuelle-
ment étu<liée. Le législateur peut tout faire, même mécon-
naître les principes d'une bonne technique administrative.

2. Fonctionnaires de fait.
259. A la nécessité de la permanence du service public
se rattache la théorie du fonctionnaire de fait (n° 94).

B. DEVOIRS RÉSULTANT DE LA NÉCESSITÉ


DU FONCTIONNEMENT RÉGULIER DU SERVICE PUBLIC

Ces devoirs présentent cette particularité curieuse d'at-


teindre Ie fonctionnaire même dans sa vie privée.

1. Limitation de la liberté individuelle d'opinion.

Cette liberté constitutionnelle subit diverses restrictions


dans l'intérêt du service public.

a. - Liberté d'opinion proprement dite.


260. La Constitution garantit aux Belges un accès égal à
toutes les fonctions publiques. Dès lors, on ne peut sub-
ordonner la nomination ou Ie maintien d'un fonctionnaire
à son loyalisme envers Ie gouvernement. Le fonctionnaire
n'est pas engagé pour servir un gouvernement, mais pour
assurer un service public qui continuera son activité sous

NOS 258 à 260


196 CHAPITRE VI, - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

les différents ministères. Une application remarquable de


ce principe est que Ie droit de vote est reconnu à tous les
fonctionnaires, même aux officiers; il n'est refusé qu'aux
seuls miliciens.
Si la liberté d'opinion politique, philosophique et reli-
gieuse est entière, ne peut-on pas demander au moins
l'adhésion au régime constitutionnel? Peut-on écarter ceux
qui sont d'avis que les institutions publiques doivent être
renversées par la violence, par des moyens extra-légaux?
La réponse affirmative est imposée par la formule même
du serment que Ie décret de 1831 impose à tous les agents.
C'est ce que dit très j ustenient un ordre de service du
26 octobre 1933 (R. A., 1934, 65, adde R. A., 1934, 275). Ces
devoirs de fidélité et obéissance à la Constitution qui font
l'objet du serment « rendent impossibles l'affiliation à un
groupement ennemi de l'Etat, la participation à des actes
visant à la destruction de l'Etat, ou la profession d'opinions
tendant au même but ». A notre avis, il faut être rigoureux
dans cette matière. Démission honorable de ses fonctions
pourrait être imposée à celui qui ne manifesterait pas pu-
bliquement de pareilles opinions mais se bornerait à les
avoir et à les admettre quand il est interrogé. Pareille men-
talité est incompatible avec la collahoration fidèle au fonc-
tionnement régulier d'un service public (comparez Ie statut
des agents de l'Etat, art. 9). Bien entendu on ne peut rien
reprocher au fonctionnaire qui est partisan d'une réforme
des institutions par la voie légale; on lui interdit seulement
d'être favorable au coup de force.
Il va de soi que la règle qui vient d'être dégagée est
absolument générale. Elle s'applique aux agents de toutes
les personnes publiques. Elle est imposée non seulement à
ceux qui sont pourvus d'une nomination, mais aussi à ceux
qui ont été engagés par contrat. Bien plus, ces derniers ne
pourraient exiger une indemnité en cas de licenciement. Le
respect de la Constitution et des institutions établies est une
clause implicite mais certaine de leur engagement.
b. - Manifestation des opinions.
261. La manifestation des opinions- const-itue aussi l'ob-
jet d'une liberté garantie par la Constitution à tous les
citoycns. Elle doit donc, en principe, être reconnue aux
agents des services publics sauf dans la mesure ou elle
compromet Ie fonctionnement régulier de ces services.

N08 260 à 261


SECTION IV. - DEVOIRS DES AGENTS DES SERVICES PUBLIC5 197

C'est pour cettc raison qu'il paraît légitime d'interdire


aux fonctionnaires, non pas de manifester leurs opinions
politiques, mais de faire acte de candidature à une fonction
politique. S'ils adhèrent à un parti d'une manière aussi
militante, ils peuvent faire <louter que Ie service public
auquel ils collaborent, fonctionnera d'une manière égale
pour tous les usagers. Par définition, un parti est un orga-
nisme de combat qui groupe certains citoyens autour d'un
idéal contre d'autres citoyens.
En Droit positif, de nombreux textes prévoient la suspen-
sion ou la démission honorable de l'agent qui fait acte de
candidature. Une circulaire du 18 septembre 1946 du ser-
vice d'Administration générale, a fait l'objet d'un procès
devant Ie Conseil d'Etat.
Les conditions d'éligibilité sont constitutionnellement
fixées par la loi (Const., art. 56). L'Exécutif ne pourrait
en ajouter une au détriment des fonctionnaires (cfr. Const.,
art. 139, 5°). Telle est l'objection souvent formulée.
Mais, sans établir une condition nouvelle d'éligibilité, Ie
gouvernement ne pourrait-il pas créer une incompatibilité,
c'est-à-dire mettre les agents publics en demeure de choisir
entre l'exercice d'une fonction élective, par exemple un
mandat coml}1unal ou même un simple acte de candida-
ture, et la continuation de leurs fonctions administratives?
Il en est certainement ainsi pour Ie secteur privé. Un ,m-
ployeur qui, soucieux de laisser son entreprise en dehors
des conflits politiques, interdH à son personnel de parti-
ciper aux luttes électorales ne porte pas atteinte aux liber-
tés politiques de ses employés. Il doit en être de même pour
l' Administration.
Cependant, il faut invoquer ici Ie principe de finalité
(n° 69). L'incompatibilité ne peut être établie que dans l'in-
térêt du service public et non pas pour avantager une poli-
tique gouvernementale et partisane. La circulaire de 1946
était à ce point de vue irréprochable, si pas dans son appli-
cation, du moins dans son principe. Elle subordonnait
l'acte de candidature à une autorisation et précisait que
celle-ci serait ref usée dans deux cas : d'abord, lorsque la
situation administrative de !'agent lui assurait sur les autres
candidats un avantage électoral résultant notamment de
l'autorité que lui donnait cette situation; ensuite lorsquc
l'intervention dans les luttes électorales était de nature à
198 CHAPITRE VI. -- LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

diminuer la confiance que les administrés doivent garder


aux fonctionnaires. Il y était encore stipulé qu'une fois
l'élection faite, l'autorisation d'exercer un mandat commu-
nal ne pouvait pas être accordée à l'élu si celui-ci se trou-
vait dans l'impossibilité d'accomplir à la fois son mandat
et ses fonctions et dans les cas ou s'appliquerait l'article 1 er,
titre 111 du décret du 24 vendémiaire, an 111, aux termes
duquel « aucun citoyen ne pourra exercer ni concourir à
l'exercice d'une autorité chargée de fonctions qu'il exerce
dans une autre qualité ».
Ces principes sont tellement sages que l'on doit fortement
critiquer la décision du Conseil d'Etat selon laquelle Ie Roi
n'a pas Ie droit de supprimer Ie droit politique à l'éligibi-
lité et qui annule partiellement la circulaire (C. E., 12 juill.
1952, R. J. D. A., 1953, 56, Bogaert et Debunnen).
Dans les établissements d'instruction dirigés par les pou-
voirs publics les professeurs sont tenus de pratiquer une
ueutralité qui respecte les convictions des familles et Ie
manque de maturité des élèves (voir Ie débat sur une cir-
culaire ministérielle, Sénat, 28 nov. 1961).
lei encore, même en !'absence de textes, cette solution
imposée par la nature même du service public s'applique
à tous les agents sans distinction. Celui qui est engagé par
contrat, ne pourra prétendre à une indemnité s'il doit dé-
missionner pour cette raison. Est discutable la j urispru-
dence administrative qui autorise les instituteurs à être
mandataires communaux dans une commune autre que
celle ou ils enscignent.

2. Dignité de la vie privée.

262. Le statut des agents de l'Etat exprime cette obli-


gation en termes formels. Le fonctionnaire, même dans sa
vie privée, doit éviter tout ce qui pourrait porter atteinte
à la confiance du public ou compromettre l'honneur ou la
dignité de sa fonction (A. R., 2 oct. 1937, art. 8, al. 3; C. E.,
12 juill. 1952, R. J. D. A., 1953, 56, Bogaert et Debunne,
note Crabbé). Dans Ie même ordre d'idé.e, les officiers ne
peuven1 se maricr sans autorisation:-teur épouse doit hono-
rer Ie corps des officiers (C. E., 25 juill. 1949, R. J. D. A.,
1949, 169, Poncin; C. E., 31 juill. 1951, R. J. D. A., 1952, 54,
Decabooter; C. E., 23 nov. 1951, R. J. D. A., 1952, 138,
Labye; C. E., 30 mai 1952, R. J. D. A., 1952, 299, Godet; C. E.,

N08 261 à 262


SECTION V. - DROITS DES AGENTS PUBLICS 199

23 juill. 1953, R. J. D. A., 1953, Tessens et Fiers). C'est la


même préoccupation qui impose aux agents du ministère
des Finances une probité particulièrement chatouilleuse
« au-delà et au-dessus des prescriptions morales et des
règlements ». Comme Ie disait une circulaire de ce minis-
tère du 17 décembre 1936 (R. A., 1937, 161) « les serviteurs
de l'Etat ne peuvent, dans l'exercice de leurs fonctions,
avoir d'autres soucis que de servir Ie bien général ». Ceci
s'applique même à leur vie privée et c'est pourquoi on
considérera comme une faute grave Ie recours à l'usure,
les spéculations boursières, Ie fait de s'exposer à recevoir
une sommation de payer ou un commandement préalable
à la saisie. Le prestige du service public exige que l' Ad-
ministration soit « non seulement intègre, mais manifeste-
ment intègre » (adde n° 231).

3. Liberté d'association.
263. Des syndicats de fonctionnaires sont expressément
autorisés en Belgique (sta tut des agents de l'Etat, art. 109).
Leur activité serail illégale si elle n'avait pas pour hut la
défense des intérêts des membres, mais cherchait directe-
ment ou indirectement à exercer une influence sur Ie fonc-
tionnement régulier du service.

SECTION V
DROITS DES AGENTS PUBLICS

264. Les droits du fonctionnaire découlent de son statut


ou de son contrat.
Lorsque l'agent se trouve dans une situation réglemen-
taire, ses droits peuvent toujours être modifiés en cours de
carrière dans l'intérêt du service et sans indemnité. Les
autorités ne peuvent prendre une mesure individuelle.
C'est Ie statut lui-même qui doit être modifié par une règle
générale.
Le personnel qui est engagé par contrat se trouve dans
la même situation. Les autorités publiques ne respecteront
pas les obligations qui en découlent si elles deviennent
incompatibles avec la bonne marche du service. Jamais
ricn ne peut entraver ce fonctionnement régulier, La seule

N 08 262 à 264
200 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBUCS

différence, c'est que dans ce deuxième cas, elles devront


payer une indemnité pour rupture de la convention.

A. AVANTAGES FINANCIERS

Les avantages financiers principaux sont d'une part Ie


traitement et ses accessoires, et d'autre part la pension.
Les avantages financiers diffèrent selon les personnes
publiques. Le principe de l'équivalence a été établi par
l'arrêté royal, n° 125 du 28 janvier 1935 et consacré pour
les administrations provinciales et communales par l'ar-
rêté-loi du 10 janvier 1947.

1. Traitement.
a. - Notion.
265. Le traitement dépend du barème ou du contrat.
Dans Ie second cas, il doit être régulièrement payé con-
formément à la convention. Etudions plus spécialement la
situation de la grande majorité des agents qui ont un statut.
Il faut fermement insister sur Ie fait que leur traitement
n'est pas la contre-partie de leurs prestations. Les agents
doivent, sans marchander, tout leur temps, tous leurs
efforts à l'Etat. Celui-ci leur assure une vie décente (Con-
clusions Paul Leclercq, Pas., 1936, I, 231; - Matton, Droit
budgétaire, 11° 3340). Ce sont là deux conséquences du sta tut
qui ne sont pas des causes juridiques l'une de l'autre.
b. - Conséquences.
266. Le législateur peut modifier les barèmes en cours
de carrière en respectant les droits acquis aux termes échus
(Cass., 22 oct. 1942, R. A., 1943, 167; - Brux., 24 oct. 1931,
R. A., 1932, 126). Le fonctionnaire ne pourra jamais arguer
d'une diminution de traitement pour réduire ses efforts.
Le fonctionnaire ne peut valablement renoncer à son trai-
tement. Il ne peut qu'abandonner les termes échus.
Enfin la meilleure preuve que Ie traitement n'est pas la
contre-partie exacte des travaux, majs seulement la ga-
rantie d'une vie décente, se trouve dans Ie fait que l'Etat
octroie un traitement de maladie ou d'invalidité, limite
étroitement les saisies et cessions (L., 21 ventöse, an IX,
arrêté 30 déc. 1942; réquisitoire avant Cass., 14 janv. 1892,

N 06 264 à 266
7

SECTION V. - DROITS DES AGENTS PUBLICS 201

Pas., 1892, I, 77), interdit, en principe, les cumuls (L.,


3 mars 1925, A. R., 5 févr. 1935), accorde des indemnités de
séjour et de vie chère.

c. - Droit subjectif civil ou droit administratif.


267. L'Administration peut directement modifier les ba-
rèmes. Mais elle est tenue de payer les termes échus. A cette
compétence liée correspondent des droits subjectifs.
Quelle est la nature de ces droits? Les tribunaux admet-
tent que Ie droit de l'agent devient civil lorsqu'il a pour
objet les termes échus. Dans cette mesure, ils reconnais-
sent leur compétence. Cette solution s'explique par Ie fait
que les juridictions administratives, pendant longtemps,
ont été mal organisées en Belgique et que les tribunaux
ont voulu empêcher les dénis de justice les plus criants. Le
Conseil d'Etat a adopté la même jurisprudencc (C. E.,
14 mars 1961, arrêt 8482).
Dans la vérité juridique, Ie droit aux traitements futurs,
comme celui aux termes échus se fonde toujours sur Ie
barème statutaire. L'agent réclame l'application de la loi
du service à son cas particulier.
· Il a été précisé que les droits d'un agent ne dépendent
pas de l'arrêté ministériel qui a fixé son traitement, mais
des textes réglementaires organiques fixant Ie barème
(C. E., 18 mai 1951, R. J. D. A., 1951, 260, Colmant; n° 499).

2. Pension.

a. - Notion.
268. La pension est un traitement différé, la rémunéra-
tion de services passés; elle est aussi Ie résultat d'un effort
personnel de prévoyance imposé au fonctionnaire.
lei encore, il y a deux hypothèses : celle du contrat et
celle du statut. Dans Ie premier cas, on devra respecter la
convention. Dans Ie second, Ie statut peut être modifié uni-
latéralement par un acte de l'autorité publique.
Considérons quelques conséquences du deuxième cas.

b. - Conséquences.
269. L'àge de la mise à la retraite peut être modifié en
cours de carrière, sans que l'intéressé puisse opposer ·un

N 05 266 à 269
202 CHAPITRE VI, - LES AGENTS DES SERVICES PUBUCS

prétendu contrat de service public (C. E., 24 mars 1950,


R. J. D. A., 19'50, 141, Glorieux). Le barème de pension peut
aussi être modifié en cours de carrière (Cass., 8 déc. 1932,
Pas., 193..1, I, 44). Bien plus, il a été jugé que Ie droit de la
veuve à une pension de survie n'étant acquis qu'au décès
de l'époux fonctionnaire, Ie législateur pourrait encore mo-
difier sur ce point Ie régime de la pension après la mise
à la retraite, mais avant la mort de son agent (Cass., 22 oct.
19,12, R. A., 19-43, 167).

c. - Droit sub jectif civil ou administratif.


270. Au moment de sa mise à la retraite, !'agent invoque
Ie statut en vigueur pour obtenir sa pension. lei s'engage
une controverse célèbre. A-t-il un droit? Au contraire l'Ad-
ministration peut-elle accorder ou refuser discrétionnaire-
ment la pension à ses agents? Cela dépend de la loi ou du
règlement.
Dans ses conclusions précédant l'arrêt du 5 juin 1947,
(Pas., 1947, I, 246, Deger contre Etat belge), Ie procureur
général Cornil <lisait : « l' Administration en nommant les
>> fonctionnaires ne s'engage pas à les rémunérer à l'avenir
» d'après les barèmes en vigueur lors de sa nomination. Le
» fonctionnaire n'a aucun droit civil à sa rémunération à
» échoir; il n'acquiert de droit civil qu'au terme échu de
» sa rémunération. La pension de retraite est un élément
» de la rémunération du fonctionnaire; elle vient à échéance
» Ie jour ou Ie fonctionnaire est mis à la retraite ... A moins
» que les textes n'attribuent à l'Administration Ie pouvoir
» d'accorder ou de refuser la pension, d'apprécier s'il y a
» lieu de l'accorder, Ie fonctionnaire peut, se basant sur son
» droit civil acquis, réclamer Ie paiement de sa pension par
» une action en justice ... Lorsque les textes attribuent à
» l'Administration Ie pouvoir d'apprécier s'il y a lieu d'ac-
» corder la pension, Ie droit civil n'est acquis au fonction-
» naire que par la décision de l'Administration de la lui
» accor<ler, c'est-à-dire par l'admission du fonctionnaire à
» faire valoir ses droits à une pension de retraite».
La compétence de l' Administration est liée lorsque la loi
prévoit expressément l'obligation de liquider une pension
(L., 25 juill. 1867, en faveur des magistrats; Cass., 12 juin
1873, Pas., 1873, I, 288; L., 25 avr. 1933 pour Ie personnel
communal; lois coordonnées du 11 août 1923, sur les pen-

N 08 269 à 270
SECTION V. - DROITS DES AGENTS PUBLICS 203

sions militaires; Cass., 25 oct. 1934, Pas., 1935, I, 29;


Cass., 7 avr. 1949, R. J. D. A., 1949, 71, Cuvelier).
Mais la controverse s'engagc surtout pour les agents de
l'Etat auxquels s'applique la loi du 21 juillet 1844. Quelle
est la portée de cette loi? Prévoit-elle un simple avantage
que l'Administration peut, à sa guise, accorder ou refuser
à ses vieux serviteurs? En d'autres termes, Ie droit ne nait-
il qu'avec l'acte administratif de collation? Telle était !'opi-
nion accréditée par une jurisprudence bien établie jusqu'il
y a peu d'années (Cass., 8 nov. 1932, Pas., 1933, I, 44; -
Liège, 10 juin 1913, R. A., 1914, 289; - Brux., 10 janv. 1925,
R. A., 1926, 187). La loi donne-t-elle au contraire à 1'agent
mis à la retraite, sous certaines conditions, un véritable
droit à sa pension? C'est la solution d'un arrêt retentissant
de la Cour d'appel de Bruxelles du 4 mai 1935 (R. A., 1935,
341), contre lequel l'Administration ne s'est pas pourvue en
cassation.
L'agent, même s'il se trouve dans une situation réglemen-
taire, peut donc avoir un véritable droit à la pension. Les
tribunaux affirment leur compétence en reconnaissant la
nature civile de ce droit. En réalité, celui-ci trouve son fon-
dement non dans Ie Code civil, mais dans la loi qui organise
Ie service public et fixe les rapports juridiques de la per-
sonne publique, tant à l'égard des fonctionnaires que des
usagers de ce service.

B. AuTRES DROITS

271. Des avantages autres que pécuniaires découlent de


la fonction. L'agent peut porter un uniforme, un titre hono-
rifique, etc. Ceci peut être l'objet de droits subjectifs dont
la nature administrative n'est pas douteuse.
Les autorités supérieures organisent Ie service public et
dirigent son fonctionnement. Elles jouissent en principe
d'une liberté discrétionnaire pour exercer sur leurs subor-
donnés les pouvoirs d'organisation, d'instruction et de di,-
cipline, les pouvoirs hiérarchiques et tutélaires. Dans cer-
tains cas, leur compétence sera liée et dans cette mesure
les agents auront des droits subjectifs. Examinons quelque~
cas discutés.
1. Organisation intérieure du service.

272. Les autorités administratives exercent un pouvoir

N 05 270 à 272
204 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBUCS

en principe discrétionnaire dans l'organisation des services.


Il en est ainsi par exemple de l'affectation des agents à une
tàche déterminée, du changement d'attributions, du dépla-
cement, ainsi que de toutes les dispositions d'un règlement
d'ordre intérieur organisant l'activité des fonctionnaires.
Cependant, des droits subjectifs peuvent naître <lont nous
allons examiner les principaux.
a. - Affectation et mise en disponibilité.
273. Le fonctionnairc a intérêt à exercer les fonctions
pour lesquelles il a été engagé. Sa position normale est
l'activité. Celle-ci implique deux éléments. D'abord l'agent
est pourvu d'un emploi. Ensuite, il accomplit les tàches
afférentes à eet emploi. Cette seconde condition est norma-
lement réalisée mais pas nécessairement sans interruption.
L'agent en activité peut être mis provisoirement en congé,
tout en conservant son emploi; il peut, par détachement,
être affecté pendant un certain temps à un autre emploi.
La disponibilité est la position du fonctionnaire qui sort
de son emploi sans être affecté à un autre et tout en conser-
vant sa qualité d'agent public. Cette situation parfois néces-
saire, comporte des dangers aussi bien pour l' Administra-
tion que pour l'intéressé. Aussi est-elle réglementée, ce qui
donne naissance à des droits administratifs subjectifs.

b. - Changement d' attributions.


274. Ce sont les chefs qui fixent les attributions des
agents. Ceux-ci penvent-ils protester si on les fait changer
d'emploi?
L'agent ne peut se plaindre, si on modifie ses attrihutions
(Brux., 23 déc. 1931, R. A., 1932, 124; - C. E., 23 mai 1949,
D et B 1949, 71, 53, Van Overstraeten; - C. E., 26 mai
1952, D et B, 1952, 466, Henry; - C. E., 10 févr. 1953, D et B,
1953, 147, Malle). Dans ses nouvelles fonctions, il ne peut
invoquer un drait civil à conserver san grade. Il ne peut
cxiger d'être subardanné à un chef de grade supérieur
(Cass., 12 nov. 1936, Pas., 1936, I, 418). Ces mesures d'ordre
intérieur (n° 106) ne sant pas davantage l'obJ-eLde droits
subjectifs administratifs.
On pourrait cependant admettre qu'un acte de nomina-
tion (ou contrat d'engagement) spécifie exactement l'em-
ploi à exercer. Par exemple, un gouverneur est affecté à

N<11 272 à 274


SECTION V. - DROITS DES AGENTS PUBLICS 205

une province déterminée. Ceci peut être l'objet d'un droit


administratif subjectif.
c. - Déplacement.
275. Le déplacement peut n'être qu'une mesure d'ordre
intérieur. Il se justifie par l'intérêt du service, sans qu'on
doive se préoccuper des intérêts privés des agents. Ceux-
ci ne peuvent se plaindre efficacement que s'ils démontrent
un détournement de pouvoir, en fait une mesure discipli-
naire déguisée (C. E., 23 mai 1949, R. J. D. A., 1949, 100,
Van Overstraeten; - voyez aussi C. E., 24 nov. 1950,
R. J. D. A., 1951, 93, Raindorf; - C. E., 15 déc. 1950,
R. J. D. A., 1951, 117, Cocq, note Meyers).
Remarquons que Ie déplacement en tant que mesure disci-
plinaire est prévu par certains statuts, par exemple Ie statut
des agents de l'Etat, et non par d'autres, par exemple Ie
sta tut du personnel enseignant (A. R., 16 févr. 1929, art. 1er)
et, dans ce cas, ne peut être infligé (C. E., ter déc. 1950,
R. J. D. A., 1951, 96, Hertog; - Trib. Brux., 26 juin 1946,
R. J. D. A., 1947, 33, Eschweiller, note De Visscher; - Brux.,
28 févr. 1948, R.J. D. A., 1948, 33, Eschweiller, note Lespès).

2. Pouvoir d'instruction et hiérarchique.

276. L'autorité supérieure donne à ses agents des instruc-


tions et fait des injonctions. Elle doit être obéie, sans ce-
pendant pour cela que l'agent puisse violer la loi. A-t-il de
ce fait, dans certains cas, un droit administratif à ne pas
exécuter un ordre illégal? La solution théoriquement j uste
ne doit être appliquée qu'avec une extrême prudence
(n° 110).
On peut se demander aussi dans quelle mesure un agent
subordonné, bénéficiant d'nne délégation de compétence,
est soustrait aux ordres de l'autorité supérieure (n° 115).

3. Pouvoir disciplinaire.

277. C'est surtout sous l'angle du pouvoir disciplinaire


que Ie conflit entre l'agent et ses chefs se présente concrè-
tement. Menacé d'une peine, il doit pouvoir se défendre.
Rappelons que Ie pouvoir disciplinaire est <lisçrétion-
naire quant à l'appréciation des faits (C. E., 24 févr. 1961,
D. et B. 1961, 204, C.A. P., Roux) et de la peine (n° 114).

N"" 274 à 277


206 CHAPITRE VI, - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

Mais sou exercice est entouré de nombreuses formalités


substantielles constitutives de droits subjectifs. Les procé-
dures protectrices sont nombreuses et varient de statut à
statut. De plus, on peut déduire des principes généraux du
Droit, une théorie du pouvoir disciplinaire qui s'applique,
même à défaut de textes. Droit de la déf ense : communica-
tion obligatoire du dossier, examen des moyens de !'agent
incriminé (C. E., 20 mai 1954, D et B, 1954, 478, Créteur; -
C. E., 18 mars 1955, D et B, 1955, 273, Mombach); pas de
sanction disciplinaire sans texte (voyez pour Ie blàme :
C. E., 18 mars 1955, 1955, D et B, 1955, 273, Mombach et
C. E., 22 févr. 1952, D et B, 1952, 129, Laloux) ; obligation
de motiver la sentence (n° 275).
Ces droits subjectifs sont-ils de nature civile ? (arrêts
Eschweiller et Thibaut, n° 444). Il vaut mieux les analyser
comme des droits subjectifs de nature administrative.

SECTION VI

SORTIE DU SERVICE

278. La désinvestiture n'est pas seulement !'abandon


d'un emploi administratif qui peut s'opérer par affectation,
mutation ou promotion, par mise en congé et enfin par
mise en disponibilité, ni même Ie passage d'une adminis-
tration à une autre qu'implique Ie détachement. La désin-
vestiture signifie que l'intéressé perd complètement la
qualité d'agent public, sort entièrement de l' Administration.

A. PRINCIPES

279. Différents principes gouvernent la matière.


D'une part, Ie principe de l'inaliénabilité de la souverai-
neté donne aux autorités compétentes Ie pouvoir de choisir
discrétionnairement Ie moment ou elles se séparcnt d'un
agent dans l'intérêt du service.
Corrélativement, Ie principe de la continuité des services
publics interdit à un agent de choisir et d'imposer ce mo-
ment contre la volonté de l'Administration et, par consé-
quent, de mettre en péril l'intérêt collectif.

N 08 277 à 279
SECTION VI. - SORTIE DU SERVICE 207

B. MonALITÉs DE LA DÉSINVESTITURE

280. La cessation des fonctions peut résulter du décès de


l'agent, de l'arrivée du terme, de la révocation, du licencie-
ment, de la démission acceptée, de la mise à la retraite.
Décès: La mort entraîne une désinvestiture automatique.
Aucun acte formel de l'autorité n'est nécessaire. L'inappli-
cabilité de l'article 2010 du Code civil prouve que Ie fonc-
tionnaire n'est pas un mandataire (n° 219).
Terme : Certains agents ne sont engagés que pour une
durée déterminée. L'échéance du terme vaut en principe
désinvestiture. Celle-ci sera d'ordinaire confirmée par un
acte formel de l'autorité pour éviter qu'un individu désor-
mais sans compétence continue à exercer son pouvoir.
(Voir la théorie du fonctionnaire de fait, n° 94). Cependant
Ie service public doit être assuré sans défaillance. Appli-
quant la règle de la continuité (n° 31) il a été jugé que
« la fixation d'un terme a uniquement pour hut de per-
mettre à l'autorité à l'expiration de ce terme, de désigner
tm autre titulaire pour la fonction; que la nécessité d'assu-
rcr la continuité et la régularité du fonctionnemcnt des
commissions de réclamation organisées par l'arrêté du
Régent du 26 mai 1945, obligeait les membres de ces com-
missions à continuer à siéger aussi longtemps que leurs
remplaçants n'étaient pas désignés » (C. E., 26 mars 1954,
R. J. D. A., 1954, 164, Verbraeken).
Mise à la retraite: L'Administration doit pouvoir se
séparer des agents qui ne sont plus aptes à remplir leurs
fonctions, soit en raison de leur vieillesse, soit pour des
raisons de santé.
Comment faut-il analyser la limite d'àge? On peut pré-
tendre qu'elle constitue une présomption légale d'incapa-
cité d'exercer la fonction. Dans cette analyse, il ne faudrait
pas d'acte formel de désinvestiture. D'ordinaire cependant,
la mise à la retraite fait l'objet d'un arrêté.
Licenciement : Le licenciement intervient en cas de sup-
pression d'emploi. Il n'implique aucune faute. Il est raison-
nable de prévoir un préavis, une indemnité ou un reclas-
sement.
Révocation : La révocation est un acte de désinvestiture,
par mesure disciplinaire, qui sanctionne une faute grave de
l'agent. Elle peut prendre des formes et des appellations
208 CHAPITRE VI, - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

atténuées : démission d'office, etc. L'exercice du pouvoir


disciplinaire est soumis à de nombreuses formalités.
Démission : lei l'initiative est prise par !'agent, mais elle
n'est pas décisive. La démission doit être acceptée. Il faut,
en effet, tenir compte avant tout de l'intérêt du service. Le
fonctionnaire ne peut pas se soustraire à son devoir et
éventuellement à une mesure disciplinaire (n° 113). La
règle est expressément prévue par certains statuts (agents
de l'Etat, art. 108; - conservation des hypothèques : L.,
ventöse, an VII, art 14; - C. E., 22 déc. 1960, R. J. D. A.,
1961, 115, Buchet). Les mots suggèrent une mauvaise ana-
lyse. La démission n'est que la condition de l'acte unila-
téral de désinvestiture et non pas l'offre qu'accepte l'Admi-
nistration.

C. DROITS SUB JECTIFS

281. Le pouvoir de l' Administration n'est pas complè-


tement discrétionnaire. Il est lié par des réglementations
qui créent des droits subjectifs en faveur des agents.
L'agent engagé par contrat aura droit à un préavis ou à
des dommages-intérêts.
Celui qui se trouve dans une situation réglementaire,
n'est pas non plus démuni. En fait, il est si difficile de con-
gédier des agents publics que l'on parle communément de
la stabilité de leur emploi. En droit, les statuts ont multi-
plié les garanties contre !'arbitraire du pouvoir des chPfs.
Le danger était surtout grand en matière disciplinaire.
Une révocation est chose grave. Toute une procédure a été
imaginée par Ie statut des agents de l'Etat, par les lois des
30 juillet 1903 et 6 août 1909 pour les fonctionnaires pro-
vinciaux et communaux, par la loi du 16 juin 1836 pour
les officiers de l'armée.
Un autre mode de désinvestiture qui doit être soigneuse-
ment réglementé est la mise à la retraite prématurée. Il
faut éviter d'une part que l'autorité se rendant coupable
d'un détournement de pouvoir, ne masqye sous cette forme
une révocation déguisée. Par ailleurs, il faut craindre les
manreuvres des agents qui souhaitent obtenir leur admis-
sion à la pension, sans attendre l'àge normal de la mise à
la retraite, ou sans avoir atteint l'ancienneté requise.

N"" 280 à 281


SECTION VII. - COLLABORATION FORCÉE 209

SECTION VII
COLLABORATION FORCEE

282. Qu'ils soient dans une situation contractuelle ou


même réglementaire, les agents du service public colla-
borent volontairement à son fonctionnement. Ils ont fait
acte de candidature; celui-ci a dfl être agréé par l'autorité.
Cette volonté libre fait défaut lorsqu'il s'agit de requis.
La réquisition est parfois nécessaire. Le fonctionnement
d'un service public ne peut être sulwrdonné à l'acceptation
ou au refus de certaines personnes.
Dans d'autres cas, la liberté a manqué du cóté de l' Admi-
nistration qui subit la collaboration inattendue d'un fonc-
tionnaire de fait ou d'un gérant d'affaires.
Ce caractère forcé de la collaboration entraîne l'appli-
cation de statuts particuliers.

A. LES REQUIS

1. Notion.

a. - Enumération.
283. Le cas Ie plus frappant est celui des conscrits. L'ar-
mée requiert aussi Ie concours d'autres personnes, qui peut
être obtenu par voie de réquisition militaire (L., 12 mai
1927). Il faut citer encore les réquisitions civiles : elles
concernent les citoyens qui sont appelés à assurer Ie fonc-
tionnement des services publics en temps de guerre (L.,
5 mars 1935, adde, L., 16 juin 1937, A. R., 1 er févr. 1938,
complété par celui du 18 déc. 1944 et du 1 er mai 1945; -
L., 10 févr. 1947).
En temps de paix, les réquisitions sont plus rares, car
Ie <langer est moins pressant. On peut cependant citer
divers cas ou la collaboration peut être imposée (lois sur
l'entretien des chemins vicinaux, des 10 avril 1841 et 24 juin
1885, l'arrêté royal du 24 janvier 1910, art. 39, relatif aux
mesures sanitaires, etc.). Une attention particulière doit
être accordée à la loi du 19 aoflt 1948 relative aux pres-
tations d'intérêt public en temps de paix qui peuvent être

N 08 282 à 283
210 CHAPITRE VI, - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

imposées pour maintenir l'activité de certaines entreprises


présentant un intérêt public.
L'employeur chargé de prélever à la source sur les rému-
nérations qu'il paie, les impöts et les cotisations d'assu-
rance sociale <lues par ses employés, n'est-il pas un requis?

b. - Conditions.
284. Les réquisitions de personnes ne peuvent être éta-
blies que par la loi. Elles impliquent une entrave aux
libertés garanties par la Constitution; seul Ie législateur
est compétent pour en décider Ie principe et les conditions.
Dans certains cas, cette loi est soumise à des prescrip-
tions constitutionnelles. Le contingent de l'armée doit être
voté annuellement et la loi qui Ie fixe n'est valable que
pour un an (Const., art. 119).
Le législateur lui-même ne peut imposer la réquisition
ou la corvée que dans des cas exceptionnels. Sans donner
à la thèse la valeur d'un principe juridique, on pourrait
affirmer que la réquisition n'est possible qu'à défaut de
tout autre procédé efficace respectant la liberté indivi-
duelle; par exemple, la loi du 5 mars 1935, organisant les
réquisitions civiles, précisait dans son article unique que
les autorités ne peuvent y recourir qu'à défaut d'engage-
ment volontaire.
Enfin, la réquisition ne peut être imposée qu'en faveur
d'un intérêt absolument essentie! de la collectivité : soit
qu'il s'agisse d'assurer Ie fonctionnement d'un service
public, soit qu'il faille assurer certaines activités impor-
tantes pour Ie bien-être de la collectivité (prestations en
cas d'épidémie, exhaure de l'eau dans les charbonnages,
loi générale du 19 août 1948).

2. Début et fin.

285. Il faut déterminer avec certitude Ie début et la_ fin


de la réquisition. Par exemple, en ma-tière militaire, les
dates de l'incorporation et de la libération sont fixées avec
une grande précision (Code de procédure militaire, art. 1 er
et 2). La limitation de la liberté individuelle est trop grave
pour que Ie moindre doute puisse subsister.

N°• 283 à 285


SECTION VII. - COLLABORATION FORCÉE 211

3. Situation juridique du requis.

286. Le requis n'est pas un agent public et ne peut invo-


quer un des statuts applicables à ce dernier.
A défaut de consentement, toute possibilité de contrat est
exclue. Le requis est dans une situation réglementaire.

4. Droits et devoirs.
L'existence et l'étendue de ses droits se fonde sur la loi
organisant la réquisition.

a. - Devoirs.
287. Tout comme les agents ordinaires, les requis doi-
vent assurer Ie fonctionnement régulier du service public
en exécutant fidèlement les ordres de l'autorité compé-
tente. On ne conçoit pas qu'ils puissent se mettre en grève.
En ce qui concerne les libertés politiques ( droit d'asso-
ciation, de réunion, liberté d'opinion), on se montrera géné-
ralement moins sévère pour les requis que pour les agents;
Ie lien qui les lie au service public n'est qu'occasionnel.
Leurs opinions particulières ne peuvent faire <louter de
l'impartialité avec laquelle Ie service est dirigé. On notera
cependant que les miliciens ne votent pas, à fortiori ne
peuvent-ils se mêler d'une façon active et militante aux
manifestations de la vie politique.

b. - Droits.
288. Les agents qui prêtent volontairement leur con-
cours, ont normalement droit à un traitement. Les requis
peuvent-ils obtenir une indemnité?
Les miliciens ne sont en principe pas payés. Les soldes
ne sont tra<litionnellement que nominales; l'indemnité de
milice est un secours accordé aux familles socialement
in téressan ies.
Mais il ne faut pas oublier Ie principe de l'égalité des
citoyens <levant les charges. Cette règle est appliquée en
plusieurs endroits par la Constitution (art. 6, 112). Plus par-
ticulièrement, celle-ci précise qu'il ne peut y avoir de pri-
vilège en matière d'impöt. Une inégalité serait créée si en
<lehors du paiement des impöts, des prestations plus lour-
des pouvaient être requises de certaines personnes.

N 05
286 à 288
212 CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

Voilà pourquoi, si les miliciens ne sont pas payés, parce


que toute une génération supporte également Ie far<leau
militaire, les requis au contraire, touchent une in<lemnité,
qui <loit représenter plus ou moins la valeur de leur travail;
les lois sur les réquisitions civiles et militaires prévoient
cette rémunération.

c. - Droits subjectifs.
289. Les droits et les devoirs des requis constituent pour
eux des intérêts soit positifs, dans la mesure ou ils peuvent
exiger des avantages, soit négatifs dans la mesure 011 ils
peuvent limiter les inconvénients. Une législation bien con-
çue doit protéger ces intérêts, en faire des droits subjectifs.
Il en est ainsi en matière militaire. Les législations sur
les réquisitions civiles et militaires ont organisé des recours
pour la liquidation des indemnités.

B. LES FONCTIONNAIRES DE FAIT

290. Le consentement peut manquer non seulement du


cóté du collaborateur mais aussi de celui de l'Administra-
tion. Tel est Ie cas du fonctionnaire de fait.
On a examiné ailleurs la possibilité et la validité des
actes accomplis par Ie fonctionnaire de fait. Il reste encore
à préciser sa position j uridique : gestion d'affaires? enri-
chissement sans cause? Pratiquement, on liquidera au
fonctionnaire de fait qui a fourni des prestations normales
un traitement régulier.
On peut imaginer aussi une autre hypothèse de colla-
boration forcée 011 Ie consentement manque du cóté de
l'Administration. Tel sera Ie cas de !'entrepreneur qui,
sans en avoir été régulièrement chargé, exécute les travaux
publics. On peut analvser sa situation comme celle d'un
gérant d'affaires (n° 405).

N 00 288 à 290
CHAPITRE VII

LES BIENS
DOMAINE PUBLIC ET DOMAINE PRIVE
291. Pour faire fonctionner des services publics, il faut
non seulement des hommes, mais aussi des biens. Ces biens
sont soustraits au Droit commun et soumis à un régime
spécial qui assure la prédominance de l'intérêt général sur
les intérêts particuliers, en d'autres termes qui garantit Ie
fonctionnement régulier et continu du service public.
Dans cette masse de biens, on fait généralement une
distinction. On considère d'abord ceux que l'Etat et les
autres personnes publiques possèdent et gèrent unique-
ment pour leur revenu économique. Ce « domaine privé»
est régi par Ie Droit commun (Code civil, art. 544 et sui-
vants). D'autres, au contraire, affectés à l'usage du public,
constituent Ie <lomaine public et sant soumis à des règles
particulières qui réaliscnt leur « mise hors commerce ».
Les explications traditionnelles sant embarrassées. Aussi
semble-t-il préférable de prendre Ie problème par Uil autre
biais.
D'abord, tous les bieils de toutes les persoililes publiques
S0ilt soumis à Uil régime juridique spécial de propriété
diff érent de celui qu'orgailise Ie Code civil pour les parti-
euliers. Ceci pose une questioil de droit réel, qui fera l'objet
de la sectioil Jre.
Par ailleurs, certains bien sant aff ectés d'une manière
foute spéciale à l'usage public ou à un service public. Celte
affectation comporte l'application d'un ensemble de règles
constituant ce qu'on appelle impropremeilt Ie domaiile
public. Elles sont étudiées dans la section Il.
L'affectation à l'utilité publique a souvent pour objet des
bieils coilstituant la propriété de la personne publique qui
décide leur assujettissement. Mais elle peut aussi porter
sur des immeubles et parfois sur des meubles apparte-
nant à une autre personile publique ou à un particulier.
C'est la servitude légale d'utilité publique. Celle-ci fait

N° 291
214 CHAPITRE VIl. - LES BIENS

partie du domaine public et est gouvernée fondamentale-


ment par les mêmes règles. Mais elle comporte un rapport
de droit supplémentaire entre deux personnes différentes.
Elle fait l'objet de la section III.
Ce rapport juridique entre deux personnes est symé-
triquement inverse si des usagers prétendent exercer sur
Ie domaine public des droits subjectifs qui sont exposés
dans la section IV.

SECTION I
DOMAINE PRIVE

292. Un régime juridique spécial de propriété est appli-


cable à toutes les personnes publiques. Nous allons défi-
nir d'abord l'originalité de ce régime, préciser ensuite son
application à toutes les personnes publiques et prouver
enfin qu'il concerne tous les biens de ces personnes.

A. NonoN

1. Régime spécial des droits réels.

293. Les personnes publiques ont pour raison d'être,


l'utilité publique. Leurs biens servent exclusivement aux
services publics, soit qu'ils soient directement affectés à
leur fonctionnement (immeubles administratifs), soit qu'ils
constituent une réserve ou l'on puisera ultérieurement (im-
meubles expropriés avant leur affectation), soit que leurs
revenus servent à leur financement (forêts domaniales,
biens communaux). Un régime spécial fait prévaloir eet
intérêt général. Cette justification est si vraie qu'au mo-
ment ou l'utilité publique cesse, les anciens propriétaires
ont souvent la possibilité de retrouver leurs biens (immeu-
ble exproprié et non utilisé; L., 27 mai 1870, art. 10; - L.,
17 avr. 1935, art. 23; - Cass., 24 févr. 1882, Pas., 1882, 1,
56; Ie déclassement d'un chemin vicinaLcrée au profit des
riverains un droit de préemption).
Ce régime qu'annonce l'article 537 du Code civil et qu'or-
ganise Ie Droit administratif contient des chapitres entiers
qui sont originaux. Mais il n'est pas complet. Très souvent,.

N""' 291 à 293


SECTION I. - DOMAINE PRIVÉ 215

à défaut de disposition expresse, il faudra se référer au


Droit commun (Cass., 7 mars 1940, R. A., 1941, 22).

2. Ce régime spécial concerne toutes les personnes publiques.


294. Elles gèrent les services publics. Pour cette raison,
elles peuvent toutes bénéficier de ces règles particulières,
qui ne s'appliquent pas nécessairement avec uniformité à
chacune d'elles.
C'est ainsi que l'expropriation pour cause d'utilité pu-
blique peut être faite par l'Etat, les provinces et les com-
munes. En ce qui concerne les personnes publiques para-
statales, il semble bien qu'un texte exprès soit nécessaire.
De même, en matière de baux, des règlements particu-
Iiers ont été élaborés aussi bien pour l'Etat (décret 23-28 oc-
tobre et 5 novembre 1790, etc), et pour les provinces et
communes (L.C., art. 76, 1' 77, 5°, 81 et 82), que pour les
0
,

établissements publics (L., 10 mars 1925, art. 52, Commis-


sions d'assistance publique, etc.),
Non seulement l'Etat, mais les autres personnes publi-
ques - provinces, communes, établissements publics -
doivent être protégés contre les saisies.
Pour les concessionnaires, voyez Ie n° 379.

3. Ce régime spécial concerne tous les biens


des personnes publiques.
a. - Objections.
295. Ceci est me par ceux qui prétendent que sur son
domaine public, l'Etat n'a pas un droit de propriété mais
bien de surintendance et de controle. Mais la Cour de cas-
sation a dit formellement que l' « Etat a la propriété <le
toutes les choses qui font partie du domaine national sans
distinction entre celles qui sont affectées à un usage public
et qui, à ce titre, ressortissent au domaine public propre-
ment dit et celles qui n'ont pas reçu semblable destina-
tion » (Cass., 15 janv. 1880, Pas., 1880, I, 55, avec d'intéres-
santes conclusions conformes du premier avocat général
Mesdach de ter Kiele). Notamment au sujet des biens du
domaine public, l'Etat ou une commune peut exercer l'ac-
tion possessoire (Cass., 23 avr. 1880, Pas., 1880, I, 131).
La règle proposée est aussi contestée par les auteurs
beaucoup plus nombreux qui considèrent domaine public

N 08 293 à 295
216 CHAPITRE VII. - LES BIENS

et domaine privé comme deux régimes distincts de pro-


priété. Elle doit être bien comprise : elle signifie que les
dispositions constitutives du régime dit « du domaine
privé » s'appliquent aussi et sans distinction au « domaine
public ». Elle ne nie pas que Ie domaine public est soumis
en outre à une réglementation supplémentaire, mais celle-
ci n'établit pas un régime nouveau de la propriété; elle
organise une affectation spéciale.
Pre1wes.
b. -
296. L'unité du régime de propriété, quel que soit Ie
« domaine » auquel les biens appartiennent, est évidente.
' Les biens du domaine public s'acquièrent de la même
façon que les au tres (Cass., 19 déc. 1889, Pas., 1890, I, 42).
Par exemple, s'il y a donation ou legs à un musée d'un
objet qui ainsi entre dans Ie domaine public, il faudra
une autorisation et il y aura une possibilité de réduction
tout comme s'il s'agissait d'une somme d'argent ou d'autres
choses intéressant Ie domaine privé. L'incorporation forcée
suppose toujours une procédure d'expropriation ou de
réquisition.
Quoi qu'on en dise, les biens du domaine public, peuvent
être aliénés (n° 300). Les mêmes formalités seront exigées.
S'il faut une loi pour vendre une simple terre domaniale
(Vauthier, Précis, n° 229, note 2), il en est de même lorsque
l'Etat cèdera à une commune un musée ou une route.

B. MooES o'ACQUISITION

1. Modes de Droit commun.


297. Les modes du Droit civil sont souvent légèrement
amendés en faveur du service public et de son bon fonc-
tionnement (n° 31). Donnons quelques exemples.
Achats : _L'Etat devra souvent se soumettre à la règle de
l'adjudication publique (n° 352). Ainsi protège-t-on les
finances de l'Etat et réalise-t-on l'égalité des Belges <levant
les services publics. Pour les immeubles, Ie ministère d'un
notaire n'est pas requis (Ca~s., 17 ja_nv. 1901, R. A., 1901,
325).
Dons et legs : Rappelons les règles de l'autorisation
(Code civil, 910) et de la réduction. Il s'agit de protéger
les families mais aussi Ie service public en recherchant si

N 08 295 à 297
SECTION I. - DOMAINE PRIVÉ 217

la nature ou l'importance des charges est compatible avec


son fonctionnement régulier. Il a été j ugé que si la ville
légataire doit investir en immeubles les sommes recueil-
lies, cette disposition du testament contrevient aux arti-
cles 75 et suivants de la loi communale qui garantissent la
liberté de gestion des communes; conformément à l'ar-
ticle 900 du Code civil elle doit être réputée non écrite
(C. E., arrêt 5348, Uytenbroeck).
Succession : L'Etat exerce un droit successoral « ab in-
testat », sur les successions en déshérence. Cependant la
règle ne s'applique qu'aux patrimoines in bonis.
Epaves et biens sans maitre : L'appropriation est réglée
par des lois particulières (Code civil, art. 713, 717, De
Page, t. V, n 08 756 et 757).
Invention : Les règles sont modifiées quand les objets
trouvés au cours des travaux publics intéressent la géo-
logie, la minéralogie et l'histoire (A. R., 2 oct. 1917 et
25 janv. 1941).

2. Modes spéciaux.

298. Il faut insister plus particulièrement sur les modes


d'acquisition qui sont propres au Droit administratif par-
ce qu'ils mettent en jeu la puissance pnblique.
Expropriation pour cause d'utilité publique : Pour fonc-
tionner régulièrement, un service public a nécessairement
besoin de certains biens. Si les modes d'acquisition du Droit
privé - qui se fondent sur Ie respect de tous les intérêts
en cause, l'égalité juridique de l'aliénateur et de l'acqué-
reur - sont impuissants à assurer l'obtention de ces biens,
les personnes publiques useront d'autorité, dans les condi-
tions prévues par l'article 11 de la Constitution.
L'expropriation ne s'effectue qu'en vertu d'une loi orga-
nique ou particulière. Elle doit être justifiée par l'utilité
publique. L'appréciation qui touche à l'opportunité
échappe du controle des tribunaux judiciaires comme au
Conseil d'Etat. Mais celui-ci sanctionne l'excès ou détour-
nement de pouvoir (C. E., 19 janv. 1951, R. J. D. A., 1951,
140, Dupré et Vallez, note Perin). Sera annulé l'arrêté
royal <lont les motivations ambiguëes font <louter de la fin
d'utilité publique (C. E., arrêt 538, évêché de Liège).
La procédure comporte une phase administrative .qui

N 08 297 à 298
218 CHAPITRE vn. - LES BIENS

crée des droits subjectifs administratifs (Dumont, « La


compétcnce du Conseil d'Etat en matière d'expropriation
pour cause d'utilité publique », R.A., 1958, 178 et 221) et une
phase judiciaire qui aboutit constitutionnellement à une
indemnité « juste et préalable ». Le caractère préalahle
n'est pas entièrement respecté dans la procédure d'urgence.
L'indemnité est l'ohjet d'un droit civil.
Réquisition militaire : Celle-ci est prévue par la loi (L.,
12 mai 1927; - adde A. L., 29 sept. 1939). C'est une mesure
<le salut public. La prescription constitutionnelle d'une
indemnité préalable n'est pas respectée. Cette tolérance
justifiée par la maxime salus populi suprema lex esto, s'est
dangereuscment élargie. Aux réquisitions militaires au
profit des armées s'aj outent les réquisitions civiles pour
satisfaire les hesoins essentiels des populations; elles doi-
vcnt aussi être prévues par une loi (L., 5 mars 1935, A. L.,
10 févr. 1947; - adde L., 19 août 1948).
lmpót : C'est un autre mode d'acquisition très important
et propre aux personnes publiques. Son étude fait l'objet
<l'une branche spéciale du Droit.
Confiscation spéciale: Voyez Ie Code pénal, art. 43-44.
La confiscation générale est interdite par la Constitution.

C. GESTION

299. lei aussi les <lispositions ordinaires ont paru insuf-


fisantes. Sclon l'article 537 du Code civil, les biens qui
n'appartiennent pas à des particuliers sont administrés
suivant des règles spéciales.
L'article 1712 du Code civil prévoit des règlements par-
ticuliers pour les baux. La loi du 7 mai 1929 régit la loca-
tion des biens ruraux.
La gestion des deniers publics a donné lieu à unc légis-
lation abondante et précise (lois sur la comptabilité pu-
blique).
Les biens rcquis « en j ouissance » sont soumis à un ré-
gime exceptionnel. La position juri-dique de l'Etat ne se
compare à celle d'aucun détenteur du Droit privé (Cass.,
17 sept. 1940, R. A., 1941, 246; - Cass., 10 févr. 1944, R. A.,
19,15, 1, 63; - Cass., 1•r juin 1944, R. A., 1945, 161; - Cass.,
12 juin 1947, R. A., 1948, 160).

N°8 298 à 299


SECTION II. - DOMAINE PUBLIC 219

D. ALIÉNATION

300. Nous rencontrons une règle symétrique et inverse à


.celle qui prévoit l'incorporation forcée d'un bien dans Ie
patrimoine public. One aliénation forcée n'est jamais pos-
sible, parce qu'ici encore il faut garantir Ie bon fonction-
nement du service. Aucune voie d'exécution ne peut être
pratiquée.
Pour Ie reste, les règles du Droit privé sont plus ou moins
amendées. Citons un exemple : la vente est possible, mais
s'il s'agit d'un immeuble, elle doit être faite par la loi ou
en vertu d'une loi (L., 22 nov. 1790, art. 8; L., 16 mars 1896
modifiée par L., 31 mai 1923 et 22 déc. 1948 pour les im-
meubles; L., 15 mai 1846, art. 16, pour les meubles). Le
ministère d'tm notaire ne sera pas requis (Cass., 17 janv.
1901, R. A., 1901, 325). Les bicns qui sont indivisibles entre
l'Etat et des particuliers et ne sont pas susceptibles de par-
tage peuvent être vendus par l'Etat, sans l'accord des indi-
visaires (L., 15 floréal, an X, art. 10; - L., 16 floréal, an X,
art. 2; - L., 5 ventöse, an XII, art. 115).

SECTION II
DOMAINE PUBLIC

Le domaine public signifie que certains biens sont affec-


tés d'une manière spéciale à l'usage du public ou à un
service public.

A. NonoN

1. Critique de la notion courante.


301. Le domaine public n'est pas Ie régime spécial de la
propriété de certains hiens appartenant à des personnes
publiques.
D'abord, Ie domaine pnblic ne comporte pas seuiement
des biens appartenant aux pcrsonnes publiques, mais aussi
des biens particuliers; nous Ie verrons en étudiant les ser-
vitudes d'utilité publique.
Ensuite il ne s'agit pas d'un « régime spéciaI de la pro-
priété ». En effet comment essaie-t-on de définir la pro-
priété de l'Etat sur son domaine public? Uniquement par
<les notions négatives : indisponibilité, inaliénabilité, im-

N 05 300 à 301

- ___ .....
220 CHAPITRE VII. - LES BIENS

prescriptibilité. N'est-ce pas l'envers de la réalité? Ces con-


cepts d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité ont en outre
un caractère relatif. Leur étendue est variable. N'est-ce
pas une preuve supplémentaire qu'il faut trouver un prin-
cipe absolu qui justifie à la fois les concepts et leurs varia-
tions?
2. Notion exacte.
302. L'affectation spécifique d'un bien quelconque à un
service ou à son usage public « vincule et prime tous les
droits avec lesquels elle serait incompatible » (Cass.,
16 nov. 1906, Pas., 1907, I, 45). Ainsi retrouve-t-on l'idée
fondamentale du Droit administratif : J'utilité publique.
Certains biens, même possédés par des particuliers, sant
indispensables, irremplaçables pour un service ou un usage
publics. Les règles du Droit administratif ont pour objet
de faire prévaloir en tous cas eet intérêt général sur les
intérêts particuliers. Elles feront respecter l'affectation.
Telle est la réalité juridiquc positive qu'exprime Ie concept
« domaine public». L'inaliénabilité, l'imprescriptiblité n'en
sant que les conséquences négatives.
Si l'on entre dans Ie détail du régime, on se convainc que
Ie domaine public n'a rien à voir avec Ie régime de pro-
priété.
L'entrée dans Ic domainc public se fait par l'affectation
et est indépendante de la mutation de propriété qui la
précède, la suit ou lui est concomitante (application à
l'expropriation forcée; Cass., 14 oct. 1926, Pas., 1927, I, 67;
pour l'acquisition des antiquités intéressant l'histoire ou la
minéralogie: Cass., 17 nov. 1927, Pas., 1928, I, 17; - Cass.,
10 févr. 1865, Pas., 1865, I, 280).
Il en est de même pour la sortie qui se réalise par la
désaffectation. Il faut la distinguer soigneusement de l'alié-
nation.
Les droits de la personne publique qui constituent Ie
régime du domainc public consistent à respecter et faire
respecter l'affectation. On ne peut les analyser en droits
de propriété ni en démembrem~nts de ces droits.

3. Critère de l'affectation.
303. L'Etat et les autres personnes publiques gèrent
des services publics. Tous leurs biens sans distinction sont

N05 301 à 303


SECTION II. - DOMAINE PUBLIC 221

affectés à ces services. La remarque est juste. Elle a d'ail-


leurs fondé plus haut la thèse selon laquelle Ie domaine
privé, qui est un régime de propriété conçu pour toutes les
personnes publiques, s'applique à tous leurs biens.
Mais pour justifier un régime de <lomaine public, il faut
quelque chose de plus : une affectation toute particulière.
Le bien doit être affecté au service dans son individualité
et non pas dans son genre. Pratiquement, il est irrempla-
çable. C'est telle bande de terrain, assiette de la voie ferrée,
tel ouvrage militaire situé à un endroit stratégique, tel
palais de justice spécialement aménagé, tel objet de musée
qui font partie du domaine public, mais non un immeuble
administratif loué, qui peut être remplacé par un autre,
un mobilier de bureau, un matériel roulant de chemin de
fer.
Le critère doit être complété. En effet, certains biens
appartenant incontestablement au <lomaine public ne sont
pas indispensables à un service public. Tels sont Ie rivagè
de la mer ou Ie lit des rivières (C. civ., art. 538). Qu'on
n'objecte pas qu'en réalité ce sont là, non des biens du
domaine public, mais des res communes qui, par nature
n'appartiennent pas plus à l'Etat qu'à des particuliers (De
Page, Droit civil, t. V, n°• 797 et 798). En réalité, on ne
pourrait défoncer la plage pour en extraire des tombereaux
de sable. Il a été jugé que Ie minerai provenant du tréfonds
d'une rivière navigable ou d'un port (C. E. fr., 17 janv. 1923,
S., 1925, 3, 17) appartient à l'Etat. Il y a donc bien appro-
priation, ce qui est contradictoire avec la notion de « res
communis» (Voyez aussi Cass., 2 juin 1910, Pas., 1910, 1,
314). Pas plus que Ie rivage de la mer, les églises ne sont
pas affectées à un service public. Ceci résulte des articles
14, 15 et 16 de la Constitution. Et cependant, certaines
d'entre elles font indubitablement partie du domaine pu-
blic (Cass., 11 nov. 1886, Pas., 188, I, 401).
C'est pourquoi il faut compléter la formule en faisant
entrer dans Ie domaine public non seulement les biens qui,
par leur nature ou leur aménagement, sont nécessaires à un
service public, mais encore ceux qui sont directement
affectés à la satisfaction d'un besoin public, à l'usage public.
Enfin ici comme ailleurs, on doit s'incliner <levant les
décisions du législateur et inclure dans la domanialité pu-
hlique ce que la loi y fait expressément entrer.

N° 303
222 CHAPITRE VII. - LES BIENS

4. La jurisprudence.

304. La Cour de cassation fait entrer dans Ie domaine


public les biens qui sont à l'usage du public (Cass., 2 oct.
1924, Pas., 1924, I, 530). Elle précise ultérieurement que la
chose doit servir indistinctement à l'usage de tous (Cass .•
21 janv. 1926, Pas., 1926, I, 187).. Ce dernier arrêt donne
une réponse négative pour une école ouverte aux seuls
écoliers, tandis qu'en vertu du même principe, des arrêts
antérieurs faisaient entrer dans Ie domaine public les
églises mises à la disposition du clergé (et du public)
(Cass., 11 nov. 1886, Pas., 1886, I, 401).
Ces formules soulèvent des objections. Que faut-il penser
d'une forteresse ou d'une prison? Elles appartiennent cer-
tainement au domaine public et cependant, la circulation
du public y est très étroitement réglementée.
Pour résoudre la difficulté, la Cour de cassation a com-
plété son critère dans son arrêt précité du 21 janvier 1926,
en exigeant que la chose soit attribuée au domaine public
par une loi ou qu'elle serve indistinctement à l'usage de
tous.
Un arrêt plus récent de la Cour de cassation emploie la
formule suivante : « Les biens immobiliers font en principe
partie du domaine privé, à moins que par leur nature ou
par une décision formelle de l'autorité publique, ils ne
soient affectés à l'utilité publique ». (Cass., 8 mars 1951,
R. A., 1952, 17).
Donc la Cour admet un double critère. D'abord une dé-
cision de l'autorité, c'est-à-dire un texte légal ou un acte
administratif pris en vertu de la loi. Ce premier élément
est indiscutable. Mais à lui seul, il est insuffisant. Trop
longtemps on s'est livré à une acrobatie juridique pour
justifier par des textes tous les cas de domanialité publique.
On est parti des articles 538 et 540 du Code civil. Des exten-
sions hardies ont été admises. De l'idée de cours d'eau, on
est passé à celle des égouts (Cass., 26 avr. 1888, Pas., 1888,
I, 210), ou de canalisations pour la distribution d'eau
potable (Liège, 27 févr. 1901, Pas., 1907, II,---22S; - Cass.,
13 févr. 1908, R. A., 1908, 403). Des chemins, routes et rues,
on est arrivé aux voies ferrées et à leurs dépendances qu'à
vrai dire l'article 1 er de la loi du 25 juillet 1891 fait entrer
dans la grande voirie (Cass., 17 mars 1924, Pas., 1924, I,

N° 304
SECTION II. - DOMAINE PUBLIC 223

256). En dehors du tex te fondamental du Code civil, d'au-


tres dispositions particulières constitutives de domaine
public ont été invoquées. Ce sont d'abord différentes lois
créant des servitudes d'utilité publique. Pour les collections
de musée, on a cité l'arrêté royal du 4 mai 1912 décidant
qu'ell~s constituent un « dépót public» (Cass., 2 oct. 1924,
Pas., 1924, I, 530). Peut-être eût-on pu se référer au senatus-
consulte du 30 janvier 1810 (cfr. Brux., 10 mai 1921, Pas.,
1924, II, 19). La loi du 7 août 1931 organise le classement
des monuments présentant un intérêt historique ou artis-
tique.
Tout ceci est-il d'une bonne méthode juridique? La
casuistique doit faire place à une interprétation construc-
tive. Il faut admettre des solutions légales sans les étendre
indûment.
Mais des textes, on peut dégager le principe général qui
les inspire. L'arrêt de 1952 vise les biens qui de leur nature
sont affectés à l'utilité publique. La formule que nous pro-
posons n'est pas différente mais est précisée par une dis-
tinction : Appartiennent au domaine public, non seulement
les biens qui en font partie en vertu de la loi, mais encore
ceux qui par leur nature sont spécifiquement affectés à
l'usage public ou à un service public.
Cette règle permet de faire avec aisance les distinctions
nécessaires. Prenons Ie cas des écoles. Font-elles partie du
domaine public? Aucun texte n'impose cette solution (Cass.,
2 oct. 1924, Pas., 1924). Mais on doit se demander si ces
bàtiments sont aff ectés à l'usage du public. La réponse est
négative puisqu'ils sont ouverts aux seuls écoliers. Passons
alors à la deuxième partie du critère : les locaux scolaires
sont-ils indispensables, dans leur individualité concrète, au
fonctionnement du service de l'instruction publique? La
réponse est affirmative s'il s'agit d'un bàtiment spéciale-
ment construit à eet usage; elle est négative pour une mai-
son louée.

5. Applications.

305. Pratiquement Ie critère proposé justifie toutes les


solutions imposées par les textes légaux ou par une juris-
prudence ferme. Il permet en outre d'expliquer les distinc-
tions que la pratique suggère.

N 011 304 à 305


224 CHAPITRE VII. - LES BIENS

Appartiennent d'abord au domaine public parce qu'ils


sont mis à la disposition du public :
t Les voies de communication terrestres et fluviales
0

(Code civil, art. 538);


2" Le rivage de la mer (Code civil, art. 538) mais non les
dunes (Cass., 29 mai 1885, Pas., 1885, I, 176), ni les lais et
relais de la mer, nonobstant la lettre de l'article 538 (Cass.,
2 juin 1910, Pas., 1910, I, 314);
3° Les églises (Concordat, 18 germinal, an X), pour les
églises paroissiales (Cass., 4 févr. 1860, Pas., 1860, I, 121)
et les objets qui les décorent (Cass., 11 nov. 1886, Pas.,
1886, I, 401); les cimetières (Cass., 28 mars 1878, Pas., 1878,
I, 149);
4° Les ports, rades et havres (Code civil, art. 538);
5° Les musées, bibliothèques publiques et leurs collec-
tions.
Font encore partie du domaine public, à raison de leur
affectation spéciale à un service public :
1° Les ouvrages militaires (Code civil, art. 540);
2" Les voies ferrées. Les gares et autres dépendances
riveraines sont du domaine public (Cass., 25 nov. 1898, Pas.,
1899, I, 30). Leur emplacement leur donne une valeur sin-
gulière; elles sont indispensables. Il n'en est pas de même
des bureaux d'administration situés en ville. Les services
administratifs pourraient déménager sans troubler le ser-
vice de transport (contra : De Page, t. V, n° 796). A notre
avis, même distinction entre les installations riveraines
d'un port (Cass., 5 mars 1896, Pas., 1896, I, 104, Best et Cie
c./ Ville d'Anvers; - Cass., 9 mars 1950, J. T., 1950, 290,
Claes John c./ S. A. du Canal et des Installations Maritimes
de Bruxelles) ; les cales sèches qui sont « une dépendance
indispensable de la rade» (Cass., 24 mai 1917, Pas., 1918,
I, 23) et les batiments administratifs.
3° Les autres terrains et constructions indispensables au
fonctionnement d'un service : höpital d'une commission
d'assistance publique, prison, canalisahon d'eau, de gaz ou
d'électricité appartenant à une personne publique, école
spécialement aménagée, etc. (Voyez pour les cimetières :
Cass., 27 déc. 1888, J. T., 1888, 1, 777; = pour -les preshy-
tères, au mains s'ils sont attenants à l'église : Cass., 9 janv.
1951, R. A., 1952, 36; - pour les canalisations d'eau : Cass.,
13 févr. 1908, R. A., 1908, 203; voyez encore Cass., 2 oct.
1924, Pas., 1924, I, 530, Kleintjes c./ Etat beige).

N° 305
SECTION II. - DOMAINE PUBLIC 225

Les meubles peuvent faire partie du domaine public. On


a cité plus haut les collections de musées, les objets mobi-
liers décorant les églises.
Les biens des particuliers peuvent aussi être soumis aux
règles du domaine public dans la mesure ou ils sont affec-
tés à l'utilité publique, c'est-à-dire grevés d'une servitude
légale d'utilité publique (n° 317).

B. INCORPORATION AU DOMAINE PUBLIC

1. Affectation et propriété.
306. L'incorporation au domaine public et la sortie du
domaine public s'appellènt l'affectation et la désaffecta-
tion. Ces opérations sont indépendantes d'une mutation de
propriété. Un bien peut passer du domaine privé au
domaine public ou inversement sans aliénation; un autre
bien peut rester dans Ie patrimoine d'un particulier tout
en entrant dans Ie domaine public (chemin public <lont
l'assiette appartient à un individu, servitude d'utilité pu-
blique grevant un fonds privé); un troisième qui est expro-
prié pour être incorporé dans Ie domaine public, restera
dans Ie domaine privé jusqu'à l'affectation (Cass., 2 juin
1898, Pas., 1898, I, 219; - Cass., 14 oct. 1926, Pas., 1927, I,
67; - Cass., 17 janv. 1927, Pas., 1927, I, 125).
Il faut rappeler Ie lien qui peut exister entre les deux
opérations - acquisition et affectation - en vertu de l'ar-
ticle 11 de la Constitution. Lorsque la destination à un
service ou un usage public implique pratiquement l'utili-
sation complète de la chose, l'Etat devra au préalable s'en
être rendu propriétaire, car il n'y a pas d'expropriation
forcée sans indemnité (Cass., 3 janv. 1846, Pas., 1847, I, 24;
Cass., 6 janv. 1887, Pas., 1887, I, 44). Bien entendu, une
possession constitutive d'usucapion constitue un juste titre
(Cass., 15 janv. 1880, Pas., 1880, I, 55).

2. Formes.
307. Souvent l'affectation est tacite. Elle résulte du fait
que Ie bien sert indistinctement à l'usage de tous ou est
affecté d'une manière essentielle à un service public.
Mais plus souvent encore, elle est subordonnée à une
décision formelle de l'autorité compétente. L'indisponibi-

N 08 305 à 307
226 CHAPITRE vn. - LES BIBNS

lité d'un bien est si dérogatoire aux principes les plus fon-
damentaux du Droit, qu'il est souhaitable qu'elle soit
expressément décidée. Il a été jugé que Ie seul usage par
Ie public d'un terrain appartenant à l'Etat ou à une autre
personne publique ne suffit pas pour faire entrer ce bien
dans Ie domaine public (Cass., 8 mars 1951, Pas., 1951, I,
461, Ville d'Ostende c./ époux Janssens-De Rijcker) sauf
s'il y a dépendance néccssaire entre ce bien et un autre qui
appartient incontestablcment au domaine public (Cass.,
9 mars 1950, J. T., 1950, 290, Claes John c./ S. A. du Canal
et des Installations Maritimes de Bruxelles; - Cass.,
9 janv. 1951, R. A., 1952, 36). Ces incertitudes, faute de
classement, sont regrettables.
Le rivage de la mer fait de facto partie du domaine pu-
blic. Il est accessible à tous. L'affectation est tacite.
L'utilisation publique des voies terrestres de communi-
cation est déjà un fait plus artificiel. Certes, il peut suffire
pour fonder une affectation tacite au domaine public. Un
chemin est incorporé à la voirie, par exemple, quand une
servitude publique de passage est acquise par usucapion
(Cass., 20 juin 1938, Pas., 1938, I, 221) ou quand une rue
construite par un particulier est ouverte à la circulation
sans autorisation, mais par tolérance administrative (Cass.,
27 oct. 1930, R. A., 1931, 279; Cass., 28 févr. 1926, R. A., 1927,
33). Plus ordinairement pour éviter toute controverse,
l'affectation est expresse et résulte d'un acte administratif.
Le chemin doit être classé s'il appartient à la grande voirie
(L., 9 août 1948), inscrit à l'atlas s'il est vicinal (L., 10 avr.
1841, art. 10; Cass., 18 janv. 1932, Pas., 1932, I, 38), autorisé
par l'administration communale conformément aux plans
s'il rclève de la voirie urbaine (L., 1 er févr. 1844).
De même pour les cours d'eau navigables et flottables,
un classement par Ie gouvernement s'impose (Cass.,
30 janv. 1940, Pas., 1940, I, 26). La servitude de halage et
marchepied prévue par l'ordonnance de 1669 (publiéc en
Belgique Ie 4 prairial, an XIII), et Ie décret du 22 jan-
vier 1808, est la conséquence nécessaire de ce classement
(adde : L., 15 mars 1850). -
Quant aux églises, on pourra invoquer, soit Ie Concordat
(Cass., 6 nov. 1940, Pas., 1940, I, 279), soit l'acte ultérieur
de la commune ou de la fabrique d'église mettant Ie bati-
.ment à la disposition du clergé et du public.

N° 307
SECTION Il, - DOMAINE PUBLIC 227

Les monuments protégés par la loi du 7 août 1931 doivent


être classés par arrêté royal.
Pour les objets mobiliers ayant une valeur historique ou
artistique, même une affectation expresse n'a pas paru
suffisante. Un arrêt de cassation du 17 novembre 1927 (Pas.,
1928, I, 17) a décidé qu'après leur découverte dans Ie lit
d'un fleuve, « il ne suffit pas, pour les placer dans Ie
domaine public, d'un acte de l'autorité leur donnant un~
destination qui les soumet à l'usage du public et qu'il faut
en outre que cette destination ait été effectivement réali-
sée ».
Ceci paraît exagéré. En I'espèce, il y avait eu une déci-
sion administrative de classement. Pourquoi exiger en
outre l'usage effectif du public? Dans l'hypothèse symé-
trique de la désaffectation, la Cour de cassation, lorsqu'il
y a eu classement formel, maintient la domanialité publi-
que, même après cessation de l'usage.
Comme l'arrêt de cassation relatif aux objets de musée
avait ému les conservateurs, un alinéa supplémentaire à
l'article 539 du Code civil a été voté par la Chambre, Ie
9 décembre 1931, mais n'a pas été repris par Ie Sénat :
« tous les objets mobiliers découverts dans les dépendances
du domaine de I'Etat, des provinces, des communes et des
établissements publîcs sont hors de commerce et conservent
ce caractère tant qu'ils n'ont pas été déclassés par arrêté
ministériel ». C'était rem placer un excès par un excès in-
verse. Pareil textc aboutirait à supprimer la nécessité de
toute affectation quelconque.

