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La reconnaissance de la possibilité d’assumer la gestion de services publics et de disposer à ce


titre de prérogatives de puissance publique, fait entrer ces personnes privées dans le champ
de compétence de la juridiction administrative (CE, Sect., 13 octobre 1978, Association
départementale pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles du Rhône ;
TC, 6 novembre 1978, Bernardi). La compétence administrative vise les actes édictés par les
entités privées ainsi que leur responsabilité.
Les personnes privées sont très présentes dans l’action administrative. Elles ont investi des
terrains multiples et variés, principalement le domaine social (caisses primaires et caisses
régionales d’assurance maladie, caisses d’allocations familiales), celui de la santé (exemple
emblématique : les centres régionaux de lutte contre le cancer, pour lesquels la nature de
personne privée est posée dans les années soixante - TC, 20 novembre 1961, Centre régional
de lutte contre le cancer « Eugène Marquis »), le domaine du sport également avec les
fédérations sportives. Quel que soit le domaine visé, football, athlétisme, équitation, cyclisme,
toutes participent en effet à une mission de service public.
L’administration prend aussi appui sur des personnes privées, comme les structures locales
d’insertion par exemple, pour le développement économique et culturel. Cette situation
occasionne parfois des interrogations suivies de contentieux. Il arrive en effet que les
associations gestionnaires d’activités de service public entretiennent parfois des liens très
étroits avec la personne publique, tellement étroits qu’elles doivent être considérées malgré
leur qualification comme de simples prolongements de l’administration, dépourvus de
personnalité morale. Le Conseil d’Etat n’hésite pas dans ce cas à les requalifier. La personne
privée sera alors regardée comme « transparente » (CE, 21 mars 2007, Commune de
Boulogne-Billancourt). C’est ainsi que le Conseil d’Etat a pu considérer dans une décision
qu’un patronage municipal était géré par la commune qui l’avait créé et non par une
prétendue association (CE, Sect., 17 avril 1964, Commune d’Arcueil).

B) Les formes de l’association à l’action administrative


La dévolution du service à la personne privée peut emprunter deux voies : la délégation
contractuelle ou la délégation unilatérale.
La délégation contractuelle implique la conclusion d’un contrat entre l’autorité délégante et
le délégataire. Le contrat confie la gestion du service public à un opérateur économique qui
en perçoit les bénéfices et en assume les pertes. Le contrat est écrit et contient les conditions
de gestion et d’exploitation du service. Les dispositions contractuelles se conforment aux
exigences d’intérêt général. Ces contrats sont administratifs lorsqu’ils sont passés par des
personnes morales de droit public. La délégation contractuelle, vous l’avez compris, est une
option possible pour la personne publique. Il y en a une autre, c’est la délégation unilatérale.
La délégation unilatérale est une technique par laquelle l’autorité publique confie la gestion
d’un service public à une personne privée par un acte unilatéral. Ce mode de gestion déléguée
s’est développé surtout au bénéfice d’associations « loi de 1901 » (fédérations sportives ou
encore associations communales de chasse ou de pêches agréées par exemple), au profit des
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ordres professionnels également (ordre des médecins, des avocats, des pharmaciens, des
vétérinaires notamment) et même au profit de sociétés commerciales, technique bien
commode pour intervenir dans le secteur économique. Ainsi par exemple Orange gère le
service public des télécommunications. On pourrait s’en étonner mais la situation n’est pas
aussi rare qu’on le croit. Songez aux concessions d’autoroutes ! Les débats se concentrent
généralement sur le principe et le montant du péage, faisant presque oublier que la
construction et l’exploitation des autoroutes constituent un service public administratif,
auquel cas les litiges opposant les sociétés concessionnaires et leurs usagers relèvent de la
juridiction administrative. Il aura fallu deux importantes décisions du Tribunal des conflits
rendues en 2006 pour le rappeler : TC, 20 novembre 2006, 1ère espèce : Société EGTL c/
ESCOTA ; 2ème espèce : Sociétés Transports Gautier et SAS Transports Merret c/ ESCOTA
(société des autoroutes Estérel Côte d’Azur Provence Alpes), SAPN (société des autoroutes
Paris-Normandie), Sanef (société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France), ASF (société
des autoroutes du Sud de la France).

Section 2 : La répartition du pouvoir administratif

La répartition du pouvoir administratif s’organise en France dans le cadre de l’Etat unitaire.


