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En France, le droit des collectivités locales est parcouru par deux aspirations
constitutionnelles contraires :
° L’unité et l’indivisibilité de l’État
° Le principe de libre administration des collectivités locales
Cette dualité est perceptible à l’article 1er de la Constitution qui prévoit dans le même temps
que « La France est une République indivisible » et que « son organisation est décentralisée ».
Le droit des collectivités tente en permanence de concilier ces principes antagonistes. Une
tension existe donc entre le principe de l’indivisibilité de l’État et le principe de libre
administration des collectivités territoriales.
A. L’indivisibilité de la souveraineté
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En tant qu’élément constitutif de l’État, la souveraineté ne peut être exercée que par lui. Seul
l’État en tant qu’entité globale peut exercer cette souveraineté nonobstant les multiples
collectivités ou structures qui le composent. Ce caractère indivisible de la souveraineté au
profit de l’État implique deux effets : d’une part que seul l’État détient le pouvoir normatif et,
d’autre part, que les collectivités doivent respecter les prérogatives de l’État.
Le fait que l’État doive détenir, de manière unitaire, le pouvoir normatif implique
logiquement que les collectivités locales soient privées d’un tel pouvoir normatif local
autonome. Les collectivités ne disposent pas d’un pouvoir règlementaire autonome situé en
dehors du domaine de compétence du législateur. Leur pouvoir règlementaire local découle
seulement d’une habilitation législative.
L’État contrôle en permanence les actes des collectivités territoriales et cela est même une
exigence constitutionnelle. En effet, l’article 72 al. 6 de la Constitution prévoit que « dans les
collectivités territoriales de la République, le représentant de l’État, représentant de chacun
des membres du gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et
du respect des lois ». Les actes des collectivités sont donc transmis au préfet, qui est le
représentant de l’État. Ce dernier peut, s’il estime que l’acte est illégal, saisir le juge
administratif. Évidemment, le législateur ne peut pas prévoir des mécanismes de contrôle trop
lourds au profit du représentant de l’État car cela reviendrait à méconnaître la libre
administration des collectivités locales. Ainsi, le Conseil constitutionnel dans sa décision
Prévention de la corruption de 1993 a invalidé un mécanisme de sursis à exécution institué au
profit du représentant de l’État qui aurait en pratique abouti à la suspension automatique des
actes des collectivités pendant trois mois. Une telle mesure méconnaissait la libre
administration.
Ainsi, le Préfet veille à la légalité des actes adoptés par les collectivités à travers le déféré
préfectoral. Par ailleurs, les chambres régionales des comptes assurent aussi un contrôle
budgétaire (respect de la procédure budgétaire, refus d’inscription d’une dépense obligatoire
ect…)
B. L’indivisibilité du peuple
S’agissant des effets du principe d’indivisibilité du peuple. On peut situer les effets du
principe à trois niveaux :
- Premier point, l’effet le plus voyant du principe d’indivisibilité du peuple réside dans
l’interdiction de distinguer au sein du peuple français différents peuples comme la loi
sur le statut de la Corse distinguait le peuple Corse. Cependant, ce principe ne
s’oppose pas à la reconnaissance des « populations d’outre-mer » dans la mesure où la
Constitution elle-même procède à cette distinction. En effet, le préambule de la
Constitution de 1958 prévoit qu’ « en vertu de ces principes et de celui de la libre
détermination des peuples, la République offre aux territoires d’outre-mer qui
manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal
commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution
démocratique ». Le préambule de la Constitution reconnait le droit à
l’autodétermination et à la libre expression de leur volonté aux « peuples d’outre-
mer » en les distinguant du reste du peuple français. La Constitution était assez
ambigüe sur ce point et pour certains auteurs il fallait entendre cette expression de
« peuple » seulement comme un synonyme de « population ». Cela semble confirmé
par le pouvoir constituant en 2003 qui a inscrit à l’article 72-3 le fait que la
République « reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans
un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». Il n’est pas fait mention ici de
peuple mais de population.
Ce n’est pas la seule fois ou le pouvoir constituant est intervenu pour surmonter une
violation du principe d’unicité du peuple français. Il l’a également fait pour la
Nouvelle-Calédonie dont le statut reconnaît des droits spécifiques à la minorité Kanak
ce qui a nécessité une révision constitutionnelle.
