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La France est-elle un état centralisé 

La Révolution française marque le début d’un grand débat toujours d’actualité


autour de la notion d’Etat centralisé ou décentralisé pour organiser la France. Les
Girondins sont favorables à un Etat décentralisé, essentiellement dans le but de
rompre avec le système unitaire de l’ancien régime, alors que les Jacobins
souhaitent faire de l’Etat français une république centralisée, choix qui sera
finalement conservé dans toutes les constitutions françaises depuis 1793, y compris
celle de 1958.
Un Etat centralisé est un état dans lequel il n’existe qu’un seul centre de
décision politique. L’Etat y détient donc toutes les attributions sur les plans interne et
externe.
Au contraire on parle de décentralisation lorsque l’autorité centrale (l’Etat) transfert
des compétences à des autorités locales qui représentent les collectivités territoriales
(régions, départements et communes). Il est important de bien différencier la notion
de décentralisation de celle de déconcentration qui correspond à un système de
délégation vers des échelons administratifs inferieurs internes ne possédant pas de
personnalité morale propre. Dans ce système, contrairement à la décentralisation,
les agents et organismes locaux sont intégralement soumis à l’Etat et ne disposent
d’aucune autonomie.
La France a toujours été considérée comme le modèle même de l’Etat
centralisé. Pourtant aujourd’hui le débat autour de sa prétendue tendance à la
décentralisation ne cesse de prendre de l’ampleur. En effet depuis 1982 l’Etat
français n’a cessé de prendre des mesures qui selon certains remettent en cause sa
centralisation. Un intéressant paradoxe peut être soulevé dans l’article premier de la
constitution de la cinquième république : en effet lors de sa rédaction initiale en 1958
il y est inscrit que la France a un caractère indivisible. En 2003 après la réforme
constitutionnelle, on ajoute « son organisation est décentralisée ». Les différentes
réformes visant à une décentralisation de la France depuis les lois Defferre de 1982
jusqu’à la réforme constitutionnelle de 2003 remettent-elles en cause le fondement
même de la France comme Etat centralisé ?
C’est ce à quoi nous allons essayer de répondre ici en analysant dans un
premier temps les éléments qui tendent à faire penser à un processus de
décentralisation progressive de l’Etat français, avant de voir qu’il existe des obstacles
à une décentralisation totale qui permettent la conservation du caractère central et
unitaire de la France.

I. Une décentralisation apparente et progressive du pouvoir politique

La décentralisation de l’Etat français est un phénomène progressif qui prend sa


source dans la France d’Outre-mer, donnant naissance aux lois Defferre, premières
lois sur la décentralisation (A) et s’étend peu à peu avec le phénomène de
régionalisation, grâce notamment à la réforme constitutionnelle de 2003 (B).

A. L’Outre-mer comme origine de la décentralisation

Avant les années 1980, le principe de centralisation n’avait jamais été remis
en cause en France. En effet, il était une conséquence historique directe issue de
l’ancien régime et personne ne voyait d’intérêt à abroger ce principe. Mais la fin de la

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décolonisation remet tout cela en question. En effet, les territoires d’Outre-mer
appartenant toujours à la France n’acceptent pas toujours d’obéir aux mêmes règles
et aux mêmes principes que la métropole. De plus l’éloignement géographique rend
parfois difficile la gestion de ces territoires par la métropole. Malgré cela, la
constitution voulait que leur statut soit le même que celui des départements de
métropole, avec pour seule concession la possibilité de faire l’objet de mesures
spécifiques à condition que celles-ci soient « nécessaires à leur condition
particulière ». Concrètement, les DROM (départements et régions d’outre-mer) sont
très proches juridiquement des départements métropolitains. Cependant la loi prévoit
de leur donner des compétences plus étendues et les lois nationales peuvent être
adaptées, on parle d’adaptation législative, comme indiqué par l’article 13 de la
constitution. Les COM (communautés d’outre-mer) quant à elles ont un statut très
différent avec une plus forte autonomie et davantage d’indépendance, l’adaptation
législative est beaucoup plus libre en ce qui les concerne. Ils sont finalement à mi-
chemin entre une entité administrative française et un état indépendant.
Finalement c’est à partir d’un seul territoire d’outre-mer que le caractère
centralisé de la république commence véritablement à être remis en cause : la
Nouvelle-Calédonie. En effet en 1981, peu de temps après l’élection de François
Mitterrand à la présidence de la république, la population canaque commence à
manifester violemment pour demander l’indépendance, ce qui à priori ne pose pas
problème au gouvernement français qui envisage de la lui donner. Mais la population
canaque est minoritaire sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, les colons, qui eux
sont majoritaires, souhaitent rester français. En 1985 le gouvernement français
propose un referendum populaire au sujet de l’indépendance mais celui-ci n’a pas le
succès escompté. Il donne aussi la possibilité aux canaques de devenir majoritaires
au sein de l’assemblée territoriale. Tout cela donne lieu à une recrudescence de la
violence jusqu’aux décisions de Rocard en 1988 qui rendent aux anti-
indépendantistes la majorité tout en accordant une importante autonomie aux
territoires canaques. Un référendum portant sur l’indépendance définitive de la
Nouvelle-Calédonie était prévu pour 1998 et a été repoussé à 2014. Les
compétences de ce territoire ont été extrêmement élargies puisqu’il dispose d’un
gouvernement qui lui est propre (hors juridiquement parlant seul un Etat peut avoir
une souveraineté) et a des compétences très étendues (il peut par exemple négocier
des traités avec les pays voisins sans intervention de la métropole). De façon à ce
que le cas de la Nouvelle-Calédonie ne puisse pas être désigné comme
anticonstitutionnel, la constitution a té modifiée, consacrant l’intégralité de son titre
XIII au territoire en question.
Ces évènements outre-mer amènent donc les premières législations en faveur
d’une décentralisation, comme le montre l’exemple de la Nouvelle-Calédonie et les
lois Defferre de 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements
et des régions, première ébauche sérieuse du processus de décentralisation.