Un Etat unitaire peut être centralisé, déconcentré ou encore décentralisé. Un Etat largement
décentralisé peut même aller jusqu’à la régionalisation comme en Espagne. Politiquement
parlant, la France est pour sa part un Etat déconcentré et décentralisé. La problématique y est
donc plurielle et toutes les autorités administratives, à l’exception des plus éminentes, sont
elles-mêmes soit déconcentrées, soit décentralisées. Rien ne serait plus faux d’imaginer que
l’Etat assume seul la responsabilité d’administrer la France. Une partie de cette tâche incombe
aussi aux collectivités territoriales.

§1. La centralisation

La centralisation accorde le monopole de l’activité administrative à une seule personne


morale de droit public : l’Etat. La centralisation peut être parfaite ou imparfaite.

A) La centralisation parfaite
Cette hypothèse reconnaît l’Etat comme le seul capable de prendre les décisions fondamentales. L’Etat
unitaire est centralisé lorsqu’il exécute toutes les tâches qui se posent sur son territoire. L’activité
décisionnelle est confiée aux plus hauts responsables de l’Etat et la capitale y est un élément
essentiel. Elle est en effet le siège d’une administration étatique exerçant la totalité du pouvoir
administratif. Ainsi dans ce premier cas de figure, l’Etat est reconnu comme le seul capable de
prendre les décisions fondamentales. C’est là une conception idéale et rarement réalisée.
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La centralisation administrative a longtemps été considérée comme le complément


indispensable de la centralisation politique. N’oubliez pas que les administrations se sont
structurées à la fin de l’Ancien Régime. Ces administrations matérialisant la fonction exécutive
de l’appareil étatique, elles s’organisent alors en conséquence, selon un modèle centralisé. La
caractéristique se renforce même avec l’Empire. En effet, l’administration modélisée par
Bonaparte se met en au service d’un pouvoir autoritaire qui s’occupe de tout, sans ménager
les libertés, selon un schéma emprunté aux militaires. L’ensemble du personnel administratif
est strictement organisé ; chacun occupe une place nettement définie ; chacun est rémunéré
selon son rang ; la discipline est sanctionnée par un système d’avancement de carrière, de
primes et de « punitions » si besoin. Au fond, seules comptent les directives prises au
sommet !
L’emploi de ce système administratif a profondément marqué le pays. Ce fut longtemps le
modèle référent et je suis persuadée qu’il continue de vivre dans certains esprits. Aujourd’hui
encore, Paris demeure le siège des administrations centrales, des grandes entreprises, des
chaînes nationales de télévision. Paris concentre toujours les équipements culturels comme
nulle autre ville. Et en même temps, l’époque est révolue. La décentralisation est passée par
là et chacun a bien intégré la nécessité de procéder à une politique réelle d’aménagement du
territoire. Il faut dire que le rééquilibrage était devenu vital !
Tout cela interroge la survie d’un modèle et sa compatibilité avec les évolutions sociales
lorsqu’il est trop radical. La bureaucratisation devient rapidement paralysante pour l’action
de l’Etat. On connaît le bon mot de Félicité de Lamennais au 19ème siècle : « La centralisation,
c’est l’apoplexie au centre, la paralysie aux extrémités ». Aussi la survie ne se fait qu’au prix
de l’adaptation. A partir d’une certaine dimension, l’Etat centralisé est obligé d’admettre que
certaines décisions soient arrêtées au niveau local. La centralisation n’est plus parfaite dans
ces conditions mais imparfaite. On parle de déconcentration.

B) La centralisation imparfaite
On peut définir la déconcentration comme l’aménagement du pouvoir administratif de l’Etat
consistant à transférer le pouvoir central à un échelon inférieur, plus proche de l’administré.
La technique consiste en effet à reconnaître un pouvoir de décision à des agents locaux
nommés par le pouvoir central. Pour reprendre le bon mot d'Odilon Barrot, « C’est toujours
le même marteau qui frappe, seulement on a raccourci le manche ». La déconcentration est
une modalité de la centralisation. Les agents, répartis sur l’ensemble du territoire et placés à
la tête de circonscriptions administratives, sont en effet soumis au pouvoir hiérarchique des
autorités centrales.
La technique, largement appliquée depuis le milieu du 19ème siècle avec la création de
l’institution préfectorale dans le département, repose sur l’idée formulée en 1852 selon
laquelle « on peut gouverner de loin, mais on n’administre bien que de près » (la formule est
tirée de l’exposé des motifs du décret du 25 mars 1852 renforçant les pouvoirs des préfets).
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Les transformations politiques et administratives impliquant des changements, la