C. L’indivisibilité du territoire
La Constitution n’a pas vocation à figer le territoire, elle reconnait d’ailleurs le droit de
sécession c'est-à-dire le droit, pour un territoire, de cesser d’appartenir à l’État français. La
Constitution de 1958 avait d’ailleurs, à l’origine, laissé le choix aux territoires d’outre-mer
soit d’accepter la Constitution soit d’accéder à l’indépendance (Refus seulement de la Guinée
qui a accédé à l’indépendance).
Le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du droit de sécession dans sa
décision n° 75-59 DC du 30 décembre 1975. Il était alors saisi d’une loi sur
l’autodétermination des îles Comores et cela pour la première fois car il ne fut jamais saisi
pour les cas antérieurs des départements français d’Algérie et du Sahara (1962) et des
territoires français de Somalie (1967). Le Conseil admet alors qu’un territoire peut faire
sécession et il précisa en 1987 (87-226 DC) dans sa décision Consultation des populations
calédoniennes que ce droit résultait des principes de libre détermination des peuples et de
libre manifestation de leur volonté prévus pour les territoires d’outre-mer par l’alinéa 2 du
préambule de la Constitution.
L’article 72, comme nous l’avons déjà évoqué, dispose que dans les conditions prévues par la
loi, les collectivités locales s’administrent librement par des conseils élus. Cette garantie
institutionnelle appelle donc les citoyens français à élire les membres de leurs conseils
municipaux (communes), de leurs conseils départementaux (département) et de leurs conseils
régionaux (région). En effet, pour qu’une collectivité puisse prétendre à une administration
libre, il est nécessaire que son assemblée délibérante soit élue par la population qui compose
cette collectivité. Cela implique, en quelque sorte, que les affaires de la collectivité soient
gérées par les intéressés eux même.
- La Constitution n’impose pas un mode de scrutin particulier pour l’élection, elle n’impose
notamment pas qu’elle ait lieu au suffrage universel direct.
- Enfin, le Conseil constitutionnel impose une certaine régularité dans ces élections des
assemblées délibérantes sans pour autant fixer un délai précis. En effet, dans sa décision
Renouvellement triennal des conseillers généraux de 1994 (13 janvier- 93-331 DC), le
Conseil précise que « les électeurs doivent être appelés à exercer leur droit de suffrage pour la
désignation des membres des conseils élus des collectivités territoriales selon une périodicité
raisonnable ».
B. Une composante financière
Ainsi, le législateur ne peut supprimer certaines ressources des collectivités locales sous peine
de méconnaître leur libre administration.
- Depuis la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, l’article 72-2 C. prévoit que les
ressources propres des collectivités doivent représenter une part déterminante de l’ensemble
de leurs ressources. Cette disposition vise à endiguer un phénomène qui consistait, pour le
législateur, à diminuer les ressources propres des collectivités notamment les impôts locaux,
c'est-à-dire les ressources qu’elles perçoivent directement, elles-mêmes, pour les remplacer
par des dotations de l’État. Ainsi, depuis 2003, au sein de l’ensemble des ressources d’une
collectivité, leurs ressources propres doivent être présentes dans une proportion déterminante
ce qui assure leur autonomie financière.
- Enfin, le législateur, en vertu de l’article 72-2 C., est dans l’obligation, pour chaque nouveau
transfert de compétence entre l’État et les collectivités locales, de prévoir les ressources
nécessaires pour les collectivités concernées afin qu’elles puissent mettre en œuvre, librement
bien sûr, les nouvelles compétences dont elles ont la charge.
Cette composante juridique de la libre administration des collectivités locales implique deux
éléments : un pouvoir règlementaire local et une liberté contractuelle
- La liberté contractuelle. Cette liberté fut clairement affirmée au profit des collectivités
locales par la Conseil constitutionnel dans sa décision de 1993 Prévention de la
corruption (92-316 DC). Celle-ci s’impose donc au législateur et implique que les
collectivités puissent sans contraintes excessives conclure des contrats en négociant et
en appréciant librement l’opportunité de ces contrats. Dans le cas contraire, sera
atteinte la libre administration des collectivités locales.