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INTRODUCTION GENERALE

Administration et droit administratif

L’objet du droit administratif est l’administration, c’est-à-dire l’administration de l’Etat et des


autres personnes publiques (collectivités territoriales, établissements publics).

Le droit administratif est conçu de prime abord comme la branche du droit public qui régit
l’organisation et l’activité de l’administration, ses rapports avec les particuliers qui sont sa
raison d’être et dont elle tend à satisfaire les besoins par l’exercice d’activités d’intérêt général
ou, plus précisément, par des activités de service public.

Il constitue un droit spécial.

SECTION I : L’administration : objet du droit administratif

Le droit administratif s’applique à un certain objet qu’est une partie de l’administration.

§.1. La vocation et la fonction historique du droit administratif

Dans son acception la plus large et la plus immédiate, le droit administratif est l’ensemble des
règles définissant les droits et obligations de l’Administration c’est-à-dire du gouvernement et
de l’appareil administratif.

Comme le note P. Weil, « il régit l’un des trois pouvoirs de l’Etat et le plus puissant des trois
pouvoirs : ce trait fondamental qui tient à ses bases constitutionnelles (Vedel) ne doit jamais
être négligé ».

L’étude du droit administratif prolonge très directement celle du droit constitutionnel.

C’est encore l’Etat, ses pouvoirs, son organisation, ses limitations et ses rapports avec les
citoyens qui fournissent le cadre et qui dominent la problématique générale du droit
administratif. Le droit administratif est un droit d’Etat.

C’est plus précisément l’action publique quotidienne qui est au centre des préoccupations du
droit administratif. Ce qui l’intéresse, c’est la gestion des services publics, la manière dont la
société est gérée par les autorités publiques, ainsi que les différentes interventions
économiques et sociales de l’Etat réalisées justement dans le cadre de l’¨administration¨ ; de ce
point de vue, il apparaît comme le droit public ¨de tous les jours¨.

L’objet du droit administratif est constitué par le pouvoir exécutif, à la fois dans ce qu’il est et
dans ce qu’il fait.

De ce point de vue il prolonge donc et complète l’étude du droit constitutionnel. Certes, cette
approche doit immédiatement être assortie de nuances.

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L’expression même de ¨pouvoir exécutif¨ est devenue ambiguë compte tenu de son rôle accru,
spécialement depuis 1958.

Surtout, il apparaît que le domaine du droit administratif et le domaine du pouvoir exécutif ne


coïncident pas parfaitement : le droit administratif ne régit pas toujours seulement ce qui
relève du pouvoir exécutif (cas de certaines activités de ¨service public¨ réalisées par des
institutions de droit privé).

Dans la pratique, le champ d’application du droit administratif dépend ainsi fréquemment de


critères ¨matériels¨ tirés des caractères des activités mêmes qui sont en cause.

Il reste que le ¨pouvoir exécutif¨ fournit l’objet et le centre d’intérêt premier du droit
administratif. Le droit administratif le régit le plus souvent, et même s’il ne le régit pas
toujours, il s’y intéresse toujours ; tout ce qui relève du pouvoir exécutif a au moins vocation à
relever aussi du droit administratif.

Au regard de cet objet, il ressort, alors, que l’enjeu du droit administratif est tout à fait
considérable, et sans doute aussi essentiel que celui du droit constitutionnel. C’est des rapports
quotidiens entre l’Etat et les individus qu’il est ici question : la démocratie ne doit pas être
seulement ¨politique¨ mais également ¨administrative¨. Un ¨bon¨ Etat a besoin d’un ¨bon¨ droit
administratif.

L’importance et l’enjeu du droit administratif apparaissent alors, d’emblée, très


considérables. Les activités de l’administration sont de plus en plus nombreuses, à
l’image et en corollaire de l’extension des missions de l’Etat en général.
L’administration est partout ; et nous sommes tous, chaque jour, des ¨administrés¨. Il
apparaît également que les pouvoirs de l’administration sont très grands. Les termes
¨exécutif¨ et d’ ¨administration¨, évocateurs de simple gestion et mise en œuvre ne
doivent pas faire illusion. C’est elle qui agit, décide, accorde ou refuse ; ses compétences
normatives en font bien souvent la rivale du législateur et spécialement depuis 1958
l’Exécutif a dans de nombreux domaines pouvoir d’intervenir sans qu’une ¨loi¨ fonde son
action (pouvoir réglementaire autonome). L’administration est présente, elle est
agissante, elle est puissante.
Il faut donc un droit administratif. Et il faut un bon droit administratif. C’est une
exigence de rationalité. C’est aussi une exigence de démocratie : la démocratie ne doit
pas seulement concerner le mode de dévolution de pouvoir et de désignation des
gouvernants ; il faut aussi qu’elle concerne le mode d’exercice du pouvoir et donc la vie
administrative. Quand il devient ¨administré¨ l’individu ne devrait pas cesser d’être
citoyen. A l’administration il faut des règles, des limites, des contrôles.
L’histoire nous montre qu’avoir un tel droit administratif, c’est difficile, mais c’est
possible.

§.2. L’administration

L’administration publique a deux (02) sens :

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- un sens fonctionnel : c’est l’ensemble des fonctions exercées par les organes administratifs,
ordonnées à une fin spécifique : le maintien de la cohésion du système social et la régulation
des conditions de sa reproduction.

- un sens organique : l’administration est un ensemble d’institutions ordonnées autour du


gouvernement et des collectivités décentralisées, chargées de réaliser les tâches du
gouvernement et de ces collectivités.

La notion d’administration est en droit français l’objet de nombreuses controverses doctrinales


ayant certaines incidences pratiques. On ne les exposera pas ici mais on essaiera de mettre en
lumière certaines données qui ne vont pas sans quelques incertitudes.

L’une des difficultés qui s’attachent à la définition de la notion d’administration est que celle-
ci peut s’entendre en deux (02) sens dans le langage courant comme dans la langue juridique.

A- Le critère matériel

L’administration peut être entendue au sens « matériel » comme une activité (par exemple :
l’administration de la Commune est confiée au maire et au conseil municipal).

Au sens matériel, c’est une activité. « La fonction administrative, écrivait le doyen Hauriou, a
pour objet de pourvoir par des actes et par des opérations à la fois juridiques et techniques à la
satisfaction des besoins publics et à la gestion des services publics ». (Précis de droit
administratif, 8ème édition, p.9). Le contenu de cette fonction administrative donne lieu, au
demeurant, à des incertitudes et controverses (cf. par exemple Carré de Malberg,
« Contribution à la théorie générale de l’Etat », Tome 1 p. 464 et ss.

L’expression ¨administration¨ désigne une certaine activité. Le droit privé s’en sert pour
désigner l’activité d’une personne relative à des biens qui ne lui appartiennent pas. Pour le
droit public, en revanche, la fonction administrative est une activité spéciale de l’Etat et des
autres collectivités publiques (Régions, départements, communes, établissements publics)
ayant pour but la réalisation de leurs tâches : ainsi à la différence de l’administration privée,
l’administration publique s’occupe de ses propres affaires (E. Forstthoff : traité du droit
administratif Allemand trad. Fromont, Bruxelles, 1969-37).

En ce qui concerne plus spécialement l’Etat, étant donné qu’il assume d’autres fonctions
(législative et judiciaire) il est indispensable de préciser les caractères spécifiques de la
fonction administrative et de la distinguer de deux autres fonctions de l’Etat. Il faut analyser le
contenu de cette fonction et non pas seulement ses formes organiques institutionnelles.

La constitution détermine donc, en fonction des conceptions dominantes, les buts de l’Etat et
l’aménagement de ses rapports avec le peuple.

L’administration est l’application des conceptions générales de la Constitution aux cas


concrets de la vie économique et sociale et par conséquent, dans l’accomplissement de sa tâche
elle doit respecter la Constitution. Cet organe est le gouvernement qui dirige l’administration
et est responsable devant les représentants du peuple.

Les ministres qui, dans leur ensemble, forment le gouvernement, possèdent deux compétences
distinctes : en tant que membres du gouvernement ils participent aux fonctions politiques de
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celui-ci (projets de lois, etc.) ; en tant que chefs d’une administration (ministère) ils sont
responsables de son fonctionnement. Ils assurent l’orientation de l’administration vers la
poursuite des buts assignés à l’Etat par les organes politiques (Parlement, gouvernement).

Ainsi du point de vue juridique et d’une façon générale, la fonction administrative ne peut être
définie qu’en fonction de la Constitution, fondement de l’ordre juridique et charte de
l’organisation étatique et sociale.

Selon l’article 20 de la Constitution (article 61 Constitution du Burkina Faso), ¨le


gouvernement dispose de l’administration¨. Ce qui signifie que constitutionnellement
l’administration est rattachée au gouvernement. Et en fait elle en est le prolongement, car c’est
elle qui détient les moyens matériels et humains indispensables à l’exercice du pouvoir, et le
gouvernement est obligé de passer par son intermédiaire.

- la fonction administrative est ainsi reliée au gouvernement, elle se définit par référence à lui,
en ce qui concerne l’administration de l’Etat. C’est une des fonctions du gouvernement. En
quoi consiste-t-elle ?

D’abord à assurer l’exécution des lois (article 21 de la Constitution française ; article 63


Constitution du Burkina Faso) l’ordre public, ainsi que le fonctionnement normal et
ininterrompu des Services publics (C.E. 28 juin 1918 Heyriès ; 8 août 1919 Labonne, G.A.).

Le Conseil constitutionnel français a reconnu une valeur constitutionnelle au principe de


continuité des services publics (C.C. ; 25 juillet 1979, D, 1980-101 ; 28 juillet 1987), et à
l’impératif de sauvegarde de l’ordre public (C.C. 27 juillet 1982 R. 45 ; 25 janvier 1985 état
d’urgence en N. Calédonie ; 18 septembre 1986, R. 141 ; 17 janvier 1989, R.F.D.A. 1989.215 ;
28 juillet 1989, AJ. 1989. 619), ainsi qu’au principe habilitant le gouvernement ou ses agents
d’intervenir en cas de crise (C.C. 25-26 juin 1986).

- Avec la Constitution de 1958, cette définition de la fonction administrative est élargie par un
élément nouveau : le pouvoir d’édicter une règlementation autonome dont le champ d’action se
situe en dehors du domaine de la loi défini par l’article 34 de la Constitution (article 101 de la
Constitution du Burkina Faso). Il s’agit du pouvoir réglementaire autonome du gouvernement
(art.37 de la Constitution ; article 108 de la Constitution du Burkina Faso), qui n’appartient
qu’à lui et non aux autres organes administratifs (collectivités territoriales, établissements
publics).

La fonction administrative est également exercée par les collectivités territoriales (régions,
départements, communes) en dehors de la fonction réglementaire autonome. L’article 72 de la
Constitution française dispose que les collectivités territoriales ¨s’administrent librement par
des conseils élus et dans les conditions prévus par la loi¨.

- Enfin, conformément au droit positif on doit exclure de la fonction administrative ainsi


déterminée, les activités industrielles et commerciales des personnes publiques dans leurs
aspects entièrement soumis au droit privé, les activités diplomatiques du gouvernement, ainsi
que les activités dites politiques (rapports intra gouvernementaux, rapports gouvernement –
Parlement).

B- Le critère organique
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L’administration peut également être entendue dans un sens « organique », comme un
ensemble d’organismes.

Du point de vue organique, institutionnel, l’administration est composée d’une constellation de


personnes morales de droit Public dont la plus importante et supérieure à toutes les autres est
l’Etat.

Les autres personnes publiques sont :

- des personnes à caractère territorial : régions, départements, communes ;

- des personnes à compétence spécialisée : établissements publics, tels que les hôpitaux,
chambres de commerce, universités, etc.…

L’ensemble de ces personnes publiques constitue l’administration.

Chaque personne publique possède un certain nombre d’organes qui prennent des actes
juridiques en son nom. Par exemple, le Parlement, le Premier Ministre, sont des organes de
l’Etat ; le Maire, le Conseil Municipal, sont des organes de la commune.

Parmi ces organes, certains seulement sont qualifiés d’organes administratifs. Leur
détermination présente une importance fondamentale puisque, en droit public français, le
caractère juridique des actes publics dépend des organes dont ils émanent.

A cet égard, le droit français comporte une distinction fondamentale entre :

- organes législatifs

- organes exécutifs ou administratifs

- organes juridictionnels.

Le terme d’ « administration » peut d’ailleurs être pris, dans le langage courant comme dans le
langage juridique en un sens plus étroit et se rapporte à l’administration publique. Quand on
parle de l’ « administration » tout court, avec une majuscule, on entend désigner un ensemble
d’organes par lesquels sont conduites et exécutées des tâches publiques. Dans cette
perspective, l’administration est conçue tout à la fois comme essentiellement différente de
l’activité des particuliers, et comme distinctes de certaines autres formes de l’activité
publique : la législation, l’exercice de la justice. C’est dans ces deux (02) directions – par
rapport à l’action des particuliers, par rapport aux autres activités publiques – qu’il faut
préciser le concept d’administration.

Pour définir un ensemble à la fois vaste et aussi vague qu’est l’administration, il faut
commencer par donner une sorte de définition négative avant d’apporter une définition
positive.

La définition négative comporte deux (02) catégories d’exclusion : les activités privées et un
certain nombre d’activités publiques.

1. Administration et action des particuliers

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Au sens matériel, comme il a été dit plus haut, l’ « administration » est une activité – le fait
d’administrer, c’est-à-dire de gérer une affaire. Cette acception du mot « administration »
renvoie à l’idée de gestion. C’est la raison pour laquelle, on dit : « la bonne administration de
telle entreprise ». Le mot n’est pas propre aux activités publiques. Il s’emploie aussi bien pour
les affaires privées que pour les affaires publiques : l’un des organes directeurs des sociétés
anonymes porte le nom de « conseil d’administration ».

Mais un tel rapprochement ne doit pas occulter la spécificité de la fonction administrative,


dans son contenu comme dans son objet, au regard des activités privées.

L’administration et les particuliers poursuivent un but en mettant en œuvre certains moyens :


mais sur ces deux terrains leurs différences s’accusent.

a- Le but de l’administration : l’intérêt général

Sous des noms divers (intérêt public, intérêt général, utilité publique), la notion d’intérêt
général permet de distinguer l’administration de l’activité des particuliers. La raison d’être de
l’administration est la satisfaction des besoins d’intérêt général.

La recherche d’un but d’intérêt public est la condition positive de la légalité de l’action
administrative. Au contraire, des particuliers qui, sous réserve de la licéité et de la moralité de
leurs buts, peuvent agir pour les fins les plus variées, y compris naturellement l’intérêt
personnel, l’administration ne doit se décider qu’en vue de l’intérêt public.

Le moteur normal de l’action des particuliers est la poursuite d’un avantage personnel – profit
matériel, réussite humaine ou chez les plus désintéressés, mise en accord de leurs actes avec un
idéal.

L’intérêt public, en raison précisément de ce qu’il exprime l’ensemble des besoins sociaux, est
supérieur à l’intérêt privé ou individuel et prévaut de ce fait sur celui-ci.

Souvent, il y’a coïncidence entre intérêt général et intérêt particulier. Exemple : l’école privée
ou la clinique privée, en même temps qu’elle procure des revenus substantiels à son
propriétaire, répond par l’enseignement ou les soins qu’elle prodigue, à un but d’intérêt
général.

Mais n’oublions pas que la satisfaction d’un besoin d’intérêt général peut être réalisée par des
particuliers (cas du concessionnaire du service public par exemple).

La séparation est alors faite entre les activités privées, poursuivies dans un but personnel, et les
activités publiques exercées dans un but d’intérêt général.

La recherche de l’intérêt général n’est pas la donnée première dans l’activité d’un particulier.
L’intérêt général demeure secondaire, voire accessoire par rapport au but principal recherché
qu’est le profit.

Il est des besoins bien que communs à tous les membres d’une collectivité, ne peuvent recevoir
satisfaction que dans le cadre de l’intervention de la puissance publique soit qu’ils excèdent les
possibilités de n’importe quel particulier (besoin de sécurité nationale), soit que leur

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satisfaction soit par nature exclusive de tout profit, de telle sorte que nul ne s’offrira à l’assurer
(enseignement gratuit, administration générale, etc.…).

L’intérêt général n’est donc pas l’intérêt de la communauté considérée comme une entité
distincte de ceux qui la composent et supérieure à eux ; « c’est plus simplement, un ensemble
de nécessités humaines – celles auxquelles le jeu des libertés ne prévoit pas de façon adéquates
et dont la satisfaction conditionne pourtant l’accomplissement des destinées individuelles »
(Rivero, Droit administratif, p.10 et ss).

Finalement, l’intérêt public n’est pas par essence distinct de l’intérêt des personnes ou des
groupes. S’il ne se réduit pas à « la somme des intérêts particuliers » (Vedel, Droit
administratif, p.429) et concernent les individus ou groupes composant la nation, il est un
« arbitrage entre les divers intérêts particuliers » (Vedel, idem).

Cet « arbitrage » jouera de deux (02) manières : quantitativement (l’intérêt général sera celui
du groupe le plus nombreux) et qualitativement (en considération de l’intérêt en jeu).

L’intérêt général a ainsi un relent politique. Suivant les époques et les pays, le critère
quantitatif et surtout le critère qualitatif s’appliquent différemment.

Aussi, la notion d’intérêt public n’est pas invariable dans le temps et dans l’espace.

La délimitation de ce qui entre dans l’intérêt général varient avec les époques, les forces
sociales, les données psychologiques, les techniques : mais si le contenu varie, le but reste le
même : ¨l’action administrative tend à la satisfaction de l’intérêt général ¨.

b- Les moyens de l’action administrative : la puissance publique

A la différence des buts correspond une différence des moyens. Les rapports des particuliers
sont fondés sur l’égalité juridique ; nulle volonté privée, n’est par essence, supérieure à une
autre, de telle sorte qu’elle puisse s’imposer à elle contre son gré ; c’est pourquoi l’acte qui
caractérise les rapports privés est le contrat, c’est-à-dire l’accord des volontés.
L’administration, elle, doit satisfaire à l’intérêt général. Elle ne pourrait le faire si elle était,
avec les particuliers, sur un pied d’égalité : leurs volontés, mues par des mobiles purement
personnels, tiendraient la sienne en échec chaque fois qu’elle les mettrait en présence des
contraintes et des sacrifices qu’exige l’intérêt général. L’administration a donc reçu le pouvoir
de vaincre ces résistances ; ses décisions obligent, sans qu’elle ait à obtenir l’assentiment des
intéressés, et elle peut, malgré leur opposition en poursuivre l’exécution. Sous le nom, assez
mal choisi, mais traditionnel, de puissance publique, il faut entendre cet ensemble de
prérogatives accordées à l’administration pour lui permettre de faire prévaloir l’intérêt général
lorsqu’il se trouve en conflit avec les intérêts particuliers.

Administration et puissance publique

L’administration s’opère normalement par des procédés de puissance publique. Mais, en


certains cas, l’accomplissement de sa mission est facilité par l’abandon de ses prérogatives. Par
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exemple, pour s’assurer certaines fournitures, il peut y avoir un intérêt de rapidité ou de
commodité à ne pas recourir au procédé du contrat administratif qui confère à l’administration
des prérogatives spéciales et à passer un contrat de droit privé comme le ferait un particulier.
Ou encore, en raison de leur objet qui est analogue à celui d’entreprises privées similaires,
certains services publics « industriels et commerciaux » peuvent fonctionner dans les
conditions du droit privé par un abandon, au moins partiel, du régime de puissance publique.

Ainsi, l’administration peut agir dans le cadre du régime de puissance publique ou accepter, au
moins en certaines matières et sous certaines conditions, le cadre du droit commun, c’est-à-dire
du droit privé. C’est ce que l’on veut dire quand on oppose la gestion publique à la gestion
privée.

Si donc on veut définir l’administration comme une activité spécifique par rapport aux
activités privées, il faut en exclure la « gestion privée » ou du moins ne retenir celle-ci en tant
qu’elle pose certains problèmes propres au droit administratif : conditions de licéité de
l’adoption d’un régime de droit privé, survivance, même au sein de ce régime, de certaines
prérogatives et de certaines sujétions de puissance publique (par exemple, un service public,
même industriel et commercial, doit respecter la règle de l’égalité entre les usagers).

2. L’administration dans l’ensemble des activités publiques

Le droit administratif régit l’organisation et le fonctionnement de l’administration, les relations


des administrations avec les particuliers, mais il ne gouverne pas directement la vie des
particuliers ou leurs relations entre eux.

Même dans l’ensemble des activités publiques, une grande partie se trouve en dehors du
domaine administratif. Il s’agit alors de fixer les frontières du droit administratif par rapport
aux disciplines voisines. La première difficulté est manifestée par l’ambivalence du terme
« administration », qui a déjà été notée plus haut. S’agit-il d’un ensemble d’organismes, de
personnes publiques, dont la plus importante est l’Etat, chacun de ces organes ayant son
identité, sa personnalité juridique, ses règles de fonctionnement ?

On parlera alors de l’administration au sens organique.

Veut-on au contraire considérer l’activité d’administration publique, autour des objectifs de


police et de service public, mue par l’intérêt général ?

L’administration (d’un point de vue matériel) doit être distinguée de la législation, de la


juridiction et du gouvernement.

a- Administration et activité législative

La fonction législative est confiée au Parlement, qui vote selon les formes prévues par la
Constitution, les lois, c’est dire des règles générales qui régissent l’ensemble des activités
privées ou publiques. Les lois échappent au contrôle de tribunaux et ne sont contrôlées, le cas
échéant, que par le juge constitutionnel (Chambre Constitutionnelle de la Cour Suprême). Les
lois, une fois promulguées, bénéficient d’une immunité juridictionnelle. Elles ne peuvent plus
être attaquées devant aucun juge. L’administration agit, au contraire, par voie d’actes
administratifs soumis au contrôle du juge administratif.

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Cette distinction est claire. Il faut cependant, remarquer que l’administration possède un
pouvoir réglementaire qui lui permet d’édicter des règles générales comme le fait le Parlement.
Nous reviendrons sur cette importante question lors de l’étude des sources de la légalité
administrative.

Les règles générales édictées par le gouvernement dans le cadre du pouvoir règlementaire que
la constitution lui reconnaît ne bénéficient pas du même régime juridique que la loi dans la
mesure où elles sont soumises au contrôle du juge administratif.

La fonction législative intéresse davantage le politique que l’administratif.

La fonction classique de l’administration consiste dans l’exécution des décisions politiques.


Théoriquement, le pouvoir de l’administration ne doit pas aller au-delà de cette subordination.
L’administration assure une gestion : « administrer, c’est accomplir la série des actes que
requiert au fil des jours, la poursuite d’un certain but » (Rivero, op. cit. 14). Alors que l’œuvre
du législateur s’achève lorsque la règle est juridiquement parfaite, l’action administrative qui
est une tâche de gestion courante, s’inscrit dans la continuité.

b- Administration et institutions judiciaires

La fonction d’administrer est distincte de celle de juger. Le juge a pour fonction d’apporter une
solution aux litiges dont il est saisi en application du droit, c’est dire qu’il n’intervient qu’en
cas de contestation, et que son rôle est terminé lorsqu’il a rappelé la règle applicable au cas
litigieux et énoncé les conséquences qui en résultent dans l’espèce.

L’administrateur, lui, agit sans avoir besoin d’être saisi pour assurer l’exécution des tâches
d’intérêt général définies par le pouvoir politique. Il doit, certes, respecter le droit mais il
possède un large pouvoir d’apprécier l’opportunité de son action. Le droit constitue pour
l’administration une limite, non un but.

L’administration agit dans le cadre du droit, mais pas seulement – comme le juge – pour faire
respecter le droit. Son but, c’est la satisfaction des besoins qu’elle a pris en charge ; cela exige,
outre le respect du droit, le sens de l’opportunité, et la compétence technique.

Entre les institutions administratives et les institutions judiciaires, il existe des points de
rencontre. La justice est organisée dans le cadre d’un ministère qui est une institution
administrative. Certaines autorités administratives peuvent être, en même temps, des autorités
de police judiciaire.

- Administration et gouvernement

La distinction entre administration et gouvernement présente des difficultés majeures compte


tenu des interférences entre la politique et l’administratif. A ce sujet, le Doyen Vedel note que
« l’administration n’est que l’une des activités gouvernementales » et de rappeler : « Sans
doute ne faut-il pas tomber dans une fausse distinction entre le gouvernement et
l’administration : gouverner, c’est dit-on parfois exercer les grandes options politiques ;
administrer, c’est pourvoir aux besoins quotidiens de la vie nationale. En elle-même, cette
distinction peut être politiquement justifiable, n’a pas de valeur juridique ».

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On peut ajouter à la suite du Doyen Vedel, qu’il est très difficile de fixer la frontière entre le
politique et l’administratif.

En pratique d’ailleurs l’action gouvernementale et la direction de l’activité administrative


incombent aux mêmes organes (dédoublement fonctionnel) et aboutissent à des actes de même
nature.

Le Premier Ministre est à la fois chef du gouvernement et chef de l’Administration, et le


ministre autorité politique (membre du gouvernement) et autorité administrative (chef
hiérarchique du département ministériel).

Mais le gouvernement se trouve investi, par la constitution, de tâches extra-administratives.


Nous retrouverons ce problème lorsque nous aborderons, plu tard de la théorie de l’acte du
gouvernement.

Proche de la fonction gouvernementale, elle s’en différencie cependant en ce que « les


missions de l’administration ne sont jamais initiales mais toujours secondes ; elles consistent à
exécuter les tâches que les organes fondamentaux de l’Etat lui confient. L’administration
apparaît donc toujours comme l’ensemble des moyens permettant d’exécuter les décisions du
pouvoir politique » (R. Drago, « Sciences administratives », Les cours de droit, Paris, 1992).
L’origine étymologique du mot administration le confirme. La racine minus du mot latin
administrare, qui signifie servir et dont est issu le mot administration, témoigne de ce que
celle-ci est ou devrait être appelée d’abord à servir. L’administration est « servante » des
intérêts publics définis par le pouvoir politique et ce n’est qu’à ce titre qu’une autorité lui est
déléguée.

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SECTION II : le droit administratif : droit spécial de l’administration

L’administration peut par rapport au droit se trouver dans deux (02) situations différentes
susceptibles ou non d’y être soumis.

L’insoumission de l’administration au droit caractérise l’Etat de police. Certes dans ce régime


autoritaire, l’administration est régie par un minimum de règlementation qu’elle s’impose à
elle-même et qui est destinée à son fonctionnement. Mais elle ne reconnaît aucun droit aux
administrés et par voie de conséquence aucune de ses décisions ne peut être déférées par ceux-
ci à la censure du juge.

L’Etat de droit est celui dans lequel l’administration reconnaît des droits aux administrés et qui
tend à réaliser un équilibre judicieux entre les droits et obligations de celles-ci ou de ceux-ci.
L’administration dans ce régime libéral peut être soumise soit aux mêmes droits que les
particuliers soit à un droit spécial.

Dans le 1er cas, à l’exception de quelques textes particuliers relatifs à son organisation et à son
statut, elle fonctionne sous le régime du droit privé, du droit commun. Ce système a cours dans
les pays anglo-saxons.

Dans le second cas, elle est régie par des règles particulières dérogatoires au droit commun.
C’est le système d’un certain nombre de pays européens dont la France et des pays
francophones dont le Burkina Faso.

Ce droit spécial appelé Droit administratif pose divers problèmes relatifs notamment à sa
définition, son autonomie et ses caractères.

§.1. Présentation des définitions du droit administratif : un droit en quête de définition

Le droit administratif comporte en fait une double définition mais avec une prévalence de la
conception matérielle.

A- La double définition

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La définition du droit administratif diffère selon que l’on se réfère au critère organique ou au
critère matériel. Le premier est extensif tandis que le second est restrictif.

1. La définition organique et extensive

Suivant ce critère qui se réfère à l’organe auquel il s’applique, le droit administratif est celui
applicable à l’administration. C’est le droit de l’administration. Il s’agit d’un corps de règles
définissant ses droits et ses obligations et régissant notamment ses rapports avec les
administrés.

La définition organique est extensive du fait qu’elle vise toutes les règles applicables à
l’administration, comprenant aussi bien les règles particulières, dérogatoires au droit commun,
que des règles de droit commun. Autrement dit le droit administratif se compose à la fois de
normes de droit public et de normes de droit privé

2. La définition matérielle et restrictive

Suivant ce critère, qui se réfère à son contenu (et en France aux juridictions qui l’appliquent),
le droit administratif est un droit spécial. Celui-ci se compose uniquement de règles
particulières, foncièrement différentes de celles du droit commun et y dérogeant.

A la différence de la définition organique, la définition matérielle est restrictive, car elle limite
le droit administratif aux seules règles spéciales, à l’exclusion des normes du droit privé
applicables à l’administration.

B- La prévalence de la conception matérielle

Si l’on s’accorde sur la double notion du droit administratif, des divergences apparaissent dès
lors qu’il s’agit de savoir laquelle des deux définitions adopter. De la controverse doctrinale on
retiendra la conception restrictive définissant le droit administratif comme un droit spécial.

Certes, la querelle entre « l’école du service public » fondée par le doyen de la faculté de droit
de Bordeaux, Léon Duguit (1859-1928), et « l’école de la puissance publique », animée par le
doyen de la faculté de droit de Toulouse, Maurice Hauriou (1856-1929), ne conserve plus
qu’un intérêt historique.

Cependant, ces deux (02) notions se trouvent toujours au cœur du droit administratif et, par
delà ces querelles doctrinales, il existe bien deux définitions possibles du droit administratif.

La première repose sur une acception large du droit administratif et regroupe l’ensemble des
règles juridiques applicables à l’administration, qu’elles soient de « droit public » ou de « droit
privé », qu’elles soient sanctionnées par le juge administratif ou par le juge judiciaire.

Toutefois, il est possible et usuel de s’en tenir à une définition plus stricte, ne retenant comme
objet d’étude du droit administratif que les seules règles spécifiques applicables à
l’administration et sanctionnées par le juge administratif, dont l’autonomie tient tant à la
spécificité des fins (le service public) que des moyens (la puissance publique).

La définition large du droit administratif, qui recouvre les hypothèses où l‘action


administrative est soumise aussi bien à des « régimes de droit privé » qu’à des « régimes de

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droit public », suppose que soit surmonté le clivage traditionnel entre droit public et droit
privé. Elle devrait cependant s’imposer, malgré la force des traditions, si l’on entend connaître
effectivement l’ensemble des règles de droit applicables aux activités administratives.

La part toujours croissante faite à l’application du droit privé pour de larges pans de l’activité
administrative suppose en effet des praticiens de l’administration une bonne connaissance des
concepts fondamentaux tant du droit privé que du droit public. Tout « administrativiste »
devrait donc être aussi un bon juriste de droit privé, car la connaissance de ce dernier est
indispensable pour faire face à l’imbrication croissante entre procédés de droit privé et
procédés de droit public dans l’action administrative.

§.2. L’autonomie du droit administratif

Le droit administratif est un droit original c’est-à-dire qu’il constitue un monde séparé du droit
privé. Cette originalité se manifeste à la fois dans le contenu de ses règles et théories et dans le
système de contrôle juridictionnel de l’administration.

Ces deux manifestations de l’originalité sont d’ailleurs liées : la juridiction administrative a


très largement contribué à la formation d’un droit administratif spécifique.

13
A- Le contenu des règles de droit administratif

Le droit administratif est avant tout un droit autonome possédant ses propres règles,
différentes voire opposées à celles du droit privé. De manière originale, ces règles sont le fruit
de l’œuvre prétorienne (c’est-à-dire qui est l’œuvre du juge) du juge administratif.

Dès lors que le Conseil d’Etat a été institué, il a commencé par écarter l’application des règles
de droit privé. Il a ensuite forgé des règles particulières applicables à l’action administrative.

Ces règles sont un compromis entre deux exigences contradictoires : les nécessités de l’action
administrative et la protection du citoyen.

La spécificité du droit administratif a été affirmée avec force dans l’arrêt Blanco, Trib. des
conflits, 8 février 1873, D., 1873, III, P.17. GAJA n°1.

LE TRIBUNAL DES CONFLITS ; - Vu les lois des 16-24 Août 1790 et du 16 Fruct. An
III ; - Vu l’ordonnance du 1er juin 1828 et la loi du 24 mai 1872 ;

Considérant que l’action intentée par le sieur Blanco contre le préfet du département de
la Gironde, représentant l’Etat, a pour objet de faire déclarer l’Etat civilement
responsable, par application des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil, du dommage
résultant de la blessure que sa fille aurait éprouvée par le fait d’ouvriers employés par
l’administration des tabacs.

Considérant que la responsabilité qui peut incomber à l’Etat pour les dommages causés
aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être
régie par les principes qui sont établis dans le Code civil dans les rapports de particulier
à particulier ;

Que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui
varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec
les droits privés ;

Que, dès lors, aux termes des lois ci-dessus visées, l’autorité administrative est seule
compétente pour en connaître :

Art. 1 : L’arrêté de conflit est confirmé.

Du 8 Février 1873. – Trib. des conflits. MM. Mercier, rap.-David, concl.

La solution du Tribunal des Conflits comporte un aspect négatif à savoir l’inapplicabilité des
règles de droit privé et notamment du Code civil à l’action administrative et un aspect positif :
l’originalité des règles auxquelles cette action est soumise.

On retrouve ces deux (02) aspects dans les considérants de l’arrêt Blanco et qui a fondé, du
moins consacré le principe de l’autonomie du droit administratif. On peut étendre, à
l’ensemble de l’action de l’administration, les formules qu’il applique au problème de sa
responsabilité.

L’une des conséquences de l’arrêt Blanco est ce que l’on a appelé, « l’autonomie » du droit
administratif c’est-à-dire la possibilité que, dans des matières apparemment semblables, le
14
droit administratif procède d’analyses et conduise à des solutions qui ne sont pas celles du
droit

L’arrêt Blanco oppose les règles spéciales du droit administratif à celles du droit privé, conçu
comme il l’était à l’époque (et l’expression n’a pas disparu du langage) comme représentant le
« droit commun ».

Il ne faut pas en conclure que le droit administratif se caractérise comme un droit d’exception
que son existence est une dérogation à la norme qui serait l’application du droit privé. Il faut
en même temps prendre conscience que l’autonomie (souvent soulignée) du droit administratif
(par rapport au droit privé) ne lui est pas spécifique.

Le droit privé aussi est autonome (par rapport au droit administratif).

La notion d’autonomie du droit administratif n’est pas aisée à saisir. Elle va plus loin que la
simple spécificité technique des règles d’une discipline juridique spécialisée, telle que le droit
du travail ou le droit commercial. Dans ces matières, à défaut des règles spécifiques sur un
point donné, c’est le droit civil qui s’applique. Les règles spécifiques elles-mêmes sont
interprétées et appliquées à la lumière du droit civil.

Dans ce cas, il n’y a pas vraiment autonomie.

L’existence d’un corps de règles spécifiques ne suffit pas à caractériser un droit administratif.
« La collection de dérogations ne constitue pas un système de droit » (LAUBADERE, Traité,
P.26).

Il en va autrement lorsqu’on reconnaît l’existence d’un corps de règles ayant son propre
système de sources, s’ordonnant les unes par rapport aux autres, et applicables par principe à
une partie au moins de l’action administrative : on parle alors d’un système autonome de droit
administratif – quel que soit d’autre part le contenu des règles qui le composent – comme le
droit privé constitue de son côté un système autonome (LAUBADERE, ibidem).

La définition du droit administratif au sens strict donne lieu elle-même à un débat de fond sur
la question de la portée de l’autonomie du droit administratif.

Le droit administratif, conçu comme l’ensemble des règles spéciales régissant l’administration
et sanctionnées par le juge administratif, a vu sa légitimité consacrée notamment par le fameux
arrêt du Tribunal des conflits du 8 février 1873, énonçant que la responsabilité de
l’administration « ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour
les rapports de particulier à particulier… ; elle a ses règles spéciales qui varient suivant les
besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés ».

Pour autant, la doctrine dominante du droit administratif ne conçoit pas celui-ci comme un
droit dérogatoire au droit commun, qui serait le droit privé. Elle souligne qu’il est un droit
autonome, dont les règles, si elles sont le plus souvent appliquées par le juge administratif, le
sont d’ailleurs également parfois par le juge judiciaire, ainsi qu’il sera montré. Même défini
stricto sensu, le droit administratif ne se présente pas, malgré certaines voix discordantes,
comme une exception par rapport à la règle qui serait le droit privé, mais comme un ensemble
de règles ayant leurs sources et leur légitimité propres.

15
La conception française de la soumission de l’administration au droit est basée sur
l’autonomie du droit administratif en ce sens que les règles spéciales de celui-ci ne font pas
figure de dérogations à un droit commun applicable aux particuliers et à l’administration (tel
qu’on le constate dans les systèmes anglo-saxons).

Lorsque le juge administratif notamment est amené à dégager la règle applicable à une matière
donnée, en l’absence de solutions spéciales énoncées par le législateur, il se tient pour libre
vis-à-vis du droit privé et dégage la règle de droit administratif selon ce que lui paraissent être
les besoins propres de la vie administrative.

Cette situation d’autonomie du droit administratif n’entraîne naturellement pas que le droit
administratif ainsi entendu s’applique à toute l’activité de l’administration, ni qu’il y est
quantitativement prédominant. Elle ne préjuge pas non plus du degré de particularisme de ce
droit.

De la même façon, l’autonomie du droit administratif par rapport aux autres branches du droit
public, notamment le droit constitutionnel, ne doit pas masquer les convergences et les
rapprochements entre ces droits.

L’expression « droit autonome » peut être quelque peu trompeuse. S’il est clair que les règles
du droit administratif sont autonomes par rapport à celles du droit privé (et réciproquement),
cela ne signifie pas qu’il existe un cloisonnement entre les deux droits. En effet,
historiquement, le premier s’est construit dans une certaine mesure par référence au second
(cela demeure vrai). C’est pour cela que, malgré sa cohérence et sa spécificité, on peut dire
que le droit administratif demeure un droit dérogatoire « au droit commun » que constitue le
droit privé.

B- Le système de contrôle juridictionnel dans l’administration : la juridiction


administrative

L’existence d’un « ordre juridictionnel » administratif entièrement distinct de hiérarchie


judiciaire, organisé et recruté de façon spécifique, et seul compétent (sauf quelques exceptions)
pour connaître du « contentieux administratif » constitue une originalité majeure du système
administratif français.

Si l’existence même d’un droit administratif – conçu au sens large – relève aujourd’hui bien
évidemment des exigences fondamentales d’un Etat de droit, celle d’un droit administratif
spécial, conçu comme un ensemble de règles spécifiques, sanctionnées par un ordre de
juridictions administratives, distinct de l’ordre des juridictions judiciaires, peut davantage
surprendre à plus d’un titre. La dualité de juridiction est, en effet, une particularité française
qui s’est révélée depuis longtemps fort peu commode à l’usage pour les justiciables et qui
perdure cependant. En outre, la proximité entre l’administration et la justice administrative,
dont les membres sont issus pour la plupart d’un recrutement commun avec les administrateurs

16
et non pas avec les autres juges professionnels pourrait laisser perplexe, au regard de la
perception contemporaine du droit à un procès équitable.

Ces particularités ne peuvent se comprendre sans faire référence à la formation historique du


droit administratif français, qui fait de celui-ci l’écho contemporain d’une volonté fort
ancienne du pouvoir politique de soustraire les affaires de l’administration au juge ordinaire.

Le droit administratif est né du principe de la séparation des autorités administrative et


judiciaire proclamée par la Révolution française (1789).

L’origine du droit administratif

Il est né d’un principe et c’est, longtemps après, d’un arrêt qu’il a obtenu sa consécration.

Le principe, posé au début la Révolution, et dérivé d’une interprétation de la séparation des


pouvoirs, est celui de la séparation des autorités administratives et judiciaires.

Institué par une disposition (toujours en vigueur) de la loi des 16-24 août 1790, sur
l’organisation judiciaire, et réitéré par la loi (dont l’article unique est également en vigueur)
du 16 fructidor an III (v. n°824), il signifie que l’action de l’administration lorsqu’elle se
manifeste comme puissance publique, ne doit pas être jugée par les tribunaux judiciaires.

L’un des premiers grands actes de la Révolution fut la proclamation du PRINCIPE DE


SEPARATION DES AUTORITES ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES consistant à
interdire aux juges judiciaires de s’immiscer dans les affaires de l’Exécutif. C’est la grande Loi
des 16-24 AOUT 1790 (qui est d’ailleurs encore à la base de notre droit administratif).

Cette « loi de séparation » édicte que : «les juges ne pourront à peine de forfaiture, troubler
de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs ni citer devant eux
les administrateurs à raison de leurs fonctions ». Cette loi est encore reprise par le Décret
du 16 fructidor an III qui stipule que « défenses itératives sont faites aux juges de connaître
des actes d’administration de quelque nature qu’ils soient ».

Cette règle se voulait une application de la théorie générale de la séparation des pouvoirs.

Elle traduisait surtout une méfiance de principe à l’égard du contrôle judiciaire de


l’administration (méfiance déjà manifestée sous l’Ancien Régime), voire à l’égard de tout
contrôle externe de l’administration (cf. la formule ¨juger l’administration, c’est encore
administrer ¨).

L’administration fut donc laissée sans juge. Plus exactement, elle devint son propre juge ; les
seuls recours étaient ceux devant les ministres et le chef de l’Etat (système de l’administrateur-
juge).

En 1789 (an VIII), le Conseil d’Etat est créé par BONAPARTE (alors Premier Consul). Mais
ce Conseil d’Etat qui participe en même temps à l’action publique et qui a peu
d’indépendance, n’est pas vraiment un juge : il ne peut que proposer des arrêts au Chef de
l’Etat ; c’est ce qu’on appelle le système de la ¨système de la justice retenue¨.

17
La transformation progressive du rôle du Conseil d’Etat, qui conserve aujourd’hui encore sa
mission première de conseil juridique du gouvernement, s’est opérée par étapes jusqu’à ce
qu’il acquière la qualité d’une juridiction.

Dans le cadre de la justice retenue qui a prévalu jusqu’en 1872, le Conseil d’Etat statuant au
contentieux devait présenter au Chef de l’Exécutif tout projet de décision pour signature. Cette
pratique du ministre – juge, qui se contentait cependant dans la plupart des cas de signer le
projet de décision qui lui était soumis par le Conseil d’Etat, connaîtra une mutation importante,
en droit sinon en fait, avec la loi du 24 mai 1872 instituant la justice déléguée au profit du
Conseil d’Etat. Depuis cette date, le Conseil d’Etat n’apparaît plus en effet seulement comme
le Conseil du gouvernement, mais aussi comme une juridiction.

La Révolution avait refusé l’intervention judiciaire dans les matières administratives ; la


république libérale du XIXème siècle refusait pour sa part de laisser les matières administratives
sans juge ni contrôle et était conduite à consacrer l’existence d’une juridiction qui serait
indépendante du judiciaire mais aussi de l’administration proprement dite.

C’est à partir de cette base que le droit administratif moderne s’est forgé. Le Conseil d’Etat
affirme peu à peu son contrôle ; il dégage des principes. A côté des « grandes lois », des
« grands arrêts » forgent le droit administratif.

Il faut ajouter que l’originalité du droit administratif ne tient pas en effet seulement à
l’existence de la juridiction administrative, elle se manifeste aussi par l’importance de cette
juridiction : c’est à elle qu’on doit pour beaucoup la soumission de l’administration au droit ;
c’est à elle aussi qu’on doit la formulation de très nombreuses règles du droit administratif (cf.
le caractère très largement « prétorien » c’est-à-dire jurisprudentiel du droit administratif).

A chaque étape à chaque carrefour de l’histoire du droit administratif, il y’a en effet un


« grand arrêt » et cette œuvre s’est avérée très profitable à la qualité du droit administratif
français.

Celle-ci conserve cependant une certaine proximité par rapport à l’administration, qui lui
permettrait, selon une opinion répandue, de mieux résoudre les litiges qui lui sont soumis. En
effet, le déroulement de carrière des membres du Conseil d’Etat leur permet de connaître
l’administration de l’intérieur, à un double titre. D’une part, même lorsqu’ils exercent des
fonctions de juge administratif, les membres du Conseil d’Etat continuent à exercer
simultanément des fonctions consultatives de conseil juridique du gouvernement. D’autre part,
ils exercent fréquemment des fonctions d’administration active pendant une large partie de leur
carrière, ce qui leur donne une expérience concrète de l’a administration.

Il serait cependant malséant, du moins dans une copie d’examen, de mettre en question
l’indépendance du Conseil d’Etat statuant au contentieux, tant celle-ci doit être considérée
comme une donnée de base de l’édifice du droit administratif français. Ce postulat, toujours
illustré, si besoin est, par le fameux arrêt Canal du 19 octobre 1962 du Conseil d’Etat (V. n°54)
ne saurait être ébranlé même par la démonstration contraire (v. O. Dupeyroux,
« L’indépendance du Conseil d’Etat statuant au contentieux », RD publ. 1983, p.165 et s.), car
ce serait remettre en cause les fondements mêmes de l’organisation traditionnelle de la justice
administrative.
18
Cette connaissance intime de l’administration «active » par le Conseil d’Etat a eu une
influence d’autant plus importante sur la formation et l’évolution du droit administratif que
celui-ci reste très largement un droit jurisprudentiel, même si la part du droit écrit
(constitution, lois et règlements) n’y est pas négligeable.

§.3. Les caractères fondamentaux du droit administratif

En plus de son caractère autonome, le droit administratif présente deux (02) autres traits
distinctifs : c’est un droit essentiellement jurisprudentiel par ses sources et un droit exorbitant
de droit commun par son contenu.

A- Un droit essentiellement jurisprudentiel par ses sources

Le droit administratif, contrairement au droit civil, n’est pas un droit codifié, mais un droit
progressivement élaboré par le juge.

La jurisprudence est en effet, créatrice de normes juridiques et base principale du droit


administratif

1. La jurisprudence administrative créatrice de normes juridiques

On qualifie volontiers le droit administratif de « droit prétorien », parce qu’en raison de la


place réduite qu’y occupe le droit écrit, la part créatrice du juge est corrélativement plus
importante qu’en droit privé. Non pas que les textes administratifs soient inexistants : ils sont
au contraire, dans certaines matières, en nombre impressionnant ; mais ils restent épars,
fractionnels, peu coordonnés. Il manque au droit administratif, à l’origine, l’équivalent d’un
Code civil pouvant servir de fondement unitaire aux développements ultérieurs du droit. Et
c’est à la jurisprudence qu’est ainsi revenu ce rôle d’unification.

Ce caractère prétorien du droit administratif est lié à l’histoire de ses conditions d’élaboration
et à l’affirmation initiale de son autonomie par rapport au droit privé. La thèse de l’autonomie
du droit administratif, qui pose en principe que les règles applicables aux particuliers, a trouvé
son expression la plus éclatante dans le célèbre arrêt Blanco par le Tribunal des conflits en
1873.
19
Quelles étaient donc ces règles autonomes dont l’ensemble constituait virtuellement le droit
administratif ? C’étaient sans doute, pour une partie non négligeable, celles que posaient des
lois spéciales. Mais les lois spéciales réglant l’organisation et l’action administratives étaient
loin d’avoir la généralité et l’étendue des codes et lois de droit privé. Elles comportaient
d’énormes « no man’s land ».

Dès lors, il appartenait au juge – et à lui seul – de combler cet énorme déficit du droit écrit. Le
juge administratif se trouvait ainsi chargé non pas, comme le juge civil, de créer
épisodiquement et à propos de lacunes législatives limitées quelques règles de droit mais de
construire le droit administratif et c’est ce qu’il fit.

La juridiction administrative a donc forgé peu à peu, au fur et à mesure des cas d’espèce qui lui
étaient soumis, un droit autonome, spécialement destiné à régir les rapports entre
l’administration et les administrés.

C’est ainsi que, au fil des espèces, le juge de l’administration forgera lui-même, les règles
applicables à l’administration et que s’affirmera l’existence d’un droit qui peut ressembler sur
tel point particulier au droit civil, mais qui ne retire pas son autorité du Code civil.

Le droit administratif est largement présenté comme un droit « prétorien » pratiquement sans
texte et où la création jurisprudentielle joue le premier rôle. Cette vision rend assez bien
compte de la formation du droit administratif au XIXème siècle et au début du XXème siècle.

Devant l’imprécision des textes, leur insuffisance ou même leur absence, c’est à la
jurisprudence qu’il est revenu d’élaborer progressivement le droit administratif jurisprudentiel.

L’exercice de cette fonction normative, c’est-à-dire de création de normes juridiques incombe


au juge de l’administration qui, selon l’expression de R. Chapus, se fait « jurislateur » (c’est-à-
dire juge et législateur).

Sans doute, dans toute branche du droit, le rôle du juge (de la jurisprudence) est-il important.

En effet, le juge ne peut se contenter simplement d’une application mécanique de la loi aux
espèces. Il doit interpréter la loi (qui peu être obscure ou contradictoire), il doit l’appliquer
aux hypothèses nouvelles que le législateur n’a pas envisagé, doit combler les lacunes (puisque
l’article 4 du Code civil lui impose de juger même en cas de silence de la loi).

Mais en droit administratif, la répudiation du Code civil et l’immensité des lacunes législatives
ont amené le juge à faire véritablement le droit.

Obligé de résoudre les litiges pour lesquels la loi ne lui fournissait aucun principe de solution,
le juge a dû instruire souvent de toutes pièces, la règle dont il allait faire application. Ce travail
d’élaboration est l’œuvre du Conseil d’Etat.

En France, ce rôle de jurislateur est dévolu aux juridictions administratives et principalement


au Conseil d’Etat dont la jurisprudence a marqué tout le droit administratif.

Aidé en cela par le Tribunal des conflits, il a dégagé les règles administratives c’est-à-dire, les
règles spéciales dérogatoires au droit commun soit en donnant des textes une interprétation
hardie, soit en faisant œuvre prétorienne, créant dans ce cas presque ex nihilo.
20
G. Vedel rapporte que « presqu’aucun des auteurs que l’on pourrait citer n’omet de placer au
premier rang des motifs de son opinion, le fait qu’il n’est pas sûr que sans le Conseil d’Etat, la
France ait pu se donner un droit administratif ».

Pour paraphraser P. Weil, on dira que le juge administratif « a sécrété le droit administratif
comme une glande secrète son hormone : la juridiction a précédé le droit et sans celle-là, celui-
ci n’eût pas vu le jour ».

2. La jurisprudence administrative, base principale du droit administratif

Le droit administratif a donc au moins en partie une origine jurisprudentielle étant la création
de la jurisprudence administrative. Il confirme aussi l’opinion contestée par certains auteurs
selon laquelle le juge exerce une fonction normative et la jurisprudence constitue une véritable
source du droit. La jurisprudence l’est incontestablement et de plus constitue non la source
accessoire, mais la base principale du droit administratif.

Un droit « éminemment » jurisprudentiel

En clair, cela signifie que les règles et les principes fondamentaux du Le droit administratif ont
été élaborés et posés à l’occasion d’arrêts rendus par le Conseil d’Etat.

Ce droit prétorien (c’est-à-dire qui est l’œuvre du juge) n’est pas le fruit d’une quelconque
volonté du Conseil d’Etat de se dresser en législateur (ou plus exactement en jurislateur) mais
simplement la traduction de la nécessité devant laquelle il s’est trouvé de doter l’administration
de règles et de principes de fonctionnement. En effet, il n’a jamais existé pour le droit
administratif de code écrit équivalent au Code civil et rassemblant les principes et les règles de
ce droit.

En se faisant normateur (qui élabore des normes), le Conseil est sorti de son rôle stricto sensu
qui est de veiller à la bonne application des normes juridiques voulues par le gouvernement et
le Parlement. Mais son audace, ainsi que celle du Tribunal des conflits chargé de trancher les
questions de compétence entre les ordres de juridiction administratif et judiciaire (voir par
exemple l’arrêt Blanco*), a permis de structurer des domaines aussi fondamentaux que la
responsabilité administrative ou les contrats. En restant fidèle à l’esprit du système juridique
français et en se référant fréquemment aux principes d’équité, le Conseil a su éviter l’écueil
d’une jurisprudence arbitraire.

Elle constitue la base même du droit administratif et occupe, de ce fait, une place
« exceptionnelle »1. C’est en effet elle qui porte les grandes théories et les grands principes qui
confèrent au droit administratif son originalité. On mentionnera à titre d’exemples, parmi les
théories générales, celles des actes administratifs (acte unilatéral et contrat), du domaine
public, de recours contentieux… et, parmi les régimes, ceux de la responsabilité de la
puissance publique, de l’exécution des actes unilatéraux et des contrats… A ces théories et
régimes il faut ajouter les principes généraux du droit qui occupent une place importante dans
le bloc légal auquel est soumise l’administration.

1
DE LAUBADERE, op. cit. p.34

21
Les domaines dans lesquels se manifeste cette autonomie sont nombreux : la responsabilité de
la puissance publique, qui n’est pas régie par les articles 1382 et suivants du Code civil, le
droit des contrats administratifs auxquels ne s’applique pas l’article 1134, le régime du
domaine, radicalement différent du régime de la propriété privée, le régime des décisions
exécutoires, etc. Autant de domaines dans lesquels, en l’absence de textes généraux, le juge
administratif a été amené à dégager des principes fondamentaux, élaborer les « théories » et
forger les concepts du droit administratif.

Les concepts, les principes fondamentaux, les règles du droit administratif, jusque dans leurs
détails souvent, sont l’œuvre du Conseil d’Etat. Celui-ci disposait d’une grande latitude pour
ce faire, puisque les règles écrites étaient initialement peu nombreuses et que l’application du
Code civil comme norme de référence avait été explicitement écartée par le Conseil d’Etat dès
ses arrêts Rotschild et Gloxin de 1855, puis par le Tribunal des conflits dans l’arrêt Blanco
précité de 1873.

Il a donc fallu définir un corps de règles spécifiques, dont l’originalité par rapport à celles du
Code civil n’est certes parfois que relative. Cependant, même lorsqu’elles sont très
évidemment inspirées du Code civil lui-même, mais du fait qu’elles sont l’expression de
« principes », consacrés comme tels par le Conseil d’Etat, qui en impose le respect à
l’administration.

Qu’il s’agisse des contrats administratifs, de la responsabilité publique, du domaine public,


etc., les principes fondamentaux du droit administratif sont donc essentiellement l’œuvre de la
jurisprudence, élaborée au fil de grands arrêts rendus par le Conseil d’Etat et par le Tribunal
des conflits, depuis plus d’un siècle.

En définitive, le droit administratif jurisprudentiel revêt une importance à la fois quantitative


et qualitative. Quantitativement, l’abondance de la production normative jurisprudentielle
contraste avec la rareté ou la pauvreté du droit législatif. C’est la jurisprudence qui donne sa
substance au droit administratif. On pourrait à la limite poser : sans jurisprudence
administrative pas de droit administratif. G. Vedel allant dans ce sens écrit ce qui suit : « si un
législateur frappé de démence abrogeait en bloc – sans le remplacer – le Code civil, il n’y
aurait plus de droit civil. Mais si, non moins dément, il abrogeait en bloc les « lois
administratives » (à l’exception du principe de séparation des autorités administratives et
judiciaires), il y’aurait encore un droit administratif sûrement plus simple et peut être plus
cohérent puisque les principes jurisprudentiels classiques, enrichis au besoin de quelques
créations, occuperaient aussitôt le « vacuum juris », ouvert par la disparition des lois
particulières. Qualitativement c’est la jurisprudence qui confère son unité et sa spécificité au
droit administratif. R Chapus note que ce sont ces grands principes et théories « qui font du
droit administratif ce qu’il est ». G. Vedel qui, dans l’article précité, se pose la question de
« savoir si le droit administratif peut et doit être « indéfiniment » jurisprudentiel » indique que,
« pour y répondre, il faut partir d’une certitude : c’est que, s’il n’avait pas été si longtemps
jurisprudentiel, il ne serait pas satisfaisant et même en ce sens n’existerait pas ».

Ceci dit, le droit administratif n’est pas, loin s’en faut, exclusivement jurisprudentiel. Le droit
écrit y prend une place importante, du moins quantitativement. Ainsi, en matière
d’organisation administrative, citons la loi du 2 janvier 1982 relative aux droits et libertés des

22
communes, des départements et des régions. De même, le statut de la fonction publique est
déterminé par des lois et des règlements. Par ailleurs, il se dessine depuis quelques années une
tendance à la codification du droit administratif. Entendu au sens large, cela signifie d’une part
que la place du droit écrit augmente dans la détermination des règles et des principes de ce
droit (ne serait-ce que parce que le législateur a repris à son compte certaines règles et
principes posés par la jurisprudence), d’autre part que ce droit écrit est mis en ordre sous
forme de codes rassemblant les textes relatifs à des domaines particuliers du droit administratif
(Code des communes, Code de l’urbanisme…).

Enfin, si par définition on ne peut dire que l’œuvre jurisprudentielle du Conseil d’Etat est
achevée (elle est vivante, évolue en permanence et s’adapte), du moins peut-on affirmer que le
droit administratif est aujourd’hui un droit homogène, « complet ». L’époque de l’affirmation
des grands principes jurisprudentiels semble révolue et a cédé la place à une période dans
laquelle le Conseil se comporte davantage, et cela n’a rien de péjoratif, comme un
« gestionnaire » du droit administratif (il gère en quelque sorte les règles et les principes qu’il a
lui-même édictés). Moins audacieux qu’hier, il est tenté d’abandonner en quelque sorte le
champ normatif au législateur, au gouvernement mais aussi au juge constitutionnel

Résumé

On ne saurait dire que la part des lois et règlements (celle du « droit écrit ») dans le droit
administratif n’est pas considérable, ni que ces lois et règlements sont sans importance. On ne
saurait évidemment tenir pour secondaire le fait que le statut des collectivités locales ou celui
de la fonction publique sont déterminés par des lois et règlements. On ne saurait non plus
ignorer (aux deux sens du terme) l’existence des réglementations propres aux différents
services publics.

Ainsi, il serait erroné de présenter le droit administratif comme un droit jurisprudentiel. Il est
seulement (si j’ose dire) un droit fondamentalement jurisprudentiel. Mais évidemment c’est ce
qui compte et qui signifie que c’est à la jurisprudence que le droit administratif doit d’être ce
qu’il a été et ce qu’il reste, en dépit d’une tendance doctrinale contemporaine à majorer la part
du droit écrit.

Tendance qui procède d’une vision trop quantitative de l’état du droit et d’une sensibilité
excessive au fait qu’il devient fréquent que le Conseil d’Etat préfère en appeler aux édicteurs
du droit écrit pour leur faire adopter des solutions qu’il aurait pu consacrer lui-même.

Mais ni l’abondance du droit écrit, ni la renonciation, en diverses occasions, à la voie


jurisprudentielle ne sont de nature à affecter le principe du caractère fondamentalement
jurisprudentiel du droit administratif.

L’absence de code de droit administratif, analogue au Code civil, c’est-à-dire définissant les
principes et les notions de ce droit, a eu, et continue à avoir, pour naturelle conséquence qu’il
est, et demeure, pour l’essentiel, l’œuvre du juge : du Conseil d’Etat surtout ; du Tribunal des

23
conflits aussi (ainsi que, parfois de la Cour de cassation), quant aux notions déterminatrices de
la compétence juridictionnelle.

Il en résulte que la mention des articles d’un code se trouve largement remplacée par celle des
arrêts dont les normes jurisprudentielles sont issues (comme on l’a constaté avec l’arrêt
Blanco, ils sont désignés, outre que par leur date, par le nom de la partie dont le recours a
provoqué leur prononcé).

3. Les transformations contemporaines du droit administratif

Ces caractéristiques traditionnelles du droit administratif sont, il est vrai, en train d’évoluer,
sous l’effet de plusieurs facteurs qui sous tendent à un amenuisement du pouvoir créateur du
juge. Dans la plupart des domaines, d’abord les règles du jeu sont fixées depuis longtemps : le
juge n’a plus qu’à gérer, en la perfectionnant le cas échéant, l’œuvre qu’il a édifiée. D’où le
sentiment d’un certain essoufflement de la créativité jurisprudentielle, repérable sinon dans le
tarissement de la production de « grands arrêts », du moins dans le fait que les innovations
jurisprudentielles conduisent plutôt à l’approfondissement du contrôle du juge sur l’action
administrative qu’à la découverte de nouveaux principes de fond. Ensuite, la jurisprudence est
de plus en plus concurrencée par le droit écrit : la loi, le règlement, la réglementation
communautaire occupent une place croissante dans l’ensemble normatif qui régit l’activité
administrative et supplantent la jurisprudence dans sa fonction de création de règles nouvelles.
Parfois, il est vrai, les textes se bornent à codifier la jurisprudence ; mais cet hommage rendu
au juge ne lui en ôte pas moins pour l’avenir son emprise sur la matière codifiée. Des pans
entiers et importants de l’activité administrative sont aujourd’hui régis par le droit écrit :
l’organisation territoriale, la fonction publique, les marchés publics, l’urbanisme et
l’expropriation…, tandis que la loi et le règlement investissent régulièrement de nouveaux
domaines comme celui de la procédure administrative non contentieuse, sans compter les
innombrables régimes législatifs spéciaux en matière de responsabilité.

Le pouvoir créateur du juge s’est également trouvé bridé par la « constitutionnalisation » du


droit administratif et la découverte, par le Conseil constitutionnel, de nouveaux principes de
valeur constitutionnelle applicables en matière administrative qui limitent non seulement la
liberté du législateur, mais aussi celle du juge. Le droit administratif, qui s’est développé de
façon parfaitement autonome par rapport au droit constitutionnel, apparaît désormais sinon
comme « subordonné » à lui, du moins dans sa dépendance. Ce phénomène, qui témoigne de
l’unité retrouvée de l’ordre juridique, n’en restreint pas moins la latitude du juge administratif
dans l’édiction des normes.

24
Mais ce déclin relatif de l’activité normative du juge et le rééquilibrage des sources du droit
administratif au profit des sources écrites ne modifient pas fondamentalement la nature du
droit administratif. Ce rééquilibrage, d’abord, n’a pas affecté pour l’instant la place
prépondérante de la jurisprudence dans des matières aussi importantes que le régime de la
décision exécutoire, le droit de la responsabilité, ou le contrôle juridictionnel de l’action
administrative. Aujourd’hui encore, de surcroît, si l’on met à part le droit constitutionnel, il
n’est pas excessif d’affirmer que c’est la jurisprudence qui fournit les règles applicables à la
généralité des situations, tandis que les textes régissent plutôt des domaines particuliers
d’activité de l’administration, ou encore dérogent au droit commun jurisprudentiel.
Qualitativement, sinon quantitativement, le droit administratif reste donc – et restera encore
longtemps – un droit fondamentalement « prétorien », marqué par son origine
jurisprudentielle.

4. Le rapprochement des droit administratif et constitutionnel

Historiquement, droit administratif et droit constitutionnel sont deux droits séparés. Le droit
administratif a toujours été « déconnecté » des Constitutions successives et le Conseil d’Etat a
longtemps été dans l’impossibilité d’exercer un contrôle de l’action administrative sur la base
de normes constitutionnelles. En revanche, le droit constitutionnel s’est inspiré très tôt, au
moins implicitement, du droit administratif (de ses concepts, de ses méthodes) pour se
construire.

Pour la première fois, l’introduction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de


1789 dans l’ordre juridique (Déclaration qui est l’une des sources majeures d’inspiration du
Conseil d’Etat dans l’élaboration des principes du droit administratif), par le biais des
préambules respectifs des Constitutions de 1946 et 1958, a certes mis en évidence le fossé qui
séparait droit administratif et droit constitutionnel mais a également laissé entrevoir certaines
perspectives de rapprochement.

Ce n’est que depuis une dizaine d’années qu’un rapprochement significatif s’est opéré. Depuis
lors, ces deux droits s’enrichissent et s’influencent mutuellement. Le Conseil Constitutionnel
s’est inspiré et s’inspire toujours des concepts, des méthodes et des principes jurisprudentiels
élaborés par le Conseil d’Etat (il en est ainsi de l’idée d’une gradation du contrôle
juridictionnel, de la notion d’erreur manifeste d’appréciation ou de la jurisprudence des
principes généraux du droit prolongée par celle relative aux principes à valeur
constitutionnelle). Réciproquement, le Conseil d’Etat bénéficie de l’œuvre jurisprudentielle du
Conseil constitutionnel. En effet, la Haute juridiction administrative n’hésite pas à se référer
directement, à l’appui de ses décisions, aux principes de valeur constitutionnelle consacrés
comme tels par la jurisprudence constitutionnelle. Il s’agit notamment des principes contenus
dans le préambule de la Constitution de 1958 au sein duquel la Déclaration des droits de
l’homme occupe une place primordiale (à compter de la décision fondamentale du 16 juillet
1971, Liberté d’association*, Rec. Lachaume, p.26).

La jonction avec le droit constitutionnel

25
Elle contribue à caractériser le droit administratif d’une façon particulièrement intéressante,
pour la raison qu’elle est un fait nouveau, et même aussi contemporain que possible, puisque
cette jonction (pour emprunter ce terme au doyen Georges Vedel ; AJ juin 1995, n° spécial,
p.11 et 12) est, du point de vue de l’évolution du droit administratif, un évènement marquant
de la dernière décennie de notre siècle.

Au cours de l’histoire de notre droit administratif, considéré dans ce qu’il y’a de


jurisprudentiel et donc de fondamental, il y’a toujours eu une distance, et même un vide, entre
ce droit et les successives constitutions ; - ce qui, d’ailleurs lui a permis de se développer avec
une continuité que le droit constitutionnel n’a certes pas connue (v. G. Vedel ; Discontinuité du
droit constitutionnel et continuité du droit administratif : le rôle du juge, Mélanges M. Waline,
LGDJ, 1947, p. 777).

Du reste, il faut bien voir que, tout au long de la IIIème République (période des plus
importantes pour la formation du droit administratif), il fut exclu que le juge puisse se référer,
en vue d’y soumettre l’action de l’administration, à des normes constitutionnelles, puisque les
lois constitutionnelles de 1875 (simples « lois de procédure ») n’édictaient pas plus de
principes propres qu’elles ne remettaient en vigueur la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789. Droit administratif et droit constitutionnel ne pouvaient être que séparés.

C’est donc très naturellement que (compte tenu, d’autre part, du silence de la législation
ordinaire) le Conseil d’Etat a été conduit à déterminer et consacrer lui-même les principes
devant régir l’administration (v. nos 92 et s.), - ce qu’il fait, très remarquablement, en
s’inspirant notamment de la Déclaration de 1789, qui a été ainsi une « source matérielle » (v.
n°43) de sa jurisprudence (v., notamment, l’étude de F. Gazier, M. Gentot et B. Genevois,
EDCE 1989, n°40, p.151).

5. L’excessive complexité du droit administratif

Même si des projets considérables ont été réalisés depuis vingt cinq (25) ans pour rapprocher
l’administration des administrés (davantage de transparence, d’informations…) et pour faire du
droit administratif un droit moins inégal (même s’il l’est par nature), force est de constater que
ce dernier apparaît toujours aux administrés comme une nébuleuse de règles et de principes
plus ou moins inaccessibles. De la même façon, la pratique administrative demeure trop
complexe pour leur permettre d’en comprendre et d’en maîtriser les rouages.

Par ailleurs, si le Conseil d’Etat (et la juridiction administrative en général) n’est plus
aujourd’hui le « protecteur des prérogatives de l’administration », il n’en reste pas moins
organiquement, intellectuellement, proche de l’administration et de ses préoccupations.

Enfin, la lisibilité parfois réduite de la jurisprudence (les arrêts sont souvent concis, complexes
et leurs motivations restent trop sommaires) en rend difficile la compréhension et
l’interprétation. Là encore, si l’administration ou les praticiens du droit sont à même de
chercher le sens d’une décision, notamment en se rapportant aux conclusions des
Commissaires du gouvernement (qui exposent de manière plus substantielle les arguments qui
fondent l’arrêt), tel n’est évidemment pas le cas des administrés quelque peu désarmés face à
un langage de spécialistes.

26
Pourquoi, de façon générale, ne pas organiser une meilleure publicité des solutions marquantes
rendues par le Conseil d’Etat et les tribunaux administratifs ? Pourquoi le justiciable doit-il
attendre d’être en conflit avec l’administration pour avoir un premier aperçu de ses droits et
par là même des obligations de l’administration.

Et, relativement à l’œuvre de certains commissaires du gouvernement parmi les plus notoires,
Jean Romieu et Léon Blum. v. celles de G. Cahen-Salvador et P. Juvigny, ibid., p. 323 et 337.
Ainsi que, en ce qui concerne Romieu, l’étude de D. Costa, Rev. adm. 1995, p.88.

De ces conditions d’élaboration découlent un certain nombre de traits spécifiques du droit


administratif. Le premier de ces traits est la place qu’y occupe le contentieux, dont le
développement a conditionné la construction du droit administratif. Les « grands arrêts » du
Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits sont devenus la source essentielle du droit
administratif aux yeux de la doctrine, née, selon l’expression imagée de Jean Rivero, « sur les
genoux de la jurisprudence », tandis que les membres de la juridiction administrative, mieux
placés que quiconque pour interpréter et commenter leur propre production, prenaient une part
essentielle dans l’exercice de la fonction doctrinale. Le caractère souple et évolutif du droit
administratif, en second lieu, peut lui aussi être rapporté à son origine jurisprudentielle :
n’étant pas lié à la loi, le juge est mieux à même de faire évoluer la jurisprudence et de
l’adapter aux transformations qui affectent la société. Cette thèse, certainement vraie à
l’origine, demande cependant aujourd’hui à être nuancée : l’expérience montre en effet qu’il
est désormais plus facile et plus rapide de changer la loi que de faire évoluer la jurisprudence,
le juge étant d’autant plus réticent à des revirements brusques qu’ils vont à l’encontre de
l’exigence de sécurité juridique. Enfin, ce n’est pas sans raison qu’est souvent dénoncé le
caractère secret et aristocratique – au sens où il s’agit d’un droit pour initié – du droit
administratif : la difficulté d’accéder aux sources, puisque la règle de droit ne se lit directement
nulle part, la complexité et la subtilité des règles qui font les délices des spécialistes mais
déconcertent les simples citoyens, renforcent le mystère de l’incompréhension qui s’attachent
aux mécanismes administratifs et contribuent à la méconnaissance de leurs droits par les
administrés.

27
B. Un droit exorbitant du droit commun par son contenu

Comme précédemment indiqué, le droit administratif est un droit spécial en ce que ses règles
sont exorbitantes du droit commun. Cette « exorbitance » procède de la puissance publique
dont est investie l’Administration et qui revêt une double dimension, s’exprimant en
prérogatives ou, au contraire, en sujétions.

1. Les prérogatives de puissance publique

Le droit administratif reconnaît d’abord à l’Administration des prérogatives dites de puissance


publique qui s’analysent en des dérogations au régime juridique des particuliers et jouent dans
le sens de la majoration de ses droits. Ainsi a-t-elle le droit de réquisitionner, d’exproprier, de
modifier ou de résilier unilatéralement les stipulations contractuelles, d’édicter des actes
unilatéraux, de prendre des règlements de police voire d’utiliser la force publique…

Les prérogatives de puissance publique font du droit administratif un droit inégalitaire et le


différencient de la sorte du droit commun. En effet, alors que les rapports entre particuliers
reposent sur le principe fondamental de l’égalité, les rapports entre l’Administration et les
administrés sont des rapports d’inégalité, celle-là se trouvant dans une position de supériorité
par rapport à ceux-ci. C’est l’Administration « impérieuse » face aux administrés, le Léviathan
face à ses sujets.

2. Les sujétions de puissance publique

Le droit administratif soumet ensuite l’Administration à des sujétions de puissance publique


qui, elles, s’analysent au contraire en des « prérogatives en moins », c’est-à-dire en des
réductions de ses droits. Ainsi, à la différence des particuliers, qui disposent du libre choix de
leurs buts, de leurs employés et de leurs contractants, l’Administration a à sa charge
l’obligation de ne poursuivre qu’un seul but, l’intérêt général, et de ne recruter ses agents et de
ne contracter que selon les conditions et procédures strictes imposées par la loi.

Les sujétions de puissance publique permettent de distinguer le droit administratif du droit


commun, le critérium distinctif reposant sur un autre principe fondamental : la liberté.
L’absence de la liberté, qui caractérise la situation juridique de l’Administration fait de celle-
ci, non plus une Administration « impérieuse » mais une Administration « ligotée », qui n’est
plus investie de la puissance publique mais est soumise à la servitude publique. Toutefois la
servitude, qui comporte des sujétions exorbitantes du droit commun, ne participe pas moins de
la puissance publique. L’exorbitance du droit administratif amène P. Weil à relever qu’il
« n’est pas et ne peut être un droit comme les autres » et plus précisément « qu’il n’est pas un
droit juridique mais un droit politique ».

28
En ce sens, le droit administratif se caractérise ou devrait se caractériser autant par des
sujétions particulières imposées à l’Administration, pour la mettre mieux à même de servir la
collectivité publique, que par des prérogatives exorbitantes du droit commun : permettre à
l’Administration de servir l’intérêt général. Reste à définir cette notion, ce qui n’est pas la
moindre des difficultés auxquelles nous nous trouvons confrontés.

Le droit administratif, droit perfectionné

Il apporte en effet de réelles garanties aux administrés, tout comme des garanties de bonne
administration. C’est un droit qui s’efforce d’ailleurs de toujours bien adapter la règle aux
exigences des intérêts en cause, qui n’entend sacrifier ni l’intérêt général ni les droits
individuels. Du même coup, c’est un droit subtil et toujours évolutif. Le droit administratif a
déjà une longue histoire derrière lui ; mais il a certainement aussi une histoire devant lui. Le
droit administratif est un droit perfectionné ; Cela ne signifie pas en revanche que le droit
administratif soit parfait : il est perfectionné, mais il est également perfectible.

29
PREMIERE PARTIE: L’ACTION ADMINISTRATIVE

L’action administrative peut se définir comme l’ensemble des activités prises directement en
charge par l’administration ou placées sous son contrôle et ayant pour but et justification la
satisfaction de l’intérêt général.

Cette action est soumise au respect d’un principe fondamental : le principe de la légalité (TITRE
I). Elle s’exerce par des moyens juridiques (TITRE II) et emprunte certaines formes (TITRE III).

TITRE I : LA THEORIE DE LA LEGALITE ADMINISTRATIVE

L’action administrative n’est pas libre. Elle est limitée par l’obligation de respecter certaines
règles. C’est la traduction du principe de légalité. Il convient alors d’aborder dans un premier
temps, les sources de la légalité administrative (Chap. I) et dans un second temps, la portée de
cette légalité (Chap. II).

REMARQUES PRELIMINAIRES : DROIT ADMINISTRATIF ET LEGALITE

Le principe de légalité est le plus important de notre droit public, principe antérieur à la
législation républicaine elle- même et dont tout l'effort de la jurisprudence administrative a tendu
à imposer le respect à toutes les autorités administratives, si haut placées qu'elles fussent et quel
que fût leur caractère ... Il constitue la garantie essentielle des citoyens et de la cité (J. Delvolvé,
concl. sur CE 17 fév. 1950, dame Lamotte *, RDP, 1951.478).

Il est l'expression dans l'ordre administratif de l'État de droit. La formule lie la légalité à la loi : la
soumission au droit se réduirait à la soumission à la loi. Il pouvait en être ainsi à l'époque où la
loi, expression de la volonté générale (Carré de Malberg) était considérée comme la source
exclusive du droit. Pourtant, en matière administrative, elle était assez rare; la jurisprudence était
la source principale du droit administratif. Le principe de légalité était plutôt celui de la
soumission de l'administration à la jurisprudence.

Paradoxalement, le principe de légalité s'est développé à une époque où la loi régnait mais ne
gouvernait guère l'administration.

Désormais la loi n'est plus souveraine. Mais, d'une part, son rôle s'est accru dans le domaine
administratif, d'autre part, il s'est accompagné de l'important développement d'autres sources de
droit au niveau constitutionnel et international, qui a permis de passer de l'État légal à l'État de
droit. La formule principe de légalité a pourtant été conservée. Il suffit de savoir, pour la retenir,
qu'elle ne signifie pas seulement la subordination de l'administration à la loi, mais plus
généralement au droit.
30
L'administration est soumise au droit, même si elle contribue, elle-même, à faire le droit
notamment par l'exercice de son pouvoir réglementaire. Celui-ci est en effet une source de droit,
mais il est simultanément soumis au respect des règles supérieures.
Le principe de « légalité» énonce le principe fondamental selon lequel les actes de
l'administration doivent respecter toutes les nonnes qui lui sont supérieures, qu'il s'agisse de
celles émanant directement ou indirectement du peuple français, telles les nonnes
constitutionnelles ou les lois, ou des normes résultant de traités internationaux, et en particulier
du droit communautaire dont l'éventuelle méconnaissance par l' administration est aujourd'hui
toujours susceptible d'être sanctionnée.

L'expression même de « principe de légalité» date d'une époque à laquelle, en l'absence de


contrôle de constitutionnalité des lois, ces dernières apparaissaient comme la seule norme
supérieure. Aujourd’hui, la « légalité» doit s'entendre dans un sens plus vaste, comme ne visant
pas seulement la loi, mais aussi les normes constitutionnelles, les normes internationales, les
principes généraux du droit, etc.
Certaines des sources de la « légalité» au sens large sont extérieures à l'administration, qu'il
s'agisse des normes constitutionnelles, des normes internationales ou encore de la loi ou de la
jurisprudence. Cependant, les règles édictées par l'administration elle-même sont également
sources de la « légalité », en ce sens notamment que toutes les décisions particulières de
l'administration devront se conformer aux règles générales qu'elle aura elle- même édictées.
Le juge administratif a pour rôle de soumettre l'administration et plus largement le pouvoir
exécutif ou respect du droit. En ce sens, J.M. Auby écrit : « Le droit administratif une formule
doctrinale courante, comporte un postulat fondamental, celui de la soumission de l'administration
au droit, qui constitue une formulation très générale du principe de légalité. Mais la limitation du
pouvoir administratif par le droit comporte des limites. Si la légalité assure, en principe, la
primauté du droit sur la force dans les relations sociales et politiques, encore faut-il pour qu'elle
soit concrètement réalisée, que le droit soit effectivement applicable et appliquée

LE PRINCIPE DE LEGALITE
L'action administrative n'est pas libre: elle est limitée par l'obligation de respecter certaines
règles de droit. Il est nécessaire donc de rechercher la signification de ce principe de soumission
de l'administration au droit et les règles qui limitent l'action administrative.

Signification du principe de légalité.

Le principe de légalité est un principe spécifique, dans la mesure où sa signification, son


contenu, sa portée sont fortement influencés par la nature particulière du principal assujetti qu'est
l'Etat et son appareil administratif.
La soumission de l'administration à un certain nombre de règles est inhérente à toute
construction étatique de quelque importance, et de ce fait le respect de la légalité est une
exigence relativement ancienne.
Pour différentes raisons, il est souhaitable que l'administration soit soumise au droit, que son
action se déroule non dans l'arbitraire mais dans le cadre des règles qui en garantissent la
constance et l'objectivité. Cependant, la seule idée de soumission de l'administration au droit
31
peut comporter plusieurs applications. Le principe de légalité a subi une mutation capitale
lorsque l'avènement de la démocratie moderne a transformé la conception des rapports entre
l'Etat et les individus

32
De l’Etat de police a l’Etat de droit

Lorsqu'il existe des institutions administratives différenciées, écrit J.M. Auby, il est inconcevable
qu'elles ne comportent pas un minimum d'ordonnancement juridique aussi bien pour en définir
les structures que pour établir le principe et les modalités de leur subordination au pouvoir
politique: "une administration non juridicisée est un non sens". A partir de cette constatation, on
peut distinguer l'Etat de police et l'Etat de droit.

Dans l'Etat de police "il existe un droit administratif qui présente un caractère en quelque sorte
dualiste": d'une part, la règlementation applicable aux administrés établissant à leur encontre
diverses sujétions; d'autre part, la règlementation applicable à l'administration, définissant son
organisation et certaines modalités de son action. La séparation entre ces deux domaines tient au
fait que la règlementation juridique de l'administration est extérieure aux administrés. Ceux-ci ne
peuvent exiger que cette règle, dans la mesure où elle détermine l'action administrative, soit
respectée; ils n'ont aucun droit à faire valoir, aucune faculté contentieuse à exercer.

Il existe donc dans cette optique une légalité administrative mais elle présente un caractère
purement interne en ce sens qu'elle ne lie pas juridiquement l'administration aux administrés.
Cette légalité apparaît comme une police intérieure à l'administration ; ses sanctions sont de type
hiérarchique et les administrés ne peuvent en commander la mise en œuvre.

En définitive dans l'Etat de police, l'administration est au-dessus du droit et les autorités
administratives sont déliées de l'obéissance aux règles juridiques.
Dans cet Etat de police, l'administration a des règles, mais les administrés ne peuvent s'en
prévaloir. Ces règles peuvent être respectées ou non, modifiées par l'administration, selon ce
qu'elle estime être les nécessités administratives sans que les administrés puissent légalement s'y
opposer.

Cette forme rudimentaire du principe de légalité, a fait l'objet à l'époque moderne d'un
dépassement: c’est l'avènement de l'Etat de droit. Historiquement, les aspects modernes du
principe de légalité apparaissent dans une ambiance politique déterminée: ils correspondent à
une idéologie libérale et démocratique et s'expriment dans la soumission de l'administration à la
loi, expression de la volonté de la collectivité.

Le droit administratif, écrivit J. RIVERO, « n’a pu naître que dans le cadre de l'Etat de droit, à
partir du moment où le souverain accepta de voir ses agents liés vis-à-vis des administrés par une
obligatoire et sanctionnée juridictionne11ement".Il ajoute aussitôt qua "l'idéologie de l'Etat de
droit ... . est trop directement liée à 1'héritage révolutionnaire pour que les régimes qui se
succèdent en France à partir de l'an VIII aient cru pouvoir le répudier ouvertement".

L'enrichissement moderne du principe de légalité comporte une donnée essentielle: la soumission


de l'administration au droit n'est plus relative, mais absolue en ce sens que les administrés vont
pouvoir l'invoquer et s'en reclamer.les administrés disposent désormais de droit vis-à-vis de
l'administration; pour pouvoir les exercer, ils se voient attribuer des voies de droit à caractère
administratif ou juridictionnel dont la mise en œuvre ne suppose pas l'accord de l'administration.
A ce stade, l'Etat en tant qu'il s'incarne dans l'administration est lié par le droit. L'Etat de droit,
est selon R. Carré de Malberg "celui qui-en même temps qu'il formule les prescriptions
relatives à l'exercice de sa puissance administrative assure aux administrés comme sanctions
de ces règles un pouvoir juridique d'agir devant une autorité juridictionnelle à l'effet
d'obtenir, la reformation ou en tout cas la non application des actes administratifs qui les
auraient enfreintes".

33
Dans l'Etat de droit, l'administration n'est pas maîtresse du droit qui la régit. Certes, e11e
continue de créer en partie le droit, mais que celui-ci soit d'origine extérieure ou intérieure à
l'administration, l'administration doit le respecter. Si elle ne le fait pas, elle commet une illégalité
qui peut être sanctionnée. Les administrés ont alors les moyens juridiques de faire valoir leurs
droits à l'encontre de l'administration.

Dans cette perspective, la fonction du principe de légalité s'élargit considérablement. Elle ne


consiste plus seulement dans l'établissement d'un ordre intérieur à l'administration, mais elle
aboutit à ordonner l’ensemble du « commerce juridique » dans un cadre juridique unique dont
l'administration et les administrés sont considérés comme faisant également parti

L’Etat de droit implique d’une part l’universalité de la loi et l'égalité formelle de tous devant elle,
et d'autre part la limitation de l'Etat par le Droit en vue de garantir les libertés des individus.

L'État de Droit s'oppose à l'État de police, dans lequel l'administration pouvait


"d'une façon discrétionnaire et avec une liberté de décisions plus ou moins complète, appliquer aux
citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre en vue de faire face aux circonstances et
d'atteindre il chaque moment les fins qu'elle se propose: ce régime de police est fondé sur l'idée que
la fin suffit à justifier les moyens"

C'est le cas de la monarchie absolue et des dictatures. Certes ces régimes comportent un
agencement hiérarchisé des normes juridiques mais on ne saurait en inférer la soumission de l'État
au droit. L'État de Droit en revanche implique la séparation organique des pouvoirs (législatif,
exécutif, judiciaire) et sa limitation par des règles de droit qui, d'une part fixent les voies et moyens
qui pourront être employés en vue de réaliser les buts étatiques, d'autre part garantissent les droits et
les libertés des citoyens qui peuvent agir devant une autorité juridictionnelle afin d'obtenir
l'annulation des actes étatiques qui les auraient enfreintes. L'État de Droit renvoie à un certain
contenu des règles juridiques à une certaine conception du pouvoir et de ses rapports avec les
citoyens, sous-tendu par des valeurs déterminées. Il est le produit du libéralisme politique et
économique. Les libertés publiques garantissant la liberté de la propriété, du travail et des contrats
ainsi que la sûreté individuelle, ont fondé et protégé constitutionnellement le nouvel ordre
économique et social du capitalisme libéral.

34
CHAPITRE I : LES SOURCES DE LA LEGALITE ADMINISTRATIVE

Dans un Etat de droit, l’administration est tenue de respecter la légalité c’est-à-dire l’ensemble des
règles de droit formant le ¨bloc de légalité¨

Certaines des sources de la légalité au sens large sont extérieures à l’administration. Ce sont les
sources supra-administratives de la légalité. D’autres au contraire émanent de l’administration elle-
même : ce sont les sources administratives de la légalité.

SECTION I : Les sources supra-administratives de la légalité

Il s’agit de l’ensemble des règles qui émanant de sources supérieures, s’imposent en blocs à toutes
les autorités administratives quelles qu’elles soient.

§.1. LES SOURCES CONSTITUTIONNELLES

Il faut situer la place de la Constitution comme source de légalité mais également parmi les autres
sources de la légalité.

A – La place de la constitution comme source de légalité

La Constitution elle-même est la norme supérieure dans un Etat qui pose les principes de
l’organisation sociale. Elle détermine les règles relatives à la dévolution du pouvoir politique. Leur
étude relève essentiellement du droit constitutionnel.

Cependant, la Constitution comporte aussi un certain nombre de règles qui encadrent directement
l’action de l’administration.

Les autorités administratives peuvent se voir reprochés une violation des règles
constitutionnelles

Depuis 1946, et plus encore depuis 1958 les occasions de vérifier la ¨constitutionnalité¨ des actes
administratifs sont d’ailleurs devenues plus nombreuses : l’amoindrissement de la compétence du
législateur fait que l’exécutif est plus souvent directement ¨en contact¨ avec les règles
constitutionnelles.

Le juge administratif se réfère aux dispositions de la Constitution pour annuler un acte


administratif qui leur est contraire (CE, 12 février 1960, EKY, Dalloz, 1960, p. 236). Le champ des
normes Constitutionnelles s’étend bien au-delà du texte des articles de la Constitution. Il englobe
aussi le préambule de la Constitution.

35
LE « BLOC DE CONSTITUTIONNALITÉ »
Il existe en droit français une hiérarchie des normes. Au sommet de cette hiérarchie se trouve
l'ensemble des normes de valeur constitutionnelle formant le bloc de constitutionnalité. Ce bloc
constitue la référence sur laquelle s’appuient le Conseil constitutionnel et le juge constitutionnel,
pour contrôler la constitutionnalité de la loi. Mais il s'impose également tout naturellement à
l'administration qui doit y conformer son action.

Défini et élargi progressivement sous l'impulsion de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et


de son travail d'interprétation des normes de référence, le bloc de constitutionnalité comprend bien
évidemment le texte même de la Constitution du 4 octobre 1958 mais également son préambule
ainsi que tous les textes auxquels il renvoie. Il comprend également des principes non écrits (non
rattachés à un texte) formulés par la jurisprudence constitutionnelle pour combler, précisément, des
lacunes textuelles.

Le « bloc de constitutionnalité» s'étend cependant au-delà des articles mêmes de la Constitution. En


effet, à partir du préambule de la Constitution de 1958 renvoyant lui-même à la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946, le Conseil
constitutionnel a dégagé tout un ensemble de principes à valeur constitutionnelle, dont le respect
s'impose à l'administration.

Le texte de la Constitution
Jusqu'en 1971, on ne pouvait guère parler de bloc de constitutionnalité puisque seule la
Constitution, ou plus précisément ses articles, avait valeur constitutionnelle. Certaines de ses
dispositions intéressent directement l'administration et le droit administratif.

Le contenu de la Constitution

Schématiquement, on peut dire que les règles relatives à l'organisation des pouvoirs publics
s'imposent à l'administration. Parmi celles- ci, on distingue des règles de compétence et des règles
de fond.

Les premières concernent la répartition des compétences d'une part entre le Président de la
République et le Premier ministre relatifs au pouvoir réglementaire général (art. 63) et au pouvoir
de nomination des fonctionnaires de l'État (art. 55 et 63 al. 3), d'autre part entre le gouvernement et
le Parlement (art, 101, 107, 108 et 151 relatifs, respectivement, au domaine de la loi, à celui du
règlement, à l'intervention du gouvernement en matière législative, à la ratification et à
l'approbation des traités).

Les secondes portent sur quelques grands principes tels l'égalité des citoyens devant la loi (art. 1),
l'égalité et le secret du suffrage (art. 12), la liberté de constitution et d'activité des partis politiques

36
(art. 13), la libre administration des collectivités locales par des conseils élus et sous le
contrôle d'un représentant du gouvernement (art. 108 et 145) et la supériorité des traités
internationaux sur les lois internes (art. 151).

Bien que s'adressant directement au législateur, ces règles ne s'en imposent pas moins à
l'administration. Les actes administratifs doivent donc les respecter.

Le respect de la Constitution

Le point qui nous intéresse plus particulièrement est celui du respect de la Constitution par
l'administration. Quelle est l'autorité qui a la charge de veiller à ce respect? Certes, les pouvoirs
publics jouent leur rôle (chef de l'État, gouvernement et Parlement). Mais, comme un réel contrôle
de l'administration ne peut être effectué que par des autorités dont elle ne dépend pas, cette tâche
revient naturellement aux juridictions judiciaire, administrative et constitutionnelle.

Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des décisions administratives, la juridiction


administrative joue un rôle important, notamment en matière de conformité des règlements.
Pourtant, ce contrôle connaît une limite inhérente aux compétences du juge administratif. En effet,
ce dernier est compétent (comme le juge judiciaire) pour veiller au respect de la loi mais, en aucun
cas, il ne peut contrôler la conformité des lois à la Constitution (tâche qui revient au Conseil
constitutionnel). Il en résulte qu'une décision administrative peut. être inconstitutionnelle pour avoir
voulu se conformer à une loi elle-même inconstitutionnelle (dont le juge constitutionnel n'a pas été
saisi). Dans ces conditions, le juge n'a aucun moyen de censurer la décision. C'est la théorie de la «
loi écran ».

Par ailleurs, chaque juridiction, à son niveau, est amenée à interpréter les dispositions
constitutionnelles. Il existe donc un risque pour la cohérence de l'ordonnancement juridique de
trouver des interprétations divergentes d'une même disposition. Quelle interprétation doit alors
prévaloir? Pour répondre à cette question, il faut déterminer l'autorité des décisions du Conseil
constitutionnel.

Aux termes de l'article 62.2 de la Constitution, les décisions du Conseil « s'imposent aux pouvoirs
publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». C'est ce que l'on appelle
l'autorité de la chose jugée (notion issue du Code civil et précisée par la jurisprudence judiciaire).

Les décisions du Conseil s'imposent aux pouvoirs publics, c'est-à-dire au Parlement, au Président de
la République, au gouvernement et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, c'est-à-
dire aux différentes administrations et aux juges. Elles s'imposent aussi évidemment à tout auteur de
saisine.

Il s’agit normalement de l’interprétation que le Conseil constitutionnel donne des textes


constitutionnels.

Deux questions se posent immédiatement. Est-ce une partie seulement ou la décision toute entière
du Conseil qui s'impose? Quels sont les moyens dont dispose le Conseil pour imposer sa décision?
37
A la première question, le Conseil constitutionnel a répondu sans ambiguïté. Il a estimé que
l'autorité de ses décisions « s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en
sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même » (CC, 16 janvier 1962, Loi
d'orientation agricole, S. 1963, p. 303, note L. Hamon; décision confirmée régulièrement).
Autrement dit, le Conseil affirme non seulement l'autorité de la solution (le dispositif) mais aussi du
raisonnement et des arguments juridiques employés (les motifs).

A la deuxième question, il est plus complexe d'apporter une réponse. A l'appui de l'autorité de la
chose jugée, le Conseil constitutionnel ne dispose d'aucun moyen pour imposer ses décisions. En
effet, il n'est pas le supérieur hiérarchique, n'est pas « au-dessus) des deux ordres de juridictions. Il
ne peut donc procéder de sa propre initiative à une harmonisation de la jurisprudence sur une
question donnée. Tout dépend donc de l'attitude des juridictions.

Or, dans ce domaine, les positions de la juridiction administrative et des juridictions de l'ordre
judiciaire sont relativement proches.

Elles se conforment à la chose jugée par le Conseil constitutionnel, c'est -à -dire qu'elles procèdent
d'elles-mêmes aux ajustements de jurisprudence nécessaires au respect des décisions du Conseil
constitutionnel. L'unité de la jurisprudence est alors préservée. Ainsi, le Conseil d'État, dans un arrêt
d'Assemblée du 20 décembre 1985, Société des Établissements Outters (Rec., p. 382, D. 1986, p.
283, note L. Favoreu. fait explicitement référence à la jurisprudence constitutionnelle et estime,
conformément à celle-ci (mais contrairement à sa propre jurisprudence), que les redevances perçues
par les agences financières de bassin ont un caractère fiscal. Le juge judiciaire se réfère également à
la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En ce sens, la chambre criminelle de la Cour de
cassation a défini les pouvoirs de l'autorité judiciaire en matière de contrôles d'identité en s'inspirant
de la jurisprudence du Conseil (Crim., 25 avril 1985, Bull. crim., n° 159).

Est, de même, remarquable le fait que le Conseil d’Etat ne se refuse pas à se prononcer sur le
fondement de principes constitutionnels posés par les textes, tels qu’ils ont été interprétés par le
Conseil constitutionnel.
Il est d'ailleurs remarquable que le juge administratif tende à se fonder de plus
en plus souvent directement sur les règles constitutionnelles et à faire référence expressément à la
jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux « principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République ». Le Conseil d'État s'est, par exemple, référé dans un arrêt du 29 mai
1992 Association amicale des professeurs titulaires du muséum national d'histoire nature/le au principe
fondamental de l'indépendance des professeurs de l'enseignement supérieur tel « que l'a
énoncé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1984» (Rec. p. 217).

IL s’est aussi, en 1992 également, référé au « principe de valeur constitutionnelle du pluralisme des
courants d’idées et d’opinion », sous-jacente dans la décision du Conseil constitutionnel – CC., 11
janvier 1990, Dépenses électorales, p. 21, 11ème à 14ème consid.

Il arrive aussi que le Conseil d'État consacre lui-même l'existence d'un « principe fondamental
reconnu par les lois de la République », telle principe selon lequel « l'État doit refuser l'extradition
d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but politique» (CE, Ass., 3 juill. 1996, Koné, RFDA
1996, p. 870, conc1. Delarue), alors même que le Conseil constitutionnel ne s'était pas encore
prononcé sur ce point.
38
Cependant, les juridictions ne s'estiment pas juridiquement liées par la jurisprudence de la Haute
instance dans la mesure où elles estiment que le Conseil ne dispose pas (par ses décisions) d'un
pouvoir normatif, c'est-à-dire créateur de règles de droit, mais simplement d'une autorité limitée au
cas d'espèce. Il est arrivé dans le passé, et il arrive encore, qu'une juridiction ne respecte pas le sens
des décisions du juge constitutionnel. On peut alors se retrouver devant une divergence de
jurisprudence entre le Conseil constitutionnel et les juridictions (par exemple avec le Conseil d'État
en matière de répartition des compétences entre la loi et le règlement, avec le juge judiciaire en
matière de fouille des véhicules) et/ou une contrariété de jurisprudence entre la juridiction
administrative et la juridiction judiciaire (comme cela s'est produit sur la question de la supériorité
des traités sur les lois françaises).
Fort heureusement, dans l'ensemble, les juridictions tiennent très largement compte de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Parfois, le Conseil constitutionnel va plus loin qu’un simple travail d’interprétation. Il crée
une norme sans attache textuelle. L’administration doit également respecter cette norme
jurisprudentielle. Exemple : le principe de la continuité du service public – CC., 25 juillet 1979,
Continuité du service public de la radiotélévision.

Le préambule de la Constitution
Très riche malgré sa brièveté, le préambule de la Constitution proclame en effet « l'attachement du
peuple français» tout à la fois aux droits de l'homme définis par la déclaration de 1789, et, par un
renvoi au préambule de la Constitution de 1946, aux principes fondamentaux reconnus par les lois
de la République et aux principes politiques, économiques et sociaux définis en 1946 comme étant
particulièrement nécessaires à notre temps. Tous ces principes ont toujours valeur de droit positif
aujourd'hui, par le renvoi qu'opère la Constitution de 1958.

39
Extrêmement succinct, le préambule renvoie à certains textes et, par ricochet, à certains principes.
De la valeur des dispositions contenues dans le préambule dépend l'étendue et le niveau de leur
application. Qu'il leur soit reconnu valeur constitutionnelle et leur respect s'imposera à
l'administration, à la juridiction administrative ainsi qu'au législateur et au Conseil constitutionnel.

La valeur du préambule

Le préambule de la Constitution et les déclarations de droits auquel il renvoie sont également


importants; il s'agit de dispositions générales figurant en tête de la Constitution, avant
l'énumération des articles; elles sont généralement consacrées à l'exposé des grands principes qui
constituent la philosophie politique de l'Etat. Elles affirment également l'attachement du pays à des
déclarations solennelles de Droits; ainsi la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de
1789 et la Déclaration universelle du 10 décembre 1948. Les termes utilisés sont- souvent à la fois
vagues -et-pompeux, ce qui ne facilite pas la tâche du juriste. Le problème a été en effet, de
savoir si ces dispositions ont valeur .de source constitutionnelle de droit.

Cette question a fait l'objet de longs débats en France, notamment sous les troisième et quatrième
républiques, maintenant en partie apaisés par l'intervention de certaines décisions du Conseil d'Etat
et du Conseil constitutionnel, (ce problème relevant surtout du droit constitutionnel, on se bornera à
quelques précisions). L'essentiel de la controverse résidait en ceci que la formulation vague et très
générale des principes figurant dans ces textes, rendant difficile leur application, amenait à
s'interroger sur leur valeur juridique; ne s'agissait-il pas seulement d'affirmations d'ordre
philosophique

En réalité, deux aspects de la question étaient confondus: le rang et l'application des règles. Ces
règles ont un rang constitutionnel, cela n'est plus contesté: ce sont des sources constitutionnelles à
l'égal des autres dispositions de la constitution; cela vaut aussi bien pour le préambule que pour les
textes auquel il renvoie (le problème de la compatibilité entre elles des diverses dispositions est une
autre question, qui relève de l'interprétation juridique). Mais ces règles n'ont d'autorité directe que si
leur contenu est suffisamment précis pour être applicable; ainsi une affirmation comme le droit au
travail, à l'éducation ou à un niveau de vie suffisant, figurant dans la déclaration universelle de
1948, n'est pas directement applicable; elle suppose que soit entreprise une action générale de
l'Etat. Elle n'est néanmoins pas sans 'valeur c'est une norme constitutionnelle qui s'opposerait à ce
qu'une loi, tendant à l'effet contraire, soit valable. En revanche, l'égalité devant la loi, par ex., est
une norme directement applicable.

On pouvait avoir un doute sur sa valeur constitutionnelle. En effet, le simple (attachement) du


peuple français aux droits et principes proclamés dans le préambule semblait démontrer la volonté
des constituants de ne pas lui attribuer une telle valeur.
Pourtant, dès que l'occasion s'est présentée, Conseil d'État et Conseil constitutionnel ont reconnu la
valeur constitutionnelle de l'ensemble des dispositions du préambule (CE Sect., 12 février 1960, Sté
Eky, Rec., p. 101, D. 1960, p. 263, note J. L'Huillier, le Conseil a estimé que le préambule a la
même force juridique que la Constitution; CC, 16 juillet 1971, Liberté d'association*, Rec.
Lachaume, p. 26).

Le contenu du préambule : les principes consacrés, «découverts» et déduits par le juge


constitutionnel

40
Qu'ils soient précis ou vagues, les principes contenus dans le préambule doivent, pour leur
application au cas par cas, faire l'objet d'une interprétation de la part du Conseil constitutionnel et
du Conseil d'État.

Toutefois, la jurisprudence du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel s'emploie, depuis la


célèbre décision du 16 juillet 1971 du Conseil constitutionnel relative à la liberté d'association, à
donner une portée concrète, liant l'administration, à l'ensemble des principes inscrits dans le
préambule, qu'il s'agisse précisément du principe de la liberté d'association, du principe de la laïcité,
etc. C'est ainsi que le Conseil d'État s'est fondé sur le principe selon lequel « la nation assure à
l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », figurant dans le
préambule de 1946, pour annuler un texte limitant le regroupement familial des travailleurs
immigrés (CE, Ass., 8 déco 1978, GISTI, GAJA n°100).
Parmi ces différents principes, certains ont simplement été consacrés par le Conseil constitutionnel.
Autrement dit, il a reconnu la valeur constitutionnelle de dispositions telles que formulées dans les
textes. C'est le cas du caractère inviolable et sacré du droit de propriété (Décision du 16 janvier
1982 dans laquelle le Conseil s'appuie sur les articles 2 et surtout 17 de la Déclaration des Droits de
1789).

Pour le reste, des principes de valeur constitutionnelle ont été « découverts », voire déduits, par le
Conseil constitutionnel des dispositions contenues dans le préambule.

Énoncés par les préambules, les principes à valeur constitutionnelle ont pris un relief particulier
sous la Vè République, depuis que le Conseil constitutionnel soumet le législateur lui-même à leur
respect. S'imposant, au niveau le plus élevé de la hiérarchie des règles de droit, aux autorités
administratives, ils figurent au premier rang des bases constitutionnelles du droit administratif.

Les principes du Préambule sont venus s'ajouter aux principes généraux du droit, dont la
jurisprudence du Conseil d'Etat exige depuis longtemps le respect par l'ensemble des autorités
administratives : principes du Préambule et principes généraux du droit se complètent et se
combinent.

Les principes du Préambule

Le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 proclame solennellement l'attachement du


peuple français « aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale, tels qu’ils ont
été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée- par le préambule de la Constitution
de 1946 »;

De la référence ainsi faite à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen d'une part, au
préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 d'autre part, découlent trois séries de principes
à valeur constitutionnelle:
- les principes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme;
- les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, auxquels se
réfère le Préambule de 1946 ;
- les principes particulièrement nécessaires à notre temps, que celui-ci a énumérés.

41
Tout en faisant largement application de ces trois groupes de principes, le Conseil constitutionnel
les a complétés d'objectifs à valeur constitutionnelle.

A. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen avait reçu valeur constitutionnelle de


la Constitution de 1791. A partir de 1793, elle n’a plus été qu’un texte historique, sans portée
juridique précise, même si ses principes continuaient d’inspirer les régimes ultérieurs. Dans ses
conclusions sur une affaire Baldy, jugée par le Conseil d’Etat le 17 août 1917, le commissaire du
gouvernement corneille déclarait ainsi qu’il faut se rappeler que « la Déclaration des droits de
l’homme est, implicitement ou explicitement au frontispice des constitutions républicaines ».

Depuis la Constitution de 1946, les dix-sept articles adoptés le 26 août 1789 par l'Assemblée
nationale constituante ont retrouvé leur place, au premier rang des règles de valeur
constitutionnelle.
Leur impact sur l'administration est fort.

Particulièrement garantis, les trois droits fondamentaux que sont la liberté individuelle, l'égalité des
citoyens et le droit de propriété trouvent leur écho en droit administratif, au travers notamment du
contrôle des mesures de police, de l'affirmation du principe d'égalité, du régime de l'expropriation et
des nationalisations. La Déclaration de 1789 proclame également les libertés d'opinion et de
communication et le principe d'égal accès des citoyens aux emplois publics, « sans autre distinction
que celles de leurs vertus et de leurs talents » : elle est le fondement de l'arrêt du Conseil d'État
Barel du 28 mai 1954, qui interdit d'écarter un candidat du concours d'entrée à l'École nationale
d'administration en raison de ses opinons politiques. Elle pose également le principe de la
responsabilité des fonctionnaires, en affirmant que « la société a le droit de demander compte à tout
agent public de son administration ». En matière pénale, la Déclaration des droits de 1'homme
assure la légalité des délits et des peines - une peine ne peut être prononcée qu'en vertu d'un texte -,
la non-rétroactivité de la loi pénale et la proportionnalité entre la peine et le délit. Ces principes
valent pour toutes les sanctions, y compris celles que l'administration inflige.

Les principes de liberté et d'égalité

D'une façon plus générale, en s'appuyant sur les grands principes énoncés dans les différentes
normes de référence (principes que nous qualifierions de transversaux car on les retrouve dans
l'ensemble des textes) le Conseil a dégagé des droits et libertés selon une méthode « déductive ».
D'un principe général de valeur constitutionnelle, le Conseil en déduit d'autres (ces principes se
trouvant souvent eux mêmes dans d'autres dispositions des textes de référence), plus précis.

Ainsi, en partant du principe de liberté (contenu dans la DDHC), le Conseil a pu déduire la liberté
d'aller et venir (CC, 12 juillet 1979, Ponts à péage, Rec., p. 31) ou la liberté d'entreprendre (CC, 16
janvier 1982, Loi de nationalisation, GDCC n° 35).

Le principe d'égalité (contenu dans la DDHC) a été consacré par la jurisprudence constitutionnelle
en 1973 (CC, 27 décembre 1973, Taxation d'office, Rec., p. 25). Le Conseil constitutionnel (comme
le Conseil d'État) a posé comme règle que le principe d'égalité ne s'applique qu'à des situations
comparables ou semblables ».
42
Tous les principes de valeur constitutionnelle, le principe d'égalité est celui qui est le plus souvent
invoqué par les auteurs des requêtes). En particulier, partant du principe d'égalité devant la loi
(Déclaration des Droits), le Conseil a «déduit» les principes d'égalité devant la justice (CC, 23
juillet 1975), d'égalité devant les charges publiques (CC, 12juillel197) ou d’égalité du suffrage (CC,
17 janvier 1979).

Par ailleurs, d'un principe constitutionnellement reconnu, le Conseil peut faire des applications
diverses. Ainsi du principe d'égalité d'accès aux emplois publics (art. 6 de la Déclaration des
Droits), le Conseil a dégagé le principe d'égalité dans le déroulement de la carrière des
fonctionnaires d'un même corps (CC, 15 juillet 1976).

Le principe d'égalité se trouve, quant à lui, consacré tout à la fois dans le préambule et à l'article 1er
de la Constitution.

Par une formule aujourd'hui classique, le Conseil constitutionnel décide que le principe d'égalité ne
s'oppose « ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il
déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence
de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit». Cette
jurisprudence retient une conception de la portée du principe d'égalité très proche de celle qu'avait
dégagée le Conseil d'État. De la même façon, elle reconnaît la possibilité de « discriminations
positives» lorsque les circonstances le justifient.

B. Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ne sont pas davantage
précisés par le Préambule de la Constitution de 1946. Aussi l'expression laisse-t-elle place à une
grande marge d'interprétation.

Elle renvoie sans conteste aux grandes lois de la IIIème République, qui ont fixé le régime des
principales libertés, liberté de réunion (loi du 30 juin 1881), liberté de la presse (loi du 29 juillet
1881), liberté syndicale (loi du 21 mars 1884), libre administration des communes (loi--du-5-
avriL1884), liberté d’association (loi du ler juillet 1901). Mais elle a une portée plus large,
couvrant les principes appliqués avec une constance suffisante par la législation républicaine
intervenue, il précisé le Conseil constitutionnel, antérieurement à l'entrée en vigueur de la
Constitution de 1946. C'est ainsi que la liberté de l'enseignement est au nombre des principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République (décisions du Conseil constitutionnel du 23
novembre 1977 et du 18 janvier 1985).

C'est en se référant aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République que le
Conseil constitutionnel a pour la première fois exercé sur les lois un contrôle de fond, par sa
décision, relative à la liberté d'association, du 16 juillet 1971. Sans faire ensuite un usage très
fréquent de ces principes, il y a rangé des droits reconnus de longue date, comme les droits de la
défense (décisions du 2 décembre 1976 et des 19 et 20 janvier 1981) et la liberté individuelle (12
janvier 1977). Plus constructive, et importante pour le droit administratif, a été sa jurisprudence qui
a inclus dans cette catégorie l'indépendance des professeurs d'université (20 janvier 1984 et 28
juillet 1993) puis l'indépendance (22 juillet 1980) et l'existence même de la juridiction
43
administrative (23 janvier 1987 et 28 juillet 1989), l'autorité de la chose jugée (CC, 15 juillet 1989),
la liberté individuelle (CC, 12 janvier 1977), la liberté d'enseignement (CC, 23 novembre 1977), la
continuité des services publics (CC, 25 janvier 1979).

Dès la IVe République le Conseil d’État s'était référé aux principes fondamentaux reconnus par
l.es lois de. la République, en rangeant parmi eux la liberté d’association (11 juillet 1956, Amicale
des Annamites de Paris), qu'il qualifie de « droit constitutionnel » (24 janvier 1958, Association des
anciens combattants et victimes de la guerre du département d'Oran). Cette jurisprudence anticipait
en quelque sorte sur la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 197 l, La cohérence entre les
deux jurisprudences s’est affirmée sous la V République: tantôt les principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République dégagés par le Conseil constitutionnel étaient des principes
déjà appliqués par le Conseil d'Etat, tantôt le Conseil d'Etat a suivi le Conseil constitutionnel pour
inclure dans cette catégorie des principes nouvellement affirmés, comme l'indépendance des
professeurs d'université (avis du Conseil d'État du 6 mars 1990 et décision du 29 mai 1992,
Association amicale des professeurs du Muséum d'histoire naturelle). Mais il arrive aussi au Conseil
d'État de constater pour la première fois un principe fondamental reconnu par les lois de la
République, sur lequel le Conseil constitutionnel n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur le cas du
principe qui interdit l'extradition demandée dans un but politique (avis du 9 novembre 1995 et arrêt
du 10 juillet 1996, Koné). Appliquer la Constitution implique en effet de l'interpréter.