déconcentration est régulièrement mobilisée. Ainsi dans les années 90, le décret du 1er juillet
1992 portant charte de la déconcentration met en œuvre les principes de la loi du 6 février
1992 relative à l’administration territoriale de la République, visant à mieux répartir les
interventions de l’administration centrale et de l’administration déconcentrée, la première
étant chargée de leur conception et de l’impulsion des politiques administratives, la seconde
étant chargée de leur exécution sur le territoire.
La technique est relancée au début des années 2000 en parallèle de la décentralisation, pour
investir des domaines tels que le pilotage des politiques publiques, la gestion des moyens de
l’Etat ou encore la simplification des démarches administratives. Peu importe le « label » : on
parle plus volontiers de révision générale des politiques publiques sous la présidence de
Nicolas Sarkozy et de modernisation de l’action publique avec François Hollande ou Emmanuel
macron, mais le fond reste le même. Il s’agit de viser l’efficacité et de faire des économies,
sans le dire ouvertement !
Ce dispositif a été rénové par le décret du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration,
pour « donner aux préfets et aux chefs de service de l’Etat sur le territoire les marges de
manœuvre et la capacité d’initiative nécessaires pour rendre l’Etat plus efficace dans la mise
en œuvre des politiques publiques ». Il institutionnalise notamment la possibilité pour le
préfet de région de proposer au Premier ministre une modification des règles d’organisation
des services déconcentrés pour s’adapter aux spécificités du territoire dont il a la charge. Il
prévoit par ailleurs la création d’une Conférence nationale de l’administration territoriale de
l’Etat (CNATE) qui veille à l’application de la charte. La CNATE réunit les administrations
centrales et les chefs des services déconcentrés. On y trouve notamment les préfets de région
et les secrétaires généraux des ministères sous la présidence du secrétaire général du
gouvernement.
La technique étant toujours d’actualité, des modalités de réorganisation du réseau
déconcentré de l’Etat ont été récemment posées par l’exécutif, pour mieux répondre aux
besoins concrets et quotidiens des citoyens. Ainsi par exemple, dans sa circulaire du 12 juin
2019, le Premier ministre exprime sa volonté de rationaliser les services déconcentrés de l’Etat
compétents dans le champ de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités afin
d’assurer « un dialogue efficace avec les acteurs du service public de l’emploi et de la
réinsertion ». En d’autres termes, les services doivent être réaménagés pour plus de lisibilité.
Cela explique qu’à compter du 1er avril 2021, un nouveau service déconcentré de l’Etat appelé
‘directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) » verra
le jour à l’échelon régional. Comme vous pourrez le constater plus tard dans un autre volet de
ce cours, les missions de l’Etat sont en recomposition permanente !
Il est à noter enfin que la déconcentration doit être distinguée de la décentralisation, même
si les deux techniques sont complémentaires. Il n’est pas exceptionnel en effet que la première
soit indispensable à la seconde. En ce sens, il ne peut y avoir de bonne décentralisation sans
déconcentration. Les collectivités territoriales ne peuvent plus se dispenser de l’aide apportée
par les administrations déconcentrées. Les administrations, de quelle que nature qu’elles
soient, ne peuvent plus être cloisonnées, les compétences étant de plus en plus imbriquées
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et bien souvent, l’Etat doit assumer des tâches qui réclament une collaboration à tous les
niveaux !
Ce n’est pas du pareil au même pour autant ! La déconcentration s’interprète avant tout
comme une règle générale de répartition des tâches au sein de l’Etat. Les autorités
déconcentrées n’ont pas de pouvoir de décision propre et le processus de négociation relève
avant tout des autorités centrales si une décision doit être prise. La déconcentration n’est
donc pas aussi démocratique que la décentralisation. Les agents locaux de l’Etat ne sont pas
indépendants du pouvoir central. L’autorité centrale les nomme, elle gère leur carrière, elle
les révoque, elle contrôle leurs actes. Il n’y a donc pas de place pour la liberté.
Il n’est pas sûr enfin que la logique de rapprochement soit un total bénéfice pour le citoyen.
En effet, lorsque pour un seul projet, les acteurs publics sont nombreux à intervenir, comment
faire pour en identifier avec certitude le promoteur quand on ne s’y connaît pas ? Pour
beaucoup de citoyens, les grands projets publics deviennent de plus en plus anonymes et il
devient difficile dans ces conditions de cerner précisément les contours de l’administration
qui s’engage sur la question. Tout cela pose un réel problème démocratique !