C. SORTIE DU DOMAINE PUBLIC

1. Désaffectation.

308. Elle est l'acte ou Ie fait juridique qui fait sortir un


bien du domaine public. Elle doit être distinguée de l'alié-
nation.
2. Formes.
La désaffectation est formelle ou résulte d'un fait.
a. - Désaffectation expresse.
309. La décision peut être directe (déclassement d'une
route). Elle peut être aussi tacite et résulter de l'affectation

N"" 307 à 309


228 CHAPITRE VII. - LES BIENS

positivè du bien à un autre service ou à un autre usage,


encore que pareille économie de moyen ne soit pas d'une
très bonne méthode juridique. Mais on ne peut se contenter
du fait que l' Administration utilise Ie bien à des fins incon-
ciliables avec l'utilité à laquelle il a été affecté. L'affecta-
tion lie aussi bien les autorités administratives que les par-
ticuliers. Est donc contestable, l'arrêt admettant la désaffec-
tation d'un chemin régulièrement classé par Ie seul fait que
l'autorité compétente a placé à demeure des dépöts de
briques sur la chaussée (Gand, 9 juill. 1881, Pas., 1882, II,
141). C'est enlever toute portée à l'indisponibilité du
domaine public, puisque dans cette théorie, la vente, qui
est contrad_ictoire avec l'utilisation publique, impliquerait
désaffectation implicite et serait valide.

b. - Désaffectation de fait.
310. On a vu que l'affectation résulte d'une décision de
l'autorité ou de l'usage du public. Symétriquement, il faut
admettre que si seul ce second fait la fonde, un fait con-
traire, la cessation de l'usage, peut y mettre fin.
La solution est certaine pour Ie rivage de la mer. Aban-
donné par les eaux, il constitue des lais et relais qui appar-
tiennent au domaine privé (Gand, 20 juill. 1889, B. J., 1889,
1178), malgré la lettre de l'article 538 du Code civil (Doc-
trine et jurisprudence ont prêté moins d'attention à la
lettre de l'énumération de eet article qu'à !'esprit qui l'a
inspiré). Même décision pour Ie lit des rivières navigables
et flottables abandonné par les eaux (De Page, Droit civil,
t. V, n° 768).
La même solution s'impose pour les chemins et voies de
communications dans la mesure ou ils ne sont pas classés.
Mais la cessation d'usage n'est pas aussi nette, aussi instan-
tanée. Il faut qu'elle se prolonge en prescription trente-
naire.
Si un bien qui est mis à l'usage du public a été de plus
affecté par une décision expresse de l'autorité compétente,
il ne peut être désaffecté que par une décision contraire.
La cessation de l'usage ne suffit pas. Le- fait tie peut pré-
valoir sur Ie droit. Est donc contestable, la jurisprudence
admettant qu'une voie perd la qualité de chemin public
parce qu'elle n'est plus utilisée, encore qu'elle reste inscrite
à l'atlas (Trib. civ. Marche, 19 janv. 1934, Pas., 1934, 111,

N 08 309 à 310
SECTION II. - DOMAINE PUBLIC 229

191; - Gand, 2 déc. 1920, B. J., 192, 154). La Cour de cassa-


tion a au contraire justement affirmé que toute l'assiette
d'un chemin vicinal telle qu'elle est renseignée à l'atlas, est
imprescriptible, même si elle n'est utilisée que dans une
partie de sa largeur (Cass., 7 nov. 1907, R. A., 1908, 186; -
Cass., 10 mars 1892, Pas., 1892, I, 123; adde R. A., 1942,
400; -Trib. Brux., 5 févr. 1903, R. A., 1908, 353). Il doit en
être de même pour les rivières navigables et flottables.
Elles ont été désignées par arrêté royal. La désaffectation
doit être expresse; la jurisprudence donnant un pouvoir
d'appréciation aux tribunaux est critiquable (Cass., 19 déc.
1955, J. T., 1956, 67, Blondiaux c./ Missal; - C .. E., 1958,
D et B, 1958, 418, Confédération des pêcheurs à la ligue).

D. RÉGIME

3ll. Selon une doctrine ancienne, ce régime se définirait


par un mot : l'indisponibilité. Les biens faisant partie du
domaine public ne peuvent être ni aliénés ni prescrits. Mais
pareille thèse ne peut plus être maintenue aujourd'hui.
Il y a des cas ou les hiens du domaine public sont alié-
nables.
Le domaine public englobe tous les biens qui sont néces-
saires à l'usage public ou à un service public. Il faut faire
respecter cette affectation nécessaire. Telle est la proposi-
tion fondamentale.
« La destination d'utilité publique vincule et prime les
droits privés avec lesquels elle est incompatible » (Cass.,
16 nov. 1906, Pas., 1907, I, 45). La formule est juste mais
doit être complétée. Ce ne sont pas seulement les droitc;
·privés des particuliers mais encore ceux de I' Administra-
tion qui sont vinculés lorsqu'ils sont incompatibles avec
l'affectation.
Examinons quelques conséquences de ce principe.
1. Respect de l'affectation par les pouvoirs publics.
312. Les pouvoirs publics eux-mêmes ne peuvent pas
distraire Ie bien de sa fin, sans avoir réalisé d'abord la
désaffectation. On ne pourra sans formalité transformer
en musée une église consacrée au culte. N'est-ce pas par
une application de cette idée que la Cour de cassation dan.s
son arrêt du 23 f évrier 1893 (Pas., 1893, I, 105), soustrait à
toute expropriation pour cause d'utilité publique Jes biens

N°~ 310 à 312


230 CHAPITRE VU. - LES BIENS

du domaine public précisément parce qu'ils ont déjà une


affecta tion publique? Le propriétaire du tréfonds d'une
route a Ie droit de se plaindre si la commune ne se contente
pas de donner au chemin son affectation normale, mais
exploite commercialement un débarcadère donnant , sur
l'étang riverain (Gand, 3 mai 1933, R. A., 1933, 46).
2. Action possessoire.

313. L'Administration peut exercer les actions posses-


soires (Cass., 18 juill. 1878, Pas., 1878, I, 361, Commune de
Laeken c./ Ville de Bruxelles; - Cass., 23 avr. 1880, Pas.,
1880, I, 131, Ville de Gand c./ Nigom). Cette règle est évi-
dente quand la personne publique intendante du domaine
est en même temps propriétaire de la chose; elle l'est moins
dans Ie cas contraire. L'action possessoire est reconnue
même à l' Administration qui n'est pas propriétaire du
bien, même au concessionnaire domanial (n° 330). La jus-
tification est que l'action protège non Ie droit de propriété
mais l'affectation du bien à l'utilité publique.

3. Bornage.
314. Par une application remarquable du privilège du
préalable (n° 211), les autorités administratives font elles-
mêmes, de leur propre autorité, Ie bornage du domaine
public immobilier. La procédure judiciaire est prévue
quand la contestation s'élève au sujet de biens privés (C.
civ., art. 646; - L., 25 mars 1876, art. 3 et 46), ou même de
biens de domaine privé (Code forestier, art. 24 et s.; Code
rural, art. 39 ets.). Au contraire, quand il s'agit de terrain
indispensable au public ou à un service public, on ne peut
tolérer qu'il soit cnlevé par décision de justice. La volonté
administrative est souverainc et exécutoire, bien entendu
sous réserve d'indemnité au propriétaire qui j ustifierait
être privé ainsi d'une partie de son bien (Const., art. 11).
Il en est bien ainsi pour !'alignement. Réclamer l' « ali-
gnement particulier» avant toute construction ou recon-
struction, c'est demander à l' Administration communale de
fixer la limite entre la voirie et la pareelle SlH'- Jaquelle
l'immeublc est bûti (L. C., art. 40 et 70). Pour les chemins
vicinaux, les articles 1 à 12 de la loi du 10 avril 1841, pré-
cisent que la question est tranchée par Ie conseil com-
munal ou sur appel par la députation permanente. L'or-

NOS 312 à 314


SECTION ll. - DOMAINE PUBUC 231

donnance de la députation permanente qui arrête défi-


nitivement Ie point d'alignement, n'empêche pas Ie rive-
rain de s'adresser ultérieurement aux tribunaux pour faire
reconnaître son droit de propriété injustement méconnu
et obtenir des dommages et intérêts. Mais il est deman-
deur (Cass., 7 mai 1903, R. A., 1904, 48). Pour la grande
voirie, voyez la loi du 28 mai 1914, art. 3.
C'est l'Administration qui délimite la rive des fleuves
et des rivières flottables et navigables (L., 22 déc. 1789,
art. 2, section III; - Cass., 22 déc. 1898, Pas., 1899, I, 61,
Ministère de I' Agriculture et des Travaux publics c./ Van-
der Heyden à Hauzeur) ainsi que Ie rivage de la mer
(or<lonnance du 16 août 1661).
Pour Ie domaine militaire, on consultera l'article 20 du
titre Jer, de la loi du 8 juillet 1791, publiée en Belgique Ie
7 pluviöse, an V.

4. Aliénation.

315. L'indisponibilité n'est pas absolue. C'est une notion


relative qui s'apprécie par rapport à l'affectation. Les
aliénations qui sont inconciliables avec l'affectation sont
seules prohibées.
Acte de disposition : Entre personnes publiques, il n'im-
plique pas une suppression de l'affectation et est parfaite-
ment licite. Une route peut passer de la voirie nationale à
la voirie provinciale ou à la petite voirie, en respectant les
réglementations légales. L'Etat peut « donner » un musée
à une ville.
Le tréfonds d'une route peut être aliéné puisque cela ne
nuit pas à la circulation sur la surface (Cass., 18 juin 1891,
Pas., 1891, I, 179).
Mais, d'ordinaire, une vente empêche Ie fonctionnement
du service ou Ie maintien de l'usage. Elle sera prohibée.
Saisie : Toute saisie est interdite (Cass., 20 juin 1872,
Pas., 1872 I, 352, Donnay de Casteau c./ Ville de Mons).
Prescription : Elle est impossible (Cass., 26 déc. 1890,
Pas., 1891, I, 31), sauf si elle ne gêne pas l'usage ou Ie
service public : plantation sur les accotements de la route
(Cass., 29 nov. 1902, Pas., 1903, I, 43). On n'appliquera pas
l'article 2279 (Cass., 11 juin 1886, Pas., 1886, I, 401) ni l'ar-
ticle 2280 du Code civil (Cass., 2 oct. 1924, Pas., 1924, I, 530)

NOS 314 à 315


232 CHAPITRE VII. - LES BIENS

à un objet mobilier soustrait à une collection de musée ou


appartenant à une église.
Démembrements de la propriété : Une servitude qui ne
gêne pas l'affectation est valable : plantation sur l'accote-
ment des routes (Cass., 29 nov. 1902, Pas., 1903, I, 46); pos-
sibilité de céder la mitoyenneté d'un mur (De Page, Droit
civil, t. V, n° 809, critiquant Cass., 16 nov. 1906, Pas., 1907,
I, 45 et Cass., 8 févr. 1926, Pas., 1926, I, 223), L'Administra-
tion qui exproprie un immeuble peut maintenir sur Ie bien
incorporé dans Ie domaine public certains avantages en
faveur d'une parcelle restant la propriété de l'exproprié
(Brux., 26 oct. 1949, J. T., 1950, 342, mais pour y arriver,
il faut une décision expresse, faute de quoi toutes les ser-
vitudes sont présumées contraires à la destination publique
et tombent au moment de l'expropriation (Cass., 22 nov.
1928, Pas., 1929, I, 28, ville de Nivelles c./ Dereume) bien
entendu moyennant indemnité.
Les biens du domaine public ne sont pas soumis aux ser-
vitudes légales (clöture forcée : Cass., 22 nov. 1928, Pas.,
1929, I, 28 Ville ,d' Anvers c./ Dereume; - aux règles rela-
tives à la distance des plantations; - Cass., 8 févr. 1926,
Pas., 1926, I, 233, Jalhay et erts c./ Mascaux et Chaudoir).
Il est impossible d'hypothéquer un immeuble du domaine
public, la vente forcée étant interdite (L., 16 déc. 1851,
art. 45).
5. Droits contractuels.
316. Le même critère s'applique encore aux actes qui
n'ont pas pour objet des droits réels.
Bail : Les biens du domaine public « résistent à toute
espèce de transaction civile telle qu'un bail » a dit la Cour
de cassation (5 mars 1896, Pas., 1896, I, 104). Ce principe
est trop général. Une route ne peut être louée, car ce serait
contradictoire avec l'usage du public. Mais en est-il de
même pour un hangar du port d' Anvers, comme c'était Ie
i, cas en l'espèce? N'est-ce pas en user conformément à Ia
· destination?
On objecte que les pouvoirs publics doiv~nt être libres de
modifier à tout moment les modalités de l'usage du
domaine public de manière à tenir compte exactement des
besoins changcants de Ia communauté. C'est exact. Mais
qui empêche d'admettre que Ie bail, en Droit administratif,

N 08 315 à 316
SECTION III. - SERVITUDES o'UTILITÉ PUBLIQUE 233

est soumis à certaines règles particulières, notamment à la


,,-; résiliation ad nutum (cfr. n° 328) '? Son caractère contrac-
tuel reste néanmoins important dans la mesure ou il jus-
tifie Ie paiement de dommages-intérêts en cas de rupture
du contrat avant Ie terine fixé.
Dira-t-on qu'un bail ainsi résiliable s'appelle en réalité
une concession, qu'il existe une catégorie juridique propre
au Droit a<lministratif et qu'il n'est pas nécessaire de cher-
cher à adapter celle du Droit civil? C'est une erreur. Car
Ie bail a <les règles particulières, par exemple l'article 1733
en cas d'incen<lie (dont l'application était précisément dis-
cutée dans l'arrêt).
N'est-il pas affirmé d'ailleurs par les article 2 et 3 de la
loi du 19 janvier 1883, que Ie droit de pêche peut être loué
en ce qui concerne les cours navigables et flottables?
La Cour de cassation a admis que les vieux cimetières
désaffectés rcstent dans Ie <lomaine public; ils peuvent être
affermés pour l'ensemencement et pour des plantations,
mais non pas aliénés « j usqu'à ce qu'il en soit décrété autre-
ment par l'autorité supérieure » (décret 23 prairial, an XII,
art. 9; - Cass., 27 avril 1911, Pas., 1911, I, 216). Un bien du
domaine public peut donc faire l'objet d'un contrat de bail
dans la mesure ou l'exécution de cette convention n'est pas
contraire à sa destination. Elle Ie serait en l'espèce s'il y
avait des fouilles ou des fondations troublant Ie repos des
morts.
Permissions et concessions domaniales : Pour ces droits
d'utilisation privative du domaine public, voyez les n 08 326
et suivants.

111
SECTION

SERVITUDES D'UTILITE PUBLIQUE


Ce sont des charges imposées à certains propriétaires dans
l'intérêt général. Par exemple : en faveur des communica-
tions, existent la zone <le recul Ie long des voies terrestres,
la servitude de halage et de marchepied sur les rives des
cours d'eau navigables, la servitude non aedificandi près
des aérodromes, l'ancrage des fils électriques des tramways
et des lignes de télécommunications et de distribution
d'énergie électrique; dans l'intérêt de la santé publique, on
cite les restrictions à proximité des cimetières ou près des
234 CHAPITRE VII. - LES BIENS

sources thermales. Des servitudes protègent Ie champ de


tir des forteresses, etc.
L'A<lministration qui gère une voie de communication
peut ne pas être Ie propriétaire de l'assiette. Dans ce cas,
la voirie peut s'analyser comme une servitude d'utilité
publique (Cass., 1 avr. 1895, Pas., 1895, I, 156, Pourveur c./
la S. A. du Téléphone Bell; - Cass., 8 févr. 1904, Pas., 1904,
I, 127, Lange Fabry c./ ministère public et Derine, partie
civile; - Cass., 8 févr. 1926, Pas., 1926, I, 244, Jalhay et
erts c./ Mascaux.
A. NonoN
317. L'expression « servitude » est traditionnelle mais
regrettable car elle crée une confusion avec les droits réels
du même nom organisés par Ie Code civil.
Pas de démembrement de la propriété : Les servitudes
d'utilité publique ne sont pas des droits réels. Sans doute
y a-t-il un fonds servant; ainsi les servitudes se distinguent-
elles de certaines prestations personnelles imposées aux
riverains - par exemple Ie curage des cours d'eau non
navigables (L., 15 mars 1950) ou la réparation des chemins
vicinaux (L., 10 avr. 1841, art. 14).
Mais souvent il n'y a pas de fonds dominant. Tel est Ie
cas d'un chemin public <lont l'assiette reste propriété privée.
Il en est de mêmc pour les obligations imposées aux pro-
priétaires fonciers en faveur de la distribution électrique
(droits de passage, d'ancrage, d'ébranchage, de canalisa-
tion et supports).
Parfois il n'y a qu'apparemment un fonds dominant. Le
bénéficiaire de la servitude de marchepied et de hi:ilage
n'est pas la voie d'ean, mais Ie transporteur par eau. Les
charges grevant les terrains riverains d'une voie ferrée ne
sont pas établies pour l'usage et l'utilité d'un héritage
(C. civ., art. 637 et 686), mais en faveur d'une exploitation
déterminée de eet héritage, en d'autres termes, au bénéfice
d'un service. L'interdiction de construire ou de creuser des
puits à proximité des cimetières n'est pas édictée en faveur
de ceux-ci, mais à l'avaritage de l'hygiène publique et tout
particulièrement des prétendus fonds serv:mts.
Autre difficulté : les servitudes d'utilité publique ne sont
pas perpétuelles. Elles cessent dès que Ie domaine public
est déclassé - voire dès que Ie service public qui l'utilisait
est définitivement abandonné.

N 08 316 à 317
SECTION III. - SERVITUDES D'UTILITÉ PUBLIQUE 235

Notons enfin que ces prétendues servitudes peuvent gre-


ver des objets mobiliers (De Page, Droit civil, t. V. n° 787
in fine), ce qui est encore incompatible avec la notion de
Droit civil.
Incorporation particlle de la propriété privée dans Ie
domaine public : Le fonds servant est partiellement affecté,
non pas au service d'un fonds dominant, mais soit à l'usage
du public (servitude de halage et de marchepied; monu-
ments et sites classés, zones de recul, etc.) soit à un service
public (servitude militaire ou facilitant les communica-
tions et télécommunications, etc.). Par extension, des ser-
vitudes sont établies en faveur de certaines entreprises
privées que leur importance fait traiter sur certains points
comme des services publics (mines, conservation des eaux
et forêts, travaux publics).
Cette analyse justifie une conclusion : Les servitudes
d'utilité publique constituent un élément de domaine pu-
blic. Négativement, elles ne sont pas plus un démembre-
ment de la propriété que Ie domaine public n'est un régime
de propriété. Positivement, elles sont Ie statut administratif
de l'affectation partielle d'un bien à l'utilité publique .
.--- -- Les principes de la domanialité publique sont les mêmes
si la personne publique est simultanément « intendant» du
domaine et propriétaire du bien affecté et si elle n'est que
!'intendant de l'affectation partielle d'une chose qui reste
la propriété d'une autre personne. Mais dans Ie second cas
des relations juridiques supplémentaires naissent entre
deux personnes différentes. C'est ce qui justifie une étude
particulière des servitudes d'utilité publique.
Le propriétaire du fonds grevé est généralement un par-
ticulier. Ce peut être aussi une personne publique, autre
que celle réalisant l'affectation. Par exemple, la Régie des
Télégraphes et Téléphones établit les supports de ses lignes
sur les fonds particuliers comme sur ceux appartenant à
l'Etat, la province ou la commune (L., 13 nov. 1930).

B. AFFECTATION

318. Les servitudes ne peuvent être créées que par la loi


ou en vertu de la loi (Const., art. 11; C. civ., art. 544). Par-
fois, une décision administrative devra intervenir pour
affecter concrètement tel ou tel bien. L'autorité compé-
tente sera d'ordinaire celle qui est responsable de l'usage
236 CHAPITRE VII. - LES BIENS

public ou du service public. (Voyez cependant pour les


tramways et canalisation, Ie n° 332).

C. RÉGIME

319. Comme les autres éléments du domaine public les


servitudes sont « indisponibles »; plus exactement, l'affec-
tation doit être respectée et prime tous les autres droits.
La publicité de ces charges est très insuffisamment régle-
mentée. Elle est prévue pour les immeubles classés. Les
charges résultant de l'urbanisation sont occultes en ce sens
qu'elles ne sont pas trancrites. C'est fort dangereux pour
les tiers qui peuvent être trompés sur la valeur du bien au
moment de l'acquérir ou de constituer sur lui une garantie
réelle.

D. DROITS SUBJECTIFS

1. Droit civil de propriété


ou droit administratif à la légalité.
320. Une distinction importante doit être faite.
Si la propriété est contestée ou lésée par une action ou
décision administrative, la victime défend un droit civil.
Il en est ainsi par exemple en cas de dommage fautif aux
biens privés (Cass., 5 nov. 1920, Pas., 1921, I, 114, Ville de
Bruges c./ Société La Flandria). Même situation en cas
d'expropriation publique. L'Administration peut imposer
la cession du droit de propriété, mais Ie prix doit être fixé,
soit à l'amiable, soit par la voie judiciaire. Même solution
encore si I' Administration affirme que Ie bien est grevé
d'une servitude d'utilité publique dont Ie propriétaire con-
teste l'existence. Chaque fois, Ie particulier invoque, dans
sa plénitu<le, son <lroit civil de propriété, qu'il a antérieu-
rement acquis et qui est opposable à tous, notamment à
I' Administration ( 459).
Le problème est différent lorsque l'Administration, sans
contester, léser ou prétcndre acquérir, malgré la résistance
du titulaire, Ie <lroit civil de propriété, veut établir sur Ie
bien une servitude d'utilité publique_ Ce_qui e__sl en discus-
sion, c'est la réalité et les limites de cc pouvoir adminis-
iratif. Dans la mesure ou il peut s'y opposer, le proprié-
ta:ire n'invoque pas son droit civil - incontesté - mais
des droits subjectifs administratifs. L'acte administratif

N"" 318 à 320


SECTION 111. - SERVITUDES D'UTILITÉ PUBLIQUE 237

établissant. la servitude en vertu de la loi peut être attaqué


en Conseil d'Etat pour excès ou détournement de pouvoir.
2. Indemnité.
321. Faute de pouvoir s'opposer à l'établissement régu-
lier d'une servitude d'ntilité publique, Ie propriétaire a-t-il
un droit à indemnité fondé sur l'article 11 de la Constitu-
tion? Ce tex te, tel qu'il est traditionnellement interprété, ne
vise que Ie cas ou Ie particulier est privé soit de sa propriété
soit, par extension, de son utilité totale. Or, par définition,
la servitude permet à l'intéressé de continuer à jouir de
son bien en respectant son affectation publique, c'est-à-dire
en se soumettant à des règlements administratifs <lont la
possibilité est expressément prévue par l'article 544 du
Code civil.
Sans y être constitutionnellement obligé, Ie législateur
peut accorder une indemnité, tantöt en laissant à l'Admi-
nistration un pouvoir d'appréciation et tantót en lui impo-
sant <les règles précises. Selon Ie cas, Ie propriétaire du
bien n'a qu'un intérêt ou un droit subjectif (voy. par ex. :
Cass., 1 er oct. 1934, Pas., 1934, I, 398, procureur du Roi à
Anvers c./Calus et Verhaegen).
Quelle est la nature de ce droit? Celui qui réclame une
indemnité n'invoque pas l'article 1382 du Code civil, mais
la loi qui a prévu la réparation et créé Ie droit. Celui-ci est
administratif. Par exemple, en matière de servitude mili-
taire, Ie législateur a prévu un crédit global et forfaitaire
pour indcmniscr les propriétaires lésés par l'établissement
des fortifications anversoises; ceci n'a rien à voir avec
l'article 1382.
Quclle est la j uridiction compétente? Le législateur a
parfois expressément affirmé dans certains cas la compé-
tence des tribunaux judiciaires (L., 25 juill. 1891, art. 8; -
L., 7 août 1931, art. 7). Pour des servitudes militaires il a
créé des commissions spéciales chargées de répartir une
indemnité globale.
Puisque l'article 11 de la Constitution n'est pas appli-
cable, Ie paiement de l'indemnité n'est pas nécessairement
préalable. La loi du 23 juin 1930, art. 8 sur les servitudes
aéronautiques et celle du 10 mars 1925, art. 17 pour la pose
des supports de ligues aériennes prévoient des redevances
annuelles.
En matière de zone de recul, pour incorporation ulté-

N 08 320 à 321
238 CHAPITRE VII. - LES BIENS

rieure à la voie publique et en matière d'urbanisation, la


procédure établit une servitude non aedificandi sans indem-
nité. Celle-ci n'est due qu'au moment, peut-être tardif,
peut-être jamais arrivé, ou l'Administration décide de pro-
fiter de cette indisponibilité prolongée pour élargir la voie
publique ou pour incorporer d'une autre façon Ie bien
privé au domaine public (A.-L., 2 déc. 1946 sur l'urbani-
sation, art. 18; - L., 1er févr. 1844, art. 4 et 14, plusieurs
fois modifiée, sur les zones de recul). A ce moment il y a
expropriation et l'indemnité doit être juste et préalable.
La loi du 7 août 1931 sur Ie classement des monuments
et sites offre une option au propriétaire : accepter l'indem-
nité offerte ou, si Ie bien perd plus de la moitié de sa
valeur, imposer la cession à l'Etat contre indemnité totale;
il ne s'agit pas d'expropriation forcée puisque l'initiative
appartient au propriétaire.
Un avis d'indemnisation peut être demandé au Conseil
d'Etat en cas de dommage exceptionnel (n° 487) ; - C. E.,
22 janv. 1952, R. J. D. A., 1957, 251, Fauconnier) sauf si la
loi créant la servitude a exclu l'indemnité, ce qui peut
créer un problème d'interprétation (C. E., 21 févr. 1950,
R. J. D. A., 1950, 107, Lamont; - Dembour, Les servitudes
légales).

IV
SECTION

USAGER DU DOMAINE PUBLIC


Dans la section précédente, on a considéré èomme « dé-
pendances » du domaine public, les servitudes grevant les
biens qui sont la propriété d'un particulier ou d'une autre
personne publique. La situation est ici inverse. Ce sont les
particuliers qui exercent un droit sur Ie domaine public.
Il faut distinguer deux cas.
Ou bien les biens font partie du domaine public parce
qu'ils sont nécessaires à un service public. Les particuliers
en usent médiatement quand ils deviennent usagers de ce
service. Leur statut juridique sera examiné plus tard
(rr 337).
0

Ou bien les choses du domaine public sont mises direc-


tement à la <lisposition du public. Quels sont exactement
les droits de celui-ci? Tel est Ie problème étudié dans cette
section.
SECTION IV. - USAGER DU DOMAINE PUBLIC 239

Cet usage du bien peut être collectif en ce sens que tous


les particuliers en uscnt directement et simultanément
selon sa destination. Il peut aussi être privatif si les auto-
rités publiques ont accordé à un individu une jouïssance
exclusive.
A. ÜSAGE COLLECTIF
1. En général.
a. - Existence d'un droit.
322. Les biens du domaine public affectés à l'usage pu-
blic sont à la disposition de tous. Chacun peut aller et
venir, stationner temporairement sur les routes, se baigner
sur les plages de la mer, entrer dans les musées et les
églises.
L' Administration qui est l' «intendant» du domaine doit
prendre des mesures de protection et d'entretien évitant
que l'usage normal provoque des dommages. Le bien doit
être conforme à sa destination telle que l'affectation la
prévoit (Cass., 5 nov. 1920, Pas., 1920, I, 239, Ville de
Brugcs c./ la Société La Flandria; - Cass., 19 avr. 1934,
R. A., 1934, 530; - Cass., 6 nov. 1952, Pas., 1953, I, 140,
Etat beige c./Sternon). L'usager ne peut se plaindre si Ie
vice est apparent ou Ie <langer prévisible (Cass., 14 juin
1956, R. A., 1957, 120; -- Cass., 6 nov. 1952, précité).
b. - Nature du droit.
323. Sur les biens affectés directement à l'usage du pu-
blic, Ie particulier ne profite pas d'une tolérance. Il a Ie
droit d'en jouir conformément au règlement. Il peut de-
rnander l'annulation d'unc décision qui l'exclut de cette
jouïssance, par voie générale ou par mesure individuelle.
Tel est Ie cas de l'usager qui s'oppose à la désaff ec-
tation irrégulière d'un chemin, même s'il n'en est pas
riverain (C. E., 10 juin 1955, A. A.C. E., 1955, 527, Wer-
nert). De même, il peut attaquer une mesure administra-
tive qui, sans titre, lui interdit individuellement l'accès à
certaines portions du do1naine ouvert au public.
L'usager est dans une situation légale, résultant de l'ap-
plication de la règle j uridique de l'affectation. Son droit
est de nature réglementaire (n° 337). Il n'est pas civil mais
administratif. Par contre Ie droit à la réparation d'un dom-
muge causé par Ie mauvais entretien du domaine est civil
(Cass., 20 oct. 1927, Pas., 1927, I, 310, Etat beige (travaux

N 08
321 à 323
240 CHAPITRE VII. - LES BIENS

publics) c./ S. A. de Remorquage à Hélice; - Cass., 20 déc.


1951, J. T., 1952, 133, Ville de Grammont c./ Maes, Du
Bucq et Bury).
Faisons toutefois trois remarques :
D'abord l'utilisation de la chose doit être conforme à sa
destination. On ne peut entrer dans une église pour y
danser, enlever le sable de la plage.
Ensuite, aucune autorisation ne doit être demandée en
principe, mais les autorités peuvent imposer une taxe, par
exemple : le droit d'entrée dans un musée, le droit de sta-
tionnement sur la voie publique, surtout si le parking est
aménagé: Cass., 19 nov. 1954, R. A., 1955, 207, Langmans
c./ Ville de Courtrai).
Enfin l'utilisation est soumise à l'observation des règle-
ments de police organisant l'égal usage de tous (police de
la circulation, règlement fixant les heures d'ouverture et
fermeture des musées, etc.) (Cass., 14 janv. 1952, R. A.,
1953, 43). .
2. Riverains des voies de cornrnunication.
a. - Existencè d'un droit.
324. Ces riverains ont des droits spéciaux <lits : aisance
de voirie, pour l'écoulement des eaux, les « accès et vues»,
le raccordement aux égouts et canalisations. De même les
rivcrains des cours d'eau ont certains droits : puisage,
abreuvage, irrigation (C. civ., art. 644). Les aisances
s'étendent aux voies créées par les particuliers qui gardent
la propriété de l'assiette (Cass., 3 févr. 1904, Pas., 1904, I,
127, Lange Fabry c./ ministère public et Derine, partie
civile; - Cass., 8 févr. 1926, Pas., 1926, I, 224, Jalhay et
erts c./ Mascaux et Chaudoir). Cette solution jurispru-
dentielle est discutable (Bure, « Voirie et Constructions »,
Novelles : lois politiques et administratives, t. IV).
Ces aisances sont-elles l'objet d'un droit? Assurément,
car leur violation donne lieu à indemnité (Cass., 1 er déc.
1859, Pas., 1860, I, 67; - Cass., 9 janv. 1845, Pas., 1845, I,
197). Il ne suffit d' ailleurs pas d'une incommodité; la j uris-
prudcnce exige un trouble grave (comp. 2 arrêts Brux.,
15 févr. 19e6, R. A., 1936, 336 et 10 oct. 1-935, R. A., 1936,
237; - adde: Cass., 7 avr. 1949, R. A., 1950, 5).
Ces droits sont assortis d'obligations : servitudes de non
batir (L., 28 mai 1914, art 3), zone de recul, pour les rive-
rains de routes et rues; servitude de roulage et de marche-

N 06 323 à 324
SECTION IV. - USAGER DU DOMAINE PUBLIC 241

pied, pour les riverains de cours d'eau, etc.; obligation


d'admettre les fouilles des entrepreneurs de travaux pu-
blics, etc.
De ces servitudes doit être distinguée l'obligation de ré-
clamer certaines autorisations exigées par les règlements
de police (demande d'alignement, autorisation de bàtir
(n° 411), et certaines prestations personnelles (n° 317).

b. - Nature du droit.
325. S'agit il d'un droit réel? Il semble que non, puisque
ces aisances grèvent même les voies de communication
<lont l'assiette est propriété privée (Cass., 18 mars 1870,
Pas., 1870, I, 154; - Cass., 28 févr. 1926, R. A., 1927, 33).
Loin d'être perpétuelles, elles disparaissent sans donner
lieu à indemnité, avec Ie déclassement de la route (Cass.,
12 juin 1869, Pas., 1869, I, 244; - cf. Liège, 9 mars 1870,
Pas., 1870, Il, 208 ou la solution contraire semble s'expli-
quer par l'interprétation d'une convention).
Les aisances sont-elles un accessoire de la propriété
riveraine qui serait inutilisable sans accès, sans jour, sans
raccordement aux canalisations? (Conclusions Leclercq,
Brux., 14 juill. 1904, Pas., 1904, Il, 241, S. N. C. F. V. c./
Dupont et Leroy; - Cass., Chambres réunies, 4 juin 1959,
J. T., 1959, 649, Ville d'Anvers c./ Van Loo).
A notre sens, une meilleure analyse est faite par l'arrêt
de la Cour de cassation du 12 juin 1869 : « Les servitudes
imposées à un héritage modifient les attributs de la pro-
priété à l'égard du fonds servant tandis que Je riverain,
en ouvrant des fenêtres sur une rue ou une place publique,
exécute un ouvrage qui répond à la destination de la rue
ou de la place ». Cette destination est en ordre principal
la circulation du public mais Ia voie a des usages secon-
daires, comme de recevoir des canalisations ou de faciliter
les aisances des riverains (sic Cass., 18 mars 1870, Pas.,
1870, I, 154).
Quoique non réel - puisqu'il grève non pas Ia propriété
du terrain mais son affectation à l'usage de route - ce
droit est opposable à tous. Comme il complète Ie droit de
propriété proprement dit des riverains, les tribunaux n'ont
j amais hésité à admettre leur compétence (n° 474).
Dans une analyse précise, il faudrait faire des distinc-
tions. Le riverain est dans une situation réglementaire. Il

N 05 324 à 325
242 CHAPITRE VII. - LES BIENS

invoque l'affectation du bien; son droit est administratif et


devrait être protégé par un recours <levant Ie Conseil
d'Etat (par exemple pour annuler un règlement commu-
nal illégal : C. E., 21 nov. 1957, A. A. C. E., 1957, 628, Ets
Calmein).
S'il ne se contente pas de réclamer l'aisance mais exige
la réparation du préjudice, Ie droit aux dommages- intérêts
se fonde selon la jurisprudence, sur une violation du droit
de propriété et sur l'application de l'article 1382 du Code
civil. Il est donc civil (C. E., 26 janv. 1952, R. J. D. A., 1952,
197, Mareschal; - C. E., 22 févr. 1952, R. J. D. A., 1952, 212,
Moulin; - C. E., 11 janv. 1957, R. J. D. A., 1957, 245,
Marchant). Voyez les observations faites au 11° 320.
Enfin Ie riverain a la possibilité de demander un avis
d'indemnité pour dommage cxceptionnel au Conseil d'Etat
(C E., 10 févr. 1956, R. A., 1956, 213; - C. E., 11 juill. 1957,
R. J. D. A., 1958, 42, Van Loo).
B. UsAGE PRIVATIF

Commençons par souligner que la terminologie est in-


décise. Nous allons donner aux termes juridiques de « con-
cession, autorisation, permission de voirie », des significa-
tions qui ne sont pas unanimement acceptées.
1. N otion générale.
326. Les personnes publiques peuvent, autoriser les par-
ticuliers à utiliser Ie domaine public d'une manière priva-
tive, mais néanmoins compatible avec son affectation.
Utilisation privative : Elle exclut celle des autres parti-
culiers : une terrasse de café sur un trottoir empêche la
circulation générale. On fera par exemple, une distinction
entre Ie stationnement momentané d'une automobile
(usage collectif) et Ie stationnement permanent de taxis ou
l'arrêt continue! d'un autobus (usage privatif).
Compatible avec l' aff cctation : Le domaine public est à
la disposition du public. Une utilisation privative secon-
daire ne doit pas gravement gêner l'usage collectif prin-
cipal : les canalisations souterraines, les colonnes d'affi-
chage, les stationnements de taxis n'entrayent pas la cir-
culation.
Autorisée par les autorités : Ce sant évidemment elles
qui ont juges de la compatibilité; appréciant seules les
besoins du public et la nécessité d'un domaine public, elles

N° 325 à 326
5
SECTION IV, - USAGER DU DOMAINE PUBLIC 243

octroient et retirent souverainement la concession ou la


permission sans que l'opportunité de leur décision puisse
être contrölée par les tribunaux (pour la permission, voyez
Cass., 4 juill. 1889, Pas., 1889, I, 209; pour la concession,
Cass., 10 mai 1929, R. A., 1930, 33).
Pour mieux comprendre la nature exacte du droit de
l'usager nous proposons de faire une double distinction
parmi tous les cas d'usage privatif du domaine public.
D'abord qucl est Ie caractère de l'acte par lequel l'autorité
administrative autorise eet usage : est-il contractuel ou uni-
latéral? Ensuite quelle est l'étendue de eet usage : impli-
que-t-il une emprise sur le sol ou non?
2. Permission unilatérale ou concession contractuelle.
327. La permission de voirie est une décision unilatérale
de l'Administration accordant un droit <l'occupation priva-
tive d'une portion du domaine public. Comme son nom l'in-
dique, elle concerne en pratique la voirie : stationnement
de taxis, colonnes publicitaires, kiosque à journaux.
La concession domaniale a le même objct, mais son ori-
gine est contractuelle. Elle est souvent un accessoire d'une
concession d'un service public : Ie conccssionnaire d'un
service de tramways a besoin d'une concession domaniale
pour poser la voie. Mais ce n'est pas toujours Ie cas (con-
cession de sépulture dans un cimetière).
Quelle est l'importance pratique de la distinction?
a. - Compétence.
328. L'autorité compétente est celle qui est l'intendant
du domaine. Etat, province, commune, etc. Toutefois, quand
la concession domaniale est !'accessoire d'une concession
de service public, Ie législateur a parfois voulu éviter un
conflit entre deux autorités différentes, c'est-à-dire entre
l'autorité intendant du domaine et l'autorité concédant le
service ( Cons., n° 332) .
b. - Nature de la redevance.
329. Si l'autorisation est une permission unilatérale, elle
constitue un impöt ou une taxe rémunératoire. Il faut res-
pecter les articles 110 et 111 de la Constitution (vote annuel
par les Chambres) , les articles 75 et 76, 5° de la loi com-
munale (approbation par les autorités supérieures); -
Cass., 27 oct. 1932, Pas., 1932, I, 283, Etat belge c./ Willem-
sen et ville d'Anvers).

N°8 326 à 329


244 CHAPITRE VII. - LES BIENS

Au contraire Ie paiement du concessionnaire a un carac-


tère contractuel. Les articles précités sont sans application
(L.C., art. 81).
c. - Nature des droits subjectifs.
330. Octroi et retrait : L' Administration est libre de re-
fuser ou d'admettre cette utilisation privative du domaine
public. Mais sa compétence peut être liée sur certains
points. Elle doit respecter par exemple l'affectation prin-
cipale du bien. Des terrasses de café ne peuvent gêner la
circulation ni causer un préjudice excessif aux aisances
des voisins (C. E., 11 juill. 1957, R. J. D. A., 1958, 42, Van
Loo). L'égalité de traitement doit être assurée à tous les
requérants. Le retrait doit être justifié par l'intérêt public.
En cas de permission unilatérale, Ie retrait se fait sans
indemnité (Cass., 22 juin 1883, Pas., 1883, I, 286, Etat beige
c./ Ie Comte Dumonceau de Berkendael) ; même si Ie
bénéficiaire payait une redevance ( Cass., 17 j uill. 1884,
Pas., 1884, I, 275, Ville de Bruxelles c./ Verspecht). Excep-
tion : L., 30 mars 1925 sur la distribution d'électricité.
Une concession domaniale est aussi révocable à tout
moment, même avant terme (Cass., 24 janv. 1907, Pas.,
1907, I, 95, Etat beige c./ Gijselinck, veuve Wauters; -
Cass., 10 mai 1929, R. A., 1930, 33). Mais Ie concessionnaire
lésé obtiendra des dommages-intérêts pour violation de ses
droits contractuels (Cass., 29 avr. 1920, Pas., 1920, I, 127,
Etat beige (département de l'Agriculture c./ Lecocq-Schau-
terden; - Cass., 13 déc. 1923, Pas., 1924, I, 82).
Droits du titulaire : Le titulaire d'une concession doma-
niale et même d'une permission unilatérale de voirie ne
bénéficie pas d'une tolérance mais a un droit subjectif.
Ce droit n'est pas réel puisqu'il dépend de l'affectation
constitutive du domaine public. Une preuve saisissante est
que Ie titulaire d'une concession de sépulture même à per-
pétuité peut voir son droit transféré dans un nouveau cime-
tière quand Ie premier est désaffecté (Cass., 27 févr. 1864,
Pas., 1864, I, 117, Ville de Stavelot c./ Fabrique de l'Eglise
primaire). Une autre preuve est que Ie concessionnaire ou
permissionnaire peut tenir son droit d'une personne publi-
que qui n'est pas propriétaire de l'assiette de la voie.
Cependant Ie titulaire d'une permission de voirie ou
d'une concession domaniale a un droit opposable à tous et
en tout premier lieu à l'Administration elle-même (Brux.,

N"" 329 à 330


SECTION IV. - USAGER DU DOMAINE PUBLIC 245

23 mars 1912, Pas., 1913, II, 161, Société Antwerp Engineer-


ing Company et Douairière Nottebohm c./ Etat beige et
Société des Entreprises de Travaux Publics et erts). Il peut
exercer les actions possessoires (Cass., 18 juill. 1878, Pas.,
1878, I, 361, Commune de Laeken c./ Ville de Bruxelles).
Comme il n'y a pas de droit réel, il défend en réalité
l'affectation du bien, pour compte du concédant.
Une conccssion d'origine contractuelle mais comprenant
des éléments d'autorité donne naissance à des droits sub-
j ectifs, soit contractuels, soit administratifs (n° 379). Ils
ne sont qu'administratifs en cas de permission unilatérale;
son titulaire peut attaquer Ie refus ou Ie retrait pour excès
de pouvoir devant Ie Conseil d'Etat (C. E., 28 avr. 1955,
A. A.C. E., 1955, 388, S. A. Martini et Rossi; - C. E., 18 oct.
1955, A. A. C. E., 1955, 823, S. A. Esso Standard Belgium).

3. Utilisation avec ou sans emprise du sol.


331. Comportcnt emprise : les canalisations, terrasses de
café, colonnes-réclames et autres édicules édifiés sur la voie
publiquc; sont sans cmprise les stationnements de taxis et
de marchands ambnlants, etc. (cfr. Etudes doctrinales,
R.A., 1926, 517 et 1927, 293).
a. - Compétence.
332. En principe Ie pouvoir public qui affecte Ie bien à
l'usage du public, par exemple qui classe une route et
l'ouvre à la circulation, est seul compétent d'abord pour
faire la police de cette utilisation collectivc, ensuite pour
apprécicr si elle est compatible avec les usages privés
secondaircs. Ce pouvoir public peut même s'opposer à
l'utilisation du bien par d'autres pouvoirs publics. Par
exemple, jusqu'à la loi du 17 janvier 1938, les communes
pouvaient s'opposer à la pose de canalisations par des con-
cessionnaires de l'Etat dans Ie sous-sol de la voirie urbaine.
Car elles ont sur cette voirie la plénitude de l'autorité (avis
comité de législation du 4 juin 1926, R. A., 1926, 517 et
1927, 293; - pour les tramways, consultez L., 9 juill. 1875
et 15 juill. 1897).
La qucstion se complique toutefois lorsque ce n'est pas
la même autorité qui affecte Ie chemin à l'usage du pubiic
et qui règle son utilisation. Le cas se présente pour la
grande voirie. Celle-ci est ouverte à la circulation par

NOS 330 à 332


246 CHAPITRE VII. - LES BIENS

l'Administration centrale. Mais dans la traverse des villes,


la police de la circulation (L., 16 et 24 avr. 1790, titre XI,
art. 3; - Décret 14 déc. 1789, art. 50, mais non celle du
roulage, L., 1 er aoftt 1899) est assurée par les autorités
communales. La loi du 9 août 1948 a limité Ie pouvoir de
police communale sur les autoroutes).
Qui va accorder la permission on la concession ?
Le droit de faire la police de la circulation et celui d'ap-
précier l'opportunité des utilisations privatives vont logi-
quement de pair. Le pouvoir communal sera donc toujours
compétent. Il sera même seul compétent quand l'autorisa-
tion ou concession n'intéresse que la circulation, en d'au-
tres termes, est sans emprise. Il appréciera si cette cir-
culation n'est pas gênée (C. E., 28 avr. 1955, R. J. D. A.,
1955, 223, S. A., beige Martini et Rossi (pour une enseigne
surplombant la voie).
Mais une emprise ne concerne pas seulement la circula-
tion, mais aussi les autres utilisations secondaires de la
route (canalisations, etc.). Il est dès lors naturel que la per-
mission de voirie ou concession avec emprise soient accor-
dées conjointement par l'autorité communale et par Ie pou-
voir centra! (Cass., 10 mai 1929, Pas., 1929, I, 183, Ville de
Thielt c./ Etat beige; - Cass., 18 févr. 1907, Pas., 1907, I,
126, Kriekeman; - C. E., 17 févr. 1955, R. J. D. A., 1955, 126,
Commune de Schaerbeek).
b. - Redevance.
333. Elles n'ont jamais Ie caractère d'un loyer (Cass.,
23 déc. 1886, Pas., 1887, I, 29, raccordement à l'égout).
Ceci nous ramène à la distinction faite plus haut. La
nature de la redevance ne dépcnd pas de l'existence 011 de
!'absence d'une emprise mais bien de !'origine contractuelle
ou unilatérale de l'autorisation.
Quand celle-ci est accordée conjointement par deux pou-
voirs (traverse de villes), la redevance se partage entre eux.
C. NATURE DES DROITS SUBJECTIFS
334. Pour les droits dérivant de la concession ou permis-
sion, voyez Ie n° 330.
Sur les édifices qu'il fait construire, le-eoneessionnaire
ou permissionnaire a incontestablement un droit réel <lont
la nature exacte est discutée (Falys, « Du droit de super-
ficie du concessionnaire et permissionnaire sur les instal-
lations élevées par eux », Annales droit et sc. pol., 1960, 59).

N 08 332 à 334
CHAPITRE VIII
LES CONTRATS
En France existe une théorie originale des contrats
administratifs « par nature». Cette théorie cherche surtout
à définir la compétence des juridictions administratives et
judiciaires en matière de conventions. C'est une difficulté
quine se présente pas dans les mêmes termes en Belgique.
Mais l'idée fondamentale qui a inspiré la doctrine des con-
trats administratifs est aussi juste en Belgique qu'en
France. C'est la notion de service public qui est partout
présente dans Ie Droit administratif. Ou bien elle justifie
Ie recours à des procédés juridiques originaux. Ou bien
on doit amender dans la mesure nécessaire Ie Droit privé.
Une première section cherchera à préciser la notion du
contrat en distinguant les situations contractuelles et les
situations réglementaires. Alors que dans la section II sera
étudié Ie régime juridique général des contrats adminis-
tratifs, la section 111 sera consacrée à l'étude particulière
de certains contrats.

SECTION I
NOTION DU CONTRAT

A. LE CONTRAT

335. Les publicistes ont précisé la notion juridique du


contrat en ajoutant deux conditions d'existence à celles qui
sont énumérées dans l'article 1108 du Code civil. Outre les
consentements, l'objet possible et la cause licite, il îaut :
·D'abord que les deux éönsentements· constituent une
polli~tion et une acceptation - ce qui exclut notamment
le!f << ac es d'union », les « Vereinbarungen » <lont les socié-
tés en Droit privé et les associations de droit public sont
des exemples.
Ensuite que ce.s ..engagementtL!!.i.~nL.d.es.obj!;:_t.S différents
- chacun promettant sa prestation - et soient réciproq~e-

N 08 334 à 335
248 CH,\PITRE VIII. - LES CONTRATS

ment la cause l'un <le l'autre - ce qui fait classer dans


d'autres catégories juri<liques <les concours de volontés
comme la décision de l'autorité subordonnée et l'appro-
bation d'une autorité de tutelle, et surtout les situations
réglementaires.
Voici une autre précision : la convention peut constituer
un ensemble juri<lique complexe; <le l'accord des volontés
. constitutif de contrat,l'on distingue certains actes adminis-
tratifs unilatéraux qui Ie précèdent ou lui succèdent. Ainsi
les contrats de travaux publics ou de fournitures doivent
· souvent être précédés de la procédure administrative de
l'adju<lication (n° 351). Le consentement donné par Ie
fonctionnaire responsable peut être soumis à l'approbation
de l'autorité de tutelle. Ainsi s'édific toute la théorie des
actes détachables.

B. CoNTRAT ou RÈGLEMENT

336. Le règlemcnt formule une règlc générale de con-


duite. Il -esfcreäföutJ;[è dro1ts et de devmrs sühjectifs.
Le règlement ne s'applique pastóïiTöïïis"'-ä:üfomatique-
ment. Certains actes-conditions doivent être réalisés. Par-
fois il faut une décision administrative. Par exemple, les
lois et arrêtés sur les monuments et sites ne protègent un
immeuble qu'après classement. Parfois, c'est la volonté
d'un particulier qui doit s'exprimer. Citons la situation du
citoyen qui réclame, en suivant la procédure légale, un
passeport auquel il a droit. Enfin on trouve des hypothè-
ses oû sont exigés cumulativement un acte exprimant la
volonté de l' Administration et un acte manifestant celle
du particulier. C'est dans ce dernier cas que !'analyse juri-
dique doit être précisée.
Il est aisé de confondre ce concours de volontés avec un
accord constitutif de convention. Il n'en est pas ainsi puis-
que ces deux consentements ont un objet identique, à savoir
l'application du statut ou règlement. On a souligné ailleurs
l'importance pratique d'une distinction entre la situation
contractuelle et la situation réglementaire (n° 216).
La théorie réglementaire €S-i -at1jourd'hui ·iiw'Zquée pour
déterminer la situation juridique des fonctionnaires. D'au-
tres cas aussi importants sont encore fort discutés; ils mé-
ritent un examen particulier. Quelle est notamment la
situation juridique de l'usager d'un service public, du sou-

N 05 335 à 336
SECTION I, - NOTION DU CONTRA'f 249

scripteur à un emprunt public ? Pour les marchés et tra-


vaux soumis à un cahier général des charges, voyez Ie
n° 3~
1. Usager du service public.
a. - L'usager est souvent dans une situation réglementaire.
337. Certaini5..J!.tit~urs. prét~ndent que l'usager se trouve
toujours-·dáns une s.Ht1~tio.n réglementaire. Les droits ët
devoirs d"ës ..parties sont les conséquences~- non pas d'un
accord de volontés, mais de la loi du service public (n° 21).
Souvent on ne peut discerner un consentement ni dans Ie
chef de l'usager ni dans celui de l'autorité chargée de gérer
Ie service public. C'est évident pour Ie milicien ou Ie con-
tribuable. Il est vr•äi que· Gans ce cas -on parlera moins
-d'u:sager que d'assujetti (encore que l'indivraîTpuTsséävotr
un-intêtêt legfümé à ·revendiquer l'honneur de porter !'uni-
forme militaire et en tout cas ait Ie droit de ne pas suppor-
ter une charge plus lourde que celle fixée par la loi :
exemptions militaires et fiscales en faveur des familles
nombreuses, etc.). Citons aussi Ie cas des assurances socia-
les. Par exemple, dans la pension de vieillesse des ouvriers,
il n'y a rien de contractuel si ce n'est Ie nom fallacieux de
contrat d'assurance. L'affiliation est obligatoire, l'assujetti
et l'employeur n'ont que des obligations, la Caisse Générale
d'Epargne et de Retraite ne peut refuser aucun ouvrier,
mais doit ouvrir un compte pour chacun d'eux. Primes,
pensions, mode de pcrception et de capitalisation, tout est
réglé par la loi.
Si même on peut discerner des consentements, ceux-ci
ne sont pas constitutifs d'une convention. Ils ne sont que
des actes-conditions qui déclenchent l'application du statut.
Le législateur qui ne veut que des usagers consentants,
énumère cette conditions d'assentiment parmi les autres
(n° 216).
Nous avons dit que lorsque l'usager se trouve dans une
situation réglementaire, Ie règlement d'ou il tire son droit,
peut être modifié par l' Administration. La j urisprudence
en a tiré une autre conséquence : les tribunaux judiciaires
sont incompétents pour modifier la redevance exigée par
un établissement public pour Ie motif que cette redevance
serait jugée excessive par rapport au service rendu. Plutöt
que d'invoquer Ie principe de la séparation des pouvoirs,

N 08 336 à 337
250 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

il vaut mieux <lire que Ie droit est de nature non pas civile
iiîaisaamm1strahve {Trib. ëivff de Charleroi, 23 mai 1950,
R J. D. Á., 1951, 72, Office de Récupération économique).

b. - L'llsager est-il toujours


dans une situation réglementaire?
338. Cette analyse est rigoureusement exacte. Mais est-
elle d'une application universelle? La controverse s'engage
à propos des services dits « industdëfs ;(P. T.T., chemins
de-fer, distribution d'eau, de gaz, d'électricité, services
publics de crédit, etc.).
M. Jèze (Principes généraux du Droit administratif, 3•
éd.;t. UI, p. 16) défen<l brillamment la thèse que, même
dans ces cas, la situätion est réglementafreëfëétté-alîfrina-
tiun est défendue e11· Belgique; sans beaucou1C[eill_~tifi-
. ·cation, par Valcrius (Cóizcessions et régies communales,
p. 162). On 1ait valoir qu'ici encore tout est fixé par la loi
ou Ie règlement (tarifs, délai, responsabilité, etc.). Rien
n'cst laissé au marchandage, à la libre volonté des parties.
S'agit-il d'un ç_2ntrat d'adhésion? Cette analyse n'est pas
satisfaisante car en droit, les deux volorités-söiifegalemiiiit
réduites: L'autorîté pubTiq11e·-ri"è peutoTirir·aes « fra1tés
pärticuliers » pas plus que l'usager ne peut réclamer une
faveur. Tous deux sont également assujettis au règlement.
Certes l'expé<liteur peut choisir entre la grande et la petite
vitesse. Mais ce sont là des alternatiyes Jrnisop_tyff~rtes
par Ie règlement lui-même. k----···-···
. En cours -d'èxécution,_ l'autorité publique peut à tout
moriïentiriödifier le.règlemen1, Ià loi dü. ïie-rvièe, pour
mieux !'adapter aux besoins changeants de la communauté.
Les usagers ne peuvent invoquer Ie droit acquis fondé sur
un contrat pour réclamer des dommages et intérêts. Cette
solution est certaine, même pour les services industriels.
Pour éviter aux concessionnaires des difficultés qui com-
promettraient la bonne marche du service, la loi du 11 oc-
tobre 1919, modifiée par celle du 23 juillet 1924, a autorisé
des majorations de tarif en dérogation aux cahiers des
charges. Cette augmentation a pu être imposée, selon la
jurisprudence, aux abonnements en cours.
h La thèse réglementaire est particulièrement attrayante
, parce qu'elle pent rendre compte de tous les rapports qui
\existent entre un service public et ses usagers ou assujettis.

N 08 337 à 338
SECTION I. - NOTION DU CONTRAT 251

D'abord elle prétend s'appliquer à tous les services pu-


blics (services administratifs, sociaux, industriels, etc).
Ensuite, pour tous ces services, elle justifie la situation,
non seulement de l'usager, mais aussi du particulier qui
veut mais ne peut entrer en contact avec eux : on lui refuse
Ie raccordement au -réseau téléphonique ou électrique; on
n'accepte pas l'expédition d'un colis par voie ferrée.
La « loi du service » qui en organise Ie fonctionnement
est un vrai règlement qui s'impose aux fonctionnaires com-
me aux usagers, s'applique automatiquement et précise
<l'une man'ière uniforme leurs droits et devoirs respectifs,
dès que les conditions prévues (parmi lesquelles peut figu-
rer un acte libre de volonté) sont réalisées.
c. - On doit admettre parfois
l' existence d'un contrat.
339. Qu'a voulu_le J.é_gi.~lat~_ur beige? Souvent les rela-
tions j ufidiaues on_t_fté COilÇUëS-cÖmme -convenÜonneJl~s.
Le ~äs 1é plus patent est assurénieiifcelûf du transport par
chemin de f er. -Des- 1852, la Cour de cassation, toutes cham-
bres réuiîie's, a déclaré « dans Ie cas ou Ie voyageur accepte
Ie service offert au nom de l'Etat, il se forme, par Ie con-
cours de consentements des deux parties, un contrat qui
réunit tous les éléments d'un véritable contrat de Droit
privé». La loi du 25 août 1891 vise in terminis, dans toutes
ses dispositions, un « contrat de transport» même lorsqu'il
s'agit d'un voiturier privilégié.
Quand l'usager sera-t-il dans une situation réglementaire
et quand y aura-t-il contrat? En Belgique l'état actuel de la
doctrine et de la jurisprudence ne permet pas de dégager
un critère. Mais on peut donner certaines indications.
Il y a contrat lorsque Ie législateur a manifesté sa
volöfiîe-óaïi~_ce-_§ell§.-Le~_engagements de la Régie des Télé-
graplies et Téléphones sont répûtés commerciaux.
- On pourra présumCr une intention pareille du législa-
teur, à défaut de manifestation expresse de volonté, lorsque
pour l'organisation du service public, il recourt à des pro-
cédés du Droit privé. Il en sera ainsi en cas de concession
du service public. Cette technique n'est-elle pas précisé-
ment utilisée pour profiler des avantages de la gestion
privée (n° 78). Même solution pour les associations de droit
public qui ont pris la forme d'une société commerciale
(11° 153).

N 08 338 à 339
252 CHAPITRE VUi. - LES CONTRATS

Faut-il étendre la présomption à tous les services dont


l'exploitation a un caractère commercial, industrie! ou
financier? La solution est discutable. Elle amènera des
distinctions périlleuses que la jurisprudence devra consa-
crer, par exemple, parmi les offices parastataux de cré<lit,
entre les Instituts de Crédit agricole, de Crédit hypothé-
caire, de Crédit professionnel, de Réescompte et de Garan-
tie - qui concluent des contrats - et l'Office des Comptes
Chèques postaux, les Caisses publiques de prêts (monts-de-
piété) et la Caisse Générale d'Epargne et de Retraite qui
sont plus administratifs et semblent plus directement liés
par un règlement rigide.

d. - Une évolution du Droit est souhaitable


en faveur d'une application généralisée de la thèse
réglementaire.
340. La situation actuelle n'est pas satisfaisante.
D'abord il est difficile de distinguer les situations con-
tractuelles des situations réglementaires.
Ensuite Ie régime contractuel n'est pas bien adapté au
service public. Il paralyse son bon fonctionnement.
Notamment dans la thèse contractuelle, la personne pu-
blique est liée par son engagement; il est difficile de justi-
Jier l'application des tarifs majorés aux abonnés.
· En fait cette solution s'impose à la suite d'une dévalua-
tion, car l'aug:rnentation se justifie par un accroissement
anormal du prix de revient. L'équilibre financier doit être
rétabli, sous peine de compromettre Ie fonctionnement ré-
gulier d'un service essentie! pour la communauté (Théorie
de l'équation financière, n° 365). Il est normal que ces frais
généraux soient finalement supportés par les usagers béné-
ficiaires sous forme d'augmentation des tarifs plutöt que
par les contribuables sous forme d'impöts supplémentaires.
r Mais comment justifiera-t-on la solution en droit? La
jurisprudence s'en tire de la manière suivante. Elle con-
sidère Ie contrat d'abonnement comme « n'étant pas un
simple contrat de droit privé mais un contrat spécial dé-
pendant du cahier des charges dont il connaît les vicissi-
tudes » (Liège, 9 juin 1925, R. A., 1926, 177; - adde, Trib.
Charleroi, 26 juin 1926, R. A., 1927, 241). « Le contrat passé
avec les abonnés ne peut exister valablement qu'en vertu
de l'acte de concession et dans les limites de celui-ci »; adde

N 08 339 à 340
SECTION I, - NOTION DU CONTRAT 253

Tournai, 29 avril 1925, R. A., 1926, 175, qui invoque plutöt


Ie fait que la ville avait èontracté avec Ie concessionnaire
« au nom de la collectivité ».
On prétend que concessionnaire et usager savaient qu'il
s'agissa1t d'un service public soumis à un cahier des char-
ges et susceptible de réorganisation. Au moins implicite-
ment pour la fixation du prix, ils se référaient au cahier
des charges en vigueur au moment de la conclusion du
contrat, ainsi qu'à ses amendements ultérieurs.
Cette explication embarrassée n'est admissible que dans
l'hypothèse d'une concession. Mais elle ne serait plus rece-
vable dans tous les cas oü la modification des tarifs serait
Ie fait de !'exploitant lui-même (Régie de Télégraphes et
Téléphones, Régies communales, etc.). Le contrat serait nul
pour indétermination de l'objet. La fixation du prix dépen-
drait de la volonté d'une partie. La condition est potestative.
En raison de ces difficultés il paraît souhaitable que sous
la pression de l'interprétation doctrinale, on arrive à re-
connaître que l'usager d'un service public est touj ours dans
une situation réglementaire. Le Conseil d'Etat l'a reconnu
pour un abonné au Service d'électricité en soulignant pré-
cisément que la ville pouvait modifier unilatéralement les
conditions réglementaires de fournitures (C. E., 31 mars
1950, R. J. D. A., 1950, 144, Buttgen).

2. Souscripteur de fonds d'Etat.


341. S'agit-il d'une convention, d'un contrat d'adhésion?
La raison de <louter résulte de la possibilité de l'emprunt
forcé auquel l'Etat beige a dû recourir deux fois dans des
circonstances difficiles (L., 21 oct. et 16 déc. 1831; - L.,
26 févr. et 5 mai 1848). Si l'on passe de la conclusion du
contrat à son exécution, on rencontre la conversion forcée,
<lont la moralité est contestable mais <lont la validité juri-
dique est certaine (Pandectes belges, v Emprunts, n° 75).
0

La prorogation de !'échéance des certificats de trésorerie


en octobre 1944, leur échange contre des actions privilégiées
de la Société Nationale des Chemins de Fer Belges en 1926,
voilà d'autres décisions unilatérales <lont la validité juri-
dique s'explique mal dans Ie système du contrat.
Ainsi est-on poussé à se demander si la volonté des par-
ties est nécessaire puisqu'elle est parfois absente et si,
quand elle existe, elle ne joue pas un autre róle que dans

N 08 340 à 341
254 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

les conventions. En d'autres termes la situation serait non


pas contractuelle mais réglementaire. L'arrêté qui fixe les
modalités de l'emprunt constituerait non pas l'offre d'un
contrat d'adhésion, mais la loi du service, la règle objec-
tive à laquelle l' Administration et Ie public sont soumis.
L'épargnant doit admettre ces dispositions sans pouvoir
obtenir des conditions particulières et l'Etat ne peut faire
des discriminations entre les souscripteurs. L'Etat peut
ultérieurement changer Ie règlement et notamment modi-
fier Ie taux de l'intérêt. Il ébranle sou crédit mais ceci est
une difficulté économique et non un obstacle j uridique.

SECTION Il
REGIME DES CONTRATS EN GENERAL

Les contrats <lits administratifs ne sont pas régis par un


Droit tout à fait original. Les dispositions dérogatoires du
Droit civil restent exceptionnelles et doivent être j ustifiées
soit par une disposition expresse de la loi, soit par les
principes généraux qui gouvernent Ie Droit administratif.

A. CoNcLus10N DES coNTRATs

Les conditions d'existence de toute convention : capacité,


consentement, objet et cause, forme et procédure, ont en
Droit administratif des aspects originaux.

1. Capacité.

a. - Capacité de jouissance.
342. Certaines dispositions limitent la capacité contrac-
tuelle des personnes publiques. Par exemple, celles-ci sont
incapables de transiger (C. P.C., art. 1004).
D'une manière plus générale, il faut rappeler ici Ie prin-
cipe de la spécialité. Les personnes publiques ne sont capa-
bles d'accomplir que les actes juridiques eu relation avec
l'objet statutaire de leur activité.
b. - Capacité d' exercice ou compétence des organes.
343. La personne publique n'agit que par l'intermé-

N 08 341 à 343
SECTION II. - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 255

diaire de ses organes. Son consentement ne sera valable


que s'il est donné par l'organe compétent (n° 88~
Etat : Dégageons deux règles de compétence.
La première est celle de la compétence du ministre.
Alors qu'en général les dépenses doivent être engagées par
arrêté royal, les ministres sont compétents pour conclure
les contrats au nom de l'Etat (L., 15 mai 1946, art. 19 et 20;
A. R., 10 déc. 1868, art. 67).
Ceux-ci peuvent déléguer leurs pouvoirs à des ordon-
nateurs. Mais il faut interpréter la portée de cette délé-
gation. Parfois l'agent a reçu Ie pouvoir d'engager l'Etat;
Ie contrat est définitif dès qu'il l'a signé. Parfois, la con-
vention conclue par l'ordonnateur doit encore être approu-
vée par Ie ministre (A. R., 10 déc. 1868, art. 98, pour les
marchés de gré à gré). Dès lors l'agent n'a eu Ie pouvoir -
que de négoci~ en réalité, seul Ie ministre reste compé-
tent; la convention n'est conclue qu'à <later de la signature,
sans effet rétroactif.
La deuxième règle concerne la compétence que Ie légis-
lateur se réserve dans des cas exceptionnels. Les ventes
immobilières doivent être approuvées par une loi doma-
niale, sauf délégation à l'Exécutif (Matton, Droit budgé-
taire, n° 2916-2923). Même solution pour les contrats de
concession sur Ie domaine public, encore une fois sauf
délégation (Réperloire pratique, V° Concessions, n° 33) et
pour les contrats d'emprunts.
) ( Communes: L'organe compétent est Ie conseil commu-
, nal. Sera donc nul, pour défaut de consentement, l'orclre
de travaux supplémentaires qui a été donné à !'entrepre-
neur, non par Ie conseil mais par !'architecte communal,
même s'il a été ratifié par Ie bourgmestre (Cass., 13 oct.
1898, B. J., 1899, 273). Le collège des bourgmestre et éche-
vins ne fait qu'assurer l'exécution de ces décisions, en pas-
sant les actes et contrats conformément aux stipulations et
réserves énoncées dans la résolution ( décision du ministre

·1 de l'Intérieur du 26 avril 1898, Bull., 1898, 2, 68).


11 en résulte qu'en cas de vente de gré à gré, si Ie Con-
seil a désigné nommément comme acquéreur l'auteur de
l'offre d'achat, la convention est parfaite (Gand, 24 avril
1890, Pas., 1890, II, 344); si au contraire, il n'a fait que
fixer les conditions générales de la vente ou de la location
d'une série de biens, Ie collège qui a finalement choisi

N° 343
256 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

l'acquéreur ou Ie locataire, doit soumettre Ie contrat au


n conseil, car il fait plus qu'exécuter (Répertoire pratique,
v° Communes, n° 103).
En cas d'adjudication, Ie droit d'approbation peut être
expressément réservé au conseil dans Ie cahier des char-
ges. Cette approbation est en réalité la manifestation du
véritable consentement exprimé par Ie seul organe com-
pétent. La convention n'est conclue qu'à ce moment.
Encore faut-il que la réserve soit expresse; sinon on pré-
sume que Ie conseil a délégué ses pouvoirs au collège pour
Ie choix de l'adjudicataire. Il ne pourra substituer une
autre personne à celle qui a été régulièrement désignée
(A. R., 22 janv. 1937, R. A., 1937, 128).
Souvent la délibération du conseil communal est sou-
mise à autorisation ou approbation des autorités de tutelle.
Sur la portée d'un refus, Cons. C. E., arrêt 4199, S. A.
Dumont.
Provinces : Les principes juridiques sont les mêmes.
Personnes publiques parastatales : En !'absence d'une loi
organique, il faut consulter les lois particulières qui les
ont organisées. Les établissements visés par la loi du
16 mars 1954 qui décident de recourir à l'adjudication pu-
blique, doivent appliquer les clauses et conditions adminis-
tratives du cahier général des charges de l'Etat (art. 7bis).
Interdiction personnelle aux agents : L'article 245 du
Code pénal interdit à tout fonctionnaire de prendre ou de
recevoir un intérêt quelconque dans tous les actes et entre-
prises, notamment dans les contrats conclus pour la per-
sonne publique (voyez aussi C. civ., art. 1596). Ce qui est
punissable, c'est Ie conflit d'intérêts qui en fait n'existe pas
toujours (Cass., 16 déc. 1878, Pas., 1879, I, 18, procureur
général à Gand c./ De Molder; - Cass., 1 er févr. 1909, Pas.,
1909, I, 127, procureur général à Liège c./ Douffet).

2. Consentement.

Le consentement est régi par les dispositions du Code


civil et par des règles spéciales au Droit administratif.
a. - Deux consentements.
344. La personne publique n'est pas toujours libre de
choisir son cocontractant. La règle de l'égalité doit lui

N05 343 à 344


SECTION II. - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 257

faire considérer l'offre de tous les concurrents (libre accès


à la fonction publique [n° 230], principe de l'adjudication
ouverte pour les fournisseurs [n° 352], pas de discrimina-
tion entre les usagers [n° 32]).
Le consentement ne doit pas être vicié. On peut assimiler
au dol incident, les manreuvres qui entravent ou troublent
la liberté des enchères dans une adjudication publique. Les
ententes écartant et indemnisant un concurrent ne sont
pas nécessairement illicites selon M. Flamme ( « Les mar-
chés de l' Administration », n° 224 et s.) si en fait elle n'en-
travent pas mais régularisent la concurrence; cette distinc-
tion est délicate. Le Conseil d'Etat a déclaré que les en-
tentes peuvent vicier Ie consentement de la personne pu-
blique (C. E., 11 oct. 1957, R. J. D. A., 1958, 79, Demaret).

b. - Echange des consentements.


345. Quand les consentements se rencontrent-ils?
Approbation par l'autorité contractante : Parfois l'or-
gane compétent laisse poursuivre les négociations par des
agents inférieurs <lont la décision n'est que provisoire et
doit être approuvée par lui. Cette prétendue « approbation ~
est Ie véritable consentement.
Nous avons vu que cette formule peut être employée
pour les marchés de gré à gré par l'Etat et par les com-
munes. De même la procédure d'adjudication comprend
deux phases. Le bureau d'adjudication désigne l'adjudi-
cataire provisoire. Le contrat n'est conclu qu'après apprö-
bation par Ie ministre (Marché, A. R., 10 déc. 1868, art. 93,
4°; Concession : A. R., 10 sept. 1875, art. 20). Dans tous ces
cas, Ie contrat n'est conclu qu'au moment de « l'approba-
tion ». Ce qui précède n'est que pourparlers.
Il en résulte deux conséquences. La première est que
ceux-ci peuvent être rom pus ad nutum par l' Administra-
tion. Peuvent-ils aussi l'être par l'autre partie, même après
que l'agent subordonné ait donné son accord provisoire ?
Nous verrons que l'adjudicataire provisoire est lié pendant
un certain délai (n° 357). On cherche à arriver à la même
solution pour les contrats de gré à gré. Par exemple, une
ven te immobilière est généralement négociée par l' Admi-
nistration avant d'être sanctionnée par la loi domaniale.
On interprétera assez facilement les actes déjà passés -
s'ils sunt rédigés avec un minimum d'adresse juridique -

N08 344 à 345


258 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

comme impliquant de la part de l'achcteur la promesse


de ne pas retirer son offre jusqu'au moment ou Ie parle-
ment aura pris sa décision.
L'absence d'effet rétroactif est aussi importante pour
déterminer la loi applicable. Pour les impöts notamment,
il faudra appliquer Ie taux en vigueur au moment de
!'échange des consentements et non à la date ou les pour-
parlers ont pris fin. L'acheteur qui voudrait se soustraire
à eet aléa fera bien de Ie mettre à charge de son cocon-
tractant par une clause spéciale.
Approbation par zme autorité de tutelle : La décision
d'une personne subordonnéc est souvent soumise à autori-
sation ou à approbation des autorités de tutelle. Ces for-
malités jouent Ie röle de conditions suspensives ou résolu-
toir~ (n08 124-125). -----· -·---.-..........
Parfois, l'approbation est donnée en deux temps : l'auto-
rité de tutelle approuve la décision d'adjudication; mais
ce n'est qu'un accord de principe. Elle exige que l'adjudi-
cation elle-mêmc soit soumise à son controle.

3. Objet.

Cette condition d'existence soulève peu dè difficultés.


a. - Généralités.
346. Conformément aux règles du Code civil, l'objet doit
être certain; notamment Ie prix doit être fixé directement
ou indirectement (Brux., 4 févr. 1863, Pas., 1874, II, 355).
L'objet doit aussi être possible. Par exemple la clause com-
promissoire et Ie compromis sont interdits aux pouvoirs
publics.
Enfin, il doit être licite. Un cas intéressant est celui ou
deux organismes ayant une activité similaire (par exemple
!'Office centra! de petit crédit professionnel et l'lnstitut
National de Crédit aux classes moyennes) s'entendent pour
délimiter leurs sphères respectives d'intervention. N'y a-t-il
pas une convention sur la compétence, dont l'objet est
illicite? L'exercice d'un pouvoir n'est pas discrétionnaire;
un service public doit fonctionner dès qu'un usager réunit
toutes les conditions requises par la loi organique. Cepen-
dant, Ie législateur a créé deux services compétents et
manifestement n'a pas voulu leur concurrence. N'est-il pas

N 08 345 à 346
SECTION II. - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 259

raisonnable <l'en conclure que tout usager a Ie droit admi-


nistratif d'être satisfait - mais par l'un de ces services?
Une répartition des sphères d'activité ne lui est pas préju-
diciable. Elle assure au contraire une exécution plus har-
monieuse de la loi.
b. - Forfait.
347. Selon la loi du 15 mai 1846 les marchés conclus par
l'Etat doivent être faits à forfait (art. 21). La règle vaut
pour tous les contrats, qu'ils soient conclus de gré à gré ou
par adjudication publique. Des exceptions sont prévues à
l'article 22, mais ne pcuvent être détaillées ici.
Quelle est la sanction de cette règle? La Cour des
comptes se borne à demander des explications au ministre
et à faire des remarques dans son cahier d'observations.
Elle ne conteste donc pas la validité du contrat. Cela paraît
raisonnable si l'on ajoute que cette convention est cepen-
dant annulable. Nullité relative qui ne peut être invoquée
que par la seule personne publique pour la protection de
laquelle la disposition a été prise. Quant aux tiers, ils n'ont
pas !'occasion de l'invoquer, car en pratique, l' Administra-
tion tourne la règle du forfait en admettant des supplé-
ments en cours d'exécution.
4. Cause.
348. La cause reste une condition de la validité des con-
trats conclus par l'Administration. On sait que les publi-
cistes français ont changé la notion en celle de motif déter-
minant.
La question n'a guère retenu à ce jour l'attention de la
doctrine et de la j urisprudence beige.