En partant de la notion vague de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, le
préambule de 1946 qui contient la formule ne détermine pas ces principes fondamentaux; quant aux
lois de la République, ce sont pour la plupart des lois édictées sous la Troisième République,
considérée comme l'âge d'or des libertés le Conseil a découvert des principes de valeur
constitutionnelle. En réalité, il n'a pas créé ces principes, il les a constatés.
Le travail d'interprétation « des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République »
auquel s'est livré le Conseil n'est pas contestable. D'une part, il a recouru à ce pouvoir
d'interprétation avec une extrême modération et, d'autre part, les principes qu'il a dégagés font
l'objet d'un large consensus.
Dans un arrêt fondamental du 3 juillet 1996, le Conseil d'État, pour la première fois sous la
Cinquième République, crée un principe fondamental reconnu par une loi de la République, le
principe selon lequel L'État doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un
but politique) (CE Ass., Koné, AJ janvier 1997, p. 76).
Cette décision constitue une innovation majeure à un double titre. En proclamant l'existence d'un
nouveau PFRLR, le Conseil d'État porte atteinte au monopole du Conseil constitutionnel en matière
de proclamation des normes constitutionnelles. Par ailleurs, la Haute juridiction administrative
décide, avec audace, de faire prévaloir ce nouveau principe fondamental de droit interne sur la
norme internationale.
L'arrêt Koné, approuvé par les uns (le Conseil d'État a agi dans le cadre de sa compétence
d'interprétation de la Constitution), contesté par les autres (la Haute juridiction a empiété sur la
compétence du Conseil constitutionnel), constitue un apport majeur à l'édifice de la hiérarchie des
normes.

C. Autant la Déclaration des Droits de l’Homme et les principes fondamentaux reconnus par les lois
de la République constituent pour l’essentiel des références et un hommage au passé, autant les
44
principes « politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps »
sont en 1946 la marque de préoccupations présentes. Définissant les fondements de la construction
sociale à édifier au lendemain de la Libération, ils traduisent les projets élaborés au sein du Conseil
national de la Résistance et plus largement, la volonté de justice qui inspire « les peuples libres »
après leur victoire sur « les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine ».
Ces principes concernent d'abord les droits des travailleurs: droit au travail, droit de grève, liberté
syndicale, droit de participer, par l'intermédiaire de délégués, à la détermination des conditions de
travail et à la gestion des entreprises. Pour tous, ils proclament l'égalité des hommes et des femmes
et affirment les droits sociaux, à la santé, à l'éducation, à la solidarité, à la protection de la famille,
aux loisirs. Ils indiquent que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a mi acquiert les
caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la
collectivité ». Ils touchent enfin au droit international, droit d'asile, respect des règles du droit
public international, acceptation des limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la
défense de la paix. S’ils ne sont pas tous rédigés en des termes suffisamment précis pour avoir par
eux-mêmes des effets directs, ils ont tous pleine valeur constitutionnelle et ils indiquent au moins
une orientation à respecter. Leurs implications administratives sont nombreuses. En particulier, ils
mentionnent certaines activités de service public, donnent un champ minimum au secteur public et
définissent des principes applicables aux fonctionnaires comme aux autres salariés. C'est ainsi que
l’affirmation selon laquelle « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » a
conduit le Conseil d'État a renverser sa jurisprudence antérieure (7 août 1909, Winkell) pour
reconnaître le droit de grève des agents publics, sous les seules limitations qu'impose .la continuité
minimale du service public (7 juillet 1950, Dehaene). En même temps qu'il appliquait les principes
du Préambule, le Conseil constitutionnel dégageait des objectifs de valeur constitutionnelle, qui
guident l'action' du législateur et des pouvoirs publics. Il a qualifié de tels objectifs la sauvegarde de
l'ordre public, le respect de la liberté d’autrui, la préservation du pluralisme des courants et des
moyens- d'expression, la protection de la santé publique et la possibilité de disposer d'un logement
décent. Ces objectifs donnent au droit administratif à la fois un cadre général, au travers notamment
de la sauvegarde de l'ordre public, et des impératifs dans certains domaines, pluralisme de la presse
et de l'audiovisuel, politiques de la santé et du logement.

Les principes particulièrement nécessaires à notre temps

Il s'agit de principes politiques, économiques et sociaux qui font l’objet et d'une formulation
générale dans le préambule de la Constitution de 1946 : droit au travail, nationalisation des
monopoles de fait el des services publics nationaux, droits de la famille, droit à la protection de la
santé, droit à l'instruction. Le Conseil a notamment consacré le droit d'asile (CC, 9 janvier 1980) ou
le droit de grève (CC, 25 juillet 1979).

Les principes constitutionnels non écrits

Soucieux d'éviter l'accusation de « gouvernement des juges», le Conseil constitutionnel (comme le


Conseil d'État) s'est toujours efforcé de rattacher à un texte les principes qu'il a consacré ou

45
« découverts ». Ce n'est donc que de façon exceptionnelle que sa jurisprudence s'est affranchie de
tout fondement textuel pour consacrer la valeur constitutionnelle de certains principes.
Ces principes non écrits incarnent la dernière génération des normes composant le bloc de
constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a ainsi mis en évidence des principes généraux du
droit non rattachés à un texte (la notion de PGD a été reprise de la jurisprudence du Conseil d'Etat).
Ainsi, dans une décision du 25 juillet 1979 (Continuité du service public de la radiotélévision, Rec.,
p.33, GDCC n° 31), il a concilié le droit de grève (qui figure dans le préambule de la Constitution
de 1946) avec le principe de la continuité du service public cc qui, tout comme le droit de grève a le
caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ».

La jurisprudence du Conseil d’Etat, relativement au Préambule de la Constitution, demeure


cependant nuancée et modérée :

L’inspiration généreuse de certains principes de 1946 leur confère parfois un caractère trop général
pour créer des droits directement opposables aux pouvoirs publics (rappelons
par exemple que le préambule de la Constitution de 1946 consacre pour chacun « le droit d'obtenir
un emploi» et que cette règle a pleine valeur constitutionnelle dans la France
d'aujourd'hui, mais hélas peu d'effectivité).

Parmi ces règles, certaines sont censées être suffisamment précises pour pouvoir être appliquées
telles quelles, alors que d'autres sont formulées en termes trop généraux (qui leur donne une portée
plus philosophique que juridique) et doivent être précisées par une loi pour pouvoir s'appliquer.
Cependant, la jurisprudence n'a pas toujours suivie cette délimitation.

- le Conseil d’Etat n’applique que les dispositions du Préambule suffisamment précises pour être
directement applicables comme règles de droit (CE, 29 nov. 1968, Tallagrand, Rec. 607, au sujet de
la solidarité et de l’égalité des Français devant les charges résultant des calamités nationales : la
disposition est trop vague pour recevoir une quelconque positivité).

Ainsi, le principe selon lequel « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la
liberté a droit d'asile sur les territoires de la République » (art. 4) paraissait directement applicable.
Mais le Conseil d'État l'a jugé trop imprécis et a soumis son respect par le pouvoir réglementaire
aux conditions définies par la loi (CE, 27 septembre 1985, France Terre d'asile,
Rec., p. 263, D. 1986, p. 278, obs. P. Waquet et F. Julien-Laferrière).

Inversement, le principe (pourtant formulé en termes très généraux) selon lequel la nation assure à
l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement a été considéré par le
Conseil d'État comme directement applicable. Il s'est fondé sur cette disposition pour annuler un

46
décret limitant le regroupement familial des travailleurs immigrés (CE Ass., 8 décembre 1978,
Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés, GAJA n° 106).

- n’importe quelle disposition du Préambule ne peut donc être intégrée au droit positif sans cette
condition ;

- il donne priorité aux dispositions de la Constitution elle-même sur celles de son préambule s’il
apparaissait un risque de contradiction entre elles (CE, 12 février 1960, Soc. EKY) ;

- il préfère le plus souvent intégrer les règles énoncées ou incluses dans le Préambule au sein de la
théorie plus large des « principes généraux du droit » (cf. Syndicat Général des Ingénieurs
Conseils ; arrêt GISTI : « Cons. Qu’il résulte des principes généraux du droit, et notamment du
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958
que les étrangers résidant régulièrement en France ont, comme les nationaux, le droit de mener une
vie familiale normale… »

Le préambule sert alors à alimenter et à renforcer cette théorie des principes généraux du droit
dégagée par la jurisprudence à partir des grandes traditions et de l’esprit profond du système
juridique français.

47
B – La place de la Constitution parmi les autres sources de la légalité

C’est théoriquement une place suprême. Les règles Constitutionnelles sont les normes suprêmes du
droit et prévalent dans l’ordre interne sur toute autre norme applicable seraient-elles d’origine
externe (CE, 30 octobre 1998, Sarran et Levacher et autres, GAJA).

Mais cette autorité de la Constitution doit être combinée avec le principe d’incontestabilité des lois.
En droit administratif, une loi peut faire échec à la Constitution (cf. infra).

Alors que les juridictions internationales consacrent la primauté des normes internationales sur
toutes les normes internes, y compris constitutionnelles, tant le Conseil d'État (CE Ass. 30 octobre
1998, Sarran, Levacher et autres, GAJA n° 113) que la Cour de cassation (Cass. Ass. plén. 2 juin
2000, Mlle Pauline Fraisse, LPA 2000, n° 201, p. 8), ont jugé que la suprématie conférée par
l'article 55 de la Constitution aux engagements internationaux ne s'applique pas dans l'ordre interne
aux dis- positions de valeur constitutionnelle. Il est vrai que l'on peut estimer que « le Conseil
d'État, en refusant de contrôler la compatibilité d'une loi constitutionnelle avec un engagement
international, statue non en termes de hiérarchie des normes, mais en termes de compétence
juridictionnelle ». ce qui « marque les limites des pouvoirs de contrôle attribués au juge
administratif» plutôt que la hiérarchie normative entre traité et Constitution (O. Simon, « L'arrêt
Sarran : dualisme incompressible ou monisme inversé? », Europe 1999, n° 3, p. 4). Le Conseil
d'État ne saurait s'ériger en censeur de la volonté du constituant, de même qu'il s'interdit, en l'état,
de faire prévaloir la Constitution lorsqu'une loi fait «écran» entre celle-ci et un acte administratif.
Ainsi, si les « normes de constitutionnalité », selon l'expression du Conseil constitutionnel,
s'imposent à l'administration, il subsiste certaines limites à l'efficacité du contrôle de
constitutionnalité.

L’importance de la Constitution comme source de la légalité s’est accrue sous l’effet de deux (02)
facteurs : l’intégration de son préambule dans le corpus juridique même, l’intervention du Conseil
constitutionnel dans la détermination du sens de la portée des textes constitutionnels.

Ces deux (02) éléments sont d’ailleurs liés : si le Conseil d’Etat a pu faire évoluer sa jurisprudence à
partir du préambule de la Constitution (par exemple à propos du droit de grève dans les services
48
publics : 07 juillet 1950, Dehaene), c’est surtout le Conseil constitutionnel qui, en affirmant
l’autorité du préambule de la Constitution de 1958 (71- 44, 16 juillet 1971), a fait produire à celui-ci
tous les effets qu’il comportait virtuellement par sa référence à la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1789, au préambule de la Constitution de 1946 et, à travers celui-ci, aux principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République et aux principes politiques économiques et
sociaux particulièrement nécessaires à notre temps.

Le Conseil constitutionnel ne l’a certes fait que pour apprécier la conformité de la loi à la
constitution alors que seules les juridictions administratives apprécient la légalité administrative.

Mais, même en dehors de l’hypothèse où l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel
s’impose strictement, il est difficile aux juridictions administratives d’ignorer ce qu’il a reconnu.

Du coup, la source constitutionnelle de la légalité s’est développée par rapport aux autres ; la
jurisprudence constitutionnelle l’emporte sur la jurisprudence administrative.

La légalité s’intègre dans la constitutionnalité, non seulement en ce que la loi doit respecter la
constitution, mais en ce que le droit administratif et la juridiction administrative sont désormais
dépendants d’un droit constitutionnel et de la juridiction constitutionnelle.

La légalité, ce n’est plus seulement la soumission de l’administration au droit, c’est aussi désormais
la soumission du droit administratif au droit constitutionnel.

Les limites du contrôle de constitutionnalité

Alors que « le Conseil d'État a accepté depuis l'arrêt Nicolo de se faire le censeur de la loi à l'égard
des engagements internationaux de la France », il entend « résister au courant doctrinal qui voudrait
en faire un juge de l'exception d'inconstitutionnalité» (B. Genevois, « Le Conseil d'État n'est pas le
censeur de la loi au regard de la Constitution », RFDA 2000, p. 715). Ainsi,
seul le Conseil constitutionnel peut apprécier la conformité des lois à la Constitution, et ce à
condition d'être saisi avant leur promulgation. Il peut donc arriver que le juge administratif ne
puisse pas sanctionner la non conformité d'un acte administratif avec la Constitution, lorsque cet
acte a été pris en application d'une loi d'où il tire son vice d'inconstitutionnalité.

En effet, la loi fait alors « écran» entre la Constitution et l'acte administratif, de telle sorte que le
juge administratif, incompétent pour apprécier la constitutionnalité des lois, est paralysé pour
sanctionner une éventuelle inconstitutionnalité, par ricochet, de l'acte administratif.

L’hypothèse de l’écran législatif

Il peut toutefois arriver qu’un acte administratif contraire à une norme constitutionnelle soit
insusceptible de censure de la part du juge administratif. C’est lorsque cet acte a été pris
conformément à une loi, dont il tient le vice d’inconstitutionnalité qui l’entache. La loi, tout
inconstitutionnelle qu’elle soit, fait alors écran entre le juge et la règle constitutionnelle. Censurer
l’acte administratif serait, en effet, implicitement mais certainement, censurer la loi dont il procède
ou tout au moins dénoncer l’inconstitutionnalité de cette loi. La juridiction ordinaire (administrative
ou, éventuellement, judiciaire) ne pouvant porter de jugement sur la régularité juridique d’une loi,
49
ne pourra que rejeter comme « inutilement invoqué » le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de
l’acte administratif, un tel moyen tendant nécessairement dans l’hypothèse considérée, à lui faire
apprécier la constitutionnalité de la loi. Si l’acte administratif contraire, par hypothèse, à la
Constitution, trouve son fondement dans une loi s’interposant entre lui et la Constitution, son
illégalité ne pourra pas être invoquée devant le juge parce que la loi fera « écran » et que le
contrôle juridictionnel, par voie d’exception de la constitutionnalité des lois n’est pas reconnu en
France.

L'administration doit respecter les normes de valeur constitutionnelle. Si un acte administratif


méconnaît une norme constitutionnelle, il pourra être annulé, censuré par le juge.

Exception : l'écran législatif ou l’obstacle de la loi-écran.


Définition : Obstacle juridique empêchant le juge de retenir l’irrégularité d’un acte administratif,
sous peine de censurer, également, la loi à laquelle cet acte est conforme.
En résumé :
1 - le juge administratif peut annuler, pour inconstitutionnalité, un acte administratif qui, d’une
part, est contraire à la Constitution, et d’autre part ne s’appuie sur aucune loi;
2 - mais il ne peut pas annuler, pour inconstitutionnalité, un acte administratif qui est à la fois
contraire à la Constitution et conforme à une loi - écran législatif.

La théorie de la loi-écran connaît en droit français une évolution qui traduit sans nul doute un
recul de la théorie : l’exception d’inconstitutionnalité sera bientôt recevable dans une certaine
mesure.

En effet, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit dans le texte constitutionnel un


article 61-1 qui dispose :
« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil
constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »
Toutefois, au 27 février 2009, la loi organique prévue n’ayant pas encore été adoptée, cette
procédure ne peut être mise en œuvre, comme l’a déjà jugé le Conseil d’État le 18 février 2009 et
le 11 décembre 2008 :
« Sur la question de la conformité de l’article L. 4121-4 du code de la défense à la
Constitution :
Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 ajouté à la Constitution par la loi constitutionnelle du
23 juillet 2008 : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu
qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le
Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour
de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions
d'application du présent article » ; que l’article 46 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008
prévoit que les dispositions de l’article 61-1 de la Constitution entreront en vigueur dans les
conditions fixées par la loi organique nécessaire à leur application ; que, tant qu’une telle loi
50
organique n’est pas intervenue, les dispositions de l’article 61-1 de la Constitution ne sont donc
pas applicables ; que, dans l’attente de cette loi organique, la conformité d’une loi à la
Constitution ne peut, en conséquence, être utilement contestée devant le Conseil d’État,
statuant au contentieux ; que le moyen tiré de ce que l’article L. 4121-4 du code de la défense
méconnaîtrait les dispositions du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui garantissent
la liberté d’association et le droit syndical ne peut, dès lors, qu’être écarté ; » - C.E., Sect., 11
décembre 2008, Association de Défense des Droits des Militaires. Voir aussi C.E., 18 février 2009,
M. Alain A.

En droit burkinabè également, la théorie de l’écran-législatif est neutralisé par la technique de


l’exception d’inconstitutionnalité susceptible d’être soulevée par un justiciable devant une
juridiction (art. 25 Loi organique n°11-2000-AN du 27 avril 2000 relative au Conseil
constitutionnel).

51
DECLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOUT 1789

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que


l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et
de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits
naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous
les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que les actes
du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but
de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens,
fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la
Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de


l'Etre Suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen.

Article premier. - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions
sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

Article 2. - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à
l'oppression.

Article 3. - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, 'nul
individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

Article 4. - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l'exercice des
droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la
société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5. - La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas
défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

Article 6. - La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir
personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ces yeux, sont également
admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction
que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Article 7. - Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi
et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter
des ordres arbitraires doivent être punis; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit
obéir à l'instant; il se rend coupable par la résistance.
52
Article 8. - La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne
peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement
appliquée.

Article 9. - Tout homme étant présumé innocent jus- qu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est
jugé in- dispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa
personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Article 10. - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur
manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

Article 11. - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux
de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de
cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Article 12. - La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique; cette
force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle
est confiée.

Article 13. - Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une
contribution commune est indispensable; elle doit être également répartie entre les citoyens, en
raison de leurs facultés.

Article 14. - Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la
nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en
déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15. - La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Article 16. - Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

Article 17. - La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est
lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une
juste et préalable indemnité.

PREAMBULE DE LA CONSTITUTION DU 27 OCTOBRE 1946


53
Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir
et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain,
sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il
réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration
des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques,
économiques et sociaux ci-après:

La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. Tout
homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la
République.

Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son
travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.

Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et d'adhérer au syndicat de
son choix.

Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Tout travailleur participe, par
l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la
gestion des entreprises.

Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public
national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.

La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle
garantit à tous, notamment à l'enfant; à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la
sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état
physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'in- capacité de travailler a le droit
d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence.

La Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des
calamités nationales.

La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle


et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un
devoir de l'Etat.

La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public
international. Elle n'entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses
forces contre la liberté d'aucun peuple.

Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à


l'organisation et à la défense de la paix.

La France forme avec les peuples d'outre-mer une Union fondée sur l'égalité des droits et des
devoirs, sans distinction de race ni de religion.
54
L'Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent
leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-
être et assurer leur sécurité.

Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à
la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartant
tout système de colonisation fondé sur l'arbitraire, elle garantit à tous l'égal accès aux fonctions
publiques et l'exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci -
dessus.

CONSTITUTION DU BURKINA FASO


PREAMBULE

Nous, Peuple souverain du Burkina Faso;


55
CONSCIENT de nos responsabilités et de nos devoirs devant l'histoire et devant l'humanité;
FORT de nos acquis démocratiques (1) ;
ENGAGE à préserver ces acquis et animé de la volonté d'édifier un Etat de droit garantissant
l'exercice des droits collectifs et individuels, la liberté, la dignité (2), la sûreté, le bien-être, le
développement, l'égalité et la justice comme valeurs fondamentales d'une société pluraliste de
progrès et débarrassée de tout préjugé; REAFFIRMANT notre attachement à la lutte contre toute
forme de domination ainsi qu'au caractère démocratique (3) du pouvoir; RECHERCHANT
l'intégration économique et politique avec les autres peuples d'Afrique en vue de la construction
d'une unité fédérative de l'Afrique;
SOUSCRIVANT à la Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948 et aux instruments
internationaux traitant des problèmes économiques, politiques, sociaux et culturels;
REAFFIRMANT solennellement notre engagement vis-à-vis de la Charte africaine des Droits de
l'Homme et des Peuples de 1981 ; DESIREUX de promouvoir la paix, la coopération internationale,
le règlement pacifique des différends entre Etats, dans la justice, l'égalité, la liberté et la
souveraineté des peuples ;
CONSCIENT de la nécessité absolue de protéger l'environnement; APPROUVONS et
ADOPTONS la présente Constitution dont le présent préambule fait partie intégrante.

(1) Cette modification résulte de la loi constitutionnelle du 27 janvier 1997 par suppression d'un groupe de mots. L'ancienne
formulation du texte adopté le 2juin 1991 était la suivante:" Fort des acquis démocratiques des masses laborieuses de nos villes et de
nos campagnes ".
(2) Ce mot a été ajouté par la loi constitutionnelle du 27 janvier 1997.
(3) Cette modification résulte de la loi constitutionnelle du 27 janvier 1997 par reformulation de l'ancienne rédaction du 2 juin 1991
qui faisait allusion" au caractère populaire du pouvoir ".

§2 : LES SOURCES LEGISLATIVES

A. Le déclin de l’importance pratique des lois

- ouvrage collectif, 'le domaine de la loi et du règlement", Presses Universitaires d'Aix-Marseille,


1978 ;

-Luchaire,"les sources de compétences législatives et réglementaires" ;

56
- Carré de Malberg écrivait que "la vraie dénomination à donner à l'Etat français serait plutôt celle
d'Etat légal, c'est-à-dire un Etat dans lequel tout acte de puissance administrative présuppose une loi
à laquelle il se rattache et dont il soit destiné à assurer l'exécution" (Contribution à la théorie
générale de l'Etat, t.1 p.490).

A l'heure actuelle, dans la vie et le fonctionnement administratif, la loi a 'cependant perdu beaucoup
de son importance comme source et base de l'action administrative. Ce "déclin" apparait lui-même à
deux niveaux :

1°) L’exécutif peut parfois agir sans habilitation législative


C'est par là, sans aucun doute, avant tout que notre Etat n'est plus un "Etat légal". Comme source et
fondement de l'action administrative, les règles élaborées par l'Exécutif lui-même concurrencent en
effet de plus en plus la loi. Le pouvoir réglementaire peut ainsi intervenir de manière spontanée, et
autonome. CF. les enseignements de 1° année.
Le grand accusé, c'est la constitution de 1958 et son article 34 qui énumère limitativement les domaines
dans lesquels le 'législateur peut' intervenir, tandis que son article 37 précise que : « Les matières autres
que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ».
Il faut d'ailleurs nuancer cette "accusation" :
• le "pouvoir réglementaire autonome" a existé dès avant 1958 cf. la jurisprudence de l'arrêt LAB0NNE
(C.E. 5 août 1919, Gr. Arr) et de l'arrêt JAMART (C.E.7 févr.1936, Gr. Arr) - La loi du 17 août 1948
avait pour sa part admis l'existence de "matières ayant par nature un caractère réglementaire" (cf. de
Laubadère, "des "pleins pouvoirs" aux "demi décrets-lois" D.1952.Chr.3

• le pouvoir réglementaire autonome, même depuis 1950, est écarté des compétences les plus
essentielles: cf. la "liste" de l'art.34 et la jurisprudence tant du Conseil Constitutionnel que du Conseil
d'Etat qui a généralement interprété de façon extensive les titres de compétence réservés au législateur
(exemples : « la création d'un nouvel ordre de juridiction » ou le régime de l’administration locale) et il
est à noter que l'article 34 n'est pas en fait la seule source de la compétence législative exclusive
(l'Exécutif ne peut toucher aux principes généraux du droit, seul le législateur peut y porter atteinte
sous réserve de ceux qui ont valeur constitutionnelle.
Il demeure tout de même que depuis 1958 un coup décisif a été porté à l'omniprésence comme à
l'omnipotente de la loi. La loi est de moins en moins nécessaire à l'action administrative; et pour la
première fois la loi est contrôlée.

2°) l'Exécutif contribue à la mise en œuvre des lois et cela par le biais de l'élaboration de ses
décrets d'application qui ont en fait souvent un caractère décisif quant à l'incidence réelle de la loi.

Le législateur a toujours spontanément renvoyé la mise en œuvre de ses volontés à des décrets (ou
exceptionnellement à des arrêtés ministériels) d'application. soit qu'il ne veuille pas soit qu'il ne
puisse pas techniquement tout prévoir (surtout pour la mise en œuvre des législations très

57
spécialisées). Ces règlements d'application de la loi se sont maintenus depuis 1958 ; le Conseil
Constitutionnel considère d'ailleurs que même lorsque «la constitution. en son article 34. réserve au
législateur la fixation des règles (elle) laisse en vertu de son article 37, au pouvoir réglementaire le
soin d'édicter les mesures, nécessaires pour l'application de ces règles" (Décision du 2 déc.1976
J.D.5 déc. p.7015, A.D.P. 1977.456, chr. Favoreu et Philip) j la répartition des compétences entre le
législateur et le gouvernement est donc à la fois horizontale" et "verticale". La loi est même en fait
un doublement tributaire de ses règlements d'application:

(a) de ses règlements d'application dépend bien souvent l'incidence concrète de la loi: certes le juge
administratif vérifiera en cas de recours si les mesures réglementaires prises par le gouvernement
sont bien conformes à la loi qu'elles mettent en œuvre. Il reste qu'en raison du caractère souvent très
large des habilitations législatives et grâce aussi aux Facilités offertes par le monopole
d'intervention du pouvoir réglementaire dans certains domaines, la loi est souvent avant tout ce que
sont ses règlements d'application.

(b) de ses règlements d'application dépend parfois aussi l’applicabilité même de la loi : le texte de
certaines lois est très général ou incomplet pour se prêter à exécution tant qu’il n’a pas été précisé
par des règlements d’application. On a alors une ¨loi en pointillée¨ (cf. Le Monde, 13 août 1971)
inapplicable et invocable par les administrés (noter d’ailleurs qu’un problème similaire pourrait se
poser pour un règlement qui appellerait lui-même des compléments).

En dépit de l’innovation fondamentale apportée par la Constitution de 1958 consistant à impartir au


législateur un domaine limité, la loi demeure pour les autorités administratives une norme
supérieure. L’administration doit à la fois la respecter et en assurer l’application.

LA DISTINCTION DE LA LOI ET DU REGLEMENT

Constitution du Burkina Faso

Article 101
La loi fixe les règles concernant :
- la citoyenneté, les droits civiques et l'exercice des libertés publiques;
- les sujétions liées aux nécessités de la défense nationale;
58
- la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et
les libéralités ;
- la procédure selon laquelle les coutumes seront constatées et mises en harmonie avec les
principes fondamentaux de la constitution;
- la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, la procédure
pénale, l'amnistie;
- l'organisation des tribunaux judiciaires et administratifs et la procédure devant ces juridictions,
le statut des magistrats, des officiers ministériels et auxiliaires de justice;
- l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures;
- le régime d'émission de la monnaie;
- le régime électoral de l'Assemblée nationale et des assemblées locales ;
- les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au
secteur privé;
- la création de catégories d'établissements publics;
- l'état de siège et l'état d'urgence.
La loi détermine les principes fondamentaux:
- de la protection et de la promotion de l'environnement;
- de l'élaboration, de l'exécution et du sui vi des plans et programmes nationaux de
développement ;
- de la protection de la liberté de presse et de l'accès à l'information ;
- de l'organisation générale de l'administration ;
- du statut général de la fonction publique;

Article 108
Les matières autres que celles relevant du domaine de la loi ont un caractère réglementaire.

Les domaines respectifs de la loi et du règlement

La Constitution de 1958 a mis fin à la souveraineté de la loi. Cela signifie que la loi n'est plus la
norme suprême (elle est soumise à la Constitution et aux normes internationales) et que son
domaine n'est plus illimité. Désormais, la loi fait l'objet d'une définition matérielle selon
les matières sur lesquelles elle porte. Ces matières sont énumérées limitativement dans divers
articles de la Constitution et surtout dans l'article 34 qui énumère les domaines essentiels de la loi.

59
Le domaine de la loi est défini par rapport à celui du règlement, lequel relève du pouvoir exécutif
(défini à l'article 37 de la Constitution). Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État (de façon
indirecte pour ce dernier) sont chargés de veiller au respect de la répartition des compétences entre
le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

La définition du domaine de la loi et du règlement

L'article 34 énumère limitativement les domaines d'intervention du législateur. Il établit une


distinction entre les domaines où le législateur fixe les règles (en rentrant dans le détail) et ceux où
il détermine les principes fondamentaux (en restant à un certain niveau de généralité). A cette
énumération, la loi constitutionnelle du 22 février 1996 a ajouté les « lois de financement de la
Sécurité sociale ».

La loi fixe les règles en matière de libertés publiques, d'état des personnes, de droit pénal,
d'élection, de fonction publique, de nationalisations et dénationalisations, de création de catégories
d'établissements publics. Schématiquement, ce domaine de la loi recouvre ce qui touche au statut
des personnes et à l'organisation économique et sociale.

La compétence du législateur dans ces matières est donc quasi exclusive. L'intervention du pouvoir
réglementaire ne peut être que résiduelle. Ce domaine d'intervention du législateur est considéré
comme « noble » et composé des matières les plus importantes.

La loi détermine les principes fondamentaux en matière de défense nationale, d'administration des
collectivités locales, d'enseignement, de propriété, de droit du travail et de droit social.

Dans ces matières où le législateur détermine les principes fondamentaux, c'est-à-dire où il se


contente d'une formulation générale, la collaboration avec l'exécutif est indispensable. En effet, ce
dernier doit préciser les modalités d'application des principes ainsi déterminés et les mettre en
œuvre. Les matières concernées par ce domaine de la loi sont considérées comme moins
importantes (en termes d'intérêt pour les citoyens et le pays) et plus techniques.

En toutes ces matières, y compris lorsque la loi « fixe les règles », il reste place, de façon au moins
résiduelle, à intervention du règlement pour préciser les modalités d'application des lois.

Pourtant, il faut bien constater l'absence de frontière entre règles et principes fondamentaux. Le
Parlement n'a jamais vraiment respecté la distinction et le gouvernement ne l'a jamais imposé.
Même le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel (décision du 27 novembre 1959) n'en ont pas
tenu compte dans leurs décisions. On a donc assisté à l'unification du domaine de la loi.

Par ailleurs, la liste des matières relevant du domaine de la loi peut évoluer. L'article 34, dans son
dernier alinéa, prévoit la possibilité d'élargir le domaine de la loi par une loi organique. Cet
élargissement ne pourrait se faire qu'en incorporant des matières relevant du domaine réglementaire.
Cependant, la frontière entre domaine législatif et réglementaire n'étant pas étanche, cette
disposition n'a plus de raison d'être.

60
Quant à l'article 37 de la Constitution, il précise que les matières qui ne relèvent pas du domaine de
la loi ont un caractère réglementaire et relèvent donc de la compétence du pouvoir exécutif (le
règlement est édicté par décret du Premier ministre ou du chef de l'État).

Comme déjà mentionné, le pouvoir réglementaire ne peut qu'apporter des précisions dans les
matières dont la loi fixe les règles ou détermine les principes fondamentaux.

En revanche, en dehors des matières réservées à la loi, le pouvoir réglementaire est pleinement
compétent et s'exerce de façon « autonome » c'est-à-dire sans qu'une loi soit nécessaire (CE, 8
février 1985, Assoc. des centres E. Leclerc, Rec., p. 26, RDP 1986, p. 256). Parmi les matières
réservées au pouvoir réglementaire, citons la procédure administrative ou la détermination des
contraventions et des peines applicables.

L’extension du domaine de la loi

Comment se situe le domaine de la loi par rapport à celui du règlement ?

Les définitions que nous avons données semblent indiquer que la compétence du législateur est
l'exception et celle du pouvoir réglementaire, la règle. En réalité, progressivement, le domaine de la
loi s'est élargi à partir du noyau dur que constitue l'article 34 (mais aussi les articles 53, relatif aux
traités qui ne peuvent être ratifiés ou approuvés que par une loi, 66, relatif à l'autorité judiciaire
gardienne de la liberté individuelle, qui assure le respect de ce principe dans les conditions prévues
par la loi et 72, relatif au statut des collectivités territoriales).

En premier lieu, l'élargissement du domaine de la loi est le résultat de la jurisprudence du Conseil


constitutionnel. En effet, ce dernier a défini le domaine de la loi non seulement par référence à
l'article 34, mais aussi par référence aux normes auxquelles renvoie le préambule de la Constitution
et, en particulier, la Déclaration des droits de l'Homme de
1789 (DDHC). Le Conseil constitutionnel avait ainsi incorporé dans le domaine de la loi la
détermination des contraventions punies de peines privatives de liberté.

En second lieu, le législateur a investi ou réinvesti des domaines avec l'accord implicite du
gouvernement. En effet, lorsque le gouvernement estime que le législateur empiète sur le domaine
réglementaire, il peut seul intervenir en soulevant l'irrecevabilité du texte ou en demandant la
délégalisation au Conseil constitutionnel (selon les procédures des articles 41 et 37.2). S'il ne réagit
pas, l'extension de la compétence législative est considérée acquise.

Cette extension implicite de la compétence législative a pu se réaliser grâce à la position adoptée


par le Conseil constitutionnel. Dans les hypothèses où l'irrecevabilité n'est pas soulevée ni la
délégalisation demandée, le Conseil considère que l'intervention du législateur dans le domaine
réglementaire n'entache pas la loi d'inconstitutionnalité (CC, 30 juillet 1982, Blocage des prix et des
revenus, GDCC n° 37). Des actes de nature réglementaire peuvent donc revêtir une forme
législative ». Les dispositions en cause ne peuvent pas être censurées par le Conseil constitutionnel
ni, du fait de leur forme législative, par le Conseil d'État.

Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas une compétence de droit commun et une compétence
d'exception. Nous dirions plutôt que le législateur et le gouvernement ont chacun leur domaine
61
propre dont les frontières sont mouvantes, au gré des infléchissements don- nés par le Conseil
constitutionnel.

La définition matérielle de la loi, telle qu'on la trouve dans la Constitution, est dépassée. Elle laisse
place à une définition organique et formelle: la loi est le texte adopté par une majorité parlementaire
selon la procédure législative, quel que soit le domaine sur lequel elle porte. Cela signifie qu'aucun
domaine n'est a priori interdit au législateur.

Nous pouvons pourtant émettre une réserve à cette liberté du législateur: celle des normes
communautaires. En effet, les instances communautaires édictent des actes, les règlements et les
directives, qui s'intègrent de plein droit dans l'ordre juridique français. Certains de ces actes, de plus
en plus nombreux, comportent des dispositions de nature législative qui échappent au Parlement et
limitent donc son champ de compétence.

Le contrôle du respect de la délimitation

Il faut distinguer le respect du domaine réglementaire par le législateur et celui du domaine


législatif par le gouvernement.

Le contrôle du respect du domaine réglementaire par le législateur.

Il est assuré par le Conseil constitutionnel à différents niveaux. Au moment du dépôt d'une loi, en
cours de débat d'une proposition de loi ou d'amendements parlementaires, le gouvernement peut
soulever l'irrecevabilité du texte (art. 41 de la Constitution française ; article 123 de la Constitution
du Burkina Faso) s'il estime que la proposition ou l'amendement empiète sur le domaine
réglementaire. Le Président de l'assemblée concernée doit se prononcer sur l'exception d'in-
constitutionnalité soulevée. S'il donne raison au gouvernement, la proposition ou l'amendement sont
déclarés irrecevables. Dans le cas contraire, le Conseil constitutionnel doit se prononcer dans les
huit jours.

Ce contrôle des irrecevabilités en amont du vote de la loi (afin d'éviter qu'elles ne deviennent
effectives) est tombé en désuétude. Il est vrai que cette procédure crée un climat de tension au sein
des assemblées et qu'il est préférable pour le gouvernement de laisser sa majorité repousser la
proposition ou l'amendement en cause lors du vote normal (à l'issue des débats),

Comme nous l'avons vu, il se peut également que, face à une proposition ou un amendement
empiétant sur le domaine réglementaire, le gouvernement ne réagisse pas. Il donne alors
implicitement son accord à l'ex- tension du domaine de la loi au-delà de l'article 34. Cet accord est
donné d'autant plus facilement que le texte en cause est un projet de loi (c'est-à-dire d'origine
gouvernementale) incluant volontairement des dispositions de nature réglementaire.

Le Conseil constitutionnel peut également être saisi d'une loi déjà promulguée. Lorsque le
gouvernement estime qu'une disposition contenue dans une loi empiète sur le domaine
réglementaire, il peut demander au Conseil de déclarer que cette disposition est de nature
réglementaire (art. 37. 2 de la Constitution, procédure de la délégalisation). La déclaration du
Conseil permet au gouvernement de modifier la disposition par décret réglementaire.

62
Enfin, il faut citer un cas particulier de protection du domaine réglementaire qui concerne les textes
législatifs antérieurs à 1958. Nombre de ces textes sont intervenus sur des matières non prévues à
l'article 34 de la Constitution de 1958. Il fallait donc rétablir ces textes dans le domaine
réglementaire. L'article 37.2 autorise le gouvernement à les modifier par décrets pris après avis du
Conseil d'État.

Le contrôle du respect du domaine législatif par le gouvernement

Il est assuré de façon indirecte par le Conseil d'État. Il faut distinguer deux cas de figure.

Le premier, le plus classique, est celui dans lequel le gouvernement a pris un règlement qui empiète
sur le domaine législatif. Le Conseil d'État ne peut se prononcer sur l'empiétement qu'à l'occasion
d'un recours pour excès de pouvoir intenté par un justiciable contre le règlement.
L'inconvénient de cette procédure est que le Conseil ne rend pas sa décision avant de nombreux
mois.

Le deuxième cas de figure est celui dans lequel une loi, qui n'a pas été
contrôlée par le Conseil constitutionnel, organise un transfert abusif de compétence, même
temporaire, du domaine législatif vers le domaine réglementaire. La protection du domaine législatif
est alors difficile à mettre en œuvre.

En effet, le Conseil d'État n'est pas juge de la constitutionnalité de la loi. Il doit la prendre en
compte telle qu'elle a été promulguée. Par conséquent, si la loi est à l'origine de l'empiétement du
gouvernement sur le domaine législatif, l'irrégularité constatée est couverte par la loi (théorie de la
loi-écran).

Les sanctions de la délimitation

Le gouvernement peut opposer l'irrecevabilité à toute proposition de loi ou tout amendement


d'origine parlementaire dont il estime qu'ils empiètent sur le domaine réglementaire; en cas de
désaccord avec le président de l'Assemblée intéressée, le Conseil constitutionnel pourra être saisi et
tranchera souverainement (art. 41 Constit.).

L'expérience démontre que les présidents des assemblées parlementaires ont suffisamment bien pris
la mesure du nouveau partage entre le domaine de la loi et celui du règlement pour que la saisine du
Conseil constitutionnel n'apparaisse plus nécessaire dans la pratique. Le Conseil constitutionnel n'a
rendu que onze décisions sur des fins de non-recevoir au titre de l'article 41 et n'a plus été saisi sur
ce fondement depuis 1979.

Si le gouvernement a laissé voter un texte dont il estime ultérieurement qu'il empiète sur le domaine
réglementaire, il pourra encore saisir le Conseil constitutionnel pour lui faire constater que ce texte
de forme législative a en réalité un caractère réglementaire de par son objet. Après la saisine du
Conseil constitutionnel, et si celui-ci constate effectivement la
nature en réalité réglementaire du texte, celui-ci pourra alors être ultérieurement modifié par décret
après avis du Conseil d'État (art. 37 Constit., v. par exemple décision du Conseil constitutionnel du
63
21 janvier 1997 déclarant que certaines dispositions de la loi du 6 février 1992 ont un caractère
réglementaire, et décret du 9 mai 1997 modifiant ces dispositions).

Si le Gouvernement laisse le Parlement adopter des dispositions législatives en matière


réglementaire, celles-ci ne sont pas pour autant entachées d'inconstitutionnalité (Cons. const. 30
juill. 1982, RDP 1983, p. 350, note Favoreu; Cons. const., 8 juin 1995, AJDA 1995, p. 519, note
Schrameck). Ces dispositions pourront simplement être « délégalisées » selon la procédure indiquée
ci-dessus.

Inversement, il n'existe pas de procédure constitutionnelle spécifiquement conçue pour protéger le


domaine législatif contre d'éventuelles intrusions du gouvernement. Cependant, un règlement,
comme tout acte administratif, peut être déféré à la juridiction administrative, qui a le pouvoir de
l'annuler pour incompétence, si celui-ci a statué en matière législative.

La saisine du Conseil constitutionnel n'est pas nécessaire pour les lois antérieures à 1958 et qui ont
statué sur des matières actuellement réglementaires. Elles peuvent être modifiées par
décret après simple avis du Conseil d'État (art. 37 Constit.).

La hiérarchie des lois et des règlements

S'il existe différentes catégories de lois, la loi a toujours, après promulgation, un caractère
incontestable. Tel n'est pas le cas des règlements, qu'il s'agisse de règlements autonomes ou de
règlements d'application des lois, ou encore de règlements pris dans le cadre du pouvoir
réglementaire général ou de pouvoirs réglementaires spécialisés.

Les différentes catégories de lois

Outre les lois ordinaires, les plus nombreuses, des lois organiques sont prévues par la Constitution
en vue de la détermination des modalités d'application de certaines dispositions constitutionnelles.
Ces lois organiques ont une autorité supérieure à celles des lois ordinaires, en vertu même de la
Constitution. Elles sont par ailleurs systématiquement soumises au contrôle du Conseil
constitutionnel avant promulgation (art. 46 Constit.).

Les lois référendaires, c'est-à-dire adoptés par le peuple se prononçant par référendum, peuvent
avoir, selon leur contenu, aussi bien le caractère de lois ordinaires que celui de lois organiques. En
revanche, elles échappent dans tous les cas au contrôle du Conseil constitutionnel, dans la mesure
où elles sont considérées par celui-ci comme « l'expression directe de la souveraineté nationale ».

B – Le maintien de la prééminence juridique des lois

Expression de la volonté générale, la loi demeure une norme souveraine dotée d’une valeur
supérieure à celle des actes administratifs.

64
En général tous les actes législatifs, que ce soient les lois formelles votées par le Parlement ou les
actes ayant force de loi telles que les ordonnances font partie du " bloc de la légalité ". Le juge
administratif annule un acte administratif qui violerait leurs dispositions.

1. Les manifestations de la prééminence juridique des lois

Le juge administratif s’interdit de procéder au contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois.


Cette autorité de la loi peut bénéficier indirectement à certains actes administratifs.

a. L’incontestabilité des actes de nature législative

Le juge administratif ne peut être juge des lois. Aucun recours mettant en cause leur irrégularité
n’est possible devant lui (CE, 6 novembre 1936, Arrighi, Dalloz 1936, 3ème partie, page 1).

Cette règle est d’autant plus logique qu’il existe depuis 1958 une procédure spécifique de contrôle
de Constitutionnalité de la loi. Son domaine d’application va d’ailleurs au-delà des lois proprement
dites votées par le parlement. Il s’étend à certains actes de l’exécutif considérés comme ayant la
nature même des lois. « Depuis 1958 cela a concerné les hypothèses suivantes :

- les ordonnances prises sur le fondement de l’article 92 de la Constitution à la fin de l’année 1958
pour la mise en place de nouvelles institutions ;

- les décisions prises dans le cadre de l’article 16 de la Constitution française (article 59


Constitution Burkina Faso) sur les pouvoirs exceptionnels qui entrent dans le domaine de la loi (CE,
2 mars 1962 Rubin de Servens, GAJA) ;

- les ordonnances prises par le gouvernement en vertu de l’article 38 (Constitution française) et


article 107 (Constitution Burkina Faso).

Le législateur peut attribuer valeur législative à des actes administratifs. C’est la question des
validations législatives qui peuvent intervenir pour faire échapper un acte à tout recours en
annulation et même au besoin, pour le faire suivre après son annulation avec un nouveau statut
d’inattaquabilité (Arrêt Canal, 19 octobre 1962, GAJA).

L’incontestabilité des actes de nature législative dans la jurisprudence administrative


burkinabè

La Chambre administrative a posé le principe d’incontestabilité des lois dans un arrêt du 20 octobre
1970 : " La loi est une règle de conduite qui s’impose en toutes circonstances et tribunaux
judiciaires comme administratifs se sont toujours refusés à exercer un contrôle juridictionnel de sa
constitutionnalité… La Chambre administrative qui n’est pas juge de la constitutionnalité des lois
n’a donc à exercer un contrôle sur un texte législatif " (1).
1
Ch. adm. 20 octobre 1970, BONKOUNGOU Honoré et 2 autres agents municipaux c/ Gouverment de Haute-Volta, arrêt n° 59.

65
La Chambre administrative a étendu ce principe au régime juridictionnel des ordonnances émanant
du Chef de l’Etat pendant les périodes extraconstitutionnelles. Dans un arrêt du 13 février 1970, elle
affirme : " Attendu que cette ordonnance a force de loi et échappe à tout contrôle judiciaire.

Attendu que ces termes impératifs privent la Chambre administrative du pouvoir de reconnaître le
bien-fondé de la requête dont elle avait saisie avant publication de ce texte, et d’y faire droit " (1).

La censure du juge administratif s’arrête devant le pouvoir législatif du Gouvernement.


Comme le souligne P. Weil " l’acte législatif cesse dès lors d’être défini par l’organe dont il émane
pour l’être par son régime juridique. Primitivement la loi est constable parce qu’émane du
Parlement : voici maintenant qu’on dénomme loi tout acte, même émanée du Gouvernement, qui est
incontestable " (2).

La Chambre administrative a conféré valeur législative à un décret dans une affaire qui lui était
soumise : " Attendu que si le décret sus-visé, qui a force de loi, est doté de l’immunité
juridictionnelle… " (3).

Il s’agit là d’une catégorie de décrets dont l’existence dans l’ordonnancement juridique est
douteuse. Cette qualification opérée par la Chambre administrative dans l’espèce ci-dessus, rappelle
la catégorie des décrets " - lois " en France sous la IIIème République. Or, ceux-ci sont inconnus dans
le système juridique burkinabè. Les seuls actes de l’exécutif bénéficiant du régime juridictionnel de
la loi sont les ordonnances.

On peut s’interroger sur le fondement de cette qualification par la Chambre administrative d’un acte
réglementaire comme étant un acte de nature législatif et qui conduit à le faire soustraire à la
censure du juge administratif.

b. L’immunité des actes administratifs protégés par la loi

Un acte administratif autorisé par la loi est nécessairement régulier.

L’autorité de la loi peut bénéficier indirectement à certains actes administratifs.

Tout ce qui est « légal » est insusceptible d’annulation par le juge administratif. Cette règle
prolonge la précédente à savoir que tout ce qui est législatif est inattaquable devant les juridictions
administratives. Mais, elle peut avoir des conséquences importantes voire choquantes. Il s’en suit en
effet, qu’un acte administratif légal ne peut être annulé même si cet acte viole une règle supra-
législative.

C’est le cas pour un acte administratif autorisé par la loi à méconnaître la constitution. C’est la
théorie de l’écran législatif ou de la loi écran. Il s’agit là d’une limite importante de contrôle de
constitutionnalité de l’acte administratif par le juge de l’excès de pouvoir. En vertu de la théorie de
l’écran législatif, quand la légalité d’un acte administratif est contestée pour un motif tiré de la

1
Ch. adm. 23 février 1970, BALIMA Benoît et 5 autres c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 5.

2
P. WEIL, Le droit administratif, op. cit., p. 83.

3
Ch. adm. 23 octobre 1970, COMPAORE Marc c/ République de Haute-Volta arrêt n° 30.

66
violation de la Constitution, la position du juge administratif est totalement différente selon qu’une
loi s’interpose entre la constitution et cet acte, auquel cas la loi constitue pour le juge un écran
infranchissable et c’est en fonction de la loi seule qu’il apprécie la légalité de l’acte litigieux. Si au
contraire, aucune loi n’est intervenue en la matière, le juge administratif apprécie directement par
rapport à la loi la légalité discutée devant lui de l’acte administratif.

La théorie de l’écran législatif est abandonnée en ce qui concerne les normes de droit international
(Arrêt Nicolo).

L’immunité des actes administratifs protégés par la loi dans la jurisprudence


administrative burkinabè
La Chambre administrative considère dans tous les cas qu’un acte de nature législative est
incontestable. Cette règle se trouve prolongée dans une hypothèse : l’autorité de la loi peut
bénéficier indirectement à certains actes administratifs. Il s’ensuit une immunité des actes
administratifs protégés par la loi. La Chambre administrative l’indique dans une décision du 20
octobre 1970 (1) :
" Attendu que l’arrêté attaqué est un acte administratif dont le contrôle de l’opportunité … échappe
au contrôle du juge ; qu’il échet simplement rechercher s’il est légal ;

Attendu que, s’il est permis de douter de l’opportunité de l’arrêté en cause, sa légalité ne peut être
contestée puisqu’elle découle de l’ordonnance du 28 novembre 1969 qui a force de loi que
commandement obligatoire… ".

Dans l’espèce, les requérants saisirent à la Chambre administrative d’une requête aux fins
d’annulation d’un arrêt n° 86/IS/DI/C du 25 mars 1970 du Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité.
L’arrêté attaqué stipulait en son article 1er que les requérants reclassés dans le corps des agents
municipaux par un arrêté n° 119/IS/DI/C du 24 avril 1968 et victimes d’une réduction de traitement,
conserveront à titre personnel et de droits acquis le bénéficie de la solde qu’ils percevaient jusqu’à
ce que, par le jeu normal de l’avancement, ils atteignent ou dépassent cette solde. Les requérants
faisaient grief alors à l’Etat de ce que l’arrêté sus-visé du 25 mars 1970, en son article 2 fixait au 1 er
avril 1970 la date d’effet de cette solde.

L’administration justifiait la mesure prise en invoquant l’article 1er de l’ordonnance n° 69-


066/PRES/TFP/P. du 29 novembre 1969 qui dispose : " les reconstitutions de carrière de
fonctionnaires ou agents temporaires de l’administration qui interviennent à la suite de décisions
gracieuses ou contentieuses n’ont d’effet du point de vue de la sole, qu’à compter du jour où sont
prises lesdites décisions ". L’article 2 de cette ordonnance précisait que celle-ci s’appliquerait
rétroactivement à toutes les reconstitutions de carrière résultant de décisions gracieuses ou
contentieuses postérieures au 15 juillet 1965.

2. Les aménagements au principe d’incontestabilité des lois

1
Ch. adm. 20 octobre 1970, BONKOUNGOU Honoré et 2 autres c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 29.

67
Le juge administratif n’est pas juge des lois mais, il peut en être l’interprète ce qui l’amène parfois à
« forcer » le sens de certains textes. Il interprète ainsi, toujours restrictivement, les lois qui
sembleraient porter atteinte à des règles qu’il considère comme essentielles (Jurisprudence, Dame
Lamotte, GAJA, 17 février 1960). Le juge administratif admet une responsabilité de l’Etat du fait
des lois. Jurisprudence société La fleurette, 14 janvier 1938, GAJA).

§.3. LES SOURCES INTERNATIONALES DE LA LEGALITE ADMINISTRATIVE

Le droit international fait pleinement partie du « bloc » de la légalité auquel l’action administrative
doit rester soumise.

De manière générale, la violation d’une norme internationale constitue de la part de l’administration


un excès de pouvoir : C.E. 30 mai 1952, Dame Kirkwood, RDP, 1952, P. 781, consacrant la totale
assimilation de la violation d’une convention à la violation de la loi (cette affaire concernait un
décret d’extradition).

A. L’importance du droit international comme source de légalité

Cette importance tient au nombre élevé des règles de droit international concernant la vie de
l’action administrative. Elle tient aussi au statut juridique des règles internationales.

LES REGLES DU DROIT INTERNATIONAL

Pendant longtemps, les règles du droit international n’ont eu aucune incidence sur la légalité
interne.

Puis, le préambule de la Constitution de 1946 a proclamé que la France « se conforme aux règles du
droit public international ». Ayant « force de loi », les traités s’imposaient à l’administration et tout
acte contraire était susceptible d’annulation (C.E. Ass., 30 mai 1952, Dame Kirkwood, Rec.
Lachaume, p.43).

Mais surtout, l’article 55 de la Constitution française de 1958 (article 151 de la Constitution du


Burkina Faso) dispose que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur
publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de
son application par l’autre partie ».

Le principe semble donc clair. Néanmoins, son application l’a moins été. La détermination des
normes de droit international applicables en droit français ne pose plus aujourd’hui de difficulté
particulière. Pourtant, compte tenu de la position adoptée par le Conseil d’Etat, les rapports entre les
traités internationaux et la loi française ont été ambigus, pour ne pas dire conflictuels, jusqu’en
1989.

Droit communautaire dérivé


68
Il est constitué de tous les actes pris par les institutions communautaires en application des traités
instituant (notamment le traité de Rome) et modifiant les Communautés européennes (désormais
Union européenne).

Le droit communautaire dérivé est appelé à prendre une place considérable parmi les sources de la
légalité. Des différentes mesures prises par la Commission européenne (qui est avant tout une
instance de propositions et de préparation des décisions pour le Conseil) et le Conseil des ministres
(qui est l'organe politique de décision), à savoir les avis, les recommandations, les décisions
individuelles, les règlements et les directives, seules ces deux dernières catégories d'actes nous
intéressent.

Les règlements communautaires ont un « effet direct » dans l'ordre juridique des États membres de
l'Union européenne. Cela signifie qu'ils s'appliquent directement dans ces pays dès leur publication
au Journal officiel des Communautés. Ils sont une composante de la légalité et, à ce titre, s'imposent
à l'administration. Une décision administrative peut donc être contestée pour non respect d'un
règlement communautaire.

Franchissant une étape supplémentaire, le Conseil d'État a estimé que la législation nationale ne
pouvait empêcher l'application d'un règlement. Autrement dit, les lois françaises doivent être
compatibles avec les règlements communautaires (CE, 24 septembre 1990, Boisdet, RFDA 1991, p.
172, note L. Dubouis).

Les directives communautaires ne sont pas obligatoires dans tous leurs éléments et n'ont donc pas
d'effet direct (CE Ass., 22 décembre 1978, Cohn-Bendit, GAJA n° 107 ; en l'espèce, le Conseil
estime qu'une directive ne saurait être invoquée à l'appui d'un recours dirigé contre un acte
administratif individuel, en l'occurrence la décision d'expulsion du leader de la contestation
étudiante de mai 1968). Elles fixent des objectifs à atteindre dans tel ou tel domaine et laissent aux
États le soin de prendre les mesures législatives ou réglementaires nécessaires pour y parvenir
(l'État doit en assurer la (transposition en droit interne).

69
LE CONSEIL D’ETAT, JUGE DE DROIT COMMUN DU DROIT COMMUNAUTAIRE
Le CE ne fait plus aujourd’hui obstacle à l’application du droit communautaire. Bien au contraire, il
assume désormais pleinement son rôle de juge communautaire (rôle que lui confère le traité de
Rome). Après des années de réserve, le Conseil n’hésite plus à recourir à la pratique du renvoi
préjudiciel (il interroge la Cour de justice des communautés européennes lorsqu’il rencontre des
difficultés d’interprétation du droit communautaire). Par ailleurs, les décisions du CE font de plus
en plus souvent explicitement référence aux décisions de la Cour de justice. Enfin, et c’est l’aspect
le plus important, le Conseil fait une application stricte et rigoureuse du droit communautaire, ce
qui le conduit à exercer un contrôle de plus en plus serré sur les actes administratifs. L’arrêt
Fédération française des sociétés d’assurance du 8 novembre 1996 est une bonne illustration de
cette rigueur croissante (CE, Sect., AJ février 1997, p.142).
Dans cette affaire, le Conseil a admis la possibilité pour le juge de l’excès de pouvoir de contrôler la
légalité d’un acte administratif au regard des règles de concurrence. En l’espèce, et pour la première
fois, il a annulé un décret réglementaire (de 1990) au motif qu’il plaçait une entreprise en situation
d’abuser de sa position dominante. Il est intéressant de constater que pour parvenir à ce résultat, le
Conseil d’Etat a suivi fidèlement le raisonnement économique communautaire sanctionnant l’abus
de position dominante découlant d’un texte réglementaire.
Dans l’arrêt Alitalia de 1989, il réaffirme la nécessité pour l’administration de modifier ses
règlements dans un délai imparti afin de les adapter aux nouveaux objectifs définis par les directives
(CE, Ass., 3 février 1989, Alitalia, GAJA n°112, Rec. Lachaume p.114).
La Haute juridiction a ensuite reconnu la supériorité des directives sur les lois et règlements français
(CE, Ass., 28 février 1992, SA Rothmans International France, Rec., p. 81, RFDA 1992, p.425, note
L. Dubouis). Elles peuvent donc être invoquées à l’appui d’un recours en annulation contre un
règlement.
Allant plus loin encore, le Conseil, à l’instar de la CJCE, n’admet que la méconnaissance des
objectifs d’une directive par un règlement est de nature à engager la responsabilité de l’Etat
lorsqu’un préjudice en résulte (CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, AJ 1992, p. 143,
note P. Le Mire ; CE, Ass., 28 février 1992, Sté Arizona Tobacco Products, Rec., p.78, RDP 1992,
p.1480, note F. Fines).
Par ailleurs, les décisions individuelles prises sur le fondement d’un règlement violant une directive
ou se rattachant à une loi incompatible avec une directive, peuvent désormais être contestées.
Par un raisonnement quelque peu abusif, la CJCE tend à assimiler les directives aux règlements
communautaires afin de leur donner une applicabilité directe dans l’ordre interne. Mais le Conseil
d’Etat, suivant à la lettre les traités communautaires, contrarie cette démarche.

70
B. LES LIMITES A L’INFLUENCE DU DROIT INTERNATIONAL COMME SOURCE DE
LEGALITE
Ces limites soulèvent deux questions relativement à l’intégration des règles de droit international
dans l’ordre juridique interne et à l’application de ces règles par le juge administratif.

1. Les conditions d’applicabilité des règles de droit international

L’applicabilité des règles de droit international devant la juridiction administrative obéit à certaines
conditions tenant notamment à leur nature et à leur entrée dans l’ordre juridique interne et à leur
application réciproque par les parties.

a. Conditions tenant à la nature de l’acte

Il doit s’agir d’une véritable norme. Le juge administratif n’applique pas n’importe quelle règle de
droit international. Ces règles doivent avoir un effet direct : CE, Ass., 22 déc. 1978, GAJA n° 97 à
propos des directives.
Les effets des directives communautaires en droit interne font l'objet d'une certaine divergence de
jurisprudence entre la Cour de justice des Communautés européennes et le Conseil d'État français.
La portée pratique de cette divergence de jurisprudence est, cependant, aujourd'hui, réduite. En
effet, sans se rallier aux principes dégagés par la jurisprudence communautaire, le Conseil d'État a
su dégager des solutions telles qu'un requérant obtiendra satisfaction dans les mêmes conditions de
fond, à condition d'être suffisamment informé des subtilités procédurales de la jurisprudence
administrative, en son état actuel.

L'article 189 du Traité de Rome précise que « la directive lie tout État membre destinataire quant au
résultat à atteindre tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux
moyens ». Pour produire tous leurs effets, les directives doivent donc être transposées dans l'ordre
interne de chaque État. Cependant, si les dispositions d'une directive sont suffisamment claires et
précises quant au résultat à atteindre, la jurisprudence communautaire considère que celles-ci sont «
susceptibles de produire des effets directs dans les relations entre les États membres et les
particuliers », quant bien même elles n'auraient pas été transposées, dans le délai prévu, dans l'ordre
juridique interne. En revanche, depuis l'arrêt Cohn-Bendit (CE, Ass., 22 déc. 1978, GAJA n°97), le
Conseil d'État affirme, à l'inverse, que « les directives ne sauraient être invoquées ( ... ) à l'appui
d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel».

Si le Conseil d'État refuse qu'une directive puisse être invoquée directement à l'encontre d'une
mesure individuelle, l'acte réglementaire sur le fondement duquel a été prise la mesure individuelle,
peut être, quant à lui, contesté aux motifs qu'il n'est pas compatible avec une directive
communautaire.

En effet, le Conseil d'État admet qu'un requérant puisse se prévaloir d'une directive communautaire
contre les mesures réglementaires prises pour sa transposition, si celles-ci méconnaissent les
objectifs fixés par la directive (CE, 28 sept. 1984, Confédération nationale des sociétés de
protection des animaux de France, AJDA 1984, p. 695, concl. Pierre-Alain Jeanneney). La directive
pourra être invoquée, de même, contre toute mesure réglementaire ultérieure (CE, 7 déc. 1984,
Fédération française des sociétés de protection de la nature, RFDA 1985, p. 303, con el. Dutheillet
71
de Lamothe; CE, 8 juill. 1991, Palazzi, Rec. p. 276). En outre, dès lors que les autorités nationales
sont tenues d'adapter leur réglementation aux directives, elles « ne peuvent légalement, après
l'expiration des délais impartis pour la transposition de la directive, laisser subsister des dispositions
réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec les objectifs définis par les directives» (CE,
Ass., 3 févr. 1989, Compagnie Alitalia, GAJA n° 101).

Le Conseil d'État a, également, admis que la responsabilité de l'État pouvait être engagée lorsqu'une
directive a été transposée de façon incorrecte (CE, Ass., 28 févr. 1992, Société Arizona Tobacco
Products, Rec. p. 78; et, du même jour, SA Rothmans International et SA Philip Morris France,
Rec. p. 81, concl. Madame Laroque). La responsabilité de l'État pourrait aussi être engagée
lorsqu'une directive n'a pas été transposée en temps utile en droit français (CAA Paris, 1er juill.
1992, Société Jacques Dangeville, AJDA 1992, p. 768, note Prétot; CE, Ass., 30 oct. 1996, Ministre
du budget ci SA Jacques Dangeville, RFDA 1997, p. 1056, concl. Goulard).

Lorsqu'un requérant est confronté à une mesure individuelle qui ne lui apparaît pas compatible avec
une directive communautaire, il ne peut donc, certes, invoquer directement cette directive
communautaire mais a la possibilité de soulever une exception d'illégalité, c'est-à-dire mettre en
droit communautaire de la mesure réglementaire sur le fondement de laquelle a été pris l'acte
individuel qu'il conteste.

Cette construction intellectuelle risquait de trouver ses limites lorsque l'absence de transposition
d'une directive se traduit simplement par le fait que les pouvoirs de l'administration ne sont encadrés
par aucun texte en droit interne.

En effet, l'absence d'un tel texte réglementaire est susceptible, à première analyse, de faire obstacle
au jeu de l'exception d'illégalité. Cet obstacle n'a, cependant, pas arrêté le Conseil d'État, dès lors
que, même s'il n'existe pas de texte, il n'existe pas pour autant de vide juridique, en ce sens que la
mesure individuelle repose nécessairement sur des principes juridiques, qui peuvent être non-écrits
et dont il sera possible de constater qu'ils étaient incompatibles avec le droit communautaire.

La question de l’applicabilité directe des dispositions des conventions internationales relatives aux
droits de l’homme a nourri une abondante jurisprudence, dont il ressort que les principales
conditions de l’applicabilité directe tiennent non seulement à l’objet de la disposition invoquée,
mais aussi à sa précision et au fait qu’elle n’appelle pas de mesures nationales complémentaires
pour son application (D. Alland, RGDIP 1998, p. 221). Les stipulations qui ne produisent pas
d’effets directs à l’égard des particuliers « ne peuvent être utilement invoquées à l’appui de
conclusions tendant à l’annulation d’une décision individuelle ou réglementaire » (CE, 23 avril
1997, Gisti, AJDA 1997, p. 482, à propos de certaines dispositions de la Convention de 1990
relative aux droits de l’enfant). En revanche, pour les directives communautaires, leur absence
d’effet direct, selon le juge administratif, n’interdit pas de les invoquer devant lui (v. n°33 et
suivants).

b. Conditions tenant à leur entrée dans l’ordre juridique interne

L’article 55 de la Constitution précise que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou


approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour
72
chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Il a d’ores et déjà été rappelé que le
Conseil d’Etat, suivi par la Cour de cassation, a jugé que la suprématie conférée par l’article 55 aux
engagements internationaux « ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature
constitutionnelle » (CE, Ass., 30 octobre 1998, Sarran, GAJA n°113 v. n°22).

La ratification d’un traité qui ne serait pas conforme à la Constitution est elle-même subordonnée à
la révision préalable de la Constitution, sans laquelle il ne serait peut être incorporé à l’ordre
juridique français. La Constitution a fait, ainsi, l’objet de procédures de révision pour permettre la
ratification des traités de Maastricht, de Schengen et d’Amsterdam.

La rédaction même de l’article 55 de la Constitution montre qu’il ne s’applique qu’aux traités et


accords internationaux et non à la coutume internationale, que le juge administratif ne fait pas
prévaloir, quant à elle, sur la loi en cas de conflit contre ces deux normes (CE, Ass., 6 juin 1997, M.
Aquarone, AJDA 1997. 630). Elle conduit par ailleurs le juge administratif à vérifier que les traités
internationaux ont effectivement été ratifiés ou approuvés. En outre, alors que le juge administratif
s’est longtemps refusé à contrôler la régularité des actes d’approbation ou de ratification, il vient
d’opérer un important revirement de jurisprudence en jugeant « qu’il appartient au juge
administratif de se prononcer sur le bien-fondé d’un moyen soulevé devant lui et tiré de la
méconnaissance par l’acte de publication d’un traité ou accord, des dispositions de l’article 53 de la
Constitution », qui subordonne, dans certains cas, la ratification ou l’approbation d’un traité à une
autorisation donnée par la loi (CE, Ass., 18 décembre 1998, SARL du Parc d’activités de Blotzheim
et SCI Haselaecker, RFDA 1999, p.315, Concl. Bachelier).

Le droit dérivé des traités sur les Communautés européennes c’est-à-dire les règlements et
directives, entrent immédiatement en vigueur dès leur publication au Journal Officiel des
Communautés européennes, sans besoin d’une procédure particulière d’incorporation dans le droit
d’un Etat membre.

Le titre XIII de la Constitution Burkinabé précise que, pour être introduite en droit interne, une
convention internationale doit satisfaire à trois (03) conditions :

- être régulièrement ratifiée ou approuvée ;

- être publiée ;

- être appliquée par l’autre partie.

Comparables à la promulgation pour la loi, la ratification ou l’approbation sont les formalités qui
marquent l’adhésion définitive du pays à une convention précédemment signée. La distinction entre
ratification et approbation correspond à celle que le droit international a établie entre les traités et
les accords. Normes plus solennelles, les traités sont négociés par le Président de la République ou
en son nom et ensuite ratifiés par lui. Le Chef de l’Etat est seulement informé de la négociation des
accords, qui sont approuvés par le ministre des Affaires étrangères. Dans les cas prévus par l’article
53 de la Constitution, ratification ou approbation doivent être autorisées par la loi (traités de paix,
traités de commerce, traités qui engagent les finances de l’Etat, qui modifient des dispositions de
nature législative…). Elles sont nécessaires à l’introduction d’un traité ou d’un accord en droit

73
interne : bien que publiée au journal officiel, la Déclaration universelle des droits de l’homme,
adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies réunie au Palais de
Chaillot est un texte purement déclaratoire, qui n’a été et n’avait d’ailleurs à être ni ratifié, ni
approuvé et qui n’a en conséquence pas de portée normative en droit interne.

Pendant longtemps, approbation et ratification ont été regardées comme des actes de gouvernement,
dont le juge se bornait à vérifier l’existence matérielle, sans contrôler leur régularité. Cette
jurisprudence a été abandonnée : eu égard aux effets qui leur sont attachés en droit interne,
ratification et approbation sont désormais soumises au contrôle du juge chargé d’appliquer le traité
qu’elles ont fait pénétrer en droit national, auquel il revient notamment de s’assurer que, lorsqu’elle
est nécessaire, l’autorisation du Parlement a bien été recueillie (CE, 18 décembre 1998, SARL du
Parc d’activités de Blotzheim).

Pour pénétrer dans l’ordre juridique national, traités et accords internationaux doivent, en second
lieu, être publiés par la voie du Journal Officiel : aucune autre modalité n’a de valeur. Les
juridictions nationales vérifient tant l’existence matérielle de la publication que sa régularité.

Ce sont les conditions tenant à l’entrée des règles de droit international dans l’ordre juridique
interne qui sont les plus importantes, notamment la ratification. Toutes les constitutions burkinabè
avaient réglementé la procédure de ratification des accords et traités internationaux. Quelle sera
l’attitude de la Chambre administrative ? Acceptera-t-elle de contrôler la régularité de la
procédure ? Vérifiera-t-elle si la ratification qui est exigée a bien eu lieu, et conformément aux
règles de droit interne ?

Aussi, la Chambre administrative accepte-t-elle de contrôler l’existence d’un accord ou d’un traité :
" Attendu qu’il n’est pas contesté que des accords intervinrent entre l’I.R.I.C. et la République de
Haute-Volta sur l’envoi et la formation de stagiaires [burkinabè], que la défenderesse s’engagea
ipso facto à satisfaire aux conditions imposée… " (1). La juridiction administrative contrôle aussi la
qualification juridique de l’accord ou du traité.
Dans une décision du 27 février 1981, la Chambre administrative accepte aussi de contrôler la
qualification juridique d’un accord ou traité. Par exemple, elle décide qu’une résolution ne peut être
classée parmi la catégorie juridique des règles de droit international ayant valeur juridique :
" Attendu qu’à la différence du traité ou de la convention liant ipso facto les Etats signataires, la ou
les résolutions prises au cours d’une réunion internationale n’ont de valeur qu’une fois ratifiées
c’est-à-dire, concrétisées par un acte législatif ou réglementaire de l’Etat dont la délégation avait
contribué à son adoption " (2).

La juridiction administrative contrôle ainsi l’existence même de la ratification. D’où l’application


de ce principe : un acte ni publié, ni ratifié ne pourra voir aucun effet de droit. Dans l’espèce du 27
février 1981, le juge administratif a écarté le moyen tiré du non respect par l’Etat d’une résolution
issue de la conférence des Ministres de la Fonction publique de l’Union Africaine et Malgache, en
ces termes : " Attendu que … la résolution n° 2 du 18 novembre 1961 de l’U.A.M. n’a pas été
ratifiée par le Gouvernement de la République de Haute-Volta… ".

1
Ch. adm. 23 janvier 1976 TIENDREBEOGO Anatole, arrêt précité.

2
Ch. adm. 27 février 1981, ZOMAN Baba Kédi et Consorts c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 3.

74
De la sorte, tout accord qui n’aura pas été ratifié et publié, non seulement ne fera pas partie de la
catégorie juridique des traités et accords internationaux, mais encore n’aura aucun effet de droit
dans l’ordre juridique : " Attendu que la résolution émanant d’un organisme supra-national ne
saurait engager la défenderesse pour l’organisation de sa propre fonction publique " (1).
En définitive, la ratification semble donc la condition sine qua non de l’application de l’accord
international par le juge. A cela s’ajoute aussi la publication de l’accord en question.

Si le juge administratif accepte de contrôler l’existence, la qualification juridique du traité ou de


l’accord international, cependant il se refuse à vérifier la régularité de la procédure d’élaboration de
ces actes, et en particulier la régularité constitutionnelle de l’acte de ratification. Le juge
administratif n’applique, en tant que traité ou accord, qu’un acte ratifié sans s’accorder le droit de
savoir si cette ratification a eu lieu régulièrement selon le droit interne. Ni les actes d’élaboration du
traité, ni le décret de ratification ne peuvent être soumis à annulation contentieuse. Il en va de même
en cas de refus de ratification. La Chambre administrative a décidé dans l’arrêt du 27 février 1981
que " le refus de ratification, s’il peut être un acte politiquement inopportun ou inamical, n’est pas
juridiquement illicite " (2).

c. Conditions de réciprocité

L’article 55 de la Constitution fait de la réciprocité la dernière condition d’application d’une


convention internationale en droit interne : si l’ « autre partie » ne respecte pas l’accord, celui-ci
perd toute force juridique. Conçu pour les conventions bilatérales, la condition de réciprocité est
relativement simple à apprécier en ce qui les concerne. D’un maniement plus délicat s’agissant des
conventions multilatérales, elle s’impose néanmoins dans leur cas également.

Le juge administratif ne procède pas à un examen systématique du respect de la condition de


réciprocité prévue à l’article 55 de la Constitution. Ce n’est que lorsque cette question est posée
devant lui par une partie qu’il interroge le ministre des affaires étrangères pour savoir si la condition
de réciprocité est bien remplie (C.E., Ass., 29 mai 1981, Rekhou, Rec. p. 220 ; RDP 1981, p. 1707,
concl. J-F Théry). Il a été jugé récemment que le ministre des affaires étrangères pouvait, de sa
propre initiative, soulever l’inapplication d’une stipulation d’un traité par l’autre partie, le juge se
bornant à prendre acte de la déclaration du ministre des affaires étrangères sur le fait que la
condition de réciprocité posée à l’article 55 de la Constitution n’est pas remplie, ce défaut de
réciprocité privant d’efficacité le moyen tiré de cette stipulation d’un traité (C.E., Ass., 9 avril 1999,
Madame Chevrol- Benkeddach, AJDA 1999, p.459, chron., Raynaud et Fombeur).

Lorsque les trois (03) conditions de ratification ou d’approbation, de publication et de réciprocité


sont remplies, une convention internationale s’insère dans l’ordre interne. Mais elle est y soumise
au respect de la Constitution.

Comme nous l’avons souligné au début, le traité devient une règle de la légalité, en vertu des
Constitutions. Par conséquent, tout traité régulièrement ratifié et publié a " force de loi ". Le traité

1
Ch. adm. 25 janvier 1974, COULIBALY Lassan André et cinq autres c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 1.

2
Ch. adm. 27 février 1981, ZOMAN Baba K. et Consorts, arrêt n° 3 précité.

75
se trouve " incorporé de plans dans la légalité interne ; il doit être respecté par toutes les autorités
publiques et tous les ressortissants de l’Etat peuvent en réclamer l’application " (1).

Mais le traité est une règle de droit supra-législative : non seulement le traité produit désormais en
droit interne les mêmes effets que la loi, non seulement comme la loi, il doit être respecté par les
particuliers et l’administration et appliqué par le juge, mais encore il a force supérieure à la loi. La
Chambre administrative a accepté de faire prévaloir les dispositions d’un accord international sur
celle d’une ordonnance ayant force de loi : " Attendu que les prescriptions de l’ordonnance n° 67-
056 ne sauraient s’opposer à celles d’un accord international et que les prétentions des auteurs sont
légitimes " (2).

2. Les modalités d’application des règles de droit international par le juge administratif

Deux points sont ici à relever :

- Le régime d’interprétation des règles internationales


-Le régime des conflits entre les règles de droit interne et les règles de droit international.

a. Le régime d’interprétation des normes internationales

Il convient tout d’abord de préciser que la question de l’interprétation des règles de droit
international a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle remarquable. Avant de présenter l’état
actuel du droit, il convient de rappeler les solutions antérieures.

Traditionnellement, le juge administratif ne procède pas lui-même à l’interprétation des règles


internationales. Il renvoie cette interprétation au ministre des affaires étrangères dont il respectera
les indications. Cette solution est traditionnelle (les tribunaux judiciaires ont très souvent une
pratique analogue). On la justifie par les difficultés particulières de cette interprétation et par
ses dimensions et aspects diplomatiques. Elle présente évidemment le risque de donner au
gouvernement un rôle décisif pour déterminer l’issue d’un procès administratif.

Ce mécanisme de renvoie préjudiciel était corrigé à deux (02) égards :

- pour les actes et règles de droit européen communautaire, les traités sur les communautés
européennes ont prévu des renvois en interprétation devant la Cour de Justice des
Communautés Européennes (art. 177 du Traité C.E.E. ; aujourd’hui art.234 Traité
d’Amsterdam) qui se substituent donc aux renvois devant le ministre des affaires étrangères.

- il n’y a donc pas lieu à renvoi dès lors que le sens de la disposition juridique internationale
en cause est évident : c’est la théorie de ¨l’acte clair¨ ; noter que cette théorie a servi à éviter
des renvois non seulement au ministre des affaires étrangères mais aussi à la C.J.C.E. (et dans
certains cas on relève que le Conseil d’Etat a refusé des renvois à la C.J.C.E. à propos des
règles européennes dont le sens était loin de faire pourtant l’unanimité (cf. C.E. 22 décembre
1978 COHN-BENDIT, précité).

1
F. Batailer, op. cit., p. 272.

2
Ch. adm. 23 janvier 1976, TIENDREBEOGO Anatole et 2 autres c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 2.

76
Jusqu’à une époque récente, le Conseil d’Etat interrogerait en cas de doute sur l’interprétation d’un
traité, le ministère des affaires étrangères sur l’interprétation qu’il convenait de donner au traité.
Depuis un important arrêt du 29 juin 1990 Gisti (GAJA n°108), le juge administratif s’est reconnu
le pouvoir d’interpréter lui-même un traité international.

Il est allé ainsi au devant du rappel des exigences de la Convention européenne des droits de
l’homme par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 24 novembre 1994, qui ont
conduit à la condamnation de la France, sur des faits antérieurs à 199, au motif que « la cause des
requérants n’a pas été entendue par un tribunal indépendant et de pleine juridiction, dès lors que le
Conseil d’Etat a utilisé la technique du renvoi en interprétation au ministre des affaires étrangères
pour interpréter la convention internationale litigieuse » (CEDH, 24 novembre 1994, consorts
Beaumartin c/ France, D. 1995, p.273, note prétot).

Ce revirement de jurisprudence devrait éviter de nouvelles condamnations sur ce point. Il a aussi


pour effet, dorénavant, de « placer dans les mains du juge la détermination de l’applicabilité directe
des normes internationales » (D. Alland, « Le droit international ¨Sous¨ la Constitution de la
cinquième République », RDP 1998, p.1668).

Le Conseil d’Etat a parallèlement mis fin à une jurisprudence séculaire qui obligeait le juge à
renvoyer au ministre des Affaires étrangères les difficultés soulevées par l’interprétation des traités.
Désormais les juridictions administratives interprètent elles-mêmes les traités (29 juin 1990,
GISTI). La même évolution a été suivie, pour les juridictions judiciaires, par la Cour de cassation
(19 décembre 1995, Banque africaine de développement). Elle s’imposait au demeurant pour
satisfaire aux exigences du procès équitable selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme (24 novembre 1994, consorts Beaumartin). Seule la question de savoir si la condition
de réciprocité est satisfaite continue de donner lieu à renvoi préjudiciel au ministre des affaires
étrangères (CE, 29 mai 1981, Rekhou ; 9 avril 1999, Mme Chevrol-Benkenddach). A ce dernier
point près, les normes internationales, pleinement intégrées au droit interne, y connaissent un
régime qui ne se différencie plus guère de celui des autres règles de droit.

Cependant, la jurisprudence GISTI est assortie d’une importante réserve : la question de savoir si la
condition de réciprocité est satisfaite continue de donner lieu à renvoi préjudiciel. La solution
GISTI n’a pas remis en cause la règle dégagée dans l’arrêt Rehkou C.E., 9 avril 1999 Dame
Chevrol-Benkeddach, AJDA 1999 p. 401.

77
b. Le régime des conflits entre les règles de droit international et les normes de droit interne

LE «CONTRÔLE DE CONVENTIONNALITÉ»

Rappelons que l’article 55 de la Constitution dispose : « Les traités ou accords régulièrement


ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous
réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. »

Selon le Conseil d’Etat, cette disposition vise aussi bien les lois ordinaires que les lois
organiques et les lois référendaires de l’article 11. Mais les lois constitutionnelles sont exclues
puisque la Constitution prime sur les traités - C.E., Ass., 30 octobre 1998, M. Sarran, M.
Levacher et autres, précité.

Rappel et précisions :

1. On appelle

a. « contrôle de conventionnalité », le contrôle de la conformité d’un acte


administratif aux dispositions d’une convention internationale, d’un traité ou
de tout autre accord international (pacte, charte, etc.).

b. « conventionnalité d’un acte administratif », la conformité de cet acte aux


dispositions d’une convention internationale, d’un traité, etc. 78

c. « inconventionnalité d’un acte administratif », la non-conformité de cet acte


aux dispositions d’une convention internationale, d’un traité, etc.

2. Un acte administratif inconventionnel (c’est-à-dire contraire à un traité, etc.) est un acte


Pendant longtemps, la théorie de la « loi-écran» a fait obstacle à l'effectivité de la supériorité des
traités internationaux sur la loi. En effet, considérant que le rôle des juges est de veiller à
l'application de la loi et non de la contester, les juges ont longtemps refusé de faire prévaloir un
traité sur la loi, du moins lorsque celle-ci était postérieure au traité (lorsque le traité est postérieur à
la loi, celle-ci peut être considérée comme implicitement abrogée ou modifiée par le traité).

Il en résultait que la non conformité d'un acte administratif à une norme du-droit communautaire,
notamment, ne pouvait être sanctionnée, dès lors que cet acte avait été adopté conformément à une
loi postérieure à la norme de droit communautaire. La Cour de cassation, cependant, avait admis de
faire prévaloir le droit communautaire sur une loi française même postérieure, dès un arrêt du 25
mai 1975 (Société des Cafés Jacques Vabres). À l'inverse, le Conseil d'État est resté longtemps
attaché à sa position traditionnelle en la matière, qu'il avait consacrée dans un arrêt du 1er mars
1968 Syndicat général des Fabricants de Semoule de France (Ree. p. 149). Il a enfin franchi le pas
lui permettant d'assurer l'effectivité de la primauté du droit international et, plus particulièrement,
du droit communautaire dans son important arrêt du 20 octobre 1989 Nicolo (GAJA n" 102).

De même que le juge judiciaire français exerce, dans la logique de l'arrêt précité, Société des cafés
Jacques Vabres de 1975, un pouvoir de « contrôle de conventionalité» des lois, en particulier vis-à-
vis de la Convention européenne des droits de l'homme, la jurisprudence Nicolo permet également
au juge administratif d'écarter l'application d'une loi au motif qu'elle est contraire à des engagements
internationaux ou au droit communautaire.

79
Dorénavant, un acte administratif pourra être censuré, notamment du fait de sa non-conformité au
droit communautaire, sans que sa conformité à une loi postérieure à la norme communautaire ne lui
permette d'échapper à toute sanction (v. notamment CE, 5 mai 1995, ministre de l'Équipement, des
Transports et du Tourisme, AJDA 1995, p. 936).

Cette primauté du droit communautaire sur la loi même postérieure ne se limite pas aux dispositions
contenues dans les traités mais s'étend à l'ensemble des normes dérivées. Cette supériorité concerne
aussi bien les règlements (CE, 24 sept. 1990, Boisdet, Rec. p. 250), les directives (CE, Ass., 28 févr.
1992, SA Rothmans International France, Rec. p. 80; CE sect. 3 décembre 1999, Association
ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire et Association France nature environnement, 2
décisions, GAJA n- 116 ») et même la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes (CE, 23 mars 1992, Société Klockner France, Rec. p. 133).

Les rapports traités/Constitution et traités/lois

Si nous évoquons ici essentiellement les rapports entre les traités et les lois, il convient au préalable
de rappeler les règles particulières qui régissent les rapports entre la Constitution et les engagements
internationaux.

La question de la compatibilité des engagements internationaux avec la Constitution

En vertu de l'article 54 de la Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel, saisi par l'une des
autorités compétentes (le Président de la République, le Premier ministre, le président de
l'Assemblée nationale, le président du Sénat et, depuis la révision constitutionnelle du 25 juin 1992,
60 députés ou 60 sénateurs), de vérifier la compatibilité des engagements internationaux avec la
Constitution.

Si un engagement comporte une disposition contraire à la Constitution, sa ratification ou son


approbation ne pourra intervenir qu'après une modification de la Constitution faisant disparaître la
contrariété.

Par ailleurs, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois (art. 61 C), il revient au Conseil
constitutionnel d'examiner les lois autorisant la ratification ou l'approbation d'un engagement
international. Si ce dernier comporte une disposition contraire à la Constitution, la loi est, par
ricochet, contraire à la Constitution. .

La supériorité des traités sur les lois

80
L'article 55 de la Constitution pose le principe de leur supériorité sur les lois sous réserve de
l'application réciproque du traité par l'autre ou les autres parties (condition de réciprocité non exigée
en matière de normes communautaires).

Lorsqu'il existe un doute sur la réciprocité, le Conseil d'État sursoit à statuer et renvoie au ministre
des Affaires étrangères qui tranche la question (CE Ass., 29 mai 1981, Rekhou, Rec., p. 220, AJ
1981, p. 459, chro. F. Tiberghien et B. Lasserre). Le défaut constaté de réciprocité prive le traité de
toute applicabilité dans l'ordre juridique interne.

En principe, une fois applicable dans l'ordre interne, le traité est supérieur à la loi française.
Cependant, jusqu'en 1989, cette supériorité n'a pas été assurée (du moins pour les traités antérieurs à
cette date). _

La question qui se pose est de savoir quelle est la juridiction compétente pour assurer le contrôle de
la conventionalité des lois (c'est-à-dire leur compatibilité avec les conventions internationales). On
pouvait penser que cette mission revenait au Conseil constitutionnel. Mais, dans une décision
fondamentale du 15 janvier 1975, celui-ci a considéré qu'il ne lui appartenait pas (lorsqu'il est saisi
en application de l'art. 61 C) d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un
accord volontaire de grossesse, GDCC, n° 24, à propos de la compatibilité de la loi sur l'IVG avec
la Convention européenne des droits de l'Homme). Le Conseil s'est notamment fondé sur le fait que
la Constitution ne lui attribue pas cette compétence. D'ailleurs, ajoute-t-il dans cette décision, cc une
loi contraire à un traité ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution ».

Il est important de préciser que si le Conseil constitutionnel s'est déclaré incompétent pour assurer
le contrôle de la conformité des lois aux engagements internationaux, il a implicitement délégué
cette compétence aux autres juridictions. Or, si celles-ci ont accepté de contrôler la conventionalité
des lois antérieures aux traités, elles ont longtemps refusé d'assurer le contrôle de la loi postérieure.

La supériorité des traités sur la loi antérieure

Elle n'a jamais posé de difficulté particulière. En effet, toutes les juridictions admettent le principe
selon lequel le dernier acte adopté dans le temps prévaut sur les actes antérieurs concernant la même
matière. Le traité postérieur à la loi modifie ou abroge cette dernière.

La supériorité des traités sur la loi postérieure

Pendant longtemps, l'attitude des juridictions a fait obstacle à son effectivité. Le Conseil d'État et la
Cour de cassation considéraient que leur mission était de veiller au respect de la loi et non d'assurer
son contrôle. Plus spécifiquement, le Conseil d'État faisait application de la théorie de cc la loi
écran » (la loi faisant écran entre le traité et l'acte administratif).

Ainsi, lorsqu'une loi était postérieure à un traité (sur une même question), le Conseil d'État refusait
de faire prévaloir le traité (CE Sect., 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de
France, Rec., p. 149, AJ 1968, p. 235, concI. N. Questiaux, à propos de normes de droit
communautaire). Progressivement, la position du Conseil d'État est devenue inconfortable puis
intenable. En effet, les autres juridictions concernées avaient adopté des positions isolant la Haute
juridiction administrative.
81
Dans un premier temps, la Cour de cassation, répondant à l'invitation lancée par le Conseil
constitutionnel, a abandonné sa conception traditionnelle et a accepté de faire prévaloir les traités
sur la loi française postérieure (Ch. mixte, 24 mai 1975, Soc. des Cafés Jacques Vabre, AJ 1975, _
p. 567, note J. Boulouis, à propos de la compatibilité de la législation douanière française avec les
règles communautaires antérieures).

Dans un second temps, la CJCE a clairement affirmé que les juges nationaux devaient laisser
inappliquée toute disposition de la loi nationale contraire au droit communautaire (CJCE, 9 mars
1978, Simmenthal, AJDA 1978, p. 323, note J. Boulouis). Enfin, le Conseil constitutionnel lui
même a réaffirmé la supériorité des traités sur les lois (CC, 21 octobre 1988, Rec., p.

Face à une telle unanimité, la position du Conseil d'État semblait bien archaïque. Elle témoignait du
souci de ménager le législateur mais, en même temps, elle plaçait la France dans une situation
inconfortable vis-à-vis du processus d'intégration communautaire et du respect de ses engagements
internationaux.

La Haute juridiction a finalement opéré un revirement de jurisprudence et a accepté de vérifier, dans


l'arrêt Nicolo" de 1989, la compatibilité d'une loi française de 1977 (fixant les modalités de la
désignation des représentants français au Parlement européen) avec le traité de Rome de 1957 (CE
Ass., 20 octobre 1989, Nicolo", GAJA n" 113, Rec. Lachaume, p. 50). En l'espèce, le Conseil a fait
prévaloir le traité sur la loi postérieure.

Cette jurisprudence a eu un impact considérable. Il faut bien comprendre que c'est grâce à la portée
extensive donnée à l'arrêt Nicolo que le Conseil d'État a pu consacrer, d'une part, la règle de la
compatibilité des lois françaises avec les règlements communautaires (CE, 24 septembre 1990,
Boisdet, précité) et, d'autre part, le principe de supériorité des directives sur les lois (CE Ass., 28
février 1992, SA Rothmans International France, précité).

En s'interrogeant sur le respect par la loi des règles découlant des conventions internationales, le
juge exerce un contrôle qui pose: des questions proches de celles qui font l'objet du contrôle de
constitutionnalité, en particulier lorsqu'est invoquée une méconnaissance de la Convention
européenne des droits de l'homme,

Après l'arrêt Nicolo. le Conseil d'État a ainsi été conduit à juger compatibles avec cette convention
la législation française sur l'objection de conscience (8 juin 1990, Chardonneau) puis la loi sur
l'interruption volontaire de grossesse (21 décembre 1990, Confédération nationale des associations
familiales catholiques), Rendu à propos de la mise sur le marché du RU 486, « pilule abortive » qui
interrompt-la grossesse sans intervention de nature chirurgicale, ce dernier arrêt répond à la
question que la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975 avait laissée en suspens. Le
Conseil d'État a également eu à apprécier la compatibilité des lois qui valident des actes
administratifs avec le droit au procès équitable garanti par la Convention européenne des droits de
l'homme: jugeant que seuls des motifs suffisants d'intérêt général peuvent justifie une validation, il a
retenu les mêmes critères que ceux qu'applique en la matière le Conseil constitutionnel (5 décembre
1997, Mme Lambert),

82
C'est à l'occasion de ce contrôle de « conventionalité» que le Conseil d'État, dégageant un principe
constitutionnel à l'occasion de l'interprétation d'un traité d'extradition, a pour la première fois
constaté que l'interdiction d'accorder une extradition demandée dans un but politique était un
principe fondamental reconnu par les lois de la République (3 juillet 1996, Koné). Cet arrêt sou-
ligne que le contrôle de conventionalité s'apparente à lin contrôle de constitutionnalité par voie
d’exception.

Les traités et la loi: une supériorité pleinement effective

Selon l'article 55 de la Constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont,
dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque
accord ou traité, de son application par l'autre partie».

Ces dispositions n'ont pas suscité de difficulté à l'égard des lois antérieures à un traité ou un accord.
Même si elles ne le prévoient pas expressément, la ratification ou l'approbation du traité ou de
l'accord ont pour effet d'abroger les lois antérieures contraires à la nouvelle convention
internationale. Une telle conséquence est d'autant plus logique que, d'après l'article 53 de la
Constitution, les traités ou accords « qui modifient des dispositions de nature législative ... ne
peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi », La loi qui autorise la ratification ou
l’approbation emporte nécessairement l'abrogation des dispositions législatives antérieures qui ne
seraient pas compatibles avec le nouveau traité.

L’article 55 pose le principe d'une supériorité des traités sur toutes les lois même postérieures. Plus
difficile à mettre en œuvre, cette supériorité a été reconnue, en plusieurs étapes, dans un cadre
juridique qui s'est progressivement précisé. Pleinement appliquée elle conduit, au travers du
contrôle de conventionalité à une entière intégration des traités dans l'ordre juridique interne.

La supériorité des traités sur les lois: les étapes de la jurisprudence

La première question à trancher était de savoir s'il incombait au juge constitutionnel de veiller au
respect du traité par la loi nouvelle: Par sa décision du, 15 janvier 1975 relative à la loi sur
l'interruption volontaire de grossesse, le Conseil constitutionnel a donné une réponse négative à
cette question sans pour la première fois faire usage-de la possibilité que venait de leur ouvrir la
révision constitutionnelle du 29 octobre 1974, soixante députés et soixante sénateurs avaient déféré
cette loi au Conseil constitutionnel, en soutenant qu'elle était non seulement contraire à la

83
Constitution mais également incompatible avec les stipulations de la Convention européenne des
droits de l'homme qui protègent le droit à la, vie. Le Conseil constitutionnel, après avoir constaté la
conformité de la loi aux principes de valeur constitutionnelle, a refusé de s'interroger sur sa
compatibilité avec la Convention européenne. Il a, en effet, relevé «qu’une loi contraire à un traité
ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution ». Il a expliqué cette affirmation en précisant
que la supériorité des traités sur les lois, telle qu'elle est prévue par l'article 55, présente un caractère
relatif et contingent. Relatif parce que limité aux rapports de l'État français avec les autres parties au
traité. Contingent en raison de la clause de réciprocité, dont l'application peut conduire à effacer la
supériorité du traité, en cas de manquement de l'autre partie à ses obligations. À l'inverse, la
supériorité de la Constitution sur les lois, dont il incombe au Conseil constitutionnel d'assurer le
respect, revêt un caractère absolu et définitif. Aussi n'entre-t-il pas dans la mission du juge
constitutionnel de veiller au respect par le législateur des normes internationales.

Cette position du Conseil constitutionnel a conduit la Cour de cassation à juger quelques mois plus
tard, par un arrêt du 24 mai 1975, Administration des douanes et Sté des cafés Jacques Vabres, qu'il
appartenait aux juridictions de l'ordre judiciaire d'écarter l’application d'une loi, même plus récente
méconnaissant un engagement international. Cette décision s'explique aisément : la règle édictée à
l'article 55 touche à la hiérarchie des normes et relève à ce titre du juge ordinaire dès lors qu'if ne
s’agit pas d'une question de constitutionnalité.

Toutefois le Conseil d'État n'a pas immédiatement suivi le même raisonnement. Par une décision de
principe du 1er mars 1968, Syndicat des fabricants de semoules de France, encore confirmée par
des arrêts du 22 octobre 1979, Union démocratique du travail et du 13 mai 1983, Sté anonyme René
Moline, il jugeait au contraire que la loi postérieure s'imposait dans tous les cas au juge
administratif, pour former un écran, impossible à traverser, entre le traité et la décision
administrative contestée. Cette position n'était pas le fruit d'un vain nationalisme juridique.
D'ailleurs dans ses formations consultatives, le Conseil à toujours joué avec efficacité un rôle
préventif pour la défense de la Constitution et a toujours veillé à ce que les projets de loi respectent
les engagements internationaux souscrits par la France. Mais -dans-ses attributions juridictionnelles,
la question se présentait différemment. Était-il en effet possible que le juge administratif, chargé de
définir le cadre dans lequel s'exerce le pouvoir exécutif, affranchît le Gouvernement et
l'administration de la première mission qui s'impose à eux, celle d'assurer l'application de la loi ?

Deux décisions du Conseil constitutionnel ont contribué à ce qu'une réponse positive soit apportée à
cette question.

Dans une décision du 3 septembre 1986, le Conseil constitutionnel a indiqué « qu'il appartient aux
divers organes de l'État de veiller à l'application des conventions internationales dans le cadre de
leurs compétences respectives », Visant toutes les institutions, le Parlement, le Gouvernement, les
juridictions, cette phrase laisse certes chacun déterminer l'étendue de ses propres compétences. Elle
est néanmoins pour tous un rappel de la règle posée à l'article 55.

Puis dans une décision du 21 octobre 1988. Élections dans la .circonscription du Val d'Oise, le
Conseil constitutionnel, statuant comme juge de I' élection a accepté d'examiner un grief tiré de la
non-conformité de la loi française, même plus récente, avec les stipulations d'une convention

84
internationales. Précisément parce qu'il ne s'agit pas d'une question de constitutionnalité, le juge
électoral qui est un juge ordinaire peut s'interroger sur la compatibilité d'une loi avec un traité
intervenant comme juge de l’élection, le Conseil constitutionnel a suivi le même raisonnement que
la Cour de cassation dans l'affaire des cafés Jacques Vabres, pour exercer en cette qualité un
contrôle que, de façon parfaitement cohérente sa propre jurisprudence écarte lorsqu'il remplit sa
mission de juge constitutionnel. En l'espèce le Conseil constitutionnel a rejeté la critique faite aux
dispositions de la loi électorale française qui définissent les exigences pour se présenter au second
tour et qui conduisent parfois à ce qu'un seul candidat puisse être présent à celui-ci. Prises dans leur
ensemble, les règles relatives à l'élection des députés ne lui ont. en effet, pas paru incompatibles
avec l'exigence d'élections libres, posée par la Convention européenne des droits-de l'homme.

Même si elle avait eu de solides justifications, la jurisprudence issue de l'arrêt Syndicat de semoules
de France était dès lors devenue inadaptée pour au moins trois séries de raisons.

En premier lieu elle isolait le Conseil d'État, en Europe et en France, En quelques années,
l'ensemble des cours suprêmes et des juridictions constitutionnelles européennes avait reconnu la
primauté du droit international-sur le-droit interne en particulier la Cour de cassation belge (27 mai
1971), suivie de près par la Cour allemande de Karlsruhe (9 juin 1971) et la cour constitutionnelle
italienne (30 octobre 1975, pour le droit européen; 8 juin 1984, pour le droit international dans son
ensemble). Au regard des positions concordantes du Conseil constitutionnel et de la Cour de
cassation, en droit interne, la jurisprudence divergente du Conseil d'État pouvait en outre entraîner
désordre et insécurité juridiques, si des lois, applicables pour les juridictions .administratives
cessaient de l'être, en raison de la méconnaissance d'un traité, devant l'autorité judiciaire ou le
Conseil constitutionnel statuant en matière électorale. De tels dangers étaient particulièrement à
redouter dans le domaine du contentieux des élections, que Conseil constitutionnel et Conseil d'État
se partagent.

En deuxième lieu, le motif profond de la jurisprudence du Conseil d'État, à savoir le respect de la


volonté du législateur, perdait de son sens dès lors que la loi pouvait être de plus en plus facilement
contestée devant les juridictions européennes, Cour de justice des communautés européennes et
Cour européenne des droits de l'homme. Afin d'éviter la multiplication des recours devant ces
juridictions et afin en tout cas que les juges européens disposent, le cas échéant de la position des
instances nationales, qui est que lorsqu'ils sont saisis d'un contentieux, un élément important de leur
appréciation, il devenait de l'intérêt même de la loi que les juges nationaux jouent leur rôle de filtre,
en contrôlant eux-mêmes sa conformité aux traités.

Enfin la place croissante des normes internationales, leur imbrication de plus en plus étroite avec le
droit interne impliquaient une évolution. La jurisprudence « des semoules » n'était-elle pas comme
le dernier vestige du dualisme ?

La voie était donc ouverte au revirement de jurisprudence opéré par l'arrêt Nicolo, rendu par le
Conseil d'État le 20 octobre 1989. Désormais devant le juge administratif comme devant les
autres juridictions, une loi, même plus récente, est écartée en cas de contrariété avec les stipulations
d'une convention internationale Comme le Conseil constitutionnel dans sa décision Elections du Val
d'Oise, le Conseil d'État a jugé qu'il s'agit d'un contrôle de compatibilité, expression moins

85
exigeante que celle de conformité, de la loi, prise dans son ensemble, par rapport au traité. Après
cette étape décisive de la jurisprudence, la supériorité des traités sur les lois est pleinement reconnue
en droit français. La hiérarchie des normes ainsi précisée conduit au contrôle de conventionalité et
à l'entière intégration des traités dans le droit interne.

§ 4 : Les sources jurisprudentielles de la légalité administrative.

L’apport de la jurisprudence à l’édification même du droit administratif a été extrêmement


considérable. On peut dire qu’à chaque carrefour du droit administratif il y’a un ¨grand arrêt¨.

Cette contribution du juge à la création du droit a parfois fait l’objet de remarques et critiques :

- SUR UN PLAN THEORIQUE : il est vrai que le rôle du juge n’est pas de faire le droit mais
seulement de le faire respecter ; cela est spécialement vrai en régime démocratique de ¨séparation
des pouvoirs¨;

Parmi les sources non écrites, seule la jurisprudence tient une place importante. La doctrine, en
effet, n'est pas une véritable source de droit, dans la mesure où ses productions n'ont pas de valeur
juridique par elles-mêmes; elle n'est qu'une source indirecte, matérielle, mais non formelle.

La fonction normative du juge

L'exercice par le juge, d'une fonction de création de normes est le résultat d'une évolution
remarquable dans le droit français, et par suite, dans le droit burkinabè qui repose, à cet égard, sur
les mêmes bases.

En effet, contrairement aux pays anglo-saxons par exemple, le droit en France est essentiellement
un droit écrit; de plus, des dispositions particulières ont été prises, à l'époque révolutionnaire du
moment où les bases juridiques modernes ont été mises en place, pour éviter que le juge n'exerce
des fonctions règlementaires. Ainsi l'art. 5 du Code civil interdit au juge de prendre des arrêts de
règlement.

Pourtant, comme l'illustrera particulièrement l'exemple des principes généraux du droit exposé ci-
dessous, l'évolution s'est dessinée en sens contraire, et le juge de l'administration participe
largement à la création du droit. Comment expliquer cela ?

Tout d'abord, toute juridiction exerce une fonction normative. Certes, le rôle normal du juge est de
résoudre le litige porté devant lui en « disant» le droit applicable en l'espèce, c'est-à-dire en
dégageant la règle, préalablement en vigueur, qu'il convient d'appliquer: ce n'est pas là un rôle
créateur; de plus cette décision n'a de portée que pour le cas d'espèce. Mais en réalité, l'état du droit
n'est pas tel qu'il n'y ait place pour un rôle créateur complémentaire du juge.
D'une part, en effet, le juge doit souvent interpréter la règle, qui peut être obscure, ou n'avoir pas
prévu expressément le cas posé, ou être en contradiction avec d'autres règles; dans cette tâche,
l'apport du juge peut être considérable: des règles ont ainsi été interprétées successivement dans des

86
acceptions totalement différentes (ainsi l'art. 1384 du Code civil qui a été interprété comme
impliquant une présomption de responsabilité).

Mais parfois, d'autre part, le droit peut comporter des lacunes, aucune règle ne pouvant régir le
problème posé au juge. Or, dans ce cas, le juge est obligé de statuer, sous peine de déni de justice: il
lui faudra bien décider lui-même de la règle à appliquer.

Le problème de la création du droit par le juge. - Pas plus que le juge judiciaire, le juge
administratif ne tient de la Constitution le pouvoir de poser des règles générales. Son rôle se borne à
trancher les litiges particuliers nui lui sont soumis, à dire, dans chaque cas concret, où est le droit; sa
décision ne statue que sur l'espèce- qui la suscite

L'acte juridictionnel implique la confrontation à la règle de droit des prétentions opposées des
parties. Le juge déduit, de cette confrontation, laquelle de ces prétentions est conforme au droit.

Or, étant donné les caractères particuliers de la loi administrative, il était très fréquent, jusqu'au
récent développement de la règle écrite en matière administrative, qu'aucun texte n'eût prévu le cas
soumis au juge et c'est encore parfois le cas aujourd'hui. Celui-ci, pourtant, ne peut s'abstenir de
juger: il se considère comme lié, au moins moralement, par l'article 4 du Code civil, qui défend au
juge de se retrancher, pour refuser de statuer, derrière « le silence ou l'obscurité de la Des lors, le
juge administratif n'avait une ressource formuler lui-même la règle générale qui lui permettrait de
statuer.

- SUR UN PLAN TECHNIQUE, l’élaboration jurisprudentielle du droit présenterait des


inconvénients : c’est un droit mal connu, c’est un droit qui risque d’être appliqué rétroactivement
(cas où le juge dégage une nouvelle règle à l’occasion d’un arrêt rendu sur une affaire qui lui est par
définition antérieure).

Les caractères de la règle jurisprudentielle.

Le premier est la souplesse. Le juge administratif n'aime pas les formules rigides, qui auraient
l'inconvénient de le lier pour l'avenir de façon trop étroite: il entend se réserver la possibilité de tenir
compte, dans les arrêts qu'il rendra plus tard sur la même question, des particularités de chaque
espèce. Aussi se borne-t-il par- fois à définir des standards l, qui lui laissent une grande liberté
d'appréciation. Cette volonté de souplesse répond au souci constant d'équilibre qui guide le juge: la
conciliation entre les nécessités de l'action administrative et les droits et libertés des citoyens, qui
est la directive générale dont il s'inspire, interdit les formules tranchées, et réclame des nuances.

La règle jurisprudentielle, d'autre part, se caractérise par un certain hermétisme; les formules par
lesquelles elle s'exprime ne sont pas toujours intelligibles par elles-mêmes; il faut, pour les
comprendre, se familiariser avec le langage du juge administratif.

Cependant la doctrine considère généralement que ce rôle était inévitable (du fait de des lacunes des
textes). Elle considère aussi généralement qu’il a été profitable à la qualité du droit administratif
français.

87
L’ŒUVRE JURISPRUDENTIELLE DU CONSEIL D’ETAT

Elle est très diverse : étendue de la compétence des juridictions administratives, régime de la
responsabilité administrative, théorie des actes administratifs,…
Cette œuvre a notamment et surtout comporté la mise en place de la très importante théorie des
principes généraux du droit :
- voir JEANNEAU, ¨les principes généraux dans la jurisprudence administrative¨, thèse 1954 ;
- voir LETOURNEUR, ¨les principes généraux dans la jurisprudence administrative¨, E.C.D.E.,
1951.19 ;
- voir MESCHERIAKOFF, ¨la notion de principes généraux du droit dans la jurisprudence
administrative¨, A.J.D.A. 1976, 596 ;
- voir LOSCHAK ¨le rôle politique du juge administratif¨, 1972, notamment pp. 83 et ss.
- voir MORANGE ¨une catégorie juridique ambigüe, les principes généraux du droit¨, R.D.P. 1977,
761.
Il s’agit de grandes règles que le Conseil d’Etat considère comme applicables à des situations et
hypothèses dans lesquelles il n’existait pourtant pas de texte prescrivant expressément leur respect.
La juridiction administrative prétend d’ailleurs moins ¨créer¨ ces principes que les ¨dégager¨ de
l’esprit général de notre droit, de nos traditions libérales, de la tendance des textes, et aujourd’hui il
les rattache aussi volontiers au Préambule de la Constitution (cf. l’arrêt des ingénieurs-conseils de
1959).
Le C.E. a définitivement consacré cette théorie (ainsi que l’expression de ¨principe général de
droit ¨) après 1945. Cette théorie a alors été édifiée dans un esprit libéral, pour une meilleure
protection des droits individuels.
La part du juge dans l'élaboration des principes

Le pouvoir créateur du juge se manifeste à la fois en amont et en aval des textes. D'une part le juge
infère du droit écrit ainsi que de l'ensemble de l'ordre juridique l'existence de principes généraux
susceptibles de donne: au droit administratif l'unité, l'esprit qui lui font défaut; d'autre part, en
présence de textes de loi, il est amené à préciser l'Intention du législateur pour dicter la solution du
litige qui lui est soumis. C'est par ce biais, on l'a dit, que le juge restreint la marge de pouvoir
discrétionnaire de l'administration en subordonnant son action à des conditions que la loi ne
prévoyait pas expressément. Mais il est clair que sous couvert d'interpréter les textes et de
rechercher l'intention du législateur le juge crée la encore du droit.

Le juge, qui n'est pas constitutionnellement habilité à créer du droit, ne revendique pas ouvertement
ce pouvoir normatif: il n'avoue jamais créer du droit ex nihilo mais prétend toujours s'appuyer sur le
droit existant. L'étendue de ce pouvoir normatif est pourtant incontestable. Quantitativement, elle se

88
manifeste dans le fait que des pans entiers du droit administratif sont, comme on vient de le
rappeler, d'origine jurisprudentielle. Mais c'est surtout d'un point de vue qualitatif qu'il faut se placer
pour en apprécier l'importance. En face d'une législation incomplète et fragmentaire, le juge
administratif a fréquemment recours à des principes généraux, à de, règles qui lut permettent de
donner une solution aux litiges qui lui sont soumis alors même qu'une règle de droit précise fait
défaut. Parmi ces règles d'origine
jurisprudentielle, certaines accèdent à la dignité de « principes généraux du droit» : à la différence
des autres, qui n'ont qu'un caractère supplétif et cèdent devant la règle écrite, y compris d'origine
réglementaire, les principes généraux du droit, eux, s'imposent à l'administration. Il y a donc là une
illustration particulièrement significative du pouvoir normatif du juge qui mérite qu'on s'y attarde
quelques instants.

La théorie des principes généraux du droit a été formulée pour la première fois de façon explicite en
1945. Elle s'appuie sur le postulat qu'il existe un corps de principes généraux du droit public
français qui, depuis 150 ans, sous-tendent l'esprit des institutions et de la législation et qui, même
lorsqu'ils ne sont inscrits dans aucun texte, ont valeur de droit positif et s'imposent à
l'administration. De ces principes, le juge parle comme de règles objectives dont il se borne à
constater l'existence; mais l'examen de la technique d'élaboration des principes généraux du droit
par le juge montre que la part de la création l'emporte largement sur celle de la constatation.

Caractères juridiques

Les principes généraux du droit ont force obligatoire à l'égard de l'administration : ceux de ses actes
qui les transgressent sont annulés, et peuvent, s'ils ont causé un dommage, engager la responsabilité
administrative. Ils ont donc valeur de droit positif.

Cette force ne leur vient pas de leur rattachement à une source écrite. Le Conseil d'État les déclare
«applicables même en l'absence de textes ; leur autorité est indépendante de tout élément formel.

