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Francis DELPÉRÉE

CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE ROY ALE DE BELGIQUE


ET DE L'INSTITUT DE FRANCE
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN

LE DROIT
CONSTITUTI-0 NN-EL
DE LA BELGIQUE

BRUYLANT lG·D1
BRUXELLES PARIS
2000
tM *{, 2--S ,~, 4
J~L~~(Î

ISBN Bruylant 2-8027-1378-7


ISBN Librairie Générale de Droit
et de Jurisprudence 2-275-01986-3

D 12000 10023 137

© 2000 Etablissements Emile Bruylant, S.A.


Rue de la Régence 67, 1000 Bruxelles.

Tous droits, même de reproduction d'extraits, de reproduction photomécanique ou


de traduction, réservés.

IMPRIMÉ EN BELGIQUE
AVANT-PROPOS

Ce livre est riche d'une histoire.


Il est né de l'enseignement qu'il m'est donné de jaire, depuis plus de
trente ans, à l'Université catholique de Louvain- ainsi que dans quel-
ques Universités amies : Aix, Bâton-Rouge, Bologne, Genève, Ottawa,
Paris ... -. Il porte la marque de quelques milliers d'étudiants qui ont
contribué, chemin faisant, à donner à l'ouvrage ses traits essentiels. Il
s'inscrit ainsi dans une tradition, celle de l'Ecole de droit public de
Louvain, qu'ont illustrée ceux qui ont été mes maîtres, les doyens Cyr
Gambier et Paul de V isscher. Il s'appuie encore sur les travaux d'une
équipe jeune et entreprenante qui, rassemblée au Centre d'études consti-
tutionnelles et administratives, poursuit une réflexion en profondeur
sur les réformes auxquelles est voué l'Etat belge.
Car l'histoire n'est pas seulement celle d'un enseignement. C'est
aussi celle de la Belgique. Voici un Etat qui, depuis bientôt un demi-
siècle, réfléchit et travaille sans cesse à la transformation radicale de ses
structures et de ses méthodes. Voici un Etat qui, dans le même moment,
entend inscrire son action dans le cadre d'une coopération toujours plus
poussée à l'échelle de l'Europe. Le droit public de la Belgique porte les
marques visibles de ce double mouvement institutionnel.
L'adoption de la Constitution du 17 février 1994 représente un
moment important de cette histoire. Non qu'elle indique le point d'abou-
tissement de la réforme de l'Etat. Nous sommes loin encore de l 'avène-
ment de « la Belgique fédérale dans une Europe fédérale » que le chef
de l'Etat appelait de ses vœux, le 9 août 1993. Mais la coordination du
texte constitutionnel invite sans conteste à reprendre, sur de nouvelles
bases, la réflexion qui était, depuis de longues années, engagée.
Les numéros qui assortissent les articles de la Constitution ont
changé. La philosophie institutionnelle qui les inspire surtout a changé.
La Belgique unitaire a vécu et n'est pas promise à ressusciter. Si les
contours de la Belgique fédérale ne sont pas encore définitivement éta-
blis, si d'autres changements constitutionnels doivent intervenir dans
les années qui viennent, il ne fait guère de doute que les nouvelles révi-
6 AVANT-PROPOS

sions s'inscriront dans le prolongement des mutations que la Belgique


a connues dans ce dernier quart de siècle.
J'exprimerai à ce propos un souhait simple. Que les réformes prévi-
sibles ne compromettent pas l'essentiel national! Qu'elles s'inscrivent,
fût-ce avec des accents originaux, dans la continuité constitutionnelle de
plus d'un siècle et demi! Le changement n'est pas nécessairement
l'aventure.
Le changement ne saurait effrayer. L'Etat moderne -pas seulement
l'Etat belge, mais tout Etat qui se veut attentif aux espoirs et aux soucis
des hommes de notre temps - n'est jamais construction achevée. Il est
perpétuel chantier. Dans ces conditions, le constitutionnaliste ne sau-
rait attendre la levée du jour où des textes immuables et gravés dans
l'airain garderaient à tout jamais la trace de ces évolutions. Il a, au
contraire, le devoir de réfléchir, de manière aussi lucide que possible,
au cœur des tempêtes - sans rien ignorer du mouvement des flots,
mais aussi sans se laisser inutilement porter par la vague -.
L'aventure, elle, est mauvaise conseillère. Elle laisse la bride sur le
cou à l'irrationnel qui, en l'espèce, peut être synonyme de nationalisme.
Elle ouvre la voie aux expérimentations institutionnelles sans se préoc-
cuper outre mesure des droits fondamentaux des personnes. A force de
se mouvoir sur les lignes de crête, elle frôle à chaque instant les préci-
pices. Bref, elle compromet le développement d'un droit constitutionnel
ordonné. En même temps, elle fausse les équilibres qui pourraient pro-
curer les conditions d'une vie harmonieuse. Elle va jusqu 'à ébranler les
structures de l'Etat, voire à remettre en question son existence.
Plus qu'ailleurs peut-être, le droit constitutionnel est investi, en Bel-
gique, d'une mission éminente. Sans empiéter sur les responsabilités de
l'action politique, il peut contribuer au développement de l'Etat de
droit. Et, sans doute, de l'Etat, tout court.

Animae dimidio meae, selon le beau mot d'Horace (Carm., 1, 3, 8).


Elle aussi m'accompagne, depuis plus de trente ans, dans cette entre-
prise.
INTRODUCTION

1. - La Constitution est règle singulière.


Elle fixe elle-même son statut. Elle détermine l'autorité qui lui
revient. Elle établit les conditions de sa transformation. Aucune
autre règle juridique ne peut se prévaloir d'un tel régime (Livre pr_
La Constitution).
Mais la Constitution ne parle pas que d'elle-même. Elle construit
aussi un statut pour les citoyens. Elle définit leurs droits politiques.
Elle énonce et garantit les droits de l'homme. Elle est instrument
de démocratie '(Livre II. Les citoyens).
La Constitution bâtit également un Etat. Elle le conçoit comme
une superposition de collectivités politiques, depuis la commune jus-
qu'à l'Etat fédéral. Elle organise leurs relations. Elle contribue ainsi
à jeter les grandes lignes des structures de l'Etat belge (Livre III.
Les collectivités politiques).
La Constitution intègre ces données fondatrices dans un système
qu'elle entend marquer du sceau de la cohérence. Sans négliger les
perspectives d'ensemble, elle détermine de manière aussi concrète
que possible l'aménagement des institutions publiques. Elle précise,
en particulier, quelles sont les autorités qu'elle investit de tâches
publiques et quelles sont les modalités de leurs interventions.
La Constitution instaure les pouvoirs. Elle précise les modes de
sélection des autorités publiques et indique la manière dont celles-ci
s'agencent dans l'Etat fédéral (Livre IV. Les pouvoirs fédéraux) et
dans les collectivités fédérées (Livre V. Les pouvoirs fédérés).
La Constitution répartit aussi les compétences qui reviennent, au
sein de l'Etat belge, à l'Etat fédéral et à ses composantes. Elle
assure une distribution des tâches et des moyens entre les collecti-
vités politiques. Elle traduit, en termes institutionnels, la préoccu-
pation fédéraliste (Livre VI. Le partage des compétences).
Un tel partage conduit à identifier des domaines distincts de res-
ponsabilités. Les fonctions fédératives reviennent, en principe, aux
autorités fédérales (Livre VII. Les fonctions fédératives). Les fonc-
tions fédérales leur sont également attribuées. Elles les exercent
8 INTRODUCTION

dans le cadre d'un régime de type parlementaire (Livre VIII. Les


fonctions fédérales). Les fonctions fédérées sont réparties entre les
autorités fédérées selon les règles qui commandent l'aménagement
d'un régime semi-parlementaire (Livre IX. Les fonctions fédérées).
Enfin, la Constitution ne peut ignorer les conflits qui peuvent sur-
venir entre pouvoirs publics. Comment s'en prémunir? Comment les
résoudre, le jour où ils sont survenus? La Constitution ne prétend
pas régler les crises par anticipation mais sert à identifier les procé-
dures qu'il convient de suivre aux fins d'assurer une vie publique
harmonieuse (Livre X. Les procédures de crise).
2. - La Constitution de la Belgique, plus encore, est règle singu-
lière.
En 1831, elle crée l'Etat belge et institue une société politique
aux comportements unitaires. A partir de 1970, elle lui donne une
organisation qui s'inspire des principes du fédéralisme. Ce faisant, la
Constitution s'assigne une fonction particulière. Elle aménage les
institutions de l'Etat fédéral. Mais elle définit aussi le statut de ses
composantes.
Au risque de manquer l'essentiel, le droit constitutionnel qui étu-
die et explique les prescriptions de la Constitution belge ne peut se
placer du seul point de vue fédéral. Il lui revient de présenter l'en-
semble. L'Etat fédéral ne se conçoit pas sans ses composantes. L'in-
verse non plus.
Le droit constitutionnel de la Belgique s'inscrit dans une perspec-
tive globale.
De ce point de vue, une précision terminologique s'impose d'emblée. L'expres-
sion <<Belgique>> ou <<Etat belge •> désigne l'ensemble institutionnel que compo-
sent l'Etat fédéral, les communautés et les régions. Celle d'<< Etat fédéral>> ren-
voie, pour sa part, à la collectivité qui exerce les fonctions qui ne sont pas attri-
buées aux collectivités fédérées.
LIVRE PREMIER

La Constitution
3. - L'on étudie, dans un premier livre, la notion même de
Constitution. Ce qui ne va pas sans susciter trois questions : quel
objet s'assigne la Constitution?, quelle utilité présente-t-elle dans
l'Etat moderne?, quelle méthode privilégie-t-elle pour rendre
compte de ses prescriptions et de sa mise en œuvre 1
L'on examine également les caractères que présente la Constitu-
tion. Ce qui conduit, spécialement en Belgique, à mettre l'accent sur
deux particularités de la règle constitutionnelle : le formalisme et la
stabilité. Ces traits singularisent la Constitution. Ils justifient la
place à part qui lui est faite dans l'étude des règles de droit.
L'on s'interroge encore sur le respect dû à la Constitution. Ce qui
amène à examiner le principe et les modalités des contrôles de
constitutionnalité. Une conviction s'impose. Le développement de
la justice constitutionnelle contribue, spécialement en Belgique, à
l'organisation rationnelle et au fonctionnement harmonieux de
l'Etat.
CHAPITRE PREMIER
LA NOTION DE CONSTITUTION

4. - Quelques questions fondamentales méritent d'être soule-


vées d'emblée. Qu'est-ce que la Constitution? Quelle est sa place
parmi les autres règles de droit ? Quelle fonction spécifique remplit-
elle? Quelles sont ses préoccupations? Celles-ci justifient-elles une
étude particulière ? Quelle discipline scientifique rend le mteux
compte des dispositions de la Constitution?
Deux questions de fond - l'une porte sur l'objet (nos 5 à 13),
l'autre sur l'utilité (nos 14 à 21) de la Constitution- sont ainsi sou-
levées. Une troisième question touche à la méthode qui mérite
d'être suivie pour étudier au mieux les prescriptions de la Constitu-
tion (nos 22 à 30).

SECTION r e . - L'oBJET

5. - Au commencement du droit est la Constitution.


Le propos n'est pas litanie de grand-prêtre. S'il a quelque valeur,
ce n'est pas pour la conviction qu'il exprime mais pour le choix
méthodologique qu'il opère d'emblée. Lui seul rend possible un dis-
cours correct sur le droit.
Car qu'est-ce que la Constitution ? C'est la règle juridique qu'une
société politique qui s'organise en Etat se donne pour permettre la réali-
sation efficace du bien public. A cette fin, elle établit, en premier, les
droits et les devoirs qui reviennent aux membres de la société politi-
que. Elle détermine également les règles d'aménagement des pou-
voirs publics.
«La Constitution (est !')acte par lequel les citoyens définissent les conditions
d'exercice du pouvoir politique. Les gouvernants ne sont pas libres d'acquérir le
pouvoir, d'y rester et de l'utiliser comme ils le veulent; ils sont soumis au respect
des règles édictées par la Nation» (D. RoussEAU, V° Constitution, in Diction-
naire constitutionnel - dir. O. DuHAMEL et Y. MENY - , Paris, P.U.F, 1992).
Otez la Constitution! C'est l'Etat, les institutions et les pouvoirs
qu'elle crée qui s'effondrent. Détruisez l'Etat! C'est le droit que les
12 LA CONSTITUTION

autorités publiques élaborent et mettent en œuvre qui est sapé dans


ses fondements. Le discours juridique ne saurait, en bonne méthode,
s'empêcher de faire référence à la règle constitutionnelle. Celle-ci est
tout à la fois l'assise et l'explication de l'Etat.
La Constitution est assise de l'Etat (§ 1er). Elle le crée (A). Elle
l'organise (B}. Elle permet le développement de son droit (C). La
Constitution est aussi explication de l'Etat (§ 2). Elle exprime une
doctrine de l'Etat (A). Elle indique les finalités (B} et, pour une
part, les moyens (C) de l'action de l'Etat.

§ pr_ -L'assise de l'Etat

A. - La création de l'Etat
6. - L'Etat est créé. Comme l'écrit M. PRELOT, à la manière de
Fr. GENY, <<l'Etat n'est jamais donné mais toujours construit>> (1}.
Il n'est pas fait brut ou produit de l'histoire. Les circonstances -
diverses et contingentes - qui permettent à un groupe social de
devenir groupe politique ne sont pas ignorées. Elles ne sauraient,
cependant, donner naissance par elles-mêmes à un nouvel Etat.
Mieux : l'Etat est création juridique. Des éléments préalables exis-
tent. Ils précèdent et surtout préparent l'Etat. Des hommes et des
femmes vivent sur une portion déterminée de la terre. Quelques-uns
parmi eux exercent un commandement sur les autres. Une réparti-
tion élémentaire des tâches s'est peut-être organisée entre eux.
Le droit se saisit de ces éléments. Il les transforme. Il fait œuvre
résolument novatrice. Au terme du processus de création juridique,
des citoyens - nationaux et étrangers - vivent sur un territoire
déterminé. Les rapports qu'ils établissent avec les pouvoirs publics
s'analysent désormais en termes de droits et d'obligations. Les rela-
tions entre pouvoirs publics s'analysent, pour leur part, en termes
de compétences, d'attributions et de fonctions.
A moins de prétendre expliquer le droit par le fait, cette transfor-
mation radicale ne peut être attribuée qu'à une opération de carac-
tère juridique.
Mieux encore : l'opération juridique de création de l'Etat se matéria-
lise le plus communément dans la rédaction d'une Constitution. La

(1) M. PRELOT, Institutions politiques et droit constitutionnel, 9'' éd., Paris, Dalloz, 1984, p. 12.
LA NOTION DE CONSTITUTION 13

Constitution apparaît comme l'instrument le plus adéquat pour offi-


cialiser la création juridique de l'Etat.
Encore est-ce là donnée d'expérience plutôt qu'observation de
principe. Il serait excessif de prétendre que tout Etat doit avoir une
Constitution. CARRÉ DE MALBERG écrit que<< l'Etat n'existe que par
sa Constitution)) (2). Cette proposition ne rend pas compte des par-
ticularités de certains systèmes juridiques, en particulier de celles
du droit britannique (3). Un Etat peut exister et vivre sans Consti-
tution. Il trouve son assise dans un droit qui naît des pratiques
d'une société politique et qui est conforté par l'adhésion que l' opi-
nion publique leur apporte (no 34).
Il serait également exagéré d'affirmer que l'opération juridique de
création de l'Etat prend toujours initialement la forme d'un acte
précis d'établissement. Elle emprunte aussi les voies de la coutume
constitutive d'une société politique. Recueillant à la longue, malgré
les inévitables tâtonnements, l'adhésion du corps social, cette cou-
tume a valeur de règle juridique. C'est a posteriori que cette règle
juridique constitutive de l'Etat est formulée en termes constitution-
nels (n° 49).
Le plus communément, cependant, c'est l'Etat qui crée l'Etat en
droit.
'' Dès qu'un Etat se constitue aujourd'hui, en même temps qu'il demande et
obtient son admission à l'ONU, il se donne un drapeau, un hymne national, il
construit rapidement - ou récupère - un palais présidentiel, et adopte une
Constitution écrite, le plus souvent assortie d'une déclaration de droits » (L. HA-
MON, ''L'affirmation, l'évolution et la signification du fait constitutionnel», in
La suprématie de la Constitution, Rabat, Ed. Toubkal, 1987, p. 85).
Dans les Etats d'Europe centrale, orientale et balte, <<l'adoption de nouvelles
dispositions constitutionnelles poursuit un double objectif. Le premier est de
définir les règles qui doivent être substituées aux pratiques et règles anciennes.
Le second est de se prémunir contre le retour à l'arbitraire» (M. LESAGE,<< Tran-
sition vers la démocratie et l'Etat de droit et changement constitutionnel», in
Constitutions d'Europe centrale, orientale et balte, Paris, La Documentation fran-
çaise, 1995, p. 14).

(2) R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l'Etat, Paris, rééd. C.N.R.S.,
1962, p. 66, note 13.
(3) F.F. RIDLEY, «Les sources du droit constitutionnel britannique», in F. DELPÉRÉE,
M. VERDUSSEN et K. BIVER, Recueil des Constitutions européennes, Bruxelles, Bruylant, 1994,
p. 295.
14 LA CONSTITUTION

B. - L'organisation de l'Etat
7. - Le raisonnement que l'on suggère- au commencement du
droit est la Constitution ... - n'est pas tenu à l'imparfait mais au
présent. Il rend compte non d'un moment historique dépassé, mais
d'une réalité toujours continuée. Dans l'Etat doté d'une Constitu-
tion - ce que l'on appelle l'Etat de droit - , l'action de l'autorité
comme celle du citoyen se trouvent, à tout instant, réglées, enca-
drées et limitées par le droit.
La leçon est précieuse. SIÉYÈS l'a notée de façon concise : << La
Constitution n'est pas l'ouvrage du pouvoir constitué mais du pou-
voir constituant>>. Il en tire des conséquences précises : les règles
constitutionnelles peuvent être qualifiées de << fondamentales, non
pas en ce sens qu'elles puissent devenir indépendantes de la volonté
nationale, mais parce que les corps qui existent et agissent par elles
ne peuvent point y toucher>> (4).
Les principes d'organisation de l'Etat moderne sont en germe
dans cette réponse.
D'abord, la Constitution est règle «fondamentale ». Elle donne au
groupe politique sa cohésion, sa permanence, sa stabilité - son sta-
tus - . Elle lui procure les conditions d'une action continue pour la
réalisation du bien public. Elle est traité d'armistice. Elle exprime
de manière durable l'ensemble des principes de vie sur lesquels
existe un accord quasi unanime de tous les éléments du groupe poli-
tique. Entre deux révisions à la procédure intentionnellement
lourde et compliquée (no 57}, la Constitution soustrait à la lutte
partisane les principes fondateurs qui sont considérés comme essen-
tiels à l'organisation et à l'action des pouvoirs publics.
<<Depuis vingt-cinq ans, la Belgique procède, dans une sorte de fièvre perma-
nente à des amendements de sa Constitution : 1970, 1980, 1988, 1991, et je
m'empresse de dire que ce n'est pas fini. Nous avons du mérite à procéder à des
amendements à la Constitution. La Constitution belge peut sans doute être
caractérisée comme l'une des Constitutions les plus rigides au monde et sa procé-
dure de révision est parsemée d'obstacles, d'embûches, de difficultés>> (F. DEL-
PÉRÉE, « Intervention >>, in Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial
du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, 2 mai 1991, fascicule 32,
p. 5).
Ensuite, la Constitution est la règle par laquelle «existent et agis-
sent» les pouvoirs publics. C'est de la Constitution, en effet, qu'ils

(4) Qu'est-ce que le Tiers-Etat?, chapitre V.


LA NOTION DE CONSTITUTION 15

tirent leur existence, leur statut et leurs missions. En ce sens, la


Constitution est règle de discipline. Elle tend à éviter que la politi-
que ne soit conduite selon la loi de jungle et par le truchement de
puissances de fait.
La Constitution crée les pouvoirs publics. Elle leur délivre un
titre régulier de compétence. Elle organise l'exercice de leurs respon-
sabilités. En ce sens, la Constitution << institutionnalise •> le pouvoir.
Sans habilitation constitutionnelle, un individu ou un groupe ne
saurait s'approprier quelque parcelle de pouvoir. Moyennant une
telle habilitation, il est, au contraire, investi d'une mission qu'il est
tenu d'exercer.
Enfin, la Constitution est la règle à laquelle les pouvoirs «ne peuvent
point toucher ». Le principe d'action est aussi limite d'action. Qu'une
personne ou qu'une autorité nie cette commune origine constitu-
tionnelle, qu'il prétende s'affranchir des règles qu'elle fixe et des
bornes qu'elle établit pour l'exercice du pouvoir, elle se met hors
l'Etat comme un bandit se met hors la loi. Des procédés de contrôle
veillent généralement au respect des injonctions constitutionnelles.
«Toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n'est pas assurée, ni
la garantie des droits préservée, n'a point de Constitution» (Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, art. 16).

C. - Le développement du droit
8. - En créant et en organisant les pouvoirs constitués, la
Constitution permet le développement du droit. C'est elle, en effet,
qui précise à quelles conditions une règle de conduite est assortie
d'un caractère contraignant et obligatoire. C'est elle qui institue en
droits protégés et en devoirs sanctionnés ce qui ne serait autrement
que droits naturels de l'individu et préceptes de morale sociale.
C'est elle qui crée les organes chargés de dire le droit en toute
matière. C'est elle qui fixe le statut des institutions qui, telles les
administrations, vont pourvoir par des mesures concrètes à l'exécu-
tion des normes et des jugements.
Quelle discipline juridique peut se dispenser d'utiliser, au moins
pour partie, l'outillage juridique, conceptuel et institutionnel que
fournit la Constitution? Certes, le droit étatique ne rend pas compte
de l'ensemble du phénomène juridique. Mais n'est-ce pas la Consti-
tution qui, dans un Etat fédéral, par exemple, établit les règles du
partage des pouvoirs et autorise l'élaboration concomitante des
16 LA CONSTITUTION

normes fédérales et fédérées ? N'est-ce pas elle qui rend possible et


légitime le développement d'un ordre juridique, tant interétatique
qu'infraétatique?
Le droit étatique ? Dans une société unitaire, la Constitution inves-
tit, pour l'essentiel, la loi - nationale, par définition - du soin
d'établir les règles qui s'appliqueront aux diverses situations juridi-
ques qui se présentent sur le territoire de l'Etat. Dans une fédéra-
tion, la Constitution se donne pour objet d'aménager des ordres
juridiques distincts - celui de l'Etat fédéral lui-même et ceux des
collectivités fédérées - .
Le droit interétatique? Il se développe dans une communauté mon-
diale encore dominée par le principe de souveraineté des collecti-
vités qui en sont membres. Il ne peut manquer de faire référence au
système constitutionnel des Etats.
Soit que celui-ci précise les autorités qui sont habilitées à agir
valablement sur le plan international. Soit qu'il détermine les trans-
ferts de compétence que peut consentir l'Etat en vue d'assurer sa
meilleure insertion dans la société internationale. Soit qu'il indique
les contrôles d'ordre interne qui affectent les engagements interna-
tionaux conclus par l'Etat. Soit encore qu'il fixe le statut des auto-
rités étatiques qui, par leur comportement, vont conférer à un usage
international le caractère d'une coutume obligatoire sur le terrain
du droit international.
Le droit infraétatique? Il se développe au sein de l'Etat et non en
terrain vierge. Le contrat, la règle professionnelle, la coutume n'ont
de valeur que dans un ordre juridique donné : celui de l'Etat dont
le législateur admet la validité des <~ conventions légalement for-
mées)> ou des accords collectifs de nature professionnelle; celui aussi
dont les tribunaux reconnaissent à un usage social le caractère de
règle obligatoire.

9. - Positivisme excessif? Il ne semble pas. En indiquant la


source, il ne s'agit pas de clore la discussion juridique mais simple-
ment d'indiquer un point de passage obligé dans le raisonnement.
~· Pour peu que le juriste veuille procéder à une analyse correcte des données
du droit positif, pour peu qu'il se soucie de faire œuvre pertinente et conscien-
cieuse, il ne peut ignorer l'emprise des textes et des jurisprudences qui ont désor-
mais cours en droit constitutionnel. S'il prend la peine de les étudier, il y trou-
vera une source d'enrichissement et de renouvellement. Ce juriste-là gagnera à
ne pas se complaire dans une lecture superficielle de la Constitution, dans un
LA NOTION DE CONSTITUTION 17

examen sommaire de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, dans une étude


rapide de la doctrine qui s'élabore dans leur sillage. Une initiation poussée en
matière constitutionnelle, puis un accompagnement approfondi dans la même
discipline deviennent des conditions nécessaires à la pratique des autres
branches du droit>> (<<Préface>> de M. VERDUSSEN, Contours et enjeux du droit
constitutionnel pénal, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 12. Adde : L. FAVOREU, <<La
constitutionnalisation de l'ordre juridique>>, R.B.D.C., 1998, p. 233).

Il ne s'agit pas de pratiquer ici une forme d'impérialisme scientifi-


que qui viserait à annexer au droit public des pans entiers de la dis-
cipline juridique. Le fleuve ne se définit pas uniquement par la
source dont il procède. Il se reconnaît aussi au cours qu'il adopte.
De même le droit. Les disciplines qui le composent, si elles procè-
dent d'une même origine, vivent autonomes. Un objet, une
méthode, des concepts et des procédures singularisent chacune
d'elles.
En indiquant la source, il ne s'agit pas non plus de fournir l'expli-
cation ultime. La Constitution elle-même ne fait que rendre compte
des finalités que poursuit la société politique et des valeurs essen-
tielles qu'elle accepte. La Constitution explique l'Etat, c'est-à-dire
en révèle la signification.

§ 2. -L'explication de l'Etat

A. - Une doctrine politique


10. - La formule figure en tête de bon nombre de manuels. Le
droit positif régit les rapports des hommes entre eux. Le droit
constitutionnel régit ces rapports en organisant les pouvoirs publics
mais aussi en réglant les relations entre l'Etat et ses membres, pris
individuellement. Cette proposition sert traditionnellement de sou-
tènement à des interrogations d'allure philosophique sur les rap-
ports entre l'homme et le pouvoir, entre la liberté et l'autorité.
La Constitution ne peut évidemment se dispenser de rendre
compte de ces interrogations théoriques et des ébauches de solution
qui leur sont apportées dans la pratique. Mais elle le fait à sa
manière et, ce faisant, elle résout déjà en partie le problème.
Car la Constitution ignore l'homme mais connaît le citoyen. Elle
prend en considération l'homme situé et inséré, sans vision totali-
taire, dans un Etat. Par-delà le rappel de la terminologie révolu-
tionnaire figure celui d'une réalité essentielle : l'homme n'est pas
18 LA CONSTITUTION

extérieur ou étranger à l'Etat. Au contraire, l'Etat n'existe que par


l'homme. Il ne saurait agir que pour l'homme.
La Constitution ignore la liberté mais connaît les libertés. En
d'autres termes, les droits des citoyens, et ceux des étrangers, sont
proclamés et reconnus dans un Etat déterminé. Libertés conjonctu-
relles, beaucoup plus que libertés essentielles? Peut-être. A un
moment donné, elles ont été opposées aux pouvoirs publics dont il
s'agissait, par-dessus tout, de dénoncer, d'exorciser et de bannir
l'action. A un autre, elles ont été invoquées à l'encontre de ces
mêmes pouvoirs publics qu'il s'agissait d'apprivoiser, voire d' exploi-
ter. Le désir de liberté reste; les libertés changent.
La Constitution ignore l'autorité mais connaît les attributions. Elle
confère à des autorités de l'Etat un titre pour agir. Entre une auto-
rité détenue et une compétence attribuée, il y a plus qu'une diffé-
rence de terminologie. Le pouvoir ne peut être exercé comme une
prérogative mais comme une fonction.
D'une certaine manière, la Constitution escamote le débat fonda-
mental. Mais, d'une autre manière, elle lui apporte un début concret
de solution. Vivre sous une Constitution, c'est savoir que des bornes
sont posées a priori à la liberté : en règle générale, le citoyen ne
choisit pas la collectivité étatique dont il est membre; il n'est pas
libre de se soustraire, comme il l'entend, à l'ordre juridique de son
Etat. Mais vivre sous une Constitution, c'est aussi savoir que des
bornes sont posées a priori à l'autorité : les agents du pouvoir
n'exercent plus leurs prérogatives en vertu de qualités - force,
audace, prestige - qui leur sont propres; ils sont << qualifiés )) pour
agir.
En optant pour une formule de gouvernement, la Constitution fait
un choix dans la gamme étendue des techniques qui limitent à la fois
la liberté et l'autorité. Comme le relève MONTESQUIEU, <<le bien politi-
que comme le bien moral se trouve toujours entre deux limites )). La
Constitution en assure la démarcation exacte.
La Constitution n'entend pas faire œuvre permanente et univer-
selle. Les finalités qu'elle traduit sont diverses et conjoncturelles;
les procédés techniques destinés à assurer l'insertion de l'homme
dans l'Etat sont multiples. La Constitution fait œuvre pratique
elle fournit <<réponse provisoire à une interrogation éternelle)) (5).

(5) G. BuRDEAU, ''Le pouvoir», in Encyclopédie française, t. X, L'Etat, Paris, 1964, p. 115.
LA NOTION DE CONSTITUTION 19

B. - Les finalités de l'action


11. - La Constitution fournit à l'Etat un certificat d'origine.
Elle lui assigne aussi un but à atteindre, des tâches à remplir, une
conception de l'homme à promouvoir, une technique de l'autorité à
aménager. Ce qui fait écrire à A. MAST que << la Constitution est au
premier chef une norme politique>> (6).
«La formule pèche peut-être par excès d'existentialisme juridique si elle
conduit à constater que les réalités politiques de la vie de l'Etat priment le
schéma constitutionnel préétabli qu'elles pèuvent déformer, voire contredire.
L'expression employée recèle aussi quelque ambiguïté si elle donne à penser que
la science du droit, au contraire de la science politique, n'a pas à s'interroger sur
le but poursuivi par les institutions publiques et doit se contenter d'en décrire
les mécanismes et les structures •> («L'enseignement du droit constitutionnel en
Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas», in L'enseignement du droit constitu-
tionnel~ dir. J.-Fr. FLAUSS ~, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 41).

Dans sa concision, l'affirmation trouve sa vérité et sa rigueur si


elle signifie que la Constitution, qui crée et organise l'Etat, traduit
dans les institutions mises en place les finalités qu'une société politique
se donne.
Ces finalités peuvent être bien ou mal choisies, bien ou mal expri-
mées, bien ou mal comprises, bien ou mal concrétisées. La Constitu-
tion les révèle. Ici, elle résonne des controverses et des débats politi-
ques qui ont présidé à son élaboration, mais elle les clôt provisoire-
ment. Là, elle marque l'avènement de l'Etat ainsi que le point de
départ de son action et fait œuvre résolument novatrice. Mais, dans
un cas comme dans l'autre, la Constitution prend parti. Elle assoit
l'autorité mais lui donne ses finalités; elle lui procure la garantie de
la légitimité mais précise les justifications de son action.
C'est dans cette perspective que les Constitutions modernes s'at-
tachent notamment à proclamer et à consacrer un ensemble de
libertés publiques au profit du citoyen : les libertés publiques,
comme celles qui sont inscrites d'ancienneté au titre II de la Consti-
tution belge, les libertés économiques, sociales et culturelles, comme
celles qui y ont été reconnues plus récemment.
La Constitution ne se borne pas à être un fonds commun de concepts
et de techniques dans lequel les différentes disciplines juridiques vien-

(6) A. MAST, Overzicht van het Belgisch grondwettelijk recht, Gand, Story-Scientia, 1985, ge éd.,
p. lOI.
20 LA CONSTITUTION

draient puiser à loisir. La Constitution exprime aussi un choix


d'idéaux, c'est-à-dire de fins sociales que l'Etat considère comme
nécessaires et praticables à un moment donné de son histoire. Ces
options rejaillissent évidemment sur l'aménagement des branches
du droit de l'Etat.
Le droit des affaires, pour ne prendre qu'un exemple, peut être
celui d'un Etat où l'activité économique s'exerce dans le respect
d'une liberté quasi illimitée- sans contrôle, sans barrières, sans ini-
tiative publique - . Il peut être aussi celui d'un Etat dont la
Constitution dessine des zones de développement économique, orga-
nise l'autorité planificatrice et donne aux collectivités publiques la
liberté de mener des opérations à but de lucre ...
Une doctrine, exprimée dans la Constitution d'un Etat, fonde et
détermine, tout au moins dans ses grandes lignes, le droit de cet
Etat. Le juriste qui a mission d'analyser et d'interpréter une règle
de vie sociale, en l'occurrence celle de l'Etat, ne peut, sans ignorer
les atteintes que l'épreuve des faits porte aux structures comme aux
idéaux, se dispenser de l'étude des finalités de la règle constitution-
nelle.

C. - Les moyens de l'action

12. - La Constitution d'un Etat est, selon l'expression de Jean


DABIN, <<le principe générateur, régulateur et animateur>> de tout le
système étatique. Lui reconnaître cet objet, c'est combattre une
conception réductrice de la règle constitutionnelle, celle qui revien-
drait à lui dénier le droit de préciser les modalités de l'action publi-
que.
La vocation de la Constitution serait de statuer au plan des prin-
cipes. Son rôle serait de mettre en place des structures d'ensemble.
Mais elle serait dessaisie dès l'instant où il importerait de préciser
les moyens d'agir ... Cette conception est dangereuse. La crise des
idéologies et la remise en cause des valeurs, même d'ordre politique,
auraient, en effet, pour résultat de rendre l'œuvre constitutionnelle
inutile, voire nuisible.
La Constitution ne peut pas être seulement une règle d'organisa-
tion des institutions ou une règle de protection des libertés. Elle est
aussi règle d'action - de l'Etat et dans l'Etat - .
LA NOTION DE CONSTITUTION 21

C'est dans cette perspective que la Constitution belge, marquée


pourtant des préoccupations de l'époque libérale, pose les principes
de l'action de l'Etat dans des domaines aussi importants que ceux
de la sécurité extérieure, de l'administration générale, de la percep-
tion des impôts ou de la dispensation de la justice. C'est dans cette
perspective aussi que les Constitutions modernes cherchent à rendre
compte des apports les plus récents de la science et de la technique
de la gestion publique. Elles le font- et c'est dans cette apprécia-
tion que réside le choix essentiel - avec plus ou moins d'audace ou
d'intensité : les unes se contentent de remettre en question quelques
dogmes du droit public, le principe de l'annualité du budget, par
exemple; d'autres croient possible d'apprivoiser <( l'aléatoire >>
(A. HAURIOU) dans une règle certaine; d'autres encore s'engagent
résolument dans la voie de la programmation des activités privées
ou publiques. Aucune ne peut s'empêcher de prendre parti.
13. - Une autre conception tout aussi réductrice se fait jour.
Elle revient à négliger une part de l'action politique qui se déve-
loppe au sein de l'Etat.
Une formule fait fureur en droit public. La Constitution, perçue
et définie dans une perspective réaliste, réglerait les rapports entre
gouvernants et gouvernés. Cette distinction commode sur un plan
pédagogique répondrait à la division hiérarchique qui s'opère inévi-
tablement au sein de l'Etat entre ceux qui commandent et ceux qui
obéissent.
En réalité, la distinction est aussi peu appropriée sur le plan
pédagogique que doctrinal.
Elle donne, d'abord, à penser que l'Etat est, par définition, struc-
ture de réglementation, de domination et de répression au profit
d'un nombre restreint d'individus et au détriment de la majorité des
hommes. L'Etat doit être, au contraire, communauté d'échanges, de
rapports positifs et de collaboration.
Elle exprime aussi en termes de rapports interindividuels ce qui
est avant tout relation entre le citoyen et la collectivité politique
dont il est membre. La Constitution a précisément pour mission
d'éviter l'écueil d'un pouvoir considéré comme la prérogative d'un
homme ou de quelques-uns. Comme dit PROUDHON, <(nous ne vou-
lons pas plus du gouvernement de l'homme par l'homme que de
l'exploitation de l'homme par l'homme>>. Ce refus, écrit H. KELSEN,
22 LA CONSTITUTION

est (( l'une des pièces fondamentales du droit public contempo-


rain>> (7).
Enfin, le dualisme gouvernés-gouvernants ne paraît pas rendre
compte exactement de la multiplicité des acteurs dans la vie étati-
que. Dire que la Constitution formule des préceptes qui s'imposent
à des acteurs juridiques d'un format particulier - les gouver-
nants - et aux acteurs juridiques ordinaires - les gouvernés -
relève, à vrai dire, d'une excessive simplification. Le raisonnement
revient à se situer d'emblée dans le contexte soi-disant idéal d'un
micro-Etat ou d'une principauté romantique d'origine médiévale :
les citoyens y appartiendraient à un seul corps politique qui serait
celui de l'Etat. Pareille argumentation est-elle défendable?
L'Etat est unité de superposition (8). Il faut ajouter, pour éviter
toute méprise ou toute déformation sociologique, que l'Etat est unité
de superposition de collectivités politiques. La diversité des régimes
juridiques de ces collectivités - subordination ou dépendance, hié-
rarchie ou coopération, autonomie ou isolement - importe peu à
côté d'une réalité irréfutable. Le citoyen participe à la vie politique
globale de l'Etat mais aussi à celle des collectivités qui en font par-
tie (9). Négliger ces collectivités à prétexte qu'elles ne rentrent pas
commodément dans la distinction des gouvernés et des gouvernants
revient à appauvrir considérablement toute étude sur l'Etat. La
Constitution belge, pour ne prendre qu'un exemple, ne s'y est pas
trompée en s'efforçant de recenser les collectivités politiques - de
la commune à l'Etat, sans oublier l'Union européenne- auxquelles
le citoyen participe.

SECTION II. - L'UTILITÉ

14. - Des Etats vivent sans Constitution. Des Etats vivent


comme s'ils n'avaient pas de Constitution. Cette double observation
que la pratique de chaque jour vérifie soumet à une critique à pre-
mière vue fondamentale l'affirmation de l'utilité de la Constitution.

(7) H. KELSEN, La démocratie- Sa nature- Sa valeur (trad. Ch. EISENMANN), Paris, Sirey,
1932, p. 11.
(8) G. ScELLE, Introduction à l'étude du droit, Paris, Rousseau, 1931, t. 1, p. 80.
(9) F. DELPÉRÉE, «La citoyenneté multiple>>, Ann. D. Lv., 1996, p. 261.
LA NOTION DE CONSTITUTION 23

Survivance inutile, écrit en ce sens G. BuRDEAU (10). Survivance


dangereuse, ajoute une doctrine qui, depuis BABEUF, ne manque pas
de rappeler que les plébéiens ont << plus besoin d'institutions que de
Constitutions )>.
La Constitution manque, en effet, son but si elle se borne à plan-
ter les éléments d'un décor où se joue une autre pièce que celle pour
laquelle il a été conçu; l'assise qu'elle donne à l'Etat est alors illu-
soire et l'explication qu'elle en procure imaginaire. La Constitution
manque tout autant son but si elle se contente de mettre en place
des techniques et des procédures et s'interdit, à prétexte de neutra-
lité, de faire un choix même implicite entre les aspirations des
hommes et des peuples; l'assise qu'elle donne à l'Etat est alors étri-
quée et l'explication qu'elle en procure sommaire et inexpressive.
Les fausses appellations encombrent la matière du droit constitu-
tionnel. Constitutions de façade, Constitutions de circonstance,
Constitutions-symboles, Constitutions-programmes ne présentent
pas de valeur juridique. Il est vain de s'attacher à l'élaboration ou
à l'interprétation de dispositions qui ne recevront aucune applica-
tion ou qui sont appelées à connaître une prompte désuétude.
La Constitution, pour être utile, doit être règle certaine (§ 1er). A
ce titre, les programmes politiques (A), les mythes institutionnels
(B) ou les projets de développement (C) ne sauraient y occuper une
place importante. Comme l'écrit A. MAST, <<la certitude est la pre-
mière dignité de la règle constitutionnelle)). La garantie que les pou-
voirs publics comme les citoyens trouvent dans la Constitution est
à ce prix.
La Constitution, pour être utile, doit aussi être règle actuelle (§ 2).
L'observation conduit à préciser le cadre temporel (A), le cadre géo-
graphique (B) et le cadre politique (C) dans lesquels la Constitution
trouve normalement sa place. La règle constitutionnelle ne peut être
anachronique à peine de fournir une garantie illusoire et donc dan-
gereuse.
Méconnaîtrait-elle ces principes? La Constitution, à supposer
qu'on puisse encore l'appeler par ce nom, mériterait sans réserve la
condamnation que Camille DESMOULINS formule dans Les Révolu-
tions de France et du Brabant : <<Il faut faire du droit public de l'Eu-

(10) G. BURDEAU, «Une survivance : la notion de Constitution», in Mélanges A. Mestre,


Paris, Sirey, 1956, p. 53; D. RoussEAU, <<Une résurrection : la notion de Constitution», R.D.P.,
1990, p. 5; F. DELPÉRÉE, <<La Constitution, pour quoi faire?», R. B.D.O., 1994, p. 5.
24 LA CONSTITUTION

rope comme LuTHER fit du droit canon : en jeter tous les livres au
feu>>.

§ 1er. - La Constitution, règle certaine

A. - La Constitution et les programmes politiques

15. - Nombre de Constitutions décrivent les mécanismes qui


sont organisés et qui fonctionnent, en fait et sans discordances sen-
sibles, dans une société politique. D'autres, au contraire, se présen-
tent en tout ou en partie comme annonciatrices d'un monde nou-
veau et comme fondements d'un droit à construire : ce sont les
Constitutions-programmes.
La rédaction de ces Constitutions répond d'ordinaire à des préoc-
cupations louables. Il s'agit d'exprimer une philosophie politique
nouvelle. Il s'agit d'élaborer une Constitution de progrès qui indi-
quera à une société politique les voies de la transformation et du
perfectionnement.
Pareilles Constitutions intéressent-elles, cependant, une étude de
droit positif? Ne relèvent-elles pas plutôt des domaines d'investiga-
tion d'autres disciplines, telles l'histoire des idées politiques ou la
sociologie des institutions ? La réponse ne paraît pas faire de doute :
les Constitutions-programmes sont de fausses Constitutions.
Le droit ne saurait correctement les appréhender. Plutôt que d'in-
former par la règle juridique la réalité politique, ces Constitutions
organisent de façon systématique le décalage entre la règle et le fait.
Camouflant les données du présent ou projetant des hypothèses
dans l'avenir, elles se coupent délibérément du réel et du certain.
Les citoyens comme les pouvoirs publics ne sauraient, pour leur
part, trouver dans les Constitutions-programmes une règle d'ac-
tion : ce sont tout au plus des déclarations d'intentions qui peuvent
inspirer leurs comportements ou leurs initiatives mais qui ne sau-
raient les assujettir au respect de prescriptions juridiques.
Dira-t-on que ces inconvénients techniques sont inhérents à l'ex-
plication que, dans un Etat moderne, les pouvoirs publics, en ce
compris le pouvoir constituant, se sentent tenus d'apporter sur leurs
objectifs, leurs projets, leurs délibérations? Peut-être. Mais la
Constitution ne paraît guère l'endroit approprié pour procurer
LA NOTION DE CONSTITUTION 25

pareille explication; œuvre d'un pouvoir qui n'associe qu'exception-


nellement les citoyens à la tâche de sa rédaction, elle risque d'être
rapidement identifiée à un morceau de propagande ou à une entre-
prise d'endoctrinement.
Si la Constitution est appelée à révéler une doctrine, même pros-
pective, elle n'a pas à la formuler. Elle peut la traduire mais seule-
ment dans des dispositions concrètes, pratiques et certaines. Elle
manque au contraire son but si elle s'efforce de l'exprimer dans une
déclaration générale, vague et, pour tout dire, sans portée juridique.
C'est en filigrane et non en toutes lettres qu'il faut lire la doctrine
qu'exprime la Constitution. Celle-ci a vocation de demeurer << reli-
gion sans dogmes)) (11).

B. - La Constitution et les mythes institutionnels


16. - Nombre de Constitutions entendent assujettir fermement
au droit l'action des pouvoirs publics et garantir efficacement
l'exercice des libertés des citoyens. D'autres, au contraire, y renon-
cent, dépassées qu'elles sont par l'évolution rapide du droit et des
réalités. Le schéma institutionnel qu'elles dessinent n'apparaît plus
que comme fort théorique. D'indiscutables transformations coutu-
mières en ont ébranlé l'ossature. La supériorité de la règle constitu-
tionnelle n'est plus affirmée que sur papier, voire est démentie quo-
tidiennement par l'expérience. Plutôt que de constater leur échec et
leur inutilité, ces Constitutions survivent cependant et se façonnent
une nouvelle mission : elles deviennent des Constitutions-mythes.
Ces Constitutions entendent se prévaloir d'une force psychologi-
que non négligeable. Leur existence à elle seule constituerait un
symbole. Elles représenteraient << une barrière sans doute imprécise
mais peut-être effective à la toute-puissance virtuelle des chambres
législatives, lorsque celles-ci ressentent des velléités d' arbi-
traire)) (12).
Les Constitutions-mythes se prêtent-elles, cependant, à un dis-
cours juridique? Contenant des mythes forgés pour aviver les
patriotismes, pour susciter quelque sentiment d'appartenance natio-

(Il) M. AMos, La Constitution anglaise (trad. P. DE LA PRADELLE), Paris, Sirey, 1935, p. 221.
(12) H. VAN IMPE, Le régime parlementaire en Belgique, Bruxelles, Bruylant, 1968, p. 20.
Quelques dispositions paraissent particulièrement concourir à l'élaboration du mythe elles
concernent, par exemple, le régime des libertés publiques, les modalités du système électoral ou
les principes de l'autonomie locale.
26 LA CONSTITUTION

nale ou régionale, voire pour faire naître quelque scrupule d'allure


juridique chez les titulaires du pouvoir, ne sont-elles pas plutôt pré-
texte à phénomènes collectifs dont la psychologie sociale se préoccu-
pera, mieux que le droit, d'étudier les manifestations? Il faut en
convenir : les Constitutions-mythes sont aussi de fausses Constitutions.
L'Etat n'a pas besoin de fables pour exister et s'organiser. Il lui
faut un encadrement juridique adapté aux réalités d'une société
politique, et non des fictions ou des allégories; il lui faut des
concepts clairs, des notions précises, des procédures praticables, en
somme des règles certaines, et non des légendes.
<<La dimension symbolique refoulée par le positivisme est omniprésente dans
la réalité constitutionnelle et étatique. ( ... ). En deçà de sa dimension utilitaire,
une Constitution présuppose une communauté historique, c'est-à-dire un peuple
qui a son histoire, ses symboles et ses sentiments. Parallèlement à sa dimension
utilitaire, une Constitution exprime des valeurs et cherche à produire des repré-
sentations valorisantes ou dévalorisantes. Au delà de sa dimension utilitaire, une
Constitution est elle-même un produit symbolique, exerçant des fonctions sym-
boliques~ (H. DuMONT, «Etat, Nation et Constitution. De la théorie du droit
public aux conditions de validité de l'Etat belge •> in Belgitude et crise de l'Etat
belge, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1989, p. 96. Voy., dans la
même optique, B. LACROIX, « Les fonctions symboliques des Constitutions : bilan
et perspectives~. in Le constitutionnalisme aujourd'hui - dir. J.-L. SEURIN - ,
Paris, 1984; J. LENOBLE et F. OsT, Droit, mythes et raison, Bruxelles, 1980, p. 6;
F. ÜST et M. VAN DE KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit,
Bruxelles, 1987, p. 25 ).
« La pensée positiviste nie la pertinence juridique de tout ce qui se trouve en
amont de (la Constitution). Refoulant toute dimension mythique hors de l'Etat
et de la Constitution, elle fait de cette dernière le fondement non seulement
nécessaire, mais aussi suffisant du premier. Mais comment ne pas voir que, par
un effet de retour du refoulé, c'est la Constitution elle-même qui devient un
mythe dans ces conditions, en se présentant elle-même comme un commence-
ment absolu ou comme un fondement ultime, c'est-à-dire comme un démiurge 1 >>
(H. DUMONT, ibid., p. 97).
Pour une autre démarche, voy. F. DELPÉRÉE, <<Y a-t-il un Etat belge 1 >>, in
Belgitude et crise de l'Etat belge ... , p. 52:<< Un Etat peut se construire sans allégo-
rie, sans transport de sentiment, sans mythe et sans passion. Un Etat repose
d'abord sur des règles de convivence >>.

Certes, les Constitutions peuvent, en plus de leurs fonctions tradi-


tionnelles -fournir une assise et une explication à l'Etat - , rem-
plir une fonction que P. BASTID qualifie d'<< emblématique>> (13).

(13) P. BASTID, «Introduction générale» au Corpus constitutionnel, t. 1, Leiden, E.J. Brill,


1968, p. 31.
LA NOTION DE CONSTITUTION 27

Une Constitution - dont l'objet primordial et l'utilité principale ne


sont pas mis en cause - sert alors de signe de ralliement, ambigu
peut-être mais sympathique, à un mouvement politique- les Jaco-
bins n'étaient-ils pas membres de la Société des amis de la Constitu-
tion? - ou à une formation qui prépare l'indépendance d'une
nation- n'a-t-on pas relevé que le<< Destour>> n'est que la transpo-
sition en langue arabe du << parti de la Constitution >> -?
M. DuvERGER note, en ce sens, que la Constitution peut être un
mot <<valorisé>> (14).

C. -La Constitution
et les projets de développement
17. - Nombre d'Etats parvenus récemment à l'indépendance se
sont préoccupés d'un aménagement des fonctions étatiques dans
l'ordre interne et ont sacrifié, sous la pression notamment de la
communauté internationale, à la mode de la rédaction d'une Consti-
tution. Mais, comment ne pas le constater?, les Constitutions à l'oc-
cidentale adoptées par certains Etats en voie de développement
politique, social ou économique n'ont eu qu'une durée de vie
réduite. Les nouveaux Etats confrontés à des besoins politiques
urgents dans les domaines de l'alimentation, de l'enseignement, de
la santé, des techniques de communication ... ont laissé au second
plan la préoccupation d'appliquer et de respecter les dispositions
constitutionnelles qu'ils s'étaient originellement données.
Une vie politique, spontanée ou dirigée, s'organise en marge des
textes établis. Des Etats promis au multipartisme se voient
conduits par un parti dominant ou unique; des Etats de structure
fédérale se voient gérés comme des Etats unitaires; des Etats voués
au parlementarisme voient s'instaurer des dictatures civiles ou mili-
taires.
En somme, la Constitution, produit de l'Occident (15), affronte
l'épreuve d'un monde nouveau. Elle peut en être rejetée purement
et simplement. Plus que toute autre règle juridique, n'est-elle pas le
reflet d'un monde ancien et contesté? Mais elle peut aussi acquérir

(14) M. DuvERGER, Institutions politiques et droit constitutionnel, 7" éd., Paris, P.U.F., 1963,
p. 2.
(15) J. GICQUEL et A. HAURIOU, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris,
Montchrestien, 1985, p. 35.
28 LA CONSTITUTION

une signification originale : elle devient le projet institutionnel d'un


Etat en cours de développement.
Une conception encyclopédique du droit constitutionnel ne
mérite-t-elle pas d'être dégagée? La Constitution à l'occidentale
n'est peut-être que l'espèce d'un genre; d'autres espèces- asiatique
ou africaine, par exemple - pourraient légitimement voir le jour et
se développer selon leur génie propre. Dans cette conception, une
portion du globe serait gouvernée par des Constitutions, règles cer-
taines de droit; d'autres parties seraient régies par des règles que
l'action politique aurait progressivement dégagées et ne détien-
draient de Constitutions qu'à titre de référence historique, de certi-
ficat de naissance et surtout de modèle de développement pour
l'avenir.
Pour séduisante qu'elle soit, l'argumentation encyclopédique
n'emporte pas pleinement l'adhésion. Les Constitutions-projets de
développement restent de fausses Constitutions.
La règle constitutionnelle est assise et explication de l'Etat. L'as-
sise ne peut être sacrifiée à l'explication. Car, sans assise, l'explica-
tion est vaine. Ne se concrétisant pas dans des dispositions prati-
ques et obligatoires, elle n'offre aux citoyens comme aux pouvoirs
publics aucune garantie de bonne fin; elle perd alors le plus clair de
son utilité.
Que les sociétés en développement n'aient pu acquiescer à la
conception constitutionnelle classique, qui ne le comprend? Mais ce
n'est là que l'étape d'une évolution. L'adhésion formelle par des
Etats qui ont conquis leur indépendance au cours des dernières
années à la technique constitutionnelle ne représente qu'un premier
moment; le développement - social, économique, politique aussi -
auquel ces Etats sont appelés, selon le rythme qu'ils s'imposent,
prépare le retour à l'orthodoxie constitutionnelle.
La réponse prend figure d'un pari sur l'avenir. Elle s'autorise
néanmoins de quelques indices encourageants dans l'ensemble afri-
cain, dans le continent asiatique, dans le monde latino-américain,
dans le bassin méditerranéen... Il existe des voies originales pour
affronter à la fois les problèmes du développement et le respect des
mécanismes constitutionnels.
<<En Afrique comme ailleurs, une Constitution ne peut être viable que si elle
repose sur un large consensus, 'cette volonté de vivre et de travailler ensemble',
dont RENAN, à la fin du XIXe siècle, avait fait le critère même de la Nation.
LA NOTION DE CONSTITUTION 29

On veut espérer qu'à l'aube du XXI" siècle, il n'est pas naïf de penser que les
institutions démocratiques ne sont pas le pire des moyens pour y contribuer.
Certes, il ne peut y avoir de démocratie sans démocrates. Mais sans l'apprentis-
sage des mécanismes élémentaires de la démocratie, on voit mal comment pour-
rait naître une culture démocratique>) (G. CoNAC, «Succès et crises du constitu-
tionnalisme africain>), in Les Constitutions africaines publiées en langue fran-
çaise - dir. J. DU BOIS DE GAUDUSSON, G. CONAC et C. DEBOUCHES - , t. Il,
Paris/Bruxelles, La Documentation françaisefBruylant, 1998, p. 19).

§ 2. ~ La Constitution, règle actuelle

A. ~ Le cadre temporel
18. ~ Délaissant les projections incertaines dans un avenir à
trop long terme, la Constitution doit aussi se détacher des circons-
tances historiques et momentanées qui permettent ou qui provo-
quent son élaboration.
Certes, une Constitution nouvelle ou rénovée ne peut manquer de
rendre compte des controverses politiques les plus immédiates aux-
quelles elle s'efforce précisément d'apporter une solution. Si elle ne
tranche cependant que des questions circonstancielles, la Constitu-
tion expose ses dispositions à une prompte désuétude.
A un moment de l'histoire, telle controverse a pu paraître diviser
fondamentalement les composantes de la société politique. La
Constitution a cherché à la trancher. Avec le recul du temps, cepen-
dant, le litige s'estompe, s'apaise ou se donne une solution diffé-
rente (16). A terme, quelle valeur attribuer à la disposition constitu-
tionnelle inappliquée ?
Trop proche de l'événement, la Constitution ne peut le maîtriser.
Les dispositions de circonstance qu'elle conçoit s'exposent à rester
lettre morte. Si une Constitution, nouvelle ou rénovée, ne peut man-
quer d'être le reflet de son époque, elle doit s'en abstraire si elle veut
faire œuvre utile et durable.
« Among the written Constitutions of the late eighteenth or early nineteenth
Cent ury, only three remain in force today : the American Constitution of 1787,
with the 1791 Amendments, the Norwegian Constitution of 1814, and the Bel-

(16) En 1970, la Constitution belge cherche à aménager le régime politique et administratif


des • Fourons». Un statut exceptionnel est organisé à leur intention (Const., art. 5, al. 3) : une
loi spéciale peut soustraire certains territoires à la division en provinces et les faire relever direc-
tement du pouvoir exécutif. Mais la difficulté de concevoir ce statut propre, l'adoption de
mesures réglementaires poursuivant le même but, ainsi que la fusion des communes concernées
ont pour effet de laisser la disposition inappliquée.
30 LA CONSTITUTION

gian Constitution of 1831. In addition we should include the French Déclaration


des droits de l'homme et du citoyen from 1789.
W e then face the need of determing the weight deserved by the prima facie
meaning of ancient constitutional provisions - or the meaning that on histori-
cal grounds can be imputed to the framers - when more up to date considera-
tions are invoked in favour of solutions that are hard to reconcile with the 'ori-
ginal meaning'. Is there a 'just' balance between fidelity to inherited and for-
mally unchanged provisions and the freedom of the judge to construe such pro-
visions in conformity with his own- or somebody. else's- opinion as to the
needs of today 1 Sim ply referring to the present meaning of constitutional norms
is inadequate, since everything turns on how that meaning was reached and who
actually reached it >) (E. SMITH, << Introduction», in Constitutional Justice under
Old Constitutions, Kluwer Law International, La Haye, 1995, pp. XI et XVII).

19. - Le formalisme qui, dans la tradition scripturaire, accom-


pagne la rédaction ou la révision de la Constitution (no 32) tend à
souligner la localisation chronologique de la Constitution.
Tous les rites qu'entend symboliser la procédure constitutionnelle cherchent à
souligner l'importance d'un événement historique. C'est le rite de purification qui
indique le moment où une société politique élémentaire, voire un gouvernement
de fait, oublie ses attaches révolutionnaires et se mue en Etat et en pouvoir de
droit. C'est le rite de pacification qui indique le moment où les forces politiques
désordonnées et dispersées consentent à discipliner leur action et à la développer
sur la base de finalités arrêtées de commun accord. C'est encore le rite d'investi-
ture qui indique le moment où les autorités publiques sont légitimement habili-
tées à exercer les attributions qui leur sont confiées. La signification historique
de la Constitution ne saurait être sous-estimée.

Mais l'Etat ne vit pas que de souvenirs. La Constitution ne sau-


rait se limiter à faire référence à un moment historique inscrit dans
le passé. La doctrine du droit public peut citer la Constitution belge
de 1831, la Constitution italienne de 1947, la Constitution française
de 1958 ... Ce sont là des raccourcis commodes mais équivoques. Une
formulation plus correcte conduirait à évoquer la Constitution faite
pour les citoyens et les institutions d'aujourd'hui, sinon de demain,
et dont la première rédaction remonte à 1831, à 1947 ou à 1958 ...
La Constitution manque son but si, insérée dans le passé, elle ne
rencontre pas les problèmes majeurs que les sociétés modernes sont
amenées à affronter. Au contraire, elle garde son utilité si elle par-
vient à poser les principes fermes qui peuvent, de façon permanente,
guider l'action des citoyens et celle des pouvoirs publics.
L'exercice, à n'en pas douter, est difficile. La Constitution a voca-
tion d'être perpétuellement actuelle. Elle doit commander à la fois le
LA NOTION DE CONSTITUTION 31

présent et l'avenir de l'Etat. Elle gagne à régir son fonctionnement


mais aussi en préparer les évolutions.

B. -Le cadre géographique


20. - L'Etat et sa Constitution ne sont-ils pas menacés par le
développement de la société internationale? Il ne semble pas. La
société internationale paraît, au contraire, trouver dans les méca-
nismes constitutionnels des Etats les prémisses de son évolution et
de son perfectionnement.
Une société internationale s'organise ... Mais, à moins de nourrir l'il-
lusion de la confection à court terme d'un Etat mondial qui substi-
tuerait ses structures et son action à celles des Etats préexistants,
comment ne pas convenir que la réalité première de la communauté
internationale est << celle d'une multiplicité d'Etats disposant du
monopole de la compétence et de la contrainte )) (17) ? Le droit inter-
national le plus évolué ne peut ignorer un fait primordial : la multi-
plicité des Etats, et donc la multiplicité des Constitutions. Mieux :
il prend appui et exemple sur eux. Comme le note P. DE VISSCHER,
<< l'antériorité historique du droit de la société étatique par rapport

au droit international a incité les théoriciens du droit à voir dans


le premier le modèle ou l'idéal du second)) (18).
Le droit de la société internationale s'impose logiquement au droit
étatique ... Des Constitutions comme celle de la ve République fran-
çaise vont jusqu'à affirmer que << les traités ou accords régulièrement
ratifiés ou approuvés, ont dès leur publication, une autorité supé-
rieure à celle des lois ... )) (art. 55). Là où un texte exprès n'est pas
venu consacrer ce principe, la jurisprudence n'hésite pas à être plus
affirmative encore : << Lorsque le conflit existe entre une norme de
droit interne et une norme de droit international qui a des effets
directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité
doit prévaloir; la prééminence de celle-ci résulte de la nature même
du droit international conventionnel)) (Cass., 27 mai 1971, Pas., I,
p. 886, concl. W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH).
Mais la supériorité du droit international qui s'affirme ainsi est,
d'abord, celle que conviennent de respecter des Etats. Leur accord

( 17) P. DE VISSCHER, Cours général de droit international public, Recueil des Cours de l'Acadé-
mie de droit international, vol. II, 1972, p. 19.
(18) P. DE VISSCHER, op. cit., p. 15.
32 LA CONSTITUTION

est d'autant plus nécessaire que le droit international, technique-


ment plus primitif que le droit interne (19), emprunte au droit étati-
que les procédés qui assurent le respect de sa prééminence. La pri-
mauté du droit international public est donc, dans une certaine
mesure, affectée d'une <<condition suspensive>> (20), à savoir la
reconnaissance expresse ou tacite de cette primauté dans le système
constitutionnel.
<<(La Cour d'arbitrage et la section de législation 'du Conseil d'Etat) veulent
rappeler que des engagements internationaux qui s'inscriraient en violation des
règles de fond de la Constitution ne sauraient s'imposer de plana en Belgique et
qu'à tout le moins, une révision constitutionnelle s'impose» (<• Les rapports de
cohérence entre le droit constitutionnel et le droit international public. Dévelop-
pements récents en Belgique>>, R.F.D.C., 1998, n° 36, p. 740).
Des organisations internationales apparaissent et se constituent en
réaction contre les tendances nationalistes des Etats ... Les attributions
reconnues notamment aux institutions dites supranationales leur
permettent d'élaborer des règles de droit immédiatement appli-
cables dans l'ordre étatique. Ce phénomène se manifeste en particu-
lier dans la société européenne. Il est appelé, dit-on, à vider progres-
sivement le contenu des Constitutions. Comment ne pas relever,
cependant, que les Etats membres de l'Union européenne se sont
réservé la maîtrise des institutions mises en place et n'ont pas créé
un pouvoir constituant autonome~
L'organisation internationale ne saurait être souveraine <<au sens
où les Etats le sont >>; elle a des attributions dont la définition et la
délimitation incombent aux Etats qui l'ont constituée par traité.
<< La société internationale et la société étatique, comme l'aveugle
et le paralytique, sont solidaires>> (21). Mieux que toute autre règle
juridique étatique, la Constitution est en mesure de contribuer à
l'évolution de la société internationale.

C. - Le cadre politique
21. - L'illusion constitutionnelle a pu parfois être dénoncée. A
quoi bon une Constitution dépassée par les évolutions les plus mar-
quantes de la société étatique~ A quoi bon encore une Constitution

(19) P. REUTER, Droit international public, Paris, P.U.F., 1963, p. 21.


(20) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, «Réflexions sur le droit international et la révision
de la Constitution», J. T., 1968, p. 496.
(21) P. DE VISSCHER, op. cit., p. 25.
LA NOTION DE CONSTITUTION 33

connaissant des problèmes traditionnels de la gestion de l'Etat mais


incapable, en période de crise ou de mutation rapide, de faire face
à des difficultés nouvelles?
Il est vrai que la Constitution, comme le droit, sent parfois
l'école. De là, la tentation de faire crédit aux forces brutes, sponta-
nées, concrètes et vives qui font l'Etat, qui animent son action poli-
tique, sociale et économique. Si les barrages constitutionnels peu-
vent en période d'étiage canaliser leur flot, ils ne semblent pas, au
moment de la crue, être en mesure de retenir le torrent. Une conclu-
sion semble alors se dégager. Le fait a toujours raison, en fin de
compte, du droit.
Plus d'un exemple viennent étayer ce scepticisme. L'article 33 de la Constitu-
tion enseigne que << tous les pouvoirs émanent de la Na ti on » (al. l ec) et qu'<< ils
sont exercés de la manière établie par la Constitution» (al. 2). Cette disposition
était jusqu'en 1970 interprétée comme faisant obstacle à ce que des attributions
soient transférées, par voie de traité, à des organisations internationales et exer-
cées par elles. Ce précepte n'a pas résisté à la montée des forces politiques ou
économiques qui entendaient voir installer sans atermoiement les Communautés
européennes. Ces << réalités •> et ces institutions ont précédé et imposé une révision
du droit constitutionnel (art. 34). Mais à quoi sert la Constitution si elle se borne
à enregistrer avec retard les conséquences d'une évolution politique, sociale ou
économique qui s'est développée en marge et même au mépris de ses propres dis-
positions 1

Ce type d'appréciation est plus affaire de<< tournure d'esprit>> (22)


que de vérité scientifique. Il serait commode de citer cent autres
exemples de problèmes politiques qui ont été résolus à l'aide d'une
interprétation correcte de la Constitution, de questions économiques
qui ont reçu une réponse adéquate grâce à des formules juridiques
cohérentes inspirées par ses dispositions, de difficultés sociales qui
ont trouvé dans des constructions jurisprudentielles fermes des
ouvertures réalistes qui pouvaient se réclamer de ses principes ...
Sans doute, la Constitution n'assure-t-elle que des garde-fous (23).
Qu'ils cèdent quelquefois sous la pression des circonstances, qui
peut s'en étonner? La Constitution est règle de référence, mais ses
prescriptions sont vaines sans le concours de ceux qui ont mission
de les respecter et surtout de les mettre en pratique.

(22) J. ELLUL, <<Sur l'artificialité du droit et le droit d'exception>>, Arch. Ph. Dr., 1963, p. 28.
(23) P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, «Pour une juridiction constitutionnelle en Belgique>>,
in Actualité du contrôle juridictionnel des lois, Bruxelles, Larcier, 1973, p. 245.
34 LA CONSTITUTION

La comparaison suggérée par B. AKZIN et reprise par P. BASTID


est pertinente (24). La Constitution est comme la serrure. Elle est inu-
tile s'il ne passe dans la rue que des gens parfaitement honnêtes.
Elle ne sert pas à grand-chose contre un voleur bien décidé et armé
d'outils efficaces. Elle n'est utile qu'à <<décourager les gens ordi-
naires qui d'habitude suivraient le droit chemin mais que pourrait
tenter une porte ouverte ou sans verrou>>.
Nulle Constitution ne protège du coup d'Etat. Mais quel régime,
même de souche révolutionnaire, ne cherche à se prémunir des crises
qui pourraient affecter son existence en se mettant à l'abri d'une
Constitution 1

SECTION III. - LA MÉTHODE

22. - <<La démocratie est aujourd'hui une philosophie, une


manière de vivre, une religion et, presque accessoirement, une forme
de gouvernement>>. Ainsi s'exprime G. BuRDEAU aux premières
lignes de La démocratie (25). La constatation ne laisse pas d'être
inquiétante. N'implique-t-elle pas condamnation de la méthode pro-
prement constitutionnelle pour l'étude de l'Etat démocratique et
des autres formes de gouvernement 1
N'est-il pas temps de changer de méthode 1 Plutôt que de cher-
cher la légitimité de l'Etat dans sa Constitution, n'importe-t-il pas
de chercher, par préférence, la légitimité de la Constitution dans les
croyances et les expériences des hommes 1 En d'autres termes, le
politiste, le philosophe, le sociologue, l'historien ne sont-ils pas plus
habiles que le juriste à parler de l'Etat 1
N'est-il pas temps surtout de rétablir l'exacte hiérarchie des
valeurs 1 Plutôt que de s'interroger sur les procédures et les techni-
ques constitutionnelles, n'est-il pas plus essentiel de connaître les
données humaines, sociales et culturelles qui préparent un mode de
vie collective 1 L'Etat n'est-il pas corps social et société civile avant
d'être institution juridique et société politique 1
Le constitutionnaliste, surtout s'il donne au discours constitution-
nel valeur méthodologique, ne peut se soustraire à pareille interro-
gation. Pour lui, la Constitution est, par priorité, règle de droit de

(24) P. BASTID, op. cit., p. 10.


(25) G. BuRDEAU, La démocratie, Paris, Le Seuil, 1966, p. 9.
LA NOTION DE CONSTITUTION 35

l'Etat. Il a conscience qu'elle n'est, à ce titre, que l'un des aspects


de la vie de l'Etat.
La Constitution est règle de droit (§ 1er). La Constitution est
source de droit. La Constitution est explication du droit. Le droit
de la Constitution doit, par priorité, être étudié selon la méthode
juridique. L'on analysera, selon les techniques de l'interprétation
juridique (A), une branche du droit public (B), en l'occurrence celui
de la Belgique (C).
La Constitution, cependant, n'est qu'un aspect de la vie de l'Etat
(§ 2). Le juriste n'a pas le monopole d'une étude de l'Etat. D'autres
sciences humaines envisagent le même phénomène. Par l'objet ou le
méthode de leur investigation, elles peuvent apporter à une analyse
juridique de la Constitution des soutènements ou des compléments.
L'on ne saurait, en particulier, négliger l'apport de la science politi-
que (A), de l'histoire des institutions publiques (B) et de la philoso-
phie politique (C).

§1er. - La Constitution, règle de droit de l'Etat

A. - L'interprétation de la Constitution
23. - Il s'agit d'interpréter le droit de la Constitution (26).
1nterpréter le droit de la Constitution, c'est d'abord Jaire œuvre
d'exégèse. Au nom d'une conception des exigences du bien public, de
la justice et de la morale, une règle de droit positif a été construite;
c'est la lex lata. L'interprète se doit d'éclairer ses dispositions à la
lumière des fins sociales que l'Etat a considérées comme nécessaires
et praticables dans une conjoncture déterminée. Mais la règle de
droit positif apparaît également comme rassemblant un ensemble de
notions techniques, articulées les unes aux autres et classées dans
un système organisé et cohérent. L'interprète montrera alors com-
ment la règle constitutionnelle, comme toute règle de droit, impli-
que relation entre deux termes; d'une part, le concept d'une cer-
taine hypothèse, d'autre part, un concept conséquent rattaché au

(26) A. MAHT, «L'interprétation de la Constitution», Rapports belges au V Ill' Congrès inter-


national de droit comparé, Bruxelles, 1970, p. 537; F. DgLPÉRÉE, <<La Constitution et son inter-
prétation», in L'interprétation en droit. Approche pluridi8ciplinaire (dir. M. VAN DE KERCHOVE),
Bruxelles, 1978, p. 188; In.,« Le bon usage de la Constitution», Ann. D. Lv., 1993, p. 27.
36 LA CONSTITUTION

premier par le lien de la convenance juridique : une certaine solu-


tion de droit (27).
L'art constitutionnel revient à organiser des << hypothèses fermes >>
sur lesquelles il sera possible d'asseoir des << solutions nettes >>. L'art
de l'interprète est d'en rendre compte avec fidélité.
Mais interpréter, ce n'est pas seulement chercher le sens des mots
et des phrases, le sens de la volonté exprimée par le pouvoir consti-
tuant, le sens qui se dégage de plusieurs dispositions. Interpréter,
c'est aussi expliquer. C'est rassembler les termes, les concepts ou les
notions qui pourront éclairer ce que le texte constitutionnel pré-
sente d'obscur ou d'ambigu. C'est faire connaître les causes ou les
conséquences qui s'attachent à une disposition dont la signification
n'apparaît peut-être pas du premier coup d'oeil.
1nterpréter, c'est encore accorder. C'est chercher les conciliations
possibles entre un texte forcément vague, général, ancien peut-être
et une situation précise, déterminée, circonscrite dans le temps et
dans l'espace. Aucune interprétation ne saurait être abstraite et
purement conceptuelle. La question posée est << celle d'une relation :
le texte en cause s'applique-t-il au fait considéré?>> (28).
24. - Le travail d'interprétation du droit de la Constitution
débouche inévitablement sur des analyses de conformité. Il importe
alors de vérifier si l'attitude des autorités publiques ou celle des
citoyens est ou non en harmonie avec les prescriptions de la règle
constitutionnelle. Il s'agit, en particulier, de contrôler si, dans la
poursuite de l'action ou à l'occasion d'un litige qu'elle suscite, la
valeur suprême de la règle constitutionnelle n'est pas méconnue, si
les conséquences du principe de hiérarchie des règles juridiques
qu'elle implique sont dégagées et si une application correcte du
droit de la Constitution est faite dans un cas concret.
Pareille appréciation, fournie cas par cas, sera délicate à formuler,
tant sont diverses les méthodes d'interprétation utilisées. On lira les
travaux préparatoires, on scrutera la disposition incriminée, on se
référera aux précédents, on utilisera les virtualités du raisonnement
logique et juridique, on rendra compte du contexte politique, écono-

(27) J. DABIN, La technique de l'élaboration du droit positif, spécialement du droit privé, Paris,
Sirey, 1935, p. 106.
(28) H. BATTIFOL, «Questions de l'interprétation juridique», in L'interprétation dans le droit,
Arch. Ph. Dr., t. XVII, Paris, Sirey, 1972, p. 17.
LA NOTION DE CONSTITUTION 37

mique et social. L'enjeu de l'analyse de conformité justifie la mise


en œuvre de cet éventail de procédés.
Le travail d'interprétation du droit de la Constitution débouche
aussi sur des analyses de contenu. L'interprète qui n'a pas compé-
tence pour faire œuvre constituante peut rendre féconde la méthode
constitutionnelle en signalant le divorce du fait et du droit et en
suggérant les adaptations qui, dans un sens ou dans l'autre, permet-
tront de rétablir l'harmonie entre les réalités et les textes de droit
positif.
Il s'agit alors d'arrêter, en doctrine, les préalables à l'opération de
création ou de perfectionnement du droit positif. Raisonnant de
constitutione ferenda, l'interprète dénoncera les imperfections et pro-
posera les remèdes. Le droit positif n'est pas immuable -pas plus
le droit constitutionnel qu'un autre - . L'interprète peut, à juste
titre, contribuer à en préparer les adaptations.