5. Conditions de forme et de procédure.

Nous bornant à !'examen des règles générales, étudions


la nécessité de l'écrit et Ie respect de certaines procédures.
a. - Beril.
349. Aucunc règle générale n'impose, comme une for-
malité substantielle, la rédaction d'un écrit. Les contrats
solennels restent l'exception. Mais les exceptions se multi-
plient.
D'abord, la loi impose formellement un écrit pour eer-

N 05 34,6 à 349
260 CHAPITRE Vlll. - LES CONTRATS

taines catégories de conventions. Citons à titre d'exemple


les baux immobiliers conclus par des communes (A. R.,
22 juill. 1926), les titres d'emprunt qui doivent être visés
par la Cour des comptes (Matton, Droit budgétaire, n° 3094).
D'autres dispositions aboutissent indirectement au même
résultat. La loi du 20 j uillet 1921 organisant la compta-
hilité des dépenses engagées impose en fait la rédaction
d'un écrit pour tout contrat conclu par l'Etat puisque ce
document doit être présenté au comptable.
De même, une disposition qui impose l'adjudication pu-
blique, par exemple Ie décret des 28 octobre et 5 novem-
bre 1790, art. 13 et 15, empêche la tacite reconduction des
baux (Liège, 12 avr. 1927, Pas., 1928, 11, 38; - Liège, 20 nov.
1929, Pas., 1930, Il, 20; - voyez cependant la loi du 7 mai
1929, art. 2, pour les baux ruraux).
Souvent l' Administration élabore des contrats type sous
forme de cahiers généraux des charges dans lesquels il
suffit d'insérer les clauses particulières à chaque conven-
tion. On pourrait y voir l'amorce d'un règlement et d'une
situation réglementaire (n° 336). Ce sont plutót des con-
trats d'adhésion comparables aux polices que, dans Ie sec-
leur privé, les compagnies d'assurance proposent à leurs
clients. En fait ces cahiers des charges, sans doute établis
unilatéralement par arrêté royal, sont négociés avec les
organisations professionnelles (voyez n° 351).
Toute clause contraire au cahier général des charges est
illêgale; si elle est essentielle à l'économie du contrat, en
d'autres termes si elle est la cause juridique d'un des con-
sentements, la convention tout entière est nulle.
b. - Concurrence et publicité.
350. Selon la loi du 15 mai 1846, tous les marchés faits
par l'Etat doivent être conclus avec concurrence et publi-
cité (art. 21). Les exceptions sont énoncés dans l'article 22.
Provinces et communes, échappent à la règle; mais elle
leur est souvent imposée par l'autorité de tutelle.
La loi du 16 mars 1954 impose aussi la concurrence et
L la publicité aux institutions parastatales qu'elle énumère.
A notre avis, la loi du 15 mar 1846 est-rédigée en termes
lrop généraux pour entraîner des conséquences j uridiques.
Elle ne fait que poser un principe; celui-ci ne devient une
obligation que s'il est précisé par une autre loi ou un arrêté
royal d'exécution.

N 08 349 à 350
SECTION II. - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 261

Pour les contrats les plus usuels, ces précisions sont don-
nées. C'est l'adjudication publique et la publicité dans Ie
Bulletin des adjudications qui sont imposées.

B. PROCÉDURE DE L' ADJUDICATION

Nature.
1.
351. L'acte d'adjudication et toute la procédure qui
l'entoure constituent des actes administratifs détachables
donnant naissance à des droits administratifs subjectifs.
En raison de leur fréquence, ils méritent une étude.
La procédure de l'adjudication est réglementaire. La
nature de ces dispositions ne se modifie pas parce qu'elles
seraient reprises dans l'écrit constatant Ie contrat, notam-
ment dans Ie cahier des charges. Il faudrait décider alors
que eet écrit contient et unit matériellement deux actes
juridiques distincts : un règlement d'ordre intérieur pour
l'Administration et une offre de contrat. L'acceptation de
- l'entrepreneur ne porte que sur cette seconde partie. Mais
Ie règlement qui s'impose à l'Administration comme aux
concurrents, aux soumissionnaires et à l'adjudicataire,
contient des dispositions impératives pour la première, qui
peuvent créer des droits subjectifs pour les particuliers.

2. Principe.
352. Pour assurer Ie fonctionnement des services publics,
l'Administration doit conclure de nombreuses conventions.
Par quelle procédure va-t-elle choisir Ie cocontractant?
Deux tendances s'opposent. La première et la plus tradi-
tionnelle est de limiter au maximum Ie pouvoir discrétion-
naire de l'Administration par Ie système de l'adjudication
publique; Ie contrat est attribué quasi automatiquement.
Au XIX• siècle, on se méfiait des fonctionnaires et on pla-
cait toute sa confiance dans la concurrence libre des entre-
În-eneurs privés. L'adjudication publique paraissait Ie
meilleur système pour protéger les intérêts financiers des
personnes publiques.
Une autre tendance consiste à donner plus de liberté
à l'Administration, en d'autres termes à lui permettre de
conclure des contrats de gré à gré. On souligne l'impor-
tance d'un fonctionnement permanent et régulier des ser-
vices publics. Lorsque l'exécution de la convention - sur-

N 08 350 à 352
262 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

tout de longue durée - contribue essentiellement à ce bon


fonctionnement, la qualité et la régularité de la prestation
sont plus importantes que son coût. L'Administration doit
pouvoir choisir de gré à gré intuitu personae, Ie cocontrac-
tant qui lui offre Ie plus de garanties. Au surplus, Ie co-
contractant est de plus en plus traité comme un collabora-
teur du service public; à ce titre, il est tenu à des obliga-
lions exceptionnelles, mais il a aussi des droits spéciaux.
En Droit positif beige, Ie principe est la liberté contrac-
tuelle des personnes publiques. Mais il est limité par des
exceptions si nombreuses que la procédure de l'adjudication
est imposée dans la plupart des cas.
Citons notamment l'article 21 de la loi sur la comptabi-
lité pour les marchés au nom de l'Etat, qui vise spécialement
les marchés de fournitures, transports et travaux; les alié-
nations des immeubles de l'Etat (L., 31 mai 1923) et des
biens mobiliers de l'Etat (vente de coupes de bois : L.,
20 déc. 1854; vente d'objets abandonnés dans les chemins
de fer et messageries : L., 28 févr. 1860); la location des
immeubles domaniaux (L., 16 mars 1886) et des biens
ruraux (L., 7 mai 1929), la récolte sur des terrains mili-
taires (C. E., 23 sept. 1960, R. J. D. A., 1961, 11, Pépinière
Vanvert).
L'obligation légale de recourir à l'adjudication publique
exclut la possibilité non seulement du marché de gré à gré
mais aussi de toute autre procédure. Par exemple, l' Admi-
nistration procède parfois à un « appel restreint à la con-
currence ». Elle sélectionne les entrepreneurs les plus capa-
bles qu'elle invite à soumissionner. Ce mode de passation
du contrat est irrégulier quand la loi impose une adjudica-
tion publique (C. E., 10 ao(H 1951, R. J. D. A., 1952, 86,
Cobesma).
Il n'existe pas de statut organique de l'adjudication. Les
textes principaux sont : la loi du 15 mai 1846 organique de
la comptabilité de l'Etat, art. 19 à 22; l'arrêté royal du
1 0 décembre 1868 portant règlement général sur la comp-
tabilité de l'Etat, art. 91 à 98; l'arrêté royal du 1 er octohre
1935 organisant la commission _per_manente en matière de
contrats et adjudications; l'arrêté-loi du 3 février 1947 orga-
nisant l'agréation des entrepreneurs, l'arrêté royal du 5 oc-
tobre 1955 rendant applicahle Ie nouveau « cahier général
des charges ».
SECTION II. - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 263

3. Définition de l'adjudication.
353. C'est un acte administratif unilatéral par lequel Ie
fonctionnaire compétent, après une procédure assurant la
concurrence, noue Ie contrat entre la personne publique et
Ie soumissionnaire qui a fait l'enchère la plus avantageuse.
a. - L'adjudication est zm acte administratif unilatéral.
,.354; C'est un acte détachable, préalable au contrat. Cette
analyse sera utilisée pour résoudre des problèmes de com-
pétence j uridictionnelle (n° 496).
b. - Par leqzzel Ie fonctionnaire compétent ...
355. Pour l'Etat, les adjudications, réadjudications et
marchés doivent recevoir l'approbation du ministre (A. R.,
10 déc. 1868, art. 97 et 98). Des délégations de compétence
sont possibles (art. 98) (n° 345).
Pour la province, Ie conseil provincial est compétent,
moyennant parfois une approbation royale (L. P., art. 86).
Des délégations peuvent être consenties au gouverneur.
Enfin, pour la commune, c'est Ie conseil communal qui
décide les adjudications moyennant l'approbation de la
députation permanente du conseil provincial lorsque Ie con-
trat est important (L.C., art. 81). Le collège échevinal
chargé d'exécuter les décisions du conseil procède à la mise
en adjudication. Mais Ie conseil reste l'autorité suprême. Il
peut se réserver l'approbation du soumissionnaire désigné
( circulaire du ministre de l'Intérieur du 26 avril 1898 et
dépêche ministérielle du 30 mai 1928 (n° 345).

c. - Après une procédure a.çsurant la concurrence ...


356. Voilà donc la première limitation importante au
pouvoir discrétionnaire de l' Administration. Celle-ci ne peut
pas sélectionner les soumissionnaires. Elle doit alerter tous
les concurrents par une procédure rigoureusement régle-
mentée.
Cette concurrence est rendue efficace par l'obligation de
publicité. Les adjudications sont obligatoirement annoncées
par voie d'avis et d'annonce dans les journaux. Quand Ie
contrat est important, un cahier spécial des charges accom-
pagné éventueUement de métrés, précise toutes les condi-
tions du marché et doit être communiqué à ceux qui en font

N 08 353 à 356
264 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

la demande (adjudications publiques, mode A). Des délais


sont prévus pour que les entrepreneurs puissent se docu-
menter.
Aussi général que soit l'appel à la concurrence, les soumis-
sionnaires doivent cependant remplir certaines conditions :
capacité juridique (notamment L., 6 juill. 1891, art. 5, pour
les sociétés); solvabilité (notamment constitution d'un
cautionnement); honorabilité (certificat de civisme).
Pour les entreprises de travaux offertes, financées ou sus-
citées par l'Etat, l'agréation des entrepreneurs a été régle-
mentée. Dans cette mesure, la compétence de l' Administra-
tion a été de nouveau liée (A.-L. 3 févr. 1947). Une commis-
sion composée d'un président magistrat, de fonctionnaires
et de représentants des organisations professionnelles donne
son avis sur les demandes d'agréation. Elle établit des listes
d'entrepreneurs par catégories de spécialités et par classes
d'importance. Dans ses appréciations, elle tient compte des
capacités techniques et financières du requérant, de ses
moyens d'exécution organiques en matériel et en personnel
qualifié, du volume et de l'importance des travaux précé-
demment exécutés par lui, de leur qualité d'exécution ainsi
que de sa probité commerciale. Le ministre approuve et
publie ces listes. Ainsi est -organisée une sélection préalable
et objective qui permet aux automatismes de la procédure
de l'adjudication de jouer entre des concurrents honorables,
capables et solvables.
La disparition de ces conditions, la mauvaise exécution
de marchés antérieurs ou du marché en cours peuvent en-
traîner diverses sanctions : déclassement, retrait de l'agréa-
tion, exclusion. Elles sont prononcées par Ie ministre sur
avis de la commission d'agréation (sur leur nature, cfr.
n° 113 (C. E., 21 janv. 1955, R. 55, 112, Fromont). L'entre-
preneur qui n'est pas inscrit sur la liste ou qui en est exclu
peut attaquer la décision du ministre en excès ou en dé-
tournement de pouvoir. Le Conseil d'Etat contrölera la
légalité de la mesure, non son opportunité.
Quand il y a adjudication publique, l' Administration ne
peut tenir compte que des soumissions des entrepreneurs
agréés. Mais elle retrouve sa liberté si légalement elle peut
passer un contrat de gré à gré ou organiser un appel restreint
à la concurrence; dans ce cas, elle peut s'adresser à des
entrepreneurs non agréés (C. E., 10 août 1951, R. J. D. A.,
1952, 86, Cobesma, note Matton; A. R., 5 oct. 1955, art. 5).

N° 356
SECTION Il. - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 265

d. - Noue Ze contrat entre la personne publique


et Ie soumissionnaire .
.,._ 357. Le soumissionnaire qui a demandé Ie prix Ie plus
bas est appelé adjudicataire provisoire. Mais Ie contrat ne
devient définitif qu'au moment de son approbation par
l'autorité compétente. Jusqu'à ce moment, non seulement
l'adjudicataire provisoire mais tous les soumissionnaires
restent unilatéralement engagés (n° 345).
Les civilistes ont cherché les formules les plus ingénieuses
pour expliquer cette situation juridique. En Droit adminis-
tratif, il est plus simple de dire que tous les soumission-
naires sont tenus, non par une obligation contractuelle -
il n'y a pas encore de contrat - mais par une obligation
unilatérale découlant <lu règlement de l'adjudication.
Cet engagement unilatéral n'existe pas dès Ie dépót de fa
soumission; jusqu'à !'ouverture des plis en séance publi-
que, chaque soumissionnaire peut retirer ou modifier son
offre (Gand, 27 janv. 1926, Jur. comm. Fl., n° 289). Par
ailleurs !'engagement ne peut perdurer. Voilà pourquoi les
règlements limitent les délais pour notifier à l'adjudicataire
la décision de l'Administration. Après cela, Ie soumission-
naire ne peut être déclaré adjudicataire que moyennant
son consentement écrit ( cahier général des charges, art. 4a).
Même si aucun délai n'est fixé, la durée de !'engagement
doit rester normale.
La procédure de l'adjudication inclut nécessairement la
procédure du forfait. Si les prix ne sont pas déterminés ou
déterminables d'une façon définitive, comment Ie cfassement
des soumissionnaires serait-il possible?

c. - Qlli a fait l' enchère la plus avantageuse.


358. Au jour fixé pour l'adjudication, l'Administration
commence par examiner la régularité et la validité des
offres (admissibilité des soumissionnaires conformément à
l'arrêté-loi du 3 février 1947; conditions de forme et notam-
ment remise de la soumission sous pli cacheté, respect des
délais; enfin réalisation des conditions de fond et plus
spécialement conformité au cahier des charges). Toute offre
irrégulière étant écartée, celles qui sont admises sont clas-
sées en commençant par la plus basse.
lei intervient Ie deuxième automatisme : l'adjudication
noue Ie contrat et en attribue Ie bénéfice à celui qui a fait

N 08 357 à 358
266 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

l'enchère la plus basse (A. R., 10 déc. 1868, portant règle-


ment général de la comptabilité, art. 95; - C. E., 10 août
1951, R. J. D. A., 1952, 86, Cobesma, note Matton, A. R.,
5 oct. 1957, art. 35).
La compétence de l' Administration est-elle complètement
liée? Il est d'abord admis qu'ellc puisse ne donner aucune
suite à l'adjudication. Ensuite, elle peut exceptionnellement
choisir une autre offre que la plus basse. Mais un tel choix
doit être autorisé ou ratifié par Ic conseil des ministres ou,
en cas d'urgence, par Ie premier ministre. Telle est du moins
la solution en cc qui concerne les marchés conclus par
l'Etat. One offre qui est plus chère, surtout si la différence
de prix est petite, peut être néanmoins plus avantageuse
en raison de ses qualités techniques. Le pouvoir du conseil
des ministres n'est pas <liscrétionnaire. Le principe de
l'égalité des concurrents implique qu'il se réf ère exclusi-
vement aux spécifications du cahier des charges et à l'ap-
titude des concurrents (arrêt Garnier précité).
La règle imposant l'acceptation automatique de l'offre
la plus basse subit une autre exception en faveur des con-
currents nationaux. Le ministre peut leur attribuer un
marché quoiqu'ils aient proposé un prix plus élevé. En pra-
tique, on tolère une marge de 10 % (A. R., ter oct. 1935).
La règle ne concerne pas les provinces, communes et
institutions parastatales qui recourent librement à l'adju-
dication publique sans y être légalement obligées, même
si elles se sont référées aux dispositions du cahier natio-
nal des charges. En effet, si l'offre la plus avantageuse
n'est pas la plus basse - ce qui peut arriver - elles n'ont
pas la ressource d'une autorisation cxceptionnellc du Con-
seil des ministres; il faut leur laisser, à défaut de texte
légal, la liberté d'appréciation.
Que faut-il décider pour un appel restreint à la concur-
rence organisé par l'Etat? Nous avons déjà dit que l'Admi-
nistration choisit librement les concurrcnts même parmi
les entrepreneurs non agréés. Il faut en conclure qu'ici
encore elle se réscrve complètemenr-Ic droit de choisir la
soumission la plus avantageuse même si elle n'est pas la
plus basse (Flamme, op. cit., n 05 81 et 125). La j ustification
est que pareille adjudication n'est légale que dans les cas
ou pourrait être conclu un autre marché de gré à gré.
N° 358
SECTION Il. - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 267

4. Droits subjectifs
A la compétence liée de l'Administration, doivent corres-
pondre des droits subjectifs dans Ie chef des intéressés.
Ceux-ci pourront demander au Conseil d'Etat l'annulation
des actes administratifs irréguliers.
Mais par ailleurs, toute la procédure de l'adjudication
aboutit à la conclusion d'une convention qui engendre des
droits contractuels <lont la protection est confiée aux tribu-
naux de l'ordre judiciaire.
Ainsi rencontrons-nous un des problèmes les plus irritants
du Droit administratif. Loin d'être garanti par cette double
protection, Ie particulier au contraire est abandonné à son
sort en raison d'un conflit de compétence juridictionnelle.

a. - Droits administratifs.
359; Le principe : Le Conseil d'Etat est incompétent pour
connaître des procès relatifs à la convention elle-même
(C. E., 18 mars 1949, R. J. D. A., 1949, 34, Vandernote).
Constitutionnellement, les litiges qui ont pour objet des
droits civils sont du ressort exclusif des tribunaux (Const.,
art. 92). Mais ici intervient la théorie de !'acte détachable.
La procédure de l'adjudication, tout en menant au contrat
est préalable à celui-ci et peut être considérée isolément.
De cette façon, Ie Conseil d'Etat se reconnaît compétent
pour annuler les actes administratifs entachés d'irrégula-
rité. Il étend même son controle au dernier acte de la pro-
cédure, c'est-à-dire à celui par lequel l'autorité compétente
choisit tel soumissionnaire et Ie déclare adj udicataire. Cet
acte a une double face. D'un cöté, il constitue une décision
administrative; de l'autre, il exprime Ie consentement de
l'Administration à la passation du contrat et constitue un
élément essentie! de la convention. Cette analyse assez
subtile est aujourd'hui indiscutée. Elle est très clairement
développée dans un arrêt : « Considérant que l'adjudica-
tion du droit de chasse par l' Administration des domaines
est un acte administratif émanant d'une personne publique
<lont l'exécution fait l'objet d'une convention; que les con-
testations relatives à l'exécution de cette convention sont
de la compétence des tribunaux ordinaires; que toutefois
Ie recours ne contient aucune contestation relative à l'exé-
cution des obligations nées de l'affermage, mais seulement
une contestation relative à la régularité de l'acte par lequel

N08 358 à 359


268 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

la partie adverse a procédé à l'afferrnage; que dès lors, Ie


moyen jny_oqué par la partie adverse relativement à la
non-recevab_ilité du recours ne peut être retenu » (C. E.,
12 oct. 1952, R. J. D. A., 1953, 175, Ransoti; - voyez aussi
1950, 247,' Carrières de la Falize); - C. E., 21 mars 1957,
R. J . .D. A., 1957, 281, Gilson). ·
Choix de la procédure : Il en est ainsi pour la decisïon
administrative de passer un marché de gré à gré, voire de
faire un appel restreint à la concurrence, alors que la loi
imposait l'organisation d'une adjudication publique (C. E.,
29 juin 1951, R. J. D. A., 1952, 15, S. A.B. C.A.; - adde:
C. E., tl dêc. 1953, n° 2983, Sotex). Le Conseil d'Etat est
compétènt.
Irrégularité de la procédure d'adjudication: l'Adminis-
tration procède à l'adjudication mais des formalités essen-
tielles nê :Sont pas respectées. C'est une cause d'annulation.
1

D'abórd l'Administration est tenue de faire appel à la


concurrence la plus large. C'est la justification et l'utilité
de l'adjudication publique. Seront donc irréguliers les actes
administratifs qui enfreignent la règle d'une concurrence
générale' ·(par exemple, violation de l'arrêté-loi du 3 fé-
vrier 1947 organisant l'agréation des entrepreneurs, limi-
tation ·d'une adjudication aux entrepreneurs d'une com-
mune 01.i · d\me nationalité, raccourcissement des. délais
permèttant aux entrepreneurs de se documenter), la règle
de la publicité (par exemple absence de publication dans
les jourhaux, refus de communiquer Ie cahier spécial des
charges et les documents annexes), enfin la règle de l'éga-
lité (par exernple communication tardive des pièces à un
soumissionnaire, exigence d'un cautionnement supérieur,
acceptation · d'une soumission qui n'est pas conforme au
cahier des charges, acceptation d'une soumission sous pli
ouvert): ·
Par ailleurs Ie contrat doit être adjugé à celui qui a fait
la soumission la plus basse et exceptionnellement, moyen-
nant l'ihtërvention du conseil des ministres, à celui qui a
fait une soumission plus· chère mais aussi plus avanta-
geuse. L'exclusion injustifiée -d'une s0ttm-ission régulière,
un mauvais classement, la conclusion du marché avec un
autre que Ie plus bas soumissionnaire sans respecter la
procédure prescrite, sont des décisions illégales.
Toutes les stipulations du cahier des charges et toutes les

N° 359
SECTION II, - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 269

formalités de la procédure <loivent être respectées. La règle


de l'égalité l'exige. Mais à ce principe des atténuations
doivent être apportées.
On n'écartera pas des soumissions avantageuses pour
de simples scrupules de pure forme. Tout est question de
mesure (Circulaire du ministère des Travaux publics du
5 décembre 1940, n° 248; - C. E., 10 déc. 1952, R. J. D. A.,
1953, 175, Ranson).
Nombre <le dispositions impératives pour l'Administra-
tion, n'ont été conçues que pour protéger celle-ci. Elles sont
« des mesures d'ordre intérieur » <lont Ie particulier n'a
pas la possibilité de vérifier Ie respect et n'a pas d'intérêt
à surveiller l'exécution. Prenons par exemple les contrats
de travaux publics. Ils doivent être précédés de deux en-
quêtes dont l'une protège l'intérêt des propriétaires de ter-
rains compris dans Ie périmètre des travaux projetés et
<lont l'autre tend à constater l'utilité publique de ces tra-
vaux. Si toutes ces règles ne sont pas respectées, les fonc-
tionnaires engagent disciplinairement leur responsabilité.
Mais les tiers ne sont ,pas fondés à demander l'annulation
de la procédure (Cons.: Cass., 11 juin 1868, Pas., 1868, I,
374).
On ne sanctionnera pas non plus des irrégularités qui
n'ont pas eu d'influence sur la décision. Par exemple, un
retard dans Ie dépót de la soumission peut ne pas être
retenu, lorsqu'il est dû à la faute de l' Administration.

b. - Droits administratifs et droits civils.


360: L'adjudication est une procédure hybride puis-
qu'elle est d'abord administrative et aboutit à la conclusion
d'un contrat. Elle engendre à la fois des droits. adminis-
tratifs et des droits civils.
On aboutit à un résultat étrange. L'irrégularité d'un acte
essentie! de la procédure entraîne l'annulation de l'adjudi-
cation par Ie Conseil d'Etat; par contre la convention con-
tinue à subsister jusqu'à ce qu'il en soit df,.Cidé autrement
par les tribunaux de l'ordre judiciaire. Dans ce cas, on
peut se demander à quoi sert la théorie de l'acte détachable
et quel bénéfice peut tirer de l'anmrlation Ie soumission-
naire injustement évincé.
Entre parties, les tribunaux apprécient, conformément
au Code civil, la validité de la convention. Mais admettront-

N 08 359 à 360
270 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

ils Ie recours du soumissionnaire qui a été évincé ? Ce-


lui-ci va rencontrer deux objections dirimantes : d'abord
Ie contrat est pour lui une res inter alias acta. Et de plus
il ne pourra prouver avec certitude qu'il eût obtenu la
commande si la procédure avait été régulière. L'automa-
tisme de la décision administrative n'est pas total. Non
seulement Ie ministre aurait pu ne donner aucune suite à
la procédure d'adjudication et renoncer à l'entreprise,
mais encore il avait Ie droit de choisir, moyennant certai-
nes procédures, un autre soumissionnaire que Ie plus bas.
Néanmoins, l'annulation de la procédure administrative,
<lont l'effet est de mettre à néant l'acte même d'adjudica-
tion a un double effet indirect sur les droits civils; <l'une
part, ceux-ci peuvent être paralysés; d'autre part, les tri-
bunaux civils, une fois saisis, doivent tenir compte de cette
annulation. Examinons cette double conséquence.

L'annulation paralyse les droits civils : Elle vaut erga


omnes: notamment l'Administration et l'adjudicataire
actuel doivent en tenir compte. Sans doute Ie contrat de
concession, de travaux ou de fourniture subsiste mais il est
atteint d'une infirmité. Trois moments doivent être <lis-
tingués.
D'abord l'annulation peut être prononcée avant que la
procédure administrative ait abouti à l'adjudication. Mani-
festement, l'Administration ne peut conclure Ie contrat et
doit recommencer les opéra tions.
Ensuite, l'annulation peut intervenir après l'adjudica-
tion mais avant l'exécution. lei encore, l' Administration est
paralysée. Elle doit surseoir à l'exécution et peut y con-
train<lre son cocontractant en ne lui donnant pas les ordres
nécessaires (n° 362). Les parties peuvent couvrir dans cer-
tains cas l'irrégularité, par exemple, en ramenant Ie prix
en dessous de l'enchère la plus basse, ou en abandonnant
une clause dérogatoire au cahier des charges.
Dans ces deux premiers cas, tous les droits sont sauve-
gardés. Ne pourrait-on pas généraliser la situation en accé-
lérant la procédure administrative ? Bes auteurs proposent
l'organisation d'une procédure en réf éré qui permette au
Conseil d'Etat d'intervenir rapidement et de défendre à
l'Administration comme à l'adjudicataire d'exécuter Ie
contrat contesté. Ce serait une bien dangereuse innovation.

N° 360
SECTION II. - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 271

Il suffirait d'un recours et d'un j ugement provisoire en


référé pour arrêter des travaux peut-être urgents, des four-
nitures indispensables à un service public.
Pour nous, l'annulation doit être définitivement pronon-
cée par Ie Conseil d'Etat pour paralyser l'Administration
- sans injonction supplémentaire - dans la mesure ou Ie
contrat est encore inexécuté ou n'est exécuté que partiel-
lement. Ceci peut arriver lorsque les prestations s'échelon-
nent dans Ie temps : concession, location d'un droit de
chasse, fournitures réparties sur une certaine période,
longs travaux. Les parties doivent arrêter l'exécution.
Encore faut-il réserver, dans l'intérêt public, la possibilité
pour l'Administration d'exiger l'achèvement du contrat
parce que son interruption compromet la continuité et la
régularité du service public.
Le troisième cas est Ie plus fréquent. En raison des len-
teurs du procès, Ie contrat est déjà exécuté; ou encore, son
exécution est à ce point avancée qu'elle ne pourrait être
interrompue sans grand dommage; ou bien encore, l'écou-
lement du temps crée l'urgence et tout nouvel ajournement
serait contraire à l'utilité publique. Dans toutes ces hypo-
thèses, Ie soumissionnaire illégalement évincé risque de
gagner Ie procès et de perdre !'affaire. Il conserve cepen-
dant une ressource du cóté des tribunaux judiciaires.
Effets de l'annulation sur Ie proces civil: On pourra~t
prétendre que toutes les formalités de la procédure assu-
rant d'une part l'égalité entre concurrents et d'autre part
L'automatisme relatif du choix, sont au point de vue ei-
vil des éléments essentiels dont !'absence vicie Ie consente-
ment de la personne publique et rend Ie contrat nul. Pa-
reille j urisprudence présente des dangers.
D'une part elle protège Ie soumissionnaire évincé mais
c'est aux dépens de l'adjudicataire <lont la bonne foi peut
être parfaite. Par exemple, ce dernier est en droit d'ignorer
que l'Administration a mal interprété la soumission d'un
concurrent, qui aurait dû obtenir la commande (C. E.,
6 mai 1960, R. J. D. A., 1960, 61, Colimpex).
Par ailleurs l'intérêt public risque d'être lésé si l'exécu-
tion, déjà achevéc ou déjà fortement engagée est remise
272 CHAPITRE Vlll. - LES CONTUA TS

en question, doit être interrompue et donner lieu à de diffi-


ciles règlements de compte.
Une solution acceptable serait d'armer la partie publique
d'une exception de force majeure. Lorsque Ie Conseil
d'Etat annule un élément essentie! de la procédure admi-
nistrative au point de rendre irrégulière l'adjudication, et
que par ailleurs la convention reste régulière, en Droit
civil, l'Administration apprécie si l'urgence du besoin pu-
blic, l'état d'avancement des travaux, l'intérêt du Trésor
l'obligent à continuer avec l'adjudicataire ou si, au con-
traire, l'arrêt du Conseil d'Etat l'empêche de persévérer.
Dans Ie premier cas, elle peut être civilement condamnée
à payer au plus bas soumissionnaire évincé Ie montant des
frais d'études qui peuvent être considérables et qui ont été
inutilement engagés par sa faute; elle ne paie pas Ie lucrum
cessans, parce que ce soumissionnaire ne pourra prouver
qu'il eut obtenu l'adjudication.
Dans Ie deuxième cas, la culpa in contrahendo de l' Ad-
ministration l'expose à indemniser l'adjudicataire des con-
séquences de l'inexécution de la convention.
La jurisprudence devra trouver une formule qui péna-
lise une Administration en faute, sans grever exagérément
Ie Trésor.
C. ExÉcunoN DES coNTRATS
361. L'exécution d'un contrat conclu par une personne
publique est aussi soumise à des règles particulières.
Lorsque la convention est de longue durée, ou est parti-
culièrement importante pour Ie bon fonctionnement du
service public, Ie cocontractant est de plus en plus consi-
déré comme un collaborateur. De ce chef, il est soumis à
des obligations spéciales, mais bénéficie aussi de privilèges.
Ainsi Ie Droit administratif modifie-t-il les engagements
contractuels par application du principe de la continuité
du service qu'il faut assurer (n° 31) et de la finalité de la
personne publique <lont l'activité se justifie en fonction du
service public.
1. Droit de controle et de direction.
362. L' Administration a des prérogatives spéciales pour
contröler l'exécution du contrat et même pour donner à
l'autre partie des directives, voire des injonctions. Pour un
contrat de travaux publics, l'Administration est vraiment

N 08 360 à 362
SECTION II. - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 273

l'ingénieur qui donne des ordres sur Ie chantier. Ces pré-


rogatives sant souvent définies avec un grand luxe de
<létails dans les cahiers des charges. Même à défaut de
clause expresse, ce Jroit de controle et de direction existe.
Mais la jurisprudence définit les limites de cette préro-
gative.
Le droit de direction est d'autant plus important que
souvent son exercice prend la forme d'une décision exé-
cutoire (n° 209). Les injonctions de I' Administration doi-
vent être obéies; elles bénéficient du privilège du préalable
(n° 211). Les travaux et, d'une manière plus générale, les
prestations doivent être accomplis comme elle l'ordonne.
S'il y a conflit, il ne sera qu'ultérieurement vidé par voie
j uridictionnelle.
Bien plus, l'Administration jouit non seulement du pri-
vilège du préalable mais encorc de celui de l'exécution
d'office (n° 210). Si Ie cocontractant ne prétend pas céder,
elle peut se substituer à lui et exécuter la convention en
ses lieu et place, à ses frais. Ceci ne paraît pas devoir être
expressément stipulé par une clause du cahier des charges.
Encore que l'exécution d'office soit exceptionnelle en Droit
administratif, elle est de règle à l'égard de contractants qui
ont offert leur collaboration volontaire et sont défaillants.
Le cahier des charges prévoit parfois des mesures extrê-
mes comme la mise sous séquestre ou la mise en régie.
2. Privilèges du contractant privé.
363. Corrélativement à ces privilèges de I' Administra-
tion, Ie contractant privé tire de sa situation particulière
des prérogatives que Ie Code civil ne connaît pas : droit de
police pour les transporteurs, droit de réquisition et de
fouille pour les entrepreneurs, etc.
3. Théorie de la mutabilité des contrats.
364. En Droit civil, Ie contrat fait la loi des parties (Code
civil, art. 1134) ; il ne peut être modifiè que de leur accord
mutuel. Il n'en va pas de même en Droit administratif. La
personne publique peut unilatéralement changer non seule-
ment les dispositions réglementaires, mais encore les clau-
ses contractuelles lorsque Ie service public l'exige. Elle
peut imposer unilatéralement au contractant des presta-
tions supplémentaires qui n'avaient pas été prévues d,'lns
la convention originaire. Pareille possibilité est souvent

N 05 362 à 364
274 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

prévue dans Ie cahier des charges. Même à défaut de stipu-


lation expresse, ce pouvoir de l' Administration découle des
deux principes cités plus haut.
Assurément, Ie pouvoir de l' Administration n'est pas
arbitraire. Elle ne peut imposer à ses cocontractants n'im-
porte quoi. L'intérêt du service public ne justifie pas qu'on
s'écarte complètement de la convention primitive. On peut
y ajouter ou y retrancher; on ne peut la modifier dans son
essence. Sinon ce serait passer du régime du contrat fon-
dant une collaboration volontaire à celui de la réquisition.
Cette idée est forfaitairement exprimée dans Ie cahier
général des charges de l'Etat qui limite à 50 % les travaux
supplémentaires (art. 42 A) et qui dans ces limites admet
des modifications non substantielles aux plans.
La personne publique a une activité complexe. Elle peut
modifier l'économie d'un contrat par une décision qui Ie
vise directement, par exemple en aggravant ou en dimi-
nuant les prestations requises du cocontractant. Mais elle
peut aussi modifier la situation de celui-ci par des déci-
sions qui n'ont pas pour but immédiat de transformer la
convention, qu'il s'agisse d'une mesure générale et régle-
mentaire (par exemple lois sociales ou fiscales aggravant
Ie prix de revient) ou même d'une mesure individuelle.
Le cas Ie plus célèbre en France est celui des communes
françaises qui, en violation des monopoles accordés aux
Compagnies du gaz, avaient accordé à des concurrents des
permissions de voirie pour l'éclairage à l'électricité. La
responsabilité de l' Administration dans ces cas est étudiée
plus loin (n° 379).
4. Théorie de l'équation financière.
365. A ces obligations exorbitantes imposées au cocon-
tractant, correspondent des avantages.
Celui-ci peut équitablement obtenir du contrat un rende-
ment financier proportionnel à celui qui avait été primiti-
vement prévu. Si donc il se voit imposer des prestations
supplémentaires, il pourra, dans la même mesure, exiger
un prix supérieur. Celui-ci sera calculé de manière à main-
tenir une même proportion dU_Dénéfice .. Si la commande
est diminuée, Ie cahier général des charges prévoit une in-
demnité forfaitaire. A défait de pareille clause, les prin-
cipes imposent Ie paiement du lucrum cessans.
C'est la théorie de l'équation financière. Les pouvoirs

N05 364 à 365


SECTION II. - RÉGIME DES CONTRATS EN GÉNÉRAL 275

exorbitants de l'Administration, à première vue si dange-


reux pour les entrepreneurs, respectent les intérêts privés
de ceux-ci. Belle synthèse prétorienne de l'intérêt public et
de l'intérêt individuel !
5. Théorie de l'imprévision.
366. Parfois Ie contrat est modifié non par la décision
unilatérale de l'Administration mais par l'évolution écono-
mique, notamment en cas de dévaluation. Le prix fixé ne
correspond plus à la valeur de la prestation.
En Droit civil, Ie cocontractant ne peut se soustraire à
son contrat. Une grosse difficulté, notamment une difficulté
financière, n'équivaut pas à la force majeure.
Le souci d'assurer la continuité du service public a
poussé les publicistes à élaborer une théorie de l'impré-
vision. Encore que Ie contractant lié par un forfait (L.,
15 mai 1846, art. 21), prenne en principe les aléas finan-
ciers à sa charge, on admet dans certains cas un ajuste-
ment si l'économie du contrat est complètement bouleversée
par des éléments imprévus.
Cette solution, malgré les apparences, est avantageuse
pour l'Administration puisqu'elle assure Ie fonctionnement
régulier d'un service public qui ne peut être interrompu et
puisqu'elle permet à la personne publique d'obtenir de
meilleures conditions de ses soumissionnaires qui n'ont pas
Ie souci de se prémunir financièrement contre les aléas
extraordinaires. En Belgique, la théorie de l'imprévision a
été consacrée officiellement, mais dans des cas exception-
nels. En 1926, Ie gouvernement, tenant compte des diffi-
cultés imprévisibles provoquées par la dévaluation de la
monnaie, a décidé que l'Etat paierait, à titre gracieux et
sous la condition d'un controle financier, aux entrepre-
neurs de travaux publics un supplément de prix qui ne
pouvait en aucun cas leur assurer un bénéfice mais unique-
ment leur permettre d'échapper à une faillite menaçante
(Matton, Droit budgétaire, n° 3464). La loi du 11 octobre
1919 est plus large en faveur des concessionnaires de ser-
vices publics puisque dans Ie calcul on n'écarte pas la con-
sidération d'une rémunération normale.
En France, la théorie de l'imprévision est une création
prétorienne du Conseil d'Etat. Celui-ci exige l'imprévisi-
bilité, la charge exceptionnelle. Il admet un réajustement
moins complet cependant que dans Ie cas de l'équation

N 08 365 à 366
276 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

financière. L'augmentation du prix payé par les pouvoirs


publics tient compte des aléas normaux qui doivent être
supportés par Ie cocontractant et exclut tout bénéfice.
6. Pas d'exécution forcée.
367. Ce principe a une double signification. D'abord la
contrainte ne peut jamais être exercée contre la personne
publique. Ensuite celle-ci n'est pas tenue juridiquement de
tenir ses engagements contractuels et peut se dégager en
payant des dommages-intérêts; cette décision ne peut être
arbitraire mais doit être j ustifiée par l'intérêt public
(n° 211).
Après avoir décidé !'ouverture d'une rue, une commune
avait passé une convention ayant pour objet les travaux
d'aménagement de la voie nouvelle. Il fut jugé qu'on ne
pouvait l'obliger à maintenir une commande de travaux
publics qu'elle estimait n'être plus j ustifiés par l'intérêt
communal. Mais dans ce cas des dommages-intérêts de-
vaient être payés au cocontractant (Cass., 14 févr. 1935,
R. A., 1935, 214).
De même, il est admis depuis longtemps que la conven-
tion de concession peut être résiliée par l' Administration
avant terme moyennant dommages-intérêts (Cass., 29 avr.
1920, Pas., 1920, I, 127; - Cass., 13 déc. 1923, Pas., 1924,
I, 82).
Le problème est diff érent lorsqu'un service public n'est
pas en jeu. L'Etat qui aurait loué un terrain de son
domaine privé ne pourrait se dérober ·à l'exécution directe
en offrant des dommages-intérêts.
7. Paiernent par chèque postal.
368. L'Etat, les provinces, les communes et les établisse-
ments qui en dépendent, peuvent imposer à leurs créan-
ciers un paiement par l'intermédiaire de !'Office des comp-
tes chèques postaux; au besoin ils feront ouvrir d'office un
compte au nom des intéressés (L., 15 mai 1920, art. ter et 2).
De plus, selon les mêmes articles, la mention constatant
l'exécution et portée sur l'ordre de paiement par !'Office,
leur tiendra lieu de quittance du créaneier (Civ. Bruges,
27 nov. 1935, B. J., 1936, 280 et la note).
8. Prescription.
369. La prescription est réglée par des dispositions spé-

N08 366 à 369


SECTION III. -'- RÈGLES APPLICABLES 277

ciales. Elle est en principe quinquennale (L.. 15 mai 1846,


art. 3-4 et 36; - consultez Cour des comptes, 15 mai 1946,
R. J. D. A., 1946. 122 et obs.).

SECTION 111

REGLES APPLICABLES A CERTAINS CONTRATS


370. Le réseau des dispositions exceptionnelles déroga-
toires au Code civil est beaucoup plus serré encore pour
certains contrats que ne Ie fait pressentir l'étude des règles
généraies. Examinons à titre d'exemple Ie contrat d'entre-
prise, Ie contrat d'emprunt et Ie contrat de concession.

A. MARCHÉS DE TRAVAUX PUBLICS ET FOURNITURES

1. Conclusion.

371. La procédure de l'adjudication est imposée en


principe à J'Etat (L., 15 mai 1846, art. 21) sous réserve
d'exception~ légales fondées sur la modicité du contrat,
l'objet du_ marché ou d'autres circonstances (art. 22). Le
prix doit _être fixé à forfait (L., 15 mai 1846, art. 21; règle-
ment général, _art. 97). Cependant, si la Cour des comptes
insiste sur l'application rigoureuse du_ principe, la juris-
prudence admet des assouplissements. Lorsque Ie coût a
augmenté c:fune façon inattendue, par exemple en raison
de la nature du terrain qui ne pouvait être prévue, elle fait
une phice à_ la théorie de l'imprévision (Gand, 3 juill. 1907,
Pas., 1907, 111, 349; - Liège, 20 juill. 1901, Pas., 1902, II,
79), annule Ie contrat pour erreur substantielle ou admet
Ie réajustement des prix (Brux., 31 mai 1917, Pas., 1917, Il,
334; - Brux., 7 janv. 1913, Pas., 1913, Il, 201).
Cette liste n'est pas complète. Par exemple, l'article 1712
du Code civil prévoit des règles particulières pour les
baux (ex. : Décret 28 oct.-5 nov. 1790 pour les biens de
l'Etat).

2. Exécution.

372. Le principe est que l'adjudicataire est plus qu'un


simple contractant; il collabore à un travail d'utilité
publique qui lui vaut des sujétions et des privilèges.

N 08
369 à 372
278 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

L'Administration a Ie controle des travaux; ses ordres


de service sont des décisions exécutoires par provision
(n° 209) (Liège, 31 mars 1949, Pas., 1950, II, 5, Daelemans
c./ Commune de Boortmeerbeek). Ceci atténue la respon-
sabilité de l'entrep.rene.ur. On peut prétendre que l'article
1788 mettant Ie cas fortuit à sa charge est difficilement
conciliable avec Ie pouvoir de direction que s'est réservé
Ie maître des travaux. L'article 1793 imposant la formalité
de l'écrit n'est pas applicable.
L'Administration peut modifier unilatéralement les mo-
dalités de l'entreprise (Liège, 31 mars 1949, précité) ; son
cocontractant pourra exiger éventuellement un supplément
de prix (mutabilité des contrats et équation financière,
n° 364). Ces privilèges sont prévus dans Ie cahier national
des charges mais sont de droit à défaut de clause expresse.
En cas d'inexécution, l' Administration peut procéder à
des mesures d'office (exécution en régie aux frais de
!'entrepreneur, réadjudication à ses risques et périls).
Même à défaut de toute clause expresse, !'entrepreneur,
de son cöté, jouit de certains privilèges. Il a Ie droit d'ex-
propriation si les travaux sont déclarés d'utilité publique :
il jouit sous certaines conditions d'un droit d'occupation
temporaire et de fouille pour prendre dans les terrains
riverains les matériaux nécessaires. Le décret du 26 plu-
viöse, an II, Ie protège contre les saisies-arrêts ou oppo:-
sitions de ses créanciers.
L'articlè 20 de la loi du 15 mai 1846 dispose que des
acomptes ne peuvent être payés que pour des services
faits et acceptés. Toute clause contraire est réputée non
écrite.
La rémunération de !'entrepreneur peut consister en un.
péage; dans ce cas, on applique la loi du 10 mai 1862.
Des amendes peuvent-èlles être remises? L' Administrá-
tion est sensible à l'équité quànd la malfaçon ou Ie retàrd
sont dus à des difficultés qu'on ne· peut imputer à !'entre-
preneur. Mais la Cour des comptes veille à ce que par ce
biais, on ne rompe pas l'égalité qui devait exister entre
lous les soumissionnaires.
Des avantages extraordinaires sont accordés à ceux qui
veulent favoriser les travaux : · exemption du droit d'enre-
gistrement sur les conventions d'abandon gratuit ou oné-
reux d'immeu~les, et sur les actes de donation mobilière
SECTION UI. - RÈGLES APPLICABLES 279

(L., 17 avr. 1835, art. 24 et 24 déc. 1877; Code d'en;egistre-


ment, art. 161, 2"). Ceux qui au contraire apportent des
entraves à l'exécution des travaux publics sant passibles
de répression pénale (Code pénal, 289-291).

3. Partie réglementaire.
373. Le cahier général des charges comporte une partie
contractuelle - constitutive d'un contrat d'adhésion - à
laquelle il peut être dérogé par des dispositions particu-
lières. Mais il comprend aussi toute une partie réglemen-
taire - par exemple concernant la procédure d'adjudica-
tion - que l' Administration elle-même ne peut modifier
si ce n'est par voie de disposition générale.

B. CoNTRAT n'EMPRUNT

1. Conclusion.
374. Un emprunt ne peut être con@lu par le gouverne-
ment qu'avec l'autorisation des Chambres. Les titres, pour
être légaux, doivent être visés par la Cour des comptes.
L'Etat offre des conditions dérogatoires au Droit commun :
exemption d'impöts, reprise du 'titre au pair pour le paie-
ment des impöts, obligations à lot, garantie de change, etc.

2. Exécution.
375. La prescription des arrérages échus est de cinq ans
et ne peut être interrompue ni suspendue (L., 16 juin 1868
et A.-L., 22 nov. 1875. L'article 2248 du Code civil est ex-
pressément écarté). « La rigueur des dispositions ci-dessus
est étrangère au domaine du Droit civil mais elle s'explique
et se justifie dans cette partie du Droit administratif par
· rorganisation du système de la comptabilité de l'Etat »
(Cass., 6 n;iars 1890, Pas., 1890, I, 106). Pourquoi admet-
. trait-on des interruptions vis-à-vis d'un débiteur 'toujours
solvable que la· loi oblige de payer à guichets ouverts?
Un autre arrêt rejette l'application de l'article du Code
civil selon lequel la clause de réemploi de la rente dotale
insérée dans un contrat de mariage impose une obligation
au tiers débirentier : « L'institution du Grand-Livre de la
Dette publique et l'c:irganisation de ce service ont fait l'ob-

N 05 372 à 375
280 CHAPITRE vm. - LES CONTRATS

jet d'une législation compacte spéciale. Celle-ci est appli~


eable à l'exclusion des règles du droit commun qui n'y sont
pas rappelées » (Cass., 28 févr. Hl07, R. A., 1908, 53 et obser;.
vations). Par dérogation à l'article 557 du Code de procé-
dure civile, les rentes et les arrérages ne peuvent être
frappés de saisie-arrêt ou opposition qu'en vertu d'un
jugement ou d'un acte public passé en forme exécutoire
(A. R., 22 nov. 1875, art. 66 et A. R., 24 déc. 1934).
Les formalités de remplacement d'un titre perdu, volé
ou détruit sant spécialement réglées par la loi du 24 juil-
let 1921 et l'arrêté royal du 4 novembre 1921.

3. Règlernent.
376. Les dispositions dérogatoires - qui sant loin d'être
toutes citées - sant nombreuses. Nous sommes en pré-
sence d'un contrat sui generis. Mais une thèse plus radicale
encore vient à !'esprit. S'agit-il d'une convention ou d'une
situation réglementaire ? (n° 216).

C. LE CONTRAT DE CONCESSION

377. On distingue plusieurs variétés de concessions.


La concession peut avoir pour objet l'utilisation priva-'
tive du doma.ine public (n° 326). Tel sera Ie cas des cafe-
tiers qui, en vertu d'une convention (et non d'une simple
autorisation unilatérale), installent des tables sur la voie
publique.
La concession peut aussi viser la création et l'exploita-
tion d'un service public (n° 79). Ce sera la situation d'une
société distributrice d'énergie électrique.
Enfin, la concession de péage donne aux entrepreneurs
Ie droit d'exiger des usagers un péage qui leur tient lieu
de rémunération : c'est ainsi qu'on finançait souvent autre-
fois la construction de routes, de pants, etc.
Dans de fréquentes hypothèses, les trois concessions sont
indivisiblement mêlées. Une compagnie exploitant une
ligue de tramways est concessionnair--€ d'tm--Service public;
elle utilise Ie domaine public, pose des rails dans les rues;
enfin, les frais de construction et d'exploitation sant cou-
verts par la perception d'un péage.
Voyons les dispositions exceptionnelles importantes.

N"" 375 à 377


SECTION 111. - RÈGLES APPLICABLES 281

1. Conclusion.

378. Le législateur doit non seulement créer Ie service


(n° 23) mais autoriser sa concession soit par une disposition
générale (L., 9 juill. 1875 sur les tramways), soit par une
intervention particulière. Dans ce dernier cas, il ne s'agit
pas d'une véritable loi mais d'un acte administratif de
haute tutelle accompli par les Chambres (Cass., 28 juin
1883, Pas., 1883, I, 288, Etat beige c.j C. F. Lierre à Turn-
hout). Le contrat lui-même est conclu par l'Exécutif. Si la
concession comporte un péage, on applique la loi du
10 mai 1862.
Pour les concessions provinciales et communales l'auto-
risation est donnée par les conseils et la convention est faite
par la députation permanente ou Ie collège (C. E., 6 oct.
1951, Pas., 1952, IV, 113, Van Nieuwenborgh).
Le contrat est conclu intuitu personae. Les autorités ne
peuvent confier un service public qu'à des personnes sûres.
Si mêmc il y a adjudication publique, Ie caractère per-
sonnel se marque dans Ie fait que toute cession doit être
autorisée (Cass., 8 mai 1886, Pas., 1886, I, 193; L., 23 févr.
1869 pour les chemins de fer et 9 juill. 1875 pour les tram-
ways). Le droit du concessionnaire est insaisissable (Giron,
Dictionnaire, v Travaux publics, n° 45) à la différence des
0

péages déjà perçus (Brux., 17 mai 1853, B. J., 1853, 943).


Le décès du concessionnaire met fin au contrat.
Le concessionnaire est un cocontractant privé. Il n'est ni
Ie fonctionnaire de l' Administration, ni son organe, ni son
préposé; il n'est soumis ni à son autorité hiérarchique ni
à son pouvoir de tutelle ni à son action disciplinaire. Mais
il a avec l'Administration des rapports de collaborateur au
fonctionnement d'un service public, ce qui justifie des pri-
vilèges (théorie de l'équation financière, pouvoir d'expro-
priation et de police). Il n'est pas une autorité administrative
<lont les actes peuvent être annulés par Ie Conseil d'Etat.
Une évolution récente pousse les pouvoirs publics concé-
dants à ne pas se contenter d'un controle général du service
public concédé, mais à participer plus intimement à sa ges-
tion. Ou bien on réserve des décisions importantes à une
commission mixte groupant représentants du concédant pu-
blic et du concessionnaire privé. Ou bien Ie concessionnaire
lui-même est un organisme d'économie mixte : intercom-
munale, société d'intérêt public, etc. (n08 84-85).

N° 378
282 CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS

2. Exécution.

379. Le pouvoir concédant doit donner au concession-


naire les moyens contractuellement promis, par exemple les
subventions - ou implicitement prévus, par exemple les
autorisations de voirie nécessaires pour un tramway con-
cédé - et s'abstenir de manceuvres lui rendant la tàche plus
lourde. Il est fort douteux qu'une commune puisse conseil-
ler par circulaire aux usagers de ne pas payer leurs rede-
vances à un concessionnaire qu'elle juge en défaut (contra:
Dépêche min. int., 10 janv. H)39, Rev. comm., 1939, 210).
Il est certain qu'elle ne peut accorder une seconde conces-
sion si elle a garanti Ie monopole au premier concession-
naire (Brux., 27 juill. 1896, Pas., 1897, II, 57, Ville de Char-
leroi c./ Cie Gle pour Ie chauffage par Ie gaz; - Brux.,
16 avr. 1887, Pas., 1887, II, 268, Ville d'Anvers c./ la Cie
Jmpériale et Continentale du Gaz; - Liège, 9 févr. 1901,
Pas., 1901, II, 223, Ville de Dinant c./ Etat beige).
De son cóté Ie concessionnaire doit exécuter personnelle-
ment ses engagements. Le plus important est de faire fonc-
tionner sans interruption Ie service conformément au règle-
ment. En cas de défaillance, même à défaut de clause
expresse dans Ie cahier des charges et par application de la
règle de la continuité du service public, l'autorité peut
d'office se substituer au concessionnaire à ses risques et
périls ou prononcer sa déchéance. Le concessionnaire doit
aussi remplir ses autres devoirs conventionnels.
Le contrat a pour objet essentie! de fixer la situation pé-
cuniaire de !'exploitant privé. Le concédant qui porte
atteinte à cette situation s'expose à payer des dommages-
intérêts (Brux., 3 janv. 1877, Pas., 1877, II, 136, Etat beige
c./ Cie de l'Entre-Sambre-et-Meuse). Il en est ainsi si Ie
service, dans l'intérêt du public, est rendu plus lourd (aug-
mentation du nombre de tramways) ou si des charges nou-
velles résultent de travaux publics - en soi légitimes, et
peut-être exécutés avec soin (Brux., 23 mars 1912, Pas.,
1913, II, 161, Société Antwerp Engineering Company c./
Etat). Dans ce cas une révision de la rémunération du con-
cessionnaire par subvention, hausse dll_~éage, etc. se jus-
tifie, même à défaut de clause expresse. La justification
fondamentale toujours présente en Droit administratif est
que Ie service public, essentie! pour la communauté doit
bien fonctionner et ne peut être paralysé par d'injustes dif-

N° 379
SECTION III. - RÈGLES APPLICABLES 283

ficultés financières du concessionnaire. Encore faut-il que


Ie législateur n'ait pas la volonté expresse ou implicitc de
frapper tous les exploitants, et parmi eux les concession-
naires de services publics; tel est Ie cas d'une augmentation
générale des prix résultant d'une loi sociale ou d'une loi
d'impöts (Cass., 5 mars 1917, Pas., 1917, I, 118, Etat c./ Cie
du Chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand).
L'acte de concession n'est pas seulement un contrat,
mais aussi un acte de souveraineté qui investit Ie parti-
culier des pouvoirs de l'autorité concédante; celui-ci peut
être autorisé à exproprier, mais il faut dans ce cas une
loi spéciale (Cass., 19 déc. 1901, Pas., 1902, I, 80). L'action
est intentée au nom de l'Etat ou de l'autorité concé<lante,
poursuites et diligences du concessionnaire (Cass., 10 mars
1860, Pas., 1860, I, 129). Quoique Ie bien entre dans Ie do-
maine public ou privé de l'Etat, Ie concessionnaire engage
seul sa responsabilité financière; la personne publique ne
garantit même pas Ie paiement des indemnités (Cass.,
30 mars 1882, Pas., 1882, I, 94). Selon la loi du 10 mars 1925,
les distributeurs d'énergie électrique bénéficient de certai-
nes servitudes d'utilité publique (droit de passage, support,
ancrage), moyennant certaines conditions. Certains agents
des concessionnaires peuvent être chargés de mesures de
police et ont Ie pouvoir de verbaliser.
Les hiens seront à l'abri des saisies; ceci est vrai non
seulement pour les immobilisations qui, dès leur constitu-
tion, font partie du domaine public (Répertoire pratique,
n° 76, et références; loi du 10 mars 1925 pour les canali-
sations d'énergie électrique) mais aussi pour les biens qui
sont la propriété du concessionnaire : s'ils peuvent être
saisis, ils ne peuvent toutefois être vendus sans l'appro-
hation du pouvoir concédant, du moins pendant toute la
durée <le la concession durant laquelle ils sont affectés à
un service d'intérêt général.
Les péages ont une nature hybride sur laquelle l'accord
ne s'est pas encore fait (voyez notamment Cass., 24 mai
1894, Pas., 1894, I, 226). S'ils ne se confondent pas avec
l'impöt, on ne peut pas plus les assimiler au prix touché par
un entrepreneur particulier.
L'autorité, en vertu du principe de l'inaliénabilité de la
souveraineté, apprécie seule la nécessité du service public
et peut unilatéralement supprimer avant terme la conces-
284 CHAPITRE VIII, - LES CONTRATS

sion, quitte à payer une indemnité (C. E., 26 oct. 1949~


R. J. D. A., 1950, 17, Ets Smets-Use). Si Ie retrait de la con-
cession est prévu par une clause expresse, Ie juge en cas <le
litige, vérifie !'exacte application de la disposition contrac-
tuelle. A défaut de clause, il est incompétent pour appré-
cier l'opportunité du retrait et se limite à rechercher si des
dommages-intérêts sont dus (Brux., 9 juill. 1952, Reu. crit.
jur. beige, 1954, 35, obs. Vauthier).

3. Partie réglementaire.

380. La concession mêle des éléments d'autorité aux élé-


ments contractuels.
D'une part l'autorité compétente fixe conventionnelle-
ment la situation individuelle du concessionnaire, l'avan-
tage personnel qu'il peut légitimement retirer de l'exploi-
tation du service. Le <lroit du concessionnaire est civil. Les
contestations sont de la compétence des tribunaux (Cass.,
13 févr. 1908, Pas., 1908, I, 112).
D'autre part, les autorités compétentes ont Ie controle
absolu de ce service public. Non seulement elles Ie créent
et Ie suppriment <liscrétionnairement (C. E., 26 oct. 1949,
R. J. D. A., 1950, 17, Smets-Use), mais encore elles l'orga-
nisent. Elles fixent la « loi du service public» (n 21-338).
05

Pour prendre l'exemple concret de l'exploitation d'une


ligne de tramways, elles déterminent Ie montant du péage,
l'heure du premier et du dernier <lépart, la fréquence des
convois, Ie nombre de places assises, etc. Cette loi du ser-
vice public est de nature réglementaire. Même si elle s'in-
sère dans Ie cahier des charges, elle ne prend pas pour
cela un caractère conventionnel.
L'Administration qui a confié un service public à un
particulier se réserve Ie moyen de contröler si cette gestion
privée ne compromet pas l'intérêt général. Même sans sti-
pulation expresse dans Ie cahier des charges et en vertu
<lu principe que tout service public fonctionne avec l'au-
torisation des gouvernants, elle peut réclamer communi-
cation des comptes, procéder à des enquêtes (Orianne, op.
cit., n° 279; - Gand, 7 mai 1951, R. W., 1954-----52, 217).
L' Administration peut aussi modifier les conditions d'ex-
ploitation. Ce droit d'amendement est parfois expressément
prévu par la loi (voyez L., 28 juill. 1926, complétant la loi
du 10 mars 1925, sur la distribution d'énergie électrique).

N" 379 à 380


SECTION 111. - RÈGLES APPLICABLES 285

L'article 6 de la loi du 9 juillet 1875 sur les tramways per-


met aux autorités concédantes d'accorder à de nouvelles
compagnies Ie droit de s'embrancher sur les lignes concé-
dées et d'y faire circuler, moyennant indemnité, leurs voi-
tures (Cass., 30 mai 1908, Pas., 1908, I, 221). L'influence de
ces modifications sur la rémunération du concessionnaire
a été analysée antérieurement.
Une seconde conséquence de la nature réglementaire de
ces dispositions est aussi importante: ces règles - ainsi que
leurs amendements ultérieurs - s'imposent non seulement
au concessionnaire mais aussi aux usagers.
On a proposé une interprétation raffinée de la volonté
commune du concessionnaire et de l'usager, au moment ou
ils signent Ie contrat particulier d'abonnement. Sachant
que Ie fonctionnement d'un service public peut être modi-
fié par les autorités publiques, ils ont accepté de commun
accord non seulement les dispositions existantes du cahier
des charges, mais encore les amendements qui y seraient
ultérieurem-~nt apportés. Mais n'est-ce pas là introduire
dans Ie contrat une condition potestative, qui, selon les
regies du Code civil, Ie rend nul?
Toutes ces difficultés se dissipent si au lieu de cherche1
l'explication dans Ie Droit privé, on tient compte des pro-
cédés du Droit administratif. Il faut bien distinguer dans
Ie cahier des charges, les deux éléments qui Ie constituent.
D'une part, nous avons l'élément conventionnel, Ie contrat
qui règle la situation financière du concessionnaire, les
avantages personnels qu'il retire de l'exploitation. D'autre
part, il y a l'élément réglementaire, la « loi du service >
qui règle Ie fonctionnement de ce service. A cette loi uni-
la téralement établie et amendée par l'autorité publique,
tous sont également soumis : Ie pouvoir concédant sub-
or<lonné (Brux., 26 juill. 1920, R. A., 1921, 40; -- Liège,
9 mai 1924, Pas., 1925, II, 63 : augmentation des tarifs im-
posée par arrêté royal en vertu de la loi du 11 oct. 1919 et
23 juill. 1924), Ie concessionnaire (Brux., 8 juill. 1913, B. J.,
1913, I, 148 : il ne peut imposer un minimum de consom-
mation ou exiger Ie paiement des frais de raccordement,
si Ie cahier des charges ne l'a pas prévu) ; les usagers
(Liège, 9 juin 1925, R. A., 1926, 177 : augmentation de
tarif); les agents du concessionnaire (Cons. prud'hom-
mes Brux., 7 mars 1934, R. A., 1934, 337 : les chauffeurs de

N° 380
286 CHAPITRE VIII, - LES CONTRATS

taxi au service du concessionnaire peuvent réclamer Ie


minimum de salaire prévu dans Ie cahier des charges). ou
même les tiers qui voudraient devenir usagers ou les tiers
qui se plaignent d'un quasi-délit (Cass., 18 juin 1891, Pas.,
1891, I, 65 : commune se plaignant des dommages causés
par l'établissement d'une ligne vicinale qui n'est pas con-
forme aux clauses du cahier des charges).

N 380
CHAPITRE IX
OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

La troisième source d'obligation est Ie quasi-délit. Des


règles spéciales devraient organiser la responsabilité aqui-
lienne des personnes publiques. C'est toujours la mêmc
raison qui justifie ce régime exceptionnel. Les pouvoirs
publics accomplissent obligatoirement une tàche nécessaire
et extrêmement complexe. Leur action ne doit pas être
entravée par des règles de responsabilité qui ne tiendraient
pas comptc de l'importance respective de l'intérêt public
et des intérêts privés. Malheureusement, nous allons voir
que la Cour de cassation, pour justifier sa compétence, a
appliqué trop rigoureusement l'article 1382 du Code civil.
Il en est résulté unc jurisprudence confuse et peu satis-
faisante.
La première section est consacrée à la responsabilité des
personnes publiques, ou, d'une façon plus précise, de l'Ad-
ministration.
One personne morale est un être fictif; elle entre dans Ie
commerce juridique par l'activité de ses agents .Mais, par
leur action, ceux-ci exposent-ils aussi leur responsabilité
personnelle ? Tel est l'objet de la deuxième section.
Ce qui vient d'être dit concerne l'Exécutif. Qu'en est-il
de la responsabilité de l'Etat législateur et juge? La
troisième section fournit la réponse.
Enfin dans la quatrième section, est exposéc la théorie
des quasi-délits et quasi-contrats.

SECTION I
RESPONSABILITE DE L'ADMINISTRATION

A. LE PRINCIPE

381. La responsablité aquilienne de l'Etat et des autres


personnes publiques n'était pas sanctionnée avant 1920.
En effet, les autorités invoquaient avec succès un déclina-
288 CHAPITRE IX. -- OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

toire de compétence. Se fondant sur Ie principe de la sépa-


ration des pouvoirs, elles faisaient admettre que leur action
ne pouvait être censurée par les tribunaux. Ainsi la ques-
tion de responsabilité n'était-elle pas abordée au fond.
Avee l'arrêt rendu par la Cour de cassation Ie 5 novem-
bre 1920 (Pas., 1921, I, 114, arrêt Flandria), Ie renverse-
ment de jurisprudence est décisif. Dès qu'elle a causé un
dommage en lésant Ie droit d'un particulier, la personne
publique est exposée à l'action judiciaire. Le déclinatoire
de compétence est rej eté. Cette question préj udicielle de
juridiction étant résolue (pour de plus amples explications,
voyez Ie chapitre XII), Ie problème de la responsabilité
pouvait être abordé. Il fut résolu par l'affirmative.
Depuis eet arrêt de principe, la jurisprudence a été abon-
dante. Tous les services publics ont été pratiquement mis
en cause, même ceux <lont Ie fonctionnement touche de très
près à l'exercice de la puissance politique. L'Etat a, par
exemple, été jugé responsable des accidents que des mili-
taires subissent par la faute de leurs chefs; les soldats, tout
comme les tiers, ont Ie droit d'exiger que les règles de
prudence inspirées par l'expérience et prescrites par l'au-
iorité soient observées (Cass., 27 janv. 1927, R. A., 1927,
475; - Cass., 21 mars 1935, Pas., 1935, I, 197; - Cass.,
25 avr. 1940, Pas., 1940, I, 13-1); toutefois, cette responsa-
bilité ne s'étend pas aux faits de guerre (Cass., 2 juin 1947,
Pas., 1947, I, 264). L'Etat répond des sévices imputahles aux
services d'ordre (Liège, 26 avr. 1955, Reu. crit. jur., 1956. 5,
Deutziger c./ Etat beige, note Goossens; - Brux., 9 déc.
1958, J. T., 1959, 258, Etat beige c./ S. A. Provinces réunies).
Ces· exemples montrent qu'aucun service administratif
n'échappe aux conséquences de ses délits civils.
Il en est ainsi non seulement pour l'Etat mais pour les
provinces et communes (Cass., 11 juin 1953, Pas., 1953, I,
787; Halmes-Arens c./ Lennartz et erts) et les organismes
parastataux (Cass., 3 avr. 1952, Pas., 1952, I, 496; De
Jonghe, veuve Bruyneel et erts c./ Corporation nationale
de l' Agriculture et de l' Alimentation, en liquidation).
Le progrès est considérable. Néanmoins, après près d'un
demi-siècle d'efforts jurisprudentiels, le-résultat n'est pas
satisfaisant. D'une part, d'une manière pratique, la protec-
tion juridictionnelle des individus est loin d'être entière-
ment assurée contre les empiétements illicites de l' Admi-
nistration. D'autre part, au point de vue scientifique, la

N° 381
SECTION I, - RESPONSABILITÉ DE L' ADMINISTRATION 289

justification des solutions adoptées reste fort embrouillée.


Un effort doit être fourni pour faire progresser Ie Droit
dans ce domaine.
Une personne publique ne peut avoir par elle-même des
volitions ni exercer une activité. Des êtres humains doivent
agir pour son compte. Aussi sa responsabilité pose-t-elle
deux questions distinctes : D'abord quelles conditions doi-
vent être réunies dans Ie chef de !'agent pour engager la
responsabilité? Ensuite moyennant quelles autres condi-
tions cette responsabilité ne reste-t-elle pas propre à l'agent
mais doit-elle être imputée à l' Administration? Après avoir
répondu à ces deux questions, on précisera dans Ie para-
graphe suivant les modalités de l'obligation de réparation.
On réservera pour la fin des considérations sommaires sur
des régimes spéciaux de responsabilité sans rapport avec
l'article 1382 du Code civil (sur toutes ces questions, voyez
Dalcq, « Traité de la responsabilité civile », Novelles, Droit
civil, tome V, volume I, 1959 et les références).

B. CoNDITIONS DE LA RESPONSABILITÉ

La responsabilité exige la réunion de quatre conditions :


Ie préjudice, la lésion d'un droit subjectif chez la victime,
la faute dans Ie chef du coupable, un lien de causalité.
C'est Ie régime du Droit privé avec certaines adaptations.

1. Le préjudice.
382. Le dommage est nécessaire. Sans intérêt, pas d'ac-
tion. Le préjudice doit être certain et direct. On insiste par-
fois sur la nécessité d'un dommage spécial; un simple
inconvénient, une gêne supportée par tout Ie public, ne
sont pas suffisants.