Il ne s'agit pas de règles coutumières : le juge ne se réfère pas non plus à la tradition, ou au
consentement de l'opinion.

S'agit-il de règles jurisprudentielles? Le juge paraît l'exclure: il présente les principes comme s'ils
existaient en dehors de lui, son rôle étant, non de les créer, mais de les constater. Il est exact que le
juge ne tire pas de son propre fond les principes dont il affirme l'existence; il Y
a, à la racine de tout système de droit, une conception de l'homme et du monde, qui implique un
certain nombre de postulats. C'est à ce fond éthique que se rattachent les
principes généraux. Mais la constatation opérée par le juge est, en réalité, largement créatrice: en
affirmant l'existence d'un principe, le juge lui attache la sanction dont il était dépourvu, et l'insère
par là dans le droit positif.

Rappel

La jurisprudence et les principes généraux du droit

89
La place de la jurisprudence comme source du droit administratif restant aujourd’hui encore
fondamentale, malgré l’importance croissante des sources écrites de ce droit, il est nécessaire de
souligner les caractéristiques essentielles du pouvoir normatif du juge avant de préciser la place des
règles jurisprudentielles et en particulier des principes généraux du droit dans la hiérarchie des
normes.

Les caractéristiques du pouvoir normatif du juge

Si le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire a été édicté pour interdire aux
juges de faire acte d’administrateur, il n’en fallait pas moins, pour trancher les litiges opposant
l’administration aux administrés, pouvoir se référer, dans le silence, à des règles générales, règles
que le juge administratif a progressivement formulées. Dès lors, en effet, que le Conseil d’Etat et le
Tribunal des conflits avaient écarté les règles du Code civil au motif que celles-ci ne régissaient que
les rapports de particulier à particulier, le juge administratif se devait, en l’absence de textes
applicables au litige, d’élaborer lui-même les règles dont il contrôlait, simultanément, le respect par
l’administration.

Il a certes pu être observé que « par cette fonction, le juge administratif se comporte en supérieur de
l’administration, c’est-à-dire exactement en administrateur – à l’instar des parlements de l’ancien
régime, contre lesquels le principe de séparation a été formulé », ce qui n’est pas le moindre des
principes du paradoxe du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires
(Dévolvé, Mélanges Chapus, p.143).

Par rapport aux normes écrites, la règle jurisprudentielle a essentiellement trois caractéristiques.

Elle est d’abord, par nature même, rétroactive, puisque le juge élabore la règle en même temps qu’il
l’applique au litige qui lui est soumis et, le cas échéant, en sanctionne le non respect. Cependant,
pour atténuer cet inconvénient, il arrive fréquemment que les « grands arrêts » du Conseil d’Etat se
bornent à énoncer un principe dans des espèces où les conditions ne sont pas réunies pour que son
application pratique donne lieu à sanction, en se réservant d’en faire une application concrète plus
rigoureuse par leurs conséquences à l’occasion d’espèces ultérieures.

La deuxième caractéristique de la règle jurisprudentielle est sa souplesse, dans la mesure où le juge


français n’est juridiquement pas lié par l’autorité du précédent, à la différence des systèmes anglo-
saxons.

Les revirements jurisprudentiels sont donc toujours possibles, même s’’ils sont généralement
progressifs, le juge administratif veillant à ne pas perturber trop brutalement l’action administrative
par l’application de règles nouvelles que l’administration n’avait pu prendre en compte, puisqu’elles
ne résultaient pas encore de la jurisprudence, au moment de l’édiction de l’acte soumis à la censure
du juge.
Enfin, un certain hermétisme résulte de l’extrême concision des motivations des décisions de la
juridiction administrative, le juge ne formulant pas toujours avec précision dans les considérants de
son jugement ou de son arrêt, la règle dont il s’inspire.

90
Cette sobriété de motivation ajoute à la latitude du juge, qui se réserve le pouvoir de faire une
appréciation différente des faits en fonction des circonstances de chaque espèce, sans qu’il s’estime
toujours tenu d’expliquer en quoi celles-ci diffèrent d’une espèce à l’autre.
Source de délectation intellectuelle pour les juristes, qui pourront trouver plaisir à deviner dans un
mot ou l’absence d’un mot une inflexion jurisprudentielle, cet hermétisme, qui a longtemps
contribué au prestige du Conseil d’Etat et des juristes du droit administratif, apparaît aujourd’hui
quelque peu archaïque, à une époque où l’explication remplace progressivement l’argument
d’autorité.
Sans doute pourra-t-on objecter que le rôle de la doctrine est précisément de rendre clair ce qui ne
l’est pas de prime abord ; encore faut-il que les « faiseurs de systèmes » (Rivero, « Apologie pour
les faiseurs de systèmes », Dalloz, 1951, chron. p.99) ne voient pas leurs efforts de transparence et
d’explication ruinés périodiquement par un empirisme du juge qui serait érigé en seule règle.

La place de la jurisprudence dans l’élaboration du droit administratif


En principe, le droit français interdit aux juges (judiciaire comme administratif) de prendre des
arrêts de règlement qui posent une règle de droit obligatoire pour l’avenir. Cette tâche revient au
législateur et au pouvoir réglementaire.
Pourtant, les règles et les principes fondamentaux du droit administratif ont été, pour la plupart
d’entre eux, élaborés et posés à l’occasion d’arrêts rendus par le Conseil d’Etat.
Ce droit prétorien (c’est-à-dire qui est l’œuvre du juge) est né pour combler des lacunes du droit
écrit. En effet, il n’a jamais existé, pour le droit administratif, de code écrit équivalent au Code civil
et rassemblant les principes et les règles de ce droit. Par son audace, le Conseil d’Etat a permis de
structurer ces domaines aussi fondamentaux que la responsabilité administrative ou les contrats. En
restant fidèle à l’esprit du système juridique français et en se référant fréquemment aux principes
d’équité, le Conseil a su éviter l’écueil d’une jurisprudence arbitraire.
Même si l’œuvre jurisprudentielle du Conseil d’Etat est vivante, évolue en permanence et s’adapte
aux évolutions de la société et des mentalités, on peut toutefois affirmer que le droit administratif
est aujourd’hui un droit homogène, « complet ». L’époque de l’affirmation des grands principes
jurisprudentiels semble révolue. Moins audacieux qu’hier, le Conseil semble avoir abandonné le
champ normatif au législateur, au gouvernement et surtout au Conseil constitutionnel (avec ses
principes de valeur constitutionnelle s’imposant à toutes les autorités).
Comme nous allons le voir, les PGD (Principes Généraux du Doit) sont la démonstration la plus
visible du pouvoir normatif du Conseil d’Etat.

Les principes généraux du droit (PGD]

Les sources de la légalité précédemment étudiées étaient des sources écrites; les principes généraux
du droit sont des sources non écrites: ils constituent des normes qui s'appliquent même sans texte
aux autorités administratives et même, pour certains d'entre eux, aux autorités législatives.

91
C’est en 1945 que l’expression « PGD » fut expressément consacrée par le Conseil d’Etat, dans un
ensemble d’arrêts rendus le même jour, pour lesquels, le Conseil d’Etat jugeait qu’il résulte des
« principes généraux du droit applicables même en l’absence de textes » qu’une sanction
disciplinaire ne peut être légalement prononcée sans que l’intéressé ait été mis en mesure de
présenter sa défense (CE, A, 26 octobre 1945, Aramu et autres, D., 1946, p.158).

Le développement des principes généraux du droit est relativement récent: il remonte à une
soixantaine d'années. Le phénomène n'est pas fortuit: il correspond à la diminution de
l'empire de la loi. A une époque où l'exécutif a été largement chargé d'édicter des dispositions dans
des domaines où le législateur les formulait antérieurement, le Conseil d'Etat a considéré, par une
sorte de contrepartie, qu'il devait néanmoins respecter des principes
qui s'imposaient à lui, même si aucun texte législatif ne l'avait précisé (3); le Conseil constitutionnel
a enchaîné en considérant que le législateur aussi était soumis à de tels principes.

Ainsi le développement des principes généraux du droit a contribué au renforcement des garanties
des citoyens, non seulement contre l'administration mais encore contre le Parlement.

Les PGD ont été « découverts » grâce au pouvoir créateur et à l’imagination féconde du juge. Celui-
ci a trouvé dans les textes des formules à partir desquelles il a extrapolé les principes plus généraux.
Il s’est appuyé notamment sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le
préambule de la Constitution de 1946, mais aussi sur des textes plus particuliers ; l’esprit des
institutions, ne serait-ce que le principe de l’égalité lui-même ou les nécessités de leur organisation
et de leur fonctionnement, a permis de découvrir d’autres principes.

Le juge va chercher son inspiration dans des dispositions législatives particulières mais
convergentes ou même dans une seule de ces dispositions si elle lui paraît comme les autres,
significative d’une certaine orientation du droit ; il est également sensible aux exigences de la
conscience juridique du temps et à celles de l’Etat de droit ; et il ne saurait être indifférent à
l’idéologie qui anime un préambule constitutionnel ou une déclaration des droits comme celle de
1789.

Mais dans le cas même où ils procèdent de dispositions très précisément identifiables du droit écrit,
les PGD n’ont pas avec lui de lien formel : ils sont précisément applicables « même en l’absence de
texte », ce qui signifie que ce n’est pas d’un texte qu’ils tiennent leur existence et leur force
obligatoire. Ils sont indépendants du droit écrit, et cela au point qu’il arrive au juge de présenter les
dispositions textuelles qu’il a prises en considération comme s’inspirant elles-mêmes d’un PGD ou
comme se bornant à en faire application.

Certains de ces principes trouvent leur source dans la Déclaration de 1789 ou dans le préambule de
la Constitution de 1946 : le principe d'égalité devant la' loi, devant l'impôt, devant la justice, devant
le service public ... , le droit de grève, le principe de non rétroactivité ... Mais c'est le juge qui
choisit, parmi les dispositions de la Déclaration et du préambule, celles auxquelles il convient
d'accorder valeur de droit positif, c'est lui également qui ~ en détermine la portée exacte. Ainsi, le
droit pour les étrangers aussi bien que pour les nationaux de mener une vie familiale normale se
déduit d~ la disposition selon laquelle « la nation assure à l'individu et à ia famille les conditions

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nécessaires à leur développement » ; la disposition scion laquelle « le droit de grève s'exerce dans le
cadre des lois qui le règlementent » n'interdit pas au gouvernement de réglementer ce droit dans la
fonction publique pour en concilier l'exercice avec la nécessité d'assurer la continuité des services
publics; tandis que l'affirmation selon laquelle « tout homme persécuté en raison de son action en
faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de

la République » n'est pas suffisamment précise pour être directement opposable à l'administration ...
La liberté que le juge administratif se reconnaissait traditionnellement dans ce domaine est
cependant moindre désormais: sous l'influence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a
affirmé depuis 1971 la valeur constitutionnelle de l'ensemble des dispositions en cause, le juge
administratif s'est en effet résolu depuis la fin des 1 années 1980, à se référer directement aux
principes consignés dans les textes sans passer par le filtre des principes généraux du droit.

Le principe des -droits de la défense, affirmé au profit des agents publics sous le coup d'une
sanction disciplinaire par une loi de 1905 et aujourd'hui codifié dans le statut de la fonction
publique, a été érigé en 1944 en principe général du droit et étendu ainsi à tous les administrés
frappés d'une sanction administrative. Plus récemment, le juge a érigé en principes généraux du
droit, applicables non seulement aux salariés de droit privé mais aussi aux agents publics, des règles
tirées du de licencier une femme enceinte, le droit à un minimum de rémunération, ou l'interdiction
des sanctions pécuniaires. Ainsi, par une démarche inductive et très libre, le juge infère d'un texte
précis l'existence d'un principe plus général susceptible d'autres applications.

-Parfois, ce n'est pas de la lettre de la loi mais de l'esprit d'un texte ou d'un ensemble de textes que le
juge dégage le principe qui lui paraît avoir présidé à leur édiction. Ainsi le principe qui fait de
l'autorité judiciaire la gardienne de la propriété privée et fonde les théories de l'emprise et de la voie
de fait est inféré des nombreux textes épars qui confient au juge judiciaire le dédommagement des
propriétaires en cas de dépossession. Le principe selon lequel on ne peut extrader un réfugié vers
son pays d'origine, est induit « notamment» de la Convention de Genève qui, sans mentionner
explicitement l'extradition, interdit d'expulser ou de refouler un réfugié « de quelque manière que ce
soit» vers son pays. Le principe selon lequel un demandeur d'asile doit être autorisé à demeurer sur,
le territoire français jusqu'à ce, qu'il ait été statué sur sa demande de statut de réfugié est impliqué
par la Convention de Genève et par la loi interne de 1952 donnant compétence à l'OFPRA pour
statuer sur cette demande. Les «principes généraux du droit de l'extradition» qui interdisent de
prononcer l'extradition si elle est demandée

-dans un but politique ou si le système juridique de l'État requérant ne respecte pas les droits et
libertés fondamentaux de la personne humaine sont induits des dispositions de la loi de 1927 et des
différentes conventions existant en la matière, ainsi que de la philosophie qui les inspire.

- Il arrive enfin que le juge fasse appel à des principes qui ne peuvent trouver de fondement, même
lointain, dans aucun texte, mais qui lui paraissent commandés par la logique interne des institutions
ou par les impératifs de 'la vie en société : tels le principe de continuité du service public, ou la
faculté pour un gouvernement démissionnaire d'expédier les affaires courantes. La théorie des
circonstances exceptionnelles peut de même être rapportée à l'idée que le bon fonctionnement des

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institutions et la nécessité d'assurer la vie de la nation passent avant le respect de la légalité
strictement entendue.

Au total, il apparaît bien que si l'origine des principes généraux du droit est extérieure au juge, qu'il
les découvre dans la lettre ou l'esprit de la loi, dans les nécessités de la vie -en société ou dans la
tradition constante du régime républicain, leur passage dans le droit positif nécessite une
intervention du juge qui' ne se contente pas de constater leur existence. Car c'est lui, en définitive,
qui choisit ceux qu'il estime devoir faire accéder à la vie juridique avant de déterminer leur portée et
leur contenu.

Le Conseil
La variété d'État a, cependant, récemment consacré le « principe général de l'indépendance des
des PGD
inspecteurs du travail» (CE, 9 oct. 1996, Union nationale CGT, DA 1996, n- 574). Ces diverses
Leur solutions
contenu est varié et leur
témoignent denombre
la partn'est pas figé.
de choix que fait la juridiction administrative en décidant de
consacrer et de sanctionner ou non tel ou tel principe.
On peut essayer de les classer schématiquement en distinguant ceux qui sont liés à un certain état de
civilisation
Même juridique
si le juge etadministratif
ceux qui régissent le fonctionnement
se défend juridique desseinstitutions
de les créer et simplement fonder sur publiques.
un certain nombre
de valeurs fondamentales de notre droit pour en généraliser la portée et en sanctionner les
Parmi les principes liés à un certain état de la civilisation juridique, figurent au premier chef les principes
éventuelles violations par l'administration, le choix fait par le juge de sanctionner ou non tel ou tel
relatifs à la liberté, sous toutes ses formes: liberté individuelle, liberté professionnelle notamment.
principe témoigne de la force créatrice de la jurisprudence.
La liberté n'est pas séparable de l'égalité, dont le principe a donné lieu à de multiples applications: égalité
devant la loi et le règlement, égalité dans le fonctionnement des services publics, égalité d'accès aux
emplois publics, égalité devant les charges publiques, égalité devant la justice.

La sécurité, au sens large, est aussi attachée à la civilisation juridique. Sous cette rubrique, on peut ranger
des principes garantissant la sécurité juridique des administrés, comme les principes de non-rétroactivité
des actes administratifs, de respect des droits de la défense, de l'existence d'un recours pour excès de
pouvoir, de la publicité des débats judiciaires.
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La volonté de protection sociale a conduit à reconnaître le principe interdisant de licencier une femme
enceinte, le droit des agents publics à une rémunération ne pouvant être inférieure à un minimum, le droit
des personnes à vivre une vie familiale normale, le principe général en vertu duquel la nation assure à la
famille les conditions normales à son développement.
Les catégories classiques de PGD

Introduits en droit public par la jurisprudence du Conseil d’Etat, les principes généraux du droit ont
été appliqués également par le Conseil constitutionnel, qui a précisé leur valeur. Ils figurent aussi,
aux côtés des principes du Préambule, parmi les normes fondamentales dont le respect s’impose à
l’administration.

Depuis longtemps, le Conseil d’Etat fait application des principes généraux du droit, règles non
écrites dont il impose le respect à toutes les autorités administratives. Les principes généraux du
droit sont moins inventés que découverts par le juge, à partir d’un certain état de la conscience
collective à un moment donné. Ils permettent de rendre, même en l’absence de texte, des décisions
qui répondent aux exigences du consensus social. La jurisprudence a précisé à la fois leur contenu
et leur valeur.

Quant au contenu, les principes généraux du droit les plus traditionnels sont ceux-mêmes de la
philosophie politique sur laquelle l’Etat s’est construit, liberté, égalité, continuité du service public.
D’autres relèvent davantage d’une conception du droit, droits de la défense, non rétroactivité des
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actes administratifs, existence de recours pour excès de pouvoir contre toute décision administrative
et du recours en cassation contre toute décision juridictionnelle.

Par nature, les principes généraux du droit sont évolutifs. Tout en continuant d’appliquer les
principes traditionnels, le Conseil d’Etat dégage des principes nouveaux qui correspondent à des
exigences plus récentes. Sans doute les constructions principales sont-elles déjà établies. Mais des
principes supplémentaires apparaissent. D’une grande portée, l’arrêt GISTI, du 8 décembre 1978,
affirme qu’ « il résulte des principes généraux du droit, et notamment du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 » que tout homme a « le droit de mener une vie familiale
normale ».

La première catégorie de PGD tend à assurer le respect du principe d'égalité dans toutes ses
composantes: égalité devant la loi (CE Ass., 7 février 1958, Syndicat des propriétaires de forêts de
chênes-lièges d'Algérie, Rec., p. 74, AJ 1958, 2, p. 220, chro. J. Fournier et M. Combarnous).

Plusieurs corollaires du principe d'égalité devant la loi ont été reconnus comme constitutifs de
principes généraux du droit, qu'il s'agisse de l'égalité devant le service public (CE, 9 mars 1951,
société des Concerts du Conservatoire, GAJA n° 70), du principe de l'égal accès aux emplois
publics (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel, GAJA n°77), ou encore de l'égalité des citoyens devant la
justice (CE, Ass., 12 oct. 1979, Rassemblement des nouveaux avocats de France, Rec. p. 371,JCP
1980 no19288 cond. Franc).

Il a été souligné récemment que l'égalité « par la loi» se substituant parfois à l'égalité « devant la loi
», la richesse du principe d'égalité, égalité des droits mais aussi égalité des chances, pourrait aller
jusqu'à justifier des « discriminations positives» (Rapport du Conseil d'État pour 1996 - EDCE, n°
48, p. 13 et s.).

La conception retenue par le Conseil d'État du principe d'égalité confère à l'administration une assez
large liberté d'initiative, puisqu'elle peut traiter différemment les administrés se trouvant dans des
situations différentes, mais n'est pas tenue de le faire. La seconde catégorie de PG D affirme le
respect du principe de liberté: liberté « d'aller et de venir », du commerce et de l'industrie, d'opinion
(Barel, précité) ...

Un certain nombre de principes généraux du droit s'inspirent de la tradition libérale de la déclaration


de 1789 et consacrent notamment la liberté de conscience et la liberté d'aller et de venir. La liberté
du commerce et de l'industrie est également rangée parmi les « principes généraux du droit» sans
que le Conseil d'État ne fasse nécessairement référence à la loi des 2-17 mars 1791 instituant cette
liberté (CE, 13 mai 1994, président de l'Assemblée territoriale de la Polynésie française, RDP 1994,
p. 1557, concI. Scanvic).

La troisième catégorie de PGD a pour but d'assurer la protection des administrés face à!'
administration: principe selon lequel tout acte administratif peut faire l'objet d'un recours pour excès
de pouvoir (CE Ass., 17 février 1950, Dame Lamotte*, GAJA n° 74, Rec. Lachaume, p. 424),
principe de non rétroactivité des actes administratifs (CE Ass., 25 juin 1948, Soc. du Journal

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r:Aurore, GAJA n° 69, Rec. Lachaume, p. 290), principe des droits de la défense (CE Ass., 26
octobre 1945, Aramu, précité), principe de prise en compte de l'expression pluraliste des courants
d'opinion (CE, 17 janvier 1990, Union nationale des professions libérales, RFDA 1990, p. 293),
principe selon lequel cc l'autorité compétente, saisie d'une demande tenant à l'abrogation d'un
règlement illégal, est tenue d'y déférer (CE Ass., 3 février 1989, Cie Alitalia*, GAJA n° 112, Rec.
Lachaume, p. 114) ...

Les principes que nous venons de décrire (relatifs à l'égalité, à la liberté et à la protection des
administrés) sont empruntés à la tradition libérale issue de la DDHC de 1789 et des lois de la
Troisième République.

La quatrième catégorie englobe à la fois (pour simplifier) :

- des principes empruntés aux « nécessités de la vie sociale », comme celui de la continuité des
services publics (CE, 13 juin 1980, Mme Bonieën. Rec., p. 274) ;

- des principes empruntés aux « impératifs de l'équité », par exemple la restitution de


l'enrichissement sans cause (CE Sect., 14 avril 1961, Soc. Sud-Aviation, Rec., p. 236, RDP 1961, p.
655, concl. C. Heumann) ou le droit pour les étrangers en situation régulière de mener une vie
familiale normale (CE Ass., 8 décembre 1978, GIS TI, GAJA n° 106 ; CE Ass., 29 juin 1990, 2
arrêts, Imanbaccus, Préfet du Doubs, AJ 1990, p. 709) ...

Les catégories particulières de PGD

Les principes que nous avons énumérés se caractérisent par une portée générale. Pourtant, il en
existe d'autres, dont la portée est restreinte et spécifique, qui viennent simplement combler des
lacunes de la loi.

Certains principes récents sont davantage limités à certaines branches du droit.

En matière de fonction publique, les principes généraux du droit ont été l’intermédiaire permettant
au Conseil d’Etat d’appliquer aux agents publics des règles du droit du travail qu’aucun texte
n’étendait expressément à eux, comme l’interdiction de licencier une femme en état de grossesse (8
juin 1973, Mme Peynet), l’obligation d’assurer à tout salarié une rémunération au moins égale au
SMIC (23 avril 1982, ville de Toulouse), l’interdiction pour l’employeur d’infliger une sanction
pécuniaire à ses salariés (1er juillet 1988, Billard et Volle c/SNCF), la règle selon laquelle une
convention collective ne peut comporter que des dispositions plus favorables aux salariés que celles
qui résultent des lois et règlements.

Des principes généraux du droit sont également venus enrichir le droit de l’extradition et celui des
réfugiés : ils font obstacles à l’extradition d’un étranger vers un pays dont les système judiciaire ne
respecte pas les droits et libertés fondamentaux de la personne (26 septembre 1984, Lujambio
97
Galdeano) et à l’extradition d’un réfugié vers son pays d’origine (1er avril 1998, Bereciartua-
Echarri). En vertu d’un principe général du droit des réfugiés, l’octroi du statut de réfugié à une
personne implique que la qualité de réfugié soit également reconnue à son conjoint et à ses enfants
mineurs (2 décembre 1994, Mme Agyepong).

C'est le cas du principe interdisant à l'administration de licencier une femme enceinte (CE Ass.,
8juin 1973, Dame Peynet, Rec., p. 406, JCP 1975, n° 17957, note Y. Saint-Jours) ou de celui
obligeant l'administration à verser à ses agents non titulaires une rémunération au moins égale au
SMIC (CE Sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse c/Aragnou, Rec., p. 152, D. 1983, p. 8, note J.-B.
Auby).

Par ailleurs, il existe des PGD dont la portée est générale mais au sein d'une même catégorie de
droits. Ces PGD que l'on peut généralement qualifier de (( transversaux » (ils couvrent différents
domaines) deviennent ici les PG d'un droit particulier. C'est le cas des PGD du droit de l'extradition.
Ceux-ci commandent, entre autres, que l'État qui réclame l'extradition dispose d'une justice
respectant (( les droits et libertés fondamentaux de la personne humaine )) (CE Ass., 26 septembre
1984, Lujambio Galdeano, Rec., p. 308, RFDA 1985, p. 183, note H. Labayle) ou encore que l'État
français n'apprécie pas l'affaire sur le fond pour se prononcer sur la demande d'extradition.

Les nouvelles générations de PGD empruntées aux règles du droit international et aux dispositions
de la CEDH

La catégorie des PGD connaît depuis quelques années de nouveaux développements. En effet, avec
la prise en compte des règles du droit international et des dispositions de la Convention européenne
des droits de l'homme (CEDH), de nouvelles sources d'inspiration s'offrent au Conseil d'État.

Le Conseil d'Etat fait de plus en plus fréquemment application de PGD issus des dispositions de la
CEDH (ratifiée par la France en 1974). Un nombre croissant de recours s'appuie d'ailleurs sur ces
dispositions pour demander l'annulation d'actes administratifs. Citons, entre autres, le PG du droit
au respect de la vie privée et familiale (art. 8) ou le PG du droit à la liberté d'expression (art. 10).
Les PG du droit communautaire (expressément reconnus par le traité de Maastricht) tirent leur
légitimité de leur provenance du cc patrimoine » constitutionnel commun aux États membres de
l'Union européenne.

98
LES PRINCIPES GENERAUX DU DROIT DANS LA JURISPRUDENCE
ADMINISTRATIVE BURKINABE

Les principes actuellement consacrés par la jurisprudence administrative française sont d’inspiration
libérale. En ce sens F. Batailler indique " Ces principes généraux demeureront le reflet des
conceptions politiques fondamentales du consensus politique. Si un principe venait à être en
contradiction avec les règles du régime politique telles qu’elles ont évolué, il serait alors abandonné
et " déclassé " par le juge administratif : celui-ci ne s’autorisant plus alors à sanctionner les actes
administratifs contraires " (1). Les principes généraux du droit ont valeur de droit positif dans
l’ordonnancement juridique du Burkina Faso. En effet, le juge administratif a consacré certains
principes généraux parmi ceux que nous avons évoqués plus haut. Elle affirme ces principes sans
les nommer expressément dans les arrêts, mais à travers des expressions telles que : " de droit
établi ", de jurisprudence constante ", de " jurisprudence certaine ", en se référant au Conseil d’Etat
français.

L’adoption des principes généraux par le juge administratif burkinabè marque-t-elle sa volonté de
soumettre l’administration au respect de la légalité ou au contraire procède-t-elle d’un mimétisme
juridique ? Pour notre part, nous présenterons l’état de la jurisprudence administrative burkinabè sur
la question des principes généraux du droit.

1
F. BATAILLER, op. cit., p. 189 ; V.D.LOSCHAK, op. cit., p. 88 et suiv.

99
1) Les " droits de la défense "

C’est à l’occasion du contentieux disciplinaire de la fonction publique que la Chambre


administrative a eu l’occasion de consacrer le principe des " droits de la défense " : " Attendu que
lorsqu’une décision administrative prend le caractère d’une sanction administrative et qu’elle porte
une atteinte assez grave à une situation individuelle, l’intéressé doit avoir été mis en demeure de
discuter les motifs de la mesure qui le frappe " (1). C’est la reprise pure et simple de la formule
avancée par le commissaire du Gouvernement Chenot dans l’affaire Dame Veuve Trompier-Gravier
(2).

Le principe des " droits de la défense " implique donc le droit pour l’intéressé d’être avisé de la
mesure qui va être prise ainsi que de ses motifs et de présenter sa défense ( 3). L’autre aspect
important du principe des " droits de la défense " résulte du fait que, lorsque le texte applicable
prévoit que l’intéressé a droit à la communication de son dossier personnel, cette communication
doit être intégrale.

Le principe des " droits de la défense " a été introduit dans le droit disciplinaire de la fonction
publique, principalement sous la forme de la règle de la communication du dossier.
C’est un principe dont la violation est censurée par le juge administratif avec constance.

Aux termes de l’article 1er du décret n° 67-70/PRES/T.F.P. du 31 mars 1967 (4). " Les Ministres du
Gouvernement de la République reçoivent délégation pour l’application des sanctions disciplinaires
ci-après aux fonctionnaires relevant de leur autorité :
- l’avertissement ;
- le blême avec inscription au dossier ;
- le déplacement d’office ".

L’article 2 de ce décret prévoit que " ces sanctions disciplinaires sont prononcées sans
communication au fonctionnaire de son dossier individuel, ni consultation du conseil de discipline,
mais après demande d’explication écrite adressée à l’intéressé ".

Doit être annulée la mesure de déplacement d’office prise à l’encontre d’un fonctionnaire sans
qu’une demande d’explication écrite ait été adressée : " Attendu qu’il ressort de la lettre n°
253/EN/ACB envoyée le 17 novembre 1970 par le Ministre de l’Education Nationale à celui de la
fonction publique que cette formalité fut omise et que l’on déplaça d’office le requérant sans l’avoir
invité à fournir la moindre explication préalable " (5).

1
Ch. adm. 9 mars 1979, TRAORE Idrissa c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 7 ; 27 février 1981, HIEN Jérôme DA Anson Placide, arrêt n° 4 ; 13
mars 1981, DIANOU Dayeri, arrêt n° 6 ; 27 mars 1981, TRAORE Kognan et TRAORE Soungalo, arrêt n° 7 ; 15 décembre 1981, ZOUNGRANA Ali Pascal,
arrêt n° 16.

2
C.E. 5 mai 1944, Dame veuve Tromier-GRAVIER, Rec. 133.

3
V.R. ODENT, Les droits de défense, E.D.C.E. 1953, p. 55 ; De la décision Trompier-GRAVIER à la décision Garysas, E.D.C.E. 1962, p. 43 ; G.
MORANGE, Le principe des droits de la défense devant l’administration active, D. 1965, Chr. p. 121 ; J.M. AUBY et R. DRAGO, op. cit., n° 1. 210.

4
Décret n° 67-70/PRES/T.F.P. du 31 mars 1967 donnant délégation aux Ministres du Gouvernement de Haute-Volta pour l’application des sanctions
disciplinaires du 1er groupe, J.O.R.H.V. du 13 avril 1967, p. 211.

5
Ch. adm. 23 avril 1971, HIEN Emmanuel c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 13.

100
Le principe des " droits de la défense " ne concernent que les mesures administratives présentant un
caractère de sanction d’une certaines gravité, ou prises en considération de la personne.
Lorsque le contraire, la mesure ne constitue pas une sanction, mais est motivée par l’intérêt du
service, la personne frappée par elle n’a pas à être mise dans la possibilité de la discuter, quelle que
soit d’ailleurs sa gravité : " Sur la décision de mutation :
Attendu que ladite, provoquée, ainsi qu’il appert des lettres n° 57 du 17 mai 1973 et 9 sans date
versées au dossier, par les seules nécessités du service, ne saurait constituer dans la réalité la
sanction disciplinaire qu’est le déplacement d’office, qu’elle ne se trouve par voie de conséquence
nullement astreinte à respecter les directives imposées en matière de procédure disciplinaire… " (1).

Les " droits de la défense " comportent un aspect essentiel. L’intéressé doit être informé qu’une
procédure est engagée contre lui et doit recevoir communication des griefs invoqués à son encontre.
La Chambre administrative considère que " l’esprit de la procédure disciplinaire voulant que tout
sanctionné, préalablement à la mesure qui va le frapper :
- soit prévenu des griefs retenus à sa charge,
- puisse développer ses moyens de défense " (2).

La Chambre administrative a ainsi annulé une décision du Ministre de l’Education Nationale


infligeant à un Professeur, un blâme pour complicité de tentative de corruption, au motif d’une
inobservation des dispositions formelles destinées à garantir les " droits de la défense " :
" Attendu qu’il résulte du procès-verbal du 31 janvier 1977, que le Conseil restreint de l’Université
de Ouagadougou diligenta… une véritable information contre DIANOU Dayeri, en l’absence de ce
dernier qui n’avait préalablement pas été mis au courant de la procédure et ne pût donc, connaître
pour se défendre oralement, ni produire au moins un mémoire explicatif (outre que l’on ne lui
communiqua ni son dossier individuel, ni même les pièces établissant les faits reprochés)… " (3).

Dans une décision du 9 mars 1979, le juge administratif a annulé un arrêté ministériel infligeant un
blâme avec inscription au dossier à un commissaire de police. Dans l’espèce, le requérant
demandait au juge l’annulation de la sanction prise à son encontre aux motifs qu’il ne lui avait pas
été préalablement adressé une invitation écrite pour s’expliquer conformément aux dispositions du
statut général de la fonction publique. Le juge administratif a sanctionné l’inobservation des
dispositions formelles du décret du 31 mars 1967 destinées à garantir les " droits de la défense " :
" Attendu qu’il n’est pas contesté que la demande d’explications écrites prévues par le décret n° 67-
70/PRES du 31 mars 1967 n’a pas été adressée à TRAORE Idrissa par le Ministre de l’Intérieur,
qu’il n’y avait pas en l’espèce urgence telle qu’elle puisse justifier l’inobservation des dispositions
formelles du décret du 31 mars 1967 (4).
De même doivent être annulées les décisions de sanction frappant des fonctionnaires qui n’ont pas
été mis en mesure de fournir des explications écrites sur les faits qui leurs sont reprochés,
conformément à l’article 152, al.2 du Statut général de la Fonction publique : (5)

1
Ch. adm. 26 avril 1974, DABIRE Daouda c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 7.

2
Ch. adm. 26 avril 1974, DABIRE Daouda, arrêt n° 7 précité.

3
Ch. adm. 13 mars 1981 DIANOU Dayeri, arrêt n° 6 précité.

4
Ch. adm. 9 mars 1979, TRAORE Idrissa, arrêt n° 7 précité ; V. 15 décembre 1981, ZOUNGRANA A. Pascal, arrêt 16 précité.

5
Ch. adm. 11 juillet 2000, Bingo G. Marcel, Pucassou Yves, Sanou Moussa, Ky Abraham, Boly Amadou c/ Etat burkinabè, arrêt n° 42/1999-2000.

101
La Chambre administrative a étendu ses solutions à des agents qui ne faisaient pas partie des cadres
de l’administration. Dans une décision du 27 février 1981 (1), le juge a estimé que les secrétaires de
Canton devaient être regardés " tant en raison de la nature de leurs fonctions que du régime
juridique auquel ils se trouvaient soumis comme ayant avec l’Etat [burkinabè] un lien administratif
qui les assimilait aux fonctionnaires ". Le juge administratif a annulé une décision ministérielle
infligeant une suspension à des secrétaires de Canton à qui l’administration n’avait pas adressé une
demande d’explication écrite conformément aux dispositions du décret du 13 mars 1967 : " Attendu
qu’il est indéniable que le ministre de l’Intérieur et de la sécurité, ne pouvait infliger la sanction
critique qu’après communication aux requérants de leur dossier individuel et consultation du conseil
de discipline ;
Attendu qu’il n’est pas contesté que la communication de dossier prévue par le décret n° 67-
70/PRES/T.F.P. du 31 mars 1967 n’a pas été faite à HIEN Jerôme et à DA Anson Placide par le
Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité,

Qu’il n’y aurait pas en l’espèce urgence telle qu’elle puisse justifier l’inobservation des dispositions
formelles du décret 31 mars 1967 " (2).
Le raisonnement du juge administratif n’est pas très satisfaisant dans cette espèce, lorsqu’il parle de
communication de dossier individuel aux requérants sur la base du décret du 31 mars 1967. Ce texte
ne prévoit pas une communication du dossier au fonctionnaire incriminé, mais uniquement une
demande d’explication écrite. Dans l’espèce, il convenait tout simplement de faire état de cette
dernière procédure.

Pour ce qui concerne les autres sanctions telle la révocation, elles ne peuvent être prises qu’après
communication au fonctionnaire incriminé de son dossier individuel et consultation du conseil de
discipline (3). Dans une décision du 27 mars 1981 (4), la Chambre administrative a annulé une
décision ministérielle portant révocation d’un chef de canton et un secrétaire de chef de canton sans
que ceux-ci n’aient reçu communication de leur dossier. Dans cet arrêt, le juge administratif adopte
la même attitude que dans l’espèce du 28 février 1981 en se basant sur le décret du 31 mars 1967,
alors qu’ici, il devait s’appuyer sur l’article 45, alinéa 1er du statut général de la fonction publique.

2) Le principe de non-rétroactivité des actes administratifs

Les autorités administratives ne peuvent jamais donner d’effet rétroactif à leurs décisions. " Cette
règle n’est pas une application de l’article 2 du code civil (qui ne concerne que les lois) mais un de
ces principes généraux auxquels la jurisprudence reconnaît valeur de règle de droit " (5). Dans une
affaire soumise à la Chambre administrative, le requérant avait soulevé un moyen tiré de la
violation des articles 4 du code pénal et 2 du code civil en ce qu’on lui fit une application

1
Ch. adm. 27 février 1981, HIEN Jérôme et DA Anson Placide, arrêt n° 4 précité.

2
Idem.

3
Article 45, alinéa 1er, statut général de la fonction publique 1959.

4
Ch. adm. 27 mars 1981, TRAORE Kognan et TRAORE Soungalo, arrêt n° 7 précité.

5
A. de LA UBADERE, op. cit., n° 514 ; V. sur la question :

- O. DUPEYROUX, La règle de non rétroactivité des actes administratifs, thèse, Toulouse, 1953 ;
- M. LETOURNEUR, Le principe de la non-rétroactivité des actes administratifs, E.D.C.E. 1955, p. 37.
102
rétroactive de la loi. Mais, dans la décision qu’il va rendre, le juge ne fait aucune référence aux sus-
visés comme application de la règle de la non-rétroactivité des actes administratifs (1).

La Chambre administrative a précisé la notion de non-rétroactivité en ces termes : " Attendu que
l’acte administratif en principe n’est applicable qu’aux actes et faits postérieurs à son entrée en
vigueur, que de jurisprudence constante " toute modification d’un état de droit, dès lors qu’elle est
reportée dans le passé, constitue un effet rétroactif illégal " (2). Aussi, la Chambre administrative
décide-t-elle que " toute modification d’un texte légal ne prend effet qu’à compter de sa
promulgation " arrêt Devouge, C.E. 2 mai 1947, S. 1948, 3, 8) " (3).

Récemment, le juge administratif a rappelé cette règle : " Considérant que l’arrêté n° 2002-
250/MFPDI/SG/DGFP/DC du 24/02/2002 dont l’annulation est demandé tend à faire produire un
effet à un fait antérieur existant au moment de son édiction ; qu’au demeurant, l’opposabilité d’un
acte administratif à caractère individuel ne court que dès sa notification ou huit (8) jours après sa
publication au Journal officiel… ; Qu’en procédant comme il l’a fait dans son arrêté de suspension,
le Ministre de la Fonction publique a fait rétroagir sa décision et a en conséquence violé le principe
de non-rétroactivité des actes administratifs " (4).

La Chambre administrative sanctionne fermement ce principe. Elle décide, par exemple dans un
arrêt du 13 décembre 1974 (5) qu’une décision de résiliation d’un bail ne peut courir qu’à partir de
sa notification : la faire rétroagir constitue une atteinte au principe de non-rétroactivité : " Attendu
qu’en résiliant le bail pour compter du 30 mars 1974 par une lettre du 26 juin 1974, l’administration
donna à sa décision un effet rétroactif préjudiciable aux droits antérieurement acquis…, porta
atteinte au principe de non-rétroactivité des actes administratifs et commit ce faisant un excès de
pouvoir ".

Cependant, une hypothèse, la Chambre administrative admet la rétroactivité d’un acte


administratif : " Attendu que s’il est exact qu’un acte administratif ne peut avoir d’effet rétroactif en
l’absence d’une disposition législative l’y autorisant, l’article 16 de l’ordonnance n° 67-024 du 6
mai 1967 écarte expressément toute possibilité de prescription en la matière de sorte qu’il ne saurait
y avoir nullité de ce chef… " (6).

Le juge administratif a d’ailleurs rappelé expressément dans l’arrêt précité du 13 décembre 1974,
OUEDRAOGO Tiébombo, que " le Conseil d’Etat n’admet la rétroactivité d’un acte administratif
que lorsque la loi l’autorise (C.E. 15 février 1949, soc. Civile de l’école Gerson, Rec. 98) ".

3) Le principe d’intangibilité des effets individuels des actes administratifs

1
Ch. adm. 13 novembre 1970, Maurice YAMEOGO, arrêt n° 33 précité.

2
Ch. adm. 28 novembre 1969, TAPSOBA Pierre c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 40.

3
Ch. adm. 25 octobre 1968, NIKIEMA N. Arzouma, arrêt n° ; 13 décembre 1968, Nogo Mamadou Félix, arrêt n° 24.

4
C.E. 30 janvier 2004, Etat burkinabè c/ Kambiré Onfité, Yaro B. Appolinaire, arrêt n° 20/200-2004 : conformant en appel, Trib. Adm. de

Ouagadougou, 16 mai 2002, jugement n° 22.

5
Ch. adm. 13 décembre 1974, OUEDRAOGO Tiébombo c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 17.

6
Ch. adm. 13 novembre 1970, Maurice YAMEOGO, arrêt n° 33 précité.

103
Ce principe est au centre des règles commandant la cessation d’applicabilité des actes administratifs
par la volonté de l’administration ; il est ici question de la théorie des retraits des actes
administratifs.

NB : cette question sera abordée dans le Titre II Chapitre I concernant les actes administratifs
unilatéraux spécialement les développements consacrés à la disparition de l’acte administratif
unilatéral.

4) Le principe d’égalité
Ce principe revêt de multiples aspects : égalité devant les règlements administratifs, les services
publics, les charges publiques ; égalité dans l’accès aux fonctions publiques ; égalité entre les
candidats à un concours, entre fonctionnaires appartenant à un même corps.
Ce principe est dominé par l’idée de légalité de traitement des administrés par les autorités
administratives (1). Par conséquent, les discriminations administratives sont à priori condamnables.
Dans un arrêt du 10 janvier 1969 (2), la Chambre administrative a jugé que l’administration ne
pouvait opérer une discrimination entre les agents d’un même corps : " Attendu que l’arrêt n° 3 du
28 février 1968 confère aux requérants tous les droits et avantages accordés aux bénéficiaires de
l’arrêté 216 du 27 avril 1967 ; que le reclassement ordonné, selon l’esprit dudit arrêt, constitue non
une faveur, mais un droit… qu’il s’agissait nécessairement d’accorder aux requérants les mêmes
droits et avantages qu’aux bénéficiaires de l’arrêté 216… ".

Dans cette espèce, les requérants, agents de la Fonction publique appartenant à la grille C, saisirent
la Chambre administrative d’un recours contre un arrêté n° 247/TFP/P du 7 juin 1968 du Ministre
de la Fonction publique qui les reclassait au point de vue de la solde pour compter du 1er octobre
1968 au lieu du 27 avril 1967 comme leurs collègues bénéficiaires de l’arrêté n° 216/TFP/P du 27
avril 1967. Par ce dernier arrêté, vingt un fonctionnaires de la catégorie D sur soixante un (dont les
requérants) proposés par la commission paritaire furent reclassés en catégorie C échelle 1. Ce
reclassement leur fit bénéficier de la solde pour compter du 27 avril 1967. Les requérants s’estimant
lésés, saisirent la Chambre administrative d’une requête tendant à bénéficier de la même mesure.
Par arrêt n° 3 di 23 février 1968, le juge administratif décida leur reclassement en catégorie C
échelle 1. Ce reclassement intervint suivant un arrêté n° 247/TFP/P du 7 juin 1968, mais le fit courir
au point de vue de la solde pour compter du 1er octobre 1968. Les requérants contestaient le bien-
fondé de cette mesure discriminatoire entre agents de la même catégorie et demandaient à être
reclassés comme leurs collègues bénéficiaires de l’arrêté 216 sus-visé pour compter du 27 avril
1967 au point de vue de la solde. L’administration pour repousser cette prétention, arguait que
l’article 9 de la loi des finances de l’année 1968 s’opposait à l’engagement des dépenses au-délà des
crédits ouverts.

1
Pour une application du principe d’égale admissibilité aux emplois publics, V. :

- Ch., 26 février 1996, Kam Guy Hervé Rommel et 11 autres c/ Etat burkinabè, arrêt n° 6/96 ;
- Ch. adm. 31 janvier 1997, Sawadogo Kibsa Alfred c/ Etat burkinabè, arrêt n° 9/96-97.
Ecartant l’application du principe, V :

- Ch. adm. 25 février 2000, Doumbia Mamadou c/ Etat burkinabè, arrêt n° 20/1999-2000.
- Ch. adm. 13 juin 2000, Porgo Ibrahima c/ Recteur de l’Université de Ouagadougou, arrêt n° 37/1999-2000.
2
Ch. adm. 10 janvier 1969, TAPSOBA Georges et 8 autres c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 5.

104
Les principes généraux du droit, dont le juge administratif sanctionne la violation par
l'administration, ont pour caractéristique d'être applicables même en l'absence de texte, alors même
qu'ils s'imposent dans tous les cas au pouvoir réglementaire, y compris aux règlements autonomes
de I' article 37 de la Constitution.

Le caractère ˝général˝ de ces principes emporte qu’ils sont applicables ˝même sans texte˝. Il ne
signifie pas, en revanche, que leur champ d’application soit effectivement généralisé. Leur
domaine connait même souvent divers aménagements :

Exemples

Le principe des " droits de la défense " ne concernent que les mesures administratives présentant
un caractère de sanction d’une certaines gravité, ou prises en considération de la personne (et
notamment, les mesures de police ne sont pas concernées par ce principe)
Lorsque le contraire, la mesure ne constitue pas une sanction, mais est motivée par l’intérêt du
service, la personne frappée par elle n’a pas à être mise dans la possibilité de la discuter, quelle que
soit d’ailleurs sa gravité : " Sur la décision de mutation :
Attendu que ladite, provoquée, ainsi qu’il appert des lettres n° 57 du 17 mai 1973 et 9 sans date
versées au dossier, par les seules nécessités du service, ne saurait constituer dans la réalité la
sanction disciplinaire qu’est le déplacement d’office, qu’elle ne se trouve par voie de conséquence
nullement astreinte à respecter les directives imposées en matière de procédure disciplinaire… " (1).

Le principe d’égalité peut, pour sa part, être enfreint dans diverses hypothèses dégagées par la
Chambre administrative. Elle indique par exemple, que ce principe ne s’applique pas si un intérêt
général justifie une discrimination : " Attendu qu’une discrimination ne peut être instaurée qu’en
raison de circonstances exceptionnelles rendant cette dérogation nécessaire dans l’intérêt du service
(C.E., 6 mars 1959) " (2).

La Chambre administrative admet aussi que des discriminations administratives sont justifiées face
à des situations elles-mêmes différentes. C’est ce qui ressort d’un arrêt du 22 juin 1979 (3). Dans
cette espèce, les requérants saisirent la Chambre administrative d’une requête aux fins d’annulation
d’une décision du Ministre de la Fonction publique et du Travail refusant leur intégration dans le
corps des commissaires de Police. Au soutien de leur requête, ils faisaient valoir la méconnaissance
du principe qui a intégré, d’une part un gardien de la paix dans le corps des officiers de paix, et
d’autre part, refusé de faire droit à leur demande tendant à un reclassement dans le corps des
commissaires de police, en tant qu’officiers de police. Pour les requérants, en effet, la promotion de
ce gardien de paix devait autoriser la reconnaissance de leur droit à intégration dans le corps des
commissaires de police. La Chambre administrative a écarté ce moyen : " Attendu que le principe
de l’égalité des citoyens est certes un des grands principes de la fonction publique ;
Qu’il est admis cependant que ce principe d’égalité ne peut jouer en fait qu’entre les agents régis
par les mêmes dispositions statutaires communes c’est-à-dire qu’au sein d’un même corps ;

1
Ch. adm. 26 avril 1974, DABIRE Daouda c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 7.

2
Idem.

3
Ch. adm. 22 juin 1979, SANKARA Vincent de Paul et autres c/ République de Haute-Volta ; Voir dans le même sens 28 septembre 1979, SANKARA
André Marie José c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 11.

105
Qu’ainsi la règle de l’égalité dans la fonction publique n’autorise les agents à comparer leur
situation qu’à celle d’autres agents qui appartiennent au même corps, et qui sont soumis aux mêmes
conditions de recrutement et de carrière… ".

Dans cette espèce, les agents dont la promotion est invoquée par les requérants à l’appui de leur
demande d’intégration, appartenaient au corps des gardiens de la paix (de la catégorie D) et avaient
été reclassés dans le corps des officiers de paix (de la catégorie C) régi par les dispositions du décret
n° 184/PRES/FPT/S.E. du 18 avril 1964 et en application des articles 6 à 12 dudit décret.

Quant aux requérants, ils appartenaient au corps des officiers de police (classés dans la catégorie B)
et revendiquaient leur intégration dans le corps des commissaires de police (de la catégorie
hiérarchique A) régi par les dispositions des articles 38 à 69 du décret n° 549/PRES/TFP du 31
décembre 1960.
Le juge administratif a estimé dans ces conditions que la comparaison des situations respectives des
demandeurs et des bénéficiaires du reclassement dans les corps des officiers de paix fait apparaître
de différences notables tenant à la disparité des corps concernés. La Chambre administrative a
considéré à bon droit que de telles différences de dispositions statutaires ne permettaient pas
l’application dans l’espèce du principe d’égalité dans la Fonction publique.

Le Conseil constitutionnel et la théorie des principes généraux du droit

Le Conseil constitutionnel fait lui aussi, application des principes généraux du droit, auxquels il
s'est pour la première fois référé daris une décision du 26 juin 1969. Compte tenu de la nature du
contrôle qu'il exerce, il lui appartenait de préciser la valeur-de ces principes par rapport à la loi. Il l'a
fait en adoptant une distinction, certes sous-jacente dans la jurisprudence du Conseil d'Etat, mais
que ce dernier n'avait pas à expliciter.

Pour le Conseil constitutionnel, certains principes généraux du droit ont une valeur inférieure à loi.
Le législateur - mais lui seul - peut y déroger. Dans ce cas, l'existence d'un principe général du droit
a pour effet d’étendre le domaine de la loi. Il existe ainsi un principe général du droit de non-
rétroactivité des actes administratifs. Une loi - et seule une loi- peut en conséquence prévoir qu'une
mesure aura une portée rétroactive.

Mais d'autres principes généraux du droit ont une valeur constitutionnelle. Il en va ainsi, d'abord,
des principes généraux du droit qui sont en même temps énoncés dans le Préambule de la
Constitution: tel est le cas du principe de liberté et du principe d'égalité, qui sont à la fois des
principes généraux du droit parmi les plus traditionnels et des règles de la Déclaration des droits de
l'homme. Sans être aussi expressément mentionnés dans le Préambule. Certains principes généraux
du droit y trouvent directement leur source et donc leur valeur constitutionnelle. S'appuyant ainsi
sur l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme, aux termes duquel « nul ne peut être puni
qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit »r ; le Conseil constitutionnel a
établi une distinction au sein du principe de non-rétroactivité: principe auquel le législateur peut
normalement déroger. Il revêt en matière pénale et plus largement, en matière de sanction une
valeur constitutionnelle. Sauf lorsqu'elle adoucit une peine, la loi pénale ne peut donc être
rétroactive. Le Conseil constitutionnel a également conféré valeur constitutionnelle au principe des
droits de la défense, qu'il regarde comme un principe fondamental reconnu par les lois de la
République, sans doute par référence notamment à la loi du 22 avril 1905 relative à la
106
communication du dossier aux fonctionnaires. Des principes purement jurisprudentiels ont
également été érigés au niveau constitutionnel, comme la continuité du service public (décision du
25 juillet 1979) et le droit au recours pour excès de pouvoir contre toute décision administrative
(décisions du 18 septembre 19S6 et du 17 janvier 1989). .

De plus en plus le Conseil Constitutionnel s'en tient à l'expression de « principes à valeur


constitutionnelle », pour se référer à un ensemble qui comprend à la fois les principes énoncés par la
Déclaration des Droit de l’Homme et du citoyen, les principes fondamentaux reconnus par les lois
de la République, les principes particulièrement nécessaire à notre temps et ceux des principes
généraux du droit auxquels il reconnait valeur constitutionnelle.

Dans leur diversité, les principes généraux du droit présentent une double ambiguïté.

La première tient à leur contenu, qui recoupe, au moins en partie, d'autres principes: si on peut les
distinguer des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques
et des principes fondamentaux mentionnés à l'article 34 de la Constitution pour déterminer la
compétence du législateur, il est plus malaisé de les séparer des principes formulés par la
Déclaration de 1789, des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et des
principes politiques, économiques et sociaux exprimés par le préambule de la Constitution de 1946,
desquels ils sont souvent tirés, sans leur être toujours assimilés.

Mais, s'il est exact que le juge découvre les principes généraux du droit, il ne peut en être considéré
matériellement comme l'auteur. En outre, puisque le Conseil constitutionnel a lui-
même exprimé des principes qui s'imposent au législateur et qu'il ne peut examiner les lois que pour
s'assurer de « leur conformité à la Constitution », la reconnaissance de principes généraux du droit
s'imposant aux lois implique que ces principes ont même rang et valeur que la Constitution.

Au demeurant, tous les principes généraux du droit ne sont pas de ce niveau, même si les plus
importants, tels ceux de liberté et d'égalité le sont; d'autres n'ont qu'une valeur législative, par
exemple le principe de non-rétroactivité sauf en matière répressive; d'autres mêmes sont de niveau
réglementaire et ne s'imposent que dans la mesure où un règlement n'en a pas disposé autrement.

Il faut ajouter qu’à côté des grands PGD, le Conseil d’Etat a également dégagé ce qu’on appelle des
"règles générales de procédure" relatives à la manière dont les autorités administratives et les
juridictions administratives doivent élaborer et délibérer leurs décisions : par exemple : les règles
sur le quorum ou sur la motivation de certains actes administratifs.

Pendant longtemps, le Conseil d'État a refusé de s'effacer devant la jurisprudence du Conseil


constitutionnel et, de façon plus générale, devant les principes constitutionnels. Plus exactement, il
a continué à rendre ses arrêts en se fondant sur les P.G.D. qu'il avait lui même dégagés plutôt que
sur les mêmes principes mais de valeur constitutionnelle. Cependant, depuis quelques années, la
Haute juridiction administrative accepte de substituer à ses propres PGD des principes
constitutionnels correspondants (CE Ass., 21 décembre 1990, Amicale des anciens élèves de l'ENS
de Saint Cloud, Rec., p. 379, RA 1991, p. 34, note H. Ruiz-Fabri; en l'espèce, le Conseil fait
référence au « principe de l'égal accès des citoyens aux emplois publics proclamé par l'article 6 de
la DDHC »).
107
Un autre refus, implicite, est d'un ordre différent et revêt une signification tout particulièrement
intéressante.
Il se traduit par le fait que, dans les cas où aucun principe général du droit ne coexiste avec un
principe constitutionnel écrit, le Conseil d'Etat tend désormais à s'abstenir de consacrer un nouveau
principe jurisprudentiel et s'en tient au principe écrit : - celui qui, « reconnu par la Déclaration» de
1789 et corollaire du principe de la liberté d'aller et venir, permet de quitter le territoire national(1) ;
le principe de la gratuité de l'enseignement posé par le préambule de la Constitution de 1946 (2); -
le principe de ce préambule garantissant « l'égal accès de l'enfant… à l'instruction, à la formation
professionnelle et à la culture » (3); - «les principes généraux contenus dans la Déclaration de 1789
et relatifs, «d'une part, à la conservation de la sûreté des habitants par l'Etat et, d'autre part, au
financement des dépenses de l'administration par une contribution commune répartie sur tous»(4).

1) CE Ass. 8 avril 1987, Peltier, p.128, concl. J. Massot, AJ 1987, p. 327, chron.
M. Azibert et M. de Boisdeffre, JCP 1987, n° 20905, note M. Debène, Rev. .adm. 1987, p. 237,
note P. Terneyre, RFDA 1987, p. 608, note B. Pacteau ; 4 mai 1988, Plante, DA1988, n° 373.
2) CE 27 avril 1987, Assac. laïque des parents d'élèves des établiss. de l'Office universit. et
culturel français pour l'Algérie, RFDA 1989, p. 153, note L. Favoreu.
3) CE 16 octobre 1987, Genessiaux, RFDA 1989, p. 154, note L. Favoreu.
4) CE 21 octobre 1988, Synd. nat. dès transporteurs aériens, p. 374, RDP 1989, p. 1464.,
note Y. Gaudemet.

On mesure aujourd'hui pleinement l'importance de ces arrêts: ils ont été les premières manifestations
de ce qu'est désormais la jonction entre le droit administratif et le droit constitutionnel.
On peut en rapprocher, dans une certaine mesure, la solution de l'arrêt Koné du 3 Juillet 1996 :
règlement du litige sur le fondement d’un « principe fondamental reconnu par les lois de la
République », jugé plus opératoire en l’espèce que le principe général du droit dont le commissaire
du gouvernement préconisait la consécration.

La coexistence entre principes écrits de valeur constitutionnelle et principes jurisprudentiels de


même contenu a engendré un dédoublement de notre ordre juridique, parce que le Conseil d'Etat,
légitimement attaché à son œuvre jurisprudentielle, a continué à se fonder sur «ses principes »,
plutôt que sur leurs doubles constitutionnels.
Deux systèmes juridiques coexistaient ainsi. Ils se rejoignaient assurément par leur contenu. Mais ils
étaient deux: l'un fondé sur la Constitution et fait de normes constitutionnelles de droit écrit; l'autre,
ignorant.la Constitution, et fait de principes généraux du droit consacrés par la jurisprudence
administrative et se situant à un niveau infralégislatif et supradécrétal.

On connaît les très intéressants arrêts par lesquels, renonçant à consacrer de nouveaux principes
généraux du droit qui auraient été la doublure de principes inscrits dans la Constitution, le Conseil
d'Etat a commencé en 1987 et 1988) à opérer la jonction entre le droit administratif et le droit
constitutionnel, - jonction dont d'autres arrêts ont ensuite manifesté la réalité durable.

C'est ainsi que, désormais, le Conseil d'Etat fait mention (au lieu et place. des principes généraux du
droit que l'on sait), -soit du «principe de l'égal accès des citoyens aux emplois publics proclamé par
l'article 6 de la Déclaration» de 1789(1), - soit du « principe qu'a posé le préambule de la

108
Constitution » de 1946 et selon lequel «la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits
égaux à ceux de l'homme» (2), - soit encore des termes de l'article 10 de la Déclaration de 1789,
relatif à la liberté religieuse et de ceux de l'alinéa 13 du préambule de 1946, relatif au principe de
l'égal accès à l'instruction(3).
Et, de même, alors que le Conseil d'Etat aisément aurait pu statuer sur le fondement du principe
général d'égalité devant la loi, on le voit préférer faire appel aux dispositions de la Constitution (art.
3, 24 et 72) pour (exactement comme aurait pu faire le Conseil constitutionnel) juger qu'il en résulte
que le principe d'égalité des citoyens devant le suffrage s'applique aux élections-des assemblées
locales (4) (5).
1) CE 2 mars 1988, Blet et Sabiani, DA 1988, n° 250; Ass. 21 décembre 1990, Amicale des
anciens élèves de l'ENS de Saint-Cloud, p. 378, D 1991, IR, p. 32, JCP 1991, IV, p.IOO, Rev.
adm. 1991, p. 34, note H. Ruiz-Fabri.
2) CE 26 juin 1989, Fédérat. des synd.gén. de l'éducat. nat., P. 152, AJ 1989, p. 725, Rev. adm.
1989, p.424, note P. Terneyre, RFDA 1990, p.39, concl. M. Laroque; 7 décembre 1990, Mme
Buret, p. 556, Al 1991, p. 405, DA 1991, n° 57, JCP 1991, IV, p. 60.
3) CE Ass. 14 avril 1995, Koen et Consistoire central israélite de France, p. 168 et 171, concl, Y.
Aguila, AJ 1995, p. 501, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux, RFDA 1995, p. 585, concl. : à
propos de la conciliation entre la liberté religieuse et l'obligation d'assiduité scolaire.
4) CE Ass. 13 novembre 1998, Le Déaut et Comm. de Saint-Louis, p. 396, AJ 1998, p. 977,
chron. F. Raynaud et P. Fombeur.
5) V. aussi, auparavant, CE Ass. 8 décembre 1978, Group: d'information et de soutien des
travailleurs immigrés, préc n° 71 arrêt présentant le droit des étrangers a « mener une vie
familiale normale » comme résultant «des principes généraux du droit et, notamment du
préambule de la Constitution :> de 1946. .
Ainsi que CE 16 décembre 1988, Bléton, p. 451, concl. C. Vigouroux, AJ 1989, p. 102 chron.
M Azibert et M. de Boisdeffre, RFDA 1989, p. 522, concl. : l’arrêt se réfère a la règle posée
par l’article 6 de la Déclaration de 1789 ; mais du point de vue selon lequel la jurisprudence
est ici étudiée, il n'a guère d'intérêt, en ce que cette référence, destinée à interpréter une
disposition législative, n'est que l'inévitable écho de la façon dont elle avait été précédemment
interprétée par le Conseil constitutionnel (v. CC 12 septembre 1984, Limites d'âge dans la
fonction publique, p. 73, Al ,1984, p.682, note J. Boulouis, D 1986, p. 97, note F. Rohmer-
Benoit).

B La place des principes généraux du droit dans la hiérarchie des normes

La distinction faite par la Constitution de 1958 entre le domaine législatif et le domaine


réglementaire, dans lequel la question de la place des principes généraux du droit dans la hiérarchie
des normes.

En effet, dès lors que, par leur origine, les principes généraux du droit s'inspirent fréquemment de
dispositions législatives, dont ils généralisent la portée, certains ont pu s'interroger, après 1958, sur
le point de savoir si les règlements autonomes de l'article 37 de la Constitution devaient encore y
être soumis.
109
Le Conseil d'État a répondu très clairement à cette question dès un arrêt du 26 juin 1959 Syndicat
général des ingénieurs conseils (GAJA n° 83). Il a en effet précisé que « les principes généraux du
droit [...], résultant notamment du préambule de la Constitution, s'imposent à toute autorité
réglementaire même en l'absence de dispositions législatives ».

Une controverse est alors apparue sur la valeur juridique des principes généraux du droit, certains
auteurs, encouragés par cette formulation du Conseil d'État, y voyant des normes de rang
constitutionnel.

L’autorité juridique des règles d’origine jurisprudentielle

- CHAPUS "de la valeur juridique des principes généraux et autres règles jurisprudentielles", D.
1966, chron. 99 ;

- BRAIBANT, "L’arrêt syndicat des Ingénieurs-Conseils", E.D.C.E., 1962, p.67.

De manière générale, les règles jurisprudentielles ne sont que supplétives c’est-à-dire qu’elles ne
sont destinées qu’à pallier l’absence de texte. Reste à savoir si n’importe quel texte peut empêcher
l’application de n’importe quelle règle jurisprudentielle.

A priori, la réponse à cette question dépende de la nature, législative ou réglementaire, du domaine


régi par la règle jurisprudentielle en cause.

Mais, l’appartenance au domaine législatif est parfois incertaine. Noter par exemple que le Conseil
d’Etat a rattaché les règles de répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et
administratives aux "garanties accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques" au
sens de l’article 34 de la Constitution de sorte que seul le législateur peut faire échec à sa
jurisprudence : C.E., 30 mars 1962, Association nationale de la meunerie. Les règles générales de
procédure peuvent normalement être contredites par un simple acte réglementaire : par exemple
C.E., 26 janvier 1973, Dalloz 1973, 806

En ce qui concerne les principes généraux du droit, on admet leur valeur au moins législative : cf.
l’arrêt syndicat des ingénieurs-conseils (1958, cf.

On s’est cependant demandé s’il ne convenait pas même de leur attribuer, ou en tout cas à certains
d’entre eux, une valeur constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel donne bien aux principes énoncés dans le Préambule de la Constitution
une valeur supra-législative.

Devant le Conseil d’Etat, ce débat a moins de portée :

- de toute façon, le juge administratif ne peut censurer une loi qui méconnaîtrait la constitution ;

- la nature "législative" suffit à interdire au pouvoir réglementaire d’y pénétrer, car alors il
commettrait une "incompétence" : cf. Conseil d’Etat, 04 octobre 1974 Dame David, Préc. Et
Conseil d’Etat, 10 mai 1974 Barre et Honnet, A.J.D.A., 1974, 545.

110
Il reste que le Conseil d’Etat entend bien donner la valeur juridique la plus haute possible aux
P.G.D. et plusieurs arrêts (notamment l’arrêt des ingénieurs-conseils) ont souligné leurs racines
partiellement constitutionnelles : ainsi en impose-t-il le respect à "toute autorité réglementaire"
quelque soit son rang, son statut et son indépendance de principe à l’égard du législateur, ainsi
s’efforce-t-il d’interpréter le plus restrictivement possible les lois qui y porteraient atteinte (cf. les
jurisprudences citées à propos des interprétations des lois par le Conseil d’Etat).

L’autorité juridique des règles élaborées par la jurisprudence


Le problème est en réalité ici de savoir QUELLE CATEGORIE DE TEXTE est susceptible de faire
échec à leur application.
La réponse n’est pas la même pour toutes les solutions jurisprudentielles, et dépend de la nature
législative ou seulement réglementaire des sujets en cause. Par exemple le C.E. rattache les règles
de répartition des compétences entre les tribunaux judiciaires et administratifs aux ¨garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques¨ de sorte que seul le
législateur peut modifier les solutions de la jurisprudence. A l’inverse les règles générales de
procédure n’ont normalement qu’une nature ¨réglementaire¨ et tout ¨texte¨ peut même y déroger.
Les principes généraux du droit ne peuvent pas être enfreints par le pouvoir réglementaire, fut-ce le
pouvoir réglementaire autonome de l’article 37. Selon la formule de M. Chapus, ils ont donc une
valeur au moins supra-décrétale. Sont-ils aussi à considérer comme au d
essus de la loi ? C’est ce qu’admet le Conseil constitutionnel du moins en ce qui concerne certains
d’entre eux (notamment le principe d’égalité devant la loi, mais en revanche pour le principe de non
rétroactivité). Devant le Conseil d’Etat, cette question a moins d’importance puisque de toute façon
il appliquera une loi même si elle méconnaissait un principe général, quel qu’il soit. Noter
seulement que le C.E. interprète restrictivement les lois qui lui paraissent contraires à tout principe
juridique qu’il considère comme essentiel (cf. la jurisprudence précitée, Dame Lamotte) ; le
rattachement de la théorie des principes généraux à leurs sources constitutionnelles a en outre
facilité l’interdiction que fait le juge au pouvoir réglementaire autonome d’y porter atteinte (cf.
l’arrêt Syndicat des ingénieurs-conseils) ; voir aussi les conclusions de M. Dondoux S. C.E. 8 déc.
1978, G.I.S.T.I. préc.

Autorité des principes généraux

Avant 1958, la plupart des commentateurs s'accordaient pour reconnaître, aux principes généraux,
une autorité égale à celle de la loi. Pourtant, le juge leur conférait une certaine prééminence sur les
lois elles-mêmes, puisque c'est à eux qu'il se référait pour interpréter celles-ci; celles qui y
dérogeaient, considérées comme des exceptions, recevaient une interprétation stricte par le juge a
pu, dans certains cas, faire prévaloir les principes sur la loi (cf. par ex. : C.E., 17 févr. 1950, dame
Lamotte, Gr. Ar., p. 336). La question a pris une importance nouvelle avec l'apparition des
règlements autonomes de l'article 37 de la Constitution dont on pouvait, à l'origine, se demander
s'ils n'avaient pas la même autorité que la loi.

Reconnaître aux principes généraux une valeur seulement législative aurait donc pu conduire à
admettre que ces règlements ne leur étaient pas subordonnés, solution qui aurait conféré au
gouvernement, dans les matières réglementaires un pouvoir pratiquement illimité, contrairement à
111
la définit ion de l'État de droit. Conscient de ce danger, le Conseil d'État n'a. pas hésité à affirmer la
subordination de ces règlements aux principes généraux (C.:2., 26 juin 1959, Syndicat général des
ingénieurs conseils, G. Ar.. p. 474, 12 févr. 1960 Soc. Eky, D. 1960 p. 123). Certains en ont conclu
que les principes généraux avaient désormais valeur constitutionnelle
L'arrêt précité, en faisant état, contrairement aux décisions antérieures, de l'insertion de certains
principes dans le Préambule constitutionnel, paraissait confirmer cette interprétation.

Le problème s'est renouvelé avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Elle distingue deux
catégories de principes généraux: les principes «à valeur constitutionnelle », qui se rattachent
normalement aux textes auxquels se réfèrent le Préambule de 1958, et les principes à valeur
seulement législative.

La distinction est capitale en ce qui concerne la compétence du législateur: le Conseil


constitutionnel lui impose le respect des principes à valeur constitutionnelle
(cf. notamment C. C., 16 juillet 1971, précité), mais lui reconnaît le pouvoir de déroger aux
principes généraux de niveau inférieur (C.C., 26 juin 1969, Favoreu et Philippe, Gr. Déc. CC, p.
222). Par contre, la distinction est sans incidence sur le régime des règlements: les principes
généraux, quel que soit leur niveau, s'imposent également à eux. En ce sens, on a pu dire, dans une
perspective très pragmatique, que leur nature juridique intrinsèque, constitutionnelle et législative
ne commandait nullement leur autorité vis-à-vis des actes de l’exécutif. Pour le juge administratif,
tout se passe comme s'ils se situaient, dans la hiérarchie des règles de droit, au-dessous de la loi -
puisqu'il ne peut sanctionner directement la violation des principes généraux par le législateur -,
mais au-dessus de tous les actes de l'exécutif, décrets où ordonnances

Dans la hiérarchie des normes, le Conseil d’Etat a donné aux principes généraux du droit une valeur
supérieure à celle de tous les actes administratifs. Ils s’imposent au pouvoir réglementaire autonome
défini par la Constitution de 1958 (26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs conseils). Quelle
que soit sa forme, un acte administratif doit les respecter. Ainsi, une ordonnance du Président de la
République, prise en vertu d’une loi d’habilitation adoptée par référendum, revêt le caractère d’une
décision administrative et ne saurait donc s’affranchir du principe selon lequel un recours en
cassation est ouvert contre toute décision juridictionnelle (19 octobre 1962, canal).

Pour le Conseil d’Etat qui, dans sa fonction contentieuse en tout cas, ne contrôle que les actes
administratifs, point n’était besoin de donner davantage de précision. Aussi la question de savoir si
les principes généraux du droit, ou au moins certains d’entre eux, ont une valeur « supra-
législative » est-elle longtemps restée une querelle de doctrine. Elle le serait sans doute demeurée
sans l’intervention du Conseil constitutionnel.

Section 2. Les Sources administratives de la légalité

112
Ce sont les règles de droit émanant des diverses autorités administratives.
Cette source de la légalité est de plus en plus importante et pose des problèmes particuliers; il ne
s'agit pas ici d'étudier l'autorité de ces sources sur les administrés (c'est l'objet de la partie
suivante), mais de savoir dans quelle mesure l'administration peut ainsi être source de droit, et dans
quelle mesure cette légalité administrative s'impose à elle: une des originalités de l'application à
l'administration du principe de la légalité est en effet que celui-ci emporte la soumission à des
règles qu'elle élabore elle-même. Le règlement est la plus importante de ces sources de droit, mais
avant d'aborder son étude particulière il convient
de présenter les données générales du problème.

S/Section 1. Généralités sur les sources administratives de la légalité


§ 1. Différentes sources administratives de droit

Tous les actes juridiques de l'administration sont sources de droit car, par définition, un acte
juridique est un acte créateur de droits ou d'obligations, y compris à l'égard de son auteur. Mais
leur portée respective diffère grandement.

a) L'acte réglementaire est la source la plus importante, à cause de ses caractères il crée des règles
générales impersonnelles et permanentes ; à cause aussi de l'importance accrue de son utilisation.
Les sources secondaires productrices de normes générales. Comme la loi, le règlement édicte une
norme générale et impersonnelle, mais qu'il s'en différencie par son auteur,
qui appartient à l'exécutif. Néanmoins la généralité de la norme qu'il édicte, soit en complément de
la loi (règlement d'application des lois), soit en l'absence de loi (règlement autonome), permet de le
relier à celle-ci dans la légalité. Hauriou parlait à ce sujet du
« bloc légal des lois et règlements».
La formule ne doit pourtant pas tromper.
D'une part les règlements ne font bloc avec la loi que s'ils lui sont conformes ou non contraires:
dans l'affirmative, le règlement s'impose comme la loi aux autorités administratives; dans la
négative, le règlement doit être écarté au profit de la loi.
D'autre part, les règlements ne constituent pas eux-mêmes un bloc. Il existe entre eux une hiérarchie
qui est liée à la hiérarchie de leur auteur et de leur procédure d'élaboration.

b) L'acte individuel est également une source de droit; certes, la « règle de droit individuelle» selon
l'expression de M. Eisenmann engendre une norme qui modifie la situation de son destinataire,
généralement un administré: une autorisation, une sanction, une nomination intéressent
essentiellement l'individu concerné. Néanmoins, l'administration est également tenue de les
respecter; elle doit, d'une part, les exécuter, le cas échéant. D'autre part, elle est liée par les actes
individuels dans ses décisions ultérieures. La principale illustration de cette obligation réside dans le
principe de l'intangibilité des effets individuels des actes administratifs (ou du respect des droits
acquis) qui interdit à l'administration de revenir sur un droit individuel qu'elle a conféré. La
violation de cette obligation entraîne l'illégalité de la nouvelle décision; quelle que soit l'explication
donnée (violation d'un principe général du droit ou violation de l'acte individuel), il n'en demeure
113
pas moins que l'obligation de légalité qui s'impose à l'administration trouve sa mesure dans le
contenu de l'acte individuel concerné: celui-ci est donc bien une source de légalité à laquelle
l'administration est soumise (Sur les applications de cette idée concernant le retrait ou l'abrogation
des actes administratifs, voir partie suivante; pour un ex. curieux où il a été jugé que
l'administration avait l'obligation d'exécuter un acte individuel illégal aussi longtemps qu'il n'était
pas retiré, voir C.E. 18 mai 1973, Ville de Cayenne, A.J.D.A. 1973, 538, note Ferrari).

c) Le contrat enfin doit être rangé, à un titre spécial, parmi les sources de la légalité
administrative. Certes, c'est un acte subjectif, n'ayant en principe d'effets qu'entre les parties.
Néanmoins, il fait partie du bloc des normes dont le respect s'impose aux autorités administratives.
Celles-ci sont en effet tenues de respecter les contrats qu'elles ont conclus. La violation d'un contrat
entraîne l'illégalité de l'acte contraire ou l'engagement de la responsabilité publique, et si
l'administration peut, dans certains cas, modifier un contrat administratif, elle est tenue
d'indemniser le cocontractant du préjudice qui en résulte le cas échéant. En réalité, la seule véritable
particularité réside dans les mécanismes de mise en œuvre de la sanction: le recours pour excès de
pouvoir ne peut en effet être utilisé pour contester la légalité d'un acte administratif auquel on
reproche la violation d'une stipulation contractuelle (sauf pour les contrats de concession). Il n'en
demeure pas moins que le principe de la soumission de l'administration au droit impose à cette
dernière le respect de ses engagements contractuels.
On peut émettre certaines réserves sur la place des contrats parmi les sources de la légalité, alors même que
de bons auteurs l'admettent.
Il n'est pas exact, au sens strict, que les contrats de l'administration soient à l'origine de normes constitutives
de la légalité. Ils créent des droits subjectifs dans les relations entre les parties, non du droit objectif. La
jurisprudence en tire une conclusion logique en refusant d'admettre que les stipulations d'un contrat soient
invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, qui est par excellence le recours permettant de faire
respecter la légalité.
Toutefois, les contrats conclus par l'administration la lient vis-à-vis de ses partenaires: en violant ses
engagements contractuels, elle commet sinon une illégalité au sens strict, du moins une violation des
droits des autres parties; plus généralement, elle méconnaît le principe selon lequel les contrats font
la loi des parties: en cela elle méconnaît une norme supérieure au contrat lui-même.
En outre, certains contrats comportent des clauses qui, concernant l'organisation et le
fonctionnement du service dont est chargé le cocontractant, ont un caractère réglementaire et
peuvent être invoquées par les tiers à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir : à ce titre, ils
peuvent être considérés comme une source de la légalité, au sens général du terme.

§ 2. L'autorité des sources administratives de la légalité

Cette autorité présente certaines particularités, car les règles émanent de l'administration elle-

114
même et du fait de la hiérarchie des autorités administratives.

1. Le principe du respect par l'administration de ses propres règles.


C'est un élément évident de la stabilité et de la sécurité des relations juridiques; il doit néanmoins se
concilier avec le principe de l'adaptation de l'action administrative. Plusieurs conséquences en
résultent.

- L'administration doit appliquer les règles qu'elle pose,' c'est une obligation générale, qui impose à
l'administration de tirer les conséquences des règles émises, prenant les mesures d'application
nécessaires et en exécutant matériellement ses décisions, sauf à engager sa responsabilité (C.E. 27
nov. 1964, Min. des finances c/Dame Vve Renard, D. 1965.632; AJ.D.A. 1964.723).
- L'administration ne peut violer les règles qu'elle a posé,' le principe s'applique quelque soit le
caractère de la règle en cause, il doit se comprendre compte tenu des développements suivants et de
la hiérarchie des actes administratifs.
- L'administration peut modifier ou abroger ses décisions,' c'est une
application du principe de l'adaptation de l'action administrative; les décisions
administratives ne sont jamais définitives, leurs auteurs peuvent les modifier ou
les abroger. De même, le supérieur hiérarchique peut abroger ou annuler l'acte
émanant de son subordonné (mais non se substituer à ce dernier). Ce pouvoir
s'exerce sous réserve du respect des droits acquis (voir infra, les développements consacrés à la
disparition des actes administratifs).

2. La hiérarchie des actes administratifs.

La hiérarchie des autorités administratives est un principe fondamental de l'organisation


administrative; il entraîne des conséquences sur la légalité.

Le jeu des critères organico-formels


- Les actes administratifs sont d'abord hiérarchisés selon un critère organique qui repose donc sur la
qualité de leurs auteurs; chaque autorité administrative, dans la prise de ses décisions, est tenue de
respecter les règles adoptées à l'échelon supérieur. Le Ministre doit tenir compte des décrets
adoptés à l'échelon gouvernemental, le préfet est tenu de respecter arrêtés ministériels et décrets,
etc. Ainsi, le poids de la légalité est variable selon la hiérarchie (cf. plus loin). A
un même degré, une hiérarchie des actes peut également exister, qui repose sur
la différence des procédures ou des formes adoptées (ainsi, la hiérarchie entre
décret simple, et décret en conseil des ministres).

L'influence des critères matériels


- Cette hiérarchie organico-formelle doit se combiner avec le jeu des critères matériels reposant sur
la nature de l'acte émis: ainsi sont distingués les actes règlementaires, portant dispositions générales
115
et les actes individuels. Les premiers sont supérieurs aux seconds: l'acte règlementaire l'emporte sur
l'acte individuel; plus exactement, les actes individuels doivent être conformes aux
actes réglementaires préétablis,' c'est là une règle fondamentale, dont l'application est générale.
Combinée au principe de la hiérarchie organique, cette règle aboutit aux résultats suivants.
Si l'acte règlementaire émane d'une autorité hiérarchique supérieure à l'auteur d'une décision
individuelle, les deux principes agissent dans le même sens; la seconde doit évidemment respecter
le premier: un arrêté ministériel à caractère individuel doit respecter les décrets règlementaires par
ex.

Lorsque les deux actes émanent d'une même autorité, c'est le principe de la
hiérarchie matérielle qui joue seul, en application de l'adage « tu patere legem
quam fecisti » (tu dois souffrir des conséquences de la loi que tu as faite toi-
même). Dans la prise de décision individuelle, une autorité doit respecter les
règles générales dont elle est l'auteur; ce qui interdit à une autorité le pouvoir de
déroger à une réglementation qu'elle a émise (le caprice du prince est exclu, sauf
si évidemment la règle générale prévoit la possibilité de la dérogation) ; si cette
autorité désire prendre une telle mesure individuelle, elle est tenue, au préalable,
de modifier la règle générale. (C.E. 17 mai 1907, Société Philarmonique de
Fumay, Rec. 478).
Dans une troisième hypothèse, enfin, l'acte règlementaire peut émaner
d'une autorité inférieure à l'acte individuel: les deux principes hiérarchiques
s'opposent. Cette situation est rare; il est peu fréquent en effet qu'une autorité
supérieure soit amenée à prendre une mesure individuelle en application d'un
règlement émanent d'une autorité subordonnée; néanmoins, dans cette
hypothèse, c'est le règlement qui l'emporte: C.E. 3 juill. 1931, Ville de Clamart,
S. 1932.3.1. Note Bonnard (Les tenants de la supériorité des critères organiques
expliquent cette solution paradoxale mais logique en estimant que l'autorité
supérieure agit en réalité au nom et pour le compte de l'autorité subordonnée,
par le jeu de la substitution d'action; effectivement, cette situation peut se présenter dans cette
hypothèse où l'autorité de tutelle est autorisée à se substituer à
l'organe décentralisé défaillant; elle est alors tenue de respecter l'ensemble des
règles qui émanent de ce dernier).

S/Section 2. Le pouvoir règlementaire

C'est le pouvoir de statuer par voie générale, accordé à des autorités autres que le parlement, soit
116
nationales, soit locales.
En ce qui concerne les premières, le problème du fondement juridique du pouvoir réglementaire est
désormais résolu en termes exprès par la Constitution. En ce qui concerne les autorités locales, leur
compétence résulte de la loi. La jurisprudence, enfin, attache à la qualité de « chef de service» le
pouvoir de prendre les mesures réglementaires nécessaires au bon fonctionnement du service (CE.,
7 fév. 1936, Jamart, Gr. Ar., n° 56) ; ces mesures, à la différence des précédentes, ne s'imposent pas à
l'ensemble des citoyens, mais seulement à ceux qui entrent en rapport
avec le service.

L'étude du pouvoir règlementaire est un exemple intéressant d'application


du principe de la légalité, à un double titre: tout d'abord, le règlement est une
source de plus en plus importante de la légalité; mais en outre son édiction est
elle-même soumise à la légalité, et dans des termes souvent délicats, car les principaux règlements
administratifs (émanant de décrets et ordonnances) sont pris
par les plus hautes autorités de l'Etat.

§ 1. L'attribution du pouvoir règlementaire


Importance de la question : cette question touche à l'équilibre des pouvoirs dans l'Etat; en effet, le
pouvoir règlementaire donne à son auteur le droit d'émettre des règles générales et permanentes
applicables aux individus, c'est-à- dire de régir les conduites et les actes individuels; il n'est pas
indifférent de savoir avec précision dans quelle mesure ce pouvoir appartient aux autorités
administratives, naturellement plus sensibles que le législateur aux arguments d'autorité, d'efficacité
et d'ordre public. Le pouvoir règlement aire administratif
est dangereux pour les libertés individuelles; il est néanmoins nécessaire, et l'histoire montre son
accroissement continuel.

A. L'accroissement continuel du pouvoir règlementaire.

Selon l'équilibre réalisé en 1789, le législateur seul disposait du pouvoir de prendre des règles
générales; le pouvoir exécutif, dont l'appellation correspondait à la réalité, devait se borner à
prendre les mesures individuelles d'application. Mais très vite cet équilibre fut rompu au profit de
l'exécutif. Prenant acte des nécessités, la jurisprudence s'efforça d'en limiter les conséquences en
imposant le contrôle de légalité sur ces règlements. Quelques grandes étapes doivent être rappelées.

1. L'admission du pouvoir réglementaire d'exécution des lois fut d'abord progressivement


développée, le gouvernement étant invité à compléter l'œuvre du législateur tout en étant tenu de
respecter la loi et de rester dans le cadre de sa stricte application;
l'œuvre du juge fut d'affirmer que ces règlements avaient une nature d'acte administra-
tif (cf. plus loin).

2. Puis fut posé le problème de l'existence d'un pouvoir réglementaire autonome,


dont la source ne résulte plus d'une habilitation expresse du législateur mais de la détention, par
l'autorité administrative, d'un pouvoir propre, que l'on peut qualifier d'initial.
Cette question, largement débattue par la doctrine, fut finalement tranchée en faveur de
117
l'admission d'un pouvoir règlementaire autonome, mais seulement dans des cas particuliers; trois
arrêts limitent ces hypothèses aux nécessités du maintien de l'ordre public
(C.E. 8 sept. 1919, Labonne, Rec. 737; G.AJ.A. n ? 39 : il s'agissait du premier « Code
de la route» adopté par un décret de 1889), du fonctionnement des services publics
essentiels (C.E. 28 juin 1918, Heyriès, Rec. 651; S. 1922.3.49, Note Hauriou;
G.AJ.A. n°35; « Considérant qu'il lui incombe (au Président de la République) de veiller à ce qu'à
toute époque les services publics institués par les lois et règlements soient en
état de fonctionner ... ») et au bon fonctionnement des services administratifs (C.E. 7
févr. 1936, Jamart, Rec. 172; S. 1937.3.113, Note Rivero; G.AJ.A. n? 57).
Dans ces hypothèses limitatives, l'existence d'un pouvoir règlementaire autonome
est reconnu à certaines autorités administratives, en dehors de toute habilitation législative, mais à
la condition de respecter les lois existantes (sauf, comme dans l'affaire Hey-
ries, en cas de circonstances exceptionnelles, cf. plus loin), et sous le contrôle du juge
administratif. Un pas de plus, et d'importance, fut accompli par la Constitution
française de 1958, reprise sur ce point par la plupart des républiques d'Afrique francophone:
l'attribution d'un pouvoir règlementaire autonome de droit commun. (La jurisprudence s'efforça
alors de soumettre ces règlements aux principes généraux du droit).

Enfin, fut posé le problème du pouvoir réglementaire d'exception, permettant au


gouvernement de modifier les lois, après autorisation législative: c'est la question des
« lois de pleins pouvoirs» donnant naissance aux décrets-lois, posée lors de la crise de
1930, et qui ne fut jamais très nettement réglée jusqu'à sa consécration constitutionnelle
de 1958 (là aussi, le juge administratif résolut le problème en imposant son contrôle).

B. La situation actuelle.

A l'issue de cette évolution rapidement résumée, et dont les résultats furent repris à leur compte par
les Etats africains franco- phones, le problème de l'attribution du pouvoir règlementaire est résolu
de la façon suivante (les différentes rubriques, exposées ici, seront reprises et développées plus
loin).

1. L'attribution constitutionnelle

Elle concerne d'abord le pouvoir règlementaire d'exécution des lois, qui est un pouvoir
subordonné, accordé au premier ministre par l'art. 63 (de la Constitution
burkinabè).
La Constitution attribue également aux mêmes organes de l’exécutif un pouvoir règlementaire
autonome général pouvant s'exercer dans toutes les matières autres que celles réservées au
législateur (Art. 108).

Enfin, elle accorde un pouvoir règlementaire exceptionnel, pouvant être


exercé dans certaines conditions en matière législative: ce sont les ordonnances
de l'art. 107, prises « par le gouvernement» et signées par le Président du Faso.

118
2. L'attribution législative.

Dans les matières qui relèvent de la compétence législative, le parlement peut attribuer le pouvoir
règlementaire à diverses autorités administratives. Deux hypothèses sont ici à distinguer.
Tout d'abord, la loi peut conférer un pouvoir règlementaire permanent à
certains organes qu'elle institue: ainsi, pour les collectivités locales (pouvoirs du
maire et du conseil municipal) ou les établissements publics (la compétence
étant, en ce domaine, répartie entre le législateur et le gouvernement).
D'autre part, la loi peut renvoyer au pouvoir exécutif le soin de compléter
les normes posées par elles: il s'agit là d'une habilitation législative spéciale, distincte du pouvoir
général d'exécution des lois et portant sur des questions qui ne
relèvent pas des matières règlementaires.

3. L'attribution jurisprudentielle,

Dans l'exposé historique précédent, le juge administratif a admis certains cas de compétence
règlementaire. Cette jurisprudence n'est pas totalement périmée par l'extension de ce pouvoir
reconnue par les nouveaux textes constitutionnels; ainsi, la théorie des circonstances
exceptionnelles a pour effet une possibilité d'extension du pouvoir règlementaire; de même, la
jurisprudence Jamart précitée, qui confère un pouvoir règlementaire d'organisation et de
fonctionnement des services à tout chef de service peut être considérée comme toujours valable.

4. L'attribution par un acte administratif.

Le pouvoir règlementaire peut enfin être attribué, dans deux hypothèses, par un acte administratif.
D'une part, comme le législateur, le Président du Faso peut dans le cadre de sa compétence,
attribuer le pouvoir réglementaire de façon permanente aux diverses autorités administratives de
l'Etat; c'est là une source très importante de compétence en ce domaine: tous les textes relatifs à
l'organisation de l'administration centrale et territoriale contiennent certaines attributions de pouvoir
règlementaire. Par ailleurs, le pouvoir règlementaire peut faire l'objet d'une délégation de
compétence de la part de son titulaire, dans certaines conditions.
Toutes ces possibilités sont largement utilisées, aussi le pouvoir règlementaire est-il largement
réparti entre les diverses autorités administratives.

§.2. Les titulaires du pouvoir règlementaire

1° Pour l'État, la Constitution française de 1958, confirmant sur ce point celle de 1946, attribue en
principe le pouvoir réglementaire au Premier ministre (art. 21).
119
On sait que l’exercice du pouvoir réglementaire est une des attributions administratives importantes
dont le Président du Faso et le premier ministre ont la charge en vertu de la Constitution. Plus
précisément, ils sont ainsi investis du seul pouvoir réglementaire méritant la qualification de
général : il leur permet d’édicter des règlements en toutes matières (non réservées à la loi) et pour
toute l’étendue du territoire national. Exercé ordinairement par voie de décrets, il peut l’être aussi,
en vertu d’une habilitation législative spéciale, par voie d’ordonnances.

Le fait que deux autorités sont investies du pouvoir réglementaire général impose de déterminer la
compétence de chacune d’elles. Il faut alors envisager la répartition de la compétence.

La répartition de la compétence en droit français

Elle est une innovation de la Constitution de 1958. Sous les régimes antérieurs, une autorité unique,
chef du pouvoir exécutif, était investie par la constitution du pouvoir réglementaire général : le chef
de l’Etat jusqu’en 1946 ; le président du conseil des ministres sous la IVe République.

En vertu de l’article 21 de la Constitution de 1958, le pouvoir réglementaire général est au contraire


partagé entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement : le premier ministre exerce ce pouvoir
« sous réserve » des dispositions de l’article 13, c’est-à-dire sauf lorsque le projet de décret
réglementaire est délibéré en conseil des ministres.

De la façon dont le partage est organisé, il résulte évidemment que la compétence de principe
appartient au premier ministre, qui l’exerce par décrets contresignés, le cas échéant, par les
ministres chargés de leur exécution (art. 22). Le Président de la République n’est compétent que si
le projet a été soumis au conseil des ministres, qu’il préside, et ses décrets doivent être contresignés
par le premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables (art. 19).

Toutefois les règlements qui prennent la forme de décrets en conseil des ministres doivent être signés
par le président de la République; cette disposition a été interprétée comme lui transférant, dans ce
cas, la compétence réglementaire qui se trouve ainsi partagée. De plus, la pratique a consacré la
possibilité, pour le Président, de prendre dans certains domaines ne relevant pas de la délibération
en conseil des ministres des décrets réglementaires. Les décrets réglementaires émanent donc, tantôt
du président de la République, tantôt et le plus souvent du Premier ministre; ils sont, dans les deux
cas, contre- signés par les ministres chargés de leur exécution.

La répartition de la compétence en droit burkinabè


La Constitution procède à cette répartition à travers les dispositions constitutionnelles suivantes :

Article 47

120
Le Président du Faso préside le Conseil des ministres. Le Premier ministre le supplée dans les
conditions fixées par la présente Constitution.

TITRE IV
DU GOUVERNEMENT

Article 61

Le Gouvernement est un organe de l'Exécutif.


Il conduit la politique de la Nation; à ce titre, il est obligatoirement saisi:
- des projets d'accords internationaux;
- des projets et propositions de loi;
- des projets de textes réglementaires.
Il dispose de l'administration et des forces de défense et de sécurité.

Article 63
Le Premier ministre est le chef du Gouvernement ; à ce titre, il dirige et coordonne l'action
gouvernementale.
Il est responsable de l'exécution de la politique de défense nationale définie par le Président du
Faso.
Il exerce le pouvoir réglementaire conformément à la loi, assure l'exécution des lois, nomme aux
emplois civils et militaires autres que ceux relevant de la compétence du Président du Faso.

Article 99
L'ordonnance est un acte signé par le Président du Faso, après délibération du Conseil des
ministres, dans les domaines réservés à la loi et dans les cas prévus aux articles 103, 107 et 119 de
la présente Constitution. Elle entre en vigueur dès sa publication.

Article 100
Le décret simple est un acte signé par le Président du Faso ou par le Premier ministre et contresigné
par le ou les membres du Gouvernement compétents. Le décret en Conseil des ministres est un acte
signé par le Président du Faso et par le Premier ministre après avis du Conseil des ministres; il est
contresigné par le ou les membres du Gouvernement compétents.

Au Burkina Faso, le Premier ministre est le titulaire de droit commun du pouvoir règlementaire
autonome et subordonné au regard de l’article 63 al.3. Mais, le Gouvernement en tant qu’organe
collégial distinct du Premier ministre, est associé à l’exercice du pouvoir autonome règlementaire
(art. 61 al.4), puisqu’il délibère sur les « projets de textes réglementaires ». L’organe de délibération
121
est le Conseil des ministres.
Par ce biais, le Président du Faso intervient dans l’exercice du pouvoir règlementaire puisqu’il
préside le Conseil des ministres (art. 47) et signe les décrets délibérés en Conseil des ministres (art.
100).
Au total, trois (03) organes interviennent dans l’exercice du pouvoir règlementaire. Au regard de la
Constitution, le Premier ministre est le détenteur de droit commun du pouvoir règlementaire ;
cependant, l’exercice de ce pouvoir n’est pas son apanage exclusif : il le partage avec les deux (02)
autres organes constitutionnels. Dans ces conditions, on peut estimer que la Constitution aménage
un exercice conjoint et simultané du pouvoir règlementaire autonome.
2° Les ministres ne possèdent pas en propre un pouvoir réglementaire
général; ils participent seulement, par l'exercice du contreseing, à celui du Premier ministre et du
président de la République. Mais, en pratique cette participation suffit à mettre ce pouvoir à leur
disposition : les règlements sont le plus souvent élaborés dans le cadre des ministères, et le Premier
ministre ne fait en les signant, que leur conférer leur autorité. En outre, quelques textes accordent à
certains ministres un pouvoir réglementaire propre sur une matière déterminée. Enfin, la
jurisprudence qui reconnaît aux chefs de service un pouvoir réglementaire pour ce qui
concerne « le bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité» bénéficie en
premier aux ministres (CE., 6 oct. 1961, Union nationale des parents d'e1èves de l'enseignement libre,
R.D.P., 1961, p. 1271). Tout ceci leur confère en pratique des compétences importantes dans
l'exercice du pouvoir réglementaire au niveau national. Encore ces compétences leur apparaissent-
elles parfois insuffisantes. D'où la multiplication des dispositions à portée générale - règles
obligatoires pour les assujettis, ou directives, plus souples (infra, n° 92-2) - formulées par eux dans
des circulaires. Le juge, tout en admettant l'utilité de ces pratiques, n'a pas cru pouvoir aller jusqu'à
les légitimer en reconnaissant aux ministres le pouvoir réglementaire général que les textes ne leur
confèrent pas (CE., 23 mai 1969, Sté Distillerie Brabant, Rec., p.264, concl.
Mme Questiaux; 20 juil. 1988, 2 arrêts, Mlle Mingam et M. Maillard, A.J.D.A., 1988, p. 692).

3° Les autorités locales. Certains textes de loi reconnaissent aux organes des collectivités locales le
pouvoir de statuer par voie générale pour tout le territoire où s'exerce leur compétence, dans les
limites qui découlent du principe de légalité.

4° Certaines autorités professionnelles tiennent de la loi un pouvoir de réglementation dans le cadre de


la profession.

5° La jurisprudence a dégagé des hypothèses relativement à l’exercice du pouvoir réglementaire par


des personnes privées (infra, Chap. I consacré aux actes administratifs).

§ 3. La nature juridique du règlement

Ce problème a fait l'objet de certaines hésitations, provenant d'une assimilation de l'acte


administratif règlementaire à la loi, considérée, au sens matériel, comme étant elle aussi une règle

122
générale et permanente. Cette hésitation a été levée progressivement par une jurisprudence
constante.

A. Le règlement est un acte administratif.


Le problème s'est surtout posé à propos de textes règlementaires particulière-
ment importants, et très proches à certains égards de la loi, avec laquelle ils pouvaient être
confondus.

1. Le problème de la «délégation législative»


Tel fut le cas tout d'abord du Règlement d'administration publique. Cet
acte est un décret règlementaire pris en exécution des lois, sur injonction du législateur et après avis
du Conseil d'Etat; cette technique est utilisée lorsque le législateur, désirant limiter son intervention
dans une matière aux aspects essentiels, confie au gouvernement le soin de compléter la loi sur tel
et tel points (généralement les modalités et procédures d'application), ce que ce dernier accomplira
au moyen de « décret portant règlement d'administration publique», pris après consultation du
Conseil d'Etat. L'œuvre législative, dans sa globalité, résulte dès lors d'une collaboration du
Parlement et du Gouvernement, ce der- nier intervenant sur invitation ou délégation du premier.

Lorsque cette pratique, apparue sous la Constitution de l'an VIII, s'établit


sous une forme particulière, pendant la période de la Restauration, l'on admit
que ces règlements étaient d'une nature spéciale jouissaient d'une autorité égale
à la loi, et par suite étaient soustraits au contrôle juridictionnel. Et cette particularité était justifiée
par l'appel à la notion de « délégation législative».

Le problème se reposa plus tard avec l'apparition des « décrets-lois» et plus


récemment des ordonnances prises sur habilitation parlementaire (art. 107 de la Const. burkinabè)
: le gouvernement est habilité à intervenir dans le domaine réservé au législateur, avec pouvoir de
modifier le cas échéant, les lois existantes; n'exerce-t-il pas, là-aussi, le pouvoir législatif par
délégation? Ces deux catégories d'actes règlementaires, bien qu'émanant du gouvernement, n’ont-
ils pas une nature particulière du fait de leur contenu et de l'origine de la compétence ainsi exercée?

2. La solution jurisprudentielle, le règlement, acte administratif.

Saisi de recours contre de tels règlements, le juge administratif devait se prononcer sur
leur nature: il n'est en effet compétent que vis-à-vis des actes administratifs. Et
les réponses données en ces cas extrêmes d'exercice du pouvoir règlementaire,
contribuent, par leur netteté, à résoudre définitivement le problème de la nature juridique du
règlement. Deux arrêts, parmi de nombreux autres, seront seuls
cités: le premier, rendu en 1907 sur un recours porté contre un décret portant
règlement d'administration publique, tout en se référant encore à la notion de
délégation législative, n'en admet pas moins que l'acte en cause est un acte

123
administratif, susceptible de recours pour excès de pouvoir, parce qu'émanant
d'une autorité administrative (C.E., 6 déco 1907, Cie des chemins de l'Est, Rec.
913, Concl. Tardieu; S. 1908.3.1, Note Hauriou, concl. Tardieu; R.D.P.
1908.38 Note Jèze; D. 1909.3.57, concl. Tardieu; G.A.J.A. n° 19).

Un second arrêt, plus récent, est remarquable par l'importance de l'acte


attaqué (une ordonnance signée par le Chef d'Etat, prise sur habilitation d'une
loi référendaire) et par la netteté du raisonnement du juge: Le Président de la
République n'est pas habilité à exercer le pouvoir législatif, mais seulement
autorisé à intervenir dans le domaine de la loi au moyen de son pouvoir règlementaire. Dès lors,
l'acte émanant d'une autorité administrative est un acte administratif (C.E. 19 oct. 1962, Canal).

La théorie de la délégation législative est définitivement écartée; la nature


juridique d'un acte résulte du rang de son auteur, et il n'appartient pas à une
autorité constituée quelle qu'elle soit de modifier cette règle fondamentale. Seul
le pouvoir constituant peut fixer ou modifier cela.
Dès lors, un acte émanant d'une autorité administrative, quelque soit son contenu, ne peut avoir
que le caractère d'un acte administratif; c'est affirmer la supériorité des critères organico-formels
sur les critères matériels.

B. La nature juridique du règlement se distingue de celle de la loi.

La différence, essentielle, de la nature juridique respective de la loi et du règle-


ment est connue; on se bornera à quelques remarques (V. J. de Soto, La loi et le
règlement dans la Constitution de 1958, R.D.P. 1959.240).
La loi, émanant de l'organe ayant reçu pouvoir législatif, a une force juridique supérieure. Elle est
incontestable, c'est-à-dire insusceptible de tout contrôle juridictionnel dès lors qu'elle est définitive;
elle est également irréprochable (selon l'expression de Georges Vedel, Droit administratif, p. 46),
c'est-à- dire qu'elle ne saurait constituer une faute de nature à engager la responsabilité publique.
Cette solution, résultant de la tradition juridique française, s'explique
en considération de l'origine de la loi, expression de la souveraineté nationale
par l'organe parlementaire; les garanties qui entourent son édiction (débats parlementaires) rendent
moins nécessaire un contrôle juridictionnel. Il est évident que l'évolution de la pratique législative
rend plus discutable cette théorie de la loi. En revanche, le règlement, et plus généralement l'acte
administratif, émanant d'une autorité administrative se prononçant avec moins de garanties
d'impartialité, et ne disposant pas du même pouvoir, ont une nature juridique inférieure. Le
règlement est contestable, il peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel; il est également
reprochable, dans la mesure où il peut être constitutif d'une faute engageant la responsabilité
publique (cas du règlement illégal, par ex.). Il jouit dans la hiérarchie des actes juridiques, d'un
rang inférieur à la loi, et à la règle jurisprudentielle, et sa légalité est subordonnée au respect des
textes de rang supérieur.
Il convient cependant de noter que cette règle est parfois appliquée de façon
nuancée; dans certains cas, exposés plus loin, un acte administratif peut en effet valable-

124
ment modifier une loi; ainsi un règlement d'application d'une loi peut, dans le cadre de
cette loi, porter atteinte à d'autres dispositions législatives si cela est nécessaire; de
même, un règlement pris sur habilitation législative peut, dans le cadre de cette habilitation,
modifier des lois; de même enfin, le gouvernement, usant de son pouvoir règlementaire autonome,
peut modifier des lois intervenues dans le domaine des matières règlementaires, sous réserve que
soit intervenue la procédure de « délégalisation ».

S/Section 3. Les différents types de règlements administratifs.

Dans le cadre du pouvoir règlementaire étudié ci-dessus, les autorités administratives prennent des
actes qui, s'ils possèdent tous la nature juridique du règlement, n'en présentent pas moins des
différences dans leurs régimes juridiques. Etant donné l'importance du règlement comme source de
la légalité, l'étude des différents types de règlements est nécessaire; à cet égard, une première
distinction s'impose, selon la nature du pouvoir règlementaire exercé: pouvoir règlementaire
normal, tout d'abord, parce qu'accordé aux différentes autorités dans le cadre de leur compétence
ordinaire, pouvoir règlement aire exceptionnel ensuite, qui ne peut être exercé que dans certaines
circonstances particulières: les actes issus de chacune de ces compétences posent des problèmes
différents.

§ 1. L'expression du pouvoir règlementaire normal

Le pouvoir règlementaire normal, reconnu aux autorités administratives de façon ordinaire, a connu
une évolution considérable, ainsi qu'il a été exposé ci- dessus. Primitivement conçu comme une
habilitation à compléter les normes supérieures, donc subordonné à celles-ci, le pouvoir
règlementaire normal s'est progressivement étendu à une compétence autonome, pouvant être
exercée de façon indépendante: d'où la distinction importante entre pouvoir règlementaire
subordonné et pouvoir règlementaire autonome.

A. Le pouvoir règlementaire subordonné


1. La nécessité
C'est le pouvoir règlement aire « classique », qui a été reconnu en premier
lieu aux autorités gouvernementales, de prendre les mesures nécessaires à l'exécution des lois, de
façon à permettre leur application pratique. En effet, par la
force des choses, le législateur n'est pas toujours en mesure de fixer les moindres
détails nécessaires à l'application de la loi; il se borne à poser les normes générales, les principes de
la nouvelle règlementation ; (cette limitation de l'intervention du législateur tend à s'accroître du fait
de la technicité croissante des matières règlementées et du fait des dispositions constitutionnelles
limitant l'intervention législative aux règles et aux principes) ; et c'est au pouvoir « exécutif» au
sens original du terme que revient la charge de compléter l'œuvre législative: les règlements
d'application comprennent dès lors soit des détails
supplémentaires dans la réglementation, soit l'exposé des procédures pratiques
à suivre, soit la mise en place des structures nécessaires, afin que la loi puisse
effectivement s'appliquer dans les faits.

125
C'est essentiellement le gouvernement qui prendra ces mesures, par voie de
décrets, pouvant d'ailleurs être eux-mêmes complétés par des arrêtés
ministériels ou émanant d'autorité locales ou spécialisées. Cette intervention gouvernementale peut
s'accomplir spontanément, c'est-à-dire sans invitation expresse du législateur, en vertu des pouvoirs
propres dévolus à l'exécutif (ainsi
l'art. 63, al. 3 de la Constitution burkinabè, selon lequel « le premier Ministre
assure l'exécution des lois »). Le gouvernement peut également intervenir sur
« invitation ou habilitation législative» : la loi prévoit, pour tel ou tel aspect, que
ses dispositions seront complétées par voie de décret.

2. La nature et le régime juridiques des règlements subordonnés

L'analyse classique, élaborée avant que ne se systématise l'emploi du règle-


ment autonome, paraît la plus apte à rendre compte de ce problème. Ce règle-
ment est, ainsi qu'il a été dit plus haut, un acte administratif, puisqu'émanant
d'une autorité administrative. Mais, expression d'un pouvoir subordonné, il
trouve son fondement et ses limites dans la norme supérieure (la Loi) dont il
assure l'exécution, Par suite, sa légalité est conditionnée par le respect de cette
norme, et le contrôle juridictionnel consiste à rapprocher le décret de la loi; une
jurisprudence abondante peut ainsi être systématisée (voir p. ex. C.E. 29 janv.
1954, Instit. N.D. du Kreisker, Rec. 64; G.A.J.A. n ? 90).
- le règlement subordonné doit être pris dans le cadre du champ d'application de la loi;
- il ne doit rien ajouter à la loi, ni en plus (poser. des règles nouvelles), ni en
moins (retrancher ou poser des conditions restrictives à l'application de la loi),
sauf si la loi prévoit expressément la possibilité, en cas d'habilitation;
- il ne doit comprendre, d'une façon générale, que les mesures nécessaires
l'application de la loi.

C'est là la manifestation la plus nette de la subordination hiérarchique de


l'acte administratif à l'acte législatif. Notons cependant que la reconnaissance
d'un pouvoir règlementaire autonome peut compliquer cette solution relative-
ment simple, dans la mesure où un même décret peut contenir des mesures émanant à la fois des
deux types de pouvoir règlementaire : c'est alors au juge de faire le départ, et d'apprécier
distinctement, selon les règles respectives, les dis- positions émanant du pouvoir subordonné et du
pouvoir autonome (cf. comme exemple, de ce double contrôle, l'arrêt C.B. du 27 janv. 1961,
Daunizeau, cité ci-dessus).

B. Le pouvoir règlementaire autonome

Ce pouvoir règlementaire, dont l'apparition et le développement ont été


exposés ci-dessus, est consacré par la Constitution (art. 37 de la Constitution
126
française, art. 108 de la Constitution burkinabè). Il présente des particularités
importantes.

1. La nature juridique du règlement autonome.

Le règlement autonome résulte de la combinaison de deux dispositions constitutionnelles: l'art. 63


qui accorde au Premier Ministre, d'une façon générale, le pouvoir règlementaire et l'art. 108 qui
définit le champ d'application de ce pouvoir selon des critères matériels, en posant la notion de «
matières de caractère règlementaire» ; c'est dans les questions relevant de ces matières que s'exerce
le pouvoir règlementaire autonome.
Celui-ci présente une différence fondamentale avec le pouvoir règlement aire
subordonné: les actes pris en vertu de ce pouvoir ne sont plus subordonnés à la
loi. En effet, et c'est une des innovations les plus importantes de la Constitution
française de 1958, reprise sur ce point par la plupart des chartes suprêmes des
Républiques africaines francophones dès 1960, la compétence du législateur est
limitée aux matières dites législatives dont la liste, limitative, est donnée par la
Constitution (art. 56, const. sénégalaise); en dehors de cette liste, s'ouvre le
domaine de la compétence règlementaire, qui est infinie, puisque définie à
contrario ( « les matières qui ne sont pas du domaine législatif en vertu de la présente Constitution,
ont un caractère règlementaire »). Et, dans ce domaine règlementaire, le gouvernement peut
intervenir « souverainement», sans être tenu de respecter les lois existantes qui, en principe, sont
absentes, le parlement n'étant pas compétent pour y intervenir.
De ce fait, ce pouvoir règlementaire subit une triple novation:
- c'est un pouvoir INITIAL, dans la mesure où il n'est plus dérivé de la
loi, mais trouve sa source directement dans la Constitution.
- c'est un pouvoir INCONDITIONNÉ, qui n'est plus subordonné au respect des lois existantes.
- c'est un pouvoir ILLIMITÉ, de droit commun, dont le champ d'application ne peut figurer dans
une liste, alors que le pouvoir règlementaire subordonné se limite au champ d'application de la loi.
.
Dès lors, l'on a pu affirmer que le gouvernement devenait le « législateur de
droit commun », le parlement n'étant que «législateur d'exception» lorsque la
question intéressée figure sur la liste limitative des matières législatives.
Cette importante transformation du règlement a amené à poser dans des termes différents le
problème de la nature juridique: étant une règle générale, initiale et inconditionnée, le règlement
autonome ne se trouve-t-il pas au même-niveau que la loi, n'étant comme celle-ci subordonné qu'à
la Constitution, seule norme supérieure?