B. - Le droit constitutionnel
et le droit public
25. - Selon la summa divisio des matières juridiques - le dipty-
que n'ULPIEN -,le droit de la Constitution paraît aisément seran-
ger dans la rubrique du droit public. La doctrine publiciste fait
même de la règle qui crée et organise l'Etat sa matière de prédilec-
tion. Est-ce à dire qu'il n'y a guère matière à discussion sur ce
point?
Une première question domine le débat. Elle porte sur l'intérêt
scientifique de la classification que l'on opère en situant le droit
constitutionnel dans le domaine du droit public. Ressortit-elle au
domaine de la politique ou à celui de la technique juridique?
La classification employée n'a pas pour objectif de consacrer l'au-
tonomie foncière du droit public et le particularisme du << point de
vue)) qu'il choisit (29). Quoi qu'on dise, le droit public n'est pas
droit de contrainte et de soumission par opposition à un droit privé,
droit de liberté; le droit constitutionnel, en particulier, n'est pas
indifférent à l'affirmation et à la protection des droits du citoyen.
Un parti pris idéologique ne peut fonder la division des branches du
droit.

(29) R. SAVATIER, Du droit civil au droit public à travers les personnes. les biens et la responsabi-
lité civile, Paris, L.G.D.J., 1945.
38 LA CONSTITUTION

La classification employée procède d'un souci de présentation


technique et logique du droit (30). A côté d'un droit privé qui ras-
semble les règles qui concernent les rapports entre personnes privées
et qui établissent les obligations et les droits de particulier à parti-
culier, le droit public fédère un ensemble de disciplines qui règlent
les rapports juridiques entre les pouvoirs publics et les citoyens.
La valeur de fond de la classification ne doit pas être exagérée.
La pratique des emprunts d'une branche du droit à une autre, la
diversité et la complexité des situations de fait, l'influence des
matières juridiques les unes sur les autres rendent irréalisable une
classification homogène. C'est dire que des matières classiques de
droit constitutionnel - la nationalité, la liberté du commerce et de
l'industrie, la responsabilité personnelle des agents du pouvoir, par
exemple - trouveraient également une place adéquate dans les dis-
ciplines de droit privé.

26. - Une seconde question porte sur la situation du droit consti-


tutionnel vis-à-vis des disciplines qui, à son instar, sont groupées
sous l'étiquette du droit public. En quoi le droit constitutionnel se
distingue-t-il, en particulier, du droit administratif? Ce dernier ne
représente-t-il pas une forme de droit constitutionnel << détaillé >>?
Plus que toute autre discipline juridique, le droit administratif
trouve non seulement sa source mais ses bases (31) dans la Constitu-
tion. L'administration qui a partie liée avec le pouvoir auquel elle
prête son <<ministère>> (32) se voit régie par un droit qui trouve ses
lignes de force et ses orientations fondamentales dans la règle
constitutionnelle. Il faut, contre les faiseurs de programmes univer-
sitaires, rappeler ce principe d'évidence qui confère au droit consti-
tutionnel et au droit administratif une unité foncière.
''La confrontation entre l'administration et la Constitution d'un Etat rappelle
le dialogue que les Evangiles prêtent à Marthe et à Marie. Laquelle a choisi la
meilleure part? L'une vaque aux occupations du ménage et prend en charge les
mille et un soucis de la maisonnée. L'autre préfère poursuivre avec l'invité la
conversation qui porte, à n'en pas douter, sur les grandes questions de l'exis-
tence. L'Etat a besoin tout à la fois de Marthe et de Marie>> («Constitution et
administration en Belgique >>, in Constitution et administration en Europe - dir.
Ch. DEBBASCH - , Paris, C.N.R.S., 1994, p. 128).

(30) Ch. EJHENMANN, <<Droit public, droit privé ''• R.D.P., 1952, p. 961.
(31) G. VEnEL, <<Les bases constitutionnelles du droit administratif», E.D.C.E., n" 8, p. 21.
(32) C. CAMBIER, Droit administratif, Bruxelles, Larcier, 1968, p. 8.
LA NOTION DE CONSTITUTION 39

L'on s'est parfois complu à essayer de dresser des barrières artifi-


cielles entre les deux disciplines, l'une devenant la science juridique
des autorités, des procédures, des techniques de décision dans
l'Etat, l'autre se réservant l'étude juridique des services de gestion
et des mécanismes d'exécution au sein du même Etat.
Pareilles tentatives sont vouées à l'échec. Elles se heurtent à un
phénomène de symbiose entre les autorités qui commandent et qui
gèrent, à la difficulté de séparer les domaines de la décision et de
l'exécution, à la nécessité de saisir l'Etat dans la contexture - et
la complexité - de son système politique et administratif.
Il paraît aussi déraisonnable d'expliquer le système administratif
sans référence constitutionnelle que de démonter les mécanismes du
système constitutionnel sans référence à l'action administrative. La
complémentarité des disciplines vient de ce que les règles qu'elles
contiennent l'une et l'autre poursuivent un même but : la sauve-
garde de l'intérêt public (33).
Ce n'est pas à dire que le droit administratif s'identifie au droit
constitutionnel. Le droit administratif est, d'abord, le droit de l'ad-
ministration, Or celle-ci a pour caractéristique de réaliser des fins
qu'elle n'a pas définies elle-même. Non qu'elle doive s'abstenir de
prendre toute initiative, de préparer la définition des options, de
faire preuve d'imagination dans la conception de l'avenir. Mais l'ad-
ministration est, au départ de son action, confrontée à un donné sur
lequel elle n'a pas prise; elle doit tenir compte, outre des données
de fait toujours plus impérieuses, d'éléments de deux ordres que les
autorités politiques, pour leur part, ne sont pas, en toute circons-
tance, contraintes de respecter et qu'elles peuvent, si nécessaire,
modifier : la légalité, d'une part, les options politiques, d'autre part.
En somme, le droit constitutionnel étudie les institutions qui vont
tracer les cadres et les orientations de l'action administrative;
situant le citoyen dans l'Etat, il détermine également les grandes
lignes des rapports qui vont se nouer entre les administrés et l' admi-
nistration. Sur la base de ce canevas constitutionnel, l'administra-
tion peut agir; un droit informe cette action et se développe de
manière largement autonome.

(33) M. WALINE, <<Préface>> au Jurisclasseur de droit administratif, Paris, 1963, p. 10.


40 LA CONSTITUTION

C. - Le droit constitutionnel de la Belgique

27. - Il n'y a pas une Constitution mais des Constitutions. Est-


il règle de droit plus étatique - et parfois plus nationaliste - que
la Constitution? L'interprète aurait tort de chercher dans une
Constitution idéale quelque mode universel d'organisation des Etats
ou quelque technique passe-partout d'aménagement du pouvoir.
Sans doute l'étude du droit constitutionnel conduit-elle nécessai-
rement au dépassement du droit étatique : <c tout constitutionnaliste
est un comparatiste virtuel >> ( J. RIVERO). Mais la leçon de la science
comparative des institutions publiques est aussi de montrer que,
par-delà les ressemblances institutionnelles qu'il est légitime de rele-
ver, voire de grouper en systèmes ou en régimes, des différences fon-
damentales subsistent. Elles tiennent à la diversité des circons-
tances historiques qui entourent la création des Etats, à la nature
des finalités qu'ils se donnent pour objectif de poursuivre, aux
modalités d'aménagement des pouvoirs qu'ils adoptent, à la concep-
tion de l'homme qu'ils s'efforcent de promouvoir ...
L'étude du droit constitutionnel comparé passe par la connais-
sance du droit constitutionnel des Etats. C'est l'analyse des contin-
gences et des particularismes étatiques qui fournit à la science com-
parative non seulement ses indices de référence, mais encore ses
points de repère, spécialement ses points de départ et d'aboutisse-
ment.
<< Le comparatisme, cet exercice risqué qui rime avec équilibrisme - dans la
mesure où il s'échine à dépasser les analyses de terroir-, nous sauve de nos pro-
vincialismes. L'exercice serait vain s'il devait, au nom d'une forme de consen-
sualisme, aboutir à légitimer les coups de force, à cautionner les régimes de paco-
tille, à banaliser les formes dévaluées de l'Etat de droit. Il y a une dignité
humaine sur laquelle l'on ne saurait transiger. Il y a, de la même manière, une
dignité constitutionnelle élémentaire. Ce serait déchoir que de s'inscrire en des-
sous d'elle. Aux tenants des systèmes constitutionnels développés de ne pas bais-
ser pavillon. Cela peut se faire sans mépris ni dédain, mais avec la fermeté que
requiert le souci de détendre des valeurs juridiques essentielles'' (<<Acrostiche
constitutionnel», in Mélanges Patrice Gélard. Droit constitutionnel, Paris,
Montchrestien, 2000, p. 26).

C'est au droit constitutionnel d'un seul Etat, en l'occurrence celui


de l'Etat belge, qu'est consacré l'essentiel de la réflexion qui se déve-
loppe. Peut-être est-il permis, cependant, de relever le caractère
exemplatif de cette étude ?
LA NOTION DE CONSTITUTION 41

La science du droit constitutionnel belge s'applique à connaître


un Etat dont l'histoire politique, vieille de plus d'un siècle et demi,
offre un éventail suffisant de solutions institutionnelles. Les révi-
sions formelles ou informelles de la Constitution du 7 février 1831
ont enregistré ces mutations apportées aux structures comme aux
modes de fonctionnement de l'Etat. A cet égard et pour employer
le langage du sociologue, l'échantillon choisi est représentatif.
La science du droit constitutionnel belge s'applique aussi à
connaître un Etat qui, dès sa création - le fait mérite d'être
relevé-, s'est soucié de s'<< auto-limiter>> en se dotant d'une Consti-
tution; dès 1830, la décision était prise de discipliner, comme dit
Maurice HAURIOU, l'action des pouvoirs publics et de mettre en
place les garanties institutionnelles pour que cette règle de discipline
soit observée. L'Etat belge ainsi constitué a, depuis lors, offert
l'image d'une société politique qui s'est pliée sans discontinuer à
cette auto-discipline. A cet égard, l'échantillon choisi porte sur une
réalité permanente et continue.
La science du droit constitutionnel belge s'applique encore à
connaître un Etat qui, né des idées de liberté qui avaient conquis
l'Europe des nations de la première moitié du XIXe siècle, a été
pourvu d'une Constitution qui a dû se montrer perméable aux
progrès de l'idée d'égalité des individus et des groupes, qui a dû
aussi s'ouvrir aux réalités de la coopération internationale. Elle
illustre ainsi le phénomène d'évolution d'une règle juridique à tra-
vers le mouvement des idéologies et la transformation des finalités
étatiques. A cet égard, l'échantillon choisi porte sur une réalité riche
et multiforme. Une explication sommaire ne saurait en rendre
compte.

§ 2. - La Constitution, aspect de la vie de l'Etat

A. - La Constitution et la science politique


28. - La science politique est la science de l'Etat (34) : l'étymo-
logie, la tradition, la méthodologie scientifique le veulent ainsi.
A la différence de la science constitutionnelle qui se donne un
objet limité - la règle de droit de l'Etat - et donc une méthode

(34) J. DABIN, L'Etat ou le Politique. Essai de définition, Paris, Dalloz, 1957, p. 16.
42 LA CONSTITUTION

particulière- la méthode juridique-, la science politique se carac-


térise par le choix d'une méthode globale. L'objet qu'elle entend
étudier dans sa totalité - l'Etat et tout ce qui concerne l'Etat -
ne peut être appréhendé correctement que s'il est analysé à travers
les ressorts de sa vie économique, les réactions de ses groupes
sociaux, la transformation de ses institutions, l'évolution idéologi-
que des hommes qui le conduisent, le poids de son passé, la nature
des paris qu'il fait sur l'avenir ... La science politique se construit à
partir d'un point de vue englobant qui entend ne négliger aucun des
facteurs qui touchent à la vie de l'Etat.
A la différence de la science constitutionnelle qui, non contente
d'analyser et d'exposer le droit positif selon les procédés de l'exé-
gèse, se préoccupe aussi de confronter le fait au droit pour dénoncer,
si nécessaire, leur inadéquation, la science politique constate,
observe et explique plutôt qu'elle n'apprécie. La science constitu-
tionnelle, tributaire de la règle de droit, envisage le phénomène de
l'Etat sous l'angle de sa conformité au droit (no 24); la science politi-
que, tributaire des faits, l'appréhende plutôt sous l'angle de sa cau-
salité (35) : rejetant au besoin ce qu'elle appelle le nominalisme
constitutionnel, elle s'attache à décrire le fonctionnement<< réel)) des
institutions publiques. Face au droit constitutionnel s'élabore alors
une sociologie politique construite essentiellement sur des faits.
Et pourtant... Moins que toutes autres disciplines, la science
constitutionnelle et la science politique ne peuvent vivre en autar-
cie. Les emprunts pratiqués dans un sens comme dans l'autre sont
condition de leur épanouissement respectif. Jean DABIN l'a relevé de
façon pertinente : <<On ne saurait expliquer l'Etat ni exclusivement
par la méthode sociologique, historique, politique, bref une méthode
qui ne soit pas juridique, ni exclusivement par le droit, comme si
le juriste était capable de résoudre à lui seul toutes les énigmes que
proposent les phénomènes étatiques)) (36).
Le droit constitutionnel a toujours accordé une importance particulière à
l'étude des techniques qui permettent à un groupe de citoyens de désigner des
représentants; la science politique, de son côté, a trouvé dans l'étude des scru-
tins un terrain de choix pour la mise en œuvre de ses techniques d'observation,
depuis les sondages d'opinion jusqu'aux applications de la théorie des jeux, en
passant par les études de comportement. L'organisation d'élections législatives
fera donc l'objet d'études parallèles menées par le constitutionnaliste et par le

(35) B. JEANNFOAU, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Dalloz, 1968, p. 2.


(36) J. DABIN, op. cit., p. 15.
LA NOTION DE CONSTITUTION 43

politiste. Et pourquoi pas d'études conjointes? Une modification des disposi-


tions constitutionnelles en matière de technique électorale peut provoquer un
bouleversement des attitudes politiques; à l'inverse, l'utilisation des méthodes
de science politique, des sondages par exemple, peut provoquer la mise en ques-
tion des procédures électorales établies.

La science constitutionnelle et la science politique ont partie liée.

B. - La Constitution
et l'histoire des institutions publiques

29. - Dans le dialogue du droit et des sciences humaines, l'his-


toire des institutions publiques apporte sa méthode. <<Elle enseigne
le relatif>> (L. HALPHEN). Elle fait découvrir un monde institution-
nel diversifié et en perpétuel renouvellement. En ce sens, elle fait du
droit comparé dans le temps.
L'histoire des institutions publiques a aussi le mérite de rappeler
que la Constitution ne s'explique, d'abord, qu'à travers l'histoire,
située qu'elle doit être dans le temps et la durée pour être comprise
dans ses dispositions actuelles, voire dans son devenir; qu'elle ne
s'explique, ensuite, qu'à travers son histoire propre : l'évolution des
idées et le mouvement des faits qui lui ont donné naissance condi-
tionnent largement l'interprétation qui, aujourd'hui encore, est don-
née de ses articles.
Dans ce même dialogue, la science constitutionnelle apporte à
l'histoire des institutions publiques ses concepts, ses définitions, ses
classifications. S'il faut se garder, à peine d'anachronisme, de trans-
poser inconsidérément dans le passé les acquis de la science juridi-
que moderne, il ne semble pas interdit, au terme d'une phase insti-
tutionnelle - celle du parlementarisme dualiste, par exemple - ,
d'en rechercher l'origine, les précédents, les contradictions, les
détours ou les contrastes et d'user à cette fin des techniques que le
conceptualisme juridique a dégagées depuis lors. En ce sens, l'his-
toire des institutions publiques passe par l'exacte connaissance du
droit de la Constitution présente.

C. - La Constitution
et la philosophie politique

30. - La philosophie politique pose << la question du sens de la


politique>> (E. WEIL).
44 LA CONSTITUTION

Le discours qu'elle tient sur l'Etat se veut, d'abord, systémati-


que. Il vise à déterminer, à l'aide de concepts qui lui sont propres,
les notions qui ont trait à l'action de l'Etat ainsi que les normes
générales qui président à son organisation et à son fonctionnement.
Persuadé que la question a plus de sens que la réponse, il ne prétend
pas aider à résoudre les difficultés techniques, notamment juridi-
ques, que l'action étatique suscite; il se contente d'attirer l' atten-
tion sur ces difficultés et d'interroger sur leur signification.
Le discours qu'elle tient sur l'Etat se veut aussi universel. Se
situant à un niveau d'abstraction et de généralité, il cherche à com-
prendre l'Etat dans sa totalité et dans son unité. Les limites dans
le temps comme dans l'espace cèdent devant le souci d'appréhender
l'action politique dans sa portée universelle : tous les hommes,
toutes les communautés empiriques qu'ils forment, tous les événe-
ments de l'histoire sont impliqués dans cette réflexion globale.
Le discours qu'elle tient sur l'Etat se veut enfin moral. Il cherche,
au départ d'une réflexion sur le sens de l'action, à en établir les
normes : l'avènement d'une société où la raison inspirerait tous les
hommes est son but; les moyens requis pour atteindre cette fin
retiennent, pour l'essentiel, son attention.
Que peut apporter cette philosophie politique à une science
constitutionnelle qui entend être un art autant qu'un système, qui
est tributaire d'un cadre national avant de se situer dans l'univers,
qui établit des normes qui ne sont pas celles du droit naturel mais
celles du droit positif?
Peut-être a-t-elle le mérite de mettre en garde contre le fétichisme
constitutionnel? La Constitution, règle suprême, n'a pas valeur
absolue. Le pouvoir constituant est faillible. Si l'autorité de la règle
qu'il élabore s'impose sans conteste aux pouvoirs publics comme
aux citoyens, ce n'est pas à dire qu'elle est nécessairement bonne,
juste et raisonnable ou qu'elle sert adéquatement les buts de l'Etat.
La philosophie politique, qui pose la question de la valeur de la
Constitution, ne peut laisser le juriste indifférent.
En retour, la science constitutionnelle peut apporter à une philo-
sophie politique qui, comme toute bonne philosophie, pose plus de
questions qu'elle n'en résout, les réponses historiques et concrètes
que les communautés étatiques ont, chacune à leur manière, tenté
d'apporter à ces problèmes. La typologie des réponses qu'elle éta-
blit, comme la fermeté des définitions et des classifications qu'elle
LA NOTION DE CONSTITUTION 45

propose, permettent à la philosophie politique d'affiner la portée de


ses interrogations et d'en formuler correctement les données. Il faut
connaître la Constitution de l'Etat pour en découvrir le sens.

BIBLIOGRAPHIE

Le Code constitutionnel (Bruxelles, Bruylant, 2000, 3e édition) qu'ont réalisé


F. DELPÉRÉE et D. RENDERS rassemble le texte de la Constitution belge et les princi·
paux documents (traités internationaux, lois, décrets, ordonnances, règlements des
assemblées parlementaires ... ) qui s'y rapportent. Il s'agit d'un document indispen-
sable de travail. Le Recueil des Constitutions européennes (Bruxelles, Bruylant, 1994)
qu'ont publié F. DELPÉRÉE, M. VERDUSSEN et K. BIVER reproduit, pour sa part, en
version française, le texte des Constitutions des Etats européens. Chaque document
est éclairé par l'analyse d'un spécialiste de l'Etat concerné.
Jusqu'il y a peu, la littérature juridique de langue française en matière de droit
constitutionnel belge était rare. Mis à part le traité de P. WIGNY (Droit constitution-
nel. Principes et droit positif, 2 vol., Bruxelles, Bruylant, 1952), on relevait seulement
les éditions successives des notes de cours qui étaient publiées à Louvain-la-Neuve
par P. DE VISSCHER (Droit public, 2 volumes), à Bruxelles par J. VELU (Notes de droit
public, 3 volumes) et à Liège par F. PERIN (Cours de droit constitutionnel, 2 volumes).
Il y a lieu aujourd'hui de tenir compte du Traité de Droit public dont J. VELU a
entrepris, avec la collaboration de Ph. QuERTAINMONT et de M. LEROY, la publica-
tion et dont le premier volume est consacré au << Statut des gouvernants » (Bruxelles,
Bruylant, 1986).
Un ouvrage de synthèse en langue néerlandaise a été rédigé par A. MAST (Overzicht
van het Belgisch Grondwettelijk recht (avec la coll. d'A. ALEN et J. DuJARDIN), ge éd.,
Bruxelles, Story-Scientia, 1987). On consultera également les notes de cours de J. DE
MEYER (Staatsrecht, lle ed.). A l'heure actuelle, l'ouvrage le plus complet est celui
d'A. ALEN (Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Deurne, Kluwer, 1997). Adde
A. ALEN et J. Du JARDIN, Casebook Belgisch grondwettelijk recht, Bruxelles, 1986.
Parmi les ouvrages récents, il y a lieu de mentionner :
G. CRAENEN (ed.), The institutions of Federal Belgium. An introduction to Belgian
Public Law, Louvain, Acco, 1996; F. DEHOUSSE, Introduction au droit public, Bruges,
La Charte, 1995; F. DELPÉRÉE, Droit constitutionnel, t. 1. Les données constitution-
nelles et t. II. Le système constitutionnel, Bruxelles, Larcier, 2 vol., 1980-1987;
F. DELPÉRÉE et S. DEPRÉ, Le système constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Lar-
cier, 1998; R. ERGEC, Introduction au droit public, t. 1. Le système institutionnel,
Bruxelles, Story-Scientia, 1990, et t. Il. Les droits et libertés, 1995; La Constitution
fédérale du 5 mai 1993 (dir. F. DELPÉRÉE), Bruxelles, Bruylant, 1993; La Belgique
fédérale (dir. F. DELPÉRÉE), Bruxelles, Bruylant, 1994; M.A. LEJEUNE, Introduction
au droit et aux institutions de la Belgique fédérale, 2e éd., Bruges, La Charte, 1996;
M. UYTTENDAELE, Le fédéralisme inachevé. Réflexions sur le système institutionnel
belge issu des réformes de 1988-1989, Bruxelles, Bruylant, 1991; M. UYTTENDAELE,
Regards sur un système institutionnel paradoxal. Précis de droit public belge, Bruxelles,
46 LA CONSTITUTION

Bruylant, 1997; M. UYTTENDAELE, Institutions fondamentales de la Belgique,


Bruxelles, Bruylant, 1997; J. VANDE LANOTTE, Inleiding tot het publiek recht -
Deel 2. Overzicht van het publiek recht (avec la coll. de G. GoEDERTIER), Bruges, Die
Keure, 1997; J. VELAERS, Fundamenten van het Staatsrecht, Gent, 1997.
Des ouvrages plus anciens méritent aussi intérêt sur les questions générales de
droit constitutionnel :
G. DoRet A. BRAAS, <<La Constitution>), in Les Novelles. Lois politiques et adminis-
tratives, t. Il, Bruxelles, 1935; P. ERRERA, Traité de droit public belge, Paris, 1918;
A. GIRoN, Dictionnaire de droit administratif et de droit public, 3 vol., Bruxelles, 1895-
1896; E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, 5 vol., 1844-1845;
O. ÜRBAN, Le droit constitutionnel de la Belgique, 3 vol., Liège, 1906; J.-J. THONIS-
SEN, La Constitution belge annotée, Bruxelles, 1879.
Sur la notion de Constitution, l'on consultera en outre :
P. BASTID, «Introduction générale>) au Corpus constitutionnel, t. 1, Leiden, E. J.
Brill, 1968; G. BuRDEAU, <<Une survivance : la notion de Constitution>), in L 'évolu-
tion du droit public. Etudes en l'honneur d'A. Mestre, Paris, Sirey, 1956, p. 53; P. Bis-
CARETTI DI RuFFIA et S. RozMARYN, La Constitution, comme loi fondamentale dans les
Etats de l'Europe occidentale et dans les Etats socialistes, Paris, L.G.D.J., 1966;
R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l'Etat, 2 vol., rééd.
C.N.R.S., 1962; J. DABIN, Doctrine générale de l'Etat. Eléments de philosophie politi-
que, Bruxelles, Bruylant, 1939; F. DELPÉRÉE, «La Constitution, pour quoi faire? >),
R.B.D.C., 1994, p. 5; ENCYCLOPÉDIE FRANÇAISE, t. X, L'Etat, Paris, 1964; M. PRE-
LOT, Institutions politiques et droit constitutionnel, ge éd. revue et mise à jour par
J. BouLOUIS, Paris, Dalloz, 1984.
CHAPITRE II
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION

31. - Deux traits caractérisent la Constitution.


La règle constitutionnelle se reconnaît à son formalisme. Le pou-
voir constituant n'œuvre pas dans les mêmes conditions que les
autorités constituées et, en particulier, le pouvoir législatif fédéral.
La règle constitutionnelle se singularise aussi par sa stabilité. Non
qu'elle soit assurée de la pérennité. Mais parce qu'à la faveur d' opé-
rations de révision, elle doit s'inscrire dans la durée et préserver de
la sorte la permanence de l'Etat.

SECTION Fe. - LE FORMALISME

32. - << Quelques lignes écrites sur un morceau de parchemin ~>


(E. LABOULAYE) suffisent-elles à créer le droit de la Constitution?
La condition, à supposer qu'elle soit suffisante, est-elle nécessaire?
L'existence d'institutions et de traditions publiques n'atteste-t-elle
pas de manière plus réaliste de la vitalité constitutionnelle d'un
Etat?
On ne rouvre pas ici le débat de l'introuvable Constitution
anglaise. Il suffit de constater que, depuis la Convention de Phila-
delphie (17 septembre 1787) et les travaux de l'assemblée consti-
tuante française ( 1789-1791), une idée s'affirme logiquement sans
être démentie par les faits. La Constitution qu'un Etat moderne se
donne pour assujettir les pouvoirs publics au respect de la règle de
droit se matérialise dans un écrit.
Sans doute un Etat doté d'une Constitution peut-il vivre comme
si cette règle n'existait pas. Il n'empêche : même alors, la règle
écrite reste norme de référence et permet d'apprécier le comporte-
ment correct ou fautif des autorités de l'Etat.
Sans doute aussi un Etat peut-il vivre sans la règle écrite qu'est
la Constitution. L'Angleterre a pu s'offusquer des constatations de
TocQUEVILLE qui niait qu'elle ait une Constitution. <<Il serait évi-
demment absurde de dire que, de tous les pays du monde, l'Angle-
48 LA CONSTITUTION

terre est le seul qui ne possède pas de Constitution f) (sir Maurice


AMos) (1). Le problème n'est pas, cependant, celui du choix ou du
refus de l'isolationnisme. Il est de savoir si un Etat peut vivre sans
règles écrites solennellement préétablies. La réponse ne paraît pas
faire de doute.
Un Etat sans Constitution n'est pas pour autant démuni d'insti-
tutions publiques. Celles-ci trouvent leur légitimité et leur autorité,
à travers les évolutions successives de la législation, dans l'adhésion
que l'opinion et la classe politique leur accordent.
Mais qui dit Constitution, dit écrit solennel.
La Constitution est un écrit (§ 1er). Ni la coutume (A), ni les
usages (B), ni les principes généraux du droit public (C) ne s'identi-
fient à elle. La Constitution est un écrit solennel (§ 2). Ni la loi fédé-
rale (A), ni cette variété de loi fédérale qu'est la loi spéciale (B), ni
les normes de même valeur que la loi fédérale (C) ne s'identifient à
elle.

§ 1er. - La Constitution, règle écrite

A. - La Constitution et la coutume
33. - La question de la compatibilité entre Constitution et cou-
tume est posée d'emblée. On s'efforce d'apporter quelques idées
simples et quelques distinctions élémentaires dans ce débat où four-
millent les condamnations au nom de l'une ou l'autre orthodoxie
juridique. Car autant paraît exagérée la thèse qui revient à considé-
rer a priori qu'il y a imperméabilité entre la Constitution et la cou-
tume, autant paraît outrancière celle qui en vient à qualifier de
constitutionnelle toute pratique consacrée par l'usage en marge ou
au mépris du droit écrit des institutions publiques.
Il n'existe pas de Constitution coutumière; il n'existe que des
coutumes dites constitutionnelles.
34. - Il n'existe pas de Constitution coutumière. La sûreté du
diagnostic de R. CARRÉ DE MALBERG ne saurait être mise en cause.
L'une des caractéristiques de la Constitution est d'être une règle de

(1) M. AMOS, op. cit., p. 30.


LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 49

droit possédant une <<puissance renforcée>>, une <<force supeneure >>


s'imposant aux pouvoirs publics comme aux citoyens (2).
On peut contester et on l'a fait (n° 14) l'opportunité de rédiger
pareille règle fondamentale. On peut dénoncer en particulier la naï-
veté ou l'irréalisme de ceux qui ont la prétention de fixer en termes
de règle juridique une discipline de vie politique ...
Mais à partir du moment où l'on accepte la notion de Constitu-
tion, où l'on est convaincu de sa réelle utilité, où l'on consent à
l'analyser comme norme de droit positif, il faut convenir que cette
règle ne saurait être exclusivement et globalement coutumière ; elle ne
saurait, pour des raisons de technique et de politique juridiques, résul-
ter uniquement de l'usage, de coutumes et de précédents.
La raison de technique juridique est simple. La coutume qu'un
usage contraire peut défaire ne possède pas la qualité de règle supé-
rieure. Concilier Constitution et coutume revient, en somme, à
demander tout à la fois à ceux qui seront assujettis à la règle d'en
élaborer les termes, d'en respecter librement les prescriptions et sur-
tout de ne pas en modifier à leur guise les dispositions. Pareils pos-
tulats semblent en contradiction avec la pratique des Etats dits à
C0nstitution coutumière.
Ainsi la vie politique du Royaume-Uni reste largement dominée
par des règles d'origine coutumière : celles-ci gouvernent des
matières aussi fondamentales que celles de l'exercice du droit de dis-
solution ou de la mise en cause de la responsabilité du cabinet
devant la Chambre des communes. Pour des raisons qui tiennent
autant à l'histoire qu'à la mentalité d'un peuple, elles n'ont pas été,
pour la plupart, coulées en forme d'écrit et ne sont pas exposées de
façon systématique dans un instrument juridique déterminé. Rele-
vant de la common law ou des << conventions de la Constitution >>,
leur signification juridique et institutionnelle ne fait aucun doute.
Il est symptomatique, cependant, de relever que le Parlement de
Grande-Bretagne se reconnaît, en tout état de cause, la prérogative
d'abroger ou de modifier, comme il veut et quand il veut, pareilles
dispositions coutumières. En d'autres termes, il ne se considère pas
lié par leurs prescriptions. C'est en ce sens que la coutume ne com-
pose pas une Constitution au sens propre du terme. Ou il y a Consti-
tution ou il y a coutume, mais pas l'une et l'autre.

(2) R. CARRÉ DIO MALBJORG, op. cit., t. Il, p. 582, note 10.
50 LA CONSTITUTION

La raison de politique juridique est tout aussi évidente. La


Constitution a pour objet d'être règle d'établissement et de fonc-
tionnement des pouvoirs dans l'Etat. La coutume essentiellement
spontanée, mouvante, subordonnée à l'acquiescement de ceux
qu'elle est appelée à gouverner, n'est pas prête à remplir utilement
ce rôle.
Le droit constitutionnel trouve dans la règle écrite sa clarté, sa
certitude, sa praticabilité. Les citoyens comme les pouvoirs y trou-
vent une garantie supplémentaire contre l'action arbitraire de forces
indisciplinées.
Comme le soulignaient déjà les auteurs de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, une proclamation
écrite et solennelle <( constamment présente à tous les membres du
corps social >>, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs.
Elle formule <( des principes clairs et incontestables >>. Elle fait réfé-
rence au (( but de toute institution politique >>. Elle a ainsi pour effet
de concourir (( au maintien de la Constitution et au bonheur de
tous>>. L'observation, même si elle prend la forme d'un vœu, reste
d'actualité.
C'est dire qu'une Constitution, pour atteindre son but, ne saurait
être coutumière.
35. - Il existe, cependant, des coutumes dites constitutionnelles. Il
s'agit de règles coutumières qui, sans prétendre s'identifier à la
Constitution, la préparent ou la précisent.
Elles ont pour caractéristique commune de naître d' (( une suite de
faits répétés, durables, constants et clairs>> (3). Elles se consolident
grâce à l'adhésion de ceux qu'elles sont appelées à régir. Elles s' ap-
puient sur la Constitution écrite qui leur laisse délibérément le
champ libre et s'abstient de réglementer la matière qu'elles ordon-
nent. Elles sont consacrées par le juge qui, sanctionnant les viola-
tions dont elles sont l'objet, leur confère définitivement valeur de
règle de droit positif. Elles peuvent, par contre, différer dans leur
situation vis-à-vis de la Constitution.
36. - La coutume peut préparer la Constitution; on la qualifie de
cou turne préconstitutionnelle.

(3) M. PRELOT, in Le Monde, 15 mars 1962, cité par H. DUVAL, P.-Y. LEBLANC et P. MINDU,
Référendum et plébiscite, Paris, A. Colin, 1970, p. 85.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 51

La coutume peut assurer le passage du fait - révolutionnaire -


au droit - constitutionnel - . Son intervention à titre transitoire
permet à la Constitution d'être œuvre de droit et fait de la création
de l'Etat une opération juridique (nos 49 à 52).
Sans aller jusqu'à rechercher, avec J. DE MAISTRE, dans l'usage
ancestral <<le principe générateur des Constitutions politiques>>, il
faut observer que l'Etat et sa Constitution ne se créent pas d'une
pièce. Des formes, des autorités, des procédures sont progressive-
ment mises en place. Ces éléments - sc:mvent rudimentaires - sont
préconstitutionnels. Ils assurent une première limitation du pouvoir
et préfigurent celle qui sera instituée dans le texte constitutionnel
écrit. Ces solutions sont peut-être partielles, improvisées ou impar-
faites mais elles recueillent l'adhésion du groupe social qui ne fait
pas obstacle à leur réalisation.
La coutume préconstitutionnelle a, à titre provisoire, << force
constituante>> (4). Ni plus, ni moins. La rédaction et la promulga-
tion de la Constitution originelle de l'Etat a pour effet de l'abroger.
37. - La coutume peut préciser la Constitution; on la qualifie de
coutume paraconstitutionnelle.
'Une Constitution écrite existe. Elle règle, pour l'essentiel, l' orga-
nisation et le fonctionnement des pouvoirs publics. La coutume
paraconstitutionnelle corrige ce que la règle fondamentale a de figé,
de dogmatique, de vague ou de lacunaire. Insérant le fait dans
l'ordre juridique, elle semble satisfaire ceux que préoccupe l'inévi-
table inadéquation du droit écrit au fait. Comme l'écrit G. BuR-
DEAU, elle paraît au moins <<sauver les apparences>> (5).
La coutume paraconstitutionnelle qui s'installe << dans les vides
que laisse le droit positif>> (6) n'est pas aussi tentaculaire, cepen-
dant, qu'on ne l'affirme. Un élément décisif de preuve fait, le plus
souvent, défaut; il est rarement démontré que la non-observation
par une autorité publique de pareille règle coutumière vicie fonda-
mentalement les actes qu'elle a accomplis. La règle est observée,

(4) M. PRELOT, Institutions politiques ... , op. cit., n" 106, p. 203.
(5) G. BuRDEAU, Traité de science politique, t. II, L'Etat, Paris, L.G.D.J., 1969, p. 288.
(6) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH,« Propos sur le texte de la loi et les principes généraux
du droit», J. T., 1970, p. 561. «Le système du gouvernement de cabinet, la responsabilité ministé-
rielle sanctionnée par la démission du gouvernement, le formateur du gouvernement, le pouvoir
du roi de nommer et de révoquer les ministres, le premier ministre, le pouvoir du roi de sanction·
neret de promulguer les lois •> sont, pour W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH.« autant de matières
que la coutume constitutionnelle a profondément façonnées>> (op. cit., p. 561, note 87).
52 LA CONSTITUTION

sans discontinuer. Mais à quel titre? Bon usage, pratique politique


ou véritable règle de droit ?
A défaut de l'intervention d'une autorité publique, <<sinon tou-
jours nécessaire, du moins souvent souhaitable)) pour officialiser la
règle coutumière (7), qui peut affirmer avec certitude qu'il y a cou-
tume au sens propre et technique du terme ?
Un exemple illustre le propos et le scepticisme qu'il recèle. Dans les gouverne-
ments d'après 1961, un ou plusieurs postes de vice-premier ministre sont
réservés aux formations de la coalition gouvernementale dont l'un des membres
ne préside pas celle-ci. Une partie de la doctrine voit dans la répétition du phé-
nomène le signe de l'apparition puis de la consécration d'une règle coutu-
mière (8). En mai 1974, cependant, un gouvernement TINDEMANS est constitué
sans vice-premier ministre. Violation d'une règle coutumière, mais quel juge en
assurera le respect en censurant l'acte de nomination du gouvernement et les
actes pris par cette autorité irrégulièrement constituée 1 Abrogation d'une règle
coutumière par usage contraire, mais quelle est la force obligatoire de la règle
qui s'effondre dès qu'elle est méconnue! Il paraît plus simple d'observer que la
vie politique a connu un changement de pratiques et d'habitudes, sans portée
juridique.

Les véritables coutumes paraconstitutionnelles sont plus rares qu'il


n'y paraît à première vue. Peut-être citera-t-on, à titre d'exemple, la
règle qui veut qu'<< un gouvernement démissionnaire doit se conten-
ter d'expédier les affaires courantes)). Encore est-ce plutôt un prin-
cipe général de droit public, celui de la continuité de l'action gou-
vernementale, qui s'applique en l'occurrence.
38. - Les coutumes paraconstitutionnelles n'ont pas force
constituante. Elles ne prévalent pas sur la Constitution et ne peu-
vent défaire son ouvrage. En particulier, la désuétude qui procède
du non-usage ne saurait abroger la règle constitutionnelle. Les cou-
tumes paraconstitutionnelles n'ont pas non plus force constitution-
nelle. Elles ne s'imposent pas aux pouvoirs publics avec une puis-
sance telle que ceux-ci seraient tenus au respect de leurs disposi-
tions. Elles ne prévalent pas contre un texte écrit.
N'ont-elles pas, au moins, force constitutionnelle supplétive? Se
manifestant en l'absence de disposition écrite en sens contraire, ne
sont-elles pas aussi obligatoires que certaines dispositions légales en
l'absence d'une manifestation expresse de volonté des individus? La

(7) R. CHAPUS, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Les cours de droit, 1969-
1970, p. 113.
(8) R. SENELLE, La Constitution belge commentée, Bruxelles, 1974, Coll. Idées et études, p. 294.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 53

solution est défendable sur un plan théorique; il n'est pas exclu que
certains ordres juridiques y recourent à la manière de la société
internationale qui fait expressément place au jeu des règles coutu-
mières. Ce n'est cependant pas la solution consacrée en droit belge.
L'article 33, alinéa 2, de la Constitution fait obstacle à l'apparition
de règles coutumières de valeur constitutionnelle. Les pouvoirs ne peu-
vent être exercés que << de la manière établie par la Constitution f>;
le roi, par exemple, ne détient le pouvoir exécutif fédéral que << tel
qu'il est réglé par la Constitution f) (art. 37) et n'a d'attributions que
celles que lui confèrent formellement <<la Constitution et les lois par-
ticulières portées en vertu de la Constitution même f> (art. 105).
La Constitution << établit f> un type de répartition des attributions
et un modèle de fonctionnement des pouvoirs. Elle << cristallise f>
arbitrairement et intentionnellement (9) en une règle écrite une cer-
taine conception des rapports juridiques. Parce que la coutume
pourrait remettre en cause de manière informelle ou infléchir les dis-
positions ainsi arrêtées et porter atteinte à la stabilité constitution-
nelle, elle ne se voit pas reconnaître par le droit public belge, sinon
le droit à l'existence, du moins le droit à l'équivalence avec la règle
constitutionnelle. On peut déplorer ou approuver cette prétention
du pouvoir constituant à tout régler par écrit : il s'agit d'une don-
née de droit positif.
L'observation ne fait pas obstacle au travail d'interprétation qui
cherche à donner au texte écrit sa cohérence, sa logique et son effi-
cacité. Telle disposition obscure, laconique ou imprécise sera inter-
prétée et comprise dans plusieurs acceptions différentes (no 23).
L'exégèse d'un texte, l'éclairage qu'il reçoit compte tenu de l'esprit
général des institutions, le sens qu'il prend réinséré dans le contexte
politique où il se situe vont donner naissance à des régimes juridi-
ques fort différents. Mais il n'y a pas place, à travers la diversité de
ces procédés d'interprétation d'un texte écrit, pour l'apparition
d'une coutume.
En somme, la coutume n'a pas, quoi qu'on en ait dit, plus de
place en droit constitutionnel que dans les autres branches de droit.
Mise à part la coutume préconstitutionnelle qui prépare l'opération
constituante et, d'une certaine manière, y participe, les coutumes
dites constitutionnelles ne peuvent que souffrir de la comparaison

(9) G. BuRDEAU, op. cit., t. III, n" 127, p. 294.


54 LA CONSTITUTION

qui s'établit entre elles et une règle écrite, stable et supérieure. Leur
existence n'est pas contestée, encore que leur nombre ne doive pas
être exagérément grossi. Leur valeur ne peut concurrencer celle des
textes écrits.

B. - La Constitution et les usages

39. - Des pratiques propres au milieu politique se développent.


Elles entrent dans l'usage et semblent gouverner la vie politique au
même titre que les règles les plus essentielles formulées par écrit
dans la Constitution.
Certaines d'entre elles trouvent leur origine dans les principes
doctrinaux qui ont présidé à l'élaboration de la Constitution ou
dans ceux qui ont infléchi son interprétation : ainsi la règle <~ disso-
lution sur dissolution ne vaut >>, si elle ne se concrétise expressément
dans aucune disposition constitutionnelle, répond à l'esprit du
régime parlementaire d'inspiration moniste et commande à ce titre
la solution apportée communément aux crises politiques.
D'autres pratiques sont commandées par les règles que les acteurs
du jeu politique consentent de plein gré à observer : la déontologie,
le fair-play, le pluralisme trouvent leur compte dans ces usages qui
échappent par leur objet même à toute codification. Ainsi, l'habi-
tude prise par le chef de l'Etat de désigner après consultation des
milieux politiques, sociaux et économiques, un informateur pour lui
faire rapport sur les données essentielles d'une crise politique qui
vient de naître, peut être rangée au nombre de ces pratiques.
Des pratiques enfin s'introduisent à la longue et sans justification
particulière. Leur répétition suffit à leur conférer le caractère de
précédents : ils s'introduisent et se maintiennent dans le corps des
règles que les autorités politiques s'astreignent à respecter. Faut-il
tenter d'expliquer pour quelle raison le conseil des ministres se réu-
nit le vendredi matin ou reconnaître simplement que cette habitude
est entrée dans les mœurs politiques au point de ne pas prêter à dis-
cussion?
Ces usages font partie intégrante du système politique et de son
fonctionnement et ne sauraient, à ce titre, être négligés. La connais-
sance de ces usages qui jouissent d'une autorité politique incontes-
table est également indispensable dans un travail d'interprétation
correcte de la règle de droit. Ce n'est pas à dire que les usages
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 55

acquièrent valeur de normes constitutionnelles. Ils << façonnent >> le


droit de la Constitution sans en faire partie; ils sont éléments d'in-
terprétation du droit positif mais n'en sont pas une règle.
Les usages ne se confondent pas non plus avec les coutumes dites
constitutionnelles. L'usage ne devient coutume que si une opinio
juris l'accrédite. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Le milieu politique
se sent obligé politiquement - mais pas juridiquement - de res-
pecter ces usages. Leur violation n'est pas sanctionnée.

C. - La Constitution
et les principes généraux du droit public
40. - Les principes généraux du droit public ne sont pas non
plus consacrés dans une règle écrite. Telle est même leur originalité.
Seraient-ils, tel le principe de l'égalité devant la loi, rattachables à
un texte constitutionnel analogue à celui de l'article l 0 de la Cons ti-
tution, qu'ils perdraient le plus clair de leur utilité : constituer une
source de droit subsidiaire. Par définition, ces principes ne trouvent
à s'appliquer qu'en l'absence de texte exprès.
Parmi les principes généraux de droit public qui ne se rattachent
à aucun texte de droit positif, on a relevé le principe de la perma-
nence qui affecte l'Etat, les services publics et la fonction publique
ainsi que celui de leur adaptation aux nécessités de la mission qu'ils
assument (10).
Deux questions retiennent à cet égard l'attention.
La première tient à la délimitation des principes generaux de
droit public. C'est la jurisprudence - et, à son défaut, la doc-
trine - qui les dégage et les exprime. Principes, plutôt que règles
(H. Bu cH); principes au surplus très généraux qui s'apparentent
presque aux fameuses <<lois>> du service public. Mais la jurispru-
dence fait-elle plus que proférer un aphorisme en constatant que la
vie de l'Etat est placée sous le double signe de la continuité et du
changement? La <<revanche du sens commun sur la technique>> (P.
PESCATORE) que devrait signifier l'affirmation de ces principes n' ap-
porte pas toujours de réponses concrètes aux questions que suscite
le fonctionnement des pouvoirs publics.
<• Les principes non écrits peuvent contribuer à donner à l'édifice des règles

juridiques un minimum de cohérence. Le législateur s'est exprimé dans le

(10) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, op. cit., p. 58l.


56 LA CONSTITUTION

désordre. L'administration a répondu, dans la hâte, aux sollicitations du


moment. Pourquoi, avec le recul du temps, ne pas chercher à donner - grâce
aux principes non écrits - une explication quasi pédagogique du phénomène
normatif? ... Les principes non écrits peuvent aussi avoir cette fonction d'expri-
mer haut et clair les préoccupations auxquelles la société politique est - ou
devrait être- légitimement attentive. Ils peuvent structurer l'ordonnancement
juridique, selon la belle expression du juge PESCATORE >> (F. DELPÉRÉE, <• La
place des principes non écrits dans les avis et les décisions des Conseils d'Etat >>,
in La Revue Administrative, 1999, numéro spécial, p. 122).

La seconde question touche à la valeur juridique de ces principes.


Là où ces principes fondamentaux voient leur valeur juridique
expressément ou implicitement consacrée par la Constitution -
comme dans le préambule de la Constitution française de 1946 - ,
leur autorité ne saurait faire de doute : ils ont même valeur que les
autres dispositions constitutionnelles.
Là où, comme en droit belge, la valeur des principes fondamen-
taux reste indéterminée, leur autorité prête plus à discussion. Il
paraît indiqué de leur reconnaître une valeur identique à celle des
règles écrites dont ils sont induits. Selon les cas, les principes géné-
raux se verront conférer la valeur d'un texte constitutionnel, d'une
disposition législative ou d'une mesure réglementaire.

§ 2. - La Constitution, règle solennelle

A. - La Constitution et la loi fédérale


41. - <<La Constitution est une loi qui s'appelle ainsi>> (11).
Identifier la Constitution à la loi, en particulier à la loi fédérale,
paraîtra peut-être excusable. La terminologie en la matière est peu
assurée. Sous l'influence anglo-saxonne notamment, << Constitution >>,
<< loi fondamentale >> et << loi constitutionnelle >> paraissent, à l'usage,
synonymes.
L'imprécision du vocabulaire se conçoit aisément dans un Etat
qui ne dispose pas de Constitution. Il revient, en effet, au pouvoir
législatif de compléter ou de corriger l'action de la coutume et d' éla-
borer les règles écrites qui vont préciser les compétences et le mode
de fonctionnement des pouvoirs publics.

(Il) P. WwNY, Droit constitutionnel. Principes et droit positif, Bruxelles, Bruylant, 1952,
p. 168.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 57

Ainsi en a-t-il été, au Royaume-Uni, avec le Bill of rights (1688), l'Act of seUle-
ment (1700) ou, plus récemment, les Parliament Acts (1911 et 1949). Qu'il
s'agisse de dispositions législatives fondamentales pour le fonctionnement d'un
régime politique, nul ne le nie. A la rigueur, on peut-<< si l'on y tient>> (12)-
recouvrir pareilles lois de la dénomination de << constitutionnelles au sens matériel
de l'expression>>. La formule n'a tout de même guère de signification dans un
Etat sans Constitution. Ces lois fondamentales ne se voient pas conférer une
autorité supérieure à celle des lois ordinaires. Ce sont des lois comme les
autres (13).

La confusion devient pernicieuse lorsque, transposée dans un


Etat doté d'une Constitution - formelle, comme il se doit - , elle
en vient à identifier la Constitution à la loi. Il s'agit là d'un contre-
sens flagrant : la Constitution et la loi se ressemblent parce qu'elles
sont règles écrites mais elles se différencient à raison du caractère
solennel de l'écrit constitutionnel.
42. - Les ressemblances entre la Constitution et la loi fédérale sont
réelles. Une partie de la doctrine n'hésite pas à en tirer argument
pour affirmer le principe d'identité des deux règles de droit. A. Es-
MEIN, par exemple, dit de la Constitution que<< c'est une loi qui, au
fond, est de la même nature que les autres >>.
Des ressemblances sont, d'abord, relevées sur le plan organique.
On peut relever le particularisme des procédures de confection et de
révision de la règle constitutionnelle. Mais ne faut-il pas observer,
même pour le déplorer, que c'est le pouvoir législatif qui est maître
de la fonction constituante qu'il a définitivement <<absorbée>> (14)?
L'exemple de la révision constitutionnelle du 7 février 1921 régulari-
sant la loi du 9 mai 1919 qui organisait le suffrage universel pur et
simple paraît à cet égard probant.
Des ressemblances sont aussi relevées au niveau de l'objet de la
règle de droit. On a pu chercher à établir une distinction entre le
domaine particulier de la règle constitutionnelle et celui de la règle
légale. L'entreprise est vaine et masque mal la complémentarité
d'action qui se développe entre ces deux règles écrites.

(12) R. DE LACHARRIÈRE, Droit constitutionnel. Première partie. Principes généraux, Paris, Les
cours de droit, 1970-1971, p. 16l.
(13) «La notion de Constitution est purement formelle'' écrit avec force R. CARRÉ DE MAL-
BERG qui constate que <<cette distinction entre les deux concepts, formel et matériel, de Constitu-
tion a été souvent reproduite dans les traités de droit public>> mais qu' «elle demeure pourtant
dépourvue de valeur, du moins au point de vue juridique>> (op. cit., t. II, p. 572).
(14) H. VAN IMPE, op. cit., p. 20.
58 LA CONSTITUTION

La Constitution peut, d'abord, faire confiance à la loi fédérale.


Elle la charge expressément de régler un ensemble de matières qui
ne peuvent l'être que sommairement dans un texte de principe.
C'est reconnaître qu'un même objet est à la fois matière d'une régle-
mentation constitutionnelle - au niveau des principes - et
légale - au niveau des applications et des mesures d'organisa-
tion - . Il n'y a pas de domaine réservé à l'un ou à l'autre.
Ensuite, la loi fédérale doit, dans le silence de la Constitution,
obvier aux lacunes du droit public. La plénitude de compétences
reconnue traditionnellement au pouvoir législatif n'est-elle pas
implicitement affirmée par la Constitution elle-même? La Constitu-
tion, par la place privilégiée qu'elle a reconnue au pouvoir de faire
la loi, n'a-t-elle pas admis cette suppléance de fait? Par ailleurs,
cette technique permet d'introduire dans le droit de l'Etat une cer-
taine plasticité qui n'est pas incompatible avec un système de
Constitution rigide.
Enfin, les métamorphoses que la loi fait subir, depuis plus d'un
siècle et demi, à la Constitution - sans révision formelle - ne sont-
elles pas la preuve la plus tangible de ce que la viabilité de l'Etat
n'est pas menacée par cette relative confusion des concepts? Ne
faut-il pas préférer ces lentes mais profondes transformations de la
vie institutionnelle aux accès de fièvre que suscite la remise en cause
officielle de la règle constitutionnelle?
Des ressemblances sont encore dégagées au niveau de l'autorité de
la règle de droit. La prééminence de la règle constitutionnelle est
reconnue sur un plan théorique et logique. Mais, dans un Etat où
cette suprématie n'est pas, en toutes circonstances, consacrée et
sanctionnée, quelle est la portée de cette primauté ? Si la loi fédérale
n'a pas rang de règle constitutionnelle, la Constitution ne voit-elle
pas, à tout le moins, sa valeur ramenée à celle de la loi fédérale?
Qui plus est, la comparaison entre l'autorité de la loi et celle de
la Constitution est rarement à l'avantage de cette dernière, toujours
en retard sur l'évolution de la vie politique, sur les réalisations et
les conquêtes sociales, sur les réformes coutumières des modes de
gouvernement.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 59

De ce faisceau de ressemblances, une conclusion ne pourrait-elle


se dégager? La Constitution n'est-elle pas l'espèce d'un genre, qui
serait celui de la loi fédérale ( 15) ?
43. - Les différences entre la Constitution et la loi fédérale sont
réelles. Elles ne peuvent être passées sous silence. Elles ruinent
toute tentative d'assimilation des deux règles de droit.
Les différences organiques subsistent. <<Une Constitution suppose,
avant tout, un pouvoir constituant>> (SIÉYÈS). La primauté recon-
nue traditionnellement dans un régime parlementaire à l'action du
pouvoir législatif ne saurait, à peine de bouleverser fondamentale-
ment l'équilibre des pouvoirs dans l'Etat et de mettre en cause le
régime des libertés des citoyens, s'interpréter comme impliquant la
supériorité de l'un des pouvoirs constitués vis-à-vis du constituant
lui-même. Dira-t-on que ce sont les mêmes personnes qui composent
les assemblées constituantes et législatives? Ce phénomène de
dédoublement fonctionnel ne saurait excuser une assimilation du
pouvoir législatif fédéral au pouvoir constituant : les autorités res-
tent distinctes (no 53).
L'argument tiré de la révision constitutionnelle informelle de 1919 est, de sur-
croît, peu pertinent. Une fois n'est pas coutume : l'adage est de rigueur en droit.
Les circonstances mêmes de cette révision empêchent d'y voir autre chose qu'un
mode exceptionnel de réforme de l'organisation du suffrage. Il pouvait paraître
choquant d'inviter les chambres constituantes, désignées pour partie au suffrage
censitaire, à consacrer le principe d'un suffrage sans entraves ouvert à tous. On
ne saurait y voir un précédent s'il s'agissait demain pour les chambres élues,
agissant de concours avec le gouvernement, d'instaurer la République, d'abolir
les libertés publiques ou de bouleverser les structures de l'Etat (16).

Des différences matérielles s'affirment. La Constitution est règle


initiale et primordiale. Elle a un objet essentiel qui est d'instituer
les pouvoirs constitués. Dans cette tâche, le pouvoir constituant n'a
d'autres dispositions à respecter que les conditions de forme, de
fond ou de procédure que la Constitution ancienne et la déclaration
de révision lui précisent (nos 53 s.).

( 15) La loi fédérale est entendue ici au sens de la loi ordinaire, c'est-à-dire de celle qui est
votée à la majorité absolue par les chambres législatives (Const., art. 53, al. 1'''l Elle s'oppose
à la loi spéciale (no 44)
(16) Une loi a anticipé sur une révision de la Constitution, c'est un fait. L'on ne saurait y
voir<< l'exception qui confirme la règle». Il s'agit plutôt d'une violation consciente et volontaire
de la Constitution. Elle ne procure pas un titre pour récidiver.
60 LA CONSTITUTION

Le chaînon est mince mais significatif. << La Constitution nouvelle


naît, en quelque sorte, de l'ancienne et lui succède en s'enchaînant
avec elle sans solution de continuité )) (17).
La loi fédérale, par contre, est l'œuvre d'un pouvoir constitué. Il
ne lui appartient pas, même par ses propres règles, de s'attribuer la
fonction de légiférer, de l'étendre ou de la restreindre. En outre, elle
voit son action assujettie au respect de la Constitution tout entière,
ce qui l'oblige à observer non seulement les dispositions qui fixent
le contenu de ses propres compétences mais aussi celles qui établis-
sent les responsabilités des autres collectivités politiques, qui déter-
minent les prérogatives des autres pouvoirs fédéraux et qui recon-
naissent les droits des citoyens.
Les différences formelles viennent consacrer ces premiers éléments
de distinction et en assurent le respect. C'est parce que la Constitu-
tion est œuvre fondatrice ou réformatrice de l'Etat qu'elle voit son
élaboration entourée d'une solennité exceptionnelle. Non seulement,
elle se matérialise dans un écrit mais elle est l'œuvre d'autorités spé-
ciales agissant dans des formes particulières et selon une procédure
appropriée (nos 57 s.). De là, sa valeur éminente : la loi fédérale ne
peut modifier, abroger ou suspendre la Constitution.
Le sens de la solennité donnée à l'élaboration comme à la révision de la
Constitution apparaît clairement. Il s'agit de montrer que la Constitution garan-
tit durablement un certain aménagement des rapports politiques. La Constitu-
tion est «un exercice difficile de synthèse écrite>) (18) : il s'agit d'exprimer en
formules ramassées l'objet d'un compromis et de traduire dans des dispositions
équilibrées un faisceau de concessions et d'échanges entre opinions différentes.
Il n'est pas tolérable que ce compromis global, obtenu à une très large majorité,
puisse être sur un point particulier remis en cause par une interprétation légis-
lative acquise à la majorité ordinaire. La Constitution ouvre une trêve solen-
nelle. Admettre que l'une des parties à la transaction puisse à son gré en modi-
fier les dispositions, c'est vider le pacte de sa signification politique.

Ce faisceau de différences suffit à montrer que la distinction entre


la Constitution et la loi fédérale répond à une réalité. Il pouvait
paraître banal ou naïf d'en rappeler les contours exacts. Face à
l'énoncé de déviations persistantes, il ne semblait pas superflu,
cependant, de rappeler quelques évidences.

(17) R. CARRÉ DE MALBERG, op. cit., t. II, p. 498.


(18) J. DoNNEDIEU DE VABRES, L'Etat, Paris, P.U.F., 1967, collection' Que sais-je?», p. 20.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 61

B. - La Constitution et la loi spéciale


44. - La loi spéciale voit son élaboration entourée de formes
plus solennelles que celles requises pour l'adoption d'une loi ordi-
naire. L'adoption d'une telle loi requiert la réunion d'un double
quorum de présences : la majorité de l'assemblée, mais aussi la
majorité dans l'un et l'autre groupe linguistique. Elle postule égale-
ment l'obtention d'un double quorum de vote : les deux tiers des
suffrages et la majorité des voix dans l'un et l'autre groupe linguis-
tique (19).
La loi spéciale, règle écrite et solennelle, ne s'apparente-t-elle pas
à la Constitution? Les ressemblances paraissent d'autant plus vives
que le recours à la loi spéciale répond à une intention non dissimu-
lée : réaliser une révision en permanence et en cascade de la Consti-
tution (20).
Dans un premier moment, un problème complexe ou litigieux voit
sa solution esquissée dans un texte constitutionnel général, vague et
parfois même intentionnellement ambigu. La Constitution se
contente de poser les données de l'énigme. Dans un deuxième
temps, la loi spéciale apporte à cette question difficile une réponse,
celle qu'elle estime la plus adéquate compte tenu des circonstances
politiques du moment. De la sorte, elle fait plus qu'assurer l'exécu-
tion d'une règle de principe. Elle prolonge et actualise l'opération
constitutionnelle. C'est elle qui construit véritablement le nouvel
aménagement des rapports entre pouvoirs publics (21).
Ce mode particulier d'élaboration de la décision politique invite à une lecture
prudente de la loi spéciale. L'interprète se gardera, pour bien faire, de deux
méprises. Celle qui conduit à chercher dans la Constitution plus de préceptes

(19) Voy .. par exemple, l'article 4, alinéa 3, de la Constitution.


(20) Une autre préoccupation peut aussi apparaître. Le pouvoir constituant peut chercher à
donner à une disposition légale une force juridique renforcée. A cette fin, il précise que pareille
loi - celle, par exemple, qui fixe les limites des régions linguistiques - ne pourra être modifiée
que par une majorité politique qualifiée. Cette loi est mise à l'abri de toute modification
impromptue par le législateur ordinaire.
(21) La rédaction et la lecture des textes peuvent s'en trouver compliquées. L'article 142 de
la Constitution crée la Cour d'arbitrage et l'habilite notamment à statuer par voie d'arrêt sur
«les conflits visés à l'article 141 •· Que sont ces conflits 1 Ce sont ceux qui opposent «la loi, le
décret et les règles visées à l'article 134' de la Constitution. Nouvelle énigme. Que sont donc ces
règles particulières 1 L'article 134 entretient le suspense puisqu'il attribue, en réalité, aux « lois
prises en exécution de l'article 39 • de la Constitution le soin de déterminer la force juridique de
ces règles. Selon l'article 39, ces lois doivent être adoptées à une majorité spéciale. Les lois spé-
ciales de réformes institutionnelles du 8 août 1980 (art. 17) et du 12 janvier 1989 (art. 6) remplis-
sent cet office et organisent la fonction de légiférer au niveau régional.
62 LA CONSTITUTION

qu'elle ne saurait contenir. Celle aussi qui consiste à ignorer la règle constitution-
nelle pour chercher dans la seule loi spéciale des dispositions de fond.

En fait et en droit, la Constitution et la loi spéciale sont appelées


à faire œuvre complémentaire. Sans l'intervention du législateur, la
Constitution est lettre morte. Inversement, sans l'intervention ~
expresse ou implicite ~ de la Constitution, la loi spéciale est
impuissante à donner à une matière ses contours précis.
45. ~ Quelle valeur attribuer à la loi spéciale?
La loi spéciale ne peut être assimilée à la Constitution. Une objec-
tion est à cet égard déterminante. Elle est tirée des dispositions du
titre VIII de la Constitution qui énumèrent l'ensemble des condi-
tions de forme et de procédure auxquelles un texte doit répondre
pour être intégré dans la Constitution. La loi spéciale en respecte
quelques-unes mais ne souscrit pas à d'autres. Elle ne saurait avoir
valeur constitutionnelle; en particulier, il ne lui appartient pas de
modifier sans habilitation l'ordre des attributions constitution-
nelles (22).
La loi spéciale ne se confond pas non plus avec la loi ordinaire. De
même rang et de même force que celle-ci, elle s'en distingue par une
caractéristique essentielle. A la différence de la loi ordinaire, la loi
spéciale se voit assigner par la Constitution un domaine exclusif
certes, mais aussi limitatif de compétences (23). La règle constitu-
tionnelle dépossède la loi ordinaire d'un certain nombre de matières
qu'elle énumère et dont elle confie le règlement à la loi spéciale (24).

(22) A l'encontre d'une opinion communément admise, la Cour d'arbitrage considère à juste
titre, dans un arrêt du 7 février 1990, qu'une loi spéciale- telle celle du 8 août 1980 de réformes
institutionnelles- doit être prise en compte lorsqu'il s'agit de vérifier la validité d'une loi, d'un
décret ou d'une ordonnance, mais qu'elle est, au même titre que ces instruments législatifs, assu-
jettie au contrôle du juge constitutionnel. En ce sens, la loi spéciale ne peut prétendre ni au titre,
ni au rang de règle constitutionnelle.
(23) Comme l'écrit A. ALEN (Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Deurne, Kluwer, 1997,
n" 208), <<la loi ordinaire est la règle, la loi spéciale est l'exception'· La loi spéciale l'est autant
par son objet que par les majorités qu'elle requiert pour son adoption. Il y a donc intérêt à ne
pas inscrire dans un même texte des dispositions qui doivent être adoptées, pour les unes, à la
majorité ordinaire et, pour d'autres, à une majorité qualifiée.
(24) Des problèmes d'interprétation peuvent surgir. La Constitution a été formulée en termes
vagues. Les habilitations qu'elle a données au législateur ont pu être exprimées de manière géné-
rale. Le texte constitutionnel peut notamment ne comprendre aucune dérogation expresse à
d'autres dispositions de la Constitution. Peut-on passer outre? Peut-on raisonner en termes de
dérogations implicites? Peut-on, à prétexte d'habilitation, laisser au législateur le soin de modeler
à sa guise une part du droit constitutionnel en vigueur? Faut-il, au contraire, ne prendre en
compte que les dérogations expresses? Faut-il donc dresser contre la loi spéciale la barrière de
tous les textes constitutionnels en vigueur? Faut-il, à la limite, assigner à l'intervention du légis-
lateur le seul champ restreint de l'exécution stricte de quelques règles inscrites dans le texte
constitutionnel ?
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 63

La loi ordinaire ne saurait, sans empiéter sur le domaine des com-


pétences de la loi spéciale, prétendre régler ces matières, abroger ou
modifier les dispositions qui y sont arrêtées. La loi spéciale ne sau-
rait non plus, sans empiéter sur le domaine général de compétence
de la loi ordinaire, prétendre statuer dans les matières qui ne lui ont
pas été réservées.
En somme, la loi spéciale est la règle de droit écrit qui, en vertu
de la Constitution, est élaborée par le pouvoir législatif fédéral selon
une procédure solennelle dans des matières limitées. Elle n'a pas
valeur constitutionnelle mais force de loi (25).

C. - La Constitution et les autres règles législatives


46. - Comme son nom le suggère, la fonction législative est ini-
tialement et intégralement confiée au pouvoir législatif. La loi ordi-
naire et la loi spéciale représentent les instruments par lesquels elle
s'exprime.
Le démembrement de la fonction législative (26) va de pair avec
l'instauration d'un Etat fédéral. Il conduit, à partir de 1970, à
remettre en cause le monopole du pouvoir législatif (art. 36). Des
autorités législatives sont à l'œuvre dans l'Etat fédéral, les commu-
nautés, les régions et les commissions communautaires.
Le décret et l'ordonnance ont, au même titre que la loi fédérale,
valeur de loi. De la même manière, le décret spécial - qui est voté
à la majorité des deux tiers des suffrages et qui intervient dans des
matières que la Constitution ou qu'une loi spéciale (1. sp. 8 août
1980, art. 35, § 3) détermine- a valeur de loi. Il ne peut prétendre
au rang de règle constitutionnelle, même lorsqu'il contribue à déter-
miner l'organisation des communautés et des régions.

SECTION II. - LA STABILITÉ

47. - <<Constitution, n.f. (lat. constitutio) : composition (la


constitution de l'air fut découverte par LAVOISIER), placement
(constitution d'une rente), désignation (constitution d'avoué), corn-

(25) Selon l'article 77 de la Constitution, une loi spéciale est aussi une loi bicamérale intégrale.
(26) F. LEURQUIN-DE VISSCHER, ''Les règles de droit>>, in La Belgique fédérale (dir. F. DELPÉ-
RÉE), Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 199.
64 LA CONSTITUTION

plexion de l'homme (constitution robuste), loi fondamentale d'une


nation (la Constitution française de 1875) >>.
Le petit Larousse illustré n'a pas tort d'attaquer le problème de
la définition de· la Constitution sous un ensemble d'angles à pre-
mière vue fort différents. Car si la partie juridique de l'analyse prête
le plus à critique - l'exemple ne semble pas particulièrement bien
choisi - , un trait commun paraît à tout le moins se dégager de la
multiplicité des points de vue envisagés. Constitution implique sta-
bilité.
Le juriste ne peut que cautionner pareille analyse. <<L'Etat, c'est
l'ordre dans le temps>> (M. HAURIOU). La Constitution qui a pour
objet de créer et d'organiser la société étatique apparaît comme
condition et garantie de permanence de l'Etat. Mais comment
serait-elle en mesure de réaliser cet objectif si elle ne répondait elle-
même à l'exigence élémentaire de stabilité ?
Il faut dépasser le rappel de cette vérité d'évidence pour s'interro-
ger sur les conditions techniques qui peuvent procurer à la règle
constitutionnelle sa stabilité. Il faut, en particulier, rappeler que
stabilité n'est pas immutabilité.
Les Constitutions qui proclament solennellement leur intangibi-
lité sont souvent les plus fragiles : promises à une éternelle jeunesse,
elles sont vieilles prématurément. Comme le relevait J. LEBEAU à la
tribune du Congrès national, << s'il n'y a pas moyen de faire des
changements à la Constitution, dès que l'opinion se sera prononcée
contre elle, elle sera ou enfreinte ou méprisée>>. Une Constitution doit
pouvoir être révisée (27).
C'est dire que la stabilité constitutionnelle ne peut être conçue
sous le signe de l'immobilisme : elle se fonde puis se corrige.
La Constitution est règle fondamentale (§ l er). Il revient à une
règle originelle et initiale de mettre l'Etat en position de mener, dès
le départ, une action durable. On examine les fondements théori-
ques (A), historiques (B) et idéologiques (C) de l'intervention de ce
constituant originel.
La Constitution est règle rigide (§ 2). L'assise qu'elle fournit à
l'Etat doit être périodiquement consolidée. Singularité technique : il
appartient à la règle fondamentale de préciser les conditions excep-
tionnelles auxquelles sa propre transformation sera, dans un avenir

(27) R. CHAPUS, op. cit., p. 151.


LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 65

indéterminé, assujettie. Il lui revient, en particulier, de choisir l'au-


teur (A), l'objet (B) et la procédure (C) de révision de la Constitu-
tion.
Le choix des techniques d'élaboration et de révision de la Consti-
tution compte parmi les éléments les plus significatifs de la concep-
tion qu'une société politique se fait non seulement de la durée de la
règle constitutionnelle mais de sa propre durée. Il est de ceux qui
révèlent de la manière la moins équivoque l'idée que cette société
se fait de son avenir.
Toutes les dispositions de la Constitution méritent un égal intérêt. Toutes par-
ticipent, de la même manière, à la dignité de la règle constitutionnelle. Mais,
parmi ces dispositions, il en est une, et probablement une seule, qui appelle un
examen plus attentif encore. Cette disposition, c'est celle qui prévoit la manière
dont la Constitution peut être modifiée.
Le phénomène est saisissant à souhait. Il n'est pas toujours perçu à sa juste
valeur. Voici la Constitution qui, dans l'un de ses articles, ne se préoccupe pas
d'organiser les pouvoirs publics. Elle n'énonce pas non plus les droits qui revien-
nent aux membres de la société politique. De manière plus directe et plus simple,
la Constitution parle d'elle-même. Elle établit son propre statut.
La Constitution affirme, dans une ou plusieurs dispositions qui ont valeur
constitutionnelle, ce qu'est une Constitution, à quoi elle sert et comment elle
peut être corrigée. Nul ne peut ignorer ce message. Et ceci à un double point
de vue : politique et technique.
D'un point de vue politique, la disposition qui contient la formule d'amende-
ment constitutionnel exprime, en condensé, l'ensemble des principes et des
valeurs qui caractérisent un Etat. Pour sa propre transformation, la Constitu-
tion exige le respect de ce qui lui tient le plus à cœur. Non pas dans l'absurde
prétention de dicter ses lois aux générations futures. Mais dans le souci de pré-
server les intérêts dont elle a la charge.
D'un point de vue technique, la disposition qui indique à quelles conditions,
de forme et de fond, le statut d'une société politique peut être corrigé introduit
à d'autres dispositions constitutionnelles. La procédure d'adoption de la Consti-
tution préfigure les traits essentiels du régime politique. La procédure de révi-
sion les confirme.

§ 1er. - La Constitution, règle fondamentale

A. - Les fondements théoriques


48. - << Autre chose est de faire une Constitution, autre chose est
de rectifier une Constitution déjà établie>> (28).

(28) E. DE GERLACHE, in HUYTTENS, op. cit., t. J, p. 130.


66 LA CONSTITUTION

Le propos ne manque pas d'originalité. Il a le mérite de souligner


d'emblée la singularité juridique de l'action qui consiste à écrire une
Constitution sur une page blanche. Car l'élaboration d'une Constitu-
tion - celle que la nation << a premièrement établie )), comme dit
VATTEL- peut marquer un<< commencement absolu)) (29). Elle est
l'œuvre du pouvoir constituant originel. Quelles sont les modalités
de l'intervention de ce pouvoir? La question n'est pas sans soulever,
en doctrine, des controverses animées. On s'efforce ici de recenser
les données du débat.
49. - Une première question a trait aux modalités d'action du
pouvoir constituant originel. Ne faut-il pas admettre que l'exercice de
cette compétence constitutionnelle s'exerce <<en dehors de toute
loi))? Prenant appui sur la destruction de l'ordre juridique ancien et
créant un ordre juridique nouveau, n'a-t-elle pas vocation de se
mouvoir dans le vide juridique? Le constituant originel agissant
sans règles, sans précédents, sans formes et sans procédures exerce-
t-il une fonction, au sens juridique de l'expression, alors que, comme
le relève G. BuRDEAU, les modalités d'exercice de ce pouvoir ne sont
déterminées par aucune règle antérieure (30)?
C'est une réponse nuancée qui paraît devoir être apportée à cette
question.
Il faut d'abord rappeler que c'est la Constitution qui crée l'Etat
et pas l'inverse (no 6). Par définition, la Constitution ne saurait être
une manifestation de droit étatique. Elle est elle-même source du
droit étatique. Ce n'est pas à dire que la Constitution n'est pas règle
juridique et que la création qu'elle opère ne l'est pas non plus.
Pas plus en droit public qu'en science naturelle, il n'y a place
pour des phénomènes de génération spontanée. La Constitution ori-
ginelle se crée au départ d'une règle coutumière préconstitutionnelle
(n" 36). Cette règle a valeur de règle de droit. Elle prépare des
expressions juridiques plus achevées, telle la Constitution écrite.
Elle en commande surtout l'opération en déterminant, par exemple,
les attributions de l'autorité habilitée à fixer les contours exacts de
la Constitution initiale.

(29) VATTEL, Le droit des gens, Livre I, ch. lii, «De la Constitution de l'Etat, des devoirs et
des droits de la Na ti on à cet égard ».
(30) G. BuRDEAU, Traité de science politique, 2" éd., t. IV, Le statut du pouvoir dans l'Etat,
Paris, L.G.D.J., 1969, p. 184.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 67

Il faut, ensuite, observer que le pouvoir constituant originel, qui


n'a pas la possibilité d'agir sans entraves, consent d'ordinaire à pré-
ciser lui-même un ensemble de règles de forme ou de procédure qu'il
s'oblige à respecter. Les choix qu'il opère à cet instant sont lourds
de conséquences juridiques et politiques. Il est rare que ces pre-
mières options ne se traduisent pas dans des dispositions de fond,
spécialement dans celles qui aménagent, au sein du nouvel Etat, la
procédure de révision de la Constitution.
Tantôt le pouvoir constituant originel recourt à des techniques
d'inspiration autoritaire : un chef ou un groupe qui a pris le pouvoir
octroie, spontanément ou sous la pression des circonstances, une
Constitution que l'on qualifie traditionnellement de charte, à raison
de son caractère unilatéral; le statut albertin du Piémont en 1848
entrait, par exemple, dans cette catégorie.
Tantôt, au contraire, le pouvoir constituant originel met en
œuvre des techniques d'inspiration démocratique : les citoyens sont
associés à l'œuvre constitutionnelle parce qu'ils sont appelés à dési-
gner les membres de l'assemblée constituante ou à s'exprimer quant
au fond par la voie référendaire; la Constitution des Etats-Unis
d'Amérique s'inscrit, la première, dans cette perspective.
Tantôt encore le pouvoir constituant originel utilise des techni-
ques d'inspiration contractuelle : un monarque passe avec les
citoyens ou avec l'assemblée qui les représente un véritable contrat
qui les associe à l'œuvre d'élaboration de la Constitution et qui
conduit à préciser dans un acte bilatéral les droits et obligations des
parties contractantes; la charte orléaniste d'août 1830 entrait dans
cette catégorie (31).
La procédure suivie - et librement choisie par ceux qui en pren-
nent l'initiative - commande un certain aménagement des rapports
institutionnels au sein du nouvel Etat et traduit les finalités essen-
tielles que celui-ci entend poursuivre.