2. La lésion d'un droit subjectif.


383. La seule existence d'un <lommage ne suffit pas à
fonder une action en responsabilité. L'intérêt de la victime
devait être juri<liquement protégé, ce qui est la définition
d'un droit (Cass., 19 mai 1952, Pas., 1952, I, 603, Schaep
c./ S. A. Assurances du Boerenbond beige; - C. E., 29 oct.
1954, D et B, 1954, 909, S. P. R. L. Ateliers L. Bruneau). Par
exemple, dans une adjudication publique, Ie concurrent

N 05 382 à 383
29G CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

injustement évincé avait intérêt, mais non un droit à l'ad-


judication (n° 360). La responsabilité des pouvoirs puhlics
n'est pas engagée.
Mais supposons l'existence d'un intérêt juridiquement
protégé, d'un véritable droit subjectif. Sa violation par
l'Administration fonde-t-elle, contre celle-ci, une action en
dommages-intérêts? N'y a-t-il aucune différence selon que
Ie coupable est une personne publique ou une personne
privée?
C'est ce que croyait la Cour de cassation après avoir, par
l'arrêt Flandria, affirmé l'application à l'Etat de l'article
1382 (n° 473).
Cependant, la protection qu'assure l'article 1382 s'étend-
elle à tous les droits que Ie particulier peut faire valoir
contre l'Etat? Elle couvre manifestement ceux qu'organi-
sent Ie Code civil et les lois qui Ie complètent : droit à l'in-
tégrité physique et spirituelle de la personne, droits de
famille, droits patrimoniaux. Un particulier qui se plaint
d'avoir été atteint dans son corps, dans son honneur ou
dans ses biens par suite d'un mauvais fonctionnement du
service public, a un droit civil à des dommages-intérêts
fondé sur l'article 1382. Tel est le cas du propriétaire du
bateau échoué par suite d'une erreur du service de la navi-
gation (Cass., 20 oct. 1927, Pas., 1927, I, 310; - Cass.,
14 avr. 1921, Pas., 1921, I, 136) ou d'un soldat blessé par la
faute de ses chefs (Cass., 11 juill. 1935, Pas., 1935, I, 320; -
Cass., 21 mars 1935, Pas., 1935, I, 194).
Mais ces droits ne sont pas les seuls <lont puisse jouir un
particulier. Celui-ci a aussi un intérêt juridique au fonc-
tionnement réglementaire des services publics. La loi qui
organise chacun de ceux-ci précise les conditions de sou
fonctionnement. Cette « loi du service public » crée des
obligations à charge de l' Administration et corrélativement
des droits au profit des individus. Le droit subjectif au
fonctionnement réglementaire du service public peut pré-
senter un intérêt pécuniaire pour celui qui l'invoque. Celui
qui demande une autorisation de bätir ou une licence d'ex-
portation, recherche un avafüage qui finalement peut
s'évaluer en argent.
Celui qui n'a pas été blessé et <lont les biens ne sont pas
endommagés et qui se plaint seulement de ne pas avoir
reçu la prestation du service public, peut-il obtenir une

N° 383
SECTION I. - RESPONSABILITÉ DE L' ADMINISTRATION 291

indemnité en vertu de l'article 1382 du Code civil.? Les


trihunaux répugnent à l'admettre.
Voilà la faihlesse d'un système juridique qui, pour res-
pecter une compétence prétendument suffisante des trihu-
naux ordinaires en matière de responsahilité, ahoutit à
refuser Ie contentieux de pleine juridiction au Conseil
d'Etat. Il y a des violations de droits subjectifs par l'Admi-
nistration qui restent sans sanction. Sans doute, Ie Conseil
d'Etat peut-il annuler la décision administrative. Mais Ie
remède est parfois insuffisant car .c'est la prestation elle-
même que l'intéressé souhaite recevoir. S'il s'agit d'obtenir
réparation, Ie Conseil d'Etat ne peut donner qu'un avis
(n° 487) et les trihunaux, en général, s'estiment incornpé-
tents.
3. La faute.
384. Il y a faute quan<l la personne puhlique, par l'or-
gane de ses agents, agit autrement qu'elle aurait dû Ie faire.
Faute el lésion d'un droit de la victime : M. Ie procureur
général Leclcrcq a cssayé de démontrer que la faute se con-
fond avec la lésion d'un droit et ne constitue pas une con-
dition distinctc (voyez Répertoire pratique, v Personnalité,
0

n 00 1293 et suivants, et la jurisprudence citée). Cette


théorie qui a été critiquée par la doctrine et n'a pas eu
d'écho en jurisprudence, rend plus confuse la théorie de la
responsabilité sous prétexte de la simplifier. En fait, une
des deux conditions peut exister sans l'autre et cela suffit
pour justificr l'immunité de !'auteur du dommage. On droit
lésé sans faute, par excmple un accident mortel qui n'est
pas imputahle à une imprudence, n'entraîne pas de respon-
sabilité; il en est de même inversement pour une faute qui
n'est pas accompagnée par la lésion d'un droit - par
exemple une négligence qui cause un accident mortel et
prive la concubine de l'assistance qu'elle recevait en fait
mais sans droit de la victime.
Faute et existence d'un droit chez /'auteur du dom-
mage : II ne peut y avoir faute si !'auteur du dommage
avait Ic droit ou Ie pouvoir d'agir comme il l'a fait.
Constater !'absence d'un droit, dans Ie chef de !'auteur
du dommage, d'agir comme il l'a fait ne préoccupe guère
les civilistes. En Droit privé, tous les individus sont égaux
<levant la loi; aux droits des uns, correspond l'obligation
des autrcs de les respecter. On cite cependant des cas ou

N 00 383 à 384
292 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

des droits opposés sont en conflit : théorie de l'abus de


droit, des obligations de voisinage (Cass., chambres réunies,
6 avr. 1960, Reu. crit. jur., 1960, 257, concl. Mahaux, note
Dabin, 2 arrêts: Etat c./ Meunerie De Voghel; - Thibaut,
Gillebert, Baron de J amblinne de Meux et S. A. Jacques
Wolf), de la légitime défense.
En Droit administratif l'intérêt général doit prévaloir
sur celui des particuliers. La personne publique est armée
de prérogatives, de droits qui dominent ceux des individus:
elle exproprie, réquisitionne, impose des servitudes légales,
prend des mesures de police, gère des services publics.
Si l'Administration exerce régulièrement un pouvoir,
une compétence, sou acte est licite même s'il est préj udi-
ciable et ne peut engendrer l'obligation d'indemniser les
victimes. « Attendu qu'il est contradictoire de déclarer
lésionnaires de droits d'autrui des actes qui d'autre part
sont tenus pour « souverains » ou accomplis en exécution
de la loi; que la notion de souveraineté ou de conformité
à la loi implique nécessairement que l'auteur de l'acte n'a
agi que dans les limites de ce qui lui était permis ou com-
mandé par la loi de décider et d'exécuter et qu'il na pu
par conséquent, ni par cette décision ni par cette exécution,
léser des droits reconnus par la loi à des tiers » (Cass.,
21 févr. 1946, Pas., 1946, I, 77, Etat beige c./ Spaars et erts).
Dans l'exercice de ses pouvoirs, l'Administration a sou-
vent une compétence liée; elle peut disposer aussi d'une
marge d'appréciation, décider si elle agit ou non, et dans
l'affirmative, dans quel sens et selon quelle méthode.
L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, quand il est régu-
lier, n'engage pas sa responsabilité. « Si le juge constate que
les griefs invoqués par les particuliers portent, non sur
l'inobservation de la loi par l' Administration mais sur la
manière <lont l' Administration a estimé devoir user de ses
pouvoirs légaux, il ne peut accueillir la demande <lont il
est saisi sans empiéter sur un domaine qu'il appartient aux
seules autorités administratives de régenter » (Cass.,
17 janv. 1953, Pas., 1953, I, 315; - Cass., 21 févr. 1946, Pas.,
1946, I, 77, Etat beige c./ Spaars et erts; - Cass., 14 juin
1956, Pas., 1956, I, 1128, Dierinckx c./ -commune de Mar-
chienne-au-Pont (trottoir dénivelé); - Cass., 7 déc. 1956,
Pas., 1957, I, 365, Ville de Renaix c./ Société coopérative
Patria, Portois et erts; - Càss., 17 déc. 1953, J. T., 1954, 1,
678, Commune de Plancenoit c./ Franco (chute de grange);

N° 384
SECTION I. - RESPONSABILITÉ DE L' ADMINISTRATION 293

- En inondant une région pour couvrir l'armée, Ie com-


mandement sait que les champs seront ravagés d'une façon
durable; il n'est cependant pas responsable. Il avait Ie droit
d'agir ainsi. On ne peut même pas exiger qu'entre deux mé-
thodes, l'Administration choisisse la moins préjudiciable
car ce serait dangereusement limiter Ie pouvoir d'appré-
ciation qui lui a été donné pour mieux servir l'intérêt
général.
Existence d'une faute: Si l'Administration n'a pas reçu
Ie pouvoir, voire l'obligation d'exercer certaines activités
au détriment des intérêts d'autrui, ou si elle exerce mal ce
pouvoir, la question de la faute se pose.
Il en est ainsi lorsque une décision n'est pas de la com-
pétence de l'autorité (Cass., 29 mai 1947, J. T., 1947, 538,
Commune de Boortmeerbeek c./ Daelemans, note Cam-
bier). Il en est de même si l'autorité est bien compétente
pour intervenir mais agit autrement qu'il lui est prescrit
- soit que sa décision n'ait pas été prise dans les formes,
soit que cette décision (ou absence de décision), dans son
fond, constitue une illégalité. Une commune commet une
faute qui engage sa responsabilité en maintenant illégale-
ment fermé un débit de boissons (Courtrai, 9 févr. 1934,
R. A., 1935, 319); - L'Etat est coupable s'il interdit illégale-
ment une construction (Civ. Brux., 16 déc. 1953, J. T., 1955,
25, Cons. de Croix c./ Etat beige, note Van Ommeslaghe; -
Brux., 20 janv. 1956, J. T., 1956, 2.10, Etat beige c./ Consorts
de Croix) ou la continuation de la construction régulière-
ment autorisée (Cass., 16 nov. 1950, Pas., 1951, I, 164, Ville
de Bruxelles c./ S. A. Shell Immeubles Belges). L'Etat doit
une réparation au fonctionnaire évincé par une nomina-
tion illégale.
Ce qui vient d'être dit concerne les actes juridiques, les
décisions qui constituent l'exercice de la compétence, l'uti-
lisation d'un droit ou d'un pouvoir avec sa marge d'appré-
ciation. Quant aux actes matériels d'exécution qui sont
accomplis par des agents subalternes, des distinctions doi-
vent être faites. D'abord, il n'y a pas responsabilité, puis-
qu'il n'y a pas faute, <lans tous les cas ou ces actes con-
stituent l'exécution correcte d'instructions qui sont elles-
mêmes régulières. Ensuite, si tout en obéissant aux ordres,
les agents font preuve de négligence et les exécutent mal,
cette faute peut engager la responsabilité. Enfin, si leur
acte est l'exécution parfaitement régulière d'une décision

N° ?.P.4
294, CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

qui est elle~même illégale, cette dernière faute suffit pour


fonder la responsabilité de la personne publique; une ques-
tion délicate est de savoir si cclle de l'agent est aussi
engagée parce qu'il aurait dû refuser d'exécuter l'ordre
irrégulier (n° 118).
Application à la voirie : En appliquant cette théorie de
la faute aux accidents de voirie, si minutieusement étudiés
par les magistrats du siège et du parquet de la Cour de
cassation, on en aperçoit mieux les contours; on constate
aussi dans quelle mesure elle s'écarte des solutions juris-
prudentielles et bien plus souvent leur fournira une justi-
fication meilleure.
1" L'Administration est compétente pour créer la voirie;
elle jouit à cette fin de différents pouvoirs <lont l'exercice
lui laisse une marge d'appréciation. Dans cette mesure, sa
responsabilité n'est pas en jeu. La victime ne peut repro-
cher aux pouvoirs publics d'avoir décidé que la voirie
serait un simple chemin de terre et non une chaussée béton-
née (Cass., 11 mai 1933, Pas., 1933, I, 222, Collinet c./ Com-
mune de Boortmeerbeek, concl. av~<:_~_linéral Gesché; -
Cass., 14 juin 1956, J. T., 195" ~ confirmant Brux.,
ter mars 19'56, J. T., 1956, 637, Commune de Marchienne-au-
Pont c./ Dierinckx) qu'elle serait ou ne serait pas éclairée,
que les courbes auraient tel rayon, que la largeur serait
d'autant de mètres. On ne peut objecter qu'une autre con-
ccption aurait été meilleure ni même que Ie type choisi
est à certains égards anormal.
Néanmoins des arrêts découvrent dans certains cas une
faute qui affecte la décision elle-même. Celle-ci qu'on qua-
lifie de « souveraine » ne peut imposer un état réglemen-
taire de la route qui puisse tromper « la légitime confiance
de l'usager » (Cass., 8 juill. 1943, Pas., 1943, I, 291, Etat
beige c./ Keskleyn; - Cass., 6 nov., 1952, Pas., 1953, I, 140,
Etat c./ Sternon; - Cass., 14 juin 1956, Pas., 1956, I, 1128,
Dierinckx c./ Commune de Marchienne-au-Pont).
2" La décision prise doit être exécutée; c'est ici que la
faute Ie plus souvent s'introduit. La chaussée doit être
« solidement construite et convenablement-entretenue »
(Cass., 19 avr. 1934, Pas., 1934, I, 249, Ville de Bruxelles
c./ Cie ardennaise de Transports). L' Administration est
tenue d'assurer la sécurité, une bonne signalisation, un
éclairage réglementaire (Liège, 21 févr. 1956, Pas., 1957,

N°384
SECTION I. --- RESPONSABILITÉ DE L' ADMINISTRATION 295

2, 99, Etat beige c./ Vandevoorde; - Brux., 12 juill. 1957,


Pas., 1957, 2, 185, Commune d'Uccle c./ Vloebergh et erts).
Ce sont les communes qui sont compétentes pour tout ce
qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les
rues, quais, places et voies publiques (Décret 14 déc. 1789,
art. 50; Décret 16, 24 août 1790, titre XI, art. 3). Elles sont
donc responsables de l'état réglementaire de la voirie
(Cass., 20 déc. 1951, Reu. crit. jur., 1953, 161; - Cass.,
21 oct. 1954, R. J. D. A., 1954" 308, Van Hulst).
Degré de la f aute : En Droit privé, la négligence la plus
légère suffit. On peut et on doit exiger des services indus-
triels de l'Etat la même vigilance que des entreprises pri-
vées. Mais qu'en est-il pour les autres services publics ?
On affirme souvent que les particuliers n'ont pas les
mêmes droits civils vis-à-vis des individus et à l'égard de
l'Aministration. Celle-ci jouit de pouvoirs exceptionnels
qui viennent comprimer ces droits, en diminuer l'étendue.
Cette conception de droits élastiques, <lont les contours sont
différents et ne s'arrêtent pas au même endroit selon la
personne à laquelle ils sont opposés, est fatigante à saisir
et difficile à développer.
Tout s'éclaire si l'on distingue nettement deux conditions
diff érentes de la responsabilité. D'abord il faut la lésion
d'un droit subjectif de la victime. Celui-ci est une réalité
juridique objective qui s'impose à tous de la même façon.
Le droit de propriété privée, celui à l'intégrité physique et
spirituelle de la personne existent avec la même étendue
vis-à-vis de l' Administration et à l'égard des particuliers.
Mais la responsabilité implique une seconde condition :
la faute. Celle-ci qui se définit une erreur de conduite, ne
doit plus être vue du cöté de la victime, comme la lésion
du droit. Elle s'apprécie dans Ie chef de !'auteur du dom-
mage. Comme les différentes personnes peuvent avoir des
devoirs juridiques différents, une conduite irréprochable
est une notion relative qui varie de personne à personne.
C'est déjà vrai en Droit privé. En principe une activité qui
volontairement ou par imprudence cause la mort d'autrui
est fautive. Mais il n'en est pas ainsi pour Ie médecin qui,
dans un cas difficile, applique un remède nouveau et en-
core peu expérimenté, pour l'homme en état de légitime
défense. Ces personnes ont Ie droit de risquer la vie de
leur semblable.

N° 384
296 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

Telle est précisément la situation de l' Administration.


Celle-ci tient de la loi Ie pouvoir de créer et de faire fonc-
tionner des services publics. C'est un devoir quand sa com-
pétence est liée; c'est un droit dans la mesure ou elle jouit
d'un pouvoir discrétionnaire. Dans les deux cas, si elle use
correctement de ce droit ou remplit exactement ce devoir,
elle a une conduite irréprochable. Sa responsabilité n'est
pas engagée, bien que Ie droit lésé existe pour elle comme
pour les particuliers, parce qu'elle n'a pas commis de faute.
En exigeant une prudence excessive de la part des ser-
vices de l'ordre ou du commandement militaire, on risque
de créer chez ceux-ci une pusillanimité, une peur de
l'initiative bien dangereuse; il faut une faute caractérisée
pour engager la responsabilité de l'Etat (Brux., 9 déc. 1958,
J. T., 1959, 258, Etat c./ S. A. Les Provinces Unies).
On peut prétendre qu'il n'y a pas amendement mais
application exacte de la règle énoncée à l'article 1382. Tel
est l'avis de ceux pour lesquels cette disposition ne se
réfère pas à la conduite typique d'un pater familias impec-
cable mais impose l'appréciation de la faute in concreto.
Dès lors, « la responsabilité civile d'un agent de l'Etat
retiendra pour faute, tout fait quelconque qui n'est pas
compatible avec l'activité normale ou correcte d'un agent
qui s'acquitte loyalement, scrupuleusement de ses fonc-
tions » (Seeldrayers, R. A., 1940, 149; - Cambier, Reu. crit.
jur., 1958, 36; - Dalcq, op. cit., Novelles, n° 1387; - Goos-
sens, notc Reu. crit. jur., 1958, 57).

4. Causalité.
385. Sur cette quatrième condition de la responsabilité,
le Droit privé et Ic Droit administratif sont identiques.
Le lien de causalité est supprimé ou affaibli par la force
majeure, la faute de la victime, etc. (cf. 390, 6, 2").

C. CONDITIONS DE L'IMPUTABILITÉ

L'Administration, être moral, agit par l'organe de ses


agents. Les conditions étudiées dans Ie paragraphe précé-
dent sont réunies dans Ie chef de l'un d'eux; sa responsa-
bilité personnelle est engagée (n° j94). Mais celle de la
personne publique l'est-elle aussi? Ainsi surgit la question
de l'imputabilité.

N 08 384 à 385
SECTION I. - - RESPONSABILITÉ DE L'ADMINISTRATION 297

La jurisprudence fait une distinction. Certains agents


sont considérés comme des « organes » de la personne
civile. Cette théorie se fonde, au moins implicitement, sur
un anthropomorphisme audacieux. Un administrateur est
à la société commerciale ou un chef de département est à
l'administration publique ce que les yeux ou les mains sont
pour la personne physique. Par ailleurs, une personne ci-
vile comme un particulier peut avoir à son service de sim-
pies préposés qui agissent pour Ie compte de leur com-
mettant.
Qu'il s'agisse d'organe ou de préposé, la responsabilité
aquilienne de la personne publique peut être engagée. Mais
dans Ie premier cas elle sera directe (Code civil, art. 1382)
et indirecte <lans Ie second (Code civil, art. 1384, al. 1).
Cette distinction doit d'abord être approfondie pour être
ensuite réfutée.
1. Organe.

a. - Définition.
386. Quels sont les organes d'une personne publique ?
Théorie jurisprudentielle : La jurispru<lence est peu pré-
cise. Parfois elle considère la nature des fonctions : !'agent
doit avoir <les attributions politiques et ne pas accomplir
des opérations qui pourraient être faites par des particu-
liers (Cass., 16 oct. 1922, Pas., 1923, I, 14, Stevens c./ Etat
beige). D'autrcs arrêts insistent sur la parcelle d'autorité
publique qui est déléguée aux fonctionnaires (Cass., 13 déc.
1923, Pas., 1924, I, 82, Dohogne c./ Commune de Herstal).
D'autres encore considèrent la situation contractuelle ou
réglemcntaire de !'agent (Cass., 25 févr. 1926, Pas., 1926,
I, 261). Ces distinctions sont d'une application difficile.
La dernière tient compte de la nature unissant !'agent
à la personne publique. Mais c'est celle-ci qui décide d'en-
gager par contrat ou de nommer unilatéralement son col-
laborateur; peut-elle ainsi faire varier l'étendue de sa
responsabilité? De plus quel rapport logique établit-on
entre la nature de ce lien et l'imputabilité des fautes?
Les premières distinctions partent de la nature politique,
autoritaire des fonctions confiées à l'agent. Elles s'inspirent
d'une opposition, aujourd'hui périmée entre l'activité d'im-
périum et l'activité de gestion; depuis !'arrêt Flandria de
1920, on admet que tous les services, même les plus investis

N 08 385 à 386.
298 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS 1'10N CONTRAC:TUELLES

d'autorité, comme la police et la défense nationale, peu-


vent engager la responsabilité de I'Etat.
Une théorie se juge à ses effets. Les critères jurispru-
dentiels aboutissent à élargir considérablement la notion
d'organe; la liste exemplaire de ceux-ci révèle une extrême
confusion.
Concrètement, pour la jurisprudence, ont incontestable-
ment la qualité d'organe, ceux qui prennent des décisions
juridiques pour Ie compte de la personne publique :'1 les
ministres,1(Cass., Brux., 1 er févr. 1950, Reu. crit. jur., 1952,
44, note De Visscher), les autorités communales (Cass.,
29 mai 1947, Pas., 1947, I, 216, Commune de Boortmeerbeek
c./ Daelemans).
Sont aussi organes pour les tribunaux, en raison de
l'autorité dont ils sont revêtus, les militaires de tous grades
(Cass., 16 oct. 1922, Pas., 1923, I, 14, Stevens c./ Etat beige;
- Cass., 16 déc. 1948, Reu. crit. jur., 1949, 97), les gendar-
mes (Liège, 26 avr. 1955, Reu. crit. jur., 1956, 5, note Goos-
sens), les garde-chasse, dans l'accomplissement de leurs
fonctions judiciaires (Cass., 31 mars 1943, Pas., I, 117, Etat
c./ Nevens et erts), les miliciens, les chauffeurs militaires,
les agents de police.
Mais on discute la qualité du modeste éclusier (Concl.
ministère public dcvant Cass., 14 avr. 1921, Pas., 1921, I,
136, Pêcheries à vapeur c./ De Schepper; - Cass., 14 nov.
1946, Pas., 1946, I, 415, Office de Navigation c.j Delandts-
heer). On reconnaît celle des fonctionnaires qui sont char-
gés de liquider la succession des étrangers décédés dans la
colonie (Cass., 23 févr. 1933, Pas., 1933, I, 139, Etat beige,
Ministère des Colonies c./ Delval et erts), des facteurs des
postes (Gand, 28 juin 1954, R. W., 1955, 1083), des profes-
seurs de l'enseignement public (avec de laborieuses dis-
tinctions : Brux., Etat c./ Coppens), des médecins de l'ar-
mée ou de la commission d'assistance publique (Brux,
31 oct. 1934, Pas., 1935, II, 62. Marteau c./ Etat beige; -
Brux., 9 févr. 1946, R. J. D. A., 1946, 505, note Mast).
Théorie proposée: Seuls devraient être organes les agents
qui, immédiatement et non par délégation, exercent la
compétence, c'est-à-dire ont Ie pouvoir d'engager la per-
sonne publique par leurs actes juridiques (cf. n° 88). Ceci
exclut la masse des agents subalternes qui sont les colla-
SECTION I. - RESPONSABILITÉ DE L' ADMINISTRATION 299

borateurs des premiers, accomplissent des actes matériels.


Ce critère correspond au sens obvie du mot; il a un fonde-
ment juridique; il tient compte des nécessités pratiques. La
personne publique est un être fictif; elle a besoin d'indi-
vidus pour prendre les décisions juridiques fondamentales.
Ce sont ces organes qui à leur tour choisiront, nommeront,
commanderont les collaborateurs qui sont de simples pré-
posés. Une fiction ne doit pas être étendue inutilement.
En conséquence, sont organes les autorités administra-
tives qui exercent la compétence. Ce sera Ie ministre pour
l'Etat, Ie conseil communal, Ie collège échevinal, et Ic
bourgmestre pour les communes.
Ne sont pas organes mais préposés, les fonctionnaires
dont la täche se confine à des actes matériels, bref qui sont
des agents d'exécution.
Quelle qualité faut-il attribuer aux agents exerçant la
compétence par délégation? Ils sont des préposés quand ils
sont liés par leur délégation, en d'autres termes quand ils
accomplissent les actes juridiques conformément aux règle-
ments, aux instructions particulières des autorités supé-
rieures délégantes qui exercent ainsi à la fois Ie pouvoir
hiérarchique (n° 115) et d'instruction (n° 107). Ils sont des
organes s'ils jouissent en droit d'une autonomie qui les
soustrait à l'action de ces pouvoirs.

b. - lmputabilité.
387. Comment l'organe engage-t-il la responsabilité dé-
lictuelle de I' Administration? Selon la théorie jurispruden-
tielle, il Ie fait directement sur Ie pied de l'article 1382 du
Code 'Civi). C'est comme si la personne publique avait agi
elle-même (Cass., 12 juill. 1921, Pas., 1921, I, 311, Charles,
veuvc Rillaert c./ Etat beige; - Cass., 13 déc. 1923, Pas.,
1924, I, 82, Dehogne c./ Commune de Herstal).
Cette proposition doit être détaillée.
1° D'abord la personnalité de !'agent n'est pas complètc-
ment absorbée par sa fonction. Il se marie, achète et vend,
commet dans sa vie privée des délits qui n'engagent que
sa responsabilité personnelle.
2° Même les actes accomplis dans Ie cadre de la vie pro-
f essionnelle n'ont aucune répercussion juridique sur l'Ad-
ministration, si l'intéressé n'a pas agi en tant qu'organe,

N 05 386 à 387
300 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

dans l'exercice de ses fonctions (Cass., 16 oct. 1922, Pas.,


1923, I, 14, Stevens c./ Etat beige). La Cour de cassation ).
emploie une formule restrictive. « Le fait d'organes de
l'Etat ne peut être réputé Ie fait de l'Etat lui-même que
dans la mesure ou ces organes out qualité pour Ie repré-
senter; qu'il ne suffit pas que Ie fait dommageable soit en
rapport direct avec Ie fait des organes ui qu'il ait lieu à
l'occasion ou au cours de leur exercice.rn faut que ce fait
i-j consiste dans la mauvaise exécution d'un acte qu'en rai-
son de leurs fonctions propres, ces organes avaient Ie pou-
voir ou Ie devoir d'accomplir »J (Cass., 31 mars 1943, Pas.,
1943) I, 117, Etat beige c./ Nevens et erts; - Cass., 15 janv.
1946, R. J. D. A., 1946, 75, De Coene, note Marx et sur ren-
voi : Gancl, 24 mai 1946, Reu. crit. jur., 1947, 128, avec la
note Mast; - Cass., 29 mai 1947, Pas., 1947, I, 216, Com-
mune de Boortmeerbeek c./ Daelemans). On trouve même
l'idée qu'en commettant un dol ou une faute lourde, l'agent
n'est plus organe et n'engage que sa responsabilité per-
sonnelle (arrêt Herremans précité).
La Cour de cassation a nuancé, en l'appliquant, cette for-
mule trop tranchée. Sans doute l'arrêt Nevens dégage-t-il
la responsabilité de l'Etat parce que son organe, Ie garde-
chasse particulier, a outrepassé ses pouvoirs en tirant sur
un braconnier en fuite. Mais l'arrêt Daelemans introduit
une réserve : « L'organe d'un pouvoir public ne repré~ente
celui-ci et n'engage sa responsabilité sur pied de l'article
1382 du Code civil que lorsqu'il agit dans les limites de
ses attributions légales ou qu'il doit être tenu comme agis-
sant dans les limites <lc ses attributions légales par tout
homme prudent et raisonnable. » De même, dans l'arrêt
Raymaekers déjà cité, la Cour admet la responsabilité de
l'Etat parce que Ie militaire, son organe, a exécuté un
ordre qui paraissait régulier. La restriction ruïne Ie prin-
cipe. Ce n'est pas la confiance de l'administré qui peut sup-
pléer au défaut de compétence de !'administrateur et main-
tenir à celui-ci la qualité d'organe (Gand, 25 juin 1954,
Pas., 1955, 2, 17, Du B ... , c./ V ... P ... ).
Moyennant ces réserves, l'excès de pouvoir exonère
l'Administration. La solution est la même--POUI'- le détour-
nement de pouvoir. Dans l'arrêt De Coene, la Cour affirme
que l'Etat ne peut- être responsable de la faute commise
par un organe qui utilise ses pouvoirs d'une manière por-
tant atteinte à la sûreté de l'Etat (financement de fabrica-

N0 387
SECTION I. - RESPONSABILITÉ DE L' ADMINISTRATION 301

tion pour l'ennemi). On arrive à une conclusion choquante.


La personne publique plaide la fraude de son agent pour
dégager sa responsabilité et abandonner à son sort la
victime.
3° L'acte de l'organe - dans l'acception que la juris-
prudence donne à cc terme - peut ne pas être une déci-
sion, mais un acte de simple exécution. La jurisprudence
recherche dans Ie même esprit si !'agent s'est conformé aux
ordres. Le chauffeur militaire qui ne suit pas l'itinéraire
prescrit et cause un accident n'est plus un « organe ». En
s'écartant de sa mission réglementaire, il ne peut engager la
responsabilité de ,l'Etat (Cass., 25 oct. 1951, Pas., 1952, I,
101, Louis c./ Etat). Mais ici encore on constate des atté-
nuations. Un arrêt ultérieur relève avec indulgence que
ce militaire ne pouvait deviner l'irrégularité de l'ordre
donné par son supérieur hiérarchique, Ie sergent qu'il
véhiculait dans son camion ( Cass., 30 avr. 1953, Pas., 1953, , ,
I, 672, Etat beige c./ Raymaekers). Ou bien, d'une ma- ! 1
nière plus frappante encore, on maintient la responsabilité
de l'Etat, sans rechercher · la justification fragile -d'un
ordre apparemment régulier mais en constatant au con-
traire que l'intéressé avait volontairement modifié l'itiné-
raire et s'était fabriqué une fausse permission (Cass.,
30 avr. 1953, Pas., 1953, I, 673, Etat c./Meganck).
En résumé, la jurisprudence, embro_uillée par une défi-
nition trop large de l'organe, n'admet l'imputabilité que
lorsque !'agent ainsi qualifié a eu une activité qu'il devait
ou pouvait exercer. Dès lors l'excès ou Ie détournement de
pouvoir qui entachent une décision, un acte juridique et
la désobéissance aux ordres, s'il s'agit d'un ordre matériel,
mettent la personne publiquc hors de cause.
Le résultat est une large et souvent choquante immuni-
sation des personnes publiqnes. La Cour de cassation a
cherché à écarter les conséquences les plus inadmissibles
par des arguments variés qui ne constituent pas une
théorie.
Le système est vicié par une double errcur : on interprète
trop largement Ie concept d'organe; on utilise inutilement
celui-ci en matière délictuellc.
La théorie jurisprudentielle serait plus compréhensible
si la notion d'organe était limitée, comme nous l'avons pro-
posé, aux agents accomplissant des actes juridiques. Un
302 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

fonctionnaire compétent pour engager la personne publi-


que dans tel domaine, ne l'est plus, par hypothèse, s'il ex-
cède ses pouvoirs.
Mais, même ainsi limité, Ie système est inacceptable par-
ce qu'il se fonde sur une confusion. En matière délictuelle,
on considère non pas des actes j uridiques mais des faits
juridiques; ceux-ci n'ont rien à voir avec la compétence.
Un gouverneur ne peut engager la province en signant un
acte quand la compétence appartient à la députation per-
manente. Mais si, dans l'exercice de ses fonctions, il pilote
son auto et écrase un passant, pourquoi la responsabilité
aquilienne de la province ne peut-elle être engagée de la
même façon que dans l'hypothèse ou Ie chauffeur, au lieu
d'être assis à ses cötés, tient Ie volant ?
2. Préposé.
a. - Définition.
La définition jurisprudentielle du préposé est corrélative
à celle de l'organe, sans cependant s'articuler exactement
avec elle.
388. Le lien de préposition doit être très largement en-
tendu. Quelle que soit sa nature, il implique pour la per-
sonne publique, ou plutöt pour ses organes, la possibilité
de donner des ordres au préposé qui se trouve ainsi dans
un état de subordination. Peu importe si l'agent est engagé
par contrat ou se trouve dans une situation réglementaire,
si c'est un collaborateur mis occasionnellement à la disposi-
tion de l' Administration ou si c'est une personne réquisi-
tionnée (Liège, 10 juill. 1946, Pas., 1946, 2, 63, Lecocq,
Godefraind et ministère public c./ Heinen et Ville de Spa;
- Brux., 5 nov. 1945, J. T., 1946, 303).
Il faut exclure naturellement les organes. La théorie
jurisprudentielle, on l'a vu, reconnaît cette qualité à des
agents dont l'état de subordination, de préposition est très
accentué. Ceci justifie nne nouvelle critique du système
j urisprudentiel : la distinction proposée entre organe et
préposé est confuse et même illogique parce que les caté-
gories sont définies par des crit~res diff érents. Pour l'or-
gane, on tient compte de la nature des fonctions; pour Ie
préposé, on considère Ie lien de subordina tion.
b. - Imputabilité.
389. L'article 1384, alinéa 3, du Code civil est appliqué

N 08 387 à 389
SECTION I. - RESPONSABILITÉ DE L' ADMINISTRATION 303

par la jurisprudence. La responsabilité de l' Administration


est engagée dès que l'acte de !'agent a été accompli pen-
dant Ie travail et à !'occasion de celui-ci (Cass., 27 mars
1944, Pas., 1944, I, 275, De Wulf q.q. et van Maele q.q. c./
De Jonghe et Pollet; - Cass., 20 juin 1949, Pas., 1949, I,
454, Langenhaik et erts c./ Dzierla et Frippiat).
La responsabilité de la personne publique est donc plus
lourde que lorsqu'elle est représentée par un organe. Pour
celui-ci, seuls sont imputables à l'Administration les actes
qu'en vertu de sa fonction « il pouvait ou il devait rem-
plir ». Le préposé engage son commettant même par une
activité accomplie sans ordre ou contrairement aux ordr·es
du moment qu'une connexité existe entre l'acte domma-
geable et sa tàche professionnelle.

3. Théorie proposée.
390. La plupart des solutions jurisprudentielles tiennent
compte des nécessité pratiquès et peuvent être expliquées
en <lroit d'une façon plus simple.
a. - Inutilité de la distinction entre organe et préposé.
Commençons par rappeler que nous avons autrement
défini les deux notions (n° 386).
Sans <loute y a-t-il une différence juridique entre l'or-
gane et Ie préposé. Le premier - ministre, conseil commu-
nal, etc. - ne reçoit pas d'ordre mais au contraire donne
les directives auxquelles est soumis Ie second.
Cette distinction est <langereuse et inutile.
Elle est dangereuse pour Ie plaideur qui risque d'être
débouté s'il a fondé à tort son action sur l'article 1382 et
non sur l'article 1384 ou inversement; ce péril est d'autant
plus grand que les critères jurisprudentiels sont imprécis
(voyez un cxemple dans Cass., 2 mai 1946, Pas., 1946, I,
168, Cornm. assistance publique de la Ville d'Aerschot c./
H. Gasten et consorts). La distinction est fort dangereuse
aussi car elle aboutit à des solutions inéquitables. La vic-
time est sacrifiée, doit supporter tout Ie poids du préjudice
alors que celui-ci a été causé par des « organes » qui ont
sans doute abusé de leurs fonctions mais s'en sont pré-
valu ou ont au moins profité des rnoyens mis à leur <lispo-
sition par l' Adrninistration.
La distinction est aussi inutile. Trois différences ont

N 08
389 à 390
304 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

été citées. Aucune des trois ne mérite d'être retenue. La


jurisprudence elle-même essaie d'y remédier.
La première concerne l'immunité personnelle de l'or-
gane <lont l'individualité est absorbée par celle de la per-
sonne publique. Cette déduction, logique mais injuste de
la théorie est écartée par la j urisprudence (Brux., 3 mai
1930, B. J., 1930, 594). L'organe, comme le préposé, est per-
sonnellement engagé (Cass., 3 oct. 1935, Reu. crit., 1958, 38,
Etat belge c./ Dom) par sa faute.
La deuxième différence pratiquement la plus importante
concerne la responsabilité publique. Les résultats sant
iniques. Est-il admissible qu'un chauffeur militaire, par-
ce qu'il est qualifié organe, n'engage pas la responsa-
bilité de l'Etat en écrasant un passant au cours d'un trajet
qui n'est pas prévu sur sa feuille de route (Cass., 16 oct.
1922, Pas., 1923, I, 14), alors qu'un chauffeur civil engagé
contractuellement par Ie Département de la Défense Na-
tionale, imposerait à l' Administration, dans la même hypo-
thèse, l'obligation de réparer Ie dommage sur Ie pied de
l'article 1384? Sans doute dans ce cas particulier des con-
séquences aussi alarmantes ont obligé Ie législateur à inter-
venir en soumettant tous les véhicules publics aux règles
de l'assurance obligatoire (L., 1 er j uill. 1956). Mais Ie pro-
blème reste posé et peut se formuler en termes généraux.
lmmuniser la personne publique contre les conséquences
des délits civils commis par ses organes en dehors du strict
accomplissement de leurs fonctions, aboutit soit à laisser
la victime innocente sans réparation, soit à faire supporter
entièrement le dommage par Ie patrimoine privé du fonc-
tionnaire fautif. La jurisprudence citée plus haut cherche
à éviter ce résultat en interprétant avec laxisme l'étendue
de la mission.
Enfin la troisième différence vise l'action pénalc. Un
fonctionnaire coupable d'un délit pénal est poursuivi de-
vant une juridiction répressive. L'action civile en dom-
mages-intérêts peut-elle être introduite contre l'Adminis-
tration <levant Ie tribunal correctionnel, accessoirement à
l'action publique? La réponse est affirmatiYe_si cette der-
nière, considérée comme le commettant du fonctionnaire
est attraite en qualité de personne civilement responsable.
Elle est négative dans la théorie de l'organe. Dans la logi-
que de ce système, la personne publique ne pourrait être

N° 390
SECTION I. - RESPONSABILITÉ DE L' ADMINISTRATION 305

citée que pour son fait personnel. Or, elle ne commet pas
de délit pénal et ne peut comparaître comme prévenue.
Comme elle ne peut non plus être assignée en qualité de
personne civilement responsable, Ie tribunal correctionnel
est incompétent à son égard. L'action en dommages-intérêts
doit être introduite <levant Ie tribunal civil ou elle sera
tenue en suspens en vertu de l'adage: « Le criminel tient Ie
civil en état ». La solution est bien peu satisfaisante (Cour
mil. Gand, 28 août 1945, J. T., 1945, 453; adde Cass., 16 déc.
1948, R. A., 1949, 265). Déjà un revirement s'amorce: On
admet que la personne publique puisse invoquer les règles
selon lesquelles la prescription pénale éteint l'action civile
(L., 14 avr. 1878, art. 22; - Cass., 16 déc. 1948, Pas., 1948,
I, 723, Van Acker-Dumont c./ Etat beige, note Cambier ren-
versant jurisprudence antérieure: Cass., 26 févr. 1934, Pas.,
1934, I, 180, procureur général à Liège et Drèze).

b. - La théorie de l'imputabilité.
La victime qui vent être indemnisée par l'Etat ou une
autre personne publique doit démontrer d'abord la respon-
sabilité, c'est-à-dire la réunion des diverses conditions
énumérées dans la section précédente - dommage, faute,
préjudice, cause - et ensuite l'imputabilité à l'Administra-
tion.
L'imputabilité n'a rien à voir avec la compétence. En
effet, elle se fonde sur un fait juridique qui, étant illicite
par hypothèse, ne devait pas être accompli.
1° La qualité d'agent de la personne publique: Le terme
« agent» est pris dans son sens Ie plus général et couvre
aussi bien les organes que les préposés.
La condition fait défaut si l'intéressé est bien un agent
de la personne publique mais a été prêté par elle, placé
sous les ordres d'une autre administration, d'un conces-
sionnaire, d'un entrepreneur de travaux publics; c'est à ces
derniers que la responsabilité devra être éventuellement
imputée.
De même Ie médecin n'engage que partiellement la res-
ponsabilité de la commission d'assistance publique. Il est
son préposé et reçoit ses ordres pour l'organisation admi-
nistrative de son travail: heures de garde, tenue des pièces,
controle des infirmières, etc. Mais pour les actes cliniques
306 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

et thérapeutiques, il échappe au pouvoir hiérarchique


(n° 117) et n'engage que sa propre responsabilité.
Il peut être difficile de savoir quelle est la personne
publique intéresséc. Par exemple, Ie bourgmestre est à la
fois l'organe de la commune et de l' Administration centrale
(Cass., 21 oct. 1954, J. T., 1955, 56, Etat beige c./ Van Hulst;
- Cass.,, 16 nov. 1957, Reu. crit. jur., 1958, 130, note Butt-
genbach) en matière de voirie. Un garde-chasse engagé
par un particulier mais assermenté est-il Ie préposé du
patron qui l'engage ou celui de l'Etat en raison de son
agréation par Ie gouverneur et de ses fonctions de police?
(Cass., 5 nov. 1936, Pas., 1936, I, 406; - Cass., 23 févr. 1939,
Pas., 1939, I, 91, David-Nihon c.j Wills et erts; - Cass.,
31 mars 1943, Pas., 1943, I, 117, Etat beige c. Nevens et
erts). Un agent de police agissant sous Ie commandement
d'un officier de police judiciaire est-il un 01gane de la com-
mune ou de l'Etat? (cfr. Brux., 3 mars 1955, Pas., 1956, Il,
114. Parmentier et erts c./ Ville de Bruxelles; - Civ. An-
vers, 6 juill. 1950, J. T., 1950, 875, Maes c./ Ville d'Anvers
et Etat beige; - Civ. Liège, 25 mars 1948, R. A., 1951, 39).
Diverses personnes publiques ou privées peuvent être
engagées en même temps. Dans ce cas elles seront condam-
nées in solidum (Dabin, Chronique de jurisprudence, Reu.
crit. jur., 1959, 291; - Cass., 21 oct. 1954, précité).
2" Les actes imputables : Que l'agent soit organe ou pré-
posé, les actes imputables seront déterminés selon Ie même
critère (Cambier, obs. sous Cass., 16 déc. 1948, J. T., 1949,
148 et sous Gand, 2 avril 1957, Reu. crit. jur., 1958, 21; -
Dabin, chronique dans Reu. crit. jur., 1959, 102). Toute
l'activité du préposé n'est pas imputable à la personne pu-
blique. Les actes de sa vie privée sont certainement exclus.
Mais par ailleurs, on n'exige pas que l'acte fautif soit
accompli en exécution directe de sa mission publique, mais
« à l'occasion » de sa fonction. Aux organes, c'est-à-dire aux
autorités administratives proprement dites on peut appli-
quer Ie même système. Elles ne se dépouillent pas de cette
qualité en franchissant les limites de leur compétence; au
contraire elles s'en sont servies, à vrai _<lire,_ abusivement.
Un agent incompétent (n° 200) voire un fonctionnaire de
fait (n° 94) engage par ses décisions la personne publique,
en ce sens que ses actes juridiques ne sont pas inexistants
mais annulables. Sans doute l'annulation sera prononcée
SECTION J. - RESPONSABILITÉ DE L' ADMINISTRATION 307

avec effet rétroactif mais on ne pourra tout effacer. Pour-


quoi n'en serail-il pas de même pour les excès de pouvoir,
pour les délits civils d'un organe compétent (Cass., 3 oct.
1957, J. T., 1958, 3; - Cass., 16 nov. 1950, Pas., 1951, I, 164,
Ville de Bruxelles c./ S. A. Shell lmmeubles belges).
C'est parce que Ie bourgmestre est revêtu de cette dignité
qu'il a !'occasion de prendre une décision illégale, qu'il est
obéi, qu'il peut au bcsoin briser les résistances. C'est parce
que la personne publique est mal organisée que pareil
désordre peut se produire. Entre la victime innocente et la
personne publique, auteur matériel du dommage, il n'y a
pas à hésiter en équité et en <lroit. A fortiori, en est-il ainsi
pour des préposés que par erreur la jurisprudence traite
comme des organes. C'est parce qu'il est en uniforme et
dans les locaux de la police qu'un gendarme, contrairement
aux instructions générales ou à des ordres précis, a bruta-
lisé Ie suspect qui ne pouvait résister (Liège, 26 avr. 1955,
Reu. crit. jur., 1956, 6, note Renard et Goossens; -- Brux.,
9 déc. 1958, J. T., 1959, note Dalcq).
Une seule réserve est justifiée : si l'abus de fonction est
patent, même pour un citoyen qui n'est pas entraîné dans
Ie Droit administratif, et si l'intéressé a la possibilité de s'y
opposer, plus précisément d'empêcher la réalisation du
dommage, l' Administration n'est pas engagée par l'illéga-
lité. C'est d'ailleurs l'application du Droit commun. La
faute de la victime rompt ou affaiblit Ie lien de causalité
entre Ie préjudice et !'auteur de l'acte dommageable.
Il a été j ugé qu'un citoyen devait savoir que ni Ie com-
missaire général à la Restauration, ni Ie secrétaire général
du ministère des Finances ne pouvaient autoriser, sans dé-
tournement de pouvoir, des crédits <levant financer des
fabrications pour l'ennemi, c'est-à-dire un crime contre la
sûreté de l'Etat; la responsabilité de celui-ci n'est pas enga-
gée (arrêt De Coene). Par contre, un homme raisonnable
mais non spécialiste du Droit administratif peut ignorer
que les conditions d'une adjudication doivent être déci<lées
non par Ie collège échevinal mais par Ie conseil communal
(Cass., 29 mai 1947, J. T., 1947, 538, Commune de Boortmeer-
beek c./ Daelemans, note Cambier). En l'espèce une ré-
ponse négative était fondée sur la circonstance que l'inté-
1·essé connaissait Ie conflit d'opinions et ne s'en est pas
soucié. Une commune qui donne l'ordre de commencer les
308 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

travaux après l'écoulement du délai d'approbation et sans


faire savoir à l'adjudicataire que cette approbation n'a pas
été reçue, engage sa responsabilité (Liège, 31 mars 1949,
Pas., 1950, II, 5, même affaire.

D. RESPONSABILITÉ INDIRECTE DU FAIT DES CHOSES


391. A cöté de la responsabilité indirecte du fait de
l'homme, existe la responsabilité du fait des choses. Les
personnes publiques possèdent des biens importants.
A ceux du domaine privé, on appliquera sans modification
l'article 1384, alinéa 1 er du Code civil. Il n'en est pas de
même pour Ie domaine public. L' Administration a Ie pou-
voir et Ie devoir d'affecter certains biens à l'usage ou aux
services publics. Ses prérogatives doivent être respectées.
On ne peut lui reprocher d'avoir décidé que ces biens re-
cevraient réglementairement tel ou tel conditionnement.
Donnons des exemples.
La victime d'un accident de circulation prétend en trou-
ver la cause dans un affaissement soudain de la chaussée.
Le visiteur d'un pare public tombe dans une fondrière;
celui d'un musée se blesse en tombant dans un escalier.
La victime peut prouver une faute : mauvaise construc-
tion, mauvais entretien. Mais celle-ci peut être difficile-
ment démontrable. Dans ce cas, Ie vice de la chose peut
être invoqué sur Ie pied de l'article 1384, al. 1er. Il y a vice
si Ie conditionnement n'est pas conforme à l'état régle-
mentaire tel qu'il résulte de l'acte d'affectation (Cass.,
14 juin 1956, J. T., 1956, 637, Dierinckx c./ Commune de
Marchienne-au-Pont). On ne peut se contenter de re lever
une caractéristique dangereuse. Toutes les fondrières d'une
forêt domaniale ouverte au public ne doivent pas être
signalé~s et éclairées; toutes les voies de communication
ne doivent pas être des autoroutes de première classe.
Conformément à l'interprétation traditionnelle de l'ar-
ticle 1384, alinéa 1 er, Ie vice doit être caché pour exclure Ja
faute d'imprudence chez la victime (Cass., 19 mars 1934,
Pas., 1934, I, 249, Ville de Bruxelles c./ Cie Ardennaise de
Transports). Tel sera Ie cas d'un trottoir qui-est dénivelé
de 70 centimètres pour faciliter l'accès à une maison
riveraine en contre-bas et qui n'est pas éclairé pendant Ia
·nuit en raison des difficultés économiques de l'après-
guerre (Cass., 14 juin 1956, précité).

N08 390 à 391


SECTION I. - RESPONSABILITÉ DE L' ADMINISTRATION 309

L'article 1384, alinéa 1 "', impose la responsabilité non


au propriétaire, mais au gardieti de la chose. Il en est ainsi
pour Ie trottoir, même si l'assiette appartient au riverain
(Cass., 2 mai 1946, Pas., 1946, I, 168, Commission d'assis-
tance publique Ville d'Aerschot c./ Gasten et erts), pour
les canalisations <l'eau (qui en se rompant rendent Ie trafic
dangereux), même si elles sont utilisées par une société de
distribution d'eau (Brux., 19 juin 1956, R. A., 1956, 784; -
cfr. Cass., 25 mars 1943, Pas., 1943, I, 110, Commune d'Evere
c./ époux van Rensbergen). L'article 1384, alinéa 1 er a été
invoqué pour les voies d'accès (Cass., 27 avr. 1950, Pas.,
1950, I, 593, Communes de Mortsel, Wilrijk et Edegem c./
Sheio et erts).

E. ETENDUE DE LA RÉPARATION

392. Conformément au droit commun, l'Administration


responsable doit réparer tout Ie dommage.
Une question intéressante est celle du cumul de l'indem-
nité payée par Ie coupable et de la pension payée par une
caisse d'assurance. Ce cumul est admis parce qu'en fait les
deux créanccs ont des causes différentes (De Page, Droil
civil, t. V, n° 1033). Si donc l'Etat est responsable de la
mort d'un de ses propres agents, il sera amené à payer
deux fois: d'abord la pension, puis des dommages-intérêts.
Aucune défalcation n'est permise (Cass., 21 mars 1935,
Pas., 1935, I, 194; - Cass., 11 juill. 1935, Pas., 1935, I, 320;
- Cass., 4 nov. 1937, Pas., 1937, I, 327; - Cass., 3 févr.
1938, Pas., 1938, I, 33).
C'est peut-être Ie lieu de rappeler ici que <l'autres cumuls
peuvent exister : un tiers blesse un agent de l'Etat et doit
réparer Ie préj udice. Peut-il déduire du montant des dom-
mages-intérêts Ie traitement soit intégral, soit de disponibi-
lité, ou la pension que l'Etat continuera à payer à son fonc-
tionnaire? La réponse négative est donnée par la Cour de
eassation (Cass., 10 juill. 1950, R. J. D. A., 1951, 152, Jacque"'
mart et la note Matton). De son cöté, l'Etat peut-il réclamer
à l'auteur du <lommage Ie montant du traitement ou de la
pension qu'il doit prématurément payer? La Cour de cas-
sation considère que pour la personne publique cette con-
séquence de l'accident n'est pas régie par l'article 1382.
Elle résulte des dispositions organiques régissant Ie statut
<les fonctionnaires (Cass., 17 janv. 1938, Pas., 1938, I, 8; -

N 08 391 à 392
310 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

Cass., 31 janv. 1938, Pas., 1938, I, 26; - Cass., 11 avr. 1938,


Pas., 1938, I, 145; - Cass., 10 janv. 1939, Pas., 1939, I, 9).

f. RÉGIMES ADMINISTRATIFS DE RESPONSABILITÉ

393. Absence de théorie générale : Les principes doctri-


naux et la jurispru<lence, en se fondant sur les articles du
Code civil, sont confus et peu satisfaisants. Pour ne don-
ner que quelques exemplcs, rappelons que la distinction
entre l'organe et Ie préposé, entre l'article 1382 et l'ar-
ticle 1384, donne lieu à critiques, que les conséquences de
l'excès ou détournement de pouvoir sont imprécises, que
les dommages résultant de la violation d'un droit subjectif
de nature non pas civile mais administrative ne sont pas
réparés, que la fautc requise ne doit pas être la plus légère
conformémcnt à l'article 1382, que la suhordination d'un
fonctionnaire envers son supérieur n'est pas la préposition
prévuc par l'article 1384.
La raison de toutes ces difficultés provient du fait que la
Cour de cassation a attribué un caractère civil à toute de-
mande de dommages-intérêts pour se réserver Ie monopole
de la compétence. En effet, selon l'article 92 de la Consti-
tution, tous les litiges portant sur des droits civils sont du
ressort des tribunaux. Le problème étant ainsi posé, il
fallut appliquer nu fond les principes du Code civil; ceux-
ci ont été difficilement assouplis pour tenir compte de la
situation particulière des personnes publiques.
Il eut fallu créer un régime original de responsahilité
administrative. Des fonctionnaires responsables doivent
prendre des initiatives, courir même des risques dans l'in-
térêt de la collectivité; les services doivent fonctionner;
ils ne peuvent être paralysés par une réglementation con-
çue pour des individus.
Mais les agents n'ont pas un pouvoir arbitraire. Ils doi-
vent fournir au particulier la prestation réglementaire; si
Ie service fonctionne mal ou ne fonctionne pas, la victime
a droit à des dommages-intérêts.
A cóté de cette responsabilité pour faute, on ent pu éta-
blir une responsabilité pour risquc selon Ie principe de
l'égalité <levant les charges publiques; celui qui a suhi un
préjudice exceptionnel du fait du fonctionnement, même
régulier du service, a droit à une compensation. Tout cela
reste malheureusement contesté; l'étendue de la respon-

N 08 392 à 293
SECTION II. - RESPONSABILITÉ PERSONNELLE 311

sabilité de l' Administration, nous l'avons vu, est impré-


cise; son obligation de fournir la prestation légale n'est
pas suffisamment sanctionnée (n° 456) ; enfin la Cour de
cassation a estimé que Ie principe de l'égalitê du citoyen
<levant les charges publiques n'existe pas dans « l'état
actuel du Droit » (Cass., 16 oct. 1958, Pas., 1959, I, 163, Etat
beige c./ Roskam; - cfr. avis C. E., 8 juin 1953, R. J. D. A.,
1953, 26, S. A., Ets E. Black, note Lespes).
Lois particulières : Des lois particulières ont créé, dans
des matières spéciales, un régime exceptionnel de la res-
ponsabilité publique.
La plus connue est Ie décret de vendémiaire détermi-
nant dans quel cas les communes doivent réparer les
dommages causés par des attroupements séditieux. La ré-
paration des dommages causés aux tiers par des manreu-
vres ou réquisitions militaires est réglée par la loi du 12 mai
1927 (Cass., 17 avr. 1947, Pas., 1947, 1, 160, Etat beige c./
Delen; - Etat beige c./ Renette). Diverses lois détermi-
nent Ie montant des indemnités à payer pour l'établisse-
ment d'une servitude militaire.
Lorsqu'il a été constitué, Ie Conseil d'Etat a pu appli-
quer des principes autres que ceux du Droit civil. Il ne
tient pas compte de la faute mais du caractère exception-
nel du dommage; il apprécie en équité tous les éléments
de la cause, aussi bien l'intérêt du particulier que celui de
la collectivité - y compris les finances publiques. Malheu-
reusement, il n'a pas reçu Ie contentieux de l'indemnité :
sa compétence n'est que résiduaire et, au surplus, il ne
donne que des avis, il ne fait que -des propositions; il ne
peut condamner l' Administration par des arrêts (n° 487).

SECTION II
RESPONSABILITE PERSONNELLE DES
FONCTIONNAffiES

A. PRINCIPE

394. Le fonctionnaire représente la personne publique.


Par son action fautive, il engage la responsabilité de celle-
ci mais, d'autre part, sa négligence fonde également une
obligation personnelle de réparer Ie dommage. Aucune

N°• 393 à 394


312 CHAPITRE IX. -- OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

autorisation préalable n'est requise pour l'assigner (Const.,


art. 24). Cette disposition constitutionnelle interdit notam-
ment l'application de la théorie de l'acte détachable. En
France cette doctrine limite la responsabilité personnelle
de l'agent aux fautes qui lui sont propres et non à ceUes
qui résultent d'une mauvaise organisation du service. En
Belgique, Ie fonctionnaire peut être personnellement res-
ponsablc encore qu'il soit resté dans les limites de ses fonc-
tions (arrêt Gand, 2 avr. 1957, Huffelen précité).
Un organe engage sa responsabilité aussi bien qu'un pré-
posé. On serait tenté de prétendre que la personnalité de
l'organe s'efface complètement devant celle de l'Adminis-
tration. Mais nous avons déjà dit que la jurisprudence n'a
pas admis cette distinction, socialement dangereuse, puis-
qu'ellc consacrcrait l'immunité des fonctionnaires supé-
ricurs (Brux., 30 oct. 1929, Pas., II, 94; - Cass., 3 oct. 1955,
Reu. crit. jur., 19-58, 38, Etat beige c./ Dom, note Goossens).
« La personne morale n'absorbe la personnalité ni de ses
rncmbres ni de ses organcs, puisque c'est par eux qû.'elle
existe et qu'ellc fonctionne; elle les met seulement à son
service et au service du hut qu'elle poursuit et c'est en quoi
ils ont qualité ou fonction de membres ou d'organes »
(Dabin, sous Cass., 16 déc. 1948, Reu. crit. jur., 1949, 102).

B. CoNDITIONS DE LA RESPONSABILITÉ

1. La faute.
395. Un fonctionnaire engage sa responsabilité person-
neHe dans les mêmes conditions qu'un particulier. Il faut
un dommage, la lésion d'nn droit chez la victime, une
foute, chez Ie fonctionnaire, un lien de causalité entre Ie
dommage et la faute (n08 382 et s.).
Insistons sur la faute. La Cour de cassation ne semble
apporter aucune atténuation à la rigueur de l'article 1382
du Code civil en faveur du fonctionnaire et se contente de
la faute la plus légèrc (Cass., 14 avr. 1921, Pas., 1921, I, 136,
Pêcheries à vapeur c./ De Schepper; - Cass., 11 juill. 1935,
Pas., 1935, I, 320, Etat beige c./ époux Hu)'lebroeck-Rutten;
- Cass., 3 oct. 1955, Reu. crit. jur., 1958, 38, Etat beige c./
Dom, note Goossens). La jurisprudence des juridictions
de fond est divisée. Sa tendance est d'exclure la faute
légère (Gan<l, 2 avr. 1937, R. W., 1957, 1958, 23; - Gand,

NOS 394 à 395


SECTION II. - RESPONSABILITÉ PERSONNELLE 313

2 avr. 1954, Pas., 1955, Il, 17, du B ... c./ V ... P ... ). La raison
est obvie. Par leurs fonctions, les agents des services pu-
blics sant obligés de prendre des décisions multiples et
touchant à des intérêts privés considérables et complexes.
Il ne faut pas décourager leur esprit d'initiative en les
rendant responsables de la négligence la plus légère. Au
surplus, ils ne retirent aucun intérêt personnel de leur
activité officielle qui profite entièrement à la personne
publique. Un particulier qui dirige une entreprise en
obtient de larges bénéfices. C'est cette considération qui
paraissait si importante à certains civilistes qu'elle leur
semblait justifier la responsabilité pour simple fait. Ne
vaut-il pas mieux faire supporter les risques par Ie patri-
moine qui profile de l'activité que par celui de la victime
étrangère à cette activité? A tout Ie mains eet argument
explique-t-il la rigueur de la jurisprudence qui se contente
de la faute la plus légère. Il ne peut évidemment être re-
pris à l'égard du fonctionnaire qui est désintéressé et
cependant obligé d'agir (Cass., 4 act. 1915, R. A., 1919, 3).
Même entre particuliers, on n'apprécie pas aussi sévère-
ment la faute de ceux qui sant tenus professionnellement
à prendre la responsabilité de certains risques, par exem-
ple les médecins décidant un traitement (n° 384).
Un ordre de l'autorité hiérarchique dégage-t-il la respon-
sabilité de l'agent subordonné ? Voyez Ie n° 110.

2. Cumul et action récursoire.

396. Peut-il y avoir cumul? La victime peut-elle assigner


à la fois l'Administration et Ie fonctionnaire? Assurément,
mais elle ne peut être indemnisée qu'une fois; l'Admi-
nistration contrainte de payer a un recours contre son
agent, même s'il est qualifié « organe » (Cass., 3 act. 1955,
Reu. crit. jur., 1958, 38, Etat beige c./ Dom, note Goossens;
- Brux., 13 févr. 1948, J. T., 1948, 234, Commission d'assis-
tance publique d'Ixelles c./ van Hoegarden et M. Lam-
brechts; - voyez aussi App. Liège, 9 janv. 1950, Reu. crit.
jur:, 1951, 177, obs. Vauthier). Dans la pratique, l'Admi-
nistration sera souvent seule assignée. La victime éprouve
des difficultés à identifier l'agent en faute et n'est pas
assurée de sa solvabilité.
Le cumul n'existe pas si l'acte du fonctionnaire est sans

N 08 395 à 396
314 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

relation avec son service, lui est personnel et n'engage que


sa responsabilité propre, non celle de l'Administration.

C. RÉGIMES ADMINISTRATIFS DE RESPONSABILITÉ

397. Le Droit administratif a établi des régimes parti-


culiers de responsabilité.
Responsabilité des fonctionnaires envers l' Administra-
tion : Soit qu'elle désire obtenir la réparation d'un préju-
<lice qu'elle a elle-même subi, soit qu'elle veuille exercer
un recours après avoir dû indemniser Ie tiers, victime du
dommage, l'Administration sera souvent amenée à envi-
sager la responsabilité de son agent fautif.
En Droit civil les principes viennent d'être énoncés. En
fait, une action sera rarement intentée. Les sommes néces-
saires pour assurer une réparation adéquate peuvent être
disproportionnées avec la fortune du fonctionnaire et en
tous cas avec sou traitement. Rappelons que celui-ci est
calculé pour permettre à l'agent de vivre avec décence; il
n'est pas proportionnel à la gravité des risques profession-
nels. L'obligation de payer Ie traitement et celle de fournir
Ie travail requis ne sant pas cause juridique l'une de
l'autre (n° 266).
Il en résulte que l'action en responsabilité est rarement
intentée. C'est tomber d'un excès dans l'autre. Voilà pour-
quoi à cóté de la responsabilité civile, Ie statut des agents
de l'Etat a organisé une responsabilité administrative.
Celle-ci n'est retenue que si trois conditions plus restric-
tives qu'en matière civile, sant réunies. Préjudice matériel
considérable et appréciable en argent; faute lourde ou dol;
causalité directe. La quatrième condition - lésion d'un
droit - est sous-entendue.
D'autre part, l'étendue de la réparation est limitée. Le
coupable devra payer une « part d'intervention » qui tient
compte forfaitairement de l'élément imprévisible du dom-
mage dans Ie chef de l' Administration. On prendre aussi
en considération la capacité financière de l'agent.
Dans Ie même or<lre <l'idées, la Cour des comptes
apprécie la responsabilité des comptables publics et ordon-
nateurs délégués ayant commis une faute de gestion. Elle
prend en considération l'ensemble des circonstances et
apprécie en éqnité l'importance de la réparation (L., 15 mai
1846).

N°• 396 à 397


SECTION 111. - RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT 315

La responsabilité <le certaines catégories de fonction-


naires envers l'Etat est réglée par des règlements parti-
culiers (par exemple, voyez Flamme : Responsabilité en-
vers l'Etat des fonctionnaires du Ministère des Finances,
R. A., 1940, 341).
La responsabilité des militaires soldés vis-à-vis de l'Etat
découle du règlement sur la comptabilité financière et non
1le l'article 1382 (Trih. Charleroi, 1er févr. 1955, R. J. D. A.,
1955, 148, Leys, note Van Eecke).
Responsabilité de l'Etat enuers les agents : Elle peut elle
a ussi être réglée par des lois particulières.
La loi du 9 mars 1953 sur les pensions militaires accorde
aux victimes militaires d'un accident survenu pendant Ie
service et par Ic fait du service, une pension qui exclut
toute autre réparation (Cass., 2 sept. 1955, Pas., 1955, I,
1276, Kestens; - Cass., 18 juin 1956, Pas., 1956, I, 1137, Van
Den Steen c. ·wouters et erts; - Cass., 7 juin 1957, Pas.,
1957, I, 1212, Etat beige c./ Verleyc et Bulthe). Encore faut-
il que la pension soit attrihuéc; avant cela la victime peut
introduire une action fondéc sur l'article 1382 (Cass.,
11 oct. 1954, Pas., 1955, I, 97, Liénard c./ Steingnard).

SECTION III
RESPONSABILITE DE L'ETAT LEGISLATEUR ET JUGE
Tout cc qui précède concerne l'Administration. La per-
sonne publique peut-elle aussi engager sa responsabilité en
faisant des lois ou en rendant la j ustice?
A. RESPONSABILITÉ DES DOMMAGES
CAUSÉS PAR UNE LOi

1. Contrat entre Ie particulier et la personne publique.


398. La question présente un intérêt particulier lors-
qu'une loi vient bouleverser les conditions générales dans
lesquelles doit s'exécuter une convention conclue entre
1'Etat et un particulier. Tel est Ie cas du concessionnaire
du service public, du fournisseur ou de !'entrepreneur qui
ont contractuellemcnt fixé leur rémunération mais <lont
les coûts sont bouleversés par une législation aggravant
par exemple la charge des impMs ou des assurances
sociales.
C'est ici que l'on peut invoquer la théorie de l'imprévi-

N 08
397 à 398
316 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

sion (n° 366) ainsi que celle de l'équation financière (n"'


365); appliquées largement par Ie Conseil d'Etat français,
elles sont suivies plus discrètement par les tribunaux ordi-
naires en Belgique car elles contredisent Ie principe civi-
liste selon lequel Ie contrat est la loi des parties (Code
civil, art. 1134).
2. Atteinte apportée à une situation légitime quoique non
contractuelle.
399. On peut supposer ensuite qu'une loi porte atteinte
à des droits non contractuels d'un particulier. Tel sera Ie
cas de celle qui, en créant un monopole, empêche des entre-
prises privées de continuer leur activité.
L'objection est que l'Etat législateur est souverain; rien
ne peut prévaloir contre la loi. Cette difficulté a perdu
beaucoup de sa force. Le Droit administratif tend préci-
sément à concilier dans la mesure du possible l'intérêt
général et l'intérêt légitime du particulier.
Une autre objection se fonde sur Ie fait que la loi est une
mesure générale. Elle est pertinente dans la mesure ou la
charge qu'elle crée, frappe également tous les citoyens ou,
tout au mains, une catégorie de citoyens. Telle est la por-
tée d'une loi d'impót. L'objection est mains convaincante
si la loi imposc à un particulier un préjudice exceptionnel.
Celui-ci peut invoquer Ie principe de l'égalité <levant les
charges publiques.
La loi peut elle-même prévoir ou exclure l'indemnité.
Ses prescriptions doivent être suivies. Mais quelle solution
faut-il adapter en !'absence d'une disposition expresse?
En France, Ie Conseil d'Etat a admis Ie droit à indemnité
en faveur d'entreprises dont l'activité licite était entravée
par une loi nouvelle (C. E., 21 janv. 1944, R. J. D. A., 1944,
I, 65, Cauchetaux et Desmond). Il a exclu l'indemnité lors-
que Ie préjudice était au moins partiellement imputable à
la victime, par exemple, lorsque la loi interdisait à celle-ci
de poursuivre une activité qui était en contravention avec
les lois douanières d'un autre pays (C. E., 14 janv. 1938,
Sir., 1938, 3, 25, Compagnie générale de la Grande pêche,
concernant un décret qui empêche la con-trebande de spiri-
tueux au détriment d'un Etat étranger).
En Belgique, les tribunaux ordinaires invoqueraient le
principe de la séparation des pouvoirs pour refuser l'in-
demnité. Quant au Conseil d'Etat, il n'a pas reçu le con-

N·'" 398 à 399


SECTION IV, - QUASI·CONTRATS ET QUASI-DÉLITS 317

tentieux de pleine j uridiction et ne peut donner qu'un


avis en matière d'indemnité. Même dans l'exercice de sa
fonction consultative, il interprète restrictivement ses pou-
voirs. Il est vraisemblable qu'il hésiterait lui aussi à con-
seiller Ie paiement de dommages-intérêts (C. E., 6 juin
1952, R. J. D. A., 1953, 7, Mertens, note Paul de Visscher).
B. RESPONSABILITÉ DU DOMMAGE
CAUSÉ PAR LE FONCTIONNEMENT DÉFECTUEUX
DE LA JUSTICE
400. Le principe est l'immunité.
Aucune indemnité n'est allouée en cas d'acquittement
<l'un prévenu. Cepen<lant, selon l'article 447 du Code d'in-
struction criminelle, la revision d'un procès criminel abou-
tissant à une réhabilitation peut, dans certains cas, donner
lieu à une indemnité dont Ie montant est fixé par Ie gou-
vernement.
Dans la recherche et la prévention des infractions, des
fautes peuvent être commises qui engagent la responsa-
bilité de l'Etat. Un garde-chasse particulier assermenté est
officier de police jucliciaire et à ce titre organe de l'Etat
(Cass., 31 mars 1943, Pas., 1943, I, 117, Etat beige c./ Nevens
et erts). Il en est de même pour les commissaires de police
(Brux., 10 nov. 1924, Reu. comm. 1926, 161; - Trib. civ.
Anvers, 6 juill. 1950, J. T., 1950, 675, Maes c./ Ville d'An-
vers et Etat beige).
L'arrestation abusive n'engage pas la responsabilité de
l'Etat (Ugeux, Reu. Droit pénal, 1953-1954, 311).
L'exécution fautive des décisions judiciaires n'intéresse
pas non plus la responsabilité de l'Etat (Brux., 25 mai 1951,
J. T., 1952, 10 et Brux., 5 déc. 1953, J. T., 1955, 274, Garnier
c./ Assurances de Milan, note Ruzette).

IV
SECTION

QUASI-CONTRATS ET QUASI-DELITS
A. ENRICHISSEMENT SANS CAUSE
1. Possibilité en droit administratif.
401. Une personne publique doit-elle rembourser l'enri-
chissement fait sans cause? Un arrêt déjà ancien de la Cour
de cassation Ie niait (Cass., 13 oct. 1898, Pas., 1898, I, 301,
obs.; - adde Bruges, 21 déc. 1920, R. A., 1921, 405 et obs.).

N 05
399 à 401
318 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

L'argument fondamental est que la loi indique d'une ma-


nière limitative par quel organe compétent et selon quelles
conditions de forme une personne publique s'engage.
C'est confondre l'acte juridique et Ie fait juridique. La
procédure prévue par les lois concerne les premiers par
lesquels une personne publique veut s'engager, mais non
pas les faits juridiques <lont la loi fait découler, indépen-
damment de sa volonté, un droit ou une obligation. Il a été
jugé depuis longtemps qu'aucune autorisation de l'autorité
de tutelle n'est nécessaire pour qu'une fabrique d'église
puisse acquérir par prescription (Cass., 28 mars 1878, Pas.,
1878, Pas., 1878, I, 149). Depuis 1920, les tribunaux sanc-
tionnent la responsabilité délictuelle et cependant la faute
génératrice de l'obligation de réparer n'a pas été non plus
conforme aux lois et règlements.
C'est un principe général du droit et de l'équité que si
l'équilibre existant entre deux patrimoines a été rompu
sans cause, il doit être rétabli. On ne voit pas pourquoi
cette règle ne s'appliquerait pas en Droit administratif
(études doctrinales, R. A., 1924, 421; - observations sous
Trib. Liège, 16 nov. 1917, R. A., 1919, 145. - Cass., 21 mars
1939, Pas., 1939, I, 266, remboursement d'une taxe commu-
nale non approuvée).
2. Conditions.
402. Les conditions générales ordinaires doivent être
réunies. Il faut d'abord une transmission de valeur d'un
patrimoine à l'autre. Un architecte qui, même sur l'invi-
tation du bourgmestre, a préparé des plans en vue de sa
désignation éventuelle et <lont les projets n'ont pas été
adoptés n'a pas droit à une indemnité (Trib. Charleroi,
6 juill. 1936, R. A., 1936, 453). Au contraire, un entrepre-
neur de travaux publics a fait des études préparatoires
utiles et utilisées puisqu'elles ont servi à la rédaction du
cahier des charges définitif; s'il est évincé, l'adjudicataire
lui devra une indemnité, elle a, à vrai dire plutöt ici un
caractère contractuel car son montant est prévu dans
Ie cahier des charges (A. R., 10 sept. 1875, art. 21 et suiv.).
Il faut ensuite que eet enrichissement soit-fait-s-ans cause.
On verra un exemple de répétition de l'indu dans Cass.,
3 juin 1937, Pas., 1937, I, 167; « en matière d'impöts l'obli-
gation de restituer la somme indûment perçue dérive de
l'article 1376 C. C. ~ (Cass., 7 juin 1934, Pas., 1934, I, 310).

N08 401 à 402


SECTION IV. - QUASI·CONTRATS ET QUASI·DÉLITS 319

3. Effets.
403. Le montant de la restitution sera égal à l'enrichis-
sement du défendeur, sans pouvoir dépasser cependant
l'appauvrissement du demandeur.
Il arrive souvent qu'un individu tienne d'un contrat on
d'une situation réglementaire son droit à recevoir une som-
me d'argent. Mais son titre est annulé alors qu'il a déjà
fourni totalement ou partiellement la contre-prestation. Tel
est Ie cas de l'agent en service au moment ou sa nomination
est annulée. Tel est encore celui du fournisseur ou de !'en-
trepreneur qui a déjà livré ou exécuté soit partiellement,
soit totalement, Ie contrat avant que l'adjudication ait été
déclarée nulle. En général, l'Etat paie Ie traitement plein
prorata temporis ou Ie prix convenu pour les livraisons
faites ou les travaux accomplis.
Cette solution n'applique pas la théorie de l'enrichisse-
ment sans cause selon laquelle la restitution doit être stric-
tement égale à l'enrichissement. Nous allons voir que la
doctrine de la gestion d'affaires n'est pas davantage appli-
cable. Elle est cependant j ustifiée en équité. En effet, si la
décision annulée a été irrégulière, la faute est au mains
partagée par l'Administration. Il n'en serait autrement
qu'en cas de dol de la partie privée. Dans ce cas, Ie paie-
ment devrait être strictement limité, conformément à la
théorie de l'enrichissement sans cause.

B. GESTION o'AFFAIRE
Les règles du Droit privé s'appliquent.
1. Possibilité en droit administratif.
404. La gestion d'affaire suppose qu'un particulier
accomplit un acte matériel ou juridique dans l'intérêt de
la personne publique sans en avoir été chargé.
Les raisons invoquées pour l'enrichissement sans cause
justifient ici aussi l'application des principes généraux.
2. Conditions.
405. Les conditions sont les mêmes qu'en Droit privé.
En fait elles seront rarement réalisées.
Il faut donc d'abord !'absence de toute convention ou
obligation légale.

N 05
403 à 405
320 CHAPITRE IX. - OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

Ensuite Ie particulier doit avoir la volonté de gérer !'af-


faire d'autrui et non la sienne propre. Il est désintéressé
et ne compte que sur Ie remboursement des frais exposés.
Cela ne se voit pas souvent en Droit administratif.
Un entrepreneur qui exécute des travaux, pour Ie compte
d'une commune sur l'ordre d'un bourgmestre non autorisé
par Ie Conseil communal, ne pourra invoquer la gestion
d'affaire, car il poursuivait un hut de lucre. Il ne pourra
engager éventuellement que l'action de in rem verso (Trib.
Bruges, 21 déc. 1920, R. A., 1921, 404, obs.).
Enfin l'intervention du gérant doit avoir été nécessaire.
Cette troisième condition est aussi rarement remplie. A la
différence d'un particulier, l'Administration est toujours
présente et snit ses intérêts avec vigilance. On cite cepen-
dant l'hypothèse du particulier qui a fait à l'armée ennemie
occupante des fournitures en vertu d'un bon de réquisition
qui s'adressait en réalité à la commune (Gand, 15 juin 1921,
Pas., 1921, Il, 123), ou d'une commune qui, alertée par un
particulier, envoie ses pompiers éteindre Ie feu allumé sur
Ie territoire de la commune voisine <lont Ie service d'in-
cendie était au surplus insuffisant (Brux., 30 déc. 1930,
J. T., 1931, 152; - Trib. Liège, 8 juin 1927, Pas., 1928,
111, 79).

3. Effets.

406. Le maître est tenu plus lourdement que l'enrichi


sans cause. Il doit rembourser toutes les dépenses utiles ou
nécessaires (C. civ., art. 1375), même si elles ne se sont pas
traduites par une augmentation de son patrimoine (Brux.,
30 déc. 1930, J. T., 1931, 152). Mais aucun salaire ne sera
dû au gérant qui, en principe, est intervenu dans un esprit
<lésintéressé.
Le maître <lont !'affaire a été bien administrée doit rem-
plir les engagements que Ie gérant a contractés en son nom
vis-à-vis des tiers (C. civ., art. 1375).
De son cóté, Ie gérant doit continuer la gestion commen-
cée jusqu'à ce que Ie maître soit en état d'y pourvoir lui-
même (C. civ., art. 1372).
En Droit administratif nous trouvons une application de
ces deux dernières propositions dans la théorie du fonc-
tionnaire de fait qui peut être assimilé à un gérant d'af-
faires (cfr. n° 94).