La doctrine et la jurisprudence ont, ainsi qu'il a été exposé plus haut


répondu négativement (ainsi C.E. 26 juin 1959, Syndicat Général des Ingénieurs conseils, cité, et
R. Chapus, de la soumission au droit des règlements autonomes, D. 1960, chr. 119): le règlement
autonome, émanant d'une autorité administrative, est un acte administratif figurant, dans la
hiérarchie des normes, à un niveau inférieur à la loi (et aux règles jurisprudentielles, dont les
principes généraux du droit). Et si ce règlement n'est plus subordonné aux lois, ce n'est
127
pas parce qu'il est égal à la loi, mais bien parce qu'il n'y a plus de loi en ce
domaine.

2. Le régime juridique du règlement autonome.

Le régime juridique se déduit des développements précédents. La légalité du règlement autonome


est subordonnée au respect de la Constitution (il ne doit pas intervenir dans une
matière relevant de la loi et évidemment ne pas contredire une disposition constitutionnelle; cf.
C.E. 12 févr. 1960, Soc. Eky, rec. 101; S. 1960.131. concl.
Kahn), et des principes généraux du droit. Et cette légalité pourra éventuelle-
ment être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir, de même d'ailleurs
qu'un règlement illégal est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

Il convient d'ajouter que ce règlement est, en réalité, également subordonné


à la loi formelle; en effet, le gouvernement ne peut, de piano, modifier une disposition législative
existante, même si celle-ci est intervenue dans le domaine règlementaire.

Dès lors qu'une loi existe, le gouvernement ne peut la modifier en vertu de


son pouvoir règlementaire autonome; du moins pas avant que soit intervenue la
procédure de déclaration de la nature de cette loi.

C. L'unité du pouvoir règlementaire normal


Au delà des différences relevées, le pouvoir règlementaire normal conserve
donc une unité certaine: c'est le même pouvoir, conféré par l'art. 37 de la Constitution, exercé dans
des conditions identiques sous forme de décrets par les
mêmes auteurs. Les règlements ainsi émis ont la même nature juridique: des
actes administratifs, situés au même niveau dans la hiérarchie des actes juridiques. Ils sont soumis à
un régime juridique identique, tenus de se conformer aux
dispositions contenues dans les normes de rang supérieur (Constitution - Lois-
Principes généraux du droit), sous le contrôle du juge administratif. Ce qui
explique, ainsi qu'il a été relevé plus haut, qu'un même décret est souvent l'ex-
pression des deux pouvoirs règlement aires, subordonné et autonome.
La distinction n'en demeure pas moins importante, et joue au niveau des
conditions de légalité: autrement dit, lorsque le gouvernement use de son pou-
voir règlementaire de l'art. 37, la marge d'initiative dont il dispose légalement
varie selon la matière abordée; en matière règlementaire, l'initiative est libre,
sous les réserves indiquées. En matière législative en revanche, le gouvernement
doit se borner aux mesures d'exécution de la loi. Ceci explique que le contrôle du
juge de l'excès de pouvoir s'exerce de façon différente selon la nature de la dis-
position (cf. C.E. 27 janv. 1961, Daunizeau, cité supra).
Ainsi donc, les innovations constitutionnelles de 1958 n'ont pas bouleversé
l'essentiel des données antérieures: la loi et le règlement demeurent deux actes
juridiques différents et inégaux, qui se définissent par les conditions organiques
128
de leur édiction (émanant respectivement de l'organe législatif ou règlementaire); la loi demeure la
norme supérieure incontestable dès lors qu'elle est définitive, alors que le règlement est un acte
contestable. L'apport, essentiel, réside en la limitation du domaine de la loi, et l'extension parallèle
du domaine du règlement. A cela, qui correspond aux périodes normales, il convient d'ajouter les
extensions exceptionnelles du pouvoir des autorités gouvernementales (voir ci-dessous) ; au total, le
principal bouleversement est politique et non juridique: l'amoindrissement de la subordination du
gouvernement au parlement.

§ II. L'expression du pouvoir règlementaire exceptionnel

Pour faire face à certaines circonstances particulières, la Constitution


accorde aux autorités gouvernementales un pouvoir règlementaire exceptionnel; il est exceptionnel
à la fois dans ses conditions d'utilisation, dans la mesure
où il ne peut s'exercer que dans des conditions particulières, pendant une courte
période, et dans son régime juridique: les différents actes pris en vertu de ce pou-
voir' présentent des particularités certaines.

L'étude des conditions d'exercice de ce pouvoir, de leurs justifications et de


leurs significations relève du droit constitutionnel. On se bornera à rappeler ici
que les constituants français de 1958, tirant la leçon des expériences des Républiques précédentes,
ont cru nécessaire de prévoir et règlementer les différentes
situations où il apparaîtrait nécessaire que soient accrus les pouvoirs juridiques
des autorités gouvernementales. Les républiques francophones d'Afrique, en
1959 et 1960, ont en général repris ces innovations précieuses. Soit telles
quelles, soit au prix de quelques aménagements. Trois situations sont distinguées, correspondant à
des circonstances distinctes, et donnant naissance à des
situations juridiques différentes.

A. Les ordonnances sur habilitation législative

Article 107
Le Gouvernement peut, pour l'exécution de ses programmes, demander à l'Assemblée l'autorisation
de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du
domaine de la loi.
Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil constitutionnel. Elles
entrent en vigueur dès leur publication, mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification
n'est pas déposé devant l'Assemblée avant la date fixée par la loi d'habilitation.
Al' expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent
plus être modifiées que par la loi dans celles de leurs dispositions qui sont du domaine législatif.

C'est la constitutionnalisation d'une pratique antérieure, dite des « décrets-


lois», contestée sous la IVe République et remplacée par la technique de la « délégation» et de la «
loi cadre». Selon l'art. 38 de la constitution française, repris par l'art. 107 de la constitution

129
burkinabè, le parlement peut habiliter le gouvernement à prendre, par ordonnance, « des mesures
qui sont normalement du domaine de la loi» ; il s'agit donc d'une extension
occasionnelle des pouvoirs juridiques du gouvernement, habilité à modifier éventuellement des lois
existantes.
a. Nature juridique des ordonnances
Par la loi d'habilitation, l'Assemblée nationale autorise le gouvernement à
faire «œuvre législative», c'est-à-dire à prendre des mesures dans le domaine
normalement réservé à la loi. D'où le problème de la nature juridique des actes
ainsi pris, émanant des autorités gouvernementales, donc administratives, mais
contenant des dispositions relevant de la seule compétence parlementaire en
matière législative. Ces ordonnances apparaissent administratives d'un point de
vue organique, mais législatives d'un point de vue matériel.

L'explication d'une délégation provisoire du pouvoir législatif, par le parle-


ment au profit du gouvernement a été écartée (cf. supra): le gouvernement n'exerce pas le pouvoir
législatif par délégation, les ordonnances ne sont pas des actes législatifs. L'habilitation ne porte pas
sur le pouvoir juridique, mais sur le
domaine de la compétence: c'est selon l'analyse parfaite du juge administratif,
une habilitation temporaire à exercer le pouvoir réglementaire dans un domaine
qui lui est normalement fermé. Par suite, l'ordonnance, parce qu'émanant d'une
autorité administrative, conserve le caractère d'un acte administratif, pouvant
faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (C.E., 24 nov. 1961, Fédération
nationale des syndicats de police. Rec. 658; D. 1962.424, note Fromont;
A.J.D.A. 1962.114, note A.J.; S.1963.59, note Hamon). Les critères organiques sont déterminants.

b. Régime juridique des ordonnances


L'habilitation législative correspond à un abandon de pouvoir par le parlement; en France, plus
encore, c'est un véritable dessaisissement, le parlement n'ayant plus le droit d'intervenir dans les
matières concernées pendant la période d'habilitation. Aussi un régime juridique assez strict existe-
t-il.

Les limites de l'habilitation


D'une part, l'habilitation doit comporter des limites précisées par la loi:
limite de temps (pas plus de quelques mois en général), limite de compétence (les
matières concernées doivent être cernées avec une relative précision) ; prise au
delà de ce délai, ou en dehors de ces matières, l'ordonnance serait irrégulière.
Par ailleurs, l'ordonnance elle-même a une durée limitée; d'une façon plus
précise, l'ordonnance, acte administratif, entre en vigueur normalement dès sa
signature par le Président du Faso. Sa vie ne peut cependant dépasser le
délai (très court) fixé par la loi d'habilitation: au delà, elle est caduque et disparaît de l'ordre
juridique; le mandat accordé au gouvernement n'est donc pas illimité.

130
Cette caducité peut cependant être évitée par le dépôt d'un projet de loi de
ratification sur le bureau de l'Assemblée nationale avant l'expiration du délai
fixé. Dès lors, la vie de l'ordonnance se poursuit.

Effet du dépôt de projet de loi de ratification

Si ce dépôt est effectué avant l'expiration du délai d'habilitation, il a pour


seul effet, par lui-même, de maintenir en vigueur l'ordonnance concernée qui
sans cela, deviendrait caduque. Mais il n'a aucun effet sur la nature juridique de
l'ordonnance qui demeure un acte administratif aussi longtemps que le projet de
loi n'est pas adopté par l'Assemblée (il peut ne l'être jamais, l'organe législatif
n'examinant pas ce texte, et par suite ne se prononçant ni positivement, ni négativement:
l'ordonnance demeure, mais en tant qu'acte administratif)

Effet de l'expiration de la période d'habilitation


La fin de cette période n'a également aucun effet sur la nature juridique de
l'ordonnance qui demeure un acte administratif sauf si elle a été ratifiée. Mais
dorénavant, le gouvernement n'est plus habilité à intervenir dans les matières
législatives; dès lors, dans la mesure où l'ordonnance comporte des dispositions
relevant de ces matières, elle ne peut plus être modifiée par le gouvernement, qui
n'a plus le pouvoir conféré par l'habilitation temporaire. Seule une loi peut y porter atteinte.

Effet de la ratification parlementaire


En revanche, l'adoption de la loi de ratification emporte novation: Ce parlement reprend à son
compte la mesure (en la modifiant le cas échéant), qui dès lors prend la nature d'une loi (notons que
la pratique française admet la ratification implicite par simple allusion). Le rejet du projet de loi de
ratification par le parlement entraîne en revanche l'abrogation des ordonnances.

Contrôle juridictionnel de l'ordonnance


Aussi longtemps qu'elle demeure de nature administrative, l'ordonnance
peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel par le juge de l'excès de pouvoir.
Ce contrôle est certes nécessairement limité: le juge vérifie la conformité de cet
acte par rapport à la loi d'habilitation; qui ne doit pas être violée ou outrepassée;
il peut également sanctionner la violation éventuelle des principes généraux du
droit lorsque la loi d'habilitation ne le permettait pas expressément (cf. C.E., 19
oct. 1962, Canal et autres, précité).

B. Les « mesures présidentielles» de l'art. 59 (art. 16 de la Constitution française)


Constitution du Burkina Faso
Article 59
131
Lorsque les Institutions du Faso, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou
l'exécution de ses engagements sont menacées d'une manière grave et immédiate et/ou que le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président du Faso
prend, après délibération en Conseil des ministres, après consultation officielle des Présidents de
l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, les mesures exigées par ces circonstances. Il en
informe la Nation par un message. En aucun cas, il ne peut être fait appel à des forces armées
étrangères pour intervenir dans un conflit intérieur. L'Assemblée nationale se réunit de plein droit et
ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels.

Constitution française

Art. 16

Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire


ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate
et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président
du Faso prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier
Ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel.

Il en informe la Nation par un message.

Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels,
dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil Constitutionnel est
consulté à leur sujet.

Le Parlement se réunit de plein droit.

L’Assemblée Nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels.

Après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi
par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante
sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se
prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et
se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs
exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.

L'article 59 est inspiré de l'art. 16 de la Constitution française qui autorise le Président du Faso à
exercer une véritable « dictature à la romaine» : il dispose alors, sur sa seule initiative, de pouvoirs
extrêmement vastes, lui permettant en particulier de modifier les lois. Il s'agit donc d'une extension
de ses pouvoirs différente des précédentes.

1. Cadre général d'application de l'art. 59


L'art. 59 ne peut s'appliquer que si certaines conditions de fond et de forme
sont réunies; dès lors, le président dispose de pouvoirs importants, mais néanmoins non illimités.
132
Ce sont là des questions qui relèvent du droit constitutionnel, on se bornera à quelques rapides
précisions.
Les conditions de fonds sont relativement précises: elles sont doubles:
Il doit, d'une part, exister une menace grave et immédiate, pesant sur les institutions
elles-mêmes (hypothèse de subversion intérieure), ou sur l'intégrité du territoire, l'indépendance
nationale, l'exécution des engagements internationaux (il s'agit là plutôt d'une
menace extérieure ou d'une grave crise nationale).
En outre, et simultanément, l'Etat doit être paralysé; plus précisément, le fonctionnement régulier
des institutions doit être interrompu, les mécanismes constitutionnels et
administratifs doivent donc être dans l'impossibilité de faire face à la situation.
Si ces conditions sont réunies, le Président du Faso prend la décision d'appliquer l'art. 59 après
délibération en Conseil des ministres. L’intervention de cette instance introduite avec la réforme
constitutionnelle du 22 janvier 2002 est en contradiction avec l’article 57 de la Constitution qui
dispense du contreseing le recours à l’article 59 ci-dessus. Initialement, l’article 59 est rangé dans
les pouvoirs propres du Chef de l’Etat.

Il ne peut mettre en application l’article 59 qu'après avoir informé la Nation par un message; de
plus, l'Assemblée nationale se réunit de plein droit, et ne peut être dissoute, c'est une
condition supplémentaire. De plus, il lui est fait interdiction de faire appel à des forces armées
étrangères pour intervenir dans un conflit intérieur.
Enfin, dans ce cadre, le Président du Faso bénéficie d'une extension de ses
pouvoirs: il peut prendre toute mesure, portant donc aussi bien en matière législative
que règlementaire, sous la réserve que les mesures tendent effectivement à faire face à la
situation (en France) et ne portent pas atteinte à la Constitution.

2. Nature juridique des mesures présidentielles

a) La décision de recourir à l'article 16


Tout d'abord, la décision elle-même de recourir à l'art. 16 soulève certains
problèmes: en effet, la régularité de cette décision est subordonnée au respect de
certaines conditions; quelle est sa nature juridique, et par suite qui peut en
contrôler la régularité? La réponse a été donnée par le Conseil d'Etat français:
il s'agit d'un acte de gouvernement (v. infra, sur cette notion), par suite insusceptible de tout
contrôle de régularité, qu'il s'agisse de la légalité de la décision ou de
sa durée d'application (C.E. 2 mars 1962, Rubin de Servens et autres. Rec.
143; R.D.P. 1962.288, Note Berlia et concl. Henry; D. 1962.109, chr.
Morange; S. 1962.147, Note Bourdoncle; J.C.P. 1962.1.1711, chr. Lamarque,
11.12613, concl. Henry; G.A.J.A.); il s'agirait d'une mesure concernant
les rapports entre pouvoirs constitutionnels; cette qualification est conforme à
la jurisprudence, même s'il peut paraître discutable qu'une telle décision ne
puisse faire l'objet d'aucun contrôle (si ce n'est politique, par le parlement).
b) Les mesures prises en application de cet article

133
Les mesures prises en vertu des pouvoirs exceptionnels ainsi détenus appel-
lent d'autres solutions.
Pour celles d'entre elles qui relèvent des matières règlementaires, leur nature administrative ne fait
pas de doute; cette interprétation logique peut être déduite, a contrario, de l'arrêt C.E. 2 mars 1962,
Rubin de Servens et autres, cité. Il en va de même évidemment des mesures individuelles
d'application qui constituent des actes administratifs. Toutes ces mesures peuvent faire l'objet du
contrôle juridictionnel, dont la portée toutefois peut être limitée, par suite de leur caractère de
mesure d'exécution d'une disposition de nature législative insusceptible de contrôle indirect, et par
le jeu éventuel de la théorie des circonstances exceptionnelles, susceptible de s'appliquer en cette
occasion (C.E. 23 oct. 1964, d'Oriano, Rec. 486; D. 1965.9, Note Ruzié; R.D.P. 1960-.282, concl.
M. Bernard; A.J.D.A. 1964.684, chr. Mme Puybasset et Puissochet; voir également C.E. 13 juill.
i965, Gauthier, Rec. 436 et C.E. 22 avr. 1966, Sté Union Africaine de Presse, Rec. 276; J.c.P.
1966.11.14805, concl. Galmot, note Drago).

Les mesures prises par le Président de la République


dans le cadre des pouvoirs exceptionnels 134

L'article 16 énonce qu'en cas de crise majeure, le Président prend les


mesures exigées par les circonstances. Cela signifie qu'il concentre tous les pouvoirs entre ses
mains, pouvoir exécutif et pouvoir législatif
Dans ce cadre, le Président peut prendre des mesures d'application dispensées de contreseing
le pouvoir réglementaire peuvent, en période d'application de l'article 16, continuer à exercer
135
leurs compétences selon les règles normales : telle a été la situation entre la décision du 23 avril
1961 inaugurant cette application, et celle du 29 septembre 1961 y mettant fin.
- 2° Régime juridique des actes pris en vertu de l'article 16.Ces actes, qui ont reçu le
nom de « décisions », sont pris après avis du Conseil constitutionnel, sous la seule signature du
C. Les ordonnances sur habilitation constitutionnelle

136
Art. 103

L'Assemblée nationale est saisie du projet de loi de finances dès l'ouverture de la deuxième session
ordinaire.
Les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance si l'Assemblée ne s'est pas
prononcée dans un délai de soixante jours suivant le dépôt du projet et que l'année budgétaire vient
à expirer. Dans ce cas, le Gouvernement convoque une session extraordinaire, afin de demander la
ratification. Si le budget n'est pas voté à la fin de la session extraordinaire, il est définitivement
établi par ordonnance.
Si le projet de loi de finances n'a pu être déposé en temps utile pour être voté et promulgué avant le
début de l'exercice; le Premier ministre demande d'urgence à l'Assemblée l'autorisation de reprendre
le budget de l'année précédente par douzièmes provisoires.

Art. 119.

En cas d'urgence déclarée par le Gouvernement l’Assemblée doit se prononcer sur les projets de
loi dans un délai de quinze jours. Ce délai est porté à quarante jours pour la loi de finances. Si à
l'expiration du délai aucun vote n'est intervenu, le projet de loi est promulgué en l'état, sur
proposition du Premier ministre par le Président du Faso sous forme d'ordonnance.

Ces ordonnances, contrairement à celles prévues par l’article 107, sont prises en dehors de toute
habilitation législative. Le seul problème à leur sujet concerne leur statut juridique. A propos des
ordonnances prévues à l’article 103, la référence à la ratification du Parlement prouve que ces
ordonnances ont vocation à devenir des actes législatifs comme les ordonnances de l’article 107.
Cependant, la ratification peut ne pas avoir lieu. Cela n’aura aucune incidence sur la nature
législative de ces ordonnances.

Concernant l’article 119, la nature de l’ordonnance en cause est sans conteste législative puisque,
l’ordonnance aux termes de l’article 99, intervient « dans les domaines réservés à la loi » en visant
le cas des ordonnances de l’article 119.

Mais, les ordonnances de l’article 119 présentent une particularité en droit burkinabè : elles font
l’objet de promulgation. Ceci paraît en contradiction avec l’article 99 qui prévoit que les
ordonnances entrent en vigueur dès leur publication.

La promulgation n’est concevable que pour les lois.

137
Section 2. Les Sources administratives de la légalité

Ce sont les règles de droit émanant des diverses autorités administratives.


Cette source de la légalité est de plus en plus importante et pose des problèmes particuliers; il ne
s'agit pas ici d'étudier l'autorité de ces sources sur les administrés (c'est l'objet de la partie
suivante), mais de savoir dans quelle mesure l'administration peut ainsi être source de droit, et dans
quelle mesure cette légalité administrative s'impose à elle: une des originalités de l'application à
l'administration du principe de la légalité est en effet que celui-ci emporte la soumission à des
règles qu'elle élabore elle-même. Le règlement est la plus importante de ces sources de droit, mais
avant d'aborder son étude particulière il convient
de présenter les données générales du problème.

S/Section 1. Généralités sur les sources administratives de la légalité


§ 1. Différentes sources administratives de droit

Tous les actes juridiques de l'administration sont sources de droit car, par définition, un acte
juridique est un acte créateur de droits ou d'obligations, y compris à l'égard de son auteur. Mais
leur portée respective diffère grandement.

a) L'acte réglementaire est la source la plus importante, à cause de ses caractères il crée des règles
générales impersonnelles et permanentes ; à cause aussi de l'importance accrue de son utilisation.
Les sources secondaires productrices de normes générales. Comme la loi, le règlement édicte une
norme générale et impersonnelle, mais qu'il s'en différencie par son auteur,
138
qui appartient à l'exécutif. Néanmoins la généralité de la norme qu'il édicte, soit en complément de
la loi (règlement d'application des lois), soit en l'absence de loi (règlement autonome), permet de le
relier à celle-ci dans la légalité. Hauriou parlait à ce sujet du
« bloc légal des lois et règlements».
La formule ne doit pourtant pas tromper.
D'une part les règlements ne font bloc avec la loi que s'ils lui sont conformes ou non contraires:
dans l'affirmative, le règlement s'impose comme la loi aux autorités administratives; dans la
négative, le règlement doit être écarté au profit de la loi.
D'autre part, les règlements ne constituent pas eux-mêmes un bloc. Il existe entre eux une hiérarchie
qui est liée à la hiérarchie de leur auteur et de leur procédure d'élaboration.

b) L'acte individuel est également une source de droit; certes, la « règle de droit individuelle» selon
l'expression de M. Eisenmann engendre une norme qui modifie la situation de son destinataire,
généralement un administré: une autorisation, une sanction, une nomination intéressent
essentiellement l'individu concerné. Néanmoins, l'administration est également tenue de les
respecter; elle doit, d'une part, les exécuter, le cas échéant. D'autre part, elle est liée par les actes
individuels dans ses décisions ultérieures. La principale illustration de cette obligation réside dans le
principe de l'intangibilité des effets individuels des actes administratifs (ou du respect des droits
acquis) qui interdit à l'administration de revenir sur un droit individuel qu'elle a conféré. La
violation de cette obligation entraîne l'illégalité de la nouvelle décision; quelle que soit l'explication
donnée (violation d'un principe général du droit ou violation de l'acte individuel), il n'en demeure
pas moins que l'obligation de légalité qui s'impose à l'administration trouve sa mesure dans le
contenu de l'acte individuel concerné: celui-ci est donc bien une source de légalité à laquelle
l'administration est soumise (Sur les applications de cette idée concernant le retrait ou l'abrogation
des actes administratifs, voir partie suivante; pour un ex. curieux où il a été jugé que
l'administration avait l'obligation d'exécuter un acte individuel illégal aussi longtemps qu'il n'était
pas retiré, voir C.E. 18 mai 1973, Ville de Cayenne, A.J.D.A. 1973, 538, note Ferrari).

c) Le contrat enfin doit être rangé, à un titre spécial, parmi les sources de la légalité
administrative. Certes, c'est un acte subjectif, n'ayant en principe d'effets qu'entre les parties.
Néanmoins, il fait partie du bloc des normes dont le respect s'impose aux autorités administratives.
Celles-ci sont en effet tenues de respecter les contrats qu'elles ont conclus. La violation d'un contrat
entraîne l'illégalité de l'acte contraire ou l'engagement de la responsabilité publique, et si
l'administration peut, dans certains cas, modifier un contrat administratif, elle est tenue
d'indemniser le cocontractant du préjudice qui en résulte le cas échéant. En réalité, la seule véritable
particularité réside dans les mécanismes de mise en œuvre de la sanction: le recours pour excès de
pouvoir ne peut en effet être utilisé pour contester la légalité d'un acte administratif auquel on
reproche la violation d'une stipulation contractuelle (sauf pour les contrats de concession). Il n'en
demeure pas moins que le principe de la soumission de l'administration au droit impose à cette
dernière le respect de ses engagements contractuels.
On peut émettre certaines réserves sur la place des contrats parmi les sources de la légalité, alors même que
139
de bons auteurs l'admettent.
Il n'est pas exact, au sens strict, que les contrats de l'administration soient à l'origine de normes constitutives
de la légalité. Ils créent des droits subjectifs dans les relations entre les parties, non du droit objectif. La
jurisprudence en tire une conclusion logique en refusant d'admettre que les stipulations d'un contrat soient
invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, qui est par excellence le recours permettant de faire
respecter la légalité.
Toutefois, les contrats conclus par l'administration la lient vis-à-vis de ses partenaires: en violant ses
engagements contractuels, elle commet sinon une illégalité au sens strict, du moins une violation des
droits des autres parties; plus généralement, elle méconnaît le principe selon lequel les contrats font
la loi des parties: en cela elle méconnaît une norme supérieure au contrat lui-même.
En outre, certains contrats comportent des clauses qui, concernant l'organisation et le
fonctionnement du service dont est chargé le cocontractant, ont un caractère réglementaire et
peuvent être invoquées par les tiers à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir : à ce titre, ils
peuvent être considérés comme une source de la légalité, au sens général du terme.

§ 2. L'autorité des sources administratives de la légalité

Cette autorité présente certaines particularités, car les règles émanent de l'administration elle-
même et du fait de la hiérarchie des autorités administratives.

1. Le principe du respect par l'administration de ses propres règles.


C'est un élément évident de la stabilité et de la sécurité des relations juridiques; il doit néanmoins se
concilier avec le principe de l'adaptation de l'action administrative. Plusieurs conséquences en
résultent.

- L'administration doit appliquer les règles qu'elle pose,' c'est une obligation générale, qui impose à
l'administration de tirer les conséquences des règles émises, prenant les mesures d'application
nécessaires et en exécutant matériellement ses décisions, sauf à engager sa responsabilité (C.E. 27
nov. 1964, Min. des finances c/Dame Vve Renard, D. 1965.632; AJ.D.A. 1964.723).
- L'administration ne peut violer les règles qu'elle a posé,' le principe s'applique quelque soit le
caractère de la règle en cause, il doit se comprendre compte tenu des développements suivants et de
la hiérarchie des actes administratifs.
- L'administration peut modifier ou abroger ses décisions,' c'est une
application du principe de l'adaptation de l'action administrative; les décisions
administratives ne sont jamais définitives, leurs auteurs peuvent les modifier ou
les abroger. De même, le supérieur hiérarchique peut abroger ou annuler l'acte
émanant de son subordonné (mais non se substituer à ce dernier). Ce pouvoir
s'exerce sous réserve du respect des droits acquis (voir infra, les développements consacrés à la
disparition des actes administratifs).
140
2. La hiérarchie des actes administratifs.

La hiérarchie des autorités administratives est un principe fondamental de l'organisation


administrative; il entraîne des conséquences sur la légalité.

Le jeu des critères organico-formels


- Les actes administratifs sont d'abord hiérarchisés selon un critère organique qui repose donc sur la
qualité de leurs auteurs; chaque autorité administrative, dans la prise de ses décisions, est tenue de
respecter les règles adoptées à l'échelon supérieur. Le Ministre doit tenir compte des décrets
adoptés à l'échelon gouvernemental, le préfet est tenu de respecter arrêtés ministériels et décrets,
etc. Ainsi, le poids de la légalité est variable selon la hiérarchie (cf. plus loin). A
un même degré, une hiérarchie des actes peut également exister, qui repose sur
la différence des procédures ou des formes adoptées (ainsi, la hiérarchie entre
décret simple, et décret en conseil des ministres).

L'influence des critères matériels


- Cette hiérarchie organico-formelle doit se combiner avec le jeu des critères matériels reposant sur
la nature de l'acte émis: ainsi sont distingués les actes règlementaires, portant dispositions générales
et les actes individuels. Les premiers sont supérieurs aux seconds: l'acte règlementaire l'emporte sur
l'acte individuel; plus exactement, les actes individuels doivent être conformes aux
actes réglementaires préétablis,' c'est là une règle fondamentale, dont l'application est générale.
Combinée au principe de la hiérarchie organique, cette règle aboutit aux résultats suivants.
Si l'acte règlementaire émane d'une autorité hiérarchique supérieure à l'auteur d'une décision
individuelle, les deux principes agissent dans le même sens; la seconde doit évidemment respecter
le premier: un arrêté ministériel à caractère individuel doit respecter les décrets règlementaires par
ex.

Lorsque les deux actes émanent d'une même autorité, c'est le principe de la
hiérarchie matérielle qui joue seul, en application de l'adage « tu patere legem
quam fecisti » (tu dois souffrir des conséquences de la loi que tu as faite toi-
même). Dans la prise de décision individuelle, une autorité doit respecter les
règles générales dont elle est l'auteur; ce qui interdit à une autorité le pouvoir de
déroger à une réglementation qu'elle a émise (le caprice du prince est exclu, sauf
si évidemment la règle générale prévoit la possibilité de la dérogation) ; si cette
autorité désire prendre une telle mesure individuelle, elle est tenue, au préalable,
de modifier la règle générale. (C.E. 17 mai 1907, Société Philarmonique de
Fumay, Rec. 478).
Dans une troisième hypothèse, enfin, l'acte règlementaire peut émaner
d'une autorité inférieure à l'acte individuel: les deux principes hiérarchiques
s'opposent. Cette situation est rare; il est peu fréquent en effet qu'une autorité
supérieure soit amenée à prendre une mesure individuelle en application d'un
règlement émanent d'une autorité subordonnée; néanmoins, dans cette
141
hypothèse, c'est le règlement qui l'emporte: C.E. 3 juill. 1931, Ville de Clamart,
S. 1932.3.1. Note Bonnard (Les tenants de la supériorité des critères organiques
expliquent cette solution paradoxale mais logique en estimant que l'autorité
supérieure agit en réalité au nom et pour le compte de l'autorité subordonnée,
par le jeu de la substitution d'action; effectivement, cette situation peut se présenter dans cette
hypothèse où l'autorité de tutelle est autorisée à se substituer à
l'organe décentralisé défaillant; elle est alors tenue de respecter l'ensemble des
règles qui émanent de ce dernier).

S/Section 2. Le pouvoir règlementaire

C'est le pouvoir de statuer par voie générale, accordé à des autorités autres que le parlement, soit
nationales, soit locales.
En ce qui concerne les premières, le problème du fondement juridique du pouvoir réglementaire est
désormais résolu en termes exprès par la Constitution. En ce qui concerne les autorités locales, leur
compétence résulte de la loi. La jurisprudence, enfin, attache à la qualité de « chef de service» le
pouvoir de prendre les mesures réglementaires nécessaires au bon fonctionnement du service (CE.,
7 fév. 1936, Jamart, Gr. Ar., n° 56) ; ces mesures, à la différence des précédentes, ne s'imposent pas à
l'ensemble des citoyens, mais seulement à ceux qui entrent en rapport
avec le service.

L'étude du pouvoir règlementaire est un exemple intéressant d'application


du principe de la légalité, à un double titre: tout d'abord, le règlement est une
source de plus en plus importante de la légalité; mais en outre son édiction est
elle-même soumise à la légalité, et dans des termes souvent délicats, car les principaux règlements
administratifs (émanant de décrets et ordonnances) sont pris
par les plus hautes autorités de l'Etat.

§ 1. L'attribution du pouvoir règlementaire


Importance de la question : cette question touche à l'équilibre des pouvoirs dans l'Etat; en effet, le
pouvoir règlementaire donne à son auteur le droit d'émettre des règles générales et permanentes
applicables aux individus, c'est-à- dire de régir les conduites et les actes individuels; il n'est pas
indifférent de savoir avec précision dans quelle mesure ce pouvoir appartient aux autorités
administratives, naturellement plus sensibles que le législateur aux arguments d'autorité, d'efficacité
et d'ordre public. Le pouvoir règlement aire administratif
142
est dangereux pour les libertés individuelles; il est néanmoins nécessaire, et l'histoire montre son
accroissement continuel.

A. L'accroissement continuel du pouvoir règlementaire.

Selon l'équilibre réalisé en 1789, le législateur seul disposait du pouvoir de prendre des règles
générales; le pouvoir exécutif, dont l'appellation correspondait à la réalité, devait se borner à
prendre les mesures individuelles d'application. Mais très vite cet équilibre fut rompu au profit de
l'exécutif. Prenant acte des nécessités, la jurisprudence s'efforça d'en limiter les conséquences en
imposant le contrôle de légalité sur ces règlements. Quelques grandes étapes doivent être rappelées.

1. L'admission du pouvoir réglementaire d'exécution des lois fut d'abord progressivement


développée, le gouvernement étant invité à compléter l'œuvre du législateur tout en étant tenu de
respecter la loi et de rester dans le cadre de sa stricte application;
l'œuvre du juge fut d'affirmer que ces règlements avaient une nature d'acte administra-
tif (cf. plus loin).

2. Puis fut posé le problème de l'existence d'un pouvoir réglementaire autonome,


dont la source ne résulte plus d'une habilitation expresse du législateur mais de la détention, par
l'autorité administrative, d'un pouvoir propre, que l'on peut qualifier d'initial.
Cette question, largement débattue par la doctrine, fut finalement tranchée en faveur de
l'admission d'un pouvoir règlementaire autonome, mais seulement dans des cas particuliers; trois
arrêts limitent ces hypothèses aux nécessités du maintien de l'ordre public
(C.E. 8 sept. 1919, Labonne, Rec. 737; G.AJ.A. n ? 39 : il s'agissait du premier « Code
de la route» adopté par un décret de 1889), du fonctionnement des services publics
essentiels (C.E. 28 juin 1918, Heyriès, Rec. 651; S. 1922.3.49, Note Hauriou;
G.AJ.A. n°35; « Considérant qu'il lui incombe (au Président de la République) de veiller à ce qu'à
toute époque les services publics institués par les lois et règlements soient en
état de fonctionner ... ») et au bon fonctionnement des services administratifs (C.E. 7
févr. 1936, Jamart, Rec. 172; S. 1937.3.113, Note Rivero; G.AJ.A. n? 57).
Dans ces hypothèses limitatives, l'existence d'un pouvoir règlementaire autonome
est reconnu à certaines autorités administratives, en dehors de toute habilitation législative, mais à
la condition de respecter les lois existantes (sauf, comme dans l'affaire Hey-
ries, en cas de circonstances exceptionnelles, cf. plus loin), et sous le contrôle du juge
administratif. Un pas de plus, et d'importance, fut accompli par la Constitution
française de 1958, reprise sur ce point par la plupart des républiques d'Afrique francophone:
l'attribution d'un pouvoir règlementaire autonome de droit commun. (La jurisprudence s'efforça
alors de soumettre ces règlements aux principes généraux du droit).

Enfin, fut posé le problème du pouvoir réglementaire d'exception, permettant au


gouvernement de modifier les lois, après autorisation législative: c'est la question des
« lois de pleins pouvoirs» donnant naissance aux décrets-lois, posée lors de la crise de
1930, et qui ne fut jamais très nettement réglée jusqu'à sa consécration constitutionnelle
de 1958 (là aussi, le juge administratif résolut le problème en imposant son contrôle).

143
B. La situation actuelle.

A l'issue de cette évolution rapidement résumée, et dont les résultats furent repris à leur compte par
les Etats africains franco- phones, le problème de l'attribution du pouvoir règlementaire est résolu
de la façon suivante (les différentes rubriques, exposées ici, seront reprises et développées plus
loin).

1. L'attribution constitutionnelle

Elle concerne d'abord le pouvoir règlementaire d'exécution des lois, qui est un pouvoir
subordonné, accordé au premier ministre par l'art. 63 (de la Constitution
burkinabè).
La Constitution attribue également aux mêmes organes de l’exécutif un pouvoir règlementaire
autonome général pouvant s'exercer dans toutes les matières autres que celles réservées au
législateur (Art. 108).

Enfin, elle accorde un pouvoir règlementaire exceptionnel, pouvant être


exercé dans certaines conditions en matière législative: ce sont les ordonnances
de l'art. 107, prises « par le gouvernement» et signées par le Président du Faso.

2. L'attribution législative.

Dans les matières qui relèvent de la compétence législative, le parlement peut attribuer le pouvoir
règlementaire à diverses autorités administratives. Deux hypothèses sont ici à distinguer.
Tout d'abord, la loi peut conférer un pouvoir règlementaire permanent à
certains organes qu'elle institue: ainsi, pour les collectivités locales (pouvoirs du
maire et du conseil municipal) ou les établissements publics (la compétence
étant, en ce domaine, répartie entre le législateur et le gouvernement).
D'autre part, la loi peut renvoyer au pouvoir exécutif le soin de compléter
les normes posées par elles: il s'agit là d'une habilitation législative spéciale, distincte du pouvoir
général d'exécution des lois et portant sur des questions qui ne
relèvent pas des matières règlementaires.

3. L'attribution jurisprudentielle,

Dans l'exposé historique précédent, le juge administratif a admis certains cas de compétence
règlementaire. Cette jurisprudence n'est pas totalement périmée par l'extension de ce pouvoir
reconnue par les nouveaux textes constitutionnels; ainsi, la théorie des circonstances
exceptionnelles a pour effet une possibilité d'extension du pouvoir règlementaire; de même, la
jurisprudence Jamart précitée, qui confère un pouvoir règlementaire d'organisation et de
fonctionnement des services à tout chef de service peut être considérée comme toujours valable.

4. L'attribution par un acte administratif.


144
Le pouvoir règlementaire peut enfin être attribué, dans deux hypothèses, par un acte administratif.
D'une part, comme le législateur, le Président du Faso peut dans le cadre de sa compétence,
attribuer le pouvoir réglementaire de façon permanente aux diverses autorités administratives de
l'Etat; c'est là une source très importante de compétence en ce domaine: tous les textes relatifs à
l'organisation de l'administration centrale et territoriale contiennent certaines attributions de pouvoir
règlementaire. Par ailleurs, le pouvoir règlementaire peut faire l'objet d'une délégation de
compétence de la part de son titulaire, dans certaines conditions.
Toutes ces possibilités sont largement utilisées, aussi le pouvoir règlementaire est-il largement
réparti entre les diverses autorités administratives.

§.2. Les titulaires du pouvoir règlementaire

1° Pour l'État, la Constitution française de 1958, confirmant sur ce point celle de 1946, attribue en
principe le pouvoir réglementaire au Premier ministre (art. 21).
On sait que l’exercice du pouvoir réglementaire est une des attributions administratives importantes
dont le Président du Faso et le premier ministre ont la charge en vertu de la Constitution. Plus
précisément, ils sont ainsi investis du seul pouvoir réglementaire méritant la qualification de
général : il leur permet d’édicter des règlements en toutes matières (non réservées à la loi) et pour
toute l’étendue du territoire national. Exercé ordinairement par voie de décrets, il peut l’être aussi,
en vertu d’une habilitation législative spéciale, par voie d’ordonnances.

Le fait que deux autorités sont investies du pouvoir réglementaire général impose de déterminer la
compétence de chacune d’elles. Il faut alors envisager la répartition de la compétence.

La répartition de la compétence en droit français

Elle est une innovation de la Constitution de 1958. Sous les régimes antérieurs, une autorité unique,
chef du pouvoir exécutif, était investie par la constitution du pouvoir réglementaire général : le chef
de l’Etat jusqu’en 1946 ; le président du conseil des ministres sous la IVe République.

En vertu de l’article 21 de la Constitution de 1958, le pouvoir réglementaire général est au contraire


partagé entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement : le premier ministre exerce ce pouvoir
« sous réserve » des dispositions de l’article 13, c’est-à-dire sauf lorsque le projet de décret
réglementaire est délibéré en conseil des ministres.

De la façon dont le partage est organisé, il résulte évidemment que la compétence de principe
appartient au premier ministre, qui l’exerce par décrets contresignés, le cas échéant, par les
ministres chargés de leur exécution (art. 22). Le Président de la République n’est compétent que si
le projet a été soumis au conseil des ministres, qu’il préside, et ses décrets doivent être contresignés
par le premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables (art. 19).
145
Toutefois les règlements qui prennent la forme de décrets en conseil des ministres doivent être signés
par le président de la République; cette disposition a été interprétée comme lui transférant, dans ce
cas, la compétence réglementaire qui se trouve ainsi partagée. De plus, la pratique a consacré la
possibilité, pour le Président, de prendre dans certains domaines ne relevant pas de la délibération
en conseil des ministres des décrets réglementaires. Les décrets réglementaires émanent donc, tantôt
du président de la République, tantôt et le plus souvent du Premier ministre; ils sont, dans les deux
cas, contre- signés par les ministres chargés de leur exécution.

La répartition de la compétence en droit burkinabè


La Constitution procède à cette répartition à travers les dispositions constitutionnelles suivantes :

Article 47
Le Président du Faso préside le Conseil des ministres. Le Premier ministre le supplée dans les
conditions fixées par la présente Constitution.

TITRE IV
DU GOUVERNEMENT

Article 61

Le Gouvernement est un organe de l'Exécutif.


Il conduit la politique de la Nation; à ce titre, il est obligatoirement saisi:
- des projets d'accords internationaux;
- des projets et propositions de loi;
- des projets de textes réglementaires.
Il dispose de l'administration et des forces de défense et de sécurité.

Article 63
Le Premier ministre est le chef du Gouvernement ; à ce titre, il dirige et coordonne l'action
gouvernementale.
Il est responsable de l'exécution de la politique de défense nationale définie par le Président du
Faso.
Il exerce le pouvoir réglementaire conformément à la loi, assure l'exécution des lois, nomme aux
emplois civils et militaires autres que ceux relevant de la compétence du Président du Faso.

146
Article 99
L'ordonnance est un acte signé par le Président du Faso, après délibération du Conseil des
ministres, dans les domaines réservés à la loi et dans les cas prévus aux articles 103, 107 et 119 de
la présente Constitution. Elle entre en vigueur dès sa publication.

Article 100
Le décret simple est un acte signé par le Président du Faso ou par le Premier ministre et contresigné
par le ou les membres du Gouvernement compétents. Le décret en Conseil des ministres est un acte
signé par le Président du Faso et par le Premier ministre après avis du Conseil des ministres; il est
contresigné par le ou les membres du Gouvernement compétents.

Au Burkina Faso, le Premier ministre est le titulaire de droit commun du pouvoir règlementaire
autonome et subordonné au regard de l’article 63 al.3. Mais, le Gouvernement en tant qu’organe
collégial distinct du Premier ministre, est associé à l’exercice du pouvoir autonome règlementaire
(art. 61 al.4), puisqu’il délibère sur les « projets de textes réglementaires ». L’organe de délibération
est le Conseil des ministres.
Par ce biais, le Président du Faso intervient dans l’exercice du pouvoir règlementaire puisqu’il
préside le Conseil des ministres (art. 47) et signe les décrets délibérés en Conseil des ministres (art.
100).
Au total, trois (03) organes interviennent dans l’exercice du pouvoir règlementaire. Au regard de la
Constitution, le Premier ministre est le détenteur de droit commun du pouvoir règlementaire ;
cependant, l’exercice de ce pouvoir n’est pas son apanage exclusif : il le partage avec les deux (02)
autres organes constitutionnels. Dans ces conditions, on peut estimer que la Constitution aménage
un exercice conjoint et simultané du pouvoir règlementaire autonome.
2° Les ministres ne possèdent pas en propre un pouvoir réglementaire
général; ils participent seulement, par l'exercice du contreseing, à celui du Premier ministre et du
président de la République. Mais, en pratique cette participation suffit à mettre ce pouvoir à leur
disposition : les règlements sont le plus souvent élaborés dans le cadre des ministères, et le Premier
ministre ne fait en les signant, que leur conférer leur autorité. En outre, quelques textes accordent à
certains ministres un pouvoir réglementaire propre sur une matière déterminée. Enfin, la
jurisprudence qui reconnaît aux chefs de service un pouvoir réglementaire pour ce qui
concerne « le bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité» bénéficie en
premier aux ministres (CE., 6 oct. 1961, Union nationale des parents d'e1èves de l'enseignement libre,
R.D.P., 1961, p. 1271). Tout ceci leur confère en pratique des compétences importantes dans
l'exercice du pouvoir réglementaire au niveau national. Encore ces compétences leur apparaissent-
elles parfois insuffisantes. D'où la multiplication des dispositions à portée générale - règles
obligatoires pour les assujettis, ou directives, plus souples (infra, n° 92-2) - formulées par eux dans
des circulaires. Le juge, tout en admettant l'utilité de ces pratiques, n'a pas cru pouvoir aller jusqu'à
les légitimer en reconnaissant aux ministres le pouvoir réglementaire général que les textes ne leur
confèrent pas (CE., 23 mai 1969, Sté Distillerie Brabant, Rec., p.264, concl.
147
Mme Questiaux; 20 juil. 1988, 2 arrêts, Mlle Mingam et M. Maillard, A.J.D.A., 1988, p. 692).

3° Les autorités locales. Certains textes de loi reconnaissent aux organes des collectivités locales le
pouvoir de statuer par voie générale pour tout le territoire où s'exerce leur compétence, dans les
limites qui découlent du principe de légalité.

4° Certaines autorités professionnelles tiennent de la loi un pouvoir de réglementation dans le cadre de


la profession.

5° La jurisprudence a dégagé des hypothèses relativement à l’exercice du pouvoir réglementaire par


des personnes privées (infra, Chap. I consacré aux actes administratifs).

§ 3. La nature juridique du règlement

Ce problème a fait l'objet de certaines hésitations, provenant d'une assimilation de l'acte


administratif règlementaire à la loi, considérée, au sens matériel, comme étant elle aussi une règle
générale et permanente. Cette hésitation a été levée progressivement par une jurisprudence
constante.

A. Le règlement est un acte administratif.


Le problème s'est surtout posé à propos de textes règlementaires particulière-
ment importants, et très proches à certains égards de la loi, avec laquelle ils pouvaient être
confondus.

1. Le problème de la «délégation législative»


Tel fut le cas tout d'abord du Règlement d'administration publique. Cet
acte est un décret règlementaire pris en exécution des lois, sur injonction du législateur et après avis
du Conseil d'Etat; cette technique est utilisée lorsque le législateur, désirant limiter son intervention
dans une matière aux aspects essentiels, confie au gouvernement le soin de compléter la loi sur tel
et tel points (généralement les modalités et procédures d'application), ce que ce dernier accomplira
au moyen de « décret portant règlement d'administration publique», pris après consultation du
Conseil d'Etat. L'œuvre législative, dans sa globalité, résulte dès lors d'une collaboration du
Parlement et du Gouvernement, ce der- nier intervenant sur invitation ou délégation du premier.

Lorsque cette pratique, apparue sous la Constitution de l'an VIII, s'établit


sous une forme particulière, pendant la période de la Restauration, l'on admit
que ces règlements étaient d'une nature spéciale jouissaient d'une autorité égale
à la loi, et par suite étaient soustraits au contrôle juridictionnel. Et cette particularité était justifiée
par l'appel à la notion de « délégation législative».

Le problème se reposa plus tard avec l'apparition des « décrets-lois» et plus


148
récemment des ordonnances prises sur habilitation parlementaire (art. 107 de la Const. burkinabè)
: le gouvernement est habilité à intervenir dans le domaine réservé au législateur, avec pouvoir de
modifier le cas échéant, les lois existantes; n'exerce-t-il pas, là-aussi, le pouvoir législatif par
délégation? Ces deux catégories d'actes règlementaires, bien qu'émanant du gouvernement, n’ont-
ils pas une nature particulière du fait de leur contenu et de l'origine de la compétence ainsi exercée?

2. La solution jurisprudentielle, le règlement, acte administratif.

Saisi de recours contre de tels règlements, le juge administratif devait se prononcer sur
leur nature: il n'est en effet compétent que vis-à-vis des actes administratifs. Et
les réponses données en ces cas extrêmes d'exercice du pouvoir règlementaire,
contribuent, par leur netteté, à résoudre définitivement le problème de la nature juridique du
règlement. Deux arrêts, parmi de nombreux autres, seront seuls
cités: le premier, rendu en 1907 sur un recours porté contre un décret portant
règlement d'administration publique, tout en se référant encore à la notion de
délégation législative, n'en admet pas moins que l'acte en cause est un acte
administratif, susceptible de recours pour excès de pouvoir, parce qu'émanant
d'une autorité administrative (C.E., 6 déco 1907, Cie des chemins de l'Est, Rec.
913, Concl. Tardieu; S. 1908.3.1, Note Hauriou, concl. Tardieu; R.D.P.
1908.38 Note Jèze; D. 1909.3.57, concl. Tardieu; G.A.J.A. n° 19).

Un second arrêt, plus récent, est remarquable par l'importance de l'acte


attaqué (une ordonnance signée par le Chef d'Etat, prise sur habilitation d'une
loi référendaire) et par la netteté du raisonnement du juge: Le Président de la
République n'est pas habilité à exercer le pouvoir législatif, mais seulement
autorisé à intervenir dans le domaine de la loi au moyen de son pouvoir règlementaire. Dès lors,
l'acte émanant d'une autorité administrative est un acte administratif (C.E. 19 oct. 1962, Canal).

La théorie de la délégation législative est définitivement écartée; la nature


juridique d'un acte résulte du rang de son auteur, et il n'appartient pas à une
autorité constituée quelle qu'elle soit de modifier cette règle fondamentale. Seul
le pouvoir constituant peut fixer ou modifier cela.
Dès lors, un acte émanant d'une autorité administrative, quelque soit son contenu, ne peut avoir
que le caractère d'un acte administratif; c'est affirmer la supériorité des critères organico-formels
sur les critères matériels.

B. La nature juridique du règlement se distingue de celle de la loi.

La différence, essentielle, de la nature juridique respective de la loi et du règle-


ment est connue; on se bornera à quelques remarques (V. J. de Soto, La loi et le
règlement dans la Constitution de 1958, R.D.P. 1959.240).
La loi, émanant de l'organe ayant reçu pouvoir législatif, a une force juridique supérieure. Elle est
incontestable, c'est-à-dire insusceptible de tout contrôle juridictionnel dès lors qu'elle est définitive;
149
elle est également irréprochable (selon l'expression de Georges Vedel, Droit administratif, p. 46),
c'est-à- dire qu'elle ne saurait constituer une faute de nature à engager la responsabilité publique.
Cette solution, résultant de la tradition juridique française, s'explique
en considération de l'origine de la loi, expression de la souveraineté nationale
par l'organe parlementaire; les garanties qui entourent son édiction (débats parlementaires) rendent
moins nécessaire un contrôle juridictionnel. Il est évident que l'évolution de la pratique législative
rend plus discutable cette théorie de la loi. En revanche, le règlement, et plus généralement l'acte
administratif, émanant d'une autorité administrative se prononçant avec moins de garanties
d'impartialité, et ne disposant pas du même pouvoir, ont une nature juridique inférieure. Le
règlement est contestable, il peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel; il est également
reprochable, dans la mesure où il peut être constitutif d'une faute engageant la responsabilité
publique (cas du règlement illégal, par ex.). Il jouit dans la hiérarchie des actes juridiques, d'un
rang inférieur à la loi, et à la règle jurisprudentielle, et sa légalité est subordonnée au respect des
textes de rang supérieur.
Il convient cependant de noter que cette règle est parfois appliquée de façon
nuancée; dans certains cas, exposés plus loin, un acte administratif peut en effet valable-
ment modifier une loi; ainsi un règlement d'application d'une loi peut, dans le cadre de
cette loi, porter atteinte à d'autres dispositions législatives si cela est nécessaire; de
même, un règlement pris sur habilitation législative peut, dans le cadre de cette habilitation,
modifier des lois; de même enfin, le gouvernement, usant de son pouvoir règlementaire autonome,
peut modifier des lois intervenues dans le domaine des matières règlementaires, sous réserve que
soit intervenue la procédure de « délégalisation ».

S/Section 3. Les différents types de règlements administratifs.

Dans le cadre du pouvoir règlementaire étudié ci-dessus, les autorités administratives prennent des
actes qui, s'ils possèdent tous la nature juridique du règlement, n'en présentent pas moins des
différences dans leurs régimes juridiques. Etant donné l'importance du règlement comme source de
la légalité, l'étude des différents types de règlements est nécessaire; à cet égard, une première
distinction s'impose, selon la nature du pouvoir règlementaire exercé: pouvoir règlementaire
normal, tout d'abord, parce qu'accordé aux différentes autorités dans le cadre de leur compétence
ordinaire, pouvoir règlement aire exceptionnel ensuite, qui ne peut être exercé que dans certaines
circonstances particulières: les actes issus de chacune de ces compétences posent des problèmes
différents.

§ 1. L'expression du pouvoir règlementaire normal

Le pouvoir règlementaire normal, reconnu aux autorités administratives de façon ordinaire, a connu
une évolution considérable, ainsi qu'il a été exposé ci- dessus. Primitivement conçu comme une
habilitation à compléter les normes supérieures, donc subordonné à celles-ci, le pouvoir
règlementaire normal s'est progressivement étendu à une compétence autonome, pouvant être
exercée de façon indépendante: d'où la distinction importante entre pouvoir règlementaire
subordonné et pouvoir règlementaire autonome.

150
A. Le pouvoir règlementaire subordonné
1. La nécessité
C'est le pouvoir règlement aire « classique », qui a été reconnu en premier
lieu aux autorités gouvernementales, de prendre les mesures nécessaires à l'exécution des lois, de
façon à permettre leur application pratique. En effet, par la
force des choses, le législateur n'est pas toujours en mesure de fixer les moindres
détails nécessaires à l'application de la loi; il se borne à poser les normes générales, les principes de
la nouvelle règlementation ; (cette limitation de l'intervention du législateur tend à s'accroître du fait
de la technicité croissante des matières règlementées et du fait des dispositions constitutionnelles
limitant l'intervention législative aux règles et aux principes) ; et c'est au pouvoir « exécutif» au
sens original du terme que revient la charge de compléter l'œuvre législative: les règlements
d'application comprennent dès lors soit des détails
supplémentaires dans la réglementation, soit l'exposé des procédures pratiques
à suivre, soit la mise en place des structures nécessaires, afin que la loi puisse
effectivement s'appliquer dans les faits.

C'est essentiellement le gouvernement qui prendra ces mesures, par voie de


décrets, pouvant d'ailleurs être eux-mêmes complétés par des arrêtés
ministériels ou émanant d'autorité locales ou spécialisées. Cette intervention gouvernementale peut
s'accomplir spontanément, c'est-à-dire sans invitation expresse du législateur, en vertu des pouvoirs
propres dévolus à l'exécutif (ainsi
l'art. 63, al. 3 de la Constitution burkinabè, selon lequel « le premier Ministre
assure l'exécution des lois »). Le gouvernement peut également intervenir sur
« invitation ou habilitation législative» : la loi prévoit, pour tel ou tel aspect, que
ses dispositions seront complétées par voie de décret.

2. La nature et le régime juridiques des règlements subordonnés

L'analyse classique, élaborée avant que ne se systématise l'emploi du règle-


ment autonome, paraît la plus apte à rendre compte de ce problème. Ce règle-
ment est, ainsi qu'il a été dit plus haut, un acte administratif, puisqu'émanant
d'une autorité administrative. Mais, expression d'un pouvoir subordonné, il
trouve son fondement et ses limites dans la norme supérieure (la Loi) dont il
assure l'exécution, Par suite, sa légalité est conditionnée par le respect de cette
norme, et le contrôle juridictionnel consiste à rapprocher le décret de la loi; une
jurisprudence abondante peut ainsi être systématisée (voir p. ex. C.E. 29 janv.
1954, Instit. N.D. du Kreisker, Rec. 64; G.A.J.A. n ? 90).
- le règlement subordonné doit être pris dans le cadre du champ d'application de la loi;
- il ne doit rien ajouter à la loi, ni en plus (poser. des règles nouvelles), ni en
moins (retrancher ou poser des conditions restrictives à l'application de la loi),
sauf si la loi prévoit expressément la possibilité, en cas d'habilitation;
- il ne doit comprendre, d'une façon générale, que les mesures nécessaires
l'application de la loi.
151
C'est là la manifestation la plus nette de la subordination hiérarchique de
l'acte administratif à l'acte législatif. Notons cependant que la reconnaissance
d'un pouvoir règlementaire autonome peut compliquer cette solution relative-
ment simple, dans la mesure où un même décret peut contenir des mesures émanant à la fois des
deux types de pouvoir règlementaire : c'est alors au juge de faire le départ, et d'apprécier
distinctement, selon les règles respectives, les dis- positions émanant du pouvoir subordonné et du
pouvoir autonome (cf. comme exemple, de ce double contrôle, l'arrêt C.B. du 27 janv. 1961,
Daunizeau, cité ci-dessus).

B. Le pouvoir règlementaire autonome

Ce pouvoir règlementaire, dont l'apparition et le développement ont été


exposés ci-dessus, est consacré par la Constitution (art. 37 de la Constitution
française, art. 108 de la Constitution burkinabè). Il présente des particularités
importantes.

1. La nature juridique du règlement autonome.

Le règlement autonome résulte de la combinaison de deux dispositions constitutionnelles: l'art. 63


qui accorde au Premier Ministre, d'une façon générale, le pouvoir règlementaire et l'art. 108 qui
définit le champ d'application de ce pouvoir selon des critères matériels, en posant la notion de «
matières de caractère règlementaire» ; c'est dans les questions relevant de ces matières que s'exerce
le pouvoir règlementaire autonome.
Celui-ci présente une différence fondamentale avec le pouvoir règlement aire
subordonné: les actes pris en vertu de ce pouvoir ne sont plus subordonnés à la
loi. En effet, et c'est une des innovations les plus importantes de la Constitution
française de 1958, reprise sur ce point par la plupart des chartes suprêmes des
Républiques africaines francophones dès 1960, la compétence du législateur est
limitée aux matières dites législatives dont la liste, limitative, est donnée par la
Constitution (art. 56, const. sénégalaise); en dehors de cette liste, s'ouvre le
domaine de la compétence règlementaire, qui est infinie, puisque définie à
contrario ( « les matières qui ne sont pas du domaine législatif en vertu de la présente Constitution,
ont un caractère règlementaire »). Et, dans ce domaine règlementaire, le gouvernement peut
intervenir « souverainement», sans être tenu de respecter les lois existantes qui, en principe, sont
absentes, le parlement n'étant pas compétent pour y intervenir.
De ce fait, ce pouvoir règlementaire subit une triple novation:
- c'est un pouvoir INITIAL, dans la mesure où il n'est plus dérivé de la
loi, mais trouve sa source directement dans la Constitution.
- c'est un pouvoir INCONDITIONNÉ, qui n'est plus subordonné au respect des lois existantes.
- c'est un pouvoir ILLIMITÉ, de droit commun, dont le champ d'application ne peut figurer dans
152
une liste, alors que le pouvoir règlementaire subordonné se limite au champ d'application de la loi.
.
Dès lors, l'on a pu affirmer que le gouvernement devenait le « législateur de
droit commun », le parlement n'étant que «législateur d'exception» lorsque la
question intéressée figure sur la liste limitative des matières législatives.
Cette importante transformation du règlement a amené à poser dans des termes différents le
problème de la nature juridique: étant une règle générale, initiale et inconditionnée, le règlement
autonome ne se trouve-t-il pas au même-niveau que la loi, n'étant comme celle-ci subordonné qu'à
la Constitution, seule norme supérieure?

La doctrine et la jurisprudence ont, ainsi qu'il a été exposé plus haut


répondu négativement (ainsi C.E. 26 juin 1959, Syndicat Général des Ingénieurs conseils, cité, et
R. Chapus, de la soumission au droit des règlements autonomes, D. 1960, chr. 119): le règlement
autonome, émanant d'une autorité administrative, est un acte administratif figurant, dans la
hiérarchie des normes, à un niveau inférieur à la loi (et aux règles jurisprudentielles, dont les
principes généraux du droit). Et si ce règlement n'est plus subordonné aux lois, ce n'est
pas parce qu'il est égal à la loi, mais bien parce qu'il n'y a plus de loi en ce
domaine.

2. Le régime juridique du règlement autonome.

Le régime juridique se déduit des développements précédents. La légalité du règlement autonome


est subordonnée au respect de la Constitution (il ne doit pas intervenir dans une
matière relevant de la loi et évidemment ne pas contredire une disposition constitutionnelle; cf.
C.E. 12 févr. 1960, Soc. Eky, rec. 101; S. 1960.131. concl.
Kahn), et des principes généraux du droit. Et cette légalité pourra éventuelle-
ment être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir, de même d'ailleurs
qu'un règlement illégal est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

Il convient d'ajouter que ce règlement est, en réalité, également subordonné


à la loi formelle; en effet, le gouvernement ne peut, de piano, modifier une disposition législative
existante, même si celle-ci est intervenue dans le domaine règlementaire.

Dès lors qu'une loi existe, le gouvernement ne peut la modifier en vertu de


son pouvoir règlementaire autonome; du moins pas avant que soit intervenue la
procédure de déclaration de la nature de cette loi.

C. L'unité du pouvoir règlementaire normal


Au delà des différences relevées, le pouvoir règlementaire normal conserve
donc une unité certaine: c'est le même pouvoir, conféré par l'art. 37 de la Constitution, exercé dans
des conditions identiques sous forme de décrets par les
mêmes auteurs. Les règlements ainsi émis ont la même nature juridique: des
actes administratifs, situés au même niveau dans la hiérarchie des actes juridiques. Ils sont soumis à
153
un régime juridique identique, tenus de se conformer aux
dispositions contenues dans les normes de rang supérieur (Constitution - Lois-
Principes généraux du droit), sous le contrôle du juge administratif. Ce qui
explique, ainsi qu'il a été relevé plus haut, qu'un même décret est souvent l'ex-
pression des deux pouvoirs règlement aires, subordonné et autonome.
La distinction n'en demeure pas moins importante, et joue au niveau des
conditions de légalité: autrement dit, lorsque le gouvernement use de son pou-
voir règlementaire de l'art. 37, la marge d'initiative dont il dispose légalement
varie selon la matière abordée; en matière règlementaire, l'initiative est libre,
sous les réserves indiquées. En matière législative en revanche, le gouvernement
doit se borner aux mesures d'exécution de la loi. Ceci explique que le contrôle du
juge de l'excès de pouvoir s'exerce de façon différente selon la nature de la dis-
position (cf. C.E. 27 janv. 1961, Daunizeau, cité supra).
Ainsi donc, les innovations constitutionnelles de 1958 n'ont pas bouleversé
l'essentiel des données antérieures: la loi et le règlement demeurent deux actes
juridiques différents et inégaux, qui se définissent par les conditions organiques
de leur édiction (émanant respectivement de l'organe législatif ou règlementaire); la loi demeure la
norme supérieure incontestable dès lors qu'elle est définitive, alors que le règlement est un acte
contestable. L'apport, essentiel, réside en la limitation du domaine de la loi, et l'extension parallèle
du domaine du règlement. A cela, qui correspond aux périodes normales, il convient d'ajouter les
extensions exceptionnelles du pouvoir des autorités gouvernementales (voir ci-dessous) ; au total, le
principal bouleversement est politique et non juridique: l'amoindrissement de la subordination du
gouvernement au parlement.

§ II. L'expression du pouvoir règlementaire exceptionnel

Pour faire face à certaines circonstances particulières, la Constitution


accorde aux autorités gouvernementales un pouvoir règlementaire exceptionnel; il est exceptionnel
à la fois dans ses conditions d'utilisation, dans la mesure
où il ne peut s'exercer que dans des conditions particulières, pendant une courte
période, et dans son régime juridique: les différents actes pris en vertu de ce pou-
voir' présentent des particularités certaines.

L'étude des conditions d'exercice de ce pouvoir, de leurs justifications et de


leurs significations relève du droit constitutionnel. On se bornera à rappeler ici
que les constituants français de 1958, tirant la leçon des expériences des Républiques précédentes,
ont cru nécessaire de prévoir et règlementer les différentes
situations où il apparaîtrait nécessaire que soient accrus les pouvoirs juridiques
des autorités gouvernementales. Les républiques francophones d'Afrique, en
1959 et 1960, ont en général repris ces innovations précieuses. Soit telles
quelles, soit au prix de quelques aménagements. Trois situations sont distinguées, correspondant à
des circonstances distinctes, et donnant naissance à des
situations juridiques différentes.

154
A. Les ordonnances sur habilitation législative

Article 107
Le Gouvernement peut, pour l'exécution de ses programmes, demander à l'Assemblée l'autorisation
de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du
domaine de la loi.
Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil constitutionnel. Elles
entrent en vigueur dès leur publication, mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification
n'est pas déposé devant l'Assemblée avant la date fixée par la loi d'habilitation.
Al' expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent
plus être modifiées que par la loi dans celles de leurs dispositions qui sont du domaine législatif.

C'est la constitutionnalisation d'une pratique antérieure, dite des « décrets-


lois», contestée sous la IVe République et remplacée par la technique de la « délégation» et de la «
loi cadre». Selon l'art. 38 de la constitution française, repris par l'art. 107 de la constitution
burkinabè, le parlement peut habiliter le gouvernement à prendre, par ordonnance, « des mesures
qui sont normalement du domaine de la loi» ; il s'agit donc d'une extension
occasionnelle des pouvoirs juridiques du gouvernement, habilité à modifier éventuellement des lois
existantes.
a. Nature juridique des ordonnances
Par la loi d'habilitation, l'Assemblée nationale autorise le gouvernement à
faire «œuvre législative», c'est-à-dire à prendre des mesures dans le domaine
normalement réservé à la loi. D'où le problème de la nature juridique des actes
ainsi pris, émanant des autorités gouvernementales, donc administratives, mais
contenant des dispositions relevant de la seule compétence parlementaire en
matière législative. Ces ordonnances apparaissent administratives d'un point de
vue organique, mais législatives d'un point de vue matériel.

L'explication d'une délégation provisoire du pouvoir législatif, par le parle-


ment au profit du gouvernement a été écartée (cf. supra): le gouvernement n'exerce pas le pouvoir
législatif par délégation, les ordonnances ne sont pas des actes législatifs. L'habilitation ne porte pas
sur le pouvoir juridique, mais sur le
domaine de la compétence: c'est selon l'analyse parfaite du juge administratif,
une habilitation temporaire à exercer le pouvoir réglementaire dans un domaine
qui lui est normalement fermé. Par suite, l'ordonnance, parce qu'émanant d'une
autorité administrative, conserve le caractère d'un acte administratif, pouvant
faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (C.E., 24 nov. 1961, Fédération
nationale des syndicats de police. Rec. 658; D. 1962.424, note Fromont;
A.J.D.A. 1962.114, note A.J.; S.1963.59, note Hamon). Les critères organiques sont déterminants.

b. Régime juridique des ordonnances

155
L'habilitation législative correspond à un abandon de pouvoir par le parlement; en France, plus
encore, c'est un véritable dessaisissement, le parlement n'ayant plus le droit d'intervenir dans les
matières concernées pendant la période d'habilitation. Aussi un régime juridique assez strict existe-
t-il.

Les limites de l'habilitation


D'une part, l'habilitation doit comporter des limites précisées par la loi:
limite de temps (pas plus de quelques mois en général), limite de compétence (les
matières concernées doivent être cernées avec une relative précision) ; prise au
delà de ce délai, ou en dehors de ces matières, l'ordonnance serait irrégulière.
Par ailleurs, l'ordonnance elle-même a une durée limitée; d'une façon plus
précise, l'ordonnance, acte administratif, entre en vigueur normalement dès sa
signature par le Président du Faso. Sa vie ne peut cependant dépasser le
délai (très court) fixé par la loi d'habilitation: au delà, elle est caduque et disparaît de l'ordre
juridique; le mandat accordé au gouvernement n'est donc pas illimité.
Cette caducité peut cependant être évitée par le dépôt d'un projet de loi de
ratification sur le bureau de l'Assemblée nationale avant l'expiration du délai
fixé. Dès lors, la vie de l'ordonnance se poursuit.

Effet du dépôt de projet de loi de ratification

Si ce dépôt est effectué avant l'expiration du délai d'habilitation, il a pour


seul effet, par lui-même, de maintenir en vigueur l'ordonnance concernée qui
sans cela, deviendrait caduque. Mais il n'a aucun effet sur la nature juridique de
l'ordonnance qui demeure un acte administratif aussi longtemps que le projet de
loi n'est pas adopté par l'Assemblée (il peut ne l'être jamais, l'organe législatif
n'examinant pas ce texte, et par suite ne se prononçant ni positivement, ni négativement:
l'ordonnance demeure, mais en tant qu'acte administratif)

Effet de l'expiration de la période d'habilitation


La fin de cette période n'a également aucun effet sur la nature juridique de
l'ordonnance qui demeure un acte administratif sauf si elle a été ratifiée. Mais
dorénavant, le gouvernement n'est plus habilité à intervenir dans les matières
législatives; dès lors, dans la mesure où l'ordonnance comporte des dispositions
relevant de ces matières, elle ne peut plus être modifiée par le gouvernement, qui
n'a plus le pouvoir conféré par l'habilitation temporaire. Seule une loi peut y porter atteinte.

Effet de la ratification parlementaire


En revanche, l'adoption de la loi de ratification emporte novation: Ce parlement reprend à son
compte la mesure (en la modifiant le cas échéant), qui dès lors prend la nature d'une loi (notons que
la pratique française admet la ratification implicite par simple allusion). Le rejet du projet de loi de
ratification par le parlement entraîne en revanche l'abrogation des ordonnances.
156
Contrôle juridictionnel de l'ordonnance
Aussi longtemps qu'elle demeure de nature administrative, l'ordonnance
peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel par le juge de l'excès de pouvoir.
Ce contrôle est certes nécessairement limité: le juge vérifie la conformité de cet
acte par rapport à la loi d'habilitation; qui ne doit pas être violée ou outrepassée;
il peut également sanctionner la violation éventuelle des principes généraux du
droit lorsque la loi d'habilitation ne le permettait pas expressément (cf. C.E., 19
oct. 1962, Canal et autres, précité).

B. Les « mesures présidentielles» de l'art. 59 (art. 16 de la Constitution française)


Constitution du Burkina Faso
Article 59
Lorsque les Institutions du Faso, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou
l'exécution de ses engagements sont menacées d'une manière grave et immédiate et/ou que le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président du Faso
prend, après délibération en Conseil des ministres, après consultation officielle des Présidents de
l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, les mesures exigées par ces circonstances. Il en
informe la Nation par un message. En aucun cas, il ne peut être fait appel à des forces armées
étrangères pour intervenir dans un conflit intérieur. L'Assemblée nationale se réunit de plein droit et
ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels.

Constitution française

Art. 16

Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire


ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate
et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président
du Faso prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier
Ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel.

Il en informe la Nation par un message.

Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels,
dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil Constitutionnel est
consulté à leur sujet.

Le Parlement se réunit de plein droit.

L’Assemblée Nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels.

157
Après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi
par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante
sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se
prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et
se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs
exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.

L'article 59 est inspiré de l'art. 16 de la Constitution française qui autorise le Président du Faso à
exercer une véritable « dictature à la romaine» : il dispose alors, sur sa seule initiative, de pouvoirs
extrêmement vastes, lui permettant en particulier de modifier les lois. Il s'agit donc d'une extension
de ses pouvoirs différente des précédentes.

1. Cadre général d'application de l'art. 59


L'art. 59 ne peut s'appliquer que si certaines conditions de fond et de forme
sont réunies; dès lors, le président dispose de pouvoirs importants, mais néanmoins non illimités.
Ce sont là des questions qui relèvent du droit constitutionnel, on se bornera à quelques rapides
précisions.
Les conditions de fonds sont relativement précises: elles sont doubles:
Il doit, d'une part, exister une menace grave et immédiate, pesant sur les institutions
elles-mêmes (hypothèse de subversion intérieure), ou sur l'intégrité du territoire, l'indépendance
nationale, l'exécution des engagements internationaux (il s'agit là plutôt d'une
menace extérieure ou d'une grave crise nationale).
En outre, et simultanément, l'Etat doit être paralysé; plus précisément, le fonctionnement régulier
des institutions doit être interrompu, les mécanismes constitutionnels et
administratifs doivent donc être dans l'impossibilité de faire face à la situation.
Si ces conditions sont réunies, le Président du Faso prend la décision d'appliquer l'art. 59 après
délibération en Conseil des ministres. L’intervention de cette instance introduite avec la réforme
constitutionnelle du 22 janvier 2002 est en contradiction avec l’article 57 de la Constitution qui
dispense du contreseing le recours à l’article 59 ci-dessus. Initialement, l’article 59 est rangé dans
les pouvoirs propres du Chef de l’Etat.

Il ne peut mettre en application l’article 59 qu'après avoir informé la Nation par un message; de
plus, l'Assemblée nationale se réunit de plein droit, et ne peut être dissoute, c'est une
condition supplémentaire. De plus, il lui est fait interdiction de faire appel à des forces armées
étrangères pour intervenir dans un conflit intérieur.
Enfin, dans ce cadre, le Président du Faso bénéficie d'une extension de ses
pouvoirs: il peut prendre toute mesure, portant donc aussi bien en matière législative
que règlementaire, sous la réserve que les mesures tendent effectivement à faire face à la
situation (en France) et ne portent pas atteinte à la Constitution.

2. Nature juridique des mesures présidentielles

a) La décision de recourir à l'article 16

158
Tout d'abord, la décision elle-même de recourir à l'art. 16 soulève certains
problèmes: en effet, la régularité de cette décision est subordonnée au respect de
certaines conditions; quelle est sa nature juridique, et par suite qui peut en
contrôler la régularité? La réponse a été donnée par le Conseil d'Etat français:
il s'agit d'un acte de gouvernement (v. infra, sur cette notion), par suite insusceptible de tout
contrôle de régularité, qu'il s'agisse de la légalité de la décision ou de
sa durée d'application (C.E. 2 mars 1962, Rubin de Servens et autres. Rec.
143; R.D.P. 1962.288, Note Berlia et concl. Henry; D. 1962.109, chr.
Morange; S. 1962.147, Note Bourdoncle; J.C.P. 1962.1.1711, chr. Lamarque,
11.12613, concl. Henry; G.A.J.A.); il s'agirait d'une mesure concernant
les rapports entre pouvoirs constitutionnels; cette qualification est conforme à
la jurisprudence, même s'il peut paraître discutable qu'une telle décision ne
puisse faire l'objet d'aucun contrôle (si ce n'est politique, par le parlement).
b) Les mesures prises en application de cet article

Les mesures prises en vertu des pouvoirs exceptionnels ainsi détenus appel-
lent d'autres solutions.
Pour celles d'entre elles qui relèvent des matières règlementaires, leur nature administrative ne fait
pas de doute; cette interprétation logique peut être déduite, a contrario, de l'arrêt C.E. 2 mars 1962,
Rubin de Servens et autres, cité. Il en va de même évidemment des mesures individuelles
d'application qui constituent des actes administratifs. Toutes ces mesures peuvent faire l'objet du
contrôle juridictionnel, dont la portée toutefois peut être limitée, par suite de leur caractère de
mesure d'exécution d'une disposition de nature législative insusceptible de contrôle indirect, et par
le jeu éventuel de la théorie des circonstances exceptionnelles, susceptible de s'appliquer en cette
occasion (C.E. 23 oct. 1964, d'Oriano, Rec. 486; D. 1965.9, Note Ruzié; R.D.P. 1960-.282, concl.
M. Bernard; A.J.D.A. 1964.684, chr. Mme Puybasset et Puissochet; voir également C.E. 13 juill.
i965, Gauthier, Rec. 436 et C.E. 22 avr. 1966, Sté Union Africaine de Presse, Rec. 276; J.c.P.
1966.11.14805, concl. Galmot, note Drago).

159
Les mesures prises par le Président de la République
dans le cadre des pouvoirs exceptionnels
L'article 16 énonce qu'en cas de crise majeure, le Président prend les
mesures exigées par les circonstances. Cela signifie qu'il concentre tous les pouvoirs entre ses
mains, pouvoir exécutif et pouvoir législatif
Dans ce cadre, le Président peut prendre des mesures d'application dispensées de contreseing
(décisions législatives ou réglementaires et décrets pour les mesures individuelles
d'application). Elles doivent être soumises pour avis au Conseil constitutionnel (dont l'avis
n'est pas publié).
Les mesures qui relèvent du domaine de la loi sont contrôlées par le
Conseil constitutionnel dans le cadre de sa simple compétence consultative. En revanche, les
mesures qui relèvent du domaine réglementaire peuvent faire l'objet d'un véritable contrôle
juridictionnel de la part du Conseil d'État. Ainsi la Haute juridiction administrative en a-t-elle
décidé dans l'arrêt d'Assemblée du 2 mars 1962 Rubin de Servens* (GAJA
n° 96, Rec. Lachaume, p. 442). De même, les mesures individuelles d'application peuvent être
déférées au Conseil d'État (CE, 23 octobre 1964, D'Oriano, Rec., p. 486).
Les mesures prises par le Président dans le cadre de l'article 16 s'imposent à l'administration.
Simplement, selon qu'elles ont un caractère législatif ou réglementaire, elles sont
intouchables », peuvent être contrôlées et donc annulées par le juge administratif.

- 1 ° L'article 16 et la distinction de la loi et du règlement. - On sait qu'en vertu de


ce texte, le président de la République, en cas de crise nationale grave, « prend les mesures
exigées par les circonstances ».
L'appiication.del'article 16 déborde largement le problème de la distinction de la loi et du-
règlement : elle aboutit en effet à mettre à la disposition du président de la République la
totalité des pouvoirs qui s'exercent dans l'Etat ou plus précisément de ceux qu'il juge
nécessaires pour faire face à la crise.
Dès lors, les «mesures» prises par lui peuvent comprendre non seulement des décisions 160
générales dans les domaines tant législatif que réglementaire et modifiant ou complétant les
textes antérieurs, mais encore des décisions particulières, conformes ou non aux lois et
règlements.
Il faut noter que le recours à l'article 16 n'a pas nécessairement une portée générale: dans la
le pouvoir réglementaire peuvent, en période d'application de l'article 16, continuer à exercer
leurs compétences selon les règles normales : telle a été la situation entre la décision du 23 avril
1961 inaugurant cette application, et celle du 29 septembre 1961 y mettant fin.
- 2° Régime juridique des actes pris en vertu de l'article 16.Ces actes, qui ont reçu le
nom de « décisions », sont pris après avis du Conseil constitutionnel, sous la seule signature du
président de la République.
Le problème de leur nature juridique, très discuté en doctrine, a été résolu par le Conseil d'État
sur la base d'une distinction:
a) La décision de mise en vigueur de l'article 16 constitue un acte de gouvernement, et
échappe à ce titre au contrôle du juge.
b) Les décisions prises sur la base de l'article 16 restent définies par la matière sur laquelle elles
portent: si cette matière est législative, la décision emprunte la nature de la loi, et ne peut être
déférée au juge ; si elle est règlementaire, la décision est considérée comme un règle-
nient, et sa conformité au droit peut être vérifiée (C.E., Rubin de Servens)
La solution témoigne du souci qu'a eu le Conseil d'État de maintenir dans un cadre de légalité,
autant que faire se pouvait, l'exercice de pouvoirs qui, a priori, semblaient
devoir y échapper; mais, quelle que soit sa valeur de principe, sa portée pratique ne peut qu'être
faible (en ce sens: C.E., 13 juillet 1965, Gauthier, A. J., 1965, p. 473). En effet, celles des
décisions qui portent, au droit antérieur, les plus graves atteintes, notamment en matière de
libertés, relèvent nécessairement, de ce fait même, du domaine de la loi, et échappent au
contrôle du juge.

161
C. Les ordonnances sur habilitation constitutionnelle

Art. 103

L'Assemblée nationale est saisie du projet de loi de finances dès l'ouverture de la deuxième session
ordinaire.
Les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance si l'Assemblée ne s'est pas
prononcée dans un délai de soixante jours suivant le dépôt du projet et que l'année budgétaire vient
à expirer. Dans ce cas, le Gouvernement convoque une session extraordinaire, afin de demander la
ratification. Si le budget n'est pas voté à la fin de la session extraordinaire, il est définitivement
établi par ordonnance.
Si le projet de loi de finances n'a pu être déposé en temps utile pour être voté et promulgué avant le
début de l'exercice; le Premier ministre demande d'urgence à l'Assemblée l'autorisation de reprendre
le budget de l'année précédente par douzièmes provisoires.

Art. 119.

En cas d'urgence déclarée par le Gouvernement l’Assemblée doit se prononcer sur les projets de
loi dans un délai de quinze jours. Ce délai est porté à quarante jours pour la loi de finances. Si à
l'expiration du délai aucun vote n'est intervenu, le projet de loi est promulgué en l'état, sur
proposition du Premier ministre par le Président du Faso sous forme d'ordonnance.

Ces ordonnances, contrairement à celles prévues par l’article 107, sont prises en dehors de toute
habilitation législative. Le seul problème à leur sujet concerne leur statut juridique. A propos des
ordonnances prévues à l’article 103, la référence à la ratification du Parlement prouve que ces
ordonnances ont vocation à devenir des actes législatifs comme les ordonnances de l’article 107.
Cependant, la ratification peut ne pas avoir lieu. Cela n’aura aucune incidence sur la nature
législative de ces ordonnances.

162
Concernant l’article 119, la nature de l’ordonnance en cause est sans conteste législative puisque,
l’ordonnance aux termes de l’article 99, intervient « dans les domaines réservés à la loi » en visant
le cas des ordonnances de l’article 119.

Mais, les ordonnances de l’article 119 présentent une particularité en droit burkinabè : elles font
l’objet de promulgation. Ceci paraît en contradiction avec l’article 99 qui prévoit que les
ordonnances entrent en vigueur dès leur publication.

La promulgation n’est concevable que pour les lois.

TITRE II : Les Moyens Juridiques

L'action administrative s'exerce par des moyens juridiques. Ces moyens


comprennent aussi bien des actes juridiques que des actes matériels.

Les actes administratifs sont des actes juridiques, c’est-à-dire des manifestations de
volonté destinés à produire des effets de droit (définition des actes juridiques). Par
là-même, les actes administratifs diffèrent des actes matériels. Certes, ces derniers
manifestent aussi une certaine volonté. Mais ils visent à produire, non pas des effets
de droit, mais des réalisations concrètes, voire tangibles - exécution matérielle.

De manière générale, les actes juridiques englobent toutes les manifestations de


volonté en vue de produire des effets de droit qu'elles soient unilatérale ou
contractuelle. Ainsi entendu, les actes juridiques recouvrent les actes administratifs
unilatéraux (chap. 1) que les actes contractuels (chap. 2).

163
CHAPITRE I : Les actes administratifs unilatéraux

L'acte administratif unilatéral constitue à la fois le procédé le plus courant et le


164
plus original de l'action administrative. Aussi convient-il de l'identifier au sein des
actes juridiques de l'administration (Section I), de dresser une typologie des actes
administratifs unilatéraux (Section II) avant d'examiner son régime (Section III).

Section I : Identification de l'acte administratif unilatéral

L'étude de l'acte administratif unilatéral constitue une matière complexe et variée. Il


n'est pas toujours aisé de reconnaître un acte administratif unilatéral.

A quelles conditions un acte apparaît-il comme un acte administratif ?

On devrait affiner la question de la manière suivante :

- d’abord, qu’est-ce qui fait que cet acte est unilatéral ?

- ensuite, qu’est-ce qui fait que cet acte unilatéral est un acte administratif ?

En conséquence, pour dire à quoi l’on reconnaît un acte administratif unilatéral, on doit

- d’abord dire à quoi l’on reconnaît le caractère unilatéral de l’acte


§.1. - Acte unilatéral et acte plurilatéral
- ensuite dire à quoi l’on reconnaît le caractère administratif de cet acte unilatéral.

Ce n’est pas le nombre de leurs auteurs qui distingue substantiellement l’acte


unilatéral de l’acte plurilatéral - le critère de la distinction n’est pas quantitatif.

Bien entendu, un acte qui n’a qu’un seul auteur est nécessairement unilatéral.

Mais un acte qui a plusieurs auteurs n’est pas nécessairement un acte plurilatéral.
En effet, comme l’acte plurilatéral, l’acte unilatéral peut fort bien avoir plusieurs
auteurs.

Exemple d’actes administratifs unilatéraux ayant plusieurs auteurs: un arrêté


interministériel ou un arrêté pris conjointement par deux maires pour réglementer
un domaine commun à leurs deux communes.

165
Ainsi, lorsqu’on se retrouve en présence d’un acte qui a plus d’un auteur, on ne peut
savoir en considérant seulement le nombre de ses auteurs s’il est ou non un acte
unilatéral. C’est dire que le critère de la distinction n’est pas d’ordre quantitatif.

Ce qui est déterminant, c’est le contenu de l’acte. Ou bien, il est tel que l’acte est
destiné à régir le comportement de personnes qui sont étrangères à son édiction,
c’est-à-dire qui sont des tiers par rapport à lui. Ou bien, il est tel que l’acte est
destiné à régir les relations réciproques de ses auteurs. Au premier cas, il est un acte
unilatéral. Au second cas, il est un acte bilatéral (ou plurilatéral) ou, pour employer
un terme plus usuel, il est un contrat.

Pour résumer, l’acte unilatéral traite de la situation de personnes étrangères à son


édiction tandis que l’acte contractuel ne traite que des rapports mutuels de ses
auteurs. Plusieurs observations sont à formuler à l’appui de ce critère qualitatif.

La précision de ce que, dans un acte unilatéral, les auteurs n’en sont pas les
destinataires exclusifs est nécessaire pour tenir compte du fait que, même s’il est
destiné principalement à s’appliquer à des tiers par rapport aux auteurs, cet acte
s’impose aussi à ces derniers. L’adage tu patere legem quam ipse fecisti commande
aux autorités administratives de respecter les actes unilatéraux qu’elles ont posés,
du moins tant qu’elles ne les ont pas modifiés ou supprimés. L’acte unilatéral
comme l’acte contractuel lient donc leurs auteurs ; la différence entre eux réside
dans le fait que l’acte unilatéral ne borne pas ses effets à ses auteurs.

La notion d’auteur, décisive dans la distinction entre l’acte unilatéral et l’acte


contractuel, mérite d’être précisée. La qualité d’auteur d’un acte doit être réservée
aux personnes dont la participation est déterminante quant à l’existence de cet
acte. Cette définition exclut de la notion les personnes dont la participation à l’acte
n’est déterminante que de son contenu. Cela explique que ne soient pas considérés
comme auteurs de l’acte, les organismes qui – en « amont » - sont intervenus au
cours de son élaboration à titre consultatif, ou les futurs destinataires, lorsqu’ils ont
pu peser sur les dispositions édictées dans le cadre d’une concertation préalable. La

166
notion d’auteur n’inclut pas plus les personnes dont la participation n’est
déterminante – en « aval » - que de l’effectivité de l’acte.

Ainsi de l’individu qui doit acquiescer à l’acte le nommant fonctionnaire. Cet acte
reste purement unilatéral bien qu’il soit subordonné à l’accord de son bénéficiaire.
La situation était identique dans le système d’approbation des actes des autorités
décentralisées antérieur à 1982 (CE, sect., 19 mars 1965, Sieur J-L Sévère et
Caraman, Rec. CE. p. 180, AJDA 1965. 469, chron. Puybasset et Puissochet, D. 1966.
162, concl. Galabert).

La doctrine souligne pourtant souvent l’importance du consentement dans la


distinction entre l’acte unilatéral et l’acte contractuel. Le second serait consenti, le
premier imposé. Mais autant l’existence d’un consentement est indispensable à
l’apparition d’un contrat, autant il est aujourd’hui souvent difficile d’affirmer que
l’absence de consentement est la condition de l’acte unilatéral. Nombre de ces actes
bénéficient, en effet, du consentement de leurs destinataires.

Ne relèvent pas de cette hypothèse, les actes dont l’édiction est subordonnée à une
demande de l’intéressé (par exemple, un permis de construire) : si cette demande
reflète bien la volonté du pétitionnaire d’obtenir l’acte en cause, elle est dépourvue
d’influence sur le sens et le contenu de la décision prise in fine par l’autorité
administrative compétente. En effet, le consentement est évidemment absent
quand la demande débouche sur un refus ou sur la délivrance de l’autorisation
sollicitée mais assortie de conditions restrictives.

Ce n’est pas non plus l’absence de consentement du destinataire qui distingue


substantiellement l’acte unilatéral de l’acte plurilatéral.

Certes, beaucoup d’actes administratifs unilatéraux sont pris sans le consentement


de leurs destinataires.

167
Mais il existe un grand nombre d’actes administratifs unilatéraux qui n’ont pu être
pris qu’avec le consentement de leurs destinataires.

Le véritable critère de distinction, c’est la situation juridique du destinataire de


l’acte.

En effet, un acte a toujours un destinataire : la personne dont il régit le


comportement. Cette personne est identifiable ou non.

Mais, ce qui compte au regard de la distinction acte unilatéral - acte plurilatéral,


c’est la réponse à la question suivante : est-ce que le destinataire est aussi,
juridiquement, l’auteur de l’acte ?

Si oui, on est en présence d’un acte plurilatéral, d’un contrat, avec au moins deux
parties, deux côtés. Sinon, il s’agit d’un acte unilatéral.

Cette définition illustre toute la distance qui sépare le droit du réel. Dans les faits,
nombre d’actes unilatéraux sont négociés par leurs destinataires. Mais,
juridiquement, ceux-ci ne sont pas considérés comme les auteurs de ces actes, qui
restent donc, toujours juridiquement, des actes administratifs unilatéraux.

Certains actes sont dits mixtes. Ils ont un caractère en partie unilatéral et en partie
contractuel.

C’est le cas des contrats de concession de service public. Ont un caractère


contractuel les clauses relatives à la durée de la concession, aux avantages financiers
du concessionnaire. Revêtent, en revanche, un caractère unilatéral ou
réglementaire, les clauses relatives aux conditions d’exécution du service public -
C.E., 24 janvier 1990, Mme Martinetti. Les tiers peuvent demander à l’autorité
concédante d’obliger le concessionnaire à les respecter. Le refus de l’autorité
concédante encourt la censure du juge administratif - C.E., 21 décembre 1906,
Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli (Rec.
p.962, conclusions Romieu).

168
Mais, naguère, le juge déclarait irrecevables les recours directs des usagers contre
les clauses réglementaires (c'est-à-dire unilatérales) du contrat. Puis, un revirement
de jurisprudence a eu lieu : C.E., Ass., 10 juillet 1996, M. Cayzeele. Désormais, le
Conseil d’État considère que les usagers sont recevables à contester devant le juge
les clauses réglementaires d’un contrat dans la mesure où elles sont divisibles
(séparables) des autres stipulations de ce contrat.

169
§.2. - Acte administratif unilatéral et acte de droit privé

Les indices du caractère unilatéral de l’acte étant déterminés, il reste à préciser les
conditions auxquelles est soumis son caractère administratif. A quels indices voit-on
qu’un acte unilatéral est administratif ? Comment le distinguer de l’acte de droit
privé ?

Certains auteurs préconisent un critère organique ou formel, d’autres un critère


matériel ou fonctionnel.

A - Le critère organique ou formel

Ce qui compte pour les tenants de ce critère, c’est le statut juridique de l’organe, de
l’auteur de l’acte. A la question "A quels indices voit-on qu’un acte unilatéral est
administratif ?", ils répondent :

« Les actes émanant des personnes publiques - État, communes, départements,


régions…-, des organes publics, sont des actes administratifs. Les actes pris par les
personnes privées sont des actes de droit privé. »

Assurément, une telle réponse n’est pas corroborée par la réalité. Les personnes
publiques édictent aussi des actes de droit privé. Inversement, certaines personnes
privées prennent des actes administratifs. L’acte administratif n’est pas l’apanage
des personnes publiques, et les personnes privées n’ont pas le monopole des actes
de droit privé.

Le statut public ou privé de l’organe, de l’auteur d’un acte ne suffit donc pas pour
qualifier cet acte d’administratif ou de privé. D’où l’irrecevabilité du critère
organique ou formel.

B - Le critère fonctionnel ou matériel

170
Pour les tenants de ce critère, peu importe le statut juridique de l’organe, de
l’auteur de l’acte ; ce qui compte, c’est la fonction, l’activité de l’organe, de l’auteur.
A la question "A quels indices voit-on qu’un acte unilatéral est administratif ?", ils
répondent :

« Si l’activité de l’auteur de l’acte a un caractère administratif, l’acte est un acte


administratif. Dans le cas contraire, l’acte est un acte de droit privé. »

Cette réponse non plus n’est pas confirmée par la réalité. Elle ne permet pas de
résoudre un problème : à quoi reconnaît-on une activité administrative ? Quand une
activité a-t-elle un caractère administratif ? Aucune réponse convaincante n’est
avancée, d’où l’irrecevabilité du critère matériel ou fonctionnel.

En fait, la vérité est répartie entre les deux critères ci-dessus (1) et (2). Une
synthèse s’impose.

Il convient de retenir un critère organico-fonctionnel.

C - Le critère organico-fonctionnel

Le critère organique joue un rôle prédominant. Le critère fonctionnel permet de le


nuancer. Il faut, en conséquence, s’intéresser, d’une manière concrète, aux actes
des deux catégories d’organes, de personnes.

1. - Les actes des personnes publiques

On présume qu’un acte pris par une personne publique est un acte administratif.
Mais c’est une présomption simple ; elle admet donc la preuve contraire.

Quelles personnes publiques ?

171
Le Parlement édicte les lois. Les tribunaux et cours prennent des actes
juridictionnels. Mais en principe seulement, car leur organisation et leur gestion
interne donnent lieu, parfois, à l’édiction d’actes administratifs - T.C., 27 novembre
1952, Préfet de la Guyane.

Cependant, la grande masse des actes administratifs proviennent des autorités liées
à l’exécutif (c’est-à-dire à une partie de l’Etat, personne publique) ou aux
collectivités territoriales (personnes publiques).

En principe, les actes de ces autorités sont des actes administratifs. Pourquoi ? parce
que ces autorités sont les organes de personnes publiques : État, collectivités
territoriales ; on retient donc, d’abord, un critère organique.

Par exception, certains de leurs actes sont des actes de droit privé. Pourquoi ? parce
que ces actes sont liés à des activités spécifiques ; on retient donc, accessoirement,
un critère fonctionnel.

Exemples d'actes de droit privé pris par des personnes publiques :

1 - Les actes non réglementaires pris pour la gestion du domaine privé - des actes
non détachables de la gestion du domaine privé – T.C., 17 avril 2000, Pourquier.
Bien sûr, les actes réglementaires pris pour la gestion du domaine privé constituent,
en revanche, des actes administratifs

2 - Les actes non réglementaires pris pour la gestion des services publics à caractère
industriel et commercial - C.E., 16 janvier 1991, Fédération nationale des
associations d’usagers des transports ; décision prise par la SNCF de supprimer une
ligne ferroviaire.

Pour résumer, les actes des personnes publiques liées à l’exécutif et aux collectivités
locales sont présumés administratifs (il y a des exceptions ; voir ci-dessus). Ceux du
172
Parlement et des juridictions sont présumés non administratifs (il y a des
exceptions ; voir plus haut).

2. - Les actes des personnes privées

En principe, ils sont, soumis au droit privé. Pourquoi ? parce qu’ils émanent de
personnes privées, d’organes privés ; on retient donc d’abord un critère organique.

Mais, par exception, certains des actes émanant de personnes privées ont un
caractère administratif. Pourquoi ? parce que ces actes sont liés à des activités
spécifiques ; on retient donc accessoirement un critère fonctionnel.

Exemples d'actes administratifs pris par des personnes privées :

1 - Les actes - individuels ou réglementaires - pris par un organisme de droit privé


relativement à la gestion d’un service public administratif - C.E., Sect., 13 janvier
1961, Magnier ;

2 - Les actes réglementaires pris par un organisme de droit privé relativement à la


gestion d’un service public industriel et commercial - T.C., 15 janvier 1968, Époux
Barbier ; T.C., 3 juillet 2000, Syndicat des pilotes d’Air France et autres c/ Société Air
France.

Pour résumer, les actes des personnes privées sont présumés être des actes de droit
privé. Par exception, certains actes émanant de personnes privées chargées de gérer
un service public administratif ou un service public industriel et commercial sont des
actes administratifs (voir distinctions faites ci-dessus).

173
Section II - La typologie des actes administratifs unilatéraux

Il s’agit de la classification des actes administratifs unilatéraux.


§.1. - Les actes réglementaires et les actes non réglementaires
A - Le critère de la distinction

Comme la distinction acte unilatéral – acte plurilatéral, la distinction acte


réglementaire– acte non réglementaire ne repose pas substantiellement sur un
critère quantitatif. A nouveau, il faut prendre en considération le destinataire de
l’acte.

Ce qui distingue l’acte réglementaire de l’acte individuel, c’est la manière dont ils
désignent leurs destinataires.

Définitions :

- L’acte individuel est un acte juridique qui a pour destinataires une ou plusieurs
personnes qu’il désigne nommément ou nominativement.

- L’acte réglementaire est un acte juridique qui a pour destinataires une ou


plusieurs personnes qu’il désigne abstraitement ou qu’il ne désigne pas
explicitement.

L’acte réglementaire revêt un caractère général et impersonnel (Ici, général ne se


rapporte pas au nombre !).

Une décision peut rester individuelle même si elle concerne plusieurs personnes ; ce
qui compte, c’est le fait qu’elle les désigne nommément. On appelle acte collectif un
acte individuel qui concerne plusieurs personnes dont les situations juridiques sont
interdépendantes. Exemple : l’acte proclamant les résultats d’un concours.
174
Une décision peut demeurer réglementaire même si elle concerne une seule
personne - décret s’appliquant au Médiateur du Faso ; ce qui compte, c’est le fait
qu’elle ne désigne pas cette personne par son nom, mais par sa qualité.

Le refus de prendre un acte réglementaire constitue un acte réglementaire - C.E.,


Ass., 8 juin 1973, Richard.

Les actes qui se rapportent à l’organisation d’un service public (qui organisent un
service public) ont toujours un caractère réglementaire.

Un acte administratif a-t-il nécessairement un caractère réglementaire ou


individuel ?

Une troisième catégorie d’actes a été mise au jour : celle des décisions d’espèce,
appelées encore actes particuliers ou actes spécifiques. Ces actes relèvent à la fois
du régime de l’acte réglementaire et de celui de l’acte individuel. Ils se caractérisent
par le fait qu’ils se rapportent à une situation, à une opération particulière. Ils
appliquent à une espèce particulière une réglementation préétablie.

Exemples : les actes de tutelle, le décret convoquant les électeurs ou dissolvant un


conseil municipal, les actes prononçant l’ouverture d’un concours.

175
Les actes non réglementaires
Ce titre négatif appelle une explication : pourquoi, en effet, ne pas désigner, de façon
positive, les actes non réglementaires comme des « décisions individuelles» ? Le titre retenu
ici est délibérément plus large, car il existe des actes qui ne sont ni des règlements (qui se
reconnaissent au fait qu'ils édictent des règles générales concernant des situations définies de
façon abstraite et impersonnelle), ni des décisions individuelles, qui désignent
nominativement, quant à elles, les personnes concernées.

Dans le cas d'une « décision individuelle », les personnes concernées peuvent d'ailleurs être
très nombreuses, s'agissant par exemple de la liste des candidats admis à se présenter à un
concours de la Fonction publique, sans que cela retire à la décision son caractère de décision
individuelle.

Cependant, l'arrêté ouvrant un concours et fixant la date des épreuves de ce concours ne


constitue pas une décision individuelle, sans pour autant se voir reconnaître le caractère d'un
acte réglementaire. Il en est de même, pour citer d'autres exemples, des décisions de
classement d'un site ou de celles déterminant les limites de circonscriptions, qui constituent
des actes non réglementaires sans avoir cependant la nature de décision individuelle (ces
décisions sont parfois désignées sous l’expression de «décisions d'espèces»). Les décisions
individuelles constituent donc bien des actes non réglementaires, mais tout acte non
réglementaire ne constitue pas nécessairement une décision individuelle. Cette distinction
peut apparaître subtile mais elle est nécessaire, notamment pour l'application des règles de
compétence contentieuse.

176
B - L’intérêt de la distinction

L’intérêt juridique de la distinction acte réglementaire– acte non réglementaire se


situe essentiellement à deux niveaux :

1 - Les modalités de la publicité : Pour être opposable aux administrés, un acte


réglementaire doit être publié - publication par insertion dans un journal ou par
affichage. Un acte individuel doit être notifié à son destinataire - par exemple,
notification par lettre recommandée.

2 - Les possibilités de recours : Un recours tendant à l’annulation d’un acte


administratif unilatéral - réglementaire ou non réglementaire - doit être formé dans
les deux mois suivant la publication ou la notification de cet acte. Passé ce délai, en
principe le recours est tardif, donc irrecevable et l’intéressé forclos. A cet égard, des
nuances séparent les actes réglementaires des actes individuels (Cf. plus bas).

177
Mais, s’il s’agit d’un acte réglementaire, l’expiration du délai de recours s’oppose
uniquement à une contestation directe, à une demande d’annulation dirigée contre
cet acte. Elle ne fait nullement obstacle à une contestation indirecte par le biais de
l’exception d’illégalité.

§.2. - Les décisions et les actes unilatéraux non décisoires

En principe, toutes les décisions administratives sont des actes administratifs


unilatéraux.

Mais tous les actes administratifs unilatéraux ne sont pas des décisions
administratives. Il faudra donc indiquer les critères permettant de distinguer les
actes décisoires des actes non décisoires.

A – Les décisions ou actes administratifs unilatéraux décisoires

En règle générale, nul dans les rapports entre particuliers ne peut voir sa situation
juridique se modifier par la seule volonté d'autrui. L'accord de volonté est le
procédé normal.
Dans les relations de droit privé, nul ne peut modifier la situation juridique d'un tiers
sans son consentement (même s'il existe des décisions unilatérales, celles-ci
n'atteignent leurs destinataires que s'ils ont, à un moment ou à un autre, donné leur
accord ; et si une personne prétend en contraindre une autre à faire respecter ses
droits, elle doit saisir la justice.
En droit Administratif au contraire, l'administration peut modifier les situations
juridiques par sa seule volonté sans le consentement des intéressés. C'est la première
prérogative caractéristique de la puissance publique : c’est le privilège du préalable.

Le pouvoir de prendre des décisions s'imposant par la seule volonté de leur auteur
et par conséquent indépendamment du consentement de ceux qu’ils concernent est
une des premières prérogatives de la puissance publique. Cette prérogative est le
privilège de la décision exécutoire qui est de pouvoir dont dispose l’administration
pour prendre unilatéralement des actes qui s'imposent aux administrés sans leur
consentement, qu'elle leur reconnaisse des droits ou leur impose des obligations.

178
Il s'agit, pour l'acte administratif, du double pouvoir d'avoir un contenu normatif
obligatoire - et, spécialement, impératif - et d'exiger une obéissance préalable à tout
contrôle juridictionnel «Les deux problèmes du contenu obligatoire et de l'effet
obligatoire de l'acte se trouvent étroitement liés pour donner son plein sens à la
notion de force obligatoire: générateur, le plus souvent d'obligations créées à la
charge des administrés, l'acte administratif requiert de ceux-ci obéissance immédiate.

Le privilège du préalable consiste dans le pouvoir de prendre des mesures qui


s'impose à autrui avant toute intervention du juge. La décision sera prise et
s'appliquera préalablement à toute intervention juridictionnelle, sans qu'il y ait lieu
pour l'administration de la provoquer.

Ce privilège entraîne certaines conséquences. La première est évidemment la


transformation de l'ordonnancement juridique par la manifestation unilatérale de la
volonté de l'administration qui peut déterminer immédiatement les droits et
obligations d'autrui par sa seule volonté et sans recours au juge. La seconde
étroitement à la précédente, est l'obligation pour les destinataires de l'acte de s'y
conformer

La mesure prise est présumée légale, tant qu'un juge ne l'a pas considérée autrement,
à l'occasion d'une action qui ne peut prospérer qu'a posteriori. Elle est investie d'une
autorité que par analogie avec celle de la chose jugée, on peut qualifier, d'autorité de
la chose décidée.

L'acte administratif unilatéral est un acte juridique adopté unilatéralement par


l'autorité administrative portant sur l'ordonnancement et affectant les droits ou les
obligations des tiers sans leur consentement.

179
A quoi reconnaît-on les décisions ?

1. Les critères du caractère décisoire d’un acte

La décision administrative se caractérise par sa relation à l’ordonnancement


juridique. Celui-ci se définit comme l'ensemble des règles de droit qui régissent un
milieu social et des situations juridiques dont sont titulaires les personnes.

Définition : une décision administrative est un acte administratif unilatéral qui


affecte l’ordonnancement juridique.

Voilà pourquoi on dit qu’une décision fait grief. Faire grief, c’est être susceptible
d’affecter les droits et obligations d’un administré.

Il doit s’agir d’un acte administratif " faisant grief ", c’est-à-dire comportant par lui-
même de réels effets juridiques : " Attendu que pour qu’un acte soit susceptible d’être
critiqué par la voie du recours pour excès de pouvoir, il faut qu’il soit un acte
administratif et constitue une décision faisant grief " (1).S’agissant d’un acte
déclaratif, comme un relevé général des services d’un fonctionnaire, il est susceptible
de recours lorsqu’il entraîne par lui-même des conséquences juridiques (2).

La décision doit modifier l’ordonnancement juridique. " Attendu que le recours pour
excès n’est recevable que contre les décisions administratives, c’est-à-dire des actes
administratifs à caractère décisoires" (3). Cette condition vise surtout les mesures
1
Ch. adm. 9 janvier 1996, Madame Boulsa/Konaté Adama c/ Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche

Scientifique, arrêt n° 3/96.

2
Ch. adm. 30 juin 2000, Bancé Bokouzi Alfred c/ Etat burkinabè, arrêt n° 40/99-2000.

3
Ch. adm. 31 décembre 1993, Claude Sawadogo, c/ Etat burkinabè, arrêt n° 15/93.

Ch. adm. 11 juillet 1995, Président de l’UDES c/ Comoé Banfora c/ Haut-commissaire de la Province de la Comoé Banfora, arrêt n° 8/95.

180
d’ordre intérieur, et plus précisément les circulaires et instructions de service. Sont
exclues des décisions " faisant grief ", les mesures préparatoires, indicatives ne
comportant pas d’éléments de décision ou ne modifiant pas l’état du droit. Il en va de
même des mesures confirmatives d’une décision antérieure :

" Attendu que la lettre n° 1195/TFP/P du 18 septembre 1968 n’est qu’une décision
confirmative qui se borne à réaffirmer la décision antérieure (lettre n° 178/TFP/P du
30 décembre 1966 ; qu’elle ne comporte aucun élément nouveau, et, de par sa nature
même, ne peut faire l’objet d’un pourvoi " (1).

La décision administrative peut affecter l’ordonnancement juridique de deux


manières :

1e manière : Elle modifie le contenu de l’ordonnancement juridique.

Plus précisément, elle modifie un ou plusieurs éléments de l’ordonnancement


juridique.

C’est d’abord le cas d’un acte créant une norme (ou règle) nouvelle qui s'ajoute aux
normes existantes; par exemple, un décret réglementant une activité nouvelle.

C’est aussi le cas d’un acte supprimant une norme existante ; par exemple, un
décret abrogeant un autre décret.

2e manière : Elle réaffirme le contenu de l’ordonnancement juridique.

181
C’est d’abord le cas d’un acte confirmant une décision antérieure.

Exemple : Par un acte A, un chef de service prend une sanction à l’encontre d’un
fonctionnaire. Sur recours de l’intéressé, le ministre confirme cette sanction par un
nouvel acte B. L’acte A crée une norme nouvelle qui s’ajoute à l’ordonnancement
juridique. L’acte A est donc une décision. L’acte B ne crée pas de normes nouvelles.
Mais Il confirme la norme posée par l’acte A ; il réaffirme le contenu de
l’ordonnancement juridique. Donc, l’acte B est bien une décision.

C’est aussi le cas d’un acte rejetant une demande d’autorisation adressée à
l’autorité administrative.

Exemple : Dans l’état actuel de l’ordonnancement juridique, l’administré Alpha ne


peut exercer l’activité Z. Il sollicite une dérogation, une autorisation.
L’administration la lui refuse. Ce refus réaffirme l’ordonnancement juridique tel qu’il
existait avant la demande. La situation de l’administré Alpha ne change pas ; il ne
peut toujours pas exercer l’activité Z. Donc, ce refus est bel et bien une décision.

R. Chapus, par exemple, considère que «acte unilatéral et décision ne se confondent


pas: cette dernière est au premier ce que l'espèce est au genre. Ce qui, bien entend
u, n'empêche pas que l'on connaisse la décision corn me le symbole et la
concrétisation la plus achevée de l'acte unilatéral».

L'auteur signale aussitôt la distinction entre décision et acte administratif non


décisoire. «Un acte unilatéral est une décision lorsque la manifestation de volonté de
son auteur se traduit par l'édiction d'une norme destinée à modifier
l'ordonnancement juridique ou bien, au contraire, à le maintenir en l'état.

D’une manière générale, le refus de prendre une décision est considéré comme
une décision.

182
Les décisions administratives donnent lieu à une double classification :

- les décisions exécutoires et les décisions non exécutoires,

- les décisions explicites et les décisions implicites.

2.-Décisions et décisions exécutoires

L'acte unilatéral est l'expression de l'autorité administrative. Il lui permet de


décider, de réglementer, de modifier les règles juridiques préexistantes et par
conséquent d'en créer des nouvelles sans le consentement des administrés auxquels
elles s'imposent. Certains auteurs parlent des décisions exécutoires à la place de
l'acte administratif unilatéral.

Ce qui est certain, écrit R. Chapus (n°672), c’est que l’expression décision
exécutoire ne doit pas être employée en lieu et place du terme simple de décision.
La notion de décision exécutoire appartient au droit positif. G. Vedel et P. Delvolvé
définissent la décision exécutoire comme «un acte juridique émis unilatéralement
par l'administration en vue de modifier l'ordonnancement juridique par les
obligations qu'il impose ou par les droits qu'il confère e Pour Rivero, «la décision
exécutoire est l'acte dans lequel l'administration met en œuvre ce pouvoir de
modification unilatéral des situations juridiques». Ces derniers auteurs font
remarquer que tous les actes administratifs unilatéraux ne sont pas des décisions
exécutoires.

A. de Laubadère estime quant à lui que la décision exécutoire n'est que l'une des
manifestations de l'acte unilatéral même si elle en est l'illustration la plus typique.