(31) La Constitution belge relève, dit-on, de la catégorie des Constitutions contractuelles. La


qualification paraît inexacte et procède d'une appréciation erronée qui est portée sur les événe-
ments et les travaux constitutionnels de l'époque. Comme le relève, de façon pertinente, le
congressiste VAN MEENEN, <<il est vrai qu'il se forme un contrat entre lui (le chef de l'Etat) et
la Nation, mais la Constitution ne forme pas la matière de ce contrat» (in E. HuYTTENS, Discussions
du Congrès, cité, t. II, p. 492). Comment mieux affirmer que le chef de l'Etat n'était pas partie
à l'exercice du pouvoir constituant originel, qu'il était plus simplement l'un des pouvoirs orga-
nisés? Le rapprochement des dates confirme la portée du raisonnement : LÉOPOLD l'.,. prête ser-
ment, le 21 juillet 1831, à la Constitution du 7 février 1831.
68 LA CONSTITUTION

En somme, le constituant originel peut nourrir l'illusion qu'il


exerce, selon l'expression du congressiste VAN SNICK (32), une
<<espèce de toute-puissance législative)). Ne déshérite-t-il pas <<par
anticipation les législateurs à venir du droit de faire ce qui leur
paraîtra conforme aux besoins de la Nation)) (33)? Mais la
conscience du caractère éminent de la mission exercée par le consti-
tuant originel ne peut faire perdre de vue les limites que des cou-
tumes préconstitutionnelles ont posées ou celles qu'il s'est lui-même
fixées.
50. - Une seconde question a trait aux limites de l'action du
pouvoir constituant originel. S'épuise-t-elle en une fois? Survit-elle,
au contraire, à la création de l'Etat comme la source qui ne tarit
jamais (34)? Son intervention se concilie-t-elle, au besoin, avec celle
des autorités constituées, en ce compris l'autorité instituée pour
réviser la Constitution? La procédure de révision de la Constitution
ne serait-elle qu'une forme <<proposée)) sans caractère impératif au
pouvoir constituant dérivé? Revient-il à celui-ci de se libérer au
besoin des réglementations procédurières qui tentent de ligoter son
action?
A travers ces questions fondamentales, une interrogation majeure
apparaît. Les réformes auxquelles un Etat est appelé à procéder au
cours de son existence doivent-elles emprunter la voie de la révision
constitutionnelle en bonne et due forme juridique? Ne .peuvent-elles
plutôt choisir celle de la révolution ? Si l'on veut apporter une
réponse cohérente à cette question qui met en jeu le sens même de
l'Etat et de sa Constitution, il semble indispensable de rappeler
quelques réalités élémentaires.
Une réalité préexiste à l'Etat et à sa Constitution : c'est, pour
reprendre l'expression de J.-J. RoussEAU, le<< souverain)>, cette réa-
lité que l'on dénomme aujourd'hui peuple, nation, être collectif ou
groupe social. Cette réalité est essentielle puisque c'est le << souve-
rain)) qui exprime son adhésion aux procédés institutionnels- cou-
tumiers puis organisés - qui aménagent les structures et les modes
de fonctionnement de l'Etat. Cette réalité coexiste à la société poli-

(32) in Discussions du Congrès, op. cit., t. I"', p. 399.


VAN SNICK,
(33) BARTHÉLEMY,in Discussions du Congrès, op. cit., t. Je•, p. 663.
(34) G. BURDEAU, op. cit., ibidem.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 69

tique institutionnalisée et elle donne même au corps social sa cohé-


sion et sa stabilité. Que le << souverain >> disparaisse ou soit atteint
dans son essence et c'est l'Etat - pas seulement son organisation
politique - qui voit son existence remise en cause.
Appartient-il, cependant, au « souverain » d'intervenir dans l 'exer-
cice des attributions constitutionnelles et d'en modifier à son profit
l'aménagement? La thèse a été défendue. Le << souverain >> peut chan-
ger. Imagine-t-on que <<la Nation d'hier>> puisse lier <<la Nation de
demain>> (35)? Le souhaiterait-on que la guerre, la révolution ou le
coup d'Etat rappelleraient qu'il est des circonstances qui rendent
vaines ou inopportunes les tentatives d'aménager un ordre constitu-
tionnel ancien. Ne faut-il pas admettre que le <<souverain>> est habi-
lité, dans ces circonstances, à exercer la fonction constitutionnelle
originaire?
L'argumentation n'emporte pas l'adhésion. S'affranchissant par
un coup de force des règles qu'il a contribué à fixer pour la révision
de la Constitution, le <<souverain>> condamne, du même coup, cette
Constitution dans son ensemble. Reprenant l'initiative en rupture
des règles établies, le pouvoir constituant originel abolit son œuvre
première et brise la continuité constitutionnelle pour bâtir un nou-
vel ordre étatique.
Le raisonnement n'a pas pour résultat de confisquer la fonction
constitutionnelle au profit du pouvoir constituant organisé et au
détriment du pouvoir constituant originel. La révolution n'est pas
une inconnue pour le juriste qui constate même que la majorité des
Etats modernes en sont issus. Mais comment prétendre à la fois opé-
rer le bouleversement des institutions publiques et inscrire son
action dans le cadre d'un ordre juridique dépassé?
L'action alternative d'un constituant originel et d'un constituant
organisé n'est pas concevable si elle signifie que le premier peut, à
son gré, mettre le second en veilleuse et s'y substituer. Le consti-
tuant originel ne peut agir qu'après avoir anéanti le constituant
dérivé et, avec lui, les autres pouvoirs constitués.
Le pouvoir constituant originel n'épuise pas sa compétence en une
fois : celle-ci survit à l'aménagement d'un régime constitutionnel déter-
miné; mais un nouvel exercice de cette compétence originelle suppose
ou provoque la destruction du régime constitutionnel mis en place.

(35) G. BuRDEAU, op. cit., t. IV, p. 208.


70 LA CONSTITUTION

Il est vain de s'efforcer de légitimer les coups de force révolution-


naires à prétexte de prouver la pérennité des Constitutions et des
Etats. Autant essayer de concilier des concepts antinomiques. Ne
vaut-il pas mieux reconnaître que, comme les civilisations, les
Constitutions sont mortelles?

B. - Les fondements historiques


51. - Un processus historique entraîne rupture avec l'ordre
ancien et conduit à la construction d'un ordre juridique nouveau ...
L'avènement de l'Etat belge, marqué par l'apparition de sa Consti-
tution, illustre le phénomène : c'est la première Constitution d'un
Etat qui n'existait pas auparavant qui est rédigée.
Au point de départ, une révolution. L'historien discutera sur le
point de savoir s'il s'est agi d'une émeute populaire, d'un coup de
force armé ou d'une insurrection. Pour le juriste, par contre, il ne
saurait y avoir de doute sur la signification de l'opération et sur ses
conséquences juridiques. Le fait initial, dans sa réalité d'événement,
échappe à coup sûr à l'analyse juridique; ses conséquences, au
contraire, entreprennent sur le domaine du droit : elles visent à
anéantir un ordre juridique, et d'abord un ordre constitutionnel,
déterminé.
La révolution n'est pas un pur fait non préhensible au droit; elle
est plutôt un fait en rébellion contre le droit existant. La logique de
la révolution est de faire table rase. << La Nation, selon l'expression
de S. VAN DE WEYER (36), a détruit en 1830 l'ouvrage de 1815 >). Le
fait est que, pour reprendre les termes mêmes des proclamations du
gouvernement provisoire des 24 et 26 septembre 1830, la révolution
jetait bas << toute autorité tant à Bruxelles que dans la plupart des
villes et communes de la Belgique>).
Quasi simultanément, un régime constitutionnel embryonnaire voit le
jour. Dès le 4 octobre 1830, un nouvel Etat se constitue : le gouver-
nement se préoccupe de fixer sans délai << l'état futur de la Belgique >);
il décrète, entre autres, qu'un projet de Constitution sera élaboré<< au
plus tôt >); il convoque un Congrès national pour examiner ce projet,
pour le modifier au besoin et pour rendre la Constitution définitive
<< exécutoire dans toute la Belgique >). Il est symptomatique de relever
que l'initiative est prise d'amorcer le processus d'élaboration d'une

(36) S. VAN DE WEYER, in Discussions du Congrès. op. cit., t. l'', p. 166.


LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 7l

Constitution avant même que l'indépendance de l'Etat, à l'intérieur


comme à l'extérieur, ne soit proclamée (décret du Congrès national
du 18 novembre). Dans le même temps, l'élection des députés au
Congrès est aménagée (10 et 12 octobre). Les libertés fondamentales
des citoyens sont également proclamées (12, 16 et 18 octobre).
Le droit et l'Etat prennent, cette fois, le pas sur le fait. Mais à
quel titre est-il permis d'évoquer l'existence d'un phénomène juridi-
que et étatique? Suffit-il à un groupe d'hommes, même bien inten-
tionnés, de se proclamer << gouvernement provisoire )) et d'édicter
quelques <<arrêtés)) pour faire naître le droit de l'Etat nouveau? Il
n'en est rien et leur intervention ne saurait, dans ces circonstances,
s'interpréter que comme une action poursuivie en marge du droit.
S'il y a manifestation de droit étatique - et pas simplement
action révolutionnaire - , c'est parce que ces initiatives recueillent
progressivement l'adhésion de ceux qui étaient destinés à y être
assujettis et sont acceptées par eux comme règle de droit. Comme
devait le constater, le 12 novembre 1830, le gouvernement provi-
soire en remettant sa démission au Congrès national, c'est <<dans
l'intérêt et avec l'assentiment du pays )) qu'il exerçait, depuis le 24 sep-
tembre, ses fonctions : <<la nécessité d'un gouvernement quelconque
justifiait sa mission; l'assentiment du peuple confirma son mandat))
(10 novembre 1830).
L'expérience belge tentait d'ériger une société politique en Etat.
Elle visait aussi à faire reconnaître l'existence de cette société étati-
que dans l'ordre international. Le consentement coutumier que la
population du nouvel Etat a apporté aux règles et aux institutions
publiques s'est doublé du consentement que les grandes puissances
européennes ont manifesté à l'égard du nouvel Etat : le protocole de
la conférence de Londres du 20 janvier 1831 note que<< les cinq puis-
sances devaient à leur intérêt bien compris, à leur union, à la tran-
quillité de l'Europe)) d'opérer pareille reconnaissance.
Dans une dernière étape, le droit constitutionnel se consolide. La
présomption de régularité qui affectait l'action des organes pro vi-
soires se trouve vérifiée et confirmée; la durée et la constance de
l'exercice du pouvoir est l'un des signes de sa légitimité - ce qui
fait dire à l'opinion publique que seules les révolutions couronnées
de succès sont avalisées par le droit ... - .
72 LA CONSTITUTION

Le droit de la Constitution embryonnaire cède la place au droit


d'une Constitution établie en bonne et due forme par l'assemblée élue
à cet effet : le Congrès national désigné, le 3 novembre 1830, au suf-
frage censitaire entreprend à partir du 4 décembre la discussion des
139 articles de la Constitution; le texte définitif en est approuvé le
7 février 1831. Enfin, divers éléments sont encore réunis dans le res-
pect des nouvelles prescriptions constitutionnelles et visent à don-
ner à l'Etat une assise aussi stable que possible : les discussions sur
le choix de la dynastie qui ont si longtemps retenu l'attention des
membres du Congrès national doivent être comprises dans cette
perspective; le choix du monarque devait servir à consolider, à l'in-
térieur comme à l'extérieur, l'organisation de l'Etat.
Au terme du processus, LÉOPOLD pr pouvait, le 21 juillet 1831,
constater d'une formule ramassée que <<l'Etat est définitivement
constitué dans les formes prescrites par la Constitution même >).

C. - Les fondements idéologiques


52. - Une doctrine, une finalité, une<< idée d'œuvre de l'institu-
tion étatique>) (37) est inscrite dans chaque Constitution. Ce n'est
pas à dire qu'une théorie politique se trouve transcrite telle quelle
dans un texte constitutionnel : le plus souvent, c'est à partir de
matériaux divers - expériences étrangères, traditions publiques,
philosophies politiques... - que se construit ce qu'on appelle << la
mosaïque constitutionnelle>) (38).
Quels sont les matériaux dont le constituant de 1831 a fait usage
pour composer son œuvre? La commission créée par le gouverne-
ment provisoire pour rédiger un projet de Constitution a fourni une
réponse claire et structurée sur ce point : << On a choisi dans les
Constitutions existantes, et particulièrement dans la Charte fran-
çaise actuelle, les dispositions qui ont paru s'approprier le mieux à
notre pays; et on y a ajou té beaucoup d'autres qui sont désirées par
les meilleurs publicistes européens>) (E. DE GERLACHE, 25 novembre
1830) (39). Si l'on sait que sur les 131 articles adoptés par le Congrès
national, hormis les dispositions transitoires, 108 ont été repris à

(37) G. BURDEAU, op. cit., t. Il, L'Etat, p. 262.


(38) Baron DESCAMPS, La mosaïque constitutionnelle. Essai sur les sources du texte de la Consti-
tution belge, Louvain, 1891.
(39) E. DE GERLACHE, in Discussions du Congrès, op. cit., t. 1"', p. 324.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 73

peu près textuellement au projet de cette commission (40), on est en


droit de considérer l'appréciation comme fondée (41).
Un premier matériau est utilisé : c'est la notion même de Constitu-
tion. Quelque rapprochement que l'on soit tenté d'opérer entre la
Constitution belge de 1831 et les modes de gouvernement de l'An-
gleterre à la même époque, une différence fondamentale apparaît.
Le recours à une règle constitutionnelle qui, à l'instar de celles de
la France ou des Etats-Unis d'Amérique, est l'œuvre d'une assem-
blée particulière et constitue l'écrit solennel destiné à fonder l'Etat
n'a pas, en Belgique, prêté à discussion. Le recours à la Constitution
allait de soi.
Un deuxième matériau est apporté : c'est la charte française de la
Monarchie de Juillet. Marquée par le souci de concilier l'esprit libé-
ral, les techniques de la représentation nationale et le maintien d'un
pouvoir monarchique, la Charte de 1830 inaugure << une République
très sage, conservatrice et couronnée>> (42); elle marque l'avènement
du régime parlementaire en France; elle affirme et garantit, comme
la Charte de 1814, les libertés publiques dans l'acte constitutionnel
lui-même. Les concordances chronologiques établies entre les révo-
lutions française et belge de 1830 recoupent ici une unité de préoc-
cupations idéologiques.
Un troisième matériau est trouvé dans les Constitutions exis-
tantes - malgré des emprunts à la Constitution française de 1791,
le souci est exprimé de ne pas nourrir la vie constitutionnelle du
nouvel Etat de références historiques ou de techniques dépassées -
et européennes - les références à Benjamin FRANKLIN ou à John
ADAMS masquent mal, par exemple, une méconnaissance du fonc-
tionnement concret de la démocratie en Amérique; ToCQUEVILLE
n'écrira son œuvre-maîtresse qu'en 1835 ... - . Au nombre des
textes qui retiennent particulièrement l'attention, la loi fondamen-
tale des Pays-Bas de 1815 vient en premier ordre : élaborée pour
une part par des juristes des provinces méridionales, elle avait sus-
cité, pendant quinze ans, moins d'opposition à ses principes que de
mécontentement à l'égard de l'interprétation qui en était donnée ou

(40) J. GILISSEN, «La Constitution belge de 1831, ses sources, son influence •>, Res publica,
1968, numéro spécial, p. 113.
(41) Voy. W. VAN DE STEENE, 'De Belgische Grondwetscommissie (oktober-november 1830).
Tekst van haar notulen en ontstaan van de Belgische Grondwet », Verhandelingen van de Konink-
lijke Vlaamse Academie, n" 47, 1963.
(42) R. DE LACHARRIÈRE, op. cit., p. 116.
74 LA CONSTITUTION

des violations dont elle était l'objet. Un ensemble de dispositions-


principalement d'ordre technique - lui sont empruntées.
Une partie importante du matériau est aussi cherchée dans les
écrits des publicistes. Encore faut-il relever une méfiance non dissi-
mulée du Congrès national vis-à-vis des <<doctrines savantes
empruntées aux livres de théorie politique>> (43) : ce sont des
recettes ou des expériences qu'il s'agit de mettre à profit, non des
idéologies à expérimenter.
Faut-il préciser que la Constitution belge, fruit de l'expérience de
cinquante années d'histoire constitutionnelle, influencera, à son
tour, dans l'esprit et dans la lettre, la rédaction de nombre de
Constitutions européennes du XIXe siècle? Il n'est pas exagéré de
dire qu'elle servira de <<modèle>> aux Etats libéraux.
Faut-il aussi ajouter que la mosaïque constitutionnelle, issue de
l'assemblage de pareils matériaux, a évolué? D'autres doctrines,
d'autres expériences, d'autres réalités politiques en ont progressive-
ment modifié les fondements idéologiques.
Si le pouvoir constituant originel fait œuvre fondamentale, il
laisse, en effet, aux générations à venir le soin d'interpréter et, au
besoin, de réviser son œuvre.
La Constitution du 7 février 1831 a eu une influence déterminante sur les
Constitutions du XIXe siècle. Elle est apparue comme le prototype des Constitu-
tions des Etats libéraux. Plusieurs Etats (l'Espagne, l'Italie, la Grèce, le Luxem-
bourg, les Pays-Bas, la Roumanie ... ) trouvent une source directe d'inspiration
dans ses dispositions, tant en ce qui concerne la définition des libertés que l' orga-
nisation des pouvoirs.
L. Luzzatti, éminent homme d'Etat italien, n'hésite pas à écrire en 1917 : <<La
Belgique a tenté de résoudre l'un des problèmes les plus difficiles des temps
modernes : celui de concilier les garanties sûres et stables de la liberté avec la
monarchie représentative. Les anglo-saxons l'appellent la petite Angleterre. Quel
plus bel hommage?».
Il va sans dire que les influences directes qu'on relève se sont atténuées avec
le temps. La Constitution belge a subi à la longue les influences de Constitutions
plus récentes. Elle s'inspire d'elles pour rendre compte des phénomènes de l'inté-
gration européenne et pour définir la place respective des sources de droit natio-
nal, de droit communautaire et de droit international (44).

(43) DE MÉRODE, in Discussions du Congrès, op. cit., t. l'"', p. 419.


(44) F. DELPÉRÉE, ''Belgique. Introduction>>, in Recueil des Constitutions européennes ... , op.
cit., p. 18.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 75

§ 2. - La Constitution, règle rigide

A. - L'auteur de la révision
53. - <~L'immobilisme constitutionnel est un danger>> (45). Pour
être stable, la règle originelle doit faire l'objet de retouches,
d'ajouts, de révisions. Si l'on exclut pour ce faire l'intervention de
l'auteur de la règle de droit, soit celle du constituant originel
(no 50), il y a lieu de recourir à l'action d'un constituant dérivé et
organisé par la Constitution elle-même. Quelle est la solution rete-
nue à cette fin ?
La Constitution n'a pas eu recours au système de la convention
nationale, c'est-à-dire à la technique de l'assemblée spécialement et
exclusivement élue pour modifier la Constitution; la méfiance du
constituant originel vis-à-vis d'une institution qui eût pu, en invo-
quant la prééminence de sa fonction, concurrencer voire supplanter
l'action des chambres législatives l'a conduit à écarter cette solu-
tion.
Elle n'a pas, pour le même motif, fait appel à la population pour
réviser, par la voie référendaire, le texte constitutionnel. Prohibant
le référendum législatif, elle devait a fortiori ne laisser aucune place
aux formes du référendum constituant (no 149) (46).
La Constitution confie au pouvoir législatif fédéral le soin d' opé-
rer pareille révision. C'est à lui que revient, d'abord, l'initiative et,
ensuite, l'adoption des nouvelles dispositions constitutionnelles. La
solution retenue a cette conséquence : le pouvoir législatif fédéral
peut, en un même moment, cumuler l'exercice de ses fonctions
propres et, à la suite d'une déclaration de révision, celui de la fonc-
tion constituante.
Y a-t-il place, dans ce contexte, pour une Constitution rigide,
entendue au sens de la règle qui ne peut être révisée, à des conditions
plus strictes que celles prévues pour l'adoption d'une loi ordinaire, que
par un organe institué à cette fin? La réponse est affirmative.

(45) A. MAST, «Propos sur l'esprit et la méthode d'une révision constitutionnelle», Ann. Dr.
Sc. pol., 1953, p. 263.
(46) Malgré les dispositions nettes de l'article 195 de la Constitution, H. DUMONT persiste à
soutenir que, dans l'état du droit positif, un référendum peut être organisé aux fins de réviser
la Constitution ( «La réforme de 1993 et la question du référendum constituant>>, A. P. T .. 1994,
p. 101).
76 LA CONSTITUTION

Une première raison est avancée. Les deux branches du pouvoir


législatif fédéral issues de la représentation nationale ne peuvent
entreprendre la tâche de révision proprement dite de la Constitution
qu'après avoir été renouvelées. La publication des déclarations de
révision a pour effet immédiat de dissoudre de plein droit les assem-
blées législatives et de convoquer les collèges électoraux pour procé-
der aux élections en vue de leur renouvellement.
La campagne électorale qui précède la désignation des nouvelles
chambres fédérales peut être l'occasion pour les candidats de
prendre position sur les problèmes constitutionnels du moment et
pour les électeurs de se prononcer, à travers la désignation de leurs
représentants, sur les options qu'ils entendent faire prévaloir au
cours de l'opération constituante.
En somme, c'est une représentation nouvelle et «fraîchement issue
du suffrage)) (G. BuRDEAU) composant les deux chambres législatives
fédérales qui, de concours avec le roi, est l'autorité instituée pour réviser
la Constitution.
Une seconde raison complète la première. L'autorité constituante
est organisée, à l'issue d'élections législatives appropriées, pour réaliser
une jonction spécifique qui est la révision de la Constitution. A moins
d'une dissolution prématurée, c'est pour la durée d'une législature
qu'elle est investie de cette mission : à supposer que<( ces chambres))
constituantes n'aient pu entamer ou achever leur mission, leur
renouvellement ou leur dissolution entraîne la cessation de leur
fonction spécifique.
Sans doute, avant l'échéance de la législature, les chambres fédérales et le roi
peuvent-ils déclarer à nouveau qu'il y a lieu de procéder à la révision de divers
articles, les mêmes ou d'autres, de la Constitution : les élections législatives qui
s'ensuivent conduisent alors à la désignation de nouvelles chambres consti-
tuantes.

B. - L'objet de la révision

54. - Y a-t-il des limites matérielles à la révision de la Constitu-


tion? On comprend la portée de la question. Une réponse affirma-
tive frappe d'immutabilité un ensemble de dispositions juridiques et
les institue en articles tabous; une réponse négative légitime tout
changement de l'ordre constitutionnel et, au besoin, donne à la
révolution un label de qualité juridique.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 77

La réponse doit être trouvée dans la Constitution. Son article 195,


en particulier, oblige le pouvoir législatif fédéral qui prend l'initia-
tive d'une modification à << déclarer qu'il y a lieu à révision de telle
disposition constitutionnelle qu'il désigne)) (al. 1er); il oblige aussi
les chambres constituantes à ne statuer que sur << les points soumis
à la révision)) (al. 4). Ce faisant, il précise, d'abord, à raison de la
généralité des termes qu'il emploie, que toute disposition constitu-
tionnelle peut être révisée. Il prohibe, ensuite, que toute la Consti-
tution puisse, en un même moment, être révisée : il n'y a place, en
droit belge, que pour des révisions partielles.
55. - Toute disposition constitutionnelle peut être révisée. Il n'y a
pas de textes supraconstitutionnels ou intangibles dont l'autorité
compétente pour réviser la Constitution ne pourrait se saisir.
La proposition bat en brèche la doctrine des limites implicites,
celles qu'il conviendrait d'apporter, au nom de l'esprit de la Consti-
tution, à toute tentative de révision de certaines de ses disposi-
tions : le régime parlementaire, l'institution monarchique, l'indépen-
dance des tribunaux ... peuvent, par la voie constitutionnelle, être
remis en cause sans que des objections juridiques puissent être
adressées à ces initiatives (47).
La proposition rencontre, également, la doctrine des limites expli-
cites, celles qui résulteraient d'interdictions formulées dans le texte
constitutionnel lui-même : ainsi l'article 18 de la Constitution-<< la
mort civile est abolie; elle ne peut être rétablie )) - n'apparaît, dans
sa seconde partie, que comme l'expression d'un vœu - adressé au
législateur fédéral - . Il ne saurait, à ce titre, limiter l'opération de
révision de la Constitution.
La proposition contredit, enfin, la doctrine des décrets supraconsti-
tutionnels, ceux que le pouvoir constituant se serait lui-même
engagé à respecter. Les décrets du Congrès national relatifs à l'indé-
pendance du peuple belge et à l'exclusion à perpétuité des membres
de la famille d'Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique n'échap-
pent pas à la règle (48). Comme l'a relevé le même Congrès national,

(4 7) Encore faut-il se demander si les règles de droit international, telles celles inscrites dans
la Convention européenne des droits de l'homme, ne s'imposent pas au pouvoir constituant et
ne font pas obstacle, par exemple, à l'abolition de certaines libertés.
(48) Contra: J. VELU, Traité de droit public, Bruxelles, Bruylant, 1986, t. l''', p. 145. Sur cette
question, voy. M.-F. RIGAUX, La théorie des limites matérielles à l'exercice de la Jonction consti-
tuante, Bruxelles, Larcier, 1985.
78 LA CONSTITUTION

le 24 février 1831, <<c'est comme corps constituant qu'il a porté ses


décrets des 18 et 24 novembre 1830 >>. La nature de l'autorité déter-
mine celle du texte qu'elle adopte.
Les dispositions des décrets que l'on cite sont constitutionnelles,
sans plus : elles sont révisables, même celles qui s'expriment en
termes d'interdiction à perpétuité. Le pouvoir constituant originel
pouvait avoir la prétention ou l'illusion d'<< enchaîner les générations
futures >>; il n'était, cependant, pas en mesure d'enlever au pouvoir
constituant dérivé une attribution qu'il lui confiait par ailleurs (49).
56. - Toute une Constitution ne peut, en un même moment, être
révisée. La révision intégrale de la Constitution, telle que l'organise
par exemple la Constitution suisse, est prohibée.
L'argumentation logique rejoint à cet égard l'argument de texte.
Réviser un ensemble de dispositions, c'est le modifier, l'aménager,
le corriger; l'opération révisionniste peut aller jusqu'à en altérer très
profondément le style, la structure ou l'esprit. Il n'empêche que le
texte de base subsiste, de toute façon, pour une part. C'est par voie
d'ajouts, d'abrogations partielles, de réformes de détail qu'il est
retouché.
Disposition de pure forme, a-t-on parfois précisé. Elle inviterait
simplement le pouvoir législatif fédéral à diviser en autant de par-
ties la déclaration de révision et le vote des nouvelles dispositions
qu'il y a d'articles à réviser dans la Constitution initiale. Mais, à la
limite, rien n'empêcherait de déclarer la révision successive de tous
les articles de la Constitution et de procéder à leur modification
échelonnée : << ce que le législateur peut faire en détail, il semble
qu'il puisse le faire en gros, pourvu qu'il respecte la forme>> (50).
Disposition de fond, semble-t-il, qui veut que la déclaration du
pouvoir législatif fédéral indiquant, en bloc ou en série, qu'il y a
lieu, au cours d'une même législature, à révision de toutes les dispo-
sitions de la Constitution sortirait des prévisions du titre VIII de la
Constitution. Le pouvoir législatif fédéral organiserait, en marge des
dispositions qui organisent la procédure de révision, une nouvelle
méthode pour rédiger la règle initiale. Ce n'est plus de révision, mais
de révolution constitutionnelle qu'il serait alors question.

(49) Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n" 1036/2, avis du Conseil d'Etat du 15 juillet 1993.
(50) J. MASQUELIN, <<Etapes et procédure de la récente révision de la Constitution •>, Ann. Dr.,
1972, p. 104.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 79

Il faut aller plus loin. La disposition qui abrogerait purement et


simplement les articles de la Constitution qui organisent la procé-
dure de révision paraît également inconstitutionnelle. Elle aménage-
rait, en effet, une technique de révision permanente de l'ensemble
des dispositions de la Constitution. Cette procédure qui serait en
contradiction avec les principes inscrits dans l'actuel article 195 de
la Constitution serait, par surcroît, en opposition avec la notion
même de Constitution.
On dira que l'article 195 de la Constitution peut, comme les
autres, être révisé- ce qui n'est pas contesté- . Mais son abroga-
tion a pour effet de rompre, non avec un certain ordre constitution-
nel, mais avec tout ordre constitutionnel. Supprimer, à l'occasion de
la procédure de révision, la procédure même de révision revient
pour le pouvoir constituant à se saborder et à détruire le fondement
de sa compétence (51) et de sa raison d'être. On dira, pour utiliser
une expression imagée, que le constituant scie alors la branche sur
laquelle il est assis.

C. - La procédure de révision
57. - Le souci de ne procéder qu'à des révisions partielles et
échelonnées de la Constitution commande la distribution de la pro-
cédure en deux phases distinctes : l'initiative de la révision et l'opé-
ration de révision. Faisant césure entre ces deux phases se situent
le renouvellement des chambres législatives fédérales et la mise en
place de l'autorité révisionniste.
Dans une première phase, le pouvoir législatif fédéral a l'initiative
de la révision. Chacune de ses branches - le roi, la Chambre des
représentants ou le Sénat - peut mettre en mouvement la procé-
dure qui conduit à une modification du texte de la Constitution.
C'est tantôt un membre de l'une ou de l'autre chambre qui dépose
en ce sens une <~ proposition ~>; c'est tantôt le roi qui fait présenter
un <~projet de déclaration >> de révision dans la forme d'un arrêté
royal.
Un projet de déclaration de révision de la Constitution préparé par un gouver-
nement démissionnaire ne saurait contenir d'autres dispositions que celles qui

(51) Sur ce thème, voy. «Quelques aspects constitutionnels d'une crise politique •>, Ann. Fac.
dr. Lg., 1974, numéro hors série, pp. 27 s.;'' Une crise en trois temps», J.T., 1986, p. 117.
80 LA CONSTITUTION

figuraient déjà dans des déclarations précédentes (52). Cette déclaration ne


reprend pas les articles qui ont été révisés dans l'intervalle. A supposer même
que l'initiative parlementaire puisse, à cette occasion, se déployer de manière
plus large, le gouvernement d'affaires courantes ne saurait intervenir au côté du
roi pour marquer son accord à une déclaration qui irait au-delà des compétences
limitées qui sont à ce moment les siennes.

Projet ou proposition sont examinés selon une procédure analo-


gue à celle qui est pratiquée en matière législative (53) et que fixe
le règlement de chaque assemblée; ils sont, au besoin, adoptés - à
la majorité absolue - dans chaque chambre.
L'initiative met véritablement en mouvement l'opération de révi-
sion constitutionnelle lorsqu'elle aboutit à la formulation conjointe
de <c déclarations de révision}) par les deux chambres, d'une part, et
le roi, d'autre part. La publication des deux déclarations entraîne
dissolution et renouvellement des chambres législatives. Seules les
dispositions retenues dans l'une et l'autre déclarations sont révi-
sables au cours de la plus prochaine législature.
Une déclaration de révision doit répondre à une condition de
forme. Elle doit <c désigner }) les dispositions constitutionnelles qu'il y
a lieu de réviser; la référence générale à un titre, à un chapitre ou
à une section doit être tenue pour imprécise : l'insécurité qu'elle
engendre ne répond pas au vœu du constituant.
La déclaration peut-elle aller au-delà de ce que prescrit la Consti-
tution et indiquer non seulement qu'il y aurait lieu, mais encore
comment il y aurait lieu, de réviser la Constitution? Le procédé qui
revient à indiquer le sens d'une révision est entré dans l'usage. Il
paraît critiquable, dans la mesure où un pouvoir constitué s'arroge
la prérogative d'entreprendre sur l'œuvre réservée au pouvoir
constituant. L'indication du sens ne lie évidemment pas les
chambres constituantes, hormis dans l'hypothèse où l'opération
révisionniste conduit à insérer un nouvel article dans le texte consti-
tutionnel ____:_ auquel cas il semble indiqué de mentionner l'objet de
la disposition qui est envisagée - .
Une déclaration de révision doit répondre aussi à une condition de
temps : elle touche à l'époque à laquelle la déclaration est proposée,

(52) En conséquence, un gouvernement démissionnaire ne peut proposer aux chambres légis·


latives d'adopter un projet de déclaration si celles-ci ne sont pas constituantes.
(53) Il n'y a pas de« navette» parlementaire. Seuls les articles qui sont déclarés révisables par
l'une comme par l'autre chambre figurent dans la déclaration.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 81

publiée ou exécutée. La révision de la Constitution n'est pas perma-


nente. Elle ne peut être ni engagée, ni opérée dans ces périodes de
crise institutionnelle ou d'événements troublés que représentent la
régence - tout au moins pour les dispositions qui affectent le statut
ou les pouvoirs du roi- (art. 197), le temps de guerre (art. 196) ou
toute situation qui empêcherait les chambres de se réunir librement
sur le territoire national (idem).
58. - Dans une seconde phase, le pouvoir constituant organisé pro-
cède à l'opération de révision de la Constitution.
La publication des déclarations de révision a entraîné la dissolu-
tion automatique des chambres législatives. Le roi a convoqué les
électeurs dans les quarante jours : la campagne électorale qui
s'ouvre à ce moment doit permettre aux citoyens de s'informer sur
les thèmes de la révision projetée et de faire connaître leurs deside-
rata. Le roi a également convoqué les nouvelles chambres- consti-
tuantes, cette fois - dans les deux mois. A l'issue de ce processus,
le pouvoir constituant - les deux chambres nouvelles et le roi -
est organisé et à pied d'œuvre. S'il le veut, il est habilité à faire
œuvre constitutionnelle.
·La procédure selon laquelle il exerce sa fonction est, à tous
égards, exceptionnelle.
Le pouvoir constituant n'est, d'abord, appelé à statuer que sur
<<les points soumis à révision)). La compétence qui lui est conférée
est limitative et contraste singulièrement avec la compétence géné-
rale qui est reconnue au pouvoir législatif fédéral, sous réserve de la
mise en œuvre de l'article 35 de la Constitution.
La prohibition d'amender des articles qui ne figuraient pas dans la déclaration
de révision a été méconnue à de multiples reprises. Une explication a été avan-
cée. Placé devant le dilemme que représentent l'expression de volonté des
chambres dites préconstituantes - celles qui ont procédé à la déclaration de
révision - et celle du peuple, le pouvoir constituant devrait pouvoir s'affranchir
des limites mises à son action (54). La solution, pour fondée qu'elle puisse
paraître sur le plan des opportunités politiques, conduit à nier la distribution -
constitutionnellement voulue - de la procédure de révision en deux phases dis-
tinctes : juridiquement parlant, elle ne saurait être qu'inconstitutionnelle.

(54) W. VAN AsscHE, «De grondwetgever van 24 december 1970 en het dilemma Preconsti-
tuante ~ Volkswi] », T.B.P., 1971, p. 363; A. ALEN et F. MEERSCHAUT, «De 'impliciete' herzie-
ning van de Grondwet », in Présence du droit public et des droits de l'homme. Mélanges offerts à
Jacques Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, t. l'"'·, p. 259.
82 LA CONSTITUTION

Chaque chambre constituante procède, ensuite, à l'examen des


articles sujets à révision et délibère sur les dispositions en projet qui
lui sont soumises. Les modes de procédure suivis pour l'élaboration
d'une loi fédérale ne trouvent pas nécessairement à s'appliquer.
On en procure deux exemples. Premièrement, c'est au sein d'une commission
spécialement composée à cet effet et fonctionnant selon des règles particulières,
que déterminent expressément les règlements de la Chambre et du Sénat, qu'est
préparé le travail de révision. Deuxièmement, l'avis de la section de législation
du Conseil d'Etat n'est pas sollicité sur le texte d'une disposition constitution-
nelle en projet : le bien-fondé de cette solution, qui se fonde sur un texte précis
(lois coordonnées, art. 3) et sur l'usage, mériterait d'être discuté de legejerenda;
le Conseil d'Etat pourrait donner un avis sur la régularité formelle de l'opération
qui a été entreprise ou faire les observations de forme indispensables.

Chaque chambre constituante statue encore sur les points soumis


à révision à une double majorité qualifiée. Une loi doit être adoptée
<<à la majorité absolue des suffrages)>; la majorité des membres de
l'assemblée doit, pour ce vote, être réunie (Const., art. 53, al. pr et
3). Une disposition constitutionnelle nouvelle, par contre, ne sera
adoptée que dans le respect de deux quorums : un quorum de pré-
sence - au sein de chaque chambre, deux tiers au moins de ceux
qui la composent doivent être présents à la délibération - et un
quorum de vote - au sein de chaque chambre, deux tiers des suf-
frages exprimés (sans compter les abstentions) doivent être réunis
en vue de l'adoption de la disposition - . Les procédures du bicamé-
0
ralisme intégral (Const., art. 77, l doivent être respectées.
)

Le roi, enfin, statue << de commun accord )> avec les chambres
constituantes sur les points soumis à révision : il sanctionne les réso-
lutions portant révision d'articles de la Constitution. Il promulgue
aussi les nouvelles dispositions et en assure la publication au Moni-
teur belge; les dispositions révisées sont obligatoires dès le jour de
cette publication.
59. - Une question particulière doit être soulevée. Une disposi-
tion amendée peut-elle, au cours d'une même législature, faire l'ob-
jet d'une nouvelle révision? Le pouvoir constituant jouit-il d'un
<< droit de repentir)>? Peut-il faire preuve de plus d'audace encore?
Ou bien épuise-t-il, en une fois, la compétence qui lui a été attri-
buée?
C'est <<sur les points soumis à révision)> que les Chambres consti-
tuantes sont appelées à statuer de commun accord avec le roi ... Les
<<points)> peuvent évidemment s'entendre des <<numéros)> d'articles
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 83

de la Constitution - << il y a lieu à la révision de l'article de la


Constitution >> - , auquel cas l'autorité révisionniste garde la préro-
gative de statuer autrement sur ces points. Les <<points >> peuvent
aussi être compris au sens des<< matières>> traitées dans l'article sou-
mis à révision, auquel cas l'autorité révisionniste ne peut intervenir
que si la question qui était évoquée dans la Constitution initiale
reste la même que celle qui pourrait être résolue à la faveur d'un
nouvel amendement.
Le pouvoir constituant est dessaisi si, en altérant profondément
une matière que vise une disposition constitutionnelle, il a donné à
l'article qui lui sert de siège un autre objet.
60. - Le pouvoir constituant peut modifier la Constitution. Il
peut aussi en coordonner les dispositions (Const., art. 198).
Les chambres constituantes délibèrent à ce propos selon les règles
de quorums - de présence et de vote - qui sont prescrites à l'ar-
ticle 195 de la Constitution pour amender le texte constitutionnel.
De commun accord avec le roi, elles << peuvent adopter la numérota-
tion des articles et des subdivisions des articles de la Constitution >>.
Elles peuvent également changer <<les subdivisions de celle-ci en
titres, chapitres et sections>>. Elles sont encore habilitées à << modi-
fier la terminologie des dispositions non soumises à révision pour les
mettre en concordance avec la terminologie des nouvelles disposi-
tions >>. Elles sont, enfin, en mesure d'<< assurer la concordance entre
les textes français, néerlandais et allemand de la Constitution>>.
La Constitution du 17 février 1994 est le produit de ce travail de
coordination (55).
61. - Telle qu'elle est organisée à l'heure actuelle, la procédure
de révision de la Constitution présente des avantages certains. Elle
préserve les équilibres sur la base desquels l'Etat belge s'est créé et
s'est organisé. Elle fait obstacle à des bouleversements impromptus
dont nul, à vrai dire, ne saurait prédire la portée.
En ce qui concerne la définition des autorités révisionnistes, le sys-
tème semble satisfaisant. Il permet d'associer a l'opération consti-

(55) Voy. A. ALEN et F. MEERSSCHAUT, op. cit., p. 261; M. VAN DER HULST, <<De nieuwe wet-
gevings-procedures in de praktijk over mengen en spiitsen <>, T.B.P., 1987, p. 589; H. SIMONART,
«La coordination de la Constitution belge», R.B.D.C., 1995, p. 133; F. TuLKENS, «L'accessibilité
du texte constitutionnel : l'enjeu de la renumérotation », A.P.T., 1994, p. 115; F. DELPÉRÉE,
« Constitution et codification », in L'Etat de droit. Mélanges offerts à Guy Braibant, Paris, Dalloz,
1996, p. 135.
84 LA CONSTITUTION

tuante les chambres législatives qui représentent la Na ti on, le gou-


vernement fédéral qui définit les orientations générales de la société
belge et même le corps des citoyens qui est le premier destinataire
des normes nouvelles. Nul élément du corps politique ne reste étran-
ger à l'opération constituante.
En ce qui concerne la définition des dispositions révisables, le sys-
tème semble également adéquat. Il permet la modification de toute
disposition constitutionnelle qui mérite d'être corrigée. Il permet
l'insertion de nouveaux articles aux fins de tenir compte des préoc-
cupations les plus contemporaines de la société politique. Aucun
tabou ne vient brider la volonté qu'expriment les autorités consti-
tuantes.
En ce qui concerne la procédure de révision, le système est plus
discuté, sinon contesté. Il n'en présente pas moins des avantages
certains. Dans les périodes d'intense discussion politique, il permet
de calmer le jeu. Il évite que des décisions ne soient prises à l'em-
porte-pièce. Il permet le mûrissement des solutions. Il tend à calmer
le mouvement des passions et des émotions. Il impose à la procé-
dure constituante un rythme mesuré.

62. - Telle qu'elle est aménagée, la procédure de révision de la


Constitution présente aussi des inconvénients. Elle peut paraître
excessivement lourde. La Constitution est particulièrement rigide.
Ce phénomène peut inciter les autorités publiques à contourner les
prescriptions de l'article 195 de la Constitution.
La distribution en phases distinctes du travail de révision consti-
tutionnelle conduit à allonger singulièrement la durée des procé-
dures. Elle peut mettre le pouvoir constituant dans l'impossibilité
de procéder en temps utile à des révisions indispensables. Les
césures qui sont imposées risquent de compromettre le bon aboutis-
sement de l'opération révisionniste.
La dissolution des chambres législatives compromet, pour sa part,
le développement normal de l'action gouvernementale et parlemen-
taire, au niveau fédéral. Une majorité politique rechignera à enga-
ger la procédure de révision en début de législature. Elle se préoccu-
pera de réaliser son programme politique avant de proposer des
modifications à la Constitution. D'autant plus qu'elle n'est pas
assurée de se retrouver dans la même composition à l'issue des élec-
tions législatives.
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION 85

La succession de majorités différentes peut aussi compromettre


l'œuvre de révision. Les chambres préconstituantes s'expriment à la
majorité qualifiée. Les élections qui ont eu lieu entre-temps peuvent
avoir pour effet de priver le gouvernement de la majorité qui lui
était nécessaire pour faire œuvre utile (56). Dans ces conditions,
l'opération de révision peut être un coup d'épée dans l'eau. Et cela
d'autant plus qu'<< il est unanimement admis que le (pouvoir) consti-
tuant demeure libre de modifier ou non les points figurant dans une
déclaration de révision>> (57).
63. - Comme toute autre disposition constitutionnelle, l'ar-
ticle 195 de la Constitution est révisable. L'on se gardera, cepen-
dant, de changer, de manière inconsidérée, les grandes lignes du pro-
cessus de révision (58). L'on évitera, en particulier, de ramener la
Constitution au rang d'une loi fédérale- auquel cas la règle consti-
tutionnelle perdrait l'essentiel de sa dignité et de son efficacité - .
Deux réformes mériteraient néanmoins d'être envisagées.
L'une est d'ordre institutionnel. Il est contraire aux règles de la
logique de requérir, pour l'élaboration des lois spéciales, des majo-
rités plus complexes que pour les modifications de la Constitution.
Dans une perspective éminemment fédérative - qui se préoccupe
d'associer à la fois les autorités fédérales et fédérées au processus de
révision-, il pourrait paraître judicieux de préciser que <<nul chan-
gement ne sera adopté s'il ne réunit, dans chaque chambre, les deux
tiers des suffrages et, dans chaque groupe linguistique, la moitié de
ceux-ci>>.
L'autre réforme est plutôt d'ordre procédural. Depuis près de cin-
quante ans, le pouvoir constituant n'a pu procéder, en temps utile,
aux révisions constitutionnelles que requérait la conclusion dans
l'urgence d'engagements internationaux. Dans ce cas précis, une
révision de l'article 195 de la Constitution peut s'imposer. Aux fins
d'harmoniser les solutions du droit international et celles du droit
national, un changement de la Constitution devrait pouvoir s'opérer
sans dissolution préalable des chambres législatives. Par contre, une

(56) Selon M. UYTTENDAELE (Institutions fondamentales de la Belgique, Bruxelles, Bruylant,


1997, p. 18), <• le roi n'a jamais déposé de projet de modification de la Constitution''·
(57) H. SIMONART, 'La révision de la Constitution», in La Belgique fédérale ... , p. 34.
(58) J.-Cl. ScHOLSEM, 'Brèves réflexions sur une éventuelle révision de l'article 195 de la
Constitution», R.B.D.C., 1999, p. 99.
86 LA CONSTITUTION

autre exigence procédurale serait imposée à savmr un deuxième


vote par les nouvelles chambres -(59).

BIBLIOGRAPHIE

Sur le thème du formalisme en droit constitionnel :


P. AvRIL, Les conventions de la Constitution. Normes non écrites et droit politique,
Paris, PUF, 1997; D. LEVY,<< Le rôle de la coutume et de la jurisprudence dans l'éla-
boration du droit constitutionnel>>, in Mélanges M. Waline. Le juge et le droit public,
Paris, L.G.D.J., 1974, t. I, p. 39; F.F. RIDLEY, «Les sources du droit constitutionnel
britannique», in F. DELPÉRÉE, M. VERDUSSEN et K. BIVER, Recueil des Constitutions
européennes, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 295.
Sur le caractère rigide de la Constitution, l'on consultera en particulier :
A. ALEN, «De voornaamste procedurale problemen van een Grondwetsherziening »,
T.B.P., 1979, pp. 286 s.; A. ALEN et F. MEERSCHAUT, <<De 'impliciete' herziening
van de Grondwet •>, in Présence du droit public et des droits de l'homme. Mélanges
offerts à Jacques Velu, tome I"', Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 259 s.; O. BEAUD, La
puissance de l'Etat, Paris, PUF, 1994; G. CRAENEN, << Een Grondwet voor alle Bel-
geu>>, in Présence du droit public et des droits de l'homme. Mélanges offerts à Jacques
Velu, tome!"', Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 237 s.; X. DELGRANGE etH. DuMONT,
«Le rythme des révisions constitutionnels et l'hypothèse de l'accélération du temps
juridique>>, A.P.T., 1999, p. 210; F. DELPÉRÉE, <<Le processus de modification de la
Constitution belge •>, in La révision de la Constitution (avant-propos de L. FAVOREU
et O. PFERSSMAN), Paris, Economica, 1993, pp. 67 s.; F. DELPÉRÉE et F. JoNGEN,
Quelle révision constitutionnelle?, Louvain-la-Neuve, Cabay, 1985; F. DELPÉRÉE,
A. RASSON et M. VERDUSSEN, <<Révision de la Constitution et justice constitution-
nelle>>, A. !nt. J. C., 1994; Y. GuEN A,« Les révisions de la Constitution, signe de l'air
du temps», Revue des sciences morales et politiques, 2000, p. 45; C. KLEIN, Théorie
pratique du pouvoir constituant, Paris, PUF, 1987; J. MASQUELIN, <<La technique des
révisions constitutionnels en droit public belge •>, Ann. D. Lv., 1952, pp. 89 s.;
J. MASQUELIN, «Etapes et procédure de la récente révision de la Constitution», Ann.
D. Lv., 1972, pp. 91 s.; J. V AN NIEUWENHOVE, «De herziening en de coiirdinatie van
de Grondwet », in Parlementair recht - Commentaar & Teksten, dir. M. V AN DER
HULST et L. VENY, Nys & Breesch, 1998, n° A.2.5.l.l.

(59) F. DELPÉRÉE, 'Le contrôle de constitutionnalité des traités internationaux>>, R.B.D.C.,


1999, p. 97.
CHAPITRE III
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION

64. - La Constitution est, dans l'Etat, la règle suprême.


Ce qui signifie, d'abord, que ses prescriptions s'imposent à toutes
les autorités constituées et aux normes qu'elles adoptent. Elle est
une règle supérieure aux autres. Elle s'impose à elles. Elle com-
mande toutes actions et interventions des autorités publiques -
quelles qu'elles soient - (nos 65 s.).
La suprématie de la règle constitutionnelle veut aussi qu'une bat-
terie d'autorités de contrôle soient mises en place pour veiller - de
manière effective - au respect par les autorités constituées des dis-
positions que contient la Constitution (nos 75 s.).
Une attention particulière est accordée à l'organisation et au
fonctionnement de l'institution de justice constitutionnelle et donc
à l'œuvre qu'accomplit, depuis 1985, la Cour d'arbitrage (nos 87 s.).

SECTION J'e. - L A SUPRÉMATIE


DE LA CONSTITUTION

65. - Le principe paraît aller de soi. Il est universellement


admis et constamment réaffirmé. A travers les querelles d'école, il
fait figure de lieu commun : la Constitution est la règle suprême de
l'État. Quelle autre justification procurer aux exigences de forma-
lisme qui entourent sa rédaction et aux impératifs de permanence
que lui assurent ses modes d'élaboration et de révision ? Dans la
logique constitutionnelle, le formalisme, la permanence et la supré-
matie vont de pair.
Qu'implique la suprématie de la Constitution?
La Constitution instaure, en premier lieu, une hiérarchie des
règles de droit (§ l er). Celle-ci s'articule sur un partage initial de res-
ponsabilités (A), celui qui s'instaure, au niveau fédéral, entre les
autorités qui confectionnent la loi et celles qui élaborent le règle-
ment. Elle tient compte d'un partage subséquent de responsabilités
88 LA CONSTITUTION

(B), celui qui s'impose aux autorités qui agissent au niveau fédéral
et à celles qui interviennent au niveau fédéré. Elle s'appuie encore
sur un partage complémentaire de responsabilités (C), celui qui se
manifeste entre les autorités qui agissent de manière générale et
celles qui œuvrent au plan local.
La Constitution prescrit, en second lieu, un mode d'exercice des
responsabilités publiques (§ 2). Comme le précise l'adage, <<les pou-
voirs sont d'attribution)). Les responsabilités confiées à une autorité
publique ne sauraient être assumées que par elle (A). Sauf disposi-
tion expresse en sens contraire, elles ne peuvent faire l'objet ni de
délégation (B), ni de transfert (C).

§ 1er. - La hiérarchie des règles de droit

A. - Le partage initial des responsabilités

66. - L'on situe - par tradition, peut-être - la Constitution


au sommet de l'ordonnancement des règles juridiques. Le droit qui
s'impose à l'action de tous les pouvoirs publics - où qu'ils soient
localisés en Belgique - comme à celle de tous les citoyens - où
qu'ils se situent - , c'est, d'abord, le droit de la Constitution.
Le principe se donne une justification de fond. L'objet et l'utilité
de la règle constitutionnelle commandent de la mettre hors d'at-
teinte de ceux à qui elle s'impose. Il se complète par une justifica-
tion plus formaliste. Toute règle, même d'importance mineure,
parce qu'elle est inscrite dans le texte constitutionnel - suivant
une procédure exceptionnelle - bénéficie du caractère de règle
supérieure.
Deux corollaires assortissent l'énoncé du principe de supériorité.
Il n'y a pas de règle supraconstitutionnelle qui s'impose à la
Constitution, spécialement au moment de sa révision (nos 55 s.).
Toutes les règles infraconstitutionnelles sont assujetties au res-
pect de la Constitution. C'est vrai - on l'a montré - de la loi fédé-
rale- qu'elle soit ordinaire ou spéciale- (nos 41 s.). Ce l'est, plus
globalement, de toute règle juridique non constitutionnelle.

67. - La Constitution fait plus, cependant, qu'indiquer le som-


met de la pyramide. A partir de là, elle jette les grandes lignes d'une
hiérarchie des règles infraconstitutionnelles. Celle-ci a été longtemps
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 89

schématisée (1) - au départ des textes constitutionnels en vigueur


en 1831 mais qui n'avaient pas été modifiés depuis lors- en trois
traits.
Les dispositions de la Constitution sont censées former une pre-
mière <<couche>> de règles juridiques. A ce niveau, toutes b.énéficient
d'une même dignité constitutionnelle. Si, au sein de cette catégorie,
certaines dispositions - telles celles qui consacrent les droits de
l'homme - peuvent revêtir une importance politique plus grande
que d'autres, elles n'acquièrent pas pour autant une force juridique
distincte. Si, au sein de la catégorie des droits de l'homme, certains
droits - telle droit à la vie - peuvent paraître plus fondamentaux
que d'autres, ils ne sont pas assortis d'une protection particulière.
A un deuxième niveau - immédiatement inférieur à celui de la
Constitution - , se situent la loi ainsi que toute autre règle qui a
une valeur équivalente à celle de la loi. Elles sont, cela va de soi,
tenues au respect de l'ensemble des prescriptions de la Constitution.
Elles ne sont pas tenues, par contre - si ce n'est dans des cas
limités - , au respect de dispositions qui sont de valeur inférieure.
A un troisième niveau, se situe le règlement - soit la norme qui
est accomplie par une autorité exécutive ou par une collectivité
locale - . Il est, pour sa part, dans un rapport de subordination
rigoureuse vis-à-vis des règles de deuxième niveau. Tantôt, en effet,
il se contente de disposer dans le respect de leurs prescriptions, tan-
tôt il va jusqu'à en assurer l'application ou l'exécution. En aucun
cas, il ne peut les modifier, ni les contredire.
Le règlement est aussi dans un rapport de subordination absolue vis-à-vis des
règles constitutionnelles - soit des règles de premier niveau - . II convient
néanmoins de tenir compte d'un phénomène particulier, celui de la loi-écran. Un
règlement ne pourra se voir reprocher son inconstitutionnalité s'il se contente de
procurer, de manière correcte, exécution à une loi qui a été elle-même prise en
violation de la Constitution et qui est donc affectée d'une inconstitutionnalité
intrinsèque (2).

68. - La Constitution reste, par contre, muette sur la position


exacte, dans la hiérarchie des règles juridiques, des dispositions de

(1) F. DELPÉRÉE, «La Constitution et la règle de droit», Ann. D. Lv., 1972, pp. 187 s.; In.,
«La Constitution, la loi, le décret et l'ordonnance>>, J. T., 1990, p. 104; F. L~'URQUIN-DE VIs-
SCHER, op. cit., p. 197.
(2) A l'occasion de la contestation d'un règlement, la question peut se poser de savoir si la
loi- dont il est censé procurer exécution- n'est pas elle-même entachée d'inconstitutionnalité.
Il revient au juge de poser- à titre préjudiciel- une telle question à la Cour d'arbitrage, pour
autant que le litige soit de ceux qui sont visés par l'article 142 de la Constitution.
90 LA CONSTITUTION

droit international. C'est la jurisprudence qui, à travers ses évolu-


tions, supplée au silence de la règle constitutionnelle. Dans un arrêt
du 3 février 1994, la Cour d'arbitrage considère que les dispositions
d'un traité qui lie la Belgique doivent respecter la Constitution. Si
ce n'est pas le cas, elle annule la loi ou le décret d'assentiment au
traité ou constate la non-validité d'une telle norme (3).

B. - Le partage subséquent des responsabilités


69. - L'organisation, à partir de 1970, d'une société politique
qui s'inspire des principes du fédéralisme conduit à revoir - sur des
points importants - l'ordonnancement initial des sources du droit.
Les grandes lignes de la hiérarchie subsistent. Les règles constitu-
tionnelles - soit les règles de premier niveau - s'imposent, par
exemple, tant aux autorités fédérales qu'aux autorités fédérées.
La loi - qualifiée désormais de fédérale - se situe toujours au
deuxième niveau. Mais un ensemble de normes juridiques - le
décret ordinaire, le décret spécial, l'ordonnance (4) ... - se placent
désormais sur un pied d'égalité avec elle. Chacune d'elles règle, de
manière distincte, les matières qui sont de sa compétence propre.
Ces normes ont une force commune et identique - celle de la
loi - . Elles n'ont à respecter que la seule règle constitutionnelle -
prolongée éventuellement par des lois spéciales et ordinaires qui ser-
vent à établir le partage des responsabilités entre les diverses collec-
tivités politiques - . Elles ne sont pas tenues, par contre, de respec-
ter les règles de droit qui leur sont inférieures ou équivalentes.

(3) Camp. J. VELU, 'Contrôle de constitutionnalité et contrôle de compatibilité avec les


traités», J. T., 1992, p. 729; J.-V. LoUis, 'La primauté, une valeur relative!», C.D.E., 1995,
p. 23; J.-8. JAMART, ''Observations sur l'argumentation : la primauté du droit international»,
R.B.D.C., 1999, no 2; C.E., 5 novembre 1996, Orfinger, J.T., 1997, p. 294, noteR. ERGEC;
P. n'ARGENT,' De la primauté du droit international sur ... la Constitution», I.D.J., 1997, n" 6,
p. 65; Y. LEJEUNE et Ph. BRoUWERS, «La Cour d'arbitrage face au contrôle de constitutionnalité
des traités», J.T., 1992, p. 671; Ph. BROUWERS etH. SIMONART, 'Le conflit entre la Constitution
et le droit international conventionnel dans la jurisprudence de la Cour d'arbitrage», C.D.E.,
1995, p. 7; F. DELPÉRÉE, ''Les rapports de cohérence entre le droit constitutionnel et le droit
international public. Développements récents en Belgique •>, R.F.D.C., 1998, n" 36, p. 729. Voy.
égal., H. BRIBOSIA, ''Applicabilité directe et primauté des traités internationaux et du droit com-
munautaire. Réflexions générales sur le point de vue de l'ordre juridique belge>>, R.B.D.Int.,
1996, n" 1, p. 33; M. MELCHIOR et P. VANDERNOOT, 'Contrôle de constitutionnalité et droit com-
munautaire», R.B.D.C., 1998, p. 4.
(4) L'ordonnance particulière a, elle, valeur réglementaire. Elle peut faire l'objet d'un
contrôle de tutelle par les autorités fédérales (1. sp. 12 janvier 1989, art. 45). En sens divers,
Y. LEJEUNE, «La réforme de l'Etat. VII. Les nouvelles institutions bruxelloises •>, J. T., 1989,
p. 211; M. UYTTENDAELE, «La réforme de l'Etat. A propos des ordonnances de la Région bruxel-
loise>>, J. T., 1989, p. 412; Ch.-E. LAGASSE, ibidem, p. 413.
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 91

La situation juridique du règlement s'en trouve - par la force


des choses - plus enchevêtrée. Dans un Etat unitaire, la valeur du
règlement s'apprécie - dans une perspective verticale - par rap-
port à la loi dont il procure application et par rapport aux principes
de la Constitution dont la loi et le règlement assurent la ~oncrétisa­
tion. Dans un Etat fédéral, par contre, la hiérarchie des règles de
droit se démultiplie. Elle se conçoit et se construit dans les divers
ordres juridiques - fédéral, communautaire et régional - .
Un arrêté royal doit respecter la loi fédérale, un arrêté du Gou-
vernement wallon doit procurer exécution aux décrets wallons, un
arrêté du Gouvernement flamand doit s'inscrire dans le prolonge-
ment des décrets flamands... Par contre, sauf exception dûment
organisée, le règlement pris dans un ordre juridique n'est pas subor-
donné aux autres règles - même de deuxième niveau - d'un autre
ordre juridique.
De manière plus complexe encore, une loi fédérale, telle la loi spé-
ciale du 8 août 1988 de réformes institutionnelles, peut aussi pres-
crire que des décrets communautaires et régionaux, tels ceux qui
établissent le statut des personnel des administrations fédérées, res-
pectent les dispositions inscrites dans l'arrêté royal fixant les prin-
cipes généraux de la fonction publique.

C. - Le partage complémentaire des responsabilités


70. - Les collectivités locales, elles aussi, font œuvre réglemen-
taire. Elles sont amenées à respecter la Constitution. Elles sont aussi
tenues, selon le cas, d'observer les lois fédérales et les règlements géné-
raux, les décrets communautaires et régionaux, les ordonnances
bruxelloises et les règlements qui en assurent l'exécution.
Les règlements locaux peuvent compléter et adapter, sans les
contredire, ces normes supérieures.

§ 2. - L'exercice des responsabilités

A. - L'attribution des responsabilités


71. - La Constitution française du 3 septembre 1791 précisait,
en son article 2, que <<la Nation de qui seule émanent tous les pou-
voirs ne peut les exercer que par délégation )). Les bases d'une théo-
rie classique en droit français étaient ainsi jetées : la Nation est le
92 LA CONSTITUTION

sujet primitif de tous les pouvoirs; elle les détient mais peut aussi
en déléguer, par sa Constitution, l'exercice à des individus ou des
autorités qui, pour son compte, en deviennent les titulaires effectifs.
La Constitution belge qui s'inspire manifestement de pareille dis-
position pour proclamer que <c tous les pouvoirs émanent de la
Nation>> (art. 33) ne reprend, cependant, à son compte ni l'expres-
sion, ni l'idée de la délégation. Elle se contente d'affirmer qu'<c ils
(les pouvoirs) sont exercés de la manière établie par la Constitu-
tion>> (art. 33, al. 2). De là, l'idée qu'en droit belge les pouvoirs ne
sont pas délégués mais attribués (5). La doctrine accrédite cette
idée : <c les pouvoirs sont d'attribution >>.
Pourquoi l'octroi de fonctions constitutionnelles ne peut-il s'ana-
lyser en termes de <c délégation >> ? Délégation suppose possession
puis transfert d'un droit, d'une compétence ou d'une fonction. Or la
Constitution ne possède aucune responsabilité particulière. Elle
n'est pas en mesure de les transférer à des autorités constituées. Elle
n'est pas non plus habilitée à les reprendre pour les exercer elle-
même. La Constitution se borne à jouer le rôle de créateur des pou-
voirs. Elle les institue et les organise, sans plus.
La Constitution est règle supérieure et la position prééminente qui lui est ainsi
reconnue la place hors d'atteinte de l'action des pouvoirs constitués. Mais il ne
lui appartient pas, pour autant, de posséder des attributions particulières -
hormis celle d'instituer les pouvoirs - qu'elle exercerait elle-même ou dont elle
déléguerait plutôt l'exercice à tel ou tel pouvoir constitué. Comme l'écrit avec
pertinence R. CARRÉ DE MALBERG (6), «de ce que les pouvoirs constitués par la
Nation exercent leur pouvoir en vertu d'un acte primaire de volonté nationale,
il ne faut pas vouloir en déduire qu'ils l'exercent aussi en qualité de mandataires
et de représentants, délégués par la Nation>>.

La Constitution est placée hors d'atteinte de l'action des pouvoirs


constitués. Mais les pouvoirs constitués sont également, en dehors d'une
période de révision constitutionnelle, mis hors de portée de l'action de
la Constitution.
Les pouvoirs, parce qu'ils sont créés, ont à respecter la Constitu-
tion. La Constitution, parce qu'elle est créatrice, se doit de respecter

(5) Une tout autre question est celle de savoir si les compétences attribuées par la Constitu-
tion à une autorité publique peuvent être déléguées à une autre autorité (n° 73).
(6) R CARRÉ DE MALBERG, op. cit., t. Il, p. 301.
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 93

les pouvoirs qu'elle a constitués et ne saurait exercer elle-même les


attributions dont elle aménage l'exercice.

72. - L'observation selon laquelle <c les pouvoirs sont d'attribu-


tion >) vaut tant pour les autorités qui sont constituées dans la col-
lectivité fédérale que pour celles qui sont organisées dans les collec-
tivités fédérées. En particulier, le partage des pouvoirs qui caracté-
rise l'aménagement d'une société fédérale trouve ses fondements
dans la Constitution et dans les lois fédérales qui la prolongent.

B. - Des délégations limitées de responsabilités

73. - Les responsabilités assignées aux autorités constituées


sont assumées <c de la manière établie par la Constitution >). En prin-
cipe, elles le sont par ces autorités mêmes. Il ne convient pas que
celles-ci aménagement librement des régimes de suppléance ou d'in-
térim. Il importe aussi qu'elles ne se déchargent pas des responsabi-
lités qui leur incombent sur d'autres autorités publiques.
La règle constitutionnelle qui est ainsi rappelée est assortie de
deux dérogations.
Le pouvoir constituant peut accréditer lui-même le mécanisme
des délégations de compétences. Il permet, par exemple, à <c des lois
particulières portées en vertu de la Constitution même>) d'attribuer
certaines responsabilités au roi. Des lois de délégation peuvent être
conçues en ce sens. Le même mécanisme prévaut au niveau fédéré.
Encore faut-il - comme la jurisprudence ne manque pas de le rap-
peler - que de telles délégations restent limitées, qu'elles soient
clairement circonscrites et qu'elles s'inscrivent dans le respect des
autres prescriptions de la Constitution.
Une autorité constituée peut également consentir - sans habili-
tation constitutionnelle - des délégations plus limitées encore.
Ainsi le roi peut laisser à un ministre le soin de prendre des mesures
particulières pour assurer - dans un domaine déterminé - la cor-
recte application d'une loi fédérale. Il ne saurait, cependant, se
défaire - à l'occasion d'une telle opération - de la responsabilité
qui lui incombe et qu'il lui revient donc d'assumer, au moins pour
l'essentiel.
94 LA CONSTITUTION

C. - Des transferts limités de responsabilités


74. - Des solutions plus structurelles peuvent-elles se conce-
voir? Dans un Etat qui est marqué par le partage des pouvoirs -
non seulement entre autorités constituées mais surtout entre collec-
tivités politiques-, est-il permis d'envisager des transferts d'attri-
butions?
En principe, la réponse est négative. La Constitution est règle
d'organisation des pouvoirs et règle de distribution des responsabi-
lités. Les autorités constituées ne sauraient d'initiative déranger cet
ordonnancement constitutionnel. Elles ne sauraient non plus déci-
der de modifier - de commun accord et sans formalités particu-
lières - ce qui a été établi de manière unilatérale et dans le respect
des procédures formalisées d'adoption des textes constitutionnels.
Le principe inscrit dans l'article 33, alinéa 2, de la Constitution
est, sur cet autre terrain, assorti de cinq dérogations, au moins. Il
va sans dire que les équilibres institutionnels initiaux peuvent être
bouleversés, en profondeur, par des opérations qui visent à redessi-
ner - à la lumière de la pratique ou dans la poursuite de projets
politiques déterminés - la carte de la répartition des attributions.
La Constitution autorise, dans son article 34, le transfert de
<cpouvoirs déterminés>> à des institutions de droit international public,
notamment au niveau européen. Si la formulation reste prudente,
elle permet à un traité ou à une loi fédérale d'attribuer - à une ou
plusieurs reprises - l'exercice de tels pouvoirs à des organisations
intégrées.
La Constitution autorise, dans son article 137, le transfert des res-
ponsabilités régionales aux institutions communautaires. Il est pré-
cisé qu'une loi spéciale doit organiser ce transfert, en en précisant
les conditions et les modalités.
La Constitution permet, en sens inverse, dans l'article 138, le
transfert de tout ou partie des responsabilités de la Communauté
française à la Région wallonne, d'une part, à la Commission commu-
nautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale, d'autre part.
Des décrets, spécial et ordinaires, organisent ce transfert d'attribu-
tions.
Dans son article 139, la Constitution permet d'organiser un trans-
fert de responsabilités de la Région wallonne à la Communauté ger-
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 95

manophone. Les deux collectivités politiques doivent concevoir ce


transfert de commun accord. Des décrets ordinaires actent cet
accord.
Enfin, dans son article 140, la Constitution autorise une autre
forme de transfert de compétences. Il opère de l'Etat fédéral à la
Communauté germanophone. Une loi ordinaire doit intervenir en ce
sens.

SECTION II. ~ LES CONTRÔLES DE CONSTITUTIONNALITÉ

75. ~ Si l'on veut prendre la règle constitutionnelle au sérieux,


si l'on entend lui assurer la suprématie qui est la sienne, si l'on
cherche à donner à la Constitution et à son droit leur pleine effecti-
vité, il y a lieu d'assortir la proclamation du principe de supériorité
d'un ensemble de garanties juridictionnelles.
Comment ne pas le souligner ici? L'Etat de droit, c'est, d'abord,
l'Etat de la Constitution. C'est aussi l'Etat des juges~ c'est-à-dire
de magistrats indépendants et impartiaux ~ . Mais c'est surtout
l'Etat dans lequel une ou plusieurs juridictions veillent de manière
spécifique au respect des prescriptions de la Constitution.
Ce n'est pas sans tâtonnements que la Belgique entre dans le
camp des <<Etats constitutionnellement développés)> (7). Long-
temps, elle reste attachée au dogme de l'infaillibilité du législateur.
Elle ne prescrit pas, à l'origine, le contrôle juridictionnel des lois
(§ PT Elle le prohibe même (A). Pendant plus d'un siècle, elle n'a
organisé de contrôles qu'à l'égard des règlements (B). Aujourd'hui,
elle aménage le contrôle préventif des projets de loi, de décret et
d'ordonnance (C), celui des propositions de loi, de décret et d'ordon-
nance (D) et celui des projets de règlement (E).
Ces certitudes sont mises en cause au début des années 1970 (§ 2).
Des évolutions constitutionnelles (A), des changements de jurispru-
dence (B), un mouvement doctrinal (C) préparent ~ chacun à leur
manière ~ l'instauration du contrôle juridictionnel des lois.
La justice constitutionnelle voit le jour à partir de 1980 (§ 3). La
création de la Cour d'arbitrage s'inscrit dans une perspective qui est

(7) F. DELPÉRÉE et A. RAssoN-ROLAND, <<La Cour d'arbitrage de Belgique», Ann. int. just.
const., 1991, p. 415.
96 LA CONSTITUTION

tracée depuis près de dix ans (A). Une jurisprudence fournie est
d'ores et déjà à mettre à son actif (B). Le mouvement est-il achevé?
Les perspectives d'avenir restent à tracer (C).
<<Dans l'univers institutionnel, l'apparition d'une autorité - plus encore
d'une juridiction- nouvelle n'est qu'exceptionnellement le fruit du hasard, ou
le produit d'une génération spontanée. Sans doute faut-il réserver l'hypothèse de
ces institutions qui, bénéficiant d'un concours heureux de circonstances, s'inscri-
vent un jour dans un système politique donné et ass<;>ient progressivement leur
existence sur fond de pratiques, voire de coutumes. Cette situation reste néan-
moins marginale. Un système constitutionnel complexe comme celui de la Bel-
gique instaure de savants équilibres que pourrait compromettre l'irruption invo-
lontaire de nouvelles autorités. Si celles-ci doivent voir le jour, ce sera au terme
d'évolutions et d'expérimentations qui permettront d'avancer à pas mesurés
vers la solution escomptée >> (F. DELPÉRÉE et F. TULKENS, << La création de la
Cour d'arbitrage>>, in La Cour d'arbitrage. Actualité et perspectives, Bruxelles,
Bruylant, 1998, p. 15).

§ 1er. - Le refus d'un contrôle juridictionnel des lois

A. - L'absence de contrôle des lois

76. - Jusqu'en 1970, la question des contrôles de constitution-


nalité ne suscitait guère, sinon de lege ferenda, l'intérêt de la doc-
trine. Tous les manuels enseignaient qu'il n'existait pas de contrôle
de constitutionnalité des lois. La solution paraissait d'ailleurs se
déduire du texte même de la Constitution, de son esprit et des cir-
constances politiques et sociales qui, à supposer même que le
contrôle fût possible, le rendaient superflu.
Un texte constitutionnel, celui de l'article 159, semblait commander
la matière. Cette disposition faisait l'objet d'une interprétation a
contrario. Puisque la Constitution ne dit mot du contrôle de confor-
mité des lois à la Constitution, les cours et tribunaux ne peuvent
pas refuser d'appliquer une loi inconstitutionnelle.
Si les cours et tribunaux reçoivent pour précepte de n'appliquer les règlements
qu'<< autant qu'ils seront conformes aux lois>>, aux normes équivalentes aux lois
et, à plus forte raison, aux règles - telle la Constitution - qui ont la préémi-
nence sur les lois, c'est que compétence leur est reconnue, dans les termes les
plus généraux, d'apprécier la conformité des règlements aux règles de droit qui
leur sont hiérarchiquement supérieures; et s'il s'avère que ces actes administra-
tifs sont illégaux ou inconstitutionnels, les cours et tribunaux sont même tenus
d'en refuser l'application. Par contre, ces mêmes cours et tribunaux ne sauraient
apprécier la conformité à la Constitution des lois ou des règles, tels les décrets,
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 97

qui leur sont équivalentes. Ils ne peuvent refuser d'en appliquer les dispositions,
même celles dont l'inconstitutionnalité serait manifeste.