N 08 405 à 406
CHAPITRE X
LA POLICE
407. Les pouvoirs publics ont une double activité. Ils or-
ganisent et font fonctionner les services publics dont l'objet
est d'assurer la satisfaction des besoins essentiels de la col-
lectivité: Dans les chapitres précédents, nous avons étudié
comment ces services sont créés et dissous, comment les
personnes publiques dont ils sont la substance recrutent leur
personnel et s'assurent les moyens matériels d'exécution,
enfin quels procédés juridiques sont à leur disposition.
Mais l'Administration intervient aussi de plus en plus
1
largement dans l'activité des indivicius et organismes privés
pour que ceux-ci, dans l'exercice indépendant de leur liberté,
ne mettent pas en péril l'intérêt général. Elle Ie fait par
une série de réglementations, d'ordres et de défenses. Ce
sont ces interventions qui constituent la police.
Le mot police est équivoque. Il désigne une catégorie par-
ticulière d'actes administratifs ainsi que Ie corps des agents
compétents pour accomplir ces actes.
La première Section sera consacrée aux mesures de police
et la seconde aux autorités de police.

SECTION I
ACTES OU MESURES DE POLICE
Le terme « mesure de police » peut être entendu dans un
sens large ou dans un sens restreint.

A. MESURE DE POLICE AU SENS LARGE

1. Notion.
408. Au sens large du terme, est mesure de police toute
décision de l'autorité administrative, réglementant l'activité
privée des individus et des organismes ou l'usage de la pro-
priété privée. Les formes de l'intervention sont indéfinies et

N 407 à 408
06
322 CHAPITRE X. - LA POLICE

la liste s'en allonge tous les jours. Au début, l'Etat se con-


tentait d'assurer l'ordre, la sécurité. Aujourd'hui on peut
citer l'instruction obligatoire qui impose des devoirs aux
pères de famille et les lois d'assurances sociales qui s'appli-
quent aux employeurs et employés. L'exemple Ie plus saisis-
sant est fourni par la police du commerce qui enserre l'ac-
tivité économique dans un réseau de plus en plus fin de
réglementations. Développons-le à titre d'illustration.

a. - Création d'une entreprise privée.


409. La création d'une entreprise privée est une décision
des particuliers. Elle peut toutefois être subordonnée à des
actes administratifs. Ceux-ci sont divers; donnons-en quel-
ques exemples :
Au point de vue de la nature de l'acte : la création peut
être subordonnée à licence ( commerce ambulant, transport
de marchandises par route), à l'inscription à un tableau
(avocats, médecins, réviseurs de banque, agents de change),
à l'immatriculation (registre de commerce).
Le législateur peut poursuivre des buts divers, ce qui a de
l'importance au point de vue du détournemcnt de pouvoir.
Par exemple pour Ie commerce ambulant, il a voulu assai-
nir Ie marché en limitant les licences tandis que les ban-
ques et les sociétés d'assurance sont contrölées non au point
de vue de leur nombre mais à celui de leur solvabilité.
La même variété se constate dans les sanctions. Tantöt
l'activité professionnelle est interdite si la formalité admi-
nistrative n'est pas remplie (commerce ambulant, avocats,
entreprises financières). Tantöt la protection légale norma-
lement accordée aux intéressés est réduile (commerçants
non enregistrés, L., 30 mai 1924, art. 1bis).
Enfin, on constate la même diversité dans la désignation
des autorités administratives compétentes. Ce peut être Ie
ministre (licence), une autorité administrative décentralisée
(Conseil de l'Ordre, commission bancaire), une autorité
administrative judiciaire (Ie registre du commerce est tcnu
par Ie greffe). Des voies de recours peuvent être prévues.
Parfois les autorités administratives ne se bornent pas à
accorder des autorisations, des approbations ou à exercer
des controles; elles sont requises de donner positivement
leur appui. Celui-ci peut consister dans un soutien financier

N05 408 à 409


SECTION I. -- ACTES OU MESURES DE POLICE 323

qui prend de multiples formes : subventions, garanties d'in-


térêt, participation minoritaire dans Ie capital, etc.

b. - Fonctionnement.

410. Le fonctionnement d'une entreprise privée est orga-


nisé par des particuliers. Il peut cependant être réglementé
par les autorités administratives.
La forme la plus extrême d'intervention réside_ dans un
controle permanent des activités. Il en est ainsi par exemple
pour les banques surveillées par des reviseurs <lont les pou-
voirs d'investigation (art. 19 et 20, A. R., 9 juill. 1935) et Ie
rapport à la commission bancaire (art. 13) peuvent entraî-
ner l'exercice d'un droit de veto suspensif (art. 23, al. 2).
Par ailleurs, la commission bancaire exerce un pouvoir
réglementaire. Elle peut déterminer périodiquement les
proportions qui doivent exister entre diff érents éléments
d'actifs et fixer les taux d'intérêts maxima pour certaines
opérations de crédit, cette dernière décision n'étant exécu-
toire qu'après approbation par Ie ministre des Affaires éco-
nomiques.
Pour d'autres entreprises aussi, on prévoit une interven-
tion positive. Citons à eet égard l'arrêté royal du 31 octo-
bre 1940, article 2, concernant les entreprises hypothécaires.
« Lorsque la situation générale ou celle d'une entreprise
déterminée l'exige, Ie chef du département qui a Ie controle
dans ses attributions, peut prendre toutes mesures conser-
vatoires en vue de sauvegarder les droits de !'ensemble des
emprunteurs et des prêteurs. Il peut notn.mment imposer à
l'entreprise une réduction des frais généraux, y compris les
frais d'acquisition; il peut interdire, pendant un délai qu'il
détermine, la conclusion de nouveaux prêts. Il peut aussi
interdire à l'entreprise de limiter, pendant un délai qu'il
détermine, Je paiement des sommes dues en vertu de con-
trats hypothécaires par intervention en cours ou stipuler
que de tel:; paiements ne pourront temporairement être
effectués snns son autorisation expresse dans chaque cas.
Toutes mesures prises en vertu du présent article seront
portées à la connaissance de l'entreprise intéressée ».
Les deux exemples précédents montrent combien certaines
entreprises déterminées peuvent être soumises à une étr9ite
surveillance administrative. Mais, en période de crise, Ie
législateur a accordé à I'Exécutif des pouvoirs qui s'étendent

N 06 409 à 410
324 CHAPITRE X. - LA POLICE

à toutes les activités économiques (par exemple A. R., n° 62


du 13 janv. 1935 réglementant la production et la distri-
bution; - A.-L., 22 janv. 1945 autorisant Ie ministre des
Affaires économiques à fixer des prix maxima, etc.).
Ce bref exposé suffit à indiquer l'infinie variété des inter-
ventions administratives dans la création et Ie fonctionne-
ment des entreprises privées. Il faut recourir aux principes
généraux pour apprécier la validité de ces actes adminis-
tratifs (n° 190), leur portée, la possibilité de recours con-
tentieux.

2. Les limites constitutionnelles et légales.

411. Libertés individuelles : La Constitution les protège.


Cette protection est quasi absolue en ce qui concerne la pen-
sée et sa manifestation : liberté de presse, de l'enseignement
et des cultes. Seule la répression des délits est autorisée; Ie
droit de se livrer à une publicité peut être restreint ou même
interdit (C. E., 1961, R. J. D. A., 1961, 135, Bernaerts,
notamment pour les professions médicales et paramédicales
A. R., 1 er juin 1934, art 8sexies). Cette réglementation doit
être prise par la loi ou en vertu de la loi (C. E., 17 déc. 1957,
R. J. D. A., 1958, 129, Ets. Kingsbergen). Pour !'affichage,
voyez Ie n° 416.
En ce qui concerne la liberté physique d'aller et venir
(Const., art. 7) de se rassembler et de s'associer (Const.,
art. 19 et 20) des réglementations légales sont prévues par
la Constitution.
La liberté d'agir et notamment la liberté économique du
travail n'est pas expressément citée dans la Constitution.
La Cour de cassation et Ie Conseil d'Etat admettent que la
liberté du négoce et des professions est proclamée par l'ar-
ticle 7 de la loi des 2 et 17 mars 1791 et par l'article 2 de
la loi du 21 mars 1819 (Cass., 18 juin 1906, Pas., I, 311,
Bultinck; - C. E., 25 oct. 1955, D et B, 1955, 850, Delva; -
C. E., 21 juin 1957, D et B., 1957, 393, Godart).
L'organisation constitutionnelle doit être respectée. Les
autorités ne pourraient participer à un referendum organisé
par les particuliers. Celui-ci est défendu par la Constitution
qui organise un régime représentatif. Au lieu de collaborer
au referendum, les autorités administratives doivent s'y
opposer (C. E. fr., 26 oct. 1956, 540, conclusions de M. Heu-

N08 410 à 411


SECTION I. - ACTES OU MESURES DE POLICE 325

man, Association des Combattants de la Paix et de la


Liberté, voir même revue 1957, 182).
L' égalité des citoyens qui se trouvent dans la même
situation ne peut être violée. Des dérogations éventuelles à
une mesure réglementaire devraient avoir, elles aussi un
caractère général, c'est-à-dire être prises sans acception
de personnes.
L'inviolabilité du domicile est constitutionnellement ga-
rantie. A défaut de loi, un arrêté ne peut prescrire des visi-
tes domiciliaires pour Ie controle des chömeurs (C. E., 1956,
5, 6, R. J. D. A., 1957, 41, Dhont). L'autorisation donnée par
l'intéressé, doit être indubitable et pour un cas déterminé
(même arrêt).
Propriété privée : La Constitution la protège aussi. Nul
ne peut être privé de son bien si ce n'est dans Ie cas et dans
les formes prévues par la loi, moyennant juste et préalable
indemnité (art. 11). Cependant, la protection constitution-
nelle de la propriété privée n'empêche pas sa réglemen-
tation. L'article 544 du Code civil dispose : « La propriété
est Ie droit de jouir et de disposer des choses de la manièrc
la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage pro-
hibé par les lois et les règlements ». Par exemple les auto-
rités communales excèdent les pouvoirs qu'elles exerccnt
en vertu de la loi des 16-24 août 1790, lorsqu'elles imposent
au requérant une restriction du droit qu'il a de disposer de
son bien <lont ni la limite, ni les raisons ne sont exprimées
et <lont la détermination relève de la seule appréciation du
bourgmestre (C. E., 5 déc. 1957, R. J. D. A., 1958, 177,
Becquart).
Le droit d'ériger un établissement dérive à la fois de la
propriété et de la liberté professionnelle. D'ou la nomencla-
ture légale des établissements dangereux, insalubres et in-
commodes est limitative. Le système de l'arrêté du Régent
du 11 févr. 1946, est que l'autorisation doit être donnée en
principe et que l'autorité doit motiver son refus. Les me-
sures d'office - comportant la f ermeture - doivent se
j ustifier par l'urgence, Ie péril imminent.
Fondement légal: Les actes par lesquels I' Administration
intervient dans la vie privée doivent se fonder sur une loi,
sauf lorsqu'il s'agit de police au sens restreint du mot (voir
445). L'Administration est tenue de se conformer exac-
tement aux prescriptions de la loi, sous peine d'excès ou de

N° 411
326 CHAPITRE X. - LA POLICE

détournement de pouvoir. Cette règle est essentielle pour


empêcher !'arbitraire administratif. La liberté est si respec-
table qu'il faut une intervention des Chambres, émanation
directe du corps électoral, pour la limiter (C. E., 21 juin
1957, R. J. D. A., 1958, 20, Godard et autres; - C. E., 21 mars
1958, R. J. D. A., 1958, 207, Meuneries belges et erts).
Quand l'intervention est positive et se manifeste par une
subvention, l'article 114 de la Constitution exige aussi un
fondement légal. Sur la définition de la subvention, con-
sultez les travaux de l'Institut des Sciences administratives.
Les pouvoirs de police doivent respecter les limites im-
posées par les traités internationaux, notamment ceux qui
réalisent certains transferts de compétence aux autorités
supranationales (L., 8 nov. 1961 créant le Directoire char-
bonnier, art. 4).
B. MESURE DE POLICE AU SENS RESTREINT

1. Notion.
412. Parmi tous les actes administratifs qui réglementent
et limitent l'activité libre des citoyens, une catégorie a été
traditionnellement distinguée. Elle comprend les actes qui
ont pour objet particulier l'ordre public, c'est-à-dire la tran-
quillité, la sécurité et la salubrité. L'ordre public est une
condition nécessaire de la vie en société. Les mesures qui
l'assurent doivent être à la fois rapides et efficaces. Voilà
pourquoi sous Ie nom de police, elles ont toujours joui d'un
régime juridique spécial.
La décomposition de l'ordre public en tranquillité, sécu-
rité et salubrité n'est pas arbitraire; elle répond à une idée
directrice qui est celle de l'ordre matériel. Il s'agit de pro-
téger les biens et les corps. En cette matière, les violations
de la paix publique sont indiscutables, peuvent et doivent
être immédiatement réprimées par Ie pouvoir exécutif qui,
au besoin, utilisera la force. Il n'en est pas de même pour
l'ordre moral qui touche de près à la liberté de conscience.
Dans ce cas, bien des précautions sont de mise; il ne s'agit
plus de simple police.
La tranquillité consiste en !'absence de__troubles dans la
rue (agitations) et dans l'Etat (complots). La sécurité signi-
fic !'absence d'accidents ou de risques d'accidents causant
des dommages aux personnes et aux choses (qu'il s'agisse
de fléaux naturels tels que les inondations et les incendies

Na, 411 à 412


SECTION I. - ACTES OU MESURES DE POLICE 327

ou de faits de l'homme tels que le brigandage, les accidents


de la circulation, les dégáts causés par des aliénés ou des
animaux dangereux). La salubrité consiste dans la préven-
tion des épidémies; elle comporte à titre principal l'hygiène
publique.
2. Espèces de mesures de police.

a. - Actes individuels et réglementaires.


413. On distingue les règlements de police et les mesures
individuelles.
C'est surtout ici que le principe de la légalité est utile; les
mesures objectives et générales constituent la meilleure pro-
tection individuelle contre !'arbitraire du pouvoir (n° 90).
Mais ce n'est pas toujours possible Le trouble inattendu doit
être réprimé par une mesure individuelle non prévue.

h. - Actes matériels et juridiques.


414. Les mesures de police sont tantöt des actes juridi-
ques (règlements ou décisions individuelles), tantöt des
actes (recours à la force).
C'est surtout en matière de police que jouent les privilèges
du préalable et de l'exécution d'office (n° 210). Puisqu'il
s'agit de tranquillité, de sécurité et de salubrité, !'individu
n'est pas admis à opposer des mesures dilatoires ou des re-
cours suspensifs. Il faut d'abord obéir, on discutera après.
Les récalcitrants seront donc mis à la raison par l'emploi de
la force; les attroupements seront dispersés, les maisons
menaçant ruïne seront détruites, un aliéné sera colloqué.

3. Limites.

a. - Limites constz'tutionnelles.
4,15. Ce que nous avons dit de la police en général, c'est-
à-dire des interventions de l' Administration dans la vie pri-
vée vaut aussi pour la police au sens restreint. Mais quand
il s'agit de tranquillité, de sécurité ou de salubrité, le pouvoir
exécutif peut intervenir même en !'absence de loi. La paix
publique ne peut être compromise faute de texte. C'est la
grande diff érence avec la police sensu lato.
Une question intéressante peut être examinée. Les pou-
voirs publics peuvent-ils intervenir en cas de grève?

N 08 412 à 415
328 CHAPITRE X. - LA POLICE

Dans la mesure ou les conflits concernent des intérêts


privés, l'Administration doit rester neutre. Mais au sur-
plus, elle est tenue d'assurer énergiquement l'ordre public.
Celui-ci implique d'abord la sécurité des personnes et des
biens, mais aussi du travail. Ceux qui veulent travailler ont
Ie droit d'être protégés.
Les pouvoirs publics peuvent-ils se substituer aux travail-
leurs défaillants, notamment en faisant appel à l'armée?
La réponse est affirmative pour les services publics qui,
par définition, exercent une activité essentielle pour la
collectivité et, par conséquent, ne souffrent aucune inter-
ruption.
Mais que faut-il décider pour certaines activités privées
qui touchent cependant de près à l'intérêt général? La loi
du 19 août 1948 est relative aux prestations d'intérêt public
en temps de paix. Il s'agit notamment d'assurer Ie ravitail-
lement du pays, la distribution de l'énergie électrique à cer-
taines entreprises privilégiées (services publics, höpitaux),
la protection de certains outils économiques pouvant se dé-
tériorer rapidement (hauts fourneaux, etc.).
La loi dispose que la détermination des mesures, presta-
tion et services à assurer en cas de cessation collective et
volontaire du travail, appartient en premier lieu aux com-
missions paritaires. La formule est sage et habile. On fait
appel avant tout à !'esprit civique des citoyens et des grandes
associations sociales. Mais si les commissions paritaires n'ont
pas pris les mesures prévues, ou si les intéressés refusent
de s'y conformer, Ie gouvernement trouve dans son devoir
fondamental d'assurer l'ordre public Ie pouvoir d'utiliser à
cette fin une main-d'reuvre militaire. Dans un Etat démo-
cratique, il s'agit là d'un ultima ratio, qui ne doit être uti-
lisée qu'après avoir épuisé tous les moyens de persuasion,
mais avant que l'ordre public soit gravement troublé (sur
cette question voir aussi A. R., 3 mars 1934 et A. R., 29 jam'.
1949).
La propriété privée est protégée (Const., art. 11). Que
faut-il penser de la destruction par décision de police pour
raison de salubrité (abattage de bétail contaminé, destruc-
tion de récoltes, etc.) ou de sécurité ( exenf'p[e de l'finmeuble
menaçant ruïne : L., 16 août 1790, titre II, article 3; décret
du 22 juill. 1791, art 29; Code pénal, art. 551, 6° et 7°). La
destruction est justifiée lorsqu'il n'y a pas d'autre moyen de
SECTION I. - ACTES OU MESURES DE POLICE 329

protéger, avec efficacité, l'ordre public. Le propriétaire


peut-il invoquer Ie principe de l'égalité <levant les charges
publiques pour demander une indemnité ? Sa prétention
sera en tous cas rejetée si, par sa faute, il a créé ou laissé se
perpétuer Ie risque pour l'ordre public; tel serail Ie cas de
celui qui n'a pas pris les mesures raisonnables contre une
maladie épidémique agricole ou qui ne se décide pas à ré-
parer un immeuble menaçant ruine. Par ailleurs, la valeur
prise en considération ne doit pas être celle de la chose
intacte mais celle qu'aurait conservée Ie bien non détruit.
Le Conseil d'Etat sanctionne l'excès ou Ie détournement de
pouvoir (autorisation de Èàtir; C. E., 14 janv. 1955, arrêt
n° 1755, Chéron; autorisation de !'urbanisme, C. E., 22 févr.
1952, arrêt n° 1317 Bettiaux; démolittion d'immeuble, C. E.,
29 mai 1959, arrêt 7108 Cayphas).
En temps de guerre ou de siège, Ie <langer est tellement
grave et pressant que même les limites constitutionnelles
doivent parfois céder (A.-L., 11 oct. 1916 et du 9 mai 1944).
b. - Détournement de pouvoir.
416. Une limite résulte de la notion même de la police
sensu stricto. Son hut est d'assurer l'ordre public matériel.
Il y aurait détournement de pouvoir (n° 91) si la mesure
servait à une autre fin, par exemple à entraver la liberté de
pensée. Le principe de finalité s'y oppose. La police des
spectacles reconnue au conseil communal et au collège des
bourgmestre et échevins (L. C., art. 97) ne peut servir à j
instaurer indirectement la censure des films (C. E., 9 mai j
1949, R. J. D. A., 1949, Universa! films; :_ C. E., 23 janv. ,
1950, R. J. D. A., 1950, 83, Luxor films); un règlement de la
circulation ne peut empêcher un convoi funèbre de s'arrêter
à l'église. Mais il a été jugé qu'un règlement sur Ie colpor-
tage ne porte pas atteinte à la liberté de pensée, s'il se fonde
sur des motifs de tranquillité publique et ne cherche pas à
empêcher la diffusion d'idées réputées subversives (Cass.,
18 janv. 1892, Pas., 1892, I, 86; - Cass., Chambres réunies,
8 juin 1892, Pas., 1892, I, 286; - voyez aussi Cass., 9 oct.
1899, Pas., 1899, I, 365). L'affichage peut y être réglementé
(couleur, endroit réservé, etc.), mais non censuré (Cass.,
24 oct. 1865, Pas., 1866, I, 142).
c. - Moyen.
417. La fin ne justifie pas tous les moyens. L'autorité

N°" 415 à 417


330 CHAPITRE X. - - LA POLICE

administrative doit essayer dans toute la mesure du possible


de respecter les libertés individuelles et la propriété privée.
Le respect de la liberté est Ie principe et sa limitation ne
peut être qu'une exception justifiée.
On laissera Ie choix des moyens aux intéressés en prescri-
vant simplement le but de sécurité, de tranquillité ou de
salubrité. Si l'Administration précise Ie moyen, elle doit
choisir d'abord celui qui nc porte atteinte ni aux personnes
ni aux propriétaires : soigner ou guérir plutót que tuer ou
détruire.
4. Sanctions des mesures de police.
Comment est-on assuré que les ordres de police seront
obéis?
a. - Sanctions pénales.
418. Selon l'article 9 de la Constitution, nulle peine ne
peut être établie ni appliquée qu'en vertu d'une loi. Une loi
de police prévoit elle-même les pénalités.
La loi du 6 mars 1918 dispose : « Les infractions aux ar-
rêtés royaux à l'égard desquels les lois n'ont pas déterminé
ou ne détermineront pas des peines particulières... seront
punies d'un emprisonnement de 8 jours à 14 jours et d'une
amende de 26 à 200 francs, ou de l'une de ces peines seule-
ment. L'article 85 du Code pénal ( circonstances atténuan-
tes), est applicable à ces infractions » ( art. 1 er). La loi du
5 juin 1934 ajoute une précision: elle sanctionne des mêmes
!1 peines les infractions aux arrêtés pris par les gouverneurs
et les commissaires d'arrondissement, en vertu des articles
128 et 139 de la loi provinciale.
En ce qui concerne les autorités subordonnées, la loi pro-
vinciale dispose que Ie Conseil peut établir des peines n'ex-
cédant pas 8 jours d'emprisonnement et 200 francs d'amende
(art. 85, aL 4). Les conseils communaux peuvent comminer
des peines qui n'excèdent pas celles de simple police (L.C.,
art. 78, al. 4). Les amendes sont augmentées des décimes
addi tionnels.
Qu'arrivera-t-il si les maxima sont dépassés? L'ordon-
nance de police n'est pas nullc mais !'amende est réduite
de ple-in droit au maximum prévll---{L C., a-r-t~'78, al. 5)
(Cass., Chambres réunies, 15 févr. 1905, Pas., 1905, I, 132).
La même solution est judiciairement admise pour les or-
donnances provinciales (Cass., 9 juill. 1906, Pas., 1906, I,
343).

N 417 à 418
SECTION II. - LES FORCES DE POLICE 331

b. - Exécution d'office.
419. Parfois l'exécution d'office est prévue (n° 210).
Il en est ainsi par exemple pour l'échenillage, l'échar-
donnage; les immeubles mcnaçant ruïne peuvent être dé-
truits; même décision pour ceux construits en contraven-
tion des règlements (n° 415 ; - Cass., 9 mars 192.5, Pas.,
1925, I, 172, procureur du Roi à Liège c./ Marlier et erts).

SECTION II
LES FORCES DE POLICE

420. La police <lésigne non seulement les actes d'ingé-


rence de l'Administration dans la vie privée et plus spécia-
lement les actes assurant l'ordre public matériel, mais
encore les agcnts par l'organe desquels ces actes sont
accornplis.

A. LES FORCES DE POLICE

421. On distingue traditionnellement la police judiciaire


et la policc administrative.
La police j udiciaire recherche les i!lfractions, arrête les
coupables et réunit les preuves de la culpabilité.
La policc administrative est chargée d'assurer l'or<lre, la
sécurité et la salubrité sans se préoccuper de la répression
pénale.
Faut-il une policc aclministrative? Ne suffit-il pas de la
réprcssion assurée par une nolicc j udiciairc? On doit tenir
compie de la fragilité du; hommes et des institutions. Il
vaut rnieux prévcnir Ie mal que Ie guérir.
Le personnel des denx polices n'est pas strictement spé-
cialis<'~. La police administrative peut co1Jaborer à Ja re-
cherche et à l'arrestation des coupables.

B. AuTORITÉs DE POLICE

Qucls agents puhlics sont compétents pour prendre des


mesures de police et, plus spécialement, des ordonnances
réglemcntaires, et ont Ie droit de réquisitionner la force
arméc?

N 08
419 à 42]
33! CHAPITRE X. - LA POLICE

1. Le Roi.
a. - Compétence originelle.
422. L'Exécutif jouit en !'absence de tout texte d'un pou-
voir de police. Il prend les règlements et a à sa disposition,
la force publique. La justification a déjà été donnée
(n° 130).
Cette activité nécessaire a été, avec l'expérience, de plus
en plus réglementée de façon à en diminuer le caractère
discrétionnaire (n° 90) et à éviter les abus. Elles est cepen-
dant fondamentale : l'Etat ne peut périr faute de textes.
b. - Compétence légale du gollvernement.
423. Dans des matières déterminées, le pouvoir de l'Exé-
cutif est confirmé par un texte légal.
Par exemple, la loi donne au Roi la police de la circu-
lation routière, des chemins de fer, de la navigation
aérienne.
Quelle est la portée de pareilles lois? Limitent-elles la
compétence originelle du gouvernement en matière de po-
lice aux mesures qu'elles énumèrent et sont-elles, de ce fait,
restrictives?
Il semble bien que oui. Nous avons ici un des exemples
Ie plus net <lu progrès de la légalité : l'autorité discrétion-
naire est de plus en plus bri<lée par des règles générales et
objectives. Mais si un péril grave et pressant se présentait,
Ie gouvernement engagerait gravement sa responsabilité
enne prenant pas les rnesures adéquates, rnêrne si celles-ci
n'étaie"nt pas prévues par les textes en vigueur. Il pourrait
toujours invoquer alors Ie pouvoir général de police qui
lui appartient. Encore une fois, l'ordre doit être assuré.
Le rnême raisonnement explique que Ie Roi ne peut
prendre des rnesures de police dans des rnatières <lont la
cornpétence a été attribuée par le législateur à des auto-
rités provindales ou cornmunales (Cass., 16 juin 1841, Pas.,
1841, I, 187, Const., art. 108; lois provinciales et cornrnu-
nales). Cette règle est précisée et limitée par la loi du
5 juin 1934 (n08 424, 425 et 428).
c. - Délégation.
424. La loi du 5 juin 1934 a reconnu aux gouverneurs et
cornrnissaires d'arrondissernent Ie droit de prendre des
règlements de police. Elle ne Ie fait d'ailleurs qu'indirecte-

N" 422 à 424


SECTION ll. - LES FORCES DE POLICE 333

ment en plaçant, au point de vue des sanction pénales, ces


arrêtés sur Ie même pied que les arrêtés royaux.
Le gouverneur intervient ici comme un agent du pou-
voir centra! et non pas comme une autorité provinciale.

2. Autorités provinciales.

425. Le conseil provincial: prend des ordonnances de po-


lice (L. P., art. 85). Il doit respecter l'étendue de sa com-
pétence générale qui se limite aux intérêts provinciaux,
sans pouvoir empiéter sur les attributions communales
(Cass., 29 avr. 1872, Pas., 1872, I, 35, Silveryser), ni porter
sur les matières déjà réglées par les lois ou arrêtés royaux
(n° 428). Aucune délégation n'est possible en faveur de la
députation permanente (Cass., 6 juill. 1896, Pas., 1896, I,
234).
Le gouverneur : veille au maintien de la tranquillité et
du bon ordre <lans la province, à la sûreté des personnes
et des propriétés. A eet effet, il dispose de la gendarmerie
(L. P., art. 128). En cas de rassemblements tumultueux, de
sédition ou d'opposition, avec voie de fait, à l'exécution des
lois ou des ordonnances légales, Ie gouverneur a Ie droit
de requérir la force armée (L. P., art. 129). Il en est de
même pour les commissaires d'arrondissement (art. 129).
Outre ce pouvoir propre, Ie gouverneur exécute les règle-
ments de police du Conseil provincial et du pouvoir centra}
(L. P., art. 124).
Dédoublement fonctionnel : Le gouverneur et Ie bourg-
mestrc prennent des mesures de police à plusieurs titres :
comme organe de la collectivité subordonnée, comme agent
de l'autorité supérieure, par délégation directe de la loi.
Il est très important <l'en faire !'analyse exacte.

3. Autorités communales.

426. Le conseil commzmal : fait les ordonnances commu-


nales de police moyennant toute une procédure (L. C.,
art. 78). La loi prévoit un certain nombre de conditions.
Le conseil agit dans les limites de sa compétence terri-
toriale et matérielle (n° 426) (voyez toutefois, L.C., art.
127bis). La compétence matérielle est d'abord celle des
fotérêts locaux (Const., art. 108); les limites territoriales

N 08 424 à 426
334 CHAPITRE X. - LA POLICE

sont celles de la commune. Elles englobent les propriétés


privées (Cass., 8 mars 1954, R. A., 1955, 50).
Le conseil n'a dans ses attributions que les objets confiés
à sa vigilance par une loi. La police porte atteinte aux
libertés individuelles et ces restrictions ne peuvent être
établies que par Ie législateur (n° 411, Dembour, Pouvoirs
de police administrative générale des autorités communa-
les, n° 53).
Ce pouvoir ne peut être délégué (Dembour, op. cit., art.
94; - Brux., 28 févr. 1894, Pas., 1894, 2, 184, Rommelaere
c./ ministère de la Justice), car les pouvoirs sont en prin-
cipe d'attribution (n° 88).
Le bourgmestre : est spécialement chargé de l'exécution
des lois et règlements de police. C'est lui qui réquisitionne
la force publique (art. 90, 12°).
Aucune autre autorité ne peut se substituer à lui dans
l'exercice de ce pouvoir d'exécution (C. E., 13 déc. 1954,
R. J. D. A., 1955, 90, Hendriks et Wauters, note Putzeis); -
une délégation à un échevin est toujours possihle.
Le bourgmestre agit, tantöt comme organe communal,
tantöt comme agent des autorités supérieures selon la na-
ture de la réglementation qu'il applique.
En cas d'émeutes, d'attroupements hostiles, d'atteintes
graves à la paix publique ou d'autres événements impré-
vus, lorsque Ie moindre retard pourrait occasionner des
dangers ou des dommages pour les hahitants, Ie bourg-
mestre pourra faire des règlements et ordonnances de
police, à charge d'en donner sur-le-champ communication
au conseil, et <l'en envoyer immédiatement copie au gou-
verneur, en y joignant les motifs pour lesquels il a cru
devoir se dispenser de recourir au conseil. L'exécution
pourra être suspen<lue par Ie gouverneur. Ces règlements
et ordonnances cesseront immédiatement d'avoir effet s'ils
ne sont pas confirmés par Ie Conseil à sa plus prochaine
réunion (L. C., art. 94). En outre, en cas de péril, Ie bourg-
mestre peut d'office prendre toute mesure individuelle en
vertu de l'article 90. Il agit dans tous ces cas comme
organe de la commune (Cass., 21 oct. 1954, R.LD. A., 1954,
308, Van Hulst, note De Visscher).
Ce pouvoir du bourgmestre fait penser au pouvoir ori-
gine! du gouvernement. L'ordre public doit être assuré
contre toute atteinte, même imprévue. Il ne peut être com-

N° 426
SECTION II. - LES FORCES DE POLICE 335

promis par défaut de texte. Aucun retard dangereux ne


peut être toléré.
Collège : En certaines matières des lois spéciales ont ex-
ceptionnellement confié un pouvoir de police au collège
des bourgmestre et échevins : police des spcctacles, aligne-
ment particulier, autorisation de batir, établissements dan-
gereux ou insalubres ou incommodes, etc.

4. Etat de siège ou de guerre.

427. En temps de guerre ou en état de siège, Ie pouvoir


de police est concentré entre les mains du Roi. Celui-ci
peut requérir la force publique. Ce pouvoir complet est
susceptible de délégation (A.-L., 11 oct. 1916).

5. Conflit de compétences.

Puisquc les autorités de police sont diverses, il peut y


avoir des conflits de compétences. Les lois y ont rernédié.

a. - Ordonnances communales de police.


428. Selon l'article 108, alinéa 2, de la Constitution, tout
ce qui est <l'intérêt communal est attribué aux conseils com-
munaux. En matière de police, on en dé<luit que Ie pouvoir
réglementaire local appartient exclusivement au conseil
communal. Il ne peut être exercé par Ie gouvernement
(Cass., 16 juin 1841, Pas., 1841, I, 187) ni par l'autorité pro-
vinciale (Cass., 20 juill. 1874, Pas., 1874, I, 331). Cependant,
en vertu de la loi du 5 juin 1934, Ie gouverneur et les com-
missaires d'arrondissement ont reçu délégation des pou-
voirs réglementaires de police gouvernementaux. Ils utili-
sent ces pouvoirs non seulement pour assurer l'ordre dans
la province mais aussi pour se substitucr dans une com-
mune à l'autorité locale défaillante.
D'autre part, selon Ie second alinéa de l'article 78, les
règlements et or<lonnances communalcs ne peuvent être
contraires aux lois ni aux règlemcnts d'administration géné-
rale ou provinciale. Sinon les tribunaux refuseraient de les
appliquer comme illégaux en vertu de l'article 107 de la
Constitution (Cass., 29 juin 1931, Pas., 1931, I, 201). Le
conseil communal pourrait toutcfois compléter des mesu-
rcs d'administration générale en tenant compte des besoins

N 08 426 à 428
336 CHAPITRE X. - LA POLICE

locaux; parfois, la loi l'y invite expressément; l'autorisa-


tion est implicite, sauf si la réglementation légale est en
soi détaillée et complète (Dembour, op. cit., n° 46).

b. - Ordonnances provinciales de police.


429. Ces règlements ne peuvent porter sur des objets
déjà régis par des lois ou des règlements d'administration
générale (L. P., art. 85). Ils sont abrogés de plein droit si,
dans la suite, il est statué sur Ie même objet par ces lois
ou règlements. Cependant, à défaut de disposition con-
traire, rien n'empêche Ie conseil provincial d'établir des
arrêtés complémentaires à des arrêtés royaux en tenant
compte des intérêts régionaux et locaux (Cass., 10 févr.
1937, I, 146).
Parfois, la loi invite elle-même les conseils provinciaux
à faire ces règlements supplémentaires. On cite notam-
ment la loi du 1 er août 1899, complétée par la loi du
ter août 1924 et celle du 16 décembre 1935 sur la police de
roulage.

c. - Réquisition de la force armée.


430. Tout ce qui vient d'être dit des règlements s'appli-
que au pouvoir de réquisitionner la force armée. Depuis la
loi du 5 juin 1934, il y a concurrence d'autorités. Dans les
communes, Ie pouvoir origine! est celui du bourgmestre;
s'il est défaillant, gouverneur et commissaire d'arrondis-
sement, agents du pouvoir centra!, peuvent se substituer
à lui.
Sur Ie plan provincial, Ie gouverneur de province et Ie
commissaire d'arrondissement peuvent requérir la force
armée en leur double qualité de délégués du gouvernement
centra! et, tout au moins pour ce qui concerne Ie gouver-
neur, d'organe de la province.

NOS 428 à 430


TITRE 111
PROBLÈMES JURIDICTIONNELS

Les droits subjectifs


et leur protection juridictionnelle
Après les deux premiers titres consacrés aux règles
régissant l'organisation et Ie fonctionnement de l'Admi-
nistration, celui-ci a pour objet les droits subjectifs aux-
quels ces règles donnent naissance et Ie règlement juridic-
tionnel des contestations auxquelles ces droits peuvent don-
ner lieu.
N'importe quel intérêt, même légitime, même important
n'est pas un droit subjectif. Pour qu'il Ie devienne, il faut
qu'il soit protégé, en d'autres termes, qu'en cas de contes-
tation ou opposition, Ie titulaire dispose d'un recours <le-
vant une juridiction qui tranche Ie litige d'une manière
définitive et mette à sa disposition la force publique si elle
s'avère nécessaire pour vaincre les résistances. Ainsi la
notion même de droit subjectif est-elle liée à celle de re-
cours j uridictionnel.
L'administration est soumise à la loi et, d'une façon
plus générale, au Droit. Les obligations légales qui lui sont
imposées sont rendues obligatoires par des sanctions qui
sont internes à l'organisation de l'Etat. Contraintes admi-
nistratives : les autorités supérieures exercent leur pouvoir
hiérarchique ou titulaire; les organes de controle (inspec-
tion des finances, service d'Administration générale, etc.),
remplissent leur mission. Contraintes politiques: les Cham-
bres et même !'opinion publique surveillent l'activité
administrative qui engage la responsabilité politique des
ministres.
Cette sanction a été pendant longtemps la seule qui ait
existé en Belgique. Sauf des cas assez exceptionnels, les
particuliers ne pouvaient compter que sur la bonne orga-
nisation de l'Administration en introduisant des recours
gracieux auprès des autorités administratives supérieures
338 PROBLÈMES JURIDICTIONNELS

ou encore ils provoquaient des interpellations parlemen-


taires.
Mais actuellement, on reconnaît beaucoup plus largement
l'existence d'intérêts protégés par des recours juridiction-
nels, c'est-à-dire de véritables droits subjectifs.
Quels sont ces droits subjectifs et quels sont leurs titu-
laires? Ceci sera examiné dans Ie chapitre XI.
Dans Ie chapitre XII, on recherchera <levant quelles juri-
dictions les actions fondées sur ces droits doivent être
intentées. La question présente un intérêt particulier en
Belgique car ce sont les controverses sur la compétence
qui ont amené <l'une part la reconnaissance de droits sub-
j ectifs administratifs et d'autre part la création du Conseil
d'Etat.
C'est à l'étude plus particulière des juridictions admi-
nistratives qu'est consacré Ie chapitre XIII.
CHAPITRE XI
DROITS SUBJECTIFS
431. Dans tous les chapitres précédents, on a précisé les
droits subjectifs divers que Ie particulier peut faire valoir
contre l'Administration. On en fait ici la théorie générale
qui est encore très controversée.
Dans la première scction sera expliquée l'importance des
droits subjectifs dans notre discipline.
La section II exposc Ie critère organique de classement.
Dans la section III, Ie critère matériel sera justifié.
Enfin, à titre excmplatif, dans la section IV seront étu-
diés quelques droits suhj~ctifs administratifs.

SECTION I
DROITS SUBJECTIFS DU PARTICULIER
432. Des droits et des devoirs existent entre diff érentes
personnes publiques. Par exemple, deux commissions d'as-
sistance publique peuvent avoir un litige qui sera tranché
par la voie juridiclionnelle. Cette question sera examinée
plns loin.
Par ailleurs, l' Administration peut faire valoir des droits
subjectifs à l'égard des particuliers. Ceci ne pose pas de
problèmes compliqués. Les pouvoirs publics sant en effet
dans une situation privilégiée : d'abord ils peuvent se créer
unilatéralement des droits, notamment par l'exercice de la
fonction réglementaire (n° 131); ensuite, pour faire res-
pecter ces droits, ils bénéficient du privilège du préalable
(n° 211) et ont à leur disposition la force publique. Les
droits subjectifs peuvent trouver leur source dans Ie Droit
privé comme dans Ie Droit public. En effet, l' Administra-
tion peut recourir aux procédés juridiques du premier
éventuellement amendé (n° 179).
C'est dans l'autre sens que Ie problème est difficile :
comment les individus peuvent-ils faire valoir des droits
suhjectifs à l'égard de la toute puissante Administration?

N 08 431 à 432
340 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

La matière est nouvelle et controversée. Les solutions.


adoptées influenceront Ie développement du Droit admi-
nistratif. Voilà pourquoi les thèses exposées dans des
éditions antérieures ont été développées. Elles ont, dans
l'intervalle, bénéficié d'études scientifiques remarquables
( Goossens, Recherche sur les critères de distinction des
droits individuels, Annales de la Faculté de droit de Liège,
1960, 149, avec les références; adde dans Ie sens des thèses
qui seront développées : Van den Branden de Reeth <levant
arrêt Brux., Pas., 1950, II, 21; rapport Diederich avant C. E.,
12 nov. 1954, R. J. D. A., 1954, 556; Lenaerts, thèse Gand et
.T.T., 1959, p. 54).
A. GÉNÉRALITÉS

433. Le particulier a-t-il les mêmes droits subjectifs vis-


à-vis de l' Administration et vis-à-vis d'une autre personne
privée? S'il conclut un contrat, s'il revendique son bien,
s'il réclame la délivrance d'un legs particulier, sa position
juridique est-elle pareille selon qu'il trouve en face de lui
la première ou la seconde ?
On l'a admis dans les exemples cités. Le particulier ob-
tient des tribunaux l'exécution directe de la convention
ou une indemnisation, recouvre sa propriété, reçoit son
legs. Mais l'assimilation est loin d'être complète. Une dis-
semblance est frappante. L' Administration qui par ~a
faute, voire par son dol, cause injustement un dommagp.
illicite à un particulier n'a pas été pendant bien longtemps
condamnée à payer des dommages-intérêts.
Les tribunaux sont paralysés par une interprétation
extensive et fausse du principe non écrit et mal compris
de la séparation des pouvoirs. Ils croient qu'en condamnant
l'Administration, ils s'immiscent inconstitutionnellement
dans l'activité administrative. N'est-ce pas juger l'Exécu-
tif, pouvoir autonome et souverain? Ne censurent-ils passes
actes ? Osent-ils Ie condamner ?
Pour comprendre une controverse qui a été longue,
obscure et même obscurcie, il faut savoir qu'elle s'est centrée
autour de l'interprétation des articles 92 et 93 de la Consti-
tution. Ces dispositions fixent précisément la compétence
des tribunaux de l'ordre judiciaire. Mais pour y arriver,
elles se réfèrent aux notions de droits subjectifs civils et
politiques. Dès lors pour savoir ce que peuvent faire les tri-

N 05 432 à 433
SECTION I. - DROITS SUBJECTIFS DU PARTICULIER 341

bunaux, il faut commencer par classer les droits subjectifs.


Tel est précisément l'objet de ce chapitre.

B. INTÉRÊT o'UNE CLASSIFICATION

434. L'intérêt ne se limite pas à la détermination de la


compétence.
Juridiction compétente: Sans doute est-ce la conséquence
la plus connue. Si Ie droit est civil, les tribunaux ordi-
naires on t Ie monopole de la j uridiction ( Const., art. 92) .
S'il est politique, les tribunaux gardent la compétence ré-
siduaire, à <léfaut d'une loi déférant les contestations à des
juridictions spéciales (Const., art. 93). Enfin, s'il est admi-
nistratif et ne peut se ranger dans les deux précédentes
catégories, la question de la compétence n'est pas explici-
tcment réglée par la Constitution.
Règles applicables au fond : Le régime juridique du
<lroit subjectif n'est pas Ie même selon qu'il est réglé par
Ie Droit privé ou Ie Droit administratif. Remarquons Ie
lien existant entre la première et la seconde conséquence
de la classification. La compétence réagit sur Ie fond. En-
traînés par l'habitude les tribunaux ordinaires, s'ils exer-
cent la juridiction, appliquent Ie Droit civil; tout au moins,
ils sont peu enclins à s'en écarter et à développer un Droit
administratif qui doit cependant être d'origine largement
prétorienne.
Reconnaissance plus large des droits administratifs :
Aussi Ie no:i;nbre de droits subjectifs des particuliers et
corrélativement des restrictions au pouvoir discrétionnaire
de l'Administration est-il bien différent selon que l'on opte
pour l'une ou l'autre qualification. Si l'on peut découvrir
un droit subjectif civil qui fonde la compétence des tribu-
naux ordinaires, ceux-ci sont tentés de protéger Ie parti-
culier; si au contraire, Ie droit n'est pas civil, les tribunaux
de l'ordre judiciaire, même quand ils s'affirment compé-
tents, sont tentés de ne pas utiliser leur juridiction. Ils pré-
tcndront ne découvrir qu'un simple intérêt qui n'est pas
j uridictionnellement protégé.
Meilleure organisation juridictionnelle : Si un droit sub-
jectif est du ressort d'un organe administratif, on cher-
chera à faire de celui-ci une véritable juridiction et à adap-
ter son organisation à la mission spécialisée qu'il doit rem-

N 08 433 à 434
342 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

plir. C'est un devoir pour Ie législateur de lege ferenda;


c'est une règle d'interprétation, dans les cas douteux, pour
ceux qui appliquent la loi.
C. CRITÈRES
435. Deux critères principaux sont proposés.
Pour les uns, les droits subjectifs doivent être distingués
selon leur nature. C'est Ie critère matériel. Il est d'un ma-
niement difficile car ni la Constitution ni la législation
n'ont fourni des définitions, des indications précises.
Dans un article brillant, M. Ic professcur Mast propose
de supprimer la difficulté en retournant Ie problème. Au
lieu de commencer par qualifier les droits pour en déduire
entre autres conséquences, la juridiction constitutionnelle-
ment compétente, il faut rechercher d'abord quelle est
cette juridiction pour avoir une idée fragmentaire mais
suffisante de la nature du droit contesté. C'est Ie critère
organique (Mast, Les fondements constitutionnels de la
juridiction administrative, R. J. D. A., 1956, 89, adde : Reu.
crit., 1957, 176 et 329, J. T., 1959, 58). Nous commencerons
par !'exposé du critère organique.

SECTION II
CRITERE ORGANIQUE

A. EXPOSÉ

436. Le législateur détermine la nature _du droit soit di-


rectement en donnant lui-même la qualification, plus sou-
vent indirectement en indiquant la juridiction compétente.
Ou bien il organise, par application de l'article 93 de la
Constitution, une juridiction spéciale; ou bien il affirme
expressément la compétencc des tribunaux ordinaires; ou
bien, il ne dit rien et dans ce cas, les tribunaux ordinaires
sont encore compétents sclon les articles 92 et 93 combinés.
Toutes les possibilités sont épuisécs et aucune ne nous
laissc sans solution : la compétence juridictionnelle est
toujours claircment régléc.
Sans doute la nature du <lroit n'esLpas---eomplètement
élucidée. Dans Ie premier cas, on peut affirmer qu'il n'est
pas civil puisque Ie monopole juridictionnel des tribunaux
n'est pas rcspecté. Dans les deux dernières hypothèses, on
ignore s'il est civil ou politique. Mais pourquoi se soucie-
SECTION II. - CRITÈRE ORGANIQUE 343

rait-on de cette imprécision qui n'empêche pas de résoudre


Ie problème?
Objecte-t-on que Ie législateur est soumis à la Constitu-
tion? Celle-ci ne définit pas la nature des droits civils ou
politiques. Naturellement, certaines solutions sont claires et
s'imposent : l'état et la capacité des personnes et d'une
manière plus générale les matières réglées par Ie Code
civil font l'objet de droits civils; Ie droit électoral est poli-
tique. Mais dans tous les cas douteux - de plus en plus
nombreux - Ie législateur est libre de donner la qualifi-
cation et d'organiser la compétence j uridictionnelle à sa
guise.
B. MÉRITES DU CRITÈRE

1. Röle du législateur.
437. Le premier est de couper court à d'inutiles et peut-
être impertinentes discussions doctrinales. Le législateur
est Ie meilleur interprète de la Constitution - et même
l'interprète sans réplique à défaut d'un controle juridic-
tionnel de la constitutionnalité de ses décisions; il connaît
mieux que tout autre la portée de la loi qu'il formule
et par conséquent la nature des droits subjectifs qu'il crée.
Il sait s'il a voulu régler des intérêts particulicrs et en faire
des droits civils ou s'il s'est surtout inspiré de considéra-
tions fondées sur l'intérêt général - telles que Ie bon fonc-
tionnement des services publics ou la solidarité des citoyens
- justifiant l'octroi de droits politiques.
Vouloir penser autrement et mieux que lui est une pré-
tention insoutenable pour Ie praticien. On ne peut admettre
par exemple Ie raisonnement de la Cour de cassation qui,
à propos de la pension militaire de réparation, affirme qne
Ie droit est civil, constate que Ie législateur s'est trompé en
créant une juridiction a<lministrative et conclut que si elle
a raison et si Ie législateur a tart, elle est néanmoins tenne
d'appliquer une loi inconstitutionnelle (Concl. Hayoit de
Termicourt <levant Cass., 21 oct. 1959, R. J. D. A., 1959, 288,
Miller).
N'est-il pas plus conforme à la hiérarchie <les autorités
de préférer l'opinion du législateur - tout comme on fera
prévaloir, en cas de conflit, celle de la Cour de cassation
sur cellc du Conseil d'Etat, parce que la première règle
entre eux les conflits <l'attribution. On doit même aller plus
loin. Il faut être plus attentif à ce que Ie législateur fait

N°5 436 à 437


344 CHAPITRE XI, - DROITS SUBJECTIFS

qu'à ce qu'il dit. Si Ie texte d'une loi ou les travaux pré-


paratoires qualifient un droit de « civil » et en même temps
Ie soumettent à la compétence d'une juridiction administra-
tive, on n'e~t pas tenu de conclure que la loi est inconsti-
tutionnelle mais doit être respectée par l'interprète. Mieux
vaut présumer - chaque fois qu'il est possible - que Ie
législateur s'est trompé dans la définition (qui après tout
doit être l'reuvre de la doctrine) mais a manifesté claire-
ment sa volonté d'utiliser la faculté de l'article 93 de la
Constitution.

2. Distinction entre droit subjectif et droit civil.

438. Un autre avantage de la théorie est d'empêcher une


extension abusive de la notion de droit civil au point d'y
inclure tons les droits subjectifs. Nous verrons en effet que
dans Ie hut de protéger les particuliers contre !'arbitraire
administratif, et en plaçant exclusivement leur confiance
dans les tribunaux de l'ordre judiciaire, d'importants inter-
prètes ont prétendu que tout véritable droit est civil.
M. Mast rappelle opportunément les textes de la Constitu-
tion selon lesquels les tribunaux ordinaires ne connaissent
pas uniquement des droits civils (art. 92) mais encore des
autres droits (art. 93). On écarte ainsi de fausses déduc-
tions qui ont été trop souvent faites entre les deux guerres.
« Les tribunaux sont compétents, donc Ie droit est civil »,
ou encore : « l'intéressé à un droit véritable protégé par
une action en justice; ce droit subjectif ne peut être que
civil puisqu'il n'y a de tribunaux véritables que les tribu-
naux civils ».

3. Meilleure protection juridictionnelle.

439. Un troisième intérêt serait de fournir un juge pour


tous les litiges. Et voilà assuré un idéal de j ustice recherché
avec obstination pendant un siècle. Non seulement on re-
connaît à cóté des droits civils, l'existence d'autres mais
véritables droits subjectifs venant limiter !'arbitraire de
l' Administration, mais encore on donne à ces droits toute
leur valeur en les sanctionnant chaque fois par des recours
j uridictionnels.

N 08 437 à 439
SECTION II. - CRITÈRE ORGANIQUE 345

C. CRITIQUES

Cependant la théorie organique n'est pas acceptable.

1. Catégories de droits subjectifs.


440. On peut contester d'abord une affirmation préju-
dicielle : Tous les droits subjectifs sont civils ou politiques
et il n'existe pas de troisième catégorie autonome de droits
administratifs; ainsi la combinaison des articles 92 et 93
permet-elle de désigner chaque fois Ie juge compétent
C'est là un postulat sans démonstration. Sans doute la
Constitution, par réaction contre les abus de l'Exécutif hol-
landais, a-t-elle fait largement confiance au pouvoir judi-
ciaire qui dispose d'un monopole juridictionnel (art. 92)
et de la compétence résiduaire (art. 93), tranche les con-
flits d'attribution avec d'autres juridictions (art. 106),
étend sa compétence aux fonctionnaires (art. 24) et à leurs
actes illégaux (art. 107). Mais l'accumulation de ces argu-
ments de texte ne prévalut pas contre Ie texte principal. La
répartition de tous les droits subjectifs en deux catégories
suppose qu'on lise l'article 92 autrement qu'il n'est écrit,
qu'on biffe l'adjectif « civil et le remplace par « quel-
conque » : « Les contestations qui ont pour objet des droits
quelconques sont exclusivement du ressort des tribunaux »
(art. 92). « Les contestations qui ont pour objet des droits
politiques sont donc du ressort des tribunaux, sauf les
exceptions établies par la loi » (art. 93).
L'interprétation est contraire non seulement au texte
mais à !'esprit de la Constitution. Les auteurs de celle-ci
ont, de l'avis général, voulu faire reuvre pratique. Aux
article 92 et 93, ils ont déterminé la compétence j uridic-
tionnelle pour les principales contestations qui étaient con-
nues à !'époque. Ils ne se sont pas souciés à cette place de
définir les droits subjectifs, encore moins de les classer en
deux catégories exhaustives.
Si l'on dit que les constituants ont fait confiance au
pouvoir judiciaire, ne peut-on répliquer qu'ils ont fait plus
grande confiance encore au législateur: ils lui ont demandé
de préciser les dispositions constitutionnelles; quatre-vingts
fois, la Constitution fait appel au législateur. Ils lui en ont
abandonné l'interprétation puisqu'ils n'ont pas organisé un
controle de la constitutionnalité des lois. Ils n'ont mis pra-

N 09 439 à 440
346 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

tiquement aucune borne à sa compétence législative. Si Ie


législateur est si libre dans l'élaboration des lois, il peut
de cette façon créer des droits subjectifs nouveaux.

2. Critère insuffisant pour Ie législateur.

441. Même en admettant la classification de tous les


droits subjectifs en deux catégories, Ie critère, dans de
nombreux cas, est inopérant. Comme il est fondé sur l'or-
ganisation de la compétence juridictionnelle par la loi, il
n'aide d'abord pas !'auteur de la loi. Celui-ci doit choisir
entre droit civil et droit politique et, dans les cas douteux,
a besoin, pour respecter la Constitution, d'une directive.
Les débats qui ont précédé Ie vote de la loi sur la pension
des employés et ouvriers (Anna/es parlementaires, Sénat,
1954-1955, p. 818 à 828), Ie mauvais compromis auquel on
est parvenu, montrent les dangers de cette confusion. On
comprend l'embarras des Chambres. Des parlementaires
étaient particulièrement soucieux d'établir sur des fonde-
ments solides, Ie droit de l'assuré; en particulier, ils étaient
attentifs à lui éviter les vicissitudes d'une réglementation
qui pourrait ultérieurement Ie priver des réserves mathé-
matiques de sa pension, cependant constituée en partie par
ses cotisations. Ils ont cru que la solution était d'affirmer
Ie caractère civil du droit qui échappe ainsi à la loi du
changement (n° 30) et de lui donner la protection judi-
ciaire qui est la mieux organisée. Des collègues, plus atten-
tifs aux aspects pratiques du problème, pensaient que ce
contentieux énorme et spécialisé, devait être traité avec
Lmc efficacité, des frais réduits, une simplicité des formes
<le procédure, et une célérité conformes aux intérêts véri-
tables des justiciables. Ils ont par conséquent opté pour des
juridictions administratives spécialisées. La loi essaie de
combiner les deux tendances. Quoiqu'elle ait établi des
j uridictions spéciales, elle donne aux défendeurs un décli-
natoire de compétence .« L'action portée par une personne
devant une des juridictions instituées en application du
présent article implique reconnaissance de sa compétence.
Toutefois, une personne citée <levant elles, peut, par voie
d'exception présentée avant tout autre moyen de défense,
contester la compétence des juridictions précitées, auquel
cas, Ie juge de droit commun est saisi d'office par décision
de renvoi et se prononce sur la compétence avant tout débat

N 05 440 à 441
SECTION II. - CRITÈRE ORGANIQUE 347

au fond» (L., 21 mai 1955, art. 20, modifiée par L., 1er aoflt
1957 pour la pension de retraite et de survie des employés;
L., 12 juill. 1957, art. 25 pour les ouvriers).
Cette solution a été durement critiquée (Mast, La nature
du droit à la pension, J. T., 1957, 329; voyez aussi Rev. crit.,
1957, 176. La nature du droit à la pension, J. T., 1959, 58;
- Haesaert, Rev. belge de sécurité sociale, 1959, 831).
Et tout d'abord la compétence ratione materiae ne pour-
rait être laissée à la discrétion des parties. Cette critique
n'est pas sans réplique. Car si Ie droit est politique (ou
administratif), Ie constituant laisse au législateur le choix
entre la juridiction civile et la juridiction administrative.
Pourquoi la loi ne pourrait-elle pas les admettre cumula-
tivement? Objectera-t-on que la compétence matérielle -
à la différence de la compétence territoriale - est d'ordre
public? C'est nne règle exacte d'interprétation des lois sur
la compétence. Mais 1c précepte ne lie pas Ie législateur
lui-même. Dans Ie domaine du contentieux fiscal, la déci-
sion juridictionnelle du directeur des contributions directes
peut être attaquée <levant la Cour d'appel. La situation
n'est pas identique mais voisine : Il y a pour la même
affaire, si pas cumul, du moins succession de juridictions
différentes.
En réalité Ie législateur n'a pas voulu définir Ie droit et
préciser Ja juridiction. Ainsi Ic critère organique ne trouve
pas à s'appliquer. « C'est au législateur seul qu'il revient
de qualifier les droits subjectifs, et <l'en faire des droits
dvils ou des droits politiques. Le législateur a des droits
très étcndus mais il n'a pas celui de renoncer à la mission
qui lui est déférée par le Constituant ». Ou trouve-t-on qu'il
a cette mission? Il constate implicitement que Ie droit n'est
pas civil. C'est d'ailleurs la seule indication positive que
fournit Ie critère formel quand il trouve à s'appliqner. Le
législateur l'a donnée. Et cela ne suffit pas.

3. Critère insuffisant pour l'interprète.

442. Si Ie législateur peut être embarrassé, l'interprète


Ie sera aussi dans tous les cas ou la loi qui devrait être son
guide selon Ie critère formel, refusc de donner la solution
on la donne d'une façon équivoque.
Quant au rcfns, la loi sur les pensions qui vient d'être
analysée donnc un cxemple formcl. L'article 20 dit très

N 08 441 à 442
348 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

expressément : « L'institution des juridictions (administra-


tives) visées au présent article ne porte pas préjudice à la
compétence des cours et tribunaux, telle qu'elle est déter-
minée par les articles 92 et 93 de la Constitution ». D'ou
l'option qui résout, si pas élégamment, du moins pratique-
ment Ie problème de compétence juridictionnelle, mais
laisse l'interprète sans indication sur la nature véritable
du droit. Or, celle-ci doit être connue pour d'autres motifs
que celui de fixer la compétence juridictionnelle (n° 434).
Dans d'autres cas, il y a équivoque. Le législateur a re-
connu la compétence de certaines « Commissions supé-
rieures ». Mais celles-ci sont mal organisées à tel point qu'on
ne sait si elles sant des organcs de l' Administration active
ou de véritables organes j uridictionnels qui tranchent les
contestations avec l'autorité de la chose jugée. Ceux qui
attribuent au droit un caractère civil optent pour la pre-
mière solution qui réserve la compétence des tribunaux
ordinaires; les autres qui veulent reconnaître un droit sub-
jectif administratif sont partisans de la deuxième analyse.
Le critère formel ne jouc pas. Un bon exemple est fourni
par la comparaison d'un arrêt du Conseil d'Etat et un
autre de la Cour de cassation ren<lus dans la même affaire
(C. E., 24 janv. 1955, R. J. D. A., 1955, 114; - Cass., 28 mai
1958, J. T., 1959, 58, De Bruecker). Pour Ie Conseil d'Etat,
la loi sur la pension militaire de réparation crée une com-
mission administrative; donc Ie droit est politique. Pour la
Cour, Ie droit est civil; donc la commission n'a pas un
caractère juridictionnel (adde C. E., 27 févr. 1959, R.J.D.A.,
1959, 82).

4. Reconnaissance de droits subjectifs.

443. Paradoxalement, Ie critère formel, même s'il est


employé selon !'esprit de sou auteur, c'est-à-dire en recon-
naissant très largement la compétence résiduaire des tri-
bunaux civils sur toutes les contestations qui ne sant pas
déférées par la loi à d'autres juridictions, diminue la pro-
tection de l'administré. Sans doute, il y a toujours un pré-
toire compétent. Mais celui-ci refuser::i <l_'_uti_liser sa com-
pétence, de constater l'existence d'un droit. Il a fallu
attendre !'arrêt Flandria du 5 novembre 1920 (Pas., 1921,.
I, 114) pour que les tribunaux sanctionnent la responsa-
bilitéé aquilienne de l'Administration (n° 473). Après un

N 08 442 à 443
SECTION 111, - LE CRITÈRE MATÉRIEL 349

nouveau demi-siècle, la jurisprudence judiciaire est très


hésitante et très confuse en ce qui concerne les droits non
pécuniaires (n05 444, 445) que les fonctionnaires tirent de
leur statut (Cass., 17 nov. 1957, Pas., 1958, I, 328, Société
nationale des Chemins de fer belges c./ Henrard) ou que
les allocataires sociaux fondent sur les lois (Cass., 21 déc.
1956, J. T., 1957, 6, Trine; - Cass., 28 mai 1958, J. T., 1959,
58, De Bruecker; - Cass., 21 oct. 1959, R. J. D. A., 1959,
R. J. D. A., 1959, 284, Miller).
Quni qu'on en pense, les juridictions administratives bien
organisées sont mieux préparées pour défend re les intérêts
légitimes des administrés et en faire de véritables droits;
au surplus leur existence stimule les juridictions judi-
ciaires. De cette concurrence résulte une meilleure pro-
tection des particuliers. Telle est l'expérience d'un demi-
siècle.
Ceci est, du point de vue pratique, la plus grande objec-
tion à opposer au critère organique. Loin de protéger
l'administré en lui assurant dans tous les cas un prétoire,
on Ie laisse sans défense contre !'arbitraire administratif
en se fiant trop largement sur la compétence résiduaire
des tribunaux ordinaires; en fait, ceux-ci ne l'utilisent pas.

SECTION III
LE CRITERE MATERIEL

Le critère matériel classe les droits d'après leur nature.


Les droits civils et les droits politiques sont prévus par la
Constitution. Le législateur qui, sur ce point, n'est pas
limité par elle, a créé une troisième catégorie.

A. DROITS SUBJECTIFS CIVILS

1. Historique.

444. Pour protéger les intérêts respectables des particu-


liers, certains ont cru que la meileure politique était de
constater Ie plus grand nombre possible de droits civils
pour faire jouer au maximum Ie monopole judiciaire établi
par l'article 92 de la Constitution et de nier Ie caractère
juridictionnel des commissions administratives, d'ailleurs
souvent informes.

N09 443 à 444


350 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

Alors que pendant un siècle, on affirme que les droits


civils n'existent qu'entre particuliers et, exceptionnelle-
ment, vis-à-vis de l'Administration (n° 472 et 473), l'arrêt
de la Cour de cassation du 5 novembre 1920 (Pas., 1921, I,
114, Flandria), provoque un subit élargissement. La res-
ponsabilité aquilienne de l'Etat crée un droit subjectif
civil à la réparation dans Ie chef de la victime. Le procu-
reur général Leclercq pousse à faire coïncider la notion de
droit civil avec celle de droit patrimonia! (Cass., 14 avr.
1921, Pas., 1921, I, 137, Pêcheries à vapeur c./ De Schepper).
Il appelle civil, tout droit à une prestation pécuniaire
(Cass., 25 oct. 1934, Pas., 1935, I, 29 (2 arrêts); - Etat belge
c./ Boreux etc., Peiffer, pour les termes échus du traitement
ou de la pension; - Cass., 7 avr. 1949, Pas., 1949, I, 280,
Cuvelier c./ Etat beige, pour Ie traitement et la pension
sans distinction entre termes échus et au tres; - Cass.,
22 oct. 1925, Pas., 1926, I, 22, Etat beige c./ Verheecke, pour
les dommages-intérêts dus en cas d'atteinte à l'intégrité de
la personne ou des biens). On a même appelé civils des
droits non pécuniaires que Ie fonctionnaire tire de son
statut (Brux., 28 févr. 1948, R. J. D. A., 1948, 33, Esch-
weiler, note Lespes - qui n'a pas été suivi ni par la C0ur
de cassation : 4 mai 1950, Pas., 1950, I, 621, ni par la juri-
diction de renvoi : Liège, 10 mai 1951, R. J. D. A., 1951, 218,
mais pour des motifs sans relation avec la nature civile ou
politique du droit).
Mais l'arrêt Trine du 21 décembre 1956, J. T., 1957, 62,
précédé des importantes conclusions de M. Ganshof van
der Meersch, mérite d'être aussi célèbre que celui de 1920,
parce qu'il semble amorcer un nouveau revirement de la
jurisprudence dans Ie sens d'une conception moins large
du droit civil au profit du droit « politique ».
L'évolution, dans Ie sens de l'élargissement est nette,
mais les éléments retenus pour caractériser Ie droit civil
( droit à indemnité, droit à unc somme d'argent, droit patri-
monia!, droit privé) sont vagues et mal justifiés. Peut-on
préciser la définition?

2. Nature.

445. On ne peut découvrir la nature civile du droit dans


la juridiction compétente - comme on l'a vu en discutant
Ie critère organique (n° 442) - , ni dans l'identité des par-

N 08 444 à 445
SECTION 111, - LE CRITÈRE MATÉRIEL 351

ties : La personne publique est justiciable aussi bien des


tribunaux administratifs que des tribunaux ordinaires.
Faut-il s'attacher à la nature de la prestation?
On trouve dans la j urisprudence l'idée que les droits à
des paiements de sommes sont civils ( encore récemment :
Cass., 27 nov. 1952, Pas., 1953, I, 184, 2 arrêts en cause : Etat
beige, ministère des Financcs c./ Versteele; - S. N. C. B.
c.j Vrindts). Cependant les droits du fonctionnaire ou de
!'employé privé au traitement, les droits de l'agent public,
de l'assuré contractuel, de l'allocataire social à la pension,
les droits à des dommages-intérêts civils ou à la réparation
des dommages de guerre ne sont certes pas de même nature.
Le vrai critère se fondc sur la portée des règles qui don-
nent naissance aux droits subjectifs. Concernent-elles avant
tout les intérêts privés? Le droit est civil. Le législateur
a-t-il voulu principalement protéger l'intérêt général? Le
droit n'cst pas civil. Naturellement, l'opposition n'est pas
absolue. (Le Code civil, qui protège et réglemente les in-
térêts privés, tient compte de l'ordre public). Le Droit
public qui fait prévaloir l'intérêt général, ménage et pro-
tège les intérêts privés. C'est plutót une question d'accent,
d'obj ectif principal.
Dans son arrêt Flandria du 5 novembre 1920, la Cour ·de
cassation utilisc unc formule concise : sont « civils tous les
droits consrrcrés par Ie Code civil et les lois qui Ie com-
plètent ». Sans doute l'expression n'cst pas précise. Qu'en-
tend-on par « lois qui comp]ètent Ic Code civil »? Ce sont
toutes les règles de droit qui ont été conçnes principale-
ment pour protéger les intérêts privés et les équilibrer
entre eux. Elles rér~issent normalcmcnt les rapports entre
particuliers. Elles s'appliquent aussi, moyennant d'éven-
tuelles modifications, aux relations avec l'Administration
qnan<l cclle-ci, mettant de cóté son impérium et son aulo-
rité, prétcnd se compo:.-ter juridiquement comme les pur-
ticuliers: contracter, acquérir, emhaucher comme enx. CZ's
règles donnent naissancc à des droits subjectifs civils que
Ie particulier peut avoir contre un autrc pnrticulier mais
peut aus,;i ncquérir à l'cncontre des pcrsonnes puhliques.
Cette définition paraît bien correspondre à la pensée des
Constituants quand, dans l'urticlc 92, ils font allusion aux
droits civils. Cette interprétation est confirmée par deux
arguments.
352 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

D'abord les travaux préparatoires sont assurément dis-


crets (Déclaration de M. Destouvelles Ie 20 déc. 1830,
Huyghens, t. Il, p. 559 et s.). Mais on y relève que cette dis-
position est directement inspirée par l'article 165 de la loi
fondamentale de 1815 <lont la rédaction était plus explicite:
~ Les contestations qui ont pour objet la propriété ou Jes
droits qui en dérivent, des créances ou des droits civils
sont exclusivement du ressort des tribunaux ».
Ensuite, si l'on remonte jusqu'à la période révolution-
naire pour saisir dans leur genèse les concepts juridiques
<lont se sont servis les Constituants, on constate que l'ex-
pression « droit civil » a bien cette portée (Vauthier, obser-
vations sous Cass., 14 avr. 1921, R. A., 1921, 293). C'est
d'autant plus important que des textes capitaux de cette
époque continuent à faire partie de notre Droit positif. Il
s'agit des articles 7 à 21 du Code civil définissant dans
quelle mesure les nationaux et les étrangers ont la jouïs-
sance des droits civils. Il n'est pas contestable que ces droits
sont ceux qui concernent l'état des personnes, ou Ie patri-
moine - sous réserve de la correction qu'une jurispru-
dence prétorienne apporte à l'application de ces dispositions
en inventant les « droits naturels » (Cass., 1 er oct. 1880, Pas.,
I, 1880, 292).
3. Acquisition d'un droit et droit acquis.
446. Le particulier acquiert des droits civils contre l' Ad-
ministration quand celle-ci se soumet aux règles de Droit
privé. S'il ne prétend pas acquérir un nouveau droit contre
l' Administration mais veut lui opposer, lui faire admettre
et respecter un droit civil antérieurement acquis (et oppo-
sable à tous), une nouvelle distinction doit être faite (Goos-
sens, op. cit., p. 299 et s.). Elle est développée au n° 453.

B. DROITS SUB JECTIFS POLITIQUES

Aux <lroits civils, la Constitution oppose les droits poli-


tiques. Quels sont-ils?

1. Historique.
447. Dans la conception du droit politique, on constate
une évolution parallèle à celle du droit civil. Des défini-
tions de plus en plus extensives sont proposées, avec Ie

N05 445 à 447


SECTION 111. ---,- LE CRITÈRE MATÉRIEL 353

même souci d'assurer la protection des intérêts légitimes


de l'administré en comblant un vide juridictionnel. Les
interventions de l'Etat, en se multipliant, risquent de léser
Ie particulier. L' Administration peut refuser les avantages
légalement accordés, par exemple les allocations sociales;
elle peut aussi créer des charges, sans respecter les limites
et les modalités imposées par Ie législateur en faveur du
particulier, par exemple : les mesures de police non pré-
vues par la loi. S'il est impossible de reconnaître des droits
subjectifs civils, ne peut-on les qualifier de politiques ? La
protection sera complète, car à défaut de juridiction spé-
ciale établie par la loi, les tribunaux ordinaires seront com-
pétents (Const., art. 93).
Au début la notion est restrictivement entendue. On cite
toujours la formule de Mathieu Leclercq : « Les droits poli-
tiques sont ceux conférés aux citoyens à l'effet d'élire,
d'appeler, d'être nommés, appelés aux charges de la puis-
sance publique; de conférer et d'exercer Ie pouvoir attaché
à ces charges » (Le pouvoir j udiciaire, B. J ., 1889, 1266).
En d'autres termes, Ie droit politique, comme son nom
même l'indique, est l'intérêt subjectif, protégé par la loi,
que Ie citoyen a de participer à l'exercice de la souverai-
ncté. C'est une définition claire qui a Ie mérite de garder
aux termes leur sens usuel.
Elle vise cssentiellement les droits subjectifs politiques
de l'électeur, de l'éligible, de l'élu, l'accès à la fonction pu-
blique. Faut-il ajouter les droits et les devoirs découlant
des grandes charges constitutionnellement imposées aux
individus en faveur de la communauté politique : service
militaire et Ie paiement des impöts?
C'est la première extension proposée.
Aux droits précités, des auteurs ajoutent tous ceux qui
naissent quand l' Administration n'agit pas comme un par-
ticulier en se soumettant aux règles du Droit commun,
mais utilise des prérogatives <lont Ie Droit public fixe à la
fois la nature et les limites. Ainsi deviennent politiques
tous les droits qui ne sont pas civils. Par l'arrêt Trine du
21 novembre 1956 (J. T., 1957, 62), la Cour de cassation
affirme que Ie droit aux allocations de chömage est compris
parmi les droits prévus à l'article 93 de la Constitution sous
les termes « droits politiques ».