On peut penser que le propre de la décision exécutoire est de modifier


l'ordonnancement juridique et que faute de cette modification, un acte ne constitue
pas une décision exécutoire.
Lorsque le Conseil d'Etat a utilisé l'expression pour la première fois, dans l'arrêt
183
Amoros". C’est précisément dans cette acception. La Haute-Assemblée considère
qu'une décision n'entraînant pas de modification dans une situation de droit ou de fait
telle qu'elle existe antérieurement ne constitue pas une décision exécutoire et qu'à ce
titre, elle ne peut faire l'objet d'un sursis à exécution, alors même qu'elle peut faire
l'objet d'un recours pour excès de pourvoir (dans le même sens: C.E., 20 juin 1975,
Nataf et Ferrari, Rec. 381 ; 13 nov. 1987, Ministre de l'Intérieur c. Tang Karn Keuny,
Rec. 367 ; R.F.D.A., 1985, p. 45).

En considération de la jurisprudence Amoros, la catégorie «décision exécutoire»


comprend tous les actes administratifs qui modifient l'ordonnancement juridique,
mais non les autres. Mais cette analyse a été altérée par le caractère exécutoire
reconnue à une décision alors qu'elle ne modifie pas l'ordonnancement juridique.
C'est ce que révèle l'arrêt du 25 oct. 1978, Ministre de l'Economie et des Finances c.
Dame Madrel15.

De même, lorsque dans l'arrêt Huglo du 2 juil. 1982, le Conseil d'Etat considère que
«le caractère exécutoire d'une décision administrative est la règle fondamentale du
droit public», il ne fait plus
de distinction entre la décision «modificatrice» et l'acte qui ne l'est pas, et paraît
indiquer que toute décision administrative a un caractère exécutoire, même si elle ne
crée pas de nouveaux droits et obligations. On aperçoit dès lors dans la jurisprudence
du Conseil d'Etat que la signification du terme «exécutoire» d'un acte est flottante. Il
n'a pas en réalité, le même sens dans les arrêts de 1978 et 1982 que dans ceux de
1970 et 1975 : alors que dans les premiers, il s'attachait au caractère «modificateur»
de l'acte, dans les deux derniers il s'attache au caractère obligatoire, pour souligner
que le propre de la décision administrative est de s’imposer immédiate ment aux
administrés quel qu'en soit le contenu, avant tout recours au juge. C'est le privilège du
préalable qui est ici, en cause dont la décision est la mise en œuvre. Ce privilège
«porte autant sur le résultat qu'il permet de provoquer que sur la prescription qu'il
permet de prendre».

Le privilège de l'exécution est étroitement lié au privilège du préalable: il consiste en


la modification immédiate de l'ordonnancement juridique par la décision prise par
l'administration. En disant que cette décision est exécutoire, on souligne que les
droits et obligations auxquels elle se rapporte sont directement déterminés par elle
(sous réserve d'une publicité adéquate).
Bien plus, alors même qu'elle fait l'objet d'une procédure destinée à la faire tomber
(notamment le recours pour excès de pouvoir), elle continue à s'appliquer: pour
empêcher ses effets de se produire, il faut que le juge ordonne le sursis à exécution -
184
ce qu'il ne fait que si sont remplies des conditions rigoureuses (moyens sérieux,
conséquences difficilement réparables), et qu'il peut refuser discrétionnairement de
faire même si ces conditions sont remplies.
Le Conseil d'Etat a souligné l'importance du privilège de l'exécution en disant du
caractère exécutoire d'une décision administrative « que ce caractère est la règle
fondamentale du droit public et que le sursis à exécution n'est pour le juge qu'une
simple faculté, alors même qu'existent des moyens sérieux et un préjudice
difficilement réparable ».

Le privilège de l'exécution n'est pas mis en œuvre dans tous les actes unilatéraux de
l'administration. Certains d'entre eux, même s'ils constituent des manifestations
unilatérales de volonté, n'accèdent pas à la vie juridique (en particulier les «mesures
d'ordre intérieur »). D'autres, alors même qu'ils affectent les droits et obligations des
administrés, ne transforment pas leur situation (par exemple un refus
d'autorisation, qui ne permet pas plus après qu'avant qu'il soit opposé d'exercer
l'activité pour laquelle l'autorisation est demandée) : ils ne sont pas « exécutoires »,
en ce sens qu'ils ne transforment pas la situation juridique; mais ce sont des actes
administratifs unilatéraux, susceptibles de recours pour excès de pouvoir, non de
sursis à exécution. Parmi les actes administratifs unilatéraux, seules sont des
décisions exécutoires, les mesures par lesquelles l'administration crée ou impose
des droits ou obligations nouveaux sans le consentement des intéressés.

La notion de «décision exécutoire» est des plus « confuses », une des plus
« ambiguës » (P. Delvolvé) qui soit en droit administratif dangereuse et incohérente.
Aussi, certains auteurs vont-ils même à suggérer le rejet de la notion qui
ne1cqu'obscurcir la théorie de l'acte administratif: «En définitive, pour notre part,
écrit C. Eisenmann, nous souhaitons vivement que la théorie de la décision
exécutoire disparaisse pure ment et simplement de la doctrine administrative où elle
ne fait qu'introduire confusions et idées fausses».

C'est Maurice Hauriou qui, le premier, a parlé de la décision exécutoire. Pour lui, «la
décision exécutoire est toute déclaration de volonté en vue de produire un effet de
droit vis-à-vis des administrés, émise par une autorité administrative c'est-à-dire
dans une forme qui entraîne l'exécution d'office»

185
Des critiques ont été adressées à l'analyse de la décision exécutoire telle que l'a faite
le Doyen Hauriou. Pour une partie de la doctrine, il aurait confondu le caractère
obligatoire de l'acte et son caractère exécutoire de telle manière qu'il aurait
abusivement élargi ce dernier, lui faisant perdre toute signification précise. M.
Rousset relève par exemple que Hauriou a établi «une indiscutable confusion entre
la question de la force juridique de l'acte administratif et celle de son exécution»

Pour P. Weil par l'expression décision exécutoire, Hauriou et la doctrine


subséquente entendent d'abord faire allusion à la possibilité pour l'administration
d'imposer des obligations aux tiers sans leur consentement. Selon lui, à cette
première notion, que l'on pourrait appeler privilège du préalable, Hauriou a adjoint
une seconde qui n'a rien à voir avec elle, d'où la «confusion extrême de la matière:
celle de privilèges d'action d'office.

P. Weil relève toujours que le privilège du préalable et celui de l'exécution forcée ne


sont pas distingués chez Hauriou. «La distinction entre le privilège du préalable, Il
existe effectivement et celui de l'action d'office, qui n'existe nullement, est tellement
simple que l'on peut se demander comment Hauriou a pu les confondre: le premier
concerne les effets juridiques des actes unilatéraux, le second vise leur exécution».
Poursuivant sa critique, il souligne le fait qu'en mettant en relief les conditions de
l'exécution forcée des décisions administratives et en lisant la définition de la
décision administrative donnée par Hauriou, «on se rend compte dans le droit
administratif par cette théorie de la décision exécutoire que l'on a fini par considérer
comme une pièce essentielle de notre droit public».

Une autre critique est venue de F.P. Benoit : «Nul n'ignore en effet que dans son sens
fort, qui est au demeurant son seul sens exact, le mot «exécutoire» désigne l'acte qui,
non seulement a valeur juridique, mais qui constitue par lui-même de surcroît un titre
d'exécution forcée, sans qu'il soit besoin qu'un autre acte juridique autorise le recours
à cette exécution forcée; ce n'est donc que par un ab us de langage qu'on lui donne
parfois le sens faible d'acte ayant valeur juridique

Mais la critique la plus directe a été émise par C. Eisenmann. Il relève que pour
Hauriou, «exécuter serait en somme purement et simplement ce qu'une décision
186
prévoit». Il critique cette conception qui constitue à ses yeux, un élargissement
considérable de la notion d'exécution et conséquemment de celle de force exécutoire.
Pour C. Eisenmann, l'exécution d'office a un sens strict beaucoup plus étroit que le
sens qui s'attache à la nature obligatoire de l'acte. Et la notion d'acte exécutoire doit
renvoyer à l'idée d'exécution forcée. Alors que pour Hauriou, l'exécution d'office
correspond seulement aux principes «que les décisions administratives lient
immédiatement les administrés, au
principe que les administrés leur doivent obéissance immédiate, au principe de
l'obéissance préalable».

C. Eisenmann considère que la seule acception valable, opératoire du terme


«exécutoire» doit être l'acception précise et étroite qui correspond à cette notion
d'exécution forcée. «Le terme exécutoire se rapporte à la force exécutoire et celle-ci
se rapporte à l'exécution forcée des normes juridiques, c'est-à-dire l'exécution par
l'emploi des moyens de contrainte. Donc, une décision pourra être dite exécutoire si
elle bénéficie de l'exécution forcée».

Pourtant certains auteurs défendent Hauriou. Pour R.G. Schwartzenberg aux yeux de
la doctrine, Hauriou passe pour le défenseur inconditionnel d'une thèse insoutenable:
la détention par l'administration d'un privilège général d'exécution forcée. Il relève
que Hauriou aborde les deux problèmes du privilège du préalable et de l'exécution
forcée d ans deux développements distincts et totalement séparés dans son précis.
L. Sfez écarte «l'extrême confusion» (P. Weil) faite par le Doyen de Toulouse, car
pour lui, celui-ci n'a jamais confondu l'exécution forcée avec la force exécutoire qui
signifie simplement pour lui, pouvoir d'action dans son langage souvent obscur, qui
explique et excuse les interprétations erronées: privilège du préalable.

D'après Hauriou, le caractère exécutoire de la décision exécutoire signifie qu'elle tend


à l'exécution par sa seule vertu et il a nette ment distingué l'acte exécutoire, c'est-à-
dire obligatoire et d'autre part la mesure d'exécution, c'est-à-dire l'exécution d'office,
forcée par l'administration et qui ne peut intervenir que dans des hypothèses
particulières.
Pour les défenseurs du Doyen de Toulouse, c'est à tort que ce dernier se voit accuser
de confondre le caractère exécutoire de l'acte et l'exécution forcée et de définir la
décision exécutoire comme décision toujours sou mise à exécution forcée. On
s'aperçoit que les expressions «action d'office», «exécution d'office» font référence
au fait simplement que l'acte administratif s'exécute par lui-même, sans qu'il soit
187
besoin de recourir à une instance juridictionnelle. En somme pour Hauriou, c'est la
question de l'obéissance préalable, du privilège du préalable et non point l'exécution
forcée, qui est en jeu.

Comme le souligne P. Delvolvé, le caractère exécutoire de la décision présente une


ambivalence, source d’ambiguïté. En insistant sur la modification de
l'ordonnancement juridique qui résulte directement de la décision exécutoire: on met
en valeur son aspect le plus important, mais on ne peut éliminer le caractère
obligatoire qu'elle comporte. En réalité, lorsqu'il y a modification de
l'ordonnancement juridique, le caractère obligatoire est intime ment lié à cette
modification; l'obligation provoque la modification autant que la modification
provoque l'obligation.

L'expression "décisions exécutoires" selon le Pr. DELVOLVE est l'une des plus
ambiguës qui soit en droit administratif. Cela ne simplifie pas son rapprochement
avec celle d'acte administratif unilatéral. Les relations entre acte administratif et
décision exécutoire dépendent du sens qui est donné au mot « exécutoire ». On peut
aller du sens le plus large au sens le plus étroit. L'expression « décision exécutoire»
peut s'entendre de plusieurs manières. Si par décision exécutoire on entend décision
entrée en vigueur seuls les actes administratifs dont les conditions d'entrée en vigueur
ont été remplies sont des décisions exécutoires. Les autres ne le sont pas encore, mais
sont appelés à le devenir. Si par caractère exécutoire, on vise « la règle fondamentale
de droit public » en vertu de laquelle une décision administrative s’applique
immédiatement préalablement à tout contentieux, l’acte administratif et la décision
exécutoire ne sont que deux appellations différentes d’une même réalité : les deux
conceptions sont synonymes. Si par caractère exécutoire on désigne l’effet que
produit un acte administratif sur les droits et obligations préexistants en les
modifiant, seuls certains actes sont des décisions exécutoires.

En conclusion, pour Delvolvé, «il est nécessaire que l'ambigüité soit levée que le
vocabulaire soit précisé : la solution, pourrait passer par la suppression pure et simple
de l'expression" décision exécutoire" du vocabulaire juridique ».

3. Les décisions explicites et les décisions implicites

La distinction décisions explicites-décisions implicites concerne la manière de


décider.
Il est deux manières, pour l’administration, de décider :

188
1e manière de décider : Tantôt, l’administration prend une décision expresse,
visible ou audible, et il y a alors décision explicite.

Une décision explicite peut revêtir les formes les plus variées : forme écrite, verbale,
gestuelle, visuelle.

Définition : Une décision explicite est une décision prise expressément (c’est-à-
dire en s’exprimant) par l’administration.

2e manière de décider : Tantôt, l’administration ne décide pas expressément, elle


ne s’exprime pas, elle garde le silence. Mais son silence est interprété comme une
décision. Une telle décision est appelée décision implicite. Elle n’existe pas
matériellement ; elle n’existe que juridiquement. Il s’agit d’une fiction instituée par
différents textes législatifs ou réglementaires.

Une décision implicite n’est jamais prise spontanément par l’administration.

Une décision implicite intervient toujours à la suite d’une demande adressée à


l’administration par un administré. Le silence de l’administration est interprété

- soit comme un refus, un rejet de la demande - décision implicite de rejet,

- soit comme une acceptation - décision implicite d’acceptation.

La décision implicite de rejet est la règle, la décision implicite d’acceptation,


naturellement, l’exception.

a. Nature de la décision explicite

Une décision est explicite lorsqu’elle est expresse. Nous avons souligné que dans le
contentieux de l’excès de pouvoir, le litige naît de la publication ou de la notification
de l’acte attaqué, celui-ci pouvant être directement déféré à la juridiction, l’intéressé
doit se mettre en instance devant l’administration, et il doit le faire pendant la période
de temps au cours de laquelle son droit n’est pas atteint par une prescription ou une
189
déchéance. La requête à l’administration est la condition fondamentale de naissance
du litige. Lorsque l’administration répond, sa décision constitue la décision préalable
explicite.

Il y a concrétisation de l’exigence d’une décision préalable dès lors que le recours est
dirigé contre une décision (autre que les décisions qui sont insusceptibles de recours).
Il est alors important de définir de manière aussi précise que possible la réponse
administrative pouvant valoir décision, et il est plus prudent pour les justiciables de
considérer dans le doute, que la réponse qui leur est faite, est susceptible de faire
courir le délai du recours contentieux.
Ainsi, la Chambre administrative a reconnu le caractère de décision à une réponse
négative donnée par l’administration à la prétention du requérant, à la suite d’un
recours gracieux :

" Attendu qu’ayant adressé une demande gracieuse le 15 novembre 1968 au Ministre
du Travail et de la Fonction publique et ayant obtenu de cette autorité le 3 décembre
1968 une réponse qu’il échet tenir pour défavorable parce que non positive, le
requérant disposait de 2 mois à compter de la signification pour saisir la juridiction
administrative… " (1).

Dans une autre décision en date du 10 novembre 1972, le juge administratif a estimé
qu’il y a décision explicite lorsque la réponse fournie par l’administration à une
demande dont elle était saisie, ne satisfait pas, du moins, ne résout pas le point
soulevé par le requérant dans sa demande. Dans l’espèce, le requérant, ayant obtenu
un diplôme d’attaché principal d’intendance universitaire à la suite d’un stage, se
trouvait au moment de sa demande, régi par un décret n° 68-203 Pres/TFP/EN du 17
août 1968 portant statuts particuliers du cadre du personnel d’administration et de
gestion de l’Education Nationale. Ce décret ne prévoit que trois corps distincts, à
savoir ceux des :
- attachés d’intendance universitaire ;
- intendants universitaires ;
- conseillers administratifs universitaires.

Or, nous constatons que le décret susvisé n’institue pas le corps des attachés
principaux d’intendance universitaire. Le requérant, avant de saisir la Chambre
administrative s’était d’abord adressé à l’administration. Le juge a consisté que la
réponse donnée par celle-ci valait décision explicite et faisait courir le délai du
recours contentieux :

1
Ch. adm. 27 février 1970, COULIBALY Bobo Abel c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 11.

190
" Attendu que BATIOBO Emmanuel avait présenté un recours gracieux auquel il fut
répondu par lettre n° 563/T.F.P. du 30 avril 1969 que la " seule solution à son cas
serait une modification du décret n° 68-203 " qu’au lieu d’user de la voie
contentieuse immédiatement après avoir constaté l’inaction du Ministre de
l’Education Nationale se contenta d’adresser plusieurs rappels verbaux… " (1).

La Chambre administrative a déclaré la requête irrecevable en raison de son caractère


tardif.
Dans une décision du 10 novembre 1972, le juge administratif a considéré que la
réponse donnée par l’administration à un rappel à elle adressé par un administré,
valait décision explicite de rejet.
" Attendu que la lettre n° 312/MFC/DB/B2 DU 16 février 1972, qui révèle clairement
la volonté de la défenderesse par le truchement du Ministère des Finances, constitue
un acte administratif valant décision définitive de rejet et susceptible de recours
contentieux ".

Les décisions sont généralement contenues dans des lettres ; et s’agissant même
d’une lettre ne faisant que notifier une décision, le recours contre la lettre sera
considérée comme dirigé en réalité contre la décision ainsi notifiée, ce qui assurera sa
recevabilité.

b. Conditions d’existence de la décision implicite

Une décision implicite est une décision qu’un texte normatif déduit du silence
gardé, pendant un certain temps, par l’autorité administrative saisie d’une
demande.

Le silence gardé par l’autorité administrative ne vaut pas toujours décision implicite
de rejet.

Par exception, le silence équivaut parfois à une décision implicite d’acceptation.

Dans les hypothèses où le silence vaut décision implicite d’acceptation, il n’y a pas
de délai de droit commun ; les délais sont variables

► Le silence administratif, décision tacite de rejet

1
Ch. adm. 10 novembre 1972, BATIEBO Emmanuel c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 20.

191
Toute demande adressée à une autorité administrative est réputée rejetée si aucune
décision n’a été notifiée à l’auteur de cette demande quatre mois après que ladite
demande est parvenue à l’autorité destinataire. L’absence de décision expresse
pendant quatre mois équivaut à une décision implicite de rejet (1).

La notion de décision implicite de rejet est consacrée par la loi : " Dans les affaires
contentieuses qui ne peuvent être introduites que sous la forme d’une requête contre
une décision administrative lorsqu’un délai de quatre mois s’est écoulé depuis la
demande sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées doivent la
considérer comme rejetée… "( art. 17, al. 2 de la loi du 16 mai 1995 et 25 de la loi du
23 mai 2000).

La décision implicite pour exister obéit à certaines conditions :

- Il faut d’abord, et c’est bien naturel, que la demande adressée à l’administration ait
été une demande de décision. Ne peuvent provoquer l’intervention d’une décision
implicite des demandes de renseignements, des menaces ou protestations, des
déclarations d’intention, des propositions ou suggestions. Il ne suffit pas que le
requérant présente des observations sur l’application d’un règlement, ou manifeste
son intention de se pourvoir s’il n’obtenait pas satisfaction.

- D’autre part, la demande doit être logiquement adressée à l’autorité compétente


pour prendre la décision réclamée. La loi burkinabé paraît assez vague quant à la
détermination du destinataire habilité à recevoir la demande, quand on la compare au
décret français du 11 janvier 1965. En effet, ce dernier stipule que " le silence gardé
pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut
décision de rejet ". En clair, l’autorité saisie doit être compétente.

Dans le contexte burkinabè, il est certain qu’un administré peut se méprendre


facilement sur la détermination de l’autorité qui a compétence pour recevoir sa
demande. Qu’adviendra-t-il si l’administré a adressé une demande à une autorité
incompétente ? L’analyse de la jurisprudence administrative ne nous fournit aucune
indication posée devant le juge administratif (2).

1
Sur la question, V :

- G. Benezras, Le silence de l’administration, Rev. Adm., 1967, p. 541 ;


- J. Laveissière, Le silence de l’administration, thèse, Droit, Bordeaux, 1979.
2
En pareil cas, pour le juge administratif français, une demande adressée à une autorité incompétente et qui ne répond pas aboutit à une décision
implicite de rejet, mais ce rejet est réputé fondé sur l’incompétence de l’autorité saisie et donc légal ou légitime : il ne permet au juge administratif de
régler le litige au fond que, si l’autorité réellement compétente présente des observations sur le mérite du pourvoi et fait naître une autre décision
contre laquelle les conclusions sont regardées comme dirigées (C.E. 28 janvier 1938, Pichard, Rec. 102).

192
- Enfin, l’existence de la décision implicite est acquise à l’expiration du délai institué
par la loi : l’espace de temps au terme duquel la décision est implicite est de quatre
mois.

La décision implicite de rejet est acquise de plein droit par la seule expiration de ce
délai. Mais il arrive que des textes fixent une autre durée à l’expiration de laquelle
une décision implicite de rejet peut naître. Nous citerons par exemple le décret n° 70-
204 PRES-MFC du 5 septembre 1970. Aux termes de l’article 51, alinéa 3 de ce
décret, est réputée rejetée, la demande de règlement amiable en matière de
contentieux des marchés de fournitures : " … le titulaire doit formuler sa réclamation
dans le délai de trente jours compté à partir du jour où le différend est apparu et la
responsable ou l’autorité désignée au marché dispose de deux mois, compté à partir
de la réception de la demande du titulaire pour notifier sa décision, l’absence de
décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande ".

Comme il ressort de la décision du 13 novembre 1970, c’est plutôt l’absence de


décision pendant quatre mois et non le silence, qui équivaut à une décision de rejet.

Par conséquent, ce délai n’est pas susceptible d’interruption, sauf évidemment par
l’intervention d’une décision expresse. Les réponses d’attente indiquant au requérant
que la question est étudiée, qu’elle est transmise à l’administration supérieure ou lui
demandant des renseignements, ne sont pas des causes d’interruption.

Par contre, si l’autorité administrative est un corps délibérant, le délai de quatre mois
est prorogé, le cas échéant, jusqu’à la fin de la première session légale qui suivra le
dépôt de la réclamation (1).

Le délai légal de quatre mois commence à courir du jour où l’administration se trouve


saisie d’une demande ou d’un recours administratif :
" Attendu qu’ayant déposé un recours gracieux le 14 Mai 1970, le demandeur pouvait
après quatre mois considérer que ledit recours avait fait l’objet d’un rejet tacite et
disposait d’un délai subséquent de deux mois expirant entre le 15 et le 30 mai 1970
selon la date de réception initiale " (2).

D’autre part, le juge administratif français interprète avec beaucoup de libéralisme l’exigence d’adresser la demande à l’autorité compétente pour la
réalisation d’une décision implicite de rejet. Nous verrons d’ailleurs que la Chambre administrative s’inspire des solutions arrêtées par le Conseil
d’Etat dans ce domaine, à propos de l’obligation d’adresser le recours administratif à l’autorité compétente.

1
Article 25, alinéa 3, loi du 23 mai 2000.

2
Ch. adm. 25 février 1972, YARO François c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 5.

193
Lorsqu’un recours administratif est adressé par voie hiérarchique, c’est le jour de
transmission par bordereau récapitulatif qui constitue le point de départ du délai à
l’expiration duquel naîtra la décision implicite (1).

Quant à son calcul, le délai commence invariablement à courir le lendemain du jour


où la demande est parvenue à l’autorité administrative saisie :
" Attendu qu’ayant soumis au Ministre de la Fonction publique un recours gracieux
daté du 15 juin 1970 et parvenu à cette autorité entre le 15 et le 30 juin 1970, le
demandeur pouvait, à compter du 31 octobre 1970, considérer que sa requête avait été
tacitement rejetée faute de réponse et disposait alors d’un délai d’action contentieuse
de deux mois expirant le 31 décembre 1970… " (2).

Le calcul du délai dans l’espèce susvisée se déroule ainsi : considérons que la


demande soit reçue par l’administration le 30 juin, le délai à l’issue duquel naît la
décision implicite commence à courir le 1er juillet à zéro heure. La décision implicite
est acquise à l’expiration d’un délai de quatre moi, le 31 octobre suivant à vingt-
quatre heures. Le délai de recours contre cette décision implicite commence à courir
instantanément, c’est-à-dire le 1er novembre à zéro heure ; il expire le 31 décembre à
vingt-quatre heures.

► Le silence administratif, décision tacite d’acceptation

Si le silence de l’administration fait naître une décision de rejet, il existe cependant


des cas où celui-ci vaut décision d’acceptation. C’est l’hypothèse inverse de celle que
nous venons d’étudier. En effet, il peut y avoir à apprécier l’existence d’une décision
implicite d’acceptation, lorsque le silence de l’autorité administrative est assimilé, par
une disposition législative ou réglementaire à une telle décision : décision
d’approbation (relativement à des mesures soumises au contrôle d’une autorité de
tutelle) ou décision implicite d’autorisation (s’agissant de demandes présentées par
les administrées).

Comme la technique de la décision implicite d’acceptation n’a simplement pour objet


de permettre la liaison du contentieux, le silence ne peut être tenu comme constituant
une telle décision qu’en conséquence de disposition textuelles précises (3). Et comme
pour les décisions implicites de rejet, il est bien entendu que le simple fait qu’un délai

1
Ch. adm. 27 juin 1997, Zango Roger et 13 autres c/ Etat burkinabè, arrêt n° 28/96-97.

2
Ch. adm. 12 mars 1971, COULIBALY Yéguékou David c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 8.

3
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 215.

194
soit imparti à l’administration pour statuer ne suffit pas à l’assimilation de son silence
à une décision implicite d’acceptation. Le silence ne vaut acceptation qu’à
l’expiration d’un certain délai.

Par exemple, l’exercice de la profession d’Agent d’affaires est subordonné à une


autorisation délivrée par l’administration conformément à l’article 5 de l’arrêté
général du 30 mars 1950 (1). Aux termes de l’article 6 du même texte " le refus
d’autorisation devra être motivé et notifié à l’intéressé par voie administrative, au
plus tard dans les trois mois de la demande. Passé ce délai, le silence gardé par
l’administration durant un mois à compter d’une nouvelle demande, sera réputé
équivaloir à l’acceptation de cette demande ".

La Chambre administrative a eu à préciser les conditions d’application de l’arrêté


susvisé, dans une décision qu’elle a rendue le 13 mars 1981. Dans l’espèce, le
requérant saisit le juge administratif d’une demande aux fins de reconnaissance de
ses droits à l’exercice de la profession d’Agent d’affaires. La Chambre administrative
a estimé que le requérant est réputé Agent d’affaires au sens des dispositions de
l’arrêté général du 30 mars 1950 : " Attendu qu’il apparaît…, que l’autorité
compétente, régulièrement saisie n’a répondu ni à la lettre du 22 février 1979, ni à
celle du 31 mai 1979,

Attendu en conséquence, que par son silence d’un mois à compter de la nouvelle
demande du requérant - silence réputé équivaloir acceptation - l’Administration a
concédé la qualité d’agent d’affaires à SAWADOGO Claude,

Attendu que SAWADOGO Claude satisfait ainsi aux conditions imposées pour être
Agent d’affaires… " (2).

Il ressort de cette décision qu’il ne peut y avoir décision implicite d’acceptation que
si la demande de décision a été adressée à l’autorité compétente. On peut admettre
qu’il serait anormal et fâcheux qu’une décision positive (et souvent créatrice de
droits) puisse résulter du silence d’une autorité incompétente.

1
Arrêté général du 30 mars 1950 portant règlement de la profession d’agent d’affaires en Afrique occidentale française.

C.E. 30 janvier 2004, Kaboré Yembi Barthélémy c/ Etat burkinabè (Ministère de la Défense), arrêt n° 18/2003-2004.

2
Ch. adm. 13 mars 1981, SAWADOGO Claude, c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 5.

195
D’autre part, comme l’indique la Chambre administrative, on comprend que le
silence observé par l’autorité compétente ne puisse valoir acceptation de la demande
que si cette dernière a été accompagnée des pièces et justifications, exigées par
l’Arrêté du 30 mars 1950, et destinées à mettre l’administration en mesure de se
prononcer en connaissance de cause. En d’autres termes, le juge a cherché si le
requérant remplissait les conditions requises.

La Zatu (ordonnance) AN-VII-0035/FP/PRES du 18 mai 1990 portant Statut des


groupements pré-coopératifs et sociétés coopératives institue un agrément que ces
organismes doivent obtenir. Mais l’agrément sera considéré acquis si aucune
notification écrite de la décision de l’autorité compétente n’a été adressée au
demandeur dans un délai de deux mois à compter de la date de réception du dossier
par le premier service compétent " (article 20) (1).

Nous terminerons l’étude de la nature de la décision exigée pour lier le contentieux,


en évoquant le cas extrêmement rare de la décision confidentielle qui n’est ni publiée,
ni notifiée à la personne intéressée. " Attendu… que les délibérations du Conseil des
Ministres sont secrètes et que pour se traduire en actes juridiques, les textes retenus
doivent être rédigés, signés et contresignés.

Attendu qu’il est manifeste que c’est par suite de détournement de procédure ou de
communication contraire aux règlements de pièces ou de documents administratifs,
dont bénéficiait TRAORE Pierre Jacques, qu’il se trouva en possession d’une copie
de la lettre confidentielle n° 427/TFP/DECD du 16 août 1979 du Ministre de la
Fonction publique informant le Premier Ministre du rejet du dossier de
réintégration… " (2).

La Chambre administrative confirme ici une règle qu’elle a consacré dans une
décision du 11 juillet 1975 (3) Dans l’espèce, les requérants faisaient grief à l’Etat
d’une délibération du Conseil des Ministres en date du 30 avril 1975 ainsi que d’une
lettre n° 98/TFP/DFPS du 7 mai 1975 par laquelle le Ministre de la Fonction publique
les avisait de ce que l’arrêt rendu ne leur faveur par la Chambre administrative, ne
recevrait pas exécution. Cette lettre affirmait que " le Conseil des Ministres saisi de
ce problème le 30 avril 1975, a décidé de ne pas exécuter l’arrêt… ". La Chambre
administrative a considéré que " ladite lettre constitue le seul acte administratif
attaquable pour matérialiser la volonté de la puissance publique et permettre de
constater son obstruction… ". Nous remarquons que le juge administratif a plutôt

1
Ch. adm. 30 novembre 2001, le Groupement villageois " Yanroubou " c/ Haut-Commissariat de la Province du BAM-Kongoussi, arrêt n° 11/2001-
2002.

2
Ch. adm. 24 juillet 1981, TRAORE Pierre Jacques c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 12.

3
Ch. adm. 11 juillet 1975, Go Korpan Sylvain et 3 autres c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 10.

196
estimé que la requête était dirigée contre la lettre du 7 mai 1975, et non la
délibération du Conseil des Ministres du 30 avril 1975, qui en l’absence de la lettre
susmentionnée ne pouvait faire l’objet d’un recours contentieux.

197
B - Les actes administratifs unilatéraux non décisoires

L'administration adopte un certain nombre de mesures unilatérales qui n'accèdent pas


au niveau de l'acte administratif décisoire parce qu'elles ne font pas grief.

Il est souvent difficile de faire le départ entre de simples actes unilatéraux de


l'administration et des décisions administratives, puisque les premiers sont
nécessairement des actes unilatéraux. C'est la considération des effets que l'acte est
susceptible de provoquer sur la situation des administrés qui est déterminante: un acte
qui ne peut provoquer aucun effet juridique, n'accède pas au niveau de décision
administrative.

Une distinction doit être également faite entre les « décisions » et une série d'actes
qui n'ont pas un caractère décisoire, mais n'en jouent pas moins, en pratique, un rôle
très important dans la vie administrative.

l. Les circulaires

Les circulaires d'instruction de service sont des documents par lesquels


l'administration formule le plus souvent à l'intention de ses agents, mais
éventuellement aussi à celle des administrés, des observations au sujet d'une situation
donnée.

Elles contiennent normalement des instructions, recommandations, explications


adressées par les chefs de service (ministres notamment) aux personnels dont il a à
diriger l'action
Relative le plus souvent à l'application d'une législation ou d'une réglementation
déterminée, elles en constituent un commentaire et en interprète les dispositions.
Elles indiquent les façons de procéder, les précautions à prendre, les contrôles à
exercer.
On distingue deux catégories de circulaires; celles interprétatives et celles
réglementaires.
a. Les circulations interprétatives

Elles n'accèdent pas à la catégorie d'actes administratifs unilatéraux parce qu'elles


n'ajoutent rien à l'état du droit en vigueur. Elles ne créent ni droit nouveau, ni
obligation nouvelle. A ce titre, elles ne sont pas des actes administratifs décisoires ne
pouvant être attaquées par la voie du recours pour excès de pouvoir.

► Les circulaires interprétatives, actes réellement non décisoires

198
Les circulaires qui ont pour objet de clarifier les textes normatifs, de les expliciter, de
les interpréter, sont des circulaires purement interprétatives. Elles ne créent pas de
normes, de règles nouvelles ; elles se bornent à interpréter correctement les
normes, les règles existantes ; elles n’imposent pas non plus à leurs destinataires
l’interprétation qu’elles contiennent car elles ne sont pas impératives.

Définition : Une circulaire purement interprétative est un acte non impératif de


portée générale par lequel une autorité administrative indique à ses subordonnés le
sens de certaines dispositions normatives.

Exemple : Une loi L relative à la fonction publique a été publiée qui contient les
règles X et Y. Ces règles paraissent obscures. Le ministre de la Fonction publique
adresse une circulaire C à ses agents. Dans cette circulaire, le ministre indique que X
signifie S1 et Y S2. Dans l’esprit du ministre, C est une circulaire interprétative. Mais
le dernier mot revient au juge. Si, à l’occasion d’un recours, le juge estime que les
significations de X et Y sont bien respectivement S1 et S2, il tiendra la circulaire C
pour purement interprétative et légale.

Quelle est la portée des circulaires purement interprétatives ?

- A l’égard des agents de l’administration, elles ne revêtent pas un caractère


obligatoire, car elles ne sont pas impératives.

- A l’égard des administrés - qui n’en sont pas les destinataires ! - elles sont
dépourvues de force obligatoire. Trois observations :

1 - Les circulaires interprétatives ne sont pas opposables aux administrés.


Autrement dit, elles ne sont pas invocables par l’administration. Une autorité
administrative ne peut fonder explicitement sa décision sur une circulaire
interprétative, elle doit le faire directement sur le texte que la circulaire interprète.

199
Exemple : Le ministre de la Fonction publique adopte une circulaire C pour
interpréter une loi L. Ultérieurement, un fonctionnaire de ce ministère prend une
décision D qui a pour destinataire un administré Alpha. Le fonctionnaire ne peut
justifier cette décision D en se fondant sur la circulaire interprétative C. S’il le faisait,
la décision D serait illégale, entachée d’erreur de droit. Le fonctionnaire doit,
officiellement, fonder sa décision D sur la loi L que la circulaire C interprète. Il y a là
une sorte d’incitation à s’appuyer sur une circulaire interprétative sans le dire -
sinon à quoi servirait une circulaire interprétative ?

2 - Les circulaires interprétatives ne sont pas non plus invocables par les administrés.
Autrement dit, elles ne sont pas opposables à l’administration. Les administrés ne
peuvent se fonder sur une circulaire interprétative pour demander l’annulation
d’une décision administrative - sauf en matière fiscale. Ils doivent se prévaloir
directement du texte que la circulaire interprète.

Exemple : Un fonctionnaire du ministère de la Fonction publique prend une décision


D sans se soucier de la circulaire C. Un administré ne peut demander au juge
d’annuler la décision D en invoquant la circulaire C. Il ne saurait dire au juge :
veuillez annuler la décision D parce qu’elle n’a pas respecté la circulaire C. Le
requérant doit se prévaloir du texte interprété, en l’occurrence la loi L. Il devrait
donc dire au juge : veuillez annuler la décision D parce qu’elle n’a pas respecté la loi
L.

3 - Les circulaires interprétatives sont insusceptibles de recours pour excès de


pouvoir. Un administré ne peut demander au juge d’annuler une circulaire
interprétative. Sa demande serait déclarée irrecevable par le juge - C.E., 20 octobre
1999, Fédération des Syndicats généraux de l'Education nationale ; Ch. adm. 31
décembre 1993, Claude Sawadogo c/ Etat burkinabè, arrêt n° 15/93.

200
Tout se passe comme si, pour le juge, la circulaire interprétative était transparente.
L’interprétation donnée dans une circulaire ne lie pas le juge. Il s’agit bien d’une
mesure d’ordre intérieur.

En résumé, la circulaire interprétative est inopposable, non invocable, insusceptible


de recours en annulation.

Les circulaires interprétatives au sens propre c'est-à-dire qui dégagent le sens et la


portée des décisions en vigueur, constituant plus qu'un simple rappel.
Mais l'interprétation si elle est correcte ne fait qu'aller dans le sens du texte; lui faire
dire ce qu'il comportait déjà au moins implicitement

La circulaire peut également porter des recommandations sur la mise en œuvre d'une
législation. Elle constitue une pression sur les destinataires et est de nature à orienter
la décision ultérieure. Néanmoins, elle ne les fige pas. C'est pourquoi elle ne fait pas
non plus grief.

► Les circulaires règlementaires

A côté des circulaires purement interprétatives, il existe une autre variété de


circulaires : les circulaires réglementaires. Il s’agit aussi d’actes de portée générale
adressés par les chefs de service aux agents placés sous leur autorité.

Les circulaires réglementaires prétendent également interpréter les règles de droit.

Lorsque la circulaire ne se limite pas à l'état du droit antérieur et y ajoute des


dispositions qui par elle-même modifient l'ordonnancement juridique, en créant des
droits et des obligations à l'égard des tiers: elle constitue un acte ¨administratif
décisoire ". Elle est réglementaire en ce qu'elle comporte des dispositions générales
et impersonnelles.

Il en est ainsi tout d'abord pour les circulaires qui sous couvert de l'interprétation d'un
texte ordonne un sens qui en modifie la portée. (CE, 26 juin 1974, Letinier p. 364).
De même, la circulaire qui en commentant un texte pour en assurer l'application,
ajoute des dispositions supplémentaires à celles qu'il contenait à un caractère
règlementaire (CE arrêt de principe, 25 juin 1954, institution notre Dame du
Kreisker).
Enfin, plus largement, les circulaires indépendamment même de l'interprétation ou de
l'application d'un texte antérieur, édictent une norme nouvelle. Ces circulaires ont des
effets directs. Ce sont des actes administratifs décisoires.
201
Reprenant la solution française inaugurée par la jurisprudence Institution Notre Dame
du Kreisker, la Chambre administrative s’intéresse directement aux instructions et
circulaires qui auraient une nature réglementaire. Le point de départ de sa
jurisprudence est constitué par une décision du 25 mai 1973 ( 1) rendue à propos d’un
recours dirigé contre une circulaire : " Attendu qu’une mesure d’ordre intérieur se
définit, non par sa forme (circulaire, lettres de service, etc.) mais exclusivement
par son objet et ses conséquences sur la situation des particuliers ou des agents
publics, qu’il est dans chaque cas nécessaire de rechercher l’exacte portée de
l’acte incriminé aux fins de le traiter selon la nature qu’aura révélée son examen
et que ne sauraient être considérées comme telles, des circulaires qui, sous la
couleur d’interpréter une loi ou un décret, en restreignent l’application,
soumettant l’exercice des droits créés à des conditions non initialement prévues,
imposent des obligations nouvelles aux administrés ".

Dans l’espèce, le requérant faisait grief à l’Etat, d’une circulaire du Ministre de


l’Intérieur qu’on lui avait opposée lors de son élection à la chefferie de Fada
N’Gourma et qui avait institué la règle du quart des électeurs inscrits. Le décret n°
326/PRES/I.S./DT du 28 juillet 1964 relatif au mode de désignation des chefs de
villages dispose expressément en son article 4 que " le décompte des voix obtenues
par chaque candidat est immédiatement effectué par le chef de circonscription
administrative qui donne lecture des résultats et proclame le candidat qui a obtenu le
plus de voix " et " qu’en cas de partage des voix le candidat le plus âgé est proclamé
élu ".

Or, la circulaire prise par le Ministre de l’Intérieur, exigeait qu’un candidat ait obtenu
le quart des voix des électeurs pour être valablement élu. La Chambre administrative
a considéré :

" Attendu qu’en accroissant les obligations des candidats à la chefferie et en


restreignant considérablement le champ d’application de l’article 4 du décret n° 326
le Ministre de l’Intérieur prit plus qu’une stricte mesure d’ordre intérieur et méconnut
le respect dû à un décret présidentiel, qu’il excéda se faisant ses pouvoirs ". Dans
cette décision, le juge a reconnu le caractère réglementaire de la circulaire. Il admet
alors le recours pour excès de pouvoir et annulera cette mesure comme émanant
d’une autorité qui n’avait pas compétente pour édicter ainsi une mesure
réglementaire. Ainsi pour la Chambre administrative, les " circulaires
réglementaires " ne sont pas valables que si leurs auteurs disposent du pouvoir
réglementaire nécessaire et si leurs dispositions ne contreviennent pas aux textes
supérieurs

1
Ch. adm. 25 mai 1973, THIOMBIANO Babribilé c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 12 précité.

202
La Chambre administrative a étendu la solution consacrée aux circulaires à certaines
lettres émanant de Ministres :

" Attendu que les lettres n° 946/PD et n° 1.063/PD… ne sont pas des mesures d’ordre
intérieur, qu’en mettant des obligations nouvelles (en ce qu’elles ramènent à moins de
39 ans l’âge des candidats alors que c’est de 40 ans qui est prescrit par décret) à la
charge des administrés, elles constituent des actes administratif susceptibles de faire
l’objet de recours contentieux " (1). La jurisprudence de la Chambre administrative
est louable dans la mesure où elle offre aux administrés la possibilité de faire
condamner des circulaires ou lettres que l’administration serait tentée de faire passer
comme de simples mesures d’ordre intérieur, et qui risquent de leur nuire. Mais le
juge entend n’admettre le recours qu’à l’égard des circulaires ou lettres qui
aboutissent vraiment à modifier impérativement les conditions d’exercice d’une
compétence.
Si les circulaires " réglementaires " peuvent être attaquées en excès de pouvoir, il
n’en va pas de même des circulaires " interprétatives ", insusceptibles de recours
contentieux (2).

1
Ch. adm. 23 novembre 1973, IDO Justin c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 15.

2
Ch. adm. 31 décembre 1993, Claude Sawadogo c/ Etat burkinabè, arrêt n° 15/93.

203
204
2. - Les directives

Comme les circulaires, ce sont des actes de portée générale adressés par les chefs
de service aux agents placés sous leur autorité. Leur objet diffère cependant : elles
indiquent aux agents, non pas la manière dont ils doivent décider, mais ce qu’ils
doivent décider en appliquant une réglementation : C.E., Sect., 11 décembre 1970,
Crédit foncier de France. Cet arrêt a été précisé par C.E., Sect., 29 juin 1973, Société
Géa.

N.B. : ne pas confondre ces directives avec les directives communautaires dont il a
été question dans la problématique des sources de la légalité.

Définition : une directive est un acte de portée générale par lequel une autorité
disposant d’un pouvoir d’appréciation dans un certain domaine se fixe à elle-même,
ou indique à ses subordonnés une ligne de conduite dans l’exercice de ce pouvoir.

Exemple : Pour accorder ou refuser des autorisations d’occupation privative du


domaine public, le maire dispose d’une compétence discrétionnaire. [Occupation
privative : installation de kiosques ou de terrasses de café sur la voie
publique… Compétence discrétionnaire : ni la loi ni le règlement n’imposent de
critères précis au maire pour accorder ou refuser de telles autorisations. Les textes
se bornent à lui en donner la possibilité.] Le maire adopte une directive destinée à
ses services. Objet : définition des critères à retenir. Objectif : prévenir l’arbitraire,
les discriminations, rationaliser le travail administratif, éviter les incohérences,
adopter une ligne de conduite, sa propre gouverne.

L’édiction d’une directive est régulière, légale, à deux conditions :

205
- la directive ne doit pas être inadaptée au but visé par la réglementation appliquée,

- elle ne doit pas revêtir un caractère impératif, c’est-à-dire que l’administration doit
pouvoir y déroger, ne pas l’appliquer dans certains cas.

Une directive est opposable, invocable - à condition bien sûr qu’elle soit légale -,
mais insusceptible de recours en annulation.

3. Les mesures préparatoires ou indicatives

Ces mesures prises dans le cadre du fonctionnement de l'administration d'un autre


type, se distinguent également de l'acte administratif par ce qu'elles ne font pas grief.
Il s'agit des mesures indicatives d'exécution comme le renseignement, la confirmation
d'une décision antérieure, sa notification ou des mesures préparatoires Comme la
communication d'un dossier, la convocation d'un organisme, un avis.

Toutes ces mesures peuvent avoir une certaine importance, mais en tant que telles,
elles n'ajoutent rien au droit existant. Elles sont destinées à préparer une décision
proprement dite (alors ne comportent aucun élément de décision).

Les autres mesures d’ordre intérieur

►Les propositions et les avis : ils visent à préparer des décisions à venir. L’avis est
sollicité par l’autorité qui prendra la décision ; la proposition est spontanée. Selon
les cas, la portée est obligatoire ou non. Avis conforme ou non.

►Les ordres de service ou ordres hiérarchiques

►Les décisions assimilées aux mesures d’ordre intérieur

206
►La mise en demeure : s’il s’agit d’une simple invitation, il n’y a pas de décision,
sinon il y a décision faisant grief - C.E., Sect., 25 janvier 1991, Confédération
nationale des associations familiales catholiques.

207
Section 3. Le régime juridique de l’acte administratif unilatéral

Il couvre l’ensemble des conditions par lesquelles l’acte administratif unilatéral est
adopté et appliqué. On peut l’envisager comme englobant de manière générale toutes
les règles de la légalité auxquelles l’acte est assujetti puisque aussi bien pour son
élaboration que pour son exécution, doivent être respectées des normes touchant à la
fois à la manière d’agir et au fond même du droit.

Une conception aussi large du régime de l’acte aboutit à traiter de la légalité en


général et déborde les questions propres au statut de l’acte lui-même. On n’évoquera
donc pas ici celles qui se rapportent à sa légalité interne. La légalité interne de l’acte
porte sur l’objet, les motifs et les buts.

Les conditions de légalité interne de l’acte concernent l’acte lui-même, son contenu,
dans ses dispositions et non plus les éléments extérieurs à l’acte relatifs à son auteur
ou à sa procédure d’édiction et à sa forme ( conditions de légalité externe)

La légalité externe regroupe les règles qui sont relatives à la manière dont l’acte est
élaboré, délibéré et présenté.

Les conditions de validité des actes administratifs porteront sur l’élaboration de


l’acte (sous Section 1), son application (sous Section 2) et son exécution (sous
Section 3).

Le principe de légalité, c'est le principe selon lequel l'administration est tenue au respect d'un certain
nombre de règles de droit.

Un acte administratif qui contrevient à ces règles est entaché d’illégalité. Et cette illégalité permet
souvent d’en obtenir l’annulation par la voie du recours pour excès de pouvoir.
208
C’est pourquoi les illégalités pouvant entacher les actes administratifs sont aussi appelées cas
d’ouverture du recours pour excès de pouvoir ou moyens de légalité - un moyen étant un argument que l'on
présente au juge.

Nous pouvons donc considérer que les expressions suivantes se rapportent à la même réalité :
illégalités, moyens de légalité et cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir. Elles désignent des
C'est ce que l'on appelle l'approche contentieuse de la légalité - "contentieux" au sens de
"relatif aux litiges portés devant le juge".

En se fondant sur la manière dont elles régissent ou encadrent les actes administratifs, on
209
peut répartir les règles de la légalité entre deux catégories :

I. Les règles relatives à la légalité externe des actes administratifs


1. les règles relatives à la compétence de l'auteur de l'acte administratif,
2. les règles relatives à la procédure qui conduit à l'adoption (on dit aussi "édiction")
210
La distinction "légalité externe - légalité interne" (ou illégalités externes -
illégalités internes) revêt une grande importance devant le juge.

Intérêts de la distinction légalité externe - légalité interne

Un acte administratif doit respecter la légalité tant du point de vue des conditions
de son élaboration - légalité externe - que du point de vue de son contenu - légalité
interne.

211
Lorsque l’on forme un recours pour excès de pouvoir, on doit exposer au juge les
illégalités qui affectent la décision administrative que l'on attaque.

Ces illégalités alléguées - ou cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir -


constituent les moyens de légalité du requérant ou de la requête. Il s’agit
d’illégalités internes ou externes.

►La cause juridique

La légalité externe et la légalité interne correspondent à deux causes juridiques


distinctes.

Par conséquent, les moyens de légalité externe et les moyens de légalité interne
procèdent de causes juridiques distinctes.

Cette distinction entraîne des conséquences importantes après l’expiration du délai


de recours.

Si, dans le délai de recours, le requérant n’a invoqué que des moyens se rattachant
à une cause juridique, il ne peut plus se prévaloir de moyens issus de l’autre cause
juridique. Ces derniers seraient considérés comme des moyens nouveaux - ou des
demandes nouvelles, donc irrecevables : - C.E., Sect., 20 février 1953, Société
Intercopie (Rec. p.88 ; Sirey 1953, 3, 77).

En d’autres termes, si dans le délai de recours, un requérant n’a invoqué que des
moyens de légalité externe, il peut, après l’expiration de ce délai et avant que le juge

212
ne statue, invoquer tout autre moyen se rattachant à la légalité externe ; mais il ne
peut plus invoquer un moyen de légalité interne.

Inversement, si, dans le délai de recours, il ne s’est prévalu que de moyens de


légalité interne, il pourra, après l’expiration du délai, invoquer d’autres moyens de
légalité interne, mais pas des moyens de légalité externe.

Il serait donc tactiquement opportun d’invoquer, dans le délai de recours, aussi bien
des moyens de légalité externe que des moyens de légalité interne, même si, à ce
stade de la procédure, leur bien-fondé paraissait douteux.

Par exception, les moyens d’ordre public demeurent recevables, quel que soit le
cas de figure considéré (Exemples de moyens d'ordre public: l'incompétence, la
violation du champ d'application de loi, la violation de l'autorité de la chose jugée,
etc.)

213
Exemple :

Un requérant fonde son recours pour excès de pouvoir uniquement sur


l’incompétence de l’auteur de l’acte - moyen de légalité externe. Avant l’expiration
du délai de recours, il pourra invoquer également, par exemple, le vice de forme -
moyen de légalité externe - ou le détournement de pouvoir - moyen de légalité
interne.

Après l’expiration du délai de recours, il est toujours recevable à invoquer le vice de


forme ; en revanche, il ne peut plus se prévaloir du détournement de pouvoir.

► La réfection de l’acte

Nous retrouvons ici un aspect important de la distinction des différentes ouvertures


du recours pour excès de pouvoir. Comme le soulignent J.M. AUBY et R. DRAGO
(1), la distinction présente un intérêt pratique. " En principe, le juge examine les
moyens dans un certain ordre… ; la réfection de l’acte est différente selon l’illégalité
invoquée… ". Pour ces auteurs, le juge administratif examine les moyens invoqués
par le requérant selon un " ordre logique, c’est-à-dire les moyens de légalité externe
avant ceux de la légalité interne ". Ce comportement lui permet de prononcer
l’annulation d’un acte pour des motifs tirés de la compétence ou de la forme sans
avoir toujours à examiner le fond.

La Chambre administrative, dans les affaires susvisées où le vice d’incompétence n’a


été retenu, semble s’écarter de la démarche du juge administratif français. Mais, dans
d’autres cas, le juge burkinabè adopte le même comportement que son homologue
français en ce qui concerne l’ordre dans lequel sont examinés les moyens invoqués
par le requérant. Il arrive encore souvent que le juge français, en face de moyens de
forme et de fond pareillement fondés, se contente d’annuler sur la base des moyens
de forme. Cette démarche a été suivie par la Chambre administrative dans l’affaire
DIANOU Dayeri (2).

1
J.M. AUBY et R. DRABO, op. cit., n° 1133 et 1134.

2
Ch. adm. 13 mars 1981, DIANOU Dayeri c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 6.

214
Mais lorsque l’illégalité de fond lui paraît particulièrement grave, le juge français,
peut annuler directement en se fondant sur les moyens de légalité interne, choisissant
ainsi lui-même la base de sa décision.

Cette attitude n’est pas seulement destinée à censurer un comportement illégal de la


part de l’administration, elle comporte également un intérêt pratique puisque la
mesure annulée pour un motif de forme pourra, en principe, être reprise dans des
conditions régulières tandis que l’annulation pour un motif de fond empêchera, le
plus souvent, l’administration de reprendre le même acte. (1)
Sous Section 1. L’élaboration de l’acte administratif unilatéral

L’acte administratif est adopté par une autorité administrative à la suite d’une
procédure plus ou moins complexe et se présente dans des conditions variées. Il
faut examiner successivement l’auteur de l’acte, la procédure de son élaboration et
sa présentation.

La légalité externe porte sur les éléments formels de l’acte : la compétence de son
auteur, la procédure et la forme de son édiction. Elle porte sur le mode d’exercice
du pouvoir et non sur sa substance.

Concrètement, la légalité externe comprend trois grandes branches :

- La compétence de l’auteur de l’acte,


- La procédure d’élaboration de l’acte,
- La présentation formelle de l’acte.

§.1.Les règles relatives à la compétence

Un acte pris par l’autorité compétente est celui qui émane effectivement de
l’autorité qui avait été invité par le droit pour édicter cet acte.

A. Le contenu des règles de compétence

1
Ch. adm. 27 février 1998, Bassono B. Robert c/ Etats burkinabè, arrêt n° 21/97-98.

215
La compétence des autorités administratives est l’aptitude juridique des individus ou
des organismes collectifs qui constituent les autorités administratives à passer des
actes juridiques au nom d’une personne publique.

Il y a incompétence lorsque la mesure administrative édictée ne rentrait pas dans les


attributions de l’autorité qui l’a prise mais dans celle d’une autre autorité, autrement
dit, lorsqu’il y a infraction aux règles de compétence. De toutes les formes
d’illégalité, le vice d’incompétence reste le plus grave : les agents publics n’ont de
pouvoir que sur la base et dans les limites des textes qui fixent leurs attributions.
Aussi, l’incompétence a-t-elle été le premier en date des moyens d’annulation admis
par le Conseil d’Etat français.

La compétence s’apprécie au regard de trois (03) éléments : matériel,


territorial, temporel.

- Compétence matérielle,
- Compétence territoriale,
- Compétence temporelle.

1. La répartition du pouvoir entre les diverses autorités administratives

► Définition générique : La compétence, c’est l’aptitude légale d’une personne


à prendre certains actes juridiques dans une matière déterminée, dans une zone
géographique donnée, et pendant la période allant de son investiture à la fin de ses
fonctions.

Bref, il s’agit de la possibilité juridique de faire.

 Par extension, elle désigne aussi l’ensemble des pouvoirs attribués à une
autorité, c’est-à-dire son domaine d’action, bref ce qu’elle peut juridiquement faire.
Dans ce dernier sens, on parle également d’attributions.

216
L’aptitude juridique de l’autorité administrative s’apprécie à trois points de vue. On les
définit en répondant, successivement, à trois questions :

1. Que peut faire l’autorité administrative ?


2. Où peut-elle le faire ?
3. Quand doit-elle le faire ?

a. La limitation géographique : la compétence ratione loci

►La compétence ratione loci signifie, littéralement, la compétence en raison du


lieu, la compétence territoriale, la compétence par rapport au lieu.

 La compétence ratione loci, c'est l'aptitude juridique à prendre un acte valant


pour une zone géographique déterminée ou à partir d’une zone géographique
déterminée.

 L'incompétence ratione loci, c'est l'inaptitude juridique à prendre un acte


valant pour une zone géographique déterminée ou à partir d’une zone
géographique déterminée.
Chaque autorité administrative intervient dans une zone géographique
déterminée.

217
La compétence territoriale d’une autorité administrative est limitée par la
circonscription administrative à l’intérieur de laquelle cette autorité est habilitée à
exercer sa compétence. Certaines autorités ont une compétence nationale, d’autres
une compétence provinciale départementale ou locale. Les circonscriptions
administratives étant parfaitement déterminées, les cas d’empiètement de
compétence rationae loci sont rares.

b. La limitation dans le temps : la compétence ratione temporis

►La compétence ratione temporis signifie, littéralement, la compétence en raison


du temps, la compétence temporelle, la compétence par rapport au moment.

 La compétence ratione temporis, c'est l'aptitude juridique à prendre


un acte à un moment donné.
 L'incompétence ratione temporis, c'est l'inaptitude juridique à prendre
un acte à un moment donné.

Plus précisément, il y a incompétence ratione temporis lorsque l’une des trois


hypothèses suivantes se réalise :

1. l’autorité administrative qui a pris la décision litigieuse n’avait pas encore été
investie de ses fonctions - donc, elle n’était pas encore compétente;

2. l’autorité administrative qui a pris la décision litigieuse s’était vu retirer ses


fonctions ou pouvoirs - donc, elle n’était plus compétente ;

3. l’autorité administrative qui a pris la décision litigieuse est intervenue en


dehors de la période légale de décision. Par exemple, le fait pour le Président de la
République de continuer à signer des ordonnances après l’expiration du délai prévu
par la loi d’habilitation.
218
L’exercice par une autorité administrative de ses compétences est limité au temps,
durant lequel elle est investie de ses fonctions.

Une autorité administrative ne peut prendre des décisions qu’à partir du moment
où elle a été investie de ses fonctions. L’effet juridique de l’investiture part de la
signature du texte de nomination (19 décembre 1952, Demoiselle Mattei).

Une autorité désinvestie perd sa compétence. Mais, un fonctionnaire, même


désinvesti, doit continuer à exercer ses fonctions jusqu’à ce qu’il ait été remplacé
(27 avril 1973, Demoiselle Serre).

Un gouvernement démissionnaire peut continuer à expédier les affaires courantes


qui sont « comme la zone limitée de compétence exceptionnelle d’un
gouvernement dont le pouvoir ne repose plus sur aucun fondement que sur les
nécessités de l’Etat » (Concl. Delvolvé, 04 avril 1952, Syndicat régional des
quotidiens d’Algérie ; 19 octobre 1962, Brocas, D. 1962, 702). Le juge contrôle si une
mesure rentre ou non dans l’expédition des affaires courantes (CE, 20 janvier 1988,
Commune de Pomerol, RDP, 1988, p. 1137).

c. Limitation matérielle : la compétence ratione materiae :


La compétence ratione materiae signifie, littéralement, la compétence en raison
de la matière, la compétence matérielle, la compétence par rapport à la matière.

 La compétence ratione materiae, c'est l'aptitude juridique à prendre


un acte dans une matière donnée.
 L'incompétence ratione materiae, c'est l'inaptitude juridique à prendre un
acte dans une matière donnée

Les cas d’incompétence relevés par la jurisprudence administrative peuvent se


grouper en deux grandes catégories :
- l’usurpation de fonctions non administratives notamment juridictionnelles par une
autorité administrative ;

219
- la méconnaissance des règles de répartition de compétence à l’intérieur de
l’administration.

► L’usurpation de fonctions juridictionnelles par une autorité administrative

L’hypothèse envisagée est celle d’un acte pris par une autorité administrative et qui
sort totalement du domaine de l’administration pour relever des attributions de
l’autorité judiciaire.

La Chambre administrative dans un arrêt du 22 février 1974 Quotidien KIBARE a


annulé un arrêté du Ministre de l’Intérieur portant suspension pour une durée
indéterminée d’un journal. La loi n° 20/59/AL du 31 août 1959 relative à la presse et
aux délits de presse réserve la connaissance de ces délits exclusivement aux tribunaux
répressifs. L’article 58 inclus dans le paragraphe 2 intitulé " peines complémentaires,
récidive, circonstances atténuantes et prescriptions " du chapitre 5 de cette même loi
dispose qu’au cas de condamnation, la suspension du journal pourra être prononcée
par la même décision de justice pour une durée qui n’excédera pas six mois.
La Chambre administrative a considéré :

" Attendu qu’il en résulte que ladite suspension est une peine principale infligée à une
personne physique de durée strictement limitée dans le temps, prononcée, enfin, par
les seuls tribunaux de l’ordre judiciaire ;

Attendu, par voie de conséquence, que la défenderesse excéda ses pouvoirs et


empiéta sur un domaine réservé au pouvoir judiciaire en procédant par arrêté
administratif à l’exclusion de toutes poursuites pénales et pour une durée non
précisée… ".

La Chambre administrative a annulé un permis urbain d’habiter établi par l’autorité


administrative après avoir tranché une question de propriété :

" Attendu que la défenderesse, loin d’attendre la solution définitive et de savoir à qui
était finalement attribué la propriété, rédigea dès le 11 juillet 1977 le nouveau permis
n° 11/VO, se substituant ainsi aux juridictions civiles compétentes et tranchant de sa
propre initiative sur une question de propriété, qu’elle excéda ses pouvoirs ce
faisant " (1).

1
Ch. adm. 26 mai 1978, SANFO Boureima c/ Commune de OUAGADOUGOU arrêt n° 9.

220
► L’empiétement de fonctions entre autorités administratives

L’empiétement de fonctions, c'est le fait pour une autorité administrative de


« s'aventurer », volontairement ou non, dans le domaine d'une autre
autorité administrative.

Dans cette hypothèse, l’auteur de l’acte administratif empiète sur les attributions
d’une autre autorité. Ici, l’empiètement de fonctions intervient entre autorités
administratives.

Le principe est qu’une autorité ne doit pas empiéter sur les attributions d’une autre
autorité qu’elle soit de rang équivalent, supérieur1 ou inférieur. Une autorité
supérieure ne peut modifier la décision prise par une autorité inférieure que dans le
cadre de l’exercice de son pouvoir hiérarchique.

L’autorité hiérarchique peut donner des ordres à ses subordonnés pour qu’ils
modifient leurs décisions ; elle peut directe directement modifier ou rapporter leurs
décisions (30 juin 1950, Général, D. 1951, p. 246, Concl. Delvolvé) mais elle ne peut
empiéter sur leurs compétences (12 novembre 1949, Yassi Alloua).

Cette forme d’incompétence suppose que l’auteur de l’acte litigieux est une autorité
administrative, dotée d’un pouvoir de décision. L’illégalité consiste en ce que cette
autorité a pris sa décision dans une matière relevant d’une autre autorité. (2).

Le juge administratif a déclaré illégal un permis urbain d’habiter délivré à une


requérante par un Maire, alors que la parcelle correspondant à ce permis devait être

1
Incompétence fréquente dans l’exercice du pouvoir réglementaire.
2
Ch. adm. 24 juin 1994, Bassono Bakibié c/ Office National des Postes, arrêt n° 14/94 ; même jour, Rouamba Julien, c/ Office National des Postes,
arrêts n° 15.

221
attribuée par le chef de circonscription administrative (Préfet) après avis d’un
commission. Le juge administratif a considéré que la décision du Maire était entachée
d’un vice d’incompétence dans la mesure où celui-ci s’était substitué au chef de
circonscription administrative pour prendre un acte qui ne rentrait pas dans ses
attributions (1).

L’incompétence peut également être le fait d’autorités ministérielles ; une des


hypothèses les plus fréquentes de ce type d’incompétence, consiste pour un Ministre,
à édicter des mesures de caractère réglementaire. Un ministre est incompétent pour
prendre une décision qui relève d’un décret. Le juge administratif a annulé les
circulaires ou lettres ministérielles faisant échec aux dispositions d’un décret (2).
Dans ces affaires, le moyen d’annulation était basé sur la violation de la loi. Pourtant
le vice d’incompétence était manifeste dans les espèces soumises à la Chambre
administrative.

Nous retrouvons ici un aspect important de la distinction des différentes ouvertures


du recours pour excès de pouvoir. Comme le soulignent J.M. AUBY et R. DRAGO
(3), la distinction présente un intérêt pratique. " En principe, le juge examine les
moyens dans un certain ordre… ; la réfection de l’acte est différente selon l’illégalité
invoquée… ". Pour ces auteurs, le juge administratif examine les moyens invoqués
par le requérant selon un " ordre logique, c’est-à-dire les moyens de légalité externe
avant ceux de la légalité interne ". Ce comportement lui permet de prononcer
l’annulation d’un acte pour des motifs tirés de la compétence ou de la forme sans
avoir toujours à examiner le fond.

La Chambre administrative, dans les affaires susvisées où le vice d’incompétence n’a


été retenu, semble s’écarter de la démarche du juge administratif français. Mais, dans
d’autres cas, le juge burkinabè adopte le même comportement que son homologue
français en ce qui concerne l’ordre dans lequel sont examinés les moyens invoqués
par le requérant. Il arrive encore souvent que le juge français, en face de moyens de
forme et de fond pareillement fondés, se contente d’annuler sur la base des moyens
de forme. Cette démarche a été suivie par la Chambre administrative dans l’affaire
DIANOU Dayeri (4).

1
Ch. adm. 11 juin 1965, Dame KOITA, arrêt n° 3 précité.

2
V., supra n° 607.

3
J.M. AUBY et R. DRABO, op. cit., n° 1133 et 1134.

4
Ch. adm. 13 mars 1981, DIANOU Dayeri c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 6.

222
Mais lorsque l’illégalité de fond lui paraît particulièrement grave, le juge français,
peut annuler directement en se fondant sur les moyens de légalité interne, choisissant
ainsi lui-même la base de sa décision.

Cette attitude n’est pas seulement destinée à censurer un comportement illégal de la


part de l’administration, elle comporte également un intérêt pratique puisque la
mesure annulée pour un motif de forme pourra, en principe, être reprise dans des
conditions régulières tandis que l’annulation pour un motif de fond empêchera, le
plus souvent, l’administration de reprendre le même acte. (1)

d. Les incertitudes et la règle du parallélisme des compétences

Il n’est pas toujours aisé d’identifier l’autorité administrative compétente pour


prendre telle ou telle décision. Comment savoir qui a compétence pour prendre tel
acte administratif ?

En principe, la réponse se trouve dans les textes : lois, règlements, Constitution. A


défaut de disposition textuelle, on applique parfois le principe jurisprudentiel du
parallélisme des compétences.

La Chambre administrative n’a pas retenu le vice d’incompétence dans certaines


affaires qui lui étaient soumises où ce vice était invoqué. Dans une décision du 28
janvier 1972 (2), le juge administratif admet la légalité d’un arrêté ministériel qui
rapporte un décret sur les directives d’une ordonnance :

" Attendu qu’un arrêté ministériel ou une circulaire ne peuvent déroger aux
dispositions d’un décret, qu’il leur est loisible de le compléter, en fixer les conditions
d’application ou en rappeler les termes, que seul le pouvoir législatif dispose du droit
d’abrogation…

Attendu que l’arrêté attaqué ne rapporta expressément les dispositions du décret n°


507 que sur les directives de l’ordonnance… du 11 septembre 1969 dont l’article 1 er
délègue au Ministre des finances et du commerce qui statuera par voie d’arrêté, la
compétence en matière d’affectation ou de retrait des terrains domaniaux
1
Ch. adm. 27 février 1998, Bassono B. Robert c/ Etats burkinabè, arrêt n° 21/97-98.

2
Ch. adm. 28 janvier 1972, Société et Syndic S.C.O.MB. c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 4 précité.

223
précédemment dévolue au Président de la République décidant en Conseil des
Ministres, qu’il fut donc pris d’ordre légal… ".Dans l’espèce, la société requérante
faisait grief à l’Etat de ce qu’un arrêté du Ministre des finances rapporta un précédent
décret lui ayant octroyée la concession provisoire d’un terrain. Elle soulevait le
moyen qu’un simple arrêté ne saurait aller à l’encontre des dispositions d’un décret
pris en conseil des ministres, autrement dit, seul un décret pouvait intervenir à la
place de l’arrêté.

La décision du juge rappelle la règle dite de " parallélisme des compétences "
qui concerne la compétence pour prendre l’acte contraire à un acte, c’est-à-dire
l’acte qui modifie l’acte primitif par exemple en l’abrogeant, en supprimant
totalement ou partiellement les effets. Selon cette règle, lorsqu’un texte
détermine l’autorité compétente pour édicter un acte, mais est muet sur la
compétence pour le modifier ou le supprimer, cette dernière compétence relève
de la même autorité. La règle en question ne pouvait jouer dans l’espèce du 28
janvier 1972.

La règle s’applique lorsqu’il s’agit exactement de refaire ou de défaire (en tout ou


partie) ce qui a été fait : prononcé de la cessation de fonctions de celui qui avait été
nommé, modification ou abrogation d’un règlement. La décision prise apparaît
comme le négatif de la décision initiale : elle en est exactement l’acte contraire, ou
l’acte inverse. La règle est, au contraire sans application, quand la décision à prendre
a une certaine autonomie par rapport à celle dont elle modifie les effets.

Ce principe de " parallélisme des compétences " ne concerne que l’acte contraire. Ce
n’est pas le cas par exemple de l’acte remettant un fonctionnaire à la disposition de
son administration par rapport à l’acte détachant ce fonctionnaire :

" Sur l’incompétence :

Attendu que le Ministre du Travail et de la Fonction publique se préoccupa


exclusivement, lorsqu’il prit l’arrêté n0 170/FP/TP… de la situation administrative de
SAWADOGO…

Attendu qu’un détachement ne fait pas perdre au bénéficiaire sa qualité de


fonctionnaire, que le requérant demeura Inspecteur du Travail et des Lois sociales
durant tout le temps passé à la Caisse et que son seul supérieur hiérarchique en
l’occurrence le Ministre du Travail pouvait sans risque d’incompétence :
- mettre en œuvre, prolonger ou arrêter ledit détachement ;

224
- prendre un arrêté se bornant à affecter ou à réaffecter un agent de son
département… " (1).

Dans l’espèce, le requérant faisait grief à l’Etat de ce qu’un arrêté du Ministre du


Travail et de la Fonction publique a mis fin à son détachement comme directeur
Adjoint de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, pour le déplacer en position
d’activité en l’affectant à la Direction du Travail et des lois sociales. Au soutien de sa
requête, il faisait valoir que l’auteur de l’acte attaqué n’était pas qualifié pour agir. Le
juge administratif a estimé donc que l’arrêté attaqué n’était pas entaché du vice
d’incompétence.

D’une manière générale, l’incompétence peut être positive ou négative :

Il y a incompétence positive lorsqu’une autorité prend une décision qu’elle n’a pas qualité
pour prendre. L’incompétence positive peut être - on l’a vu - ratione materiae, ratione loci
ou ratione temporis.

Il y a incompétence négative lorsqu’une autorité refuse de prendre une décision en se


croyant, à tort, incompétente. L’incompétence négative peut également être ratione
materiae, ratione loci ou ratione temporis.

2. Les aménagements au principe d’intangibilité de la répartition des compétences

Le contenu des règles de compétence est dominé par le principe de l’intangibilité de


la répartition des compétences. Il en découle deux conséquences

1
Ch. adm. 14 décembre 1973, SAWADOGO Jean-Marie c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 20.

225
• 1re conséquence : une autorité ne peut s’approprier les compétences des autres
instances même l’autorité hiérarchique ne peut agir en lieu et place de ses
subordonnés.

• 2ème conséquence : une autorité administrative ne peut pas non plus céder ou
transférer ses compétences à une autre instance.
L’intangibilité implique en effet l’indisponibilité des compétences.

Des aménagements sont cependant apportés au principe d’intangibilité de la


répartition des compétences. Ces aménagements sont de deux grandes sortes :

- Les transferts des compétences qui sont prévus légalement. Parmi ces transferts, on
distingue les transferts par substitution et les transferts par délégation (délégation de
pouvoir, délégation de signature) ;
- Les remplacements provisoires d’agents publics : on distingue la suppléance et
l’intérim.
- La délégation : c’est le procédé par lequel une autorité supérieure habilite une
autorité subordonnée à exercer sa propre compétence. La délégation est une
exception au principe selon lequel, en droit public, le titulaire d’une compétence
doit l’exercer lui-même. C’est pourquoi la délégation doit avoir été prévue par un
texte législatif ou réglementaire. Elle ne doit pas avoir été exclue explicitement ou
implicitement par un texte pour la question sur laquelle elle porte (30 juin 1961,
Procureur Général près la Cour des Comptes, RDP, 1961, 848). La délégation ne doit
être que partielle car une délégation totale dépouillerait l’autorité normalement
compétente de la totalité de ses attributions (13 mai 1949, Couvrat, D. 1950, p. 77).
De plus, elle doit être faite avec précision (27 avril 1987, Société Mercure Paris-
Etoile, A.J.D.A. 1987, p.527). Elle doit être publiée.

Il existe deux (02) types de délégations :

● la délégation de pouvoir : il s’agit d’un transfert par une autorité d’une partie de
ses pouvoirs à une autorité subordonnée. La délégation de pouvoir modifie la
répartition des compétences entre les autorités administratives. Elle dessaisit

226
l’autorité délégante tant que la délégation dure celle-ci ne peut exercer sa
compétence (28 juin 1957, Société X) ;

● la délégation de signature : dans la délégation de signature, l’autorité supérieure


autorise une autorité subordonnée à signer en ses nom, lieu et place, mais sous son
contrôle et sa responsabilité, certaines décisions (30 juin 1961, Procureur général de
la Cour des Comptes, RDP 1961, p. 845).

Dans la délégation de signature, le bénéficiaire n’agit pas en son nom propre, mais
au nom de l’autorité délégante. La délégation est personnelle : elle est accordée,
expressément, à une personne déterminée, elle prend fin avec le changement soit
du délégant (13 juillet 1951, SPA), soit du délégataire (10 janvier 1951, Descours).

La subdélégation (délégation par le délégataire) n’est possible que pour le titulaire


d’une délégation de pouvoir (13 mai 1988, SA, Citroën, D.A. 1988, n°329) et
seulement sous la forme d’une délégation de signature.

La suppléance : la suppléance est la situation du fonctionnaire automatiquement


investi des pouvoirs d’un autre agent public absent ou empêché. Elle doit être
prévue par un texte législatif ou réglementaire.

L’intérim : il s’agit de l’hypothèse dans laquelle un fonctionnaire est appelé,


provisoirement à remplir les fonctions d’un autre agent public en raison de
l’absence de ce dernier ou de sa cessation de fonctions en attendant l’arrivée du
successeur. L’intérim doit être bref (13 juillet 1949, Duthy).

B. La sanction des règles de compétence

227
Le droit administratif a toujours attaché une grande importance à ces règles de
compétence. Parmi toutes les formes d’illégalité, le vice d’incompétence reste le
plus grave.

Ce vice d’incompétence constitue un moyen d’ordre public pouvant être soulevé


d’office par le juge, même si le requérant omet de l’invoquer à l’appui de son
recours. La Chambre administrative l’affirme en ces termes : " Attendu que pour
apprécier la légalité du permis contesté, il convient en premier lieu de rechercher si
cet acte a été délivré par l’autorité compétente… " (1). Dans l’espèce, le juge
administratif soulevant d’office l’incompétence de l’auteur de la décision litigieuse,
en prononce l’illégalité de ce seul motif.

Le caractère d’ordre public des règles de compétence


Les règles relatives à la compétence sont empreintes d'une certaine rigueur :

1. La méconnaissance, la violation des règles de compétence constitue une


illégalité d'ordre public, un moyen d'ordre public. A tout stade d’une instance
juridictionnelle, elle peut être soulevée par les parties, ou d'office par le juge ;

2. Est jugée illégale une décision prise par une autorité compétente qui reproduit
en fait une décision identique prise par une autorité incompétente ;

3. Si une décision est prise par une autorité incompétente, l'autorité compétente
ne peut couvrir cette irrégularité en ratifiant ladite décision - sauf si l'autorité
compétente agit comme supérieur hiérarchique.

1
Ch. adm. 11 janvier 1965, Dame KOITA, arrêt n° 3.

228
Toutefois, la rigueur des règles est tempérée par certaines théories ou
circonstances :

Si normalement, seuls les agents administratifs régulièrement habilités peuvent


édicter des décisions exécutoires, trois (03) atténuations sont apportées à cette
règle.

► par application de la théorie de l’apparence, on admet que des personnes


irrégulièrement investies ont pu édicter des actes valides dans la mesure où les
administrés ont pu croire qu’elles étaient réellement ce qu’elles paraissent être
(mariages célébrés par un officier d’état civil irrégulièrement investi : Cassation
civile, 07 août 1883, S., 1884, I, 5).

►par application des circonstances exceptionnelles, on admet que des personnes


sans mandat aient pu émettre des actes administratifs pour faire fonctionner les
services publics à raison de la disparition des autorités régulièrement investies (7
janvier 1944, Lecocq, JCP 1944, IIème 2663 ; 05 mars 1948, Marion, Rec. 113).

229
►par application de la théorie du fonctionnaire de fait. Elle trouve application
lorsqu’un agent irrégulièrement investi (un fonctionnaire de fait) prend des
décisions administratives.

Celles-ci sont, en principe, illégales parce que prises par une autorité incompétente
ou par un usurpateur de fonctions. La théorie du fonctionnaire de fait vise en
pratique essentiellement l’hypothèse dans laquelle, du fait de la carence ou de la
disparition des autorités administratives régulièrement désignées, certains citoyens
ont été obligés de prendre des décisions d’urgence dans l’intérêt collectif. Quoique
prises par des autorités incompétentes, leurs décisions pourront cependant être
considérées comme légales, du fait des circonstances (CE, 5 mars 1948, Marion, Rec.
p. 113).

§2 La procédure d’élaboration des actes administratifs unilatéraux

Le vice de procédure

L’élaboration de l’acte administratif est assujettie à d’assez nombreuses règles de


forme et de procédure dont le respect conditionne la validité de l’acte. L’ensemble de
ces règles de forme et de procédure constitue ce qu’on appelle la procédure
administrative non contentieuse (1).

A. Les formalités préalables aux décisions administratives

1. La procédure contradictoire

Certaines mesures administratives individuelles ne peuvent intervenir qu’après que


les intéressés aient été en mesure de présenter leurs observations. Le caractère

1
Sur la question, V. : G. Isaac, thèse précitée ; A. BOCKIEL, op. cit., p. 318, R. HOSTIOU, Procédures et formes de l’acte administratif en droit
administratif français, Paris, L.G.D.J., 1975.

230
contradictoire ne constitue pas un principe général applicable à l’ensemble de la
procédure administrative non contentieuse ; mais, d’une part, pour certaines de ces
procédures, des textes prévoient et imposent ce caractère contradictoire (par
exemple : procédure d’enquêtes) ; d’autre part, dans certains domaines le caractère
contradictoire s’impose sans texte sous la forme du principe dit des " droits de la
défense ". C’est ce qu’on appelle aussi la règle « audi alteram partem » (cf. principes
généraux du droit).

Le principe dit des " droits de la défense " qui oblige l’administration à adopter une
procédure contradictoire avant la prise d’une sanction disciplinaire, est considéré par
le juge administratif comme un principe général de droit (1). Il a donné lieu à de
fréquentes applications à propos du contentieux disciplinaire de la fonction publique.

C’est justement dans le domaine de la Fonction publique, que l’application des vices
de procédure trouve un terrain de prédilection. Le juge administratif sanctionne les
décisions administratives qui infligent des sanctions disciplinaires aux agents publics
en violation de certaines formalités prescrites par la loi.

En dehors même des sanctions disciplinaires, certaines mesures tel le licenciement,


ne peuvent intervenir que si la procédure instituée par la loi est respectée. Dans une
décision du 22 juin 1979 (2), la Chambre administrative a annulé, un arrêté ministériel
prononçant le licenciement d’un fonctionnaire pour refus de rejoindre le poste assigné
qui n’a pas été mis en demeure de rejoindre le nouveau poste :

" Attendu que s’il est exact qu’au cas de refus de rejoindre le poste assigné, le
Conseil de discipline n’est pas consulté, il n’en demeure pas moins que le décret
d’application de l’ordonnance n° 75-26/PRES/FPT prévoit formellement une
procédure particulièrement, simplifiée certes, mais procédure à laquelle la Fonction
publique ne saurait se soustraire de sa propre autorité ;

Attendu qu’il est patent, en l’espèce que les dispositions du décret n° 75-367 du 24
septembre 1975 ont été totalement méconnues… "

Le juge rappelle d’ailleurs le contenu de cette obligation en ces termes : " Attendu
que le licenciement en matière de refus de regagner le poste assigné est subordonné à
la procédure de mise en demeure ;
1
V. infra n° 676.

2
Ch. adm. 22 juin 1979, BAMBARA Oumar, arrêt n° 9 précité.

231
Attendu que la mesure en demeure est une sommation expresse et non dubitative qui
doit faire connaître à l’agent la situation dans laquelle il pourrait se trouver s’il ne
rejoint pas le poste qui lui est assigné dans le délai qui lui imparti " (1).

En dehors de la Fonction publique, le juge administratif étend son contrôle sur les
décisions intervenues dans d’autres domaines, par exemple en matière de domanialité
publique.

Le juge administratif a annulé un permis urbain d’habiter afférant à une parcelle qui
avait été retirée au requérant sans l’accomplissement des formalités prescrites par la
loi n° 77-60 AN du 12 juillet 1960 portant réglementation des terres du domaine
privé de la Haute-Volta :

" Mais attendu que cette loi impose une procédure stricte de retrait d’un permis et de
désignation d’un nouvel attributaire, qu’il convient :
- Mettre en demeure le bénéficiaire négligeant d’assumer ses responsabilités ;
- constater sa carence ;
- annuler enfin le permis, avant de transférer sa parcelle au nom d’un tiers et
qu’aucun règlement communal n’y peut déroger ;

Attendu qu’il ne fut rien fait de tout cela et qu’en conséquence le permis n° 207/CO
du 8 novembre 1971 que détient DAKISSAGA T. demeure seul valable " (2).

2. L’enquête et la publicité

Les actes administratifs qui mettent en cause des intérêts privés ne peuvent parfois
être pris qu’après une procédure souvent complexe ; ainsi en matière d’expropriation
pour cause d’utilité, l’autorité doit procéder à une enquête, ayant pour but de faire

1
Ch. adm. 31 juillet 1992, Sawadogo S. Moussa c/ Etat burkinabè, arrêt n° 4/92 (le juge voit dans l’omission de cette formalité, un vice de forme et
non de procédure).

2
Ch. adm. 28 décembre 1973, DAKISSAGE Tindaogo, c/ Commune de Ouagadougou, arrêt n° 22. Haute Cour d’Etat (Ch. adm.), 30 novembre 1990,
Bamogo Amadou c/ Commune de Bobo-Dioulasso, arrêt n° 17 ; 31 juillet 1998, Nassa Boureima Robert c/ Sawadogo Pierre, Arrondissement de
Baskuy (Commune de Ouagadougou), arrêt n° 51/97-98.

232
connaître ses intentions, de recueillir les éventuelles objections ou les droits des
intéressés. Le juge administratif vérifie par exemple si cette enquête a eu lieu :

" Attendu que le décret du 26 novembre 1930 dispose… que l’acte déclaratif d’utilité
publique est précédé d’une enquête de commodo et incommodo…,

Attendu que l’enquête de commodo et incommodo relative au nouvel aménagement


du quartier commercial et du marché de Kaya s’opéra dans cette ville du 16 octobre
au 16 novembre 1958 et que toutes les formalités légales, celle de publicité
notamment s’accomplirent à une époque où CISSE Bakary résidait en ces lieux et en
fut averti… " (1).

Le juge administratif, saisi d’une enquête aux fins d’annulation d’une décision
admettant à la retraite d’office pour mesure disciplinaire un militaire qui soutenait
que la sanction qui le frappait fut occulte, a décidé :

" Attendu qu’en matière disciplinaire la publicité n’est que facultative et que son
défaut ne saurait entraîner nullité, qu’il résulte au surplus du dossier que
SAWADOGO Abdou, parfaitement mis au courant de la procédure diligentée contre
lui et des reproches retenues, eut tout latitude pour se défendre " (2).

3. La consultation d’organismes ou d’instances diverses

Parfois, la consultation de certains organismes est imposée avant la prise d’une


décision. Les raisons en sont diverses : garanties des administrés (conseil de
discipline de la Fonction publique par exemple), souci de qualité de la décision
(conseil composés d’experts, de professionnels), etc.

Les procédures consultatives sont destinées à éclairer l’administration sur les


mesures à prendre. Elles sont destinées à éviter les erreurs d’appréciation. Les

1
Ch. adm. 24 novembre 1967, CISSE Bakary, arrêt n° 5 précité.

2
Ch. adm. 24 mars 1972, SAWADOGO Abdou c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 8.

233
procédures consultatives sont diligentées non pas par le service public en général,
mais auprès d’organismes spécialement désignés.

Elles font partie des mécanismes protégeant les administrés, comme étant destinées à
éclairer l'administration sur les mesures à prendre.

Encore faut-il qu'elles soient menées dans des conditions satisfaisantes et que leur
portée en soit exactement mesurée.

a. Les conditions des procédures consultatives

Les conditions des procédures consultatives sont de trois ordres. Les unes tiennent au
caractère obligatoire de la consultation, d'autres au statut de l'organisme consulté,
d'autres enfin à la manière dont il est consulté.
L'obligation de consulter un organisme ne peut s'imposer qu'en vertu d'un texte, qui
peut être aussi bien constitutionnel, que législatif ou réglementaire. Lorsqu'une
disposition oblige de procéder à une consultation, la mesure prise en méconnaissance
de cette obligation est entachée d'illégalité (jurisprudence constante) ; il en est ainsi
même dans les hypothèses où les textes prévoient qu'une décision est acquise
tacitement au bout de l'expiration d'un certain délai.

En l'absence de texte, l'administration n'est évidemment pas tenue de consulter un


organisme; mais il ne lui est pas interdit de le faire, sous réserve de deux conditions:
d'une part, cette procédure ne doit pas être incompatible avec celles qu'ont imposées
les textes ; d'autre part, elle doit être poursuivie dans des conditions régulières.

Mais lorsqu'un texte impose la consultation d'un organisme, l'impossibilité


d'entreprendre ou d'obtenir cette consultation, à rai- son notamment de l'obstruction
des intéressés, permet de se passer régulièrement de l'avis qui aurait dû être recueilli.
Le statut de l'organisme consulté est encore déterminé par les textes: ils aménagent sa
composition, son organisation et son fonctionnement; c'est à eux qu'il faut d'abord se
référer pour connaître les conditions à respecter.

Dans le silence des textes, certaines règles s'appliquent: obligation de convoquer tous
les membres de l'organisme; nécessité d'un quorum constitué par la présence ou la
représentation de la majorité des membres de l'organisme; interdiction aux personnes

234
directement intéressées par l'affaire de participer à la délibération et aux personnes
étrangères à l'organisme d'y prendre part; acquisition du vote à la majorité des
suffrages exprimés.

L'organisme consulté doit être saisi selon des modalités lui permettant de donner
utilement son avis: il faut que soient portées à sa connaissance toutes les informations
nécessaires au Conseil d'Etat, il faut fournir le projet de décision lui-même, qu'il
dispose d'un délai suffisant pour examiner la question; le délai qui sépare son avis de
la décision ne doit pas être trop long, sous peine de rendre nécessaire une nouvelle
consultation.

Le juge administrative sanctionne le défaut de consultation en prononçant


l’annulation de la décision intervenue :

" Attendu… qu’aux termes de l’article 34 dernier alinéa de la loi susvisée, le refus du
remboursement de la retenue subie sur le traitement est prononcé par un arrêté du
Ministre de la Fonction publique après avis du Conseil des Ministres et celui du
conseil de discipline compétent qui est toujours expressément consulté ;

Attendu que ses prescriptions n’ont pas été respectées, le requérant s’étant vu refuser
le remboursement sollicité par une décision du Ministre des Finances… " (1). Malgré
le vice de procédure qui entachait la décision attaquée, il y avait en l’espèce aussi un
vice d’incompétence que le juge administratif n’a pas relevé : le Ministre des
Finances a empiété sur les attributions du Ministre de la Fonction publique.

C’est le cas, lorsqu’une décision ne pouvait être prise qu’après intervention d’un
conseil de discipline (2).
Est entachée également d’un vice de procédure, la mesure ministérielle autorisant le
licenciement d’un salarié protégé sans consultation préalable de l’Inspecteur du
Travail (1).
1
Ch. adm. 25 octobre 1968, NACRO Seydou c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 7.

22
Ch. adm. 13 mars 1981, DIANOU Dayeri c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 6.

Haute Cour d’Etat (Ch. adm.), 25 mars 1988, Dembélé F. Vincent de Paul c/ Etat Burkina, arrêt n° 5/88 ; C.E. 30 mai 2003, Traoré Moussa c/ Etat
burkinabè, arrêt n° 11/2002-2003.

Ch. adm. 9 juillet 1982, Ouédraogo Hamado et autres c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 10.

235
b. La portée des procédures consultatives

Les procédures consultatives n’aboutissent qu’à un avis destiné à éclairer l’auteur de


la décision (à distinguer de certains avis qui constituent en réalité de véritables
décisions, chambre administrative 13 décembre 1968 Diallo Mamadou Hama. Dans
le sens contraire, le juge a considéré comme de simples avis, les recommandations
de la commission nationale d’équivalence des diplômes, chambre administrative 8
octobre 1971, Drabo Zakaria).

La consultation ne comporte aucun effet exécutoire par elle-même ; seule la décision


prise à la suite de cette consultation s’intègre dans l’ordre juridique de telle sorte que
tout ce qui précède pourrait n’avoir qu’un caractère officieux. L’avis émis par
l’organe consultatif ne lie pas l’autorité administrative, qui reste libre de sa décision,
sous la réserve que celle-ci ne soit pas totalement différente de la proposition qui a
été soumise à la consultation ; ceci vaut, que la consultation soit facultative ou
obligatoire. Mais il en va autrement lorsque l’avis conforme est exigé : cette fois
l’avis émis lie l’autorité administrative. La jurisprudence administrative paraît à
première vue contradictoire.

A propos d’un même organisme, en l’occurrence la commission d’équivalence des


diplômes, le juge administratif adopte deux positions différentes sur la portée
juridique des décisions émanant de cet organisme. Dans cette décision du 8 octobre
1971 (2) la Chambre administrative estime que l’avis de la Commission des diplômes
est purement consultatif et ne lie aucunement la puissance publique. Dans l’espèce,
ce sont les requérants qui faisaient état de l’avis de la Commission. Il s’agit bien sûr
d’une consultation facultative dans la mesure où la décision prise n’était pas
assujettie à la formalité d’une consultation de l’organisme en question. Ce sont les
requérants qui ont provoqué l’avis dont ils se prévalaient à l’appui de leur requête. La
décision du juge est pleinement justifiée.

1
C.E. 29 octobre 2004, Touré Issiaka Barrou c/ Etat burkinabè (Ministère de l’Emploi, du Travail et de la Sécurité Sociale), arrêt n° 3/2004-2005.

2
Ch. adm. 8 octobre 1971, DRABO Zacharia et 4 autres c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 21.

236
Dans une décision du 13 décembre 1968 (1), la Chambre administrative déclare à
propos d’une décision émanant de la Commission d’équivalence des diplômes :
" Attendu que, loin de consister, comme le soutint à tort la défenderesse en un simple
avis que l’on est libre d’adopter ou de méconnaître, la décision du 31 août 1967
s’imposait impérativement au Ministre du Travail et de la Fonction publique qui
outre passa ses pouvoirs en ne la respectant pas, qu’il échet d’annuler l’arrêté
attaqué… ".

A travers ces deux espèces, nous constatons que le juge administratif a appliqué deux
solutions différentes. Il n’y a pas une contradiction entre ces solutions. Pour
comprendre la position du juge administratif, il faut avoir à l’esprit que l’organe
consultatif se définit justement par la fonction qu’il exerce et en l’opposant à celui
qui dispose du pouvoir de décision auquel il a fourni un avis. Mais l’organe
consultatif dispose souvent, de pouvoirs de décisions ce qui est le cas de la
Commission d’équivalence des diplômes. Aux termes du décret du 18 janvier 1967
qui l’institue, cette Commission définit les équivalences des titres et diplômes
burkinabè ou étrangers. Ce même texte précise que ses décisions sont susceptibles de
recours gracieux ou contentieux.

La portée d’un avis peut plus ou moins être forte.

Tantôt il s’agit d’avis simples, le contenu ne lie pas l’auteur de la décision : celui-ci
peut passer outre et adopter une solution autre que celle qui lui a été conseillée. Il
en est toujours ainsi quand a été facultativement recueilli un avis. Il en est de même
lorsque les textes exigeant une consultation laissent à l’administration sa liberté de
décision.

Tantôt les avis sont conformes: ils lient l'auteur de la décision finale; celle-ci ne peut
pas différer de l'avis; l'administration garde seulement le pouvoir de ne pas prendre la
décision; elle est même tenue de ne pas le prendre si l'avis est défavorable.

B. La sanction des règles de procédure.

1
Ch. adm. 13 décembre 1968, DIALLO Mamadou Hama, arrêt n° 21.

237
La jurisprudence reste très attachée à censurer les irrégularités dans l’élaboration
des actes administratifs. De manière générale, le juge annule un acte entaché d’un
vice de procédure quelle que soit la valeur du contenu même de cet acte et avant
même tout examen au fond. Le contrôle juridictionnel du vice de procédure connaît
cependant des aménagements.

1. Par application des théories générales exonératoires des illégalités

► Théorie des circonstances exceptionnelles


► Théorie des moyens inopérants en cas de compétence liée : un acte s’il devait de
toute façon être édicté comme il l’a été, le juge refuse de tenir compte des
irrégularités ayant entachées son élaboration.

2. Par application des théories propres au domaine des vices de procédure

►Théorie des formalités impossibles


L’administration ne peut être tenue d’accomplir des formalités qui, pour être
imposées par les textes, sont en fait irréalisables. Encore faut-il que cette
impossibilité ne résulte pas de son propre fait (CE., sec., 1 er juillet 1966, soc.
d’exploitation de la clinique Rech, rec., p. 429). Mais elle peut résulter de
circonstances extérieures ou des administrés.

L’impossibilité tenant à des circonstances extérieures se rencontre notamment à


propos de la consultation d’organismes qui ont disparu (CE. 11 mai 1955, Fédération
départementale des syndicats d’exploitants agricoles du Gard, Rec., p.250).

L’impossibilité tenant à l’attitude des administrés se rencontre en cas d’obstruction de


ceux-ci, s’opposant à l’accomplissement de la formalité (CE. 28 juin 1918, Heyriès,
Rec. p.651, S. 1922.3.49, note Hauriou).

►Théorie des formalités non substantielles (voir infra).

238
239
§.3. Les règles relatives à la présentation formelle des actes administratifs

De manière générale, le droit administratif est à cet égard peu formaliste : une
décision administrative n’est pas nécessairement écrite (décisions verbales,
décisions implicites) et n’a pas nécessairement la nature qui lui a été officiellement
attribuée (cf. les circulaires qui peuvent cacher de véritables décisions faisant grief).

On n’a pas l’habitude de parler de la manière dont l’acte se présente. On parle


généralement de la forme de l’acte. Mais si celle-ci est effectivement le premier
aspect de la présentation de l’acte, elle n’en est pas le seul : il s’y ajoute, lorsque la
forme est écrite, des mentions qui méritent explication.

 Contrairement au vice de procédure qui affecte le processus même de


l’élaboration d’une norme, le vice de forme concerne la présentation extérieure
de l’acte par lequel la norme est édictée :le contenant (instrumentum ) et le
contenu (negotium )

240
Les règles relatives à la forme des actes

Comme dans le cas des règles de procédure, seule la violation d’une règle de forme
substantielle peut constituer un vice de forme entraînant, le cas échéant,
l’annulation de l’acte

A. Définition

Le vice de forme consiste dans l’omission ou l’irrégularité des formalités et


procédures auxquelles était assujetti l’accomplissement de l’acte administratif.
L’absence de codification de la procédure administrative non contentieuse a permis
au juge de dégager certaines règles en la matière. Les règles sont les unes de simples
règles jurisprudentielles destinées à interpréter les textes ou à remédier à leur silence,
les autres des principaux généraux du droit. Celles-ci ont une grande importance dans
la mesure où elles visent à assurer des garanties aux administrés, les formes et
procédures existent alors essentiellement dans leur intérêt.

En principe, la violation d’une formalité constitue un excès de pouvoir quelle que soit
la règle de droit qui a imposé la formalité, loi, règlement administratif ou principe
général du droit. Mais la sanction des irrégularités de procédure ne doit pas aboutir à
un formalisme pointilleux qui verserait dans l’absurde. Pour cette raison, la
jurisprudence admet que le vice de forme n’entraîne pas annulation lorsqu’il apparaît
que le défaut de formalité n’est qu’une erreur matérielle sans portée ou que les droits
des administrés ont été garantis. Sauf les cas où la loi impose expressément
l’accomplissement d’une formalité à peine de nullité, le juge administratif fait une
distinction entre les formalités substantielles et les formalités non substantielles.

Seule la violation des premières entraîne annulation : " Attendu que la


méconnaissance des règles de forme ne fut pas établie, qu’au surplus l’oubli ou
l’exécution irrégulière d’une condition de forme non substantielle n’annule pas
forcément l’acte vicié… " (1).

Si la formalité substantielle est celle qui a eu une influence déterminante sur la


décision intervenue, il faut cependant préciser que le juge apprécie la formalité in
concreto, et recherche dans chaque espèce, s’il en a bien été ainsi. Dans une décision

1
Ch. adm. 13 novembre 1970, YAMEOGO Maurice c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 33.

241
du 28 mai 1971 (1) la Chambre administrative a annulé pour vice de forme un décret
réformant par mesure disciplinaire et admettant à la retraite proportionnelle un
officier de la gendarmerie. Dans l’espèce, le décret attaqué fut pris sur rapport du
Ministre de la Défense après qu’un conseil d’enquête devant lequel avait été déféré le
requérant, ait émis à la majorité un avis favorable à sa réforme pour " faute grave
contre la discipline ". Le requérant soutenait que l’officier rapporteur exprima dans
son procès-verbal de clôture une opinion personnelle défavorable alors que ses
fonctions d’instruction lui interdisaient le moindre parti pris. Or, aux termes des
articles 15 et 16 du décret n° 67/77/PRES-DN du 5 avril 1967, le rapporteur désigné
doit dresser un procès-verbal de tout ce qu’il diligenta et consigner les résultats de
son enquête dans un rapport en s’abstenant de manifester toute opinion personnelle.

Le juge administratif a constaté dans cette affaire : " Attendu que, loin de déférer à
ces directives que, le décret n° 67-77 définit dans ses dispositions générales comme
" règles de procédure particulièrement strictes ", l’officier commis ne rédigea…
qu’un unique document intitulé " procès-verbal d’enquête " relatant les diverses
dépositions recueillies mais n’en donnant pas transcription littérale, sans lui adjoindre
le rapport prévu ;

Attendu que les termes dont il usa ne sont pas non plus exempts de partialité à
l’encontre du Capitaine SANOU ".

Mais la formalité substantielle est l’objet d’une appréciation relative de la part du


juge, compte tenu des circonstances. Ainsi telle formalité jugée substantielle dans
telles circonstances sera tenue pour non substantielle dans telles autres ou
inversement. Dans la décision précitée du 28 mai 1971, la Chambre administrative
décide que si une enquête a été entreprise de façon irrégulière, l’irrégularité n’est pas
retenue dès lors que l’intéressé, malgré le défaut de notification de la procédure
d’enquête, a pu faire valoir ses observations en comparaissant personnellement. Le
requérant soulevait le moyen du défaut de notification préalable de la procédure
d’enquête. Convoqué par l’officier rapporteur, le requérant sans opposer au préalable
un quelconque vice de procédure, comparait et prit connaissance des griefs articulés
contre lui et reçut avis de son droit de constituer un défenseur et de produire tous
témoins utiles. Or, aux termes de l’article 14 du décret précité du 5 avril 1967, le
rapporteur doit notifier à l’officier intéressé une expédition de l’ordre d’envoi et de la
décision qui constitua le conseil, en lui faisant connaître l’objet de l’envoi et
l’invitant à se tenir à sa disposition et à répondre aux convocations ultérieures. Dans
cette espèce, cette formalité dont le but essentiel est de prévenir le concerné qu’une

1
Ch. adm. 28 mai 1971, SANOU Maurice c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 19.

242
procédure d’enquête disciplinaire va s’ouvrir contre lui, a été omise. Malgré cette
irrégularité, la Chambre administrative a tout de même décidé :

" Attendu que la procédure eut été irrémédiablement viciée si le rapporteur, après
cette omission initiale, avait conduit son enquête et réuni des preuves sans en avertir
ab initio le Capitaine SANOU, ni lui permettre de présenter sa défense mais qu’il en
alla différemment et que la négligence commise, si déplorable, fut-elle, n’eût pas de
conséquences dommageables ".

B. Cas de vice de forme dans la jurisprudence administrative

Le vice de forme, c’est l’illégalité résultant de l’inobservation d’une formalité


substantielle requise dans la présentation de l’acte administratif.

1. La forme écrite de l’acte administratif

Sauf lorsque la loi l’exige, l’écrit n’est pas une condition de validité de l’acte
administratif. L’admission par la loi et la jurisprudence des décisions implicites
confirme le caractère non formaliste de l’acte administratif . La forme écrite de l’acte
n’est une condition de sa validité que si la loi en dispose ainsi.

Pour que l’acte administratif soit opposable aux tiers, et produise ses effets à leur
égard, la jurisprudence a précisé certaines conditions relatives à sa publicité. Quant
aux règles relatives à la signature ou au contreseing de l’acte, la jurisprudence n’offre
aucun cas de sanction pour non respect de ces formalités.

2. Le parallélisme des formes

La règle du parallélisme des formes s’apparente à celle du parallélisme des


compétences. Le principe du parallélisme des formes concerne les actes
administratifs dont l’objet est de supprimer un acte administratif antérieur. Selon
cette règle, en l’absence de textes formulant des règles spéciales, l’acte contraire à un
acte administratif ne peut être pris qu’après qu’aient été respectées les formes qui ont
été suivies à propos de l’acte initial.

243
La portée de la règle est différenciée selon que la décision en cause est ou non
réglementaire. Les procédures instituées pour l’édiction d’un règlement doivent être
suivies, sauf textes contraires, en vue de sa modification ou de son abrogation. Il en
va différemment en ce qui concerne les actes non réglementaires, et notamment
individuels, relativement auxquelles le juge administratif adopte une solution
nuancée.

Les principes qui commandent cette solution sont ainsi énoncés :

" Attendu que deux idées sont à la base de la conception du parallélisme : celle
d’utilité et celle d’un ordre ou d’une discipline dans l’ordonnancement juridique.
Attendu sans doute que si la jurisprudence a posé le principe de l’identité des
formes, il est toutefois imprudent de conclure que dans le domaine de la forme et
de la procédure, la théorie du parallélisme a reçu une consécration aussi évidente
que dans le domaine de la compétence " (1).

Au regard de cette prise de position du juge, la règle du parallélisme procède de la


considération que l’acte contraire de l’acte initial n’a pas nécessairement la même
signification ou la même portée que lui. Il convient donc d’apprécier si les procédures
instituées pour l’édiction de l’acte initial conservent leur signification ou leur utilité
quand il s’agit, par exemple, de l’abroger. Dans la négative, et sauf texte contraire, la
règle du parallélisme sera écartée. C’est ce que décide le juge administratif dans une
espèce où le requérant invoquait le non-respect de la règle du parallélisme des formes
au soutien d’un recours en excès de pouvoir contre une décision ministérielle
l’affectant à un nouveau poste.

Il n’est pas sans intérêt de situer les faits qui sont à l’origine du litige. Le requérant,
commissaire de police de son état, fut nommé directeur de la Compagnie
Républicaine de Sécurité (C.R.S.) par décret en Conseil des Ministres en 1976. Un
autre décret toujours délibéré par cette instance, a mis fin à ses fonctions. Mais ce
dernier texte même s’il a été rendu public le 10 mai 1978 a été signé le 30 mai de la
même année. Durant cet intervalle, un arrêté du Ministre de l’intérieur et de la
sécurité en date du 19 mai 1978, le nomme chef de la Brigade nationale de
Surveillance du Territoire (B.N.S.T.).

Le requérant fait alors valoir que cet arrêté étant antérieur au décret de cessation des
fonctions, modifie illégalement le décret de nomination de 1976, violant ainsi la règle
du parallélisme des formes.

1
Ch. adm. 8 octobre 1982, Traoré Idrissa Malo c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 13.

244
Pour le requérant, l’arrêté ministériel ne devait pas précéder le décret portant
cessation des fonctions qui se présente comme l’acte contraire. Dans le cas contraire,
c’est l’arrêté qui sera alors considéré comme l’acte contraire.

Les données du litige semblent apparemment simples. Mais un problème concernant


l’existence juridique du décret de nomination est du coup posé : à partir de quel
moment le décret de nomination a acquis une existence légale ? Pour le juge, c’est le
jour où l’acte a été délibéré en Conseil des Ministres. Ainsi, aucune conséquence ne
résulte d’une différenciation entre l’adoption de l’acte et sa signature. Du coup, il
résout le problème du parallélisme des compétences qui est bien respecté.

Le juge écarte l’application de la règle du parallélisme des formes sur la base de


l’idée de l’utilité. " La formalité qui consisterait, pour le Ministre de l’Intérieur
d’attendre après le 30 mai 1978, pour prendre son arrêté de mutation, ne serait
d’aucune utilité, eu égard d’une part, au décret de cessation des fonctions… qui
avait existence légale depuis le 10 mai 1978 et d’autre part, aux mesures
d’assainissement qu’il devait entreprendre rapidement en tant que Ministre de
tutelle au niveau de la direction administrative et comptable de la Compagnie
Républicaine de sécurité où venaient d’être découverts d’importants détournements
de deniers publics, escroquerie… ; faits de nature à porter atteinte grave à
l’honneur et à la considération du Corps ".

La Chambre administrative décide par exemple, qu’une décision d’abrogation doit


être matérielle comme l’acte initial. C’est ce qui ressort d’une décision du 15
décembre 1981 (1). Dans l’espèce, les requérants admis définitivement à un concours
professionnel, saisirent le juge d’une requête aux fins que soit constatée leur
admission définitive, car l’administration, après les avoir déclarés définitivement
admis dans un premier temps, a décidé de les rayer purement et simplement des listes
définitives d’admission présentées par le jury au motif que les requérants avaient
commis une fraude viciant par là même leur droit à concourir.

Le juge administratif a considéré alors :

" Attendu par ailleurs, que la décision n° 14/MFPT/SGFP du 28 juillet 1979 du


Ministre de la Fonction publique et du Travail portant déclaration définitive
d’admission au concours de recrutement de dix élèves inspecteurs… avait été prise
puis notifiée aux requérants par voie de radiodiffusion depuis plus de deux mois, sans
qu’intervienne une décision matérielle d’abrogation ;

1
Ch. adm. 15 décembre 1981, KABORE S. Daniel c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 15.

245
Attendu que lorsque l’acte administratif a fait naître un droit au profit d’un
particulier, son abrogation n’est possible que par la voie d’un " acte contraire "
nouveau, soumis aux conditions requises par la loi (principe du parallélisme des
formes) ".

3. L’erreur dans les visas

Une erreur ou même une omission dans les visas des textes sur lesquels se fonde un
acte administratif ou dans les mentions qu’il doit comporter constitue la violation
d’une formalité non substantielle et ne rend pas l’acte irrégulier. Les visas sont
toujours facultatifs, s’agissant des actes administratifs (1). La Chambre administrative
l’indique dans une décision du 13 novembre 1970 (2) :

" … Attendu que la méconnaissance des règles de forme ne fut pas établie.. que
l’omission ou la mention incomplète du visa, simple pratique administrative sans
caractère obligatoire, ne saurait retentir sur la validité d’une décision… ". La règle du
caractère facultatif des visas s’applique aux visas relatifs à la base juridique de
l’acte : l’absence de référence aux textes en vertu desquels un acte administratif a pu
légalement être pris ne constitue pas une irrégularité de nature à entraîner
l’annulation de l’acte.

La Chambre administrative considère en effet que ces erreurs ou omissions sont des
erreurs matérielles sans portée sur la légalité de l’acte administratif :
" Attendu que les 2 défauts reprochés, tant de visa du statut particulier que de
référence à un autre décret n° 67-16, ne sont qu’apparents et ne préjudicient
aucunement à la valeur du décret n° 75-169… " (3). Dans l’espèce, les requérants
saisirent le juge d’une requête aux fins de modification du décret n° 75-
169/PRES/TFP du 2 mai 1975 auquel ils reprochaient accessoirement les deux
défauts de :
- visa du statut particulier applicable,
- référence au décret n° 67-16/PRES/TFP du 20 janvier 1967.

Cette solution a été confirmée par la suite (4).


1
Sur la question, V : G. DUPUIS, Les visas apposés sur les actes administratifs, Mél. Waline, Paris, LG.D.J., 1974, p. 409.

2
Ch. adm. 13 novembre 1970, YAMEOGO Maurice, arrêt n° 33 précité.

3
Ch. adm. 27 février 1976, Kini Loukou Olivier et 2 autres c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 7.

4
Ch. adm. 8 juillet 1983 (3 èspèces) : Garango Tiémoko Marc ; c/ Etat de Haute-Volta, arrêt n° 14 : (1ère espèce).

Antoine Dakouré (2ème espèce) c/ Etat de Haute-Volta, arrêt n° 15 ; Ouédraogo Mahamoudou c/ Etat de Haute-Volta, arrêt n° 16.
246
4. La motivation de l’acte administratif

La motivation d’un acte se situe au dernier stade de son élaboration. Elle ne


constitue plus une formalité préalable de son adoption, mais une forme de son
adoption. Elle consiste en effet, à exprimer les motifs de droit ou de fait pour
lesquels l’acte est adopté. Elle assure une protection des administrés puisqu’elle
leur permet de connaître directement les raisons de la mesure prise et de les
contester.

La motivation exprime les raisons de fait ou de droit qui sont à la base de la décision.
Tout acte est fondé sur des motifs, bons ou mauvais : la motivation les exprime.

Les motifs se rapportent au fond même de l’acte, à sa légalité interne ; la motivation


concerne sa présentation, relève de la légalité externe.

Il y a là une question de droit administratif traditionnellement controversée, et dont


la portée doit être bien précisée.

Tout acte administratif doit reposer sur des motifs, c’est-à-dire des raisons
conformes à ce qui est prévu par la légalité. Tout acte est d’ailleurs aujourd’hui
passible d’un contrôle de la validité des motifs qui ont inspiré son émission.

Mais tout acte administratif ne doit pas être formellement accompagné de ses
motifs ; tout acte n’a pas à être ¨motivé¨.