Un principe d'aménagement des institutions publiques, celui de la


séparation des pouvoirs, était aussi rappelé. Le pouvoir législatif
n'est-il pas souverain dans son domaine? N'apprécie-t-il pas libre-
ment de la constitutionnalité d'une loi? Pourquoi reconnaître au
pouvoir judiciaire le droit de s'immiscer dans pareille appréciation?
Telle était l'argumentation inscrite déjà dans un arrêt de principe
de la Cour de cassation du 23 juillet 1849 : << Il n'appartient pas au
pouvoir judiciaire de rechercher si telle disposition légale est ou non
en harmonie avec la Constitution f).
Enfin, différentes circonstances politiques ne méritaient-elles pas
d'être prises en considération? L'organisation d'un contrôle de
constitutionnalité des lois n'est que l'une des techniques de modéra-
tion du pouvoir politique. Dans la mesure où d'autres modalités
existent et fonctionnent de manière satisfaisante, il ne paraît pas
indispensable de faire le détour de pareil contrôle. Avec Maurice
DuvERGER (8), ne faut-il pas convenir qu'il est inutile de recourir à
des procédés spéciaux de limitation des gouvernants si des techni-
ques générales de limitation trouvent à s'appliquer? Au nombre de
celles-ci, l'on peut citer le bicaméralisme, les élections, le droit de
dissolution du roi, l'autonomie locale, toutes techniques de nature
à modérer l'exercice du pouvoir (9).

B. - Le contrôle des règlements


77. - La doctrine classique mettait presque exclusivement l'ac-
cent sur l'absence de contrôles de constitutionnalité à l'égard de
l'activité des Chambres législatives. Elle avait do ne tendance à
négliger l'ensemble des contrôles de constitutionnalité organisés à l'en-
contre des règlements.
Or, les cours et tribunaux, dans l'exercice de leur mission consti-
tutionnelle, vérifient la conformité des règlements des autorités
publiques à l'ensemble des règles de droit qui leur sont supérieures,
et notamment à la Constitution, dont les prescriptions de forme et
de fond régissent leur élaboration. Ils se reconnaissent compétents

(8) M. DUVERGER, op. cit., p. 218.


(9) Sur la discussion de cette thèse, voy. P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, op. cit, p. 243.
98 LA CONSTITUTION

pour en refuser l'application et pour refuser de prêter leur concours


à l'exécution d'un acte non conforme au droit (10).
Prérogative complémentaire et non autonome, a-t-on souligné :
l'article 159 de la Constitution qui en aménage l'exercice n'ouvre
pas un droit de recours qui aurait pour objet d'assurer, indépen-
damment d'un droit subjectif, le respect de la règle de droit, en par-
ticulier celui de la Constitution (11).
Le Conseil d'Etat, dans sa section d'administration, comme les
autres juridictions administratives, assure le même contrôle de
constitutionnalité et refuse l'application d'un règlement inconstitu-
tionnel. Mais, saisi par un recours objectif, le Conseil d'Etat a, en
outre, la possibilité d'annuler l'acte de l'autorité administrative qui
serait affecté de pareils vices de constitutionnalité : il <( statue par
voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes
soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détour-
nement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des
diverses autorités administratives ... )) (l. coord., art. 14, al. 1er,
modifié par la loi du 25 mai 1999).
Les autorités de tutelle, enfin, procèdent vis-à-vis des règlements
pris par les collectivités subordonnées aux contrôles qu'imposent
l'intérêt général et le respect de la légalité au sens large de l'expres-
sion (Coust., art. 162).

C. - Le contrôle des projets de loi,


de décret et d'ordonnance
78. - La doctrine classique mettait presque exclusivement l'ac-
cent sur l'absence de contrôles de constitutionnalité à l'encontre de
la loi, œuvre parfaite et définitive du chef de l'Etat et de la repré-
sentation nationale. Elle avait donc tendance à méconnaître l'im-

(10) Ce contrôle est pour partie tenu en échec lorsque la violation de la Constitution est le
fait d'une règle du niveau de la loi dont le règlement ne fait alors que procurer exécution.
(11) Dans la pratique, note Charles HuBERLANT, les cours et tribunaux ont surtout l'occasion
d'user du pouvoir que leur confère l'article 159 lorsqu'ils sont saisis de poursuites répressives,
d'actions civiles en responsabilité dirigées contre des personnes de droit public ou de recours
organises par des lois particulières contre des actes administratifs déterminés («Le contrôle des
actes administratifs par les cours et tribunaux en Belgique », Rapports belges au IX' Congrès
international de droit comparé, Bruxelles, 1974, p. 466).
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 99

portance de l'ensemble des contrôles de constitutionnalité organtses


pour vérifier la constitutionnalité des lois fédérales en préparation ( 12).
Or, ce contrôle existe. Il est primordial, au sens précis de l'expres-
sion. Il revient à la section de législation du Conseil d'Etat de
prendre position, avant toute autre institution ou juridiction, sur
les questions de constitutionnalité que l'élaboration de la loi fédé-
rale peut susciter (13).
Les avant-projets de loi - ordinaire ou spéciale - , hormis les
projets <c relatifs aux budgets, aux comptes, aux emprunts, aux opé-
rations domaniales et au contingent de l'armée>) (14), sont obligatoi-
rement déférés à l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat.
Celle-ci est la conseillère constitutionnelle obligée du gouvernement
fédéral. En règle générale, elle est amenée à vérifier notamment la
constitutionnalité ( 15) de ce que Ch. EISENMANN appelle les an té-
lois (16).
Certains avant-projets de loi, dite formelle, n'échappent pas au
contrôle de la section de législation du Conseil d'Etat. Il en va ainsi
des avant-projets qui procurent assentiment à des traités internatio-
naux ou à des accords de coopération.
L'effet d'incorporation dans l'ordre juridique interne des normes de droit
international, qui s'attache à la loi d'approbation du traité international (17),
permet d'expliquer pourquoi la section de législation du Conseil d'Etat a tou-
jours accepté de donner son avis ~ même limité à certains points en raison de
la spécificité de la norme de droit international ~ sur le contenu du traité sou-

(12) J. MASQUELIN et C. LAMBOTTE, «De la section de législation», Les Novelles, Droit admi-
nistratif, t. VI, «Le Conseil d'Etat» (sous la direction de M. SoMERHAUSEN et F.M. REM ION),
pp. 95 s.; P. DE VISSCHER et Y. LEJEUNE, «La prévention des conflits de compétence», A.P. T.,
1979-1980, p. 70; P. NIHOUL, <• La loi du 25 mai 1999 modifiant les lois sur le Conseil d'Etat •>,
J. T., 2000, p. 356.
(13) F. DELPÉRÉE, «La Constitution et le Conseil d'Etat en Belgique», E.D.C.E., 1995,
p. 173; J. VELAERS, De Grondwet en de Raad van State, Afdeling wetgeving, Antwerpen, Maklu,
1999.
(14) F. DELPÉRÉE et S. DEPRÉ, Le système connstitutionnel de la Belgique ... , n" 404.
( 15) La mission première du Conseil d'Etat réside dans le contrôle de la constitutionnalité des
textes qui lui sont soumis. Mais d'autres vérifications s'opèrent à cette occasion : la forme, la pro-
cédure, la langue, la concordance avec le droit existant ...
(16) Ch. EISENMANN, «Le contrôle juridictionnel des lois en France», in Actualité du contrôle
juridictionnel des lois ... , p. 84.
(17) Comme l'écrit F. DuMON (op. cit., p. 636), en se référant à Cass., 27 mai 1971 (Arr. Cass.,
1971, p. 959, concl. W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH),« de wet die een internationaal verdrag
goedkeurt beperkt zich ertoe uitwerking te verlenen aan de rechtsregels van het internationaal
verdrag en ze in het nationaal positief recht op te nemen. Dergelijke wet voert geen enkele recht-
norm in. De normen zijn neergelegd in het internationaal verdrag dat goedgekeurd werd ».
100 LA CONSTITUTION

mis à approbation. De même, il n'est pas douteux que c'est parce que les accords
de coopération entre l'Etat fédéral, les communautés et les régions prévus à l'ar-
ticle 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles sont
appelés, après avoir été approuvés, le cas échéant, par les pouvoirs législatifs
compétents, à s'intégrer à l'ordre juridique de l'Etat fédéral, de la communauté
et de la région qui les ont conclus, que le Conseil d'Etat, section de législation,
n'a jamais limité son examen aux seuls avant-projets de loi, de décret ou d'or-
donnance qui en portent l'approbation, mais l'a étendu aux accords eux-mêmes
(R. ANDERSEN et M. VAN DAMME, «La section de législation du Conseil d'Etat>),
in Conseil d'Etat. Liber memorialis1948-1998, Gent, Mys & Breesch, 1999, p. 90).
Une vérification particulière s'impose depuis 1971. Si le gouverne-
ment - fédéral, communautaire ou régional - invoque l'urgence
pour se dispenser de l'avis du Conseil d'Etat, cet avis est néanmoins
requis. Il porte alors sur le point de savoir si le projet de texte a
pour objet des matières qui relèvent, selon le cas, de la compétence
de l'Etat fédéral, de la communauté ou de la région (1. coord., art. 3,
§ 2).
S'il y a, de l'avis du Conseil d'État, excès de compétence, le pro-
jet est transmis à un comité de concertation composé de représen-
tants des gouvernements fédéral et fédérés. Si le comité partage
l'avis du Conseil d'Etat, il lui revient de demander au gouverne-
ment compétent de corriger ou d'amender son projet.
Une autre vérification s'impose depuis 1993. Le texte va-t-il être
déposé devant l'assemblée parlementaire ad hoc? Se présente-t-il
comme un texte de loi monocamérale ou bicamérale (18)? Les
régimes juridiques applicables à ces diverses lois fédérales sont pré-
vus aux articles 74, 77 et 78 de la Constitution. Il convient que l'au-
teur du projet identifie d'emblée la matière qui va faire l'objet
d'une intervention législative et choisisse en conséquence la procé-
dure pertinente. Comme l'a souligné l'assemblée générale du Conseil
d'Etat, le 10 octobre 1995, dans son avis L. 24.111/A.G., chaque
projet de loi fédérale doit désormais être muni d'<< une disposition
initiale ou finale)) qui indique <<quelle est, conformément à l'ar-

( 18) Les lois en projet se répartissent, en effet, selon leur objet en trois catégories. Même si
elles sont destinées à recevoir même valeur juridique, leur mode d'élaboration est distinct. Il y
a des lois monocamérales qui ne sont examinées que par la Chambre des représentants. Il y a
des lois bicamérales intégrales qui doivent faire l'objet d'un examen successif dans l'une et l'autre
Chambres, et sans que l'une ne soit en mesure d'imposer sa volonté à la seconde. Il y a, surtout,
des lois virtuellement bicamérales : elles sont examinées par la Chambre des représentants mais
ne sont transmises pour d'éventuels amendements au Sénat que si quinze sénateurs le réclament
dans un délai de quinze jours; les amendements déposés par le Sénat sont ensuite examinés par
les députés; ceux-ci adoptent ensuite, définitivement, et sans concertation avec les sénateurs, le
projet de loi en question.
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 101

ticle 83 de la Constitution, la procédure législative à suivre pour son


adoption >>.
Le Conseil d'Etat vérifie le bien-fondé de ces appréciations. En
l'espèce, il n'a pas non plus le droit du dernier mot, fût-ce au stade
de la consultation. Une <<commission parlementaire de concerta-
tion >> est organisée par l'article 82 de la Constitution.
Bien que le Conseil d'Etat ne soit pas le conseiller juridique des
parlementaires, ni des groupes politiques, ni même des assemblées
qu'ils composent, la section de législation peut encore être consultée
par le président de l'une des chambres législatives à l'occasion de la
discussion d'un projet de loi fédérale.
79. - En toute hypothèse, le Conseil d'Etat s'exprime dans la
forme d'un avis motivé. Cet avis ne lie ni les ministres, ni les
chambres législatives (19).
Si le Conseil d'Etat est d'avis, cependant, que le texte qui lui a
été soumis méconnaît le partage d'attributions entre l'Etat fédéral,
les communautés et les régions, le comité de concertation est réuni
aux fins de donner son avis sur le même sujet. Il peut demander au
gouvernement fédéral, communautaire ou régional concerné de
<< corriger l'avant-projet>> dont il est l'auteur ou de déposer devant
l'assemblée saisie << les amendements qu'il détermine >> (l. coord.,
art. 3, §§ 3 et 4).
80. - Un système similaire est établi au niveau des collectivités
fédérées, soit des communautés et régions ainsi que de la Commis-
sion communautaire française et de la Commission communautaire
commune.
Les avant-projets de décret ou d'ordonnance sont obligatoirement
déférés à la section de législation aux fins d'en apprécier notamment
la constitutionnalité. L'urgence est invoquée dans les mêmes condi-
tions qu'au niveau fédéral : le Conseil d'Etat vérifie si le texte qui
lui est, malgré tout, soumis reste dans les limites des attributions de
la communauté, de la région ou de la commission.

(19) Certains avis sont méconnus de manière désinvolte. Parfois même le gouvernement
entend manifester son mécontentement à l'égard de son conseiller juridique. Ille fait de manière
discrète ou plus spectaculaire. Il provoque, par exemple, la réunion d'une commission d'experts
pour obtenir un autre avis qui, faut-il s'en étonner 1, contredit en tous points celui du Conseil
d'Etat. Fort de ce second avis, l'auteur du projet répond alors dans l'exposé des motifs aux
objections soulevées par le Conseil d'Etat.
102 LA CONSTITUTION

D. - Le contrôle des propositions de loi,


de décret et d'ordonnance
81. - La section de législation du Conseil d'Etat peut aussi être
consultée par le président de l'une des deux chambres législatives à
l'occasion de la discussion d'une proposition de loi fédérale, d'un
amendement à un projet ou à une proposition de loi fédérale. Elle
peut l'être également par les ministres intéressés (l. coord., art. 4).
Si un tiers au moins des membres d'une chambre ou si la majorité
des membres d'un des groupes linguistiques le requiert, le président
de l'assemblée est tenu de consulter le Conseil d'Etat (l. coord.,
art. 2).
La section de législation peut encore être saiSie aux mêmes fins
par le président d'un parlement de communauté ou de région (20)
ou par les membres d'un gouvernement de communauté ou de
région (21), à l'occasion de la discussion d'une proposition de décret
ou d'ordonnance, d'un amendement à un projet ou à une proposi-
tion de décret ou d'ordonnance.

E. - Le contrôle des projets de règlement

82. - Les projets d'arrêtés réglementaires doivent, eux aussi,


être soumis au Conseil d'Etat. Ils le sont à l'initiative d'un ministre
fédéral, communautaire ou régional. Ils le sont aussi à la demande
d'un membre du collège de la Commission communautaire française
ou du collège réuni de la Commission communautaire commune de
la Région de Bruxelles-Capitale (l. coord., art. 3, § 1er).
Une analyse spécifique de constitutionnalité trouve place ici. Le
Conseil d'Etat vérifie si le règlement n'excède pas la portée des
habilitations - expresses ou implicites - que contient la loi fédé-
rale, le décret ou l'ordonnance. Il mesure la portée des délégations
qui ont été consenties (22).

(20) Le président du conseil est tenu de demander cet avis lorsqu'un tiers au moins des
membres en font la demande.
(21) La même solution vaut, depuis 1996, pour le président du collège de la Commission com-
munautaire française et pour celui du collège réuni de la Commission communautaire commune.
(22) M. LEROY, Les règlements et leurs juges, Bruxelles, Bruylant, 1987, p. 30; A. CELARD, Le
partage du pouvoir réglementaire de l'Etat, th. Lille, 1995, t. l'"', p. 40.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 103

§ 2. - Les perspectives d'un contrôle juridictionnel des lois

A. - Les évolutions constitutionnelles


83. - L'instauration, à partir du 24 décembre 1970, de certaines
formes d'organisation d'un Etat fédéral (23) conduit l'auteur de la
Constitution à observer que plusieurs normes en vigueur dans
l'ordre juridique belge ont une valeur identique, à savoir celle de la
loi. Il en déduit une conséquence précise. Le législateur fédéral doit
organiser une procédure destinée à prévenir et surtout à régler les
conflits qui peuvent surgir entre l'Etat fédéral, les communautés et
les régions dans l'exercice de leurs compétences normatives. Ces
conflits sont inéluctables. Il convient de les résoudre.
L'article 59bis, § 8 (ancien) de la Constitution est rédigé en ce
sens : << La loi .organise la procédure tendant à prévenir et à régler
les conflits entre la loi et le décret, ainsi qu'entre les décrets)).
La prévention des conflits est prise en charge par la section de
législation du Conseil d'Etat. Le règlement des conflits, lui, est
attribué par les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, à une section
des conflits de compétence qui est censée devoir être organisée au sein
de cette institution.
Les membres de la nouvelle section ne seront jamais désignés. L'institution
sera supprimée en 1983 avant d'avoir été mise en place (24).

Si l'on sait que la Constitution - et les lois spéciales qui la pro-


longent - contiennent les dispositions qui permettent d'assurer la
distribution des responsabilités entre l'Etat fédéral, les commu-
nautés et les régions, force est de constater que la Constitution envi-
sage, pour la première fois, d'organiser un réel contrôle de constitu-
tionnalité des lois et des décrets.
La Constitution introduit ainsi une brèche significative dans la
muraille qui était censée protéger la souveraineté de la loi.

B. - Les évolutions jurisprudentielles


84. - L'arrêt de la Cour de cassation du 27 mai 1971, rendu sur
les conclusions du procureur général W.J. GANSHOF VAN DER

(23) F. DELPÉRÉE, «La Belgique, Etat fédéral?», R.D.P., 1972, p. 607.


(24) Sur cette question, R. ANDERSEN, P. NIHOUJ, et S. DEPRÉ, <<La Cour d'arbitrage et le
Conseil d'Etat», in Regards croisés sur la Cour d'arbitrage (dir. F. DELPÉRÉE, A. RASSON-ROLAND
et M. VERDUSSEN), Bruxelles, Bruylant, 1995, pp. 144 à 146.
104 LA CONSTITUTION

MEERSCH, donne à la problématique du contrôle juridictionnel des


lois une autre perspective (25).
L'arrêt est clair dans ses formulations : << Lorsqu'un conflit existe
entre une norme de droit international conventionnel ayant des
effets directs dans l'ordre juridique interne et une norme de droit
interne >), en l'occurrence une loi, <<la règle établie par le traité doit
prévaloir>).
L'arrêt Le Ski est novateur à deux points de vue, au moins.
D'une part, il souligne, pour la première fois, la faillibilité du
législateur. La loi cesse d'être incontestée. Elle est contestable. Ce
n'est pas à dire que le juge doit intervenir dans l'œuvre de confec-
tion - positive ou négative - de la loi. Il ne l'annule pas. Mais il
se reconnaît le droit, et le devoir, de ne pas appliquer la loi s'il
advient qu'elle méconnaisse une norme de droit international ayant
des effets directs dans l'ordre interne. La primauté d'une telle
norme par rapport à la loi belge est affirmée. Au juge d'en tirer les
conséquences logiques dans l'examen des litiges dont il est saisi.
D'autre part, l'arrêt du 27 mai 1971 touche incidemment au
contrôle de la constitutionnalité de la loi. Le droit international est
fait d'un ensemble d'instruments dont les dispositions s'apparen-
tent, à bien des égards, à celles de la Constitution. La Convention
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
pour ne citer que cet exemple, protège des droits et des libertés qui
sont analogues à ceux que consacre le titre II de la Constitution. En
vérifiant la conformité d'une loi belge à une disposition de la
Convention, le juge ne procède-t-il pas, en droit comme en fait, à
un contrôle eu égard aux articles lO à 32 de la Constitution ?
A cet égard, l'arrêt est annonciateur de deux évolutions qui, à
terme, peuvent se révéler contradictoires.
Dans un sens, il invite à mieux organiser le contrôle juridictionnel
des lois. Dès l'instant où le dogme de l'infaillibilité du législateur est
ébranlé, il faut réfléchir aux procédures les plus adéquates pour ins-
taurer un tel contrôle - au sein ou en dehors du pouvoir judi-
ciaire - . Il faut notamment préciser les effets qui s'attachent aux
décisions d'inconstitutionnalité que le juge pourrait prononcer.

(25) Cass., 27 mai 1971, Etat belge c. S.A. Fromagerie Franco-Suisse Le Ski, J.T., 1971,
p. 460; J. SALMON,'' Le conflit entre le traité international et la loi interne en Belgique à la suite
de l'arrêt rendu Je 27 mai 1971 par la Cour de cassation>>, J.T., 1971, pp. 509 s.
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 105

Dans un autre sens, il tend à souligner l'inutilité d'un tel contrôle.


A quoi bon recourir à des procédures spécifiques de contrôle de
constitutionnalité dès lors que le juge belge est en mesure de trou-
ver dans le droit international les instruments juridiques qui lui per-
mettent d'asseoir des vérifications similaires ?
85. ~ Une seconde évolution jurisprudentielle est amorcée par
l'arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 1974 rendu, lui aussi, sur
les conclusions du procureur général W.J. GANSHOF VAN DER
MEERSCH (26).
S'autorisant à vérifier la conformité d'un arrêté de pouvoirs spé-
ciaux et celle de la loi de délégation à l'article 105 de la Constitu-
tion, la Cour admet implicitement le principe du contrôle par voie
incidente de la constitutionnalité des lois. Elle renonce à un com-
mentaire a contrario de l'article 159 de la Constitution pour en pro-
curer une interprétation a pari.
Le réexamen des questions que pose le contrôle de la conformité
de l'acte législatif à la Constitution qui se dessine ainsi se donne,
pour l'essentiel, deux justifications.
La première trouve sa source dans l'évolution du droit internatio-
nal public : l'affirmation en 1971 de sa prééminence sur le droit
interne va de pair avec l'obligation pour le juge de refuser l'applica-
tion de la règle de droit interne ~ y compris la loi belge ~ qui n'y
serait pas conforme.
La seconde trouve sa source dans l'évolution du droit constitution-
nel lui-même. L'apparition de nouvelles règles de droit résultant de
la création de collectivités politiques fédérées ou issues de la techni-
que de la législation déléguée transforment profondément << la pers-
pective élémentaire et périmée d'un schéma où n'apparaissent, en
dehors de quelques traités internationaux, que, d'une part, la loi
dans son sens étroit et, d'autre part, les arrêtés réglementaires tra-
ditionnels •> (27) ?

(26) Cass., 3 mai 1974, conclusions W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, J.T., 1974, pp. 564 S.,
note A. VANWELKENHUYZEN. Sur les évolutions ultérieure, voy. F. DELPÉRÉE, «La conformité de
la loi à la Constitution ••, R.C.J.B., 1977, p. 450.
(27) L'arrêt du 3 mai 1974 a, sur le moment, provoqué une vive réaction des milieux politi·
ques. Elle a pris la forme d'une proposition de loi - votée uniquement au Sénat - qui précisait
ni plus ni moins que «les cours et tribunaux ne sont pas juges de la constitutionnalité des lois
et des décrets». Elle entendait, sous couvert d'interprétation authentique de la règle constitu·
tionnelle, affirmer la prérogative du seul pouvoir législatif de vérifier la conformité de son œuvre
à la Constitution. Mais la constitutionnalité de la proposition laissait elle-même à désirer ... Ne
106 LA CONSTITUTION

En ce sens, l'arrêt du 3 mai 1974 répond, avec trois ans de recul,


aux interrogations suscitées en 1971. Selon la Cour de cassation, le
juge ordinaire est, au vœu de la Constitution, le juge de droit com-
mun de la constitutionnalité des lois. Mais l'auteur de la Constitu-
tion l'entend-il de cette oreille? Il ne tardera pas à faire connaître
ses préoccupations et ses décisions en la matière.

C. - Les évolutions doctrinales


86. - Durant la même période, une évolution doctrinale - que
l'on peut qualifier d'importante - se produit à l'initiative de
l'Ecole de droit public de Louvain. Celle-ci se prononce, dès 1971,
<(pour une juridiction constitutionnelle en Belgique)) (28). Prenant
acte de l'évolution des structures de l'Etat belge vers celles d'un
Etat fédéral, prenant conscience aussi des dangers que pourrait
receler l'absence de mécanismes de contrôle, nous suggérons, avec
P. DE VISSCHER, l'organisation d'un contrôle juridictionnel centra-
lisé de la constitutionnalité des lois et des décrets.
Cette proposition ne fera pas - sur le moment - l'unanimité.
Dans divers milieux - parlementaires, judiciaires, universi-
taires ... - , il est soutenu que des juges constitutionnels ne sauraient
se dresser contre la volonté de la représentation nationale, que, s'ils
devaient agir de la sorte, ils porteraient atteinte aux principes les
plus essentiels de la séparation des pouvoirs, qu'ils ne peuvent que
contrarier l'action d'autres institutions de justice - en Belgique ou
sur la scène internationale - .
Ces objections ne pèseront pas lourd au moment où l'instauration
d'un Etat fédéral fera prendre plus nettement conscience de l'uti-
lité - pour ne pas dire : de la nécessité - de créer une institution
de justice constitutionnelle qui puisse notamment contribuer à
résoudre les problèmes d'une correcte répartition des compétences
entre l'Etat fédéral, les communautés et les régions.

faut-il pas, en effet, réserver au pouvoir constituant la possibilité de donner une interprétation
d'autorité de la Constitution? Voy. F. DELPÉRÉE, "Au nom de la loi», J.T., 1975, p. 489.
(28) P. DE VISSCHER et F. DELPF.RF.E, op. cit., p. 241; adde : F. DELPÉRÉE et F. TULKENS,
« La création de la Cour d'arbitrage », in La Cour d'arbitrage. Actualité et perspectives, Bruxelles,
Bruylant, 1989, p. 15.
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 107

§ 3. - L'instauration du contrôle juridictionnel des lois

A. - La justice constitutionnelle
87. - Comme le veut l'article 142 de la Constitution (29), la jus-
tice constitutionnelle est rendue par la Cour d'arbitrage. Elle
détient cette fonction en monopole.
La Cour d'arbitrage naît au moment même où l'Etat belge se res-
tructure. Elle reçoit pour mission originelle de préserver les équi-
libres entre l'Etat fédéral, les communautés et les régions. Dès ses
premiers arrêts, elle contribue à mieux dessiner les contours du fédé-
ralisme belge. Au moment où le mouvement fédéraliste trouve de
nouvelles concrétisations - notamment à la faveur de la commu-
nautarisation de l'enseignement - , elle reçoit des attributions plus
étendues. Elle inscrit une part essentielle de son action dans une
perspective précise : donner corps aux principes constitutionnels qui
président au partage des pouvoirs et des moyens, assurer leur adap-
tation aux réalités politiques du moment, censurer les excès de pou-
voir constitutionnels. Elle prolonge cette action dans une perspec-
tive plus large : protéger les droits fondamentaux, prévenir les dis-
criminations, assurer en toutes choses l'égalité entre les Belges mais
aussi entre les étrangers.
Par son organisation comme par son action, la Cour d'arbitrage
transcende le clivage fédéral-fédéré. Elle n'agit pour le compte ni de
l'un, ni de l'autre. Elle a charge de faire respecter le pacte fédératif.
88. - La Cour se compose de douze juges qui sont nommés à vie
et dont le statut s'apparente, pour l'essentiel, à celui dont bénéfi-
cient les magistrats de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat.
C'est le roi qui les nomme (30).
Les pouvoirs du roi ne sont pas discrétionnaires. Un juge à la Cour d'arbitrage
est désigné sur une liste de deux noms qui aura été, au préalable, établie alterna-
tivement par la Chambre des représentants et par le Sénat. L'intervention de ces

(29) L'article 142 de la Constitution prévoit qu'« il y a, pour toute la Belgique, une Cour d'ar-
bitrage ... ». Cette disposition, insérée le 29 juillet 1980, a été modifiée le 15 juillet 1988. Une loi
ordinaire du 28 juin 1983, puis une loi spéciale du 6 janvier 1989 établissent la composition et
les attributions de la Cour. Sur l'ensemble de la question, voy. F. DELPÉR~:E et A. RASSON-
RoLANil, La Cour d'arbitrage, Bruxelles, Larcier, 1997; des mêmes auteurs, ''La Cour d'arbitrage
de Belgique», cité, p. 68.
(30) Voy. F. DELPÉRÉE, «Réflexions sur la justice constitutionnelle, au départ de l'expérience
belge>>, in La Cour suprême du Canada -- éd. G. BEAUDOIN - , 1986, p. 313.
108 LA CONSTITUTION

corps politiques a pour but de donner aux juges et, par là même, à la Cour une
légitimation démocratique. L'assemblée est amenée à se prononcer à la majorité
des deux tiers - les candidats doivent avoir la confiance de la majorité, mais
aussi celle de l'opposition; ils ont l'appui d'une communauté, mais ils doivent
aussi être acceptés par l'autre - .
La Cour d'arbitrage présente une particularité. Six des douze
juges sont d'expression française (et forment, à ce titre, le groupe
linguistique français de la Cour}; les six autres sont d'expression
néerlandaise (et composent le groupe linguistique néerlandais) (31).
Chaque groupe désigne un président.
La parité est l'un des principes essentiels d'organisation de la
Cour d'arbitrage. Comme on l'a souligné, elle ne peut être assimilée
à une disposition sur l'emploi des langues dans une institution de
justice. Elle ne doit pas donner à penser que la Cour siège en
chambres distinctes- francophones et flamandes- . Elle part, au
contraire, de l'idée éminemment fédérative que des juges relevant
de groupes linguistiques différents vont travailler ensemble dans de
mêmes formations et rendre la justice constitutionnelle en commun.
En même temps, elle entend apaiser les craintes de l'une et l'autre
des communautés les plus importantes. La Cour d'arbitrage est mise
à l'abri des critiques que pourrait lui valoir une composition désé-
quilibrée.
Dans chaque groupe linguistique, trois juges doivent avoir été
magistrat pendant cinq ans à la Cour de cassation ou au Conseil
d'Etat ou avoir enseigné, pour la même durée, le droit dans une uni-
versité belge : les trois autres doivent avoir appartenu, pendant
cinq ans, à la Chambre des représentants, au Sénat ou à un parle-
ment de communauté ou de région (art. 34, § 1er) (32).
La présence de six anciens parlementaires au sein d'une Cour de
douze juges n'a pas manqué de provoquer une réelle émotion. L'es-
prit de parti n'allait-il pas s'introduire dans le fonctionnement de la

(31) Le recours au principe de parité linguistique se comprend aisément. Il n'est pas sans sus-
citer des difficultés techniques : comment départager deux groupes qui, par hypothèse, reste-
raient antagonistes? Pour lever cet obstacle, il est prévu que la Cour siège, en principe, en forma-
tion de sept membres - ce qui devrait permettre, en toute circonstance, de dégager une majo-
rité - : trois juges d'expression française, trois d'expression néerlandaise et le président (1. sp.,
art. 55, § 1"') (n" 90). Pour éviter toute contestation, deux présidents sont institués. Ils appar-
tiennent à l'un et à l'autre groupe linguistique et sont choisis par les membres de ces groupes
(art. 33).
(32) Il va sans dire que la qualité de juge profite à l'ensemble de ceux qui sont nommés
membres de la Cour d'arbitrage. Il n'y a pas deux qualités de membres. Tous sont appelés à
rendre, de manière indépendante, la justice constitutionnelle.
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 109

juridiction et en altérer profondément la mission? La qualité de


juge tient moins aux conditions et aux modalités de recrutement
qu'aux tâches conférées. L'exercice de la fonction de juger peut
requérir qu'une part au moins des membres de l'institution puissent
témoigner d'une bonne connaissance du milieu et des activités dont
ils devront connaître. La Cour est appelée à juger l'œuvre des
chambres législatives et celles des parlements de communauté ou de
région. Est-il déraisonnable de faire appel, dans un cas sur deux, à
ceux qui, pour avoir siégé sur leurs bancs, en connaissent les
méthodes de travail et les préoccupations?

89. - La présidence de la Cour d'arbitrage est double. Composée


de douze juges, la Cour est pourvue de deux présidents. L'un est
choisi par le groupe linguistique français de la Cour, l'autre par le
groupe linguistique néerlandais. La présidence en exercice de la
Cour d'arbitrage est confiée, le premier septembre de chaque année,
à l'un puis à l'autre des présidents. Il s'agit d'un système d'alter-
nance.

90. - Comment se composent les formations de jugement?


La Cour d'arbitrage siège, en principe, en formation restreinte de
sept juges, à savoir les deux présidents de la Cour, trois juges appar-
tenant au groupe linguistique du président en exercice, les deux
autres relevant de l'autre groupe. La formation est composée d'un
nombre impair de membres. Il n'y a donc pas d'obstacle à préciser
que << toute décision est prise à la majorité des voix ~>.
Dans les cas prévus par la loi spéciale, ou sur décision de l'un des
deux présidents, la Cour d'arbitrage se réunit en audience plénière.
Elle est alors composée des douze juges à la Cour. Dans cette compo-
sition, la Cour ne peut statuer que si dix juges au moins sont pré-
sents. Il faut qu'il y ait autant de membres d'expression française
que d'expression néerlandaise. Si la parité linguistique n'est pas
satisfaite, l'un des membres du groupe majoritaire doit s'abstenir
pour chaque décision. Lorsque la Cour d'arbitrage siège en séance
plénière, le président en exercice dispose d'une voix prépondérante.
Il existe une chambre restreinte de trois juges. Elle est composée
du président et des deux rapporteurs (l. sp., art. 69). Ceux-ci appar-
tiennent à des groupes linguistiques distincts. << Si le recours en
annulation ou la question préjudicielle apparaît comme manifeste-
ment irrecevable ou ne relevant pas manifestement de la compé-
llO LA CONSTITUTION

tence de la Cour>> (art. 71, al. 1er), <<la chambre restreinte peut ...
décider, à l'unanimité des voix, de mettre fin à l'examen de l'affaire,
sans autre acte de procédure>> (art. 71, al. 3) (33).
91. - La Cour d'arbitrage est une Cour constitutionnelle spécia-
lisée. Elle connaît, aux termes mêmes de l'article 142 de la Constitu-
tion, de deux contentieux distincts.
Elle statue sur les << conflits >> entre lois, décrets et ordonnances,
soit sur les excès de pouvoir - plus exactement, les excès de compé-
tence - qui sont le fait du pouvoir législatif - au niveau fédéral,
communautaire ou régional-.
Elle se prononce également sur la violation par ces mêmes auto-
rités législatives des principes de l'égalité (Const., art. lü) (34) et de
la non-discrimination (art. 11), ainsi que des règles constitutionnelles
en matière d'enseignement (art. 24).
Dans le domaine particulier de l'enseignement et eu égard aux
principes et règles qu'énonce en la matière la Constitution, la Cour
d'arbitrage est investie d'une fonction spécifique qui l'amène à sor-
tir de ses tâches traditionnelles. Elle vérifie si la répartition des
compétences entre le pouvoir législatif - fédéral ou communau-
taire- et le pouvoir exécutif- de même provenance- est scrupu-
leusement respectée (C.A., no 9/90, 7 février 1990; no 33/92, 7 mai
1992; no 45/94, 1er juin 1994) (35).
A la faveur d'autres contrôles- et, dans ces cas, sans réelle habi-
litation constitutionnelle-, la Cour d'arbitrage peut également être
tentée de veiller au partage des responsabilités entre les autorités
législatives et gouvernementales- que ce soit au plan fédéral, com-
munautaire ou régional - (36).
92. - La Cour d'arbitrage ne statue pas d'office. Pour exercer
l'une ou l'autre de ses missions, elle doit être saisie. Selon l'ar-
ticle 142, alinéa 3, de la Constitution, <<la Cour peut être saisie par
toute autorité que la loi désigne, par toute personne justifiant d'un

(33) M. VERDUSSEN et D. DE BRUYN, ''La procédure préliminaire devant la Cour d'arbi-


trage>>, R.B.D.C., 1996, pp. 295-316.
(34) F. DELPF.RF:E, «L'égalité en droit public», E.D.C.E., 1996, p. 431; P. VANDERNOOT, «Le
principe d'égalité dans la jurisprudence de la Cour d'arbitrage», A. P. T., 1997, p. 91.
(35) F. DELPÉRÉE et A. RASSON-ROLAND, La Cour d'arbitrage ... , p. 97.
(36) A. RASSON-ROLAND, «Le recours des particuliers auprès de la Cour d'arbitrage», in La
saisine du juge constitutionnel (dir. F. DELPF.RF.E et P. FoucHER), Bruxelles, Bruylant, 1997,
p. 163; F. DELPÉRÉE, ''La justice constitutionnelle en Belgique et le recours des particuliers •>,
R.F.D.C., 1990, p. 676.
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION ll1

intérêt ou, à titre préjudiciel, par toute juridiction )). La loi spéciale
du 6 janvier 1989 précise, en ses articles 2 et suivants, la manière
d'introduire ces recours.
93. - Le premier recours est le recours en annulation (art. 9 à 18).
Il peut être introduit par une autorité publique. Selon l'article 142
de la Constitution, il y a lieu de compter, au nombre des requérants,
les autorités qu'une loi spéciale désigne. L'article 2 de la loi spéciale
du 6 janvier 1989 indique quels sont ces requérants privilégiés. Il
s'agit d'autorités exécutives - le conseil des ministres, le gouverne-
ment flamand, le gouvernement de la Communauté française, le
gouvernement de la Région wallonne, le gouvernement de la Com-
munauté germanophone, le gouvernement de la Région de
Bruxelles-Capitale, le collège réuni de la Commission communau-
taire commune et le collège de la Commission communautaire fran-
çaise - . Il s'agit aussi d'autorités parlementaires - à savoir les
neuf présidents d'assemblée législative (fédérale, communautaire ou
régionale), pour autant que deux tiers des membres de l'assemblée
le requièrent (37) - .
Le recours peut également être introduit à l'initiative d'un parti-
culier - personne physique ou morale - qui justifie d'un intérêt
pour agir (38).
Il s'agit d'un recours abstrait formé contre une règle de droit qui
est entrée en vigueur, sans que les requérant n'aient à faire état des
difficultés concrètes que la règle incriminée aurait pu susciter.
Il s'agit d'un recours direct qui vise à obtenir de la Cour l'annula-
tion en tout ou en partie d'une loi fédérale, d'un décret ou d'une
ordonnance, sans que les requérants n'aient à mettre en œuvre
d'autres procédures ou à saisir d'autres juridictions.

(37) H. SIMONART et D. RENDERS, «La Cour d'arbitrage et les Chambres législatives», in


Regards croisés sur la Cour d'arbitrage ... , p. 39 et V. BARTHOLOMÉE et B. RENAULD, «La Cour
d'arbitrage et les Conseils de communauté et de région», ibidem, p. 79.
(38) Le recours des particuliers devant le juge constitutionnel - dir. F. DELPÉRÉE - , Paris/
Bruxelles, Economica/Bruylant, 1991. Des craintes ont été exprimées. La Cour ne va-t-elle pas
être envahie par un ensemble de requêtes individuelles qui porteraient atteinte à l'efficacité de
ses interventions? Pour prévenir ces inconvénients et pour y remédier, des systèmes de filtrage
sont mis en place. Les recours introduits à la Cour d'arbitrage font l'objet d'un examen prélimi-
naire par une chambre restreinte (n" 90). Si celle-ci constate que le recours est manifestement
irrecevable ou que la Cour d'arbitrage est manifestement incompétente pour connaître du litige,
elle peut à l'unanimité rendre un arrêt qui clôt la procédure. Si dans une hypothèse un peu dis-
tincte, la chambre restreinte observe que le recours en annulation est manifestement non fondé,
elle transmet le dossier à la Cour qui peut, elle aussi, mettre fin, sans désemparer, au litige (l.
sp., art. 69 à 73).
112 LA CONSTITUTION

Il s'agit d'un recours rapide puisque le requérant n'est recevable


à agir que <( dans les six mois suivant la publication de la loi (fédé-

rale), du décret ou de l'ordonnance)) (art. 3, § Pr). Ce délai est


ramené à soixante jours si le recours porte sur une loi fédérale, un
décret ou une ordonnance d'assentiment à un traité (art. 3, § 2).
Un nouveau délai de six mois court à partir du moment où est
notifié un arrêt de la Cour d'arbitrage qui, en réponse à une ques-
tion préjudicielle, établit qu'une loi fédérale, un décret ou une
ordonnance a violé les règles constitutionnelles de répartition de
compétences ou les articles 10, 11 et 24 de la Constitution (art. 4,
2°). De même, un nouveau délai est ouvert pour demander l'annula-
tion d'une loi fédérale, d'un décret ou d'une ordonnance dès lors
qu'est intervenue l'annulation par la Cour d'une norme qui a le
même objet mais qui a été prise par un législateur distinct (art. 4,
1°et3°).
Il va sans dire que la Cour d'arbitrage est amenée à statuer tant
sur des conflits actuels, résultant d'une opposition entre deux règles
de droit de même niveau, que sur des conflits virtuels, résultant de
l'opposition entre la règle de droit constitutionnelle ou législative
attributive de compétences et une norme qui aurait dû lui être
conforme.
94. - Selon l'article 19 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, <( à
la demande de la partie requérante, la Cour peut, par une décision
motivée, suspendre en tout ou en partie, la loi, le décret ou (l'ordon-
nance) qui fait l'objet d'un recours en annulation)). Plusieurs condi-
tions sont requises pour la mise en œuvre de pareil recours (39).
La demande de suspension doit être introduite conjointement avec
le recours en annulation ou postérieurement à ce dernier. La
demande de suspension est subordonnée de la sorte au recours en
annulation. Elle ne peut être mise en œuvre de manière autonome.
La Cour vérifie ainsi, fût-ce au provisoire, la recevabilité du recours

(39) F. TuLKENS, «La procédure de suspension devant la Cour d'arbitrage (1989-1990) », J.T.,
1991, p. 305; L.-P. SuETENS, • De vordering tot schorsing voor het Arbitragehoh, in Présence du
droit public et des droits de l'homme ... , p. 385; J.-C. ScHOLSEM, • Les demandes de suspension
devant la Cour d'arbitrage», Act. dr., 1992, p. 1035.
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 113

en annulation (40). Il arrive aussi qu'elle rejette pour ce motif la


demande (41).
La demande de suspension doit répondre aux conditions de l'ar-
ticle 20, l o de la loi spéciale : des moyens sérieux doivent être invo-
qués; l'exécution immédiate de la loi fédérale, du décret ou de l'or-
donnance attaqué doit risquer de causer un préjudice grave difficile-
ment réparable. Ces deux conditions sont cumulatives. La constata-
tion que l'une d'elles n'est pas satisfaite entraîne le rejet de la
demande.
La Cour limite son contrôle à l'examen des dispositions à propos
desquelles la requête invoque un risque de préjudice grave et diffici-
lement réparable (42).
La suspension d'une norme est rarement décidée par la Cour.
Seuls quelques arrêts l'ont décrétée (43).
95. - La Cour d'arbitrage peut également être saisie par une
question préjudicielle (l. sp., art. 26 à 30).
Une juridiction saisit la Cour d'arbitrage (44). Elle agit ainsi
parce qu'elle estime que la réponse à la question qu'elle pose est
nécessaire pour rendre une décision et pour résoudre le litige dont
elle est saisie, parce qu'elle ne trouve pas non plus dans la jurispru-
dence de la Cour des arrêts qui auraient déjà statué sur le même
objet.
Il s'agit d'un recours concret qui est formulé au départ d'un litige
particulier qui est pendant devant un juge : en ce sens, <<la décision
de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage suspend la
procédure et les délais de procédure et de prescription >> jusqu'à
notification de l'arrêt de la Cour (art. 30).
Il s'agit d'un recours indirect. Sans doute est-ce une juridiction
qui saisit, sans intermédiaire, la Cour. La question préjudicielle
organise un débat de juge à juge (45). Ce sont pourtant les parties

(40) La Cour considère parfois que cet examen n'est pas nécessaire parce que la demande doit ·
être rejetée quant au fond (n" 81/92, du 23 décembre 1992).
(41) C.A., n" 14/90, 22 mars 1990; n" 27/90 et n" 28/90, 14 juillet 1990; n" 32/90, 24 octobre
1990; n" 6/91, 26 mars 1991; n" 29/91, 24 octobre 1991; n" 1/92, 9 janvier 1992 et n" 22/92,
19 mars 1992.
(42) C.A., n" 26/94, 22 mars 1994.
(43) C.A., n" 2, 5 avril 1985; n" 21/89, 13 juillet 1989; n" 20/92, 12 mars 1992; n" 60/92 du
8 octobre 1992 et n" 30/93, 1,., avril 1993.
(44) P. BoUCQUEY, <<Qui peut poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage>>,
R.B.D.C., 1997, p. 139.
(45) A. RASSON·ROLAND, «La question préjudicielle» ... , p. 37.
114 LA CONSTITUTION

au procès qui auront intérêt, spécialement pour se défendre, à allé-


guer de l'inconstitutionnalité d'une règle législative.
Les juridictions ne sont pas tenues de poser la question alléguée <• lorsque la
Cour a déjà statué sur une question ou un recours ayant le même objet; lors-
qu'elle estime que la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable
pour rendre sa décision; si la loi, le décret ou (l'ordonnance) ne viole manifeste-
ment pas une règle ou un article de la Constitution» soumis au contrôle de la
Cour d'arbitrage (art. 26, § 2, al. 3, 1", 2" et 3") (46).

Il s'agit encore d'un recours incident. Une conséquence en résulte.


Il n'est fixé à son exercice aucune limite dans le temps. A l'occasion
d'un litige qui survient plusieurs années après la publication de la
loi fédérale, du décret ou de l'ordonnance, un conflit surgit et un
problème de constitutionnalité se révèle. Ni la section de législation
du Conseil d'Etat ne l'a aperçu (ou bien elle n'a pas été suivie dans
ses avis), ni les assemblées délibérantes qui ont adopté le texte incri-
miné sans discussion, ni les gouvernements fédéral, communautaires
ou régionaux qui n'ont pas cru opportun d'introduire un recours en
annulation. Nul particulier ne s'est manifesté en temps utile. En
réalité, c'est la pratique qui révèle le conflit.
La question préjudicielle consiste en une question de validité (47).
Il s'agit de vérifier si une règle juridique viole ou non une règle qui
lui est supérieure. La Cour d'arbitrage ne peut être saisie d'une
demande d'interprétation, comme peut l'être pourtant la Cour de
justice des Communautés européennes.
96. - La loi spéciale du 6 janvier 1989 (art. 26, § 2) soumet la
Cour de cassation et le Conseil d'Etat à des règles de saisine plus
contraignantes (48). Ces hautes juridictions sont, en toutes circons-
tances, tenues de saisir la Cour d'arbitrage d'une question préjudi-
cielle.
Une seule dispense leur est applicable. Elles ne sont pas obligées
de déférer une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage lorsque
l'action qui vise à les saisir est irrecevable pour des motifs de procé-

(46) Sur la critique de ce régime et sur les solutions proposées, voy. F. DELPÉRÉE et A. RAs-
soN-ROJ,AND, op. cit., n" 35 s. Adde : R. ANDERSEN, P. NIHOUL et S. DEPRÉ, «La Cour d'arbi-
trage et le Conseil d'Etat» ... , p. 163.
(47) A. RASSON-ROLAND, <<La question préjudicielle» ... , p. 37; M. VERDUSSEN, «Les atouts
et les limites du renvoi préjudiciel à la Cour d'arbitrage», in La saisine du juge constitutionnel
p. 175.
(48) Ce régime distinct n'existait pas sous l'empire de la loi du 28 juin 1983.
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 115

dure tirés de normes ne faisant pas elles-mêmes l'objet de la


demande de question préjudicielle.
Pour le surplus, il ne revient ni à la Cour de cassation, ni au
Conseil d'Etat d'apprécier le caractère pertinent ou le caractère
véritable de la question préjudicielle. Leur appartient-il d'en vérifier
le caractère utile? Même pas. La Cour de cassation et le Conseil
d'Etat sont contraints de poser une question préjudicielle alors
même que la Cour y a répondu dans des arrêts antérieurs (49).
Autrement dit, la Cour de cassation .et le Conseil d'Etat - dont
les décisions ne sont pas susceptibles de recours - sont contraintes,
lorsqu'une question préjudicielle est soulevée par une partie, de ren-
voyer cette question à la Cour d'arbitrage, alors même qu'elles esti-
meraient que la réponse à la question préjudicielle n'est pas indis-
pensable pour rendre leur décision (50).
97. - Quelle que soit la manière dont elle a été saisie, la Cour
d'arbitrage statue par voie d'arrêt.
Si le recours en annulation est recevable et si les moyens invoqués
sont fondés, la Cour annule la loi fédérale, le décret ou l'ordonnance
incrimme, c'est-à-dire le fait disparaître de l'ordre juridique
concerné (51).
Si la Cour est saisie d'une question préjudicielle, elle y répond
dans un arrêt ou elle se prononce sur la validité de la règle au
regard des dispositions constitutionnelles attributives de compé-
tences ou au regard des articles 10, 11 et 24 de la Constitution. La
juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toute autre
juridiction qui serait confrontée au même problème (52) doit se
conformer à la solution de droit qui a été procurée. En clair, elle
applique le texte qui a été jugé conforme à la Constitution et
renonce à se fonder sur celui dont l'inconstitutionnalité a été
constaté par la Cour.
<<Après avoir fait l'objet d'une déclaration d'irrégularité par la Cour d'arbi-
trage au contentieux des questions préjudicielles, une disposition législative ou
décrétale ne peut plus être appliquée dans un autre litige sous prétexte qu'elle

(49) Pour un aperçu très complet de la jurisprudence du Conseil d'Etat quant au renvoi pré-
judiciel à la Cour d'arbitrage, voy. R. ANDERSEN, P. NIHOUL et S. DEPRÉ, op. cit., pp. 163-173.
(50) Voy., par ex., Cass., 5 février 1990, Pas., 1, p. 654.
(51) L'arrêt est revêtu d'une<< autorité absolue de chose jugée •>, à partir de sa publication au
Moniteur belge.
(52) L'arrêt est revêtu d'une autorité relative renforcée de chose jugée (F. DELPÉRÉE et
A. RASSON-ROLAND, Recueil d'études ... , p. 51).
116 LA CONSTITUTION

serait manifestement régulière. L'existence d'un tel arrêt prive, en effet, tout
juge quel qu'il soit, de la possibilité de considérer que la régularité de cette dis-
position ne constitue point une question véritable. Le juge n'est toutefois pas lié
par un tel arrêt. Il est simplement placé devant l'alternative suivante : soit il
se conforme à l'arrêt précédent, ce qui signifie concrètement qu'il refuse d'appli-
quer la disposition au litige dont il est saisi, soit il interroge à nouveau la Cour
d'arbitrage à propos de la régularité de cette disposition~ (H. SrMONART, La
Cour d'arbitrage. Une étape dans le contrôle de la constitutionnalité de la loi,
Bruxelles, Story Scientia, 1988, p. 257, cité par J. VAN CoMPERNOLLE et M. VER-
DUSSEN, << La guerre des juges aura-t-elle lieu 1 A propos de l'autorité des arrêts
préjudiciels de la Cour d'arbitrage>>, J.T., 2000, p. 303).

La Cour d'arbitrage peut modaliser quelques-unes des consé-


quences qui s'attachent à ses arrêts et atténuer, notamment, les
effets radicaux qui s'attachent à une annulation. Elle peut pronon-
cer une annulation totale. Elle peut aussi ne décider qu'une annula-
tion partielle de la règle contesté (art. 6, al. pr). Elle peut aussi, si
elle l'estime nécessaire, indiquer quels sont les effets de la règle
qui - malgré l'annulation - doivent être préservés et par consé-
quent, considérés comme définitifs ou qui, à tout le moins, doivent
être maintenus provisoirement pour une durée que la Cour déter-
mme (art. 6, al. 2) (53).

B. - La jurisprudence constitutionnelle
98. - La Cour d'arbitrage remplit ses fonctions depuis quinze
ans (54). Elle rend, chaque année, une centaine d'arrêts qui sont
rendus, pour moitié, sur recours en annulation, et pour l'autre moi-
tié sur question préjudicielle (55). Une jurisprudence étoffée voit le
jour (56).
Le juge constitutionnel exerce ainsi une fonction régulatrice. Il
ordonne l'activité des pouvoirs publics en assurant une meilleure
répartition des attributions entre l'Etat fédéral, les communautés et
les régions. Il concilie les droits et libertés qui reviennent à chacun
dans la société politique.

(53) E. KRINGS, «Propos sur les effets des arrêts rendus par la Cour d'arbitrage», J. T., 1985,
p. 580; M.-F. RwAux, <<L'effet rétroactif des arrêts d'annulation rendus par la Cour d'arbitrage
et les effets de la norme annulée», J.T., 1986, p. 589 et B. LoMBAERT, «Les techniques d'arrêt
de la Cour d'arbitrage>>, R.B.D.C., 1996, n" 3, p. 317.
(54) F. DELPÉRÉE, «Crise du juge et contentieux constitutionnel en droit belge>>, in La crise
du juge (éd. J. LENOBLE), Paris, L.G.D.J., 1990, p. 47.
(55) R. LEYSEN, B. PATY et A. RASSON-ROLAND, «Un cap est franchi : le millième arrêt de
la Cour d'arbitrage>>, R.B.D.C., 2000, p. 3.
(56) F. LEURQUIN-DE VISSCHER, «Principes généraux et principes fondamentaux dans la
jurisprudence de la Cour d'arbitrage>>, Ann. D. Lv., 1996, p. 275.
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 117

Il exerce aussi une fonction pacificatrice. Il règle un litige mais


n'entend pas raviver les passions. Il n'hésite pas, pour ce faire, à
utiliser les techniques éprouvées du contentieux constitutionnel.
Des interprétations conciliantes, conformes ou réservées contribuent
notamment à ne pas prononcer des annulations inutiles.
Le juge constitutionnel exerce encore la fonction prémonitoire. Il
prépare la confection de la loi. Il n'entend pas dégager une interpré-
tation qui s'imposera aux autorités publiques. Il les incite à faire
œuvre normative et à faire perdre - à terme - toute importance
à l'arrêt qui aura fait figure de précurseur.
Il peut, de manière plus audacieuse encore, exercer la fonction
correctrice. Il ne s'attache pas à réformer la loi fédérale, le décret ou
l'ordonnance qui est soumis à sa censure. Il ne se borne pas à prépa-
rer l'œuvre de révision constitutionnelle. Le juge amende ici la
Constitution elle-même. Il procède à ce que l'on appelle parfois une
révision silencieuse de la Constitution. Le procédé gagne à rester
exceptionnel. Le juge constitutionnel agit selon la Constitution. Il
en fait respecter les prescriptions. Il n'a pas pour tâche de les ré di-
ger.

C. - Les perspectives constitutionnelles

99. - La valeur d'une Constitution ne s'apprécie pas de façon


abstraite. Elle se mesure aussi à la souplesse, à la diversité et à l'ef-
ficacité des moyens qui en assurent le respect.
Comment ne pas observer, à cet égard, que la Constitution belge,
à travers ses évolutions les plus récentes, met simultanément en
œuvre des techniques et des procédures qui peuvent paraître d'ins-
piration contradictoire ?
Le droit belge connaît les contrôles préventifs. Ils ont pour eux
l'avantage de l'efficacité. La présence d'un barrage en amont
empêche un texte ou un projet de texte inconstitutionnel de péné-
trer dans le domaine des règles applicables. Ils présentent, par
contre, l'inconvénient d'interférer dans le processus d'élaboration
d'une règle de droit. Cette œuvre éminemment politique est norma-
lement de la .compétence d'un organe politique. D'où la tendance à
ne conférer aux organes du contrôle préventif qu'une fonction
consultative et à ne l'organiser de manière obligatoire que pour les
projets de texte d'origine gouvernementale. Mais la vertu du pro-
118 LA CONSTITUTION

cédé, si elle n'est pas négligeable, ne s'érode-t-elle pas dès que l'en-
semble des règles de droit ne sont pas assujetties à contrôle et que
le barrage ne fait pas définitivement obstacle à tout texte inconsti-
tutionnel?
Le droit belge n'ignore pas non plus les contrôles répressifs. Ils ont
pour eux l'avantage de l'impartialité. La présence d'un barrage en
aval vise à expulser de l'ordre juridique une règle qui y serait péné-
trée en fraude ou, tout au moins, à paralyser l'application de cette
règle de droit. Un débat plus juridique que politique permet, à la
lumière de l'expérience, une confrontation objective de la règle
incriminée avec la règle constitutionnelle. La tâche naturelle et quo-
tidienne du juge est de trancher pareils conflits - conflits de règles
dans le temps ou dans l'espace, ou contentieux de la légalité-; les
particularités de son statut comme les modalités de la procédure
qu'il a adoptée n'en font-ils pas l'arbitre naturel de pareilles diffi-
cultés?
Le droit belge connaît des contrôles par voie d'action. Ils ont pour
eux l'avantage de la simplicité. Avant même qu'un litige particulier
ne soit né, une procédure simple, directe et énergique permet de
déférer à censure un acte, d'obtenir son annulation ou, tout au
moins, son amendement. La simplicité de la procédure va de pair
avec l'unicité de l'organe qui est appelé à connaître du contentieux
constitutionnel. L'objectif poursuivi est de localiser cette forme de
contentieux, de lui apporter des limites dans le temps comme dans
l'espace, de le voir engendrer une jurisprudence uniforme, pour que,
selon l'expression de G. BuRDEAU (57), il n'y ait, dans l'Etat, à un
moment donné qu'une seule vérité constitutionnelle. La Cour d'ar-
bitrage pourvoit à cet office.
Le droit belge connaît aussi des contrôles par voie incidente. Ils
ont pour eux l'avantage de la discrétion. Intervenant à l'occasion
d'un litige en cours, ils ménagent la susceptibilité de l'auteur de la
règle contestée. La question de constitutionnalité est soulevée de
manière accidentelle; le contrôle est exercé sans ostentation; la
sanction se traduit au maximum par un refus d'appliquer en l'es-
pèce la règle inconstitutionnelle; la décision rendue est affectée de
la relativité de la chose jugée.

(57) G. BURDEAU. op. cit.. t. IV. p. 378.


LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 119

Le droit belge connaît des contrôles généralisés de constitutionna-


lité. Mis en œuvre par la section de législation du Conseil d'Etat, ils
visent à connaître - fût-ce au stade du projet - des malformations
des lois fédérales, des décrets, des ordonnances et même des règle-
ments généraux, communautaires et régionaux. Ils cherchent à pro-
téger tant les droits des particuliers que la répartition des attribu-
tions entre les autorités publiques.

Le droit belge n'ignore pas non plus les contrôles spécialisés. Mis
en œuvre par la Cour d'arbitrage, ils se limitent, à vérifier la consti-
tutionnalité des lois, décrets et ordonnances. Ils cherchent à préser-
ver les règles de compétence ratione materiae et ratione loci qui com-
mandent l'action des autorités publiques, ainsi que les droits et
libertés inscrits aux articles 10, 11 et 24 de la Constitution.

100. - On n'est pas sûr que ces préoccupations contradictoires


qu'exprime le droit positif puissent coexister.

Le mouvement amorcé par les révisions constitutionnelles de 1980


et de 1988 n'annonce-t-il pas d'autres évolutions? Elles pourraient
emprunter deux cheminements qui ne sont pas contradictoires.

D'une part, la création de la Cour d'arbitrage fait obstacle au


développement des contrôles diffus de constitutionnalité. Le choix
opéré en faveur d'un contrôle centralisé est clair. Il n'est pas oppor-
tun de faire marche arrière.

D'autre part, l'instauration d'une juridiction constitutionnelle


spécialisée invite peut-être à aller plus loin encore : ne convient-il
pas de mettre en place une juridiction à compétences générales?
Centralisant, limitant, réorganisant le contentieux constitutionnel,
l'articulant mieux avec les technique du contrôle préventif, ne
contribuerait-elle pas mieux à assurer la suprématie de la Constitu-
tion?

La Cour d'arbitrage porte déjà dans ses flancs la Cour constitu-


tionnelle de demain ...

Une révision de la Constitution (art. 32bis) et un projet de loi spéciale sont


actuellement en préparation. Ils visent à modifier, dans deux perspectives diffé-
rentes, les attributions de la Cour d'arbitrage.
120 LA CONSTITUTION

Ils tendent, d'une part, à accroître la compétence de la Cour. en l'habilitant


à connaître de tout recours pour violation des articles du titre II de la Constitu-
tion, auxquels auraient été entre-temps incorporés les dispositions inscrites dans
la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que de ses articles 172 et
191.
Les mêmes projets s'attachent, d'autre part, à restreindre la compétence de
la Cour lorsqu'elle est amenée à se prononcer, au contentieux des questions pré-
judicielles, sur la constitutionnalité de traités internationaux. S'il n'est pas
limité notamment dans le temps, un tel contrôle peut, en effet, compromettre
la << stabilité des relations internationales de la Belgique>> (M. MELCHIOR et L. DE
GREVE, << Protection constitutionnelle et protection internationale des droits de
l'homme; concurrence ou complémentarité», R. U.D.H., 1995, p. 217). L'inten-
tion est exprimée d'exclure le recours préjudiciel contre les lois, décrets et ordon-
nances qui procureraient assentiment à un traité constitutif de l'Union euro-
péenne, la Convention européenne des droits de l'homme ou l'un de ses proto-
coles additionnels.
Pour un commentaire des dispositions en projet, voy. Revue belge de droit
constitutionnel, 2000, no 2, avec des contributions de H. SIMONART, M. VERDUS-
SEN, G. DuFFY, C. HoREVOETS, E. WILLEMART et F. DELPÉRÉE, ainsi que
l'avis- fort critique- L. 29.994/VR, 25 avril 2000, de la section de législation
du Conseil d'Etat (ibidem).

BIBLIOGRAPHIE

Sur le principe de suprématie de la règle constitutionnelle, voyez :


Actualité du contrôle juridictionnel des lois, travaux des sixièmes journées juridiques
Jean Dabin, Bruxelles, Larcier, 1973 ; Annuaire européen de justice constitutionnelle,
Paris, Economica, depuis 1985; Cours constitutionnelles européennes et droits fonda-
mentaux (sous la direction de L. FAVOREU), préface A. TuNe, Paris, Economica,
1982 ; Le contrôle juridictionnel des lois. Légitimité, effectivité de développements récents
(sous la direction de L. FAVOREU et J.A. JoLOWICZ), Paris, Economica, 1986.

A propos de la Cour d'arbitrage, l'on consultera, en particulier :


A. ALEN, «D'une Cour d'arbitrage à une Cour constitutionnelle>>, R.B.D.C., 1999,
p. 37; La Cour d'arbitrage. Actualité et perspectives (dir. F. DELPÉRÉE), Bruxelles,
Bruylant, 1988 et la bibliographie citée; E. CEREXHE et M.-F. RIGAUX, La Cour d'ar-
bitrage, Diegem, Story-Scientia, 1998; F. DELPÉRÉE et A. RASSON-ROLAND, Recueil
d'études sur la Cour d'arbitrage 1980-1990, Bruxelles, Bruylant, 1991 ; F. DELPÉRÉE
et A. RASSON-ROLAND, La Cour d'arbitrage, Bruxelles, Larcier, 1996; F. DELPÉRÉE,
A. RASSON-ROLAND et M. VERDUSSEN, Regards croisés sur la Cour d'arbitrage,
Bruxelles, Bruylant, 1995; F. DELPÉRÉE et P. FoucHER (dir.), La saisine du juge
constitutionnel, Bruxelles, Bruylant, 1998; J. DELVA, <<Légitimité du juge constitu-
tionnel belge, rouage clé d'une démocratie en quête d'une nouvelle identité», in Pré-
sence du droit public et des droits de l'homme. Mélanges offerts à Jacques Velu,
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION 121

Bruxelles, Bruylant, 1992, t. 1"', p. 107; R. LEYSEN, B. PATY et A. RASSON-ROLAND,


<<Un cap est franchi : le millième arrêt de la Cour d'arbitrage>>, R.B.D.C., 2000, p. 3;
P. MARTENS, << La Cour d'arbitrage et le troisième millénaire», J. T., 2000, p. 4 ;
E. ÜRBAN, L. FAVOREU, E. KATZ, G. BEAUDOIN, M. BOTHE, F. DELPÉRÉE etH. RAs-
MUSSEN, Fédéralisme et Cours suprêmes. Federalism and Supreme courts, Bruxelles,
Bruylant, 1991; J. SAROT, P. VANDERNOOT etE. PEREMANS, La jurisP,rudence de la
Cour d'arbitrage, Bruxelles, Bruylant, 1990, et mises à jour 1991, 1992 et 1993;
J. SAROT, P. VANDERNOOT etE. PEREMANS, Dix ans de jurisprudence de la Cour d'ar-
bitrage (5 avril 1985-31 août 1995), Bruxelles, Bruylant, 1995 et la bibliographie
citée; H. SIMONART, La Cour d'arbitrage :une étape dans le contrôle de la constitution-
nalité de la loi, Bruxelles, Story-Scientia, 1989 ; J. VELAERS, Van Arbitragehof tot
grondwettelijk Hof, Anvers, Maklu, 1990; M. VERDUSSEN, <<La Cour d'arbitrage belge
et la Convention européenne des droits de l'homme», R.F.D.C., 1994, p. 433.
LIVRE II

Les citoyens
101. - Dans un deuxième livre, on analyse le statut du citoyen
au sein de l'Etat belge.
Pour ce faire, il faut indiquer qui, dans la population - de près
de dix millions d'habitants - , a la qualité de citoyen. Ce qui conduit
à s'interroger sur les principes et les conséquences de la distinction
entre Belges et étrangers.
Il faut ensuite s'interroger sur les droits du citoyen. Quel est le
principe et quelles sont les modalités de la participation des indivi-
dus à la gestion des affaires publiques- dans l'Etat fédéral, les col-
lectivités fédérées et les collectivités locales -?
La question essentielle des droits de l'homme mérite aussi d'être
examinée. Car le citoyen n'est pas seulement appelé à remplir des
fonctions politiques. Il peut trouver dans la société un terrain
approprié pour l'exercice de ses libertés. Ce qui n'est pas sans soule-
ver la question des garanties que la société politique peut offrir pour
assurer la protection et la promotion des droits de l'homme.
CHAPITRE PREMIER
LA QUALITÉ DE CITOYEN

102. - Quelques questions méritent d'être soulevées d'emblée.


Qui est belge et qui ne l'est pas? Comment devient-on belge et com-
ment cesse-t-on de l'être? La matière relève-t-elle de l'intervention
de l'Etat ou du libre choix des individus? Quelles conséquences
découlent de l'octroi de la nationalité belge ?
L'on étudie successivement le statut des Belges et celui des étran-
gers. Dans une société internationale et notamment européenne en
voie de rétrécissement, ces statuts tendent à se rapprocher.

SECTION re. -LES BELGES

103. - La Constitution consacre ses premiers développements


aux <( Belges )) et à (( leurs droits )). Comment mieux indiquer que les
hommes et les femmes qui peuplent la Belgique ne sont pas exté-
rieurs à l'Etat, qu'ils ne lui sont pas assujettis, qu'ils en font partie
intégrante? Que serait l'Etat sans les citoyens? Pour quoi et pour
qui exercerait-il ses activités? L'intérêt général est d'ordinaire pré-
senté comme la justification ultime de l'action de l'Etat. Il corres-
pond à l'intérêt de la généralité des personnes qui sont présentes sur
le territoire. L'Etat renvoie aux personnes comme les personnes ren-
voient à l'Etat.
Mais de quelles personnes l'Etat belge prend-il les intérêts en
charge? Quelles sont celles qui participent aux mécanismes de déci-
sion dans l'Etat? La Constitution les choisit. Elle désigne les natio-
naux et les citoyens. Elle précise aussi la place des nationaux
d'autres Etats, soit celle des étrangers, au sein de l'Etat belge.

104. - Le discours classique est simple. ((Pas de citoyenneté


sans nationalité)). Ou, plus exactement, pas de citoyenneté d'un
Etat sans nationalité de ce même Etat. Tels sont les postulats sur
lesquels se construit le droit public moderne. La Constitution porte
la marque de cet héritage.
126 LES CITOYENS

Elle énonce, dans son article 8, alinéa 2, que <<la Constitution et


les autres lois relatives aux droits politiques déterminent quelles
sont, outre cette qualité (celle de Belge), les conditions nécessaires
pour l'exercice ·de ces droits>>. Ce faisant, elle réserve à ses natio-
naux l'exercice des droits politiques et l'ôte du même coup aux
étrangers - quelle que soit leur nationalité - .
De manière plus spécifique, la Constitution souligne que << seuls
(les Belges) sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les
exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas parti-
culiers >>. Le propos est net. Seuls les Belges, encore une fois - à
l'exclusion de tous les étrangers-, peuvent avoir accès à un emploi
public en Belgique ( 1 ).
La nationalité apparaît d'emblée comme la condition première de
la citoyenneté. Je ne saurais revendiquer le moindre droit politique
dans un Etat dont je ne suis pas membre. Je ne saurais chercher à
participer à la vie de l'Etat belge et des collectivités politiques qu'il
intègre si, au départ, j'ai la qualité d'étranger (2). A fortiori, je ne
saurais, dans ces conditions, prétendre à la qualité de fonctionnaire,
de magistrat ou de militaire en Belgique.
Les textes semblent clairs. Nationalité et citoyenneté paraissent
vouées à aller de concert. Ou, plus exactement, sans nationalité, pas
de citoyenneté. L'inverse n'est pas vrai. La nationalité ne suffit pas
à conférer le bénéfice des droits politiques (3). D'autres conditions,
ne fût-ce que celle de l'âge, peuvent être prescrites à cet effet.
105. - Le schéma simple - qui sert à composer le couple natio-
nalité-citoyenneté - est en voie de s'estomper, de se brouiller et,
pour tout dire, de se complexifier. La reconnaissance d'une citoyen-

( 1) Sous des formulations diverses, les Constitutions des Etats européens contiennent des
prescriptions du même ordre. Sur ce sujet, F. DELPÉRÉE, Les droits politiques des étrangers, Paris,
P.U.F., 1994, p. 66.
(2) Alors que la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamen-
tales proclame, dans son article 10, la liberté d'expression pour tous, y compris en matière politi-
que, elle ne peut s'empêcher de préciser, dans son article 16, que des restrictions pourront être
apportées à « l'activité politique des étrangers », notamment lorsqu'elle implique leur participa-
tion au pouvoir de décision dans l'Etat. Sur l'interprétation stricte qu'il convient de donner à
cette expression, J. VELU et R. ERGEC, La Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles,
Bruylant, 1990, no 205.
(3) Les Belges ne participent pas également, ni en fait, ni en droit, au fonctionnement du sys-
tème politique. Ils ne sont pas tous associés de la même manière à l'exercice des droits politiques.
Ils ne bénéficient pas tous dans la même mesure des libertés publiques. La nationalité est une
condition nécessaire, mais jamais suffisante, de la qualité de citoyen.
LA QUALITÉ DE CITOYEN 127

neté dite européenne invite à nuancer les prémisses et les conclu-


sions du discours initial (n" 135).
Il n'empêche que la distinction entre Belges et étrangers garde
son importance. Elle détermine des statuts distincts pour les indivi-
dus au sein de l'Etat.
106. - La Constitution choisit les Belges, plus que les Belges ne
choisissent la Constitution. Elle les désigne. Elle précise les droits et
les libertés dont ils jouissent dans la société politique (4). Quoi de
plus normal ? Les nationaux sont les premiers interlocuteurs de
l'Etat et les principaux destinataires de son action ou de ses inter-
ventions.
En disant qui est belge, en précisant les critères de rattachement
des individus à l'Etat belge, la Constitution ne se borne pas à éta-
blir le recensement de ceux dont elle a la charge. Elle définit à leur
profit un véritable statut(§ p•). Les règles d'attribution (A) et d'ac-
quisition (B) de la nationalité belge prennent, dans ce contexte, leur
signification véritable. La loi fédérale précise également la situation
des Belges par mariage (C).
La qualité de Belge n'est pourtant pas acquise indéfiniment et
inconditionnellement à celui qui la possède. L'Etat belge, pas plus
que les autres Etats, ne saurait sceller, une fois pour toutes, le sta-
tut de ceux qui ont été considérés, un jour, comme ses nationaux.
Il reconnaît le droit de changer de nationalité. Il aménage le statut
de ceux qui perdent la nationalité belge.
Le statut des nationaux connaît des limitations (§ 2). Des condi-
tions sont mises au maintien de la nationalité belge (A). Des causes
d'exclusion (B) sont prévues. Des procédures de recouvrement de la
nationalité (C) sont aménagées au profit de ceux qui ont perdu la
qualité de Belge.
Le Code de la nationalité belge du 28 juin 1984, modifié notam-
ment par les lois du 13 juin 1991 et du 6 août 1993, contient l'essen-
tiel des règles applicables en la matière.

(4) Avant 1993, les personnes acquérant la nationalité par mariage on par naturalisation ordi-
naire ne bénéficiaient pas de tous les droits politiques qui étaient reconnus aux « Belges de nais-
sance '· Cette distinction est actuellement abolie.
128 LES CITOYENS

§1er. - La qualité de Belge


107. - En proclamant, dans son article 8, alinéa l er, que <<la
qualité de Belge s'acquiert, se conserve et se perd d'après les règles
déterminées par la loi civile >>, la Constitution ne se contente pas
d'établir une règle d'attribution de compétence, si importante soit-
elle, au profit du législateur fédéral. Elle bâtit aussi une doctrine de
la nationalité.
Elle affirme la prétention de la Constitution à se saisir des pro-
blèmes généraux de la nationalité. Elle entend dire qui est belge et
quels effets s'attachent à cette qualité - même s'il convient que la
loi fédérale précise, dans le concret, à quelles conditions, dans quels
délais et sous quelles formes une personne déterminée est ou peut
devenir belge-.
Elle consacre l'idée selon laquelle la nationalité ne procède pas de
quelque contrat entre un individu et un Etat mais résulte d'un sta-
tut que l'Etat élabore de manière exclusive et unilatérale. La natio-
nalité profite à ceux que l'Etat consent à considérer comme ses
nationaux (5).
Ce faisant, la Constitution refuse aux collectivités politiques par-
ticulières, et notamment aux composantes de l'Etat fédéral, la pos-
sibilité de fixer des règles de nationalité qui leur seraient spécifi-
ques. La nationalité est le statut qu'octroie la collectivité générale
et non celui que délivrent des collectivités particulières. Si des cri-
tères d'appartenance communautaire et régionale méritent d'être
précisés, il n'y a pas place - à ce niveau - pour des nationalités,
voire pour des sous-nationalités (comme l'on dit parfois, sans beau-
coup de précision).
<<Seuls les Etats souverains constituant des personnes juridiques de droit
international, c'est-à-dire reconnues par la communauté internationale, peuvent
conférer une nationalité>> (Ch.-L. CLOSSET, Traité de la nationalité en droit belge,
Bruxelles, Larcier, 1993, p. 6).