N° 447
354 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

2. Nature.

448. Seule l'interprétation primitive est conforme au


sens des mots et à la pcnsée des constitnants. Ceux-ci ont
visé les droits subjectifs de l'électeur, de l'élu, l'accès à la
fonction publique, bref, la participation active à la sou-
veraineté. (Déclaration de M. Destouvelles, Ie 20 cléc. 1830,
Huythens, t. Il, pp. 559 et s.: Cc sont les droits « qui con-
fèrent les droits d'élection, celui d'être nommé aux fone-
tions publiques ». Ce constituant ajoute : « Il n'y a que les
citoyens qui en puissent jouir »).
Qu'en est-il du service militaire et du paiement de l'im-
pöt? Cettc assimilation, quoique traditionnelle, paraît discu-
table. Il ne s'agit plus ici de prendrc part à l'exercice de
la souveraineté nationale, mais de participer aux charges
du fonctionnement des services publics. La preuve décisive
d'une différence de nature est que les droits politiqucs
n'appartiennent qu'aux citoyens, tandis que les droits et
obligations résultant des lois fiscales concernent aussi les
étrangers.
Pour confirmer Ie caractère politique des droits du con-
tribuable, on cite un passage du rapport de Raikem, selon
lequel Ie contentieux fiscal ne concerne pas les droits civils.
De cette formule négative, faut-il conclure positivement
qu'il touche à des droits politiques ?
La raison de cette assimilation ne provient-elle pas du
fait qu'on n'a pas suffisamment distingué à cöté des droits
civils et politiques, une troisième catégorie : les droits
administratifs?
D'ailleurs, Ic texte même de la Constitution - bien plus
important que les travaux préparatoires -- donne une in-
dication formelle : les article 4 et 5 précisent qu'il faut être
Beige de naissancc ou par naturalisation pour exercer les
droits politiques. Or, les étrangers ne sont-ils pas soumis à
l'impöt ? N'ont-ils pas participé au tirage au sart pour la
formation du contingent militaire ? Il n'en est pas ainsi
pour la participation active à la souveraineté.
Celle-ci est nationale (Const., art. 25) et seuls les Belges
peuvent être électeurs (art. 47-50), éligibles -(art. 50-56),
ministres (art. 86). Sans doute l'article 6, après avoir ré-
servé aux seuls Belges l'accès aux cmplois civils et mili-
taires, prévoit des exceptions. Mais ces dérogations, inévi-

N°448
SECTION 111, - LE CRITÈRE MATÉRIEL 355

tables dans un jeune Etat, doivent être autorisées par une


loi et ont toujours été très restrictivement accordées.
L'assimilation aux droits politiques de tous ceux que Jes
lois créent en faveur du particulier contre I' Administration
ne se soutient que par une idée préconçue : tous les droits
subjectifs sont civils ou politiques, et par conséquent ceux
qui ne sont pas civils, sont politiques.
3. One application.
449. Selon la Cour de cassation, l'article 93 « n'embrasse
pas toutes les contestations sur des droits politiques et n'a
en vue que ceux <lont Ie citoyen jouit à titre personnel, tel
que l'électorat, et non les droits politiques qu'il exerce,
comme agent ou délégué du pouvoir exécutif » (Cass.,
9 févr. 1891, Pas., 1891, I, 70). Par application de ce prin-
cipe, la Cour a déclaré que Ie droit politique de réclamer
l'annulation de l'élection d'un conseil de !'industrie et du
travail, n'a pas pour objet l'intérêt personnel du récla-
manl, mais seulement l'intérêt de I'Administration. Par
contre, sont droits politiques individuels, ceux qu'exercent
patrons et ouvriers en vertu des articles 5 et 6 de la loi
organique de ces conseils, concernant Ie mode et les con-
ditions dans lesquels s'exerccnt leurs droits d'électeurs.
En d'autres termes, Ie droit politique, tout comme Ie droit
civil, protège un intérêt individuel. On comparera cette
jurisprudence vieillie avec l'intérêt « fonctionnel » reconnu
par Ie Conseil d'Etat (n° 515).

C. DROITS SUBJECTIFS ADMINISTRATIFS

En dehors des droits subjectifs civils et politiques, existe-


t-il une troisième catégorie qui n'a pas été prévue par la
Constitution : les droits snbjectifs administratifs.
Historique.
1.
450. Les rares auteurs qui citent les droits administratifs
au cours du XIXe siècle emploient une terminologie peu
précise.
Dans la première édition de ce livre a été distinguée une
catégorie autonome de droits subjectifs administratifs.
2. Droit et intérêt.
451. L' Administration peut cntrer dans Ie commerce
juridiquc comme un particulier en se conformant aux rè-

N08 448 à 451


356 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

gles de Droit privé; cèci donne naissance à des droits sub-


j ectifs civils (n° 179). Mais elle peut aussi invoquer les dis-
positions du Droit public qui tiennent compte de sa mis-
sion d'intérêt général et de ce chef lui donnent des préro-
gatives extraordinaires et lui imposent des charges extra-
ordinaires. Ainsi peut-elle par son activité, créer chez les
particuliers, des droits administratifs.
C'est une possibilité mais pas une nécessité. Car l' Admi-
nistration, dans l'exercice de ses prérogatives, peut jouir
d'une grande liberté, en d'autres mots, d'un « pouvoir dis-
crétionnaire ». Les règles du Droit public l'autorisent à in-
tervenir ou non, dans Ie sens et selon les modalités qui lui
conviennent. Dans la mesure ou elle est libre, Ie particulier
n'a pas de droit contre elle car un droit correspond à une
obligation.
Il existe aussi de nombreux cas ou les obligations sont
imposées à l'Administration dans son propre intérêt. Ce
sant des « mesures internes » qui ne sant pas conçues pour
protéger l'administré et qui, par conséquent ne créent pas
chez lui des droits subjectifs.
Au contraire, la compétence de l' Administration peut,
selon l'expression technique, être «liée» à l'avantage de l'ad-
ministré. Cette obligation doit correspondre logiquement à
un droit subjectif dans Ie chef des intéressés. Mais pendant
longtemps, ces droits n'ont pas été parfaits. Il leur man-
quait la sanction du recours juridictionnel qui permet à
leur titulaire de les faire respecter en cas de contestation
ou violation.
3. Nature.
452. Les droits subjectifs administratifs sant donc ceux
qui correspondent à la compétence liée de l' Administration,
c'est-à-dire à son devoir d'utiliser les prérogatives qu'elle a
reçues dans l'intérêt général de manière à respecter cer-
tains intérêts de l'administré.
lis s'opposent aux droits civils. Ils sont créés par des lois
qui ont en vue l'intérêt général mais tiennent compte de
certains intérêts particuliers (n° 456), tandis que les droits
civils ont pour objet les intérêts privés (n° 445). ]..e régime
de fond est différent. Au point de vue juridictionnel, ils ne
sont pas soumis, comme les droits civils, au monopole j udi-
ciaire établi par l'article 92 de la Constitution.
Les droits administratifs doivent aussi être distingués des

Nos 451 à 452


SECTION 111, - LE CRITÈRE MATÉRIEL 357

droits politiques. Sans doute, entrent-ils les uns et les au-


tres, dans la catégorie plus générale de droits publiès et
s'opposent-ils ainsi aux droits civils qui sont privés. Mais
même entre eux, on relève des différences : les droits poli-
tiques ont pour objet la participation active à la souve-
raineté (droit d'élire, d'être élu, accès à la fonction publi-
que). De ce chef, ils sont réservés aux Belges ( art. 4, 5, 6).
Ils ne peuvent être réglés par Ie législateur que dans Ie
cadre strictement délimité par Ie Constituant, seul com-
pétent pour organiser la souveraineté nationale (voyez ce-
pendant pour la consultation populaire de 1950, la remar-
que de Goossens, op. cit., p. 214, note 88). De cette diffé-
rence de nature résulte un régime différent tant pour Ie
fond que pour la j uridiction.
L'existence d'une catégorie distincte est fort contestée.
L'objection fondamentale est la suivante : des droits sub-
jectifs administratifs, isolés dans une catégorie autonome,
n'ont pas une protection juridictionnelle organisée par "Ia
Constitution. En cas de difficulté, leurs titulaires risquent
de se trouver sans j uge. Au contraire, en les ramenant à
la catégorie constitutionnelle des droits politiques, un pré-
toire est toujours assuré pour l'administré. A défaut d'une
juridiction administrative créée par la loi, les tribunaux
ordinaires ont la compétence résiduaire (Const., art. 93).
L'argument est d'une logique infaillible et d'une ineffi-
cacité pratique totale. Car plutöt que d'exercer cette com-
pétence redoutable, les cours et tribunaux préfèrent non
pas contester leur ressort mais nier l'existence du droit
lui-même. C'est ce que nous avons connu jusqu'à l'arrêt
Flandria en matière de responsabilité aquilienne. Cest en-
core très largement vrai aujourd'hui. S'ils sanctionnent
plus facilement Ie droit de l'administré à une somme d'ar-
gent, ils hésiteront encore longtemps à condamner I' Admi-
nistra tion à accorder telle licence, telle autorisation, tel
raccordement aux canalisations, telle admission à l'école
ou à l'hopital, bref toutes ces prestations directes en nature
qui deviennent de plus en plus nombreuses. Et l'on peut
<louter qu'en cas de refus, ils condamnent à des dommages-
intérêts (n° 459).
Qu'on n'objecte pas que ces obligations de faire ne sont
pas susceptibles d'exécution forcée; quand il s'agit de la
puissance publique, les obligations de somme ne Ie sont pas

N" 452

358 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

davantage. Dans les deux cas, il s'agit d'affirmer un droit


subjectif.
Qu'on nc rétorque pas non plus que les cours ont raison
et que ces droits n'existcnt pas. Les décisions administra-
tives qui les nient seront annulées par Ie Conseil d'Etat
avec des conséquences qui seront examinées ailleurs.
Pour ces raisons ce n'est pas un progrès, mais au con-
traire un enlisement de considérer les droits administratifs
comme des droits politiques. On met les cours et les trihu-
naux dans une situation impossihle et on les pousse à
dégrader ces droits au rang de simples intérêts.
On comprend d'ailleurs l'hésitation des trihunaux, à tel
point qu'on peut la croire permanente.

4. Situations juridiques complexes.


453. Dans une mêmc situation juridique, des droits suh-
jcctifs de différentes natures peuvent être enchevêtrés.
Cette connexité peut être interne; l'existence d'un droit
<lépend d'un autre droit qui en est une donnée; par exem-
ple, Ie droit administratif à une allocation sociale dépend
de l'état civil de l'intéressé; l'indemnisation d'une victime
de la guerre ( droit social), de sa qualité de propriétaire
( droit civil). Ainsi se présente la théorie des questions
préalables et préjudicielles (n° 530).
La connexion peut être plus intime : un marché par ad-
.i udication puhlique donne naissance à un droit civil, mais
la procédure administrative précédant l'adjudication,
fonde des droits administratifs (n° 360). Un contrat de con-
cession comporte des éléments d'autorité et des éléments
contractuels (11° 380). D'oü la théorie de l'acte détachable
(n° 335).
Le même acte j uridique peut avoir deux faces : la déci-
sion admini!'>trative la plus caractérisée peut être assortie
de sanctions pénales. Vis-à-vis de la décision, l'intéressé
peut faire valoir des droits administratifs : s'il est attaqué
au pénal, il se défend <levant les tribunaux ordinaires, qui,
à vrai dire, appliquent les règles du Droit administratif
pour apprécicr la légalité de l'acte de--l'Aclministration
(n° 473). Pour la décision d'adjuger, voyez Ie n° 360.
Enfin, la prétention d'un particulier peut être non pas
d'acquérir un droit, vis-à-vis de l'Administration, mais de
défendre un droit préalablement acquis, contre ses empié-

N 06 452 à 453
SECTION 111. - LE CRITÈRE MATÉRIEL 359

tements, Ie lui faire reconnaître et respecter. Une distinc-


tion doit être faite. Ou bien la méconnaissance, voire la
lésion du droit civil du particulier est faite par l' Adminis-
tration sans que celle-ci puisse invoquer de prérogative; sa
défense éventuelle est fondée, elle aussi, sur Ie Droit privé:
la contestation est civile. Ou bien, l'Administration invoque
une règle qui lui donne des pouvoirs exceptionnels, déroga-
toires au Droit commun. En ce cas, Ie débat se déplace.
Il ne s'agit plus de savoir si l'intéressé a un droit civil -
qui n'est pas contesté - mais si l'Administration a Ie pou-
voir de limiter ce droit et en use correctement. En d'autres
tcrmes ce qui est en discussion n'est pas Ie droit civil du
particulier, mais son droit administratif à obtenir que
l'Administration, dans l'exercice de son pouvoir, respecte
les dispositions légales qui ont été prévues pour protéger
les administrés. Par exemple, un propriétaire reproche aux
pouvoirs publics, d'avoir pris ou endommagé son bien.
Quand l' Administration présente des défenses fondées sur
Ie Droit privé - elle invoque la prescription acquisitive;
clle conteste sa faute aquilienne - la contestation a pour
objet un droit civil (C. E., 18 oct. 1955, R. J. D. A., 1956, 118,
Van Beckhoven). Mais si elle se réclame de prérogatives
conférées par Ie Droit public - elle a classé Ie site, Ie
bourgmestre a fait détruire l'immeublc menaçant ruïne,
il s'agit d'une « servitude militaire » - la question change
d'aspect. Ce qui est contesté n'est plus Ie droit de propriété
et sa lésion, mais la prérogative de l'Administration et
son étendue (n° 320). L'article 544 du Code civil prévoit
expressément que Ie droit civil peut être réglementé. Mais
l' Administration, dans l'utilisation de cette compétence, est
soumise à certaines règles ~t sa décision peut être illégale,
si elle les cnfreint (n ° 459).
L'article !)0, 8° de la loi communale, relatif aux autori-
sations de bfltir, fait clairement la distinction. Il organise
un recours administratif devant les autorités supérieures,
« sans préjudice du recours aux tribunaux, s'il s'agit de
qucstions de propriété ,>. Quand, en vertu d'un plan géné-
ral d'alignement, !'alignement particulier implique l'incor-
JJOration de parcelles privées à la voic publique, il y a
acquisition de la propriété par la commune. Dès lors, à
défaut d'accord sur l'indemnité, la procédure en expro-
priation doit être poursuivie devant les tribunaux civils
(L., 1 er f évr. 1844 et 15 août 1897, art. 5, modifié par L.,

N° 453
360 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

28 mai 1914). Au contraire, l'autorisation de batir, sans


toucher au droit de propriété du riverain, se borne à régler
I'exercice de ce droit en soumettant la construction à di-
verses conditions. Le Conseil d'Etat est compétent pour
apprécier la légalité de la décision (C. E., 14 janv. 1955,
arrêt n° 1955, Cheron). Le droit civil n'est pas en jeu.
Un autre exemple concerne les libertés - plus précisé-
ment la liberté du commerce et de !'industrie. Tout comme
l'usage de la propriété peut être réglementé, cette liberté
peut être réglée par les lois. Si cette liberté est atteinte
sans que l' Administration puisse invoquer aucun titre à son
action, Ie droit est civil. Mais là ou l'autorité a reçu Ie pou-
voir de réglementation du législateur, c'est Ie Conseil d'Etat
qui apprécie la légalité de sa décision.
Sur cette question, des droits acquis voyez une autre ap-
plication au n° 446.

SECTION IV
DROITS SUBJECTIFS ADMINISTRATIFS

A. DROIT SUBJECTIF A LA PRESTATION ADMINISTRATIVE

1. Protection des intérêts à défaut de droits subjectifs.


454. Commençons par rappeler qu'à défaut de droit ad-
ministratif subjectif lui assurant un recours juridictionnel
<levant les tribunaux, Ie particulier n'est pas démuni de
toute protection. S'il croit avoir un motif de se plaindre, il
pourra introduire une réclamation auprès de l'autorité
hiérarchique ou tutélaire.
C'est une protection appréciable, car les autorités supé-
rieures sont conscientes de leurs devoirs envers Ie public
et donneront généralement suite aux plaintes justifiées.
Mais elle n'est pas suffisante pour transformer l'intérêt
en droit. L'intervention de cette autorité est discrétion-
naire : la réclamation peut ne pas être prise en considéra-
tion sans qu'on puisse jamais dénoncer un déni de justice.
La décision se fonde non seulement sur des motifs juridi-
ques mais aussi sur des considérations d'opportunité.
Remarquons aussi que l'Administration - ou tout au
moins les ministres qui la dirigent - ont une responsabi-
lité politique <levant les Chambres. Ce controle aussi est

N08 453 à 454


SECTION IV, - DROITS SUBJECTIFS ADMINISTRATIFS 361

précieux. De grosses irrégularités peuvent provoquer des


débats parlementaires, agiter !'opinion publique et être
ainsi efficacement réprimées. Mais ce ne sera qu'excep-
tionnel. Ce controle est trop lourd pour assurer la légalité
de l'action administrative journalière.
La protection du particulier n'est complète que si les in-
térêts protégés par la loi à l'encontre de l' Administration
publique constituent de véritables droits administratifs.
Ceci implique qu'en cas de contestation ou de violation,
celui qui est lésé peut recourir à des autorités juridiction-
nelles indépendantes.

2. Enumération.

455. Dans tous les chapitres l'existence de droits sub-


jectifs a été soulignée.
Sans doute, les services publics et les personnes publi-
ques sont créés, organisés et supprimés par la loi sou-
veraine. Toutefois, les particuliers peuvent avoir des inté-
rêts légitimes juridictionnellement protégés à leur consti-
tution, leur fonctionnement et leur disparition (ch. I, Il).
Les agents qui sont dans une position statutaire, tirent
du règlement un ensemble de droits subjectifs adminis-
tratifs (n° 264).
Le régime des biens donne aussi naissance à des droits.
Ceux-ci sont administratifs et non civils quand ils décou-
lent de l'affectation du bien à l'utilité publique et non du
régime de propriété (n 320, 321, 322 et s.).
05

A cóté des situations contractuelles, nous avons distingué


celles qui sont réglementaires (n° 336). Même un contrat
qui engendre des droits civils, peut être précédé de toute
une procédure administrative, créant chez les intéressés
des droits administratifs (n° 359 et 335).
Si la responsabilité délictuelle de l'Administration est
dominée par l'article 1382 du Code civil, d'autres droits à
réparation peuvent résulter pour les particuliers de régle-
mentations spéciales (n° 393).
Reprenons ici Ie problème sous un angle plus général.
Le particulier a-t-il un droit à la prestation administrative?
Peut il exiger que pour fournir ou refuser cette prestation,
l'action administrative se soit développée conformément à
la légalité? Obtiendra-t-il des dommages-intérêts si Ie refus
de la prestation ou l'illégalité lui a causé un préjudicc ?

N 08 41i4 à 455
362 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

A. DROIT SUBJECTIF A LA PRESTATION ADMINISTRATIVE

1. Généralités.
456. Tous les services publics fonctionnent nécessaire-
ment dans l'intérêt général. Par exemple, l'armée, la gen-
darmerie, la police, assurent l'ordre; c'est un service rendu
à !'ensemble du public ou de la collectivité considérée d'une
façon anonyme. Cela ne suffit pas pour fonder un droit
subjectif. Il faut de plus, que dans Ie cadre de l'intérêt
général toujours présent, l'autorité créant et organisant Ie
service public, ait visé aussi l'intérêt particulier de cer-
tains individus déterminés qu'elle admet de connaître per-
sonnellement et auxquels elle assure une prestation indi-
vidualisée.
Prenons à titre d'exemple, Ie service des postes ou de
l'instruction publique. Chaque habitant a un intérêt per-
sonnel à une prestation hien individualisée. Il peut exiger
que Ie facteur, dans sa tournée, passe par sa maison et que
son enfant soit inscrit à l'école publique.
Le droit subjectif a pour objet une prestation ou une
abstention <lc l'Administration. Il n'existc que dans la me-
sure oû corrélativement une obligation est imposée à la
personne publique.
Le problème est de savoir si Ie particulier trouve un pré-
toire pour forcer l' Administration récalcitrante à lui accor-
der la prestation Iégaie. Rarement il pourra s'adresser aux
tribunaux jucliciaires. Le jugc lui opposera Ie principe de
la séparation des pouvoirs (Liège, 22 mars 1928, R. A.,
1929, 182).
Dans certains cas cependant, Ie particulier peut invo-
quer une convention et a un clroit civil. Tellc peut être la
situation de l'agent engagé par contrat (11° 228) ou celle de
l'usager d'un service industriel ou commercial (n° 337: -
C. E., 31 mars 1950, R. J. D. A., 1950, Buttgen, note Lespes).
Il faut aussi examiner à part Ie cas oi1 Ie service public
est géré par un concessionnairc. M. Verwilghen a excel-
lemment mis en lumière l'obligation qui incombe à celui-
ci de scrvir tons les habitants ---- sauf impossibilité maté-
riclle - : une dépense excessive pour desservir un « écart »
peut être assimilée à une impossibilité matérielle (Ver-
wilghen : « Les Régies et concessions et Ie droit des parti-
culiers aux prestations du service public », Annales de
droit et de science politique, 1934-1935, 365). Ce devoir dé-
coule de In notion même dn service public. Mais comment

N° 456
SECTION IV. - - DROITS SUBJECTIFS ADMINISTRATIFS 363

sera-t-il sanctionné? L'nuteur nc Ie dit pas. Lorsque ceUe


obligation constituc une clause expresse du cahier des
charges, la commune concédante peut en réclamer judi-
ciairement lc respect. Les habitants ont dès lors accès, eux
aussi, aux prétoires civils puisqu'ils penvent exercer l'ac-
tion populaire (L. C., art. 150).
En dehors de ces cas, Ie droit est administratif. Mais Ie
particulier trouve difficilement aujourd'hui un prétoire
pour Ie faire sanctionner. Les juges civils n'interviendront
que si la prestation due est une somme d'argent.
On peut se demander pourquoi les tribunaux, s'ils se
croient ainsi compétents, n'interviennent pas aussi quand
Ie particulier réclame une prestation autre qu'une somme
d'argent. On ne voit pas la différence essentielle entre Ie
droit du malade à son allocation sociale et son droit à être
hospitalisé par l'assistance publique, entre Ie droit de la
mère à l'allocation familiale et Ie droit d'inscrire l'enfant
à l'école communale. Qu'il s'agisse de payer une somme
d'argent ou d'assurer un raccordement, Ie service postal,
l'inscription à l'école, d'accorder une autorisation ou
licence dans les conditions fixées par la loi, c'est toujours
une injonction juridictionnelle à l'Administration active,
injonction qui ne peut être assortie d'exécution forcée.
Que l'administré réclame une somme ou une autre pres-
tation, la protection judiciaire, si elle lui est dne, se fonde
sur l'article 93.
Quant au Conseil d'Etat, il n'a reçu en principe que la
compétence d'annulation et ne peut rien enjoindre ou dé-
fendre à l'Administration active. Mais cette compétence
d'annulation protège indirectement Ie droit subjectif.
Le particulier réclamc la prestation; il fait annuler la
décision administrativc de rejet; Ie système est complet si
Ie retard à statuer est analysé par la jurisprudence com-
me un refus implicite. Il peut en être ainsi par exemple,
pour Ie père de famille qui veut inscrire son enfant à une
école publique (pour une classe de transmutation : C. E.,
2 mai 1958, R. J. D. A., 1958, 227, Cymberknopf), à Ia con-
dition, bien entendu, qu'il y ait obligation pour la commune
(C. E., 2 mars 19fü, D et B, 1961, 223, Kirschen). Il en est
de même pour un subside (C. E., 16 janv. 1958, R. J. D. A.,
1958, 144, Syndicat d'Initiative de Spa; - C. E., 13 mai 1958,
R. J. D. A., 1958, 236, Association beige pour l'Education).

N° 456
364 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

2. Droits sociaux.
457. Quelle est la nature des droits sociaux ? lls décou-
lent des lois de prévoyance sociale (pensions, allocations
de chömage, de maladie ou invalidité, de famille, pécule de
vacances); on leur assimile ceux qui dépendent des statuts
des différentes catégories de victimes de guerre (militai-
res, résistants, prisonniers politiques, etc.).
Ce sont de vrais droits subjectifs. Le législateur n'a certes
pas voulu abandonner à la discrétion de l'Exécutif, Ie paie-
ment des indemnités. Ce sont au surplus des droits sub-
jectifs administratifs. lls résultent d'une part d'une politi-
que de solidarité sociale et sont soumis à un règlement
conçu en fonction de l'intérêt général et non des conve-
nances particulières des intéressés. Par ailleurs, leur con-
tentieux est fréquemment soustrait aux juges ordinaires et
confié à des commission j uridictionnelles spéciales, ce qui
est un signe décisif de leur nature (Const., art. 92 et 93).
Ces propositions ont fait l'objet de controverses. D'abord
Ie législateur n'a pas toujours été clair; il a employé des
expressions .équivoques telles que « assurance sociale»,
évoquant l'idée d'un contrat d'adhésion; il a créé des com-
missions <lont Ie caractère juridictionnel n'était pas net.
Ensuite des exégètes, dans Ie souci de mieux assurer les
intérêts des assurés et aussi de mettre des bornes à l'éta-
tisme, ont cherché à prouver l'existence d'un droit civil
(notion souvent confondue avec celle du droit subjectif)
et à affirmer la compétence constitutionnelle des tribu-
naux de l'ordre judiciaire. Enfin la jurisprudence est con-
fuse et en pleine évolution.
Pension : Celle <lont l'octroi n'est pas abandonné à la
bonne volonté de l' Administration mais est régie par la loi
ou en vertu de la loi, fait l'objet d'un véritable droit. Celui-
ci est administratif quand il dépend plus du règlement que
de la convention des parties. Le fait que la cotisation sert
à constituer la pension n'est pas suffisant pour démontrer
la thèse contraire, car souvent cette contribution obligatoire
n'est que partielle et Ie montant de la pension ne lui est pas
proportionné (variations avec l'index). La crainte que
l'intéressé soit soumis aux fluctuations ultérieures du rl'-g]e-
ment et n'ait pas de droit acquis à ses réserves mathéma-
tiques est respectable; mais ne peut-on pas objecter qu'au
cours d'une longue carrière, Ie risque est plutöt que l'Etat
SECTION IV. - DROITS SUBJECTIFS ADMINISTRATIFS 365

soit obligé de réévaluer les réserves dont l'importance est


rognée par l'élévation constante du niveau général des prix
et peut-être par une dévaluation?
Le caractère politique de ce droit est confirmé par Ie
fait que Ie législateur a généralement attribué Ia compé-
tence, en cas de contestation à des juridictions administra-
tives : pensions des travailleurs, des ouvriers mineurs, pen-
sions militaires; pensions aux victimes civiles de la guerre;
loi du 21 mai 1953. Voyez pour la pension des fonctionnai-
res Ie n° 268.
Quant aux pensions militaires d'invalidité et de répara-
tion, Ie Conseil d'Etat en fait l'objet de droits politiques
qui sant du ressort des juridictions administratives (C. E.,
28 janv. 1953, R. J. D. A., 1953, 188, Leys et C. E., 12 oct.
1953, R. J. D. A., 1954, 7, Huysmans), tandis que pour Ia
Cour de cassation, ce sant des droits civils et les commis-
sions instituées par les lois coordonnées du 11 août 1923
et 5 octobre 1948, n'ont pas un caractère juridictionnel
(Cass., 7 avr. 1949, R. J. D. A., 1949, 71, Cuvelier; - Cass.,
28 mai 1958, J. T., 1959, 57, De Bruecker). Pour les pensions
des fonctionnaires, voyez Ie n° 270.
Indemnités de chómage : L'arrêt de cassation du 21 dé-
cembre 1956 (R. J. D. A., 1951, 71, Trine) en fait l'objet
d'un droit politique.
Pécule de vacances: Le Conseil d'Etat reconnaît la com-
pétence des tribunaux pour ce droit « civil > (C. E., 13 janv.
1961, R. J. D. A., 1961, 138, Scheeren).
Assurance maladie-invalidité : Le Conseil d'Etat a jugé
que depuis l'arrêté-loi du 28 décembre 1944, complété par
la loi du 20 mai 1949 organisant l'assurance obligatoire, Ie
droit de l'assuré qui était civil, est devenu politique ou
administratif. Son objet a changé : il n'est plus Ie montant
de l'indemnité contractuellement promise, mais il est fixé
par Ie règlement du service public. Notamment la partie
retenue des salaires n'est plus la propriété individuelle de
l'assuré; elle tombe dans une masse qui est répartie confor-
mément à la loi.
En conclusion, ces droits sociaux ne sant plus civils. Dans
une terminologie imprécise, ils sant appelés politiques. En
réalité, ils sant administratifs.

·N° 457
366 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

B. DROIT SUB JECTIF A LA LÉGALITÉ


458. L'illégalité peut être externe ou interne. Elle est
externe si la décision n'accorde pas à l'intéressé l'objet de
son droit : une allocation, une autorisation, Ie bénéfice
d'un service public, l'usage du domaine public. Elle est
interne quand ellc vicie les modalités de l'acte adminis-
lratif : condition de compétence, de forme, de délai.
Un droit subjectif à la légalité est généralement contesté.
On prétend que Ie contentieux de l'annulation est objec-
tif en ce sens qu'il peut être utilisé par cclui qui n'a pas
de droit subjectif et veut simplement faire respecter la loi.
En réalité Ie Conseil d'Etat exige que Ie requérant ait
un intérêt personnel, actuel, suffisamment individualisé
(n° 515). Un intérêt protégé par un recours j uridictionnel :
n'est-ce pas la définition du droit subjectif?
La théorie de la forme substantielle en fournit la démon-
stration. L'annulation est prononcée moyennant trois con-
<litions : la forme a été prescrite dans l'intérêt de l'ad-
ministré et non dans celui de l' Administration; son omis-
sion ou irrégularité doit avoir porté préjudice au requé-
rant; enfin l'illégalité n'a pas été couverte par Ie fait que
celui-ci y a acquiescé ou a obtenu d'une autre façon la
garantie prévue. C'est bien la preuve que Ie contentieux
de l'annulation n'est pas simplement « objectif » (Haesaert,
La sanction par Ie Conseil d'Etat des vices de forme,
p. 187).
Une autre objection est que l'annulation ne fait que met-
tre à néant l'acte administratif contesté sans fournir la
prestation elle-même. Mais il faut serrer de plus près son
effet juridique. D'abord, l'annulation prive l'Administra-
tion de son titre. Ensuite, l'annulation empêche l' Admi-
nistration de reprendre la même décision. Enfin, on pour-
rait prétendre qu'elle lui interdit l'inaction prolongée qui
serait interprétée comme nn nouveau refus implicite.
Enfin, pour justifier l'existence d'un droit subjectif à la
légalité, rappelons qu'il est sanctionné par l'article 107 de
Ja Constitution. Les trihunaux judiciaires eux-mêmes sont
tenus de ne pas appliquer les décisions illégales ..

C. RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE
459. La fourniture de la prestation ou la suppression de
l'illégalité peuvent être refusées ou ne pas donner au parti-

N08 458 à 459


SECTION IV. - DROITS SUBJECTIFS ADMINISTRATIFS 367

culier une satisfaction suffisante. L'administré peut-il dans


ce cas demander des dommages-intérêts? C'est ici que la
théorie civiliste a marqué à la fois ses plus notables progrès
et son insuffisance. C'est au sujet de la responsabilité
aquilienne de l' Administration que la Cour de cassation,
en 1920, a affirmé la compétence des tribunaux ordinaires
à l'égard des personnes publiques. Elle reconnaît large-
ment l'existence d'un droit subjectif à des dommages-in-
térêts (n° 474). Mais sous la généralité de l'expression se
cachent bien des restrictions.
Le droit subjectif à réparation, est-il civil ou adminis-
tratif?
Reprenons une distinction déjà développée au sujet de
la propriété (n° 453) : Ie droit à des dommages-intérêts est
civil quand il se fonde sur la lésion d'un droit antérieure-
ment acquis qui était lui-même civil, opposable à tous, et
notamment à l' Administration sans que celle-ci puisse in-
voquer une prérogative spéciale.
Il faut d'abord que Ie droit lésé soit civil : la propriété
privée, un contrat, l'intégrité physique et morale de la per-
sonne, les libertés constitutionnelles fondent des droits
civils qui doivent être respectés par tous. L' Administration
engage sa responsabilité sur Ie pied de l'article 1382 (ou
1384) du Code civil si elle commet une faute entraînant
une violation dommageable de ces droits.
Ensuite, les moyens de défense de l' Administration doi-
vent eux aussi être tirés du Droit privé : usucapion opposée
au droit de propriété, faute de la victime ou absence de
causalité en cas de responsabilité aquilienne, règle res
inter alios acta, quand on lui oppose un contrat. Dans tous
ces cas, les contestations sont du ressort exclusif des tri-
bunaux judiciaires qui se reconnaissent aujourd'hui com-
pétents pour accorder une réparation pécuniaire.
La situation est différente si l'Administration, pour sa
défense, invoque des prérogatives qui lui sont accordées
par Ie Droit public pour lui permettrc de remplir sa mis-
sion d'intérêt public. Sans donte, Ie droit de propriété est
civil mais la loi prévoit des servitudes légales au hénéfice
des services publics. Sans doute encorc, l'intégrité de la
personne et sa liberté sont protégécs par un droit civil,
mais des dispositions légales imposent la vaccination ou
antorisent des réquisitions. lei Ie droit civil n'est pas

N° 459
368 CHAPITRE XI. - DROITS SUBJECTIFS

contesté. C'est Ie privilège de l'Administration, son exis-


tence, ses limites, son exercice, qui sont en discussion. L'in-
téressé a un droit administratif à l'annulation de la déci-
sion irrégulière. S'il a un droit au paiement de dommages-
intérêts, ce n'est pas sur Ie pied de l'article 1382, mais en
vertu de la loi qui a prévu la servitude ou la réquisition.
Par ailleurs, Ie droit violé peut être lui-même adminis-
tratif. Un fonctionnaire se plaint que les dispositions de
son statut n'ont pas été respectées; Ie titulaire d'une per-
mission de voirie prétend qu'elle lui a été retirée irrégu-
lièrement. L'usager d'un service public se voit refuser la
prestation qu'il réclame (inscription de son fils dans une
école publique, fourniture d'électricité, hospitalisation d'un
indigent, autorisation de bàtir, etc.). La victime doit pou-
voir óbtenir des dommages-intérêts. Sinon son droit origi-
naire n'est pas un véritable droit mais un simple intérêt,
à défaut de sanction. [Raccordement à la distribution d'eau
(Liège, 18 juin 1937, R. A., 1938, 210); refus d'une carte
d'identité (Verviers, 25 mars 1925, Jur. Liège, 1925, 268; -
cfr. Trib. Gand, 1er juin 1921, R. A., 1922, 27; - Liège,
22 mars 1928, R. A., 1929, 182)]; sur ce point, la thèse défen-
due a été modifiée depuis la dernière édition. Ce droit
n'est pas civil mais administratif. Les modalités peuvent
être diff érentes pour tenir compte de la situation particu-
lière de l'Administration. A défaut d'une disposition géné-
rale, corrélative à celle de l'article 1382 pour les droits
subjectifs civils, Ie principe de l'indemnisation n'est que
lentement dégagé par la jurisprudence. Deux arrêts de la
Cour d'appel de Bruxelles sant admis que Ie fonctionnaire
devait être indemnisé si l'action disciplinaire avait été irrè-
gulièrement menée à son préjudice ou s'il avait été devancé
par une promotion irrégulière (arrêts Eschweiller et Thi-
baut. Mais ces décisions n'ont pas fait jurisprudence.
En matière d'adjudication publique, Ie soumissionnaire
irrégulièrement évincé n'est que partiellement indemnisé
(n° 359). La j urisprudence a admis par contre assez facile-
ment sa compétence pour indemniser tous les troubles aux
droits apparemment réels et en réalité administratifs qui
avaient une connexion avec la propriété (aisances, per-
mission de voirie, autorisation de bàtir).

N° 459
CHAPITRE XII

LES JURIDICTIONS

460. Le problème de la juridiction est important pour


plusieurs raisons.
Un droit est un intérêt juridiquement protégé. Cette pro-
tection prend la forme d'une action en j ustice. Cel ui qui
ne trouve pas de prétoire ou il peut se plaindre de la vio-
lation de son droit n'a en réalité aucun droit.
D'autre part, la jurisprudence influence la portée des
normes juridiques. Cette intervention est plus grande
quand ces normes ne sont pas figées dans un texte écrit.
Les interprètes qui ont pour mission de les préciser avant
de les appliquer, peuvent infléchir dans un sens ou dans
l'autre. Tel est précisément Ie cas du Droit administratif.
Selon qu'il est appliqué par des tribunaux civils ou par
des juridictions administratives, il prendra une physio-
nomie tout à fait différente.
Enfin, il faut distinguer les cas ou les autorités exécu-
tives administrent et ceux ou elles jugent. Car les règles
juridiques qui gouvernent leur activité seront <lifférentes.
Notamment les actes juridictionnels :
- sont soumis aux règles constitutionnelles de la moti-
vation et de la publicité (n° 469) ;
- ont l'autorité de la chose jugée (n° 465);
- ne peuvent être soumis au controle hiérarchique ou
de tutelle (n° 469) ;
-- ne peuvent être sujets au controle juridictionnel fon-
dé sur l'article 107 de la Constitution (n° 471).
Dans une première section on définira l'acte juridiction-
nel. Dans la seconde sera examinée la compétence des tri-
bunaux ordinaires et des juridictions administratives à
l'égard des personnes publiques.

N° 460
370 CHAPITRE XII. - LES JURIDICTIONS

SECTION I
NATURE DE LA FONCTION JURIDICTIONNELLE

A. DÉFINITION

461. Dans un arrêt déjà ancien de la Cour de cassation,


on trouve une formule très large : « Le pouvoir d'adminis-
trer comprend Ie droit de statuer au contentieux sur les
oppositions que rencontre l'action administrative » (Cass.,
11 déc. 1905, R. A., 1906, 197, note d'observation). Il résul-
terait de cettc formule que toute décision de l' Administra-
tion prise à la suite d'une réclamation ou contestation quel-
conqne serait un jugement. Ce principe a été justement
critiqué. Vingt ans plus tard, la Cour a pris une posWon
plus sévère (Cass., 10 juin 1926, R. A., 1927, 197).
La fonction j uridictionnclle est exercée quand une con-
testa tion ayant pour objet des droits, est résolue par une
décision définitive qu'une autorité indépendante et impar-
tiale a prise en s'inspirant du Droit en vigueur et en respec-
tant l'égalité des parties.
1. D'abord, il faut une contestation.
462. On a prétcndu qu'entre l'Etat et le particulier, il ne
pouvait jamais y avoir de contestation car à la prétention
du p:lrticulier ne s'oppose pas la prétention contraire de la
puissance publique, mais un acte de souveraineté auquel
est due l'obéissancc (Mat. Leclercq, B. J., 1889, 1265).
Ce raisonnement est un paralogisme. Quand !'individu
invoque un droit contre l'Etat, il affirme précisément que
dans cette mesure la souveraineté, le pouvoir discrétion-
nairc n'existent pas et font place à une obligation corréla-
tive à son droit. Niant son devoir <l'obéissance, il exige son
dû.
Le litigc peut être implicite. Même si une partie n'ex-
prime pas son droit (procédure par défaut, inculpé acquies-
çant au bicn-fondé d'une poursuite pénale, contribution
imposée d'office par le directeur des contributions directes,
arrêts de la Cour des comptes concernant les comptables),
la contestation est latente.
2. La contestation doit avoir pour objet un droit.
463. Les prétentions qui s'opposent et constituent la con-

Nos 461 à 463


SECT. 1. - NATURE DE LA J?ONCTION JURIDICTIONNELLE 371

testation se fon<lent sur Ie Droit et non sur des considéra-


tions d'intérêt ou de convenance; elles invoquent des droits
subj ectifs.
L'article 18 modifié du Statut des Agents de l'Etat, orga-
nise une longue procédure pour les nominations faites au
grand choix, sous la garantie du secrétaire permanent au
recrutement. Aux diverses phases de l'instruction, les méri-
tes du caudidat sont comparés à ceux des concurrents. La
décision u'est cependant pas juridictionnelle. Aucun des
candidats n'a un « droit » mais des titres à la nomination.
De mên1e, l'annulation d'un acte par l'autorité de tutelle
n'est pas juridictionnelle, parcc qu'aux considérations de
droit peuvent se mêlcr des raisons d'opportunité (rr 123).
0

Naturellement, même dans l'acte juridictionnel, on ne


peut se limiter à !'examen des questions juridiques. Le
Droit s'incorpore dans la réalité. Il faut donc examiner les
circonstances de fait. Mais c'est uniquement pour savoir si
les conditions d'existence du droit sont réunies. C'est celui-
ci qui finalement sera affirmé ou nié. Par exemple, Ie Con-
seil d'Etat doit néccssairement analyser les faits pour sa-
voir s'ils cachent un détournement de pouvoir. Même en ce
qui conccrne l'excès de pouvoir, il annule la décision pour
inexistence des motifs (les faits invoqués n'ont pas existé)
pour illégalité des motifs (ce ne sont pas ceux prévus par
les règles légales). Dans tous ces cas, Ie Conseil d'Etat ne
recherche les faits qne pour voir s'ils sant bien ceux prévus
par la règle légale et par conséquent si celle-ci a été correc-
tement appliquée par la décision administrative.
La règle générale peut exiger des faits qui impliquent
une certaine marge d'appréciation. Par exemple, un spec-
tacle peut être interdit « dans des circonstances exception-
nelles ». La destruction d'un batiment peut être ordonnée
s'il « menace ruïne ». Bien des décisions ne peuvent être
prises que dans Ie cas d'urgence. Le Conseil d'Etat recher-
che s'il y a vraiment « circonstances exceptionnelles » ou
<langer prochain. On est tout proche d'un controle juridic-
tionnel de l'opportunité. Pourtant, Ie Conseil d'Etat ne peut
se substituer au bourgmestre. Il cherche seulement à éta-
blir si une condition de fait préalable à l'exercice de son
pouvoir est réalisée (Buch, « Le Droit et Ie Fait dans la
jurisprudence du Conseil d'Etat », J. T., 1959, 125). De
même, il n'apprécie pas l'urgence. Il se contente formelle-
372 CHAPITRE XII. - LES JURIDICTIONS

ment de constater qu'elle a été affirmée par l'autorité com-


pétente (Brux., 13 juin 1945, Pas., 1946, II, 10, Delin, Ed-
mond c./ Comm. d'Etterbeek; voyez cependant J. P., 22 juin
1956, R. A., 1956, 238). L'urgence est contredite par la len-
teur de l'Administration elle-même (C. E., 10 août 1951,
J. T., 1952, 575, Cobesma; - adde Cass., 31 mai 1926, Pas.,
1926, I, 394, Hermans; - Cass., 27 janv. 1943, Pas., 1943,
1, 35, procureur du Roi de Nivelles c./ Mallarmé et Jacques).

3. Cette contestation est résolue par une décision


qui s'inspire du Droit en vigueur.
464. Pour apprécier l'existence des droits subjectifs con-
testés, Ie juge se réfère au Droit positif.
Au contraire, pour résoudre une contestation relative à
un simple intérêt, des instances administratives tiendront
compte non seulement du Droit en vigueur, mais aussi
d'une politique générale. C'est bien ce qui arrive pour
l'autorité de tutelle qui doit s'inspirer de « l'intérêt géné-
ral » (Const., art. 108-5°).
One conséquence importante est qu'une autorité exer-
çant un pouvoir juridictionnel ne fait que reconnaître des
droits subjectifs préexistants qui découlent de l'application
de la loi et des autres règles juridiques. Cette proposition
entendue dans un sens trop absolu a été contestée. Il est
vrai qu'en matière de divorce, de faillite, de déchéance, Ie
juge modifie la situation juridique des parties; que sta-
tuant au pénal, en cassation ou en annulation pour excès
de pouvoir, il fait autre chose que déclarer un droit subjec-
tif préexistant (cfr. Cambier, J. T., 1959, 57 et Principes du
contentieux administratif, t. I, p. 142). Mais Ie statut
d'époux implique Ie droit au divorce; l'état de commerçant
suppose la solvabilité; une déchéance survient parce qu'une
des conditions d'existence ou d'exercice du droit n'existe
plus. Le juge est donc tenu de constater un droit subjectif
préexistant et <l'en tirer des conséquences qui sont elles
aussi préétablies, au moins virtuellement.
Par contre, une autorité administrative crée Ie droit du
particulier et reste libre de s'inspirer jusqu'au dernier mo-
ment d'éléments nouveaux. C'est que qu'a jugé la Cour de
cassatiun à propos des tribunaux de dommages de guerre.
« Les juridictions de dommages de guerre, organismes
administratifs, n'exercent pas Ie· pouvoir judiciaire et ne

N.,. 463 à 464


SECT. I. - NATURE DE LA FONCTION JURIDICTIONNELLE 373

statuent pas sur une contestation relative à un droit pré-


existant... Elles conservent jusqu'à l'allocation définitive,
la faculté de rechercher en toute liberté d'appréciation et
en se conformant à la législation actuellement en vigueur
si Ie réclamant se trouve dans les conditions exigées pour
être admis au bénéfice de la réparation du dommage ré-
sultant du fait de guerre». Notamment, elles peuvent tenir
compte d'un arrêté royal écartant certaines demandes peu
importantes, quoiqu'il soit postérieur au dommage et même
à l'assignation (Cass., 1 er févr. 1934, J. T., 1934, 141; - adde
Cass., 27 juin 1935, Pas., 1935, I, 295).
Des cas ont été controversés. Pour les demandes d'autori-
sation de bàtir, voyez Cass., 11 déc. 1905, Pas., 1906, I, 57,
Ville de Verviers; - Gand, 12 mars 1942, R. J. D. A., 1946,
25, note De Visscher; - pour la procédure de changement
de nom (L., II, 21 germinal, an XI), comp. Cass., 7 avr.
1888, Pas., 1888, I, 67, De Sainte Aldegonde c./ De Marnix
de Sainte Aldegonde, concJ. Mesdach de ter Kiele et C. E.,
21 juin 1954, R. J. D. A., 1954, 263, Mons, note Vliebergh;
pour l'octroi d'une carte professionnelle à un étranger
(A. R., 16 nov. 1939), consultez C. E., 3 juill. 1953, D et B,
1953, 919, Delgrange.

4. C'est une décision qui met fin à la contestation.

465. Décision et non avis, qui ne résoudrait pas Ie litige


(Liège, 20 oct. 1936, R. A., 1937, 67). Décision exécutoire,
soit par elle-même, soit moyennant une intervention auto-
matique d'une autre autorité publique.
La décision définitive contre laquelle toute voie de re-
,cours est épuisée, a l'autorité de la chose jugée. C'est un
attribut que n'a aucun acte administratif. Un règlement
peut toujours être abrogé (n" 216) ; un acte administratif
individuel peut dans certains cas être retiré (n° 205) ; il
peut toujours être anéanti par l'acte contraire (n° 202) :
par exemple une nomination est suivie d'une révocation.
L'autorité de la chose j ugée a plusieurs effets.
D'abord la juridiction qui a rendu la décision a épuisé
son pouvoir; elle est définitivement dessaisie. Même pour
les jugements <l'avant faire droit, elle ne peut, dans la suite
de l'instance revenir sur les points tranchés (C. E., 14 janv.
1952, R. J. D. A., 1952, 192, Van Rulle).
Ensuite les autres juridictions ordinaires ou administra-

N 08 464 à 465
374 CHAPITRE XII. - LES .JURIDICTIONS

tives doivent respecter l'autorité de la chose jugée (Cass .•


12 mars 1942, R. J. D. A., 1951, 183).
Cette autorité ne s'attache qu'aux décisions juridiction-
nellcs prises par l'autorité administrative dans les limites
de sa compétence, sans empiéter sur cellc du pouvoir judi-
ciairc (Cass., 12 mars 1942, R. J. D. A., 1946, 23, Nuttinck).
Si cette condition est remplie, les tribunaux ultérieurem.ent
saisis du litige, ne peuvent plus examiner Ie fond de !'af-
faire qui a été définitivement jugé. Ils ne peuvent pas non
plus rechcrcher si Ic jugc admistratif a respecté les formes
prescrites par la loi. Notamment, ils doivent présumer qu'iI
a exercé Ie controle prévu par l'article 107 <le la Constitu-
tion sans pouvoir Ie refaire (Cass., 10 juin 1926, R. A., 1927,
197).
Enfin la décision juridictionnelle s'impose aux parties.
Lorsque l'une <l'elles est une personne publique, toutes les
autorités administratives de celle-ci, même celles qui n'ont
pas été parties à l'instance, sont obligées de la respecter.
Celle qui chercherait à éluder les conséquences juridiques
de la décision se rend coupable d'un excès <le pouvoir
ouvrant un recours devant Ie Conseil d'Etat (C. E., 15 juin
1951, R. J. D. A., 1951, 293, \Vatson; - C. E., 30 nov. 1951.
R. .J. D. A., 1952, 169, Monteyne).
Les mêmes faits peuvent <lonner lieu à diverses contes-
tations <levant des j uridictions civiles et administratives.
Par exemple, la faute d'un fonctionnaire peut justifier une
répression pénale et une peine disciplinaire : les deux dé-
cisions - et les deux procédnres contentieuses - sont in•
dépendantes. Toutefois les faits établis pour la première
fois par une des deux j uridictions ne peuvent être remis
en ,1ucstion <levant l'autre. Mais chacune d'elles donne sa
pronre qualification de ces faits.
5. Le juge doit être impartial parce qu'il n'a aucun intérêt
dans Ie débat et parce qu'il est indépendant
vis-à-vis des plaideurs.
4,66. On ne peut être à la fois jugc et partie. Cette indé-
pendance n'est certes pas complète lorsque l'un des adver-
saires est l'Etat. Mais on nc peut dire que Ie juge a partie
liée avec l'Etat. La spécialisation des fonctions lui permPl
de se faire une opinion indépendante et de l'imposer.
Cctte situation est celle des magistrats de l'ordre judi-
ciaire. Ce sont des organes de l'Etat mais ils font partie

N08 465 à 466


SECT. I. - NATURE DE LA FONCTION JURIDICTIONNELLE 375

d'un autre pouvoir souverain que l'Administration. Un con-


seiller d'Etat est un fonctionnaire alors que Ie juge judi-
ciaire est un magistrat. Mais il est aussi séparé, aussi indé-
pendant que ce dernier de l' Administration active, par la
stabilité de son emploi, par la nature tout à fait spécialisée
de ses fonctions, par !'absence du pouvoir hiérarchiquc et
du pouvoir de tutelle.
A ce point de vue, l'organisation beige n'est pas par-
faite. L'indépendance des juri<lictions administratives n'est
pas complètement assuréc. Souvcnt, Ie même organe -
par exemple, la députation permanente - agira tantöt
comme un membre de l'Administration active (notam-
ment pour exercer un controle de tutelle sur les actes des
conseils communaux) et tantöt comme une juridiction
(par exemple pour juger des contestations que soulèvent
les élections communales et les pouvoirs des élus) (loi élec-
torale communale coordonnée, A. R., 4 août 1952, titre V
et VI) ou les contestations de nature fiscale ou de comp-
tabilité communale (Cass., 22 juin 1925, R. A., 1927, 148; -
Cass., 7 oct. 1935, R. A., 1936, 85). C'est ce qu'on appellc Ie
« système de !'administrateur juge ». Il est dangereux. Un
homme n'est pas un Protée. Il est à craindre que !'admi-
nistrateur, professionnellement entraîné à défcndre unila-
téralernent l'intérêt de la personne publique, convaincu de
l'importance des services publics, n'ait pas la préparation
psychologique nécessaire pour se détacher de ces intérêts,
les considérer avec Ie mêrne recul que les droits également
respectahles, quoique parfois subordonnés, du particulier.

6. Un autre élément est la parfaite égalité des parties.


467. Celle-ci n'est pas réalisée par la seule impartialité
du juge. Il faut encore que les parties litigantes aient la
même possibilité de <léfend re leurs points de vue respec-
tifs; notamment les droits de la défense doivent être res-
pectés. Tel est précisément Ie but des règles de procédure.

7. Interdépendance de ces éléments.


468. On a cherché sans succès à simplifier la définition
de l'acte juridictionnel en ne retcnant que les éléments
soit organiques, soit forrnels, soit matériels.
Au point de vue organique, Ie juge doit être indépendant
et impartial. Mais d'autres fonctionnaires, dans l'accom-

N"" 466 à 468


376 CHAPITRE XII. - LES JURIDICTIONS

plissement de tàches incontestablement administratives,


bénéficient de la même liberté et de la même autorité; ils
sont soustraits à l'autorité hiérarchique ou tutélaire (n° 117).
Au point de vue formel, des règles d'organisation et de
procédure cherchent à garantir l'impartialité du juge et
l'égalité des parties. Les précautions prises (publicité, pro-
cédure contradictoire, motivation) se retrouvent dans des
procédures administratives (pouvoir disciplinaire, autorisa-
tion de bàtir).
Au point de vue matériel, on retient d'abord l'existence
d'une contestation juridique, ensuite une décision prise
selon Ie Droit en vigueur, enfin l'autorité de la chose jugée
attachée à cette décision.
Or des décisions administratives statuent, elles aussi, sur
les prétentions juridiques et les tranchent selon Ie Droit
en vigueur. Le controleur des contributions qui fixe Ie mon-
tant de l'impöt dû par Ie contribuable détermine le mon-
tant d'une créance de l'Etat en appliquant Ie Droit fiscal
sans pouvoir s'en écarter. Il exerce néanmoins une fonction
administrative (à la différence du directeur provincial qui,
statuant sur recours, accomplit un acte juridictionnel
(Cass., 16 févr. 1954, Pas., 1954, I, 540, Fanon c. Etat beige,
Ministre des Finances; - Cass., 14 févr. 1956, Pas., 1956,
I, 557). Il en est de même pour l'autorité de tutelle qui
annule sur recours un acte illégal. Dans ce second exemple,
on trouve une autorité administrative et même une per-
!sonne publique qui ne se confond pas avec aucune des deux
parties au conflit juridique; la décision est fondée en droit,
Ce n'est cependant pas un jugement car d'autres éléments
font défaut.
Reste l'autorité de la chose jugée. C'est la seule carac-
téristique spécifique de l'acte juridictionnel. Aucun acte
administratif ne bénéficie de cette force juridique. Mais eet
élément de la définition ne suffit pas. Si un acte a l;autorité
de la chose jugée, on peut conclure qu'il est un jugement.
Mais la question se pose souvent en sens inverse. On cher-
che à déterminer Ie caractère juridictionnel de la décision
pour savoir s'il faut lui reconnaître l'autorité de la chose
jugée.
B. CoNSÉQUENcEs

De la définition découlent diverses conséquences juri-


diques. Il s'agit d'assurer l'impartialité et l'indépendance

N" 468
SECT. I. - NATURE DE LA FONCTION JURIDICTIONNELLE 377

du juge, les droits de la défense et l'égalité des parties.


C'est Ie hut des règles d'organisation et de procédure.
Organisation institutionnelle.
1.
469. Les règles sont nombreuses qui s'imposent à toutes
les juridictions, même à défaut de texte.
Fondement légal: Toute juridiction, même administra-
tive, doit avoir un fondement légal (Const., art. 94 et 98);
- C. E., 6 juill. 1951, R. J. D. A., 1952, 30, Alliance Natio-
nale Chrétienne des Mutualités Chrétiennes, note Dem-
bour). Elle est créée par la loi ou en vertu de la loi. Cette
dernière expression signifie que la loi établit Ie principe
de la juridiction mais abandonne au Roi Ie soin de l'orga-
niser. De simples inférences sont insuffisantes. Le vote
annuel des budgets approuve les dépenses nées du fonc-
tionnement d'une juridiction, mais n'implique pas l'établis-
sement ou la confirmation de pareilles juridictions (arrêt
précité 6 juill. 1951; - Cass., 21 déc. 1956, J. T., 1957, 51,
conclusions Ganshof Van der Meersch, Trine).
Indépendance : Prévue par l'article 100 de la Constitu-
tion. l'inamovibilité est réservée aux magistrats de l'ordre
judiciaire. Elle ne couvre pas les juges administratifs, pas
même un magistrat dans la mesure ou il est amené à faire
partie d'une juridiction administrative (C. E., 2 juin 1955,
R. J. D. A., 19'55, 290, Moxhon). Mais Ie Conseil d'Etat, s'in-
spirant de l'intérêt public et de la nature des fonctions,
controle les motifs d'un transfert ou d'une désaffectation.
Par contre, l'indépendance peut et doit être assurée par
d'autres moyens. Le juge administratif échappe au pouvoir
hiérarchique (n° 117) on de tutelle (n° 121). Celui qui
obéirait aux instructions ne serail pas indépendant, donc
ne serait pas un juge.
Siège : La permanence du siège au cours du débat jus-
qu'au jugement est un principe fondamental d'organisation
juridictionnelle ; il est applicable aux tribunaux admistra-
tifs (C. E., 24 janv. 1958, R. J. D. A., 1958 146, van Handen-
hove ; - C. E., ter avr. 1958, R. J.D.A.,1958, 217, Van der
Straeten; - C. E., 27 sept. 1960, R. J. D. A., 1961, 15, Ge-
lande).
Instances : La multiplicité des instances organisées pour
les tribunaux de l'ordre judiciaire n'est pas inhérente à la
fonction de juger. Quand elle existe, la juridiction d'appel

N 08 468 à 469'
378 CHAPITRE XII. - LES JURIDICTIONS

doit être composée d'autres juges (C. E., 9 nov. 1954, D et


B, 1954, 928, De Hulsters), même à défaut de tex te.

2. Procédure.
470. lei encore existent des règles générales.
Déni de justice : Le juge doit être saisi; il ne peut agir
ou se prononcer d'office. C'est une différence avec l' Admi-
nistration qui, dans de nombreux cas, agit d'initiative. Mais
ce n'est pas une règle absolue qui découle de la fonction
de juger. En vérifiant la validité des élections communales,
et les pouvoirs des élus, la députation permanente exerce
un pouvoir de juridiction sans qu'une réclamation soit
nécessaire (C. E., 2 avr. 1953, D et B, 1953, 429, Marchienne-
au-Pont).
Mais une fois régulièrement saisi, Ie juge doit trancher
k différend qui lui est soumis. Le principe incontesté pour
les tribunaux ordinaires (C. civ., art. 4; C. proc. civ., art.
505 ets.; Code pénal, art. 258) s'applique aux juridictions
administratives. Giron en indique une application intéres-
sante. Lorsqu'une députation permanente statue sur Ie sort
d'une élection communale, il n'est permis à aucun de ses
membres de s'abstenir, sinon il y a déni de justice (Droit
administratif, I, n° 176). Le j uge dont Ie röle est de mettre
fin aux contestations pour rendre à chacun son dû et assu-
rer la paix sociale, ne remplirait pas sa mission s'il laissait
les conflits se perpétuer. L' Administration, même saisie
d'une demande, peut en principe ne pas y donner suite.
Exceptionnellement, elle doit prendre une décision; son
abstention est alors analysée comme un rejet (n° 496), à
moins que la loi ne présume une réponse affirmative (par
exemple pour l'autorisation de bfttir, A.-L., 2 déc. 1946).
Caractere contradictoire des débats: C'est une des garan-
ties fondamentales de l'égalité des parties et du respect des
droits de la défense. Celle-ci doit pouvoir exposer tous ses
moyens et réfuter les prétentions de l'adversaire en con-
naissance de cause. Ceci n'implique pas nécessairement
que les débats contradictoires aient lieu à l'audience. De-
vant certaines juridictions, la défense produif ses pièces au
cours d'une procédure écrite (Cour des comptes, députa-
tion permanente réglant Ie contentieux fiscal). L'essentiel
est que la confrontation de moyens et la possibilité d'y
répondre, soit complète pour les parties (C. E., 3 juill. 1953,

N 08 469 à 470
SECT. I. - NATURE DE LA FONCTION JURIDICTIONNELLE 379

R. J. D. A., 1953, 282, Delgrange; adde C. E., 3 déc. 1954,


D et B, 19'54, 1121, Dorlet), la défense peut récuser ses
juges (C. E., 18 mars 1955, R. J. D. A., 1955, 189, Momhach,
obs. Bourquin). Même à défaut de tex te, ces règles sont
imposées par les principes généraux du Droit.
Publicité des audiences : L'article 96 de la Constitution
prévoit celtc formalité pour les tribunaux de l'ordre judi-
ciaire. Les principes généraux du droit, la nature de la
fonction juridictionnelle n'imposent pas son extension aux
juridictions administratives. Sans doute, Ie controle public
est-il précieux mais il n'est pas essentie!. L'impartialité du
juge peut être assurée d'une autre faç,on (C. E., 14 janv.
1955, arrêt ,1324; -- C. E., 4 févr. 1958, D et B, 1958, 101,
S. P. R. L., Baanvervocr Duerinck; - Cass., 9 oct. 1959,
J. T., 1960, 441, Blockman c./ Fonds National des Pensions
d'Onvriers mineurs, note Velu et Reu. crit. jur., 1960, 117,
note De Visscher; - Cass., 13 nov. 1899, Pas., 1900, I, 30,
Paternostre de Dornon c./ Commune de Masnuy-Saint-
Pierre, concl. Van Schoor), sauf disposition légale expresse
(L., 5 sept. 1869 pour la validation des élections commu-
nales).
Controle indirect de la légalité : L'article 107 de la Con-
stitution qui intcrdit aux juges <l'appliquer un arrêté ou
un règlement illégal, lie les juridictions administratives
aussi bien que les tribunaux ordinaires (Cass., 12 mars
1942, R. A., 1942, 329; -- C. E., 24 avr. 1953, R. J. D. A., 1953,
222, Boi; -- Cass., lOnov.1957, R.A., 1958, I, 291).
Motivation du ju'§ement: C'est une règle qui constitue
pour les parties nne garantie essentielle. Elle est une pro-
tection contre !'arbitraire; elle permet l'exercice du <lroit de
recours juridictionnel. Cette règle est dès lors applicable à
toute juridiction contentieuse (Cass., arrêt Bockmans pré-
cité; - Cass., 26 sept. 1950, Pas., 1951, I, 27, Etat beige c./
Polder de Lilloy; - Cass., 29 nov. 1957, Pas., 1958, I, 215,
Comm. d'Ucclc c./ Demol, note Ganshof van der Meersch;
,_ C. E., 6 mars 1953, R. J. D. A., 1953, 200, Pirotte).
Le jugement doit être prononcé en audience publique :
ki la jurispruden<"e limite l'application de l'article 97 de
la Constitution aux tribunaux de l'ordre judiciaire (C. E.,
12 sept. 1952, R. J. D. A., 1953, 99, Claert note Melchior;
-- Cass., arrtt Bockmans précité), en contradiction avec
nnc jurisprudence vieillie imposant la publicité aux dépu-
380 CHAPITRE XII. - LES JURIDICTIONS

hitions permanentes qui se prononcent sur Ie contentieux


fiscal (Cass., 22 nov. 1886, Pas., 1887, I, 6, Vanderbekc
c./ Commune de Berchem; mais déjà en 1880, on admet-
tait que les arrêts de la Cour des comptes ne doivent pas
être prononcés en audience publique : Cass., 2 j anv.
1880, Pas., 1880, I, 45, De Potter c./ Etat beige). On peut
se demander toutefois si cette solution est parfaite. La
publicité des jugements est une garantie importante,
un controle précieux. Le texte même de l'article 97 ·
comparé à celui de l'article 96 pourrait fournir un argu-
ment de texte fondé sur la forme (tout jugement) et sur
Ie groupement des matières (publicité traitée en même
temps que l'obligation de motiver qui est assurément géné-
rale). On pourrait aussi affirmer qu'à défaut d'une pres-
cription constitutionnelle, Ie controle est imposé par les
principes généraux du Droit. En tous cas des lois imposent
dans certains cas expressément cette formalité (A. R. coor-
donnant la loi électorale communale, 4 août 1912, art. 75).
3. Justification.
471. Les règles qui viennent d'être dégagées se fondent
tantót sur la Constitution, tantót sur les principes généraux
du Droit (cfr. De Visscher, note sous arrêt Bockmans, Re1J:
crit., 1960).
Règles constitutionnelles : Alors que les articles 92 et 93
fixent la compétence des « tribunaux » qui sont indubi-
tablement judiciaires, l'article 94 généralise la formule
« Nul trib_unal, nulle juridiction contentieuse ne peut être
établie qu'en vertu d'une loi ». Il s'applique donc aux
j uridictions administratives.
Les articles 96 et 97 visent la publicité et la motivation.
Les audiences des « tribunaux » sont publiques selon l'ar-
ticle 96 .. Il est naturel de croire que les tribunaux sont les
mêmes qu'aux articles 92 et 93 et sont donc exclusivement
ceux qui appartiennent à l'ordre judiciaire. L'article 97
emploie une autre terminologie en disant que tout juge-
ment est motivé et prononcé en audience publique. L'ad-
jectif « tout », Ie groupement de l'obligation de _111otiver qui
est assurément générale, avec celle de prononcer Ie juge-
ment en audience publique, peuvent faire croire que la
disposition couvre toutes les décisions j uridictonnelles.
Mais la j urisprudence la plus récente est en sens contraire
(n° 470). L'arrêt Bockmans précité du 9 octobre 1959 a

N08 470 à 471


SECT, 1, - NATURE DE LA FONCTION JURIDICTIONNELLE 381

expressément déclaré : « Attendu que l'article 97 de la


Constitution, en tant qu'il dispose que tout jugement est
motivé, énonce une règle qui constitue pour les parties une
garantie essentielle contre !'arbitraire du juge, qui est par-
tant inséparable de la mission de juger une contestation;
- attendu qu'en tant qu'il dispose que Ie jugement est
prononcé en audience publique, l'article précité a pour hut
de permettre un controle public de la décision rendue;
que ce controle n'étant pas inséparable de la mission de
juger, la dite disposition, comme celle de l'article 96 qui
prescrit la publicité des audiences, n'est applicable de
droit qu'aux tribunaux au sens de ce terme dans les arti-
cles 92 et 93 de la Constitution, c'est-à-dire aux tribu-
naux de l'ordre jucliciaire » (pour l'obligation de motiver,
un arrêt antérieur invoquait encore l'article 97 : Cass., 29
oct. 1957, Pas., 1958, I, 215, Commune d'Uccle c./ Demol).
L'article 107 interdit l'application des arrêtés illégaux.
On admet qu'il vise toutes les juridictions. Cette interpré-
tation n'est guère soutenue par Ie texte. Alors qu'à l'article
94, Ie constituant a employé une formule générale (Nul
tribunal, nulle j uridiction ... ), les « cours et tribunaux » de
l'article 107, sant incontestablement ceux de l'ordre judi-
ciaire (art. 30, 92, 93, 94, 101, 135).
Mais cette règle - dans Ie sens que la jurisprudence donne
à l'article 107 - peut être facilement déduite de la nature
de la fonction j uridictionnelle.
Principes généraux du Droit : Même à défaut de dispo-
sition constitutionnelle, des conséquences sont imposées
par les principes généraux du Droit. La Cour de cassation
invoque expressément ces principes dans l'arrêt Bock-
mans, pour imposer la motivation. Ont été j ustifiés de la
même façon, dans les alinéas précédents, l'indépendance
du juge et la nécessité d'avoir d'autres juges en instance
d'appel (n° 469), l'interdiction du déni de justice (n° 470),
Ie caractère contradictoire des débats et Ie respect des
droits de la défense (n° 470).
La différence entre les deux justifications est que dans
Ie premier cas, une disposition légale expresse en sens
contraire est inconstitutionnelle, tandis que Ie législateur
souverain reste dans sou droit mais enfreint la logique en
apportant des exceptions aux principes généraux. A défaut

N° 471
382 CHAPITUE XII. - LES JUUIDICTIONS

d'un controle de la constitutionnalité des lois, cette distinc-


tion n'est que théorique.
Doit-on croire que l'ohligation pour la Cour de cassation,
gardienne de la légalité, de se référer à un texte fait plus
difficilement respecter les principes généraux du Droit?
(De Visscher, op. cit., Reu. crit., 1960, 179). En exigeant,
même en !'absence de texte constitutionnel ou légal, l'in-
dépendance du juge ou la motivation, elle ne fait que don-
ner toute sa portée à la loi créant une véritable juridiction.

C. LE PROBLÈME PRA TIQUE

472. L'article 94 de la Constitution dispose que tout tri-


bunal doit être créé en vertu de la loi. Si donc Ie législa-
teur ou l'autorité qui a reçu de lui ce pouvoir donne à une
institution et à ses décisions, Ie caractère juridictionnel,
celui-ci ne peut être discuté. L'interprète s'en inspirera
pour en déduirc les conséquences, c'cst-à-dire pour attri-
buer à la juridiction ainsi établie, toutes les caractéristi-
ques qne normalement sa nature comporte, par exemple,
l'obligation de respecter les droits de la défense et de mo-
tiver sa décision. Il se peut que Ie législateur ait expressé-
ment refusé l'une ou l'autrc de ces caractéristiques. Il sera
à la fois obéi et critiqué. Par exemple la loi du 6 juillet 1952
sur l'assurancc maladie-invalidité organise mal l'égalité
des parties: instruction secrète, audition de la seule partie
publique.
La volonté du législateur de créer une juridiction peut
aussi être implicite et néanmoins formelle; elle résulte du
fait que la loi reconnaît à eet organe et à scs actes, les
attributs qui caractérisent la juridiction.
Il en est certainement ainsi si l'autorité de la chose jugée
- effet spécifique du jugement - est affirmée. Aucun
acte administratif n'a ce caractère définitif.
L'organisation d'un recours direct devant la Cour de
cassation est anssi une preuve décisive du caractère juri-
dictionnel de la <lécision puisque la Cour a pour mission
de maintenir l'unité de l'interprétation des lois entre toutes
les juridictions; mais il n'en est pas de même en cas de
recours <levant la Cour <l'appel car celle-ci pourrait être
une première et unique instance appréciant la légalité d'une
première décision qui est non pas j uridictionnelle mais
administrative (Dembonr, op. cit., p. 48).

N"" 471 à 472


SECTION IJ. - RÈGLES DE COMPÉTENCE 383

Enfin, un cas embarrassant et fréquent est celui ou Ie


législateur n'a pas exprimé clairement sa pensée et peut-
être n'avait pas de pensée bien précise. Il donne à l'organe
ou à sa décision certains caractères d'un tribunal et d'un
jugement mais pas d'autres. La difficulté a déjà été signa-
lée. Aucun trait, à l'exception de l'autorité de la chose j ugée
n'est spécifique; chacun d'eux peut se retrouver isolément
dans l'autorité administrative et ses actes. C'est l'ensernhle
des caractères énumérés dans la définition qui donne à la
décision juridictionnelle sa nature propre. Si l'organisa-
tion n'est pas complète dans la loi, l'interprétation peut être
difficile et la jurisprudence hésitante.

SECTION II
REGLES DE COMPETENCE

Quand un litige met en cause une personne publique,


quelle est la juridiction compétente? En France, la qualité
des parties influe sur la compétence. En Belgique, la Con-
stitution considère la nature civile ou politique du droit
suhjectif qui est l'ohjet de la contestation (art. 92 et 93).