Cette solution peut étonner et sembler paradoxale. En réalité, même si un acte


n’avait pas à être ¨motivé¨, le juge pourra en contrôler le bien-fondé en en
247
recherchant les motifs dans le dossier, et surtout en en demandant ces motifs à
l’autorité administrative dans le cadre de la jurisprudence BAREL (en tel cas, si
l’administration refuse ses motifs, le juge peut même présumer l’illégalité de l’acte -
v. C.E. 28 mai 1954, GAJA et C.E. 26 janvier 1968 Société MAISON GENESTAL, GAJA).

En l’absence d’une disposition expresse, l’administration n’est jamais obligée de


motiver ses actes : Chambre administrative 28 mai 1965, République de Haute Volta
contre Fadoua Hema.

La motivation n’est jamais obligatoire que pour certains actes ; lorsqu’elle l’est, elle
doit obéir à certaines exigences.

En l’absence d’une disposition expresse, l’administration n’est pas obligée de motiver


ses actes (mais, elle peut le faire bien entendu). Une décision du 28 mai 1965 exprime
ainsi cette règle : " Attendu que Fadoua HEMA a tout d’abord soulevé l’absence de
motifs dans la décision de révocation, ainsi que l’inexistence du motif qui lui fut
donné verbalement, à savoir qu’il aurait attenté à la sûreté de l’Etat ;

Attendu que le Tribunal administratif a déclaré à bon droit qu’aucune disposition


légale ou réglementaire ne faisait obligation à l’Exécutif de motiver ses décisions
relatives à la situation des chefs coutumiers… " (1).

Dans sa décision précitée du 13 novembre 1970 YAMEOGO Maurice, la Chambre


administrative affirmant le caractère facultatif des visas, soutient " qu’il en va de
même pour l’absence ou l’insuffisance de motifs ".

Cette affirmation du juge burkinabè laisse perplexe. L’absence ou l’insuffisance de


motifs est-il possible ? Pour répondre à cette question, il y a lieu de revenir sur la
signification des mots suivants : motifs, motivation et motiver. Ceci est d’autant
légitime car il y a des pièges à éviter.

1
Ch. adm. 28 mai 1965, République de Haute-Volta c/ Fadoua HEMA, arrêt n° 2. Il s’agissait d’un arrêt sur rappel interjeté par l’Etat contre un
jugement du Tribunal administratif.

248
Les motifs d’une décision administrative sont les raisons de fait et de droit qui
ont conduit l’administration à prendre cette décision.

Motiver une décision administrative, c'est indiquer les motifs de cette décision,
c'est-à-dire les raisons de fait et de droit qui sont à la base de cette décision.
Lorsqu'une autorité administrative vous dit pourquoi elle a pris la décision qu'elle
vous notifie, on dit qu'elle motive sa décision.

La motivation n'est autre que l'action de motiver, c'est-à-dire le fait d'indiquer


les motifs d'une décision, autrement dit les raisons de fait et de droit qui sont à la
base de cette décision.

Il y a deux pièges à éviter:

a. oublier que si dans le langage courant « motif » et « motivation »


sont parfois synonymes, dans le langage juridique ces deux notions
ont des sens différents ;

b. croire que l'administration peut prendre des décisions sans motif.


Cela est matériellement et absolument impossible. A la base de tout
acte administratif, il y a forcément des motifs, si futiles soient-ils. En
revanche, il peut y avoir des actes administratifs non motivés.

Bref, l'absence de motivation est matériellement possible, l'absence de

249
motifs est matériellement impossible.

En effet, l'autorité administrative peut, en principe, ne pas vous dire pourquoi


elle a pris la décision qu'elle vous notifie (absence de motivation possible); mais vous
savez qu'elle a ses raisons (ou motifs) même si vous les devinez mauvaises (absence
de motifs impossible).

Le juge administratif burkinabè par cette formulation, est ¨tombé¨ dans ces pièges en ce
sens que motif et motivation ne sont pas interchangeables.

2 - Les autres règles de forme

Les unes correspondent à des formalités non substantielles dont le non-respect n’a
pas d’effet sur la légalité de la décision litigieuse :

■ la mention de la date,

■ l’articulation de la décision,

Les autres règles de forme correspondent à des formalités substantielles dont le


non-respect entache d’illégalité la décision prise :

250
■ la signature, si la forme écrite est exigée : par exemple lorsqu’une décision doit
être prise conjointement par plusieurs autorités - Cf. supra Les règles relatives à la
compétence ;

■ le contreseing dans certains cas.

251
Sous-section 2. L’application de l’acte administratif unilatéral

L’acte administratif est une décision prise pour modifier l’ordonnancement


juridique. L’étude des effets de cet acte comporte logiquement l’examen du point
de départ ou de l’entrée en vigueur et de la fin de l’acte administratif.

§ 1. L’entrée en vigueur des actes administratifs unilatéraux

Le point de départ des effets d’un acte fait souvent l’objet de confusion et de
quelques incertitudes.

252
Ainsi la terminologie elle-même est trop flottante et qui … les notions de validité,
applicabilité, opposabilité, exécution.

L’essentiel repose sur la distinction entre l’entrée en vigueur de l’acte qui survient
dès son émission et son opposabilité aux personnes tierces qui résulte de la
publicité.

A. Emission de l’acte administratif unilatéral

L’entrée en vigueur des actes administratifs doit être appréciée en fonction d’une
double distinction. La première est la différenciation entre la validé et l’opposabilité.

La validité d’un acte administratif est sa rectitude au regard du droit. Elle s’apprécie
au jour où l’acte a été signé. Chambre administrative 8 juillet 1983 (trois espèces),
Tiémoko Garango Marc (première espèce), Antoine Dakouré (deuxième espèce),
Mamadou Ouédraogo (troisième espèce).

L’opposabilité est l’aptitude de l’acte à produire des effets juridiques à l’égard des
personnes concernées. Elle s’apprécie au jour où ces personnes ont eu connaissance
régulière c’est-à-dire faite dans les formes requises de l’acte.

Cette distinction entre validité et opposabilité s’entremêle d’un autre clivage : celui
des actes individuels et des actes règlementaires.

Un acte règlementaire ne peut créer de droits que lorsqu’il a été publié alors qu’une
décision individuelle confère des droits aux intéressés dès sa signature par l’autorité
compétente.

B. L’opposabilité de l’acte administratif unilatéral

L’opposabilité correspond à la mise en application effective de l’acte qui entraine la


modification de la validité juridique. Un acte opposable acquiert plein effet et peut
253
être appliqué aux intéressés. Dès lors, il est nécessaire que cet acte soit connu au
préalable, qu’il ait fait l’objet d’une publicité : l’opposabilité est subordonnée à la
publicité.

Les modalités de la publicité

La publicité est une opération destinée à porter à la connaissance de tous ceux qui pourraient
y être intéressés par le contenu de la décision administrative. Il n’est en effet pas possible
d’imposer les conséquences d’un acte à ceux qui en ignorent l’existence. Mais, par ailleurs, il
est souvent malaisé de connaître tous les intéressés ou tous ceux qui pourraient être touchés
par une décision. Or on ne peut aviser personnellement tout le monde. Les modalités de la
publicité ont été données pour tenter de répondre à ces questions : toucher personnellement
les principaux intéressés, le cas échéant ou permettre à tous ceux qui le veulent d’être au
courant d’où deux procédés différents.

► La notification

C’est une démarche de l’administration destinée à porter une décision à la connaissance de


son destinataire. C’est donc « un mode de publicité personnelle » qui s’effectue selon des
modalités variables par exemple par lettre recommandée ou remise à l’agent d’une copie de la
décision.

► La publication

C’est une mesure de publicité générale destinée à faire connaître une décision à tous ceux qui
pourraient être concernés. Mais, la population intéressée n’est en général pas connue avec
précision. Aussi, les procédés sont-il variables selon les circonstances.
Les procédés sont parfois imposés par la loi : ordonnance n°75 23/PRESS du 6 mai 1975
fixant les règles d’application des lois, ordonnances, décrets et arrêtés ministériels ainsi que
les actes administratifs à caractère individuel (JO du 29 mai 1975, page 38).

Le délai ne peut courir à l’égard du requérant que dans la mesure où celui-ci a été
normalement informé de la décision prise. La publicité de la décision est donc une
condition essentielle. Elle impose que la décision ait été adéquatement portée à la
connaissance des requérants potentiels quant à son existence et son contenu, par une
mesure officielle d’information. Telle est du moins, l’expression de l’état du droit.
254
Pour en exposer l’économie, il est nécessaire de distinguer entre les règles applicables
en principe et un certain nombre de solutions particulières.

A. Règles générales

Le délai court à compter du jour où la décision a été assortie d’une publicité qui la
rende opposable au requérant. Ceci sera réalisé dès lors que la publicité des actes
administratifs est régulièrement accomplie.

La Chambre administrative précise que " l’acte administratif n’entre véritablement en


vigueur, c’est-à-dire n’est opposable aux particuliers et ne peut fonder juridiquement
des actes portant atteinte à leur situation juridique qu’à partir du moment où il a été
porté régulièrement à leur connaissance par des mesures de publicité appropriées
(C.E. 26 novembre 1954, Demoiselle Balthasard, D. 1955, 525, note Morange) " (1).

1. Modes d’emploi des mesures de publicité

Il n’existe en principe que deux modes de publicité : la notification et la publication.


La signification par exploit d’huissier est rarissime en procédure administrative.

Par contre, la loi du 11 janvier 1962 avait prévu seulement la notification et la


signification comme mode de publicité des actes administratifs. Elle ne fait aucune
allusion à la publication. Il s’agit là d’une omission de la part du législateur, omission
qui a été réparée par l’ordonnance n° 75-23 Pres du 6 mai 1975 (2).

L’administration n’est pas libre d’utiliser les divers modes de publicité dont sont
susceptibles les actes administratifs. Le juge administratif a dégagé les principes qui
commandent le choix du procédé de publicité qui doit être employé. Sa jurisprudence
a été concrétisée par l’ordonnance sus-visée du 6 mai 1975.

Dans quels cas dès lors l’administration doit-elle utiliser l’un ou l’autre de ces
procédés ?
Le juge administratif a consacré les solutions suivantes :

1
Ch. adm. 26 janvier 1973, Guigma Casimir c/ Commune de Ouagadougou, arrêt n° 1.

2
Ordonnance n° 75-23 Pres du 6 mai 1975 fixant les règles d’application des lois et ordonnances, décrets et arrêtés ministériels, ainsi que les actes
administratifs à caractère individuel, J.O.R.H.V. du 29 mai 1975, p. 385.

255
Pour les actes réglementaires, la publication constitue un mode de publicité normal et
suffisant : " Attendu que tous les actes réglementaires doivent en principe être
publiés : que cette publication constitue le point de départ des délais contentieux " (1).
Ainsi, une circulaire réglementaire doit être publiée lorsqu’elle porte atteinte aux
droits d’un administré : " Attendu que la circulaire n° 9/IS/DI du 21 janvier 1965 ne
fit l’objet d’aucune publication régulière alors qu’elle eût mérité une diffusion
générale et publique par le truchement du Journal officiel pour modifier
profondément les dispositions d’un décret régulièrement publié… " (2).

Pour les actes individuels, le délai ne commence à courir vis-à-vis de leur destinataire
qu’à la suite d’une notification. L’article 5, al.1 de l’ordonnance du 6 mai 1975
dispose : " les décisions administratives à caractère individuel, quelle qu’en soit la
forme, ne prennent effet qu’à compter de la date de leur notification ".

La jurisprudence administrative est constante sur ce point :

" Attendu qu’il résulte de la lettre n° 00893/I. CHB du 7 octobre 1969 que le
requérant ne reçut pas notification régulière de la décision attaquée simple objet de
publication au Journal officiel de Haute-Volta et de lecture radiophonique, que
s’agissant d’un acte portant atteinte à une situation individuelle, cette formalité eût
cependant été nécessaire " (3).

A défaut de preuve de l’accomplissement de cette formalité, le délai contentieux n’est


pas déclenché (4).

Spécialement à propos de la notification, il en résulte alors des problèmes de preuve


(laquelle sera a priori à la charge de l’administration qui y a procédé). Sur ce plan, le
droit burkinabè n’est pas fixé puisque le juge administratif adopte des solutions qui
tantôt font peser la charge de la preuve sur l’administration, tantôt renversent celle-ci,
c’est-à-dire en incombant la charge au destinataire (requérant tiers). Il n’est sans
intérêt de mentionner les cas où c’est le juge lui-même qui détermine le point de
départ du délai contentieux connaissance acquise.

1
Ch. adm. 26 janvier 1973, Guigma Casimir c/ Commune de Ouagadougou, arrêt n° 1 précité.

2
Ch. adm. 25 mai 1973, Thiombiano Babribilé c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 12.

3
Ch. adm. 13 novembre 1970, Yaméogo Maurice c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 33 V. aussi : Ch. adm. 14 décembre 1973, Kagambega
Lazare c/ Commune de Ouagadougou, arrêt n° 17 ; 10 janvier 1975, Ilboudo Issa, arrêt n° 2 ; 27 février 1981 ; Ouangrawa Joseph et Tiemtoré
Nabyouré Sophie c/ Commune de Ouagadougou, arrêt n° 2.

4
Ch. adm. 30 juin 1995, Bassolet B. André Firmin c/ Etat burkinabè, arrêt n° 6/95, 27 déc. 1996 Kafando Pouguèga c/ Commune de Ouagadougou
(1ère espèce), arrêt n° 5/96-97 ; Kossimbo Pascal, c/ Commune de Ouagadougou (2ème espèce), arrêt n° 6/96-97 ; 12 mai 1998, Lougué Massa Gabriel
c/ CARFO, arrêt n° 34/97-98 ; 26 juin 1998, Zoundi Xavier Maire c/ Etat burkinabè, arrêt n° 42/97-98.

256
En principe, les décisions individuelles doivent être notifiées à tous ceux qu’elles
intéressent directement et, pour ceux-ci seule la notification marque le point de départ
du délai de recours contentieux. Mais dans la réalité, toute décision administrative
non réglementaire (c’est-à-dire collective ou individuelle) a plus ou moins
directement des effets sur d’autres que ceux qu’elle vise principalement. Il est
pratiquement impossible de notifier ces décisions à l’ensemble de ceux qu’elles
touchent de près ou de loin.

Aussi, la Chambre administrative décide-t-elle que vis-à-vis des tiers, la publication


de la décision considérée suffit à faire courir le délai :

" Attendu que si la notification permet aux destinataires individualisés d’un acte
administratif d’être spécialement informés des dispositions qui les intéressent, la
publication est au contraire une mesure de publicité qui doit permettre à l’ensemble
des particuliers qui peuvent être intéressés par le règlement d’en avoir connaissance "
(1).

Dans l’espèce, les requérants demandaient au juge l’annulation d’un arrêté du


Ministre de la Fonction publique nommant dans le corps auquel ils appartiennent
(Corps des Ingénieurs agronome diplômés), certains agents techniques d’agriculture.

De même, un décret régulièrement publié ne requiert pas une notification particulière


à l’égard des tiers. " Attendu que le décret n° 67.309…, publié au Journal officiel du
21 décembre 1967, ne lui devait pas être notifié ou signifié, que sa seule date de
parution importe pour les tiers auxquels appartient la Dame Yaméogo… " (2). Dans
l’espèce, la requérante demandait l’annulation du décret qui privait son époux de ses
biens meubles et immeubles. Ce décret ne la concernait pas directement. Dans la
décision précitée du 13 novembre 1970, Yaméogo Maurice, le juge administratif
avait estimé que le décret attaqué, le même que dans la présente espèce, devait être
notifié au Sieur Yaméogo, en dépit de sa publication au Journal officiel.

Il est donc des décisions qui doivent être notifiées à l’intéressé le plus direct et le plus
immédiat et qui, en outre doivent être publiées pour faire courir le délai de recours à
l’égard des tiers qu’elles sont susceptibles d’intéresser. Ainsi, le point de départ du
délai de recours contre les nominations ou promotions, court, seulement, en ce qui
1
Ch. adm. 15 décembre 1981, Corps des Ingénieurs Agronomes Diplômés c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 13.

Ch.adm. 13 décembre 1995, Ouédraogo R. Louis c/ Etat burkinabè, arrêt précité.

2
Ch. adm. 8 mai 1970, Dame Yaméogo Félicité née Zagrée c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 26 ; 30 juillet 1993, Daou Demba Oumar c/ Etat
burkinabè, arrêt n° 7/93 ; 14 décembre 1993, Pierre J.E., Tapsoba c/ Etat burkinabè, arrêt n° 13/93.

257
concerne les fonctionnaires nommés ou promus, tandis que la publication de ces
mesures fait seule courir le délai à l’encontre de l’ensemble de leurs collègues ( 1). Il
en va de même pour les recours contre les intégrations de fonctionnaires. La Chambre
administrative l’indique dans une décision du 10 octobre 1969 ( 2) : " Attendu que
l’arrêté attaqué fut publié au Journal officie de la Haute-Volta le 20 juin 1968 et que
le requérant en eût connaissance au plutard le 1er juillet 1968, qu’ayant cependant
attendu jusqu’au 6 janvier 1969 pour diligenter son action, il est très largement
forclos… " Dans l’espèce, le requérant saisit le juge administratif d’une requête aux
fins d’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêté du 7 juin 1968 du Ministre du
Travail et de la Fonction publique, intégrant en grille C1 certains fonctionnaires de
catégorie D.

Les divers procédés de publication ont chacun leur domaine propre :


l’accomplissement d’une de ces formalités ne peut pas remplacer l’accomplissement
de la formalité légale, qui seule fait courir le délai de recours contentieux. La
Chambre administrative décide que le délai de recours ne court pas à l’égard des
intéressés contre une décision qui ne leur a pas été notifiée, bien qu’elle aurait dû
l’être, même si elle a été publiée : " Attendu que s’agissant d’une décision
administrative à caractère individuel, la publication au Journal officiel ne fait pas
disparaître l’obligation incombant à l’administration de la notifier…

Attendu qu’en l’espèce, la preuve d’une notification régulière n’est nullement


rapportée, malgré les demandes faites à cet effet… " (3). Dans l’espèce, le requérant
saisit la juridiction administrative d’une requête en date du 6 juillet 1978 tendant à
l’annulation d’un arrêté ministériel daté du 9 juin 1977 portant suspension de son
traitement et son licenciement. L’arrêté attaqué avait été publié au Journal officiel du
13 juin 1977.

Cette solution libérale n’a pas prévalu toujours dans la jurisprudence. En effet, la
Chambre administrative avant sa décision du 22 juin 1979, avait considéré, dans
certaines espèces, comme point de départ du délai de recours contentieux contre une
décision à caractère individuel, la date de sa publication au Journal officiel, à défaut
d’une date précise de la notification au requérant :

" Attendu que l’on ignore à quelle date précise les services de la Fonction publique
remirent à Somé B., l’exemplaire intitulé " intéressé " de l’arrêté n° 156, mais qu’il
est par contre établi que ledit arrêté fut publié à la page 360 du Journal officiel de
1
Ch. adm. 13 févirer 1970, Syndicat Autonome des P et T de Haute-Volta, arrêt n° 7.

2
Ch. adm. 10 octobre 1969, Ouattara Mégoua Balamine c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 34.

3
Ch. adm. 22 juin 1979, Bambara Oumar c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 9.

258
Haute-Volta n° 18 du 6 mai 1971, que le requérant disposait d’un délai de deux mois
expirant le 8 juillet 1971, et qu’ayant différé jusqu’au 18 août 1971, il se trouvait
forclos… " (1).Cette solution est très critiquable dans la mesure où elle pénalise les
requérants. En effet, on peut s’interroger sur l’utilité d’une telle pratique du juge qui a
pour inconvénient majeur d’entraîner l’irrecevabilité de requêtes par suite d’une
incurie ou mauvaise volonté de l’administration dans son obligation de notifier les
actes individuels aux principaux intéressés.

En outre, on peut craindre qu’elle ne laisse à l’administration la possibilité de


soustraire ses actes irréguliers à toute censure au fond. L’abandon de cette pratique
par la Chambre administrative avec l’arrêt Bambara du 22 juin 1979 mérite d’être
salué. Aujourd’hui, elle semble à nouveau abandonnée la solution Bambara.

En effet, le juge administratif a retenu, en l’absence d’une notification, la publication


au Journal officiel comme mode de publicité d’une décision individuelle :

" Considérant que le décret litigieux dont s’agit, a été régulièrement publié au journal
Officiel du Burkina Faso du 11 août 1994 ; que Korbéogo Maxime a eu toute latitude
d’engager dans les deux mois suivant la publication de cette décision…

Considérant que le requérant argue n’avoir pas reçu notification de la décision que ce
seul fait devait suffire à admettre son recours ;
Considérant que s’il ne ressort pas des pièces au dossier la preuve de la notification, il
n’en demeure pas moins vrai que le recourant a eu une connaissance suffisante de la
décision litigieuse… " (2).

Il va sans dire que lorsque la législation a prévu un mode déterminé de publicité, seul
ce mode peut être utilisé. Les diverses mesures d’information ne sont pas absolument
interchangeables. Elles ont ce qu’on peut appeler un mode d’emploi, dont le respect
conditionne le déclenchement du délai et qui dépend de la nature de la décision
comme de la qualité (destinataires ou tiers) des requérants potentiels.

Inversement le délai ne court pas à l’égard des tiers contre une décision individuelle
notifiée à l’intéressé, mais non publiée :

" Attendu qu’il ne ressort pas des pièces de la procédure que l’arrêté n° 35 du 16
novembre 1971 ait été publié au Journal officiel de la République de Haute-Volta ;

1
Ch. adm. 23 juin 1972, Somé Bassora François c/ Gouvernement de Haute-Volta. V. aussi : Ch. adm. 27 décembre 1974, Sissoko Yaya, arrêt n° 18
précité.

2
C.E. 13 avril 2004, Korbéogo Maxime c/ Etat burkinabé, arrêt n° 28/2003-2004

259
qu’il suit que le délai de recours contentieux contre ledit arrêté n’a pu courir, faute de
publication " (1).

Que faut-il décider lorsque l’acte n’entre en vigueur qu’après l’expiration d’un
certain délai après la publication, comme c’est le cas des actes réglementaires ?

Selon l’article 2 de l’ordonnance du 6 mai 1975, les lois et ordonnances, ainsi que les
actes réglementaire deviennent exécutoires sur tout le territoire de la République huit
jours francs après leur publication au Journal officiel. Le délai court à compter du
jour de parution du numéro du Journal officiel ; la date en est officiellement établie
au moyen de la constatation qui en est faite sur un registre spécial tenu au Ministère
de l’Intérieur.

Ce délai est-il imputé sur celui du recours ? La Chambre administrative penche pour
la négative, comme il ressort de la décision du 25 juin 1982. Dans cette espèce, le
requérant saisit le juge administratif d’une requête aux fins d’annulation d’un décret
paru au Journal officiel le 17 mai 1979. La Chambre administrative a estimé que son
délai d’action s’expirait le 18 juillet 1979. Ce qui laisse supposer que le juge a retenu
comme point de départ du délai du recours contentieux la publication au Journal
officiel du décret attaqué, et non l’entrée en vigueur de la décision contestée.

Cette solution prive les requérants de quelques jours pour saisir le juge quand on sait,
comme il sera exposé plus loin, que ce dernier déclare irrecevables des recours
présentés trois ou même deux jours après l’expiration du délai de recours contentieux.

Quant aux actes publiés selon la procédure d’urgence, ils deviennent applicables le
lendemain du jour de leur affichage. La date d’affichage est obligatoirement
mentionnée sur un registre à ce destiné (article 3, in fine, ordonnance du 6 mai 1975).
L’extrait du registre d’affichage, délivré par les autorités compétentes, fait foi jusqu’à
inscription de faux de la date d’affichage.

L’ordonnance du 6 mai 1975 en unifiant la date d’entrée en vigueur des actes


réglementaires paraît assez sévère à certains égards : si le délai de huit jours est tout à
fait raisonnable, cependant il reste fixe pour tout le territoire. Aucun délai variable
selon les régions n’est aménagé. Il aurait fallu tenir compte d’un délai
d’acheminement du Journal officiel de la capitale administrative vers les autres chefs-
lieux de circonscriptions administratives.

1
Ch. adm. 26 janvier 1973, Guigma Casimir, arrêt n° 1 précité.

260
La Chambre administrative, avant la promulgation de l’ordonnance du 6 mai 1975,
tenait compte d’un délai d’acheminement :

" Attendu qu’il n’est pas établi à quelle date le requérant avait compulsé le Journal
officiel publiant l’arrêté attaqué, qu’en prenant certes, sans base établie, mais qui lui
soit la plus favorable, la date du 28 mars 1973 (soit un délai d’acheminement du
Journal officiel de 3 mois) comme était celle de l’arrivée du Journal officiel à
Banfora, il avait aux termes de l’article 10 de la loi n° 5-62 AN du 11 janvier 1962 un
délai de 2 mois expirant le 30 mai 1973… " (1).

2. Exigence d’une publicité suffisante

L’utilisation par l’administration des modes de publicité indiqués ci-dessus, est


subordonnée à un certain nombre de conditions indiquées par le législateur ou
dégagées par la jurisprudence.

a. Exigence de suffisance en ce qui concerne l’existence de l’acte

La publication, la notification ou la signification ne font courir le délai de recours


contentieux que si elles sont complètes et régulières.
Pour la publication, la régularité tient aux conditions dans lesquelles elle est faite et
ces conditions sont souvent fixées par la loi. Dans ce cas, l’emploi du procédé
indiqué doit être considéré comme suffisant. Le droit burkinabè connaît deux modes
de publication des actes réglementaires. Aux termes de l’article 1 er de l’ordonnance
du 6 mai 1975 " les lois et ordonnances, ainsi que les actes réglementaires,
deviennent applicables sur le territoire de la République, après avoir été portés à la
connaissance du public, soit par voie de publication au Journal officiel, soit selon la
procédure d’urgence… ".

Ce texte consacre ainsi la jurisprudence antérieure qui indiquait la publication au


Journal officiel comme mode de publicité des actes réglementaires.
La publication d’urgence, selon l’article 3 de l’ordonnance du 6 mai 1975, se fait par
voie d’affichage dans chacune des Préfectures et des Mairies, soit du texte lui-même
ou de sa transcription télégraphique, soit de la page du Journal d’annonces légales où
il est inséré.

Ces règles de publicité ne concernent pas les arrêtés de police des Maires et des chefs
de circonscription territoriale dont l’exécution est régie par des règles particulières.

1
Ch. adm. 27 décembre 1974, Sissoko Yaya, arrêt n° 18 précité.

261
b. Exigence de suffisance relative au contenu de l’acte

La publication, quel que soit le procédé employé n’est régulière et ne fait courir le
délai, que si elle indique aux intéressés les points essentiels de la décision.
L’exigence de suffisance relativement au contenu de la décision se justifie avec
évidence, puisqu’elle est destinée à permettre aux intéressés de connaître la portée
des décisions et apprécier s’il y a, pour eux, motifs à recours.

C’est ainsi que, dans le cas de publication par extrait, cet extrait doit comporter les
indicateurs propres à permettre d’apprécier la légalité de la décision. La Chambre
administrative admet qu’une publicité par extrait ou même la simple mention d’un
acte au Journal officiel peuvent être considérées comme suffisantes si les requérants
peuvent y trouver les éléments leur permettant de vérifier la légalité de l’acte :

" Attendu que la publication sous forme d’extrait du décret n° 79/171/Pres du 4 mai
1979, suffisante comme contenant tous les éléments permettant d’apprécier sa
légalité, a été portée à la connaissance du sieur Kibora B. Raymond dès sa parution
au Journal officiel de la République de Haute-Volta le 17 mai 1979, ainsi qu’il ressort
des débats…

Que dès lors, il avait jusqu’au 18 juillet 1979 pour former son recours contentieux,
qu’ayant attendu pour ce faire jusqu’au 21 avril 1981, il laissa expirer le délai qui lui
était imparti… " (1). Il ressort de cette décision que lorsque la publication est
régulièrement effectuée, le délai court à compter de la date de son accomplissement.

La notification est une démarche de l’administration destinée à porter une décision à


la connaissance de son destinataire : c’est donc un mode de publicité personnel, qui
s’effectue selon des modalités variables : l’article 5, alinéa 1 de l’ordonnance du 6
mai 1975 stipule que la notification est établie par le récépissé de la partie intéressée,
ou à son défaut par l’original de la notification conservé dans les archives de
l’autorité dont émane la décision.

La notification destinée à porter l’acte à la connaissance personnelle des intéressés,


n’est considérée comme régulière que moyennant l’accomplissement de certaines
conditions ; la notification doit contenir les précisions nécessaires pour mettre les
intéressés à même de vérifier la régularité de la décision :

" Attendu… que la notification est un mode de publicité personnel, exigée sous forme
d’avis individuel pour prévenir les intéressés de la date à laquelle entrera en vigueur

1
Ch. adm. 25 juin 1982, Kibora B. Raymond c/ Etat voltaïque arrêt n° 9, précité.

262
la décision exécutoire ; qu’en outre le délai de recours contentieux ne court qu’à
compter du jour où le requérant a pu connaître l’existence et le contenu de la décision
exécutoire par l’effet d’une publicité adéquate " (1).

Le juge administratif admet-il qu’une notification puisse être verbale ? La question


mérite d’être posée à la lumière de deux décisions. Dans la première décision, la
Chambre administrative a considéré que le délai de recours court dans l’hypothèse ou
l’intéressé a été avisé d’une décision individuelle le concernant avant la publication
de la décision lui faisant grief. Dans l’espèce, la décision attaquée datait du 15 janvier
1970. Le juge a fixé le délai d’action du requérant de la manière suivante :

" Attendu qu’avisé de l’arrêté n° 14/TFP/P dès avant sa publication, le requérant


avait, au mieux, jusqu’à fin mars 1970 pour saisir la Chambre administrative, et
qu’ayant différé jusqu’au 14 avril 1970 pour y procéder, il laissa expirer le délai
imparti " (2).

Cette solution fut reprise dans une décision du 23 juin 1972 : " Attendu que, avisé au
plus tard le 30 août 1971 de son envoi à la retraite, Yaguibou Locodien Charles,
avait… un délai strict de 2 mois expirant le 1er décembre 1971… " (3).

Ces deux décisions certes isolées dans la jurisprudence administrative, paraissent


non-conformes aux solutions arrêtées à propos des actes individuels. Dans ces deux
cas évoqués, la publication importait peu. Seule leur notification devrait être prise en
compte. Il faut se demander ce que révèle le mot " avisé " employé par le juge
administratif.

Dans les deux espèces, les recours étaient dirigés contre des décisions individuelles.
Le juge a ainsi reconnu que ces décisions ont été notifiées ; il consacre ainsi, de façon
implicite la notification verbale. Cette solution est-elle souhaitable en droit
burkinabè ? Nous ne le croyons pas. A notre avis, elle présente l’inconvénient majeur
d’un manque de précision dans la détermination exacte de la date à laquelle la
décision devient opposable au requérant. Les deux décisions montrent d’ailleurs de
manière éloquente le tâtonnement du juge administratif pour déterminer le point de
départ du délai de recours contentieux. C’est le juge lui-même qui fixe une date qu’il

1
Ch. adm. 24 avril 1981 (deux espèces), Sanou Moussa c/ Commune de Bobo-Dioulasso, arrêt n° 8 ; Sanou Bintou c/ Commune de Bobo-Dioulasso,
arrêt n° 9.

2
Ch. adm. 28 août 1970, Ouédraogo François c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 28.

3
Ch. adm. 23 juin 1972, Yaguibou Locodien Charles, arrêt n° 2.

263
considère comme point de départ : dans la première décision le délai était de deux
mois, dans la seconde, il était de trois mois.

On peut aussi redouter avec de telles pratiques autorisant l’administration à procéder


à des notifications orales, que le requérant ne soit mis dans l’impossibilité de
connaître le contenu exact de la décision.

En règle générale, une décision administrative n’est, en définitive, réputée


officiellement connue de ceux qu’elle intéresse, ce qui pour eux fait courir le délai de
recours contentieux, que si cette décision a été publiée, notifiée ou signifiée, sans
substitution possible de l’une de ces formalités légalement obligatoires. Il existe
cependant quelques cas particuliers.

B. Cas particuliers : problèmes de l’acte n’ayant fait l’objet d’aucune publicité

1. La théorie de la " connaissance acquise " dans la jurisprudence administrative

On appelle théorie de la connaissance acquise, la conception selon laquelle, en


l’absence d’une publicité régulière le délai peut être considéré comme commençant à
courir s’il s’est avéré d’une manière quelconque que l’intéressé avait connaissance de
l’acte (1).

Logique (Romieu) mais dangereuse (Hauriou), la théorie permet de déclencher le


délai de recours contentieux même en l’absence de toute publicité (ou notification).
D’abord admise volontiers par le juge administratif, afin de ne pas ouvrir des
possibilités indéfinies de recours, elle fut admise de façon beaucoup plus stricte car
reposant sur des considérations peu solides de pur fait plutôt que sur un formalisme
précis. Aujourd’hui, la théorie connaît un renouveau.

a. Une théorie cantonnée

Le juge administratif se refuse à faire appel à l’idée de connaissance acquise,


lorsqu’il n’est pas sûr que l’intéressé a eu une connaissance suffisante de l’acte. Il en
va ainsi lorsque l’intéressé a été informé de l’existence de la décision sans avoir le
1
J.M. Auby et R. Drago, op. cit., n° 784.

264
texte : " Attendu qu’il ne résulte pas des pièces du dossier que le requérant ai reçu
notification de l’arrêté n° 1/10 du 20 janvier 1968, que de jurisprudence constante, la
connaissance de fait qu’il a acquise le 31 juillet 1968 de la décision ne suffit pas en
général pour faire courir le délai de recours ; qu’en fait, le 5 août 1968, son délai de
recours n’avait même pas encore commencé à courir ; qu’il s’ensuit que son recours
est recevable " (1).

Le juge administratif n’a pas appliqué la théorie de la connaissance acquise dans une
affaire où le requérant avait précédemment attaqué devant une juridiction judiciaire,
un acte administratif réglementaire qui n’avait pas fait l’objet d’une publication :
" Attendu que la connaissance de fait que Guigma Casimir avait acquise de l’arrêté
du fait qu’il l’avait attaqué devant le tribunal du 2 e degré de Ouagadougou ne suffit
pas en principe à faire courir le délai du recours contentieux (C.E., 14 décembre
1928, Lamborot, Rec/304) " (2). Mais la Chambre administrative n’a pas retenu cette
solution dans une affaire où le requérant lui demandait l’annulation d’un acte non
daté, ni déterminé, émanant du Président de la collectivité rurale de Yako et par
lequel son terrain, sis à Yako, tombait dans la propriété de ladite collectivité " :
" Attendu qu’aucune preuve n’existe de la réalité de l’acte ayant anéanti le document
du 1er octobre 1959 valant permis urbain d’habiter ;

" Attendu que, si l’on accepte néanmoins de le tenir pour vrai, l’on doit admettre que
le requérant en reçut au plus tard connaissance le 28 novembre 1973, date à laquelle
il saisit les autorités judiciaires d’une plainte contre la famille Kielwasseur… " (3). Le
juge administratif a donc considéré que le requérant avait eu connaissance de l’acte
litigieux. Par conséquent, le délai de recours contentieux commençait à courir à son
égard à partir de la date de son action devant les tribunaux judiciaires.

Par contre, dans d’autres hypothèses, lorsqu’il apparaît avec certitude ou tout au
moins avec suffisamment de vraisemblance, que l’intéressé avait acquis une
connaissance suffisante de la décision, la jurisprudence accepte d’appliquer la règle
du délai malgré l’absence de publicité.
Cette solution s’applique lorsque l’intéressé était présent lorsque la décision est
intervenue :

" Attendu qu’il s’est avéré que le requérant, lors du 1er semestre 1973 :
Apprit de façon indubitable que la juridiction coutumière de Dori avait anéanti le 23
décembre 1968 les prétentions de son ascendant Rawacko Amadou sur ladite
1
Ch. adm. 10 janvier 1969, El Hadj Abdou Fadour c/ Municipalité de Ouagadougou, arrêt n° 9.

2
Ch. adm. 26 janvier 1973, Guigma Casimir, arrêt n° 1 précité.

3
Ch. adm. 28 avril 1978, Touré Paté Baba c/ Collectivité Rurale de Yako, arrêt n° 6 précité.

265
parcelle, opposant en outre une telle résistance à la libération des lieux qui lui avait
été requise qu’il fallut l’intervention de la force publique pour obtenir son
déguerpissement ; qu’il se trouvait donc au courant de la situation foncière dès cette
époque.

Attendu qu’ayant différé pendant plus d’un an pour l’introduction de sa requête, il


méconnut ce faisant les prescriptions impératives de l’article 10 de la loi 5/62/AN du
11 janvier 1962… déclare le recours irrecevable " (1).

La jurisprudence attache la même conséquence à des circonstances qui prouvent que


l’intéressé avait acquis une connaissance suffisante de l’acte. C’est le cas, lorsque
qu’il prend l’initiative de contester l’acte en exerçant un recours gracieux : " Attendu
que le requérant soutient n’avoir jamais reçu officiellement notification de la décision
le révoquant ;

Attendu cependant que l’exercice d’un recours gracieux courant juillet 1966 prouve
qu’il avait eu connaissance de cette décision, faisant ainsi courir les délais de recours
contentieux, même en l’absence de notification (C.E. 4 avril 1952, Gerbaud, S. 1952,
3. 97 note Auby…) ; qu’ainsi, il lui appartenait, dans un délai de quatre mois après le
dépôt de sa demande de réintégration, d’exercer dans les deux mois suivants, son
recours contentieux " (2).

b. Le renouveau de la théorie

Théorie " blessée " en droit français (R. Chapus) et globalement en déclin (B.
Pacteau), elle ne connaît pas un recul en droit burkinabè. La jurisprudence récente
traduit même une extension du champ d’application de la théorie. Le juge
administratif ne montre aucune réticence à l’application de la théorie de la
" connaissance acquise ". Il s’agit d’une démarche volontaire du juge administratif
consistant à éluder l’exigence d’une information des décisions administratives.
Pourtant la théorie semblait en " veilleuse ". Certes, les solutions jurisprudentielles
subordonnant le déclenchement du délai contentieux à l’exigence d’une publicité
formelle constituaient un recul de la théorie.

1
Ch. adm. 27 décembre 1974, Demba Nouhoun c/ Collectivité Rurale de Dori, arrêt n° 19.

2
Ch. adm. 8 novembre 1968, Kaboré Josué c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 16 ; V. 27 février 1998, Keyemtarboum Alphonse c/ Maire
centrale de la commune de Ouagadougou, arrêt n° 20/97-98.

266
La jurisprudence se caractérise depuis quelques années par une multiplication des
hypothèses dans lesquelles un requérant va être tenu pour avoir été informé de
l’existence et du contenu d’une décision administrative qu’il conteste alors même
qu’elle n’a pas reçu à son égard d’une publicité normale, et ce parce qu’il ne peut pas
ne pas en avoir une connaissance réelle.

Suffisent au déclenchement du délai, la circonstance que l’existence de la mesure


contestée est évoquée dans une procédure judiciaire (1) ou à l’amiable (2). Mais le
juge administratif semble ne pas appliquer la théorie de la " Connaissance acquise "
par l’effet d’une procédure en cours devant le juge pénal. Dans cette dernière
hypothèse, la règle de la prorogation du délai contentieux prévaut (3).

L’application du principe classique qui veut que " pas de publicité, pas de délai ",
conduit cependant le juge à privilégier le réalisme pragmatique par rapport au
formalisme. L’absence de mesures officielles d’information peut avoir une incidence
sur le déclenchement du délai. Dans pareille hypothèse, ce qui importe c’est la réalité
de la suffisance de l’information qui peut se manifester en dehors des formes prévues
par la législation. C’est le juge lui-même qui trouve des substituts aux modes de
publicité. Tout procédé d’information peut suppléer à une carence de la publication
s’il atteste que la réalité de la connaissance de fait de l’acte est certaine.

Les hypothèses visées ici au nombre de trois, constituent de véritables substituts à la


publicité formelle des actes.
Dans une première hypothèse, le juge s’autorise à tirer toutes conséquences de droit
des déclarations des parties. Il peut retenir les indications données par les parties ou
l’aveu de l’une d’entre-elles.

Le juge cherche également des indices dans le dossier lui permettant de découvrir la
connaissance que le requérant aurait acquise de la décision attaquée :
" Considérant que si la date de notification des décisions n’est pas précisée, il ressort
des pièces versées au dossier, notamment de la requête introductive, - d’instance que
depuis 1989toutes " les démarchés en vue de faire revenir la Fonction publique sur sa

1
Ch. adm.13 avril 1999, Derma I. Ousmane c/ Commune de Ouagadougou, Ouili Kalga, arrêt n° 14/98-99 ; 14 mars 2000, Sawadogo Hamado,
Sawadogo Iliassa, Sawadogo Adama c/ Sawadogo Salfo,, Commune de Kaya ; 10 avril 2001, Koïta Boubakar c/ Commune de Bobo-Dioulasso et Sako
Mamadou, arrêt n° 13/2000.2001.

2
Ch. adm. 29 janvier 1999, Nacoulma Rayagtaba c/ Kouanda Mahamadi, Commune de Ouagadougou, arrêt n° 7/98-99.

3
Ch. adm. 11 février 1997, Dan Abdou Maazou c/ Commune de Ouagadougou, arrêt n° 12/96-97.

267
décision furent vaines ". Que cette précision dans la requête prouve bien que les
intéressés avaient connaissance de leur maintien dans la catégorie A2 " (1).

En effet, le juge administratif supplée à l’absence de notification en considérant


l’aveu du requérant comme manifestation de la connaissance qu’il aurait acquise de
l’acte (2) :

" Considérant de ce fait que si le communiqué radiodiffusé n° 9-105 du 2 novembre


1993 du Ministre de la Fonction publique est un acte administratif ayant créé des
droits pour des particuliers (les candidats déclarés admis) justiciables des juridictions
administratives, c’est à la date du 05 novembre 1993 que le requérant soutient l’avoir
entendu sur les ondes de la Radio nationale ;….

Considérant que c’est le 05 novembre 1995 que Koussoubé D. Alfred a entendu ce


communiqué ; qu’à défaut de prouver que dès son audition, il a saisi le Ministre de la
Fonction publique d’un recours gracieux, il y a lieu de dire que son recours devait
être introduit dans le délai de 2 mois de la connaissance de l’acte attaqué ".

La seconde hypothèse est un dépassement de la publication comme mesure


d’information des tiers intéressés par un acte administratif individuel en l’occurrence
un permis urbain d’habiter. En effet, l’application de la théorie de la " connaissance
acquise " supplée la publication comme mesure d’information :

" Considérant que les modes de publication ainsi définis de l’acte administratif
concernent les personnes directement concernées par ledit acte ; que cependant pour
les tiers comme Sawadogo Yam Barry outre la signification, il faudra retenir tout
autre mode de publication " (3).

La solution a été confirmée : " Que s’agissant de tiers par rapport à un acte
administratif le délai de recours contre cet acte, s’il n’est enregistré et publié au
Journal officiel, court du jour de la connaissance acquise par tout moyen " (4). Dans le
cas d’espèce, le requérant a été déclaré forclos pour avoir introduit son recours plus
deux mois après l’audition du communiqué radiodiffusé. Dans la deuxième espèce, le
juge adopte la même attitude quant à la détermination du point de déclenchement du
1
Ch. adm. 13 décembre 1995, Compaore B. Robert Francis, Domboué Kani… c/ Etat burkinabè, arrêt n° 16/95 ; 26 octobre 2001, Wenna Timbila
Rasmané c/ Haut-Commissaire de la Province du Kadiogo - Ouagadougou, arrêt n° 3/2001-2003 ; 12 février 1997, Dan Abdou Maazou c/ Commune
de Ouagadougou, arret n° 12/96-97.

2
Ch. adm. 26 septembre 1977, Koussoubé Dikié Alfred c/ Etat burkinabè, arrêt n° 32/1996-97.

3
Ch. adm. 26 septembre 1997, Sawadogo Yam Bassy c/ Commune de Ouagadougou, arrêt n° 35/96-97.

4
Ch. adm. 14 mars 2000, Sawadogo Hamado, arrêt n° 24/1999-2000.

268
délai contentieux : " Considérant qu’en l’espèce, Monsieur Tiemtoré Jean Gomdaogo
a introduit son recours le 1er décembre 1986, alors qu’il a eu connaissance de l’acte
administratif en 1980 ; que cela résulte de son mémoire ampliatif du 8 février 1982
ou il écrit : " il m’a fallu attendre 1980, soit 18 ans après pour apprendre et cela
incidemment que Monsieur Kargougou avait fait établir en 1964 un permis urbain
d’habiter… " (1).

Dans la troisième hypothèse, de manière symptomatique, le juge couvre les carences


administratives relativement à l’incomplétude des formes prescrites en lesquelles
doivent intervenir les modes de publicité.

Aussi, le juge n’hésite-t-il pas " à créer " un mode de publicité : la publication
diffusion par voie radiophonique :
" Considérant que même en l’absence de l’acte matérialisant la décision le
licenciant… et à défaut de notification de l’acte attaqué… le recourant a eu
connaissance de la décision depuis le 19 septembre 1984 par la voie des ondes " (2). Il
crée ainsi un procédé qui se substitue à un mode légal :

" Considérant que la pratique administrative et l’attitude des administrés ont eu pour
effet de légitimer cette pratique de publication des actes administratifs individuels ;
que cette pratique tend à consolider la thèse de la connaissance acquise des actes
administratifs " (3).

Une telle attitude du juge n’est satisfaisante, car elle encourage l’administration à
s’affranchir de son obligation de porter à la connaissance du public des décisions les
concernant. Il " absout " en quelque sorte l’administration. En quoi ces mesures
traduisent la suffisance de l’information, exigence légale du déclenchement du délai
contentieux ?

Comment admettre sans réserve, la théorie de la " connaissance acquise ", lorsque
l’opposabilité est expressément subordonnée à une forme légale et particulière de
publicité ? On peut à la limite affirmer que l’ordonnance de 1975 est mise sous
" boisseau " par le juge administratif. Le juge doit cantonner cette théorie dans des
limites précises afin de neutraliser ses effets pervers.

2. Publicité impossible : les décisions implicites

1
Ch. adm. 26 septembre 1997, Kiemtoré Jaan Gomdaogo c/ Commune de Ouagadougou, arrêt n° 33/96-97.

2
Ch. adm. 11 février 1997, Ouédraogo M. Théodore c/ Etat burkinabè, arrêt n° 14/96-97.

3
Ch. adm. 26 septembre 1997 Koussoubé Dikié Alfred, c/ Etat burkinabè, arrêt n° 32/96-97.

269
Par définition, les décisions implicites ne peuvent faire l’objet de mesure de publicité.
Ces décisions implicites qui, nous l’avons déjà vu, sont presque toujours des
décisions implicites de rejet. L’auteur de la décision ainsi rejetée, est en effet en
mesure d’être informé de cette décision implicite qui survient par suite de
l’écoulement d’un délai de quatre mois suivant l’envoi de sa demande à l’autorité
administrative restée silencieuse.

Les décisions implicites peuvent faire l’objet d’un recours. Il n’en va évidemment
ainsi que lorsque la décision est acquise, c’est-à-dire, lorsque la période de quatre
mois ou celle prévue par les textes particuliers, s’est écoulée. Si le recours est intenté
avant l’expiration de cette période, il est en principe prématuré. Par conséquent, il
sera irrecevable, faute de décision préalable.

En fait, cette règle peut se révéler assez théorique, le juge administratif déclarant le
recours recevable dès lors que la période de quatre mois est écoulée lorsqu’elle
statue :
"Attendu que Hervé Sare adressa le 31 décembre 1968 au Ministre du Travail et de la
Fonction publique une requête tendant à la validation de ses services temporaires
mais ne reçut à la date de son recours aucune réponse explicite de rejet ;
Attendu que de jurisprudence constante, le recours contre une décision implicite de
rejet peut être reçu avant l’expiration du délai de quatre mois pourvu que ce délai
expire pendant l’instance ;

Attendu par suite qu’ayant saisi la Chambre administrative le 29 avril 1969, ledit
délai expiré depuis le 30 avril 1969, que son recours est donc recevable " (1).

En l’absence d’une telle décision, la régularisation du recours peut se trouver assurée.


Il suffit que dans le courant de l’instance, intervienne la décision, à l’initiative de
l’administration ou en conséquence d’une demande du requérant. Il résulte de là que,
lorsque le requérant a saisi l’administration d’une demande de décision, il ne lui est
pas nécessaire d’attendre, pour former son recours, l’expiration des quatre mois au
terme desquels il y aura décision implicite de rejet.

Tout cela compte tenu du fait qu’il n’y a généralement guère de chances que le
recours puisse être jugé avant l’expiration du très bref délai dont le terme provoquera
une décision implicite liant le contentieux.

1
Ch. adm. 28 novembre 1969, Hervé Sare c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 43.

270
Cette solution a été formellement abandonnée par la Chambre administrative dans
une décision du 13 novembre 1970 (1) :

" Attendu que les termes dont il est fait usage (" … un délai de quatre mois s’est
écoulé depuis la demande... ") sont dépourvus d’équivoque, qu’ils exigent quatre
mois entiers de silence pour qu’un requérant puissent regarder son recours gracieux
comme implicitement repoussé par la puissance publique et agir au contentieux :
Attendu que les précédents étrangers tendant à la validation des requêtes prématurées
résultent de décisions jurisprudentielles qu’au contraire la loi n° 5/62/AN du 11
janvier 1962 s’impose à la Chambre administrative qui ne saurait, de sa propre
volonté, écourter les délais fixés ; Attendu… que ce n’est qu’à partir du 1er octobre
1969 que Soré L. Alexandre était valablement fondé à tenir sa demande pour rejetée
et à user de la voie contentieuse ;

Attendu qu’ayant saisi la Chambre administrative le 22 septembre 1969 alors qu’il


devait attendre jusqu’au 1er octobre 1969, il méconnut les prescriptions de l’article 10
sus-visé et partant une règle impérative de procédure … déclare la requête
irrecevable ".

On ne peut que regretter la sévérité d’une telle solution, dans la mesure où entrent le
dépôt de la requête et la décision du juge, il s’est écoulé une période de près de
quatorze mois. La décision préalable pouvait être considérée comme acquise durant
cette période.

Ce point de vue a été consacré magistralement par le juge administratif quelques


années plus tard. En effet, dans une décision du 13 juin 2000, il décide : "Considérant
qu'il est de doctrine et de jurisprudence constantes que les décisions implicites
(comme c'est le cas ici) peuvent faire l'objet d'un recours. Qu'il n'en va ainsi que
lorsque la décision est acquise, c'est-à-dire lorsque la période de quatre mois ou celle
prévue par les textes particulière s'est écoulée ; que le recours exercé avant
l'expiration de cette période est en principe irrecevable, faute de décision préalable ;
que cette règle est théorique, le juge administratif déclarant le recours recevable dès
lors que la période de quatre (4) mois est écoulée lorsqu'il statue sur le recours (Cons.
d'Etat 25 juin 1948 Dame Bigerelle : Rec. Cons. d'Etat, p. 659 – 22 novembre 1964
Angelin Rec. Cons. d'Etat, p. 570 – 2 avril 1971 Commune de Condé-sur-Escaut :
Rec. Cons. d'Etat, p. 275)". (2)

1
Ch. adm. 13 novembre 1970, Soré L. Alexandre, arrêt n° 34 précité. 13, décembre 1994, Moussa Ernest Ouédraogo c/ Etat burkinabè, arrêt n°
28/94.

2
Ch. adm. 13 juin 2000, Zongo Issaka c/ Etat burkinabè, arrêt n° 35/1999-2000 ; C.E. 25 octobre 2002, Compaoré Rasmané c/ Etat burkinabè, arrêt
n° 1/2002-2003.

271
La solution ainsi consacrée est abandonnée quatre années plus tard. Saisi en appel
contre un jugement du Tribunal administratif de Ouagadougou, le Conseil d’Etat
constate l’absence de décision préalable lorsque le délai au terme duquel naît la
décision implicite n’est pas venu à expiration (1)

La décision implicite doit être déférée au juge administratif dans un délai de deux
mois à compter de l’expiration de la période des quatre mois (ou celle prévue par les
textes particuliers) (2). Le juge administratif rappelle cette règle :

" Attendu que, selon les prescriptions de l’article 10 de la loi n° 5/62/AN du 11


janvier 1962, forclusion est acquise deux mois plus tard après la décision implicite de
rejet résultant du silence gardé quatre mois durant par l’administration sur la
demande dont on la saisit et que le laps de temps disponible pour l’action
contentieuse se limite à six mois… " (3).

L’intervention (mettant fin au silence de l’administration) d’une décision expresse de


rejet est de nature à déclencher le délai de deux mois, après expiration duquel le
recours sera irrecevable, à l’égard de la décision implicite comme de la décision
expresse : " Attendu que le requérant, après avoir soumis au Ministre du travail et de
la Fonction publique un recours gracieux le 13 novembre 1967, reçut notification de
son rejet le 5 janvier 1968, qu’il avait donc jusqu’au 5 mars 1968 pour saisir la
Chambre administrative… " (4).

Dans le cas du silence de l’administration, la loi ne fait aucune distinction selon qu’il
s’agit du contentieux de pleine juridiction ou des autres contentieux, comme c’est le
cas dans le droit français qui retient une distinction en cette matière.

1
C.E. 31 décembre 2004, Etat burkinabè c/ 11 ex-délégués syndicaux et du personnel licenciés de la SAP, arrêt n° 18.

2
Ch. adm. 12 mars 1971, Coulibaly Y. David, arrêt n° 8 précité ; 25 février 1972, Yaro François, arrêt n° 5 précité. 12 avril 1994, André D. Nikièma c/
Etat burkinabè, arrêt n° 5/94 ; 13 décembre 1995, Ouédraogo R. Louis c/ Etat burkinabè, arrêt n° 13/95 : 13 avril 1999, Bazié Camille c/ Etat
burkinabè, arrêt n° 15/98-99 ; 14 mars 2000, Adama Ben Traoré c/ Etat burkinbé, arrêt n° 26/1999-2000 ; C.E. 30 janvier 2004, Kaboré Yembi
Barthélémy c/ Etat burkinabè, arrêt n° 18/2003-2004.

3
Ch.adm., 25 février 2000, Bakyono Dominique c/ Etat burkinabè, arrêt n° 22 ; C.E. 28 novembre 2003 ; Ouédraogo T. Alain, c/ Etat burkinabè (MEE-
ONEA), arrêt n° 8/2003-2004.

Ch.adm., 13 avril 1999, Bazié Camille c/ Etat burkinabè, arrêt n° 15/98-99. 10 août 2004, Ilboudo G. françois c/ Etat burkinabè arrêt n° 43/2003-2004
(appel Tribunal administratif n° 39 Ouaga 19 juin 2003.

Ch. adm. 13 décembre 1968, Zacsongo Mamadou Félix Christian c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 25.

4
C.E. 10 février 2004, Tapsoba François c/ Etat burkinabè, arrêt n° 23/2003-2004. C.E. 31 décembre 2004, Etat burkinabè c/ 11 ex-délégués
syndicaux et du personnel licenciés de la SAP, arrêt n° 18.

272
En droit français, lorsqu’il s’agit du contentieux de pleine juridiction, l’intéressé n’est
forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une
décision expresse de rejet ; à défaut de décision explicite, le délai ne court donc pas.

Dans les autres branches du contentieux, en particulier dans le cas du recours pour
excès de pouvoir, le délai de deux mois court à partir de l’expiration des quatre mois
de silence de l’administration. Toutefois, dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si
la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées ou
de tous autres organismes collégiaux, le délai ne court qu’à compter de la notification
d’une décision expresse de rejet.

Les règles françaises, essentiellement celles concernant le contentieux de pleine


juridiction, ont été parfois reprises par la Chambre administrative.

Dans une série de décisions, le juge administratif indique : " Attendu qu’aux termes
de l’article 1er paragraphe 3 de la loi française du 7 juin 1956, le délai de recours, en
matière de plein contentieux n’expire que deux mois après la notification d’une
décision expresse de rejet, de sorte qu’il peut s’écouler de nombreux, voire même de
nombreuses années entre la date de la demande et l’expiration du délai ;

Attendu que les mêmes principes inspirent l’article 10 de la loi 5/62/AN du 11 juillet
1962, dont le dernier paragraphe est ainsi rédigé : " les recours gracieux ou
hiérarchiques contre la décision explicite de rejet ou le recours hiérarchique contre la
décision explicite de rejet suspendent, s’il ne s’est écoulé, le recours contentieux… "
(1).

Cette solution adoptée par le juge n’est conforme ni à l’esprit, ni à la lettre de la loi
du 11 janvier 1962 qui n’a nullement prévu la règle dégagée par la Chambre
administrative. Le juge rattache, à notre avis, de manière erronée la solution qu’elle a
dégagée à partir de la loi française du 7 juin 1956, au paragraphe 3 de la loi du 11
janvier 1962 qui concerne exclusivement la prorogation du délai de recours
contentieux par l’exercice d’un recours administratif gracieux ou hiérarchique.

La Chambre administrative n’a pas généralisé la solution en question à l’ensemble du


contentieux de pleine juridiction. Les affaires de plein contentieux qui ont abouti à
cette solution, ont toutes pour caractéristique commune, de mettre en jeu des intérêts
pécuniaires importants. Les affaires, à l’exception de l’une d’entre elles, qui concerne
1
Ch. adm. 6 octobre 1968, Dera Boubakar c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 6 ; 27 décembre 1968, Zoungrana Albert, arrêt n° 41 ; 25 avril
1969 (4 espèces), Nacro Souleymane, arrêt n° 18 ; Compaoré Eloi, arrêt n° 19 ; Dao Mamadou, arrêt n° 20 ; Zoungrana Louis et 2 autres arrêt n° 22 ;
22 août 1969, Sana Ibrahima, arrêt n° 29 ; 24 octobre 1969, Traoré Lallé, arrêt n° 35.

273
le contentieux de la Fonction publique, se rattachent au contentieux des droits
fonciers. L’attitude de la Chambre administrative, d’un point de vue pratique -
l’intérêt des requérants - peut se justifier ; mais sur le plan juridique, elle n’est pas
satisfaisante, car contraire aux prescriptions impératives de la loi.

§.2. La cessation d’applicabilité des actes administratifs unilatéraux

Il est ici question de la théorie des retraits des actes administratifs.

274
La disparition de l’acte administratif par la volonté de son auteur peut d’abord
résulter de cette volonté exprimée dans l’acte lui-même : acte édicté pour une
durée limitée, acte affecté d’une condition résolutoire…

Mais beaucoup plus important, par les problèmes juridiques qu’il pose, est le cas des
retraits postérieurs à l’émission de l’acte.

Sous le nom de " retrait " on désigne fréquemment deux notions différentes : en un
premier sens le retrait désigne la décision par laquelle l’auteur de l’acte entend
annuler celui-ci en faisant disparaître ses effets déjà accomplis ; en un second sens le
retrait implique seulement la volonté de l’auteur d’un acte de le supprimer pour
l’avenir ; il serait préférable de réserver l’expression " retrait " à la première opération
(retrait rétroactif) et d’employer pour la seconde l’expression de révocation ou
d’abrogation (1) ;

La terminologie employée pour distinguer ces deux opérations reste imprécise ; La


pratique administrative et la jurisprudence emploient souvent les expressions
" retrait d’un acte " ou rapporter un acte " aussi bien à propos de l’abrogation non
rétroactive qu du retrait rétroactif.

Cependant dans l’ensemble, la doctrine moderne considère que le terme " retrait "
ne devait être pris qu’au sens strict dans son acception de mesure à effet rétroactif.

1
A. de LAUBADERE, op. cit. n° 557. Sur la théorie des retraits, V.

- J.M. AUBY, l’abrogation des actes administratifs, A.J.D.A., 1967, p. 131 ;


- M. WALINE, Le retrait des actes administratifs, Mél. MESTRE, p. 563. R. MUZELLEC, Le principe d’intangibillité des actes administratifs
individuels en droit français, thèse, Rennes 1971. p. BRINGER et E. GUILLON, Le pouvoir de retrait des actes administratifs, A.J.D.A., 1978, p.
300 ;
- G.VLACHOS, le retrait des actes administratifs, Rev. Adm. 1970, p. 412 ;
- R.G. SCHARTZENBERG, l’autorité de chose décidée, Paris.
275
LES SOLUTIONS EN VIGUEUR EN DROIT BURKINABE

La théorie des retraits est dominée par un principe du droit : le principe d’intangibilité
des effets individuels des actes administratifs. Ce principe a pour fondement une
exigence élémentaire de sécurité juridique ; il signifie que lorsqu’une décision d’une
autorité publique a produit des effets à l’égard des individus, ces effets individuels
doivent être respectés.

Le juge administratif le rappelle en ces termes : " Attendu que, s’il semble
souhaitable que des actes illégaux puissent être librement rapportés par
l’administration lorsque cette dernière s’aperçoit de l’illégalité commise, il y a lieu
aussi de ne pas perdre de vue que la sécurité juridique serait compromise si des
droits acquis même irrégulièrement par des particuliers pouvaient à tout moment
être remis en cause par l’administration " (1).

Mais ce principe général étant posé, ses conséquences sont variables selon les
hypothèses. Les solutions du droit positif burkinabè sont très voisines de celles du
droit français. Ces solutions sont nuancées : plusieurs éléments entrent en compte :

1
Ch. adm. 15 décembre 1981, KABORE Sompayondé Daniel c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 15.

276
la portée (rétroactive ou non) de la cessation que l’administration prétend décider,
la nature de l’acte concerné (réglementaire ou non réglementaire) et aussi sa
validité.

A. Le régime des actes légaux ou réguliers

Deux idées sont à préciser :

►Il peut sembler plus anormal a priori que l’administration puisse y porter atteinte
(instabilité des actes juridiques). Mais la jurisprudence admet cependant que
l’administration puisse et parfois doit même les remettre en cause.

►Un acte régulier n’est pas forcément un acte ¨définitif¨. L’autorité administrative
ne saurait tout de même discrétionnairement toucher à ses propres décisions.

1. Le retrait

Le retrait proprement dit ou retrait rétroactif de l’acte régulier est impossible. C’est le
principe même de non-rétroactivité des actes administratifs qui est ici en cause :

" Attendu que de droit établi :

L’admission à concourir, crée des droits en faveur des candidats…


Attendu que les auteurs acquièrent un droit absolu que l’on ne peut retirer quant aux
notes obtenues et à la moyenne établie par le jury… Attendu que le jury avait
apprécié discrétionnairement et épuisé sa compétence ; qu’en écartant certains
candidats pour des motifs étrangers aux épreuves elles-mêmes, ou aux notes
décernées, la défenderesse excéda ses pouvoirs et outre passa ses propres limites de
compétence… " (1). Dans l’espèce, l’administration avait retiré le bénéfice de
l’admission à un concours, à des candidats qui remplissaient les conditions légales
pour se présenter audit concours.
1
Idem.

277
2. L’abrogation

Quant à l’abrogation de l’acte régulier, les solutions arrêtées par le juge administratif
sont plus nuancées. C’est ici qu’intervient le principe d’intangibilité des effets
individuels des actes administratifs, que l’on peut également désigner sous
l’expression de " droits acquis " au maintien des situations individuelles.

a. Les actes règlementaires

Pour les actes réglementaires, l’abrogation est toujours possible. Tout règlement
administratif peut toujours être modifié ou abrogé par l’autorité qui l’a édicté : il n’y
a pas de droit acquis au maintien d’une situation réglementaire. Cette règle a été
posée par la Chambre administrative dans une décision du 28 août 1970 ( 1). Dans
l’espèce, le requérant faisait grief de ce qu’un arrêté n° 14/T.F.P./P du 15 janvier
1970, l’admit à faire valoir ses droits à la retraite pour compter du 1 er avril 1970 en
lui appliquant d’office le nouveau régime prévue par une ordonnance n° 69-
056/PRES/FP/MFC du 21 octobre 1969 qui ramenait l’âge de la retraite à 53 ans,
alors que l’on eût dû le laisser bénéficier des dispositions antérieures et pas lui
imposer rétroactivement une mesure défavorable. La Chambre administrative a
estimé :

" Mais attendu que les fonctionnaires ne bénéficient pas d’un statut immuable, que les
modifications ou aménagements y apportés sont immédiatement applicables aux
intéressés et que le requérant se saurait exciper d’un quelconque droit acquis quant à
l’âge de sa mise à la retraite ". Cette solution a été confirmée dans une espèce du 25
juin 1982 (2) : " Attendu … qu’au surplus, les modifications que le pouvoir législatif
ou réglementaire croit utile d’apporter au statut d’un fonctionnaire s’appliquent
immédiatement sans qu’il puisse invoquer des droits acquis ".

b. Les actes individuels

Quant aux actes individuels, les solutions jurisprudentielles comportent une


distinction, selon que ces actes ont été ou non générateurs de droits.

► La règle constamment énoncée et appliquée par le juge administratif est que l’acte
administratif individuel ne peut pas être abrogé pour l’avenir, lorsqu’il a créé des

1
Ch. adm. 28 août 1970, OUEDRAOGO François c/ Gouvernement de Haute-Volta arrêt n° 28.

2
Ch. adm. 25 juin 1982, KIBORA Bavoya Raymond c/ Etat voltaïque, arrêt n° 9.

278
droits au profit des individus qu’il concerne : " Attendu… que, de jurisprudence
établie, la décision ramenant un fonctionnaire à un grade ou indice inférieure
méconnaît les droits qu’il avait acquis au maintien des dispositions antérieures le
concernant et ne constituant pas une mesure de faveur (C.E., 3 décembre 1954, D.
1955. 204) et que la nouvelle rémunération ne saurait être inférieure à l’ancienne
(C.E. 31 juillet 1948, Rec. 377) " (1). Dans l’espèce, le requérant saisit la Chambre
administrative d’une requête aux fins d’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêté
n° 119/IS/DI.C du 24 avril 1968 le reclassant dans le corps des agents municipaux à
l’échelle VIII et l’indice 130 avec un décompte d’échelon partant du 3 juin 1960 alors
qu’il était parvenu à l’indice 150 et avait été engagé le 2 juillet 1958.

► Lorsque l’acte administratif n’a pas fait naître des droits, ou n’a pas conféré de
droits définitifs, son abrogation est toujours possible. Quels sont les actes non
créateurs de droit ?

Comme l’indique A. Bockel, " Il est difficile de donner une définition de cette
catégorie d’actes, constituée de décisions de diverses natures que le juge a ainsi
qualifiées cas par cas, sans autre explication " (2). Leur caractéristique commune est
de ne pas conférer à leurs destinataires une situation juridique intangible pour
l’avenir.

Ainsi, la Chambre administrative, a-t-elle reconnu la légalité d’une décision


ministérielle ayant retiré le bénéfice du certificat d’aptitude pédagogique à un
instituteur adjoint qui avait été déclaré par erreur admis au concours professionnel du
certificat d’aptitude pédagogique, alors qu’il avait éliminé (3). Le juge administratif a
considéré aussi qu’un acte acquis grâce à des manœuvres frauduleuses de son
bénéficiaire est non créateur de droits : " Attendu en effet qu’il résulte du dossier
qu’une erreur matérielle manifeste commise dans la rédaction de l’arrêté n°303/FPT
par les services du ministère de la Fonction publique, permit le reclassement
irrégulier du requérant comme Assistant-météorologique de 2e classe 4e échelon
(indice 335) au lieu de 2e classe 1er échelon (indice 270) et que le sieur KIBORA B.
Raymond dissimula volontairement et profita frauduleusement de cette anomalie
pendant plus de deux ans ;

1
Ch. adm. 25 octobre 1968, KYEMTARBOUM Alphonse c/ République de Haute-Volta, arrêté n° 14 ; Voir dans le même sens :

Ch. adm. 27 décembre 1968, KABORE N. Luc, arrêté n° 28 ; 10 janvier 1969 (2 espèces), TAPSOBA Pierre, arrêt n° 3 et TAPSOBA Georges et 8 autres,
arrêt n° 5.

2
A. BOCKEL, Droit administratif, op. cit., p. 182.

3
Ch. adm. 8 juin 1973, YODA Albert Eric Noël c/ République de Haute-Volta, arrêt n° 13.

279
Attendu que la fraude dont le requérant s’est ainsi rendu coupable fait obstacle à ce
qu’il puisse se prévaloir du droit au maintien des dispositions du décret n° 79-
123/PRES qui le régissaient (1).

L’intangibilité des actes créateurs de droits ne signifie nullement que la situation


issue de l’acte régulier soit définitivement immuable mais seulement que la
suppression de cette situation ne peut résulter que d’un nouvel acte administratif
(" acte contraire ") qui ne pourra être accompli que selon les procédures et formes
prévues par la loi (2).

B. Le régime des actes illégaux ou irréguliers

►Il y a ici conflit de la rectitude juridique et ceux de la stabilité des situations


résultant des actes juridiques même illégaux.

►A priori il est tentant de reconnaître à l’administration pouvoir et même obligation


et même obligation de mettre fin aux illégalités. La jurisprudence a pris en compte
ces intérêts de la rectitude juridique, mais entend aussi même à ce niveau protéger
les situations créées par les actes de l’administration. Les solutions dégagées par la
jurisprudence tendent de réaliser un parallélisme entre les pouvoirs de
l’administration et ceux du juge.

Lorsque l’acte administratif est irrégulier, c’est le principe inverse du précédent qui
prévaut : l’acte irrégulier peut et même doit être retiré rétroactivement par son auteur.
Le fondement de cette règle comme l’indique A. de Laubadère (3), est double. D’une
part, du fait même de son irrégularité, l’acte n’a pu créer des droits ; mais cette
première idée n’est pas la seule à jouer car elle justifierait seulement le retrait-
abrogation ; une autre idée vient justifier ici la possibilité du retrait rétroactif : c’est
1
Ch. adm. 25 juin 1982, KIBORA Bavoya Raymond, arrêt n° 9 précité.

Ch. adm. 12 mai 1998, Sawadogo Tensibiri Paul c/ Etat burkinabè, arrêt n° 33/97-98.

2
V. supra, n° 649

3
A. de LAUBADERE, op. cit., n° 561.

280
que le retrait de l’acte irrégulier est considéré comme une " véritable sanction de
l’illégalité de l’acte ", permettant à son auteur de réaliser lui-même ce que ferait le
juge de l’excès de pouvoir s’il était saisi d’un recours contentieux en annulation.
Cette règle affirmée par le juge administratif français dans l’arrêt Baldocchi (1) a été
reprise par la Chambre administrative dans une décision du 28 décembre 1979 (2) :

" Attendu que, d’une manière générale, s’il appartient aux Ministres lorsqu’une
décision administrative ayant créée des droits est entachée d’une illégalité de nature à
entraîner l’annulation contentieuse, de prononcer eux-mêmes d’office cette
annulation, ils ne peuvent le faire que tant que les délais du recours contentieux ne
sont pas expirés ".

Ce rapprochement du retrait-sanction de l’illégalité avec l’annulation juridictionnelle


se manifeste par une règle importante : le retrait de l’acte irrégulier ne peut être
prononcé que dans le délai du recours contentieux, c’est-à-dire généralement dans les
deux mois qui constituent le délai du recours pour excès de pouvoir. Cette solution a
été posée par le Conseil d’Etat français dans un arrêt de principe du 3 novembre 1922
(3).

Le juge administratif faisant siennes les solutions françaises, affirme cette règle en
ces termes : " Attendu que, de jurisprudence certaine, l’acte irrégulier devient
définitif dès lors que la voie contentieuse ne lui est plus opposable que l’on ne le
saurait retirer après l’expiration du délai de recours contentieux et que les actes ou
états qu’il créa acquièrent valeur certaine sans que l’administration se puisse arroger
la faculté de les retirer " (4).

1. Pendant la durée du recours pour excès de pouvoir

L’autorité administrative a plénitude de pouvoir, et obligation, pour mettre fin, et


même pour retirer rétroactivement ses actes illégaux, quelle que soit leur nature et
leur portée, fussent-ils générateurs de droits individuels. Tout acte annulable est un
acte retirable.

1
C.E. 24 novembre 1922, BALDOCCHI, Rec. 877.

2
Ch. adm. 28 décembre 1979, TIENDREBEOGO Antoine et 10 autres c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 13.

3
C.E. 3 novembre 1922, Dame CACHET, Rec. 790 ; C.A.J.A., n° 42.

4
Ch. adm. 13 février 1970, Syndicat autonome des P. et T. de Haute-Volta à Ouagadougou c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 7.

281
Tant que l’acte est annulable par la Chambre administrative, il peut être retiré par
l’administration. C’est ce qui ressort d’un arrêt du 28 mai 1982 ( 1). Dans l’espèce, les
requérants saisirent la Chambre administrative d’une requête aux fins d’annulation
pour excès de pouvoir d’un arrêt n° 54 bis/FPT/DGFP/F du 25 janvier 1980 du
Ministre de la Fonction publique et du Travail qui a rapporté un précédent arrêté n°
142/FPT/DGFP/F du 28 novembre 1979 qui leur accordait en application d’un décret
n° 241/PRES/TFP/SE du 18 mai 1963 une bonification d’un échelon. Les requérants
arguaient que le retrait de l’arrêté n° 1412/FPT/DGFP/F du 28 novembre 1979 était
intervenu hors délai et portait atteinte au principe des droits acquis. Le juge
administratif, après avoir au préalable relevé que les requérants avaient bénéficié
d’une mesure illégale, a considéré :

" Attendu… que selon une jurisprudence bien établie, l’administration peut retirer un
acte illégal générateur de droits pour éviter une annulation contentieuse, c’est-à-dire
avant l’expiration du délai du recours contentieux. Qu’il en résulte, que ce délai de
deux mois n’étant pas encore expiré le 25 janvier 1980, date de l’acte de retrait n° 54
bis/FPT/DGFP/DG/G expiré le 28 novembre 1979 ne pouvaient être définitivement
acquis aux bénéficiaires ".
2. Au delà de la durée d’exercice du recours pour excès de pouvoir

La jurisprudence fait davantage prédominer les impératifs de la sécurité et de la


stabilité juridiques. Les solutions applicables dépendent des ¨droits¨ créés par l’acte
en cause.

Dès lors que l’acte n’est plus annulable, la Chambre administrative admet qu’il n’est
plus retirable par l’administration même si l’acte est illégal. C’est ce qui ressort de
l’arrêt précité du 28 décembre 1979 TIENDREBEOGO Antoine. Dans l’espèce, les
requérants saisirent la Chambre administrative d’une requête aux fins d’annulation
d’un arrêté n° 1449/FPT/DGFP/LF du 7 décembre 1978 du Ministre de la Fonction
publique et du Travail qui a rapporté leur reclassement dans la catégorie C1. Au
soutien de leur requête, ils faisaient valoir la méconnaissance du principe des droits
acquis par l’administration. Or, le reclassement des requérants était intervenu de
manière irrégulière. La Chambre administrative a jugé : " Attendu qu’il résulte des
pièces versées au dossier que les décisions n° 743, 747, 857 et 1055 et
1140/FPT/DEP/LF du 14 juillet, 10 août, 21 septembre et 5 octobre 1978 intégrant
TIENDREBEOGO Antoine et autres dans la catégorie " C échelon 1 " datèrent de
plus deux mois lorsqu’est intervenu à la date du 7 décembre 178, l’arrêté

1
Ch. adm. 28 mai 1982, OUEDRAOGO Guigma Cyprien et autres c/ Gouvernement de Haute-Volta, arrêt n° 6.

Ch. adm. 24 décembre 1982, TOE D. Charles et 8 autres c/ Etat de Haute-Volta, arrêt n° 17 ; 13 décembre 1995, Syndicat National des Enseignants
africains du Burkina (SNEAB) c/ Etat burkinabè, arrêt n° 14/95.

282
d’abrogation n° 1149/FPT/DEP/LF, du Ministre de la Fonction publique et du
Travail ;

Que par suite, les sieurs TIENDREBEOGO Antoine et autres, avaient un droit
définitivement acquis que le Ministre de la Fonction publique n’a pu légalement
rapporter leurs intégrations en catégorie " C échelle 1 ".
La jurisprudence est constante sur la question (1).

Cette règle a été confirmée en matière de concours. La Chambre administrative admet


en effet, que le seul fait d’avoir subi avec succès les épreuves d’un concours à la suite
d’une candidature même entourée de certaines irrégularités que l’autorité
administrative n’a pas daigné relevé avant le début des épreuves, confère des droits
acquis aux candidats admis que l’on ne peut retirer après les délais de recours
contentieux :

" Attendu que dès que l’acte considéré ne peut plus être attaqué par la voie
contentieuse, il est devenu définitif quelles que soient les illégalités dont il est atteint ;
que dès lors, les droits qu’il a créés sont eux-mêmes devenus définitifs, qu’il s’ensuit
que l’administration ne saurait y porter valablement atteinte… " (2).

LES SOLUTIONS EN VIGUEUR EN DROIT FRANÇAIS

 Trois préoccupations dominent le régime de la disparition de l’acte administratif :


1. la nécessité d’assurer la stabilité du commerce juridique,
2. la volonté de ne pas affecter l’efficacité de l’action administrative,
3. le souci du principe de la légalité qui implique que « les autorités administratives
puissent assurer […] le contrôle de leurs propres actes »3.

1
V. Cham. Adm., 12 mai 1998, Sawadogo Tensibiri Paul c/ Etat burkinabè, arrêt n° 33/97/98 ; 27 novembre 1998, Naré Joseph c/ Etat burkinabè,
arrêt n° 1/98/99 ; 26 mars 1999, Séré Adama CCVA Bobo-Dioulasso c/ Etat burkinabè, arrêt n° 12/98/99.

2
Ch. adm. 15 décembre 1981, KABORE S. Daniel, arrêt n° 15 précité.

Ch. adm. 14 octobre 1997, Madame Souli née Kaboré Laurentia c/ Etat burkinabè, arrêt n° 3/97-98.

3
Valérie Pécresse, conclusions sur C.E., Ass., 24 octobre 1997, Mme de Laubier (RFDA 1998 p.527)

283
284
1 - Le retrait

► Définition : Le retrait d’une décision administrative, c’est sa disparition, sa


suppression rétroactive décidée par l'autorité administrative.

 Retirer- on dit aussi rapporter - un acte administratif, c’est le supprimer,


totalement ou partiellement, à la fois pour l’avenir et pour le passé ; le retrait efface
totalement ou partiellement les effets passés de l’acte.

Un acte retiré (sous-entendu, retiré de l'ordonnancement juridique) est réputé


n’être jamais intervenu. Par là même, le retrait rappelle l’annulation prononcée par
le juge - l’annulation contentieuse.

Voilà pourquoi le juge administratif rejette (ou prononce un non-lieu à statuer


sur) toute requête tendant à l'annulation d’une décision qui a déjà été retirée ou
rapportée par l’administration ; une telle requête est sans objet. Avant de rejeter le
recours (retrait intervenu avant l'introduction de l'instance) ou de prononcer un
non-lieu à statuer (retrait intervenu en cours d'instance), le juge s'assure tout de
même que le retrait a acquis un caractère définitif faute d'avoir été contesté dans le
délai du recours contentieux (Cf. C.E., 19 avril 2000, Borusz).

 Enfin, il convient de garder à l’esprit le fait que le retrait nous met toujours en
présence d'au moins deux actes :
1. l'acte retiré
2. et l'acte qui retire.

a - Le retrait des actes réglementaires

Il est nécessaire de distinguer deux hypothèses :

i. 1e hypothèse : l’acte réglementaire n’a reçu aucun commencement d’exécution. Le


juge admet, sans restriction, que l’administration puisse le retirer pour des raisons
285
d’opportunité ou de légalité – C.E., 21 octobre 1966, Société Graciet et Cie (Rec.
p.560) ;

ii. 2e hypothèse : l’acte réglementaire a déjà été mis en application. Il peut être retiré,
pour illégalité, dans le délai de recours contentieux ou, si un recours contentieux a
été formé contre lui, pendant la durée de l’instance et dans les limites des
conclusions du requérant.

La formule « dans les limites des conclusions du requérant » signifie « dans les
limites de ce que le requérant a demandé au juge ». Par exemple, si le requérant a
attaqué uniquement l’article 4 de l’acte réglementaire, l’administration ne pourra
retirer que cet article 4.

b - Le retrait des actes individuels explicites créateurs de droits

La notion de décision créatrice de droits n’est pas facile à formaliser parce que les
solutions contentieuses se dérobent à toute tentative de systématisation.

C’est ainsi qu’une décision administrative accordant un avantage financier crée des
droits au profit de son bénéficiaire alors même que l'administration avait l'obligation
de refuser cet avantage - C.E., 6 novembre 2002, Mme Marguerite S.

En revanche, n'ont pas cet effet les mesures qui se bornent à procéder à la
liquidation de la créance née d'une décision prise antérieurement – même décision.

Exemples d’actes créateurs de droits : Nomination ou promotion dans la fonction


publique, autorisation de se présenter à un concours, permis de construire, décision
de conclure un contrat, ou décision retirant une sanction disciplinaire, autorisations
diverses …

286
►En paraphrasant une formule, on peut dire qu’un acte créateur de droits est un
acte qui procure un avantage ou un intérêt juridiquement protégé.

Rappel : il convient de garder à l’esprit le fait que le retrait nous met toujours en
présence d'au moins deux actes: l'acte retiré et l'acte qui retire.

 Jusqu’au 26 octobre 2001, les règles relatives au retrait des actes individuels
explicites créateurs de droits résultaient, pour l’essentiel, des décisions suivantes :

 C.E., 16 février 1912, Abbé Blanc (Rec. p.223) : première décision à rompre avec le
régime de l’intangibilité des actes individuels explicites créateurs de droits et à
reconnaître à l’administration le droit de retirer un acte individuel explicite créateur
de droits ;

 C.E., 3 novembre 1922, Dame Cachet (Rec. p.790 ; S. 1925.3.9, note Hauriou ; RDP
1922.552, conclusions Rivet) : première décision à limiter dans le temps la possibilité
de retirer un acte individuel créateur de droits, en alignant le délai du retrait sur le
délai du recours contentieux ;

 C.E., Ass., 6 mai 1966, Ville de Bagneux (Rec. p.303) : cet arrêt approfondit le
couplage du délai de retrait et du délai de recours contentieux ; l’administration
peut retirer, pour illégalité, un acte individuel explicite créateur de droits aussi
longtemps que les tiers seront recevables à contester cet acte devant le juge ;

 C.E., Ass., 24 octobre 1997, Mme de Laubier (Rec. p.371) : l’administration ne


saurait se prévaloir de la circonstance qu’elle n’a pas mentionné les délais et les
voies de recours à l’encontre d’une décision individuelle dans la notification qu’elle
en a adressée à l’intéressé pour retirer cette décision au-delà d’un délai de deux
mois après ladite notification.

 Puis est intervenue la décision C.E., Ass., 26 octobre 2001, Ternon (conclusions
François Séners, RFDA, 2002, n°1, pp.77 et suivantes).

287
Cette décision opère un revirement de jurisprudence. Elle procède à un découplage
entre délai de retrait et délai de recours contentieux. Elle vise à rétablir l’équilibre
entre le respect de la légalité et la stabilité des droits individuels acquis – équilibre
rompu par la jurisprudence antérieure au profit du respect de la légalité :

 « […] sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et


hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut
retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que
dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ; […] »

Désormais, à la question « l'administration peut-elle retirer une décision


individuelle explicite créatrice de droits ? » il convient de répondre en distinguant
le principe et les exceptions.

I. Le principe : Normalement, l'administration n’a pas le droit de retirer une décision


individuelle explicite créatrice de droits. Le retrait d’une décision individuelle
explicite créatrice de droits n’est légal que si deux conditions sont réunies :

1. la décision individuelle explicite créatrice de droits est illégale ;

2. le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision.

L’utilisation par le Conseil d’Etat de la formule « la prise de cette décision » révèle


deux choses :

a. la décision individuelle explicite créatrice de droits peut être écrite ou verbale ;

b. pour le calcul du délai de quatre mois, on doit prendre en considération la date à


laquelle la décision retirée a vu le jour et non la date de l’accomplissement des
formalités de publicité. Il peut s’agir soit de la date à laquelle l'administration a
signé la décision retirée (dans le cas d’une décision écrite) soit de la date à laquelle
288
l'administration a prononcé les mots constituant la décision retirée (dans le cas
d’une décision verbale).

De plus, le retrait doit être motivé et précédé d’une procédure contradictoire (loi
du 11 juillet 1979 et loi du 12 avril 2000 ; voir I - Les règles relatives à la légalité
externe des actes administratifs).

II. Les exceptions : elles se fondent soit sur une demande du bénéficiaire de la
décision individuelle explicite créatrice de droits soit sur des dispositions législatives
ou réglementaires.

1. L’exception fondée sur une demande du bénéficiaire de la décision individuelle


explicite créatrice de droits.

La jurisprudence reconnaît au bénéficiaire d’une décision individuelle créatrice de


droits la possibilité d’en demander le retrait, notamment pour que lui soit
substituée une décision plus favorable. Mais elle réserve à l'administration le
pouvoir d’apprécier l’opportunité de ce retrait, qui n’est pas un droit (C.E., Sect., 9
janvier 1953, Dufour – Rec. p.5).

La légalité du retrait opéré à la demande du bénéficiaire de la décision individuelle


créatrice de droits est subordonnée aux conditions suivantes :

a. la demande doit être explicite – C.E., Sect., 24 février 1967, de Maistre (Rec.
p.91) ; 2 juillet 1999, Peerzada – n°167641 ;

b. le retrait ne doit pas préjudicier aux droits des tiers.

289
De plus, le retrait doit être motivé (loi du 11 juillet 1979 ; voir I - Les règles relatives
à la légalité externe des actes administratifs).

2. Les exceptions fondées sur des dispositions législatives ou réglementaires.


Lorsque la loi ou le règlement prévoient directement ou indirectement, dans
certains domaines, des règles spécifiques pour le retrait d’une décision individuelle
explicite créatrice de droits, l'administration doit opérer le retrait dans le respect de
ces règles qui dérogent au principe exposé plus haut.

 Ultime précision : « Lorsque l'autorité administrative prend une décision


individuelle créatrice de droits, qui n'entre pas dans ses compétences et la retire
avant l'expiration du délai dont elle dispose pour ce faire, la décision de retrait
n'excède pas ses pouvoirs, quels que soient les motifs sur lesquels elle se fonde » -
C.E., 6 novembre 2002, Ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la
Technologie.

c - Le retrait des actes individuels implicites créateurs de droits

Il s’agit essentiellement des décisions implicites d’acceptation.

i – La position initiale du Conseil d'Etat

 Dans l’ancien état de la jurisprudence, le retrait d'une décision implicite


d’acceptation était, en principe, impossible: C.E., 14 novembre 1969, Eve (Rec.
p.498, conclusions Bertrand).

Cette position de principe était adossée au raisonnement qui suit.

290
Étant une sorte de fiction, la décision implicite ne fait pas l’objet d’une mesure de
publicité. Notamment à l’égard des tiers. Donc, le délai n’est jamais déclenché pour
les tiers.

Si on alignait le délai du retrait sur celui du recours contentieux (jurisprudence


Dame Cachet et Ville de Bagneux), l’administration pourrait retirer ces actes
implicites à toute époque.

C’est la raison pour laquelle on dessaisit l’administration, en rendant, sinon


impossible, du moins illégal, le retrait.

Mais, par exception, certaines décisions implicites d’acceptation font l’objet d’une
publicité indirecte.

 Exemple : un permis de construire tacite.

Sous l’ancienne jurisprudence, le retrait de ces décisions implicites - qui font l’objet
d’une publicité indirecte - était possible dans les conditions posées par la
jurisprudence Dame Cachet : pour illégalité et à condition qu’elles ne soient pas
devenues définitives : C.E., Ass., 1er juin 1973, Ministre de l’Équipement c/ Roulin
(Rec. p.390).

Puis est intervenue la loi du 12 avril 2000 qui régit les solutions actuelles.

291
ii – Les solutions actuelles

 La loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs
relations avec les administrations dispose en son article 23 :

« Une décision implicite d'acceptation peut être retirée, pour illégalité, par l'autorité
administrative :

1° Pendant le délai de recours contentieux, lorsque des mesures d'information des


tiers ont été mises en œuvre ;

2° Pendant le délai de deux mois à compter de la date à laquelle est intervenue la


décision, lorsqu'aucune mesure d'information des tiers n'a été mise en œuvre ;

3° Pendant la durée de l'instance au cas où un recours contentieux a été formé. »

 Le retrait devrait également être possible à la demande du bénéficiaire dans les


mêmes conditions que pour les actes explicites – Cf. supra.

 Le retrait sera motivé (dans tous les cas) et précédé d’une procédure
contradictoire (sauf s’il intervient à la demande du bénéficiaire de la décision
implicite) - loi du 11 juillet 1979 et loi du 12 avril 2000 ; voir I - Les règles relatives à
la légalité externe des actes administratifs.

d - Le retrait des actes individuels non créateurs de droits


292
 Exemples :

■ Décisions recognitives : on désigne ainsi les décisions qui se bornent à


constater, à déclarer l’existence d’un droit, d’une situation. Elles ne
présupposent pas l’exercice d’un pouvoir d’appréciation : relevés de notes
d’examen, diplômes, attestations, certificats, décisions purement pécuniaires ;

■décisions juridiquement inexistantes ;

■décisions obtenues par fraude ;

■déclarations d’utilité publique ;

■décisions défavorables - sauf dans certains cas.

 Le retrait des actes susmentionnés (actes individuels non créateurs de droits)


est possible à toute époque et sans condition particulière.

 Exemple :

C.E., 23 février 2009, Mme Gaëlle A-B :

« Considérant que, contrairement à ce qu'affirme la requérante, la formation


compétente du CNU pouvait, même sans texte exprès en ce sens, et sans condition

293
de délai, retirer pour fraude, par la décision attaquée, la décision prise initialement

 A noter : « Si un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et, par
suite, peut être retiré ou abrogé par l'autorité compétente pour le prendre, alors
même que le délai de retrait de droit commun serait expiré, il incombe à l'ensemble
des autorités administratives de tirer, le cas échéant, toutes les conséquences
légales de cet acte aussi longtemps qu'il n'y a pas été mis fin […] » - C.E., 29
novembre 2002, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille.

2 - L’abrogation

► Définition : L’abrogation d’une décision administrative, c’est sa disparition, sa


suppression non rétroactive décidée par l’administration.

 Au contraire du retrait, l’abrogation consiste à supprimer, totalement ou


partiellement, un acte administratif uniquement pour l’avenir. Abroger un acte, c’est
donc le supprimer, sans effet rétroactif, sans toucher à ses effets passés.

Par là-même, l’abrogation se distingue et du retrait et de l’annulation prononcée


par le juge - l’annulation contentieuse (Cf. C.E., 19 avril 2000, Borusz, décision
précitée).

Voilà pourquoi on peut obtenir du juge administratif l’annulation d’un acte


administratif qui a déjà été abrogé, mais qui, avant son abrogation, a reçu
application et a donc produit des effets.
 Exemple :
C.E., 6 mars 2009, M. Bruno A. :

« Considérant que l'abrogation d'un acte réglementaire ne rend pas sans objet un
recours tendant à l'annulation de cet acte lorsque celui-ci a produit des effets ; qu'il
ne ressort pas des pièces du dossier que cet acte n'ait pas produit d'effets ; que, dès

294
lors, bien que l'instruction de 1998 ait été abrogée, il y a lieu de statuer sur la
requête tendant à son annulation ; »

 Enfin, il convient de garder à l’esprit le fait que, comme le retrait, l’abrogation


nous met toujours en présence d'au moins deux actes :
1. l'acte abrogé
2. et l'acte qui abroge.

a - L’abrogation des actes réglementaires

Deux cas de figure sont à distinguer.

 Le cas des actes réglementaires légaux. Leur abrogation est toujours possible
sans toutefois être obligatoire, sauf si une norme supérieure prescrit cette
abrogation. En effet, nul n’a un droit acquis au maintien d’un règlement. Même si un
acte réglementaire a été édicté pour une certaine durée, il peut être abrogé avant
l’expiration de cette durée.

 Le cas des actes réglementaires illégaux ou sans objet. La loi n°2007-1787 du 20


décembre 2007 a introduit dans la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits
des citoyens dans leurs relations avec les administrations un article 16-1 qui
dispose :

« L'autorité administrative est tenue, d'office ou à la demande d'une personne


intéressée, d'abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette
situation existe depuis la publication du règlement ou qu'elle résulte de
circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. »

La jurisprudence prescrit à l’inverse certaines abrogations ou modifications d’actes


administratifs : application de la théorie du changement de circonstances.

295
Cette jurisprudence concerne les règlements que l’autorité administrative doit
donc adapter aux circonstances nouvelles.

 La question de l’obligation pour l’autorité administrative d’abroger un acte


réglementaire devenu illégal ou illégal ab initio (c’est- à-dire depuis son origine), a
nourri une longue évolution jurisprudentielle et réglementaire.

 Ainsi, pendant longtemps, le Conseil d’État avait-il admis qu’en cas de


changement de circonstances ayant motivé un règlement,

■ la modification ou l’abrogation de ce dernier pouvait être demandée par tout


intéressé - C.E., Sect., 10 janvier 1930, Despujol, Recueil p. 30,

■ et que l’exception d’illégalité puisse être invoquée sans condition de délai contre
un règlement illégal - C.E., 29 mai 1908, Poulin, Recueil p. 580.

 Cela dit, le Conseil d’État avait également jugé que l’administration n’était pas
tenue, après l’expiration du délai de recours, d’abroger un règlement illégal - C.E.,
Sect., 6 novembre 1959, Coopérative laitière de Belfort, Recueil p. 581.

 C’est pour faire échec à cette jurisprudence que l’article 3 du décret n° 83-1025
du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l’administration et les usagers
avait posé le principe suivant :

« L’autorité compétente est tenue de faire droit à toute demande tendant à


l’abrogation d’un règlement illégal, soit que le règlement ait été illégal dès la date de
sa signature, soit que l’illégalité résulte des circonstances de droit ou de fait
postérieures à cette date ».

296
 Le Conseil d’État, dans un arrêt Alitalia du 3 février 1989, avait repris ce principe
de l’obligation pour l’autorité administrative d’abroger tout règlement illégal, « que
ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature » ou « que l'illégalité résulte
de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date » - C.E., Ass., 3 février
1989, Compagnie Alitalia (Rec. p.44 ; conclusions N. Chaïd-Nouraï, RFDA 1989,
p.391)1.

Le refus d’abroger un règlement illégal à la demande des personnes présentant un


intérêt à agir est en conséquence susceptible d’engager la responsabilité de
l’autorité administrative, que l’illégalité soit la conséquence d’un changement de
circonstances de droit ou de fait.

 Le décret du 28 novembre 1983 ayant été abrogé par le décret n° 2006-672 du 8


juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de
commissions administratives à caractère consultatif, le principe de l’obligation pour
l’autorité administrative d’abroger tout règlement illégal n’avait plus qu’un
fondement jurisprudentiel, celui issu de l’arrêt Alitalia précité.

 Aujourd’hui, le fondement de ce principe est législatif, car comme on l’a indiqué


plus haut, l’article 16-1 de la loi du 12 avril oblige l’autorité administrative à abroger,
d’office ou à la demande d’une personne intéressée d'office ou à la demande d'une
personne intéressée, tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe
depuis la publication du règlement ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de
fait postérieures à cette date.

1
Selon le Conseil d’État, il s’agit là d’un principe général du droit : C.E., Ass., 3 février 1989, Compagnie Alitalia (Rec.
p.44 ; conclusions N. Chaïd-Nouraï, RFDA 1989, p.391).

Explication :

 Le décret du 28 novembre 1983 doit également s’appliquer aux collectivités locales.


 Or, une telle contrainte ne peut être imposée aux collectivités locales que par la loi - c’est une exigence de la
Constitution.
 Donc, dans cette mesure, le décret du 28 novembre 1983 est illégal.
 Pour le tirer de l’illégalité, le Conseil d’État soutient que le décret n’a pas créé une règle nouvelle, mais qu’il s’est
borné à réaffirmer un principe général du droit. Sur ce point, le Conseil d’État a, en quelque sorte, nullifié le décret.
297
 Cet article va plus loin que les solutions antérieures ; il ne se contente pas de
reprendre le principe posé par le décret de 1983 et par l’arrêt Alitalia :

▪ Il oblige l’administration à abroger non seulement les règlements illégaux mais


aussi les règlements sans objet, que le caractère illégal ou l’absence d’objet existe
depuis la publication du règlement ou qu'il résulte de circonstances de droit ou de
fait postérieures à cette date.

▪ Il oblige l’administration, en l’absence de demande, à prendre l’initiative d’abroger


lesdites dispositions.

b - L’abrogation des actes individuels créateurs de droits

► Jusqu’au 6 mars 2009, la règle était bien établie dans les termes suivants :

 L’abrogation n’est possible qu’au moyen d’un acte contraire répondant à des
conditions de compétence, de procédure et de fond particulières, prévues par les
textes.

 Exemple : la nomination puis la révocation d’un fonctionnaire.

►Mais le 6 mars 2009, le Conseil d’Etat décide que l’abrogation d’un acte individuel
explicite créateur de droits doit se faire dans les mêmes conditions que le retrait
d’un acte individuel explicite créateur de droits, c’est-à-dire, en principe, pour
illégalité et dans le délai de quatre mois suivant l’intervention de l’acte :

« Considérant que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires


contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire,
l’administration ne peut retirer ou abroger une décision expresse individuelle

298
créatrice de droits que dans le délai de quatre mois suivant l’intervention de cette
décision et si elle est illégale ; que la décision par laquelle le conseil départemental
décide d’inscrire un praticien au tableau en application de l’article L. 4112-1 du code
de la santé publique a le caractère d’une décision individuelle créatrice de droits ;
que s’il incombe au conseil départemental de tenir à jour ce tableau et de radier de
celui-ci les praticiens qui, par suite de l’intervention de circonstances postérieures à
leur inscription, ont cessé de remplir les conditions requises pour y figurer, il ne
peut, en l’absence de fraude, sans méconnaître les droits acquis qui résultent de
l’inscription, décider plus de quatre mois après celle-ci de radier un praticien au
motif que les diplômes au vu desquels il a été inscrit n’auraient pas été de nature à
permettre légalement son inscription ;

Considérant que l’inscription de M. C. au tableau de l’ordre des chirurgiens-


dentistes de l’Isère le 5 octobre 2004 a été décidée par le conseil départemental au
vu et après examen des diverses pièces relatives à sa formation universitaire dont il
ne résulte pas que leur production par l’intéressé ait eu le caractère d’une
manœuvre frauduleuse ; que, par suite, le conseil départemental ne pouvait
décider, le 4 juillet 2006, d’abroger cette décision créatrice de droits au motif que le
réexamen du dossier de M. C. aurait fait apparaître que celui-ci ne détenait pas le
diplôme requis par les dispositions de l’article L. 4141-3 et qu’il était tenu de faire
cesser une situation d’exercice illégal de l’art dentaire ; qu’il y a lieu en
conséquence, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autre moyens de la requête,
d’annuler la décision attaquée ; » - C.E., 6 mars 2009, M. Coulibaly.

La jurisprudence Ternon – dans son principe et ses exceptions – est ainsi étendue,
par l’arrêt Coulibaly ( !) à l’abrogation des actes individuels explicites créateurs de
droits

299
 L’abrogation doit être motivée (dans tous les cas) et précédée d’une procédure
contradictoire (sauf si elle intervient à la demande du bénéficiaire) - loi du 11 juillet
1979 et loi du 12 avril 2000 ;

c - L’abrogation des actes individuels non créateurs de droits

 L’abrogation d’un acte individuel non créateur de droits est possible sans
condition de délai.

 Qui plus est, l’administration a l’obligation d’abroger les actes individuels non
créateurs de droits devenus illégaux à la suite d’un changement dans les
circonstances de fait ou de droit postérieures à l’édiction - C.E., Sect., 30 novembre
1990, Association les Verts.

3 - La caducité

►Elle est différente et du retrait et de l’abrogation.

Parfois, la Constitution, la loi ou le règlement prévoit qu’un acte disparaît, cesse


d’être en vigueur, soit à une date déterminée, soit à la survenance d’un événement
précis.

A la date prévue ou à la survenance de l’événement défini, l’acte disparaît de plein


droit. On dit qu’il devient caduc. Cette disparition est automatique, c’est-à-dire
qu’elle ne nécessite pas que l’on prenne une décision expresse. Cf. Ordonnance.

300
301
Sous-section 3. L’exécution de l’acte administratif unilatéral

§.1. Le privilège du préalable (Rappel)


Contrairement aux particuliers, l’administration a le droit de prendre des
actes unilatéraux décisoires, des décisions qui peuvent s’imposer aux administrés
sans leur consentement (on sait que parfois ils sont consentants).

Donc, contrairement aux particuliers, l’administration n’a pas besoin, en


principe, de s’adresser préalablement au juge pour faire respecter sa volonté.

► On dit qu’elle dispose du privilège du préalable. Au demeurant, elle ne


peut y renoncer; elle ne saurait demander au juge le prononcé de mesures qu’elle a
le pouvoir de prendre1 : C.E., 30 mai 1913, Préfet de l’Eure.

§.2. L’exécution forcée ou exécution d’office


Une fois, la décision prise, les administrés doivent s’y conformer.

La décision administrative bénéficie d’une présomption de légalité propre à assurer


l’efficacité de l’action administrative.

L’acte administratif unilatéral est par lui-même « parfait ». C’est-à-dire qu’il n’a
besoin d’aucune homologation supplémentaire. C’est ce que le doyen Georges Vedel
appelle « l’autorité de la chose décidée ». Si les actes administratifs suffisent par eux
mêmes dès lors qu’ils sont entrés en vigueur à modifier la situation juridique de leur
destinataire, l’exécution matérielle ne peut être entreprise indifféremment.

1
Sauf, notamment, en matière contractuelle.

302
Mais devant le refus éventuel des administrés, l’administration peut-elle user de la
force pour faire respecter ses décisions ? Le problème est de savoir si l’administration
peut procéder par la contrainte à exécuter d’office ses décisions.

► Peut-elle recourir à l’exécution forcée - dénommée aussi exécution d’office ou


action d’office ?
Réponse : T.C., 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just
(Rec. p.713, conclusions Romieu).
En principe, l’exécution forcée n’est pas possible. L’administration doit
s’adresser, le cas échéant, au juge.

 L’exécution forcée n’est licite que dans l’une des trois hypothèses qui
suivent :
1. l’autorisation expresse de la loi. Exemples : l’article L.25 du Code la
route pour la mise en fourrière des véhicules ; l’ordonnance du 2 novembre 1945
permettant l’expulsion ou la reconduite à la frontière d’étrangers ;
2. l’inexistence d’autres voies de droit pour assurer l’exécution de la
décision administrative - absence de sanctions pénales ;
3. l’urgence. Même s’il n’y a pas d’autorisation législative dans ce sens,
et même s’il existe d’autres voies de droit, l’urgence - danger, péril imminent -
permet à l’autorité administrative de recourir à l’exécution forcée. Le commissaire
du gouvernement Romieu observe : « Quand la maison brûle, on ne va pas
demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers ».

 Le juge a défini les modalités de l’exécution forcée :


1. l’acte administratif à exécuter doit être légal ;
2. son exécution doit se heurter à une mauvaise volonté caractérisée, à
une résistance certaine des administrés : « Il faut qu’il y ait lieu à exécution forcée. »
- Romieu ;
3. les mesures prises doivent tendre uniquement à l’exécution de l’acte -
proportionnalité.

 Constitue une voie de fait, si elle porte atteinte au droit de propriété


ou à une liberté fondamentale,

303
l’exécution forcée d’un acte si grossièrement illégal qu’il apparaît en fait comme
un acte manifestement insusceptible d'être rattaché à un pouvoir appartenant à
l'autorité administrative,
ou l’exécution forcée d’un acte même légal lorsqu’elle n’est ni autorisée par la loi
ni justifiée par l’urgence.

Et, bien entendu, en cas de voie de fait, l’action en responsabilité relève de la


compétence du juge judiciaire.

304
CHAPITRE II : LES CONTRATS ADMINISTRATIFS

L’Administration concurremment avec le procédé de l’acte unilatéral, utilise le


procédé contractuel dans lequel une situation juridique nouvelle est créée par
l’accord des volontés. L’Administration utilise le procédé contractuel de deux (02)
manières :

 Dans un certain nombre de cas, les contrats dont il s’agit ne se distinguent pas
des conventions que les particuliers passent entre eux telles qu’elles sont
définies par le Code Civil. Aussi, ces contrats sont- ils alors soumis au régime
juridique de droit privé.

 Dans la plupart des hypothèses, l’administration peut aussi passer des actes bien
que de nature contractuelle puisqu’ils reposent sur l’accord de deux volontés,
n’en sont pas moins soumis à des règles différentes de celles qui régissent les
contrats ordinaires et relèvent pour leur contentieux de la juridiction
administrative. Ils forment dans la masse des contrats de l’administration la
catégorie particulière des contrats administratifs. Il est indispensable de bien
individualiser ces contrats administratifs car leur régime juridique est largement
très dérogatoire par rapport à celui des contrats de droit privé.

Il est indispensable de se demander en présence d’un contrat conclu par


l’administration si l’on se trouve en présence d’un contrat administratif proprement
dit ou d’un contrat de droit commun. D’où la question :

305
A quels signes reconnaît-on qu’un contrat est administratif ? La question ne se pose
pas toujours. Certains contrats de l’administration sont toujours administratifs du fait
de la détermination de la loi : Ce sont les contrats administratifs par
détermination de la loi

C’est l’hypothèse la plus simple. En conséquence de dispositions législatives,


certains contrats conclus par l’administration sont toujours considérés comme des
contrats administratifs. Le législateur peut intervenir de deux manières :

1 - soit il qualifie un contrat de contrat administratif - qualification directe,


hypothèse rarement réalisée ;

2 - soit il confie le contentieux d’un contrat aux juridictions administratives -


qualification indirecte, hypothèse plus fréquente.

L’une et l’autre qualification ne produisent des effets juridiques que parce


qu’elles émanent du législateur.

Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de contrats administratifs par détermination


de la loi.

Cette détermination résulte de ce que la loi prévoit pour le contentieux de ces


contrats, la compétence des juridictions administratives.

Par exemple en France, on peut citer les exemples suivants :

Exemple de qualification directe :

Aux termes de l’article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, « les


marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de
contrats administratifs. »

Le législateur a entendu

306
1 - mettre un terme à la catégorie des "marchés publics de droit privé" (des
contrats passés selon les dispositions du Code des marchés publics mais considérés
comme des contrats de droit privé par le Tribunal des conflits et par la Cour de
cassation) ;

2 - et unifier le contentieux des marchés publics au profit des juridictions


administratives.

Exemples de qualification indirecte :

1 - Les contrats de vente d’immeubles du domaine privé de l’État. La loi


du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) attribue leur contentieux aux juridictions
administratives. Le but recherché est de rassurer les acquéreurs de biens confisqués
pendant la Révolution. En effet, le juge administratif, contrairement au juge
judiciaire, est présumé peu favorable aux anciens propriétaires. Cette loi est
strictement interprétée : il s’agit de la vente et non de l’achat ou de l’échange.

2 - Les marchés de travaux publics. Certains auteurs les considèrent


comme des contrats administratifs par leur objet. Il n’en demeure pas moins vrai
que c’est la loi qui confie leur contentieux aux juridictions administratives - loi du 28
pluviôse an VIII (17 février 1800) ; cf. aussi loi du 11 décembre 2001.

C’est ce que précise le Tribunal des conflits tout en rappelant la


définition des travaux publics :

« Considérant que le contrat passé par la COMMUNE DE


VILLENEUVE D'ASCQ avec la société Demars avait pour objet
l'entretien et la réparation des installations de chauffage de
groupes scolaires appartenant à la commune, en vue notamment
de prévenir les risques d'incendie ; qu'un tel contrat qui emportait
la réalisation de travaux sur des immeubles, pour le compte
d'une personne publique et dans un intérêt général, a le caractère
d'un marché de travaux publics ; que, dès lors, en vertu de l'article
4 de la loi du 28 pluviôse an VIII, les litiges auxquels il peut donner
307
lieu relèvent de la juridiction de l'ordre administratif ; […]» - T.C., 7
juin 1999, COMMUNE DE VILLENEUVE D'ASCQ

Malgré la loi n° 2001-1168 précitée du 11 décembre 2001, la loi du 28


pluviôse an VIII conserve toute son actualité, notamment pour les contrats qui
sont les accessoires de marchés de travaux publics.

3 - Les contrats comportant occupation du domaine public - décret du


17 juin 1938 pris sur le fondement de la loi du 13 avril 1938 (repris à l’article L 84 du
code du domaine de l'Etat) – T.C., 12 décembre 2005, ASSOCIATION SPORTIVE DE
KARTING SEMUROIS.

Dans le droit burkinabé on peut citer l’ancien décret n°70/202 PRES du 5 septembre
1970 portant réglementation des marchés administratifs. Aux termes de l’article 18
de ce décret « les marchés publics sont des contrats administratifs relatifs aux
travaux, fournitures ou services conclus / l’Etat, les collectivités publiques
territoriales ou les établissements publics à l’exclusion des concessions. » (abrogé
par décret du 04 mars 1996 portant réglementation générale des marchés publics ;
ce décret fut abrogé à son tour par le décret du 27 Mai 2003 portant règlementation
générale des achats publics)

Aujourd’hui, le décret n°2008-173/PRES/PM/MEF du 16 avril 2008 portant


réglementation générale des marchés publics et des délégations de services publics
stipule à son article 1er alinéa 22 que les marchés publics sont « des contrats
administratifs écrits conclus à titre onéreux par une Autorité contractante visée
aux articles 5 et 6 du présent décret avec des entités privées ou publiques pour
répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ».

308
A l’inverse, il existe des contrats qui sont toujours considérés comme des
contrats de droit privé soit en application de la loi, soit en application de la
jurisprudence.

C'est ainsi que le législateur a attribué le contentieux de certains contrats aux


juridictions judiciaires.

Ce sont des contrats de droit privé par détermination de la loi.

Exemples :

* Les contrats d’affermage des taxes communales - loi du 17 mai 1809,

* Les contrats relatifs à l’ordinaire des corps de troupes - loi du 22 avril


1905.

De son côté, le juge estime que certains contrats sont nécessairement des
contrats de droit privé.
Exemple : les contrats conclus entre les services publics à caractère industriel
et commercial et leurs usagers en vue de fournir à ces derniers des prestations de
service. Ces contrats ne sont jamais des contrats administratifs même s'ils remplissent
les critères jurisprudentiels permettant de qualifier un contrat de contrat administratif.
En dehors de ces cas, il convient d’appliquer les critères dégagés par la
jurisprudence.