(5) Les règles relatives à la nationalité s'inspirent plus de l'intérêt de l'Etat que de l'intérêt
des personnes. Le but recherché est de faciliter l'intégration des étrangers au sein de la société.
Voy. B. RENAULD, ''La naturalisation est accordée par le pouvoir législatif fédéral», R.B.D.C.,
1997, p. 249.
LA QUALITÉ DE CITOYEN 129

La Constitution ne refuse pas à la société internationale organisée


de formuler des règles générales en matière de nationalité (6). Mais
elle peut les priver - dans la pratique - d'une réelle efficacité.
La multiplicité des statuts nationaux répondant à des préoccupa-
tions différentes, utilisant des techniques juridiques peu compa-
rables, ayant des répercussions sans commune mesure dans l'ordre
politique, économique et social, peut conduire à l'anarchie. Celle-ci
ne peut être corrigée que par des conventions bilatérales ou multila-
térales qui s'efforcent d'en gommer les effets les plus préjudiciables
(voy., par ex., la Convention de La Haye du 12 avril 1930 et ses
protocoles contenant certaines règles relatives à la nationalité et
concernant les obligations militaires en cas de double nationalité ou
d' apatridie) ou qui s'attachent à définir quelques principes très
généraux que les Etats s'engagent à respecter et à concrétiser dans
leur droit national (voy., par ex., le Pacte international du
12 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques, art. 24).
Dans l'état actuel de la société internationale, le droit internatio-
nal public reste, cependant, en défaut d'organiser un véritable sta-
tut de la nationalité.
La nationalité détermine le lien juridique qui unit de manière privilégiée une
personne physique à un Etat. Le droit international abandonne aux Etats le
pouvoir de déterminer les critères selon lesquels ils attribuent cette nationalité.
Telle est notamment la solution que retiennent les articles 1"' et 2 de la conven-
tion de La Haye du 12 avril 1930. Elle peut être tenue pour une expression de
la coutume internationale. Les traités européens se taisent, eux, sur le thème de
la nationalité. Ce principe est rappelé, à l'occasion des procédures de ratification
du traité de Maastricht.

La nationalité reste affaire de droit national - fédéral, si l'on pré-


fère - . De quelle manière le Code de la nationalité précise-t-il qui
a << la qualité de Belge >> ?

A. - L'attribution de la nationalité
108. - Selon l'article 1er du Code de la nationalité belge, l'ob-
tention de la nationalité s'appelle attribution lorsqu'elle n'est pas

(6) La société internationale peut aussi prendre des dispositions particulières en matière de
nationalité. A l'issue d'un conflit, elle précisera, par exemple, les conséquences d'un changement
de frontières sur la nationalité des habitants du territoire cédé. Le traité de Versailles précise
ainsi que les ressortissants allemands, établis au 20 septembre 1920 dans les territoires cédés à
la Belgique et qui justifient d'un établissement ininterrompu depuis une date antérieure au
1 ,., avril 1914, deviennent belges (art. 36).
130 LES CITOYENS

<< subordonnée à un acte volontaire de l'intéressé tendant à cette

obtention ~>. Elle s'oppose, en ce sens, à l'acquisition de la nationalité


qui postule un acte volontaire de la personne concernée.
109. - La filiation représente le mode classique d'attribution de
la nationalité. Le principe du ius sanguinis - paterni ou materni -
s'applique ici de manière manifeste. Tout enfant - né d'un père
belge, d'une mère belge ou de deux auteurs belges (7) - est belge, dès
le jour de sa naissance.
Ce principe vaut de manière absolue si l'enfant naît en Belgique
(art. 8, 1er, 1 °).
Il connaît, par contre, un tempérament important si l'enfant naît
à l'étranger (art. 8, 1er, 2°). Dans le souci de ne pas multiplier- via
la nationalité - des appartenances fictives à la société belge, le
législateur fédéral assortit la règle du ius sanguinis d'une exception.
La qualité de Belge n'est attribuée à l'enfant né à l'étranger que si
l'un de ses auteurs peut témoigner d'un attachement réel à la Bel-
gique.
Comment attester de cet attachement ? Deux hypothèses sont
envisagées. Dans un premier cas, l'auteur qui peut ouvrir le droit
à la nationalité belge est lui-même né en Belgique. L'on présume
qu'il y a vécu et qu'il y a reçu une part de son éducation. Peut-être
est-ce par hasard que l'enfant naît à l'étranger. Il n'y a pas lieu de
le priver de la nationalité belge.
Dans une seconde hypothèse, l'auteur qui peut ouvrir le droit à
la nationalité belge n'est pas né en Belgique. Son enfant non plus.
Il faut présumer que le cordon ombilical avec la nation d'origine a
pu être rompu. L'auteur peut néanmoins accomplir une démarche
avant que l'enfant n'ait atteint l'âge de cinq ans. Il réclame pour
celui-ci la nationalité belge par une déclaration qui témoigne juris
et de jure (8) de l'attachement exigé avec la Belgique (9). Elle lui est
attribuée sans autres conditions.

(7) Telle est l'innovation majeure. La transmission de la nationalité à l'enfant se fait égale-
ment par chacun de ses auteurs. En cas de mariage mixte, la solution retenue multiplie les cas
de bipatridie.
(8) M. VERWILGHEN, Code de la nationalité belge, 1985, n" 477.
(9) Doc. Pari., Chambre, sess. 1983-1984, 756, n" 1, pp. 19 et 20.
LA QUALITÉ DE CITOYEN 131

110. - Quelle qu'en soit la forme (10), la filiation apparaît


comme un critère personnel d'attribution de la nationalité. C'est un
critère nécessaire, mais pas suffisant puisqu'une naissance à l'étran-
ger - fût-ce d'un auteur belge - peut rompre, dans certaines
conditions, les liens d'attachement avec la Belgique.
A l'inverse, la naissance sur le territoire de la Belgique ne suffit
pas à constituer, au moins en règle générale, une condition d' attri-
bution de la nationalité. Néanmoins, le droit belge s'ouvre progres-
sivement à cette nouvelle préoccupation.
111. - Selon le Code de la nationalité (art. 10, al. 2), l'enfant
nouveau-né qui est trouvé (11) en Belgique est présumé né en Bel-
gique. Compte tenu de l'importance respective des populations
belge et étrangère, il faut supposer qu'il est né d'un père ou d'une
mère belge. Il est belge, le cas échéant jusqu'à preuve du contraire.
Il s'agit là d'une application indirecte des règles du ius soli. Dans
l'ignorance des liens exacts de filiation, la naissance de l'enfant en
un lieu quelconque du territoire belge conduit à se référer provisoi-
rement à d'hypothétiques auteurs belges.
112. - Dans trois hypothèses, moins exceptionnelles, il est fait
application plus systématique des règles du ius soli.
Dans une première hypothèse, un enfant naît en Belgique. Ses
auteurs sont tous deux étrangers. Mais, caractéristique essentielle,
l'un d'eux est lui-même né en Belgique. Au surplus, sur la période
de dix ans qui a précédé la naissance de l'enfant, il a eu sa résidence
principale dans une commune belge - et cela pendant cinq ans au
moins- (Code, art. 11, al. Pr). L'enfant- qui est, selon l'expres-
sion consacrée, un étranger de la troisième génération - se voit
attribuer la nationalité belge.
Deuxième hypothèse. Un enfant naît en Belgique. Il est, lui, de
la deuxième génération. Ses auteurs sont étrangers. Ni le père, ni la
mère ne sont nés en Belgique. Mais, avant que l'enfant n'atteigne
l'âge de douze ans, ils font une déclaration réclamant pour lui le
bénéfice de la nationalité belge. Celle-ci lui est attribuée pour autant

(lO) Le principe du jus sanguinis vaut quel que soit le mode de filiation entre !"enfant et son
auteur : les filiations légitime, naturelle et adoptive (quelle que soit d'ailleurs la forme d'ad op·
tion) (art. 9) bénéficient d'une régime identique.
(Il) Au sens que procurait à cette expression !"article 76 de la loi du 10 mars 1925 organique
de l'assistance publique.
132 LES CITOYENS

que les parents aient résidé en Belgique durant les dix années qui
précèdent la déclaration et que l'enfant y ait, pour sa part, résidé
depuis sa naissance (Code, art. llbis, §PT La déclaration est faite
devant l'officier de l'état civil de la résidence principale de l'enfant.
Elle est communiquée au parquet du tribunal de première instance
du ressort. Le procureur du Roi en accuse réception sans délai. Il
<< peut s'opposer à l'attribution de nationalité, dans les deux mois

suivant l'accusé de réception, si la déclaration vise un autre but que


l'intérêt de l'enfant à se voir attribuer la nationalité belge •>. Le tri-
bunal devra alors statuer sur cette opposition. Si le procureur du
Roi ne fait pas opposition ou s'il envoie une attestation de non-
opposition, la déclaration inscrite et mentionnée fait acquérir la
nationalité (art. llbis, §§ 3 et 4).
Une troisième hypothèse est envisagée. Un enfant naît en Bel-
gique et y réside depuis lors. Lui aussi est de la deuxième généra-
tion. Ses auteurs sont étrangers, ou ne sont pas eux-mêmes nés en
Belgique. Ils n'ont pas réclamé, pour leur enfant, le bénéfice de la
nationalité belge. Une fois majeur, cet enfant va chercher à obtenir
par lui-même la nationalité belge. Il peut tenter de l'obtenir dès
l'âge de dix-huit ans et avant celui de trente ans, en faisant une
déclaration devant l'officier de l'état civil du lieu où il a sa résidence
principale. Une copie de sa déclaration sera immédiatement commu-
niquée par l'officier de l'état civil au parquet du tribunal de pre-
mière instance du ressort. Le procureur du Roi pourra alors s' oppo-
ser à l'acquisition de la nationalité belge, dans les deux mois, en rai-
son de faits personnels graves. Si le procureur du Roi adresse une
attestation de non-opposition à l'officier de l'état civil, la déclara-
tion inscrite et dûment mentionnée sur le registre aux actes de nais-
sance fait acquérir la nationalité. Si le procureur reste en défaut
d'agir dans les deux mois, la déclaration est immédiatement inscrite
et mentionnée et fait ainsi acquérir la nationalité.

B. - L'acquisition de la nationalité
113. - A la différence de l'attribution, l'acquisition de nationa-
lité postule une démarche volontaire de l'étranger qui aspire à deve-
nir belge. Trois techniques sont envisageables. La Constitution pré-
voit une procédure particulière d'obtention de la nationalité - la
naturalisation - . Le code de la nationalité, lui, envisage l'option
LA QUALITÉ DE CITOYEN 133

comme procédure d'acquisition de la nationalité (12). Il recourt


aussi à une troisième technique - la déclaration - .
114. - La Constitution organise le statut des Belges par natura-
lisation. Elle précise notamment que celle-ci doit être attribuée par
le pouvoir législatif (Const., art. 9). Avec cette précision technique :
la loi fédérale qui intervient, en l'espèce, est de caractère monoca-
méral; elle est l'œuvre collective du roi et de la Chambre des repré-
sentants (Const., art. 74, 1°) (13).
La naturalisation fait l'objet d'une demande. Celle-ci est intro-
duite auprès de la Chambre des représentants. Elle l'est à l'initiative
de l'étranger qui n'est pas en mesure d'exercer le droit d'option et
qui ne possède donc pas de liens d'attachement précis avec la Bel-
gique (n° 115).
La demande n'est examinée que si l'étranger remplit un certain
nombre de conditions. Elles touchent à l'âge et à la résidence.
L'étranger qui demande la naturalisation doit avoir dix-huit ans
accomplis. Il doit aussi avoir fixé sa résidence principale en Bel-
gique pendant trois ans au moins - ce délai est réduit à deux ans
pour celui qui possède la qualité de réfugié ou d'apatride (art. 19) - .
Une enquête doit également permettre de vérifier si des <<faits per-
sonnels graves>> n'empêchent pas de donner suite à la demande de
l'étranger (CE, L. 30.021/2, 3 mars 2000).
La naturalisation peut être accordée à celui qui remplit ces condi-
tions. Conçue comme une faveur qui peut être octroyée par l'Etat,
elle fait l'objet d'une appréciation discrétionnaire de la part des
autorités publiques et ne saurait, à cet égard, faire l'objet d'une
contestation devant les tribunaux (14).

(12) Le Code de la nationalité prévoit une autre manière d'acquérir la nationalité. Il s'agit
de l'acquisition en raison de la possession d'état de Belge (art. 17). Ce mode d'acquisition consiste
en un droit d'option offert à toute personne dont la qualité de Belge est contestée alors que celle-
ci a joui de façon constante de la possession d'état de Belge pendant au moins dix ans (Rép. Not.,
Matières diverses, t. II, p. 127).
(13) B. RENAULD, op. cit., p. 249. Voy. égal. J.-C. B. MUBERUKA et B. CHAPAUX, «La natura-
lisation dans le droit belge de la nationalité», R.D.E., 1998, n° 97, p. 14.
(14) «La Cour d'arbitrage et les lois de naturalisation, note sous C.A., 24 juin 1998 », R.D.E.,
1998, p. 320.
134 LES CITOYENS

Lorsqu'elle est accordée, la naturalisation confère à celui qui l'ac-


quiert, voire aux membres de sa famille (art. 12) (15), une situation
juridique précise. L'étranger cesse de l'être. Il obtient la qualité de
Belge. Il jouit de tous les droits civils et politiques qui s'attachent
à la nationalité.
C'est dire, enfin, que la naturalisation fait l'objet d'une procédure
qui requiert l'intervention du pouvoir législatif fédéral. La demande
de naturalisation prend la forme d'une requête adressée au ministre
de la Justice. Instruite par le parquet, elle fait l'objet d'une loi de
naturalisation. L'intervention du législateur fédéral que prescrit
l'article 9 de la Constitution ne saurait évidemment être identifiée
à celle que prévoit son article 8 pour la détermination des règles sur
la nationalité. En l'occurrence, le pouvoir législatif fédéral ne fait
pas œuvre générale et impersonnelle, mais particulière et person-
nelle; il remplit une mission d'administration.
La naturalisation fait l'objet d'une publication par extrait au
Moniteur belge. Elle a effet à compter du jour de cette publication.
115. - Il faut également tenir compte des Belges par option. Ce
sont ceux qui, tirant parti des circonstances de leur naissance ou
d'attaches particulières avec la Belgique, ont acquis volontairement
la qualité de Belge. Ils sont nés en Belgique; ou bien ils justifient
d'un lien de filiation (biologique ou adoptive) avec une personne
ayant été ou étant belge; ou encore ils ont résidé en Belgique pen-
dant au moins un an avant l'âge de six ans.
Toutes circonstances de naissance, de famille, voire même de rési-
dence qui permettent de présumer des liens qu'une personne peut
avoir avec la Belgique et qui l'habilitent à utiliser l'option <<de
patrie >> que lui offre la loi fédérale.
D'autres garanties d'attachement à la Belgique sont requises :
l'âge (entre 18 et 22 ans), la résidence en Belgique (durant l'année
qui précède l'option et depuis l'âge de 14 ans jusqu'à l'âge de 18 ans
ou pendant neuf ans au moins) et un souci réel d'intégration. Le

(15) Seuls les enfants sur lesquels la personne qui obtient la naturalisation exerce l'autorité
et qui sont âgés de moins de 18 ans et non émancipés, se verront attribuer la nationalité belge.
Le conjoint et ses enfants de plus de dix-huit ans pourront acquérir la nationalité belge pour
autant qu'ils remplissent les conditions exigées respectivement par les articles 16 et 13 du Code.
LA QUALITÉ DE CITOYEN 135

loyalisme, la sincérité et le sérieux du candidat sont vérifiés à cette


occasion ( 16).
La loi belge ne fait plus du cumul de nationalités un obstacle à
l'acquisition de la nationalité. Elle précise les éléments que le tribu-
nal de première instance devra apprécier avant de donner son agré-
ment à l'option et ceux que le procureur du Roi devra recueillir lors
de l'enquête préalable. La volonté d'intégration de la personne qui
sollicite l'octroi de la nationalité belge est une notion nouvelle.
L'absence d'une telle volonté pourra être déduite de la persistance
des liens que l'intéressé conserve avec l'Etat d'origine. Le cumul de
nationalités ne peut, lui, être retenu à son encontre.
116. - Le Code de la nationalité permet à l'étranger qui est né
en Belgique, sans que l'un ou l'autre de ses auteurs n'y soit né, d'ac-
quérir la nationalité belge par déclaration (no 112).
Cette même procédure s'élargit à partir du 1er mai 2000. Alors
qu'il n'est pas né en Belgique, mais pour autant qu'il y ait résidé
pendant plus de sept ans, l'étranger peut, à l'âge de 18 ans, s'adres-
ser à l'officier de l'état civil de la commune de résidence et déclarer
<<vouloir acquérir la nationalité belge>> et se <<soumettre à la Consti-
tution, aux lois du peuple belge et à la Convention de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales>>. Cette procé-
dure simple permet à l'étranger d'acquérir le bénéfice de la nationa-
lité belge.

C. - Le mariage et la nationalité
117. - A la base, la naissance - soit d'un auteur belge, soit en
Belgique - sert à déterminer la nationalité d'une personne. A la
demande de l'intéressé, une décision unilatérale de l'autorité publi-
que - celle du pouvoir législatif fédéral - peut aussi contribuer à
l'obtention de la nationalité. Un acte juridique, telle mariage, peut-
il remplir le même office ?
La question est concrète. L'époux d'un ou d'une Belge le devient-
il de plein droit? Le Belge ou la Belge qui épouse un étranger perd-
il d'office sa nationalité d'origine ?

(16) La procédure d'option est décrite à l'article 15 du Code de la nationalité : elle comprend
une déclaration d'option, l'enquête du procureur du Roi, l'agréation par jugement du tribunal
de première instance, la transcription de la décision dans les registres de l'état civil.
------------------------------------------------------------------------~

136 LES CITOYENS

Le Code de la nationalité s'est longtemps préoccupé d'assurer


l'unité de nationalité au sein du couple et, de manière plus large, au
sein de la famille. Il précisait, pour ce faire, que le mariage était
sans incidence sur la nationalité du mari mais qu'il affectait, au
contraire, celle de la femme. La femme étrangère qui épousait un
Belge acquérait, de par son mariage, la nationalité belge. Les
enfants nés de ce mariage possédaient la même nationalité.
Le législateur se départit aujourd'hui de cette conception unifor-
misante. Il consacre le principe de l'égalité des époux au sein du
couple. Désormais, <<le mariage n'exerce de plein droit aucun effet
sur la nationalité>> -- ni sur celle du mari, ni sur celle de la femme,
ni non plus sur celle des enfants issus de leur mariage -- (art. 16,
§ pr).
Seul tempérament à cette règle d'indépendance réciproque.
L'époux étranger a la possibilité d'acquérir la nationalité belge
selon une procédure simplifiée. Après six mois de vie commune --
dans le mariage ( 17) --, il peut acquérir la qualité de Belge. Il fera
à cette fin une déclaration qui sera examinée et agréée selon la pro-
cédure de l'option. La nationalité belge est acquise à la date de la
transcription de la décision définitive d'agrément.

§ 2. -- Les limitations

A. -- Les conditions
118. -- La qualité de Belge n'est pas acquise indéfiniment à
celui qui possède cette nationalité. Le citoyen n'est pas attaché
pour toujours à l'Etat qui lui a conféré cette qualité. Il peut chan-
ger de nationalité. Il peut aussi renoncer à la nationalité belge.

119. - Le changement de nationalité résulte de l'acquisition


volontaire d'une nationalité étrangère. De la même manière que
l'étranger peut acquérir la nationalité belge, le citoyen belge peut,
s'il est âgé de 18 ans, souhaiter obtenir une nationalité étrangère
par option ou par naturalisation, par exemple, et selon les modalités

( 17) Les époux doivent avoir résidé ensemble en Belgique pendant six mois au moins. Le
législateur exige en outre que la vie commune dans le Royaume perdure tout au long de la procé-
dure. La vie commune à l'étranger peut être assimilée à la vie commune en Belgique, mais c'est
à condition que le déclarant prouve qu'il a acquis des liens véritables avec la Belgique (art. 16).
LA QUALITÉ DE CITOYEN 137

que la loi de cet Etat détermine. Dans ce cas, il perd la nationalité


belge.
Le Code n'organise pas une sorte de sanction pour cause d'ingra-
titude. Il se soucie de prémunir l'individu contre les effets d'un
cumul de nationalités, de le protéger aussi contre les risques d'une
forme d'apatridie. De là, la condition mise par la loi belge à l'acqui-
sition volontaire d'une nationalité étrangère : vis-à-vis de l'Etat
étranger, l'intéressé doit pouvoir acquérir une nationalité pleine et
entière.
La règle est aussi justifiée par la préoccupation de conserver à la
cellule familiale une unité de nationalité. Ainsi, l'enfant de moins de
18 ans et non émancipé perd la nationalité belge, s'il est soumis à
l'autorité d'un auteur ou adoptant qui acquiert une nationalité
étrangère.
L'enfant de moins de 18 ans et non émancipé qui est soumis à
l'autorité de ses deux auteurs ou adoptants ne perdra toutefois la
qualité de Belge qu'à la condition que ses deux auteurs ou adop-
tants perdent leur nationalité belge et pour autant qu'il acquière la
nationalité étrangère d'un de ses auteurs ou adoptants ou qu'il pos-
sède cette nationalité (art. 22, § 1er, 3", 4" et 6").
120. - La renonciation à la nationalité fait l'objet de l'article 22,
§ 1er, 2" du Code de la nationalité.
Le Belge qui possède déjà une autre nationalité peut, dès l'âge de
18 ans, renoncer pour l'avenir à la nationalité belge. Cette faculté
est assortie de conditions. Le souci est d'éviter les risques d'apatri-
die. Une déclaration de renonciation est faite devant l'officier de
l'état civil du lieu de la résidence principale du déclarant ou devant
la personne qui tient lieu d'officier de l'état civil à l'étranger.
A l'égard des enfants âgés de moins de 18 ans et non émancipés,
la renonciation provoque des effets identiques à ceux qu'entraîne
pour eux l'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère.

B. - La destitution
121. - L'article 23 du Code de la nationalité organise une pro-
cédure de destitution. Les Belges qui ne possèdent pas cette qualité
de naissance - l'expression désigne tous ceux qui n'ont pas acquis
la nationalité belge dès le jour de leur naissance - peuvent être
poursuivis <<s'ils manquent gravement à leurs devoirs de citoyen>>.
138 LES CITOYENS

La cour d'appel est appelée à statuer par v me d'arrêt, comme en


matière criminelle, et à prononcer éventuellement la déchéance de
nationalité (18). Une telle déchéance n'a heureusement aucun effet
sur le conjoint et les enfants de l'intéressé (19).
Ce régime général de destitution est complété par des dispositions exception-
nelles dont le principe comme les modalités suscitent des objections d'ordre juri-
dique.
Ainsi l'arrêté-loi du 20 juin 1945 vise les seuls citoyens belges qui étaient
domiciliés dans les territoires annexés par l'Allemagne ou soumis au régime
administratif allemand. Ont-ils dirigé des organismes politiques créés par l'en-
nemi ou s'en sont-ils fait les propagandistes actifs? De plein droit, ils sont, de
même que leur femme et leurs enfants, déchus de la nationalité belge. C'est sous
réserve du recours qu'ils peuvent introduire dans les trois mois de la mesure qui
les frappe. C'est sans préjudice aussi d'une réintégration dans la nationalité
belge pour celui qui, depuis la déchéance, aurait témoigné d'une << conduite irré-
prochable au point de vue national » (loi du 30 mars 1962, art. 1.,, § 1e').
La loi du 30 décembre 1953 règle, pour sa part, la situation des Belges qui ont
été condamnés par défaut pour des infractions contre la sûreté de l'Etat qu'ils
auraient commises durant le temps de guerre. Se sont-ils abstenus de faire oppo-
sition contre pareille condamnation qui reste inexécutée sur leur personne ? De
plein droit, ils sont, dès l'expiration du délai d'opposition, déchus de la nationa-
lité belge. Ils peuvent évidemment se mettre à la disposition de la justice ou être
appréhendés pour subir leur peine; ils sont alors relevés de la déchéance qui les
a frappés, pourvu que ces événements se produisent dans un délai de vingt ans
à compter de la décision judiciaire (le délai est porté à trente ans s'il s'agit d'une
condamnation à mort).

La coexistence d'un régime général et de régimes particuliers est


peu satisfaisante. Le sort particulier fait à certaines catégories de
Belges parait discriminatoire. L'absence de véritables garanties juri-
dictionnelles qui puissent intervenir avant toute mesure de destitu-
tion est préoccupante. Mais surtout l'organisation d'un système de
déchéance de nationalité est-elle appropriée à la poursuite du but
recherché : réprimer l'indignité et l'incivisme 1 Est-il concevable que
l'Etat crée volontairement et d'autorité une situation d' apatridie et
y place, non seulement celui qui a manqué à ses devoirs de citoyen,
mais aussi, dans certains cas, les membres de sa famille 1 Les lois de
nationalité peuvent-elles être conçues comme des lois de châtiment 1

(18) La personne déchue de la nationalité ne pourra redevenir belge que par naturalisation
(art. 23, § 9 du Code).
( 19) Il reste néanmoins possible à ces derniers de renoncer à la nationalité belge (art. 22, § 1,.,,
2" du Code).
LA QUALITÉ DE CITOYEN 139

C. -Le recouvrement
122. - Certaines personnes ont, pour divers motifs, perdu la
qualité de Belge. Cette perte n'est pas irréversible. Le Belge de nais-
sance âgé d'au moins 18 ans, qui a perdu cette nationalité autre-
ment que par déchéance (20), peut recouvrer cette qualité.
Ille fera en suivant la procédure d'option (art. 15 du Code de la
nationalité). C'est à condition toutefois que la perte de la nationa-
lité belge n'ait pas procédé d'une renonciation et que la preuve soit
apportée que, durant l'année précédant le début de la procédure, la
résidence principale de l'étranger était établie en Belgique.
Si l'une des deux conditions n'est point remplie, la procédure est
renforcée. En plus des contrôles classiques à opérer dans le cadre de
la procédure ordinaire, le tribunal apprécie souverainement << les cir-
constances dans lesquelles le déclarant a perdu la nationalité belge
et les raisons pour lesquelles il veut la recouvrer •> (art. 24).

SECTION II. - LES ÉTRANGERS

123. - La Constitution, fidèle en cela au texte et à l'esprit de


la loi fondamentale du Royaume des Pays-Bas, n'a pas ignoré les
étrangers.
Se démarquant de Constitutions plus récentes et plus nationa-
listes, la Constitution n'a pu s'empêcher de constater l'état de divi-
sion de la communauté internationale et le phénomène de multipli-
cité des nationalités qui en résultait. Mais elle a fait plus. Soucieuse
d'assurer la coexistence au sein de l'Etat de personnes qui se trou-
vent dans des situations juridiques différentes - les unes sont les
nationaux de l'Etat, les autres possèdent la nationalité d'un autre
Etat (ou ne possèdent, tels les apatrides, la nationalité d'aucun
Etat) et sont donc étrangères - , elle a été conduite à énoncer les
principes d'un véritable statut de l'étranger en Belgique.
Non que la Constitution ait organisé un véritable droit à l'hospi-
talité. Elle permet, au contraire, d'établir des règles contraignantes
en ce qui concerne l'entrée des étrangers, leur séjour ou leur établis-

(20) Celui qui a perdu la nationalité belge par déchéance peut néanmoins !"acquérir à nouveau
par la naturalisation.
140 LES CITOYENS

se ment en Belgique. Les terres d'accueil se définissent rarement


dans les textes juridiques. Elles se reconnaissent plutôt aux tradi-
tions d'hospitalité d'un peuple et aux modes de comportement de
ses autorités politiques et administratives, spécialement en matière
d'asile.
La Constitution procède autrement. Elle pose les fondements
d'un statut de l'étranger(§ 1er) en octroyant à ce dernier le bénéfice
de <<la protection accordée aux personnes et aux biens>> (art. 191),
soit celui des libertés publiques (A) et des libertés économiques et
sociales (B). Elle permet aussi de prévoir des protections particu-
lières (C) au profit de certaines catégories d'étrangers.
En même temps, elle introduit des limitations à pareil statut
(§ 2). Celui-ci ne profite qu'à l'étranger qui se trouve sur le territoire
de la Belgique (A). Il peut être assorti d'exceptions établies par la
loi (B). Il ne touche pas les droits que la Constitution réserve aux
citoyens (C).

§ 1er. - Le statut des étrangers

A. - Les libertés publiques


124. - La Constitution pose en principe que l'étranger qui se
trouve sur le territoire de la Belgique jouit d'une protection égale
à celle des Belges (art. 191).
Cette protection s'étend à <<sa personne et à ses biens>>. Qu'est-ce
à dire? Sinon que l'ensemble des garanties que la Constitution énu-
mère au profit << des Belges >>, sous la forme d'une proclamation des
droits et libertés, sont acquises de plein droit à l'étranger (21). Il
s'agit des droits et libertés inscrits au titre II de la Constitution.
Le droit international conventionnel conforte cette vision dans la
mesure où les Etats signataires de la Convention de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaissent le

(21) Voy. P. BoucQUEY, ''La Cour d'arbitrage et la protection des droits fondamentaux de
l'étranger>>, Ann. Dr. Lv., 1996, p. 291; R. ERGEC, Introduction au droit public, t. II, Les libertés
publiques, Bruxelles, Story-Scientia, 1995, p. 40; D. RENDERS, «La Cour d'arbitrage et l'ar-
ticle 191 de la Constitution'· obs. sous C.A., 14 juillet 1994, arrêt no 61/94, J.L.M.B., 1995,
p. 1414. On ne saurait tirer argument de l'intitulé quelque peu restrictif du titre II de la Consti-
tution ''Des Belges et de leurs droits» - ou de la formulation de quelques-uns de ses articles
(voy. art. 26 et 27) - pour refuser à l'étranger le bénéfice d'une quelconque des libertés qu'il
consacre. En particulier, l'exercice des libertés d'opinion, de réunion et de rassemblement ne sau-
rait être refusé, au nom de la Constitution, à l'étranger.
LA QUALITÉ DE CITOYEN 141

bénéfice des droits qu'elle définit << à toute personne relevant de leur
juridiction)) (art. 1er); l'expression renvoie aux nationaux, mais
aussi aux étrangers soumis à l'autorité de ces Etats. Ils s'engagent
également à assurer la jouissance des droits et libertés reconnus
dans la Convention << sans distinction aucune)) (art. 14); en particu-
lier, <<l'origine nationale)) (id.) ne saurait fonder une différence de
régime.

125. - L'égale protection que consacrent la Constitution et la


Convention s'étend à <<la personne)) et <<aux biens)) de l'étranger.
- Protection de la personne. - C'est la vie individuelle et fami-
liale, la liberté, la sûreté qui sont garanties; ce sont les libertés de
conviction, d'expression, d'enseignement, de réunion, d'association
qui sont reconnues.
Qu'en est-il de la liberté de l'étranger en matière politique? Mis
à part un devoir de discrétion qui peut sembler s'imposer dans le
domaine de la politique de l'Etat d'origine- pour éviter les compli-
cations diplomatiques - et dans le domaine de la politique de
l'Etat d'accueil- par courtoisie pour celui-ci-, l'étranger dispose-
t-il de la même liberté que le citoyen belge?
On l'a contesté, mais à tort. Si la Convention européenne permet
<< d'imposer des restrictions à l'activité politique des étrangers ))
(art. 16), elle ne vise que l'exercice des droits-fonctions que consti-
tuent l'électorat ou l'éligibilité, et non l'usage des libertés consacrées
au titre II de la Constitution.
Une seule réserve est à formuler. L'étranger qui use de cette
liberté le fait à ses risques et périls. Et le péril peut, en l'espèce, être
plus grand que pour le citoyen : l'activité politique de l'étranger
peut avoir porté atteinte à l'ordre public ou à la sécurité nationale;
elle peut alors justifier, outre une sanction pénale, une mesure de
renvoi ou d'expulsion (nos 132 et 133).
- Protection des biens. - C'est le droit de propriété, au sens de
l'article 16 de la Constitution, qui est protégé.
C'est aussi le droit plus général au respect des biens de la per-
sonne, au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la
Convention européenne. C'est aussi le système d'échange, d'usage et
de commerce des biens qu'aménage la loi civile, dont le bénéfice est
étendu à l'étranger.
142 LES CITOYENS

126. - La <<protection accordée aux personnes et aux biens>>


déborde du domaine des libertés individuelles. Car l'étranger jouit
aussi en Belgique de tout ou partie des droits civils : tous les droits
civils dont bénéficient les Belges, si l'étranger a été admis à établir
son domicile en Belgique (Code civil, art. ll); dans les autres cas,
tous les droits civils sauf les exceptions établies par la loi (Code
civil, ibid.).

B. - Les libertés économiques,


sociales et culturelles
127. - Depuis l'insertion dans la Constitution d'un article 23
accordant à chacun le droit de mener une vie conforme à la dignité
humaine, il n'est pas contesté (22) que les étrangers jouissent des
libertés économiques, sociales et culturelles (23) que consacre la
Constitution.
Il s'agit des droits économiques. L'étranger a le droit de poursuivre
une activité professionnelle en Belgique, que ce soit sous la forme
d'un travail indépendant ou salarié. Il n'exercera, cependant, pareil
droit que moyennant l'obtention d'une autorisation préalable, d'une
carte professionnelle ou d'un permis de travail. Pour l'exercice de
certaines professions, il devra, en outre, détenir l'autorisation admi-
nistrative que la loi belge impose à ses nationaux comme aux étran-
gers. Le système peut paraître complexe - d'autant plus qu'il vient
se surajouter à celui qui régit l'accès au territoire - . Un souci de
protectionnisme économique ne suffit pas à justifier ce régime de
limitations. Il trouve plutôt son explication dans la préoccupation
de l'autorité publique de diriger ou de réglementer autant que faire
se peut l'économie, sans en laisser les mécanismes fondamentaux à
la discrétion d'apports ou d'interventions étrangers.
Il s'agit aussi des droits sociaux. Outre le droit au travail, l'étran-
ger se voit reconnaître, dans les limites fixées par les traités interna-
tionaux, spécialement en matière de main d'œuvre et de sécurité

(22) Auparavant, on se référait généralement aux conclusions du procureur général GANSHOF


VAN DER MEERSCH précédant Cass., 21 décembre 1956, Pas., 1957, I, p. 450 (cité par P. Bouc-
QUEY, ibid., p. 294).
(23) F. DELPÉRÉE, ''L'insertion dans la Constitution des droits économiques et sociaux », in
La sécurité sociale : reflets de la société, vol. 1, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 37; R. ERGEC (dir.),
Les droits économiques, sociaux et culturels dans la Constitution, Bruxelles, Bruylant, 1995;
P. MARTENS, ''L'insertion des droits économiques et sociaux dans la Constitution>>, R.D.B.C.,
1995, p. 3.
LA QUALITÉ DE CITOYEN 143

sociale, un ensemble de droits destinés à assurer sa protection : droit


à un salaire égal à celui des nationaux, droit aux prestations fami-
liales, droit à une pension de retraite, droit au chômage... Des
limites, pourtant, peuvent apparaître dans la mesure où certaines
prestations sociales sont dispensées selon le principe de territoria-
lité : elles vont bénéficier aux Belges comme aux étrangers, à la
condition que ceux-ci se trouvent en Belgique; elles ne sont pas ver-
sées à ceux qui ont regagné leur pays d'origine.
Il s'agit encore des droits culturels. <<Nul ne peut se voir refuser
le droit à l'instruction >>, selon le premier protocole additionnel de la
Convention européenne des droits de l'homme (art. 2).

C. - Les protections particulières


128. - Une distinction est traditionnellement pratiquée entre
les étrangers, dits ordinaires, qui bénéficient de la protection que la
Constitution et les lois belges leur accordent, et les étrangers, quali-
fiés de privilégiés, qui jouissent de la protection renforcée que la
coutume internationale, les traités qui lient la Belgique ou la loi
belge peuvent leur reconnaître.
La coutume internationale reconnaît des privilèges et immunités
aux chefs d'Etat, aux agents diplomatiques et consulaires, ainsi
qu'aux représentants et agents d'organisations internationales (24) :
les fonctions qu'ils remplissent leur confèrent, de plein droit, en Bel-
gique un statut plus favorable que celui des étrangers ordinaires, et
même des citoyens de l'Etat (Conventions de Vienne du 18 avril
1961 sur les relations diplomatiques- loi d'assentiment du 30 mars
1968 - et du 24 avril 1963 sur les relations consulaires - loi d'as-
sentiment du 17 juillet 1970 - ).
Les traités internationaux peuvent, en termes de réciprocité,
étendre de leur côté les droits reconnus aux nationaux de certains
Etats ou faciliter leurs conditions d'accès, de séjour et d'établisse-
ment en Belgique (voy., par ex., la Convention européenne d'éta-
blissement, signée à Paris le 13 décembre 1955 et approuvée par la
loi du 24 mars 1961).
Un sort à part doit être fait aux traités qui organisent l'Union
économique Bénélux (3 février 1958- loi d'assentiment du 20 juin

(24) Voy. aussi l' A.R. du 6 décembre 1955 relatif au séjour en Belgique de certains étrangers
privilégiés.
144 LES CITOYENS

1960) et la Communauté européenne (25 mars 1957 -loi d'assenti-


ment du 2 décembre 1957) ainsi qu'aux règles qui sont issues de
leurs institutions. Ces organisations à vocation économique, sociale
ou politique reposent sur les principes de libre accès, de libre circu-
lation et de libre établissement des citoyens des Etats membres sur
leur territoire respectif. Un ensemble de restrictions tendent ainsi à
s'effacer. Le principe de la libre circulation des travailleurs commu-
nautaires implique, par exemple, que sur le territoire des Etats
membres soit abolie toute discrimination fondée sur la nationalité
<<en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres condi-
tions de travail>> (art. 48, § 2).
La loi belge favorise aussi, << en dehors de toute obligation interna-
tionale>> (25), certains étrangers. Ils sont présumés avoir des atta-
ches précises avec la Belgique. La loi en donne une liste hétéroclite.
Pour avoir séjourné d'une manière régulière et ininterrompue depuis
dix ans au moins en Belgique, être dans les conditions pour acquérir
la nationalité belge par option ou pour la recouvrer (loi du
15 décembre 1980, art. 21), ils ne peuvent être renvoyés ou expulsés
qu'en cas d'atteinte grave à l'ordre public ou à la sécurité nationale.
Une autre distinction se voit consacrée par les instruments inter-
nationaux. Elle s'opère entre, d'une part, les étrangers qui possè-
dent une nationalité déterminée et, d'autre part, les réfugiés
(convention de Genève du 28 juillet 1951, approuvée par la loi du
26 juin 1953) et les apatrides (convention de New York du 28 sep-
tembre 1954, approuvée par la loi du 12 mai 1960). L'élaboration
d'un statut international a permis de leur garantir la jouissance de
certains droits et la protection uniforme sur le territoire des Etats
contractants.
129. - Le demandeur d'asile n'obtient le statut de réfugié et n'est admis, à
ce titre, à séjourner et à s'établir en Belgique, que s'il réunit les conditions visées
par l'article 1"' de la convention de Genève relative au statut des réfugiés. Cette
qualité est reconnue soit par le ministre des Affaires étrangères, soit par le com-
missaire général aux réfugiés et aux apatrides.
Comme l'a souligné la section de législation du Conseil d'Etat, la reconnais-
sance de la qualité de réfugié présente un caractère déclaratoire. La situation de
réfugié est réalisée avant que l'autorité publique ne reconnaisse à la personne
intéressée le statut que la convention de Genève établit à son profit. En d'autres
termes, le demandeur d'asile tire «directement de la convention •> la qualité de

(25) M. VERWILGHEN, <<La police des étrangers : accès, séjour, établissement. Droit commun
et traités bilatéraux''· Ann. Dr. Lv., 1970, p. 342.
LA QUALITÉ DE CITOYEN 145

réfugié. L'autorité compétente a mission de vérifier si les conditions prescrites


sont remplies et, si tel est le cas, à fournir au réfugié le titre qui atteste de cette
qualité.
Encore faut-il que le demandeur d'asile ait eu accès au territoire du Royaume.
Comme l'écrit à juste titre J.-Y. CARLIER, <<sans accès au territoire, pas d'accès
à la procédure de reconnaissance de la qualité de réfugié •> (26).
C'est, en effet, sur le territoire de l'Etat belge que le demandeur d'asile pourra
mettre en œuvre les procédures qui lui permettront de faire valoir sa qualité de
réfugié. C'est là également qu'il sera amené à bénéficier, dans l'intervalle, d'un
statut, sinon identique, du moins comparable à celui de la personne qui est auto-
risée à séjourner ou à s'établir en Belgique (27).

§ 2. - Les limitations

A. - Les conditions
130. - <<En vertu de la nature même des choses>> (28), l'accès,
le séjour et l'établissement de l'étranger en Belgique sont régle-
mentés. La loi du 15 décembre 1980 en établit les conditions géné-
rales; elle est, sur des points précis, modifiée par la loi du 28 juin
1984 qui institue le Code de la nationalité belge mais qui est aussi
relative à certains aspects de la condition des étrangers.
131. - Il y a des conditions d'accès.
En principe, l'étranger ne peut pénétrer sans autorisation en Bel-
gique (29). Muni d'un passeport que lui délivrent les autorités de son
pays (30), il doit posséder, en outre, un visa (valable, en principe,
pour un séjour de moins de trois mois) ou une autorisation en

(26) J.- Y. CARLIER, ''Chronique de jurisprudence annuelle : Droit des étrangers», Journal des
procès, 5 avril 1991, p. 18.
(27) Pour une analyse détaillée de ce statut, voy. J.-Y. CARLIER, Droit des réfugiés, Story-
Scientia, 1989, pp. 73 s.
(28) Ch. HuBERJ,ANT, «Les garanties de procédure et de recours actuellement accordées aux
étrangers», Ann. Dr. Lv., 1970, p. 481.
(29) Des exceptions importantes sont apportées à ce principe. Le droit international s'attache
à en préciser les contours ainsi les articles 39, 43 et 49 TCE reconnaissent aux ressortissants
de l'un des États membres le droit d'accès et de séjour sur le territoire des États de la Commu-
nauté.
(30) La question se pose aussi pour le citoyen belge. La liberté d'aller et de venir que postule
la règle de la liberté individuelle comprend-elle la liberté de sortir du territoire national et celle
d'y rentrer 1 Deux réponses peuvent être apportées à cette question. D'une part, la liberté de la
personne physique n'a de portée que dans les limites du territoire national; rien n'empêche l'au-
torité publique de subordonner la sortie du territoire à la possession d'un document - un passe-
port, par exemple, qu'elle délivre-, voire d'interdire à ses nationaux de quitter le pays. D'autre
part, «nul ne peut être privé du droit d'entrer sur le territoire de l'Etat dont il est le ressortis-
sant» (protocole n" 4 de la Convention européenne, art. 3, 2"); l'autorité publique ne saurait donc
fermer ses frontières à ses nationaux.
146 LES CITOYENS

tenant lieu (valable pour la durée qu'elle détermine) que lui déli-
vrent les autorités diplomatiques et consulaires de la Belgique (loi
du 15 décembre 1980, mod. à de nombreuses reprises, art. 2).
L'autorisation d'entrer sur le territoire belge peut être refusée,
notamment si l'étranger ne dispose pas des moyens de subsistance
suffisants, si sa présence constitue un danger pour l'ordre public et
la sécurité nationale, s'il a fait l'objet d'une mesure d'éloignement
pour n'avoir pas respecté les disposition relatives à l'entrée ou au
séjour des étrangers (loi du 15 décembre 1980, art. 3, 4° et 5°) (31).
Si l'étranger se trouve irrégulièrement en Belgique, il s'expose à
des poursuites et à des sanctions pénales. Il peut également faire
l'objet de mesures de sûreté. Il peut être refoulé et donc contraint
de faire marche arrière pour << sortir illico du royaume )) (32). Il peut
aussi être ramené à la frontière s'il séjournait de facto en Belgique.
132. - Il y a aussi des conditions de séjour.
En principe aussi, l'étranger ne peut séjourner sans autorisation en
Belgique. Cette autorisation peut être assortie de conditions de
temps ou de lieu. Elle postule aussi le respect des conditions admi-
nistratives mises à un séjour régulier, notamment l'inscription aux
registres de la population.
Si l'étranger qui est admis pour un court séjour (trois mois maxi-
mum) ne respecte pas les conditions attachées à l'autorisation qui
lui est accordée ou si, par son comportement, il porte atteinte à
l'ordre public ou à la sécurité nationale (33), il peut recevoir du
ministre de la Justice l'ordre de quitter le territoire; si besoin en est,
il sera remis sans délai à la frontière.
Si l'étranger a été admis à séjourner plus de trois mois en Bel-
gique, il peut - s'il a porté atteinte à l'ordre public ou à la sécurité
nationale ou s'il n'a pas respecté les conditions mises à son séjour
(art. 20, al. 1er) - faire l'objet d'une mesure de renvoi prise par
arrêté ministériel. L'ordre de quitter le pays et l'interdiction d'y
revenir pendant dix ans (art. 26) sont notifiés à l'étranger après

(31) D'autres conditions sont prescrites par la loi du 15 décembre 1980 (art. 3, 6", 7o et 8").
Voy. notamment la situation particulière des étudiants étrangers.
(32) M. VERWILGHEN, op. cit., p. 338.
(33) D'autres situations justifient, dans cette hypothèse, que soit décerné un ordre de quitter
le territoire. Elles sont inscrites à l'art. 7, al. l''" de la loi du 15 décembre 1980.
LA QUALITÉ DE CITOYEN 147

qu'il a été entendu et que l'avis de la Commission consultative des


étrangers a été rendu (art. 20, al. 1er) ( 34).
133. - Il y a enfin des conditions d'établissement (art. 14).
En principe toujours, l'étranger ne peut s'établir sans permis en
Belgique. Ce permis est constaté par la carte d'identité belge pour
étranger ou par la carte de séjour de ressortissant d'un Etat
membre de l'Union européenne (A.R. du 21 décembre 1965,
art. 19); la validité de ces documents est fixée à cinq ans.
L'étranger qui a obtenu un permis d'.établissement ne saurait être
renvoyé. Par contre, il peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion,
prise par arrêté royal. Encore faut-il qu'il ait <~ gravement porté
atteinte à l'ordre public ou à la sécurité nationale>> (art. 20, al. 2).
L'expulsion entraîne les mêmes effets que le renvoi.

B. - Les exceptions
134. - L'étranger se trouve régulièrement sur le territoire de la
Belgique. Il y jouit de la protection accordée aux personnes et aux
biens. Ce statut que la Constitution lui octroie peut être assorti
d'.exceptions.
Ainsi, la Constitution habilite la loi fédérale à organiser des sta-
tuts différents pour les Belges, d'une part, et les étrangers, d'autre
part. On ne saurait y voir une discrimination, au sens précis du
terme (35). Le principe qui permet d'établir une différence de traite-
ment entre ces deux catégories de personnes est compatible avec
l'esprit de la Constitution, notamment avec ses articles 10 et
ll (36).
L'on peut être tenté de faire une application combinée de l'article 191 de la
Constitution et de ses articles 10 et 11 (37). Selon la Cour d'arbitrage (38), lors-
que le législateur établit une exception dans le régime de protection des droits
fondamentaux des étrangers, il doit respecter les dispositions prescrites dans les

(34) Une directive du 25 février 1964 du conseil des ministres de la Communauté européenne
(pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour,
justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique) précise que
la seule existence d'une condamnation pénale ne peut justifier les mesures de renvoi et d'expul-
sion; des éléments tenant au comportement personnel de l'étranger doivent être avancés à l' ap-
pui de ces mesures.
(35) Contra :M. VERWILGHEN, op. cit., p. 338.
(36) C.A., n" 21/89, 13 juillet 1989, Mon. b., 21 juillet.
(37) Voy. P. BoucQUEY, ibid., p. 307 et D. RENDERS, ibid., p. 1413.
(38) C.A., n" 61/94, 14 juillet 1994, Rec., 1994, p. 796; J.T., 1994, p. 673; J.L.M.B., 1995,
p. 1141 et R.R.D., 1994, p. 449 et C.A., n" 4/96, 9 janvier 1996, J.T., 1996, p. 188.
148 LES CITOYENS

articles 10 et Il de la Constitution. L'égalité entre Belges et étrangers, tout


comme entre étrangers (39), lui interdit d'établir des différences qui soient
constitutives de discriminations. Au surplus, les exceptions, qui sont ainsi éta-
blies de manière générale, ne sauraient avoir pour résultat de vider de son
contenu le principe constitutionnel d'assimilation de l'étranger au Belge, quant
au régime des droits et des libertés.

Les exceptions établies par le législateur touchent les libertés clas-


siques sur deux points. D'une part, la liberté d'aller et de venir peut
être mesurée, indépendamment même des conditions mises à l'accès
du territoire. Ainsi le roi peut, par arrêté délibéré en conseil des
ministres, interdire, par voie de disposition générale et pour une
période déterminée, aux étrangers de séjourner ou de s'établir dans
certaines communes, si l'accroissement de la population étrangère y
devient excessif; le ministre de la Justice recueille, au préalable,
l'avis conforme et motivé du conseil communal (qui doit, sur ce
point, statuer à la majorité des deux tiers) et l'avis motivé du gou-
verneur de province (loi du 15 décembre 1980 mod. par la loi du
18 juillet 1991, art. 18bis).
D'autre part, les libertés individuelles- notamment celles d'opi-
nion et d'expression - peuvent se voir limitées dans la mesure où
le renvoi et l'expulsion peuvent être prononcés à titre préventif: la
constatation d'activités qui seraient dangereuses pour l'ordre et la
sécurité publics suffit, indépendamment même de la répression des
infractions à la loi pénale (art. 20, al. 1er et 2). Seule garantie en la
matière : <<lorsqu'il est basé sur l'activité politique de l'étranger>>,
l'arrêté d'expulsion doit être délibéré en conseil des ministres
(art. 20, al. 2, in fine).
Les exceptions touchent plus les libertés économiques, sociales et
culturelles. Sans aller jusqu'à prétendre que l'aggravation de la
condition des étrangers semble proportionnelle à l'accroissement de
la législation en matière économique et sociale (40), force est de
constater que, si un grand nombre de lois sociales déterminent leurs
bénéficiaires, sans tenir compte d'un critère de nationalité mais en
prenant seulement en considération la qualité de travailleur, de chô-
meur ou de malade, leur bénéfice dépend forcément de l'octroi d'une

(39) S. VAN DsooaHENBROECK, «L'égalité entre étrangers dans la jurisprudence de la Cour


européenne des droits de l'homme», R.D.E., 1997, n" 92, p. 3.
(40) F. RIGAUX, «Les notions d'égalité et de discrimination en droit international privé»,
Travaux de l'Association Henri Capitant, Paris, Dalloz, 1965, p. 448.
LA QUALITÉ DE CITOYEN 149

autorisation initiale de travailler en Belgique (41), que les citoyens


de l'Etat ne doivent pas obtenir.

C. - Les interdictions
135. - Le statut des étrangers est aussi fait d'interdictions.
Elles portent, pour l'essentiel, sur l'exercice des droits politiques
dont la jouissance complète n'est reconnue qu'aux Belges qui ont la
qualité de citoyen. Cependant, les portes de la citoyenneté s'ou-
vrent, lentement et prudemment, à l'étranger.
La Constitution a, longtemps, réservé aux Belges l'exercice des
droits politiques. Aux termes de l'article 8 de la Constitution, ces
droits n'étaient reconnus qu'à ceux qui avaient la <<qualité de
Belge)). La justification était simple. L'indépendance de l'Etat ne
saurait être assurée sans que soient réservés à ses membres les droits
politiques les plus importants (42). L'étranger qui ne possède
d'autre lien avec la Belgique que son séjour sur le territoire national
ne saurait les exercer (43).
L'article 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme le précise
<<Toute personne a le droit de participer au gouvernement de son pays>) (44).
«Son pays ... >). L'expression est significative à souhait. Elle ne désigne pas le
pays d'autrui. Dans la plupart des Etats contemporains, l'étranger est donc
dépourvu du moindre droit politique.

Deux évolutions contribuent néanmoins à remettre en cause ces


certitudes.
La première est liée à la conclusion du traité de Maastricht. Le
traité confère aux citoyens de l'Union l'électorat et l'éligibilité lors
des élections communales. La Belgique a souscrit à cet engagement
sans réviser au préalable l'article 8 de la Constitution.

(41) Voy. not. loi du 19 février 1965 relative à l'exercice par les étrangers des activités profes-
sionnelles indépendantes; A.R. n" 34 du 20 juillet 1967 relatif à l'occupation des travailleurs de
nationalité étrangère; A.R. du 6 novembre 1967 relatif aux conditions d'octroi et de retrait des
autorisations d'occupation et des permis de travail pour les travailleurs de nationalité étrangère
et loi du 19 février 1965 relative à l'exercice, par les étrangers, des activités professionnelles indé-
pendantes.
(42) Ch. HUBERLANT, op. cit., p. 479.
(43) Sur ce thème, voy. F. DEL PÉRÉE, «Les étrangers et les élections en Belgique>), A.P. T.,
1978-1979, pp. 34 s.; ID., Les droits politiques des étrangers, Paris, P.U.F., Coll. Que sais-je 1, 1995.
(44) On trouve une formulation comparable dans l'article 25 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques : « Tout citoyen a le droit et la possibilité ... , sans aucune discrimina-
tion ... et sans restrictions déraisonnables, de prendre part à la direction des affaires publiques ... ».
150 LES CITOYENS

Pour une critique de cette manière de procéder, voy. les avis du Conseil d'Etat
du 6 mai 1992 et du 23 mars 1998 ainsi que F. DELPÉRÉE, <<La Belgique et l'Eu-
rope •>, R.F.D.C., 1992, p. 643. Adde: E. DARDENNE, «Entre réalités et idéalisme
européen: le compromis belge>>, in P. DELWIT, J.-M. DE WAELE et P. MA-
GNETTE (dir.), Gouverner la Belgique. Clivages et compromis dans une société com-
plexe, Paris, P.U.F., 1999, p. 275; F. DELPÉRÉE, <<De la commune à l'Europe.
L'émergence d'une citoyenneté multiple>>, in P. MAGNETTE (dir.), De l'étranger
au citoyen, Bruxelles, De Boeck, 1997, p. 41.

Depuis le 11 décembre 1998, les choses sont rentrées dans l'ordre.


L'article 8 de la Constitution est complété de la manière suivante :
<< ... la loi peut organiser le droit de vote des citoyens de l'Union
européenne n'ayant pas la nationalité belge, conformément aux
obligations internationales et supranationales de la Belgique>>. La
loi du 27 janvier 1999 aménage ce droit de vote et d'éligibilité à
l'occasion des élections communales. Elle ne le prévoit pas pour les
élections provinciales, alors même que les deux scrutins sont
jumelés dans le temps (<<Courtes crises>>, J.T., 1999, p. 630).
Une deuxième évolution reste, pour sa part, au stade des virtua-
lités. Selon l'article 8, alinéa 2, de la Constitution, une loi peut
étendre le << droit de vote >> communal aux étrangers qui résident en
Belgique mais qui ne sont pas citoyens de l'Union. Elle ne peut
intervenir en ce sens <<avant le 1er janvier 2001 >> et ne saurait donc,
dans la meilleure hypothèse, être d'application avant octobre 2006,
moment des plus proches élections communales.
Autrement dit, l'électorat communal s'ouvre aux citoyens de
l'Union. La participation des étrangers extra-communautaires, reste
dans les limbes.

BIBLIOGRAPHIE

L'exposé des principes du droit de la nationalité fait partie, dans les Facultés de
droit, de l'enseignement du droit public. L'analyse des questions délicates suscitées
par les conflits de nationalités fait, par contre, l'objet des enseignements de droit
international privé. On consultera notamment à ce sujet :
F. RIGAUX, Droit international privé, t. 1, Théorie générale, t. Il, Droit positif belge,
Bruxelles, Larcier, 1977 et 1979.

Quelques ouvrages pratiques doivent être signalés :


Ch. CLOSSET, V 0 <<Nationalité», in Répertoire pratique du droit belge, Complément,
t. III, Bruxelles, Bruylant, 1970; Ch. CLOSSET, <<La nationalité belge», in Répertoire
notarial, t. XV, livre XX, 1'e partie, Bruxelles, Larcier, p. 81; R. STANDAERT, <<La
LA QUALITÉ DE CITOYEN 151

nationalité belge>>, in Les Novel/es Droit civil, t. 1, Bruxelles, Larcier, 1978, pp. 35 s.;
M. VERWILGHEN, Le Code de la nationalité belge, Bruxelles, Bruylant, 1985.

Sur le statut des étrangers en Belgique, voyez aussi :


D. ANDRIEN, D. BATSELÉ, E. DERRIKS et M. SCARCEZ, Comprendre les statuts et les
droits des étrangers par les textes. Commentaires, lois et règlements, Bruxelles, Bruylant,
1997; B. BLERO, «Protection constitutionnelle et internationale des demandeurs
d'asile. Quelques considérations à propos de l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 14 juil-
let 1994 annulant partiellement certaines modifications apportées au statut des réfu-
giés par la loi du 6 mai 1993 >>, R.B.D.C., 1994, p. 241; P. BoucQUEY, <<La Cour d'ar-
bitrage et la protection des droits fondamentaux de l'étranger>>, Ann. D. Lv., 1996,
pp. 291 s.; L'étranger, Travaux de l'Association Henri Capitant, Paris, LGDJ, 2000,
avec des rapports belges de Ph. DE BRUYCKER, B. DuBOIS, A. BENOIT-MOURY,
N. THIRION et F. DELPÉRÉE; F. RIGAUX, Droit international privé, t. Il, Droit positif
belge, Bruxelles, Larcier, 1979, n°' 552-728.
Sur la citoyenneté européenne, voy. notamment F. DELPÉRÉE, Les droits politiques
des étrangers, Paris, PUF, coll. Que sais-je 1, 1995; ID., << La citoyenneté de l'Union>>,
in L'Union européenne (dir. L. DuBoUis), Paris, La Documentation française, Les
Notices, 1999, p. 163; C. DU GRANRUT, La citoyenneté européenne, une application du
principe de subsidiarité, Paris, L.G.D.J., 1977; M. FALLON, <<La citoyenneté euro-
péenne>>, J.T.D.E., 1994, p. 65; R. KovAR et D. SIMON, «La citoyenneté euro-
péenne>>, C.D.E., 1993, p. 285; J.-Cl. MASCLET, <<Vers une citoyenneté européenne?>>,
Cahiers français, 1997, n" 281; E. PEUCHOT, <<Droit de vote et condition de nationa-
lité>>, R.D.P., 1991, p. 490; C. WITHOL DE WENDEN, La citoyenneté européenne, Paris,
Presses de sciences politiques, 1997.
Adde : Union européenne et nationalités. Le principe de non-discrimination et ses
limites (dir. E. BRIBOSIA, E. DARDENNE, P. MAGNETTE et A. WEYEMBERGH),
Bruxelles, Bruylant, 1999.

..
CHAPITRE II
LES DROITS DU CITOYEN

SECTION Ire. - LES DROITS-FONCTIONS

136. - Le citoyen est, par définition, celui qui réunit les condi-
tions nécessaires pour participer à la gestion des affaires publi-
ques (1). Il possède la nationalité belge selon les règles que la Consti-
tution et la loi fédérale déterminent. De surcroît, il répond aux exi-
gences particulières qu'elles mettent à l'exercice des droits et des
libertés. A ce titre, il est investi de fonctions que la Constitution lui
réserve et du bénéfice desquelles elle exclut, en principe, l'étranger.
Une idée-maîtresse apparaît ici. L'Etat et les collectivités qui le
composent sont investis de fonctions. Ils ne pourront les assumer
que << par le truchement )) de personnes physiques (2) que sont les
gouvernants et, dans une société démocratique, les gouvernés. Ces
personnes physiques se voient reconnaître des droits - tels le droit
de vote ou le droit d'exercer un mandat politique - . Ces droits
sont protégés au titre de droits subjectifs.
Le citoyen ne se voit pas reconnaître pareils droits dans son inté-
rêt propre et pour sa seule satisfaction. Il est appelé à les exercer
<< dans l'intérêt de l'Etat )>, en tout cas dans la conception qu'il est

à même de se faire du meilleur intérêt de l'Etat.


Le droit pour le citoyen d'exercer des responsabilités dans la
société politique (§ 1er) s'articule, de manière classique, autour de
trois prérogatives : l'électorat (A}, l'éligibilité (B) et la possibilité
d'accéder à un emploi public (C).
II s'agit là des droits politiques fondamentaux, ceux qu'énonçait déjà la
Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen, ceux que proclament
la plupart des Constitutions contemporaines, ceux que retient aussi le Premier
protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales. Si la personne humaine ne bénéficie pas de tels
droits, elle peut sans doute mener une existence libre; une vie digne et une acti-

(1) R. PELLOUX, Le citoyen devant l'Etat, Paris, P.U.F., 1966, Coll. Que sais-je?, p. 5.
(2) J. DABIN, Le droit subjectif, Paris, Dalloz, 1952, p. 28.
LES DROITS DU CITOYEN 153

vité efficace, mais elle ne peut, en aucune manière, revendiquer le titre de


citoyen.

Une responsabilité plus effective ou plus directe du citoyen dans


la conduite des affaires publiques peut être assurée (3). De nouvelles
préoccupations se font jour dans les collectivités politique~ (A), dans
l'administration (B) et dans la communauté internationale, en par-
ticulier dans l'Union européenne (C).
Les droits politiques fondamentaux ne suffisent pas à définir le statut politi-
que du citoyen. Il y a lieu également de tenir compte d"s droits politiques
dérivés. L'expression n'est pas habituelle. On la trouve néanmoins sous la plume
autorisée de Franck MoDERNE(<< Rapport français. Bénéficiaires ou titulaires des
droits fondamentaux>>, A.I.J.C., 1992, p. 275).

Le caractère démocratique d'une société politique dépend, pour


une large part, de la manière dont les droits-fonctions y sont pro-
clamés, exercés et protégés.

§ l er. - La définition des droits-fonctions

A. - L'électorat
137. - R. CARRÉ DE MALBERG a fort justement précisé l'idée.
<<Dans son acception précise, le mot électorat désigne une faculté
individuelle : la faculté pour le citoyen-électeur de participer, par
l'émission de son suffrage personnel, aux opérations par lesquelles le
corps électoral procède à la nomination des autorités à élire>> (4).
L'électorat ne confère pas au citoyen - ou à l'ensemble des
citoyens -l'exercice d'une quelconque compétence dans l'Etat ou
dans d'autres collectivités politiques. Il l'associe au processus de
désignation de certaines autorités publiques. En ce sens, l'électorat
ne confère pas au citoyen le pouvoir de décision : celui-ci n' appar-
tient qu'aux élus. Il lui donne seulement une fonction d'organisa-
tion.
Telle est, en effet, l'originalité de l'électorat. Il est à la fois droit
et fonction : le citoyen a le droit d'exercer la fonction que lui assigne
la Constitution.
138. - L'électorat est un droit

(3) <<Le citoyen en marche», Rev. Gén., 1997, pp. 53 s; La démarche citoyenne, Bruxelles,
Labor, coll. Quartier libre, 1998; <<Le citoyen dans la société démocratique», L'Entreprise et
l'Homme, 2000, n" 2, p. 25.
(4) R. CARRÉ DE MALBERG, op. cit., t. JI, p. 411.
154 LES CITOYENS

Ce droit, dans une société démocratique, appartient à tous. Le


suffrage est universel ou, plus précisément, << aussi universel que pos-
sible>> (5). Telle est la règle dans une société démocratique qui
cherche à associer le plus grand nombre au fonctionnement du sys-
tème politique.
Tous les citoyens sont également appelés (6) à participer à la
sélection de leurs représentants.
Ce n'est pas à dire que le corps électoral coïncide avec la popula-
tion du Royaume. L'inscription au registre des électeurs est subor-
donnée à des conditions objectives. La Constitution les détermine en
vue de l'organisation des élections législatives. Elle réserve, d'abord,
le droit de vote aux citoyens (art. 61, al. 1er) et pose ainsi une pre-
mière condition à l'électorat, celle de nationalité (n°" 107 s.). Elle
énonce ensuite, et de manière limitative, les conditions de capacité
(art. 61, al. 1er) et de dignité (n° 169) mises à l'exercice de pareils
droits.
L'exercice du droit de vote ne saurait être subordonné, d'une
manière ou d'une autre, au respect d'autres dispositions. La condi-
tion de fortune, retenue initialement dans l'article 4 7 de la Constitu-
tion pour aménager une forme de suffrage censitaire, a été atténuée
à deux reprises (loi du 12 mars 1848 et révision constitutionnelle de
1893) (7), puis supprimée par la loi d'exception du 9 mai 1919; cette
solution a été consacrée à l'occasion de la révision constitutionnelle
du 7 février 1921.
La condition de sexe, inscrite initialement dans la Constitution,
a pour sa part été abolie par une loi prise à la majorité spéciale, le
27 mars 1948, en vertu de l'article 47, alinéa 3 (ancien) de la Consti-
tution; cette solution est conforme aux principes inscrits aux
articles 2 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme

(5) R. CHAPUS, op. cit., p. 478.


(6) En ce sens, le suffrage universel est dit «pur et simple». «Chaque électeur n'a droit qu'à
un vote» (art. 61, al. 2). La formule rompt avec la technique du suffrage plural que consacrait
la révision constitutionnelle de 1893 et qui conduisait à accorder une deuxième ou une troisième
voix à certains citoyens, pour des raisons qui tenaient à la fortune ou à la situation familiale et
professionnelle de l'électeur (art. 47 ancien).
(7) L'article 47 permettait au législateur de fixer le cens électoral entre un minimum de 20
florins et un maximum de lOO florins- la loi du 5 mars 1831 avait d'ailleurs fixé un cens diffé-
rent selon les régions du pays - . La loi du 12 mars 1848 a établi le cens uniforme à 20 florins.
La révision constitutionnelle de 1893, si elle accorde une voix à tout citoyen, en attribue une
seconde au père de famille de 35 ans qui paie 5 F de contribution foncière. De cette façon, la
fonction électorale était monopolisée au profit d''' une oligarchie bourgeoise, conservatrice et fran-
cophone •> (P. DE VISSCHER).
LES DROITS DU CITOYEN 155

et à l'article 1er de la Convention sur les droits politiques de la


femme.
C'est la loi ordinaire ou la loi spéciale qui, pour l'organisation
d'élections communautaires ou régionales, règle cette matière (loi
spéciale du 8 août 1980, art. 25, § pr; loi du 31 décembre 1983,
art. 8, 2; loi spéciale du 12 janvier 1989, art. 13). Elle retient des
conditions similaires à celles qui sont mises à l'élection de députés
et des sénateurs.
C'est la loi ordinaire qui, pour l'organisation des élections locales,
fixe ces conditions objectives.
139. - L'électorat est aussi une fonction
La capacité électorale des citoyens peut être assimilée à une
faculté individuelle. C'est à condition d'admettre que ce droit n'est
pas inné à la personne humaine, comme une sorte de parcelle
démembrée de la souveraineté. Il est créé, organisé et conféré par
la Constitution. C'est à condition aussi de considérer que l'exercice
de ce droit est ordonné à une finalité particulière : sélectionner ceux
qui assureront la fonction délibérante dans diverses assemblées poli-
tiques. Le droit de suffrage permet d'exercer <<une fonction consti-
tutionnelle>> (8).
Cette charge doit être assurée. Le principe du vote obligatoire se
conçoit aisément (Const., art. 62, al. 3).
Au lendemain des élections communales d'octobre 1994, le Premier ministre
DEHAENE a proposé de réfléchir à la suppression du vote obligatoire. Il se disait
convaincu que les électeurs de listes extrémistes ne se rendraient pas aux urnes
s'ils n'y étaient pas obligés, alors que les électeurs raisonnables se précipite-
raient, eux, dans les isoloirs pour manifester des préoccupations démocratiques.
Il est insensé de renoncer à une technique éprouvée de droit constitutionnel pour
faire face à un phénomène politique que l'on peut espérer passager. Le vote n'est
pas seulement un droit, il est aussi une fonction. Une fonction doit être assumée.
Il n'y a pas lieu de prendre prétexte du bon ou du mauvais temps pour renoncer
à exercer une prérogative aussi essentielle (F. DELPÉRÉE, <<Le citoyen est aussi
un homme politique~. La Revue générale, 1995, n" 4, p. 39).
La << théorie de l'unité et de l'indivisibilité de la souveraineté>> envisage la
nation comme une entité distincte des citoyens qui la composent. La souverai-
neté n'appartient pas à chaque électeur considéré dans son individualité mais à
la nation tout entière. Le citoyen devient ainsi un instrument par l'intermédiaire
duquel s'exprime la volonté nationale. Organe de l'Etat lui-même, il est investi,
à cet effet, de la tâche de constituer un autre organe. Le vote est conçu comme

(8) R. CARRÉ DE MALBERG, op. cit., t. II, p. 430.


156 LES CITOYENS

une charge que Je citoyen est obligé d'exercer, un devoir <<organique>>. C'est
cette conception que J'on retrouve à la base de l'inscription, en 1893, du principe
du vote obligatoire dans la Constitution (M. KAISER, <<Les enjeux et les perspec-
tives de J'obligation de vote>>, R.B.D.C., 1998, p. 251).

Ce droit est aussi un devoir. J'ai le droit d'être considéré comme


électeur; une fois cette qualité reconnue, je me dois d'exercer ma
fonction.
L'absence injustifiée de l'électeur au vote est constitutive d'in-
fraction (P. ARNOU, << Sancties op de stemplicht >>, R. W., 1991-1992,
col. 1345). Elle appelle une sanction répressive ~ réprimande ou
amende ~. Elle appelle aussi des mesures administratives en cas de
récidive ~ mention sur un tableau d'affichage, radiation des listes
électorales, déchéance du droit d'être nommé, promu ou distingué
par les pouvoirs publics~ (C. El., art. 207 à 210).
140. ~ Cette charge doit être exercée individuellement. Le prin-
cipe du vote personnel est donc la règle : il appartient à chaque élec-
teur de se présenter, au jour de l'élection, au bureau pour y expri-
mer son vote; le vote par correspondance, un moment admis, n'est
pas considéré comme un mode valable d'accomplissement du devoir
électoral (9).
Le vote par procuration est, cependant, organisé au profit de cer-
tains électeurs qui peuvent fournir un certificat d'une tierce per-
sonne attestant leur situation de santé et d'activité ou leurs convic-
tions religieuses (C. El., art. 147bis, § pr); dans ce cas, le manda-
taire ~ désigné parmi les proches parents de l'électeur et pour
autant qu'il ait lui-même cette qualité (art. 147bis, § 2) ~est reçu
à voter pour le mandant (10).
141. ~ Cette charge doit être assumée dans des conditions qui
préservent le libre arbitre de l'électeur. Toute contrainte sur l'élec-
teur est répréhensible et de nature à justifier une sanction pénale (C.
El., art. 181 s.). C'est en ce sens que le vote est dit libre.
Sur ce thème, M. KAISER, <<Le droit à des élections libres ... L'application
timide d'une disposition ambitieuse>>, in Les droits de l'homme à l'aube du troi-
sième millénaire. Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant,
2000, p. 435.

(9) Voy., cependant, les modalités particulières de vote, à l'occasion des élections euro-
péennes, au profit des électeurs belges qui résident dans un autre Etat de l'Union.
(10) Voy., les modalités particulières de vote, à l'occasion des élections législatives et euro-
péennes au profit des Belges de l'étranger.
LES DROITS DU CITOYEN 157

C'est à cette fin aussi que le principe du vote secret est imposé par
la Constitution (art. 62, al. 3) et affirmé par le Code électoral
(art. 114). La fonction assurée revient à choisir grâce à la confronta-
tion des opinions qui se sont exprimées et à leur recensement les
titulaires de la fonction législative. Il convient que ceux qui procè-
dent à cette désignation ne s'exposent à aucune sanction de la part
des détenteurs de l'autorité. Il faut que, dans l'exercice de la fonc-
tion qu'ils sont tenus de remplir, les citoyens jouissent d'une liberté
d'appréciation aussi complète que possible. Des dispositions détail-
lées s'efforcent de préserver dans la pratique la règle du secret : iso-
loirs, bulletins, urnes, sceaux, modalités de dénombrement des
votes, etc. Des sanctions pénales visent à réprimer les délits politi-
ques qui pourraient être commis au cours des opérations électorales
(C. El., art. 199).
Le vote peut s'accomplir au moyen d'une machine à voter disposée dans l'iso·
loir : au moyen d'un crayon optique, l'électeur indique son vote sur un écran de
visualisation. Les modalités du vote automatisé sont définies par la loi du
ll avril 1994, modifiée par une loi du 18 décembre 1998. Trois problèmes peu-
vent apparaître.
Les problèmes techniques tiennent à la fiabilité du matériel et des logiciels uti-
lisés. Il faut faire confiance à la machine, à ceux qui l'ont conçue et vérifiée ...
Cette crédulité n'est-elle pas excessive dans une société démocratique? Une com-
mission d'experts constituée par la Chambre des représentants et le Sénat s'en
explique dans un rapport qu'elle remet le 1"' juillet 1999 : << La confection (des
logiciels) a eu lieu selon les règles de l'art, ... les entrées/sorties se limitent au
vote émis, le secret du vote peut être préservé et la totalisation du vote se
déroule correctement>>.
Les problèmes pratiques tiennent à la dimension de l'écran et à la faculté qu'il
offre de présenter simultanément un ensemble de données sur les listes et les
candidats. Une vision panoramique des noms et des cases n'est plus offerte à
l'électeur. Le Conseil d'Etat avait naguère suggéré qu'une affiche reprenant ces
différentes données figure dans chaque isoloir et permette au citoyen d'identifier
le candidat de son choix avant d'entreprendre les opérations de vote. Ce conseil
judicieux n'est pas suivi en toutes circonstances.
Les problèmes politiques ne peuvent non plus être ignorés. Le vote automatisé
ne se conçoit pas sans une forme particulière de guidance dans le processus infor-
matique. Est-il excessif de soutenir que celle-ci peut induire certains comporte·
ments électoraux? L'écran affiche des instructions ou des indications pendant
l'opération de vote. Il est demandé à l'électeur de sélectionner la liste de son
choix, de confirmer cette option, d'indiquer ensuite s'il entend voter en case de
tête ou en faveur d'un ou de plusieurs candidats effectifs ou suppléants, de
confirmer enfin ce vote. La séquence retenue a pour effet d'instaurer une compé-
tition qui va se développer, en première instance, entre des formations politiques
et, ensuite seulement, entre des candidats. Le poids des formations politiques
158 LES CITOYENS

dans le choix des élus ne s'en trouve-t-il pas encore renforcé 1 («Courtes crises >>,
... ,p. 633).
A l'issue des élections du 13 juin 1999, le législateur s'est préoccupé d'apporter
quelques retouehes au système du vote automatisé. Il est prévu notamment que
«lorsque l'électeur a voté ... , la carte magnétique est libérée de la machine à
voter>>. A ce moment, <<l'électeur a ... la possibilité de visualiser sur l'écran de
cette machine les votes qu'il a émis pour chaque élection».