A. LES TRIBUNAUX DE L'ORDRE JUDICIAIRE

1. Historique.
473. Règle constitutionnelle: La volonté des Constituants
s'exprime non seulement dans l'article 92 mais aussi dans
l'article 24 qui pcrmet d'assigner les fonctionnaires sans
autorisation préalahle. On a voulu protéger les particuliers
contre !'arbitraire administratif en leur accordant très
largement une action en justice chaque fois que leurs
droits civils sont violés par une personne publique.
Interprétation jurisprudentielle: Règle originale et auda-
cieuse en 1830; elle était si novatrice qu'elle a été promp-
tement et pour près d'un siècle perdue de vue. Pénétrés
de la conception française de la séparation des pouvoirs,
les auteurs belges et la Cour de cassation ont affirmé que
les tribunaux ne pouvaient jnger l'Etat. C'est ce que disait
déjà en 1840 l'avocat général de Cuyper dans un avis pré-
cédant !'arrêt de fa Cour de cassation du 25 juin de cettc

N 05 472 à 473
384 CHAPITRE XII. - LES JURIDICTIONS

année (Pas., 1841, I, 113). C'est ce que répétait encore la


Cour en 1915 : « Attendu que Ie principe constitutionnel de
la séparation des pouvoirs judiciaire et administratif dé-
fend aux tribunaux de prendre connaissance des contes-
tations relatives aux droits civils des citoyens dès que cette
connaissance suppose l'appréciation des actes du pouvoir
administratif... » (Cass., 14 juin 1915, Pas., 1916, I, 319).
Atténuations : Rapidement, des atténuations furent ad-
mises. D'abord, la distinction de deux entités dans l'Etat -
la puissance publique et la personne civile - a permis
d'étendre aux actes de la seconde la juridiction des tribu-
naux : « Considérant qu'il n'est ni contesté ni contestable
que l'Etat, comme personne civile, a des intérêts et des
droits de même nature que ceux des simples citoyens et
que pour ces objets il est habilité, par ses représentants lé-
gaux, à trailer avec les particuliers sur les bases de l'éga-
lité, à les obliger envers lui et à s'obliger envers eux »
(Cass., Chambres réunies, 27 mai 1852, Pas., 1852, I, 370).
Distinction artificielle. En 1917, la Cour déclare : « l'Etat
souverain et l'Etat personne civile sont une personnalité
unique <lont ces expressions servent à distinguer les activi-
tés diverses » (Cass., 5 mars 1917, Pas., 1917, I, 118).
Par ailleurs, on a admis la compétence des tribunaux or-
dinaires lorsqu'il s'agit d'appliquer les lois pénales, « appli-
cation qui touche à la fortune et à la liberté des citoyens,
c'est-à-dire à leurs droits civils » (Giron, Droit administra-
tif, t. Jer, n° 181). Donc, si un arrêté était sanctionné de
peines de police, celles-ci ne pouvaient être appliquées que
par l'autorité judiciaire. L'argument est bon et aurait pu
être étendu de la responsabilité pénale à la responsabilité
civile, car un délit civil de l' Administration - agissant
même comme puissance publique - ne lèse-t-il pas aussi
des droits civils? Mais pareille extension n'a été faite
qu'après un siècle, par !'arrêt du 5 novembre 1920.
Une autre théorie jurisprudentielle, dite des droits ac-
quis, consistait à <lire que certains droits - notamment Ie
droit de propriété - étaient si respectables que leur lésion
entrainait réparation, même si elle était imputable, non à
la personne civile de l'Etat mais à la puissance publique,
même si l'acte dommageable était régulier, légal, et exclu-
sif de toute faute. Ainsi justifiait-on notamment l'obliga-
tioii de réparer Ie dommage causé aux propriétés rive-

N° 473
SECTION ll. - RÈGLES DE COMPÉTENCE 385

raines et à leurs aisances de voirie par une modification


grave de l'assiette de la voie publique.
Enfin, il faut tenir compte de l'article 107 de la Consti-
tution interdisant aux tribunaux d'appliquer les arrêtés et
réglements de l' Administration qui ne seraient pas confor-
mes aux lois. lei, les juges ne sont plus saisis par voie
d'action mais par voie d'exception. C'est un défendeur qui
s'oppose à l'application. de l'acte administratif. Au surplus,
celui-ci n'est pas annulé; Ie tribunal se borne à n'en pas
tenir compte. Mais cette décision ne vaut que pour l'es-
pèce; l'acte administratif subsiste et l'Administration peut
prétendre l'appliquer à des tiers qui devront se défendre
dans une nouvelle instance.
Renversement de jurisprudence en 1920: L'arrêt fameux
du 5 novembre 1920 rétablit la vérité constitutionnelle. Il
ne faut plus se préoccuper de l'identité de l'une des parties
ou s'embarrasser de subtiles distinctions sur la double
nature de l'Etat. Dès que la contestation porte sur un droit
civil, les personnes publiques, tout comme les particuliers,
sont soumises à la j uridiction des tribqnaux ordinaires.
Comment la Cour écarte-t-elle la traditionnelle objection
de la séparation des pouvoirs? Elle estime que juger les
conséquences civiles d'un acte administratif n'est pas admi-
nistrer. Le tribunal n'annule pas l'acte. Il se borne à con-
stater qu'il est illicite, non pas pour censurer l' Administra-
tion, lui indiquer une marche à suivre, mais pour résoudre
une contestation portant sur les droits privés du particu-
lier. « Ce faisant, il fait reuvre, non d'administrateur, mais
de juge d'une contestation <lont l'objet est un droit civil »
(Cass., 5 nov. 1920, Pas., 1921, 1,114, Flandria).
La preuve que cette interprétation du principe de la sépa-
ration des pouvoirs est exacte se trouve dans l'article 92 de
la Constitution. Selon ce texte, tous les litiges ayant pour
objet un droit civil, sont exclusivement du ressort des tri- ,,
bunaux. L'article ne fait aucune distinction selon la qualité
des parties. Il s'applique donc aussi bien à l'Etat qu'aux
particuliers. L'intention tutélaire n'a pas été comprise pen-
dant près d'un siècle, parce que la jurisprudence était sous
l'influence de la doctrine française qui commente un droit
constitutionnel différent du nötre. En France Ie Conseil
d'Etat a été créé originairement pour protéger l' Adminis-
tration contre Ie particulier. En Belgique, l'article 92 et

N° 473
386 CHAPITRE XII. - LES JURIDICTIONS

l'article 24 ont été conçus pour défendre Ie particulier


contre l'Administration (Concl. du procureur général Paul
Leclercq, devant Cass., 5 nov. 1920).
Après ce bref historique il faut définir la compétence
des cours et tribunaux en distinguant Ie contentieux des
droits subjectifs et Ie contentieux de la légalité.

2. Contentieux des droits subjectifs.

474. La compétence ne dépend pas de la qualité des par-


ties; la puissance publique ne bénéficie pas d'une immunité
de juridiction et est justiciable, comme les particuliers, des
cours et tribunaux (Const., art. 24 pour les fonctionnaires).
C'est la nature des droits contestés qui est prise en considé-
ration (Const., art. 92 et 93). Ceux-ci peuvent être civils,
publics ou administratifs; ces catégories ont été définies
dans la première section de ce chapitre.
Droits civils : I' Administration en recourant aux procé-
dés de Droit privé crée des droits civils dans Ie chef des
particuliers; elle, peut aussi violer illicitement, en enga-
geant sa responsabilité aquilienne, de pareils droits subjec-
tifs antérieurement acquis en dehors d'elle.
L'article 92 de la Constitution établit Ie monopole judi-
ciaire pour les contestations dont ces droits seraient l'objet.
Droits politiques : l'article 93 de la Constitution dispose
que les contestations portant sur des droits politiques sont
du ressort des tribunaux sauf les exceptions établies par la
loi. C'est l'affirmation d'une compétence résiduaire des
juridictions de l'ordre j udiciaire.
Droits administratifs : Dans l'ouvrage consacré au Droit
constitutionnel la thèse a été développée que les juridirtions
compétentes ne peuvent être en aucun cas les tribunaux de
l'ordre judiciaire parce que Ie principe de la séparation
des pouvoirs s'oppose à ce que Ie juge donne, par son juge-
ment, des injonctions à l'Administration active (Droit con-
stitutionnel n° 540). La formule est excessive. D'abord l'in-
jonction faite par un juge est possible (11° 475). Ensuite Ie
législateur est constitutionnellement libre d'organiser à sa
guise leur protection juridictionnelle. A défaut d'indication
légale, Ie droit subjectif n'est qu'un simple intérêt insuf-
fisamment protégé.

N 08 473 à 474
SECTION ll. - RÈGLES DE COMPÉTENCE 387

Sans assimiler nécessairement droits administratifs et


droits politiques, on pourrait étendre aux premiers l'article
93 de la Constitution et reconnaître la compétence résidu-
aires des tribunaux judiciaires.

3. Contentieux de Ja légalité.

475. L'article 107 de la Constitution dispose : « les cours


et tribunaux n'appliquent pas les arrêtés et règlements gé-
néraux provinciaux et locaux qu'autant qu'ils seront con-
formes aux lois ». Cette disposition vise toutes les juridic-
tions (n° 471). Elle attribue donc aux tribunaux ordinaires
un certain contentieux de la légalité.
C'est Ie défendeur auquel on prétend appliquer une règle
juridique qui invoque, par voie d'exception, I'article 107.
Etendue : L'article 107 s'applique aux actes administra-
tifs réglementaires ou individuels; peu importe l'autorité
administrativc dont ils émanent. Il ne frappe pas les actes
juridictionnels qui bénéficient de l'autorité de la chose
jugée. Il ne s'applique pas davantage aux lois prétendues
inconstitutionnelles.
L'acte est illégal s'il viole la Constitution ou la loi. L'ar~
ticle 107 s'applique-t-il aux actes qui contreviennent à une
autre règle de droit : arrêté réglementaire qui n'est pas
respecté par un arrêté individuel, règle de droit non écrite?
C'est douteux (cpr. avec l'annulation prononcée par Ie Con-
seil d'Etat : n° 505).
Effets entre parti es : L'acte illégal n'est pas appliqué
entre parties. Pour elles il perd sa force obligatoire et exé-
cutoire. Mais il subsiste pour Ie surplus.
L'article 107 ne donne pas aux tribunaux une compé-
tence d'annulation qui permet de réduire à néant, erga
omnes, l'actc querellé (Cass., 29 mai 1845, Pas., 1846, I,
32, Fabrique de l'Eglise de Basse Wavre c./ Verhaegen et
erts; - Cass., 9 juill. 1816, Pas., 1846, I, 390, Vve De Car-
tier c./ Dewez; - Cass., 16 avr. 1849, Pas., 1849, I, 254,
ministère public c./ Schoonbroodt).
Injonction et défense : Les tribunaux peuvent-ils faire
une injonction ou une défense à l'Administration pour em-
pêcher l'acte - toujours existant - de sortir ses effets?
Un étranger préten<lument en rupture de ban, fait consta-

N09 474 à 475


388 CHAPITRE. XII. - LES JURIDICTIONS

ter judiciäirement que l'arrêté d'expulsion est illégal et ne


peut lui être appliqué. Le tribunal ne Ie condamnera pas.
Mais, allant plus loin, peut-il faire défense à l' Administra-
tion de reconduire l'intéressé à la frontière, en vertu du
même arrêté ou d'un autre arrêté identique au premier?
La jurisprudence est fermement pour la négative. Des
auteurs affirment qu'elle eut pu se montrer moins timide
(Moureau, Du recours pour excès de pouvoir, p. 159 et ss.;
- Cambier, Principes du Contentieux administratif, t. I,
p. 199 et ss.) et disent qu'ici aussi Ie principe de la sépa-
ration des pouvoirs est inexactement invoqué. Le juge
n'accomplit pas un acte de Droit privé quand il annule un
mariage, un testament ou un contrat; Ie Conseil d'Etat
n'exerce pas une mission d'administration active en annu-
lant un acte de l'autorité publique; un tribunal ne se sub-
stitue pas à l'Administration en lui défendant de donner
suite à une décision illégale. Dans tous ces cas, Ie juge
remplit sa fonction j uridictionnelle; il détermine la portée
juridique d'un acte qu'on lui soumet.
La condamnation au paiement d'une somme est bien une
injonction; cependant sa validité n'a jamais été contestée.
En réalité, ce n'est pas l'ordre ou la défense qui sont inter-
dits, mais leur exécution forcée (n° 456).

B. }URIDICTIONS ADMINISTRATIVES

1. Historique.
476. On a admis rapidement la compétence de pareilles
juridictions en matière d'élections, de service militaire et
de contributions publiques; la députation permanente est
devenue un tribunal administratif dans bon nombre de cas.
Après la première guerre, de nombreuses commissions au
statut parfoj.s hybride et incertain, ont été créées notam-
ment par les lois de prévoyance sociale et par celle orga-
nisant les différents statuts des victimes de la guerre. Ces
commissions sont, tantót juridictionnelles, tantót une ins-
tance hiérarchique. Au point de vue de leur-constitution
et de l'indépendance de leurs membres vis-à-vis de l' Admi-
nistration, du respect des droits de la défense et des garan-
ties de procédure accordées aux justiciables, elles ne rem-
plissent pas toutes les conditions énumérées dans les n 08 461

N"" 475 à 476


SECTION Il, - RÈGLES DE COMPÉTENCE 389

et suivants. Fallait-il aller plus loin dans l'organisation de.s


juridictions administraiives ? On a résisté longtemps à
la création d'un Conseil d'Etat. On a avancé un véritabJe
paralogisme qui s'exprime comme suit :
Un droit est un intérêt juridiquement protégé. Cette pro-
tection prend la forme d'une action en justice. Depuis 1920,
celle-ci est accueillie par les tribunaux, même lorsqu'eJle
est dirigée contre la puissance publique. Un Conseil d'Etat
est inutile (note Leclercq, sous Cass., 11 mai 1933, Pas.,
1933, I, 223; - Commission ministérielle Rolin, Chambre
1936, 37, n° 200).
C'est supposer établi que l'on vent prouver. Il est vrai
que toutes les actions fondées sur un droit civil peuvenl
être portées <levant les tribunaux. Mais toute la question
est de savoir si d'autres actions ne peuvent pas être de la
compétence d'autres juridictions parce que les droits qui
les fondent résultent non pas du Code civil et des lois qui
Ie complètent, mais d'autres lois.
M. Paul Leclercq (note sous Cass., 11 juill. 1935, Pas.,
1935, I, 320; - adde Pas .. 1921, I, 139) a fait aussi une
objection d'ordre constitutionnel. Des article 25 à 30, il
résulte qu'il n'y a pas d'autre pouvoir que les pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire et qu'ils existent tels que
la Constitution les organise. Par ailleurs, seuls les tribunaux
sont compétents pour exercer la fonction judiciaire (chap.
111 de la Constitution), sous réserve des contestations ayant
pour objet des droits politiques. Créer des juridictions
administratives, c'est enfreindre ce monopole. On retrouve
trace de cette conception dans l'arrêt du 5 novembre 1920.
« La Constitution a consacré dans ses articles 25 à 31, une
théorie de la séparation des pouvoirs qui voit une condi-
tion de la liberté politique dans la répartition des fonctions
publiques en trois groupes distincts et indépendants ».
Mais pareille thèse est contredite par Ie texte même de
notre Constitution. L'article 93 prévoit expressément, à
cöté des tribunaux de l'ordre judiciaire, d'autres juridic-
tions (voyez aussi art. 94 : Nul tribunal, nulle juridiction
contentieuse ... ). En réalité, la Constitution n'établit pas Ie
régime de la séparation des fonctions mais celui de la sépa-
ration des compétences. Chaque pouvoir exerce plusieurs
fonctions.
390 CHAPITRE XII, - - LES JURIDICTIONS

Toutes ces controverses out retardé la création du Con-


seil d'Etat, réalisée par la loi du 3 décembre 1946.

2. Contentieux des droits subjectifs.


477. Pour déterminer la compétence des juridictions
administratives, il faut <listinguer les différentes espèces
de droits suhjectifs.
Des tribunaux administratifs sont radicalement incom-
pétents à l'égard des droits civils <lont les contestations sont
du ressort exclusif des tribunaux ordinaires (Const., art.
92). Il faut appliquer la théorie des recours parallèles
(11° 508) et des questions préjudicielles (n° 530). Voyez
aussi au IT° ,138 les indications données par Ie critèrc orga-
nique.
Des tribunaux administratifs peuvent connaître des liti-
ges relatifs aux droits politiques en vertu d'une attribution
formelle de compétence par la loi (Const., art. 93). A dé-
faut de pareille _loi, les tribunaux de l'ordre judiciaire
exerccnt la compétence résiduaire.
Pour les droits administratifs, la compétence est fixée
par la loi. On pourrait leur étendre la règle de l'article 93.
Les conflits d'attribution entre les tribunaux ordinaires
et administratifs sont réglés par la Cour de cassation
(Const., art. 106). Elle apprécie souverainement les limites
de compétences.
Un tribunal judiciaire auquel on demande d'appliquer
les décisions juridictionnelles d'une autorité administra-
tive, doit vérifier si cette décision n'a pas été rendue dans
une matière qui, d'après la loi est exclusivement du ressort
des tribunaux de l'ordre judiciaire avant d'en admettre
l'autorité de chose jugée (Cass., 12 mars 1942, R. J. D. A.,
1946, 23, Nuttinck, obs. De Visscher; - Cass., 12 juin 1952,
R. A., 1953, 106).

3. Contentieux de la légalité.
Renvoi : Le Conseil d'Etat a reçu de la manière la plus
large Ie contentieux de l'annulation-de tous les actes de
l'Administration active (chapitre XIII).

N08 476 à 477


CHAPITRE XIII
LE CONSEIL D'ETAT
Le Conseil d'Etat comporte deux organes distincts : une
1 section de législation joue Ie röle de conseil de législation;
une section d'administration est une Cour administrative.
L'organisation est conçue de façon à assurer l'indépen-
dance des conseillers qui est comparable à celle des ma-
gistrats: nomination à vie (art. 34), fixation de l'age de la
retraite par la loi (art. 51), éméritat (art. 52), incompati-
bilité avec tout emploi rétribué et la profession d'avocat,
sauf des fonctions dans l'Enseignement supérieur (art. 54),
compétence disciplinaire de la Cour de cassation siégeant
en assemblée générale (art. 56), assimilation aux magis-
trats en matière de crimes et délits (art. 57).
La section première précise la compétence du Conseil
d'Etat. La section II étudie d'une façon plus approfondie
la plus importante de ses attrihutions juridictionnelles : la
compétence d'annnlation.

SECTION I
COMPETENCE

478. Le législateur a donné an Conseil d'Etat une large


compétencc consultative.
Par ailleurs, Ie Conseil d'Etat exerce aussi une compé-
tence juridictionnelle. Il rend des arrêts qui mettent fin aux
litiges, lient les parties et ont l'autorité de la chose jugée

A. CoMPÉTENCE o'Av1s

1. Collaboration à la fonction réglementaire.


479. Les lois et règlements sont souvent mal rédigés. On
déplore des imperfections de la forme, des imprécisions
de la terminologie et même des contradictions et incohé-

N08 477 à 479


392 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL o'ÉTAT

rences. Pour améliorer Ie travail législatif, Ie Conseil d'Etat


est appelé à donner son avis sur les projets avant qu'ils
soient adoptés par les autorités compétentes. Il peut même
être chargé de rédiger ces textes ou, ultérieurement, de les
codifier. En bref, c'est un conseil de législation.
a. - Cas d'intervention.
480. Selon l'article 2, Ie Conseil d'Etat peut donner son
avis:
- sur tout projet de loi (d'initiative gouvernementale),
sur toute proposition de loi (d'origine parlementaire), ain-
si que sur tout amendement à ces projets et propositions.
- sur tout projet d'arrêté d'exécution organique et régle-
mentaire.
Que signifient ces deux qualificatifs?
Le second est clair. Le législateur a eu en vue « les arrê-
tés royaux et mêmes les arrêtés ministériels qui posent des
règles générales applicables à tous les citoyens ou à toute
une catégorie de citoyens et qui forment ainsi une légis-
lation dérivée et complémentaire » (C. E., 8 mai 1951,
R. J. D. A., 1951, 241, Holemans, note Huberlant; C. E.,
18 mai 1956, R. J. D. A., 1957, 131, Zimmer).
L'arrêté ne doit pas être seulement réglementaire mais
organique. Le Conseil d'Etat exige cumulativement les
deux conditions. Ne sont pas soumis à l'avis de la section
de législation, les arrêtés même réglementaires lorsqu'ils
ont un objet particulier (voir note Huberlant sous l'arrêt
Holemans précité). Tel est Ie cas des règlements d'ordre
intérieur ou encore des règlements n'ayant pas un carac-
tère de généralité suffisant pour en faire une législation
dérivée (Remion, Etude dans R. J. D. A., 1957, 161).
L'arrêté royal approuvant Ie règlement d'une décision
paritaire (n° 209) n'a pas lui-même un caractère réglemen-
taire (Cass., 5 déc. 1957, R. J. D. A., 1959, 162, Baetens,
concl. Hayoit de Termicourt.
Les avant-projets de loi (d'origine gouvernementale) et
les arrêtés d'exécution organiqucs et réglementaires doi-
vent être soumis au Conseil d'Etat avant la signature
royale. La formalité est substantielle (C. E..- 20 mai 1949,
R. J. D. A., 1949, 95, Legrand; C. E., 25 avr. 1950, R. J. D. A.,
1950, 194 Bunkering; C. E., 8 mai 1951, R. J. D. A., 195, 241,
Holemans). On excepte les cas d'urgence et les proj ets de
lois budgétaires.

N 08 479 à 480
SECTION I. - COMPÉTENCE 393

Dans tous les autres cas, l'avis est facultatif.


L'avis ne lie ni Ie gouvernement ni les Chambres. Même
dans Ie cas ou Ie conseil doit être obligatoirement consulté,
la décision ne doit pas être nécessairement conforme..

b. - Par qui l' avis est-il demandé ?


481. Le Conseil d'Etat ne prend jamais d'initiative.
Le président de chacune des deux chambres législatives
peut demander son avis pour les lois (projets, propositions
et amendements) <lont est saisie la Chambre. Est-ce une
prérogative personnelle du président ou celui-ci est-il tenu
de se conformer à la volonté de la majorité de l'assemblée ?
La Chambre incline vers la première interprétation (Cpte
rendu anal. 1949-50, p. 126; 1954-55, p. 162; 1956-57, p. 672
Rglt art. 48) en se fondant sur la loi de 1946 qui vise nomi-
nativement Ie Président. Le Sénat opte pour la seconde solu-
tion (Cpte rendu anal. 1955-56, p. 734 et 1956-57, p. 429);
on peut faire valoir en ce sens que les assemblées organi-
sent leurs travaux comme elles I'entendent (Const., art. 46).
De leur cöté, les ministres doivent demander l'avis du
Conseil d'Etat pour les avant-projets de lois et d'arrêtés
d'exécution organiques ou réglementaires. Ils peuvent Ie
demander pour toute proposition de loi ainsi que pour tout
amendement.
Le · premier ministre seul demande la rédaction des
textes.
c. - Matière de l'avis.
482. Le Conseil d'Etat apprécie la forme des textes. Il
fait leur « toilette législa tive »; il ne peut se prononcer sur
Ie fond et notamment sur l'opportunité des mesures.
Cependant, la forme peut toucher au fond. Le Conseil
d'Etat sera amené à dénoncer des incohérences internes
d'un texte. De même il soulignera la contrariété entre un
projet et une législation déjà en vigueur ou la Constitution
elle-même. De graves questions politiques peuvent être
soulevées dans ce dernier cas. En effet, si Ie gouvernement
ou les Chambres trouvent indispensable une législation
dont la constitutionnalité est disputée, ils peuvent être fort
gênés par un avis d'inconstitutionnalité. Il y a un risque de
« gouvernement des juges ».

N08 480 à 482


394 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL D'ÉTAT

d. -Forme.
483. L'avis doit être motivé.
S'il s'agit d'un projet de loi ou d'un arrêté d'exécution
organique ou réglementaire, il est annexé à l'exposé des
motifs ou au rapport fait au Roi et est publié avec lui.

2. Avis en matière administrative.


L'Administration peut <lemander l'avis du Conseil d'Etat
avant de prendre toute dócision (art. 5 et 6).

a. - Cas d'intervention.
484. L'article 5 exclut les difficultés et contestations que
l'Exécutif ne peut pas résoudre ou trancher; Ie législateur
a souligné la cornpétence résiduaire du Conseil d'Etat.
Même lorsqu'il donne un simple avis, celui-ci ne peut em-
piéter sur la compétence actuelle ou éventuelle des tribu-
naux.
D'autre part, l'article 6 cxclut les affaires litigieuses. La
loi a voulu que cette haute juridiction ne deviennè pas Ie
conseil juridique des ministres. Il serait indécent que Ie
Conseil <l'Etat soit amené à donner un avis sur une affaire
que lui-même ou une juridiction civile sera amené ulté-
rieurement à trancher.
Chaque ministre a Ie droit de saisir Ie Conseil d'Etat. Il
n'y est j amais obligé. Les provinces, les communes et les
personnes publiques parastatales n'ont pas cette faculté.
L'article 7, § 2 confie au Conseil d'Etat certains avis que
donnait précé<lemment Ie Conseil des ministres au sujet de
l'octroi, !'abandon de la déchéance des concessions minières.

h. - Matière de !'avis.
485. Celui-ci est donné sur Ie fond des affaires.

c. -- Forme.
486. Aucune publicité n'est prévue.

3. Avis en matière d'indemnité.


487. Un particulier se prétend lésé par l' Administration
et réclamc <les dornrnages-intérêts. On aurait pu préciser

N 08 483 à 487
SECTION I. - COMPÉTENCE 395

les conditions <l'un droit administratif subjectif à répara-


tion et accorder un recours <levant Ie Conseil d'Etat exer-
çant « la pleine juridiction ». L'idée a été écartée en rai-
son de la prétention de la Cour de cassation de considérer
toutes les dernandes de dommages-intérêts comme fondées
sur un droit civil et de se réserver Ie monopole de la com-
pétence en vertu de l'article 92 de la Constitution. Le Con-
seil donne un simple avis.

a. - Cas d'intervention.
488. Le Conseil d'Etat exerce une compétence résiduaire.
Il ne connaît en effet des demandes l'indemnités que « dans
les cas ou n'existent pas d'autres juridictions compétentes ».
En particulier une demande de dommages-intérêts fondée
sur l'article 1382 du Code civil est de la compétence des
tribunaux (Const., art. 92). La solution n'est pas différente
si les lois civiles règlent la matière en excluant la répara-
tion (C.E., 11 janv. 1957, R.J.D.A., 1957, 245, Marchant).
Qui peut introduire la demande et contre qui?
Toute personne justifiant de la lésion d'un droit ou même
d'un simple intérêt (article 11) (n° 515) peut assigner l'Etat
ce qui signifie les autorités administratives mais non Ie
pouvoir législatif (C. E., 29 janv. 1954, D et B, 1954, 145,
Demoulin; - C. E., 13 mai 1954, R. J. D. A., 1954, 209,
Leynen, note De Visscher), ni Ie pouvoir judiciaire (C. E.,
23 nov. 1956, D et B, 1958, 809, Indherberg). Provinces et
communes peuvent aussi être assignées mais non les para-
stataux (C. E., 30 juin 1950, R. J. D. A., 1950, 252, Leurin;
- C. E., 10 juill. 1950, ·R. J. D. A., 1951, 12, Claessens).

b. - Fond.
489. La justification du paiement des dommages-inté-
rêts est, non la faute de l'Administration, mais Ie principe
de l'égalité des citoyens <levant les charges publiques
(n° 288). Le préjudice peut résulter d'une exécution nor-
male, défectueuse ou différée des décisions.
Le dommage doit être exceptionnel pour constituer une
rupture d'égalité. Par exemple, des servitudes résultant
d'un plan d'urbanisme frappent de nombreux citoyens et
en principe ne donnent pas lieu à indemnisation (C. E.,
22 janv. 1957, R. J. D. A., 1957, 251, Fauconnier; - C. E.,
26 juin 1954, R. J. D. A., 1954, 273, Franssens).
Çt~'
' N 00 487 à 489
396 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL o'ÉTAT

Le Conseil d'Etat ne prend pas en considération Ie pré-


judice moral (C. E., 19 oct. 1951, R. J. D. A., 1952, 113, ar- .
rêts 1096 à 1107, Cora, etc.; C. E., 26 juill. 1950, R. .J. D. A.,
1951, 21, Thibaut, note Lespès). Cette restriction peu justi-
fiable est inspirée par les travaux préparatoires.
Entre Ie dommage et la mesure prise ou ordonnée par
les pouvoirs publics doit exister un lien direct de causalité
(C. E., 9 mai 1952, R. J. D. A., 1952, 278, Dugauquier).
Le Conseil d'Etat apprécie non pas en droit mais en
équité. Il tient compte de toutes les circonstances d'intérêt
public et privé. Notamment, il se soucie des répercussions
que peuvent avoir sur les finances publiques des applica-
tions trop larges du principe. Jusqu'à présent les avis favo-
rables à une indemnisation out été rares et pour des mon-
tants modérés.
c. - Forme.
490. La demande n'est recevable que si la personne pu-
blique a rejeté partiellement ou totalement une requête en
indemnité ou négligé pendant 60 jours de statuer à son
égard. C'est la règle du recours préalable.
Le Conseil d'Etat rejette toute demande d'avis fondée sur
l'irrégularité d'une décision administrative <lont l'annula-
tion n'a pas été demandée. Ce serait pour l'intéressé une
possibilité d'échapper à la forclusion (C. E., avis Coli~pex,
R. J. D. A., 1960, 161, rapport Coolens).
L'avis est donné dans les délais prévus par arrêté royal.
Il est rendu public et communiqué aux intéressés; ces for-
malités peuvent être réduites au dispositif si l'intérêt géné-
ral Ie commande. La publicité donne à l'avis une autorité
morale qui peut faire pression sur I' Administration.

B. COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE

lei il ne s'agit plus d'avis mais de jugements.

I. Conflits de compétence entre administrations


subordonnées.
491. Le Conseil d'Etat tranche parfois des difficultés
relatives à la compétence respective des autorités provin-
.ciales ou communales ou des établissements publics (art. 8).
Le mot « établissement public» doit être entendu dans son

N08 489 à 491


SECTION I. - COMPÉTENCE 397

sens large et englobe toutes les personnes publiques para-


statales (n° 149). Les conflits entre administrations centra-
les sant internes à la même personne publique et tranchés
par Ie Rai.
La demande peut être portée <levant Ie Conseil d'Etat
par toute autorité dont la compétence est en cause (C. E .•
13 déc.1951, R. J. D. A., 1952, 173, 0. N. I. G., note Bourquin).
Les particuliers n'ont pas d'action; ils ne disposent que du
recours en annulation.

2. Compétence de pleine juridiction


dans des cas spéciaux.
492. La compétence de pleine juridiction est prévue
dans les cas cités à l'article 10 :
a) sur les recours en dernier ressort prévus aux titres V
et VI de la loi électorale communale. Ils visent les décisions
des députations permanentes dans des contestations en ma-
tière d'élections communales, concernant principalement
l'éligibilité des candidats et la validité des élections.
b) sur les requêtes relatives à la résiliation et à la revi-
sion de certains contrats de concession de services publics
conclus avant ou pendant la guerre (L., 11 act. 1919, art. 7.
modifié par L., 23 j uill. 1924).
c) dans des conflits qui peuvent s'élever entre commis-
sions d'assistance publique au sujet de la détermination
du domicile de secours (L., 27 nov. 1891, art. 33; C. E.,
17 mars 1961, D et B, 1961, 270, Denuit).
d) sur les résolutions, recours, conflits et difficultés visés
au dernier alinéa de l'article 19, aux articles 20, 22, 88 de la
loi du 10 mars 1925 organique de l'assistance publique.
Dans tous les autres domaines, Ie Conseil d'Etat n'a pas
la compétence de pleine juridiction.
Il faut cependant encore citer l'article 7, alinéa 2 de Ia
loi qui fait reprendre par Ie Conseil d'Etat les attributions
du Conseil des mines supprimé par Ie même article.

3. Compétence générale d'annulation.


493. Selon l'article 9, Ie Conseil d'Etat « statue par voie
d'arrêt sur les recours en annulation pour violation des
formes soit substantielles soit prescrites à peine de nullité,
excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes

N 011 491 Î 493


398 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL D'ÉTAT

et règlements des diverses autorités administratives ou


contre les décisions contentieuses administratives ».

SECTION II
ETUDE PARTICULIERE DU RECOURS POUR EXCES
DE POUVOIR DEVANT LE CONSEIL D'ETAT

494. Le Conseil d'Etat qui n'a reçu que d'une manière


extrêmement réduite Ie contentieux de l'indemnité, exerce
au contraire de la façon la plus large la juridiction de
1' annula tion.

A. AcTEs n'uNE AUTORITÉ ADMINISTRATIVE

Seuls les actes des autorités administratives sont suscep-


tibles d'annulation.
Ce doit être un acte juridique unilatéral constituant une
décision.
a. - Acte juridique.
495. Ce doit être un acte juridique et non pas seulement
un acte matériel. Par définition, ce dernier n'est pas sus-
ceptible d'annulation (n° 188).
b. - Acte individuel, réglementaire ou juridictionnel.
496. Toutes les décisions unilatérales sont susceptibles
<l'annulation.
Décision individuelle : Elle est annulable même si elle
est verbale ou implicite, même si elle consiste en un refus.
Une inaction prolongée peut s'analyser comme un refus
implicite quand l'Administration est tenue de prendre une
décision (rapprochez avec l'article 7, alinéa ter).
Règlement : Il est aussi susceptible d'annulation.
Décision juridictionnelle : Le Conseil d'Etat peut annu-
ler la décision de toutes les juridictions administratives.
Mais il faut souligner certaines particularités.
D'abord, l'actîon peut être introduite ROB-pa-r-« tout inté-
ressé » (n° 515) mais par ceux qui ont été parties, ou repré-
sentés à la décision attaquée sauf exception établie par la
loi (Dembour, Tutelle administrative, p. 57, note 2). Elle
est dirigée non contre l'autorité administrative dont la

N08 493 à 496


SECTION I. - COMPÉTENCE 399

décision' émane, mais contre la personne qui a obtenu cette


décision. L'annulation vaut non erga omnes, mais unique-
ment à l'égard des parties.
Ensuite l'action · tend moins à l'annulation qu'à cassa-
tion. Le conseil renvoie la cause à une juridiction infé-
rieure de fond. En effet, il ne peut y avoir déni de justice
(n° 470) (C. E., 2 juin 1950, R. J. D. A., 1950, 214, Mertens).
Si Ie Conseil d'Etat a relevé une fin de non-recevoir ou une
forclusion ou l'incompétence des juridictions administra-
tives, il n'y a logiquement pas lieu à renvoi.
Contrats : Ils ne sont pas annulables; ce ne sont pas
des actes unilatéraux et de plus, il y a recours paral-
lèle (n° 507) (C. E., 10 juin 1949, R. J. D. A., 1949, 118,
Gody; - C. E., 8 nov. 1948, R. J. D. A., 1949, I, Aerts. Juris-
prudence constante). Voyez cependant la curieuse affaire
de la convention des 32 paroisses (C. E., 30 mai 1952,
R. J. D. A., 1952, 297, C.A. P. Liège).
Des actes administratifs unilatéraux peuvent précéder
la conclusion du contrat ou concourir à son exécution. Ils
sont annulables (n° 335).
Actes plurilatéraux: Le contrat n'est pas Ie seul acte
issu du concours de plusieurs consentements (n° 189). Mais
très souvent, ces consentements ne forment pas un acte
collectif unique. Par exemple, la décision d'une autorité
subordonnée doit, dans certains cas, être approuvée par
l'autorité de tutelle. La décision et l'approbation peuvent
être considérées isolément car ces deux actes n'ont pas Ie
même hut. L'autorité inférieure a voulu promouvoir les
intérêts de la collectivité dont elle a la charge; l'autorité
de tutelle défend la légalité ou l'intérêt général (n° 122).
On peut demander séparément l'annulation, soit de l'acte
d'approbation soit de la décision approuvée.

c. - Décision exécutoire et acte préparatoire.


497. Décision exécutoire : C'est l'acte administratif type
qui peut être annulé.
Acte préparatoire : II n'est pas annulable sauf s'il pré-
j uge de la décision (avis du service de santé quant à l'ap-
titude physique d'un agent: C. E., 14 juin 1956, R. J. D. A.,
1957, 51, Longtain, obs. Ligot; - ordre de classement des
candidats: C.E., 22 janv.1953, D et B, 1953, 70, Hébette).

N°• 496 à 497


400 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL n'ÉTAT

Un avis est en principe un simple acte préparatoire


(n° 208). Mais il peut être une formalité substantielle <lont
!'absence vicie la décision ultérieure (n° 208). Il en est ainsi
pour les avis obligatoires (C. E., 20 mai 1949, R. J. D. A.,
1949, 93, Groupement de la Boulangerie; - C. E., 2 avr.
1949, R. J. D. A., 42, Hecq), sauf si l'intéressé lui-même y a
renoncé ou l'a empêché (C. E., 24 nov. 1950, R. J. D. A.,
1951, 87, Foulon) ou n'avait pas d'intérêt à cette formnlité
qui est imposée dans l'intérêt de l'Administration (C. E.,
8 mai 1951, R. J. D. A., 1951, 241, Holemans), ou <lont Ie
respect n'aurait exercé aucune influence sur la décision
(C. E., 11 juill. 1950, R. J. D. A., 1951, 15, Vermeersch).

d. - Acte de gouvernement.
498. On appelle actes de gouvernement, certaines déci-
sions de l'Exécutif qui, en raison de leur caractère politi-
que accentué, ne peuvent pas être soumises à un controle
j uridictionnel.
La tendance actuelle est de limiter de plus en plus la
liste des actes de gouvernement. On nierait cependant dif-
ficilement cette qualité aux actes par lesquels Ie gouverne-
ment règle Ie Travail des Chambres (convocation, clötnre
de session, dissolution), aux décisions établissant l'état de
siège.
Une réponse négative a été donnée en ce qui concerne
les arrêtés d'expulsion d'étrangers (C. E., 19 mai Hl50,
R. J. D. A., 1950, 202, Bertoldi, Garalti, Saretto, note Simo-
nard; - C. E., 21 mars 1952, R. J. D. A., 1952, 227, Gianotis).

e. - Acte conséquent.
499. Deux actes administratifs peuvent être la consé-
quence l'un de l'autre. L'annulation du premier entraîne
celle du second. Par exemple si un agent irrégulièrement
révoqué recouvre j uridictionnellement sa fonction admi-
nistrative, la nomination de son successeur est automatique-
ment nulle. Supposons maintenant que Ie premier acte ait
été irrégulier mais que les délais de reconrs s_oient épuisés.
Peut-on demander l'annulation du second?
Le souci de la stabilité juridique justifie une réponse
négative. Encore faut-il que plusieurs conditions soient
réuuies.

N 08 497 à 499
SECTION II. - ÉTUDE PARTICULIÈRE 401

La première est que Ie second acte ne soit pas entaché


d'une irrégularité qui lui soit propre. Le recours se fonde
uniquement sur celle viciant l'acte antérieur. La seconde
est que l'intéressé ait pu attaquer Ie premier acte endéans
les délais de recours.
Ceci permet de faire une distinction entre les actes indi-
viduels et les actes réglementaires. Celui qui n'a pas pro-
testé en temps voulu contre l'irrégularité d'une acte indi-
viduel ne peut reprendre la contestation au sujet d'un acte
conséquent. Tel sera Ie cas d'un agent qui n'a pas exercé
son recours contre des promotions j alonnant sa carrière et
qui prétend reprendre la discussion au moment de la dé-
termina tion de sa pension. Telle est encore l'hypothèse ou
une promotion est contestée pour la seule raison que la
nomination antérieure du bénéficiaire au grade directe-
ment inférieur était elle-même irrégulière (C. E., 17 mai
1952, R. J. D. A., 1952, 288, Lethe, note Ligot). Tel serail
aussi Ie cas d'un officier qui a été l'objet de sanctions dis-
ciplinaires et <lont on refuse ultérieurement d'agréer pour
cette raison la candidature à un grade honoraire (C. E.,
9 nov. 1951, R. J. D. A., 1952, 132, Levent, note Remion).
La situation est tout à fait différente lorsque Ie premier
acte est un règlement. Certes l'autorité de tutelle qui l'a
approüvé ne peut critiquer ultérieurement les décisions
udministratives individuelles qui en sant l'application (n°
123). Mais, par contre, Ie particulier atteint par cette déci-
sion individuelle peut exercer un recours en invoquant
uniquement l'irrégularité du règlement qui la fonde. L'ex-
ception à la règle énoncée plus haut n'est qu'apparente.
C'est en effet au moment de la décision individuelle que
l'intéressé a un intérêt certain et personnel d'agir. Dans
l'intervalle, Ie gouvernement aurait pu modifier les disposi-
tions illégales de l'arrêté (C. E., 5 mars 1951, R. J. D. A.,
1951, 185, Janda).
Acte confirmatif: Vn acte conséquent de nature parti-
culière est l'acte confirmatif d'une autorité supérieure qui
reprend une décision antérieure. Est-il susceptible d'annu-
lation? Si les délais de recours sant expirés contre la pre-
mière décision, la même irrégularité peut-elle être critiquée
dans l'acte confirmatif ? La réponse est négative conformé-
ment à la règle établie ci-dessus. Le Conseil d'Etat fait
cependant une exception : ou bien des moyens nouveaux
402 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL o'ÉTAT

ont été produits, ou bien des modifications de fait sont


survenues qui sont de nature à modifier la décision (C. E.,
11 juill. 1951, R. J. D. A., 1951, 17, Rondas).
Lorsque des moyens nouveaux ont été invoqués, il n'est
pas nécessaire qu'ils aient été accueillis. Par hypothèse, la
décision confirmative les rejette. Qu'entend-on d'autre part
par des modifications de fait qui auraient été de nature à
modifier la décision? Par exemple, pour un officier qui
demande l'autorisation de se marier, l'écoulement d'un
certain laps de temps est susceptible de faire varier la sitna-
tion de la future épouse (C. E., 23 nov. 1951, R. J. D. A.,
1952, 138, Labye, note Poorterman).
Acte récognitif : C'est une autre espèce d'actes consé-
quents. Son senl objet est d'appliquer à un cas particulier
une décision générale dont !'individu tire directement son
titre. Par exemple, le montant d'une pension ne découle pas
de l'arrêté qui liquide mais des règlements et barèmes qui
fixent les règles générales. Même si les délais contre l'acte
administratif accordant la pension sont écoulés, le recours
peut encore se fonder sur Ie règlement lui-même.

2. Autorités administratives belges.


a. - Toules les autorités adminislralives nationales.
500. La règle vise d'abord toutes les autorités territo-
riales : Etat, provinces, communes. Elle concerne aussi les

,
autorités dirigeant les personnes publiques parastatales (ar-
rêt de principe : C. E., 13 juill. 1949, R. J. D. A., 1949, 159,
Bonheure, note Lespès; J. T., 1949, 641, note Cambier. Voyez
pour l'Ordre des médecins (C. E., 6 oct. 1951, R. J. D. A.,
1952, 97, Union des Mutualités socialistes; - Cass., 26 mars
1952, R. J. D. A., 1953, 70), des pharmaciens (C. E., 15 déc.
1952, R. J. D. A., 1953, 174, Timmerman), des avocats (C. E.,
15 juin 1956, R. J. D. A., 1957, 57, Chamart-Houssa, note
Buttgenbach).
Il a été jugé plusieurs fois que la Cour des comptes,
organc de la Charnbre des représentants (Const., art. 116;
L. org, 19 oct. 1846; - Cass., 25 oct. 1934, Pas., 1935, I, 42,
Etat beige, rninistère de la Défense nationale c.j Mathy); -
n'est pas une autorité administrative (C. E., 18 mai 1953,
A. A. C. E., 1953, 6..51, arrêt Casteleyn), même dans ses rap-
ports avec son personnel (C. E., 19 nov. 1954, A. A.C. E.,

N° 499 à 500
8
SECTION Il. - ÉTUDE PARTICULIÈRE 403

1954, 978, R. J. D. A., 1955, 70, arrêt Bette et article Huber-


lant, p. 67).
Ne sont pas annulables les actes du pouvoir judiciaire
même si ces actes sont de nature administrative. Il en
sera ainsi d'une présentation à la place d'huissier faite par
Ie tribunal de première instance (C. E., 24 mars 1950,
R. J. D. A.,~ 1950, 138 Dubois).
Même les autorités administratives proprement dites,
c'est-à-dire celles qui dépendent de l'Exécutif, ne sont pas
justiciables du Conseil d'Etat lorsqu'elles concourent à
l'exercice de la justice. Tel est Ie bourgmestre dans ses
fonctions de ministère public près les tribunaux de simple
police; tel est Ie ministre de la Justice accordant ou refu-
sant une libération conditionnelle (arrêt précité Chamart-
Houssa). Mais organiser le pouvoir j udiciaire est un acte
administratif qui n'a pas de lien direct avec l'exercice con-
cret, actuel de la justice dans une affaire déterminée. Est
donc susceptible d'annnlation la décision concernant Ie
maintien en activité d'un magistrat colonial (C. E., 23 juin
1950, R. J. D. A., 1950, 2.35, Pinet) ou déchargeant un juge
de paix du service d'un second canton (C. E., 15 déc. 1950,
R. J. D. A., 1951, 111, Higny).
Le conseil de l'Ordre des avocats ne fait pas partie du
pouvoir judiciaire; c'est une autorité administrative. Si en
vertu de l'article 208 de la loi sur l'organisation judiciaire,
les avocats suppléent parfois les j uges, ils exercent alors
une fonction étrangère au barreau (C. E., 15 juin 1956, pré-
cité Chamart-Houssa).
Les actes des personnes privées chargées d'un service
public - concessionnaires et agréés - ne sont pas annu-
lables.
Sont discutables les arrêts par lesquels Ie Conseil d'Etat
reconnaît sa compétence à l'égard de sociétés agréées
(H. L. B. M. « qui se sont vu confier une mission d'intérêt
général » (n° 80); - C. E., 18 juin 1957, R. J. D. A., 1958,
19, S. P. R. L. Elewaut frères) ou d'une société de droit
privé dans la mesure ou elle est chargée d'une fonction
publique (C. E., 10 avr. 1954, R. J. D. A., 1954, 175, De
Leener, note Putzeys : société coloniale chargée des fonc-
tions de conservateur foncier). Un acte administratif du
pouvoir législatif, par exemple de l'approbation d'une con-
ccssion n'est pas annulable.

N° 500
CHAPITRE XIII. ---:- LE CONSEIL D'ÉTAT

b. - Aucune autorité étrangère.


501. Cette autorité a<lministrative doit être beige. Le
Conseil d'Etat refusera d'annuler Ie refus d'une légation
étrangère de délivrer un visa (C. E., 27 mai 1949, R. J. D. A.,
1949, 103, Smeets et Zgonc).

B. ÜUVERTURES DE RECOURS

502. Pour quels motifs un acte peut-il être annulé?


L'article 9 de la loi donne une énumération des voies de
recours : « La section <l'administration statue par voie
d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des
formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité,
excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes
et règlements des diverses autorités administratives ou
contre les décisions contentieuses administratives ».
Cette énumération est mal expliquée dans les travaux
préparatoires. Pourquoi a-t-on négligé de citer expressé-
ment l'incompétence? Pourquoi a-t-on fait un sort particu..,
lier à la violation des conditions de forme et non à celle
des conditions de fond?
En fait, Ie fondement de tous les recours se ramène à un
seul chef : l'excès de pouvoir. L'acte est annulable dès que
l'autorité a outrepassé ses pouvoirs. Mais, pour des raisons
de clarté, il est opportun de distinguer les différentes ma-
nières de se rendre coupable de pareille transgression.

1. Incornpétence de l'autorité qui a fait l'acte.


503. Il faut distinguer les divers cas d'incompétence.
a) Le fonctionnaire a excédé ses pouvoirs ratione ma-
teriae, loci, temporis; eet excès de pouvoir peut au surplus
constituer un cmpiètement sur la compétence d'un autre
agent, notamment d'un supérieur hiérarchique. L'acte est
annulable (n° 92).
Cependant, en cas d'empiètement, Ie souci de la stabilité
j uridique poussera les j uridictions à présumer assez facile-
ment l'existence et la régularité d'une -délégation (C. E.,
24 nov. 1950, R. J. D. A., 1951, 86, Hautot).
On admet aussi la force majeure : la nécessité crée la
compétence (n° 93).

Noa 501 à 503


SECTION ll. - ÉTUDE PARTICULIÈRE 405

b) L'auteur de la décision a bien accompli un acte de


sa fonction mais en réalité il n'est pas fonctionnaire. Son
investiture est irrégulière ou périmée. Peut-être même est-
il un usurpateur qui ne peut invoquer aucun titre, même
irrégulier.
En principe, l'acte est annulable.
lei encore une réserve doit être faite en faveur de la
possession d'état. Lorsqu'un agent exerce paisiblement ses
fonctions dans les locaux administratifs, les particuliers ne
sont pas sensés vérifier dans chaque cas la régularité de
sou titre. L'irrégularité sera alors couverte.
Quant à l'usurpation, ses effets sont limités par l'appli-
cation de la théorie du fonctionnaire de fait (n° 94).

2. Conditions de fond et forme.


504. L'acte querellé est annulé s'il ne réunit pas toutes
les conditions de fond et de forme nécessaires pour sa vali-
<lité.
Forme : La formalité administrative n'est pas paperas-
serie vaine. Elle force l'agent public à une série de démar-
ches et précautions qui constituent souvent de précieuses
garanties pour les a<lministrés. Sans elles, ceux-ci seraient
livrés à !'arbitraire de décisions hatives d'une administra-
tion toute puissante.
On distingue les formes extérieures de l'acte adminis-
tratif et les formes de procédure.
Une violation est-elle sanctionnée par l'annulation?
L'article 9 de la loi emploie une formule restrictive. Elle
ne prévoit cette sanction que pour les « formes substan-
tielles ou prescrites à peine de nullité ». En d'autres ter-
mes, si la loi ·elle-même impose expressément une forma-
lité, l' Administration est tenue de la respecter. Même à
défaut de prescription explicite, certaines formes sant con-
si<lérées par nature comme substantielles.
Selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, ont un carac-
tère substantie!, les formes qui ont été conçues pour pro-
téger les intérêts des particuliers. Tel est Ie signalement
d'un agent proposé pour une promotion, !'affichage avant
l'autorisation d'ouvrir un établissement dangereux, les
précautions de procédure prévues en matière disciplinaire.
Il en est de même pour les formalités qui touchent à
l'ordre public, parce qu'elles concernent Ie fonctionnement

N 08 503 à 504
406 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL o'ÉTAT

régulier des institutions, par exemple l'obligation de con-


sulter Ie Conseil d'Etat avant de prendre un arrêté orga-
nique et réglementaire (n° 480) (C. E., 25 avr. 1950,
R. J. D. A., 1950, 194, Bunkering) ou encore l'obligation de
motiver certains actes administratifs (n° 193), de façon à
permettre au Conseil d'Etat <l'exercer sou controle (C. E.,
1 er févr. 1961, R. J. D. A., 1961, 150, Conseil <le Fabriquc
N. D. de Montaigu).
Par contre, Ie Conseil d'Etat nc sanctionne pas les pro-
cédures qui sont prescrites dans l'intérêt de l' Administra-
tion elle-même et dont l'omission n'a pu priver Ie reqné-
rant d'aucune garantie (C. E., lO juill. 1951, R. J. D. A.,
1952, 45, Vindevogel). Nous retrouvons ici la théorie des
mesures d'ordre intérieur (n° 106). Les diverses procédures
prescrites pour assurer Ie controle des dépenses de l'Etat
- crédit budgétaire, visa du comptable des dépenses en-
gagées et de la Cour des comptes, avis du Comité du bud-
get, - sont prises dans Ie seul intérêt de l'Administration.
Leur violation n'est pas une cause de nullité (C. E., 8 mai
1951, R. J. D. A., 1951, 241, Holemans, note Huberlant; --
C. E., 12 juin 1952, R. J. D. A., 1953, 53, Flamme).
Même prescrite dans l'intérêt de l'administré, une for-
malité n'est pas considérée comme substantielle si son
omission a été sans influence sur la décision. C'est une
application du principe de finalité (C. E., 17 mai 1952,
R. J. D. A., 1952, 288, Lethe, note Ligot). C'est aussi Ie res-
pect de la règle « sans intérêt pas <l'action » (L., 1946,
art. 11; - Haesaert, Sanction par Ie Conseil d'Etat des
vices de forme, p. 209).
Le Conseil d'Etat admet l'exception de force majeure
(C. E., 24 oct. 1949, R. J. D. A., 1950, 9, Grisar; - C. E.,
31 juill. 1H57, RJ.D.A., 1958, 69, Potikian; - C. E., 21 mai
1960, R. J. D. A., Hl60, 72, Vandendries, ff' 193). On ne
tient pas non plus compte du vice de forme lorsqu'il est
imputahle au requérant (sauf s'il s'agit d'une formalité
imposée pour une raison d'ordre public).
Enfin l'omission ou l'irrégularité de la formalité peut
être ultérieurement couverte. Cette régularisation peut ré-
sulter de l'acquiesccrnent du requérant (C. E., 4 mars 1955,
D et B, 1955, 213, Kuypers), du rnoins lorsque l'ordre public
n'est pas intéressé. Elle découle aussi de l'accomplissement
ultérieur de la formalité; Ie requérant a ainsi obtenu la
SECTION Il. - ÉTUDE PARTICULIÈRE 407

garantie prévue par Ie législateur (C. E., 17 oct. 1952,


R. J. D. A., 1953, 114, Bay). L'acte qui couvre une irrégu-
larité substantielle n'est pas seulement confirmatif; il peut
faire l'objet d'un nouveau recours en annulation (C. E.,
24 janv. 1958, R. J. D. A., 1958, 145, Van Coppenolle).
Motifs : Certains actes administratifs doivent être mo-
tivés. S'ils ne Ie sont pas, Ie Conseil d'Etat annulera pour
défaut de motif. Pour d'autres actes, cette formalité n'est
pas exigée (n° 193).
Mais il ne faut pas confondre dispense de motif et
absence de motif. L'Administration n'exerce jamais un
pouvoir arbitraire; elle doit s'inspirer du hut de la loi qui
lui donne la compétence (n° 91). Les motifs doivent exis-
ter même s'il nc sont pas cités dans les considérants.
Le Conseil d'Etat annulera Ie cas échéant, la décision pour
inexistcnce des motifs. Comment y parviendra-t-il? Tout Ie
dossier doit lui être soumis (L., 23 déc. 1946, art. 13) ; il
peut au surplus ordonner une enquête (C. E., 7 mars 1961,
R. J. D. A., 1961, 218, Comm. Schoten).
Les motifs cités peuvent aussi être inexacts. Ce peut être
une erreur de fait (C. E., 17 févr. 1956, R. J. D. A., 1957,
267, Chaudron); on peut aussi en interprétant mal Ie fait,
provoquer la fausse application de la loi. Le Conseil d'Etat
annulera la décision. Toutefois, Ie Conseil d'Etat saisi d'une
décision mal motivée mais appliquant correctement la loi
substitue d'office la vraie justification et refuse l'annula-
tion (C. E., 2 juin 1952, R. J. D. A., 1954, 226, collège éche-
vinal de Saint-Trond et Scheepers, Duchateau et Bertrand;
- C. E., 11 juin 1954, R. J. D. A., 1954, 254, C.A. P. de Qua-
regnon; - C. E., 11 juin 1954, R. J. D. A., 195fi, 255, C.A. P.
de Herchies). ·
3. Légalité.
505. Cette voie de recours n'est pas citée expressénwnt.
En fait, elle est moins une voie spéciale qu'une précision
élargissant toutes les autres. Un vice de fond, de forme, de
procédure, un manque de compétence ne doivent pas
s'apprécier seulement en fonction du Droit écrit.
En effet, la légalité d'un acte administratif impliquc sa
conformité avec la loi et, d'une manière plus générale, avec
Ie Droit. Elle doit donc être fort largement entendue.
La décision doit d'abord respecter la loi écrite : Consti-
tution, lois, r<"glements administratifs. Même si ces règle-

N 06 504 à 505
408 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL o'ÉTAT

ments émanent de l'autorité qui a pris la décision contes-


tée, on objectera à celle-ci Pati legem quem fecisti. C'est
l'application du principe de légalité (n° 70). Une autorité
de tutelle qui n'a pas improuvé un règlement ne peut ulté-
rieurement attaquer pour illégalité l'acte particulier admi-
nistratif pris en vertu de ce règlement (n° 123 et 499).
La règle implique aussi, par une extension prétorienne,
Ie respect de règles j uridiques non écrites. L' Administra-
tion doit respecter les « principes généraux du Droit » qui
dominent tout notre système juridique. Les applications de
cette théorie seront moins fréquentes en Belgique qu'en
France. Car les libertés individuelles, l'égal accès à la
fonction publique, l'égalité <levant les charges, sont dans
notre pays consacrés par des textes constitutionnels.
Les principes généraux du Droit ont été invoqués par la
Cour de cassation (Cass., 29 avr. 1960, J. T., 1960, 718,
Office National de Sécurité sociale c./ Société Nationale de
Distribution d'Eau; adde C. E., 28 avr. 1960, D et B, 1960,
399, Van den Ameele).
En font partie les règles si souvent invoquées et non
écrites de l'inaliénabilité de la souveraineté (n° 30), du
fonctionnement permanent et régulier du service public
(n° 31) (Cass., 10 janv. 1950, Pas., 1950, I, 302, Etat beige,
ministère des Finances c./ S. A. La Centrale Electrique du
Nord; - Cass., 8 janv. 1952, Pas., 1952, I, 242, Etat beige,
ministère des Finances c./ Dehon; - C. E., 25 nov. 1959,
D et B, 1959, 807, Van Maele), de la primauté de l'intérêt
général (n° 21), Ie principe de la spécialité des personnes
publiques (n° 64), de la finalité de leur activité (n° 69), Ie
principe de la non-rétroactivité des actes administratifs et
notamment des peines disciplinaires (C. E., 28 oct. 1949,
R. J. D. A., 1950, 20, Fourneau).
L'activité j uridictionnelle de l' Administra tion est domi-
née par de nombreuses règles fondées sur les principes
généraux du Droit (n° 471).
Le respect des droits de la défense est étendu, même à
défaut de texte exprès et à titre de principe général du
Droit aux procédures disciplinaires poursuivies contre des
agents publics (n° 114). A la diff érence du Conseil d'Etat de
France, Ie nótre n'a pas été plus loin; il n'a pas fait res-
pecter les droits de la défense à défaut de texte exprès pour
Ie retrait d'une distinction honorifique (C. E., 3 mars 1958,
SECTION II. - ÉTUDE PARTICULIÈRE 409

R. J. D. A., 1958, 196, Marchal) pas d'audition de l'inté-


ressé pour la fermeture d'un débit de boissons (C. E.,
12 juill. 1952, arrêt 1758, Schotte), pour l'octroi et la dé-
chéance de licence obligatoire (C. E., 5 mars 1958, R.J.D.A.,
1958, 231, De Reuse). Mais il a présumé cette volonté légis-
lative pour la commission d'appel en matière de main-
d'reuvre étrangère (C. E., 16 déc. 1955, D et B, 1955, 1069,
Leroy et Hofman, obs. Haesaert). Une enquête implique
un minimum de publicité pour alerter les intéressés
(Flamme sous C. E., 23 févr. 1956, R. J. D. A., 1957, 259,
Brux. d' Autotransports).
Les « principes généraux de la fonction publique » ont
été invoqués pour décider que tous les candidats exerçant
des fonctions équivalentes ont Ie droit de voir leurs titres
à une promotion examinés et comparés ( C. E., 29 oct. 1954,
R. J. D. A., 1955, 44, De Kempeneer, adde n° 255).
Les principes généraux du Droit s'imposent à l'autorité
administrative tant qu'ils n'ont pas été contredits expressé-
ment par la loi.
A cöté des principes généraux du Droit, Ie Conseil d'Etat
peut-il aussi sanctionner la coutume en annulant les actes
administratifs qui lui sont contraires? L'usage ne peut pas
prévaloir contre la loi et son caractère continu et certain
doit être établi (C. E., 20 oct. 1950, R. J. D. A., 1951, 53,
Dethise, note De Visscher; - C. E., 20 mai 1954; D et B,
1954, 519, Créteur, note Putzeys). A notre avis, un usage,
même constant, ne lie pas l'Administration (C. E., 13 mai
1949, D etB, 1949, 46, Bauwens; - C. E., 23 déc. 1949, D et
B, 1949, 205, Struway), à moins qu'il manifeste un principe
général du Droit.

4. Détournement de pouvoir.

506. L'activité de l' Administration est dominée par Ie


principe de la finalité (n° 69). L'acte accompli par un
fonctionnaire dans l'exercice de sa compétence mais dans
un autre hut que celui pour lequel il avait reçu ce pouvoir
est entaché de détournement de pouvoir (n° 91).
Cette notion élargit fortement Ie controle juridictionnel
de l'activité administrative. Le pouvoir n'est plus illimité.
Même lorsqu'il est discrétionnaire, la justification de son
exercice peut encore être recherchée par les juges.
On distingue plusieurs espèces de détournement de pou-

N 08 505 à 506
410 CHAPITRE XIII. --- LE CONSEI]. o'ÉTAT

voir. Ou bien une compétence est exercée à une fin non


prévue par Ie législateur. Par exemple, un conseil commu-
nal modifie les conditions de recrutement d'un secrétaire
communal en vue d'avantager Ie candidat dont la première
nomination avait été improuvéc (C. E., 30 Jum 1951,
R. J. D. A., 1952, 17, Exelmans; - C. E., 11 juin 1952,
R. J. D. A., 1953, 12, Schraepen); -- C. E., 8 juill. 1954,
R. J. D. A., 736, 290, arrêt 3563, Detry). Ou bien, ayant Ie
choix entre deux procédures pour atteindre Ie même effet
juridique, l'autorité opte pour celle qui est plus facile mais
non justifiée en la cause. Tel est Ie cas du bourgmestre qui
plutót que d'imposer la procédure d'alignement ordonnerait
la destruction de l'immeuble sous prétexte qu'il menace
ruine; tel est encore Ie cas fréquent du supérieur qui préfère
déplacer un agent dans l'intérêt du service plutót que de lui
infliger, selon la procédure légale, une peine disciplinaire.
Le Conseil d'Etat s'cst rnontré sévère. Il n'admet Ie détour-
nement que si !'auteur de l'acte a agi uniquement dans un
hut étranger à celui pour lequel il avait reçu Ie pouvoir
(C. E., 2 déc. 1953; - A. A.C. E., 1953, 1364, Lafontaine).
La preuve du détournement <le pouvoir peut être faite
par toutes voies du droit. Il n'est pas nécessaire qu'à l'instar
de la France, elle résulte des pièces du dossier. Le ConseiJ
d'Etat dispose en effet d'un droit d'enquête et d'investiga-
tion (art. 16).
En raison de la gravité du litige, les recours en annula-
tion pour détournement de pouvoir sont renvoyés à l'as-
semblée générale de la section contentieuse du Conseil
d'Etat. Ce renvoi est fait d'office si la chambre saisie
coustate la possibilité d'un détournement (art. 46).
Une curieuse jurisprudence a attiré l'attention : le Con-
seil d'Etat a parfois qualifié d'excès de pouvoir, ce qui
d'après son exposé des faits, constitue un détournernent
(Orianne, « Abus de droit et détournernent de pouvoir »,
Ann. dr. et sc. politiques, 1961, 199; - C. E., 18 juin 1954,
Reu. Comm., 1959, 150; - C. E., 11 oct. 1957, arrêt 5822, De-
vos). Peut-être était-ce dans Ie hut pratique d'éviter une
procédure plus lourde. A notre avis, on ne peut déduire de
ces arrêts isolés que la notion de détournement doit être
limitée à l'utilisation du pouvoir public à une fin privée et
en exclure l'exercice à une fin publique autre que celle
voulue par Ie législateur (C. E., 26 avr. 1955, A. A.C. E.,
1955, 377, Maertens et arrêt Lafontaine précité).

N 08
506 à 507
SECTION II. - ÉTUDE PARTICULIÈRE 411

C. RECOURS PARALLÈLES

507. Le Conscil d'Etat ne peut être saisi qu'à défaut


d'autres juridictions compétentes. Il en est expressément
ainsi pour les actions en indemnité (n° 488).
La même solution prévaut pour les actions en annulation.
Le requérant se verra-t-il opposer une exception d'irre-
cevabilité ou un <léclinatoire de compétence? En France,
c'est la première solution qui est adoptée. Le texte de la
loi beige rattache plutöt Ie recours parallèle à la notion de
compétence. En effet, la compétence du Conseil d'Etat n'est
reconnue qu'ó. défaut de toute autre juridiction.

1. Recours parallèles devant les tribunaux.


508. L'exception ne joue que si les tribunaux sont com-
pétents et si l'action civile a Ie même « objet véritable »
que la requête en annulation.
Dispositions légales : Cette compétence peut leur être
expressément attribuée par la loi. Tel est parfois Ie con-
tentieux fiscal d'appel; tel est aussi dans certains cas, Ie
droit du propriétaire d'un fonds grevé d'une servitude lé-
gale à obtenir une indemnité (n° 321). Le Conseil d'Etat ne
pourrait annuler la décision de l'autorité compétente refu-
sant l'indemnité (C. E., 7 févr. 1949, R. J. D. A., 1949, 6,
De Gang), ou la décision du directeur des contributions
taxant le contribuable. Voyez pour les impöts directs (C. E.,
7 févr. 1949, R. .J. D. A., 1949, 9, Scheltjens; - C. E., 7 déc.
1949, R. J. D. A., 1950, 50, Léonard); en matière d'impöts
indirects (C. E., 7 avr. 1950, R. J. D. A., 1950, 159, Parée)
et pour les taxes communales (C. E., 11 juill. 1950, R.J.D.A.,
1951, 14, Plaestier; - C. E., 17 juill. 1950, R. J. D. A., 1951,
20, Persyn; - Cass., 8 janv. 1953, Pas., 1953, I, 309, confir-
mant C. E., 30 oct. 1951, R. J. D. A., 1952, 122, Caisse hypo-
thécaire anversoise). Les intéressés doivent s'adresser aux
trihunaux.
Textes constitutionnels : Même à défaut de dispositions
légales, les trihunaux ordinaires ont Ie monopole de la
compétence, si les contestations ont pour objet des droits
chils (Const., art. 92) et la compétence résiduaire s'il s'agit
de droits politiqnes (Const., art. 93, Voyez Huberlant) :
Le Conseil d'Etat et la compétence générale du pouvoir
judiciaire (1960, tiré-à-part de J. T., 1960).

N 05
507 à 508
412 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL o'ÉTAT

Même objet: C'est la deuxième condition exigée : pour


que joue l'exception les deux recours doivent avoir exacte-
ment Ie même objet (Cass., 27 nov. 1952, Pas., 1953, I, 181,
Etat beige c./ Versteele, cassant C. E., 9 juill. 1951, R. J.
D. A., 1952, 41).
1° Il n'en est pas ainsi pour les décisions administratives
à caractère réglementaire. Ce n'est pas la même chose de
demander au Conseil d'Etat, l'annulation, erga omnes,
d'une règle générale ou de réclamer au tribunal civil,
l'application exacte de cette règle à son cas particulier. Le
contribuable, pour sa taxe et Ie fonctionnaire, pour son
traitement, ont bien des droits civils qu'ils doivent faire
valoir <levant les juridictions ordinaires; mais au Conseil
d'Etat, ils peuvent aussi demander l'annulation, non de la
taxation individuelle, mais de la règle fiscale elle-même
(C. E., 9 déc. 1949, R. J. D. A., 1950, 38, vVielemans-Ceup-
pens et Cass., 26 mars 1952, Pas., 1952, I, 463, confirmant
C. E., 6 oct. 1951, R. J. D. A., 1952, 97, Union nationale des
Mutualités socialistes), non de la décision fixant irrégulière-
ment Ie montant du traitement mais du barème lui-même
(Cass., 2 juill. 1954, Pas., 1954, I, 955, S. N. C. B. c./ De-
bende, concl. Hayoit de Termicourt, 5 arrêts; - C. E.,
4 déc. 1952, R. J. D. A., 1953, 171, Mievis).
2° Le recours en annulation d'une décision individuclle
peut aussi avoir un objet différent de l'action civile.
Sans doute, lorsqu'une pareille décision se borne, pour
l'Administration, à refuser d'exécuter une obligation civile,
Ie Conseil d'Etat est incompétent. Tel est Ie cas ou un inté-
ressé se plaint que la décision administrative a mal caI-
cuié son traitement ou sa pension (Cass., 27 févr. 1952,
précité; - adde arrêt même jour, en cause de Vrindts) ou
Ie montant de l'impot à payer (arrêt précité Caisse hypo-
thécaire anversoise; - adde C. E., 13 janv. 1961, R. J. D. A.,.
1961, 138, Scheeren, avis contraire Sarot). Mais parfois la
décision comporte d'autres éléments. Dans ce cas, Ie re-
cours en annulation n'a plus Ie « même objet véritable »
que l'action civile, encore qu'elle puisse avoir des réper-
cussions sur les droits civils impliqués.
Reprenant l'exemple du fonctionnaire et de son trai-
tement, considérons une décision disciplinaire entraînant
réduction de sa rémunération. Le paiement du traitement
plein peut être demandé aux tribunaux ordinaires. Mais
dans l'intérêt de sa carrière, Ie fonctionnaire a bien plus.

N° 508
SECTION II. - ÉTUDE PARTICULIÈRE 413

d'intérêt à obtenir l'annulation de la peine par Ie Conseil


d'Etat (C. E., 3 févr. 1955, D et B, 1955, 127 et Cass., 27 nov.
1957, Pas., 1958, I, 328, Hennard; - adde Cass., 27 nov. 1959,
Pas., 1960, I, 378).
A notre avis, les deux actions n'ont pas non plus « Ie
même objet véritable » lorsque Ie recours en annulation de
l'arrêté individuel se fonde sur des vices qui lui sont pro-
pres. L'acte est vicié par un défaut de compétence, l'omis-
sion d'une formalité essentielle, voire la violation d'une
règle particulière au Droit administratif.
En vertu de l'article 107 de la Constitution, les tribunaux
n'appliquent pas les décisions administratives illégales.
Cela ne suffit pas pour justifier l'exception du recours
parallèle.
3° Que faut-il penser d'une décision administrative refu-
sant la prestation qui aurait pu être l'objet d'un droit civil?
Les tribunaux ordinaires sont incompétents puisqu'il n'y
a pas encore de droit civil. Seule l'action en annulation
<levant Ie Conseil d'Etat est possible. Tel sera par exemple
Ie cas d'un entrepreneur qui se plaint d'une décision de la
commune refusant de conclure Ie contrat (C. E., 18 mars
1958, R. J. D. A., 1958, 201, Beauval; - arrêt de principe; -
Cass., 27 nov. 1952, R. J. D. A., 1953, 151, Versteele).
Cependant à cette règle, une correction doit être appor-
tée. Si l'Administration avait I'obligation de prendre une
décision positive, en d'autres termes, si sur ce point sa com-
pétence était liée, Ie droit civil découle directement de la
. loi et l'acte administratif n'a qu'un effet déclaratif. Le
particulier a un droit civil et doit soumettre son litige aux
tribunaux. Un déclinatoire de compétence l'empêchera de
demander au Conseil d'Etat, l'annulation de la décision.
Telle est la jurisprudence très ferme à l'égard des décisions
refusant Ie paiement d'une pension (notamment C. E.,
5 juill. 1957, R. J. D. A., 1958, 36, Michotte).
4° Si l'acte administratif est annulé régulièrement, Ie
droit civil dont il est Ie support, vient-il à disparaître ?
La question a été étudiée à propos de l'adjudication (n° 360).
La théorie du recours parallèle doit être distinguée de
celle de la question préjudicielle (n° 530).
2. Recours devant les juridictions administratives.
509. Certaines lois organisent des recours contentieux
<levant des juridictions administratives autres que Ie Con-

N 03 508 à 509
414 CHAPITRE Xlll. - LE CONSEIL D'ÉTAT

seil d'Etat. La création de cette Cour n'a pas supprimé la


compétence de ces juridictions. Les intéressés devront
d'abord exercer leur recours <levant elles. lls pourront
ultérieurement se pourvoir <levant Ie Conseil d'Etat contre
ces décisions contentieuses.
La règle doit être largement entendue. Elle protège non
seulement la compétence de toutes les juridictions admi-
nistratives proprement dites mais aussi de toutes les in-
stances administratives parajuridictionnelles (n° 475)
(C. E., 1er juill. 19·19, R. J. D. A., 1949, 124, Lemmens [Com-
mission d'appel pour l'octroi de pensions militaires] ; -
C. E., 12 juin 1950, R. .J. D. A., 1950, 220, Everaert [Commis-
sion d'appel en matière de sta tut de prisonnier politique]).

3. Recours devant les autorités supérieures


de l' Administration active.
510. L'exception du recours parallèle peut encore être
invoquée tant que l'intéressé peut saisir unc autorité admi-
nistrative par un recours non juridictionnel - soit qu'il
puisse introduire une requête devant les supérieurs hiérnr-
chiques (C. E., 15 juill. 1949, R. J. D. A., 1949, 166, Delforge;
C. E., 23 déc. 1949, R.J.D.A., 1950, 76, Muller; -C. E., 23 déc.
1949, R. J. D. A., 1950, 77, Bucquoi; - C. E., 23 déc. 1949,
R. J. D. A., 1950, 77, Soris; - C. E., 19 déc. 1951, R. J. D. A.,
1952, 180, Omwal), soit qu'il ait un recours <levant les
autorités de tutelle (C. E., 9 <léc. 1949, R. J. D. A., 1950, 34,
Fabrique d'église de Sourbrodt; - C. E., 5 janv. 1951,
R. J. D. A., 1951, 131, De Meutter).
Encore faut-il que l'intéressé ait un véritable recours
obligeant l'autorité saisie à statuer. Ceci exclut Ie recours
purement gracieux qui n'est pas organisé par la loi. Ce sera
fréquemment Ic cas lorsque l'intéressé s'adresse à l'auto-
rité hiérarchique pour faire réformer la décision d'un agent
subordonné. Ce peut aussi être Ie cas en matière de tutelle.
Par excmple, une décision de la députation permanente
relative à la police des cours d'eau non navigables ni flot-
tables doit être attaquée d'abord <levant Ie pouvoir central
confonnément à l'article 35 de la loi du 7 mai 1877 (C. E.,
24 janv. 1950, R. J. D. A., 1950, 84, Winderickx). Mais
l'autorité supérieure n'est pas obligée de statuer sur Ie re-
cours gracieux introduit contre la décision d'une députa-
tation permanente approuvant la nomination d'un secré-

N"" 509 à 510


SECTION II. - ÉTUDE PARTICULIÈRE 415

taire communal (C. E., 1 er avr. 1952, R. J. D. A., 1952, 255,


Schraepen; voyez aussi C. E., 19 déc. 1951, R. J. D. A., 1952,
180, Omwal).
Qu'arrivera-t-il si Ie requérant a laissé dépasser Ie délai
pour saisir l'instance administrative supérieure et si la dé-
cision est devenue de ce fait définitive? Le Conseil d'Etat
ne devient pas compétent par suite de cette négligence.