Peu à peu le phénomène de décentralisation s’est étendu et certains parlent


désormais en évoquant la France d’une régionalisation semblable à celle que l’on
connaît en Espagne par exemple.

B. Le pouvoir croissant des régions

C’est un fait incontestable, inscrit dans la constitution, depuis le 28 mars 2003


l’organisation de la France est décentralisée. Comment expliquer une telle avancée ?

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Depuis la fin des années quatre-vingt, l’Etat s’est livré à une décentralisation
progressive de ses prérogatives. En effet elle a été l’occasion pour lui de transférer
des compétences aux différentes collectivités territoriales.
D’abord, un certain nombre de compétences ont été transmises aux régions, il s’agit
notamment de tout ce qui concerne le développement économique et
l’aménagement du territoire. Par exemple la région aquitaine a augmenté le soutien
financier à la rénovation des quartiers urbains sensibles et cherche à développer le
plus possible les lignes de chemin de fer. Les décisions que le conseil régional prend
dans ces domaines ne dépendent que d’eux et ne sont pas soumises à l’approbation
de l’autorité centrale.
Ensuite, l’Etat a transmis des compétences aux départements qui ont désormais le
monopole de l’aide sociale puisque c’est à eux que revient de développer des
politiques dans ce domaine. Ainsi les deux tiers du conseil général des Deux-Sèvres
est consacré à l’aide sociale.
Enfin, des compétences ont été transmises aux communes pour tout ce qui concerne
les politiques de proximité, elles sont par exemple les seules à avoir la possibilité de
délivrer un permis de conduire.
Or toutes les personnes qui gèrent les collectivités territoriales ne dépendent
aucunement de l’Etat, elles gèrent librement les affaires locales qui relèvent de leurs
compétences. Une affaire locale est une affaire que la collectivité en question
considère comme telle. Elle peut intervenir sur toute question dont elle estime qu’elle
présente un intérêt locale. On parle de la clause générale de compétences pour
justifier cela. Les collectivités, de par leur indépendance, peuvent prendre des
décisions seules, et ce même si elles posent des problèmes à l’Etat. Ainsi les
collectivités territoriales se sont récemment engagées dans un processus de
recrutement massif qui pèse énormément sur les dépenses publiques mais l’Etat ne
peut les en empêcher.
La loi du 23 mars 2003 explique que « les collectivités territoriales ont vocation à
prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être
mise en œuvre à leur échelon. » Il y est ajouté qu’il sera possible de déroger à
certaines lois à titre expérimentale, ce qui laisse une importante liberté aux
collectivités territoriales.
Le 1er janvier 2005 marque également une avancée dans le processus de
régionalisation puisqu’il permet à la région de gérer l’organisation de l’accueil, de la
restauration, de l’hébergement et de l’entretien général et technique dans les lycées,
pour le financement de la formation et pour les aides aux étudiants des formations
sanitaires et sociales, et pour l’organisation de l’inventaire général du patrimoine
culturel régional.

Cependant il serait exagéré de considérer la France comme un état


décentralisé, quasi-fédéraliste. En effet dans les états fédéraux le pouvoir central
devient minoritaire ce qui n’est indéniablement pas le cas en France où l’Etat reste
l’organe central du pouvoir. Odilon Barrot disait à propose de la décentralisation
« c’est le même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche », expliquant
ainsi la prééminence de l’Etat sur les collectivités territoriales qui restent rattachées
d’une façon différente à l’Etat.
II. Mais des obstacles persistants à une décentralisation totale

Certes la décentralisation permet une certaine liberté aux collectivités territoriales,


mais cette liberté comporte des limites à la fois en ce qui concerne les nouveaux

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transferts de compétences (A) mais également l’autonomie et l’indépendance des
collectivités territoriales (B).