(Voir dans le lexique, la notion d’exception : exceptio firmat regulam…)

En dehors de ces cas, il convient d’appliquer les critères dégagés par la


jurisprudence.

Si on met à part les hypothèses où le caractère d’un contrat, résulte de la loi


généralement. D’ailleurs par attribution de son contentieux à la juridiction

309
administrative, c’est à partir de critères jurisprudentiels que ce caractère est
recherché.

Le caractère administratif d’un contrat ne résulte

1 - ni de la qualification de contrat administratif donnée à ce contrat par les parties -


qualification directe (Il ne suffit pas que les parties disent "Notre contrat est administratif" pour que le
contrat soit effectivement un contrat administratif),

2 - ni de la décision prise par les parties de soumettre les litiges relatifs à ce contrat au juge
administratif - qualification indirecte.

Les qualifications (directes ou indirectes) effectuées par les parties n’ont pas d’effets juridiques
sur la nature du contrat.

Le caractère administratif d’un contrat est établi objectivement. Il résulte de la loi ou des critères
jurisprudentiels. Si les parties souhaitent conclure un contrat administratif, elles doivent se conformer
aux critères législatifs ou jurisprudentiels.

310
Section 1 : Les critères du contrat administratif

311
Ces critères mettent en œuvre deux éléments : un élément organique et un élément
alternatif ou matériel.

§. 1. L’élément organique

L’exigence d’un élément organique doit être comprise de la façon suivante : il n’y a
pas de contrats administratifs sauf exception si l’une des parties au moins ne
possèdent pas la qualité de personne morale de droit public.

A. La nécessité de la participation au contrat d’une personne morale de droit public

1 - La condition invariablement exigée (Présence ou représentation d’une personne


publique)

Un contrat ne peut être un contrat administratif que si au moins une


personne publique y est partie - État, collectivité territoriale, établissement public,
etc.

Du reste, selon la jurisprudence, "un contrat conclu entre deux personnes


publiques revêt un caractère administratif, sauf dans le cas où, eu égard à son objet,
il ne ferait naître entre les parties que des rapports de droit privé" - T.C., 21 mars
1983, Union des Assurances de Paris - Leb. p. 537, AJDA 1983, p. 356, concl. Daniel
Labetoulle et, moins ancien, T.C., 15 novembre 1999, Commune de Bourisp.

Ainsi donc, un contrat conclu entre deux personnes publiques est présumé
administratif ; grande est la probabilité qu’il s’agisse d’un contrat administratif. Mais
c’est une présomption simple. Le contrat n’est effectivement administratif que s’il
satisfait aux autres critères jurisprudentiels.

312
Exemples :

- T.C., 7 octobre 1991, CROUS de l’académie de Nancy-Metz : contrat conclu


entre deux personnes publiques et jugé administratif - service public oblige ;

- C.E., 11 mai 1990, Bureau d’aide sociale de Blénod-lès-Pont-à-Mousson :


contrat conclu entre deux personnes publiques et considéré comme un contrat de
droit privé.

Un contrat conclu entre deux personnes publiques peut donc être soit un
contrat administratif soit un contrat de droit privé.

A l’inverse, un contrat conclu entre deux personnes privées ne peut être un


contrat administratif même si l’une de ces personnes gère un service public - C.E.,
13 décembre 1963, Syndicat des praticiens de l’art dentaire.

L’élément organique est normalement à lui seul satisfaisant. pour qu’un contrat soit
qualifié d’administratif, lorsqu’il est conclu entre deux personnes publiques,
puisqu’un tel contrat « revêt en principe un caractère administratif sauf dans les cas
où eu égard à son objet il ne fait naître entre les parties que des rapports de droit
privé » (Trib. Conf, 21 mars 1983, U.A.P, R, p537.). L’élément organique n’est pas à
lui seul satisfaisant lorsque le contrat est conclu entre une personne publique et une
personne privée et il doit être normalement complété par un critère alternatif
(matériel). Un contrat ne peut être administratif que si l’une des parties au moins
est une personne morale de droit public.

Pourtant, il arrive que le juge administratif qualifie de contrat administratif un


contrat intervenu entre deux personnes privées.

Comment expliquer une telle contradiction ?


313
En réalité, il n’y a pas de contradiction. Ce qui est exigé, c’est qu’une personne
publique soit partie au contrat. Mais cette condition peut être remplie de deux (02)
manières.

B. Les exceptions

La présence nécessaire d’une personne publique au moins comme partie à un


contrat, pour que celui-ci puisse présenter un caractère administratif, constitue un
principe qui comporte quelques exceptions.

Toutefois des personnes morales de droit privé peuvent être assimilées à


l’administration dans certaines hypothèses.

Une personne publique conclut directement un contrat avec une personne privée
ou avec une autre personne publique. Mais, parfois, au lieu participer directement à
la conclusion du contrat, la personne publique peut se faire représenter par une
personne privée. Cette représentation revêt la forme du mandat ou de l’action pour
le compte de…

1. Le mandat donné par une personne publique

En l’absence de participation au contrat d’une personne morale de droit public, la


jurisprudence .peut avoir recours à la théorie du mandat. Il est satisfait à la
condition organique lorsque dans un contrat conclu entre des personnes privées,

314
l’une au moins agit comme mandataire d’une personne publique, c'est-à-dire en son
nom et pour son compte. CE, 18 juin 1976, Culard, R, P319.

Encore faut-il que le contrat satisfasse par ailleurs à la condition alternative.

La personne publique ne conclut pas directement le contrat. Elle mandate à cet effet
une personne privée. Selon l’article 1984 du code civil, “ le mandat ou procuration
est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque
chose pour le mandant et en son nom. ”

La personne publique - le mandant - donne mandat à une personne privée - le


mandataire - pour conclure un contrat au nom et pour le compte de la personne
publique.

Exemple : A et B sont des personnes privées. A et B concluent un contrat.


Normalement, ce contrat est un contrat de droit privé, car il est intervenu entre
deux personnes privées. Mais il peut avoir un caractère administratif

- si A ou B a agi comme mandataire d’une personne publique,

- et si le contrat satisfait aux autres critères jurisprudentiels.

En apparence, un tel contrat intervient entre deux personnes privées ; en


réalité, il met en relation une personne publique et une personne privée. Une
personne publique est bien partie à ce contrat. Donc, il n’y a pas atteinte au principe
selon lequel un contrat ne peut être administratif si une personne publique n’y est
pas partie - Cf. C.E., 30 janvier 1931, Société Brossette ; C.E. 2 juin 1961, Leduc.

2. L’action pour le compte d’une personne publique

Cette formule étrange illustre une situation qui rappelle le mandat mais qui en
diffère.

315
Bien sûr, lorsque l’on est le mandataire d’une personne on agit pour le
compte de cette personne.

Mais le juge admet que l’on puisse agir pour le compte d’une personne sans
être son mandataire, ni explicitement ni implicitement.

Exemple : A et B sont des personnes privées. A et B concluent un contrat. Ni A


ni B ne sont mandataires d’une personne publique. Normalement ce contrat n’est
pas un contrat administratif, mais un contrat de droit privé. Pourtant, le juge
considère

- que l’une des parties a agi pour le compte d’une personne publique,

- et que le contrat satisfait aux autres critères jurisprudentiels.

En conséquence, il qualifie le contrat de contrat administratif.

Dans quelle hypothèse, une personne privée, même en l’absence de mandat,


est-elle réputée agir pour le compte d’une personne publique ? Que signifie l’action
pour le compte de...?

Arrêt de principe : T.C., 8 juillet 1963, Entreprise Peyrot contre Société de


l’autoroute Esterel-Côte-d’Azur.

Faits et solution de l’espèce :

La loi du 18 avril 1955 pose deux principes :

- en principe, c’est l’État qui construit et exploite les autoroutes,

- en principe, l’usage des autoroutes est gratuit.

Mais l’article 4 de la loi précitée permet de déroger à ces deux principes :

316
- à titre exceptionnel, la construction et l’exploitation d’une autoroute
peuvent être concédées, confiées à une société d’économie mixte. Une société
d’économie mixte est une société à capitaux publics et privés ; il s’agit d’une
personne morale de droit privé.

- dans ce cas, l’usage de l’autoroute n’est pas gratuit. Le concessionnaire est


autorisé à percevoir des péages pour assurer l’intérêt et l’amortissement des
capitaux investis par lui.

La Société de l’autoroute Esterel-Côte-d’Azur - société d’économie mixte,


donc personne privée - a conclu avec l’État - personne publique, naturellement - un
contrat de concession - contrat A. En vertu de ce premier contrat, elle construit et
exploite l’autoroute du Soleil. Il s’agit de concession de travaux publics, donc le
contrat A est un contrat administratif - Cf. loi du 28 pluviôse an VIII.

Ultérieurement, la Société de l’autoroute Esterel-Côte-d’Azur passe un


deuxième contrat - Contrat B - avec l’entreprise Peyrot, personne privée. Ce contrat
B associe l’entreprise Peyrot à la construction de l’autoroute.

Un litige éclate entre les deux entreprises de droit privé au sujet de


l’exécution du contrat B. Devant quelle juridiction ce litige doit-il être porté ? Quelle
est la nature de ce contrat B : contrat administratif ou contrat de droit privé ? Le
Tribunal des conflits se trouve saisi de la question.

Réponse du Tribunal des conflits : “ La construction de routes nationales ou


d’autoroutes a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l’État ; les
contrats passés en vue de cette construction sont soumis aux règles du droit
public ”. La Société de l’autoroute Esterel-Côte-d’Azur est liée à l’État par le contrat
A. Ce contrat A la charge de construire une autoroute pour le compte de l’État. Le
contrat B a été également passé en vue de la construction de l’autoroute ; de ce fait,
il profite à l’État. Par conséquent, en signant le contrat B avec l’entreprise Peyrot, la
Société de l’autoroute Esterel-Côte-d’Azur a, implicitement, agi pour le compte de
l’État.

317
Ainsi, même en l’absence de mandat, une personne privée peut être réputée
agir pour le compte d’une personne publique - Cf. aussi TA Lyon 1er octobre 1996,
M. Loridant. Cette solution a été d’abord limitée aux contrats conclus pour la
construction d’autoroutes ; puis, elle a été étendue, notamment,

1 - à des contrats conclus pour l’aménagement du territoire : C.E., Sect., 30


mai 1975, Société d’Équipement de la région montpelliéraine ;

2 - à des contrats relatifs aux centrales nucléaires : T.C., 10 mai 1993, Société
Wanner Isofi Isolation et Société Nersa (Ont été jugés administratifs les contrats
passés par la Société Nersa, personne privée, en vue de la construction de la
centrale nucléaire de Creys-Malville ; la société Nersa a agi pour le compte d’EDF,
personne publique) ;

3 - à certains contrats conclus par le Crédit foncier de France - C.E., Sect., 18


juin 1976, Dame Culard.

Malgré tout, le domaine d’application de la formule "action pour le compte


de…" reste limité.

Rappel

En droit burkinabè, la formule "action pour le compte de…" ne peut être


rapprochée de celle adoptée par le juge administratif français.

Article 1 alinéa 4 : Autorité contractante : la personne morale de droit public ou de


droit privé à savoir, l’Etat, les établissements publics de l’Etat, les collectivités
territoriales, les sociétés d’Etat, les sociétés à participation publique majoritaire, les
organismes de droit public, les personnes privées agissant en vertu d’un mandat au

318
nom et pour le compte d’une personne publique, signataire d’un marché public ou
d’une délégation de service public.

Article 6 : Les dispositions du présent décret s’appliquent également :

- aux marchés et délégations de service public passés par les personnes


morales de droit privé agissant pour le compte de l’Etat, d’une collectivité
territoriale, d’une personne morale de droit public, d’une société d’Etat, d’une
société à participation financière publique majoritaire, d’un organisme de droit
public ou d’une association formée par une ou plusieurs de ces personnes morales
de droit public ;

- aux marchés et délégations de service public passés par des personnes


de droit privé, ou des sociétés d’économie mixte, lorsque ces marchés bénéficient
du concours financier et/ou de la garantie de l’Etat ou d’une des personnes morales
de droit public mentionnées à l’article 5 du présent décret.

L’hypothèse visée à l’alinéa 4 de l’article 1er fait penser au mandat civil alors que la
formule utilisée par le juge français ne se situe pas dans cette perspective. La
représentation des personnes publiques revêtant la forme de ¨l’action pour le
compte de…¨ n’a pas également la même portée en France et au Burkina.

total, pour qu’un contrat revête un caractère administratif, il faut qu’une


personne publique y soit partie. Elle doit y être présente directement ou
indirectement - représentée. La représentation prend la forme du mandat ou de
l’action pour le compte de ...

La présence d’une personne publique est une condition sine quoi non, une
condition invariablement exigée.

319
Cette condition est nécessaire mais non suffisant

Rappel

L’exigence organique n’a pas la même portée en droit burkinabè

CHAPITRE I : DU DOMAINE D’APPLICATION DU DROIT DES MARCHES PUBLICS


ET DES DELEGATIONS DE SERVICE PUBLIC

Section 1 : Des Autorités contractantes

Article 5 : Les dispositions du présent décret s’appliquent aux marchés publics et


délégations de service public conclus par l’Etat, les collectivités territoriales, les
établissements publics, les agences et personnes morales assimilées à la qualité
d’organisme de droit public telle que définie à l’article 1er point 32, bénéficiant
notamment du concours financier ou de la garantie de l’Etat, les sociétés d’Etat, les
sociétés à participation financière publique majoritaire et les associations formées
par une ou plusieurs de ces personnes morales de droit public.

320
L’Assemblée législative et les missions diplomatiques et consulaires du Burkina Faso
à l’étranger sont également soumises aux dispositions du présent décret.

Article 6 : Les dispositions du présent décret s’appliquent également :

- aux marchés et délégations de service public passés par les personnes


morales de droit privé agissant pour le compte de l’Etat, d’une collectivité territoriale,
d’une personne morale de droit public, d’une société d’Etat, d’une société à
participation financière publique majoritaire, d’un organisme de droit public ou d’une
association formée par une ou plusieurs de ces personnes morales de droit public ;

- aux marchés et délégations de service public passés par des personnes


de droit privé, ou des sociétés d’économie mixte, lorsque ces marchés bénéficient
du concours financier et/ou de la garantie de l’Etat ou d’une des personnes morales
de droit public mentionnées à l’article 5 du présent décret.

Article 7 : Lorsqu'une Autorité contractante octroie à une autre entité des droits
spéciaux ou exclusifs d'exercer une activité de service public, l'acte par lequel ce
droit est octroyé prévoit que l'entité concernée doit respecter, pour les marchés
publics qu'elle passe avec des tiers dans le cadre de cette activité, les dispositions du
présent décret.

En France, les marchés publics sont définis à l’article 1er de la loi n° 2001-1168
du 11 décembre 2001 portant code des marchés publics :

« Les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux entre les
pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou
privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de
services. »

L’article 2 du code des marchés publics précise :

321
« Les pouvoirs adjudicateurs soumis au présent code sont :

1° L'Etat et ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère


industriel et commercial ;

2° Les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. »

§.2. L’élément alternatif (matériel)

L’élément alternatif comporte deux branches :

- soit le contrat comporte des clauses exorbitantes du droit commun,

- soit le contrat présente de par son objet un lien privilégié avec le service public.

Selon la jurisprudence, seul un contrat auquel est partie une personne


publique est susceptible d'être un contrat administratif. Mais il ne l'est
effectivement que s’il satisfait, en plus, à l'une des conditions suivantes :
322
1 - le contrat renferme une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit
commun,

2 - le contrat a été conclu sous un régime exorbitant,

3 - le contrat est en relation avec l'exécution d'un service public.

L’un quelconque de ces critères doit s’ajouter au critère de la présence


directe ou indirecte d’une personne publique pour que le contrat soit
administratif.

Bien entendu, si, par extraordinaire, un contrat remplissait simultanément


tous ces critères, il serait également tenu pour administratif.

A. Le critère tiré de la présence dans le contrat de clauses exorbitantes du droit


commun.

Il est apparu le premier avec l’arrêt du C.E du 31 juillet 1912, Société des Granits
Porphyroïdes des Vosges, GAJA, n°29.

Ainsi tout contrat auquel une personne publique est partie possède dans son
ensemble un caractère administratif dès lors qu’il contient une ou plusieurs clauses
exorbitantes du droit commun sans qu’il y ait à rechercher si ce contrat possède ou
non un lien avec le service public.

La présence de clauses exorbitantes du droit commun

323
C.E., 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges (Rec. p.909,
conclusions Léon Blum1).

En principe, la présence d’une ou de plusieurs clauses exorbitantes du droit


commun donne un caractère administratif à tout contrat auquel est partie une
personne publique.

Exceptions : les contrats conclus entre les services publics industriels et


commerciaux et leurs usagers en vue de fournir à ces derniers des prestations de
services. Ces contrats ne sont jamais des contrats administratifs même s'ils
renferment des clauses exorbitantes. En conséquence, ce sont toujours des contrats
de droit privé : C.E., Sect., 13 octobre 1961, Établissements Compagnon-Rey ; T.C. 17
décembre 1962, Dame Bertrand.

Une autre exception a été abandonnée : elle concernait les contrats conclus
pour la gestion du domaine privé - considérés naguère comme étant toujours des
contrats de droit privé. Actuellement, on présume seulement que ce sont des
contrats de droit privé – T.C., 15 novembre 1999, Commune de Bourisp ;
présomption simple : ils peuvent donc être soit administratifs soit de droit privé.

A quoi reconnaît-on une clause exorbitante ?

La notion de clause exorbitante du droit commun n’est pas parfaitement claire. Il


n’est pas facile de définir ce qu’est une clause exorbitante. Les formules du CE, du
T.C et de la Cour de Cassation affirment que la clause exorbitante est celle qui
normalement ne figurerait pas dans une convention de droit commun.

1
Selon le commissaire du gouvernement Léon Blum, «quand il s'agit de contrat, il faut rechercher non pas en
vue de quel objet ce contrat est passé, mais ce qu'est ce contrat de par sa nature même. Et pour que le juge
administratif soit compétent, [...] il faut que ce contrat par lui-même, et de par sa nature propre, soit de ceux qu'une
personne publique peut seule passer, qu'il soit, par sa forme et sa contexture, un contrat administratif».

324
1 - la clause exorbitante, clause introuvable dans les contrats de droit privé
parce qu’elle y serait illégale.

Définition : C'est «la clause ayant pour objet de conférer aux parties des
droits ou de mettre à leur charge des obligations, étrangers par leur nature à ceux
qui sont susceptibles d'être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois
civiles et commerciales» - C.E., Sect. 20 octobre 1950, Stein - Leb. p. 505.

Elle est caractéristique de l'usage, par l'administration, d’une prérogative de


puissance publique.

Exemples :

-la faculté de prononcer la résiliation unilatérale du contrat en l’absence de


tout manquement du cocontractant à ses obligations contractuelles (T.C., 5 juillet
1999, U.G.A.P : « Considérant toutefois qu'un marché passé par l'UNION DES
GROUPEMENTS D'ACHATS PUBLICS à la demande d'une personne publique, peut
néanmoins avoir le caractère d'un contrat administratif, soit qu'il fasse participer le
cocontractant à l'exécution du service public, soit qu'à défaut, il comporte une
clause exorbitante du droit commun ; qu'il en va ainsi au cas où le marché se réfère
à un cahier des charges qui lui-même comprend une clause exorbitante du droit
commun ; que constitue notamment une telle clause le fait de prévoir au profit de la
personne publique contractante un pouvoir de résiliation unilatérale du contrat en
l'absence de tout manquement du titulaire de ce dernier à ses obligations
contractuelles ; […]»;

- le pouvoir de suspendre d'office l'exécution du contrat, sans mise en demeure


préalable ;
- l'octroi d'exonérations fiscales au cocontractant;
- la mise à la charge du cocontractant de certaines dépenses de police ;
- la possibilité de procéder au recouvrement des créances par état exécutoire;
- la clause conférant au cocontractant de l’administration le droit de percevoir
des taxes.

2 - la clause exorbitante, clause exceptionnelle en droit privé parce que fort


inégalitaire :
325
Exemples :

- la clause permettant à l'administration de contrôler les résultats financiers,


les tarifs ou le personnel de son cocontractant,

- plus généralement, toute clause habilitant la personne publique à contrôler


l'activité ou la situation de son cocontractant.

- Les clauses reconnaissant à l’administration un droit de contrôle et de surveillance


sur le contrat et celui d’en suspendre l’exécution. CE, 8 janvier 1965, Da Fonséca,
Rec. P.7

- Les clauses accordant à l’administration la possibilité de résilier le contrat (CE, 26


février 1965, Société du Vélodrome du Parc des Princes. Rec. P133) ou diriger son
exécution (CE, Sect. 10 mai 1963, Société Coopérative Agricole de Production, Rec.
889).

Ces deux manières d’entendre la différence avec le droit privé ne permettent


pas d’échapper à l’objection du doyen Vedel : «Comment le juge administratif qui ne
connaît jamais des contrats entre particuliers peut-il discerner ce qui est usuel et ce
qui est inusuel?»1.

L’objection s’affaiblit si l’on se sait qu’il incombe souvent au Tribunal des


conflits d’identifier les clauses exorbitantes ; or le Tribunal des conflits est composé
à la fois de membres du Conseil d’Etat et de membres de la Cour de cassation, donc
de juges administratifs et de juges judiciaires.

1
Remarques sur la notion de clause exorbitante, Mélanges offerts à Achille Mestre, Sirey, 1956, p. 539.

326
► Le simple renvoi à un cahier des charges confère-t-il un caractère
administratif à un contrat?

Le CE français considérait que dans un contrat « la seule référence à un cahier des


charges et conditions générales suffisait à établir l’existence .dans ce contrat de
clauses exorbitantes de droit commun », CE, Section, 17 novembre 1967, Roudier de
La Brille, Rec.428.Aujourd’hui une telle clause confère au contrat un caractère
administratif lorsque le cahier des charges auquel elle renvoie « comprend une
clause exorbitante du droit commun». Sinon elle est sans effet utile (Tribunal des
Conflits, 5 juillet 1999, Union des Groupements d’achats publics, AJDA 1999, p554)
est ainsi dissipé le trouble résultant d’arrêt qui ont pu être présenté comme
signifiant que tout renvoi à un cahier des charges emportait par lui-même le
caractère administratif de ces contrats.

Le cahier des charges est un document générique établi avant le contrat par
l'administration contractante ou par une autre personne publique. Raison d'être : il
détermine à l'avance les modalités d'exécution de toute une série de contrats. Selon
le code des marchés publics, les cahiers des charges comprennent des documents
généraux et des documents particuliers :

- Documents généraux :

* Le cahier des clauses administratives générales : il fixe les dispositions


administratives applicables à toute une catégorie de contrats, de marchés.

* Le cahier des clauses techniques générales : il fixe les dispositions


techniques applicables à toute une catégorie de contrats, de marchés.

- Documents particuliers :

* Le cahier des clauses administratives particulières : dispositions


administratives propres à chaque marché.

327
* Le cahier des clauses techniques particulières : dispositions techniques
propres à chaque marché.
Exemple de renvoi : L'administration signe un contrat. Elle y insère une clause
qui renvoie au cahier des charges pour tout ce que le contrat ne règle pas
expressément. Dans ce cas, le cahier des charges a une nature contractuelle par
appropriation. Si le cahier des charges contient des clauses exorbitantes, le contrat
sera administratif, sinon il relèvera du droit privé, sauf s’il satisfait par lui-même aux
critères des contrats administratifs.

Illustration : T.C., 5 juillet 1999, U.G.A.P : « Considérant que le marché passé


par l'UNION DES GROUPEMENTS D'ACHATS PUBLICS, le 3 juillet 1997, avec la société
SNC ACTIV CSA, en vue de la fourniture d'ordinateurs aux hospices civils de Colmar,
établissement public communal, comporte un renvoi au cahier des clauses
administratives générales applicable aux marchés publics de fournitures courantes
et services, lequel confère à la personne publique contractante un pouvoir de
résiliation y compris en l'absence de tout manquement du titulaire du marché à ses
obligations contractuelles ; que cette stipulation donne à elle seule à la convention
un caractère administratif ; qu'il n'appartient, dès lors, qu'à la juridiction
administrative de statuer sur les litiges nés de son exécution ; […]»

B. Le régime exorbitant

Le Conseil d’Etat a élargi la notion de clause exorbitante de droit commun : il a


considéré qu’à défaut d’une clause exorbitante individualisée, le fait pour un contrat
d’être dans son ensemble soumis à un régime exorbitant du droit commun lui
conférait le caractère administratif. CE, 19 janvier 1973, Société d’Exploitation de la
Rivière du Sant.

328
Mais le régime exorbitant ne permet pas de qualifier un contrat d’administratif
qu’autant qu’il est satisfait de critères organiques de ce type de contrat. CE, Sect. 4
mai 1984, Maternité régionale, Antoine Pinard.

C. Le critère tiré de la relation du contrat avec le service public

c - La relation avec l'exécution d'un service public


Dans ce cas, selon une célèbre formule jurisprudentielle, le contrat fait
participer directement ou associe le cocontractant à l'exécution même du service
public.

En pratique, cette relation peut prendre l'une des trois formes suivantes :

1 - Le contrat d’habilitation à gérer un service public ou d’association à l’exécution


même du service public: est administratif un contrat qui a pour objet soit de confier
au cocontractant de la personne publique la gestion d'un service public, soit de l’y
associer directement - C.E., Sect., 20 avril 1956, Époux Bertin (Leb. p. 167); en
l’espèce, contrat verbal relatif à la nourriture de réfugiés sur le point d'être
rapatriés, contrat d’habilitation à gérer un service public. La jurisprudence ultérieure
a donné à la notion de participation du cocontractant au service public un sens
singulièrement extensif qui illustre ces formules auxquelles elle a recours.

Exemples: contrat « associant le cocontractant à l’exécution du service public » CE,


14 novembre 1958 Union Minière de la Gironde rec. P 554 ou le contrat ayant pour
objet l’exécution même du service public, Trib. des conflits, 24 juin 1968. Société
d’Approvisionnement Alimentaire D 1969, p115.

Le service public confié au cocontractant peut être administratif ou


industriel et commercial.

329
2 - Le contrat de recrutement d’une personne dans un service public administratif
géré par une personne publique. Deux étapes dans l’évolution jurisprudentielle :

* Première étape : C.E., Sect., 4 juin 1954, Affortit et Vingtain. Ces deux arrêts
exigent une participation directe à l'exécution d’un service public administratif ou
encore une participation à l’exécution même d'un service public administratif. La
personne publique conclut un contrat avec un particulier. Objet : l'emploi du
particulier dans un service public administratif. Participation directe : le particulier y
exerce les fonctions qui relèvent de la spécialité du service.

Exemple : au sein de l'université, les attachés temporaires d'enseignement et de


recherches - chargés de travaux dirigés.

* Deuxième étape : T.C., 25 mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes, préfet du


Rhône et autres c/ Conseil de prud'hommes de Lyon - ou arrêt Berkani. Tout contrat
de recrutement en vertu duquel une personne travaille pour le compte d'un service
public à caractère administratif géré par une personne publique est un contrat
administratif -, sans condition supplémentaire. L’agent signataire d’un tel contrat a
nécessairement la qualité d'agent public. C’est le principe inverse qui est retenu
lorsqu’il s’agit d’un service public à caractère industriel et commercial.

3 - Le contrat conclu avec l’usager d’un service public administratif - mais non d’un
service public industriel et commercial - : C.E., 20 avril 1956, Consorts Grimouard.
Par exemple (a contrario), la SNCF gère un service public industriel et commercial.
En achetant un billet, un voyageur contracte avec la SNCF. Ce contrat relève du droit
privé.

330
Section 2 : Le régime juridique des contrats administratifs

Il s’agit d’un régime autonome qui est dérogatoire au droit commun au regard de la
procédure de conclusion de ces contrats, et aussi des règles qui leurs sont
applicables.

§.1.- La typologie des contrats administratifs


Tous les contrats administratifs ne sont pas des marchés publics ou des
contrats de délégation de service public.

Néanmoins, les marchés publics et les contrats de délégation de service public


sont les contrats administratifs les plus courants et les plus importants.

Il est donc opportun de leur accorder une attention particulière - Cf. schéma
en fin de cours.

A– La distinction contrat de délégation de service public – marché public

Le décret du 16 avril 2008 définit ainsi la délégation de service public :

« Délégation de service public : le contrat administratif écrit par lequel une


des personnes morales de droit public ou de droit privé visées respectivement aux
articles 5 et 6 du présent décret confie la gestion d’un service public relevant de sa
compétence à un délégataire dont la rémunération est liée ou substantiellement
assurée par les résultats de l’exploitation du service. Au sens du présent décret, les
délégations de service public comprennent les régies intéressées, les affermages de

331
service public, ainsi que les concessions de service public, qu’elles soient associées
ou non à l’exécution d’un ouvrage.»

Cette définition reprend, pour l’essentiel, les critères retenus par le Conseil
d’Etat français dans l’arrêt C.E., 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône c/
Commune de Lambesc (Rec. p.137).

Quant aux marchés publics, ils sont définis à l’alinéa 22 de l’article 1er du décret du
16 avril 2008 comme « des contrats administratifs écrits conclus à titre onéreux par
une Autorité contractante visée aux articles 5 et 6 du présent décret avec des
entités privées ou publiques pour répondre à leurs besoins en matière de travaux,
de fournitures ou de services ».

De la définition donnée du marché public par le décret du 16 avril 2008, on


peut tirer les caractéristiques essentielles du marché public :

1. Un marché public est un contrat. Un marché public est un contrat


consacrant l'accord de volonté entre deux personnes dotées de la
personnalité juridique, ce qui exclut notamment toute décision unilatérale.
2. Un marché public est conclu à titre onéreux. Le caractère onéreux
exprime l'idée d'une charge pesant sur l'acheteur public (expressions
synonymes : autorité contractante, pouvoir adjudicateur, personne
publique, administration contractante). Dans la majorité des cas, le marché
donnera lieu au versement d'une somme d'argent par la personne
publique au profit de laquelle le marché est exécuté.
3. Un marché public peut être passé avec des personnes publiques ou
privées. Un marché est un contrat signé entre deux personnes distinctes
dotées chacune de la personnalité juridique (Personne publique et
personne privée ou personne publique et personne publique).
4. Un marché public est un contrat qui doit répondre aux besoins de
l'administration en matière de fournitures, services et travaux. L'objet du
marché est un élément fondamental qui doit être précisément défini en
vue de répondre à un besoin de la personne publique.

332
Tout comme un contrat de délégation de service public, un marché public
peut avoir pour objet de confier au cocontractant la gestion d’un service public
(administratif ou industriel et commercial).

La question de savoir si l’on a affaire à un contrat de délégation de service


public ou à un marché public ne se pose que si le contrat a trait à un service public.

Le critère de la distinction contrat de délégation de service public – marché public


réside en fait dans la réponse à la question suivante : est-ce que la rémunération du
cocontractant de l'administration est substantiellement assurée par les résultats de
l'exploitation du service public ?

Si oui, on a affaire à un contrat de délégation de service public ; sinon il s’agit


d’un marché de service public - C.E., 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône c/
Commune de Lambesc (Rec. p.137).

Précisions données par le commissaire du gouvernement Catherine Bergeal


dans ses conclusions sur C.E., 30 juin 1999, Syndicat mixte du traitement des ordures
ménagères CENTRE OUEST SEINE-ET-MARNAIS (C.J.E.G. n° 558, pp. 344-356) :

1 - les résultats de l’exploitation du service public s’entendent des résultats


financiers des produits engendrés par la gestion du service ; « ceci n’exclut pas que
puissent être prises en compte des sources de revenus liés à l’exploitation, autres
que ceux directement perçus sur l’usager, par exemple des recettes publicitaires » ;
en clair, il ne faut pas uniquement avoir à l’esprit les redevances perçues sur les
usagers du service public ;

2 - rémunération substantiellement assurée par les résultats de


l'exploitation du service public : « Ces recettes d’exploitation ne doivent pas
nécessairement être majoritaires, mais elles ne peuvent être insignifiantes. Il serait
vain de fixer un pourcentage précis. Ce qui est déterminant, c’est, en fin de compte,
que l’équilibre financier du contrat dépende des recettes engendrées par

333
l’exploitation du service. Nous vous proposons, par conséquent, de juger qu’il ne
peut y avoir délégation de service public lorsque l’équilibre financier du contrat ne
dépend pas des recettes liées à l’exploitation du service. » En somme,
substantiellement ne signifie pas nécessairement majoritairement.

Le Conseil d’Etat a suivi son commissaire du gouvernement dans l’affaire


précitée qui mettait aux prises le SMITOM – personne publique – avec son
cocontractant, la société SOCCRAM :

« [Considérant] qu’il ressort des pièces du dossier que la part des recettes
autres que celles correspondant au prix payé par le SMITOM devait être d’environ
30% de l’ensemble des recettes perçues par le cocontractant du SMITOM ; que,
dans ces conditions, la rémunération prévue pour le cocontractant du SMITOM était
substantiellement assurée par le résultat de l'exploitation du service ; que, dès lors,
le contrat envisagé devant être analysé non comme un marché mais comme
une délégation de service public, la procédure engagée par le SMITOM pour la
passation de ce contrat était soumise aux dispositions de l’article L. 1411-1 du code
général des collectivités territoriales ; […] » (C.J.E.G. n° 558, p.355).

B – La typologie des contrats de délégation de service public

Rappel : « Une délégation de service public est un contrat par lequel une
personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la
responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est
substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire peut

334
être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au
service. »

Le contrat de délégation de service public peut être présenté comme une


espèce dans le genre "contrat administratif". Cette espèce comprend des sous-
espèces. Toutes ces sous-espèces ont en commun trois caractéristiques qui
résultent de la définition même du contrat de délégation de service public :

1 - les contrats sont passés par une personne morale de droit public
(autorité délégante) ;

2 - ils ont pour objet de confier un service public (administratif ou industriel


et commercial) à un délégataire public ou privé et peuvent s'accompagner de la
construction d'un ouvrage ou de l'acquisition de biens nécessaires à ce service
public ;

3 - la rémunération du délégataire public ou privé est substantiellement liée


aux résultats de l'exploitation du service.

Rappel de la typologie des contrats de délégation de service public

* La concession de service public : C'est un contrat par lequel une personne


publique - dénommée autorité concédante - confie à une personne privée ou
publique - dénommée le concessionnaire - le soin de gérer un service public à ses
frais et risques, et moyennant la perception de redevances sur les usagers de ce
service (voir article 1er alinéa 8 du décret du 16 avril 2008).

* L'affermage : C'est un contrat par lequel une personne publique confie à


une personne privée - dénommée le fermier - le soin de gérer un service public à ses
frais et risques, moyennant d’une part la perception de redevances sur les usagers
335
de ce service, et d’autre part, le versement d'un loyer à la personne publique
délégante (voir article 1er alinéa 2 du décret du 16 avril 2008).

Le loyer est la contrepartie de l’usage des biens (ouvrages, etc.) que le


délégant a mis à la disposition du délégataire. La rémunération du fermier résulte de
la différence - supposée positive - entre les redevances et le loyer.

Différence entre l’affermage et la concession : le fermier ne conserve pas


l'intégralité des redevances reçues des usagers, puisqu'il doit en reverser une partie
au déléguant.

Régie intéressée : la convention de délégation par laquelle l’autorité contractante


finance elle-même l’établissement d’un service, mais en confie la gestion à une
personne privée ou publique qui est rémunérée par l’autorité contractante tout en
étant intéressée aux résultats que ce soit au regard des économies réalisées, des
gains de productivité ou de l’amélioration de la qualité du service.

336
Rappel droit français

* La régie intéressée à au moins 30% : C'est un contrat par lequel une


personne publique confie à une personne (en principe, une entreprise privée) le soin
de gérer un service public, moyennant d’une part des redevances perçues sur les
usagers de ce service et reversées intégralement à la personne publique, et d’autre
part une rémunération versée par la personne publique et indexée à au moins 30%
sur les résultats de l'exploitation du service public.

On l’aura deviné, la rémunération de ce type de contrat comporte, en


principe, deux parties: une partie fixe forfaitaire et une partie variable
(intéressement aux résultats de l'exploitation du service public) destinée à inciter le
régisseur à une meilleure gestion et à rendre le service public plus attractif.

Si l’intéressement aux résultats de l'exploitation du service public est


inférieur à 30%, on a affaire à un marché de service public (voir plus haut C.E., 30
juin 1999, Syndicat mixte du traitement des ordures ménagères CENTRE OUEST
SEINE-ET-MARNAIS).

337
Différences entre la régie intéressée à au moins 30% et l’affermage : le
régisseur reverse l’intégralité des redevances à la personne publique, et il est
rémunéré par cette dernière.

338
C – La typologie des marchés publics
Rappel :

Droit Burkinabè

Les marchés publics sont « des contrats administratifs écrits conclus à titre onéreux
par une Autorité contractante visée aux articles 5 et 6 du présent décret avec des
entités privées ou publiques pour répondre à leurs besoins en matière de travaux,
de fournitures ou de services ».

Droit français

« Les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux entre les
pouvoirs adjudicateurs [Etat, collectivités territoriales, établissements publics] et
des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en
matière de travaux, de fournitures ou de services. » - code des marchés publics,
article 1er.

339
A l’instar des contrats de délégation de service public, les marchés publics
peuvent être présentés comme une espèce dans le genre "contrat administratif".
Cette espèce comprend des sous-espèces.

Le décret du 16 avril 2008 définit les différentes catégories de marchés


publics.

La définition de chaque catégorie de marchés est particulièrement importante


au regard des modalités de calcul du montant du marché ; et ce montant détermine
certains modes de passation des marchés publics – cf. infra La conclusion des
marchés publics.

Les quatre (04) catégories de marchés publics sont définies par la


règlementation :

►Marché public de travaux : le marché qui a pour objet soit, l’exécution, soit,
conjointement la conception et l’exécution de travaux ou d’un ouvrage.

►Marché public de fournitures : le marché qui a pour objet l’achat, le crédit-bail, la


location ou la location-vente avec ou sans option d’achat de biens de toute nature y
compris des matières premières, produits, équipements et objets sous forme solide,
liquide ou gazeuse, ainsi que les services accessoires à la fourniture de ces biens.

►Marché public de services : le marché qui n’est ni un marché de travaux ni un


marché de fournitures. Il comprend également le marché de prestations
intellectuelles, c’est-à-dire le marché de services dont l’élément prédominant n’est
pas physiquement quantifiable.

►Marché public de prestations intellectuelles : le marché qui n’est ni un marché de


travaux ni un marché de fournitures ni un marché de services courants et dont
l’élément prédominant n’est pas physiquement quantifiable.

340
Un marché public relevant d'une des quatre (04) catégories mentionnées ci-
dessus (travaux, fournitures et services) peut comporter, à titre accessoire, des
éléments relevant d'une autre catégorie. C’est ce que l’on appelle parfois un marché
mixte :

►Marché public de type mixte : le marché relevant d’une des quatre catégories
mentionnées aux points 24, 25, 26 et 27 du présent article et pouvant comporter, à
titre accessoire, des éléments relevant d’une autre catégorie. Les procédures de
passation et d’exécution des marchés publics devront prendre en compte les
spécificités applicables pour chaque type d’acquisition.

341
342
Définitions :

CHAPITRE PRELIMINAIRE : DE LA TERMINOLOGIE ET DES PRINCIPES GENERAUX DE


LA COMMANDE PUBLIQUE

Section 1 : Du vocabulaire de la commande publique

Article 1 : Aux termes du présent décret, on entend par :

1 - Accord-cadre : l’accord conclu entre plusieurs Autorités contractantes ayant pour


objet d'établir les termes régissant les marchés à passer au cours d'une période
donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités
envisagées.

2 - Affermage : la délégation de service public par laquelle l’autorité contractante


charge le fermier, personne publique ou privée, de l’exploitation d’ouvrages qu’elle
a acquis préalablement afin que celui-ci assure la fourniture d’un service public, le
fermier ne réalisant pas les investissements initiaux.

3 - Attributaire : le soumissionnaire dont l’offre a été retenue avant l’approbation


du marché.

4 - Autorité contractante : la personne morale de droit public ou de droit privé à


savoir, l’Etat, les établissements publics de l’Etat, les collectivités territoriales, les
sociétés d’Etat, les sociétés à participation publique majoritaire, les organismes de
droit public, les personnes privées agissant en vertu d’un mandat au nom et pour le
compte d’une personne publique, signataire d’un marché public ou d’une
délégation de service public.

343
5 - Autorité délégante : l’autorité contractante ci-dessus définie au point 4 du
présent article, cocontractante d’une délégation de service public.

6 - Candidat : la personne physique ou morale qui manifeste un intérêt à participer


ou qui est retenue par une autorité contractante pour participer à une procédure de
passation de marché ou de délégation de service public.

7 - Candidature : l’acte par lequel le candidat manifeste un intérêt à participer, sans


que cet acte ne l’engage ni ne lui impose d’obligations vis-à-vis de l’autorité
contractante.

8 - Concession de service public : le mode de gestion contractuelle d'un service


public dans le cadre duquel un opérateur privé ou public, le concessionnaire, est
sélectionné conformément aux dispositions du présent décret. Elle se caractérise
par le mode de rémunération du concessionnaire qui est substantiellement assuré
par les résultats de l’exploitation et la prise en charge des investissements initiaux et
des gros œuvres par le concessionnaire. Il est reconnu au concessionnaire le droit
d'exploiter l'ouvrage à titre onéreux pendant une durée déterminée.

9 - Commande publique : toutes les formes d'acquisition de biens, services,


prestations au profit des collectivités publiques, à savoir notamment le marché
public et la délégation de service public.

10 - Commission d’Attribution des Marchés (CAM): la commission d’ouverture des


plis, d’évaluation des offres et d’attribution des marchés ;

11 - Commission de Règlement Amiable des Litiges (CRAL) : l'instance établie auprès


de l'Autorité de régulation des marchés publics, chargée de statuer sur les
irrégularités et les recours relatifs à la passation et à l'exécution des marchés
publics, des délégations de service public et à l’interprétation des dispositions du
présent décret.

12 - Contrôle technique : les actes posés par un contrôleur en vue de l’amélioration


de la qualité des constructions.

344
Le contrôleur technique intervient à la demande du maître d’ouvrage à qui il donne
son avis sur les questions d’ordre technique concernant la solidité, la stabilité de
l’ouvrage et la sécurité des personnes et des biens.

13 - Délégataire : la personne morale de droit privé ou de droit public signataire


d’une délégation de service public et à laquelle l’Autorité délégante confie,
conformément aux dispositions du présent décret, l’exploitation d’un service public
avec ou sans prestations complémentaires.

14 - Délégation de service public : le contrat administratif écrit par lequel une des
personnes morales de droit public ou de droit privé visées respectivement aux
articles 5 et 6 du présent décret confie la gestion d’un service public relevant de sa
compétence à un délégataire dont la rémunération est liée ou substantiellement
assurée par les résultats de l’exploitation du service. Au sens du présent décret, les
délégations de service public comprennent les régies intéressées, les affermages de
service public, ainsi que les concessions de service public, qu’elles soient associées
ou non à l’exécution d’un ouvrage.

15 - Demande de cotations : la procédure de mise en concurrence simplifiée que


l’on peut utiliser pour les marchés publics d’un montant inférieur à un million
(1.000.000) de FCFA. La forme écrite de la procédure de demande de cotations n’est
pas obligatoire.

16 - Demande de prix : la procédure de mise en concurrence accélérée que l’on peut


utiliser pour les marchés publics d’un montant inférieur à vingt millions (20 000 000)
de FCFA. La procédure de demande de prix revêt la forme écrite et la publicité de
l’avis est limitée à une insertion dans la revue des marchés publics.

17 - Dématérialisation : la création, l’échange, l’envoi, la réception ou la


conservation d’informations ou de documents par des moyens électroniques ou
optiques, ou des moyens comparables, notamment, mais non exclusivement,
l’Echange de Données Informatisées (EDI) ou la messagerie électronique.

18 - Entreprise communautaire : l’entreprise dont le siège social est situé dans un


Etat membre de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine.

345
19 - Direction Générale des Marchés Publics (DGMP) : la Direction rattachée au
Ministère en charge du budget, chargée du contrôle a priori de la procédure de
passation des marchés publics et des délégations de service public.

20 - Maître d’Ouvrage Délégué (MOD) : la personne morale de droit public ou de


droit privé qui est le représentant du maître d’ouvrage dans l’exécution de ses
missions et qui reçoit, à cet effet, mandat dans le cadre d’une convention de
maîtrise d’ouvrage déléguée aménagée à l’article 65 du présent décret.

21 - Maître d’ouvrage : la personne morale de droit public ou de droit privé visée à


l’article 5 du présent décret qui est le propriétaire final de l’ouvrage ou de
l’équipement technique, objet du marché.

22 - Marchés publics : des contrats administratifs écrits conclus à titre onéreux par
une Autorité contractante visée aux articles 5 et 6 du présent décret avec des
entités privées ou publiques pour répondre à leurs besoins en matière de travaux,
de fournitures ou de services.

23 - Marché public de type mixte : le marché relevant d’une des quatre catégories
mentionnées aux points 24, 25, 26 et 27 du présent article et pouvant comporter, à
titre accessoire, des éléments relevant d’une autre catégorie. Les procédures de
passation et d’exécution des marchés publics devront prendre en compte les
spécificités applicables pour chaque type d’acquisition.

24 - Marché public de travaux : le marché qui a pour objet soit, l’exécution, soit,
conjointement la conception et l’exécution de travaux ou d’un ouvrage.

25 - Marché public de fournitures : le marché qui a pour objet l’achat, le crédit-bail,


la location ou la location-vente avec ou sans option d’achat de biens de toute nature
y compris des matières premières, produits, équipements et objets sous forme
solide, liquide ou gazeuse, ainsi que les services accessoires à la fourniture de ces
biens.

26 - Marché public de services : le marché qui n’est ni un marché de travaux ni un


marché de fournitures. Il comprend également le marché de prestations
intellectuelles, c’est-à-dire le marché de services dont l’élément prédominant n’est
pas physiquement quantifiable.

346
27 - Marché public de prestations intellectuelles : le marché qui n’est ni un marché
de travaux ni un marché de fournitures ni un marché de services courants et dont
l’élément prédominant n’est pas physiquement quantifiable.

28 - Marchés à ordres de commande : des formes particulières de marchés à prix


unitaires qui déterminent la nature et le prix des fournitures. Le marché s'exécute
par des émissions d'ordres de commandes successifs selon les besoins. Chaque
ordre de commande définit en application des stipulations du marché, les éléments
qui n'ont pu être spécifiés dans les pièces constitutives antérieures. Le marché fixe
la durée pendant laquelle les ordres de commande peuvent être notifiés. Le marché
à ordres de commande dont la durée ne saurait excéder une (1) année renouvelable
une fois, indique les limites maximales et minimales de la prestation globale à
fournir, ces limites pouvant être exprimées soit en quantité, soit en valeur.
L’autorité contractante s’engage sur le minimum et le cocontractant s’engage sur le
maximum. Cette durée ne peut être supérieure à la durée d'utilisation des crédits
budgétaires disponibles. Elle est en tout état de cause limitée à deux (2) ans. Il est
recouru au marché à ordres de commande pour couvrir des besoins courants
annuels de fournitures et services courants, notamment les services d’entretien
routier, dont il n’est pas possible au début de l’année de prévoir l’importance
exacte, ou bien qui excèdent les possibilités de stockage. Les dispositions relatives à
l’appel d’offres aménagées des articles 57 à 61 du présent décret sont applicables à
la passation du marché à ordres de commande. Leur reconduction doit se faire sur la
base des quantités nécessaires prévues à l’année précédant immédiatement celle de
la reconduction du marché et soumise à l’autorisation de la direction générale des
marchés publics.

29 - Moyen électronique : le moyen utilisant des équipements électroniques de


traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et
utilisant la diffusion, l'acheminement et la réception par fils, par radio, par moyens
optiques ou par d'autres moyens électromagnétiques.

30 - Offre : l'ensemble des éléments techniques et financiers inclus dans le dossier


de soumission.

347
31 - L’offre économiquement la plus avantageuse : l’offre retenue à l’issue d’une
évaluation faite à partir de la combinaison de critères techniques et de critères
financiers qui peuvent être pondérés.

32 - Organisme de droit public : l’organisme, créé pour satisfaire spécifiquement des


besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, doté
de la personnalité juridique, et dont soit l'activité est financée majoritairement par
l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit la
gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de
direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont
désignés par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit
public.

33 - Ouvrage : le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil


destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique. Il peut
comprendre notamment des opérations de construction, de reconstruction, de
démolition, de réparation ou de rénovation, tels que la préparation du chantier, les
travaux de terrassement, l’érection, la construction, l’installation d’équipement ou
de matériel, la décoration et la finition ainsi que les services accessoires aux travaux
si la valeur de ces services ne dépasse pas celle des travaux eux-mêmes.

34 - Pays d’établissement stable : le pays d’établissement des personnes morales.

35 - Pays de base fixe : le pays de résidence des personnes physiques.

36 - Personne Responsable des Marchés (PRM): le représentant dûment mandaté


par l’autorité contractante pour la représenter dans la passation et dans l’exécution
du marché.

37 - Régie intéressée : la convention de délégation par laquelle l’autorité


contractante finance elle-même l’établissement d’un service, mais en confie la
gestion à une personne privée ou publique qui est rémunérée par l’autorité
contractante tout en étant intéressée aux résultats que ce soit au regard des
économies réalisées, des gains de productivité ou de l’amélioration de la qualité du
service.

348
38 - Soumission : l'acte d’engagement écrit au terme duquel un soumissionnaire fait
connaître ses conditions et s'engage à respecter les cahiers des charges applicables.

39 - Soumissionnaire : la personne physique ou morale qui participe à un appel


d’offres en soumettant un acte d’engagement et les éléments constitutifs de son
offre.

40 - Sous-commission Technique (SCT): un comité chargé de l’évaluation des offres


techniques et financières.

41 - Titulaire : la personne physique ou morale, attributaire, dont le marché conclu


avec l’autorité contractante, conformément au présent décret a été approuvé.

§.2. La procédure de conclusion des contrats administratifs

Elle concerne le problème du choix par l’administration de son cocontractant et


celui de l’élaboration des clauses du contrat.

A. Les principes

La règlementation des marchés publics assigne aux acheteurs publics, c’est-à-dire


aux personnes publiques qui passent des marchés publics les objectifs suivants :

1 - l’efficacité de la commande publique

2 - la bonne utilisation des deniers publics

3 - et le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse.

349
L’objectif du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse consacre la
règle du «mieux-disant » plutôt que celle du « moins-disant ». Cette règle se décline
par diverses mesures dont la suppression de la procédure d’adjudication. Celle-ci
était un procédé de choix consistant à attribuer automatiquement le marché au
candidat ou soumissionnaire le moins-disant, c’est-à-dire à celui qui offrait le prix le
plus bas - ce prix n’excédant pas le maximum déterminé.

Compte tenu de ces objectifs, la passation des marchés publics est fondée
sur trois principes solidaires :

1 – le principe de la liberté d'accès à la commande publique,

2 – le principe de l’égalité de traitement des candidats aux marchés publics

3 – et le principe de la transparence des procédures.

Le principe de la liberté d’accès interdit à l’acheteur public

- d’édicter des exigences qui ne seraient pas justifiées par l’objet du marché

- ou d’exclure des candidats qui satisfont à toutes les exigences édictées.

L’égalité consacrée par le code implique la fixation préalable de règles du jeu


claires pour garantir la libre concurrence.

L’administration doit ainsi mettre tous les candidats dans une situation
d’égalité au regard de l’information sur les conditions du marché à conclure.

350
L’obligation de transparence qui incombe à l’acheteur public (c’est-à-dire à la
personne publique contractante) consiste à garantir, en faveur de tout
soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture
du marché à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures
d’attribution du marché.

La passation des marchés publics doit, sauf exceptions prévues par le code,
être précédée d’une publicité adéquate.

B. Le choix par l’administration de son cocontractant

Le droit public organise divers procédés de choix du cocontractant de


l’administration selon des procédures qui peuvent être concurrentielles ou non.
(Décret N°2008-173/PRES/PM/MEF du 16 avril 2008 portant réglementation
générale des marchés publics et des délégations de services publics).

a - La procédure non formalisée ou procédure adaptée

D’une manière générale, les marchés passés selon la procédure adaptée sont
dénommés marchés sans formalités préalables.

Article 12 : Le présent décret s’applique aux marchés publics qui n’en sont pas
exclus en vertu de l’article 11 ci-dessus relatif aux marchés concernant les besoins
de défense et de sécurité nationales dans les conditions ci-après.

351
1) Les marchés publics sont passés par les procédures de l’appel d’offres ouvert ou
en deux étapes aménagées aux articles 58 à 61 du présent décret lorsque le
montant financier prévisionnel estimé en toutes taxes comprises (TTC) est égal ou
supérieur à vingt millions (20.000.000) F CFA ;

2) La lettre de commande est un marché public établi par les personnes citées aux
articles 5 et 6 dont le montant financier prévisionnel estimé en toutes taxes
comprises (TTC) est égal ou supérieur à un million (1.000.000) F CFA et inférieur à
vingt millions (20.000.000) F CFA. Elle est passée suivant la procédure des demandes
de prix définie à l’article 1er point 16 du présent décret et aménagée à l’article 67 ;

3) Le bon de commande est un marché public établi par les personnes citées à
l’article 5 et 6 du présent décret dont la valeur prévisionnelle estimée en toutes
taxes comprises (TTC) est inférieure à un million (1.000.000) FCFA. Il est passé
suivant la procédure de demande de cotations, définie à l’article 1er point 15 du
présent décret et aménagée à l’article 68.

Article 67 : Lorsque le montant prévisionnel du marché est inférieur à vingt millions


(20.000.000) F CFA TTC, il peut être recouru à la procédure de demande de prix
écrite.

Le gestionnaire de crédits élabore un dossier de mise en concurrence comportant


au moins le descriptif technique des besoins à satisfaire dans les mêmes conditions
que le dossier d'appel d'offres.

La publicité de l’avis est faite dans la revue des marchés publics et le délai accordé
aux entreprises, fournisseurs ou prestataires de service pour déposer leurs
propositions de prix ne peut être inférieur à dix (10) jours calendaires.

352
Les offres se font sous plis fermés et sont examinées par la commission d'attribution
des marchés qui attribue le marché à l'entreprise, fournisseur ou prestataire de
service ayant présenté l'offre évaluée économiquement la plus avantageuse.

Article 68 : Lorsque le montant prévisionnel du marché est inférieur à un million


(1.000.000) F CFA TTC, il est recouru à des demandes de cotations non formelles
adressées par le gestionnaire de crédits à trois (3) prestataires qualifiés au moins.

La formalité de constitution d’une commission d’attribution des marchés n’est pas


exigée.

Les propositions de cotations se font sous plis fermés et sont examinées par le
gestionnaire de crédits qui attribue le marché à l'entreprise ayant présenté l'offre
évaluée économiquement la plus avantageuse.

Lorsque le gestionnaire des crédits n’obtient pas trois (03) factures proforma, il
peut recourir à la procédure de gré à gré.

2 – Les procédures formalisées


Il s’agit de procédures dont le contenu est déterminé à l’avance par la
règlementation des marchés publics.

Article 57: Les marchés de travaux, de fourniture et de services courant sont passés
après un appel d’offres ouvert ou exceptionnellement une mise à concurrence
restreinte ou un gré à gré.

Les contrats de prestations intellectuelles sont passés après des demandes de


propositions.
353
a. L’appel d’offres

Article 58 : L’appel d’offres ouvert est la procédure par laquelle l’autorité


contractante choisit l’offre évaluée économiquement la plus avantageuse, sans
négociation, sur la base de critères préalablement portés à la connaissance des
candidats dans le dossier d’appel d’offres.

L’appel d’offres ouvert peut comporter trois (03) variantes :

- l'appel d'offres ouvert direct ;

- l'appel d'offres ouvert en deux étapes ;

- l'appel d'offres ouvert précédé d’une pré qualification.

Aux termes de l’article 58 du décret du 16 avril 2008, l’appel d’offres ouvert est la
procédure par laquelle l’autorité contractante choisit l’offre évaluée
économiquement la plus avantageuse, sans négociation, sur la base de critères
préalablement portés à la connaissance des candidats dans le dossier d’appel
d’offres. L’appel d’offres est une modalité d’appel public à la concurrence qui
permet à l’administration de choisir l’offre la moins disante c'est-à-dire qui est dans
le meilleur rapport qualité prix en fonction des critères multiples définis au
préalable.

L'appel d'offres peut être ouvert ou restreint.

354
► L'appel d'offres est dit ouvert lorsque tout opérateur économique
[candidat] peut remettre une offre.

Article 59 : L’appel d’offres ouvert est dit direct lorsque tout candidat, qui n’est pas
exclu en application des articles 43 et 44 du présent décret peut soumettre une
offre ou une demande de pré qualification.

►L'appel d'offres est dit restreint lorsque seuls peuvent remettre des offres
les opérateurs économiques [les candidats] qui y ont été autorisés après sélection.
L’appel d’offre restreint se déroule donc en deux étapes : la sélection des candidats
admis à présenter une offre et le choix de l’offre.

La personne responsable du marché est libre de choisir entre les deux formes
d'appel d'offres.

Lorsqu’elle décide de lancer un appel d’offres ouvert, elle ne peut en cours de


procédure le transformer en appel d’offres restreint.

Article 66 : L’appel d’offres est dit restreint lorsque seuls peuvent remettre des
offres, les candidats que l’autorité contractante a décidé de consulter.

Le nombre de candidats admis à soumissionner, d’un minimum de trois (3), doit


assurer une concurrence réelle. Il est ensuite procédé de manière identique comme
en matière d’appel d’offres ouvert.

Il ne peut être recouru à la procédure de l’appel d’offres restreint que lorsque les
biens, les travaux ou les services, de par leur nature spécialisée, ne sont disponibles
355
qu'auprès d'un nombre limité de fournisseurs, d’entrepreneurs ou de prestataires
de services susceptibles d’offrir les prestations sollicitées.

L’autorité contractante consulte les entreprises au regard de leurs références


techniques et de la spécificité des prestations sollicitées.

Les candidats à un appel d’offres restreint ne doivent pas figurer sur la liste des
fournisseurs défaillants ou de ceux qui ont des difficultés dans l’exécution d’un
marché public.

Dans tous les cas, ils doivent apporter la preuve de leur compétence à exécuter les
prestations sollicitées.

Le recours à la procédure de l’appel d’offres restreint doit être motivé et soumis à


l’autorisation préalable de la direction générale des marchés publics.

b. Le marché de gré à gré

Article 69 : Les marchés sont dits de gré à gré lorsque l’autorité contractante
engage les discussions qui lui paraissent utiles et propose à l’autorité compétente
l'attribution du marché au soumissionnaire qu'elle a retenu.

Article 70 : Les marchés publics, quelle qu’en soit la forme peuvent être passés de
gré à gré suivant la procédure de l’entente directe lorsque l’autorité contractante

356
engage, sans formalités, les discussions qui lui paraissent utiles, avec un
entrepreneur, un fournisseur, ou un prestataire de services.

Article 71 : Le marché est passé de gré à gré dans les cas suivants :

- extrême urgence, pour les travaux, fournitures ou services que l’autorité


contractante doit faire exécuter en lieu et place de l’entrepreneur, du fournisseur ou
du prestataire défaillant ;

- urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles ou de


force majeure ne permettant pas de respecter les délais prévus dans les procédures
d’appel d’offres et de demande de prix, nécessitant une intervention immédiate, et
lorsque l’autorité contractante n’a pas pu prévoir les circonstances qui sont à
l’origine de l’urgence ;

- lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une prestation
nécessitant l’emploi d’un brevet d’invention, d’une licence ou de droits exclusifs
détenus par un seul entrepreneur, un seul fournisseur ou un seul prestataire ;

- lorsque les marchés ne peuvent être confiés qu’à un prestataire


déterminé pour des raisons techniques ou s’il y a une nécessité de continuer avec le
même prestataire ou pour des raisons artistiques ;

- lorsque les prestations requièrent la sélection d'un consultant particulier


en raison de sa qualification unique ou de la nécessité de continuer avec le même
prestataire ;

357
- lorsque les prix unitaires des biens sont réglementés ou font l’objet
d’une tarification et que le montant du contrat est inférieur à cent millions
(100.000.000) F CFA toutes taxes comprises.

Le marché de gré à gré ne peut être passé qu’avec des entrepreneurs, fournisseurs
ou prestataires de services qui acceptent de se soumettre à un contrôle des prix
spécifiques. Ceux-ci ne doivent pas figurer sur la liste des fournisseurs défaillants et
de ceux qui ont des difficultés dans l’exécution des marchés publics.

Le marché précise les obligations comptables auxquelles le titulaire du marché sera


soumis, et notamment l’obligation de présenter ses bilans, comptes de résultats,
ainsi que sa comptabilité analytique d’exploitation ou, à défaut de celle-ci, tous
documents de nature à permettre l’établissement des coûts de revient.

Les marchés sont dits de gré à gré lorsque l’autorité contractante engage des
discussions qui lui paraissent utiles et attribue ensuite le marché au soumissionnaire
qu’elle a retenu.

Exemple : du marché négocié en France depuis 1976.

Ici l’administration n’est tenue que de mettre en compétition dans toute la mesure
du possible les entrepreneurs ou fournisseurs susceptibles de réaliser la prestation.
Pour le reste, l’administration engage librement les discussions selon la formule du
décret portant réglementation générale des marchés publics « qui lui paraissent
utiles » et attribue le marché à l’entrepreneur ou fournisseur qu’il a retenu. De
façon générale, cette liberté de l’administration n’est pas synonyme d’arbitraire. En
effet il ne peut être passé de marché de gré à gré que dans les cas visés à l’article 71
et suivants du décret du 16 avril 2008.

358
Dans la pratique les clauses du contrat ne sont pas toujours ou en cas pas toujours
négociées entre l’administration et son cocontractant. L’administration impose
souvent en effet et même parfois est tenu d’imposer la référence à des clauses
générales résultant de cahier type (cahier de charges). Les contrats administratifs
contiennent alors deux séries de documents : les documents généraux et les
documents particuliers,

Les documents généraux sont les cahiers des clauses administratives générales qui
fixent les dispositions administratives applicables aux marchés de même nature et
les cahiers de clauses techniques générales qui fixent les dispositions techniques
applicables à toutes les prestations de même nature.

Les documents particuliers sont les cahiers des clauses administratives particulières
qui fixent les dispositions administratives propres à chaque contrat et les cahiers de
clauses techniques particulières qui fixent les dispositions techniques nécessaires à
l’exécution des prestations prévues au contrat. Les documents particuliers
comportent l’indication des articles des documents généraux qu’ils complètent ou
modifient.

§.2. Les règles applicables aux contractants

Ces règles intéressent l’exécution du contrat administratif. Concrètement deux


problèmes doivent être abordés relativement aux droits et aux obligations des
contractants mais aussi à l’influence de circonstances nouvelles sur l’exécution du
contrat.

359
L’exécution des contrats administratifs
Elle révèle toute la distance qui sépare le droit administratif du droit privé, les
contrats de droit administratif des contrats de droit privé.

Qu’on se rappelle les propos du commissaire du gouvernement Jacomet :


« Lorsqu’elle conclut des contrats administratifs, l’administration ne se dépouille
pas de ses attributs de puissance publique » (Conclusions sur C.E., 5 mars 1954,
Mlle Soullier).

On comprend mieux alors le scepticisme du commissaire du gouvernement


Kahn : « Chacun s’accorde à reconnaître aujourd’hui que la distinction du
contractuel et de l’unilatéral pose plus de questions qu’elle ne permet d’en
résoudre. » Conclusions sur T.C. 3 mars 1969, Société Interlait.

En droit privé, le régime des contrats est dominé, notamment, par deux grands
principes :

- l’autonomie de la volonté : elle implique une égalité relative des parties ;

- la mutabilité consensuelle du contrat : selon l’article 1134 du Code civil, “ les


conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. ” Elles
ne peuvent être révoquées ou modifiées que de leur consentement ou pour les
causes que la loi autorise.

En droit administratif, le particularisme du contrat administratif fait largement


échec à ces principes :

- la mutabilité unilatérale du contrat administratif : l’administration peut modifier


unilatéralement le contenu du contrat ou résilier celui-ci même si un terme a été
initialement prévu. Que ce pouvoir de résiliation unilatérale soit caractéristique
(quantitativement) des contrats administratifs, cela découle du fait qu’une clause de
360
résiliation unilatérale est toujours considérée comme exorbitante : « cette
stipulation donne à elle seule à la convention un caractère administratif1 » - T.C., 5
juillet 1999, U.G.A.P (Rappelons que le Tribunal des conflits est composé à la fois de
juges administratifs et de juges judiciaires) ;

- l’inégalité des intérêts. Certains auteurs préfèrent parler de l’inégalité des


volontés. Préférence irrecevable. Le particularisme du contrat administratif - et donc
les prérogatives exorbitantes de l’administration contractante - se justifie,
directement ou indirectement, par les exigences du service public. Bien souvent, le
contrat administratif est conclu en vue de pourvoir aux besoins du service public,
d’en assurer le fonctionnement correct. Cette fin justifie les dérogations aux règles
du droit privé.

En conséquence, le contrat administratif met en présence non pas des volontés


inégales, mais des intérêts inégaux : l’intérêt général et l’intérêt du particulier. On
reconnaît à l’administration les moyens de faire triompher l’intérêt général. Mais
l’intérêt particulier n’est pas pour autant ignoré.

A - Les droits et obligations des parties


Dans l’exécution des contrats administratifs, on ne retient pas l'exceptio non
adimpleti contractus, c'est-à-dire l’exception de contrat non exécuté. Si l'une des
parties n'effectue pas sa prestation, l'autre ne peut refuser la sienne en invoquant la
carence de son cocontractant.

Illustration : CAA de Lyon, 30 août 1995, Commune de Méribel-les-Allues :


« En tout état de cause, de manière générale, le fait pour un cocontractant de
n'avoir pas exécuté ses obligations n'est pas de nature à dispenser l'autre partie
d'assurer ses propres engagements […] ».
1
Bien évidemment, une personne publique était partie à ce contrat.

361
Droits et obligations des contractants

Le droit administratif, a eu pour souci de garantir à l’autorité administrative des


moyens particuliers pour superviser, diriger, contrôler la mise en œuvre de ses
contrats (et cela au nom des intérêts publics en cause) tout en réservant à son
partenaire des garanties sans lesquelles, le contrat perdrait tout son équilibre.
L’élaboration des régimes juridiques de ces contrats est alors forcément complexe.
Elle doit tenir compte tout à la fois d’intérêts publics et d’intérêts privés. Il faut en
même temps chercher des règles qui garantissent une bonne exécution des contrats
conformément aux intérêts du service public et qui respectent des intérêts
commerciaux et pécuniaires des contractants.

1. Les droits de l’administration

Ces droits constituent un ensemble de prérogatives reconnues à l’administration


dans l’exécution du contrat.

Résumé

Questions initiales :

1 – Qu'est-ce qui justifie les prérogatives exorbitantes reconnues à


l'administration dans l'exécution des contrats administratifs ?

2 – Les prérogatives exorbitantes reconnues à l'administration dans


l'exécution des contrats administratifs sont-elles sans limites ?

362
Réponses soutenues :

1 – Le service public et, partant, le service de l'intérêt général justifient les


prérogatives exorbitantes reconnues à l'administration dans l'exécution des contrats
administratifs. En effet, un contrat administratif est nécessairement conclu dans
l'intérêt général. Il est donc logique que l'administration se voit conférer les moyens
juridiques qui lui permettent d'assurer une certaine adéquation entre les
prestations de son cocontractant et l'intérêt général. Deux lois du service public sont
au cœur de la mise en œuvre de ces prérogatives : les principes de continuité et de
mutabilité du service de l’intérêt général et du service public.

2 – Les prérogatives exorbitantes reconnues à l'administration dans l'exécution


des contrats administratifs sont-elles sans limites ?

Les prérogatives exorbitantes reconnues à l'administration dans l'exécution


des contrats administratifs trouvent leurs limites dans les exigences de l'intérêt
général et dans les prescriptions du principe de la légalité. Autrement dit,
l'administration doit exercer ses pouvoirs dans les limites de ce qu'exige l'intérêt
général et de ce que permet la légalité.

a. Les pouvoirs de direction et de contrôle

L’administration dispose de pouvoirs de contrôle et de direction, c'est-à-dire des


pouvoirs de surveiller et de contrôler l’exécution du contrat. Elle peut vérifier à tout
moment que le cocontractant se comporte conformément aux clauses du contrat et
exiger de lui tout renseignement propre pour permettre les vérifications qu’elle se
propose.

363
L’administration peut d’autre part, imposer au cocontractant, certaines modalités
d’exécution non précisées dans le contrat.

b. Les pouvoirs de sanction

Il vise à réprimer les défaillances contractuelles. Il se fonde sur la nécessité


d’assurer, directement ou indirectement, malgré lesdites défaillances, la continuité
du service de l’intérêt général, du service public et le bon fonctionnement de celui-
ci.

Trois remarques s’imposent :

1 - C’est un pouvoir détenu de plein droit par l’administration :


l’administration détient ce pouvoir, que cela soit ou non stipulé dans le contrat.

2 - L’administration ne peut infliger de sanctions à son cocontractant sans


l’avoir mis en demeure d’exécuter ses obligations - respect des droits de la défense
oblige, sauf urgence ou clause contraire.

3 - Le juge contrôle la légalité des sanctions. Mais, en principe, le juge ne


peut pas annuler les sanctions prises par l’administration. S’il les trouve injustifiées,
il peut seulement condamner l’administration à verser une indemnité. Par
exception, dans le cas de certains contrats, le juge pourra annuler les sanctions
irrégulières.

Quelles sanctions l’administration peut-elle prononcer ?

364
L’administration peut prononcer

1 - une résiliation-sanction. Elle vise à réprimer un manquement, une faute


grave du cocontractant. Elle met fin au contrat. Dans le cadre d’une concession,
l’administration ne peut, en principe, prononcer une résiliation-sanction. En principe
toujours, seul le juge a le pouvoir de prononcer une telle sanction dénommée
déchéance du concessionnaire (à condition que le cocontractant ait commis une
faute d’une particulière gravité – C.E., 12 mars 1999, MERIBEL) ;

2 - des sanctions pécuniaires. Il s’agit de pénalités ou d’amendes. Les


premières sont fixées à l’avance par le contrat et revêtent un caractère forfaitaire1 ;

3 - des sanctions coercitives. Elles permettent à l’administration d’évincer


son cocontractant.

Exemple : Par incapacité ou mauvais vouloir, le cocontractant C s’abstient


durablement d’exécuter ses obligations contractuelles. Continuité du service public
oblige, l’administration va lui substituer un tiers T. Cette substitution ne met pas fin
au contrat liant l’administration à C. Mais l'exécution du contrat sera assurée par T
aux frais et risques de C.

Le nom de la procédure de substitution est variable :

* concession : mise sous séquestre ;

* marché de travaux publics : mise en régie éventuellement suivie d’une


réadjudication à la folle enchère ;

* marché de fournitures : exécution par défaut.

1
L’administration les inflige à son cocontractant sans avoir à démontrer qu’elle a subi un préjudice.

365
b - Le pouvoir de modification unilatérale
C’est l’une des prérogatives qui tranchent le plus sur le droit commun des
contrats - Sur son caractère spécifique découlant de son admission généralisée, voir
supra l’introduction à ce I.

Elle rappelle le pouvoir de direction, mais elle ne saurait être confondue avec
lui. Le pouvoir de modification unilatérale ne concerne pas la manière dont le
cocontractant exécute ses prestations. Il a trait au contenu même des prestations.

Définition : pouvoir reconnu à l’administration de modifier, en cours


d’exécution, l’étendue des prestations à effectuer par le cocontractant.

Il a pour effet soit une augmentation, soit une diminution de ces prestations.

Moyens utilisés : des actes administratifs unilatéraux individuels dénommés


ordres de service :

Illustrations :

* C.E., 21 mars 1996, SARL CITRA PACIFIQUE : « la société à responsabilité


limitée CITRA PACIFIQUE, pour justifier le remboursement du surcoût qu'elle estime
avoir dû supporter dans la fabrication des acropodes invoque la modification
unilatérale du contrat qui aurait résulté de l'ordre de service du 7 janvier
1993 ; […] »

* C.E., 15 mars 2000, FABRE et PUIG : « Considérant que le régime de


rémunération fixé par la délibération attaquée ayant un caractère réglementaire,
les requérants ne sauraient utilement soutenir que cette délibération a constitué
une modification unilatérale de leur contrat ; […] » (Cf. infra Fait du prince et
Imprévision)

Quel est le fondement du pouvoir de modification unilatérale ?

366
Réponse : C.E., 6 mai 1985, M. Ricard : « Considérant que si les règles
générales applicables aux contrats administratifs permettent à l'administration,
seule compétente pour régler l'organisation du service public, de modifier
unilatéralement de tels contrats […] »

Le pouvoir de modification unilatérale se fonde sur les principes de mutabilité


et de continuité du service de l’intérêt général et du service public.

Bien souvent, le contrat est conclu en vue de pourvoir, directement ou


indirectement, aux besoins du service public. Et ces besoins sont évolutifs comme le
service public lui-même et l’intérêt général. Il est donc opportun de ne pas figer les
prestations du cocontractant sous peine d’entraver, à court terme, la mutation du
service public et, à long terme, sa continuité.

Le commissaire du Gouvernement Léon Blum observait :

"Il est évident que les besoins auxquels un service public de cette nature doit
satisfaire et, par suite, les nécessités de son exploitation, n’ont pas un caractère
invariable... L’État ne peut pas se désintéresser du service public du transport une
fois concédé... [Il] interviendra donc nécessairement pour imposer, le cas échéant,
au concessionnaire, une prestation supérieure à celle qui était prévue strictement...,
en usant non plus des pouvoirs que lui confère la convention, mais du pouvoir qui lui
appartient en tant que puissance publique". (Conclusions sur C.E., 21 mars 1910,
Compagnie générale française des tramways, Rec. p. 216.)

Quatre observations s’imposent :

367
1 – Le pouvoir de modification unilatérale est un pouvoir détenu de plein droit
par l’administration. L’administration détient ce pouvoir, que cela soit ou non
stipulé dans le contrat - C.E., 2 février 1983, Union des transports publics urbains et
régionaux. Le pouvoir de modification unilatérale s’applique à tous les contrats
administratifs. Il a été reconnu d’abord implicitement par l’arrêt C.E., 10 janvier
1902, Compagnie nouvelle du gaz de Déville-lès-Rouen, puis plus nettement par
l’arrêt C.E., 21 mars 1910, Compagnie générale française des tramways ;

2 – Comme contrepartie de la modification unilatérale et de l’aggravation de


ses charges, le cocontractant a droit à une indemnité versée par l’administration
contractante – Cf. infra Equation financière ;

3 - Mais ce pouvoir est exclu à l’égard de certaines clauses du contrat : par


exemple, les clauses relatives au prix versé au cocontractant.

Toutefois, cette exclusion a une limite : C.E., 26 novembre 1975, SA Entreprise


PY : « considérant que, si le caractère définitif des prix stipulés au marché s'oppose
en principe à toute modification unilatérale ultérieure, ce principe ne saurait
recevoir application dans le cas exceptionnel ou, comme en l'espèce, il s'agit d'une
erreur purement matérielle et d'une nature telle qu'il est impossible à la partie de
s'en prévaloir de bonne foi ; […]».

Il n’est pas possible non plus de modifier unilatéralement et directement un


contrat dont le contenu est "entièrement défini par voie législative et
réglementaire" – C.E., 6 mai 1985, Ricard, arrêt précité relatif à l’ancien contrat
d’abonnement téléphonique ;

4 - Les modifications ne doivent pas dépasser certaines limites. Des


prestations totalement nouvelles, qui changent l’objet du contrat, donnent
naissance, de fait, à un nouveau contrat ; le cocontractant pourrait refuser de les
exécuter et demander la résiliation du contrat. Qui plus est, les modifications
prescrites ne doivent être ni imprécises ni impossibles à exécuter (C.E., 5 avril 2002,
SOCIETE DES MINES DE SACILOR LORMINES).

Evidemment, une modification unilatérale fautive engage la responsabilité


contractuelle de l’administration (CAA de Paris, 27 février 1997, SARL ARM PAJANI ;
cf. Equation financière et Fait du prince). Tel est le cas d’une modification unilatérale
368
rendant impossible l’exécution du contrat : la résiliation sera alors prononcée aux
torts et griefs de l’administration.

Ne sont vraiment unilatérales que les modifications apportées au contrat


après la signature de celui-ci.

Illustration : C.E., 30 novembre 1990, SOCIETE COIGNET ENTREPRISE :

« Considérant, d'autre part, que si de légères modifications des prestations


prévues par le dossier d'appel d'offres ont été apportées au contrat avant la
signature de celui-ci, la SOCIETE COIGNET ENTREPRISE a accepté ces modifications
en signant le contrat définitif ; que les prestations qui lui ont été demandées ont été
en tout point conformes à celles prévues dans ce contrat ; qu'ainsi la société n'est
pas fondée à demander une indemnité de ce chef ; […]

Le pouvoir de modification unilatérale

Une des particularités la plus remarquable des contrats administratifs est que
l’administration peut en cours d’exécution du contrat modifier l’étendue des
prestations à effectuer par le cocontractant, exiger des augmentations ou
diminutions de ces prestations. Le pouvoir de modification est très général.
Cependant, pour ne pas vider complètement de son sens l’accord de volontés qui
reste le fondement du contrat, la jurisprudence enferme dans de strictes limites
l’exercice de ce pouvoir de modification unilatérale. En d’autres termes, ce pouvoir
n’est pas illimité.

Sa généralité consiste en ce qu’il existe à l’égard de tous les contrats administratifs :


CE, 21 mars 1910, Cie Générale Française des tramway, GAJA, (arrêt de principe) ;
CE, 10 janvier 1902, Cie Nouvelle du Gaz de Deville-les Rouen, GAJA
369
C.E., 2 février 1983, Union des Transports Publics Urbains et Régions, RDP 1984
P.212 ;C.E, 6 mai 1985, Ricard, AJDA 1985, P.736

A la lumière de la jurisprudence le pouvoir de modification unilatérale constitue


« un élément de la théorie générale des contrats administratifs » mais le pouvoir de
modification unilatéral n’existe qu’à l’égard de certaines clauses du contrat. Seules
peuvent être modifiées unilatéralement, les clauses du contrat qui intéressent le
fonctionnement du service public et mettent ainsi en jeu ses besoins. En d’autre
terme les modifications doivent être justifiées par l’intérêt général. Ce pouvoir de
modification doit épargner les clauses du contrat définissent son objet et qui ne
peuvent être remise en cause que de façon bilatérale. C’est donc exclusivement sur
les conditions du service que les modifications peuvent être imposées par
l’administration à son cocontractant. De plus les clauses financières ne sauraient
être touchées en elles-mêmes. CE, 7 décembre 1973, Sloan, Réc. P. 705.

d - Le pouvoir de résilier le contrat dans l’intérêt du service


Il ne doit pas être confondu avec le pouvoir de résiliation-sanction. Il se fonde
sur le principe de mutabilité du service public. Le contrat a été conclu dans l’intérêt
du service. A un moment donné, il ne cadre plus avec cet intérêt qui est évolutif. Il
est légitime d’y mettre un terme. Le cocontractant recevra une indemnisation
adéquate pour le préjudice subi.

L’exercice de ce pouvoir n’équivaut donc pas à une sanction ; il peut


s’appliquer à tous les contrats administratifs contrairement à la résiliation-sanction -
Cf. supra.

e - Les obligations de l’administration contractante


La plupart des obligations de l’administration contractante font pendant aux
droits de son cocontractant - Cf. infra, les droits du cocontractant.

Les autres ne se distinguent guère des devoirs généraux de l’administration :

- obligation de respecter les stipulations contractuelles aussi longtemps


qu’elles n’auront pas été régulièrement modifiées (unilatéralement ou par accord),

370
- obligation d’user des prérogatives uniquement en vue de l’intérêt général,

- obligation d’agir dans le respect des formes et procédures prescrite

2 - Les droits et obligations du cocontractant de l'administration

Dans l’exécution du contrat, le cocontractant bénéficie de garanties qui sont de


deux ordres :

a. Le paiement du prix convenu

Il est soumis à deux principes :

- L’irrévocabilité du prix. Il signifie que l’administration ne peut révoquer le prix


convenu que si le contrat prévoit des clauses de révision.

- Le service fait : le cocontractant de l’administration n’a droit au paiement du prix


qu’après l’exécution du contrat. Toutefois, des dérogations sont faites à travers des
mécanismes d’avance et d’acompte.

b. Le droit à indemnité

Le cocontractant de l’administration peut avoir droit à des indemnités pour des


causes diverses liées à des incidents d’exécution. En cas de faute préjudiciable au
371
cocontractant et commise par la faute de l’administration, celle-ci peut voir engager
sa responsabilité dans les termes du droit commun.

c - Les obligations
Le cocontractant est tenu d'exécuter ses obligations contractuelles. Cette
exécution doit être:

- personnelle : la sous-traitance est subordonnée à l'agrément explicite ou


tacite de l'administration contractante,

- intégrale,

- effectuée dans les délais convenus.

Bien entendu, le cocontractant ne peut modifier (juridiquement) ses


prestations qu’avec l’accord de l’administration contractante (CAA de Lyon, 30 août
1995, Commune de Méribel-les-Allues).

Seuls événements pouvant libérer le cocontractant de ses obligations : la


force majeure ou le fait de l’administration rendant impossible l’exécution du
contrat.

372
373
B. L’influence des faits extérieurs (circonstances nouvelles) sur l’exécution du
contrat.

Durant l’exécution du contrat administratif, il peut survenir des faits nouveaux qui
empêchent ou simplement gênent cette exécution ou qui, d’une manière plus
générale, modifient les conditions d’exécution du contrat. Ces événements peuvent
être dus à des circonstances purement extérieures ou provenir du fait de
l’administration : il y a lieu de rechercher quelles sont les conséquences de ces faits
nouveaux à l’égard des obligations du cocontractant : dans quels cas ouvrent-ils à
son profit un droit à indemnisation ? Dans quels cas ces faits relèvent-ils le
cocontractant de son obligation d’exécuter ?

1. Les faits extérieurs donnant lieu à indemnisations administratives

L'équation financière et le fait du prince


Il s'agit de deux théories souvent confondues en doctrine, et, parfois, en
jurisprudence – La conception exposée ici est empruntée au Doyen Vedel. Leur
distinction se révèle significative et éclairante puisqu’elles désignent des réalités
différentes et reconnues comme telles – par delà les logomachies, les querelles de
mots.

Ces deux théories trouvent à s'appliquer lorsque l'événement qui aggrave les
charges du cocontractant est imputable à la personne publique contractante. Malgré
l’aggravation de ses charges, le cocontractant doit effectuer ses prestations :
continuité du service de l’intérêt général oblige. En contrepartie, il peut prétendre à
une indemnité.

a - L'équation financière

374
Définition : théorie permettant l’indemnisation du cocontractant lorsque
l'administration contractante, agissant en tant que partie au contrat, modifie
unilatéralement et directement les modalités d'exécution du contrat ou les
prestations du cocontractant.

Dans ce cas de figure, l'administration ne fait qu’user de son pouvoir de


modification unilatérale. Pouvoir qu'elle détient, de plein droit : il existe même s'il
n'est pas stipulé dans le contrat administratif – moyen juridique utilisé : un acte
administratif individuel - Cf. supra. Le cocontractant voit ses charges initiales
aggravées. Il a droit à une compensation, à une indemnisation intégrale versée par
l'administration contractante. Peu importe l'ampleur de l'aggravation des charges.

Exemple : Une commune (représentée par son maire) signe un contrat de


concession avec une société privée. En vertu de ce contrat, la société
concessionnaire a la charge d'organiser les transports publics en percevant des
redevances sur les usagers. Ultérieurement, le maire exige que la société
concessionnaire augmente le nombre des véhicules mis en service. Il s'agit d'un cas
d'équation financière et non du fait du prince parce que le maire visait directement
le contrat ; il a agi comme partie contractante. Si, par extraordinaire, cette mesure
qui visait directement le contrat était le fait de l'Etat (partie non contractante), on
écarterait la théorie de l'équation financière au profit de l'imprévision.

La théorie de l’équation financière a comme fondement l’idée que l’équilibre


financier du contrat initialement voulu par les parties doit être préservé ou rétabli,
parfois dans l’intérêt général.

Exemple : C.E., 20 mai 1994, Société LE GARDIENNAGE INDUSTRIEL DE LA


SEINE :

375
« Considérant, d'une part, que la société LE GARDIENNAGE INDUSTRIEL DE LA
SEINE ne pourrait fonder ses prétentions à être indemnisée de ses pertes
d'exploitation sur le fondement de l'équilibre financier des contrats de concession
que dans le cas où le SYNDICAT DES TRANSPORTS PARISIENS aurait unilatéralement
modifié lesdits contrats ;[…] »

Le Conseil d’Etat voit dans ce droit au maintien de l'équilibre financier du


contrat un principe d’équité qui ne saurait être valablement écarté par des
stipulations contractuelles :

L’administration contractante commettrait une faute si, après avoir rompu


unilatéralement cet équilibre, elle ne le rétablissait pas par le versement d’une
indemnité adéquate.

Exemple : C.E., 12 mars 1999, MERIBEL :

« Considérant que, par la délibération du 22 mai 1990, le conseil municipal de la


commune des Allues a émis le souhait que le "Centre Gacon" ne soit pas fermé
avant 1992, alors que les terrains correspondants devaient être remis à la société
concessionnaire au plus tard le 31 décembre 1989 ; qu'à la suite de cette
délibération et compte tenu de l'hostilité de la population de la commune au projet
de fermeture du "Centre Gacon", la commune a entendu modifier unilatéralement
le contrat de concession sur ce point ; que, saisie à plusieurs reprises et notamment
par la lettre susmentionnée du 21 août 1990, par la société concessionnaire afin de
voir l'équilibre financier du contrat rétabli, la commune a refusé de faire droit à ces
demandes ; que les fautes ainsi commises par la commune sont suffisamment
graves pour justifier la résiliation de la concession à ses torts ;[…] »

376
b. La théorie du fait du prince

En un sens large on appelle « fait du prince » toute mesure édictée par les pouvoirs
publics ayant pour conséquence de rendre plus difficile et onéreuse l’exécution du
contrat par le cocontractant (A de Laubadère, JC Venezia, Y. Gaudemet , Traité de
Droit Administratif p. 778 n° 1069)

Dans l’exécution du contrat administratif, les prérogatives de l’administration


contractante peuvent dans certaines hypothèses modifier les conditions d’exécution
du contrat et aggraver les obligations du cocontractant rompant ainsi l’équilibre des
charges et profits sur le but duquel il avait accepté de s’engager. L’exécution du
contrat est alors affecté par un « aléa administratif » (par opposition à l’idée « d’aléa
économique » que l’on rencontrera dans la théorie de l’imprévision)

Ces mesures revêtent d’ailleurs des caractères de nature diverse : elles peuvent
émaner de l’administration contractante ou d’une autre personne publique. Elles
peuvent consister en des mesures particulières ou dans des lois ou règlements. Ou
encore, ces mesures peuvent toucher directement l’objet du contrat ou avoir
seulement des répercussions indirectes sur lui.

La théorie du fait du principe consiste en ce que certaines de ses mesures dans


certaines conditions ouvrent au profit du cocontractant, à l’encontre de
l’administration avec laquelle il a contracté un droit à être couvert intégralement de
« l’aléa administratif » c'est-à-dire intégralement indemnisé des conséquences
onéreuses qui en ont résulté. Cette théorie ne s’applique pas à n’importe quel fait.

377
De plus toute mesure administrative ayant un effet perturbateur sur l’exécution du
contrat n’est pas nécessairement constitutive du fait du prince, d’où l’importance de
la délimitation du champ d’application de la théorie. Comme le souligne De
LAUBADERE (Traité P.779, n° 1070) « la notion jurisprudentielle du fait du prince est
complexe. Elle a évolué dans le sens d’un rétrécissement important. Ce
rétrécissement a consisté en ce que certaines situations englobées auparavant dans
la notion du fait du prince échappent maintenant à cette théorie pour relever de
celle de l’imprévision ». Poursuivant son analyse, il estime que cette transformation
est importante parce que le droit du cocontractant à indemnisation est différent
dans les deux théories sur deux points :

- d’une part alors que dans la notion du fait du prince, le droit à indemnité est
ouvert pour toute aggravation de la situation du cocontractant, dans la théorie de
l’imprévision, il faut que cette situation ait subi un véritable bouleversement.

- d’autre part, alors que le fait du prince donne droit à réparation intégrale,
l’imprévision ne provoque jamais qu’un partage des charges nouvelles.

Dans la délimitation du champ d’application de la notion du fait du prince on note


une divergence dans la doctrine administrative. Trois hypothèses sont à distinguer :

 La première hypothèse à considérer, est celle où la modification des


conditions de l’exécution du contrat a été décidée par l’administration contractante
agissant en tant que partie au contrat.

 La seconde hypothèse est celle où une autre personne publique que celle qui
est partie au contrat prend des mesures qui ont pour effet d’aggraver les conditions
d’exécution du contrat.

378
 La troisième hypothèse est celle ou la situation du cocontractant est aggravée
du fait d’une mesure prise par la personne publique contractante mais agissant en
une autre qualité que celle de partie au contrat.

Pour le Professeur LAUBADERE, ce sont seulement les mesures prises par l’autorité
contractante qui donnent lieu à la notion du fait du prince. Selon lui le type de ces
mesures est constitué dans le cas où l’administration impose à son cocontractant en
vertu de son pouvoir de modification unilatérale des obligations nouvelles. C’est
l’hypothèse où la notion de fait de prince joue à plein sans difficulté. C’est
également le point de vue de Jean RIVERO et Jean WALINE et de Jean François
LACHAUME.

Par contre pour le Professeur CHAPUS (Droit.Administratif Général p1105) la


première hypothèse est considérée comme ne relevant pas de cette théorie. Pour
lui, les deux autres hypothèses sont l’une et l’autre les véritables illustrations de la
théorie du fait du prince.

G. VEDEL et P. DELVOLVE (Droit Administratif) semblent limiter la théorie du fait du


prince à la 3ème hypothèse.

Ce point de vue est aussi partagé de Francis Paul Benoît (Le Droit Administratif
Français).

La théorie du fait prince s’applique lorsque l’administration aggrave indirectement la


situation du cocontractant par des mesures qui n’ont pas pour objet de toucher au
contrat lui-même, mais qui l’affectent par répercussion. La tendance de la
jurisprudence est de distinguer selon que les mesures prises frappent ou non
spécialement en fait le cocontractant. La prise en considération des effets de ces
mesures sur le cocontractant est déterminante.

Lorsqu’il s’agit de mesures à portée particulière, le cocontractant à droit à


indemnisation. En d’autres termes, si les effets des mesures sont limités au
cocontractant, il aura droit au rétablissement de l’équilibre financier du contrat.
379
Par contre, s’il s’agit de mesures à portée générale, le cocontractant ne peut en
principe prétendre à être indemnisé parce qu’il s’agit alors d’une charge atteignant
tous les citoyens. Dans cette dernière hypothèse, le cocontractant pourra peut-être
invoquer la théorie de l’imprévision mais non celle du prince.

Contrairement à l’opinion du professeur CHAPUS, la doctrine administrative estime


que la théorie du fait du prince est inapplicable si la mesure émane d’une personne
publique autre que celle qui a contracté. Dans cette dernière hypothèse, le
cocontractant pourra peut être invoquer la théorie de l’imprévision (si les conditions
de cette notion sont par ailleurs réunies) mais non celle du fait du prince. CE 4 mars
1949 ville de Toulon. CE 15 juillet 1949 Ville d’ELBEUF.

Le fait du prince entraîne l’obligation pour l’administration contractante


d’indemniser intégralement son cocontractant pour le préjudice subi. Le principe de
l’indemnisation intégrale est essentiel. Le cocontractant est couvert de la totalité de
l’ « aléa administratif » sauf dans les cas où une indemnisation forfaitaire a été
prévue dans le contrat.

Le fait du prince

Définition : théorie permettant l’indemnisation du cocontractant lorsque


l'administration contractante, bien qu’elle n’agisse pas en tant que partie au

380
contrat, modifie unilatéralement et indirectement les modalités d'exécution du
contrat ou les prestations du cocontractant.

L'administration intervient non en sa qualité de partie mais en tant que


puissance publique (d’où Prince), sur le fondement de ses compétences générales,
au moyen, en principe, d’un acte réglementaire (une des différences avec la
modification unilatérale directe – Cf. supra l’étude de ce pouvoir). Elle peut
intervenir, par exemple, sur le fondement de ses compétences de police.

Exemple : Une commune (représentée par son maire) signe un contrat de


concession avec une société privée. En vertu de ce contrat, la société
concessionnaire a la charge d'organiser les transports publics en percevant des
redevances sur les usagers. Ultérieurement, le maire institue pléthore de voies à
sens uniques s'imposant à tous les véhicules. Les charges du concessionnaire seront
aggravées. Il s'agit du fait du prince, et non d'un cas d'équation financière, parce que
le maire ne visait pas directement le contrat ; il a agi comme autorité de police. Si,
par extraordinaire, ces mesures de police qui ne visaient pas directement le contrat
étaient le fait de l'Etat (partie non contractante), on écarterait la théorie du fait du
prince au profit de l'imprévision.

La jurisprudence subordonne l’indemnisation à deux conditions :

- la mesure doit avoir porté atteinte à l'objet même du contrat,

- la mesure devait être imprévisible à la date de la signature du contrat.

La théorie du fait du prince se fonde

1 - sur la continuité du service de l’intérêt général et du service public : le


cocontractant sert, directement ou indirectement, le service public. S’il n’était plus à
381
même d’exécuter ses obligations, le fonctionnement du service public pourrait être
entravé, le service de l’intérêt général compromis ;

2 - sur l'idée d'équilibre financier (Cf. supra l’équation financière).

L’action en indemnité du cocontractant pour fait du prince (ou dans le cadre


de l’équation financière) se situe sur le terrain de la responsabilité contractuelle et
non sur celui de la responsabilité quasi-délictuelle.

Illustration : CAA de Paris, 23 juillet 1991, Société COFIROUTE, arrêt précité :

« Sur la responsabilité pour faute :

Considérant que la société COFIROUTE, liée à l'Etat par un contrat de


concession, ne peut utilement invoquer la responsabilité quasi-délictuelle qui
découlerait de l'illégalité fautive des mesures d'application du contrôle des prix
prises à l'égard de la société ; que dès lors, la société COFIROUTE n'est pas fondée à
se plaindre que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Paris a
considéré que la responsabilité pour faute de l'Etat ne pouvait être engagée à son
égard ; […] »

D’une manière générale :

« lorsqu'une faute ayant le caractère d'une faute quasi-délictuelle a un lien


avec un contrat, la responsabilité délictuelle est absorbée par la responsabilité
contractuelle » - CA.A. de Paris, 22 avril 2004, Société Bouygues et autres.

c - L'imprévision et les sujétions imprévues


Elles se fondent sur la nécessité d’assurer la continuité du service de l’intérêt
général, et, directement ou indirectement, celle du service public. Elles trouvent à
s'appliquer lorsque l'événement qui aggrave les charges du cocontractant n'est pas
imputable à la personne publique contractante.

382
►La théorie de l’imprévision

Conditions générales

Au cours de l’exécution d’un contrat, il peut arriver que des évènements


indépendants de la volonté du cocontractant, anormaux et imprévisibles viennent
rendre l’exécution du contrat onéreuse, du moins accroître dans des proportions
massives, les charges du cocontractant et troubler ainsi profondément l’économie
du contrat.

L’hypothèse de l’imprévision crée au sein même de l’exécution du contrat une


situation « extracontractuelle », c'est-à-dire sortant des prévisions des parties et ne
pouvant être résolues sur la base même de leur convention.

La notion de l’imprévision est née de la préoccupation de satisfaire les exigences de


continuité du service public spécialement dans l’hypothèse du bouleversement de
l’économie des contrats de concession de service public. Mais la notion de
l’imprévision a vocation à s’appliquer à tous les autres contrats à longue période
d’exécution tels que les grands marchés de travaux publics ou de fournitures dont la
bonne exécution est nécessaire au fonctionnement continu des services publics.

Les principes de l’imprévision ont été dégagés par deux décisions complémentaires :
C.E., 30 mars 1916, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux (Rec. p.125) - ou
arrêt Gaz de Bordeaux ; C.E. Ass., 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de
Cherbourg (Rec. p. 1050).

Définition : théorie permettant d’obliger l'administration contractante à aider


financièrement son cocontractant lorsqu'un événement imprévisible, anormal et
indépendant de la volonté des parties bouleverse l'économie du contrat.

383
Elle a pour justification la nécessité d’assurer la continuité du service de
l’intérêt général, et, directement ou indirectement, celle du service public :

« Considérant que, au cas où des circonstances imprévisibles ont eu pour effet


de bouleverser le contrat, il appartient au concédant de prendre les mesures
nécessaires pour que le concessionnaire puisse assurer la marche du service public
dont il a la charge […] » C.E. Ass., 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de
Cherbourg.

Conditions d’application de la théorie

La jurisprudence a défini les conditions d’application de l’imprévision.

Illustration : CAA de Douai, 27 mars 2001 SA Société Française


d'Assainissement et de Services : « […] que, par suite, la SA société française
d'assainissement et de services n'établit pas l'existence d'un déficit d'exploitation
qui soit la conséquence directe d'un événement imprévisible indépendant de
l'action des contractants ayant entraîné un bouleversement de l'économie du
contrat ; qu'elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers
juges ont rejeté ses conclusions tendant à l'allocation d'une indemnité au titre de
l'imprévision ; […] »

Les conditions d’application de l’imprévision sont donc au nombre de trois :

Pour que joue la notion de l’imprévision, il faut que les évènements qui la
provoquent, aient un caractère anormal et imprévisible, soient indépendants de la
volonté du cocontractant et enfin entraînent un bouleversement de l’économie du
contrat.
384
► L’évènement invoqué pour faire jouer la notion de l’imprévision doit être
anormal et imprévisible.

Dans l’exécution de tout marché à longue durée, il existe des aléas. Mais il faut
distinguer les aléas ordinaires, lesquels font partie des risques que le cocontractant
est censé avoir accepté de courir, et les aléas extraordinaires qui seuls donnent lieu
à imprévision. L’aléa extraordinaire est « l’évènement déjouant tous les calculs que
les parties ont pu faire au moment du contrat » (Conclusions CORNEILLE, CE 3
décembre 1920, FROMASSOL.)

Ainsi les variations de prix provenant des fluctuations économiques courantes en


régime capitaliste sont des aléas ordinaires. Au contraire, elles peuvent devenir des
aléas extraordinaires lorsqu’elles proviennent d’évènements anormaux,
exceptionnels et par ailleurs n’ont pu entrer dans les prévisions des parties au
moment du contrat : les guerres, les dépréciations monétaires, les crises
économiques constituent des exemples-types d’évènements pouvant donner lieu à
imprévision.

CE. 25 nouv. 1921 Cie des Automobiles Postales ; 30 novembre 1938, Société de
Centre Electronique.

►L’évènement invoqué doit avoir été indépendant de la volonté du cocontractant.


Et s’il est imputable à l’administration, c’est la théorie du fait du prince entraînant
une indemnisation intégrale qui en principe s’appliquera et non celle de
l’imprévision.

►L’évènement invoqué doit aboutir à un véritable bouleversement de l’Economie


générale du contrat.

385
En d’autres termes, l’évènement doit avoir entraîné dans l’exécution du contrat une
perturbation suffisamment profonde pour faire apparaître ce que la jurisprudence
appelle une « situation extracontractuelle ». L’imprévision suppose un déficit subit
par le cocontractant. La simple diminution ou disparition du profit ne suffit jamais à
la faire jouer. L’évènement doit aggraver les charges du cocontractant dans une
mesure telle qu’une situation extracontractuelle se trouve créée. Il faut donc que
l’évènement engendre un déficit important et persistant qui dépasse l’aléa normal
et qui sortant ainsi des prévisions du cocontractant, on entre dans une situation
extracontractuelle pendant laquelle les techniques prévues par le contrat,
notamment en matière d’augmentation de prix, ne permettent plus
momentanément d’assurer l’équilibre financier du contrat.

Les effets de la théorie

L’état d’imprévision laisse subsister à la charge du cocontractant son obligation


d’exécution mais ouvre à son profit un droit à compensation financière. L’état
d’imprévision ne libère le cocontractant d’aucune de ses obligations. Le
cocontractant à droit à une compensation dite indemnité d’imprévision. Celle-ci
doit tenir compte uniquement des pertes subies c'est-à-dire des déficits subits par
les charges extracontractuelles. L’indemnité d’imprévision ne couvre pas la totalité
du préjudice subi par le cocontractant.

L’esprit de la notion de l’imprévision est que l’aide apportée au cocontractant est


destinée à lui permettre de faire face à des difficultés temporaires. Si le retour à la
normale ne se produit pas au terme d’un délai raisonnable, l’administration
contractuelle ne saurait continuer à prendre en charges les dépenses du
cocontractant. Aussi, à défaut d’accord amiable avec le cocontractant pour
l’adaptation du contrat à une situation qui apparaît comme permanente,
l’Administration est en droit d’obtenir du juge (que le cocontractant peut saisir aux
mêmes fins), le prononcé de la résiliation de ce contrat qui a cessé d’être viable.

La théorie de l'imprévision s'applique à des situations temporaires. Si le


déficit devient permanent et définitif, les difficultés sont assimilées à la force
386
majeure. Chacune des parties peut, alors, demander au juge la résiliation du contrat
: C.E., Ass., 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg :

« Considérant que, au cas où des circonstances imprévisibles ont eu pour effet


de bouleverser le contrat, il appartient au concédant de prendre les mesures
nécessaires pour que le concessionnaire puisse assurer la marche du service public
dont il a la charge, et notamment de lui fournir une aide financière pour pourvoir
aux dépenses extracontractuelles afférentes à la période d'imprévision, mais que
cette obligation ne peut lui incomber que si le bouleversement du contrat présente
un caractère temporaire ; que, au contraire, dans le cas où les conditions
économiques nouvelles ont créé une situation définitive qui ne permet plus au
concessionnaire d'équilibrer ses dépenses avec les ressources dont il dispose, le
concédant ne saurait être tenu d'assurer aux frais des contribuables, et
contrairement aux prévisions essentielles du contrat, le fonctionnement d'un service
qui a cessé d'être viable ; que, dans cette hypothèse, la situation nouvelle ainsi
créée constitue un cas de force majeure et autorise à ce titre aussi bien le
concessionnaire que le concédant, à défaut d'un accord amiable sur une orientation
nouvelle à donner à l'exploitation, à demander au juge la résiliation de la
concession, avec indemnité s'il y a lieu, et en tenant compte tant des stipulations du
contrat que de toutes les circonstances de l'affaire ; […]»

Pour une application récente, voir C.E., 4 juin 2000, Commune de


Staffelfelden ; C.J.E.G. n° 571, p.476.

A noter qu’une indemnité d’imprévision « peut être accordée même si le


contrat a pris fin » - C.E., Sect., 12 mars 1976, Département des Hautes-Pyrénées c/
Société Sufilia, Rec. p. 153. Explication étonnante donnée dans cette affaire par le
commissaire du gouvernement Labetoulle : c’est encore honorer le principe de
continuité que « de dire au cocontractant que pour tout moment de son contrat,
l’obligation qui pèse sur lui d’assurer cette continuité est virtuellement porteuse, le
cas échéant, d’une compensation financière ».

387
Exemple d'application de la théorie de l'imprévision : A (une commune, donc
personne publique) conclut un contrat C avec B (personne privée). E (l'Etat) prend
des mesures juridiques qui répondent aux critères présentés plus haut. La théorie de
l'imprévision s'appliquera au contrat C. Si ces mesures juridiques étaient le fait de A,
on écarterait la théorie de l'imprévision au profit soit du fait du prince, soit de
l'équation financière.

La théorie de l'imprévision est en perte de vitesse en raison de la prévoyance


des parties qui insèrent souvent dans les contrats des clauses de révision ou de
variation des prix.

► La théorie des sujétions imprévues


Elle a pour justification la nécessité d’assurer, directement ou indirectement,
la continuité du service de l’intérêt général et du service public.

Elle est propre aux marchés de travaux publics.

Elle s'applique en cas de difficulté d'ordre matériel que les parties ne


pouvaient prévoir. Difficulté aggravant anormalement les charges de l'entrepreneur
- roche particulièrement dure, nappe d’eau inattendue. L’indemnisation est
intégrale.

Conditions : « pour ouvrir droit à réparation les sujétions imprévues doivent


présenter un caractère exceptionnel et imprévisible » à la date de la signature du
contrat - CAA de Paris, 20 juin 1991, Société "AQUITECH".

N.B. : les sujétions imprévues procèdent d’une responsabilité


extracontractuelle.
388
Illustration : « Considérant qu'en première instance la requérante n'a
invoqué que le fondement de la responsabilité extracontractuelle à raison des
sujétions imprévues auxquelles elle s'est estimée confrontée ; qu'elle prétend faire
valoir en outre en appel que la responsabilité des intimés est engagée tant à raison
de fautes contractuelles du maître de l'ouvrage tenant au défaut de souscription
d'une police d'assurance appropriée que du fait du prince qui lui serait en l'espèce
imputable ; qu'en ce qui concerne le premier de ces fondements ses prétentions
sont fondées sur une cause juridique distincte et constituent ainsi une demande
nouvelle comme telle irrecevable en appel;[…] » - CAA de Paris, 20 juin 1991, Société
"AQUITECH".

2. Faits extérieurs dégageant les contractants de leurs obligations : la force


majeure

C’est un évènement extérieur indépendant de la volonté des contractants et


empêchant l’exécution du contrat. Lorsqu’un tel évènement se produit, il a pour
effet de libérer le cocontractant de son obligation. Pour que la force majeure
entraîne des conséquences, il faut que soient réunies trois conditions :

1. le fait invoqué doit avoir été absolument indépendant de la volonté du


cocontractant ;

2. le fait invoqué doit avoir été imprévu et imprévisible ;

3. le fait invoqué doit avoir rendu radicalement impossible l’exécution du contrat. Le


cocontractant n’est pas libéré par de simples difficultés mais par une impossibilité
insurmontable. CE 09 octobre 1974, Maler, RDP 1975 p.305.

389
La force majeure a pour effet de libérer le cocontractant de son obligation
d’exécuter. Il en résulte d’une part qu’elle est pour lui une cause d’exonération de
sa responsabilité contractuelle et prive l’administration du droit d’appliquer des
sanctions pour inexécution ; d’autre part qu’elle permet au cocontractant de
demander au juge la résiliation du contrat. La force majeure ne produit ses effets
que pendant le temps où elle se manifeste. Si elle vient à prendre fin, l’obligation
réparait.

CHAPITRE II : LES CONTRATS ADMINISTRATIFS

L’Administration concurremment avec le procédé de l’acte unilatéral, utilise le


procédé contractuel dans lequel une situation juridique nouvelle est créée par
l’accord des volontés. L’Administration utilise le procédé contractuel de deux (02)
manières :

 Dans un certain nombre de cas, les contrats dont il s’agit ne se distinguent pas
des conventions que les particuliers passent entre eux telles qu’elles sont
définies par le Code Civil. Aussi, ces contrats sont- ils alors soumis au régime
juridique de droit privé.

 Dans la plupart des hypothèses, l’administration peut aussi passer des actes bien
que de nature contractuelle puisqu’ils reposent sur l’accord de deux volontés,
n’en sont pas moins soumis à des règles différentes de celles qui régissent les
contrats ordinaires et relèvent pour leur contentieux de la juridiction
administrative. Ils forment dans la masse des contrats de l’administration la
390
catégorie particulière des contrats administratifs. Il est indispensable de bien
individualiser ces contrats administratifs car leur régime juridique est largement
très dérogatoire par rapport à celui des contrats de droit privé.

Il est indispensable de se demander en présence d’un contrat conclu par


l’administration si l’on se trouve en présence d’un contrat administratif proprement
dit ou d’un contrat de droit commun. D’où la question :

A quels signes reconnaît-on qu’un contrat est administratif ? La question ne se pose


pas toujours. Certains contrats de l’administration sont toujours administratifs du fait
de la détermination de la loi : Ce sont les contrats administratifs par
détermination de la loi

C’est l’hypothèse la plus simple. En conséquence de dispositions législatives,


certains contrats conclus par l’administration sont toujours considérés comme des
contrats administratifs. Le législateur peut intervenir de deux manières :

1 - soit il qualifie un contrat de contrat administratif - qualification directe,


hypothèse rarement réalisée ;

2 - soit il confie le contentieux d’un contrat aux juridictions administratives -


qualification indirecte, hypothèse plus fréquente.

L’une et l’autre qualification ne produisent des effets juridiques que parce


qu’elles émanent du législateur.

Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de contrats administratifs par détermination


de la loi.

Cette détermination résulte de ce que la loi prévoit pour le contentieux de ces


contrats, la compétence des juridictions administratives.

Par exemple en France, on peut citer les exemples suivants :

391
Exemple de qualification directe :

Aux termes de l’article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, « les


marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de
contrats administratifs. »

Le législateur a entendu

1 - mettre un terme à la catégorie des "marchés publics de droit privé" (des


contrats passés selon les dispositions du Code des marchés publics mais considérés
comme des contrats de droit privé par le Tribunal des conflits et par la Cour de
cassation) ;

2 - et unifier le contentieux des marchés publics au profit des juridictions


administratives.

Exemples de qualification indirecte :

1 - Les contrats de vente d’immeubles du domaine privé de l’État. La loi


du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) attribue leur contentieux aux juridictions
administratives. Le but recherché est de rassurer les acquéreurs de biens confisqués
pendant la Révolution. En effet, le juge administratif, contrairement au juge
judiciaire, est présumé peu favorable aux anciens propriétaires. Cette loi est
strictement interprétée : il s’agit de la vente et non de l’achat ou de l’échange.

2 - Les marchés de travaux publics. Certains auteurs les considèrent


comme des contrats administratifs par leur objet. Il n’en demeure pas moins vrai
que c’est la loi qui confie leur contentieux aux juridictions administratives - loi du 28
pluviôse an VIII (17 février 1800) ; cf. aussi loi du 11 décembre 2001.