142. - Le procédé de sélection des autorités investies de la fonc-


tion délibérante change de sens. Par-delà la désignation de quelques
personnes physiques, c'est le débat politique sur leurs idées et sur
leurs programmes que permet la joute électorale. C'est aussi la pos-
sibilité qu'elle offre, du moins en principe, au citoyen d'influencer
la désignation des autorités investies de la fonction gouvernemen-
tale et le choix de leur programme d'action.
Cette évolution, que favorisent le système électoral et le scrutin
de liste, n'est pas entravée par le phénomène de personnalisation
qui marque les élections depuis un demi-siècle. Les électeurs se déci-
dent en fonction de candidats qui figurent sur les listes qu'élaborent
les formations politiques et ne sont guère en mesure de perturber
l'ordre de présentation qu'elles ont, au préalable, fixé.
Cette évolution, que favorisent aussi les dimensions réduites du
pays, n'est pas entravée par le phénomène de fédéralisation de
l'Etat. Les électeurs se prononcent peut-être différemment selon les
régions auxquelles ils appartiennent. Leurs attitudes contradictoires
ne sont pas sans répercussions sur les modes de formation de majo-
rités parlementaires et de gouvernements eux aussi composites.
Reste à savoir, mais tel est l'enjeu du débat politique dans toute
société démocratique, si les électeurs sont amenés à se prononcer en
connaissance ou en ignorance de cause, si les discussions en cours de
campagne électorale ont pour résultat de révéler ou de masquer les
problèmes qui appellent décision, si les formations politiques sont
prêtes à accepter ou à récuser le << verdict •> électoral. ..

B. - L'éligibilité
143. - L'éligibilité, c'est l'aptitude à être élu.
Chaque citoyen détient le droit de se porter candidat à une élec-
tion, pourvu qu'il remplisse les conditions que la Constitution ou la
loi fédérale prescrivent à cet effet. Il n'y a pas de droit à détenir une
fonction élective, mais un droit à concourir pour l'obtenir.
LES DROITS DU CITOYEN 159

Ici encore, le droit ne saurait s'analyser en un attribut purement


égoïste que le citoyen revendiquerait à son seul profit. C'est aux fins
de remplir la fonction délibérante que ce droit va être exercé. L'éli-
gibilité apparaît comme un deuxième droit-fonction.
La Constitution en réserve le bénéfice, pour les élections légis-
latives, aux Belges (art. 64, al. l er, l o et 69, l qui répondent à des
0
)

conditions élémentaires de moralité et de dignité. Elle précise


qu'<< aucune autre condition d'éligibilité ne peut être requise >> pour
être candidat à la Chambre des représentants (art. 64, al. 2) (ll).
Elle ne précise pas d'autres conditions pour la désignation des
sénateurs élus directement par les collèges électoraux français et
néerlandais.
La même condition de nationalité est prescrite pour la désigna-
tion des membres des parlements de communauté et de région (l.
sp., art. 24bis, § pr, al. PT
Dans les autres collectivités politiques aussi, il suffit d'être belge,
peu importent les modalités d'obtention de la nationalité, et de
remplir les conditions de capacité et de dignité précisées par la loi
fédérale. Mais, au niveau communal, les citoyens de l'Union bénéfi-
cient du même droit d'éligibilité que les Belges (n° 159).
L'éligibilité, c'est le droit d'être élu. Ce n'est pas nécessairement le droit
d'exercer la fonction pour laquelle on a été élu. Des règles d'incompatibilité peu-
vent être formulées aux fins de préserver l'indépendance de la fonction à exer-
cer. Le droit d'exercer la fonction pour laquelle une personne a été désignée
vient alors en concours avec le droit d'assumer d'autres fonctions~ celui d'oc-
cuper un emploi public, par exemple ~ou avec le droit d'exercer une activité
professionnelle d'ordre privé.
Selon l'article 117bis, alinéa l"r, du Code électoral,<< sur une liste, le nombre
de candidats d'un même sexe ne peut excéder une quotité de deux tiers du total
constitué par la somme des sièges à pourvoir pour l'élection et du nombre maxi-
mum autorisé de candidats suppléants >>. Ce système qui a été en vigueur aux
élections du 13 juin 1999 est sur le point d'être modifié. La parité devrait être
respectée au moment du dépôt des listes de candidats. L'intention est également
exprimée de compléter l'article 10 de la Constitution de la manière suivante :
<<Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti. La loi, le décret et
la règle visée à l'article 134 favorisent l'égal exercice de leurs droits et libertés,
et notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics >>.

(Il) Dans quelle mesure des conditions particulières d'éligibilité ne sont-elles pas inscrites
dans des dispositions légales, comme celles du Code électoral? Voy., par ex., les prescriptions
relatives à la présentation des candidatures (art. 115 s.)(« Au fil de la crise», J.T., 1977, p. 601).
160 LES CITOYENS

C. ~ L'accès aux emplois publics


144. ~ <<Les Belges sont égaux devant la loi; seuls ils sont
admissibles aux. emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui
peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers >>.
Dans une formule d'une rare densité, l'article 10, alinéa 2, de la
Constitution établit, la règle de la sécurité juridique : les citoyens
sont tous placés sous la protection de la loi (no 191) (12). En même
temps, il inscrit les trois principes qui commandent l'organisation
de l'administration et de la force publiques.
145. ~ Seuls les Belges ont accès aux emplois publics. La con di-
tion de nationalité (13) qui est ainsi formulée~ mais peu importent
les conditions de son obtention ~ vaut pour tous les emplois
publics, dans l'administration comme dans l'armée, dans les dépar-
tements ministériels comme dans les services locaux ou spécialisés,
pour les fonctions de commandement comme pour les tâches d' exé-
cution ( 14) ... Cette condition indique moins le souci de réserver aux
nationaux des emplois sur le marché du travail que la préoccupa-
tion de voir remplir les fonctions d'administration et de défense de
l'Etat par ceux qui ont la qualité de citoyen et dont l'attachement
aux institutions publiques de l'Etat peut être présumé.
Ce principe trouve à s'exprimer, pour la première fois, dans la Déclaration
française des droits de l'homme et du citoyen. Il est repris, à peu de mots près,
dans la Constitution belge, dans la Constitution luxembourgeoise et dans la
Constitution des Pays-Bas. Peut-être même les formulations sont-elles plus
nettes dans ces instruments constitutionnels. Seuls ils (sous-entendu : ceux qui
ont la nationalité belge) sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les
exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers (15).
Ce qui est une manière de dire, d'abord, que les nationaux se voient en prin-
cipe réserver les emplois publics, ensuite que les étrangers sont, en règle géné-

(12) Le droit d'accès aux emplois publics est également proclamé et protégé par des disposi-
tions de droit international (M. LEROY et J. SoHIER, <<Les règles supranationales relatives à
l'accès à la fonction publique», A.P.T., 1997, pp. 53 s.).
(13) F. RWAl:x et F. D>,LPÉRFèll, <<Nationalité et citoyenneté. Développements et incidences
sur le droit de la fonction publique en Belgique», A.P.T., 1997, pp. 15 s.
(14) Sur la compatibilité entre l'article 10 de la Constitution et l'article 48, § 4 du traité
C.E.E., voy. J. C. SÉcHt, <<L'apport de l'arrêt de la Cour de Justice du 17 décembre 1980-
Commission c. Belgique, 149-79 >>, A.P.T., 1980, p. 249 et Ch. HoREVOETS, <<La condition de
nationalité comme condition d'accès aux emplois publics>>, in Les agents contractuels dans la fonc-
tion publique régionale, Bruxelles, Bruylant, 1997, pp. 227 s.
(15) On trouvera des formulations du même genre dans la Constitution grecque (art. 4, al. 4)
et dans la Constitution portugaise (art. 15, al. 2) qui introduit néanmoins une exception pour les
fonctions à caractère technique. Sur ce thème, voy. J. ZILLER, Egalité et mérite :l'accès à la fonc-
tion publique dans les Etats de la C.E.E., Bruxelles, Bruylant, 1988, p. 120.
LES DROITS DU CITOYEN 161

raie, exclus de la fonction publique, et, enfin, que des lois peuvent permettre a
des étrangers d'occuper certains emplois publics (tels, par exemple, les emplois
consulaires).
On trouve la même idée dans le pacte international sur les droits civils et poli-
tiques de 1966 : <<Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discri-
minations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables ... c) d'accéder,
dans des conditions générales d'égalité aux fonctions publiques de son pays>>.
Mais pas, comme on l'a relevé, aux fonctions publiques du pays d'autrui (Les
droits politiques des étrangers, p. 55).

La condition de nationalité ne se concilie pas avec les dispositions


de l'article 48, § 4, du traité de Rome (art. 39 TCE). Une révision de
la Constitution devrait intervenir à ce propos ( 16).
Cet article mériterait, lui aussi, d'être réécrit pour tenir compte de la jurispru-
dence à tout le moins prétorienne de la Cour le justice des Communautés euro-
péennes. Il n'y a pas un fonctionnaire d'une administration nationale ou locale
qui puisse, de bonne foi, et à la seule lecture du traité de Rome, conclure qu'il
bénéficie d'un droit à poursuivre sa carrière administrative dans les services d'un
autre Etat que le sien. Le droit d'accès à la fonction publique communautaire
et aux administrations publiques organisées dans les Etats de l'Union devrait
être proclamé, avec les réserves que la jurisprudence de la Cour a établies et que
les droits nationaux accréditent.

146. - Les Belges ont un égal accès aux emplois publics. Comme
l'écrit M. WALINE, le principe d'égalité ne signifie pas que << n'im-
porte qui, étant bon à n'importe quoi, peut exiger d'obtenir n'im-
porte quel emploi public>> mais, plus simplement, que nul citoyen ne
peut être écarté a priori d'un emploi public pour des raisons qui
seraient étrangères à sa valeur personnelle.
Seules des raisons objectives, justifiées par l'intérêt du service
public, peuvent légitimer une exclusion inscrite dans une règle géné-
rale et impersonnelle. Figurent, au nombre des conditions objectives
que retiennent différents statuts, des dispositions relatives à l'âge,
à l'aptitude, à la moralité ou à la dignité des candidats.
Des tempéraments existent. Le principe de l'égal accès aux
emplois publics n'est pas absolu. Certaines lois confèrent à certains

(16) C.J.C.E., 17 décembre 1980, Commission des Communautés européennes c. Royaume de


Belgique, affaire 149/79, Recueil, p. 3881. Seul peut être réservé à un Belge <<l'emploi qui com-
porte une participation directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions
qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat et des autres collectivités publi-
ques''· Voy. L. DuBOUIS, <<La notion d'emploi dans l'administration publique et l'accès des res-
sortissants communautaires aux emplois publics>>, R.F.D.Adm., 1987, p. 951.
162 LES CITOYENS

citoyens un<< droit de priorité par rapport aux autres citoyens)) ( 17).
Il s'agit des lois du 27 juillet 1961 et du 3 avril 1964 qui ont assuré
un reclassement prioritaire aux agents publics des cadres d'Afrique,
de la loi du 16 avril 1963 qui oblige les administrations publiques à
recruter un certain nombre de personnes handicapées et de la loi du
16 juillet 1973 qui prévoit que, dans certaines administrations, il est
nécessaire d'assurer <<une répartition équilibrée des fonctions, attri-
butions et affectations entre les différentes tendances représenta-
tives)) (art. 20).
Dans Je souci d'assurer une répartition équilibrée, sinon égalitaire, des emplois
publics entre hommes et femmes, la Constitution, la loi fédérale, le décret et l'or-
donnance pourraient s'engager dans la voie hasardeuse de la définition de quotas
supplémentaires.

147. - La loi fédérale peut, dans des cas particuliers, habiliter des
étrangers à occuper des emplois publics.
Il ne s'agit pas d'accorder à tel étranger le droit d'occuper telle
fonction mais de définir, de manière générale, certaines catégories
limitées d'emplois qui ne seront pas réservés aux citoyens.
On cite, à titre d'exemples, la loi du 22 septembre 1831 permet-
tant le recrutement d'officiers étrangers, celle du 31 décembre 1851
sur les consulats et les juridictions consulaires, celle encore du
28 avril 1953 sur l'organisation de l'enseignement universitaire.

§ 2. - L'extension des droitsjonctions

A. - Le citoyen et la société politique

148. - C'est dans l'élection que s'affirment le plus nettement les


droits du citoyen (18). Le plus complètement aussi. Car, entre deux
élections, le citoyen, à moins d'être mandataire public ou titulaire
d'un emploi public, n'est-il pas dessaisi de la fonction de gouverne-
ment et d'administration de la chose publique? Le plus indirecte-
ment encore. Car, à travers l'élection, le citoyen qui participe à la
sélection des élus de la nation ou d'une collectivité plus restreinte

( 17) F. DELPÉRÉE, A. RASSON-ROLAND et M. VERDUSSEN, <<Les discriminations positives.


Belgique», A.I.J.C., 1997, XIII, pp. 75 s.
(18) R. PELLOUX, op. cit., p. 41.
LES DROITS DU CITOYEN 163

est-il en mesure de faire prévaloir une option politique précise? Une


question vient alors à l'esprit. Le citoyen ne peut-il être appelé à
participer plus fréquemment et plus directement à la décision politi-
que?

149. - Le référendum s'entend de la procédure qui permet au


peuple ou à une partie de celui-ci de décider, en lieu et place des
autorités constituées, sur une question déterminée. La consultation
populaire, pour sa part, donne la faculté au peuple ou à une partie
de celui-ci de donner son avis au cours d'une procédure de décision.
Obscurcie par des querelles de langage - référendum, plébiscite,
votation ... - et de doctrine - démocratie directe, indirecte, semi-
directe ... - , faussée aussi par l'usage que les régimes politiques les
moins respectueux des droits des citoyens font de la technique réfé-
rendaire, compliquée encore par la richesse et la diversité d'expé-
riences étrangères souvent peu comparables, la question du référen-
dum est clairement résolue en droit belge.
La Constitution prohibe l'usage du référendum. Tout au moins,
celui du référendum constituant (a contrario : art. 195) et législatif,
au niveau fédéral (a contrario : art. 36) et fédéré. Le peuple, comme
tel, entendu ici au sens de la somme des citoyens, ne saurait prendre
part au processus d'élaboration des dispositions constitutionnelles
ou législatives. Pas plus qu'il ne pourrait décider, dans les matières
qui relèvent de leurs attributions, en lieu et place des parlements et
des gouvernements de communauté ou de région ou des assemblées
et des collèges des commissions communautaires.
Dans la même perspective, la Constitution interdit l'usage du
référendum dans les collectivités territoriales plus restreintes. C'est
aux conseils communaux et provinciaux et non aux habitants des
communes et des provinces qu'est attribué le soin de régler ce qui
est d'intérêt local (art. 41, 162, al. 2, 2° et 165, § pr).

Faut-il préconiser une révision de la Constitution à ce propos 1 L'on ne peut


ignorer les données arithmétiques et politiques du problème. Le problème du
référendum ne se présente pas en Belgique comme ailleurs. Les Flamands for-
ment 58% de la population, les Bruxellois sont à 10% et les Wallons en repré-
sentent 32 %. La technique référendaire conduit à adopter une solution politi-
que dès que la barre des 50 % est franchie. Elle suffit à donner un poids considé-
164 LES CITOYENS

rable au nord du pays dans tout référendum national (19). A moins évidemment
d'organiser un référendum dont les résultats seraient comptabilisés et proclamés
par collège, étant entendu que seule la solution qui obtiendrait une réponse
majoritaire dans l'ensemble du pays et dans les deux collèges serait considérée
comme valable.

150. - La Constitution prohibe l'usage de la consultation popu-


laire au plan fédéral (20). Elle considère que seuls les représentants
de la Nation sont à même d'en traduire véritablement les volontés.
Elle part de l'idée qu'ils sont seuls habilités à en interpréter utile-
ment les préoccupations. Tel est le sens de la règle constitution-
nelle : <<Les membres des deux Chambres représentent la Nation>>
(art. 42). Le peuple, lui, ne s'exprime guère, si ce n'est à l'occasion
de l'élection de ses représentants.
Une consultation a été organisée par la loi du 11 février 1950 au sujet de <<la
question royale>>. Les Belges régulièrement inscrits sur les listes électorales pour
les élections législatives furent appelés, le 12 mars 1950, à répondre par oui ou
par non à la question suivante : <<Etes-vous d'avis que le Roi Léopold III
reprenne l'exercice de ses pouvoirs constitutionnels>>? Les résultats (57,7% de
oui et 42,3 % de non) furent communiqués au Roi, au Régent et aux Chambres
législatives. Ainsi pour mettre fin, selon l'expression même du Roi, à <<la crise
constitutionnelle qui vicie la vie politique du pays >>, pour sortir d'une situation
où les agissements inconstitutionnels n'avaient pas manqué, pour éclairer aussi
l'application qu'il fallait procurer à la loi du 19 juillet 1945, dont le caractère
inconstitutionnel pouvait difficilement être contesté (21), une procédure incons-
titutionnelle, elle aussi, a été mise en œuvre. Est-ce un précédent sérieux?

Le même raisonnement vaut pour les consultations qui seraient


organisées à l'échelon communautaire et régional. Les <<mandataires
élus>> à ce niveau disposent d'un statut et exercent des responsabi-
lités qui s'apparentent à ceux des membres des chambres légis-
latives- voy. Const., art. 119 - . Le peuple de la communauté, à
supposer qu'il puisse être défini, et celui de la région ne sauraient
s'exprimer en leur lieu et place.

(19) Pour 32% de Wallons, préconiser la voie référendaire parait relever du comportement
suicidaire. Les techniques traditionnelles qui cherchent à prévenir les risques de minorisation -
lois spéciales, sonnette d'alarme, parité gouvernementale.. - paraissent, à ce moment, leur
conférer plus de garanties (F. DELPÉRÉE, «Le citoyen est aussi un homme politique», op. cit.,
p. 36).
(20) Sur l'ensemble de la question, voy. La participation directe du citoyen à la vie politique
et administrative (travaux des XII"" journées juridiques Jean Dabin), Bruxelles, Bruylant, 1986.
(21) La loi du 19 juillet 1945 tendait «à pourvoir à l'exécution de l'article 93 de la Constitu-
tion » qui règle la matière de ''l'impossibilité de régner».
LES DROITS DU CITOYEN 165

151. - La Constitution exclut-elle les consultations qui pour-


raient être prises par les autorités provinciales sur des questions
d'intérêt provincial ?
Selon l'article 84, alinéa 1er, de la loi provinciale, le conseil pro-
vincial peut << charger un ou plusieurs de ses membres de la mission
de recueillir sur les lieux les renseignements dont il a besoin dans le
cercle de ses attributions >>. Mais on ne saurait assimiler la possibilité
de procéder à des enquêtes à la faculté d'organiser une consultation
des citoyens à l'échelon de la province.
Autres dispositions de la loi provinciale, celles des articles 140-1
à 140-12 : << Le conseil provincial peut, soit d'initiative, soit à la
demande des électeurs provinciaux, décider de consulter les élec-
teurs de la province sur les matières d'intérêt provincial >>.
152. - La loi du 10 avril 1995, complétant la Nouvelle loi com-
munale, organise la consultation populaire communale (22) (N.L.C.,
art. 318 à 329).
Une consultation communale peut être déclenchée de deux
manières, soit d'initiative par le conseil communal, soit par une
demande émanant de 10% au moins des habitants de la commune
âgés de 16 ans au moins (art. 318), sans toutefois que cette demande
n'oblige de quelque manière le conseil communal à organiser la
consultation demandée. Il appartient, en effet, au conseil communal
de décider d'organiser ou non la consultation. Il lui revient aussi
d'en tirer ou non les conclusions qui paraîtraient s'imposer (23).
La participation à la consultation communale n'est pas réservée
aux seuls <<citoyens de la commune>>. Belges et étrangers, pour
autant qu'ils soient inscrits au registre de la population, sont invités
à s'exprimer. Encore convient-il de le souligner, la participation est
facultative (art. 322, § 5). Il ne sera procédé au dépouillement que
si un seuil de participation est franchi, par exemple 10 % des habi-
tants dans les communes de plus de trente mille habitants (art. 322,
§ 6) (24).
La consultation prend la forme d'une question formulée << de
manière à ce qu'il puisse être répondu par oui ou par non>>

(22) F. DELPÉRÉE, «La consultation communale», Rev. dr. communal, 1995, pp. 287 s.
(23) Voy. aux art. 318, 319, 320 et 323, al. 3, les conditions de formes et de fond auxquelles
la demande doit répondre.
(24) Pur une critique du caractère facultatif de la consultation, voy. F. DELPÉRÉE, op. cit.,
p. 295.
166 LES CITOYENS

(art. 327). Elle porte sur des matières d'intérêt communal ou sur
tout autre objet soumis au conseil communal par l'autorité supé-
rieure (art. 318 qui renvoie aux art. 117, 118, 119, 121, 122 et 135,
§ 2, NLC).
La réponse procurée par les citoyens a la valeur d'un avis. Celui-ci
aura du poids s'il est sensé, s'il est motivé, s'il intervient à un
moment opportun, s'il est appuyé par une majorité significative.
153. - Depuis le 12 mars 1999, la Constitution accrédite, dans
son article 41, alinéa 2, ces façons de faire : <<Les matières d'intérêt
communal ou provincial peuvent faire l'objet d'une consultation
populaire dans la commune ou la province concernée. La loi règle
les modalités d'organisation de la consultation populaire)).
154. - Tel est l'état du droit positif (25). Mis à part l'usage de
l'électorat et l'exercice aléatoire du droit de pétition (26), le citoyen
voit sa participation à la direction des affaires publiques réduite à
une très simple expression.
Il faut le regretter. Maniée avec circonspection, la technique réfé-
rendaire peut présenter des avantages. C'est à condition qu'en
soient précisées les formes et les conditions d'utilisation : quand?,
dans quel ressort?, pour quelles questions?, à l'initiative de qui?,
avec quels effets?
Il ne saurait être question de réduire les techniques référendaires
au procédé simple et commode qui servirait pour des autorités gou-
vernementales à faire approuver, quand elles le souhaitent, leurs
intentions ou leurs réalisations par l'ensemble des citoyens. Une
réflexion en profondeur sur les principes et les modalités reste à
poursuivre (27).
En juin 2000, le gouvernement fédéral a pris l'initiative d'interroger la popu-
lation belge sur quelques questions relatives à une réforme de l'administration
fédérale. Il a reçu 9 % de réponses. Ces formes improvisées de consultation ou
d'enquête, réalisées en dehors de tout cadre constitutionnel et légal, sont de
nature à dévaluer les instruments officiels de démocratie directe. En dehors de

(25) On prendra connaissance, avec un intérêt particulier, des avis que l'assemblée générale
de la section de législation du Conseil d'Etat a donnés à ce sujet, le 15 mars 1985.
(26) J. V ANDE LANOTTE et Y. LEJEUNE, <<Actualité du droit de pétition», Cahiers constitu-
tionnels, 1985, n" 4.
(27) Voy. Référendums (dir. F. DELPÉRÉE), Bruxelles, Ed. CRTSP, 1985; M. GmLLAUME-HoF-
NUNG, Le référendum, Paris, P.U.F., 1994.
LES DROITS DU CITOYEN 167

tout débat et de toute campagne politique, elles n'assurent pas une participation
effective des citoyens à la gestion des affaires publiques.

B. - Le citoyen et l'administration

155. - Citoyen au regard de la société politique, l'individu


serait-il destiné à n'être qu'un sujet au regard de l'administration?
A moins d'être lui-même titulaire d'un emploi public, n'a-t-il pas
vocation d'assujetti? Cette conception anachronique, qui procède
d'une interprétation erronée du principe de distribution des tâches
politiques et administratives, tend aujourd'hui à être récusée. Les
droits du citoyen s'affirment au fur et à mesure que les devoirs de
l'administration se diversifient. C'est <<en tant que membre de la
collectivité politiquement organisée>> (28) que l'individu participe à
la distribution des avantages et des services que la puissance publi-
que procure.
Ces droits ne confèrent pas à l'individu de véritables fonctions. Ils
ne lui permettent guère d'être associé, d'une manière ou d'une
autre, à la dispensation des services auxquels il a droit. Ils n'organi-
sent pas le droit de participer à l'exercice des fonctions administra-
tives. Cette conception, elle aussi, tend à se corriger peu à peu. Tant
il est vrai que le système administratif repose sur << une représenta-
tion de l'homme>> (29) et de sa place dans l'Etat. L'évolution que
connaissent les droits du citoyen rejaillit ici sur l'évolution de l'ad-
ministration. On en relève quelques traits.
Il est des secteurs de l'administration où un véritable droit-fonc-
tion semble reconnu au citoyen. Les lois sur la milice semblent le
circonscrire. Elles définissent, dans le respect des dispositions
constitutionnelles (not. l'art. 182), la manière dont la force publique
va être organisée et dont la mission de défense du territoire va être
remplie. Mais, ce faisant, elles consacrent aussi un droit subjectif, le
jus militiae. Inscriptions et engagements, sursis et ajournements,

(28) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, «Existe-t-il des droits administratifs et sociaux dis-
tincts des droits politiques et dépourvus des garanties constitutionnelles ? », conclusions précé-
dant l'arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 1956, J.T., 1957, p. 49.
(29) J. RIVERO, «A propos des métamorphoses de l'administration d'aujourd'hui : démocratie
et administration>>, in Mélanges R. Savatier, Paris, Dalloz, 1965, p. 82l.
168 LES CITOYENS

exemptions et dispenses fournissent d'ancienneté la matière d'un


contentieux des droits politiques.
Il est aussi des secteurs de l'administration générale, communau-
taire, régionale ou locale où des fonctions qui ne sont pas de déci-
sion mais de consultation apparaissent. Cette mission consultative
peut être consacrée au profit d'un individu (à la faveur de l'audition
d'un particulier), de quelques-uns d'entre eux (à la faveur d'une
enquête), de représentants qu'ils auront désignés (au sein d'institu-
tions d'avis où siègent, par exemple, les représentants du personnel
choisis lors des élections sociales). Ce n'est qu'une mission accessoire
ou supplétive. Elle se borne à éclairer l'autorité publique qui décide.
Mais, là où elle est organisée, elle peut apparaître comme consacrant
un véritable droit au profit de l'individu (30).
Il est enfin des secteurs de l'administration où l'élection propre-
ment dite apparaît comme le mode normal de désignation des auto-
rités investies de la responsabilité de pourvoir à des intérêts publics
spécialisés. Dans les professions organisées, en particulier, l'électorat
et l'éligibilité sont octroyés aux membres de la profession.

C. - Le citoyen et la communauté internationale


156. - L'individu, sujet de droits dans la communauté interna-
tionale? L'idée n'est pas neuve. Il y a toujours eu des règles inter-
nationales pour définir des droits et des obligations qui se rappor-
taient aux particuliers. Il y a toujours eu des coutumes pour préci-
ser, en temps de paix et en temps de guerre, les éléments d'un sta-
tut juridique de la personne. Il y a toujours eu des règles de protec-
tion diplomatique. Il y a toujours eu des traités qui s'attachaient,
aux fins de protéger les droits de l'homme, à mettre en place les ins-
titutions et les juridictions qui puissent protéger efficacement les
citoyens contre l'emprise de l'Etat - le sien ou un autre - .
Ces manifestations du droit international n'ont pas pour effet de
conférer à l'individu des droits-fonctions. Dans la société internatio-
nale, les missions à remplir paraissent être le fait des Etats et des
organisations interétatiques, à moins, bien sûr, que les citoyens
soient, comme dans un Etat, associés au fonctionnement de ces

(30) Voy. Citoyen et Administration (dir. F. D~LPÉRÉE), Bruxelles, Bruylant, 1986.


LES DROITS DU CITOYEN 169

organisations et soient appelés à y détenir des fonctions particu-


lières. Deux exemples témoignent de cette évolution.
157. - Le premier exemple est emprunté au droit de la Jonction
publique internationale. Le principe de l'égal accès est inscrit, par
exemple, dans le statut du personnel de l'Organisation des Nations
Unies : le choix des fonctionnaires se fait sans distinction de race,
de sexe ou de religion (art. 4, § 3). Si des restrictions apparaissent
pour tenir compte de l'intérêt du service - des connaissances lin-
guistiques appropriées seront notamment requises - , pour assurer
un recrutement << sur une base géographique aussi large que pos-
sible>> (Charte des Nations Unies, art. 101, § 3; statut du personnel,
art. 4, § 2) ou pour établir une répartition équitable des postes entre
les ressortissants des Etats membres de l'Organisation, les statuts
consacrent le principe d'un véritable droit-fonction à mettre en
œuvre dans l'organisation internationale.
158. - Le second exemple est choisi en droit européen. La déci-
sion du conseil des ministres des Communautés européennes du
20 septembre 1976 prévoit l'élection des membres de l'Assemblée
européenne au suffrage universel direct. Comme l'a relevé le Conseil
d'Etat, cette décision a pour objet de conférer à tout le moins au
citoyen belge des droits politiques nouveaux : celui d'élire les repré-
sentants du peuple belge à l'Assemblée des Communautés euro-
péennes et celui d'y être élu en cette qualité (31).
De manière plus générale, le traité de Maastricht consacre le droit
du citoyen de l'Union de participer aux élections européennes. Elle
se fonde sur le seul critère de la résidence dans l'un des Etats-
membres. Sont désormais électeurs, outre les citoyens belges, deux
catégories de personnes : les Belges qui ont établi leur résidence

(31) La loi du 23 mars 1989, modifiée par la loi du 26 juillet 1993 et la loi du Il avril 1994
(portant exéeution de la directive du Conseil n" 93/lOOJC.E.), arrête la procédure électorale en
vue de la désignation des vingt-cinq représentants de la Belgique au Parlement européen. Elle
établit quatre circonscriptions électorales - flamande, wallonne, germanophone et celle de
Bruxelles-Hal-Vilvorde --· et trois collèges électoraux - néerlandais, français et germano-
phone - . Elle précise que le premier de ces collèges est appelé à désigner quatorze parlemen-
taires, le deuxième en choisit dix et le troisième en élit un (au scrutin majoritaire). Elle permet
aux électeurs de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde --· qui comprend les
arrondissements administratifs de Bruxelles-Capitale et de Hal-Vilvorde - de déterminer par
leur vote (en faveur d'une des listes françaises ou d'une des listes néerlandaises) le collège électo-
ral auquel ils souhaitent appartenir. Les électeurs résidant à Fourons et à Comines-Warneton
peuvent décider de voter à Aubel et à Heuvelland et, par conséquent, de faire partie respective-
ment du collège électoral français et du collège électoral néerlandais.
170 LES CITOYENS

effective dans un autre Etat membre, d'une part, les citoyens com-
munautaires qui sont âgés de dix-huit ans accomplis et qui résident
de manière habituelle en Belgique, d'autre part. La participation au
scrutin est obligatoire pour les Belges qui résident en Belgique; elle
ne l'est pas pour les deux autres catégories d'électeurs : seuls ceux
qui ont manifesté le souhait de s'exprimer en Belgique à l'occasion
des élections européennes sont tenus de participer au scrutin.
Pour être éligible au Parlement européen, il faut être inscrit en
Belgique sur une liste d'électeurs pour le Parlement européen. L'âge
d'éligibilité est fixé à vingt et un ans.
159. - La citoyenneté de l'Union peut être comprise au mtm-
mum dans trois sens distincts. Une première perspective est celle de
la subsidiarité. L'idée n'est pas d'accorder au citoyen de l'Union des
droits supplémentaires mais de lui permettre d'exercer ses droits de
citoyen communal dans l'Etat de l'Union où il réside. S'il advient
qu'un citoyen belge ne puisse participer aux élections communales
qui se déroulent en Belgique - par exemple, parce qu'il réside en
Italie et que, comme on le sait, la Belgique n'organise pas le vote
par correspondance-, il sera admis à participer aux élections pour
le renouvellement des conseils municipaux en Italie. La citoyenneté
européenne remplit ainsi une fonction supplétive.
Une deuxième perspective est celle de la complémentarité. La
citoyenneté de l'Union ouvre aussi à de nouveaux droits. L'électo-
rat et l'éligibilité au Parlement européen sont consacrés - de
manière timide dans l'Acte de 1976 puis de manière plus nette dans
le traité sur l'Union de 1992 - . Le Conseil d'Etat a souligné que la
reconnaissance de ces nouvelles formes de citoyenneté ne soulevait
aucun problème de conformité au regard de l'article 8 de la Consti-
tution (32).
Une troisième perspective ne peut être ignorée. Elle se situe à mi-
chemin de la subsidiarité et de la complémentarité. Les élections euro-
péennes en procurent un exemple significatif. Le citoyen italien qui

(32) Selon le Conseil d'Etat, "l'article 8. alinéa 2, de la Constitution (qui réserve aux Belges
le bénéfice des droits politiques) vise exclusivement la participation des citoyens belges aux élec-
tions qui sont organisées dans les diverses collectivités politiques du Royaume». Sur ce thème,
F. DELPÉRÉE, ''La participation directe des citoyens, perspectives belges et européennes>>, Ann.
dr. Lv., 1983, p. 333; A. RASSON-ROLAND, ''Le droit des citoyens européens : un développement
nouveau>>. in Vers une citoyenneté européenne, asbl Tncontri, 198.5, p. 27; F. DELPÉRÉE, "Les
formes de participation des citoyens au fonctionnement de l'Etat >>, in Le nouveau droit constitu-
tionnel, Bruxelles, Bruylant, 1987, p. 173.
LES DROITS DU CITOYEN 171

réside en Belgique est placé devant un choix. Il peut participer aux


élections belges selon les modalités que la loi belge définit. Il peut
préférer se joindre fictivement aux électeurs italiens qui procéderont
à la désignation des parlementaires européens - selon les modalités
définies par la loi italienne - .

160. - Singulièrement, le droit d'accès aux emplois publics ne


figure pas au chapitre de la citoyenneté de l'Union.
D'une part, on aurait pu penser que le traité de Maastricht consa-
crerait le droit d'accès à la fonction publique internationale en ce
qui concerne les emplois à pourvoir dans l'administration commu-
nautaire. Il n'en est rien. On peut le regretter. Un tel droit pourrait
figurer parmi ceux dont les traités révisés consacreraient à l'avenir
l'existence et dont ils se préoccuperaient d'assurer la protection.
D'autre part, on aurait pu imaginer que le traité de Maastricht
reprendrait à son compte, fût-ce pour en préciser la portée, les solu-
tions que le traité de Rome avait établies, quarante ans plus tôt,
aux fins d'assurer la libre circulation des travailleurs, y compris
dans le domaine de l'administration publique. Les réformateurs du
traité n'ont pas jugé utile de revoir la rédaction de l'article 39 TCE,
sans doute pour ne pas ressusciter les difficultés d'interprétation
que cette disposition avaient entre-temps suscitées.

SECTION Il. - LA PROTECTION DES DROITS-FONCTIONS

161. - Il n'est de droits que protégés.


Sans protection juridique, les droits - ceux des citoyens et ceux
de l'homme - survivent à la manière des proclamations inscrites
dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Leur signifi-
cation morale ou politique n'est pas à dédaigner. Mais l'énoncé de
ces << droits >> n'engage personne, ni l'organisation internationale
dont l'assemblée générale adopte cette déclaration, ni les Etats
membres, ni les institutions de ces Etats. Le citoyen, lui, ne saurait
revendiquer le bénéfice de pareils << droits >>.
L'Etat qui entend protéger les droits des citoyens ne peut se
contenter de déclarations de principes. Il doit préciser les conditions
concrètes qui sont mises à l'exercice des droits-fonctions (§ 1er).
Outre la condition première de nationalité, la Constitution et la
loi fédérale formulent, pour l'exercice de tel ou tel droit, des exi-
172 LES CITOYENS

genees complémentaires. Organisant le régime des droits-fonctions,


elles restreignent le champ des bénéficiaires de pareilles mesures :
participeront à la vie politique ceux-là seuls qui réunissent des
conditions particulières, telles l'âge (A), le domicile (B) et la jouis-
sance des droits civils et politiques (C). La définition de ces condi-
tions, toujours restrictives, va de pair avec la protection effective
des droits-fonctions.
La reconnaissance des droits-fonctions s'accompagne aussi de l'or-
ganisation de procédures qui permettent au citoyen de faire valoir
les prérogatives qu'il détient. La protection se double alors d'une
sanction. Des procédures de contrôle sont mises en place (§ 2).
Le contentieux électoral, sous son double aspect du contentieux
de l'électorat (A) et de l'éligibilité (B), en constitue l'une des pièces
majeures. Le contentieux de l'accès aux emplois publics (C) en pré-
sente un autre aspect. Le droit électoral comme le droit de la fonc-
tion publique suscitent sans doute des contrôles plus étendus; ils ne
retiennent ici l'attention que dans la mesure où ils mettent en cause
l'exercice d'un droit-fonction.

§l er. - Les conditions d'exercice des droits-fonctions

A.- L'âge

162. - La qualité de Belge, telle qu'elle est définie par la loi


civile, ne suffit pas, à elle seule, à conférer à un individu la qualité
de citoyen. Le Code civil lui-même renvoie à ce sujet à la Constitu-
tion : <<La qualité de citoyen ... ne s'acquiert et ne se conserve que
conformément à la loi constitutionnelle)) (art. 7). L'article 8, ali-
néa 2, de la Constitution lui fait écho : <<La présente Constitution et
les autres lois relatives aux droits politiques déterminent quelles
sont, outre cette qualité (celle de Belge), les conditions nécessaires
pour l'exercice de ces droits)).
Parmi les conditions que la Constitution et les lois fédérales
retiennent communément, celle de l'âge figure en première place.
L'âge, conçu par référence à un chiffre-plancher, peut être porteur de pro-
messes. Il est gage de progrès et d'épanouissement. Il procure à une personne
le bénéfice des droits de l'homme. Il peut lui ouvrir les portes de la citoyenneté.
Il contribue à lui conférer des avantages culturels, économiques et sociaux. Que
demander de plus à l'âge naissant puis à l'âge mûr?
LES DROITS DU CITOYEN 173

Le même âge, entendu par référence à un chiffre-plafond, peut, au contraire,


fermer des portes. Il est signe d'achèvement, sinon de repli. Il prive une per-
sonne d'une part de ses droits. Il lui enlève la faculté d'occuper des emplois,
dans le secteur privé ou dans la fonction publique. Il lui ôte les avantages
sociaux dont elle avait le bénéfice, même s'il lui en attribue d'autres. Il clôt la
carrière. Permettra-t-il, surtout s'il intervient prématurément, d'ouvrir une
seconde vie 1 Et de quels fils celle-ci sera-t-elle tissée 1 Un autre statut public
peut-il s'esquisser à ce moment 1 Et à quel prix 1
La vie humaine oscille entre des planchers et des plafonds. Non pas que l'âge
prescrive des limites rigides. Il y a des barrières souples. Il y a des dérogations.
Il y a des régimes particuliers. Il y a surtout des comportements, des mentalités
et des attitudes distincts. Il y a des actifs inactifs de la même manière qu'il y
a des non-actifs actifs ...
L'âge dessine plutôt des lignes- tantôt de départ, tantôt d'horizon-. C'est
en fonction d'elles que la condition de la personne évolue par strates successives
(F. DELPÉRÉE, «L'âge>>, in Mélanges offerts à Michel Fromont, à paraître).

163. - L'âge-plancher, par excellence, est celui de la naissance.


<<L'homme naît libre ... >>. Dès sa naissance, l'enfant est un être
humain à part entière. Il est une personne libre. Il possède les qua-
lités requises pour faire partie de la famille, de la société mais aussi
de l'Etat. L'éducation que procurent le milieu familial ou scolaire
lui permettra de jouir pleinement de cette liberté foncière.
<<Nos principes constitutionnels>> et, notamment nos libertés
publiques, concernent toute personne <<sans distinction d'âge>>, pré-
cise la Cour d'appel de Liège, dans son arrêt du 5 mai 1909 (Pas.,
II, p. 219) (33).
L'enfant peut revendiquer le bénéfice des droits de l'homme. Il ne
profite pas pour autant des droits du citoyen.
La distinction se justifie aisément. Une condition d'aptitude à
remplir la fonction est formulée sous le couvert de l'exigence rela-
tive à l'âge. A partir d'un âge déterminé, le citoyen est présumé suf-
fisamment instruit. Il dispose de facultés de discernement. Il est
apte à choisir- des personnes ou des projets - . Il est habilité à
participer avec d'autres à la conduite des affaires publiques. Il ne
saurait, en tout cas, en être exclu.
Si telle est la signification de l'âge, il faut convenir qu'il est
appelé à évoluer, au sein d'une société, en fonction de l'état d'ins-

(33) L'idée ne surprend plus guère aujourd'hui. Même si l'art. 14 de la Convention européenne
des droits de l'homme ne retient pas l'âge, mais la naissance, comme condition inadmissible pour
fonder une distinction dans l'exercice de tels droits.
174 LES CITOYENS

truction de la population. Les progrès de la démocratie politique qui


veut que le suffrage soit aussi universel que possible sont tributaires
ici des progrès de la démocratie culturelle.
L'âge de 21 ans a longtemps été retenu pour organiser l'électorat.
Il coïncidait, à l'époque, avec l'âge de la majorité civile. Après avoir
été bon élève et bon soldat, pourquoi le jeune homme ne serait-il
pas bon époux et bon citoyen? Mais l'âge de la majorité civile a lui-
même été ramené à une limite inférieure. L'âge de dix-huit ans fait
actuellement figure de norme standard dans les Etats européens. Il
peut notamment servir à identifier les citoyens de l'Union (34).
L'exercice d'un mandat public requiert-il plus d'aptitude que
l'exercice des droits du citoyen-électeur? Siéger dans une assemblée,
gérer une commune ou une province, interpeller le gouvernement,
exercer la fonction exécutive ... S'agit-il là de tâches qui peuvent
être octroyées au premier électeur venu? Ou faut-il, par différents
filtres, rétrécir les voies d'accès aux fonctions politiques et adminis-
tratives (35)? Convient-il, par exemple, d'établir des catégories
d'éligibles en prescrivant un âge minimum, plus important que celui
requis pour l'électorat ?
Dans un régime représentatif, l'éligibilité, comme le suffrage, ten-
dent à l'universalité. Il n'empêche que, dans la pratique, des condi-
tions plus sévères sont mise à l'exercice de fonctions électives.
Ainsi, l'âge de 18 ans est retenu pour l'éligibilité au conseil com-
munal, au conseil d'agglomération ou de fédération de communes et
au conseil provincial. L'âge de 21 ans est, par contre, retenu pour
l'éligibilité à la Chambre des représentants (Const., art. 64, al. l"r,
3°), au Sénat (Const., art. 69, 3°), dans les parlements de commu-
nauté et de région ainsi qu'au Parlement européen.

(34) Pourquoi pas 16 ans L Les évolutions du droit civil et du droit pénal peuvent inciter à
moduler les formes de participation citoyenne. Là, par exemple, où des consultations commu-
nales sont organisées, la loi permet à des jeunes de plus de 16 ans qui ne sont pas encore en droit
de voter, de se prononcer, avec d'autres, sur l'implantation d'un centre sportif ou sur l'organisa-
tion d'un établissement scolaire. Il serait singulier que les principaux intéressés n'aient pas droit
à la parole, surtout si, comme en l'espèce, il ne s'agit pas de décider mais de procurer un avis
aux autorités publiques compétentes (n" 152).
(35) Un âge-plancher peut être déterminé. Un chiffre est fixé ne varietur. Il peut aussi être
indéterminé. Il est prescrit par la loi fédérale ou les règlements. Mais il n'est pas formulé par réfé-
rence à un chiffre précis. Il se déduit de l'inventaire des conditions qui sont prescrites pour l'ob-
tention de tel emploi public. Nul ne saurait être agent public s'il n'est porteur de tel diplôme,
s'il n'a présenté ensuite tel concours, s'il ne bénéficie d'une expérience professionnelle d'autant
d'années, s'il n'a accompli un stage administratif de plusieurs mois ... L'accumulation des durées
minimales requises pour accomplir ces diverses opérations suffit à inscrire le recrutement d'un
agent dans des périodes de la vie qui oscillent entre 20 et 30 ans.
LES DROITS DU CITOYEN 175

Jusqu'il y a peu, l'âge de 40 ans était retenu pour présenter une


candidature à l'élection sénatoriale. Ce qui permettait d'aligner la
composition de l'assemblée sur les lois de l'étymologie. Seuls les
seniors siégeaient au Sénat. Une certaine expérience était promue.
L'exercice antérieur d'autres fonctions ou mandats était exigée. Une
plus grande notoriété était souhaitée. Malgré des règles de composi-
tion différente, les deux chambres se ressemblaient, cependant, à s'y
méprendre, y compris en ce qui concernait l'âge des parlementaires.
Dans sa décision du 30 mai 1975, la Commission européenne des droits de
l'homme n'a pas vu d'objection à cette pratique : <<Dans un système bicaméral,
il n'est pas arbitraire de prévoir que l'une des chambres est composée de per-
sonnes à qui l'âge a permis d'acquérir une plus longue expérience politique ...
Cette condition (ne) porte (pas) atteinte à la libre expression de l'opinion du
peuple sur le choix du corps législatif>>.

164. - L'absence de plafond est la règle pour le bénéfice des


droits de l'homme. De la même manière que les jeunes, sans autre
précision, peuvent en revendiquer le bénéfice, les personnes âgées
sont en mesure de les réclamer, sans autre limite. Ce qui est une
manière de dire que la perte progressive de capacités physiques et
mentales peut être sans effet sur des pans entiers du statut constitu-
tionnel de l'individu.
L'âge est également sans effet sur l'électorat. Une fois la maturité
acquise, l'électeur est censé la conserver indéfiniment. Des disposi-
tions particulières peuvent sans doute être prescrites pour aider la
personne âgée à remplir utilement sa fonction. L'assistance d'un
membre du bureau électoral peut être prescrite. L'aménagement des
locaux de vote peut être envisagé par la législation électorale. Le
transport des électeurs au lieu des opérations peut être organisé.
Puisque le vote est obligatoire, l'âge ne permet pas d'obtenir une
dérogation à l'obligation de voter. Seul l'état de santé de l'élec-
teur - jeune ou moins jeune - peut l'amener à remplir son devoir
électoral par voie de procuration ou à justifier son absence au
bureau de vote.
L'âge est encore sans incidence sur l'exercice des fonctions qm
sont assumées à vie. Dans une monarchie, par exemple, la couronne
se transmet par la voie de l'hérédité. Le roi assume ses fonctions
jusqu'au terme de sa vie, à moins que son état de santé ne soit gra-
vement déficient. Les infirmités de l'âge ne sauraient, à elles seules,
176 LES CITOYENS

justifier un retrait. C'est la mort du souverain régnant qui ouvre la


succession au trône.
L'exercice viager d'une fonction ou d'un emploi public reste néan-
moins l'exception. L'âge venant, une réduction de l'activité person-
nelle et professionnelle s'impose. Les moyens pour asseoir cette règle
peuvent être différents.
Là même où la fonction est, en principe, conférée à vie, la prati-
que tend à accréditer l'idée que seule la vie utile, selon une expres-
sion peu élégante, est à prendre en compte. Les magistrats, par
exemple, sont nommés à vie. C'est un élément essentiel de leur sta-
tut et une condition de leur indépendance. Ils peuvent néanmoins
être mis à la retraite.
Des restrictions plus draconiennes peuvent être imposées. A par-
tir de 65 ans, par exemple, dans la fonction publique, il convient de
prendre retraite. Les limitations qui sont imposées de manière géné-
rale et indifférenciée ne tiennent pas compte de la situation de la
personne retraitée, de ses mérites professionnels ou de son aptitude
à poursuivre la tâche.
Des réglementations particulières peuvent renforcer le poids des mesures
constitutionnelles ou légales. Ainsi différentes formations politiques imposent
des conditions spécifiques à ceux qui désirent se revendiquer de leur patronage.
La limite d'âge est inscrite dans les statuts de divers partis. Elle fait barrière
à des candidatures qui se réclament de l'investiture de ces formations. L'obstacle
peut être de taille dans un Etat qui privilégie le scrutin de liste. Des dérogations
peuvent, certes, être accordées. Elles ne font que renforcer le poids des appareils
sur le choix des électeurs et, en définitive, sur le processus de sélection des élus.

B. -Le domicile

165. - La notion de<< domicile>> n'est pas inconnue de la Consti-


tution qui consacre au principe de son inviolabilité une disposition
particulière, l'article 15 (no 205).
Elle n'est pas non plus étrangère au Code pénal qui, au chapitre
des atteintes portées par des fonctionnaires publics aux droits
garantis par la Constitution, entend réprimer l'infraction de viola-
tion de domicile (art. 148).
Elle est inscrite aussi dans les dispositions du Code civil qui le
fixe, mais uniquement quant à l'exercice des droits civils, au lieu du
principal établissement (art. 102) et qui règle les modalités du chan-
gement de domicile (art. 103 s.).
LES DROITS DU CITOYEN 177

La référence au <<domicile>> contribue aussi à définir une condi-


tion supplémentaire à l'exercice des droits-fonctions. La notion doit
être, à cette occasion, précisée. S'agit-il partout du même domicile?
166. - Le domicile est un élément de l'électorat.
Nonobstant la modification de l'article 61 de la Constitution
(art. 47 ancien) et de l'article 1er de la loi électorale communale,
l'électeur général tout comme l'électeur communal doit être domici-
lié dans une commune belge.
Deux préoccupations distinctes apparaissent.
La première est d'ordre administratif. Pour les électeurs gene-
raux, la domiciliation sert à déterminer un facteur objectif de ratta-
chement du citoyen à l'une des communes du Royaume. Puisque le
vote <<a lieu à la commune>> (Const., art. 62, al. 3), il faut détermi-
ner celle où le citoyen va exercer effectivement ses droits. Il peut
paraître commode de choisir la commune où il peut justifier d'un
domicile durant une période suffisamment longue.
La seconde préoccupation est d'ordre plus politique. Pour les élec-
teurs communaux, la domiciliation apparaît aussi comme condition
et· gage d'appartenance à la collectivité locale, celle dont il s'agit
précisément de désigner les représentants.
Dans les deux cas, la notion de domicile électoral reçoit pourtant
la même signification : le domicile électoral du citoyen est au lieu de
sa résidence principale (C. El., art. 1er, 3° et 10, § 2).
En principe, c'est l'inscription au registre de la population d'une
commune qui sert à prouver le lieu du domicile électoral puisque
l'inscription à ce registre doit se faire nécessairement dans la com-
mune où une personne a sa résidence principale (loi du 19 juillet
1991, art. 3, al. Pr); elle conduit à l'inscription au registre des élec-
teurs (36).
167. -La loi fédérale du 18 décembre 1998 corrige quelque peu
les prescriptions constitutionnelles sur ce point. Elle permet à des
Belges qui sont établis à l'étranger de participer aux élections légis-
latives, et à celles-là seulement. En tout cas, ils y ont le droit de
vote.
(36) La preuve du domicile électoral que constitue l'inscription au registre de la population
repose sur une présomption réfragable (M. VERDUSSEN, ''Le rôle des autorités de la commune à
l'occasion des élections communales du 9 octobre 1994 >>, Rev. Dr. Comm., 1994, p. 181).
178 LES CITOYENS

Les Belges qui partent s'établir à l'étranger peuvent déclarer vou-


loir conserver leur droit de vote. Ils sollicitent, à ce titre, leur ins-
cription au registre des électeurs belges établis à l'étranger (art. 2,
§ pr et 11). S'ils n'ont pas fait cette déclaration ou s'ils n'ont jamais
résidé en Belgique (37), les Belges résidant à l'étranger peuvent
introduire une demande d'agrément en qualité d'électeur et solliciter
à ce titre leur inscription au registre des électeurs belges établis à
l'étranger (art. 2, § 2 et 11).
Les demandes d'inscription ou d'agrément sont introduites au
moyen d'un formulaire portant désignation d'un électeur, inscrit au
registre de la population d'une commune belge : il appartient à ce
mandataire (38) de voter par procuration au nom du Belge résidant
à l'étranger (39) (art. 5, al. 2).
La mise en œuvre de cette réforme tourne au fiasco. Quelque 550.000 Belges
sont établis à travers le monde. Seuls trente-huit d'entre eux introduisent une
<<demande d'agrément comme électeur» auprès du ministre des Affaires étran-
gères. Dix-huit dossiers sont, en définitive, acceptés (40).
Il faut regretter- c'est un euphémisme - ce manque d'ouverture aux exi-
gences de la citoyenneté. Tout se passe comme si la machine législative et admi-
nistrative s'était emballée pour multiplier, souvent pour de bonnes raisons, les
conditions, les délais et les frais. Le résultat dépasse les espérances. A quelques
exceptions près, ceux qui étaient voués à s'agréger au corps électoral belge sont
empêchés de le faire.
Le gouvernement se préoccupe, pour l'instant, de corriger quelques-uns des
défauts de la législation existante. Il s'attache notamment à organiser, au profit
des « Belges de l'étranger >> le vote par procuration et le vote par correspondance.
Le citoyen belge résidant à l'étranger serait habilité à s'exprimer de cinq
manières différentes. l. - Résidant à l'étranger mais de passage en Belgique au
moment des élections, le citoyen est amené à émettre personnellement un suf-
frage. 2. - Résidant à l'étranger, le citoyen donne procuration à un autre

(37) Le Belge de l'étranger qui n'a jamais résidé en Belgique et qui introduit une demande
d'agrément doit justifier qu'il possède la qualité de Belge, qu'il est âgé de dix-huit ans accomplis,
qu'il réside à titre habituel sur le territoire de l'Etat où il est établi et qu'il est détenteur des
autorisations de séjour nécessaires à cette fin. Il doit également déclarer sur l'honneur qu'il n'a
pas encouru dans l'Etat où il est établi de condamnations qui, si elles avaient été prononcées en
Belgique, emporteraient la déchéance ou la suspension de ses droits électoraux et qu'il ne jouit
pas du droit de vote pour les élections législatives dans l'Etat où il est établi.
(38) Le mandataire doit avoir un lien de parenté ou d'alliance avec le mandant (art. 5, al. 4),
il votera dans la commune belge où le mandant a résidé en dernier lieu ou, si le mandant n'a
jamais résidé en Belgique, dans la commune où le mandataire est lui même inscrit comme élec-
teur (art. 5, al. 5).
(39) L'électeur établi à l'étranger pourra être admis à voter en personne à l'occasion d'un
retour au pays (art. 5, al. 6).
(40) E. ARCQ et P. BLAISE, <<La préparation des élections législatives du 13 juin 1999 », CH.
Crisp, 1999, n" 1463, p. 37.
LES DROITS DU CITOYEN 179

citoyen qui réside lui-même en Belgique et qui y émettra en son nom et pour
son compte son suffrage. 3. - Résidant à l'étranger, le citoyen se rend à l'am-
bassade ou au consulat de Belgique pour y émettre un vote qui sera acheminé,
par courrier, en Belgique. 4. ---- Résidant à l'étranger mais n'ayant pas l'occa-
sion de se rendre dans un poste diplomatique ou consulaire, le citoyen donne
procuration à un autre Belge qui vit dans le même pays et qui ira voter, pour
son compte, auprès de ce poste. 5. - Résidant à l'étranger, le citoyen va rece-
voir par la poste un bulletin de vote qu'il renverra par le même chemin en Bel-
gique.
Le cinquième mode de vote laisse rêveur. Qu'en est-il du secret du vote?
Qu'en est-il du secret du dépouillement?

168. - Le domicile peut aussi apparaître comme condition de l'éli-


gibilité.
Pour être éligible à la Chambre des représentants (art. 64, al. 1er,
4"), au Sénat (art. 69, 4") ou au Parlement européen, il faut<< avoir
son domicile en Belgique >>. Pour pouvoir être élu et rester conseiller
provincial, conseiller d'agglomération ou de fédération, conseiller
communal, il faut être domicilié dans la province (L. él. pr., art. 23,
3") ou être inscrit au registre de la population de l'une des com-
munes de l'agglomération ou de la fédération (loi du 26 juillet 1971,
a~t. 8, § 2) ou de la commune (L. él. corn., art. 65). Cette condition
doit être remplie au jour de l'élection.
Une précision s'impose. Le domicile auquel il est ainsi fait réfé-
rence n'est plus le domicile électoral, mais le domicile civil que
visent les articles 102 et Ill du Code civil. Ce n'est plus le lieu d'une
résidence habituelle mais celui d'un principal établissement. Les
deux coïncident le plus souvent. Mais là notamment où le Code civil
(art. 107 et 109) impose à la personne un domicile légal, le domicile
pris en compte pour l'électorat risque de ne pas correspondre au
domicile à prendre en considération pour vérifier les conditions
d'éligibilité.
C'est l'idée de l'appartenance à une collectivité politique -l'Etat
fédéral ou ses subdivisions - qui prévaut ici encore. Elle se com-
plète, à l'occasion des élections législatives, par la préoccupation
d'indiquer que les élus d'un collège électoral sont appelés à devenir
les représentants de la Nation (art. 42); ils ne sont pas tenus d'avoir
leur domicile dans le collège qui les élit.
Le domicile n'apparaît qu'exceptionnellement, et pour des acti-
vités particulières, comme condition mise à l'exercice d'une fonction
publique.
180 LES CITOYENS

C. - La jouissance des droits civils et politiques


169. - Certains citoyens ont l'âge et le domicile requis. Ils sont
néanmoins privés de leurs droits politiques. La capacité électorale
est tributaire de la capacité civile. La fonction électorale est aussi
subordonnée à des conditions élémentaires de moralité et de
civisme. L'exercice des droits-fonctions est lié à ce qu'il est convenu
d'appeler d'une formule générique<< la jouissance des droits civils et
politiques )).
Cette exigence constitutionnelle (art. 61, al. 1er, 64, al. 1er, 2°, et
69, 2°) trouve, sous sa forme négative, une consécration dans la loi
qui se préoccupe d'organiser un régime d'incapacité électorale. Il
vaut pour toutes les élections à quelque niveau qu'elles soient orga-
nisées.
Il peut s'agir d'incapacités relatives, sous forme de suspension des
droits électoraux pour la durée de l'incapacité (C. El., art. 7, 1o et
227) : elles frappent les interdits, les aliénés séquestrés, les personnes
sous statut de minorité prolongée, ceux qui sont internés en applica-
tion de la loi de défense sociale.
Il peut encore s'agir d'incapacités partielles, sous forme de suspen-
sion de la seule éligibilité : la personne privée de l'électorat est inéli-
gible, mais une personne privée de l'éligibilité ne perd pas nécessai-
rement la qualité d'électeur (C. El., art. 227).
Il peut aussi s'agir d'incapacités temporaires, sous forme d'une
suspension pour une durée déterminée des droits électoraux (C. El.,
art. 7, 2° et 227) (41). Elles frappent ceux qui ont été condamnés à
ùne peine d'emprisonnement principal de trois mois au moins pour
délit volontaire (si elle n'est pas assortie de sursis); la suspension est
de six ans pour une peine de plus de quatre mois à trois ans et de
douze ans pour les peines de plus de trois ans (42).
Il peut enfin s'agir d'incapacités absolues, sous forme d'une exclu-
sion définitive de l'électorat et de l'éligibilité (C. El., art. 6 et 227).

(41) Voy. égal. l'art. 210, al. 3 du Code électoral qui permet de rayer des listes électorales
pour une durée de dix ans celui qui s'abstient, pour la quatrième fois dans une période de quinze
ans, de remplir son devoir électoral.
(42) Les personnes mises à la disposition du gouvernement par application de l'article 38lbis,
3° du Code pénal ou par application des articles 22 et 23 de la loi de défense sociale sont égale-
ment frappées de la suspension de leurs droits électoraux.
LES DROITS DU CITOYEN 181

Elles frappent ceux qui ont été condamnés à une peine crimi-
nelle (43).
La jouissance des droits civils et politiques conditionne également
l'accès à un emploi public.

§ 2. - Les garanties des droitsjonctions

A. - Le contentieux de l'électorat
170. - L'électorat se constate par l'inscription au registre des
électeurs. Ce fichier qui est réalisé par l'administration commu-
nale (44) recense les données qui permettent d'identifier chaque
électeur par ses nom, prénoms, date de naissance, sexe et résidence
principale (C. El., art. 10, § 2). Il sert à répertorier tant les électeurs
généraux que les électeurs communaux.
Le corps électoral se révèle -- il faudrait peut-être écrire : se réveille ... - le
jour de l'élection. Il n'a pas d'existence permanente. A ce titre, il est dépourvu
d'une administration qui lui est propre. Il doit compter sur l'aide technique des
collectivités locales qui, pour un temps, affectent une part de leurs autorités, de
leurs services et de leurs personnels, à l'organisation de l'élection.

Le collège des bourgmestre et échevins se voit, à cet égard, investi


de deux missions distinctes.
La première est d'ordre administratif. Le collège assume dans
chaque commune la responsabilité de faire établir et de tenir à jour
le registre des électeurs.
La seconde mission est d'ordre juridictionnel. Le collège des
bourgmestre et échevins connaît des << réclamations )) introduites par
toute personne <<indûment inscrite, omise ou rayée)) (C. El., art. 18)
ainsi que des recours formulés par tout électeur qui s'estime réperto-
rié selon des mentions inexactes. C'est un contentieux du droit poli-
tique de l'électorat qui se noue ainsi devant l'institution de juge-
ment appelée à statuer au niveau local. Des garanties entourent
l'action du collège : il doit statuer en audience publique; il doit
entendre les parties; il doit rendre une décision motivée.
Des voies de recours sont organisées. Les décisions du collège des
bourgmestre et échevins peuvent faire l'objet d'un appel, par voie

(43) Voy. aussi le régime des déchéances pour fait d'incivisme et la loi du 30 juin 1961.
(44) Peu importent les modalités pratiques de réalisation du registre feuilles enliassées,
fiches, bandes magnétiques, listing d'ordinateur, cartes perforées ..
182 LES CITOYENS

d'une déclaration dans un registre spécial (C. El., art. 26, al. 1er et
4); c'est la cour d'appel qui aura à en connaître. Son arrêt n'est sus-
ceptible d'aucun recours (45) (C. El., art. 34).

B. - Le contentieux de l'éligibilité
171. - A la différence des contestations portant sur le jus suf-
Jragii, celles qui ont trait au jus honorum échappent pour l'essentiel
à l'appréciation des autorités communales. L'explication est simple.
Le contentieux de l'éligibilité ne saurait être totalement dissocié du
contentieux de l'opération électorale prise dans son ensemble.
Un litige peut naître à propos de la réunion ou de la perte des
seules conditions d'éligibilité d'un candidat. Mais l'opération de
désignation des élus n'a-t-elle pas été faussée par cet élément
d'inexactitude?
Les bureaux chargés de la conduite des opérations électorales
vont s'efforcer de limiter le nombre des litiges. Ils ont compétence,
en effet, pour vérifier certaines conditions d'éligibilité des candidats
(C. El., art. 119bis). Le bureau principal d'arrondissement peut
écarter ceux qui, au jour de l'élection, n'atteindront pas l'âge ou ne
jouiront pas des droits politiques requis. A l'occasion d'élections
communales, ils éliminent aussi le candidat qui n'est pas inscrit au
registre de la population de la commune, au jour de la présentation
des listes (46).
D'autres questions peuvent surgir. Il y a lieu, à l'issue des élec-
tions, de vérifier si les conditions d'éligibilité - qui doivent être
acquises au jour du scrutin - sont réunies par les élus.
A l'occasion des élections communales, les candidats, et eux seuls,
sont autorisés à introduire une réclamation contre l'élection. C'est
auprès de la députation permanente (L. él. corn., art. 74, §1er,
al. 1er) (47) et, en appel, auprès du Conseil d'Etat (lois coord.,
art. 16, 1 °) qu'ils sont invités à agir. Les juridictions administra-

(45) F. DELPÉRÉE, Le contentieux électoral, Paris, P.U.F., 1998, colL Que sais-je?, p. 13.
(46) Un système de réclamation est organisé contre les décisions qui se rapportent à l'éligibi·
lité des candidats. C'est la cour d'appel qui est amenée à en connaître (C. EL, art. 125 s.). Ses
arrêts <<ne sont susceptibles d'aucun recours» (C. EL, art. 125quater).
(47) En ce qui concerne les réclamations à propos des élections communales qui sont organi·
sées dans les dix-neuf communes bruxelloises, les compétences juridictionnelles anciennement
détenues par la députation permanente du Brabant sont exercées par un collège de neuf membres
désignés par le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale (L sp. 12 janvier 1989, modifiée le
16 juillet 1993, art. 83quinquies. § 2).
LES DROITS DU CITOYEN 183

tives annulent les élections pour tout motif d'irrégularités << suscep-
tibles d'influencer la répartition des sièges entre les différentes
listes)) (art. 74bis).
A l'occasion des élections provinciales ou législatives, au
contraire, ce sont les assemblées elles-mêmes qui procèdent à <<la
vérification des pouvoirs de leurs membres)) (Const., art. 48). Il ne
s'agit pas d'une forme de contrôle politique dans son objet : les
commissions de vérification sont appelées à statuer en application
de la règle de droit. Il s'agit, par contre, d'une forme de contrôle
systématique : les assemblées n'ont pas à statuer sur des réclama-
tions; elles vérifient, pour chaque arrondissement, la régularité des
opérations électorales; elles s'assurent aussi que tous les élus réunis-
sent les conditions d'éligibilité (48).
172. - Trois problèmes doivent être envisagés.
Qui est juge ? La situation ne manque pas d'être paradoxale. A la première
séance qui suit les élections générales, aucun parlementaire n'a pu être vérifié.
Ce sont donc des individus sans pouvoirs reconnus qui vont se prononcer sur les
pouvoirs d'autres individus tout aussi peu reconnus. A charge de revanche, sans
doute. Il y a là un cercle vicieux, comme l'écrivait Pierre WIGNY, à première vue
infranchissable.
On résout le problème en attribuant à chaque élection << une présomption de
validité>). Chacun est censé valablement et régulièrement élu jusqu'à preuve du
contraire - la Convention nationale parlait de ''présumés députés >> -- . Chaque
membre dont l'élection n'est pas contestée prend part à l'opération de vérifica-
tion.
Que doit juger l'assemblée? Elle vérifie, comme disent les textes constitution-
nels, les pouvoirs de ses membres. Elle s'en saisit ex officia. Qu'il y ait ou non
contestation. Mais comment juger s'il n'y a pas litige? Les textes constitution-
nels le précisent aussi. L'assemblée connaît également des contestations qui
s'élèvent au sujet des élections. Mais celles-là seulement? L'assemblée peut-elle
censurer des irrégularités qui n'ont fait l'objet d'aucune contestation mais qui
témoignent d'une atteinte caractérisée à des règles d'ordre public? Une indéci-
sion règne quant à la détermination précise des missions de l'assemblée.
Comment doit juger l'assemblée? L'on peut s'interroger sur la qualification des
parlementaires et des assemblées pour résoudre des problèmes délicats qui ont
trait, par exemple, à des questions de nationalité, de domicile, de capacité civile
et politique. L'on peut aussi se demander si l'exercice de la fonction de justice,
même parlementaire, ne doit pas s'accompagner de garanties procédurales, telles

(48) En la matière, le contrôle des assemblées déborde la simple vérification de la réunion par
les élus des conditions d'éligibilité. L'assemblée peut ainsi invalider les pouvoirs de l'un de ses
membres et faire appel à son suppléant. En cas d'irrégularité grave qui a pu fausser la dévolution
des sièges entre les listes en présence, elle peut provoquer une nouvelle élection dans l'arrondisse-
ment concerné.
184 LES CITOYENS

celles qui sont inscrites dans l'article 6 de la Convention européenne des droits
de l'homme. Pour ne prendre qu'un exemple, n'y a-t-il pas lieu d'entendre les
personnes concernées 1 Ne faut-il pas assurer la publicité des audiences et des
sentences 1 Ne convient-il pas de motiver en la forme les décisions qui mettent
un terme au contentieux électoral 1 Ne faut-il pas assurer des voies de recours
contre les décisions de justice parlementaire 1
De ces différents points de vue, le contentieux parlementaire peut paraître
rudimentaire.

Le même principe vaut pour les parlements de communauté et de


région (l. sp. 8 août 1980, art. 31).
A l'occasion des élections européennes, c'est la Chambre des
représentants qui est appelée à exercer ce même contrôle si elle est
saisie d'une réclamation.
173. ~ Les litiges portant sur des question de droit électoral ne
sont pas examinées par une seule juridiction (49). Le juge judiciaire
considère qu'il lui incombe d'intervenir dans l'urgence, y compris en
période électorale, si les droits et libertés des citoyens sont en jeu.
Quant au juge administratif, il peut connaître avant même les élec-
tions de recours tendant à l'annulation ou à la suspension de déci-
sions qui sont prises par une autorité associée à la préparation des
élections.
La R.T.B.F. est tenue de diffuser une tribune électorale lorsque celle-ci émane
d'un parti démocratique. En revanche, elle n'est pas tenue d'agir de même à
l'égard d'une formation<< qui ne respecterait pas les principes et les règles de la
démocratie ou ne s'y conformerait pas >>. Si des propos anodins émanent de per-
sonnes <<par ailleurs connues pour ne pas respecter les valeurs '' démocratiques,
ils peuvent ne pas être diffusés par une institution investie d'une mission de ser-
vice public. En l'occurrence, le Conseil d'Etat ne se réfugie pas derrière un argu-
ment de procédure. II examine, sans se dérober, la question de conformité démo-
cratique qui lui est incidemment posée. II se prononce sur la nature des agisse-
ments et des discours d'un parti politique.

La situation est loin d'être satisfaisante. Elle peut conduire tant


au déni de justice qu'au recoupement systématique des compétences
juridictionnelles.

(49) ''Courtes crises>>, J. T., 1999, p. 632.


LES DROITS DU CITOYEN 185

C. - Le contentieux de l'accès aux emplois publics


174. - Il n'y a pas un véritable droit à occuper un emploi
public (50). Il y a droit, par contre, à voir respecter les règles de
l'égal accès à la fonction. Un contentieux s'ensuit. Ce n'est pas un
contentieux des droits politiques, mais celui de la légalité des
mesures générales qui organisent le recrutement dans la fonction
publique; c'est aussi celui de la légalité des mesures individuelles
qui ouvrent ou qui ferment à un citoyen l'accès à un emploi public
déterminé.
Une distinction s'établit ainsi entre les droits de l'électorat et de
l'éligibilité, d'une part, celui de l'accès à un emploi public, d'autre
part. Elle est reçue par les cours et tribunaux qui y ont trouvé une
explication commode pour ne pas entrer plus avant dans le contrôle
des actes de l'administration en matière d'accès aux emplois
publics. Etait-elle bien justifiée (51)? Y a-t-il lieu de faire le départ
entre le droit d'être nommé fonctionnaire et celui d'être élu député?

BIBLIOGRAPHIE

La doctrine n'accorde pas aux droits du citoyen une place suffisante. La matière
est noyée dans des exposés d'ordre historique ou dans des manuels de caractère tech-
nique. Les problèmes de droit constitutionnel passent alors au second plan. Voy.
cependant Académie internationale de droit constitutionnel, Le citoyen et la Constitu-
tion, Presses d'Université des sciences sociales de Toulouse, 1998, avec des contribu-
tions de M. BEN ArssA, F. DELPÉRÉE, D. JAZY, Y. Luc:HAIRE, A. MEZGHANI et
B. PELLETIER.

Sur le plan historique, l'on consultera :


J. BARTHÉLEMY, L'organisation du suffrage et l'expérience belge, Paris, Giard et
Brière, 1912; J. GrLISSEN, Le régime représentatif en Belgique depuis 1790, Bruxelles,
La Renaissance du livre, 1958; L. MouREAU et Ch. GoossENS, <<L'évolution des idées
concernant la représentation proportionnelle en Belgique>>, R.D.I.D.C., 1958, p. 378.

Sur le plan technique, l'on se référera à :


F. DELPÉRÉE, <<La consultation communale>>, Revue de droit communal, 1995,
p. 287; F. RIGAUX et F. DELPÉRÉE, <<Nationalité et citoyenneté - ·Développements

(50) Seul existera un droit à percevoir un traitement, une allocation ou une pension pour ser-
vice fait.
(51) M. LEROY et J. SoHIER, (<<Les règles supranationales relatives à l'accès à la fonction
pnblique », A.P. T., 1997, pp. 55 s.) s'interrogent sur l'applicabilité de l'art. 6, § 1,., de la Conven-
tion européenne des droits de l'homme en matière d'accès à la fonction publique. Une telle appli-
cation impliquerait qu'un litige sur ce droit relève non pas du contentieux objectif mais du
contentieux des droits subjectifs et que ce droit constitue un droit de caractère civil.
186 LES CITOYENS

et incidences sur le droit de la fonction publique en Belgique>>, A.P.T., 1997, p. 15;


F. TuLKENS, <<La consultation populaire communale- Commentaires et réflexions
sur la loi du 10 avril 1995 >>, J.T., 1995, p. 729; M. VERDUSSEN, Le droit des élections
communales, Bruxelles, Némésis, 1988.

Sur le plan contentieux, voyez :


C. GAMBIER, Principes du contentieux administratif, Bruxelles, Larcier, 2 vol., 1961
et 1964; F. DELPÉRÉE, Le contentieux électoral, Paris, P.U.F., coll. Que sais-je?, 1998.
En ce qui concerne les droits politiques de la femme, on consultera, dans des sens
différents :
L. FAVOREU, <<Principe d'égalité et représentation politique des femmes. La France
et les exemples étrangers>>, E.D.C.E., 1996, p. 400; La parité. L'accès équilibré des
femmes et des hommes à la vie publique (dir. J.-P. CoLIN et G. IGNASSE), Bruxelles,
liSA, 1999; B. MARQUES-PEREIRA, <<La citoyenneté politique des femmes>>, CH
CRISP, 1998, n° 1597; M. UYTTENDAELE et J. SoHIER, «Les quotas féminins en
droit électoral ou les paradoxes de l'égalité>>, J. T., 1995, p. 249; M. VERDUSSEN, << La
parité sexuelle sur les listes de candidat(e)s >>, R.B.D.C., 1999, p. 34; ID., <<La partici-
pation des femmes aux élections en Belgique>>, R.F.D.C., 1998, p. 799.