A. Des limites aux nouveaux transferts de compétences

Nombreuses sont les compétences à avoir été transmises aux collectivités


territoriales, nous l’avons vu plus haut. Cependant les compétences potentiellement
transmissibles ne sont pas infinies et un certain nombre d’entre elles restent du
domaine de l’Etat et il semble pour le moment que cela n’évoluera pas.
En effet l’Etat se réserve historiquement des domaines de compétences qui
peuvent être les compétences régaliennes ou des domaines réservés.
La définition même des compétences régaliennes empêchent leur transfert à une
quelconque entité. En effet elles se définissent comme les compétences appartenant
à un Etat souverain qui ne peuvent être transférées à un autre Etat sous
souveraineté nationales, sauf en cas d’indépendance de celui-ci. On appelle
compétences régaliennes celles que l’on considère comme indissociables de la
souveraineté d’un Etat, à savoir la défense et la justice essentiellement. A priori il
semble donc difficilement imaginable que ces compétences soient transmises à des
collectivités territoriaux, cela pourrait d’ailleurs poser un certain nombre de
problèmes d’éthique. En effet si on permettait à chaque région de prendre les
décisions qu’elle estime être les meilleures en matière de justice, les peines
attribuées ne seraient pas forcément proportionnelles aux délits commis à l’échelle
nationale car la conception de la justice varierait selon les régions. De même en ce
qui concerne la défense, peut-on parler sérieusement d’armées régionales en
France ?
En dehors de ces compétences régaliennes, la France a une spécificité par rapport
aux autres pays, à savoir les « domaines réservés », expression utilisée pour la
première fois par Chaban-Delmas en 1959. Il s’agit en fait de domaines
traditionnellement réservés au Président de la République. Il s’agit avant tout de la
diplomatie, des affaires étrangères. C’est en effet lui qui désigne les ambassadeurs,
qui négocie et ratifie les traités, qui entre en relation directe avec les chefs d’Etat
étrangers et qui assure la représentation de la France sur la scène internationale,
lors de grands congrès par exemple. Le gouvernement quant à lui est seul à avoir le
pouvoir de déterminer et conduire la politique de la nation (article 20 de la
constitution). Ces domaines sont associées à des personnes physiques et par
conséquent il semble très peu probable qu’elles puissent devenir une compétence
des collectivités territoriales.

Nombre de compétences resteront donc du domaine de l’Etat, ce qui va à


l’encontre d’une décentralisation totale. Par ailleurs les collectivités territoriales
disposent tout de même d’une autonomie limitée.

B. Des limites à l’autonomie et l’indépendance des collectivités territoriales

Le principe de libre administration des collectivités territoriales se heurte à


différents types de difficultés.
Des difficultés d’ordre pratique d’abord. En effet les collectivités territoriales
n’ont pas toujours les moyens financiers de mettre en œuvre les politiques qu’elles
souhaitent conduire et sont donc contraintes d’être soumises financièrement à l’Etat
central, une soumission qui est indéniablement un frein à leur autonomie.

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Par ailleurs elles sont soumises à un contrôle. En effet il est inscrit dans la loi que les
représentants de l’Etat dans les départements se doivent de transmettre au tribunal
administratif, dans un délai de deux mois après réception, les actes qu’il estime ne
pas être légaux. De même un contrôle budgétaire très fort est exercé. Les
collectivités territoriales doivent respecter quatre points : ils doivent respecter un
calendrier précis, le budget consacré à l’investissement et celui consacré au
fonctionnement doivent être équilibrés, les documents budgétaires doivent être
sincères, les dépenses obligatoires doivent être inscrites, sous peine de réformation
de l’acte en cause. Enfin les contrôles internes sont de plus en plus fréquents.
Des difficultés d’ordre moral ensuite. En effet, le principe de libre
administration des collectivités territoriales va à l’encontre des trois principes
constitutionnels fondamentaux.
Il s’oppose d’abord au principe d’égalité puisque les différentes régions n’ont pas les
mêmes moyens financiers et humains de mener les politiques dont elles ont la
responsabilité. De même pour les départements ou les communes. Ainsi certains
départements auront davantage de possibilités d’offrir des aides sociales à leurs
habitants.
Il est par ailleurs contraire au principe d’unité qui veut que tout l’ensemble formant
l’Etat soit solidaire et uni.
Enfin et surtout, il est contraire au principe d’indivisibilité puisque poussée à
l’extrême l’autonomie des collectivités territoriales leur permet peu à peu de se
détacher de l’Etat.

Finalement le principe de libre administration des collectivités territoriales


reste relativement flou. C’est essentiellement un symbole pour un état centralisé qui
à priori n’arrivera pas à faire de ce processus de décentralisation un processus
achevé. En effet les politiques de décentralisation menées par l’Etat français n’ont
été faîte que parce que lorsqu’un Etat est étendu et très peuplé (ce qui est dans une
certaine mesure le cas de la France), il est plus facile de mener des politiques de
proximité pour le gérer. Persigny disait à ce propos « on peut gouverner de loin mais
on n’administre bien que de près ».

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BIBLIOGRAPHIE

Droit constitutionnel, Bernard Chantebout, 26 ème édition, Sirey,


Vie-publique.fr
Constitution de la Vème république
Cours de Mrs Jan, Lafore et Sadran, IEP 1ère année

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