§2. La décentralisation

L’Etat unitaire est décentralisé lorsque les décisions administratives sont prises par les
citoyens eux-mêmes ou par les autorités que les citoyens ont élues.
La décentralisation peut être fonctionnelle ou territoriale.
La décentralisation fonctionnelle consiste à reconnaître une autonomie à certains services
publics. Il s’agit plus précisément de gérer un service public par l’intermédiaire d’une personne
morale de droit public, distincte de l’Etat ou de toute autre collectivité territoriale. En d’autres
termes, les services sont dotés d’un patrimoine et d’organes chargés de diriger leur action. Ils
sont ainsi individualisés par leur objet et par leurs structures.
Ces services reçoivent généralement le statut d’établissement public. C’est le cas par exemple
du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, qui mène une politique de
sauvegarde de l’espace littoral. C’est encore le cas du Musée Rodin, dont l’objet consiste à
présenter des collections ou encore acquérir de nouvelles oeuvres. En définitive, le dispositif
consiste à mettre en place le procédé juridique visant à optimiser la gestion du service public.
Dans cette logique, on est très loin de la décentralisation territoriale.
La décentralisation territoriale présente trois fonctions. Elle permet en premier lieu de mieux
administrer le territoire par une plus grande proximité entre les responsables et les citoyens ;
elle vise en second lieu à faire vivre la démocratie locale en confiant aux élus locaux la gestion
des affaires locales. Elle autorise enfin une participation plus directe des citoyens à la vie de la
collectivité.
Une fois de plus, on perçoit bien la différence entre déconcentration et décentralisation, au-
delà du rapport de proximité. Dans la déconcentration, la décision est toujours prise au nom
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de l’Etat. C’est seulement un agent local qui se substitue au chef de la hiérarchie, le préfet
plutôt que le ministre par exemple. Dans la décentralisation, la décision est prise pour le
compte d’une collectivité territoriale, au nom de la collectivité territoriale, par un organe qui
en émane. Alors d’accord, l’objectif est toujours le même dès lors qu’il consiste à rapprocher
l’administration des administrés, mais du point de vue juridique la différence est très nette.
La décentralisation territoriale est également très différente de la décentralisation
fonctionnelle. En effet, si l’élection est capitale dans la décentralisation territoriale, elle ne
joue que très exceptionnellement pour la désignation des dirigeants d’établissements publics
où l’on penche plutôt pour une logique de rattachement. Il y a des liens organiques très forts
qui s’établissent entre le dirigeant et la collectivité de rattachement. Les emplois de direction
sont généralement des emplois supérieurs laissés à la discrétion de l’exécutif.

A) Ses bases historiques


On parle aujourd’hui beaucoup de décentralisation mais le phénomène n’est pas récent. Les
mouvements de décentralisation s’ouvrent en effet dès la fin de l’Ancien Régime sur la remise
en cause de la tendance centralisatrice de l’Etat et font surtout leur apparition au milieu du
19ème siècle. Ainsi de la fin du Second Empire aux premiers temps de la République, deux textes
fondamentaux dressent le statut du département et de la commune : la loi du 10 août 1871
et celle du 5 avril 1884.
La charte municipale est la plus achevée et c’est ce qui lui confère sa grande importance.
Depuis la charte municipale du 5 avril 1884 en effet, la commune est une collectivité locale à
part entière, dotée non seulement d’un conseil mais aussi d’un exécutif, tous deux élus. Le
maire est élu par le conseil municipal en son sein. Le conseil est lui-même directement élu
par la population de la commune. Le conseil municipal, par ses délibérations, règle les affaires
de la commune tandis que le maire prépare et exécute ses délibérations.
De son côté, la loi du 10 août 1871 n’offre pas la même perspective au département. Ainsi,
aux termes de la loi du 10 août 1871, le département ne dispose que d’un seul organe élu, le
conseil général. L’exécutif départemental est quant à lui désigné par le pouvoir central. La
fonction incombe en effet au préfet, autrement dit à un représentant de l’Etat. C’est lui qui va
exécuter les décisions de l’assemblée délibérante de la collectivité locale. Autant dire que la
loi du 10 août 1871 organise un véritable empiètement de l’Etat sur le fonctionnement du
département. On ne peut donc pas vraiment parler de décentralisation. Le département ne
dispose que d’un seul organe élu, le Conseil général. L’exécutif est désigné par le pouvoir
central. L’exécutif du département revient au préfet ! Il appartient donc à un représentant du
pouvoir central d’exécuter les décisions de l’assemblée délibérante. Dans ces conditions, on
ne peut pas vraiment parler de décentralisation puisque le texte organise un empiètement de
l’Etat sur le fonctionnement du département.
Les choses commencent à bouger au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les attentes
ne sont plus les mêmes et les nécessités économiques poussent les pouvoirs publics à
instituer des circonscriptions plus grandes que les départements, en prenant néanmoins appui

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