On trouvera des réflexions d'ordre général dans les ouvrages suivants :


G. BuRDEAU, Traité de science politique, t. 1, Les régimes politiques, Paris, L.G.D.J.,
1970, pp. 241 s.; F. DELPÉRÉE, Les droits politiques des étrangers, Paris, P.U.F., 1995;
H. DuvAL, P. MINDU et P.-Y. LEBLANC-DECHOISAY, Référendum et plébiscite, Paris,
A. Colin, 1970 (Dossiers U2); C.J. FRIEDMAN, La démocratie constitutionnelle (préface
de M. PRÉLOT), Paris, P.U.F., 1958; M. GuiLLAUME-HOFNUNG, Le référendum, Paris,
PUF, 1987; F. HAMON, Le référendum. Etude comparative, Paris, LGDJ, 1995;
H. KELSEN, La démocratie, sa nature, sa valeur (traduction de Ch. EISENMANN),
Paris, Sirey, 1932; La participation directe du citoyen à la vie politique et administra-
tive (travaux des Xlles journées juridiques Jean Dabin), dir. F. DELPÉRÉE,
Bruxelles, Bruylant, 1986; C. LECLERCQ, Le principe de la majorité, Paris, A. Colin,
1971; R. PELLOUX, Le citoyen devant l'Etat, Paris, P.U.F., 1966; Référendum et démo-
cratie (dir. M. RoussiLON), Presses de l'Université des sciences sociales, Toulouse,
1998; Référendums (dir. F. DELPÉRÉE), Bruxelles, Ed. CRISP, 1985.
CHAPITRE III
LES DROITS DE L'HOMME

SECTION Ire. - LES LIBERTÉS

175. - La matière des libertés a de quoi effrayer le juriste.


Sujet-vedette de la philosophie ou de la science politique, la
matière des libertés échappe, pour une large part, à l'emprise de la
science du droit - en tout cas, à celle du droit public - . Elle ouvre
à une réflexion qui dépasse, et de loin, une interrogation sur le sta-
tut de l'individu dans l'Etat.
Le droit fait, dans cette matière, œuvre modeste quoique utile.
Au carrefour d'observations philosophiques, historiques et politi-
ques, l'apport du droit positif à la cause de la liberté est limité mais
décisif. La liberté, pour le juriste, ce n'est pas une propriété de l'être
humain, une prérogative inscrite dans sa nature ou un attribut de
son existence. La liberté entre dans le domaine du droit. Celui-ci la
consacre. Il la juge digne d'être protégée. Il en précise les contours.
Il en détermine les bénéficiaires. Il en fixe les modalités d'exercice.
La Belgique s'est constituée au cri de << Liberté, en tout et pour
tous ~>. Elle a aussitôt inscrit, au cœur d'une Constitution libérale
qui devait servir de modèle à d'autres Constitutions - celles qui
seraient établies dans la deuxième moitié du XIXe siècle - , un
catalogue de droits et de libertés qui profitent encore aujourd'hui
aux Belges et à ceux qui se trouvent sur le territoire national (1).
Elle n'a pas omis, comme on l'a montré, d'énumérer les droits poli-
tiques essentiels qui reviennent aux citoyens.
Elle a ratifié, par la suite, un ensemble d'instruments internatio-
naux - d'application universelle ou de portée régionale - . Elle a
accepté, en particulier, des contrôles juridictionnels, tels ceux qui
sont exercés par la Cour européenne des droits de l'homme.

(1) J. GILIS~EN, <<La Constitution belge de 1831 : ses sources, son influence», Res publica,
1968, numéro spécial, pp. 213 s.; J. VANDERLINDEN, «Aux origines du titre II de la Constitution
belge de 1831 -Essai d'histoire constitutionnelle comparative>>, in Présence du droit public et des
droits de l'homme, t. II, pp. 1193-1209.
188 LES CITOYENS

Depuis dix ans, la Constitution s'ouvre à de nouvelles préoccupa-


tions. Elle a reconnu les droits culturels qui s'attachent à l'enseigne-
ment. Elle a proclamé un ensemble de droits économiques et
sociaux. Elle a énoncé le droit pour chacun d'accéder aux docu-
ments administratifs qui le concernent. Elle reconnaît aujourd'hui
des droits politiques aux étrangers, en tout cas aux citoyens de
l'Union (2).
D'autres préoccupations encore pourraient animer le texte consti-
tutionnel. Jusqu'à présent, elles restent embryonnaires. Le droit à
l'environnement est consacré, dans l'article 23, alinéa 3, 4° de la
Constitution, sous la forme restreinte du << droit à la protection d'un
environnement sain >>. Le droit à la transparence se concrétise sous
la forme d'un droit d'accès aux documents administratifs : << Chacun
a le droit de consulter chaque document administratif et de s'en
faire remettre copie, sauf dans les cas et aux conditions fixées par
la loi, le décret •> ou l'ordonnance (Const., art. 32) (C. DE TERWANGE,
<< L'accès public à l'information détenue par l'administration >>,
R.B.D.O., 1996, p. 107). Le droit à la médiation, par contre, ne
trouve pas place dans le texte constitutionnel.
La Constitution se montre plus rebelle à inscrire dans un texte juridique des
droits de la troisième génération, tels celui à la paix ou au développement.
Deux thèses sont généralement exprimées.
La première a été formalisée par R. PELLoux (<<Vrais et faux droits de
l'homme>>, R. D. P. , 1981, p. 53). Elle a été reprise et actualisée par J. RIVERO
(<<Déclarations parallèles et nouveaux droits de l'homme>>, R.T.D.H., 1990,
p. 323) : <<Un droit, par définition, implique quatre éléments : la détermination
exacte d'un titulaire, la définition précise d'un objet, l'identification de celui ou
de ceux à qui il est opposable, la possibilité d'une sanction propre à en assurer
le respect >>.
Les nouveaux droits de l'homme ne répondent pas à ces conditions. L'impossibi-
lité d'infliger une sanction fait notamment entrer ces droits dans le domaine des
vœux, des espoirs, des aspirations profondes, mais pas dans celui du droit.
La seconde thèse est défendue par D. RoussEAU (<<Les droits de l'homme de la
troisième génération •>, in Droit constitutionnel et droits de l'homme, Rapports
français au 2e Congrès mondial de droit constitutionnel, Paris, Economica, 1987,
p. 125). Selon lui, les droits de la troisième génération, encore appelés droits de
solidarité, désignent principalement quatre catégories de droits : le droit à la
paix, le droit au développement, le droit à l'environnement et le droit au respect
du patrimoine commun de l'humanité.

(2) B. LoUIS,« La participation politique des personnes d'origine immigrée. A propos de quel-
ques propositions de loi et des projets de Constitutions flamande et wallonne », in Wallonie, terre
de couleurs, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1998, p. 74.
LES DROITS DE L'HOMME 189

D. RoussEAU reconnaît que ces droits ne peuvent bénéficier d'une protection


juridictionnelle effective. Mais le caractère d'une règle juridique, spécialement
dans le domaine international, n'est pas essentiellement lié à la sanction qui peut
lui être procurée. Les droits de solidarité apparaissent, pour l'essentiel, comme
des droits proclamatoires. Dans l'état actuel de la société politique, ils ne sont
pas pourvus d'une sanction suffisante mais sont énoncés aux fins de susciter pro-
gressivement un sentiment d'obligation qui ne manquera pas de se développer,
puis de s'imposer.

176. - Les fondements de l'Etat de droit et, en même temps, les


assises d'une société démocratiquè sont ainsi jetés (3).
Dans ces conditions, tout n'est-il pas pour le mieux dans le meil-
leur des mondes ? Dès l'instant où l'on analyse dans le détail le
régime juridique des libertés publiques, des lacunes apparaissent.
Des incohérences aussi se présentent au vu des efforts qui sont
accomplis de manière dispersée dans l'ordre juridique interne et
dans la société internationale. Une protection plus perfectionnée est
au prix d'une réforme permanente des textes, des jurisprudences et
des pratiques.
177. - Le juriste qui se préoccupe d'assurer la reconnaissance
des libertés est confronté à une première difficulté (§ 1er). Quel ins-
trument juridique choisir ? Faut-il privilégier les sources de droit
interne (A), les sources internationales (B) ou encore des sources
moins formalisées (C) ? Avec cette question récurrente : comment
concilier les catalogues multiples de droits ?
178. - La seconde difficulté est celle de la détermination
concrète des droits et libertés. La matière est immense. Chacun des
sujets recensés mériterait qu'on lui consacre à lui seul un livre. Il
requerrait également des investigations approfondies dans des disci-
plines voisines : droit des personnes, droit des biens, droit commer-
cial, droit social.
Il suffit ici de montrer, au regard de la Constitution, de la
Convention européenne de sauvegarde, des pactes onusiens et de
quelques règles nationales, quelle est la place respective des diffé-
rents droits dans la définition d'un statut général du citoyen.
L'on ne peut qu'être frappé du caractère hétéroclite de la présen-
tation des libertés. Sans s'attacher à la discussion de classifications

(3) Voy. l'ensemble des contributions à L'Etat de droit. Mélanges en l'honneur de Guy Braibant
(Paris, Dalloz, 1996), et spécialement celle de J. RIVERO («Etat de droit, Etat du droit», p. 609).
190 LES CITOYENS

doctrinales toujours arbitraires, il faut faire l'inventaire des libertés.


Celles-ci méritent d'être classées selon une méthode empirique (§ 2.
L'affirmation des libertés).
Il y a, d'unè part, les libertés classiques. La Constitution les
recense en exprimant dans ses dispositions la philosophie libérale du
XIXe siècle. La Convention européenne de sauvegarde participe du
même héritage.
Au nombre des libertés classiques, quelques-unes répondent au
besoin fondamental de sécurité de l'individu. Elles sont les condi-
tions de la liberté (A). L'homme va acquérir la sécurité juridique, en
se mettant à l'abri de la loi et en se plaçant sous le contrôle du juge,
et la sécurité physique, en organisant autour de sa personne une
zone d'autonomie. En dehors de pareilles sécurités, il n'est pas
d'exercice concevable des autres libertés. Il faut en examiner, par
priorité, les composantes.
D'autres libertés sont affirmées dans la préoccupation de con tri-
huer à l'épanouissement de l'homme. Elles définissent, en somme,
les usages de la liberté (B). L'individu peut épanouir son intelligence,
ses activités, son patrimoine en usant d'un ensemble de facultés que
la Constitution lui reconnaît. En dehors de pareilles libertés, il n'est
sans doute pas de sociétés libres ; mais la consécration de ces
libertés n'implique pas que l'individu les exerce d'initiative. Il faut
donc en examiner, par la suite, les manifestations les plus claires.
D'autres libertés encore sont consacrées pour prévenir les méfaits
de l'individualisme. Favorisant l'intégration de l'homme dans la
société, elles circonscrivent les instruments de la liberté (C). L'indi-
vidu peut se grouper ou se réunir avec d'autres individus ; il peut
aussi s'associer avec eux. Ces libertés sont conçues comme autant de
modalités dont l'homme doit pouvoir user dans la poursuite des ini-
tiatives qu'il mène.
Il y a, d'autre part, les libertés nouvelles qui sont communes aux
différents types de démocraties modernes. La Constitution ne les
ignore plus. La Convention européenne de sauvegarde en recense
quelques-unes. La loi surtout et les règlements les garantissent (§ 3.
L'évolution des libertés).
Au nombre des libertés modernes, figurent celles qui expriment le
besoin fondamental de l'homme à la sécurité matérielle. Elles défi-
nissent ainsi les exigences de la liberté (A). Si l'individu ne peut
conquérir son indépendance économique par une activité, un tra-
LES DROITS DE L'HOMME 191

vail, une rémunération ou des revenus de remplacement, à quoi


sert-il de s'attacher à prévoir le régime d'autres droits individuels
ou sociaux?
D'autres libertés sont affirmées dans la préoccupation de contri-
huer à l'épanouissement de l'homme, dans tous les domaines de son
activité. Elles précisent les perspectives de la liberté (B). L'homme
situé dans un milieu culturel, social et économique doit pouvoir y
développer ses virtualités. En dehors de la consécration de pareils
droits, il n'est sans doute pas de société d'hommes réellement libres.
D'autres libertés encore apparaissent qui tiennent compte des
liens qui unissent l'individu avec ses semblables dans la famille ou
dans la vie sociale. Elles précisent ainsi les dimensions de la liberté
(C).
La liberté est une. Mais le droit public met en relief ses différentes
facettes. Il lui donne ainsi un contenu effectif.

§ 1er. - La reconnaissance des libertés

A. - Les sources de droit interne


179. - La Constitution vient en premier. Elle apparaît comme
l'instrument idéal pour consacrer les libertés. Pourquoi ne pas ins-
crire les droits de l'homme au fronton de l'aménagement général de
l'Etat et les faire bénéficier des protections qui s'attachent à la règle
constitutionnelle (4) ? Les voici assurés, du même coup, de la stabi-

(4) Dans d'autres Etats, il est communément recouru à la déclaration de droits pour définir
et, si possible, garantir les libertés que la société politique entend reconnaître au citoyen. Le
recours à cette technique n'est pas sans présenter quelques inconvénients.
La déclaration est équivoque à raison des sources de son inspiration. Elle est le produit de
courants philosophiques. Elle groupe un ensemble d'axiomes qu'elle considère comme les fonde-
ments d'une société juste, libre et rationnelle. Elle se veut inspiratrice d'une Constitution. Elle
se présente volontiers comme supérieure et antérieure à toute définition des libertés par le droit
positif. Mais, ce faisant, ne se situe-t-elle pas en dehors de l'orbite des phénomènes juridiques 1
La déclaration est équivoque aussi à raison des modes de sa formulation. Elle est déclarative.
Elle est censée dire <<ce qui est». Sa valeur politique et pédagogique ne saurait, à cet égard, être
contestée; elle énonce et rappelle, au besoin, des vérités d'évidence. La déclaration ne peut man-
quer, cependant, de rester au niveau des principes : elle formule solennellement «des vérités de
tous les temps et de tous les pays» (DUPORT, 16 août 1789). Mais, ce faisant, ne laisse-t-elle pas
dans l'ombre les garanties concrètes dont le citoyen a besoin pour voir consacrer, dans les faits,
les libertés proclamées 1
La déclaration de droits est équivoque à raison des particularités de ses sanctions. Elle pro-
clame des droits absolus. L'ordre juridique, pour sa part, fait place à des droits relatifs et limite
la portée des affirmations de principe eu égard aux exigences de la vie sociale. En d'autres
termes, le droit apporte inévitablement des restrictions aux libertés absolues que consacre une
déclaration. Si ce n'est dans l'hypothèse où les termes de la déclaration la rendent immédiate-
192 LES CITOYENS

lité et de la suprématie qui vont de pair avec la formulation du


texte constitutionnel. Le juge constitutionnel, en particulier, y
trouve des normes utiles de référence.
Certes, la Con.stitution est révisable. Aucune disposition - même
inscrite dans le titre II - n'échappe au processus de révision (5).
Les droits fondamentaux ne bénéficient pas du statut de disposi-
tions intangibles (6). Dans la pratique constitutionnelle, l'on relève
néanmoins que le titre II de la Constitution n'a fait l'objet, depuis
1831, que de deux révisions : l'une, en 1988, à propos du droit à
l'enseignement; l'autre, en 1993-1994, à la faveur de la reconnais-
sance des droits économiques, sociaux et culturels, du droit de péti-
tion, du droit à la vie privée et familiale ainsi que du droit d'accès
aux documents administratifs.
L'inscription des droits fondamentaux dans la Constitution est
essentielle à la réalisation de l'Etat de droit. Il n'empêche. Elle peut
présenter des imperfections. Les énoncés de principe de la Constitu-
tion en matière de libertés sont parfois assortis d'exceptions, de
modalités ou de restrictions qui les vident d'une partie de leur
valeur.
Comme l'écrit R. ERGEC, la Constitution comprend également des
lacunes du point de vue des droits garantis. Elle omet de prohiber
formellement les traitements cruels, inhumains et dégradants, voire
la peine de mort. Elle ne reconnaît que de manière fragmentaire les
garanties du procès équitable et les droits d'une personne privée de
sa liberté. <~Ne s'indique-t-il pas ne serait-ce que symboliquement,
d'intégrer dans la Constitution les droits reconnus dans ces instru-
ments (le pacte relatif aux droits civils et politiques et la Conven-
tion européenne des droits de l'homme), en les développant éven-
tuellement >>(7) ?
180. - Faut-il se tourner vers la loi, en particulier vers la loi
fédérale ? N'est-ce pas <~à l'abri de la loi>>, que les libertés classiques

ment applicable et lui confèrent valeur de règle de droit constitutionnel, ne peut-elle être vidée
par une loi de tout contenu?
(5) M.-F. RIGAUX, op. cit., p. 51.
(6) Ceci à la différence de la Loi fondamentale de la République fédérale d'Allemagne ou de
la Constitution irlandaise. Voy. C. GREWE et H. RUIZ-FABRI, Droits constitutionnels européens,
Paris, P.U.F., 1995, pp. 164-165.
(7) R. ERGEC, Introduction au droit public, t. II, Les droits et libertés, Bruxelles, Kluwer, 1995,
p. 33.
LES DROITS DE L'HOMME 193

trouvent à s'épanouir (8) ? N'est-ce pas <<l'intervention de la loi>>


qui consacre, de manière concrète et effective, les droits nouveaux ?
Telle est l'attitude de la Constitution. Elle s'en remet à la loi et à
ses dérivés pour fixer le statut des libertés publiques.
Cette confiance en la loi se justifie pour des raisons théoriques et
pour des raisons pratiques.
Les raisons théoriques sautent aux yeux. Dans une société démo-
cratique, qui peut, mieux que les élus de la Nation agissant de
concours avec le roi, fixer les règles selon lesquelles les individus
pourront exercer leur liberté ? Recourir pour ce faire aux respon-
sables de l'ordre public, soit au gouvernement et aux autorités
locales, c'est exposer imprudemment la liberté; c'est établir une
confusion entre celui qui fait la règle et celui qui est tenu de la res-
pecter. Telle est la philosophie de base : la loi générale est appelée
à préserver l'individu de l'emprise de l'exécutif.
Cette confiance en la loi a pu paraître excessive. Un principe constitutionnel
peut être vidé de son sens à la faveur d'interventions législatives- que reste-t-il
de la liberté d'enseignement 1 - . Une règle constitutionnelle peut être mécon-
nue par le législateur, à prétexte d'en procurer des applications -la législation
sur l'emploi des langues en fournit des exemples-. Par un curieux contresens,
la doctrine prend l'habitude, non d'interpréter la loi par référence à la Constitu-
tion, mais de donner un commentaire de la règle de liberté en renvoyant aux dis-
positions législatives qui la limitent. Ce sont là les travers de l'œuvre législative
ou doctrinale. Ils ne suffisent pas à condamner l'action de la loi en matière de
liberté. Cette œuvre est irremplaçable.

Les raisons pratiques ne sont pas moins importantes. Si l'inter-


vention de la loi peut paraître à ce point décisive dans la matière
des libertés publiques, c'est parce que la Constitution a confié au
législateur des tâches essentielles : régler l'exercice des libertés
(art. 26 et 30), organiser la répression des délits commis à l'occasion
de l'usage de ces libertés (art. 12, 19 et 24), définir les<< cas>> où l'au-
torité publique peut porter atteinte à la liberté (art. 12, 15 et 16),
prescrire la <<forme>> dans laquelle ces mesures seront prises (art. 12
et 15) ou la <<manière>> dont elles seront conçues (art. 16). Ainsi la
Constitution reconnaît les libertés essentielles. Mais la loi fédérale
est habilitée à en déterminer l'aménagement.
L'intervention de la loi fédérale paraît également indispensable là
où les textes constitutionnels s'abstiennent de consacrer les libertés

(8) J. MoRANGE, op. cit., p. 76; C. GREWE etH. Rmz-FABRI, op. cit., p. 154; J. VELU et
R. ERGEC, op. cit., p. 47.
194 LES CITOYENS

que les sociétés modernes reconnaissent en matière économique,


sociale et culturelle. En l'espèce, la loi prend même un relief particu-
lier. Il ne s'agit plus pour elle de concrétiser un principe, mais il lui
faut arrêter de toutes pièces le régime d'une liberté. Il ne s'agit plus
pour elle de proscrire l'action de l'Exécutif, il lui faut détailler les
modalités de son intervention.
Dans les domaines divers du droit économique, du droit social ou
du droit administratif, la loi fédérale s'attache à définir les bénéfi-
ciaires de l'action des pouvoirs publics, elle fixe les conditions d'oc-
troi de prestations ou de subventions, elle organise des procédures
de surveillance et de contrôle pour préserver la bonne utilisation des
derniers publics ... Toutes démarches que le législateur fédéral est
appelé à effectuer de son mouvement propre, puisque la Constitu-
tion ne le guide guère dans son choix.
Ici encore, la confiance en l'œuvre législative peut paraître excessive. Non que
la loi soit tentée de dépasser les limites d'un mandat ; celui-ci fait défaut. Mais
le silence de la Constitution est-il tolérable en la matière 1 Ne laisse-t-il pas
entendre que les libertés économiques, sociales et culturelles sont de seconde
zone 1 Cette question de politique juridique n'est pas sans soulever des pro-
blèmes délicats de rédaction des textes : comment concilier la brièveté et la pré-
cision (9) 1 Plusieurs techniques sont concevables. Elles vont du bref énoncé de
quelques dispositions de principe - comme dans l'article 23 de la Constitu-
tion -- à une référence générale à des instruments internationaux plus expli-
cites·- comme dans l'article ll de la Constitution - . Il ne semble pas, en tout
état de cause, que la Constitution puisse rester silencieuse sur cette question
essentielle de définition concrète des droits de l'homme.

181. - On ne saurait négliger l'intervention du décret ou de


l'ordonnance dans le domaine des libertés.
Dans les matières de l'enseignement (art. 24) et de l'emploi des
langues (art. 30 et 129), la Constitution habilite la règle de droit
communautaire à intervenir, pour une large part, en lieu et place de
la loi fédérale.
En matière culturelle, une compétence lui est également réservée
(art. 127). C'est dire qu'au sein de chaque communauté, le décret est
seul habilité à consacrer et à aménager un droit à la culture sous ses
différentes facettes. Le principe d'égalité juridique que rappelle la
Constitution doit s'entendre comme prohibant les discriminations

(9) F. DELPÉRÉE, «La Constitution, pour quoi faire?>> ... , p. 5.


LES DROITS DE L'HOMME 195

que pourrait contenir la règle de droit, pas seulement la loi fédérale,


au sens précis du terme, mais aussi le décret ou l'ordonnance
(art. 11).
En dehors des cas cités, un décret pourrait-il, au même titre que
la loi fédérale régler - pour une communauté ou une région - la
matière des libertés publiques ? Une ordonnance pourrait-elle faire
de même pour la Région bruxelloise ? Pour ne prendre qu'un
exemple, ces instruments juridiques pourraient-ils organiser un
régime d'expropriation publique différent de celui qu'aménage la loi
fédérale ? Le décret étant appelé à n'intervenir que dans des
matières qui étaient initialement de la compétence du législateur, il
faut admettre que là où cette compétence n'a été ni implicitement,
ni expressément prévue (10), la communauté ou la région ne saurait
agir.
182. - Les règlements, eux, émanent des autorités investies de
la fonction exécutive ou des collectivités locales.
Le pouvoir exécutif- au niveau fédéral ou fédéré- peut procu-
rer application à la loi, au décret ou à l'ordonnance <<sans jamais
pouvoir ni (le) suspendre ... , ni dispenser de son exécution>> (Const.,
art. 108). Ainsi, la Constitution proclame la liberté de presse ; le
décret détermine le régime de l'aide directe aux quotidiens d' opi-
nion; des règlements communautaires précisent les modalités d'oc-
troi de ces subventions.
Le pouvoir exécutif peut aussi contribuer par ses règlements à
une définition des droits que ni la Constitution, ni la loi n'ont jugé
utile de reconnaître. Ainsi le droit de l'individu à la sécurité et à la
santé sur les lieux du travail ne fait pas l'objet de dispositions
constitutionnelles, mais d'un règlement général pour la protection
du travail (arrêté du Régent du 11 février 1946) en précise les
modalités (voy. aussi la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des
travailleurs lors de l'exécution de leur travail). Pourra-t-on toujours
se satisfaire de ces solutions partielles ?
Le pouvoir exécutif peut encore réglementer dans l'exercice de ses
responsabilités administratives. Il a charge d'assurer le maintien de
l'ordre. Il instaure les conditions concrètes de l'exercice des liber-

(lü) Voy. l. sp. , art. 79, § l "' : «Les gouvernements (de communauté et de région) peuvent
poursuivre des expropriations pour cause d'utilité publique dans les cas et selon les modalités
fixés par décret, dans le respect des procédures judiciaires fixées par la loi (fédérale) et du principe
de la juste et préalable indemnité visé à l'article Il de la Constitution» (n" 245).
196 LES CITOYENS

tés - celle d'aller et de venir sur la voie publique, par exemple - .


Mais cet impératif peut dans certaines circonstances de temps, de
lieu ou d'événement entrer en opposition avec l'exigence du libre
épanouissement d'autres libertés publiques. Le pouvoir exécutif
intervient alors. Il agit de manière générale et impersonnelle : en ce
sens, ses modes d'agir s'apparentent à ceux du législateur.
Plus délicate est l'intervention du pouvoir exécutif - par voie
réglementaire - dans les matières que la Constitution et la loi fédé-
rale ont mission de régir et sans que des habilitations législatives lui
aient été procurées. A titre d'exemple, on retient l'obligation impo-
sée à l'éditeur ou à l'auteur par la loi du 8 avril 1965 de déposer,
avant diffusion, un exemplaire de chaque ouvrage publié à la
Bibliothèque royale de Belgique. Ces mesures réglementaires sont-
elles acceptables ? Ne viennent-elles pas brider la liberté de la
presse, en dehors de toute prescription de la Constitution ou de la
loi fédérale ? Ces mesures sont d'ordinaire tolérées pour autant
qu'elles ne portent pas atteinte au fond du droit concerné mais
qu'elles en affectent seulement les formes extérieures,
Les collectivités locales, elles aussi, réglementent. Soit pour pour-
suivre une politique autonome, soit pour procurer exécution à des
normes plus générales, soit pour veiller, par des mesures imperson-
nelles, au maintien de l'ordre à un échelon territorial plus restreint
que celui de l'Etat.

183. - Le statut effectif des libertés est aussi tributaire de


mesures générales qui, pour ne point toujours recevoir la publicité
qui s'attache aux normes légales et réglementaires, confèrent,
cependant, aux droits de l'homme de nouvelles dimensions ou de
nouvelles limitations.
De nouvelles dimensions ? La négociation collective des condi-
tions de travail, pour ne prendre que cet exemple, conduit à inscrire
dans des conventions conclues par les organisations syndicales de
travailleurs et d'employeurs des droits- et aussi des obligations-
dont les membres de ces groupes, voire ceux de la profession tout
entière, vont revendiquer le respect.
De nouvelles limitations ? Tous les statuts de subordination s'ac-
compagnent, en fait et en droit, de restrictions à l'exercice complet
des libertés. Le droit peut les inscrire en toutes lettres dans ses
LES DROITS DE L'HOMME 197

normes. Il peut aussi les consacrer dans la jurisprudence ou dans la


pratique.
Ainsi l'exercice d'une profession, comme l'appartenance à une ins-
titution, peuvent, dans le secteur public comme dans le secteur
privé, engendrer des obligations - réserve, discrétion, respect de la
hiérarchie, obéissance aux ordres et aux instructions ... - qui vont
notamment à l'encontre des principes de liberté. Ces contraintes qui
découlent des lois écrites ou non écrites de la profession ou de l'ins-
titution sont acceptées au nom du souci de défendre un intérêt col-
lectif qui paraît plus important que l'intérêt de chacun des indivi-
dus. Il faut, cependant, rappeler - avec M. W ALINE - que la
liberté reste la règle et que la contrainte ne saurait jamais être que
l'exception.

B. - Les sources internationales

184. - En matière de droits de l'homme, les traités internatio-


naux jouent un rôle essentiel. Ils font la synthèse entre des cultures
juridiques et des préoccupations politiques différentes. Ils expri-
ment un fonds commun de règles auxquelles plusieurs Etats sont en
mesure de souscrire.
Ils présentent aussi les défauts de leurs qualités. Ils pêchent sou-
vent par généralité. A la recherche de l'accord du plus grand
nombre, ils provoquent souvent l'alignement de la position des
nations les plus respectueuses des libertés sur celles des nations
moins attentives à leur défense. Parfois même, ils recueillent le
consensus factice de nombre d'Etats qui savent a priori qu'ils ne
seront pas à même de respecter leurs engagements - si solennels
fussent-ils - .
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
a pris soin à cet égard de préciser que ses dispositions ne pouvaient
jamais s'interpréter <(comme portant atteinte aux droits de
l'homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être recon-
nues>> par les lois des Etats membres ou par les conventions aux-
quelles ils sont parties (art. 60).
La plupart du temps, les documents internationaux sont aussi
dépourvus de mécanismes qui permettent de contrôler le respect des
obligations qui sont souscrites (nos 295 à 299).
198 LES CITOYENS

185. La déclaration universelle des droits de l'homme constitue


un instrument important de référence. Elle est, cependant, dépour-
vue de valeur juridique dans l'ordre interne belge. Se présentant
elle-même comme l'idéal commun à atteindre par tous les peuples
et par toutes les nations, elle fait figure d'une déclaration de prin-
cipe que les Etats membres des Nations Unies s'obligent morale-
ment à intégrer dans leur droit positif. Outre les droits déjà prévus
dans la Constitution, elle proclame une série de droits civils et poli-
tiques non encore garantis ainsi qu'un certain nombre de droits éco-
nomiques, sociaux et culturels.
Le mouvement international de reconnaissance des droits fonda-
mentaux se concrétise, le 16 décembre 1966, par l'adoption au sein
de l'assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies des
pactes relatifs aux droits civils et politiques ainsi qu'aux droits écono-
miques, sociaux et culturels. Ces deux pactes, ouverts à la signature
des Etats, ont été ratifiés par la Belgique (11).
186. - Sur le plan régional, il faut mentionner la Convention de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui a un
impact considérable sur le développement du droit des libertés
publiques dans l'ordre juridique belge.
Selon le mot de R. ERGEC, la Convention est <<l'instrument
constitutionnel des libres démocraties de l'Europe ~>. Les obligations
souscrites par les Etats contractants - les Etats membres du
Conseil de l'Europe - ont essentiellement un caractère objectif.
Elles visent à protéger les droits fondamentaux des particuliers
contre les empiétements des Etats contractants, plutôt qu'à créer
des droits subjectifs et réciproques entre ces derniers ( 12).
187. - Depuis l'arrêt Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970,
la Cour de justice des Communautés européennes entend garantir,
dans l'ordre communautaire, les droits fondamentaux. Ceux-ci

(11) Loi du 15 mai 1981, Mon. b., 6 juillet 1983.


(12) Commission européenne des droits de l'homme, 4 mars 1991, R.U.D.H., 1991, p. 201 (cité
par R. ERGEC, op. cit., p. 15).
LES DROITS DE L'HOMME 199

découlent des principes généraux de droit et des traditions constitu-


tionnelles qui sont communes aux Etats membres (13).
<<Tous les Etats membres de l'Union européenne sont parties à la
Convention européenne des droits de l'homme ... La Cour estime que
les droits garantis dans cette Convention font partie des traditions
constitutionnelles communes aux Etats membres. Ce qui (l')amène
à prendre ces droits en considération dans l'exercice de son
contrôle>> (14).
Le traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février
1992, confirme ce point de vue. Dès son préambule, il marque l'at-
tachement de tous les Etats membres << aux principes de la liberté,
de la démocratie et du respect des droits de l'homme et des libertés
fondamentales et de l'Etat de droit>>. Il relève- fût-ce de manière
incidente- dans un article F.1, que les systèmes de gouvernement
auxquels recourent ces Etats sont tous fondés sur << les principes
démocratiques>>. Il précise surtout, dans son article F.2, que
<<l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis
par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et
tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux
Etats membres, en tant que principes généraux du droit commu-
nautaire >>.
On ne peut s'empêcher de s'interroger à ce propos. S'agit-il pour les autorités
européennes de prendre désormais en compte un corpus de règles et de disposi-
tions qui sont connues de tous et dont il suffirait désormais de tirer le meilleur
parti! S'agit-il plutôt pour les autorités nationales d'œuvrer de manière telle
que ces traditions s'ébauchent, se confirment et commandent progressivement
les relations juridiques qui s'instaurent au sein de l'Union et des Etats! S'agit-il
encore pour les autorités européennes de se doter de structures et d'institutions
qui traduisent un consensus suffisant des Etats membres autour de quelques
principes juridiques dont ils accepteraient ou dont ils revendiqueraient une com-
mune paternité! L'analyse doit-elle être descriptive ou prospective! Dans une
large mesure, elle gagnera à être à la fois l'une et l'autre. C'est en se fondant

(13) E. CEREXHE, «La protection des droits fondamentaux dans les Communautés euro-
péennes», Rev. jur. pol. ind. coop., 1932, p. 637; G. CoHEN-JONATHAN, «Les droits de l'homme
dans les Communautés européennes», Recueil d'études en l'honneur de Charles Eisenmann, Paris,
Cujas, 1977, p. 399; M.-A. DA USES, <• La protection des droits fondamentaux dans l'ordre juridi-
que communautaire>>, R. T.D.E., 1984, p. 401; C. SASSE, ''La protection des droits fondamentaux
dans la Communauté européenne>>, in Mélanges Fernand Dehousse, Paris, Nathan et Bruxelles,
Bruylant, 1979, vol. 2, p. 297; J. VERGES, «Droits fondamentaux de la personne et principes
généraux du droit communautaire», in L'Europe et le droit. Mélanges en l'honneur du doyen Bou-
louis, Paris, Dalloz, 1991, p. 513.
( 14) R. ERGEC, op. cit., p. 31.
200 LES CITOYENS

sur le passé -· deux siècles d'histoires enchevêtrées - que la réflexion euro-


péenne peut se développer. C'est au présent qu'elle trouvera son utilité - en
fournissant des éléments d'interprétation, voire de révision du traité - . C'est
à l'avenir qu'elle recevra pleine signification- tant pour les Etats membres que
pour ceux qui voudraient rejoindre l'Union - (F. DELPÉRÉE, Constitution et
tradition>>, in Etat-loi-administration, Mélanges en l'honneur d'Epaminondas Spi-
liotopoulos, Athènes, Sakkoulas et Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 53).

Le traité d'Amsterdam signé le 17 juin 1997, suit la même


démarche et <<traduit sans équivoque la volonté de l'Union euro-
péenne de construire son propre système de protection des droits
fondamentaux>> (15).
Depuis le sommet de Cologne (3-4 juin 1999), l'Union européenne
a entrepris la conception d'une Charte des droits fondamentaux.
L'exercice a une portée politique, sinon préconstitutionnelle : com-
ment instaurer une <<communauté>> de personnes sans définir, au
préalable, les droits qui leur reviennent? Il peut se heurter à des
obstacles techniques : la pluralité des catalogues et des déclarations,
sans omettre la pluralité des mécanismes juridictionnels de protec-
tion des droits, ne simplifie pas nécessairement la tâche du citoyen.
Elle ne lui garantit pas une meilleure défense de ses droits et
libertés.

C. - Les sources non formelles


188. - Parmi les sources non écrites, il y a lieu de relever les
principes généraux du droit qui complètent et précisent utilement les
textes constitutionnels et légaux.
<< Signalons comme exemples le respect des droits de la défense, la
motivation des actes juridictionnels, le droit à un tribunal indépen-
dant et impartial, la règle non bis in idem, le principe général de
proportionnalité des restrictions et libertés et les sanctions discipli-
naires, le principe de la personnalité des peines, etc. Ces principes
généraux de droit ont valeur d'ordre public et leur méconnaissance
peut être soulevée d'office par le juge. On n'oubliera pas davantage
les principes fondamentaux de l'ordre juridique belge reconnus par

(15) F. SUDRE, <<La Communauté européenne et les droits fondamentaux après le Traité
d'Amsterdam. Vers un nouveau système européen de protection des droits de l'homme?<>, J.C.P.,
1998, D, p. 9 (cité par M. VERDUSSEN et D. DE BRuYN, «La protection des droits de l'homme
et le rôle des administrations en Belgique», R.f. S.A., 1999, p. 495).
LES DROITS DE L'HOMME 201

la Cour d'arbitrage qui ont une incidence considérable en matière de


liberté>> (16).
189. - <(S'il est vrai que la jurisprudence n'est pas à propre-
ment parler une source de droit, en matière de libertés, peut-être
plus que dans n'importe quel autre domaine, le juge joue un rôle
décisif dans la détermination des contours des libertés et des moda-
lités de leur exercice>> (17).
On relève, en particulier, l'influence de la Cour d'arbitrage dans
l'interprétation des articles 10, ll et 24 de la Constitution, mais
aussi des autres dispositions en matière de libertés publiques. Voy.
la chronique annuelle de jurisprudence constitutionnelle de F. DEL-
PÉRÉE, A. RASSON-ROLAND et B. RENAULD dans la Revue belge de
droit constitutionnel.
L'on ne saurait ignorer la doctrine. Les différents traités, manuels
ou précis de droit constitutionnel consacrent des développements
importants aux libertés. Il convient d'y ajouter l'ouvrage fonda-
mental de J. VELU et R. ERGEC sur La Convention européenne des
droits de l'homme (Bruxelles, Bruylant, 1990). Les études publiées
dans la Revue trimestrielle des droits de l'homme permettent de com-
pléter la documentation existante.

§ 2. - L'affirmation des libertés

A. - Les conditions de la liberté


190. - L'Etat de droit, c'est la société politique qui est organi-
sée en vue de procurer à l'individu le bénéfice de libertés qu'il exer-
cera selon les règles et dans le respect des procédures qu'établit le
droit positif.
En dehors de pareille protection qu'assure le droit, il n'est pas de
sécurité de l'individu et l'expérience qu'il pourrait tenter de l'exer-
cice de ses libertés paraît dépourvue d'effet utile.
La promotion de la sécurité juridique est donc (( le point le plus
avancé >> de la défense de la liberté. La Constitution y fait référence
en précisant successivement les rapports entre la liberté et l'égalité
et ceux entre la liberté et la justice.

(16) R. ERGEC, op. cit., p. 34.


(17) Ibid., p. 35.
------------------------

202 LES CITOYENS

La Constitution condamne, pour une part, la conception qui donnerait à pen-


ser que les libertés les plus élémentaires et les plus fondamentales de l'individu
sont celles qui lui permettent de réclamer l'abstention des pouvoirs publics. En
droit, la liberté de l'individu n'existe jamais que dans l'Etat et au sein des col-
lectivités politiques qu'il organise. Elle ne se traduit jamais que dans les textes,
les institutions et les procédures qui sont ceux de l'Etat.
Le problème n'est donc pas de savoir si l'Etat peut ou ne peut pas, doit ou
ne doit pas, intervenir en matière de libertés. Les libertés sont <<publiques >>, par
définition. La question qui subsiste est celle des modes d'intervention de l'Etat.
Quelles garanties apporte-t-il aux libertés qu'il consacre ? Quelles conditions réa-
lise-t-il pour l'épanouissement des libertés? C'est l'intensité de l'intervention de
l'Etat, plus que son principe, qui est en question.

La sécurité personnelle ne saurait être tout à fait dissociée de la


sécurité juridique. C'est la protection de <<l'essence même de la per-
sonnalité>> (18) qui est en cause.
Avant même d'examiner la manière dont l'individu va pouvoir
mettre en œuvre les attributs de cette personnalité, ne convient-il
pas que l'Etat sauvegarde, en mettant en dehors de toute atteinte,
le droit fondamental à la vie et au respect de l'intégrité physique ?
La Constitution y fait référence en rappelant le principe général de
la ((liberté individuelle>) (art. 12, al. 1er).

1. La liberté et l'égalité.

191. - <<Les Belges sont égaux devant la loi>>. Ainsi s'exprime,


dans une formule d'une exceptionnelle concision, l'article 10 de la
Constitution. La disposition date de 1831. Elle n'a pas été modifiée
depuis lors. Le propos prend, cependant, à partir de 1988, des signi-
fications nouvelles.
Dès l'instant, en effet, où la Cour d'arbitrage vérifie par priorité
si les différents législateurs qui sont à l'œuvre respectent les règles
inscrites dans l'article 10 de la Constitution et n'hésite pas à censu-
rer les discriminations qu'ils auraient commises ( 19), l'égalité devient
la principale norme de référence en droit public (20). Il n'est pas

(18) J. RoBERT, Libertés publiques, Paris, Ed. Montchrestien, 1971, p. 233.


(19) Les arrêts rendus, chaque année, sur la base des articles lü et Il de la Constitution repré-
sentent plus des deux tiers de la production de la Cour d'arbitrage. Voy. R. LEYSEN, B. PATV
et A. RAssoN-ROLANO, op. cit., et les tableaux composés à cette occasion.
(20) Dans une étude sur<< L'égalité devant la Cour d' arbitrage>>. J.-C. ScHOLSEM relève que
le juge constitutionnel <>choisit en quelque sorte de l'égalité une définition-carrefour en vue de
LES DROITS DE L'HOMME 203

excessif de considérer que cette notion est désormais l'alpha et


l'oméga du système constitutionnel.
La Constitution proclame la règle de l'égalité dans les termes les
plus larges (art. 10, al. 1er). Là où la loi, au sens général du terme,
intervient - en matière politique, économique, sociale, cultu-
relle ... - , elle ne peut traiter différemment ses destinataires. En
particulier, elle ne peut établir de distinctions pour des motifs idéo-
logiques ou philosophiques (art. 11). Dans cette perspective englo-
bante, ni privilèges, ni discriminations ne sont - en quelque
domaine que ce soit - acceptables.
Il va sans dire que la Constitution, telle qu'elle a été rédigée en
1831, et la Convention de sauvegarde, telle qu'elle a été conçue en
1950, n'ont pas établi la règle d'une égalité de fait- d'une égalité
de conditions - entre tous les individus dans l'Etat. Non qu'il
s'agisse d'un objectif illusoire : les lois sociales ou culturelles qui
cherchent à réduire les inégalités foncières entre individus poursui-
vent cette préoccupation. Mais cet objectif est toujours, pour une
part, inaccessible. La recherche de l'égalité de fait peut apparaître
comme la justification donnée à une politique ; elle peut, plus malai-
sément, être inscrite au nombre des droits de l'individu.
La Constitution et la Convention ont fixé aux pouvoirs publics un
objectif plus immédiatement accessible : faire en sorte que la loi soit
la même pour tous, afin que des situations identiques soient réglées
de manière identique. Elles ont imposé la règle de l'égalité juridique,
seule source de sécurité juridique. Elles ont fondé une société sans
privilèges, dont les membres savent <~dès le départ~> qu'aucun
d'entre eux ne sera, à raison du droit, avantagé ou désavantagé par
rapport aux autres.
D'où cette affirmation sans équivoque du principe d'égalité «devant la loi·~
(art. 10), de l'interdiction faite au pouvoir exécutif de~· dispenser·~ de l'exécution
de la loi (art. 108) ou d'exempter du paiement de l'impôt (art. 172, al. 2), de la
prohibition complète des~· privilèges~- qu'ils s'attachent aux titres de noblesse
(art. ll3) ou qu'ils soient consentis en matière fiscale (art. 172, al. 1e') - .

192. - La loi est générale, la loi doit être générale, la loi ne peut
être que générale ... On ne saurait se satisfaire de tels aphorismes. La

se positionner comme juridiction·carrefour ·~(in Liber amicorum Prof. em. E. Krings. Bruxelles,
Story Scientia, 1991, p. 775).
204 LES CITOYENS

loi ne reçoit pas nécessairement une portée illimitée. Une élabora-


tion plus fine et plus nuancée de la règle de droit est concevable, et
même souhaitable.
Des distinctions élémentaires doivent être pratiquées. Il convient,
lors de l'élaboration de chaque norme, voire lors de sa mise en prati-
que, d'opérer un tri parmi les hypothèses et les solutions de droit.
Si la loi entend soumettre toutes personnes et toutes situations à
un régime juridique identique, elle risque de formuler des disposi-
tions absurdes, d'intervenir de manière aveugle ou d'adopter des
prescriptions qui seront dépourvues d'une part d'effectivité. Si elle
entend faire œuvre utile, elle doit chercher à s'adresser, comme
l'écrivait déjà Jean DABIN, à des généralités déterminées de per-
sonnes et de situations (21}.
La loi définit, dans cette perspective immédiate et réaliste, des
ensembles homogènes au sein desquels elle assure à ceux qu'elle réu-
nit le bénéfice d'un même traitement. Elle raisonne et décide par
catégories. Elle organise la mise en œuvre différenciée de ses pres-
criptions.
Des questions redoutables ne peuvent manquer de se poser aux
cours de justice. Quand un ensemble est-il à suffisance homogène ?,
quand une catégorie est-elle circonscrite de manière pertinente ?,
quand ces ensembles ou ces catégories sont-ils, au contraire, incohé-
rents ou artificiels ?
Les réponses que procure la jurisprudence donnent à penser que
la règle constitutionnelle d'égalité ne possède pas une signification
univoque mais peut au minimum recevoir trois interprétation dis-
tinctes.
L'une, classique, que l'on qualifie d'identitaire, requiert que des
situations comparables soient traitées de manière comparable. Des
discriminations peuvent exister en fait. Elles ne sauraient, par
contre, être instaurées par la loi. Celle-ci doit traiter également ses
destinataires pour autant qu'ils se trouvent dans une situation com-
parable.
Une autre interprétation complète celle qui est procurée d'ancien-
neté à la Constitution. Elle est considérée comme sectorielle. Elle
entend qu'à des situations distinctes ne répondent jamais que des

(21) J. DABIN, Théorie générale du droit, Bruxelles, Bruylant, 1944, p. 56.


LES DROITS DE L'HOMME 205

solutions différentes. La loi ne peut traiter de manière identique des


personnes qui ne se trouvent pas dans une même situation.
Une troisième interprétation, plus paradoxale et plus novatrice,
est qualifiée de correctrice. Elle n'exclut pas que la loi cherche à
remédier à des inégalités existantes. Elle lui permet d'instaurer, de
manière délibérée, des régimes discriminatoires. Ou, ce qui ne
revient pas tout à fait au même, d'établir des régimes privilégiés.
193. - La préoccupation identitaire s'affirme d'emblée. A situa-
tions identiques, règles identiques.
La loi se présente, selon la formule consacrée, comme l'expression
de la volonté générale. A tout le moins, elle est l'œuvre commune
de ceux qui représentent la Na ti on et de ceux qui sont responsables
devant elle. Dans cette perspective globalisante, la loi a vocation à
être la même pour tous. Elle ne fait pas acception, par exemple, de
la localisation de ceux qu'elle entend régir.
<<Règle générale»> n'est pas synonyme de <<droit commun uni-
forme»>. Les différences qui existent entre plusieurs situations peu-
vent justifier la conception et la mise en œuvre de régimes distincts.
La règle d'égalité sera préservée si un même traitement est assuré
aux situations qui peuvent être considérées comme identiques ou
qui, à tout le moins, présentent des traits communs suffisamment
affirmés que pour être rangées dans une même catégorie juridique.
Comme le relève la Cour d'arbitrage, <<les règles constitutionnelles
de l'égalité des Belges devant la loi et de la non-discrimination n'ex-
cluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre cer-
taines catégories de personnes»> (22). Une application intelligente
des articles 10 et ll de la Constitution postule que des distinctions
soient pratiquées. A charge évidemment pour la loi de traiter de
manière indifférenciée tous ceux auxquels elle réserve un sort parti-
culier.
194. - Il revient à la loi de constituer des catégories juridiques
homogènes.
Une jurisprudence sophistiquée - qui s'inspire tout à la fois de
celles 'qu'ont développées la Cour de cassation et le Conseil d'Etat,

(22) C.A., n" 21/89, 13 juillet 1989, n" 22/99, 28 septembre 1989 et n" 23/89, 13 octobre 1989
(cités par J. SA ROT, P. VANDERNOOT et E. PEREMANS, Dix ans de jurisprudence de la Cour d 'arbi-
trage, Bruxelles, Bruylant, 1995, t. II, p. 699). Adde : F. DELPÉRÉE et A. RAssoN-ROLAND,
«Chronique. Belgique>>, A.l.J.C., 1990, p. 503.
206 LES CITOYENS

d'un côté, la Cour européenne des droits de l'homme (23), de


l'autre - s'attache à faire le départ entre les distinctions tolérées et
les discriminations prohibées. L'on en rappelle les traits essentiels.
Il incombe, d'abord, à la loi de retenir un critère de différencia-
tion qui puisse être considéré comme objectif. Comme l'écrit de
manière expressive André MAST, la catégorie des contribuables qui
serait caractérisée par la seule référence à une lettre de l'alphabet,
qu'elle soit ou non tirée au sort, s'exposerait manifestement à criti-
que (24). Les choix arbitraires ne sont pas admis.
Il convient aussi que le critère objectif que choisit la loi soit régu-
lier. Cette exigence particulière est souvent perdue de vue. Elle
reçoit, pourtant, une signification précise dans un système juridique
fondé tout autant sur l'idée de liberté que sur celle d'égalité. Une
différenciation ne saurait s'appuyer sur un critère de distinction qui,
par lui-même, révélerait une violation des droits de la personne
humaine.
L'appartenance à une formation politique ou à une confession
religieuse est aisément vérifiable. Elle peut l'être par la production
d'une carte d'adhérent ou d'un certificat délivré par un ministre des
cultes. Par nature, une distinction fondée sur cette appartenance est
attentatoire au régime des libertés publiques. A ce titre, elle ne sau-
rait être tolérée.
La Cour d'arbitrage rappelle qu'une loi ne saurait réserver des emplois publics
aux tenants d'un parti politique déterminé ni organiser leur répartition- même
équilibrée - entre les formations politiques dûment représentées (25). Elle ne
manque pas de souligner, fût-ce dans un langage hermétique, que<< la nature des
principes en cause>> invite à faire preuve de plus de circonspection encore avant
d'admettre des distinctions en ce domaine.

Le critère de différenciation retenu doit encore reposer sur une


justification pertinente. Pareil critère doit être mis en relation étroite
avec l'intérêt public que la loi entend préserver - l'intérêt du ser-
vice à rendre, de la règle à adopter, de la charge à supporter - .
Avec cette précision qu'apporte la Cour d'arbitrage : << l'existence

(23) X. DF.LGRANGE, «Quand la Cour d'arbitrage s'inspire de la Cour de Strasbourg>>, Rev.


rég. dr .. 1989. p. 611.
(24) A. MAST. ''Rapport sur les notions d'égalité et de discrimination en droit public belge»,
in Travaux de l'Association H. Capitant, t. XIV. p. 377.
(25) H. DuMONT et X. DELGRANGF., ''La loi du pacte culturel et la directive de l'équilibre
idéologique et philosophique dans les nominations; sagesse ou monstruosité? A propos de l'arrêt
de la Cour d'arbitrage du 15 juillet 1993 (no 65/93) », J. T., 1994, p. 2.
LES DROITS DE L'HOMME 207

d'une telle justification doit s'apprécier par rapport au but et aux


effets de la mesure considérée>>.
L'appréciation que porte le législateur et que censure éventuelle-
ment le juge constitutionnel est délicate. Il faut identifier à suffi-
sance le but de la loi (26). Et, pour ce faire, il convient de se référer
à ses travaux préparatoires et de faire confiance aux déclarations
affichées par ses auteurs (27). Il faut, exercice plus difficile encore,
s'interroger sur les effets de l'intervention législative et deviner les
applications diversifiées qui pourraient lui être procurées (28).
Tel est, en effet, le paradoxe de la règle de l'égalité devant la loi.
Loin de procurer à tous la même application de la loi, elle a pour
objet de réserver le bénéfice d'un droit ou l'exercice d'une liberté à
une catégorie restreinte d'individus.
195. - La préoccupation sectorielle ne peut être perdue de vue.
A situations différentes, règles différentes
Des ressemblances objectives autorisent l'application d'un régime
égalitaire. Mais si les similitudes ne sont pas établies ou si des diffé-
rences, elles aussi objectives, régulières et pertinentes se révèlent, le
régime identique ne se justifie plus. Une conception sélective de la
loi s'impose. La loi doit établir des traitements différenciés.
La critique faite à la loi prend ici un tour particulier. Il ne lui est
pas reproché d'être discriminatoire. Il ne lui est pas imputé d'avoir
établi à mauvais escient des catégories juridiques. Il lui est fait grief
de n'avoir pas tenu compte de situations foncièrement différentes et
de ne pas les avoir traitées de façon distincte.
La fonction assignée aux autorités de contrôle n'est pas compa-
rable dans la première et dans la deuxième hypothèse. Dans le pre-
mier cas, le juge s'interroge sur la validité des distinctions établies
par le législateur et se prononce sur la pertinence de l'œuvre accom-
plie. Dans le second, il se demande si l'élaboration de la loi n'eût pas

(26) <• Le but de la loi, écrit J.-C. SCHOLSEM, devient le critère principal, sinon exclusif, du
jugement porté en matière d'égalité'· Le même auteur ne manque pas d' ajouter que «trouver
à toute norme un but donné auquel elle peut être confrontée n'est pas une tâche facile» (op. cit.,
p. 773).
(27) B. RENAULD, <<Objectifs du législateur et contrôle de constitutionnalité. Observations
sous l'arrêt n" 22/94 du 8 mars 1994 », R. B. D.C., 1994. p. 347. Adde : L.-P. SuETENS, ,, Gelijkheid
en discriminatie in de rechtspraak van het Arbitragehof •>, in Gelijkheid en non discriminatie, Ega-
lité et non-discrimination, Antwerpen, Kluwer, 1991, p. 95.
(28) Une conséquence s'impose logiquement : «Le principe d'égalité est violé lorsqu'il est éta-
bli qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le
but visé •> (C.A., n" 21/89, 13 juillet 1989).
208 LES CITOYENS

dû être autre. Il ne peut s'empêcher de poser cette question : << Com-


ment eût-il fallu légiférer ? >>. Il s'interroge sur les mille et une situa-
tions qui pourraient ne pas présenter suffisamment de points de
tangence avec celle qui a fait l'objet d'une intervention législative
et qui mériteraient donc d'être réglées dans une autre loi.
Cette seconde analyse entre dans l'examen du processus normatif,
dans la détermination des intentions des auteurs de la règle incrimi-
née et dans le choix des méthodes de confection de la loi.
La Cour d'arbitrage n'hésite pas à s'aventurer dans cette voie qui s'inscrit aux
frontières du contrôle d'opportunité. << Les articles 10 et ll de la Constitution
s'opposent... à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse
une justification objective et raisonnable, des catégories de personnes se trou-
vant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentielle-
ment différentes >> (29).
Des situations distinctes appellent des solutions distinctes. Encore faut-il que
les hypothèses envisagées soient « essentiellement différentes ... >>. Telle est sans
doute la mesure de la discrimination dénoncée. Des différences minimes ou acci-
dentelles ne suffisent pas à condamner le régime identitaire. Seules des diffé-
rences manifestes appellent la mise en œuvre d'un régime différencié.

196. - La préoccupation correctrice ne peut non plus être igno-


rée. Des inégalités peuvent contribuer à instaurer l'égalité.
Dans un arrêt du 27 janvier 1994, la Cour d'arbitrage considère
que des inégalités peuvent se concilier avec le principe d'égalité et
l'interdiction de discriminations. C'est pour autant qu'elles visent à
remédier à une inégalité existante. Encore faut-il que ces inégalités
correctrices << soient appliquées dans les seuls cas où une inégalité
manifeste est constatée >> et << que la disparition de cette inégalité
soit désignée par le législateur comme un objectif à promou-
voir>> (30).
Le propos a le mérite de la franchise. Il marque, à coup sûr, l'ir-
ruption du propos politique dans le discours juridique. Pour autant
qu'elle soit elaire et ferme, la parole du législateur doit être prise
pour argent comptant. La confiance politique devient critère de
validité juridique. Le discours n'est pas hérétique dès l'instant où
chacun constate qu'une inégalité manifeste subsiste et qu'elle doit

(29) C.A., n" 4/92, 23 janvier 1992, n" 16/92, 12 mars 1992, n" 59/92, 8 octobre 1992, n" 64/92,
15 octobre 1992, no 70/92, 12 novembre 1992, no 45/93, 10 juin 1993, n" 59/93, 15 juillet 1993,
n" 77/93, 3 novembre 1993, n" 79/93, 9 novembre 1993 et n" 1/94, 13 janvier 1994 (cités par
J. SAROT, op. cit., t. II, p. 702).
(30) C.A., n" 9/94, 27 janvier 1994. Dans le même sens, C.E., L. 27.394/2, 30 mars 1998.
LES DROITS DE L'HOMME 209

être éradiquée. Il n'est pas pour autant rassurant. Qui peut soutenir
que des majorités abusives ne prendront jamais prétexte d'inéga-
lités qu'elles considéreront aussitôt comme patentes pour imposer
des solutions de droit qui s'inscriront pourtant en violation des
règles essentielles d'égalité ?
Des garde-fous sont prescrits. Les mesures discriminatoires ne
sont pas acceptables telles quelles. Des limites d'ordre chronologi-
ques sont imposées. Les mesures prises doivent être tempo-
raires (31) ; elles sont censées disparaître dès que l'objectif poursuivi
aura été atteint. D'autres limites touchent plus au fond du droit.
Les mesures adoptées ne peuvent restreindre inutilement les droits
d'autrui (32). Ou, pour paraphraser une formule célèbre, l'égalité
dont un individu peut profiter s'arrête là où commence la liberté
d'autrui.
197. - La notion d'égalité juridique tend à s'affiner au contact
de l'idée de proportionnalité. Deux orientations méritent, à cet
égard, d'être dégagées.
La première. Il est élémentaire de constater que des situations
identiques appellent une même solution et que des situations diffé-
rentes requièrent un traitement différent. Mais des différences
minimes vont-elles pouvoir justifier des solutions contradictoires ?
La réponse va de soi. Une distinction n'est pas licite par cela seul
qu'elle poursuivrait un but légitime - tenir compte de situations
différentes - . Elle doit encore revêtir une ampleur raisonnable ;
elle doit se traduire dans des mesures qui s'accordent avec les diffé-
rences dont elle croit devoir tenir compte. C'est une idée d'égalité
graduée qui tend à s'imposer comme règle d'action des pouvoirs
publics (33).
La seconde orientation. Il est banal d'observer que la règle d'éga-
lité juridique joue entre citoyens ; l'on s'attachera donc à réperto-
rier les catégories d'individus au sein desquelles le principe de l'éga-

(31) Rien n'empêche, dit la Cour d'arbitrage dans un arrêt du 8 juillet 1993 (n" 56/93), que
le législateur procède par étapes successives pour mettre fin à une distinction qui est admise dans
les mentalités et intégrée dans de nombreuses règles de droit mais qui tend à s'amenuiser progres-
sivement à raison des évolutions socio-économiques et technologiques.
(32) C.A., n" 9/94, 27 janvier 1994; F. DELPÉRÉE et A. RASSON-ROI~AND, op. cit., n" 94.
(33) Sur cette question, voy. F. DELPÉRÉE, ''Le principe de proportionnalité en droit public>>,
Rapports belges au X' Congrès international de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 503;
F. DEtPÉRÉE et V. BoucQUEY-RÉMION, ''Liberté, légalité et proportionnalité>>, Rapport au
X V 1 n·· Congrès international des sciences administratives, Madrid, 1980.
210 LES CITOYENS

lité juridique trouve à s'appliquer. Mais il peut être tentant d'impo-


ser la même règle d'égalité <<entre>> groupes et <<entre>> catégories
d'individus. Le législateur peut même se donner pour tâche essen-
tielle de bannir toute discrimination entre groupes et de leur assu-
rer, sinon un traitement égalitaire, du moins un régime juridique et
financier qui soit proportionné à leur force respective. Voy., par
exemple, les modalités de répartition de l'aide aux cultes (n° 219)
ou à la presse (no 233) ; voy., également, la jurisprudence en ce qui
concerne le partage du temps d'antenne entre formations politiques
ou associations philosophiques et religieuses (C.E., no 11.749, 6 avril
1966, Moulin et Deconinck; no 11.838, 25 juin 1966, Association pro-
testante pour la radio et la télévision).

198. - Sera-t-il possible de préserver l'égalité des individus


malgré la nécessité d'assurer l'égalité des groupes ? Peut-on cher-
cher à concilier l'égalité de tous les individus avec celle de tous les
groupes ? Deux exemples empruntés au droit de la fonction publi-
que illustrent la portée de la discussion.
Entre des candidats à un emploi public (no 144), une distinction
peut-elle être opérée, qui soit fondée sur leurs opinions politiques ou
philosophiques ? La réponse risque d'être négative pour qui s'en
tient à la règle de l'égalité individuelle, interprétée à la lumière du
principe constitutionnel de la liberté d'opinion (art. 19). Mais ne
sera-t-elle pas positive pour qui entend assurer à une tendance poli-
tique la possibilité de s'épanouir au même titre que des formations
similaires et qui veut lui offrir l'occasion de concourir, par exemple,
dans les institutions publiques de radiodiffusion et de télévision, à
la production d'une information équilibrée et objective (C.E.,
n" 13.122, 26 juillet 1968, Lenaerts)?
Dans un arrêt du 15 juillet 1993, la Cour d'arbitrage renverse la
jurisprudence administrative. Elle considère qu'un <<tel système
emporte inévitablement que des agents puissent se voir défavorisés,
en dépit de leurs mérites, en raison de leurs convictions idéologiques
ou philosophiques. Il comporte en outre le risque de défavoriser
ceux qui usent du droit qu'a tout citoyen de ne pas prendre publi-
quement parti. Il défavorise encore ceux qui sont en accord avec
une tendance sur certaines questions, avec une autre sur d'autres
points. L'inégalité de traitement qui en résulte étant fonction des
convictions de chacun, elle met en cause des principes relatifs à la
LES DROITS DE L'HOMME 211

vie privée ainsi qu'à la liberté d'exprimer ou de ne pas exprimer les


opinions personnelles >>.
Une distinction peut-elle être fondée sur des critères d'ordre lin-
guistique ? Les recrutements, les affectations, les promotions vont-ils
s'opérer en prenant en seule considération les mérites des candi-
dats - en ce compris leurs connaissances linguistiques - , ce qui
paraît conforme aux articles lO et 30 de la Constitution ? Ou bien
les mouvements dans la fonction publique doivent-ils tenir compte
de <~ l'importance >> que peut avoir pour chaque communauté l' orga-
nisation des services administratifs, auquel cas il y a lieu d'établir
les <~ cadres linguistiques >> qui guideront la carrière des agents (lois
sur l'emploi des langues en matière administrative, art. 43) ?
Le gouvernement VERHOFSTADT a manifesté l'intention d'enscrire dans la
Constitution un article !Obis qui commencerait par ces mots : ~·Le droit des
femmes et des hommes à l'égalité est garanti>> (n° 143).

199. - Ainsi définie et précisée, la règle de l'égalité juridique est


particulièrement féconde. Comparée <~ au pilier des cathédrales qui
évoque la ligne du palmier>> (34), elle s'épanouit et se diversifie au
s<?mmet : c'est l'égalité des citoyens, des usagers du service public,
des électeurs (35) des justiciables (36), des contribuables (37), des
candidats à un emploi public (38) ... qui se trouve consacrée par le
droit.
La Constitution se contente d'en énoncer, à titre d'exemples,
quelques applications : égalité pour l'exercice des droits politiques
(n°" 138 et 144) (art. 10, al. l er) (39), égalité des personnes - les
Belges, tous sans distinction, sont visés à l'article 10, alinéa 2, de la
Constitution-, égalité devant l'œuvre de justice-<~ nul>> ne peut

(34) J. RIVERO, ; Rapport sur les notions d'égalité et de discrimination en droit public fran-
çais'· Travaux de l'Association Henri Capitant, t. XlV, pp. 343 s.
(35) C.A., n" 90/94, 22 décembre 1994.
(36) C.A., no 17/95, 16 février 1995.
(37) 11 s'agit là d'une application particulière du principe d'égalité formulé à l'article 10 de
la Constitution (C.A., n" 20/91, 4 juillet 1991 et n" 31/92, 23 avril 1992; sur ce thème H. SIMo-
NART et A. RASSON-ROLAND, <• La jurisprudence de la Cour d'arbitrage •>, in Protection des droits
fondamentaux du contribuable, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 7).
(38) On trouve ici la règle traditionnelle de l'égal accès aux emplois publics. Elle est assortie
d'une clause stricte de nationalité.
(39) T.a Constitution abolit la distinction en ordres qui s'était maintenue sous le régime hol-
landais. Si le roi a la faculté de conférer des titres de noblesse ou des distinctions dans les ordres
civils et militaires, il n'y attache aucun privilège : l'exercice de cette compétence ne s'inscrit donc
pas en violation de la règle de l'égalité de droit.
212 LES CITOYENS

faire l'objet d'une procédure différente (art. 12 s.)-, égalité devant


l'impôt (art. 172) (40).
La loi, et la règle de droit en général, se donnent pour objectif de
préserver la règle d'égalité entre les individus dans la mesure où elle
entend faire œuvre abstraite et impersonnelle : ainsi, nul ne peut
être dispensé de l'exécution des lois (art. 108) ; il ne peut être établi
de <<privilège)> (art. 172). Le juge s'efforce, pour sa part, d'affirmer
la règle de l'égalité devant les charges, devant les prestations et
devant les services publics.
Mais c'est dans la matière des droits de l'homme que la règle
d'égalité prend toute sa valeur. Comme le relève C. A. CüLLIARD,
<<si la liberté n'est pas accessible à tous, il n'y a pas de liberté)) (41).
L'égalité est instrument d'évaluation des progrès de la liberté. Elle
en est aussi l'instrument de promotion. C'est dans une société où les
distinctions s'autorisent du moins d'arbitraire possible que la liberté
des individus et des groupes est le mieux préservée, que leur sécurité
juridique aussi est le mieux assurée.

2. La liberté et la justice

200. - La Constitution pose les principes d'organisation du


pouvoir judiciaire - et, plus largement, du pouvoir juridiction-
nel - dans l'Etat. Elle règle la répartition des compétences entre
les cours et tribunaux et les juridictions administratives (art. 144 et
145). Elle établit les grandes lignes de l'architecture judiciaire
(titre III, ch. III). Elle fixe quelques-unes des règles qui doivent
commander la dispensation de la justice et le fonctionnement des
institutions qui ont mission de juger. Elle établit les grandes lignes
du statut du juge (art. 151 s.). Autant d'éléments de la sécurité juri-
dique inscrits dans la Constitution, et spécialement dans son titre II
(art. 12 et 13).
La Convention européenne précise, pour sa part, que << toute per-
sonne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publi-

(40) Le principe de l'égalité devant les charges publiques retient, en particulier, l'attention :
il veut que ces charges soient imposées à chaque citoyen en proportion de sa force contributive.
Les jurisprudences de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat ont mis en relief l'idée selon
laquelle ce principe ne s'opposait pas à l'établissement de taxes rémunératoires : elles ne frappent
pas également tous les citoyens mais sont exigées des usagers en fonction des services qui leur
ont été rendus (Cass., 16 novembre 1966, Pas., 1967, T, p. 953); elles ont également justifié la
taxe générale qui, en fait, ne frappe qu'un seul contribuable (C.E., n" 181, 9 décembre 1949, Wie-
lemans-Ceuppens, R.J.D.A., 1950, p. 39, note F. PERIN).
(41) C.A. CoLLIARD, Libertés publiques (3'' éd.), Paris, Dalloz, 1968, p. 190.
LES DROITS DE L'HOMME 213

quement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant


et impartial, établi par la loi ... )> (art. 6, 1).
Les garanties apportées par l'œuvre de la justice sont appré-
ciables et servent la cause de la liberté.
Une première garantie tient à la mission du juge. Le juge est
appelé à trancher des contestations (art. 144 et 145). Il va, pour ce
faire, appliquer aux circonstances de l'espèce une règle de droit.
Cette règle n'est point son œuvre ; il ne l'a pas forgée pour les
besoins de la cause. Il la trouve inscrite dans les lois, les décrets, les
ordonnances et les règlements.
Certes, toute règle de droit est passible d'interprétations diverses
(no 23). Si l'interprète veut faire preuve de loyauté dans la
recherche du sens du droit à appliquer, force est de constater que
la marge d'appréciation discrétionnaire n'est pas exagérée. Même
lorsqu'il lui revient de trancher les litiges sans pouvoir tirer << pré-
texte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi)) (C.
jud., art. 5), le juge n'est pas appelé à faire œuvre législative : il ne
peut << prononcer par voie de disposition générale et réglementaire )>
sur les causes qui lui sont soumises (C. jud., art. 6).
En ce sens, le refus de la confusion des responsabilités dans l'Etat
est gage de la liberté de l'homme.
Une autre garantie tient au statut du juge. La nomination à vie
et l'inamovibilité que la Constitution (art. 152) lui assure préservent
l'indépendance de celui qui a mission de juger. Ces garanties sont
aussi de nature à préserver la liberté d'action du justiciable. Celui-ci
est assuré de recevoir <<le juge que la loi lui assigne)> (art. 13), de
voir sa cause entendue par un magistrat qui ne craint pas la sanc-
tion déguisée que peut représenter un déplacement, d'être jugé par
ceux dont la carrière n'est pas à la merci du pouvoir gouvernemen-
tal.
Une dernière garantie est liée au mode d'exercice de la fonction juri-
dictionnelle. L'action du juge s'exerce selon << une procédure prédé-
terminée)) (42) qui implique la publicité des débats (art. 148) et des
décisions (art. 149), la possibilité pour les parties de présenter l'en-

(42) J. RIVERO, Libertés publiques, t. !'"'. Les droits de l'homme, Paris, P.U.F, 1973, p. 132.
214 LES CITOYENS

semble de leurs arguments, le respect des droits de la défense (43}, la


motivation des décisions (art. 149) (44) et, pour pallier les risques
d'erreur, des voies de recours organisées (sur ces questions, voyez C.
CAMBIER, Droit judiciaire civil, t. 1, Fonction et organisation judi-
ciaires, Bruxelles, Larcier, 1974, pp. 82 s.).

3. La liberté et la sécurité personnelle


201. - Il n'y a pas que la sécurité juridique qui compte. Les
garanties tirées d'une bonne organisation des pouvoirs, en particu-
lier du pouvoir législatif fédéral ou fédéré et du pouvoir judiciaire,
ne suffisent pas. Il faut encore qu'au plus intime de lui-même l'indi-
vidu puisse sentir la protection qui va à sa personne.
Il a droit à la vie. Il a droit à une vie privée. Il a droit à une pro-
tection de son individualité. Un ensemble de droits s'attachent à
définir l'autonomie de l'individu, tant à l'égard des pouvoirs publics
qu'à l'encontre des autres individus.
202. - Le droit à la vie est affirmé de mamere sommaire dans
la Constitution. Celle-ci se borne à proclamer le principe de la liberté
individuelle (art. 12). Ainsi qualifiée, cette liberté ne saurait s'en-
tendre par opposition à d'autres libertés qui, pour leur exercice,
postulent une action collective. La liberté est individuelle, en tant
qu'elle profite à l'individu.

(43) Une disposition essentielle en la matière est celle de l'article 6, § 1''', de la Convention
européenne de sauvegarde : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitable-
ment, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, éta-
bli par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil,
soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit
être rendu publiquement, mais l'accès à la salle d'audience peut être interdit à la presse et au
public pendant la totalité ou une partie du procès, dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public
ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la
protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement
nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales, la publicité serait de nature
à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
(44) Voy., en particulier, Cass., 9 octobre 1959, Pas., 1960, 1, p. 170 et 17 octobre 1966, Pas ..
1967, 1, p. 217. La Cour de cassation considère que<< l'article 149 de la Constitution, en tant qu'il
dispose que tout jugement est motivé», énonce une règle qui constitue pour les parties une garan-
tie essentielle contre l'arbitraire du juge et est, partant, inséparable de la mission de juger une
contestation. Mais elle précise, en même temps, que la disposition de l'article 149 qui prévoit que
le jugement est prononcé en audience publique <<a pour but de permettre un contrôle public de
la décision rendue», qu'elle institue ainsi un contrôle qui, de même que celui institué par l'ar-
ticle 148 de la Constitution, prescrivant la publicité des audiences, <<n'est applicable de droit
qu'aux tribunaux>> de l'ordre judiciaire. Dans quelle mesure cette distinction est-elle compatible
avec les dispositions de la Convention européenne? Voy. Cour européenne des droits de l'homme,
Konig, 28 juin 1978, C.D.E., 1979, p. 407, obs. P. DuBOIS.
LES DROITS DE L'HOMME 215

Si je puis me déterminer librement à agir, c'est que je vis, que je


suis libre de mes mouvements, que je dispose à mon gré de ma per-
sonne (45), que je suis protégé dans mon intégrité physique. La
règle de la liberté individuelle implique que soient consacrés, au pro-
fit de l'individu et dans les termes les plus larges, le droit à la vie
et les libertés corporelles.
En 1990, il est demandé à la Cour d'arbitrage de consacrer le principe de la
<<continuité de la vie humaine>>. Elle est invitée à censurer la loi du 3 avril 1990
assurant la dépénalisation partielle de l'avortement au motif que ses dispositions
n'assurent pas une<< protection ininterrompue et identique>> de ce droit <<dès la
conception>>. La Cour ne suit pas ce raisonnement. Elle reconnaît néanmoins
qu'une double obligation pèse sur le législateur. Il doit, d'une part, << respecter
la vie>> : selon la Cour, une adéquation doit être établie entre<< l'enfant vivant>>
et <<l'enfant né>> (n" 39/91 du 19 décembre 1991, 6.B.4). Il doit, d'autre part,
<<prendre des mesures pour protéger aussi la vie à naître>> (6.B.3). Ce disant, la
Cour accepte, au moins de manière implicite, le raisonnement selon lequel l'en-
fant à naître ne bénéficie que d'une vie en devenir. Cette vie serait elle-même
<<à naître>>. Quelle est la signification juridique et physiologique, pour ne pas
dire éthique, d'une telle observation 1

L'intégrité de la personne est <<le premier des droits civils appar-


tenant à l'homme vivant en société>> (P. LECLERCQ). Le droit privé
le protège puisqu'il oblige celui qui cause un dommage à autrui, et
d'abord à sa personne, à le réparer. Le droit pénal le préserve aussi,
puisqu'il prémunit des agressions violentes contre la personne. Le
droit public, lui, se contente souvent d'une affirmation de principe
(Convention européenne, art. 2, 1). Il s'attache plutôt à déterminer
quels sont les intérêts qui peuvent justifier qu'il y soit porté
atteinte : le maintien de l'ordre public (<< que les bons citoyens se
retirent ... >> ), de la sécurité publique (les peines d'emprisonnement,
de détention, de réclusion, voire la peine de mort - en exécution
d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit
est puni de cette peine par la loi, Convention européenne, art. 2 -),
de la santé publique (les vaccinations obligatoires ... ). Il s'efforce
encore de définir la mesure de l'intervention de l'autorité publique,
en rappelant que les atteintes à la liberté individuelle doivent être
proportionnées à l'objectif d'intérêt public qui est poursuivi.
203. - Le droit à la vie privée trouve son expression dans l'ar-
ticle 22 de la Constitution.