C’est ce que précise le Tribunal des conflits tout en rappelant la


définition des travaux publics :
392
« Considérant que le contrat passé par la COMMUNE DE
VILLENEUVE D'ASCQ avec la société Demars avait pour objet
l'entretien et la réparation des installations de chauffage de
groupes scolaires appartenant à la commune, en vue notamment
de prévenir les risques d'incendie ; qu'un tel contrat qui emportait
la réalisation de travaux sur des immeubles, pour le compte
d'une personne publique et dans un intérêt général, a le caractère
d'un marché de travaux publics ; que, dès lors, en vertu de l'article
4 de la loi du 28 pluviôse an VIII, les litiges auxquels il peut donner
lieu relèvent de la juridiction de l'ordre administratif ; […]» - T.C., 7
juin 1999, COMMUNE DE VILLENEUVE D'ASCQ

Malgré la loi n° 2001-1168 précitée du 11 décembre 2001, la loi du 28


pluviôse an VIII conserve toute son actualité, notamment pour les contrats qui
sont les accessoires de marchés de travaux publics.

3 - Les contrats comportant occupation du domaine public - décret du


17 juin 1938 pris sur le fondement de la loi du 13 avril 1938 (repris à l’article L 84 du
code du domaine de l'Etat) – T.C., 12 décembre 2005, ASSOCIATION SPORTIVE DE
KARTING SEMUROIS.

Dans le droit burkinabé on peut citer l’ancien décret n°70/202 PRES du 5 septembre
1970 portant réglementation des marchés administratifs. Aux termes de l’article 18
de ce décret « les marchés publics sont des contrats administratifs relatifs aux
travaux, fournitures ou services conclus / l’Etat, les collectivités publiques
territoriales ou les établissements publics à l’exclusion des concessions. » (abrogé
par décret du 04 mars 1996 portant réglementation générale des marchés publics ;
ce décret fut abrogé à son tour par le décret du 27 Mai 2003 portant règlementation
générale des achats publics)

Aujourd’hui, le décret n°2008-173/PRES/PM/MEF du 16 avril 2008 portant


réglementation générale des marchés publics et des délégations de services publics
stipule à son article 1er alinéa 22 que les marchés publics sont « des contrats
393
administratifs écrits conclus à titre onéreux par une Autorité contractante visée
aux articles 5 et 6 du présent décret avec des entités privées ou publiques pour
répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ».

A l’inverse, il existe des contrats qui sont toujours considérés comme des
contrats de droit privé soit en application de la loi, soit en application de la
jurisprudence.

C'est ainsi que le législateur a attribué le contentieux de certains contrats aux


juridictions judiciaires.

Ce sont des contrats de droit privé par détermination de la loi.

Exemples :

* Les contrats d’affermage des taxes communales - loi du 17 mai 1809,

* Les contrats relatifs à l’ordinaire des corps de troupes - loi du 22 avril


1905.

De son côté, le juge estime que certains contrats sont nécessairement des
contrats de droit privé.
Exemple : les contrats conclus entre les services publics à caractère industriel
et commercial et leurs usagers en vue de fournir à ces derniers des prestations de
service. Ces contrats ne sont jamais des contrats administratifs même s'ils remplissent
les critères jurisprudentiels permettant de qualifier un contrat de contrat administratif.
En dehors de ces cas, il convient d’appliquer les critères dégagés par la
jurisprudence.

(Voir dans le lexique, la notion d’exception : exceptio firmat regulam…)

394
En dehors de ces cas, il convient d’appliquer les critères dégagés par la
jurisprudence.

Si on met à part les hypothèses où le caractère d’un contrat, résulte de la loi


généralement. D’ailleurs par attribution de son contentieux à la juridiction
administrative, c’est à partir de critères jurisprudentiels que ce caractère est
recherché.

Le caractère administratif d’un contrat ne résulte

1 - ni de la qualification de contrat administratif donnée à ce contrat par les parties -


qualification directe (Il ne suffit pas que les parties disent "Notre contrat est administratif" pour que le
contrat soit effectivement un contrat administratif),

2 - ni de la décision prise par les parties de soumettre les litiges relatifs à ce contrat au juge
administratif - qualification indirecte.

Les qualifications (directes ou indirectes) effectuées par les parties n’ont pas d’effets juridiques
sur la nature du contrat.

Le caractère administratif d’un contrat est établi objectivement. Il résulte de la loi ou des critères
jurisprudentiels. Si les parties souhaitent conclure un contrat administratif, elles doivent se conformer
aux critères législatifs ou jurisprudentiels.

395
396
Section 1 : Les critères du contrat administratif

Ces critères mettent en œuvre deux éléments : un élément organique et un élément


alternatif ou matériel.

§. 1. L’élément organique

L’exigence d’un élément organique doit être comprise de la façon suivante : il n’y a
pas de contrats administratifs sauf exception si l’une des parties au moins ne
possèdent pas la qualité de personne morale de droit public.

A. La nécessité de la participation au contrat d’une personne morale de droit public

1 - La condition invariablement exigée (Présence ou représentation d’une personne


publique)

Un contrat ne peut être un contrat administratif que si au moins une


personne publique y est partie - État, collectivité territoriale, établissement public,
etc.

Du reste, selon la jurisprudence, "un contrat conclu entre deux personnes


publiques revêt un caractère administratif, sauf dans le cas où, eu égard à son objet,
il ne ferait naître entre les parties que des rapports de droit privé" - T.C., 21 mars

397
1983, Union des Assurances de Paris - Leb. p. 537, AJDA 1983, p. 356, concl. Daniel
Labetoulle et, moins ancien, T.C., 15 novembre 1999, Commune de Bourisp.

Ainsi donc, un contrat conclu entre deux personnes publiques est présumé
administratif ; grande est la probabilité qu’il s’agisse d’un contrat administratif. Mais
c’est une présomption simple. Le contrat n’est effectivement administratif que s’il
satisfait aux autres critères jurisprudentiels.

Exemples :

- T.C., 7 octobre 1991, CROUS de l’académie de Nancy-Metz : contrat conclu


entre deux personnes publiques et jugé administratif - service public oblige ;

- C.E., 11 mai 1990, Bureau d’aide sociale de Blénod-lès-Pont-à-Mousson :


contrat conclu entre deux personnes publiques et considéré comme un contrat de
droit privé.

Un contrat conclu entre deux personnes publiques peut donc être soit un
contrat administratif soit un contrat de droit privé.

A l’inverse, un contrat conclu entre deux personnes privées ne peut être un


contrat administratif même si l’une de ces personnes gère un service public - C.E.,
13 décembre 1963, Syndicat des praticiens de l’art dentaire.

L’élément organique est normalement à lui seul satisfaisant. pour qu’un contrat soit
qualifié d’administratif, lorsqu’il est conclu entre deux personnes publiques,
puisqu’un tel contrat « revêt en principe un caractère administratif sauf dans les cas
où eu égard à son objet il ne fait naître entre les parties que des rapports de droit
privé » (Trib. Conf, 21 mars 1983, U.A.P, R, p537.). L’élément organique n’est pas à
lui seul satisfaisant lorsque le contrat est conclu entre une personne publique et une
personne privée et il doit être normalement complété par un critère alternatif

398
(matériel). Un contrat ne peut être administratif que si l’une des parties au moins
est une personne morale de droit public.

Pourtant, il arrive que le juge administratif qualifie de contrat administratif un


contrat intervenu entre deux personnes privées.

Comment expliquer une telle contradiction ?

En réalité, il n’y a pas de contradiction. Ce qui est exigé, c’est qu’une personne
publique soit partie au contrat. Mais cette condition peut être remplie de deux (02)
manières.

B. Les exceptions

La présence nécessaire d’une personne publique au moins comme partie à un


contrat, pour que celui-ci puisse présenter un caractère administratif, constitue un
principe qui comporte quelques exceptions.

Toutefois des personnes morales de droit privé peuvent être assimilées à


l’administration dans certaines hypothèses.

Une personne publique conclut directement un contrat avec une personne privée
ou avec une autre personne publique. Mais, parfois, au lieu participer directement à
la conclusion du contrat, la personne publique peut se faire représenter par une
personne privée. Cette représentation revêt la forme du mandat ou de l’action pour
le compte de…

399
1. Le mandat donné par une personne publique

En l’absence de participation au contrat d’une personne morale de droit public, la


jurisprudence .peut avoir recours à la théorie du mandat. Il est satisfait à la
condition organique lorsque dans un contrat conclu entre des personnes privées,
l’une au moins agit comme mandataire d’une personne publique, c'est-à-dire en son
nom et pour son compte. CE, 18 juin 1976, Culard, R, P319.

Encore faut-il que le contrat satisfasse par ailleurs à la condition alternative.

La personne publique ne conclut pas directement le contrat. Elle mandate à cet effet
une personne privée. Selon l’article 1984 du code civil, “ le mandat ou procuration
est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque
chose pour le mandant et en son nom. ”

La personne publique - le mandant - donne mandat à une personne privée - le


mandataire - pour conclure un contrat au nom et pour le compte de la personne
publique.

Exemple : A et B sont des personnes privées. A et B concluent un contrat.


Normalement, ce contrat est un contrat de droit privé, car il est intervenu entre
deux personnes privées. Mais il peut avoir un caractère administratif

- si A ou B a agi comme mandataire d’une personne publique,

- et si le contrat satisfait aux autres critères jurisprudentiels.

En apparence, un tel contrat intervient entre deux personnes privées ; en


réalité, il met en relation une personne publique et une personne privée. Une
personne publique est bien partie à ce contrat. Donc, il n’y a pas atteinte au principe
selon lequel un contrat ne peut être administratif si une personne publique n’y est
pas partie - Cf. C.E., 30 janvier 1931, Société Brossette ; C.E. 2 juin 1961, Leduc.

400
2. L’action pour le compte d’une personne publique

Cette formule étrange illustre une situation qui rappelle le mandat mais qui en
diffère.

Bien sûr, lorsque l’on est le mandataire d’une personne on agit pour le
compte de cette personne.

Mais le juge admet que l’on puisse agir pour le compte d’une personne sans
être son mandataire, ni explicitement ni implicitement.

Exemple : A et B sont des personnes privées. A et B concluent un contrat. Ni A


ni B ne sont mandataires d’une personne publique. Normalement ce contrat n’est
pas un contrat administratif, mais un contrat de droit privé. Pourtant, le juge
considère

- que l’une des parties a agi pour le compte d’une personne publique,

- et que le contrat satisfait aux autres critères jurisprudentiels.

En conséquence, il qualifie le contrat de contrat administratif.

Dans quelle hypothèse, une personne privée, même en l’absence de mandat,


est-elle réputée agir pour le compte d’une personne publique ? Que signifie l’action
pour le compte de...?

Arrêt de principe : T.C., 8 juillet 1963, Entreprise Peyrot contre Société de


l’autoroute Esterel-Côte-d’Azur.

Faits et solution de l’espèce :

La loi du 18 avril 1955 pose deux principes :


401
- en principe, c’est l’État qui construit et exploite les autoroutes,

- en principe, l’usage des autoroutes est gratuit.

Mais l’article 4 de la loi précitée permet de déroger à ces deux principes :

- à titre exceptionnel, la construction et l’exploitation d’une autoroute


peuvent être concédées, confiées à une société d’économie mixte. Une société
d’économie mixte est une société à capitaux publics et privés ; il s’agit d’une
personne morale de droit privé.

- dans ce cas, l’usage de l’autoroute n’est pas gratuit. Le concessionnaire est


autorisé à percevoir des péages pour assurer l’intérêt et l’amortissement des
capitaux investis par lui.

La Société de l’autoroute Esterel-Côte-d’Azur - société d’économie mixte,


donc personne privée - a conclu avec l’État - personne publique, naturellement - un
contrat de concession - contrat A. En vertu de ce premier contrat, elle construit et
exploite l’autoroute du Soleil. Il s’agit de concession de travaux publics, donc le
contrat A est un contrat administratif - Cf. loi du 28 pluviôse an VIII.

Ultérieurement, la Société de l’autoroute Esterel-Côte-d’Azur passe un


deuxième contrat - Contrat B - avec l’entreprise Peyrot, personne privée. Ce contrat
B associe l’entreprise Peyrot à la construction de l’autoroute.

Un litige éclate entre les deux entreprises de droit privé au sujet de


l’exécution du contrat B. Devant quelle juridiction ce litige doit-il être porté ? Quelle
est la nature de ce contrat B : contrat administratif ou contrat de droit privé ? Le
Tribunal des conflits se trouve saisi de la question.

Réponse du Tribunal des conflits : “ La construction de routes nationales ou


d’autoroutes a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l’État ; les
contrats passés en vue de cette construction sont soumis aux règles du droit
public ”. La Société de l’autoroute Esterel-Côte-d’Azur est liée à l’État par le contrat
A. Ce contrat A la charge de construire une autoroute pour le compte de l’État. Le
contrat B a été également passé en vue de la construction de l’autoroute ; de ce fait,

402
il profite à l’État. Par conséquent, en signant le contrat B avec l’entreprise Peyrot, la
Société de l’autoroute Esterel-Côte-d’Azur a, implicitement, agi pour le compte de
l’État.

Ainsi, même en l’absence de mandat, une personne privée peut être réputée
agir pour le compte d’une personne publique - Cf. aussi TA Lyon 1er octobre 1996,
M. Loridant. Cette solution a été d’abord limitée aux contrats conclus pour la
construction d’autoroutes ; puis, elle a été étendue, notamment,

1 - à des contrats conclus pour l’aménagement du territoire : C.E., Sect., 30


mai 1975, Société d’Équipement de la région montpelliéraine ;

2 - à des contrats relatifs aux centrales nucléaires : T.C., 10 mai 1993, Société
Wanner Isofi Isolation et Société Nersa (Ont été jugés administratifs les contrats
passés par la Société Nersa, personne privée, en vue de la construction de la
centrale nucléaire de Creys-Malville ; la société Nersa a agi pour le compte d’EDF,
personne publique) ;

3 - à certains contrats conclus par le Crédit foncier de France - C.E., Sect., 18


juin 1976, Dame Culard.

Malgré tout, le domaine d’application de la formule "action pour le compte


de…" reste limité.

Rappel

En droit burkinabè, la formule "action pour le compte de…" ne peut être


rapprochée de celle adoptée par le juge administratif français.

403
Article 1 alinéa 4 : Autorité contractante : la personne morale de droit public ou de
droit privé à savoir, l’Etat, les établissements publics de l’Etat, les collectivités
territoriales, les sociétés d’Etat, les sociétés à participation publique majoritaire, les
organismes de droit public, les personnes privées agissant en vertu d’un mandat au
nom et pour le compte d’une personne publique, signataire d’un marché public ou
d’une délégation de service public.

Article 6 : Les dispositions du présent décret s’appliquent également :

- aux marchés et délégations de service public passés par les personnes


morales de droit privé agissant pour le compte de l’Etat, d’une collectivité
territoriale, d’une personne morale de droit public, d’une société d’Etat, d’une
société à participation financière publique majoritaire, d’un organisme de droit
public ou d’une association formée par une ou plusieurs de ces personnes morales
de droit public ;

- aux marchés et délégations de service public passés par des personnes


de droit privé, ou des sociétés d’économie mixte, lorsque ces marchés bénéficient
du concours financier et/ou de la garantie de l’Etat ou d’une des personnes morales
de droit public mentionnées à l’article 5 du présent décret.

L’hypothèse visée à l’alinéa 4 de l’article 1er fait penser au mandat civil alors que la
formule utilisée par le juge français ne se situe pas dans cette perspective. La
représentation des personnes publiques revêtant la forme de ¨l’action pour le
compte de…¨ n’a pas également la même portée en France et au Burkina.

total, pour qu’un contrat revête un caractère administratif, il faut qu’une


personne publique y soit partie. Elle doit y être présente directement ou
indirectement - représentée. La représentation prend la forme du mandat ou de
l’action pour le compte de ...

404
La présence d’une personne publique est une condition sine quoi non, une
condition invariablement exigée.

Cette condition est nécessaire mais non suffisant

Rappel

L’exigence organique n’a pas la même portée en droit burkinabè

CHAPITRE I : DU DOMAINE D’APPLICATION DU DROIT DES MARCHES PUBLICS


ET DES DELEGATIONS DE SERVICE PUBLIC

Section 1 : Des Autorités contractantes

Article 5 : Les dispositions du présent décret s’appliquent aux marchés publics et


délégations de service public conclus par l’Etat, les collectivités territoriales, les
établissements publics, les agences et personnes morales assimilées à la qualité
405
d’organisme de droit public telle que définie à l’article 1er point 32, bénéficiant
notamment du concours financier ou de la garantie de l’Etat, les sociétés d’Etat, les
sociétés à participation financière publique majoritaire et les associations formées
par une ou plusieurs de ces personnes morales de droit public.

L’Assemblée législative et les missions diplomatiques et consulaires du Burkina Faso


à l’étranger sont également soumises aux dispositions du présent décret.

Article 6 : Les dispositions du présent décret s’appliquent également :

- aux marchés et délégations de service public passés par les personnes


morales de droit privé agissant pour le compte de l’Etat, d’une collectivité territoriale,
d’une personne morale de droit public, d’une société d’Etat, d’une société à
participation financière publique majoritaire, d’un organisme de droit public ou d’une
association formée par une ou plusieurs de ces personnes morales de droit public ;

- aux marchés et délégations de service public passés par des personnes


de droit privé, ou des sociétés d’économie mixte, lorsque ces marchés bénéficient
du concours financier et/ou de la garantie de l’Etat ou d’une des personnes morales
de droit public mentionnées à l’article 5 du présent décret.

Article 7 : Lorsqu'une Autorité contractante octroie à une autre entité des droits
spéciaux ou exclusifs d'exercer une activité de service public, l'acte par lequel ce
droit est octroyé prévoit que l'entité concernée doit respecter, pour les marchés
publics qu'elle passe avec des tiers dans le cadre de cette activité, les dispositions du
présent décret.

En France, les marchés publics sont définis à l’article 1er de la loi n° 2001-1168
du 11 décembre 2001 portant code des marchés publics :

« Les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux entre les
pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou

406
privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de
services. »

L’article 2 du code des marchés publics précise :

« Les pouvoirs adjudicateurs soumis au présent code sont :

1° L'Etat et ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère


industriel et commercial ;

2° Les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. »

§.2. L’élément alternatif (matériel)

L’élément alternatif comporte deux branches :

- soit le contrat comporte des clauses exorbitantes du droit commun,

- soit le contrat présente de par son objet un lien privilégié avec le service public.

407
Selon la jurisprudence, seul un contrat auquel est partie une personne
publique est susceptible d'être un contrat administratif. Mais il ne l'est
effectivement que s’il satisfait, en plus, à l'une des conditions suivantes :

1 - le contrat renferme une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit


commun,

2 - le contrat a été conclu sous un régime exorbitant,

3 - le contrat est en relation avec l'exécution d'un service public.

L’un quelconque de ces critères doit s’ajouter au critère de la présence


directe ou indirecte d’une personne publique pour que le contrat soit
administratif.

Bien entendu, si, par extraordinaire, un contrat remplissait simultanément


tous ces critères, il serait également tenu pour administratif.

A. Le critère tiré de la présence dans le contrat de clauses exorbitantes du droit


commun.

Il est apparu le premier avec l’arrêt du C.E du 31 juillet 1912, Société des Granits
Porphyroïdes des Vosges, GAJA, n°29.

Ainsi tout contrat auquel une personne publique est partie possède dans son
ensemble un caractère administratif dès lors qu’il contient une ou plusieurs clauses
408
exorbitantes du droit commun sans qu’il y ait à rechercher si ce contrat possède ou
non un lien avec le service public.

La présence de clauses exorbitantes du droit commun


C.E., 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges (Rec. p.909,
conclusions Léon Blum1).

En principe, la présence d’une ou de plusieurs clauses exorbitantes du droit


commun donne un caractère administratif à tout contrat auquel est partie une
personne publique.

Exceptions : les contrats conclus entre les services publics industriels et


commerciaux et leurs usagers en vue de fournir à ces derniers des prestations de
services. Ces contrats ne sont jamais des contrats administratifs même s'ils
renferment des clauses exorbitantes. En conséquence, ce sont toujours des contrats
de droit privé : C.E., Sect., 13 octobre 1961, Établissements Compagnon-Rey ; T.C. 17
décembre 1962, Dame Bertrand.

Une autre exception a été abandonnée : elle concernait les contrats conclus
pour la gestion du domaine privé - considérés naguère comme étant toujours des
contrats de droit privé. Actuellement, on présume seulement que ce sont des
contrats de droit privé – T.C., 15 novembre 1999, Commune de Bourisp ;
présomption simple : ils peuvent donc être soit administratifs soit de droit privé.

A quoi reconnaît-on une clause exorbitante ?

La notion de clause exorbitante du droit commun n’est pas parfaitement claire. Il


n’est pas facile de définir ce qu’est une clause exorbitante. Les formules du CE, du
T.C et de la Cour de Cassation affirment que la clause exorbitante est celle qui
normalement ne figurerait pas dans une convention de droit commun.
1
Selon le commissaire du gouvernement Léon Blum, «quand il s'agit de contrat, il faut rechercher non pas en
vue de quel objet ce contrat est passé, mais ce qu'est ce contrat de par sa nature même. Et pour que le juge
administratif soit compétent, [...] il faut que ce contrat par lui-même, et de par sa nature propre, soit de ceux qu'une
personne publique peut seule passer, qu'il soit, par sa forme et sa contexture, un contrat administratif».

409
1 - la clause exorbitante, clause introuvable dans les contrats de droit privé
parce qu’elle y serait illégale.

Définition : C'est «la clause ayant pour objet de conférer aux parties des
droits ou de mettre à leur charge des obligations, étrangers par leur nature à ceux
qui sont susceptibles d'être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois
civiles et commerciales» - C.E., Sect. 20 octobre 1950, Stein - Leb. p. 505.

Elle est caractéristique de l'usage, par l'administration, d’une prérogative de


puissance publique.

Exemples :

-la faculté de prononcer la résiliation unilatérale du contrat en l’absence de


tout manquement du cocontractant à ses obligations contractuelles (T.C., 5 juillet
1999, U.G.A.P : « Considérant toutefois qu'un marché passé par l'UNION DES
GROUPEMENTS D'ACHATS PUBLICS à la demande d'une personne publique, peut
néanmoins avoir le caractère d'un contrat administratif, soit qu'il fasse participer le
cocontractant à l'exécution du service public, soit qu'à défaut, il comporte une
clause exorbitante du droit commun ; qu'il en va ainsi au cas où le marché se réfère
à un cahier des charges qui lui-même comprend une clause exorbitante du droit
commun ; que constitue notamment une telle clause le fait de prévoir au profit de la
personne publique contractante un pouvoir de résiliation unilatérale du contrat en
l'absence de tout manquement du titulaire de ce dernier à ses obligations
contractuelles ; […]»;

- le pouvoir de suspendre d'office l'exécution du contrat, sans mise en demeure


préalable ;
- l'octroi d'exonérations fiscales au cocontractant;
- la mise à la charge du cocontractant de certaines dépenses de police ;
- la possibilité de procéder au recouvrement des créances par état exécutoire;
- la clause conférant au cocontractant de l’administration le droit de percevoir
des taxes.
410
2 - la clause exorbitante, clause exceptionnelle en droit privé parce que fort
inégalitaire :

Exemples :

- la clause permettant à l'administration de contrôler les résultats financiers,


les tarifs ou le personnel de son cocontractant,

- plus généralement, toute clause habilitant la personne publique à contrôler


l'activité ou la situation de son cocontractant.

- Les clauses reconnaissant à l’administration un droit de contrôle et de surveillance


sur le contrat et celui d’en suspendre l’exécution. CE, 8 janvier 1965, Da Fonséca,
Rec. P.7

- Les clauses accordant à l’administration la possibilité de résilier le contrat (CE, 26


février 1965, Société du Vélodrome du Parc des Princes. Rec. P133) ou diriger son
exécution (CE, Sect. 10 mai 1963, Société Coopérative Agricole de Production, Rec.
889).

Ces deux manières d’entendre la différence avec le droit privé ne permettent


pas d’échapper à l’objection du doyen Vedel : «Comment le juge administratif qui ne
connaît jamais des contrats entre particuliers peut-il discerner ce qui est usuel et ce
qui est inusuel?»1.

L’objection s’affaiblit si l’on se sait qu’il incombe souvent au Tribunal des


conflits d’identifier les clauses exorbitantes ; or le Tribunal des conflits est composé

1
Remarques sur la notion de clause exorbitante, Mélanges offerts à Achille Mestre, Sirey, 1956, p. 539.

411
à la fois de membres du Conseil d’Etat et de membres de la Cour de cassation, donc
de juges administratifs et de juges judiciaires.

► Le simple renvoi à un cahier des charges confère-t-il un caractère


administratif à un contrat?

Le CE français considérait que dans un contrat « la seule référence à un cahier des


charges et conditions générales suffisait à établir l’existence .dans ce contrat de
clauses exorbitantes de droit commun », CE, Section, 17 novembre 1967, Roudier de
La Brille, Rec.428.Aujourd’hui une telle clause confère au contrat un caractère
administratif lorsque le cahier des charges auquel elle renvoie « comprend une
clause exorbitante du droit commun». Sinon elle est sans effet utile (Tribunal des
Conflits, 5 juillet 1999, Union des Groupements d’achats publics, AJDA 1999, p554)
est ainsi dissipé le trouble résultant d’arrêt qui ont pu être présenté comme
signifiant que tout renvoi à un cahier des charges emportait par lui-même le
caractère administratif de ces contrats.

Le cahier des charges est un document générique établi avant le contrat par
l'administration contractante ou par une autre personne publique. Raison d'être : il
détermine à l'avance les modalités d'exécution de toute une série de contrats. Selon
le code des marchés publics, les cahiers des charges comprennent des documents
généraux et des documents particuliers :

- Documents généraux :

* Le cahier des clauses administratives générales : il fixe les dispositions


administratives applicables à toute une catégorie de contrats, de marchés.

* Le cahier des clauses techniques générales : il fixe les dispositions


techniques applicables à toute une catégorie de contrats, de marchés.

412
- Documents particuliers :

* Le cahier des clauses administratives particulières : dispositions


administratives propres à chaque marché.

* Le cahier des clauses techniques particulières : dispositions techniques


propres à chaque marché.
Exemple de renvoi : L'administration signe un contrat. Elle y insère une clause
qui renvoie au cahier des charges pour tout ce que le contrat ne règle pas
expressément. Dans ce cas, le cahier des charges a une nature contractuelle par
appropriation. Si le cahier des charges contient des clauses exorbitantes, le contrat
sera administratif, sinon il relèvera du droit privé, sauf s’il satisfait par lui-même aux
critères des contrats administratifs.

Illustration : T.C., 5 juillet 1999, U.G.A.P : « Considérant que le marché passé


par l'UNION DES GROUPEMENTS D'ACHATS PUBLICS, le 3 juillet 1997, avec la société
SNC ACTIV CSA, en vue de la fourniture d'ordinateurs aux hospices civils de Colmar,
établissement public communal, comporte un renvoi au cahier des clauses
administratives générales applicable aux marchés publics de fournitures courantes
et services, lequel confère à la personne publique contractante un pouvoir de
résiliation y compris en l'absence de tout manquement du titulaire du marché à ses
obligations contractuelles ; que cette stipulation donne à elle seule à la convention
un caractère administratif ; qu'il n'appartient, dès lors, qu'à la juridiction
administrative de statuer sur les litiges nés de son exécution ; […]»

B. Le régime exorbitant

Le Conseil d’Etat a élargi la notion de clause exorbitante de droit commun : il a


considéré qu’à défaut d’une clause exorbitante individualisée, le fait pour un contrat
d’être dans son ensemble soumis à un régime exorbitant du droit commun lui
conférait le caractère administratif. CE, 19 janvier 1973, Société d’Exploitation de la
Rivière du Sant.
413
Mais le régime exorbitant ne permet pas de qualifier un contrat d’administratif
qu’autant qu’il est satisfait de critères organiques de ce type de contrat. CE, Sect. 4
mai 1984, Maternité régionale, Antoine Pinard.

C. Le critère tiré de la relation du contrat avec le service public

c - La relation avec l'exécution d'un service public


Dans ce cas, selon une célèbre formule jurisprudentielle, le contrat fait
participer directement ou associe le cocontractant à l'exécution même du service
public.

En pratique, cette relation peut prendre l'une des trois formes suivantes :

1 - Le contrat d’habilitation à gérer un service public ou d’association à l’exécution


même du service public: est administratif un contrat qui a pour objet soit de confier
au cocontractant de la personne publique la gestion d'un service public, soit de l’y
associer directement - C.E., Sect., 20 avril 1956, Époux Bertin (Leb. p. 167); en
l’espèce, contrat verbal relatif à la nourriture de réfugiés sur le point d'être
rapatriés, contrat d’habilitation à gérer un service public. La jurisprudence ultérieure
a donné à la notion de participation du cocontractant au service public un sens
singulièrement extensif qui illustre ces formules auxquelles elle a recours.

Exemples: contrat « associant le cocontractant à l’exécution du service public » CE,


14 novembre 1958 Union Minière de la Gironde rec. P 554 ou le contrat ayant pour
objet l’exécution même du service public, Trib. des conflits, 24 juin 1968. Société
d’Approvisionnement Alimentaire D 1969, p115.

Le service public confié au cocontractant peut être administratif ou


industriel et commercial.
414
2 - Le contrat de recrutement d’une personne dans un service public administratif
géré par une personne publique. Deux étapes dans l’évolution jurisprudentielle :

* Première étape : C.E., Sect., 4 juin 1954, Affortit et Vingtain. Ces deux arrêts
exigent une participation directe à l'exécution d’un service public administratif ou
encore une participation à l’exécution même d'un service public administratif. La
personne publique conclut un contrat avec un particulier. Objet : l'emploi du
particulier dans un service public administratif. Participation directe : le particulier y
exerce les fonctions qui relèvent de la spécialité du service.

Exemple : au sein de l'université, les attachés temporaires d'enseignement et de


recherches - chargés de travaux dirigés.

* Deuxième étape : T.C., 25 mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes, préfet du


Rhône et autres c/ Conseil de prud'hommes de Lyon - ou arrêt Berkani. Tout contrat
de recrutement en vertu duquel une personne travaille pour le compte d'un service
public à caractère administratif géré par une personne publique est un contrat
administratif -, sans condition supplémentaire. L’agent signataire d’un tel contrat a
nécessairement la qualité d'agent public. C’est le principe inverse qui est retenu
lorsqu’il s’agit d’un service public à caractère industriel et commercial.

3 - Le contrat conclu avec l’usager d’un service public administratif - mais non d’un
service public industriel et commercial - : C.E., 20 avril 1956, Consorts Grimouard.
Par exemple (a contrario), la SNCF gère un service public industriel et commercial.
En achetant un billet, un voyageur contracte avec la SNCF. Ce contrat relève du droit
privé.

415
Section 2 : Le régime juridique des contrats administratifs

Il s’agit d’un régime autonome qui est dérogatoire au droit commun au regard
de la procédure de conclusion de ces contrats, et aussi des règles qui leurs sont
applicables.

§.1.- La typologie des contrats administratifs


Tous les contrats administratifs ne sont pas des marchés publics ou des
contrats de délégation de service public.

Néanmoins, les marchés publics et les contrats de délégation de service


public sont les contrats administratifs les plus courants et les plus importants.

Il est donc opportun de leur accorder une attention particulière - Cf.


schéma en fin de cours.

A– La distinction contrat de délégation de service public – marché public

Le décret du 16 avril 2008 définit ainsi la délégation de service public :

« Délégation de service public : le contrat administratif écrit par lequel


une des personnes morales de droit public ou de droit privé visées
respectivement aux articles 5 et 6 du présent décret confie la gestion d’un
service public relevant de sa compétence à un délégataire dont la
rémunération est liée ou substantiellement assurée par les résultats de
l’exploitation du service. Au sens du présent décret, les délégations de service
public comprennent les régies intéressées, les affermages de service public,

416
ainsi que les concessions de service public, qu’elles soient associées ou non à
l’exécution d’un ouvrage.»

Cette définition reprend, pour l’essentiel, les critères retenus par le


Conseil d’Etat français dans l’arrêt C.E., 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-
Rhône c/ Commune de Lambesc (Rec. p.137).

Quant aux marchés publics, ils sont définis à l’alinéa 22 de l’article 1er du
décret du 16 avril 2008 comme « des contrats administratifs écrits conclus à
titre onéreux par une Autorité contractante visée aux articles 5 et 6 du présent
décret avec des entités privées ou publiques pour répondre à leurs besoins en
matière de travaux, de fournitures ou de services ».

De la définition donnée du marché public par le décret du 16 avril 2008,


on peut tirer les caractéristiques essentielles du marché public :

5. Un marché public est un contrat. Un marché public est un contrat


consacrant l'accord de volonté entre deux personnes dotées de la
personnalité juridique, ce qui exclut notamment toute décision
unilatérale.
6. Un marché public est conclu à titre onéreux. Le caractère onéreux
exprime l'idée d'une charge pesant sur l'acheteur public (expressions
synonymes : autorité contractante, pouvoir adjudicateur, personne
publique, administration contractante). Dans la majorité des cas, le
marché donnera lieu au versement d'une somme d'argent par la
personne publique au profit de laquelle le marché est exécuté.
7. Un marché public peut être passé avec des personnes publiques ou
privées. Un marché est un contrat signé entre deux personnes
distinctes dotées chacune de la personnalité juridique (Personne
publique et personne privée ou personne publique et personne
publique).
8. Un marché public est un contrat qui doit répondre aux besoins de
l'administration en matière de fournitures, services et travaux.
L'objet du marché est un élément fondamental qui doit être
417
précisément défini en vue de répondre à un besoin de la personne
publique.

Tout comme un contrat de délégation de service public, un marché


public peut avoir pour objet de confier au cocontractant la gestion d’un service
public (administratif ou industriel et commercial).

La question de savoir si l’on a affaire à un contrat de délégation de


service public ou à un marché public ne se pose que si le contrat a trait à un
service public.

Le critère de la distinction contrat de délégation de service public – marché


public réside en fait dans la réponse à la question suivante : est-ce que la
rémunération du cocontractant de l'administration est substantiellement
assurée par les résultats de l'exploitation du service public ?

Si oui, on a affaire à un contrat de délégation de service public ; sinon il


s’agit d’un marché de service public - C.E., 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-
Rhône c/ Commune de Lambesc (Rec. p.137).

Précisions données par le commissaire du gouvernement Catherine


Bergeal dans ses conclusions sur C.E., 30 juin 1999, Syndicat mixte du
traitement des ordures ménagères CENTRE OUEST SEINE-ET-MARNAIS (C.J.E.G.
n° 558, pp. 344-356) :

1 - les résultats de l’exploitation du service public s’entendent des


résultats financiers des produits engendrés par la gestion du service ; « ceci
n’exclut pas que puissent être prises en compte des sources de revenus liés à
l’exploitation, autres que ceux directement perçus sur l’usager, par exemple
des recettes publicitaires » ; en clair, il ne faut pas uniquement avoir à l’esprit
les redevances perçues sur les usagers du service public ;

418
2 - rémunération substantiellement assurée par les résultats de
l'exploitation du service public : « Ces recettes d’exploitation ne doivent pas
nécessairement être majoritaires, mais elles ne peuvent être insignifiantes. Il
serait vain de fixer un pourcentage précis. Ce qui est déterminant, c’est, en fin
de compte, que l’équilibre financier du contrat dépende des recettes
engendrées par l’exploitation du service. Nous vous proposons, par
conséquent, de juger qu’il ne peut y avoir délégation de service public lorsque
l’équilibre financier du contrat ne dépend pas des recettes liées à l’exploitation
du service. » En somme, substantiellement ne signifie pas nécessairement
majoritairement.

Le Conseil d’Etat a suivi son commissaire du gouvernement dans l’affaire


précitée qui mettait aux prises le SMITOM – personne publique – avec son
cocontractant, la société SOCCRAM :

« [Considérant] qu’il ressort des pièces du dossier que la part des


recettes autres que celles correspondant au prix payé par le SMITOM devait
être d’environ 30% de l’ensemble des recettes perçues par le cocontractant du
SMITOM ; que, dans ces conditions, la rémunération prévue pour le
cocontractant du SMITOM était substantiellement assurée par le résultat de
l'exploitation du service ; que, dès lors, le contrat envisagé devant être analysé
non comme un marché mais comme une délégation de service public, la
procédure engagée par le SMITOM pour la passation de ce contrat était
soumise aux dispositions de l’article L. 1411-1 du code général des collectivités
territoriales ; […] » (C.J.E.G. n° 558, p.355).

B – La typologie des contrats de délégation de service public


419
Rappel : « Une délégation de service public est un contrat par lequel une
personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a
la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est
substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire
peut être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens
nécessaires au service. »

Le contrat de délégation de service public peut être présenté comme une


espèce dans le genre "contrat administratif". Cette espèce comprend des sous-
espèces. Toutes ces sous-espèces ont en commun trois caractéristiques qui
résultent de la définition même du contrat de délégation de service public :

1 - les contrats sont passés par une personne morale de droit public
(autorité délégante) ;

2 - ils ont pour objet de confier un service public (administratif ou


industriel et commercial) à un délégataire public ou privé et peuvent
s'accompagner de la construction d'un ouvrage ou de l'acquisition de biens
nécessaires à ce service public ;

3 - la rémunération du délégataire public ou privé est


substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service.

Rappel de la typologie des contrats de délégation de service public

* La concession de service public : C'est un contrat par lequel une


personne publique - dénommée autorité concédante - confie à une personne
privée ou publique - dénommée le concessionnaire - le soin de gérer un service

420
public à ses frais et risques, et moyennant la perception de redevances sur les
usagers de ce service (voir article 1er alinéa 8 du décret du 16 avril 2008).

* L'affermage : C'est un contrat par lequel une personne publique


confie à une personne privée - dénommée le fermier - le soin de gérer un
service public à ses frais et risques, moyennant d’une part la perception de
redevances sur les usagers de ce service, et d’autre part, le versement d'un
loyer à la personne publique délégante (voir article 1er alinéa 2 du décret du 16
avril 2008).

Le loyer est la contrepartie de l’usage des biens (ouvrages, etc.) que le


délégant a mis à la disposition du délégataire. La rémunération du fermier
résulte de la différence - supposée positive - entre les redevances et le loyer.

Différence entre l’affermage et la concession : le fermier ne conserve


pas l'intégralité des redevances reçues des usagers, puisqu'il doit en reverser
une partie au déléguant.

Régie intéressée : la convention de délégation par laquelle l’autorité


contractante finance elle-même l’établissement d’un service, mais en confie la
gestion à une personne privée ou publique qui est rémunérée par l’autorité
contractante tout en étant intéressée aux résultats que ce soit au regard des
économies réalisées, des gains de productivité ou de l’amélioration de la
qualité du service.

421
Rappel droit français

* La régie intéressée à au moins 30% : C'est un contrat par lequel une


personne publique confie à une personne (en principe, une entreprise privée)
le soin de gérer un service public, moyennant d’une part des redevances
perçues sur les usagers de ce service et reversées intégralement à la personne
publique, et d’autre part une rémunération versée par la personne publique et
indexée à au moins 30% sur les résultats de l'exploitation du service public.

On l’aura deviné, la rémunération de ce type de contrat comporte, en


principe, deux parties: une partie fixe forfaitaire et une partie variable

422
(intéressement aux résultats de l'exploitation du service public) destinée à
inciter le régisseur à une meilleure gestion et à rendre le service public plus
attractif.

Si l’intéressement aux résultats de l'exploitation du service public est


inférieur à 30%, on a affaire à un marché de service public (voir plus haut C.E.,
30 juin 1999, Syndicat mixte du traitement des ordures ménagères CENTRE
OUEST SEINE-ET-MARNAIS).

Différences entre la régie intéressée à au moins 30% et l’affermage : le


régisseur reverse l’intégralité des redevances à la personne publique, et il est
rémunéré par cette dernière.

423
C – La typologie des marchés publics
Rappel :

Droit Burkinabè

Les marchés publics sont « des contrats administratifs écrits conclus à titre
onéreux par une Autorité contractante visée aux articles 5 et 6 du présent
décret avec des entités privées ou publiques pour répondre à leurs besoins en
matière de travaux, de fournitures ou de services ».

Droit français

424
« Les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux entre les
pouvoirs adjudicateurs [Etat, collectivités territoriales, établissements publics]
et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs
besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. » - code des
marchés publics, article 1er.

A l’instar des contrats de délégation de service public, les marchés


publics peuvent être présentés comme une espèce dans le genre "contrat
administratif". Cette espèce comprend des sous-espèces.

Le décret du 16 avril 2008 définit les différentes catégories de marchés


publics.

La définition de chaque catégorie de marchés est particulièrement


importante au regard des modalités de calcul du montant du marché ; et ce
montant détermine certains modes de passation des marchés publics – cf. infra
La conclusion des marchés publics.

Les quatre (04) catégories de marchés publics sont définies par la


règlementation :

►Marché public de travaux : le marché qui a pour objet soit, l’exécution, soit,
conjointement la conception et l’exécution de travaux ou d’un ouvrage.

►Marché public de fournitures : le marché qui a pour objet l’achat, le crédit-


bail, la location ou la location-vente avec ou sans option d’achat de biens de
toute nature y compris des matières premières, produits, équipements et
objets sous forme solide, liquide ou gazeuse, ainsi que les services accessoires à
la fourniture de ces biens.

►Marché public de services : le marché qui n’est ni un marché de travaux ni un


marché de fournitures. Il comprend également le marché de prestations

425
intellectuelles, c’est-à-dire le marché de services dont l’élément prédominant
n’est pas physiquement quantifiable.

► Marché public de prestations intellectuelles : le marché qui n’est ni un


marché de travaux ni un marché de fournitures ni un marché de services
courants et dont l’élément prédominant n’est pas physiquement quantifiable.

Un marché public relevant d'une des quatre (04) catégories mentionnées


ci-dessus (travaux, fournitures et services) peut comporter, à titre accessoire,
des éléments relevant d'une autre catégorie. C’est ce que l’on appelle parfois
un marché mixte :

► Marché public de type mixte : le marché relevant d’une des quatre


catégories mentionnées aux points 24, 25, 26 et 27 du présent article et
pouvant comporter, à titre accessoire, des éléments relevant d’une autre
catégorie. Les procédures de passation et d’exécution des marchés publics
devront prendre en compte les spécificités applicables pour chaque type
d’acquisition.

426
427
Définitions :

CHAPITRE PRELIMINAIRE : DE LA TERMINOLOGIE ET DES PRINCIPES


GENERAUX DE LA COMMANDE PUBLIQUE

Section 1 : Du vocabulaire de la commande publique

Article 1 : Aux termes du présent décret, on entend par :

1 - Accord-cadre : l’accord conclu entre plusieurs Autorités contractantes ayant


pour objet d'établir les termes régissant les marchés à passer au cours d'une
période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les
quantités envisagées.

2 - Affermage : la délégation de service public par laquelle l’autorité


contractante charge le fermier, personne publique ou privée, de l’exploitation
d’ouvrages qu’elle a acquis préalablement afin que celui-ci assure la fourniture
d’un service public, le fermier ne réalisant pas les investissements initiaux.

3 - Attributaire : le soumissionnaire dont l’offre a été retenue avant


l’approbation du marché.
428
4 - Autorité contractante : la personne morale de droit public ou de droit privé
à savoir, l’Etat, les établissements publics de l’Etat, les collectivités territoriales,
les sociétés d’Etat, les sociétés à participation publique majoritaire, les
organismes de droit public, les personnes privées agissant en vertu d’un
mandat au nom et pour le compte d’une personne publique, signataire d’un
marché public ou d’une délégation de service public.

5 - Autorité délégante : l’autorité contractante ci-dessus définie au point 4 du


présent article, cocontractante d’une délégation de service public.

6 - Candidat : la personne physique ou morale qui manifeste un intérêt à


participer ou qui est retenue par une autorité contractante pour participer à
une procédure de passation de marché ou de délégation de service public.

7 - Candidature : l’acte par lequel le candidat manifeste un intérêt à participer,


sans que cet acte ne l’engage ni ne lui impose d’obligations vis-à-vis de
l’autorité contractante.

8 - Concession de service public : le mode de gestion contractuelle d'un service


public dans le cadre duquel un opérateur privé ou public, le concessionnaire,
est sélectionné conformément aux dispositions du présent décret. Elle se
caractérise par le mode de rémunération du concessionnaire qui est
substantiellement assuré par les résultats de l’exploitation et la prise en charge
des investissements initiaux et des gros œuvres par le concessionnaire. Il est
reconnu au concessionnaire le droit d'exploiter l'ouvrage à titre onéreux
pendant une durée déterminée.

9 - Commande publique : toutes les formes d'acquisition de biens, services,


prestations au profit des collectivités publiques, à savoir notamment le marché
public et la délégation de service public.

10 - Commission d’Attribution des Marchés (CAM): la commission d’ouverture


des plis, d’évaluation des offres et d’attribution des marchés ;

11 - Commission de Règlement Amiable des Litiges (CRAL) : l'instance établie


auprès de l'Autorité de régulation des marchés publics, chargée de statuer sur

429
les irrégularités et les recours relatifs à la passation et à l'exécution des
marchés publics, des délégations de service public et à l’interprétation des
dispositions du présent décret.

12 - Contrôle technique : les actes posés par un contrôleur en vue de


l’amélioration de la qualité des constructions.

Le contrôleur technique intervient à la demande du maître d’ouvrage à qui il


donne son avis sur les questions d’ordre technique concernant la solidité, la
stabilité de l’ouvrage et la sécurité des personnes et des biens.

13 - Délégataire : la personne morale de droit privé ou de droit public


signataire d’une délégation de service public et à laquelle l’Autorité délégante
confie, conformément aux dispositions du présent décret, l’exploitation d’un
service public avec ou sans prestations complémentaires.

14 - Délégation de service public : le contrat administratif écrit par lequel une


des personnes morales de droit public ou de droit privé visées respectivement
aux articles 5 et 6 du présent décret confie la gestion d’un service public
relevant de sa compétence à un délégataire dont la rémunération est liée ou
substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation du service. Au sens
du présent décret, les délégations de service public comprennent les régies
intéressées, les affermages de service public, ainsi que les concessions de
service public, qu’elles soient associées ou non à l’exécution d’un ouvrage.

15 - Demande de cotations : la procédure de mise en concurrence simplifiée


que l’on peut utiliser pour les marchés publics d’un montant inférieur à un
million (1.000.000) de FCFA. La forme écrite de la procédure de demande de
cotations n’est pas obligatoire.

16 - Demande de prix : la procédure de mise en concurrence accélérée que l’on


peut utiliser pour les marchés publics d’un montant inférieur à vingt millions
(20 000 000) de FCFA. La procédure de demande de prix revêt la forme écrite et
la publicité de l’avis est limitée à une insertion dans la revue des marchés
publics.

430
17 - Dématérialisation : la création, l’échange, l’envoi, la réception ou la
conservation d’informations ou de documents par des moyens électroniques
ou optiques, ou des moyens comparables, notamment, mais non
exclusivement, l’Echange de Données Informatisées (EDI) ou la messagerie
électronique.

18 - Entreprise communautaire : l’entreprise dont le siège social est situé dans


un Etat membre de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine.

19 - Direction Générale des Marchés Publics (DGMP) : la Direction rattachée au


Ministère en charge du budget, chargée du contrôle a priori de la procédure de
passation des marchés publics et des délégations de service public.

20 - Maître d’Ouvrage Délégué (MOD) : la personne morale de droit public ou


de droit privé qui est le représentant du maître d’ouvrage dans l’exécution de
ses missions et qui reçoit, à cet effet, mandat dans le cadre d’une convention
de maîtrise d’ouvrage déléguée aménagée à l’article 65 du présent décret.

21 - Maître d’ouvrage : la personne morale de droit public ou de droit privé


visée à l’article 5 du présent décret qui est le propriétaire final de l’ouvrage ou
de l’équipement technique, objet du marché.

22 - Marchés publics : des contrats administratifs écrits conclus à titre onéreux


par une Autorité contractante visée aux articles 5 et 6 du présent décret avec
des entités privées ou publiques pour répondre à leurs besoins en matière de
travaux, de fournitures ou de services.

23 - Marché public de type mixte : le marché relevant d’une des quatre


catégories mentionnées aux points 24, 25, 26 et 27 du présent article et
pouvant comporter, à titre accessoire, des éléments relevant d’une autre
catégorie. Les procédures de passation et d’exécution des marchés publics
devront prendre en compte les spécificités applicables pour chaque type
d’acquisition.

24 - Marché public de travaux : le marché qui a pour objet soit, l’exécution,


soit, conjointement la conception et l’exécution de travaux ou d’un ouvrage.

431
25 - Marché public de fournitures : le marché qui a pour objet l’achat, le crédit-
bail, la location ou la location-vente avec ou sans option d’achat de biens de
toute nature y compris des matières premières, produits, équipements et
objets sous forme solide, liquide ou gazeuse, ainsi que les services accessoires à
la fourniture de ces biens.

26 - Marché public de services : le marché qui n’est ni un marché de travaux ni


un marché de fournitures. Il comprend également le marché de prestations
intellectuelles, c’est-à-dire le marché de services dont l’élément prédominant
n’est pas physiquement quantifiable.

27 - Marché public de prestations intellectuelles : le marché qui n’est ni un


marché de travaux ni un marché de fournitures ni un marché de services
courants et dont l’élément prédominant n’est pas physiquement quantifiable.

28 - Marchés à ordres de commande : des formes particulières de marchés à


prix unitaires qui déterminent la nature et le prix des fournitures. Le marché
s'exécute par des émissions d'ordres de commandes successifs selon les
besoins. Chaque ordre de commande définit en application des stipulations du
marché, les éléments qui n'ont pu être spécifiés dans les pièces constitutives
antérieures. Le marché fixe la durée pendant laquelle les ordres de commande
peuvent être notifiés. Le marché à ordres de commande dont la durée ne
saurait excéder une (1) année renouvelable une fois, indique les limites
maximales et minimales de la prestation globale à fournir, ces limites pouvant
être exprimées soit en quantité, soit en valeur. L’autorité contractante
s’engage sur le minimum et le cocontractant s’engage sur le maximum. Cette
durée ne peut être supérieure à la durée d'utilisation des crédits budgétaires
disponibles. Elle est en tout état de cause limitée à deux (2) ans. Il est recouru
au marché à ordres de commande pour couvrir des besoins courants annuels
de fournitures et services courants, notamment les services d’entretien routier,
dont il n’est pas possible au début de l’année de prévoir l’importance exacte,
ou bien qui excèdent les possibilités de stockage. Les dispositions relatives à
l’appel d’offres aménagées des articles 57 à 61 du présent décret sont
applicables à la passation du marché à ordres de commande. Leur reconduction
doit se faire sur la base des quantités nécessaires prévues à l’année précédant

432
immédiatement celle de la reconduction du marché et soumise à l’autorisation
de la direction générale des marchés publics.

29 - Moyen électronique : le moyen utilisant des équipements électroniques de


traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données,
et utilisant la diffusion, l'acheminement et la réception par fils, par radio, par
moyens optiques ou par d'autres moyens électromagnétiques.

30 - Offre : l'ensemble des éléments techniques et financiers inclus dans le


dossier de soumission.

31 - L’offre économiquement la plus avantageuse : l’offre retenue à l’issue


d’une évaluation faite à partir de la combinaison de critères techniques et de
critères financiers qui peuvent être pondérés.

32 - Organisme de droit public : l’organisme, créé pour satisfaire


spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre
qu'industriel ou commercial, doté de la personnalité juridique, et dont soit
l'activité est financée majoritairement par l'État, les collectivités territoriales ou
d'autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle
par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance
est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l'État, les
collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public.

33 - Ouvrage : le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie


civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique. Il
peut comprendre notamment des opérations de construction, de
reconstruction, de démolition, de réparation ou de rénovation, tels que la
préparation du chantier, les travaux de terrassement, l’érection, la
construction, l’installation d’équipement ou de matériel, la décoration et la
finition ainsi que les services accessoires aux travaux si la valeur de ces services
ne dépasse pas celle des travaux eux-mêmes.

34 - Pays d’établissement stable : le pays d’établissement des personnes


morales.

35 - Pays de base fixe : le pays de résidence des personnes physiques.

433
36 - Personne Responsable des Marchés (PRM): le représentant dûment
mandaté par l’autorité contractante pour la représenter dans la passation et
dans l’exécution du marché.

37 - Régie intéressée : la convention de délégation par laquelle l’autorité


contractante finance elle-même l’établissement d’un service, mais en confie la
gestion à une personne privée ou publique qui est rémunérée par l’autorité
contractante tout en étant intéressée aux résultats que ce soit au regard des
économies réalisées, des gains de productivité ou de l’amélioration de la
qualité du service.

38 - Soumission : l'acte d’engagement écrit au terme duquel un


soumissionnaire fait connaître ses conditions et s'engage à respecter les cahiers
des charges applicables.

39 - Soumissionnaire : la personne physique ou morale qui participe à un appel


d’offres en soumettant un acte d’engagement et les éléments constitutifs de
son offre.

40 - Sous-commission Technique (SCT): un comité chargé de l’évaluation des


offres techniques et financières.

41 - Titulaire : la personne physique ou morale, attributaire, dont le marché


conclu avec l’autorité contractante, conformément au présent décret a été
approuvé.

§.2. La procédure de conclusion des contrats administratifs

Elle concerne le problème du choix par l’administration de son cocontractant et


celui de l’élaboration des clauses du contrat.

434
A. Les principes

La règlementation des marchés publics assigne aux acheteurs publics, c’est-à-


dire aux personnes publiques qui passent des marchés publics les objectifs
suivants :

1 - l’efficacité de la commande publique

2 - la bonne utilisation des deniers publics

3 - et le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse.

L’objectif du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse


consacre la règle du «mieux-disant » plutôt que celle du « moins-disant ». Cette
règle se décline par diverses mesures dont la suppression de la procédure
d’adjudication. Celle-ci était un procédé de choix consistant à attribuer
automatiquement le marché au candidat ou soumissionnaire le moins-disant,
c’est-à-dire à celui qui offrait le prix le plus bas - ce prix n’excédant pas le
maximum déterminé.

Compte tenu de ces objectifs, la passation des marchés publics est


fondée sur trois principes solidaires :

1 – le principe de la liberté d'accès à la commande publique,

2 – le principe de l’égalité de traitement des candidats aux marchés


publics

3 – et le principe de la transparence des procédures.

435
Le principe de la liberté d’accès interdit à l’acheteur public

- d’édicter des exigences qui ne seraient pas justifiées par l’objet du


marché

- ou d’exclure des candidats qui satisfont à toutes les exigences


édictées.

L’égalité consacrée par le code implique la fixation préalable de règles du


jeu claires pour garantir la libre concurrence.

L’administration doit ainsi mettre tous les candidats dans une situation
d’égalité au regard de l’information sur les conditions du marché à conclure.

L’obligation de transparence qui incombe à l’acheteur public (c’est-à-


dire à la personne publique contractante) consiste à garantir, en faveur de tout
soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une
ouverture du marché à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des
procédures d’attribution du marché.

La passation des marchés publics doit, sauf exceptions prévues par le


code, être précédée d’une publicité adéquate.

B. Le choix par l’administration de son cocontractant

436
Le droit public organise divers procédés de choix du cocontractant de
l’administration selon des procédures qui peuvent être concurrentielles ou
non. (Décret N°2008-173/PRES/PM/MEF du 16 avril 2008 portant
réglementation générale des marchés publics et des délégations de services
publics).

a - La procédure non formalisée ou procédure adaptée

D’une manière générale, les marchés passés selon la procédure adaptée sont
dénommés marchés sans formalités préalables.

Article 12 : Le présent décret s’applique aux marchés publics qui n’en sont pas
exclus en vertu de l’article 11 ci-dessus relatif aux marchés concernant les
besoins de défense et de sécurité nationales dans les conditions ci-après.

1) Les marchés publics sont passés par les procédures de l’appel d’offres
ouvert ou en deux étapes aménagées aux articles 58 à 61 du présent décret
lorsque le montant financier prévisionnel estimé en toutes taxes comprises
(TTC) est égal ou supérieur à vingt millions (20.000.000) F CFA ;

2) La lettre de commande est un marché public établi par les personnes citées
aux articles 5 et 6 dont le montant financier prévisionnel estimé en toutes taxes
comprises (TTC) est égal ou supérieur à un million (1.000.000) F CFA et inférieur
à vingt millions (20.000.000) F CFA. Elle est passée suivant la procédure des
demandes de prix définie à l’article 1er point 16 du présent décret et
aménagée à l’article 67 ;

3) Le bon de commande est un marché public établi par les personnes citées à
l’article 5 et 6 du présent décret dont la valeur prévisionnelle estimée en toutes
taxes comprises (TTC) est inférieure à un million (1.000.000) FCFA. Il est passé
suivant la procédure de demande de cotations, définie à l’article 1er point 15
du présent décret et aménagée à l’article 68.

437
Article 67 : Lorsque le montant prévisionnel du marché est inférieur à vingt
millions (20.000.000) F CFA TTC, il peut être recouru à la procédure de
demande de prix écrite.

Le gestionnaire de crédits élabore un dossier de mise en concurrence


comportant au moins le descriptif technique des besoins à satisfaire dans les
mêmes conditions que le dossier d'appel d'offres.

La publicité de l’avis est faite dans la revue des marchés publics et le délai
accordé aux entreprises, fournisseurs ou prestataires de service pour déposer
leurs propositions de prix ne peut être inférieur à dix (10) jours calendaires.

Les offres se font sous plis fermés et sont examinées par la commission
d'attribution des marchés qui attribue le marché à l'entreprise, fournisseur ou
prestataire de service ayant présenté l'offre évaluée économiquement la plus
avantageuse.

Article 68 : Lorsque le montant prévisionnel du marché est inférieur à un


million (1.000.000) F CFA TTC, il est recouru à des demandes de cotations non
formelles adressées par le gestionnaire de crédits à trois (3) prestataires
qualifiés au moins.

La formalité de constitution d’une commission d’attribution des marchés n’est


pas exigée.

Les propositions de cotations se font sous plis fermés et sont examinées par le
gestionnaire de crédits qui attribue le marché à l'entreprise ayant présenté
l'offre évaluée économiquement la plus avantageuse.

438
Lorsque le gestionnaire des crédits n’obtient pas trois (03) factures proforma,
il peut recourir à la procédure de gré à gré.

2 – Les procédures formalisées


Il s’agit de procédures dont le contenu est déterminé à l’avance par la
règlementation des marchés publics.

Article 57: Les marchés de travaux, de fourniture et de services courant sont


passés après un appel d’offres ouvert ou exceptionnellement une mise à
concurrence restreinte ou un gré à gré.

Les contrats de prestations intellectuelles sont passés après des demandes de


propositions.

a. L’appel d’offres

Article 58 : L’appel d’offres ouvert est la procédure par laquelle l’autorité


contractante choisit l’offre évaluée économiquement la plus avantageuse, sans
négociation, sur la base de critères préalablement portés à la connaissance des
candidats dans le dossier d’appel d’offres.

L’appel d’offres ouvert peut comporter trois (03) variantes :

- l'appel d'offres ouvert direct ;

- l'appel d'offres ouvert en deux étapes ;

- l'appel d'offres ouvert précédé d’une pré qualification.

439
Aux termes de l’article 58 du décret du 16 avril 2008, l’appel d’offres ouvert est
la procédure par laquelle l’autorité contractante choisit l’offre évaluée
économiquement la plus avantageuse, sans négociation, sur la base de critères
préalablement portés à la connaissance des candidats dans le dossier d’appel
d’offres. L’appel d’offres est une modalité d’appel public à la concurrence qui
permet à l’administration de choisir l’offre la moins disante c'est-à-dire qui est
dans le meilleur rapport qualité prix en fonction des critères multiples définis
au préalable.

L'appel d'offres peut être ouvert ou restreint.

►L'appel d'offres est dit ouvert lorsque tout opérateur économique


[candidat] peut remettre une offre.

Article 59 : L’appel d’offres ouvert est dit direct lorsque tout candidat, qui
n’est pas exclu en application des articles 43 et 44 du présent décret peut
soumettre une offre ou une demande de pré qualification.

►L'appel d'offres est dit restreint lorsque seuls peuvent remettre des
offres les opérateurs économiques [les candidats] qui y ont été autorisés après
sélection. L’appel d’offre restreint se déroule donc en deux étapes : la sélection
des candidats admis à présenter une offre et le choix de l’offre.

La personne responsable du marché est libre de choisir entre les deux


formes d'appel d'offres.
440
Lorsqu’elle décide de lancer un appel d’offres ouvert, elle ne peut en
cours de procédure le transformer en appel d’offres restreint.

Article 66 : L’appel d’offres est dit restreint lorsque seuls peuvent remettre des
offres, les candidats que l’autorité contractante a décidé de consulter.

Le nombre de candidats admis à soumissionner, d’un minimum de trois (3),


doit assurer une concurrence réelle. Il est ensuite procédé de manière
identique comme en matière d’appel d’offres ouvert.

Il ne peut être recouru à la procédure de l’appel d’offres restreint que lorsque


les biens, les travaux ou les services, de par leur nature spécialisée, ne sont
disponibles qu'auprès d'un nombre limité de fournisseurs, d’entrepreneurs ou
de prestataires de services susceptibles d’offrir les prestations sollicitées.

L’autorité contractante consulte les entreprises au regard de leurs références


techniques et de la spécificité des prestations sollicitées.

Les candidats à un appel d’offres restreint ne doivent pas figurer sur la liste des
fournisseurs défaillants ou de ceux qui ont des difficultés dans l’exécution d’un
marché public.

Dans tous les cas, ils doivent apporter la preuve de leur compétence à exécuter
les prestations sollicitées.

Le recours à la procédure de l’appel d’offres restreint doit être motivé et


soumis à l’autorisation préalable de la direction générale des marchés publics.

441
b. Le marché de gré à gré

Article 69 : Les marchés sont dits de gré à gré lorsque l’autorité contractante
engage les discussions qui lui paraissent utiles et propose à l’autorité
compétente l'attribution du marché au soumissionnaire qu'elle a retenu.

Article 70 : Les marchés publics, quelle qu’en soit la forme peuvent être passés
de gré à gré suivant la procédure de l’entente directe lorsque l’autorité
contractante engage, sans formalités, les discussions qui lui paraissent utiles,
avec un entrepreneur, un fournisseur, ou un prestataire de services.

Article 71 : Le marché est passé de gré à gré dans les cas suivants :

- extrême urgence, pour les travaux, fournitures ou services que


l’autorité contractante doit faire exécuter en lieu et place de l’entrepreneur, du
fournisseur ou du prestataire défaillant ;

- urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles ou


de force majeure ne permettant pas de respecter les délais prévus dans les
procédures d’appel d’offres et de demande de prix, nécessitant une
intervention immédiate, et lorsque l’autorité contractante n’a pas pu prévoir
les circonstances qui sont à l’origine de l’urgence ;

- lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une


prestation nécessitant l’emploi d’un brevet d’invention, d’une licence ou de

442
droits exclusifs détenus par un seul entrepreneur, un seul fournisseur ou un
seul prestataire ;

- lorsque les marchés ne peuvent être confiés qu’à un prestataire


déterminé pour des raisons techniques ou s’il y a une nécessité de continuer
avec le même prestataire ou pour des raisons artistiques ;

- lorsque les prestations requièrent la sélection d'un consultant


particulier en raison de sa qualification unique ou de la nécessité de continuer
avec le même prestataire ;

- lorsque les prix unitaires des biens sont réglementés ou font l’objet
d’une tarification et que le montant du contrat est inférieur à cent millions
(100.000.000) F CFA toutes taxes comprises.

Le marché de gré à gré ne peut être passé qu’avec des entrepreneurs,


fournisseurs ou prestataires de services qui acceptent de se soumettre à un
contrôle des prix spécifiques. Ceux-ci ne doivent pas figurer sur la liste des
fournisseurs défaillants et de ceux qui ont des difficultés dans l’exécution des
marchés publics.

Le marché précise les obligations comptables auxquelles le titulaire du marché


sera soumis, et notamment l’obligation de présenter ses bilans, comptes de
résultats, ainsi que sa comptabilité analytique d’exploitation ou, à défaut de
celle-ci, tous documents de nature à permettre l’établissement des coûts de
revient.

443
Les marchés sont dits de gré à gré lorsque l’autorité contractante engage des
discussions qui lui paraissent utiles et attribue ensuite le marché au
soumissionnaire qu’elle a retenu.

Exemple : du marché négocié en France depuis 1976.

Ici l’administration n’est tenue que de mettre en compétition dans toute la


mesure du possible les entrepreneurs ou fournisseurs susceptibles de réaliser
la prestation. Pour le reste, l’administration engage librement les discussions
selon la formule du décret portant réglementation générale des marchés
publics « qui lui paraissent utiles » et attribue le marché à l’entrepreneur ou
fournisseur qu’il a retenu. De façon générale, cette liberté de l’administration
n’est pas synonyme d’arbitraire. En effet il ne peut être passé de marché de gré
à gré que dans les cas visés à l’article 71 et suivants du décret du 16 avril 2008.

Dans la pratique les clauses du contrat ne sont pas toujours ou en cas pas
toujours négociées entre l’administration et son cocontractant.
L’administration impose souvent en effet et même parfois est tenu d’imposer
la référence à des clauses générales résultant de cahier type (cahier de
charges). Les contrats administratifs contiennent alors deux séries de
documents : les documents généraux et les documents particuliers,

Les documents généraux sont les cahiers des clauses administratives générales
qui fixent les dispositions administratives applicables aux marchés de même
nature et les cahiers de clauses techniques générales qui fixent les dispositions
techniques applicables à toutes les prestations de même nature.

Les documents particuliers sont les cahiers des clauses administratives


particulières qui fixent les dispositions administratives propres à chaque
contrat et les cahiers de clauses techniques particulières qui fixent les
dispositions techniques nécessaires à l’exécution des prestations prévues au
444
contrat. Les documents particuliers comportent l’indication des articles des
documents généraux qu’ils complètent ou modifient.

§.2. Les règles applicables aux contractants

Ces règles intéressent l’exécution du contrat administratif. Concrètement deux


problèmes doivent être abordés relativement aux droits et aux obligations des
contractants mais aussi à l’influence de circonstances nouvelles sur l’exécution
du contrat.

L’exécution des contrats administratifs


Elle révèle toute la distance qui sépare le droit administratif du droit privé, les
contrats de droit administratif des contrats de droit privé.

Qu’on se rappelle les propos du commissaire du gouvernement Jacomet :


« Lorsqu’elle conclut des contrats administratifs, l’administration ne se
dépouille pas de ses attributs de puissance publique » (Conclusions sur C.E., 5
mars 1954, Mlle Soullier).

On comprend mieux alors le scepticisme du commissaire du gouvernement


Kahn : « Chacun s’accorde à reconnaître aujourd’hui que la distinction du
contractuel et de l’unilatéral pose plus de questions qu’elle ne permet d’en
résoudre. » Conclusions sur T.C. 3 mars 1969, Société Interlait.

En droit privé, le régime des contrats est dominé, notamment, par deux grands
principes :

- l’autonomie de la volonté : elle implique une égalité relative des parties ;

445
- la mutabilité consensuelle du contrat : selon l’article 1134 du Code civil, “ les
conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. ”
Elles ne peuvent être révoquées ou modifiées que de leur consentement ou
pour les causes que la loi autorise.

En droit administratif, le particularisme du contrat administratif fait


largement échec à ces principes :

- la mutabilité unilatérale du contrat administratif : l’administration peut


modifier unilatéralement le contenu du contrat ou résilier celui-ci même si un
terme a été initialement prévu. Que ce pouvoir de résiliation unilatérale soit
caractéristique (quantitativement) des contrats administratifs, cela découle du
fait qu’une clause de résiliation unilatérale est toujours considérée comme
exorbitante : « cette stipulation donne à elle seule à la convention un caractère
administratif166 » - T.C., 5 juillet 1999, U.G.A.P (Rappelons que le Tribunal des
conflits est composé à la fois de juges administratifs et de juges judiciaires) ;

- l’inégalité des intérêts. Certains auteurs préfèrent parler de l’inégalité des


volontés. Préférence irrecevable. Le particularisme du contrat administratif - et
donc les prérogatives exorbitantes de l’administration contractante - se justifie,
directement ou indirectement, par les exigences du service public. Bien
souvent, le contrat administratif est conclu en vue de pourvoir aux besoins du
service public, d’en assurer le fonctionnement correct. Cette fin justifie les
dérogations aux règles du droit privé.

En conséquence, le contrat administratif met en présence non pas des volontés


inégales, mais des intérêts inégaux : l’intérêt général et l’intérêt du particulier.

166
Bien évidemment, une personne publique était partie à ce contrat.

446
On reconnaît à l’administration les moyens de faire triompher l’intérêt
général. Mais l’intérêt particulier n’est pas pour autant ignoré.

A - Les droits et obligations des parties


Dans l’exécution des contrats administratifs, on ne retient pas l'exceptio
non adimpleti contractus, c'est-à-dire l’exception de contrat non exécuté. Si
l'une des parties n'effectue pas sa prestation, l'autre ne peut refuser la sienne
en invoquant la carence de son cocontractant.

Illustration : CAA de Lyon, 30 août 1995, Commune de Méribel-les-


Allues : « En tout état de cause, de manière générale, le fait pour un
cocontractant de n'avoir pas exécuté ses obligations n'est pas de nature à
dispenser l'autre partie d'assurer ses propres engagements […] ».

Droits et obligations des contractants

Le droit administratif, a eu pour souci de garantir à l’autorité administrative des


moyens particuliers pour superviser, diriger, contrôler la mise en œuvre de ses
contrats (et cela au nom des intérêts publics en cause) tout en réservant à son
partenaire des garanties sans lesquelles, le contrat perdrait tout son équilibre.
L’élaboration des régimes juridiques de ces contrats est alors forcément
complexe. Elle doit tenir compte tout à la fois d’intérêts publics et d’intérêts
privés. Il faut en même temps chercher des règles qui garantissent une bonne
exécution des contrats conformément aux intérêts du service public et qui
respectent des intérêts commerciaux et pécuniaires des contractants.

1. Les droits de l’administration

447
Ces droits constituent un ensemble de prérogatives reconnues à
l’administration dans l’exécution du contrat.

Résumé

Questions initiales :

1 – Qu'est-ce qui justifie les prérogatives exorbitantes reconnues à


l'administration dans l'exécution des contrats administratifs ?

2 – Les prérogatives exorbitantes reconnues à l'administration dans


l'exécution des contrats administratifs sont-elles sans limites ?

Réponses soutenues :

1 – Le service public et, partant, le service de l'intérêt général justifient


les prérogatives exorbitantes reconnues à l'administration dans l'exécution des
contrats administratifs. En effet, un contrat administratif est nécessairement
conclu dans l'intérêt général. Il est donc logique que l'administration se voit
conférer les moyens juridiques qui lui permettent d'assurer une certaine
adéquation entre les prestations de son cocontractant et l'intérêt général. Deux
lois du service public sont au cœur de la mise en œuvre de ces prérogatives :
les principes de continuité et de mutabilité du service de l’intérêt général et du
service public.

2 – Les prérogatives exorbitantes reconnues à l'administration dans


l'exécution des contrats administratifs sont-elles sans limites ?

Les prérogatives exorbitantes reconnues à l'administration dans


l'exécution des contrats administratifs trouvent leurs limites dans les exigences
de l'intérêt général et dans les prescriptions du principe de la légalité.

448
Autrement dit, l'administration doit exercer ses pouvoirs dans les limites de ce
qu'exige l'intérêt général et de ce que permet la légalité.

a. Les pouvoirs de direction et de contrôle

L’administration dispose de pouvoirs de contrôle et de direction, c'est-à-dire


des pouvoirs de surveiller et de contrôler l’exécution du contrat. Elle peut
vérifier à tout moment que le cocontractant se comporte conformément aux
clauses du contrat et exiger de lui tout renseignement propre pour permettre
les vérifications qu’elle se propose.

L’administration peut d’autre part, imposer au cocontractant, certaines


modalités d’exécution non précisées dans le contrat.

b. Les pouvoirs de sanction

Il vise à réprimer les défaillances contractuelles. Il se fonde sur la nécessité


d’assurer, directement ou indirectement, malgré lesdites défaillances, la
continuité du service de l’intérêt général, du service public et le bon
fonctionnement de celui-ci.

Trois remarques s’imposent :

449
1 - C’est un pouvoir détenu de plein droit par l’administration :
l’administration détient ce pouvoir, que cela soit ou non stipulé dans le contrat.

2 - L’administration ne peut infliger de sanctions à son cocontractant


sans l’avoir mis en demeure d’exécuter ses obligations - respect des droits de la
défense oblige, sauf urgence ou clause contraire.

3 - Le juge contrôle la légalité des sanctions. Mais, en principe, le juge


ne peut pas annuler les sanctions prises par l’administration. S’il les trouve
injustifiées, il peut seulement condamner l’administration à verser une
indemnité. Par exception, dans le cas de certains contrats, le juge pourra
annuler les sanctions irrégulières.

Quelles sanctions l’administration peut-elle prononcer ?

L’administration peut prononcer

1 - une résiliation-sanction. Elle vise à réprimer un manquement, une


faute grave du cocontractant. Elle met fin au contrat. Dans le cadre d’une
concession, l’administration ne peut, en principe, prononcer une résiliation-
sanction. En principe toujours, seul le juge a le pouvoir de prononcer une telle
sanction dénommée déchéance du concessionnaire (à condition que le
cocontractant ait commis une faute d’une particulière gravité – C.E., 12 mars
1999, MERIBEL) ;

2 - des sanctions pécuniaires. Il s’agit de pénalités ou d’amendes. Les


premières sont fixées à l’avance par le contrat et revêtent un caractère
forfaitaire167 ;

3 - des sanctions coercitives. Elles permettent à l’administration


d’évincer son cocontractant.

167
L’administration les inflige à son cocontractant sans avoir à démontrer qu’elle a subi un préjudice.

450
Exemple : Par incapacité ou mauvais vouloir, le cocontractant C
s’abstient durablement d’exécuter ses obligations contractuelles. Continuité du
service public oblige, l’administration va lui substituer un tiers T. Cette
substitution ne met pas fin au contrat liant l’administration à C. Mais
l'exécution du contrat sera assurée par T aux frais et risques de C.

Le nom de la procédure de substitution est variable :

* concession : mise sous séquestre ;

* marché de travaux publics : mise en régie éventuellement suivie


d’une réadjudication à la folle enchère ;

* marché de fournitures : exécution par défaut.

b - Le pouvoir de modification unilatérale


C’est l’une des prérogatives qui tranchent le plus sur le droit commun
des contrats - Sur son caractère spécifique découlant de son admission
généralisée, voir supra l’introduction à ce I.

Elle rappelle le pouvoir de direction, mais elle ne saurait être confondue


avec lui. Le pouvoir de modification unilatérale ne concerne pas la manière
dont le cocontractant exécute ses prestations. Il a trait au contenu même des
prestations.

Définition : pouvoir reconnu à l’administration de modifier, en cours


d’exécution, l’étendue des prestations à effectuer par le cocontractant.

Il a pour effet soit une augmentation, soit une diminution de ces


prestations.

Moyens utilisés : des actes administratifs unilatéraux individuels


dénommés ordres de service :
451
Illustrations :

* C.E., 21 mars 1996, SARL CITRA PACIFIQUE : « la société à


responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE, pour justifier le remboursement du
surcoût qu'elle estime avoir dû supporter dans la fabrication des acropodes
invoque la modification unilatérale du contrat qui aurait résulté de l'ordre de
service du 7 janvier 1993 ; […] »

* C.E., 15 mars 2000, FABRE et PUIG : « Considérant que le régime de


rémunération fixé par la délibération attaquée ayant un caractère
réglementaire, les requérants ne sauraient utilement soutenir que cette
délibération a constitué une modification unilatérale de leur contrat ; […] » (Cf.
infra Fait du prince et Imprévision)

Quel est le fondement du pouvoir de modification unilatérale ?

Réponse : C.E., 6 mai 1985, M. Ricard : « Considérant que si les règles


générales applicables aux contrats administratifs permettent à l'administration,
seule compétente pour régler l'organisation du service public, de modifier
unilatéralement de tels contrats […] »

Le pouvoir de modification unilatérale se fonde sur les principes de


mutabilité et de continuité du service de l’intérêt général et du service public.

Bien souvent, le contrat est conclu en vue de pourvoir, directement ou


indirectement, aux besoins du service public. Et ces besoins sont évolutifs
comme le service public lui-même et l’intérêt général. Il est donc opportun de
ne pas figer les prestations du cocontractant sous peine d’entraver, à court
terme, la mutation du service public et, à long terme, sa continuité.

452
Le commissaire du Gouvernement Léon Blum observait :

"Il est évident que les besoins auxquels un service public de cette nature
doit satisfaire et, par suite, les nécessités de son exploitation, n’ont pas un
caractère invariable... L’État ne peut pas se désintéresser du service public du
transport une fois concédé... [Il] interviendra donc nécessairement pour
imposer, le cas échéant, au concessionnaire, une prestation supérieure à celle
qui était prévue strictement..., en usant non plus des pouvoirs que lui confère
la convention, mais du pouvoir qui lui appartient en tant que puissance
publique". (Conclusions sur C.E., 21 mars 1910, Compagnie générale française
des tramways, Rec. p. 216.)

Quatre observations s’imposent :

1 – Le pouvoir de modification unilatérale est un pouvoir détenu de plein


droit par l’administration. L’administration détient ce pouvoir, que cela soit ou
non stipulé dans le contrat - C.E., 2 février 1983, Union des transports publics
urbains et régionaux. Le pouvoir de modification unilatérale s’applique à tous
les contrats administratifs. Il a été reconnu d’abord implicitement par l’arrêt
C.E., 10 janvier 1902, Compagnie nouvelle du gaz de Déville-lès-Rouen, puis plus
nettement par l’arrêt C.E., 21 mars 1910, Compagnie générale française des
tramways ;

2 – Comme contrepartie de la modification unilatérale et de l’aggravation


de ses charges, le cocontractant a droit à une indemnité versée par
l’administration contractante – Cf. infra Equation financière ;

3 - Mais ce pouvoir est exclu à l’égard de certaines clauses du contrat :


par exemple, les clauses relatives au prix versé au cocontractant.

Toutefois, cette exclusion a une limite : C.E., 26 novembre 1975, SA


Entreprise PY : « considérant que, si le caractère définitif des prix stipulés au
marché s'oppose en principe à toute modification unilatérale ultérieure, ce
453
principe ne saurait recevoir application dans le cas exceptionnel ou, comme en
l'espèce, il s'agit d'une erreur purement matérielle et d'une nature telle qu'il
est impossible à la partie de s'en prévaloir de bonne foi ; […]».

Il n’est pas possible non plus de modifier unilatéralement et directement


un contrat dont le contenu est "entièrement défini par voie législative et
réglementaire" – C.E., 6 mai 1985, Ricard, arrêt précité relatif à l’ancien contrat
d’abonnement téléphonique ;

4 - Les modifications ne doivent pas dépasser certaines limites. Des


prestations totalement nouvelles, qui changent l’objet du contrat, donnent
naissance, de fait, à un nouveau contrat ; le cocontractant pourrait refuser de
les exécuter et demander la résiliation du contrat. Qui plus est, les
modifications prescrites ne doivent être ni imprécises ni impossibles à exécuter
(C.E., 5 avril 2002, SOCIETE DES MINES DE SACILOR LORMINES).

Evidemment, une modification unilatérale fautive engage la


responsabilité contractuelle de l’administration (CAA de Paris, 27 février 1997,
SARL ARM PAJANI ; cf. Equation financière et Fait du prince). Tel est le cas
d’une modification unilatérale rendant impossible l’exécution du contrat : la
résiliation sera alors prononcée aux torts et griefs de l’administration.

Ne sont vraiment unilatérales que les modifications apportées au


contrat après la signature de celui-ci.

Illustration : C.E., 30 novembre 1990, SOCIETE COIGNET ENTREPRISE :

« Considérant, d'autre part, que si de légères modifications des


prestations prévues par le dossier d'appel d'offres ont été apportées au contrat
avant la signature de celui-ci, la SOCIETE COIGNET ENTREPRISE a accepté ces
modifications en signant le contrat définitif ; que les prestations qui lui ont été
demandées ont été en tout point conformes à celles prévues dans ce contrat ;
qu'ainsi la société n'est pas fondée à demander une indemnité de ce chef ; […]

454
Le pouvoir de modification unilatérale

Une des particularités la plus remarquable des contrats administratifs est que
l’administration peut en cours d’exécution du contrat modifier l’étendue des
prestations à effectuer par le cocontractant, exiger des augmentations ou
diminutions de ces prestations. Le pouvoir de modification est très général.
Cependant, pour ne pas vider complètement de son sens l’accord de volontés
qui reste le fondement du contrat, la jurisprudence enferme dans de strictes
limites l’exercice de ce pouvoir de modification unilatérale. En d’autres termes,
ce pouvoir n’est pas illimité.

Sa généralité consiste en ce qu’il existe à l’égard de tous les contrats


administratifs : CE, 21 mars 1910, Cie Générale Française des tramway, GAJA,
(arrêt de principe) ; CE, 10 janvier 1902, Cie Nouvelle du Gaz de Deville-les
Rouen, GAJA

C.E., 2 février 1983, Union des Transports Publics Urbains et Régions, RDP 1984
P.212 ;C.E, 6 mai 1985, Ricard, AJDA 1985, P.736

A la lumière de la jurisprudence le pouvoir de modification unilatérale


constitue « un élément de la théorie générale des contrats administratifs »
mais le pouvoir de modification unilatéral n’existe qu’à l’égard de certaines
clauses du contrat. Seules peuvent être modifiées unilatéralement, les clauses
du contrat qui intéressent le fonctionnement du service public et mettent ainsi
en jeu ses besoins. En d’autre terme les modifications doivent être justifiées
par l’intérêt général. Ce pouvoir de modification doit épargner les clauses du
contrat définissent son objet et qui ne peuvent être remise en cause que de
façon bilatérale. C’est donc exclusivement sur les conditions du service que les
modifications peuvent être imposées par l’administration à son cocontractant.
De plus les clauses financières ne sauraient être touchées en elles-mêmes. CE,
7 décembre 1973, Sloan, Réc. P. 705.

455
d - Le pouvoir de résilier le contrat dans l’intérêt du service
Il ne doit pas être confondu avec le pouvoir de résiliation-sanction. Il se
fonde sur le principe de mutabilité du service public. Le contrat a été conclu
dans l’intérêt du service. A un moment donné, il ne cadre plus avec cet intérêt
qui est évolutif. Il est légitime d’y mettre un terme. Le cocontractant recevra
une indemnisation adéquate pour le préjudice subi.

L’exercice de ce pouvoir n’équivaut donc pas à une sanction ; il peut


s’appliquer à tous les contrats administratifs contrairement à la résiliation-
sanction - Cf. supra.

e - Les obligations de l’administration contractante


La plupart des obligations de l’administration contractante font pendant
aux droits de son cocontractant - Cf. infra, les droits du cocontractant.

Les autres ne se distinguent guère des devoirs généraux de


l’administration :

- obligation de respecter les stipulations contractuelles aussi longtemps


qu’elles n’auront pas été régulièrement modifiées (unilatéralement ou par
accord),

- obligation d’user des prérogatives uniquement en vue de l’intérêt


général,

- obligation d’agir dans le respect des formes et procédures prescrite

2 - Les droits et obligations du cocontractant de l'administration

Dans l’exécution du contrat, le cocontractant bénéficie de garanties qui sont de


deux ordres :

456
a. Le paiement du prix convenu

Il est soumis à deux principes :

- L’irrévocabilité du prix. Il signifie que l’administration ne peut révoquer le prix


convenu que si le contrat prévoit des clauses de révision.

- Le service fait : le cocontractant de l’administration n’a droit au paiement du


prix qu’après l’exécution du contrat. Toutefois, des dérogations sont faites à
travers des mécanismes d’avance et d’acompte.

b. Le droit à indemnité

Le cocontractant de l’administration peut avoir droit à des indemnités pour des


causes diverses liées à des incidents d’exécution. En cas de faute préjudiciable
au cocontractant et commise par la faute de l’administration, celle-ci peut voir
engager sa responsabilité dans les termes du droit commun.

c - Les obligations
Le cocontractant est tenu d'exécuter ses obligations contractuelles. Cette
exécution doit être:

- personnelle : la sous-traitance est subordonnée à l'agrément explicite


ou tacite de l'administration contractante,

- intégrale,

- effectuée dans les délais convenus.

457
Bien entendu, le cocontractant ne peut modifier (juridiquement) ses
prestations qu’avec l’accord de l’administration contractante (CAA de Lyon, 30
août 1995, Commune de Méribel-les-Allues).

Seuls événements pouvant libérer le cocontractant de ses obligations : la


force majeure ou le fait de l’administration rendant impossible l’exécution du
contrat.

458
B. L’influence des faits extérieurs (circonstances nouvelles) sur l’exécution du
contrat.

Durant l’exécution du contrat administratif, il peut survenir des faits nouveaux


qui empêchent ou simplement gênent cette exécution ou qui, d’une manière
plus générale, modifient les conditions d’exécution du contrat. Ces événements
peuvent être dus à des circonstances purement extérieures ou provenir du fait
de l’administration : il y a lieu de rechercher quelles sont les conséquences de
ces faits nouveaux à l’égard des obligations du cocontractant : dans quels cas
ouvrent-ils à son profit un droit à indemnisation ? Dans quels cas ces faits
relèvent-ils le cocontractant de son obligation d’exécuter ?

459
1. Les faits extérieurs donnant lieu à indemnisations administratives

L'équation financière et le fait du prince


Il s'agit de deux théories souvent confondues en doctrine, et, parfois, en
jurisprudence – La conception exposée ici est empruntée au Doyen Vedel.
Leur distinction se révèle significative et éclairante puisqu’elles désignent des
réalités différentes et reconnues comme telles – par delà les logomachies, les
querelles de mots.

Ces deux théories trouvent à s'appliquer lorsque l'événement qui aggrave


les charges du cocontractant est imputable à la personne publique
contractante. Malgré l’aggravation de ses charges, le cocontractant doit
effectuer ses prestations : continuité du service de l’intérêt général oblige. En
contrepartie, il peut prétendre à une indemnité.

a - L'équation financière

Définition : théorie permettant l’indemnisation du cocontractant lorsque


l'administration contractante, agissant en tant que partie au contrat, modifie
unilatéralement et directement les modalités d'exécution du contrat ou les
prestations du cocontractant.

Dans ce cas de figure, l'administration ne fait qu’user de son pouvoir de


modification unilatérale. Pouvoir qu'elle détient, de plein droit : il existe même
s'il n'est pas stipulé dans le contrat administratif – moyen juridique utilisé : un
acte administratif individuel - Cf. supra. Le cocontractant voit ses charges
initiales aggravées. Il a droit à une compensation, à une indemnisation
intégrale versée par l'administration contractante. Peu importe l'ampleur de
l'aggravation des charges.

460
Exemple : Une commune (représentée par son maire) signe un contrat
de concession avec une société privée. En vertu de ce contrat, la société
concessionnaire a la charge d'organiser les transports publics en percevant des
redevances sur les usagers. Ultérieurement, le maire exige que la société
concessionnaire augmente le nombre des véhicules mis en service. Il s'agit d'un
cas d'équation financière et non du fait du prince parce que le maire visait
directement le contrat ; il a agi comme partie contractante. Si, par
extraordinaire, cette mesure qui visait directement le contrat était le fait de
l'Etat (partie non contractante), on écarterait la théorie de l'équation financière
au profit de l'imprévision.

La théorie de l’équation financière a comme fondement l’idée que


l’équilibre financier du contrat initialement voulu par les parties doit être
préservé ou rétabli, parfois dans l’intérêt général.

Exemple : C.E., 20 mai 1994, Société LE GARDIENNAGE INDUSTRIEL DE LA


SEINE :

« Considérant, d'une part, que la société LE GARDIENNAGE INDUSTRIEL


DE LA SEINE ne pourrait fonder ses prétentions à être indemnisée de ses pertes
d'exploitation sur le fondement de l'équilibre financier des contrats de
concession que dans le cas où le SYNDICAT DES TRANSPORTS PARISIENS aurait
unilatéralement modifié lesdits contrats ;[…] »

Le Conseil d’Etat voit dans ce droit au maintien de l'équilibre financier du


contrat un principe d’équité qui ne saurait être valablement écarté par des
stipulations contractuelles :

461
L’administration contractante commettrait une faute si, après avoir
rompu unilatéralement cet équilibre, elle ne le rétablissait pas par le versement
d’une indemnité adéquate.

Exemple : C.E., 12 mars 1999, MERIBEL :

« Considérant que, par la délibération du 22 mai 1990, le conseil municipal de


la commune des Allues a émis le souhait que le "Centre Gacon" ne soit pas
fermé avant 1992, alors que les terrains correspondants devaient être remis à
la société concessionnaire au plus tard le 31 décembre 1989 ; qu'à la suite de
cette délibération et compte tenu de l'hostilité de la population de la commune
au projet de fermeture du "Centre Gacon", la commune a entendu modifier
unilatéralement le contrat de concession sur ce point ; que, saisie à plusieurs
reprises et notamment par la lettre susmentionnée du 21 août 1990, par la
société concessionnaire afin de voir l'équilibre financier du contrat rétabli, la
commune a refusé de faire droit à ces demandes ; que les fautes ainsi
commises par la commune sont suffisamment graves pour justifier la
résiliation de la concession à ses torts ;[…] »

b. La théorie du fait du prince

En un sens large on appelle « fait du prince » toute mesure édictée par les
pouvoirs publics ayant pour conséquence de rendre plus difficile et onéreuse
l’exécution du contrat par le cocontractant (A de Laubadère, JC Venezia, Y.
Gaudemet , Traité de Droit Administratif p. 778 n° 1069)

462
Dans l’exécution du contrat administratif, les prérogatives de l’administration
contractante peuvent dans certaines hypothèses modifier les conditions
d’exécution du contrat et aggraver les obligations du cocontractant rompant
ainsi l’équilibre des charges et profits sur le but duquel il avait accepté de
s’engager. L’exécution du contrat est alors affecté par un « aléa administratif »
(par opposition à l’idée « d’aléa économique » que l’on rencontrera dans la
théorie de l’imprévision)

Ces mesures revêtent d’ailleurs des caractères de nature diverse : elles peuvent
émaner de l’administration contractante ou d’une autre personne publique.
Elles peuvent consister en des mesures particulières ou dans des lois ou
règlements. Ou encore, ces mesures peuvent toucher directement l’objet du
contrat ou avoir seulement des répercussions indirectes sur lui.

La théorie du fait du principe consiste en ce que certaines de ses mesures dans


certaines conditions ouvrent au profit du cocontractant, à l’encontre de
l’administration avec laquelle il a contracté un droit à être couvert
intégralement de « l’aléa administratif » c'est-à-dire intégralement indemnisé
des conséquences onéreuses qui en ont résulté. Cette théorie ne s’applique pas
à n’importe quel fait. De plus toute mesure administrative ayant un effet
perturbateur sur l’exécution du contrat n’est pas nécessairement constitutive
du fait du prince, d’où l’importance de la délimitation du champ d’application
de la théorie. Comme le souligne De LAUBADERE (Traité P.779, n° 1070) « la
notion jurisprudentielle du fait du prince est complexe. Elle a évolué dans le
sens d’un rétrécissement important. Ce rétrécissement a consisté en ce que
certaines situations englobées auparavant dans la notion du fait du prince
échappent maintenant à cette théorie pour relever de celle de l’imprévision ».
Poursuivant son analyse, il estime que cette transformation est importante
parce que le droit du cocontractant à indemnisation est différent dans les deux
théories sur deux points :

463
- d’une part alors que dans la notion du fait du prince, le droit à indemnité est
ouvert pour toute aggravation de la situation du cocontractant, dans la théorie
de l’imprévision, il faut que cette situation ait subi un véritable
bouleversement.

- d’autre part, alors que le fait du prince donne droit à réparation intégrale,
l’imprévision ne provoque jamais qu’un partage des charges nouvelles.

Dans la délimitation du champ d’application de la notion du fait du prince on


note une divergence dans la doctrine administrative. Trois hypothèses sont à
distinguer :

 La première hypothèse à considérer, est celle où la modification des


conditions de l’exécution du contrat a été décidée par l’administration
contractante agissant en tant que partie au contrat.

 La seconde hypothèse est celle où une autre personne publique que celle
qui est partie au contrat prend des mesures qui ont pour effet d’aggraver les
conditions d’exécution du contrat.

 La troisième hypothèse est celle ou la situation du cocontractant est


aggravée du fait d’une mesure prise par la personne publique contractante
mais agissant en une autre qualité que celle de partie au contrat.

Pour le Professeur LAUBADERE, ce sont seulement les mesures prises par


l’autorité contractante qui donnent lieu à la notion du fait du prince. Selon lui
le type de ces mesures est constitué dans le cas où l’administration impose à
son cocontractant en vertu de son pouvoir de modification unilatérale des
obligations nouvelles. C’est l’hypothèse où la notion de fait de prince joue à

464
plein sans difficulté. C’est également le point de vue de Jean RIVERO et Jean
WALINE et de Jean François LACHAUME.

Par contre pour le Professeur CHAPUS (Droit.Administratif Général p1105) la


première hypothèse est considérée comme ne relevant pas de cette théorie.
Pour lui, les deux autres hypothèses sont l’une et l’autre les véritables
illustrations de la théorie du fait du prince.

G. VEDEL et P. DELVOLVE (Droit Administratif) semblent limiter la théorie du


fait du prince à la 3ème hypothèse.

Ce point de vue est aussi partagé de Francis Paul Benoît (Le Droit Administratif
Français).

La théorie du fait prince s’applique lorsque l’administration aggrave


indirectement la situation du cocontractant par des mesures qui n’ont pas pour
objet de toucher au contrat lui-même, mais qui l’affectent par répercussion. La
tendance de la jurisprudence est de distinguer selon que les mesures prises
frappent ou non spécialement en fait le cocontractant. La prise en
considération des effets de ces mesures sur le cocontractant est déterminante.

Lorsqu’il s’agit de mesures à portée particulière, le cocontractant à droit à


indemnisation. En d’autres termes, si les effets des mesures sont limités au
cocontractant, il aura droit au rétablissement de l’équilibre financier du
contrat.

Par contre, s’il s’agit de mesures à portée générale, le cocontractant ne peut en


principe prétendre à être indemnisé parce qu’il s’agit alors d’une charge
atteignant tous les citoyens. Dans cette dernière hypothèse, le cocontractant
pourra peut-être invoquer la théorie de l’imprévision mais non celle du prince.

Contrairement à l’opinion du professeur CHAPUS, la doctrine administrative


estime que la théorie du fait du prince est inapplicable si la mesure émane

465
d’une personne publique autre que celle qui a contracté. Dans cette dernière
hypothèse, le cocontractant pourra peut être invoquer la théorie de
l’imprévision (si les conditions de cette notion sont par ailleurs réunies) mais
non celle du fait du prince. CE 4 mars 1949 ville de Toulon. CE 15 juillet 1949
Ville d’ELBEUF.

Le fait du prince entraîne l’obligation pour l’administration contractante


d’indemniser intégralement son cocontractant pour le préjudice subi. Le
principe de l’indemnisation intégrale est essentiel. Le cocontractant est couvert
de la totalité de l’ « aléa administratif » sauf dans les cas où une indemnisation
forfaitaire a été prévue dans le contrat.

Le fait du prince

Définition : théorie permettant l’indemnisation du cocontractant lorsque


l'administration contractante, bien qu’elle n’agisse pas en tant que partie au
contrat, modifie unilatéralement et indirectement les modalités d'exécution du
contrat ou les prestations du cocontractant.

L'administration intervient non en sa qualité de partie mais en tant que


puissance publique (d’où Prince), sur le fondement de ses compétences
générales, au moyen, en principe, d’un acte réglementaire (une des différences

466
avec la modification unilatérale directe – Cf. supra l’étude de ce pouvoir). Elle
peut intervenir, par exemple, sur le fondement de ses compétences de police.

Exemple : Une commune (représentée par son maire) signe un contrat


de concession avec une société privée. En vertu de ce contrat, la société
concessionnaire a la charge d'organiser les transports publics en percevant des
redevances sur les usagers. Ultérieurement, le maire institue pléthore de voies
à sens uniques s'imposant à tous les véhicules. Les charges du concessionnaire
seront aggravées. Il s'agit du fait du prince, et non d'un cas d'équation
financière, parce que le maire ne visait pas directement le contrat ; il a agi
comme autorité de police. Si, par extraordinaire, ces mesures de police qui ne
visaient pas directement le contrat étaient le fait de l'Etat (partie non
contractante), on écarterait la théorie du fait du prince au profit de
l'imprévision.

La jurisprudence subordonne l’indemnisation à deux conditions :

- la mesure doit avoir porté atteinte à l'objet même du contrat,

- la mesure devait être imprévisible à la date de la signature du contrat.

La théorie du fait du prince se fonde

1 - sur la continuité du service de l’intérêt général et du service public :


le cocontractant sert, directement ou indirectement, le service public. S’il
n’était plus à même d’exécuter ses obligations, le fonctionnement du service
public pourrait être entravé, le service de l’intérêt général compromis ;

2 - sur l'idée d'équilibre financier (Cf. supra l’équation financière).

467
L’action en indemnité du cocontractant pour fait du prince (ou dans le
cadre de l’équation financière) se situe sur le terrain de la responsabilité
contractuelle et non sur celui de la responsabilité quasi-délictuelle.

Illustration : CAA de Paris, 23 juillet 1991, Société COFIROUTE, arrêt


précité :

« Sur la responsabilité pour faute :

Considérant que la société COFIROUTE, liée à l'Etat par un contrat de


concession, ne peut utilement invoquer la responsabilité quasi-délictuelle qui
découlerait de l'illégalité fautive des mesures d'application du contrôle des prix
prises à l'égard de la société ; que dès lors, la société COFIROUTE n'est pas
fondée à se plaindre que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif
de Paris a considéré que la responsabilité pour faute de l'Etat ne pouvait être
engagée à son égard ; […] »

D’une manière générale :

« lorsqu'une faute ayant le caractère d'une faute quasi-délictuelle a un


lien avec un contrat, la responsabilité délictuelle est absorbée par la
responsabilité contractuelle » - CA.A. de Paris, 22 avril 2004, Société Bouygues
et autres.

c - L'imprévision et les sujétions imprévues


Elles se fondent sur la nécessité d’assurer la continuité du service de
l’intérêt général, et, directement ou indirectement, celle du service public. Elles
trouvent à s'appliquer lorsque l'événement qui aggrave les charges du
cocontractant n'est pas imputable à la personne publique contractante.

►La théorie de l’imprévision

468
Conditions générales

Au cours de l’exécution d’un contrat, il peut arriver que des évènements


indépendants de la volonté du cocontractant, anormaux et imprévisibles
viennent rendre l’exécution du contrat onéreuse, du moins accroître dans des
proportions massives, les charges du cocontractant et troubler ainsi
profondément l’économie du contrat.

L’hypothèse de l’imprévision crée au sein même de l’exécution du contrat une


situation « extracontractuelle », c'est-à-dire sortant des prévisions des parties
et ne pouvant être résolues sur la base même de leur convention.

La notion de l’imprévision est née de la préoccupation de satisfaire les


exigences de continuité du service public spécialement dans l’hypothèse du
bouleversement de l’économie des contrats de concession de service public.
Mais la notion de l’imprévision a vocation à s’appliquer à tous les autres
contrats à longue période d’exécution tels que les grands marchés de travaux
publics ou de fournitures dont la bonne exécution est nécessaire au
fonctionnement continu des services publics.

Les principes de l’imprévision ont été dégagés par deux décisions


complémentaires : C.E., 30 mars 1916, Compagnie générale d'éclairage de
Bordeaux (Rec. p.125) - ou arrêt Gaz de Bordeaux ; C.E. Ass., 9 décembre 1932,
Compagnie des tramways de Cherbourg (Rec. p. 1050).

Définition : théorie permettant d’obliger l'administration contractante à


aider financièrement son cocontractant lorsqu'un événement imprévisible,
anormal et indépendant de la volonté des parties bouleverse l'économie du
contrat.

Elle a pour justification la nécessité d’assurer la continuité du service de


l’intérêt général, et, directement ou indirectement, celle du service public :

469
« Considérant que, au cas où des circonstances imprévisibles ont eu pour
effet de bouleverser le contrat, il appartient au concédant de prendre les
mesures nécessaires pour que le concessionnaire puisse assurer la marche du
service public dont il a la charge […] » C.E. Ass., 9 décembre 1932, Compagnie
des tramways de Cherbourg.

Conditions d’application de la théorie

La jurisprudence a défini les conditions d’application de l’imprévision.

Illustration : CAA de Douai, 27 mars 2001 SA Société Française


d'Assainissement et de Services : « […] que, par suite, la SA société française
d'assainissement et de services n'établit pas l'existence d'un déficit
d'exploitation qui soit la conséquence directe d'un événement imprévisible
indépendant de l'action des contractants ayant entraîné un bouleversement
de l'économie du contrat ; qu'elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est
à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à l'allocation
d'une indemnité au titre de l'imprévision ; […] »

Les conditions d’application de l’imprévision sont donc au nombre de


trois :

Pour que joue la notion de l’imprévision, il faut que les évènements qui la
provoquent, aient un caractère anormal et imprévisible, soient indépendants
de la volonté du cocontractant et enfin entraînent un bouleversement de
l’économie du contrat.

470
►L’évènement invoqué pour faire jouer la notion de l’imprévision doit être
anormal et imprévisible.

Dans l’exécution de tout marché à longue durée, il existe des aléas. Mais il faut
distinguer les aléas ordinaires, lesquels font partie des risques que le
cocontractant est censé avoir accepté de courir, et les aléas extraordinaires qui
seuls donnent lieu à imprévision. L’aléa extraordinaire est « l’évènement
déjouant tous les calculs que les parties ont pu faire au moment du contrat »
(Conclusions CORNEILLE, CE 3 décembre 1920, FROMASSOL.)

Ainsi les variations de prix provenant des fluctuations économiques courantes


en régime capitaliste sont des aléas ordinaires. Au contraire, elles peuvent
devenir des aléas extraordinaires lorsqu’elles proviennent d’évènements
anormaux, exceptionnels et par ailleurs n’ont pu entrer dans les prévisions des
parties au moment du contrat : les guerres, les dépréciations monétaires, les
crises économiques constituent des exemples-types d’évènements pouvant
donner lieu à imprévision.

CE. 25 nouv. 1921 Cie des Automobiles Postales ; 30 novembre 1938, Société
de Centre Electronique.

► L’évènement invoqué doit avoir été indépendant de la volonté du


cocontractant. Et s’il est imputable à l’administration, c’est la théorie du fait
du prince entraînant une indemnisation intégrale qui en principe s’appliquera
et non celle de l’imprévision.

► L’évènement invoqué doit aboutir à un véritable bouleversement de


l’Economie générale du contrat.

471
En d’autres termes, l’évènement doit avoir entraîné dans l’exécution du contrat
une perturbation suffisamment profonde pour faire apparaître ce que la
jurisprudence appelle une « situation extracontractuelle ». L’imprévision
suppose un déficit subit par le cocontractant. La simple diminution ou
disparition du profit ne suffit jamais à la faire jouer. L’évènement doit aggraver
les charges du cocontractant dans une mesure telle qu’une situation
extracontractuelle se trouve créée. Il faut donc que l’évènement engendre un
déficit important et persistant qui dépasse l’aléa normal et qui sortant ainsi des
prévisions du cocontractant, on entre dans une situation extracontractuelle
pendant laquelle les techniques prévues par le contrat, notamment en matière
d’augmentation de prix, ne permettent plus momentanément d’assurer
l’équilibre financier du contrat.

Les effets de la théorie

L’état d’imprévision laisse subsister à la charge du cocontractant son obligation


d’exécution mais ouvre à son profit un droit à compensation financière. L’état
d’imprévision ne libère le cocontractant d’aucune de ses obligations. Le
cocontractant à droit à une compensation dite indemnité d’imprévision. Celle-
ci doit tenir compte uniquement des pertes subies c'est-à-dire des déficits
subits par les charges extracontractuelles. L’indemnité d’imprévision ne couvre
pas la totalité du préjudice subi par le cocontractant.

L’esprit de la notion de l’imprévision est que l’aide apportée au cocontractant


est destinée à lui permettre de faire face à des difficultés temporaires. Si le
retour à la normale ne se produit pas au terme d’un délai raisonnable,
l’administration contractuelle ne saurait continuer à prendre en charges les
dépenses du cocontractant. Aussi, à défaut d’accord amiable avec le
cocontractant pour l’adaptation du contrat à une situation qui apparaît comme
permanente, l’Administration est en droit d’obtenir du juge (que le
cocontractant peut saisir aux mêmes fins), le prononcé de la résiliation de ce
contrat qui a cessé d’être viable.

La théorie de l'imprévision s'applique à des situations temporaires. Si le


déficit devient permanent et définitif, les difficultés sont assimilées à la force
472
majeure. Chacune des parties peut, alors, demander au juge la résiliation du
contrat : C.E., Ass., 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg :

« Considérant que, au cas où des circonstances imprévisibles ont eu pour


effet de bouleverser le contrat, il appartient au concédant de prendre les
mesures nécessaires pour que le concessionnaire puisse assurer la marche du
service public dont il a la charge, et notamment de lui fournir une aide
financière pour pourvoir aux dépenses extracontractuelles afférentes à la
période d'imprévision, mais que cette obligation ne peut lui incomber que si le
bouleversement du contrat présente un caractère temporaire ; que, au
contraire, dans le cas où les conditions économiques nouvelles ont créé une
situation définitive qui ne permet plus au concessionnaire d'équilibrer ses
dépenses avec les ressources dont il dispose, le concédant ne saurait être tenu
d'assurer aux frais des contribuables, et contrairement aux prévisions
essentielles du contrat, le fonctionnement d'un service qui a cessé d'être viable
; que, dans cette hypothèse, la situation nouvelle ainsi créée constitue un cas
de force majeure et autorise à ce titre aussi bien le concessionnaire que le
concédant, à défaut d'un accord amiable sur une orientation nouvelle à donner
à l'exploitation, à demander au juge la résiliation de la concession, avec
indemnité s'il y a lieu, et en tenant compte tant des stipulations du contrat que
de toutes les circonstances de l'affaire ; […]»

Pour une application récente, voir C.E., 4 juin 2000, Commune de


Staffelfelden ; C.J.E.G. n° 571, p.476.

A noter qu’une indemnité d’imprévision « peut être accordée même si


le contrat a pris fin » - C.E., Sect., 12 mars 1976, Département des Hautes-
Pyrénées c/ Société Sufilia, Rec. p. 153. Explication étonnante donnée dans
cette affaire par le commissaire du gouvernement Labetoulle : c’est encore
honorer le principe de continuité que « de dire au cocontractant que pour tout
moment de son contrat, l’obligation qui pèse sur lui d’assurer cette continuité
est virtuellement porteuse, le cas échéant, d’une compensation financière ».

473
Exemple d'application de la théorie de l'imprévision : A (une commune,
donc personne publique) conclut un contrat C avec B (personne privée). E
(l'Etat) prend des mesures juridiques qui répondent aux critères présentés plus
haut. La théorie de l'imprévision s'appliquera au contrat C. Si ces mesures
juridiques étaient le fait de A, on écarterait la théorie de l'imprévision au profit
soit du fait du prince, soit de l'équation financière.

La théorie de l'imprévision est en perte de vitesse en raison de la


prévoyance des parties qui insèrent souvent dans les contrats des clauses de
révision ou de variation des prix.

► La théorie des sujétions imprévues


Elle a pour justification la nécessité d’assurer, directement ou
indirectement, la continuité du service de l’intérêt général et du service public.

Elle est propre aux marchés de travaux publics.

Elle s'applique en cas de difficulté d'ordre matériel que les parties ne


pouvaient prévoir. Difficulté aggravant anormalement les charges de
l'entrepreneur - roche particulièrement dure, nappe d’eau inattendue.
L’indemnisation est intégrale.

Conditions : « pour ouvrir droit à réparation les sujétions imprévues


doivent présenter un caractère exceptionnel et imprévisible » à la date de la
signature du contrat - CAA de Paris, 20 juin 1991, Société "AQUITECH".

474
N.B. : les sujétions imprévues procèdent d’une responsabilité
extracontractuelle.

Illustration : « Considérant qu'en première instance la requérante n'a


invoqué que le fondement de la responsabilité extracontractuelle à raison des
sujétions imprévues auxquelles elle s'est estimée confrontée ; qu'elle prétend
faire valoir en outre en appel que la responsabilité des intimés est engagée tant
à raison de fautes contractuelles du maître de l'ouvrage tenant au défaut de
souscription d'une police d'assurance appropriée que du fait du prince qui lui
serait en l'espèce imputable ; qu'en ce qui concerne le premier de ces
fondements ses prétentions sont fondées sur une cause juridique distincte et
constituent ainsi une demande nouvelle comme telle irrecevable en appel;[…] »
- CAA de Paris, 20 juin 1991, Société "AQUITECH".

2. Faits extérieurs dégageant les contractants de leurs obligations : la force


majeure

C’est un évènement extérieur indépendant de la volonté des contractants et


empêchant l’exécution du contrat. Lorsqu’un tel évènement se produit, il a
pour effet de libérer le cocontractant de son obligation. Pour que la force
majeure entraîne des conséquences, il faut que soient réunies trois conditions :

1. le fait invoqué doit avoir été absolument indépendant de la volonté du


cocontractant ;

2. le fait invoqué doit avoir été imprévu et imprévisible ;

475
3. le fait invoqué doit avoir rendu radicalement impossible l’exécution du
contrat. Le cocontractant n’est pas libéré par de simples difficultés mais par
une impossibilité insurmontable. CE 09 octobre 1974, Maler, RDP 1975 p.305.

La force majeure a pour effet de libérer le cocontractant de son obligation


d’exécuter. Il en résulte d’une part qu’elle est pour lui une cause d’exonération
de sa responsabilité contractuelle et prive l’administration du droit d’appliquer
des sanctions pour inexécution ; d’autre part qu’elle permet au cocontractant
de demander au juge la résiliation du contrat. La force majeure ne produit ses
effets que pendant le temps où elle se manifeste. Si elle vient à prendre fin,
l’obligation réparait.

476

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