SECTION III
PROCEDURE
La procédure est réglée par les articles 11 à 22. Elle est
précisée par l'arrêté du Régent du 23 août 1948.
A. RECEVABILITÉ

5ll. L'article 11 énonce les conditions de recevabilité


d'une demande ou d'un recours prévus par les articles 7
à 10. Il s'applique donc non seulement aux actions en annu-
lation mais aussi aux autre recours contentieux prévus par
les articles 8 à 10 ainsi qu'aux demandes d'indcmnité.
L'exception d'irrecevahilité est particulière à chaqnc
litige et ne dépend pas de la nature même de l'action.
La partie doit justifier d'une lésion ou d'un intérêt.
1. La partie.
512. Cette partie peut être une personne physique, une
personne civile ou une personne publique.
La personne civile et la pemonne publique doivent être
clûment représentées, sinon la requête est nulle.
Le Conseil d'Etat a parfois accueilli Ie recours d'un grou-
pement sans personnalité juridique s'il a fait l'objet en
tant que tel d'une décision administrative (association mo-
mentanée; loi sur les sociétés commerciales, art. 3; -- C. K.
7 févr. 1957, D et B, 1957, 69, Michaux et S. A. La Routière;
- C. E., 28 janv. 1954, D et B, 1954, 131, Lambin; ---- voyez
aussi : Société constituée sous la condition suspensive d'oh-
tenir 1par adjudication une concession de transports en
commun; - C. E., 28 déc. 1960, R. J. D. A., 1961; 120. S. A.
Bruxclloise <l'Autotransports).
Une association de fait n'ayant pas la personnalité civile
ne peut ester en tant que telle (C. E., 28 mars 1949, R.J.D.A.,
4J CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL o•ÉTAT

J7. Union Nationale des Ingénieurs techniciens; C. E .•


c. 1949. R. J. D. A .• 1950, 36. Confédération Nationale de
1 . ~ vnstruction). Il en est de même pour une société coopé-
rative dissoute au moment de la décision (C. E .• 12 juill.
1949. R. J. D. A .• 1949. 156, Verhelst).
Le Conseil d'Etat a accueilli la requête introduite en son
nom propre, par l'organe d•une personne publique, en l'es-
pèce une députation permanente. La solution est douteuse
(C. E.. 19 oct. 1951. R. J. D. A., 1952, 109, D.P. du C. P. du
Hainaut, note Dumont; - C. E.. 15 mai 1956, D et B. 1956.
332, collège des bourgmestre et échevins d•Evere).

2. Doit justifier d•une lésion ou d•un intérêt.


513. n•abord dans une demande d'avis sur l'opportunité
a•une indemnité, la partie se plaint a•un préjudice excep-
tionnel. Mais elle n'invoque pas la violation d•un droit qui,
par hypothèse serait civil (n° 487) ; Ie litige devrait être
porté <levant les tribunaux.
Donc, pour demander une indemnité au Conseil a•Etat,
on doit justifier non d'un droit mais a•un simple intérêt.
Il faut plus d•explications pour la requête en annulation.
- objectivement. l'acte est susceptible de faire grief;
- subjectivement. il a causé une lésion à la partie.

a. - Actes susceptibles de faire grief.


514. Il s•agit essentiellement d•une décision exécutoire.
Ceci exclut les mesures simplement préparatoires. Don-
nons comme exemple une décision ministérielle se ralliant
au classement par un comité des candidats à une nomina-
tion (C. E .• 22 déc. 1950, R. J. D. A .• 1951. 126, Lavry). Mais
il n•en serail pas de même au cas ou un candidat est écarté
de la présentation, car cette décision n'est pas seulement
préparatoire. elle influe sur la décision (C. E .• 13 mai 1949.
R. J. D. A., 1949. 92. Bauwens, note De Visscher). Le refus
de présenter un candidat est, si pas pour les concurrents
présentés (C. E., 9 oct. 1953, D et B. 1953, 1208. Eppe), du
moins pour l'évincé, un acte définitif même si aucune
nomination n'intervient. Car on peut- pl'étendre que cette
décision négative résulte de rinsuffisance de la liste pré-
sentée (C. E .• 23 mars 1956, R. J. D. A .• 1957, 1. Henry de la
Lindi).
Un autre exemple est celui des avis du Service adminis-

N08 512 à 514


SECTION III. - PROCÉDURE 417

tratif de la Santé. Celui-ci apprécie l'aptitude P.1- 1ue


d'un agent préalablement à la nomination, la mi:f: . '· la
pension, la mise en disponibilité ou la démission d't;.,,ke.
L'annulation peut être demandée dans Ie cas ou l'av1fest
obligatoire et oriente définitivement la décision adminis-
trative; par exemple la déclaration d'inaptitude totale
doit fatalement entraîner la non-investiture ou l'exclusion
(C. E., 14 juin 1956, R. J. D. A., 1957, 51, Longtain, note
Ligot et réf.)
Même analyse pour les instructions et circulaires. Celles-
ei ne sont que des recommandations aux autorités subor-
données et n'ont aucune valeur obligatoire. Les agents
peuvent y contrevenir sans que leurs actes soient entachés
d'illégalité (Cass., 18 oct. 1951, Pas., I, 61; - C. E., 5 déc.
1950, R. J. D. A., 1951, 100, Velghe). Mais ici encore, il faut
apprécier la portée exacte de la mesure. Certaines circulai-
res peuvcnt dissimuler de véritables règlements et dès lors
sont susceptibles d'un recours en annulation. Telle sera une
note de service modifiant les conditions d'accès à certains
cmplois (C. E., 8 juill. 1949, R. J. D. A., 1949, 155, Santé; -
C. E., 2 juin 1950, R. J. D. A., 1950, 211, Joset).
Sont encore exclues les dépêches diverses - qui, à la
différence des circulaires ont unc portée individuelle et
non pas générale, - si elles ne contiennent aucune déci-
sion. N'est donc pas recevable la demande d'annulation
d'une dépêche faisant connaître l'avis du Comité d' Armes
sur l'avancement d'un officier (C. E., 3 mars 1950, R. J.
D. A., 1950, 119, Rochette). Mais il en va autrement si Ie
ministre notifie son refus de proposer au Chef de l'Etat
une promotion au grade .supérieur (C. E., 26 août 1949,
R. J. D. A., 1949, 187, 109, Grimart; - comparez C. E., 7 avr.
1950, R. J. D. A., 1950, 154, Clairbois).
En matière de tutelle, l'autorisation de l'autorité supé-
rieure est simple permission d'agir (n° 125) : la suspension
est un acte préparatoire à l'éventuelle annulation (n° 123).
Ces actes ne sont pas susceptibles de faire grief. Par contre,
approbation et annulations peuvent être attaquées en Con-
seil d'Etat (n08 123 et 124).
Non seulement les actes préparatoires mais encore les
actes purement confirmatifs ou recognitifs (n° 499) doivent
être exclus. Ce ne sont pas eux, mais les actes antérieurs
ainsi appliqués qui font grief.

N011 514
418 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL o'ÉTAT

b. - Lésion d'un intérêt.

515. Il ne suffit pas que l'acte soit en soi susceptiblt> de


faire grief. Il faut qu'en fait il ait produit eet effet.
La formule de la loi est très générale.
Une demande d'indemnité <levant Ie Conscil d'Etat peut
se fonder sur Ie fonctionnemetn régulier du service; ellc
n'aboutit d'ailleurs qu'à l'obtention d'un avis.
Qu'en est-il pour l'action en annulation? Celle-ci tend à
rétablir la légalité en supprimant juridiquement un acte
qui la viole. Tout citoyen et même tout habitant ne pour-
rait-il l'introduire dans l'intérêt de la loi?
Intérêt direct et personnel: Le « recours populaire»
n'est pas admis (C. E., 8 juin 1951, R. J. D. A., 1951, 281,
Ma ton et Dubois). La triple qualité d'habitant, d'usager et
de contribuable est en elle-même insuffisante pour la rece-
vabilité du recours (C. E., 6 oct. 1951, R. J. D. A., 1952, 102,
Bogaert, note De Visscher). Le requérant doit prouver
qu'il a un intérêt personnel et direct, en d'autres tenues
que Ie recours est de nature à lui donner une satisfaction
individuelle. Cet intérêt peut d'ailleurs être d'ordre maté-
riel ou moral; mais il ne peut être contraire à la loi ou aux
bonnes mreurs (C. E., 12 mai 1960, R. J. D. A., 1960, 166,
Bouvereaux et Theunon : exploitation de salles de jeux).
Il doit exister au moment ou l'action est intentée, mais
a pu naître après la décision <lont on demande l'annulation.
Intérêt corporatif : Le Conseil d'Etat en tient compte :
une personne civile peut attaquer une décision administra-
tive qui fait grief à ses membres (C. E., 16 mai 1958, D et
B, 1958, 418, Confédération beige des pêcheurs à la ligue).
r lntérêt f onctionnel : Inversement, Ie membre d'un col-
lège a intérêt à faire respecter les règles de délibération
du corps dont il fait partie (C. E., 5 juill. 1949, R. J. D. A.,
1949, 145, De Bruyn, note De Visscher), ou encore sa com-
position (notamment son caractère paritaire: C. E., 19 janv.
1951, R. J. D. A., 1951, 138, Blaimont; C. E., 2 juin 1950,
R. J. D. A., 1950, 211, Joset), ou encore s~COIIlJ)étence (C_. E.,
28 janv. 1953, R. J. b. A., 188, Vakenecr). Les membres
appartenant à une minorité sont rccevables à attaquer
devant Ie Conseil d'Etat des décisions de la majorité ou
<les décisions de l'autorité de tutelle (C. E., 27 juin 19;50,
SECTION 111. - PROCÉDURE 419

R. J. D. A., 1950, 241, Brasseur). Le prodoyen et Ie secré-


tairc d'nne faculté sont rccevables à déf end re l'institution
à laquelle ils appartiennent et notamment les avantages
attachés aux grades décernés aux étudiants (C. E., 6 juill.
1951, R. J. D. A., 1952, 27, Gothot et Clemens, note De
Visscher).
Le problème est complexe en ce qui concerne les fonc-
tionnaircs. Ceux-ci sont certes recevables à attaquer une
décision rnodifiant l'organisation de la carrière (limitc
d'àge pour l'accès aux emplois supérieurs : C. E., 8 juill.
1949, R. J. D. A., 1949, 155, Sauté) ou une décision indivi-
duelle prise à leur égard.
Le fonctionnaire peut-il attaquer l'arrêté concernant un
autre fonctionnaire? Oui, s'il s'agit d'un concurrent éven-
tuel (C. E., 15 déc. 1950, R. J. D. A., 1951, 122, Dechief),
la réponse est négative pour un arrêté de nomination à une
fonction à laquelle Ie requérant n'est pas candidat.
lntérêt et droit sub jectif : La loi elle-même n'exige qu'un
intérêt pour fonder Ie recours en Conseil d'Etat. Cet inté-
rêt est entendu d'une façon très large. On en déduit que Ie
requérant n'a pas à j ustifier d'un véritable droit et qu'il
n'y a pas de droit subjcctif à la légalité. Cette théorie a été
discutéc aillcurs (n° ,t58).

B. LES DÉLAIS

1. Durée. ·

516. L'article 21 charge Ie Rai de fixer les délais de pre-


scription pour les actions, <lemandes et recours prévus aux
articles 7 et 9. Ces délais doivent être de 60 jours au moins.
Cettc durée est effectivement reprise par l'arrêté du Régent
<lu 23 août 1948, article 4.
Ce délai est augmenté de 30 jours en faveur de personnes
dcmeurant dans un pays d'Europe qui n'est pas limitrophe
de la Belgique et de 90 jours en faveur de ceux qui demeu-
rent hors d'Europe (arrêté du Régent du 23 août 1948,
article 89). Selon la règle normale, la computation se fait
de jour en jour, sans compter Ie dies a quo, mais en y cöm-
prenant Ie dies ad quem (arrêté du Régent du 23 août 1918,
art. 88).

N08 515 à 516


420 CHAPITRE XIII .. - LE CONSEIL D'ÉTAT

Une demande d'indemnité doit être adressée d'abord à


l'Administration active. L'Administration a 60 jours pour
statuer (n" 490). Si elle rejette totalement ou partiellement
la demande, Ie délai pour saisir Ie Conseil d'Etat est de
60 jours. Si elle néglige de statuer, l'intéressé dispose d'un
délai de trois ans.

2. Point de départ et terme.

a. - Demande en indemnité.
517. Le délai de 60 jours se calcule à <later du rejet et
celui de trois ans à <later de la demande qui a dû être
adressée à l' Administration.
Le Conseil d'Etat a décidé que l'article 1033 du Code
de procédure civile ne s'applique pas aux juridictions ad-
ministratives. A défaut de disposition expresse, Ie dies ad
quem, quand il est un jour férié, n'est pas reporté au plus
prochain jour ouvrable (arrêt Paulus). Cette règle vaut
:aussi pour les actions en annulation. Ceci paraît regret-
table. L'article 1033 du Code de procédure civile exprime
une règle de bon sens (cpr. Cass., 15 juin 1956, Pas., 1956,.
I, 1131).
b. - Action en annulation.
518. Le délai court à partir du jour ou l'acte a été soit
publié, soit notifié, ou bien encore est parvenu à la connais-
sance du requérant.
On tient d'abord compte de la publication lorsqu'elle est
imposée par la loi (Const., art. 129, pour les actes de l'Etat,
1 des provinces et des communes ayant une portée générale)
(n° 212).
t Selon l'article 6 de la loi du 18 avril 1898, les arrêtés
royaux qui n'intéressent pas la généralité des citoyens sont
publiés au moins par extraits mais ne deviennent obliga-
toires qu'au moment de la notification aux intéressés. Mal-
gré Ie cumul des formalités, seule la date de la notification
importe puisque Ie caractère obligatoire de l'acte dépend
de sa notifica tion.
Si la loi ne prévoit qu'un notification, Ie délai court à
partir du jour ou Ie requérant en aura connaissancc. Ceci
est une question de fait (arrêté du Régent du 23 août 1948,
art. 4; - C. E., 5 juill. 1949, R.J.D.A., 1949, 145, De Bruyn).

N08 516 à 518


SECTION III. - PROCÉDURE 421

Lorsque la loi n'impose aucune notification spéciale à


l'Etat et lorsque l'organe administratif comporte un com-
missaire du gouvernement, l'Etat est censé prévenu et Ie
délai court à partir du jour ou est prise la décision (C. E,,
9 févr. 1956, R. J. D. A., 1956, 249, Gutmacher).
Le délai ne court que si la publication, la notification ou
la connaissance de l'acte par les intéressés ont exactement
averti ces derniers du contenu de la mesure prise. Il n'en
sera pas ainsi si des mentions essentielles ne sont pas con-
formes à la réalité, sans que l'intéressé puisse s'apercevoir
de leur inexactitude (C. E., 26 juill. 1950, R. J. D. A., 1951.
21, Thibaut).
Il faut au surplus que l'acte lui-même soit complet et
définitif et que ce caractère définitif soit connu du requé-
rant. Cette condition n'est pas remplie si ce dernier con-
nait la décision de l'autorité subordonnée mais ignore que
l'approbation du pouvoir central, nécessaire pour lui don-
ner une force définitive, a été donnée (C. E., 25 avr. 1950,
R. J. D. A., 1950, 193, Van Copenolle; - C. E., 22 déc. 1950,
R. J. D. A., 1951, 124, Cheppe). Même solution en cas · de
suspension (C. E., 20 nov. 1950, R. J. D. A., 1951, 82, Pinte).
Contre un acte préparatoire, Ie recours peut dans cer- 1

tains cas, être introduit directement (n° 514), mais Ie délai


de prescription ne court qu'à partir de la décision défini- 1
tive (C. E., 14 juin 1956, R. J. D. A., 1957, 51, arrêt Longtain,
note Ligot et références). On doit en effet attendre si cette
dernière a bien été orientée dans Ie sens prévu.
Les décisions inexistantes, en principe, ne peuvent être
validées par aucun délai de prescription (n° 200).
Il faut rappeler enfin deux règles transitoires.
- L'arrêté du Régent du 23 août 1948, article 94, a fixé Ie
point de départ du délai au soixantième jour suivant l'en..:
trée en vigüeur totale de la loi créant Ie Conseil d'Etat (soit
Ie 22 octobre 1948) (C. E., 23 déc. 1949, R. J. D. A., 1950, 66.
Buttgenbach et Clemens).
- Les recours ne doivent pas reprendre les contesta-
tions antérieures à la promulgation de la loi. La portée de
cette disposition a donné lieu à une jurisprudence assPZ
abondante mais d'un intérêt périmé.

N08 518
422 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL o'ÉTAT

3. Interruption.

a. - Incapacité du requérant.
51'9. Les <lélais courent contre les mineurs. Ceux-ci peu-
vent être relevés de la déchéance par Ie Conseil d'Etat s'il
est établi que leur représentation n'était pas assurée avant
l'expiration des délais (Arr. Régent du 23 août 1948, art 90).

h. - Emploi des langues.


520. Les délais sont suspendus pendant la durée de l'in-
stance si la requêtc est nulle pour avoir été rédigée ou
n'avoir pas été rédigée dans la langue imposée par la loi
(Arr. Régent du 23 août 1948, art. 4 modifié).

c. - Les recours préalables.


521. Le bref <lélai est-il suspendu si l'intéressé introduit
ll ure cours préalable?
Recours au pouvoir judiciaire : La réponsc affirmative
est donnée par l'article 4 de l'arrêté du Régent du 23 août
1948 en ce qui concerne les demandes d'indemnité. Quant
anx actions en annulation, aucun recours n'existe <levant
les juri<lictions ordinaircs.
Recours légal à l' autorité administrative : Le recours
peut d'abord être organisé par la loi. Il interrompt dans
cc cas Ie délai. Il en est ainsi pour les demandes de dom-
mages-intérêts qui, on Ie sait, doivent être obligatoirement
adressées d'abord à l'autorité rcsponsable. Le délai ne
courra qu'après décision de celle-ci (arrêté du Régent du
2:3 août 1948, art. 4). Il en est de même pour certaines de-
mandes en annulation. Il faut noter Ie caractère essentie!
de cc recours administratif : l'autorité compétente est ohli-
gée de statuer. Mais peu importe si l'intéressé est tenu de
la saisir ou si ce recours préalable est pour lui facultatif
(C. E., Z7 juin 1952, R. J. D. A., 1953, 27, Sauvage). Le délai
est interrompu jusqu'au moment de la décision confirma-
tive. Si la décision est nouvelle, elle ouYre naturellement
un nouveau délaL
Recours gracieu:r : Celui-ci n'est pas expressément prévu
par la loi; c'est Ie particulier qui, spontanément, en appelle
à l'autorité supérieure. lei encore on admet l'interruption
à la condition que l'intéressé fasse état de moyens nou~

N 05 519 à 521
SECTION 111, - PROCÉDURE 423

veaux (C. E., 10 janv. 1952, R. J. D. A., 1952, 186, Timmer-


mans).
Ceci vaut pour Ie recours introduit <levant Ie supérieur
hiérarchique. Il ne faut pas décourager les intéressés qui
veulent utiliser cette voie moins spectaculaire et cependant
très efficace. L'interruption d'un délai très bref de 60 jours
est nécessaire pour les pousser à utiliser cette procédure
interne à l'Administration active.
Il en est de même si Ie recours est introduit <levant l'au-
torité de tutelle (C. E., 17 nov. 1950, R. J. D. A., 1951, 67,
Ressaix-Peronnes).
Les recours gracieux doivent être introduits avant l'ex-
piration du délai de 60 jours qu'il s'agit d'interrompre
(C. E., 9 déc. 1955, R. J. D. A., 1956, 171, Hauman).
La jurisprudence du Conseil d'Etat semble donner à cette
thèse une application restrictive : il faut que Ie recours
gracieux aboutisse en fait à une nouvelle décision - même
purement confirmative - ou qu'à tout Ie moins, l'autorité
saisie ait laissé croire à un nouvel examen et à une nou-
velle décision (dans Ligot, note sous C. E., 18 déc. 1958,
R. J. D. A., 1959, 40, Smet; - adde C. E., 27 févr. 1956,
R. .J. D. A., 1956, 276, Verrept).

4. Sanctions.
522. L'écoulement du délai prescrit la demande. On se
rappellera toutefois la distinction qui doit être faite entre
les actes réglementaires et les décisions d'application (n°
499) (C. E., 26 août 19,19, R. J. D. A., 1949, 190, Grimart),

C. PROCÉDURE

523. On nc donnera que des indications générales.


Le Conseil d'Etat est soumis aux principes qui sont appli-
eables à toutes les juridictions et qui ont été énoncés plus
haut. La procédure s'inspire de celle qui est suivie par les
cours et tribunaux (L., 23 déc. 1946, art. 21).
A défaut de loi en sens contraire, la preuve par présornp-
tions graves, précises et concordantes, prévue par l'article
1:H6 du Code civil, est recevable <levant les juridictions
administrativcs (C. E., 8 juin 1956, R. .J. D. A., 1957, 44,
Higotti).

N 08 521 à 523
424 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL D'ÉTAT

I. Procédure inquisitoriale.

524. La procédure est dirigée puisque l'idée de « conten-


tieux administratif » est liée à celle de l'intérêt général. Le
juge prend l'initiative des mesures d'instruction et procède
par ordonnances (articles 7, 9, 13, 15, 47). La procédure est
néanmoins contradictoire.

2. Procédure écrite.

a. - Requête.
525. L'instance est introduite par une requête.
La requête est signée, datée, affranchie d'un timbre fis-
cal et adressée sous pli recommandé au greffe du Conseil
d'Etat en un original et trois copies (plus une copie par
partie adverse). Les copies portent l'inscription « pour
copie conforme». A ces pièces est jointe la reproduction
de l'acte attaqué (A. Rég., 23 août 1948, art. 3). La requête
contient, avec l'identification de la partie requérante, celle
de la partie adverse (art. 2).
Les mentions sont substantielles. La sanction est l'excep-
tion obscuri libelli. Cependant, Ie Conseil d'Etat interprète
avec beaucoup de complaisance les requêtes. Il tient compte
de la volonté certaine des parties et redresse des inexacti-
tudes d'expression.
La requête noue Ie contrat judiciaire. Le requérant n'est
point recevable à donner ultérieurement, notamment dans
son mémoire en réplique, de nouveaux objets à son action.

b. - Des mémoires.
526. La procédure engagée par la requête se poursnit
par des échanges de mémoires et des documents justifica-
tifs. Le défendeur établit d'abord un mémoire en réponse,
auquel Ie requérant oppose un mémoire en réplique. Celui-
ci est remplacé par un mémoire ampliatif lorsqu'il n'y a
pas de mémoire en réponse. Enfin Ie requérant peut dé-
poser un dernier mémoire et la partie adverse a 15 jours
pour y répondre. Ainsi s'achèvent les« mesnres préalables »
(A. Rég., 23 août 1948, chap. II, section tre).
L'article 6 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 fixe les
délais qui ne sont pas sanctionnés de la nullité (C. E.,
25 avr. 1950, R. J. D. A., 1950, 194, Bunkering).

N08 524 à 526


SECTION III. - PROCÉDURE 425

c. - Exposé verba!.
527. Le principe de la procédure écrite n'empêche pas
les parties de présenter un exposé verbal Ie jour de l'au-
dience, mais elles ne peuvent développer des moyens qui
ne sont pas contenus dans la requête et les mémoires. Elles
peuvent se faire assister d'avocats.

d. - Régime Linguistique.
528. Il est fixé par les articles 26 (modifié) et 27.
Quant aux parties, il faut faire une distinction. Les per-
sonnes publiques doivent faire usage de la langue que leur
impose la loi du 28 juin 1932. Les personnes privées, y
compris les fonctionnaires, emploient la langue de leur
choix qui peut ne pas être celle de la procédure.
La sanction est la nullité. Toutefois, l'acte nul interrompt
les délais de prescription et les délais de procédure et les
suspend pendant la durée de l'instance.

3. Procédure sommaire.

529. Le législateur a eu Ie souci de simplifier la procé-


dure administrative.
a) Il n'y a pas d'avoué. La notification des pièces de
procédure, la communication des dossiers, se fait par Ie
greffe sans Ie concours d'huissiers.
b) On a déjà dit que Ie Conseil d'Etat interprète les
actes des parties en évitant de multiplier les causes de
nullité qui ne sont pas indispensables (C. E., 17 mars 1961,
R. J. D. A., 1961, 234, Revillon).
c) Il n'y a pas de ministère public. Les auditeurs accom-
plissent certains devoirs d'instruction sous la direction de
conseillers. Les parties ne sont pas tenues de se faire assis-
ter d'un avocat (L., 23 déc. 1946, art. 14).

4. Incidents.

530. La loi prévoit la possibilité de l'inscription de faux


(arrêté 23 août 1948, art. 51), de l'intervention (art. 52),
de la reprise d'instance (art. 55), du désistement (art. 59),
de la connexité (art. 60), de la récusation (art. 61).

N°" 527 à 530


426 CHAPITRE XIII. - LE CONSEIL n•ÉTAT

La solution de la contestation principale peut impliquer


!'examen de questions préalables. Parmi celles-ci on ap-
pelie qucstion préjudicielle, celle qni ratione materiae est
de la compétence d'une autre juridiction. Par exemple, la
Commission administrative saisie d'une demande d'allo-
cation sociale doit parfois déterminer d'abord la nationa-
lité, la situation de famille, la consistance du patrimoine
de l'intéressé. Quand ces données sont contestées, doivent-
elles être préjudiciellement soumises aux tribunaux ordi-
naires pour la raison qu'il s'agit de droits civils?
Une réponse affirmative peut se fonder sur deux textes
constitutionnels. D'abord d'une façon générale, c'est la loi
qui fixe la compétence des tribunaux; ceux-ci ne peuvent
en franchir les limites ( art. 8). Ens uite, les tribunaux admi-
nistratifs ne pourront trancher des questions préjudicielles
qui portent sur des droits civils (art. 92).
Dans l'autre sens, on peut faire invoquer un texte de loi
qui exprime un usage de bon sens. « Le juge de l'action est
Ic juge de l'exception ». Cette disposition de l'article 38 de
la loi du 25 mars 1876 s'appliquerait à tous les tribunaux
(C. E., 28 déc. 1960, R. J. D. A., 1961, 120, Bruxelloise d'Auto-
Transports, avis et rapport Van Assche; voyez les étudcs de
Melchior, R. J. D. A., 1956, I, Perin, J. T., 1951, 684).
Le Conseil d'Etat n'hésitc pas, par exemple, à constater
si la condition de nationalité, exigée par la loi pour accor-
der un droit administratif, est bien réalisée (C. E., 17 mars
1961, R. J. D. A., 1961, 232; -- Cass., 7 oct. 1842, Pas., 1842, I,
323, adde Cass., 2 juill. 1884, Pas., 1884, I 323, interprétation
de testament).

5. Audiences.
531. Les audiences sont puhliqucs.

6. Arrêt.

532. L'arrêt est motivé (Cont., art. 97, L., 23 déc. 1946,
art. 19) et rendu en séance publique. Il peut être prononcé
par défaut (A. Rég., 23 août 194S-; art. tn-;-
L'arrêt d'annulation met à néant la décision attaquée
avec effet rétroactif.
L' Administration ne pourrait prendre une nouvelle déci-

N 08 530 à 532

l
SECTION 111. - PROCÉDURE 427

sion dans Ie mêmc sens qui est limitée à la portée du


moyen qui a servi de base à l'annulation (C. E., 19 avr. 1956
R. J. D. A., 1957, 22, Beigler).
Comme Ic recours est objectif, il vaut erga omnes, c'est-
à-dire mêmc à l'égard de ceux qui n'étaient pas partie au
procès : si un règlement est annulé, il ne lie plus personne.
Que deviennent les actes juridiques qui ont été accom-
plis en vertu de la décision annulée? Le Conseil d'Elat
français ne les considère comme nuls que si leur relation
avec la décision est très étroite. Il ne faut pas troubler
inutilement la stabilité juridique.
Lorsquc l'acte entrepris est la décision d'une juridiction
administrative, Ie Conseil d'Etat est juge de cassation
(l'expression n'est pas dans la loi). Il ne connaît pas Ie fait
(cfr. n° 496) et sans annulcr, renvoie la cause <levant la
juridiction qui a rendu la première décision (A. Rég.,
23 août 1948 organisant la procédure). C'est la règle. Mais
la loi peut prévoir que cette juridiction sera autrement
composée (ex. : L., 15 mai 1954 sur la pension des victimes
civiles de la guerre) ou désigner une autre juridiction (ex.:
L., ter oct. 1947, art. 42 pour dommages de guerre). Voyez
aussi Ie n°

7. Voies de recours.
533. Il n'y a point d'appel. L'opposition n'est possible
que pour la partie adverse. La tierce opposition n'est rece-
vable que si Ie tiers n'a pas eu connaissance de l'action
(A. Rég., 23 août 19,18, art. 40 et suiv.).
Le recours en cassation n'est ouvert qu'au terme d'une
procédure de conflit (L., 23 déc. 1946, art. 20). Par exem-
ple, en matière de contcntieux de l'indemnité, Ie Conseil
d'Etat peut se déclarer incompétent ou au contraire rejeter
un déclinatoire de compétence pour Ie motif que la de-
mande rentre ou ne rentre pas dans les attributions des
autorités judiciaires. La Cour de cassation tranchera ce
conflit positif ou négatif (voyez la controverse De Visscher,
R. J. D. A., 1949, 6, et Van Bunnen, R. J. D. A., 1949, 173).
Même dans un procès en annulation, la Cour de cassation
peut intervenir, à vrai dire indirectement. En effet, l'annn-
lation demandée par Ie requérant peut viser un acte admi-
nistratif créant des droits civils et n'avoir d'autre justifi-
cation que la violation de ces droits civils (n° 474) (Cass.,

N 08 532 à 533
428 CHAPITRE XIII, - LE CONSEIL D'ÉTAT

11 janv. 1952, R. J. D. A., 1952, 58, arrêt S. N. C. F. B.,


contre Vandereyken, note De Visscher; - C. E., 11 juill.
1952, R. J. D. A., 1953, 51, Vandereyken; - Cass., 27 nov.
1952, R. J. D. A., 1953, 151, arrêts Versteele et Vrindt).
L'article 22 modifié prévoit la procédure en revision des
arrêts contradictoires rendus en application des articles 9
et 10, dans deux cas déterminés : D'abord l'arrêt a été
rendu sur pièces reconnues ou déclarées fausses; ensuite,
depuis l'arrêt, on a découvert des pièces décisives qui
avàient été celées par la partie demanderesse (sic., C. P.C.,
art. 480, 9'> et 1()<>). Le recours en revision est examiné en
assemblée générale, toutes chambres réunies).

N° 533
TABLE DES MATIÈRES
(les chiffres renvoient aux n°')

A Agent des personnes publiques :


218 et s., 225; - du concession-
naire : 220 ; • et droits subjectifs :
Abonné : S87 et s.; 456 (v tarif). 264 ets.: (v. aussi ce mot).
Abrogation d'un acte : 202 et s. Agréation : - pour un service pu-
Acquisition de biens : 297, 298. blic : 80 ; - d'entrepreneur : 856,
Acte administratif : 188 et s. ; • 372.
et Conseil d'Etat : 495 et s. Aisance de voirie : 324, 473.
Acte unilatéral : 189, 495 et s. Aliénation : - domaine public : 815
plurilatéral : 189, 496. et s. ; - domaine privé : 300.
apparent : 94. Alignement : 314, 324, 453.
condition : 216, Ancienneté : 253.
confirmatif : 499. Annulation : 197 ; - par autorité
conséquent : 12S. 499. 5S2. hiérarchique : 118; - tutélaire :
détachable : 119, S35, 351, 123; par Ie Conseil d'Etat : 493
354, S59, S60, 394, 497 et s. et s. ; - des arrêtés de suspension :
de gouvernement : 498. 123; - d'actes non approuvés :
--- inexistant : 94, 190, 199 et s., 124; - d'une adjudication : 860 ;
518. - d'une décision juridictionnelle :
--- juridictionnel : 4,61 : - carac- 496; - d'un acte matériel : 188.
téristiquc : 460 ; - et tutelle : Appel d'offres : 352.
119. Approbation : par l'autorité tuté-
juridique : 189; - (v. aussi : laire : 124 ; - de contrat : 842.
fait juridique). 343. 345, 355 ; - d'adjudication :
matériel : 188 ; - et tutelle : 357; - et Conseil d'Etat : 124.
119 ; - et Conseil d'Etat: 463. ; 496. 518.
- de Police : 408 et s. ; - espè- Armée : - Statut légal des officiers :
ces : 413; - sanctions : 418. 225 ; - responsabilité de l'Etat :
préparatoire : 208, 497, 514. 381, 384, 386, 387, 390; - et
récognitif : 499. droits politiques : 447, 448; -
réglementaire: (v. règlement). réquisition de la force armée :
d'union : 189, 335. 430; - état de guerre : 427.
Action in rem verso : 401 et s. Arrêté d'exécution organique et
- populaire : 453. 515, réglementaire : 480.
- possessoire : 313, 318, 330. Arrêté ministériel : - réglementaire:
Adjudication : 343, 345, 351 et s. ; 99 (v. aussi règlement); - d'orga-
- sur appel restreint: 356, 357, nisation intérieure : 99 (v. aussi
360; - provisoire : 357. mesure d'ordre intérieur).
Administrateur ,iuge : 466. Arrêté royal délibéré en Conseil
Administration. - Indépendance des ministres : 193, 214, 225.
constitutionnelle : 129 et s. ; Assistance publique et Conseil
415 ; - organisation : 137 et s. d'Etat : 492.
Administration personnalisée: 151. Association de droit public : 153
Affectation : - d'un agent : 273, (v. aussi 53, 75, 83); - d'intérêt
515 ; - domaine public : 306 public: 85.
et s. Association sans but lucratif : 153,
Affichage : 416. 85.
430 TABLE DES MATIÈRES

Attributions (agents) : 273, 274; - Comité du budget: 104.


Conseil d'Etat : 515. Comité supérieur de controle : 137.
Autorisation : - tutelle : 125 ; - de Commissaire du gouvernement :
voirie : 324 ; - et controle : 19 ; - 120 et s. ; 156, 165.
d'une entreprise : 80. . Commissaire spécial : 127.
Autorité administrative : 221 ; 211 ; Compétence : - définition : 88 et s. ;
- et Conseil d'Etat : 500 et s.; - - est d'attribution : 88, 100, 101,
et parastataux : JO; - v. aussi 109; - discrétionnaire : 90; -
organe. liée : 90, 452; - arbitraire : 90;
Avancement: - des agents: 249 ets. - et spécialité : 64, 89 ; - et
Avis : - motivé, publié, conforme : légalité : 90 ; - et finalité : 91 ; -
208 ; - précédant nomination : défaut de : 92 ; - apparente :
247 ; - et Conseil d'Etat : 479 94, 390b ; - et inexistence des
et s. ; - et tutelle : 126. actes : 200 et s. ; - et contrats :
343 ; - et responsabilité délic-
tuelle : 384 ; - convention sur :
B 346 ; - conflit de -, en matière
de police : 428 ; - entre adminis-
trations : 491 ; - juridictionnelle :
Bail : 294. 299 ; - et domaine pu- 473 et s. ; - du Conseil d'Etat :
blic: 320. 478 et s. ; - annulation pour in-
Barème : 256. 265 ets., 508. compétence : 503.
Biens (regime des) : 291 ets. Compromis : 346.
Bornage : 814 et s. Comptabilité des dépenses enga-
Bourgmestre : 221 ; - et police gées : 137; - parastataux : 158,
426 ; - et responsabilité délic- 168, 169. - dans les services à
tuelle : 390. statut spécial : 172.
Bourses d'études : 820. Concentration : (v. déconcentra-
Budget : - et personne publique pa- tion).
rastatale : 169, 170. Concession : 79 ; - comité mixte :
But de lucre et service public : 49. 84;
- sur Ie domaine public : 327,
367 ; - contrat de : 377 et s. ; -
C et droits subjectifs : 445, 450 ; -
et Conseil d'Etat : 492.
Concessionnaire et personnel : 220 ;
Cahier des charges : 349, 351, 373, - et usagers : 339 ; - et créanciers
880, saisissants : 379 ; - et biens :
Candidature politique (fonction- 187, 379; - et Conseil d'Etat :
naire) : 261. 500,
Capacité ; - et compétence : 88 ; - Concours de recrutement : 246 ; -
contractuelle : 342 ; - de jouïssan- pour avancement : 250 ; - et
ce : 842; - d'exercice : 848. Conseil d'Etat : 515,
Cassation administrative : 496, Concurrence et publicité : 350, 356,
532. Confiance légitime : 384; - v. aussi
Cause : - et contrat : 348 ; - et 94, 387, 390.
responsabilité : 385 ;. Confiscation : 298,
Censure : 91. 195, 416. Conscrit : v. Armée.
Chose jugée : 465, 468, 472, 532. Conseil des ministres : 137 ; - arrêté
Circulaire : 107; - et règlement délibéré : 193, 215.
107, 108, 110, 122, 514. Conseil de législation : 479 et s.
Clause compromissoire : 346. Conseil consultatif :_1a'7 ;_
Codification : 479. Conseil d'Etat : 478 et s.
Collaborateurs à un service public : Consentement : - acte juridique :
220, 361 et s., 372, 378. 192; - en matière de contrats :
Collège : 137 ; - et pouvoir hié- 344 ets.
rarchique : 117, 153, - et Conseil Constitution : (v. Droit constitu-
d'Etat : 512, 515. tionnel).
TABLE DES MATIÈRES 431

Constitutionnalité des lois : - con- l'Etat : 138 ; - au profit des or-


trole : 134. 482. ganes provinciaux et commu-
Contrat : - en général : 334 et s. ; naux : 145; - et administrations
- et acte plurilatéral : 189 ; - personnalisées : 161 ; - et unité
et règlement : 228, 336,; - d'ad- de l'Etat : 139,
hésion : 216; - et agents des Dédoublement fonctionnel : 54, 96,
services publics : 228 ; - théorie 390, 425, 426.
de la mutabilité du : 364 ; - Défense (v. Injonction).
d'entreprise : 371 et s. ; - d'em- Défense (droit de) : - et pouvoir dis-
prunt : 374 et s. ; - de conces- ciplinaire: 144,277; - en justice:
sion : 377 et s.; - et tutelle: 119; 467, 470; - en général : 505 ;.
- Conseil d'Etat: 496; - judiciaire Délais d'annulation (tutelle) : 122
(Conseil d'Etat) : 525; - sur la et s. ; - et inexistence des actes :
compétence : 346. 201 ; - pour Conseil d'Etat : 516
Contrat et règlement : 216, 336 ; - ets.
applications : 373, 376, 380. Délégation : 98 et s.; 218 (v. aussi
Contribuable : - droits subjectifs : déconcentration) ; - et unité de
448, 508. l'Etat : 139 ; - et organe : 88,
Controle : - du service public par 386 ; - du pouvoir d'organisation:
le gouvernement : 19; - judi- 34; - du pouvoir de tutelle: 147;
ciaire de la légalité : 134, 470. - du pouvoir de police : 425, 428,
475, 482, 505, 508 (v. constitu- 429.
tionnalité); - en matière de con- Démission : 280.
trat : 362 ; 372, - parlementaire : Déni de justice : 70, 470, 496 ; -
454, 225 ; - des faits : 188, 463. et pouvoir hiérarchique : 115 ;
Cooptation : 241. - et pouvoir de tutelle : 122.
Corps enseignant : 223 (v. profes- Département ministériel : 51, 130,
seur). 137.
Cour des Comptes : - et personnes Dépêches individuelles : 107. 499.
publiques parastatales : 171, 508. 510.
174, 54; - et Conseil d'Etat : Dépenses engagées : 135, 158.
500; - et contrat : 347, 349, 371, Déplacement : 275.
372, 374. Désaffection : - domaine public
Cour de cassation et Conseil d'Etat: 308 ets.
472. 533. Désinvestiture : 278 et s.
Coutume : 505. Détournement de pouvoir : 91, 92,
Cultes : 23, 65, 220. 195, 506; - et organes: 387,390;
Cumul d'indemnités : 392, 396. - et police : 416 ; - et Conseil
d'Etat : 506.
Devoirs ( des agents) : 257 et s.
Discipline: v. pouvoir disciplinaire.
D Disponibilité (mise en) : 273.
Dol : 192; - et retrait d'un acte :
205 ; - et contrat : 344, 34,5.
Domaine privé : 292 et s.
Débat contradictoire : 470, Domaine public : ;i01 J:1 s.
Décentralisation : 58 et s. ; 96 et Domicile : - inviolabilité : .411; -
s.; 145; - et unité de l'Etat: 147. de secours (Conseil d'Etat) : 492.
Décision exécutoire : 209 et s. ; Dommage : 382 ; - et Conseil
et compétence du Conseil d'Etat: d'Etat : 513 et s.
497 ; - rendue exécutoire : 209, , Dommages-intérêts : - et servitu-
480. . de : 321 ; - et permission de
Déconcentration : 58, 95, 96, 145 ; voirie : 330 ; - en matière de
et pouvoir hiérarchique : 96, responsabilité aquilienne : 392 ;
100, 115; - et pouvoir d'instruc- - avis du Conseil d'Etat : 487
tion: 109; - et pouvoir tutélaire: ets.
120 ; et pouvoir de police : 99, Droits acquis : - opposables à l'Ad-
'131, 424; - dans le cadre de ministration : 446, 453, 459 ; -
432 TABLE DES MATIÈRES

et jurisprudence : 473 ; - et sup- Droit du veto : - commissaire du


pression d'un acte administratif Gouvernement : 123,
unilatéral : 198, 205; - et con-
trole judiciaire : 473.
Droit administratif : - intérêt : 1 ; E
- définition : 2 ; - autonome et
exceptionnel: 10; et Droit privé: Ecole et domaine public : 304. 305.
178 et s.; voir aussi : 10, 180, Ecrit : - et contrat : 349 ; - et tutel-
184, 187, 293; - cfr. droit sub- le: 122.
jectif administratif. Egalité (règle de l') : 32, 71, 344; -
Droit constitutionnel : et Droit dans l'accès aux fonetions publi-
administratif : 10, 397; - créa- ques : 230 ; - <levant les charges :
tion des services publics : 23 ; 288 ; - et droit à des dommages-
- organisation des personnes intérêts : 393, 489 ; - et adjudi-
publiques : 61 ; - délégations : cation : 372 ; - et police : 411.
101; - indépendance de l'Admi- Egalité des parties litigantes: 467 ;.
nistration : 129 et s. ; - agents - Eglise et domaine public : 304. 305,
230, 260, 261 ; - et expropriation: 307.
298; - et fonction juridictionnel- Election (d'un agent): 240,
le : 471 ; - et droits subjectifs : Election communale et Conseil
440 et s., 473 et s. ; - et police : d'Etat : 492.
411, 415, - (v. aussi: serment); Eligibilité (des fonctionnaires) :
- constitutionnalité des lois ; sépa- 261.
ration des pouveirs. Empiètement (de compétence) :
Droit de controle et de direction 92 (v. aussi : 387, 390, et 503).
en matière de contrat : 362, 372. Emprise sur Ie domaine public :
331.
Droit privé : 178 et s. Emprunt (contrat d') : 374 (v.
Droit subjectif : - civil : 438. 444 ; aussi : 341),
- politique: 447 ets. ; - administra- Enrichissement sans cause : 401
tif : 450, 454 et s. ; - et fonction ets.
juridictionnelle : 463, 474; - et Entrée au service : 230 et s.
intérêt : 451, 454, 458. Entrepreneur : - agréation : 356 ; -
- à la création d'un service pu- privilèges : 372.
blic : 29, 132, 455 ; - à son fonc- Entreprise (contrat d') : 371 ets.
tionnement : 33. 71. 132, 456 et Entreprise privée : 37 ; - et privi-
s. ; - à sa suppression : 36 ; - et lèges : 187 ; - et servitudes d'uti-
dissolution d'une personne pu- lité publique : 317 ; - et procédés
blique : 73, 74; - à la prestation de Droit administratif : 363"
administrative : 456 ; - à la lé- 372 ; - et police : 409 et s. : -
galité : 320, adde : 456, 458 ; entreprises d'intérêt public : 85:
- à des dommages-intérêts : - et personne publique : 45 ;
459 ; - droits sociaux : 457. - et personne privée agréée : 80.
- et pouvoir d'organisation: 106; Equation financière (thforie de l') :
- d'instruction : 110; - discipli- 365, 398, adde 340.
naire : 114; - hiérarehique : 118, Erreur : 192; - et retrait d\m
- des agents : 245, 251, 267, 273, acte : 205 ; - v. aussi : acte appa-
274, 276, 277, 281, 508, 514; - rent.
des requis : 289 ; - des usagers Etablissement public : 85, 1~:'.è.
du domaine public : 322 et s. ; et s.
- des riverains des voies de com- Etablissement d'utilité publique :
munication : 324 ; - de permis- 152.
1
l-- sionpaire!i__ de _yoirie_ : 330. 334 ; Etat - est--Une -persmme puhlique :
- des usagers du service public : 51 ; - statut : 60, 128 et s. ; -
337 ; - des concessionnaires : 445, unité : 139, 147, 150, 160 et ,;.
450; - en matière d'adjudica- Etat de siège : 4,27.
tion : 359, 360 ; - des conscrits : Exécutir : - souveraineté de l'All-
448 ; - des contribuables : 448. ministration : 130.
TABLE DEs---JfATIÈRES 433

Evocation : 102, 115, 161. H


Examen: 246,250.
Excès de pouvoir : 506 et s. ; - et Hiérarchie des normes 215.
organes : 387, 390. , ..
Exécution forcée contre 1 Adm1ms- I
tration : 379, 294, 300, 367, 452,
456, 475. Illégalité : - controle : 134, 470,
Exécution d'office : 210, 362, 372, 482. 475; - d'un ordre : 118,
379, 414, 419. 384 · - (v. aussi droit subjectif).
Exécution parée : 210. . Impot' : - droits subjectifs : 448 ;
Expropriation : 298, 306 ; - qm Imprévision (théorie de l') : 366,
peut la faire : 294, 372! 379 i 371, 398.
- et affectation au domame pnvé Imputabilité : 188, 386, 387, 390,
et public : 298, 306. 391.
lnaliénabilité de la souveraineté
(règle de l') : 30. 505 ; - applica-
F tions : 216, 379.
Incompatibilité : 261.
Fait : v. acte matériel. lndisponibilité (domaine public) :
Fait juridique : 187, 387. 311 ets.
Faute : - délictuelle : 384, 393 ; - lnexistcnce des actes (théorie de
du fonctionnaire : 395. l') : 92. 94, 190, 199 et s., 518.
Fédéralisme : 58. Injonction impérative : 115, 456;
Femme (fonction publique) : 231. - judiciaire : 475; 456, 458, 475,
Finalité : 69, 91, 106, 195, 218, 476.
238; 249, 261, 293, 302, 361, In rem verso (action) : 401 et s.
416, 417, 504, 505. Inspection des finances : 104, 137;
Fonction : 98, 128; avant 154 - - dans les organismes parasta-
réglementaire : 131, 140, 154, taux: 159.
215 · - administrative : 132; 140; Instance (multiplicité) : 469,
- j~ridictionnelle (v. pouvoir). Instruction (pouvoir d') : 107 et s.
Fonctionnaire (v. agent). . ntercommunale mixte : 153 ;
Fonctionnaire de fait (théone du) : création : 53 ; - dissolution :
94, 290 (v. aussi: 201, 259, 503). 73, 83.
Fonctionnement permanent et. ré- Intérêt : - personnel et direct :
gulier (règle du) : 31 ; - apphca- 515 · - fonctionnel : 515, adde
tions : 93, 94, 258 et s., 361, 449; - moral : 515; - et droits
366, 505. subiectifs : 451. 454. 458,
Fonds d'Etat : 341. Intérêt général : 6, 11, 13; - et
Force majeure : 93, 94, 193, 503, tutelle : 122 et s.
504 ; - et adjudication : 360 ; - Interruption des délais (Conseil
(v. aussi état de nécessité). d'Etat) : 519.
Forfait : 347, 357, 371. InterYentionisme : 37.
Forme et acte administratif: 193; Investiture (v. nor"iÎnation) : - irn:-
- parallélisme des : 193; - et gulière 92 ; - plausibie : 94 ; -
contrat : 34.9 ; - controle du controle : 503.
Conseil d'Etat : 504.
Fouille ( entrepreneur de travaux
publics) : 372. J
.Juge : - responsabilité : 40J;
G - ie.déoendance : 466, 468, 469 ;
- et inmnovibilité : 469 ; - gou-
Gestion d'affaires : 404 et s. yernement des : 93, 482.
Gouvernement : - signification, 98. Juridiction : - fondement légal :
469,472; - règles d ,lrg,1nisation :
0

Grève (droit de) : 258, 287; - et


police : 415. 469 ; - de procédure : 470; ·
Grief (acte faisant) : 513. administratÎ\'e : 4ï5 et s.

_ __..........
434 TABLE DES MATIÈRES

L rarchique : 118. - et pouvoir dis-


ciplinaire : 277.
Mutabilité des contrats (théorie de
Langue (Conseil d'Etat) : 520, 528. la) : 364.
Légalité (règle de la) : 70. 90. 106.
110.114.129.130.131.132. 133.
135. 194. 215. 413. 423. 505. N
(v. aussi : controle); - tutelle :
122 ; - et droits subjectifs : 458 ; Nationalisation : 45.
- et juridictions : 470. Nationalité : - des agents : 233.
Législateur ; - responsabilité : 398 ; Nécessité (théorie de la) : 93, 201,
- et Conseil d'Etat : 500. 210, 503 (v. force majeure).
Lésion d'un droit : en matière de Nomination: 238 ets.; - anticipée.
responsabilité : 383, 384 ; - et hors-cadre, pour ordre, avec effet
Conseil d'Etat : 513 et s. rétroactif : 238, 239 ; - provinces
Liberté constitutionnelle : - et ser- et communes : i44 ; - parasta-
vices publics : 23, 45, 49 ; - et taux : 163. 166. ·244; et déléga-
personnes publiques : 56, 64 ; tion de pouvoirs : 98 et s.
- et fonctionnaires : 260 et s. ; Normes (hiérarchie des) : 215.
et requis : 283, 284, 287. - et Notaire : 297, 300.
police : 411, 415. Notification : - des décisions exècu-
Loi - matérielle et formelle : 70, toires : 212.
71 (cf. controle - et contrat - et délais devant Ie Conseil
343 ; - et juridictions : 496 ; - d'Etat : 518.
et police : 411, 415. Nullité d'un acte juridique : 196
Loi domaniale : 342, 343, 345. et s. (v. annulation).
Loi pénale : - et exécution d'office :
210; - et responsabilité : 390,
453, 473 ; - et juridiction : 473 ; 0
et fonctionnaire : 386,
Occupation temporaire (entrepre-
neur de travaux publics) : 372.
M Office : v. exécution d'-.
Ordre des avocats ; - des méde-
l\fandataire : - politique, provin- cins ; - des pharmaciens : 153 ;
cial et communal : 143 ; - public : - et Conseil d'Etat : 500,
221. Ordre public : 412,
l\larché de gré à gré: - pour l'Etat: Organe : - ou pouvoir : 128. 129 ;
342 ; - pour les communes : 343. - ou préposé : 221. 385 et s. ; -
Marché de travaux publics et de fonctions : 140. 154; - non-
fourniture : 371 ets. spécialisation des organes : 128.
Mémoire: - au Conseil d'Etat: 526. 476.
Mesures d'ordre intérieur : 106, 130, Organisation : v. pouvoir d'.
208, 272, 451 ; - controle du Con- Organisation des services et droits
seil d'Etat : 504. des agents : 272.
Mesures de police : 408 et s. (v.
acte de police). p
ê\Iinistère : 51, 130, 137.
Ministre : 221 ; - et pouvoir hiér-
archique : 117 ; - de tutelle- : Paiement par chèque postal : 368.
120 ; - et délégation : 98, 99. Parallélisme des formes : 193.
}Iinistre des Finances : 104 • Pati legem quem Jecisti : 71, 194,
.Motif : --a>-un acte administratif : 505.
193, 195, 504; - déterminant : Péage : 372. 379.
348. Peine : v. pouvoir disciplinaire.
Motivation : - des jugements : 470, Pension : 268 et s. ; - droits sociaux:
471 ; des arrêtés du Conseil 417,
d'Etat : 532; et pouvoir hié- Permission de voirie : 327 et s.
TABLE DES MATIÈRES 435

Personnalité juridique : 39, 40. Pouvoir tutélaire : v. 'l'utelle.


Personne privée - chargée d'un Préalable (privilège du) : 210 ; -
service public : 78 et s. ; 187; applications : 313, 362, 414;
collaborant à un service public : - et actes inexistants : 200, 201.
82 ; - d'intérêt public : 85, Préjudice (cfr. dommage).
Personne publique : 9. 42 et s. ; Préposé - et organe : 221, 385 et s.
- espèces : 51; - caractère politi- Prescription ; - contrats : 369 ; -
que : 52 ; - indépendance : 54 ; emprunts : 375.
- distinction entre personnes ter- Présentation avant nomination :
ritoriales et personnes parasta- 163,247.
tales : 52 ; - création : 53 ; - mul- Prestations personnelles des pro-
tiplication : 55. priétaires : 317. 324,
Personne publique parastatale : Principes généraux du Droit (théo-
52, 148 et s. - droit applicable : rie des) : 505 ; - et promotion :
184 ; - et Cour des comptes : 171 255 ; - et peine disciplinaire :
et Conseil d'Etat : 500. 114; - et juridiction : 470.
Personne publique territoriale : 52. Prioritaire : 248.
141 ets. Privilège : v. exécution d'office;
- droit applicable : 180 et s. - v. aussi : préalable).
Police : 6. 37 ; - compétence auto- Professeur : 223, 234, 246 ; - et
nome de l'Exécutif : 131 ; - et pouvoir d'instrnction: 109; - et
déconcentration : 131 ; - actes pouvoir hiérarchique : 117.
de : 408 et s. ; - forces de : 420 ; - P1·omotion (v. avancement).
- autorités de : 422. Promulgation (décisions exécu-
- judiciaire : 421 ; - adminis- toires) : 212.
trative : 421. Proprcs (pouvoirs) : 101.
Pouvoir : - et organe : 128. Propriété privée : - et police : 411,
- lié, discrétionnaire et arbitraire: 415, 436 ; - droits subjectifs :
90 ; - et faute : 384 ; - et droits 453, 459 ; - et protection judi-
subjcctifs : 451, 452, 462 ; ciaire : 473; - v. aussi : expro-
- pouvoirs spéciaux : 101; - pro- priation.
pres : 101. Publication : - des décisions exécu-
- v. aussi : excès, détournement, toires : 212, 217 - des vacances
séparation. d'emploi : 230, 255 ; - et délais
Pouvoir disciplinaire : 111 et s. ; - devant Ie Conseil d'Etat : 518.
et parastataux : 163; - et droits Publicité et concurrence (règle de
subjectifs des agents : 277. la) : 350.
Pouvoir hiérarchique : 115 et s., Publicité : - d'une adjudication
- et déconcentration : 96, 100, publique : 356 ; - et vacance
115; - et administration person- d'emploi: 255; - d'une servitude
nalisée : 161; - et collège : 117, d'utilité publique: 319, 350, 356,
153. 359 ; - des avis du Conseil d'Etat :
- et association de Droit public : 483, 486, 490; - de ses arrêts :
117, 153. 532 ; - des audiences et juge-
- et droits subjectifs : 118, 276. ments : 470. 471. 531, 532 ; - du
- v. aussi : recours. prononcé des arrêts : 532 ; Puis-
Pouvoir d'instruction : 107 et s., sance publique : 5, 43, 47, 51, 64,
- et déconcentration : 109; - 140, 221, 379, 473.
et droits subjectifs : 110, 276.
Pouvoir juridictionnel : 133, 140,
461 et s. - v. aussi : recours. 0
Pouvoir d'organisation : 103 et s; Question préjudicielle : 532.
- et indépendance de l'Exécutif :
130, 137. R
Pouvoir réglementaire : 98 et s. ;
- 212 ets.; - de l'Administration: Recevabilité (Conseil Etat) 511
131 ; - fonction réglementaire et ets.
fonction de police : 131, 140. Recommandation : 209.
436 TABLE DES MATIÈRES

Recours : - gracieux ou légal : 454 ; - matière de police : 130. 422; -


- 510, 521 ; - et pouvoir hiérarchi- et tutelle. 147.
que : 118, 510; - et tutelle : 122.
123, 127 ; - parallèle : 507 et s. ;
- préalable : 521. s
Recrutement (v. nomination).
Récusation : 470. Saisie : v. exécution forcée.
Redevance (Concession sur Ie do- Saisine : 470. 481 ; - et pouvoir de
maine public) : 329, 333; - v. tutelle : 122, 4°.
péage. Salubrité : 412.
Référés (en Conseil d'Etat) : 360. Sécurité : 412.
Réformation : - par l'autorité hiér- Séparation des pouvoirs (théorie
archique : 115, 118; - par l'au- de la) : 129, 140, 225, - et respon-
torité de tutelle : 127 ; par Con- sabilité : 473 ; et controle judi-
seil d'Etat : 392 ; - et admi- ciaire : v. injonction.
nistrations personnalisées : 161; Serment constitutionnel : 236. 260.
- et actes administratifs unila- Service d'administration générale :
téraux : 197. 104. 137.
Refus de l' Administration : 496, Service extérieur : 137,
456, 122, n° 5. Service fait et accepté (règle du)
Régie : 82 et s. (v. administration 372.
personnalisée : 151; - provin- Service industrie} : - ses usagers :
ciale et communale: 172). 338.
Règlement : compétence légale et Service militaire : v. Armée.
autonome de l' Administration : Service public : 15 et s. - impor-
131 ; - théorie 212 et s. ; - et tance : 5, 19 ; - et esprit de lucre :
circulaire : 107, 108, 110; - et 49. - création : 22 et s. ; - pro-
acte individuel conséquent : 123, gressive : 28 ; - temporaire :
499, 522 ; - et contrat : 216, 336; 36 ; - suppression : 34 et s. ; -
- et tutelle 122 : - et compétence fonctionnement : 132. - centra-
du Conseil d'Etat ; 496, 499. lisé à statut spécial : 172 ; - et
Réhabilitation : 400. droits subjectifs à la création :
Requête <levant le Conseil d'Etat : 28. 132. - au fonctionnement :
525. 33, 73, 132, 456 et s. - en cas
Hequis : 283 et s. de suppression : 36.
Réquisition : 283 et s. ; de l'armée. Servitude d'utilité publique : 317
430. et s. ; et contrats : 363, 372. 379.
Responsabilité : - de l' Administra- Siège (permanence) ; 469.
tion : 381 et s. ; - du fait des Silence de l'Administration : 456,
choses : 391 - des comptables 496.
publics : 397 ; - du législateur : Solidarité sociale : 17. ch.
398 ; - des fonctionnaires : 394 Souscripteur de fonds d'Etat: 841.
et s. ; - des juges : 400 et s. Spécialité (règle de la ): 64 et s.,
Retard dans avancement : 249. 89; - applications : 89. 191, 505;
Retrait d'un acte administratif - v. organe.
unilatéral : 205 et s. ; - suspendu : Stationnement : 327.
123; - d'une agréation : 80. 113; Subvention : 411.
- d'un acte non approuvé-: 124; Suspension d'une décision : - par
- par pouvoir hiérarchique : 115. l'autorité tutélaire : 123.
118 ; - par l'autorité disciplinaire: - et recours devant Ie Conseil
114. d'Etat : 123.
Retrait d'une mesure disciplinaire,
-11, -114,----205; - d'une permis-
sion de voirie : 330; - d'une T
concession : 380.
Rétroactivité : - de l'annulation : Tarif : - majoration : 340, 380.
198 : - et retrait 207. Tirage au sort : 242.
Roi : - pouvoirs : 131. 138, 139 ; Titre honorifique : 271.
TABLE DES MATIÈRES 437

Traitement : 265 et s., 270, 288; s. ; - et contrat de concession


- adde 499, 508, 380.
Tranquillité : 412. Usurpation : 92. 503,
Tutelle : 119 et s.; - délégation :
101; - délai : 122, 156, 165; -·
sur les personnes publiques ter- V
ritoriales : 147,; - parastatales :
165 et s., 156.
Veto du gouverneur: 123.
Vie privée des fonctionnaires : 11.
u 262. 390.
Violence : 192,
Uniforme : 271. Voie de fait: 188. V. acte matériel.
Urgence de l'arrêté et avis du Voie de recours (Conseil d'Etat) :
Conseil d'Etat : 480. 533.
Usage et controle du Conseil d'Etat Voirie : 304 et s.; - droits subjec-
505, tifs : 324 ; - et responsal:>ilité
Usager du service public : 337 et délictuelle : 384.
s. ; - du domaine public : 322 et - d'un commissaire : 156.
TABLE DES CHAPITRES

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
NOTION DU DROIT ADMINISTRATIF

A. NoTION • • • • • • • • • • • • • 9
B. DROIT OBJECTIF ET DROIT SUBJECTIF 15
C. DIVISION DE L'EXPOSÉ • • • • • • 16 •
TITRE PREMIER
S1'RUC'rURE DE L'ADMINISTRATION

CHAPITRE PREMIER. - LE SERVICE PUBLIC 19


Section première. - Notion . . . . . . 19
A. DÉFINITION • • • • • • • • • • 19
B. IMPORTANCE DE LA NOTION DE SERVICE PUBLIC 22

Section Il. - Création . . . . . . 23


A. SERVICES PUBLICS NATIONAUX 23 ,
B. SERVICES PUBLICS RÉGIONAUX 24
C. SERVICES PUBLICS DÉCENTRALISÉS 25
D. CRÉATION PROGRESSIVE 25
E. DROITS SUBJECTIFS • • • 25

Section III. - Fonctionnement 26


A. lNALIÉNABILITÉ DE LA SOUVERAINETÉ . 26
B. FONCTIONNEMENT PERMANENT ET RÉGULIER 26
C. EGALITÉ DES BELGES DEVANT LES SERVICES PUBLICS 27
D. DROITS SUBJECTIFS • 27

Section IV. - Suppression 28


A. AUTORITÉS COMPÉTENTES 28
B. DISPARITION DE FAIT 28
C. DROITS SUBJECTIFS • • • 29

Section V. - Les entreprises privées 29

... ..J
440 TABLE DES CHAPITRES

CHAPITRE Il. - LES PERSONNES PUBLIQUES 31

Section première. - Notion . 31


A. PERSONNIFICATION • • 31
B. LA PERSONNE PUBLIQUE 32
C. !MPORTANCE DE LA NOTION. 37
D. ESPÈCES DE PERSONNES PUBLIQUES 37

Section II. - Création et organisation. 39


A. AUTORITÉS COMPÉTENTES POUR LA CRÉATION 39
B. fNDÉPENDANCE DES PERSONNES PUBLIQUES. 40
C. AVANTAGES DE LA MULTIPLICATION • • 41
D. LIMITE DE CETTE MULTIPLICATION. • • • • 42
E. MULTIPLICATION ET DÉCENTRALISATION • • 43
',F. AUTORITÉS COMPÉTENTES POUR FIXER LE STATUT DES

• PERSONNES PUBLIQUES. • • • • • • • •

Section III. - Règles générales de fonetionnement.


44

46
A. RÈGLE DE LA SPÉCIALITÉ 46
B. RÈGLE DE LA FINALITÉ 48
C. RÈGLE DE LA LÉGALITÉ 49

Section IV. - Suppressüm 51


A. FIN 51
B. DROITS SUBJECTIFS • 52
C. DÉVOLUTION DU PATRIMOINE 52

Section V. - Les personnes privées .,,,.. 54


A. PERSONNES PRIVÉES CHARGÉES D'UN SERVICE PUBLIC 55
B. PERSONNES PRIVÉES COLLABORANT A UN SERVICE PUBLIC. 57
C. PERSONNES PRIVÉES D'INTÉRÊT PUBLIC 60

CHAPITRE III. - COMPÉTENCE ET POUVOIRS 65


Section première. - La compétence 65
A. NOTION • • • • • • • • • 65
B. LE DÉFAUT DE COMPÉTENCE 68
C. ÛRGANISATION DE LA COMPÉTENCE 71

Section II. - Coordination des autorités compétentes 79


A. PouvoIR D'ORGANISATION 80
B. PovvoIR n'D.S'l'RUCTION 82
C. Pouvorn DISCIPLINAIRE 84
D. Pouvorn HIÉRARCHIQUE 87
E. Pouvorn TUTÉLAIRE • • 91
TABLE DES CHAPITRES 441

CHAPITRE IV. - STATUT DES DIFFÉRENTES PERS0NNES PUBLI·


QUES 107

Section première. - Etat . . 107


A. ÛRGANES ET F0NCTIONS 107
B. ÛRGANISATION GÉNÉRALE DE L'ADMINISTRATION 112

Section ll. - Personnes publiques territoriales . 118


A. ÛRGANES ET F0NCTIONS • 118
B. ÛRGANISATION GÉNÉRALE • • • • • • • 115

Section 111. - Personnes publiques parastatales 120


A. ESPÈCES DE PERS0NNES PUBLIQUES PARASTATALES 120
B. ÛRGANES ET F0NCTIONS • 126
C. ÜRGANISATION GÉNÉRALE • • • . • • • • • • • 129

Section IV. - Services publics centralisés à statut spécial 135


A. NOTION • • • 185
B. ÛRGANISATION • • • • • • , • • • • • • • • • • 137

TITRE II
L'ACTIVITÉ DE L'ADMINISTRATION

CHAPITRE V. - LES M0YENS D'ACTION EN GÉNÉRAL • 141

Section première. - Droit administratif et Droit privé 142


A. CONCURRENCE DU OROIT ADMINISTRATIF ET DU OROIT
PRIVÉ • • • • • • • • • • • , • • • , • , • • • • 142
B. SPHÈRE D'APPLICATION DU OROIT ADMINISTRATIF ET DU
OROIT PRIVÉ AUX PERS0NNES PUBLIQUES • 148

Section ll. - Les actes administratifs. - Généralités 145


A. ACTES MATÉRIELS. 146
B. ACTES JURIDIQUES • • • • . • , •• 147
Section 111. - Acte administratif unilatéral 148
A. DÉFINITION • • • • • • 148
B. CONDITIONS DE V ALIDITÉ 149
C. NULLITÉ 152 •
D. ABROGATION • 155
E. RETRAIT 156
Section IV. - Décision exécutoire et acte préparatoire 157
A. ACTE PRÉPARATOIRE 157
B. OÉCISION EXÉCUTOIRE • • • • • • • • • , 159
C. ENTRÉE EN VIGUEUR DES DÉCISIONS EXÉ:CUTOIRES 162
442 TABLE DES CHAPITRES

Section V. - Les actes réglementaires . 168


A. DÉFINITION • • • • • • 168
B. CARACTÉRISTIQUES • • • 164
C. CONDITIONS DE V ALIDITÉ 164
D. EFFETS •••••• 165
E. ENTRÉE EN VIGUEUR • • 168

CHAPITRE VI. - LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS 169

Section première. - Notion de l'agent public . . 171


A. 0ÉFINITION DE L'AGENT PUBLIC • • • • • 171
B. LE STATUT JURIDIQUE DE L' AGENT PUBLIC
x_ Section II. - Entrée au service
A. RÈGLES CONSTITUTIONNELLES ET FONDAMENTALES
·-
174

181
182
B. MODALITÉS DE L'INVESTITURE • • • • • 185
C. AUTORITÉ COMPÉTENTE • • • • • • • • 186
D. COMPÉTENCE LIÉE ET DROITS SUBJECTIFS. 188

Section 111. - Avancement . . . . 190


A. RÈGLES FONDAMENTALES 190
B. MODALITÉS DE L'AVANCEMENT 191
C. COMPÉTENCE LIÉE ET DROITS SUBJECTIFS. 191

Section IV. - Devoirs des agents de 'services publics . I 98


A. DEVOIRS DÉCOULANT DE LA NÉCESSITÉ D'UN FONCTION-
NEMENT PERMANENT DU SERVICE PUBLIC • 194
B. 0EVOIRS RÉSULTANT DE LA NÉCESSITÉ DU FONCT,IONNE·
MENT RÉGULIER DU SERVICE PUBLIC 195
Section V. - Droits des agents publics 199
A. AVANTAGES 1''INANCIERS 200
B. AUTRES DROITS 208

Section Vl. - Sortie du service 206


A. PRINCIPES • • . • . • • 206
B. MODALITÉS DE LA DÉSINVESTITURE 207
C. 0ROITS SUBJECTIFS • • • • : 208
Section VII. - Collaborationforcée. 209
A. LES REQUIS • • • • • • • • 209
B. LES FONCTJONNAIREe DE FAIT 212

CHAPITRE VII. - LES BIENS. - DOMAINE PUBLIC ET DOMAINE


P:itIVÉ • • • • • • . • • • • • • • 218

Section première. - Domaine privé . 214


A. NOTION • • • • • • • 214
B. MODES D'ACQUISITION • • • • 216
TABLE DES CHAPITRES 443

C. GESTION 218
D. ALIÉNATION 219

Section II. - Domaine public 219


A. NOTION • • • • • • • 219
B. INCORPORATION AU DOMAINE PUBLIC. L'AFFECTATION 225
C. SORTIE DU DOMAINE PUBLIC: DÉSAFFECTATION 227
D. RÉGIME • • . • • • • • • • • . • 229

Section III. - Servitudes d'utilité publique 288


A. NOTION • • • 284
B. AFFECTATION. • . 285
C. RÉGIME • • • • • 286
D. DROITS SUB,JECTIFS 286

Section IV. - Usager du domaine public 288


A. USAGE COLLECTIF 289
B. USAGE PRIVATIF • • • • 242

CHAPITRE VIII. - LES CONTRATS 247

Section première. - Notion ,du contrat. 247


A. LE CONTRAT • • • • • • 247
B. CONTRAT OU RÈGLEMENT 248

Section II. - Régime des contrats en général 254


A. CONCLUSION DES CONTRATS. • • 254
B. PROCÉDURE DE L'ADJUDICATION 261
C. ExÉCUTION DES CONTRATS • • • 272
Section III. - Règles applicables à certains contrats 277
A. MARCHÉS DE TRAVAUX PUBLICS ET FOURNITURES 277
B. CONTRAT D'EMPRUNT • • 279
C. CONTRAT DE CONCESSION. . . • • • • . • • 280

CHAPITRE IX. - ÜBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES 287

Section première. - Responsabilité de l' Administration 287


A. LE PRINCIPE • • • • • • • • • • 287
B. CONDITIONS DE LA RESPONSABILITÉ • • • • • • 289
C. CONDITIONS DE L'IMPUTABILITÉ 296
D. RESPONSABILITÉ INDIRECTE DU PAIT DES CHOSES 308
E. ETENDUE DE LA RÉPARATION • • • • • • • 309
F. RÉGIMES ADMINISTRATIFS DE RESPONSABILITÉ 310

Scction II. - Responsabilité personnelle des fonctionnaires 311


A. PRINCIPE • • • • • • • • . • • • . . • • 311
B. CONDITIONS DE LA RESPONSABILITÉ • . • • . 312
C. RÉGIMES ADMINISTRATIFS DE RESPONSABILITÉ 314

<
444 TABLE DES CHAPITRES

Section III. - Responsabilité de l'Etat législateur et juge 315,


A. RESPONSABILITÉ DES D0MMAGES CAUSÉS PAR UNE LOI • 815
B. RESPONSABILITÉ DU D0MMAGE CAUSÉ PAR LE F0NCTION-
NEMENT DE LA JUSTICE • • , • • 317
Section IV. - Quasi-contrats et quasi-délits 817
A. ENRICHISSEMENT SANS CAUSE. 817
B. GESTION D'AFFAIRES 819

CHAPITllE X. - LA P0LICE . 321


Section première. - Actes ou mesures de police . 321
A. MESURE DE P0LICE AU SENS LARGE • • 321
B. MESURE DE P0LICE AU SENS RESTREINT 326
Section ll. - Les forces de police. 331
A. LES F0RCES DE P0LICE 331
B. AUTORITÉS DE P0LICE • • • 381

TITRE 111
PROBLEMES JURIDICTIONNELS

CHAPITRE XI. - LES DROITS SUBJECTIFS • • • • • 339·


Section première. - Droits subjectifs du particulier 389
A. GÉNÉRALITÉS • • • • • • • • 340
B. INTÉRÊT D'UNE CLASSIFICATION 341
C. CRITÈRES • . • • • • • 342 • /
/~
Section ll. - Critère organique 342'
A. EXPOSÉ • • • • • • 342
B. MÉRITES DU CRITÈRE 343
C. CRITIQUES • • • • • 345

Section 111. - Le critère matériel 349


A. DROITS SUBJECTIFS CIVILS • 349
B. DROITS SUBJECTIFS P0LITIQUES 352 îi
C. DROITS SUBJECTIFS ADMINISTRATIFS 355

Section IV. - Droits subjectifs administratifs 360 l


A. DROIT SUBJECTIF A LA PRESTATION ADMINISTRATIVE 360
B. DROIT SUBJECTIF A LA LÉGALITÉ 366
C. RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE 366

CHAPITRE XII. - LES JURIDICTIONS • 369


-----------

·· · - · Secti~-première. - Nature de la ]onction juridictionnelle 870


A. DÉFINITION • • • • • 370
B. CoNSÉQUENCES 376
C. LE PROBLÈME PRATIQUE 382
TABl,E DES CHAPITRES 445
Section II. - Règles de compétence • . . . . 383
A. LES TRIBUNAUX DE L'ORDRE JUDICIAIRE • 383.
B. LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES s'88

CHAPITRE XIII. - LE CoNSEIL o'ETAT. 391 •


Section première. - Compétence . . . 391
A. COMPÉTENCE D'AVIS • • • • • 391)<
B. COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE 396
Section ll. - Etude particulière du recours pour excès de pou-
voir devant le Conseil d' Etat . . . . . . . . 398
A. ACTES D'UNE AU'TORITÉ ADMINISTRATIVE 398
B. ÛUVERTURES DE RECOURS 404
C. RECOURS PARALLÈLES • 411

Section III. - Procédure 415


A. RECEV ABILITÉ 415
B. LES DÉLAIS 419
C. PROCÉDURE 423
7'able des matières 429
l'imprimerie PUVREZ

69, avenue Fonsny


Bruxelles

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