(45) La Convention européenne en dégage une leçon concrète : <<nul ne peut être tenu en
esclavage ni en servitude» (art. 4, § 1''').
216 LES CITOYENS

En réalité, il n'y a pas un droit à la vie privée. Il y en a au mini-


mum deux.
Il y a, d'abord, le droit à l'intimité. C'est un droit ancien : il est
consacré depuis 1831, sous la forme de l'inviolabilité du domicile et
du secret des correspondances. C'est un droit autonome : il trouve
en lui-même sa propre justification. C'est un droit absolu : il neper-
met pas d'exceptions, hormis celles que mentionne expressément la
Constitution. C'est un droit-franchise : il vient compléter d'autres
droits et libertés-franchises (46). C'est le droit pour toute personne
de trouver refuge ou abri.
Il y a, ensuite, le droit à l'anonymat. C'est un droit plus récent :
il n'est consacré que depuis 1994. C'est un droit complémentaire : il
ne s'explique que par référence à d'autres droits et libertés. C'est un
droit relatif : son titulaire peut y renoncer ou peut accepter d'y
apporter des accommodements. C'est un droit négatif: il permet de
ne pas parler, de ne pas participer, de ne pas s'associer - ou, en
tout cas, de le faire dans la mesure que la personne intéressée consi-
dère comme acceptable - .
Le droit à l'intimité et Je droit à l'anonymat se rejoignent. La protection va
à un ensemble de données personnelles que l'individu a Je droit de ne pas voir
divulguer. C'est Je secret qui doit être assuré en toutes circonstances. Le droit
à l'intimité et le droit à J'anonymat ne coïncident pas, cependant. Dans un cas,
il s'agit de se protéger contre les atteintes extérieures, de refuser les interven-
tions des autorités publiques et celles des autres particuliers, de se replier dans
son for intérieur. Dans l'autre, l'individu a le droit de s'extérioriser, il a le droit
d'utiliser les différentes facultés qui lui sont offertes, il a le droit d'en faire usage
sur la place publique. Mais, autre branche de l'alternative, il a aussi le droit de
ne pas en faire usage ou de requérir d'autrui qu'il n'en fasse pas un usage abusif.

204. - Le droit à l'intimité relève des thèmes classiques du droit


public. Inviolabilité du domicile, secret des correspondances ... Les
principes sont établis de longue date. Ils soulèvent aujourd'hui de
nouvelles questions. D'autant que le droit à l'intimité peut se pré-
senter sous deux facettes distinctes : il s'agit d'un droit individuel,
avec la reconnaissance de l'inviolabilité du domicile; il s'agit d'un
droit relationnel, avec la reconnaissance de l'inviolabilité des corres-
pondances.

(46) L'on dénonce parfois cette conception topographique de la liberté. Elle a pourtant sa rai-
son d'être. Tl y a des droits fondamentaux qui s'exercent «à domicile •>, par opposition à des
droits qui s'exercent dans des lieux publics, clos et couverts, par opposition aussi à des droits
qui s'exercent sur la voie publique. La liberté est mesurée en fonction de cette donnée géographi-
que, à savoir la localisation de la personne et de ses activités.
LES DROITS DE L'HOMME 217

205. - Selon l'article 15 de la Constitution, << le domicile est


inviolable •> ; en conséquence, << aucune visite domiciliaire ne peut
avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle
prescrit •>.
Le domicile sert de lieu d'habitation à une personne. Peu impor-
tent les modalités : propriété, immeuble loué, cabane, bateau,
chambre d'hôtel... Il s'agit de l'espace minimum dans lequel cette
personne doit pouvoir donner libre cours à sa liberté. Ce lieu est
considéré comme le refuge de ses affections, de ses intérêts, de ses
activités. <<Chez lui •> (47), l'individu est totalement libre pour
autant qu'il ne commette pas d'infraction ou qu'il ne se comporte
pas de manière fautive. << Pauvre homme en sa maison est roi •>.
Deux conséquences en résultent.
L'une concerne les autres personnes. Nul ne peut, sauf en état de
péril, pénétrer au domicile d'une personne sans son consentement ou
sans sa demande.
L'autre touche les autorités publiques. Nulle autorité judiciaire
ou administrative ne peut, hormis le cas de crime ou de délit fla-
grant, procéder à des visites domiciliaires qui ne seraient pas pré-
vues par la loi et qui ne seraient pas opérées dans la forme qu'elle
prescrit. Par exemple, pas de perquisition sans un mandat de jus-
tice (48), pas de visite nocturne - soit entre 21 et 5 heures - (loi
du 7 juin 1969) (49).
Tout lieu d'habitation peut servir de domicile. Le lieu où une personne exerce
son activité professionnelle ne peut être considéré comme un domicile. Des per-
quisitions peuvent y être opérées. Un laboratoire pratique la vivisection. Les
expériences s'accomplissent-elles dans les conditions prescrites par la loi sur le
bien-être des animaux 1 Permettent-elles d'éviter des souffrances inutiles aux
animaux de laboratoire ? Des inspecteurs vétérinaires sont chargés de procéder
aux vérifications appropriées. Ils peuvent se faire ouvrir les portes qui donnent
accès aux lieux. Ils peuvent pénétrer, sans mandat de justice, dans le labora-
toire. Le patron du laboratoire ne peut s'opposer à leur intervention en faisant

(47) Il va de soi que si cette activité menée au domicile a des répercussions<< au dehors>>, elle
tombe sous le coup des lois de police.
(48) «L'intervention du juge d'instruction, magistrat impartial et indépendant. telle qu'elle
est prévue par les articles 87 et 88 du Code d'instruction criminelle, apparaît comme une garantie
essentielle>>. Elle se justifie à raison de l'atteinte qui est portée à <<l'inviolabilité du domicile,
garantie par l'article 15 de la Constitution et par l'article 8.1 de la Convention européenne des
droits de l'homme •• (no 140(98, 16 décembre 1998).
(49) Des exceptions sont prévues par la loi en cas de sinistre (inondation ou incendie), en cas
de réquisition ou du consentement de la personne qui a la jouissance du bien, en cas d'appel
venant de ce lieu. La loi réserve aussi l'hypothèse de dispositions légales particulières qui autori-
sent les perquisitions ou les visites domiciliaires pendant la nuit.
218 LES CITOYENS

état du principe de l'inviolabilité du domicile. La loi du 14 août 1986 relative


à la protection et au bien-être des animaux peut donc, sans méconnaître l'ar-
ticle 15 de la Constitution, habiliter des inspecteurs vétérinaires à procéder aux
vérifications nécessaires, et ce aux fins de déceler les mauvais traitements dont
les animaux pourraient faire l'objet (C.A., n" 140/98, 16 décembre 1998).

206. - L'article 29 de la Constitution est rédigé dans des termes


semblables à ceux qui instaurent l'inviolabilité du domicile. << Le
secret des lettres est inviolable)). Avec cette précision qui peut paraître
utile mais qui est sans doute quelque peu dépassée par le progrès
des techniques de communication : << La loi détermine quels sont les
agents responsables de la violation du secret des lettres confiées à
la poste )).
La Constitution entend ainsi mettre les lettres closes à l'abri des
divulgations inutiles. J'écris une lettre. Je la clos. Je la confie éven-
tuellement à la poste. Nul ne peut prendre connaissance, sans mon
autorisation, des préoccupations, des sentiments ou des projets que
je formule.
La Constitution place aussi les lettres à l'abri de l'intervention
des pouvoirs publics. Cette garantie est d'autant plus nécessaire que
la puissance publique s'est longtemps réservé le monopole du service
des postes (50). L'on peut regretter que la disposition constitution-
nelle ne s'étende pas à d'autres modes de correspondance : le télé-
phone, le télégraphe, la télécopie, le télex, le réseau informatique.
La notion d'inviolabilité absolue et sans réserves que semble
consacrer le texte constitutionnel cède, pour une part, devant les
exigences de la répression pénale ou devant les attributs des fonc-
tions de garde et de surveillance. Dans la pratique, les lois et règle-
ments n'hésitent pas à instaurer de telles restrictions : elles concer-
nent la correspondance des prévenus, des détenus et des faillis ; elles
visent aussi les lettres des mineurs, des interdits et des personnes
pourvues d'un conseil judiciaire ou d'un administrateur provisoire.
Quelles sont les difficultés que soulève aujourd'hui la mise en
œuvre de l'article 29 de la Constitution ? Elles sont liées à l'évolu-
tion des techniques modernes d'information. Le secret des commu-

(50) La Constitution précise aussi, dans son article 29, al. 2, qu'il appartient à la loi de déter-
miner les agents responsables de la violation du secret des lettres confiées à la poste. Elle entend
ainsi éluder la règle de la responsabilité du ministre pour fait de son administration, ce qui aurait
privé la norme d'une sanction effective. Voy., à ce sujet, la loi du 26 décembre 1956 sur le service
des postes.
LES DROITS DE L'HOMME 219

nications téléphoniques, pour ne prendre que cet exemple, devrait


être mieux assuré.
Le téléphone peut-il être mis sous écoute 1 Le Code d'instruction criminelle
(article 90octies) définit les modalités des écoutes téléphoniques. Il établit des
règles différentes selon la qualité des personnes qui peuvent être mises sous
écoute. Les avocats et les médecins ne peuvent l'être que dans des hypothèses
particulières et selon des conditions restrictives. Le système n'instaure-t-il pas
un privilège pour ceux qui exercent une profession libérale 1 Selon la Cour d'ar-
bitrage, le régime dérogatoire se justifie eu égard à << la nature des principes en
cause>> ou des<< valeurs en jeu>>. Il y a lieu de tenir compte, en l'espèce, du droit
au respect de la vie privée. La vie privée de qui 1 Celle de l'avocat ou du méde-
cin 1 Manifestement pas. Celle du client ou du malade ? Pas exactement. Ce qui
est en cause, c'est le secret de la communication entre une personne et le titu-
laire d'une profession libérale.

207. - Le droit à l'anonymat procède d'une autre préoccupation.


La doctrine distingue traditionnellement << le droit de >> - penser,
parler, croire, manifester ... - et <<le droit à>> - des prestations
sociales, culturelles, financières... Il faut aussi tenir compte du
droit <<de ne pas>> ...
La Constitution se préoccupe de reconnaître un tel droit. Elle le
fait de deux manières au moins. Elle consacre, d'abord, le droit à
la vie privée comme un droit optionnel. A chaque personne de
savoir si elle entend ouvrir la porte ou la refermer. Si elle la referme,
son choix doit être respecté. Nul ne peut prétendre violer l' anony-
mat qui est ainsi organisé.
La Constitution consacre ensuite le droit à la vie privée comme
couvrant un ensemble de droits sectoriels. Les atteintes qui peuvent
être légitimement portées à l'un de ses éléments ne sauraient
déteindre ou dériver sur les autres éléments constitutifs de ce droit.
208. - S'inspirant des formulations retenues par divers instru-
ments internationaux et notamment par la Convention européenne
des droits de l'homme, l'article 22, alinéa P', de la Constitution éta-
blit cette règle : <<Chacun a droit au respect de sa vie privée et fami-
liale, sauf dans les cas et aux conditions fixées par la loi >> (51).

(51) Par analogie aux règles constitutionnelles de l'inviolabilité du domicile ou du secret des
lettres, on voit dans la vie privée cette sphère d'intérêts et d'activités propre à chaque individu
et dans laquelle nul ne peut s'immiscer sans y être convié (J. RIVERO ). Entrent ainsi dans le
domaine de la vie privée tout ce qui concerne la santé personnelle, les convictions morales et reli-
gieuses, la vie affective et familiale, certains aspects de l'activité professionnelle ou de la situation
matérielle. Plus concrètement, il y a lieu de protéger le nom, l'image, l'identité, l'honneur, la
réputation de chaque individu. Il y a lieu aussi de mettre à l'abri d'une divulgation les renseigne-
220 LES CITOYENS

Ces droits et libertés se présentent comme autant de virtualités


dont une personne peut faire usage dans la vie de tous les jours. Elle
peut aussi n'utiliser aucun de ces instruments. Ou n'en user que de
manière parcimonieuse. Et, pour le reste, se faire oublier. Le droit
protège cette démarche.

209. - Un premier exemple se situe dans le domaine des rela-


tions familiales.
Vie privée et vie familiale peuvent s'opposer. Il faut préserver la
vie privée de chacun des membres du groupe familial. Il faut assu-
rer, par exemple, une égalité de traitement au mari et à la femme,
au père et à la mère (voy. cependant, C.A., no 38/91, 5 décembre
1991).
Il faut aussi concilier la vie privée des parents et celle des enfants.
Dans un arrêt de principe (no 26/96, 27 mars 1996), la Cour d'arbi-
trage considère que l'article 22 de la Constitution, combiné avec
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme,
garantit la jouissance de ce droit tant aux parents qu'aux enfants.
Ce droit trouve notamment à s'appliquer dans les relations entre un
enfant et des parents d'accueil. Il inclut le droit, pour chacune des
parties intéressées, d'intervenir dans une procédure juridictionnelle
qui peut avoir des répercussions sur la vie de la famille. Les parents
d'accueil, en particulier, ne peuvent être privés de ce droit d'inter-
vention que pour des raisons prévues à l'article 8. 2 de la Conven-
tion européenne des droits de l'homme (no 47/96, 12 juillet 1996).
Vie privée et vie familiale peuvent aussi aller de concert. Une
forme de protection de l'individu revient à ne pas divulguer inutile-
ment des éléments qui relèvent de sa vie familiale. Une autre forme
de protection revient pour les autorités publiques à ne pas prescrire
des conditions qui seraient discriminatoires parce qu'elles indui-
raient un type particulier de relations familiales.
La loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement
et l'éloignement des étrangers instaure la règle du regroupement familial. Elle
établit une distinction importante qu'elle fonde sur un critère objectif, à savoir
la nationalité de l'époux qui est rejoint. Elle estime que la différence de traite-
ment est en rapport avec l'objectif poursuivi, à savoir freiner l'immigration tout

ments confidentiels qui le concernent directement. Il faut encore mettre l'individu à l'abri des
formes d'écoutes ou de prises de vue illicites. Sur l'ensemble de la question, voy. J. VELU, Le droit
au respect de la vie privée, Bruxelles, Larcier, 1974.
LES DROITS DE L'HOMME 221

en tenant compte des liens affectifs que des étrangers peuvent avoir avec des
Belges.
Dans une première hypothèse, la personne qui est installée en Belgique et qui
souhaite y accueillir son conjoint et éventuellement ses enfants est belge ou res-
sortit à l'un des Etats membres de l'Union européenne. Le couple reconstitué ne
doit pas justifier d'une cohabitation de fait.
Dans une seconde hypothèse, la personne qui est installée en Belgique n'est
ni belge, ni citoyenne de l'Union. Dans ce cas, le regroupement familial est
subordonné à trois conditions. Il faut que le couple se trouve dans <<la situation
juridique de conjoints >>. Il faut, de surcroît, que homme et femme soient, de fait,
<<époux cohabitants>>. Il faut encore que cette cohabitation soit << réelle et
durable>>.
Ne s'agit-il pas d'une immixtion<< dans la vie privée des intéressés>> ainsi que
dans leur vie familiale ? Sans doute, mais cette ingérence peut se justifier, eu
égard à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il faut
éviter les mariages blancs. Il faut vérifier s'il y a famille. Il faut aussi que le
regroupement familial ne soit pas fictif, ce qui serait le cas s'il apparaissait que
<<des étrangers mariés n'ont jamais cohabité ou ont cessé définitivement de le
faire>> (n° 4/96, 9 janvier 1996).
Autre serait évidemment la situation d'un divorce ou d'une séparation de fait
qui interviendrait plus de trois mois après que le conjoint a été autorisé à séjour-
ner en Belgique.
C'est l'occasion, pour la Cour d'arbitrage, de rappeler que << le droit au respect
de la vie privée et familiale, garanti par l'article 22 de la Constitution et par l'ar-
ticle 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, implique la liberté de
se marier et celle de se séparer>>. La Cour aurait pu ajouter que les dispositions
précitées consacrent aussi le droit de ne pas se marier et de ne pas fonder famille,
sous une forme ou sous une autre.

210. - Une deuxième application du droit optionnel peut être


trouvée dans le domaine de la fonction publique.
La mise en œuvre du principe de l'égal accès aux emplois publics
(no 144) ne va pas sans susciter des difficultés pratiques. L'ar-
ticle 11 de la Constitution impose au législateur de garantir << les
droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques >).
L'article 131 prescrit, lui, d'arrêter des mesures<< en vue de prévenir
toute discrimination pour des raisons idéologiques et philosophi-
ques>).
La loi du 26 juillet 1973 se donne cet objet (52). Elle s'attache à
garantir de diverses manières la protection des tendances idéologi-
ques et philosophiques. Elle établit notamment, dans son article 20,

(52) Voy. F. DELPÉRÉE etH. DuMONT,' L'égalité à la troisième génération», in De Grondwet


honderd vijftig jaar, Bruxelles, Bruylant, 1981 (n" 198) .
222 LES CITOYENS

la règle selon laquelle <~ le recrutement, la désignation, la nomination


et la promotion tant du personnel statutaire et temporaire que du
personnel recruté sous contrat (dans les établissements et orga-
nismes culturels) doit se faire selon le principe de l'égalité des droits
sans discrimination idéologique ou philosophique et selon les règles de
leur statut respectif, en tenant compte d'une répartition équilibrée
des fonctions, attributions et affectations entre les différentes ten-
dances représentatives, d'une présence minimale pour chacune des
tendances et en évitant tout monopole ou toute tendance injustifiée
de l'une de ces tendances f>.
La loi affirme une chose et son contraire. Elle proclame le droit
à l'égalité individuelle. Elle préconise en même temps la recherche
d'un équilibre entre les tendances idéologiques et philosophiques.
Elle instaure, en réalité, des quotas politiques pour la distribution
des emplois dans le secteur culturel.
Ce système ne peut fonctionner que si chacun fait allégeance à
une formation politique ou, à tout le moins, à un courant d'idées.
L'agent public qui remplit ses fonctions dans une institution cultu-
relle est tenu de <~ divulguer f) son appartenance politique, de
<<prendre publiquement parti f>, dans tous les sens du terme, d'<~ ex-
primer f>, c'est-à-dire de révéler au grand jour ses opinions person-
nelles.
Aux yeux de la Cour d'arbitrage, un tel système est inconstitu-
tionnel. Il <<met en cause des principes relatifs à la vie privée ainsi
qu'à la liberté d'exprimer ou de ne pas exprimer les opinions per-
sonnelles f> (n° 65/93, 15 juillet 1993, no 7/94, 20 janvier 1994, no 47/
99, 20 avril 1999) (53).
211. - L'article 22 de la Constitution fait obligation au légis-
lateur fédéral ou fédéré de <~ garantir f>, dans différents secteurs, la
protection de la vie privée. Il l'incite à demi-mot à prendre un
ensemble de mesures permettant d'éviter la divulgation de données
à caractère personnel. La loi du 8 décembre 1992 anticipe sur cette
préoccupation.
Il est, en effet, un ensemble de données objectives qui caractéri-
sent une personne déterminée. Ces données, telles celles de l'état
civil, sont répertoriées dans un ensemble de documents publics :
registres, listes, répertoires ... Nul ne saurait se formaliser de l'usage

(53) Voy. H. DUMONT et X. DELGRANGE, op. cit., ibidem.


LES DROITS DE L'HOMME 223

que des administrations publiques vont faire de ces données, et ceci


dans l'exercice de responsabilités spécifiques. Ainsi la liste électorale
sert-elle à convoquer les citoyens aux urnes et à vérifier s'ils rem-
plissent leur devoir électoral, éventuellement à provoquer la répres-
sion d'une absence injustifiée.
Cela ne signifie pas que ces mêmes données puissent être utilisées
sans nécessité et qu'elles soient mises, sans contrôle, en circulation.
Une ordonnance de la Région bruxelloise du ll juillet 1991 vise à garantir le
droit à la fourniture minimale d'électricité. Elle interdit à une entreprise de pro-
céder à des coupures d'électricité à l'encontre de ménages qui, à raison de leur
indigence, ne seraient pas en mesure de payer leurs factures. Elle autorise néan-
moins l'entreprise à installer dans l'habitation un <<limiteur de puissance''· Le
nom du ménage concerné est communiqué par écrit à la commune.
La << divulgation '' du nom des personnes qui composent le ménage ne relève
pas de la simple communication d'une << donnée technique''· Cette information
<<révèle'' qu'une personne reste en défaut de payer ses dettes vis-à-vis de l'entre-
prise d'électricité. Cette procédure<< porte atteinte à la vie privée des personnes''·
<<Une telle divulgation porte sur un aspect de la vie privée protégé par l'article 8
de la Convention européenne des droits de l'homme et elle peut porter atteinte
à l'honneur et à la réputation qui sont protégés par l'article 17 du pacte des
Nations Unies relatif aux droits civils et politiques'' (n" 14/93, 18 février 1993).
Toute ingérence dans le domaine de la vie privée n'est pas à exclure pour
autant. La Convention européenne des droits de l'homme prévoit notamment de
telles interventions aux fins de protéger le<< droit à la santé''· Les missions d'aide
sociale qui reviennent à la commune supposent que cette institution « connaisse
l'identité des personnes protégées ''· Si ces informations sont procurées à des per-
sonnes tenues au secret professionnel et qu'elles ne doivent pas connaître
d'autres formes de publicité, elles ne prêtent pas à critique. Elles s'inscrivent
dans un ensemble de mesures qui sont prises dans un objectif louable, à savoir
assurer une protection sociale efficace.
La Cour d'arbitrage relève, de manière incidente, que l'enquête sociale qui est
réalisée doit l'être dans des conditions qui ne violent pas<< l'intimité et la dignité
de certaines familles pauvres'' (54).

212. ~ Des données individuelles sont également contenues


dans des documents administratifs ou dans des fichiers privés.
La publicité donnée à des informations contenues dans des dos-
siers administratifs, par exemple dans le domaine de l'aménagement
du territoire, peut entrer en conflit avec << un droit garanti par l'ar-
ticle 22 de la Constitution, le droit au respect de la vie privée )).
Selon la Cour d'arbitrage, la reconnaissance de ce droit << implique

(54) C.A., n" 14/93, 18 février 1993, B.2.12 et B.2.13.


224 LES CITOYENS

la protection des données confidentielles à caractère personnel >>

(n° 17/97, 25 mars 1997).


Le législateur ne saurait résoudre ce conflit en donnant primauté
absolue au droit au respect de la vie privée et en déniant de la sorte
à tout citoyen << le droit fondamental à la publicité de documents à
caractère personnel >>. Il lui appartient plutôt de mettre en place les
procédures de filtrage et les analyses de recevabilité des demandes
qui permettront à l'autorité publique de statuer, dans ces cas d'es-
pèce, sur la validité des demandes introduites (ibid.).
D'autres fichiers peuvent être constitués. Ils le sont à l'entremise
de personnes privées. Il s'agit, par exemple, des fichiers établis par
les sociétés de secours mutuel, groupées dans des unions ou fédéra-
tions de mutualités. La loi du 6 août 1990 fait de la prévoyance,
l'assistance mutuelle et la solidarité les principes de base de la légis-
lation en la matière. Elle ne s'oppose pas à ce que les mutuelles
offrent à leurs membres des services libres et complémentaires,
notamment dans les domaines de la banque et de l'assurance.
Il convient, cependant, d'éviter, estime le législateur, que des
informations personnelles obtenues par les mutuelles dans le secteur
de l'assurance obligatoire et complémentaire ne puissent être trans-
férées dans le secteur de l'assurance commerciale. C'est un élément
de clarté pour le malade qui est aussi un consommateur. C'est sur-
tout un moyen de protéger << la vie privée des assurés sociaux >>
(n° 70/99, 17 juin 1999).

213. - La sûreté apparaît comme le complément indispensable


du droit à la vie. Les garanties que la personne peut trouver dans
l'organisation de la justice prennent ici un relief particulier. A l'en-
contre de la répression pénale, n'y a-t-il pas lieu, en effet, de mieux
préciser encore les garanties offertes à l'individu ? En amont comme
en aval de l'œuvre de la justice, ne faut-il pas le prémunir contre
les interventions arbitraires de l'autorité gouvernementale ? Le
droit pénal et le droit de la procédure pénale trouvent ici leurs fon-
dements constitutionnels. Il suffit d'en rappeler les têtes de cha-
pitre.
En amont de la décision de justice, la Constitution rencontre les
problèmes de l'incrimination, de la poursuite, de l'arrestation et de
la détention préventive. <<Nul ne peut être poursuivi que dans les
cas prévus par la loi ... >> (art. 12, al. 2). <<Nul ne peut être arrêté
LES DROITS DE L'HOMME 225

qu'en vertu de l'ordonnance motivée d'un juge>> (art. 12, al. 3) ; la


Convention européenne des droits de l'homme précise aussi que tout
accusé a droit à être informé dans le plus court délai << dans une lan-
gue qu'il comprend et d'une manière détaillée>> (art. 6, § 3, a) de la
nature de l'accusation qui est portée contre lui.
Nul ne peut être détenu préventivement, précise la loi, sur base
d'un mandat d'arrêt pendant plus de cinq jours (loi du 20 avril
1874, modifiée notamment par la loi du 13 mars 1973) ; le mandat
peut être confirmé de mois en mois par la juridiction d'instruc-
tion (55).
Un problème particulier est soulevé par la privation de liberté qui
s'avère illégale ou arbitraire, voire qui se révèle injustifiée ou inopé-
rante. La victime va-t-elle pouvoir se prévaloir des principes consti-
tutionnels en matière de sûreté pour obtenir réparation du dom-
mage qui lui a été causé ?
La privation illégale ou arbitraire de liberté résulte, selon la loi
pénale, de l'intervention de l'agent de l'autorité ou de la force publi-
que qui fait arrêter ou détenir un individu en méconnaissance des
prescriptions de la Constitution. Ce comportement est réprimé par
la loi fédérale (C. pén., art. 147, 155 et 156). Il ouvre à la victime
un droit à réparation de la faute commise (C. civ., art. 1382 s.).
La privation injustifiée de liberté doit s'entendre dans un sens
plus large. Aux termes de la Convention européenne de sauvegarde
(art. 5), toute personne détenue a notamment le droit<< d'être aussi-
tôt traduite devant un juge >> ; elle a aussi celui << d'introduire un
recours devant un tribunal afin qu'il statue à bref délai sur la léga-
lité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illé-
gale>> (voyez notamment, les affaires de vagabondage devant la
Cour européenne des droits de l'homme- arrêt du 18 juin 1971 -
et la loi du 6 août 1971). Si l'autorité publique méconnaît ces dispo-
sitions, son comportement fautif ouvre à la victime un droit à répa-
ration devant les tribunaux judiciaires (loi du 20 avril 1874 relatif
à la détention préventive, art. 27, § 2, modifié).
La privation inopérante de liberté renvoie, pour sa part, à une
situation précise : la mise en détention préventive, pendant plus de

(55) Adde : «Nulle peine ne peut être établie ... qu'en vertu d'une loi>> (art. 14). Cette défini-
tion ne fait pas obstacle à ce que les peines - prévues par la loi - assortissent J'inobservation
d'un décret, d'un arrêté royal, du règlement d'une autorité locale. Corn p. M. V ERDUSSEN,
Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal, Bruxelles, Bruylant, 1995, pp. 98 et s.
226 LES CITOYENS

huit jours, d'une personne qui pourra faire valoir ultérieurement son
innocence ou qui bénéficiera d'un non-lieu (voy. loi du 20 avril
1874, art. 28, modifié). Dans cette hypothèse, une indemnité dont le
montant est fixé en équité et en tenant compte de toutes les cir-
constances d'intérêt public et privé (art. 28, § 2) sera versée à la vic-
time. La situation ne manque pas d'être paradoxale. L'autorité
publique - en l'occurrence, le juge - n'a pas commis de faute :
pour << des raisons plausibles >>, un individu a été soupçonné d'avoir
commis une infraction (Conv. eur., art. 5, a, 3) et a été mis en
détention préventive mais l'instruction ou les débats ont permis de
révéler d'autres éléments du dossier. C'est un mécanisme de respon-
sabilité sans faute que la loi fédérale organise en la matière (56) ; il
n'est appelé à fonctionner que là où l'intéressé n'est pas en mesure
d'<< intenter une action en indemnisation devant les juridictions ordi-
naires>> (art. 28, § 3).
Au cœur de la décision de justice, la Constitution rencontre le pro-
blème de la définition et du choix des sanctions. Toute sanction
porte atteinte aux droits de l'individu, à sa liberté de mouvement
ou à l'utilisation libre de son patrimoine, voire à la jouissance de ses
droits de citoyen. Certaines peines sont prohibées : la confiscation
générale des biens (art. 17), la mort civile (art. 18), la torture, les
peines ou traitements inhumains et dégradants (Conv. eur., art. 3).
Celles qui sont autorisées doivent avoir été établies << en vertu de
la loi>> fédérale (art. 14). Rien n'empêche le législateur de confier à
d'autres autorités publiques, comme le conseil communal, le soin de
procéder à la définition de ces sanctions (57).
En aval de la décision de justice, la Constitution rencontre, d'un
mot, les problèmes de<< l'exécution des peines>> (art. 14 et 40, al. 2)
et de l'exercice du <<droit de grâce>> (art. 110). C'est pour préciser
que l'autorité gouvernementale fédérale y pourvoit.
D'autres mesures échappent aux prévisions du droit pénal. Elles
mériteraient peut-être de retenir l'attention des publicistes. Sans

(56) Une commission composée du premier président de la Cour de cassation, du premier pré-
sident du Conseil d'Etat et du doyen de l'Ordre national des avocats connaît des recours contre
les décisions prises par le ministre de la Justice ou des demandes d'indemnisation lorsque le
ministre n'a pas statué dans les six mois.
(57) ORBAN note à cette occasion que «l'article 14 de la Constitution corrige l'article 12 >>. Il
suffit, écrit-il, que la sanction soit définie «en vertu de la loi>>. «Cette rédaction voulue et réflé-
chie, car elle a été votée par voie d'amendement, a eu pour but de permettre au législateur d'ac-
corder ou de laisser aux pouvoirs exécutif et administratif le soin de sanctionner par des peines
leurs règlements ou ordonnances>> (op. cit., t. III, p. 351).
LES DROITS DE L'HOMME 227

entrer dans les catégories prévues par la Constitution, elles n'en


menacent pas moins la sécurité de l'homme : mesures administra-
tives, mesures de sûreté, mesures disciplinaires, mesures de protec-
tion individuelle ou sociale, mesures d'internement ... (58).
Force est de reconnaître que le fondement constitutionnel de ces
décisions, dont certaines s'apparentent à de véritables sanctions,
n'est pas toujours explicite. Les autorités administratives ne sont-
elles pas ainsi investies d'attributions importantes dans des
domaines où la sécurité est particulièrement menacée ?

B. - Les usages de la liberté


214. - La sécurité préservée, que peut attendre l'homme de la
vie en société, sinon l'épanouissement de ses facultés, celles de pen-
ser, de croire, de s'exprimer, de posséder ? Les libertés qui lui sont
reconnues dans ce contexte lui permettent de faire preuve d'initia-
tive. Les facettes de la personnalité de l'individu déterminent ainsi
les principaux usages qu'il peut avoir de sa liberté.
215. - Liberté des opinions, liberté des cultes, liberté des ensei-
gnements, telles sont les principales libertés de l'esprit- de l'intel-
ligence et de la foi - que la Constitution entend reconnaître de
manière solennelle et garantir de manière efficace. C'est dans ce
domaine qu'elle fait œuvre particulièrement originale. Les formula-
tions nettes de ses dispositions tranchent avec l'expression plus
réservée que retient l'article 9 de la Convention européenne qui pro-
clame, moyennant nombre de restrictions, le <<droit à la liberté de
pensée, de conscience et de religion f>.
216. - La liberté des opinions (art. 19), c'est la liberté reconnue
à chaque individu, non pas de se faire une opinion sur un sujet
déterminé, auquel cas l'opinion reste dans le domaine des pensées
secrètes et nulle autorité n'est habilitée à en obtenir la révélation,
mais de manifester ses opinions << en toute matière f> et de toute
manière.
Partant de l'idée que<< ce n'est pas la liberté de pensée, à laquelle
on ne peut mettre d'entraves, qu'il est nécessaire de garantir f> (VAN
MEENEN), la Constitution se borne à en protéger les manifestations

(58) Sur ces questions, voy. M. VERDUSSEN, op. cit., p. 79.


228 LES CITOYENS

festations et les signes extérieurs. La liberté des opinions ne profite


qu'à celui qui entend professer et répandre ses opinions, qui les
révèle, qui les exprime au grand jour, qui leur donne une résonance
publique.
Le principe de la liberté d'opinion va de pair avec une obligation
de tolérance intellectuelle. Ce n'est pas qu'un propos de morale
sociale. Il commande l'organisation et le fonctionnement des institu-
tions publiques, voire ceux d'institutions privées investies d'une
tâche de service public. La loi s'attache à définir les implications
concrètes du respect de pareilles obligations en fixant le statut des
objecteurs de conscience, en déterminant le rôle des aumôniers mili-
taires ou des conseillers laïcs, en prescrivant l'organisation dans
l'enseignement public de cours de religion ou de morale ... Une inter-
vention des autorités publiques aux fins de préserver la liberté des
opinions de chacun n'est pas à exclure.
Le principe de liberté implique aussi que les autorités publiques
prennent parti de la pluralité des opinions et ne cherchent pas à
imposer la leur aux individus. Elles sont amenées à faire preuve de
neutralité. Elles ne sont pas fondées à établir - pour la distribution
des prestations ou pour l'accès aux fonctions - des distinctions qui
n'auraient pour critère que la nature des opinions professées par les
citoyens. Elles peuvent, sans doute, favoriser l'expression de l'opi-
nion particulière mais elles sont tenues d'assurer à toutes une égale
protection.
Comment les pouvoirs publics pourraient-ils attester, cependant,
de leur neutralité sans imposer à leurs agents des restrictions à l'ex-
pression de leurs opinions ? Les obligations de prudence, de réserve
et de discrétion qui leur incombent dans l'exercice, et même hors
l'exercice de leurs fonctions, procèdent de cette préoccupation (59).
Les agents publics ne sont pas des citoyens comme les autres.
S'ils sont en droit d'avoir et de manifester une opinion, ils se doi-
vent d'être attentifs aux modalités de l'expression de leurs idées ou
de leurs préoccupations; ces modalités ne peuvent amener les admi-
nistrés à douter du souci des autorités publiques d'accepter, sans
distinction aucune, les opinions de tous.

(59) Sur la portée de l'article 10 de l'A.R. du 2 octobre 1937 (modifié par l'A.R. du 26 sep-
tembre 1994), voy. F. RIGAUX et F. DELPÉRÉE, 'Le loyalisme constitutionnel>>, J.T., 1977,
p. 353.
LES DROITS DE L'HOMME 229

217. - La liberté de manifester ses opinions trouve spéciale-


ment à s'exprimer à l'occasion de spectacles (théâtre, cinéma, etc.).
Le Gouvernement provisoire a été sensible à cette situation : par
arrêté du 21 octobre 1830, il établit la liberté d'<< élever un théâtre
public >> d'<< y faire représenter des pièces de tous les genres >> ; il
subordonne, cependant, les représentations théâtrales à une << décla-
ration préalable >> auprès de l'administration municipale du lieu
(art. Pr). La Nouvelle loi communale qui investit le collège des
bourgmestre et échevins de la responsabilité d'assurer la police des
spectacles accrédite la même idée puisqu'elle permet, dans des<< cir-
constances extraordinaires >>, à cette autorité publique d'<< interdire
toute représentation pour assurer le maintien de la tranquillité
publique)) (art. 130, al. 1er).
Ces dispositions illustrent clairement une double idée.
D'une part, la liberté de manifester ses opinions à l'occasion d'un
spectacle peut être assujettie à des mesures répressives (no 276). La
loi pénale va donc s'attacher à définir les infractions qui peuvent
être commises à l'occasion d'un spectacle - par exemple, l'outrage
public aux bonnes mœurs par des paroles, des images, des figures,
des écrits ou des actes (C. pén., art. 382 s. etC. i. crim., art. 35)-
ou d'une représentation - par exemple, l'entrée dans une salle de
cinéma d'un mineur de moins de seize ans, à moins que ne soit pro-
jeté un film qui a obtenu le visa d'une commission de contrôle (loi
du 1er septembre 1920) - .
D'autre part, cette même liberté peut aussi faire l'objet de
mesures préventives (no 278). L'autorité publique peut aller jusqu'à
interdire le spectacle dont la représentation pourrait occasionner des
troubles à l'ordre public. Pour agir ainsi, elle ne saurait se contenter
d'invoquer la simple menace d'éventuels désordres ; elle doit se fon-
der sur des faits concrets et constants (60).
218. - La liberté des cultes (art. 19), c'est la liberté reconnue à
chaque individu - non pas de croire, c'est-à-dire d'acquiescer par
la raison et par la foi à un ensemble de vérités et de valeurs dont
le bien-fondé lui paraît évident, ce qui relève en somme du domaine
de la conviction intime - mais de professer sa foi et d'en observer
les pratiques extérieures.

(60) Sur ce thème, voy. M. HANOTIAU et A. VANWELKENHUYZEN, «La liberté d'expression et


ses limitations. La communication audiovisuelle 1, A.P.T., 1977-1978, p. 113.
230 LES CITOYENS

A ce titre, la liberté des cultes apparaît comme une modalité de


la liberté des opinions. Elle implique reconnaissance des droits des
différents croyants (<<la liberté des cultes est garantie ... >>, art. 19)
ainsi que des droits des non-croyants (<<nul ne peut être contraint
de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies
d'un culte ... >>, art. 20). Elle impose une obligation générale de tolé-
rance religieuse (61).
La liberté des cultes implique aussi le droit pour les différentes
croyances de célébrer les cérémonies qui se rattachent à la pratique
du culte : messes, funérailles, processions, pèlerinages ...
Sur un point, la liberté d'organiser des cérémonies religieuses est
affectée d'une réserve importante : <<Le mariage civil devra toujours
précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la
loi, s'il y a lieu>> (art. 21, al. 2). Cette règle qui était inscrite dans
le concordat de l'an IX a été abrogée par arrêté du gouvernement
provisoire du 16 octobre 1830 mais rétablie, avec valeur de texte
constitutionnel, par le Congrès national. La loi pénale érige en
infraction le fait pour le ministre d'un culte de procéder à la céré-
monie religieuse avant le mariage civil (C. pén., art. 267, al. 1er) ;
<< lorsque l'une des personnes qui ont reçu la bénédiction nuptiale
était en danger de mort et que tout retard apporté à cette cérémo-
nie eût pu avoir pour effet de la rendre impossible>> (art. 267, al. 2),
il n'y a, cependant, pas infraction.
219. - Le problème de la liberté des cultes s'inscrit dans une
problématique plus large : celle des rapports entre les Eglises et
l'Etat. La liberté des cultes n'implique-t-elle pas la liberté des
Eglises ? La liberté des cultes, comme leur diversité, ne requiert-elle
pas aussi que l'Etat adopte une attitude d'indifférence à l'égard des
cultes et des Eglises ?
La Constitution établit le principe de la liberté d'organisation des
Eglises (62). Elle fournit quelques exemples de cette autonomie : les

(61) Quelques questions ont retenu jadis l'attention des juristes: la formule déiste du serment
(voy. Ch. HUBERLANT, "La formule déiste du serment en justice et la liberté religieuse», Ann.
Dr., 1968, p. 141), la règle du repos dominical (alors que la Constitution précise, en son article 15,
que'' nul ne peut être contraint ... d'en observer les jours de repos>>, ceux d'un culte), la présence
d'autorités civiles et militaires au Te Deum. Ces questions n'ont plus, pour une large part, qu'un
intérêt historique.
(62) Ainsi la création de paroisses ou d'évêchés est du ressort exclusif de l'autorité religieuse.
Mais seules les nouvelles entités reconnues par l'Etat seront pourvues d'un ministre dont il pren-
dra en charge le traitement.
LES DROITS DE L'HOMME 231

ministres d'un culte sont nommés et installés par les autorités res-
ponsables de l'Eglise dont ils relèvent ; ils peuvent correspondre
librement avec leurs supérieurs ; ils peuvent publier leurs actes ...
(art. 21, al. 1er).
Elle rappelle, en corollaire, le principe de non-intervention de
l'Etat dans l'organisation des Eglises. L'Etat n'a pas le droit d'<~ in-
tervenir >> ; il n'a pas non plus celui de <~ défendre >> (ibidem). C'est la
règle d'indépendance des Eglises et de l'Etat qui est ainsi concréti-
sée.
La Constitution énonce, cependant, un troisième principe : celui
de l'aide de l'Etat aux cultes reconnus. Certaines Eglises se voient
reconnaître une place prééminente (63).
Les <~ traitements et pensions >> des ministres des cultes reconnus
sont à charge de l'Etat fédéral (Const., art. 181, § pr; loi générale
du 21 juillet 1844 sur les pensions civiles et ecclésiastiques ; loi du
2 août 1974 relative aux traitements des titulaires de certaines fonc-
tions publiques et des ministres des cultes, art. 26 s.) (64).
D'autres formes d'aide sont consacrées en droit positif Alors
même que la Belgique ne connaît pas de régime concordataire, cer-
taines dispositions de la convention passée à Paris, le 26 messidor
an IX, entre le Pape et le gouvernement français restent en
vigueur : ils consacrent notamment le rôle des fabriques <~ pour veil-
ler à l'entretien et à la conservation des temples, à l'administration
des aumônes>> (art. 76; voy. aussi le décret impérial du 30 décembre
1809 concernant les fabriques des églises) ; ils règlent également la
question du logement à procurer aux desservants des paroisses:
De son côté, la Nouvelle loi communale fait obligation aux com-
munes de porter annuellement à leur budget les <~secours aux fabri-
ques d'église et aux consistoires>> dont les moyens seraient insuffi-
sants (art. 255, 9°) ainsi que<~ l'indemnité de logement des ministres
des cultes>> si ce logement n'est pas fourni en nature (art. 255, 12°);
la loi provinciale, elle, prévoit des obligations similaires pour le
conseil provincial en ce qui concerne les églises cathédrales, les
palais épiscopaux et les séminaires interdiocésains (art. 69, go).

(63) Sont ainsi reconnus les cultes catholique. protestant, anglican, israélite, islamique et
orthodoxe. Outre les textes cités, voy. les lois du 4 mars 1870 et du 19 juillet 1974.
(64) La Constitution reconnaît dans l'article 181, § 2, aux délégués des organisations recon·
nues par la loi des traitements et pensions pour autant qu'ils «offrent une assistance morale selon
une conception philosophique non confessionnelle >>.
232 LES CITOYENS

220. - La liberté de l'enseignement occupe une place privilégiée.


Dès 1831, la Constitution proclame, en termes solennels, cette
liberté - <<L'enseignement est libre)) - . Elle place également
<<l'instruction publique donnée (à l'époque) aux frais de l'Etat>> sous
la responsabilité du pouvoir législatif. En 1988, les préoccupations
changent (65). La liberté de l'enseignement n'est pas mise en ques-
tion. Mais, cette fois, le droit à l'enseignement est proclamé. Par ail-
leurs, les communautés se substituent à l'Etat fédéral pour assurer
l'organisation, le fonctionnement et le financement des réseaux
d'enseignement.
Comme l'a relevé M. LEROY, <<c'est non seulement le pouvoir
législatif et réglementaire qui change de titulaire, mais c'est aussi
l'ensemble des moyens administratifs, budgétaires et autres, qui
sont déployés en vue d'assurer l'enseignement à tous les niveaux, du
prégardiennat à l'Université, qui passent sous la responsabilité des
communautés. Le personnel, les bâtiments, les crédits et subven-
tions, tout cela va à présent dépendre des autorités communau-
taires>> (66).
L'ampleur de la réforme est à la mesure des craintes qui ont été
exprimées et des garanties qui peuvent être procurées. Désormais,
l'enseignement et la recherche qui s'y rattache sont, pour l'essentiel,
de compétence communautaire. L'Etat - même dédoublé à la
faveur de deux départements distincts de l'éducation - a cessé
d'être un pouvoir régulateur, organisateur ou subsidiant dans le
domaine de l'enseignement.
Il faut réserver le régime des écoles que l'Etat fédéral aménage pour la forma-
tion des fonctionnaires, des militaires ou des magistrats. L'enseignement dis-
pensé s'apparente alors à la préparation à l'exercice d'une fonction publique (et
le roi trouve alors, dans le pouvoir qui lui est reconnu de nommer à cette fonc-
tion, le droit d'organiser les propédeutiques, les épreuves et les concours qui s'y
rattachent) ou à un programme de formation permanente (s'il s'adresse à ceux
qui sont déjà titulaires d'une fonction publique).

(65) J. BouRTEMBOURG, «L'enseignement et la communautarisation », A.P. T., 1988, pp. 183-


199; F. DELPÉRÉE, <<Constitution et enseignement», A.P. T., 1989, pp. 220-222; M. LEROY, «La
communautarisation de l'enseignement>>, J. T., 1989, pp. 71-74; L. VENY, '' Onderwijs en Grond-
wet. De nieuwe grondwetsbepalingen inzake onderwijs », T.B.P., 1988, pp. 573-601. Voy. égal.
J. DE GROOF, La révision constitutionnelle de 1988 et l'enseignement - La paix scolaire et son
application, Bruxelles, Story-Scientia, 1990; '' Federalisering van het onderwijs >>, T.B.P., 1990,
avec notamment des études deR. VERSTEGEN, L. CRAENEN et P. VAN ÜRSHOVEN.
(66) M. LEROY, op. cit., p. 71.
LES DROITS DE L'HOMME 233

Les différentes libertés qui se rattachent à l'enseignement sont


placées sous la protection spécifique de la Cour d'arbitrage.
221. - De prime abord, la liberté de l'enseignement peut appa-
raître comme le droit qui est reconnu à toute personne d'ouvrir une
école pour y dispenser à autrui une science, une instruction ou une
pratique.
Parce qu'il est libre (67), l'enseignement n'est le monopole de per-
sonne (68). Ni de la communauté, ni de la commune, ni de l'Eglise.
Comme le relève le Conseil d'Etat, le 8 mars 1989, <<la liberté de
l'enseignement, telle qu'elle est consacrée par l'article 24 de la
Constitution, interdit d'en réserver le monopole à des personnes
publiques ou privées>> (69).
La communauté est un pouvoir organisateur parmi d'autres. Elle
peut aménager son propre enseignement. La Constitution l'autorise
à exercer cette compétence à l'intervention d'<< organes autonomes >>.
Un décret spécial peut créer un ou plusieurs établissements publics.
Il leur revient de gérer, sous le contrôle de la communauté, les
moyens affectés à l'enseignement public.
Cette préoccupation s'est principalement exprimée dans la Com-
munauté flamande. L'organisation de l'enseignement ne doit pas,
estime-t-on, relever d'un ministère, fût-il communautaire. Elle doit
être le fait d'un conseil autonome où les diversités idéologiques et
philosophiques, et donc politiques, de la collectivité pourront s'ex-
primer.
D'autres <<pouvoirs publics >> (art. 24, §1er, al. 4), tels les pro-
vinces et les communes, peuvent créer des écoles.
La liberté de l'enseignement implique aussi que des personnes pri-
vées puissent, sans autorisation préalable, et sous réserve du respect

(67) Cette phrase figurait déjà dans l'ancien article 17 de la Constitution, qui fut adopté en
1831 et remplacé en 1988. L'adoption de l'article 17 suscita de vifs débats au sein du Congrès
national, notamment quant au partage des responsabilités entre les pouvoirs publics et l'Eglise
catholique. Voy. E. HuYTTENS, op. cit., pp. 625-642; T. JusTE, Le Congrès national de Belgique
1830-1831, t. J•', Bruxelles, C. Muquardt, 1880, pp. 354-363.
(68) Avant d'accéder à l'indépendance, la Belgique a connu des périodes de monopole de l'en-
seignement, que ce soit celui du clergé catholique, d'une part, ou - à la faveur de la Révolution
française et, surtout, de la Loi fondamentale de 1815 -celui de l'Etat, d'autre part. Le Congrès
national a voulu rompre avec cette monopolisation de l'enseignement et a favorisé ainsi l'essor
de l'enseignement privé, dit« libre». Voy. J. VELU, <<Contenu et signification des droits fonda-
mentaux dans le domaine de l'instruction<>, A.P.T., 1982, pp. 1-2.
(69) C.E., arrêts Wailliez, n" 32.151 à n" 32.154, 8 mars 1989. J.T., 1989, p. 399, rapport
B. HAUBERT.
234 LES CITOYENS

des droits et libertés fondamentaux, créer des écoles fondées sur une
philosophie confessionnelle ou non-confessionnelle déterminée, amé-
nager des institutions qui appliquent des conceptions spécifiques
d'ordre pédagogique ou éducatif, ou encore organiser et faire dispen-
ser un enseignement selon leur propre conception (70).
Ceci comprend la liberté de fixer le contenu de l'enseignement à
dispenser, d'en déterminer les modalités pratiques, de sélectionner
les étudiants et d'arrêter les conditions de rémunération des services
rendus. Elle implique aussi le droit de choisir le personnel qui sera
chargé de mener à bien la réalisation des objectifs pédagogiques
propres. Ce personnel sera normalement engagé sous un contrat de
droit privé (71).
222. - L'on distingue dès lors trois réseaux d'enseignement
financés par les pouvoirs publics : l'enseignement de la Commu-
nauté, l'enseignement officiel subventionné (il s'agit, pour l'essen-
tiel, de l'enseignement organisé par les provinces et les communes)
et l'enseignement libre subventionné.
L'on peut tantôt rapprocher l'enseignement de la Communauté et l'enseigne-
ment officiel subventionné pour les opposer à l'enseignement libre subventionné,
tantôt rapprocher les deux enseignements subventionnés, pour les opposer à
l'enseignement de la Communauté. Ces rapprochements permettent une mise en
ouvre affinée des règles d'égalité et de non-discrimination qui vont prévaloir
notamment entre les enseignants. Ces règles n'excluent pas toute différence de
traitement entre les membres du personnel des réseaux, pour autant qu'il y ait
des différences objectives entre la situation de ces membres et que la distinction
alléguée soit, à l'égard de la matière traitée, pertinente (72).

223. - La liberté de l'enseignement est contenue néanmoins.


Des conditions sont mises à son exercice. Des limitations apparais-
sent qui, en droit comme en fait, peuvent porter atteinte à la liberté
du << pouvoir organisateur)).
Car une école, ce sont des bâtiments et des locaux. Ils doivent
présenter des garanties minimales de sécurité et de salubrité. Les
lois et les règlements s'attachent à déterminer ces conditions.

(70) C.A., n'" 25/92, 2 avril 1992; n'" 18/93, 4 mars 1993, R.B.D.C., 1995, p. 33, note F. RI-
GAUX, « Le pluralisme confessionnel>); Tijdschrift voor onderwijsrecht en onderwijsbeleid, 1993-
1994, p. 55, note A. ÛVERBEEKE, « Wat is vrij in Vlaanderen! De overheid ais beschermvrouwe
van het godsdienstonderricht in vrije protestantse scholen ».
(71) C.A., n'" 82/95, 14 décembre 1995; n'" 10/96, 8 février 1996, Voy. R. VANDERSTRAETEN,
<< Een overzicht van de roi van religieuzen in het katholieke net », Tijdschrift voor onderwijsrecht
en onderwijsbeleid, 1995-1996, pp. 157-167.
(72) C.A., n" 38/96, 27 juin 1996.
LES DROITS DE L'HOMME 235

Une école, c'est aussi une entreprise dont la Constitution recon-


naît qu'elle occasionne des frais (art. 24, § 5). Ils peuvent être cou-
verts par des ressources propres. Ils peuvent l'être aussi par des
subventions. En précisant dans le détail les conditions d'octroi,
comme les mesures de contrôle qui accompagnent le bénéfice des
subventions, les décrets, voire les règlements, sont à même de res-
treindre considérablement l'autonomie d'organisation des établisse-
ments <<libres~> d'enseignement.
Une école, c'est encore une institution qui peut préparer à l'exer-
cice d'un métier. L'accès à la profession se voit souvent subordonné
à la possession de titres particuliers acquis selon des procédures
préétablies ou dans des institutions appropriées. Les décrets diront
quels sont ces titres, diplômes ou grades <<reconnus~>. Si une institu-
tion d'enseignement entend procurer à ses élèves le bénéfice complet
de la formation qu'ils ont reçue, elle cherchera à concevoir un pro-
gramme, à mettre en œuvre des méthodes, à adopter des modalités
d'enseignement qui la mettent en situation de pouvoir délivrer à
son tour ces titres reconnus. Elle cherchera, en pratique, à joindre
l'utile à l'agréable. C'est au prix d'une part de sa liberté.
224. - La Communauté finance l'enseignement qui est le sien.
Qu'en est-il du financement de l'enseignement dispensé par les
autres pouvoirs publics ? Et de celui dispensé par des institutions
privées ?
Un principe constitutionnel s'impose en ce domaine. C'est celui de
la liberté d'organisation des écoles ( 73). << Si l'on entend que (cette
liberté) ne reste pas purement théorique~>, il convient que les auto-
rités et institutions qui ne relèvent pas directement de la Commu-
nauté - et qui ne sont donc pas financés directement par elle -
<<puissent, sous certaines conditions, prétendre à des subventions à
charge de celle-ci ~> (74).

(73) C.A., n" 25/92, 2 avril 1992; n" 28/92, 2 avril 1992; arrêt n" 18(93, 4 mars 1993.
(74) Dans nn arrêt du 21 mars 1995, la Cour précise que << la coexistence d'institutions de
droit public et d'organismes de droit privé fut une des circonstances les plus déterminantes de
l'adoption du principe d'égalité de traitement des établissements d'enseignement posé dans l'ar-
ticle 24, § 4, de la Constitution·~ (C.A, n" 27/95, 21 mars 1995). La Cour lie par ailleurs le principe
d'égalité au principe du libre choix des parents : c'est l'égalité entre établissements qui garantit
le libre choix des parents, ce qui n'empêche pas que l'enseignement organisé par la communauté
soit tenu d'observer un devoir de neutralité et que les écoles organisées par les pouvoirs publics
assument une charge particulière en ce qui concerne l'enseignement des différentes religions
reconnues en Belgique et de la morale non confessionnelle (C.A., n" 38/91, 5 décembre 1991).
236 LES CITOYENS

Le droit au subventionnement - car il s'agit bien d'un droit et


pas seulement d'une faveur - est <<limité, d'une part, par le pou-
voir de la communauté de lier les subventions à des exigences
tenant à l'intérêt général, entre autres celles d'un enseignement de
qualité et du respect de normes de population scolaire, et, d'autre
part, par la nécessité de répartir les moyens financiers disponibles
entre les diverses missions de la communauté>>.
Selon la Cour d'arbitrage, << la liberté d'enseignement connaît ...
des limites et n'empêche pas que le législateur décrétai impose des
conditions de financement et de subventionnement qui restreignent
l'exercice de cette liberté pour autant qu'il n'y soit pas porté d'at-
teinte essentielle>> (75). Ces conditions doivent être fondées sur l'in-
térêt général, par exemple <<la recherche de prises de décision démo-
cratiques dans l'enseignement supérieur et la responsabilité qui
incombe à l'autorité de veiller à ce que les deniers publics soient uti-
lisés de manière justifiée)) (76).
Le principe d'égalité entre établissements de différents réseaux
prévaut en ce domaine (77). Seules des différences objectives,
notamment les caractéristiques propres à chaque autorité ou insti-
tution ayant créé un enseignement, peuvent justifier un traitement
différent, sans qu'un tel traitement ne puisse aboutir << à mettre en
cause la liberté de l'enseignement et le libre choix des parents)) (78).
Parmi les différences objectives qui peuvent être prises en consi-
dération, la Cour d'arbitrage inclut le régime de propriété auquel
sont soumis les bâtiments scolaires (79), l'obligation pour la commu-
nauté d'assurer en permanence et sur l'ensemble du territoire une
offre d'enseignement suffisamment large, le devoir qui lui incombe
d'admettre tous les candidats-élèves ou encore la nécessité d'offrir
le choix en matière d'enseignement de la religion ou de la
morale (80).
<<Contrairement à l'enseignement communautaire, qui est chargé
d'un service public au sens organique du terme, l'enseignement libre

(75) C.A., n" 85/95, 14 décembre 1995.


(76) Ibid.
(77) Sur ce thème, voy. X. DELGRANGE, '' L'égalité dans l'enseignement à la lecture de la
jurisprudence de la Cour d'arbitrage >), in Quels droits dans l'enseignement? - Enseignants,
parents, élèves, La Charte, Faculté de droit de Namur, 1994, pp. 51-92.
(78) C.A., n" 38/91, 5 décembre 1991.
(79) C.A., n" 27{92, 2 avril 1992.
(80) C.A., n" 27/92, cité; n" 23/95, 2 mars 1995.
LES DROITS DE L'HOMME 237

subventionné constitue un service public fonctionnel, en d'autres


termes un service qui est organisé par l'initiative privée pour les
besoins de tout ou partie de la population, en vue d'assumer une
mission d'intérêt général>> (81). Institutions de droit public et orga-
nismes de droit privé assument tous deux une telle mission (82).
225. - N'y a-t-il pas lieu de reconnaître à l'enseignant, c'est-à-
dire à celui qui a charge effective d'instruire, une liberté académi-
que qui lui permette de faire libre choix de ses thèmes de réflexion,
de ses méthodes pédagogiques, de ses orientations philosophiques ou
idéologiques ? La liberté<( de>> l'enseignement ne postule-t-elle pas la
liberté <( dans >> l'enseignement ?
La question vaut pour celui qui, au service des autorités publi-
ques, assume des tâches d'enseignement officiel comme pour celui
qui, sous la responsabilité d'un <( pouvoir>> organisateur, prend en
charge un enseignement privé. L'enseignant a-t-il la maîtrise de ce
qu'il enseigne ? Une zone d'autonomie lui est-elle préservée en
marge des prescriptions de programme et d'horaire ?
La liberté de l'enseignant public peut entrer ici en conflit avec
l'obligation de neutralité qui régit le fonctionnement de toute insti-
tution publique. L'article 24, § l er, alinéa 3, de la Constitution éta-
blit la règle selon laquelle <( la communauté organise un enseigne-
ment qui est neutre >>. Pareil texte se préoccupe de donner un
contenu à la notion de neutralité. Celle-ci implique <( notamment le
respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses
des parents et des élèves >>. Il est ajouté, dans un alinéa 4, que <( les
écoles organisées par les pouvoirs, publics offrent jusqu'à la fin de
l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des reli-
gions reconnues ou celui de la morale non confessionnelle >>.
La notion de neutralité peut être entendue dans deux sens diffé-
rents. Il y a la neutralité passive qui conduit à interdire toute forme
de propagande, tout prosélytisme, toute expression d'un engage-
ment politique, philosophique ou religieux. Il y a aussi une concep-
tion plus positive de la neutralité qui résulte de l'expression des

(81) Ibidem.
(82) C.A., n" 27/95.
238 LES CITOYENS

diverses opmwns au sein de la communauté scolaire, sans qu'une


religion ou une philosophie déterminée ne l'emporte. La neutralité,
dans ce dernier sens, rejoint une certaine forme de pluralisme. C'est
de l'expression conjuguée des différentes opinions philosophiques
que va découler la neutralité globale de l'enseignement.
La liberté de l'enseignant privé peut, pour sa part, se heurter à la
volonté d'un réseau d'enseignement libre de défendre sa spécificité :
la situation personnelle d'un enseignant ou son activité éducative ne
saurait être en contradiction flagrante et déclarée << avec les valeurs
chrétiennes fondamentales et avec le projet éducatif de la commu-
nauté>> que l'enseignement catholique, par exemple, entend pro-
mouvoir ; des comportements qui relèvent, en principe, du domaine
de la vie privée pourront prêter à critique si la publicité qui leur a
été procurée est de nature à porter atteinte aux intérêts moraux
d'une communauté que l'enseignement entend préserver.
226. - La liberté de l'enseignement peut être conçue, dans une
autre perspective, comme une liberté qui peut revenir à l'étudiant.
L'enfant se voit sans doute imposer une véritable <<obligation>> sco-
laire. Mais le devoir de s'instruire n'anéantit pas les droits de celui
qui s'instruit. L'enfant doit pouvoir, en particulier, revendiquer le
droit de recevoir un enseignement adapté à sa personnalité, à ses
connaissances, à ses possibilités (83).
L'enfant doit aussi pouvoir choisir des formes d'enseignement qui
n'entrent pas dans les cadres stricts de l'instruction obligatoire.
La Constitution consacre, en termes exprès, le droit de l'étudiant
à l'enseignement. Ce droit n'est ni celui des parents, ni celui des éta-
blissements que fréquente l'étudiant.
La Constitution proclame, dans l'article 24, § 3, que chacun a
droit à l'enseignement << dans le respect des libertés et droits fonda-
mentaux>>. Elle ajoute : <<l'accès à l'enseignement est gratuit jus-
qu' à la fin de l'obligation scolaire >>.
Ce principe est déjà inscrit dans l'article 2 du premier protocole
additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et
des libertés fondamentales. Le sens de cette disposition a été précisé
dans l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 23 juil-

(83) S'il est âgé de 18 ans, J'enfant qui fréquente une école officielle ou pluraliste sera aussi
en mesure de choisir entre un cours de religion et un cours de morale (loi du 29 mai 1959,
art. 8bis, introduit par la loi du 2 juin 1970).
LES DROITS DE L'HOMME 239

let 1968. Le droit à l'enseignement comporte au minimum, le droit


d'accès aux établissements d'enseignement existants et le droit de
tirer un bénéfice de l'enseignement suivi, c'est-à-dire le droit d'obte-
nir, selon les règles en vigueur dans chaque Etat, la reconnaissance
des études accomplies.
227. - Un autre aspect de la liberté de l'enseignement apparaît.
Ne réside-t-il pas dans une liberté qui serait offerte au <<père de
famille>>, soit aux parents de l'étudiant? Chaque famille ne doit-elle
pas être en mesure de choisir pour ses enfants entre plusieurs insti-
tutions d'enseignement? Ne doit-elle pas, <<conformément à ses
convictions religieuses et philosophiques>> (art. 2 du protocole addi-
tionnel de la Convention européenne) notamment, pouvoir exercer
un libre choix entre plusieurs réseaux d'enseignement? Ne doit-elle
pas au minimum pouvoir utiliser à son gré les moyens existants
d'enseignement (84)?
Choisir une école, c'est user de la liberté d'opinion. Qui ne voit
que pareille liberté s'expose, elle aussi, à des limitations de plusieurs
ordres - économique, géographique et linguistique -?
Les difficultés d'ordre économique sont réelles. Les pouvoirs publics
peuvent s'efforcer de les résoudre en prenant directement en charge
le service public de l'enseignement - <<l'instruction publique>> - .
Ils peuvent aussi préserver la diversité des systèmes d'enseigne-
ment en recourant à des procédés d'encouragement : octroi de sub-
ventions, de traitements et de pensions aux membres du personnel
de l'enseignement libre, allocation de subsides de fonctionnement ...
Ils peuvent encore favoriser l'éclosion d'<< écoles pluralistes>>; cha-
cun, selon le souhait de ses promoteurs, devrait y bénéficier << de la
liberté d'expression, de la faculté de faire connaître ses engagements
personnels, en s'abstenant toutefois de prosélytisme et en faisant
preuve du respect des convictions de chacun, afin de faire régner un
climat de compréhension mutuelle>> (commission du pacte scolaire,
1972).
Les difficultés d'ordre géographique ne peuvent non plus être négli-
gées. Les écoles sont disséminées sur le territoire. Mais, comme le
note le pacte scolaire (point 9), <<le droit des parents de choisir le
type d'éducation de leurs enfants implique la possibilité de disposer
à une distance raisonnable d'une école correspondant à leur choix >>.

(84) J.-J. MARQUELIN, Le droit aux subsides de l'enseignement libre, Bruxelles, Bruylant, 1977.
240 LES CITOYENS

Pour répondre à la demande d'un nombre suffisant de parents (85),


la communauté peut être amené à créer des institutions d'enseigne-
ment <<là où le besoin s'en fait sentir>> (86); elle peut aussi assumer
les frais du transport des élèves vers un établissement qui répond
aux vœux de leurs parents (87); elle peut encore admettre aux sub-
ventions une école libre ~ confessionnelle ou non confessionnelle ~
existante.
Les difficultés d'ordre linguistique sautent également aux yeux. Le
droit de recevoir un enseignement n'est-il pas vidé de son sens si
celui qui peut prétendre l'exercer n'est pas en mesure d'accueillir cet
enseignement dans sa langue ou dans l'une des langues nationales?
La Cour européenne des droits de l'homme a considéré, dans son
arrêt du 23 juillet 1968 relatif à certains aspects du régime linguisti-
que de l'enseignement en Belgique, que pareil droit n'était inscrit ni
dans la Convention, ni dans son protocole. Les autorités belges pou-
vaient donc décider que, dans les régions unilingues (88), seul serait
dispensé, subsidié et reconnu un enseignement donné dans la langue
de cette région (89).

(85) Deux situations peuvent se présenter : des parents désirent pour leurs enfants un ensei-
gnement non confessionnel mais ne trouvent pas, à une distance raisonnable, d'écoles dont au
moins les trois quarts du personnel sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement non confession-
nel; des parents souhaitent un enseignement confessionnel mais ne trouvent pas d'établissement
dont au moins les trois quarts du personnel sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement confes-
sionnel (sur la portée et l'application de ces critères inscrits dans la loi du 29 mai 1959, modifiée
par la loi du Il juillet 1973, voy. P. DE VISSCHER, op. cit., t. l''', p. 246).
(86) Tirant argument des travaux du Congrès national et du mode de rédaction de l'ancien
article 17 (article 24) de la Constitution, la doctrine considère généralement que l'enseignement
officiel présente' un caractère supplétif» par rapport à l'enseignement libre (P. DE VISSCHER, op.
cit., t. l''', p. 237); l'ordre de la phrase indiquerait l'ordre des préoccupations du constituant.
(87) Le <<ramassage scolaire' peut prendre deux formes distinctes. Tl y a le transport de libre
choix- qui vise à pallier l'absence, à une distance raisonnable, d'une école d'un caractère déter-
miné - ; il est, en principe, gratuit. Il y a aussi le transport de commodité - qui concerne les
élèves d'une école de libre choix qui se situe à distance raisonnable ou qui est plus éloignée
qu'une école de même caractère-. Normalement, il est payant (CE, L. 27.321/4, 23 mars 1998
et 29.980/2, 31 mai 2000).
(88) Un sort particulier est réservé à l'enseignement qui est dispensé dans la région bilingue
de Bruxelles-Capitale. La langue de l'enseignement y est le français ou le néerlandais, selon le
'choix du chef de famille'' mais à condition que celui-ci réside dans cette région (loi du 30 juillet
1963, art. 5, modifié par la loi du 26 juillet 1971); il n'est plus tenu compte de la langue mater-
nelle ou usuelle des enfants bruxellois pour déterminer la langue de l'enseignement qu'ils sont
tenus de suivre.
(89) La Cour européenne des droits de l'homme condamne, dans le même arrêt, le régime
organisé dans les << communes à facilités » qui sont périphériques à l'agglomération bruxelloise :
les écoles françaises ne sont pas accessibles aux enfants dont les parents ne résident pas dans
l'une des six communes, alors que les écoles néerlandaises sont ouvertes à tous les enfants, quels
que soient leur langue maternelle et le lieu de résidence de leurs parents.
LES DROITS DE L'HOMME 241

La liberté de l'enseignement - ou ce qu'il en reste ... - est le


fruit de ces multiples compromis.
228. - Autre principe, de valeur constitutionnelle. << Tous les
élèves, étudiants, parents, membres du personnel des établissements
d'enseignement sont égaux devant la loi ou le décret f) (art. 24, § 4).
Cette égalité << est à comprendre dans chaque communauté et non
plus au niveau de l'Etat f>. Elle postule une égalité devant le décret
(puisque <<tout, ou presque, est communautaire f>) et que la préten-
due égalité devant la loi n'est avancée ·que comme un paravent qui
masque mal l'inanité de la formule (il n'y a d'égalité devant la loi
fédérale que dans les trois domaines recensés dans l'article 127, § 1er,
al. 1er, 2° de la Constitution). Il est absurde d'affirmer- selon l'ex-
pression maintes fois entendue - qu'un enfant wallon est égal à un
enfant flamand. Et l'inverse, ajoute-t-on pour faire bonne mesure.
En réalité, la Constitution se borne à préciser que tous les enfants
francophones sont égaux entre eux et que tous les enfants flamands
le sont également entre eux.
229. - La révision de l'article 142 de la Constitution est cou-
pl~e, avec l'affirmation dans l'article 24 du principe d'égalité (90).
Pour que l'affirmation de cette dernière disposition ne reste pas une
proclamation vide de sens, il est précisé que toute personne - étu-
diant, parent, enseignant ... - peut agir individuellement auprès de
la Cour d'arbitrage pour obtenir l'annulation d'une loi ou d'un
décret qui méconnaîtrait les principes de liberté et d'égalité dans
l'enseignement (91).
230. - Les libertés de l'expression.
A la différence de la Convention européenne des droits de l'homme, la Consti-
tution ne proclame pas le principe général de la liberté d'expression. Elle s'abs-
tient de reconnaître le libre usage des procédés et des techniques de communica-
tion. Elle ne peut s'empêcher, cependant, d'en régler deux modalités : d'abord,
la liberté de s'exprimer par écrit en utilisant les procédés de la presse (art. 25);
ensuite, la liberté de s'exprimer dans la langue de son choix (art. 30). Ces préro-

(90) Le particulier se plaint le plus souvent de l'inconstitutionnalité d'un acte individuel ou


de celle d'une mesure d'exécution de la norme législative ou décrétale. Dans ce cas, la saisine
directe de la Cour d'arbitrage ne lui est pas ouverte. La voie de droit inscrite dans l'article 142
de la Constitution sera plus utilisée par des établissements d'enseignement ou des associations
d'enseignants.
(91) Le droit de recours individuel est, par la même occasion, généralisé. Il vaut tant pour
les litiges qui portent sur la répartition des compétences que pour ceux qui concernent la viola-
tion des principes inscrits aux articles 10, Il et 24 de la Constitution.
242 LES CITOYENS

gatives gardent leur importance. Mais l'évolution des techniques comme celle
des institutions publiques peuvent leur donner de nouvelles dimensions.

231. - La liberté de la presse, c'est la liberté reconnue à tout


individu de traduire sa pensée dans un écrit imprimé et de le diffu-
ser auprès de l'opinion.
Comme la liberté de l'enseignement avec laquelle elle présente
plus d'une analogie, la liberté de la presse peut connaître plusieurs
titulaires. La Constitution les énumère : l'auteur (appelé aussi :
l'écrivain), l'éditeur, l'imprimeur et le distributeur. Il y a lieu aussi
d'avoir égard au lecteur auquel s'adressent les moyens de presse.
232. - La liberté de l'auteur vient en premier. Le gouvernement
provisoire, dans un arrêté du 16 octobre 1830, s'était déjà préoccupé
d'abolir << toute loi ou disposition ~> qui gênerait << la libre manifesta-
tion des opinions et la libre propagation de doctrines ~>, notamment
par la voie de la presse.
Le pouvoir constituant va préciser cette préoccupation majeure :
il proclame que (<la presse est libre ~) (art. 25, al. 1er); il abolit (( la
censure~>, c'est-à-dire le contrôle préalable du contenu des publica-
tions; il interdit<< le cautionnement~> (ibidem), c'est-à-dire le verse-
ment de sommes d'argent en garantie de dommages que pourraient
provoquer des publications.
Il va plus généralement prohiber toute mesure préventive à l' exer-
cice de la liberté de la presse (92). Les termes énergiques qu'utilise
à cette occasion la Constitution témoignent évidemment de l'impor-
tance toute particulière qu'elle attribue à pareille liberté.
L'explication est simple. Dans une société libérale, la presse qui
est à la fois l'instrument privilégié d'éducation de l'opinion et l'écho
le plus fidèle de ses préoccupations, doit être mise à l'abri de la
moindre intervention des pouvoirs publics. D'où la condamnation
ferme et sans appel des mesures qui pourraient entraver l'usage de
cette liberté.
Mais cela ne saurait suffire. Eclairé par l'expérience des procès de
presse sous le régime hollandais, le Congrès national s'est aussi
préoccupé de déterminer les garanties qui devaient être offertes,
spécialement aux auteurs, à l'occasion des litiges que leur activité

(92) Ainsi en va-t-il de la saisie qui met fin à la distribution d'une publication par le retrait
d'autorité de l'ensemble de ses exemplaires. Elle a parfois été présentée comme une mesure d'ins-
truction qu'il fallait accomplir dans la recherche d'un délit de presse.
LES DROITS DE L'HOMME 243

de presse pouvait susciter. Un <<régime répressif de faveur>> (P. DE


VISSCHER) voit ainsi le jour. Il est marqué par le souci de donner
aux procès de presse (93) une publicité plus grande encore que celle
qui revient normalement aux litiges en matière pénale : << en matière
de délits politiques et de presse, le huis clos ne peut être prononcé
qu'à l'unanimité>> (art. 148, al. 2); dans les mêmes matières, <<le
jury est établi>> (art. 150) (94). Par ailleurs, <<la détention préven-
tive ne pourra jamais avoir lieu pour simples délits de presse ... >> (loi
du 19 juillet 1934 modifiant le décret du 20 juillet 1831).
Cette préoccupation de publicité relève des garanties élémentaires
qu'une société libérale doit procurer à ses membres. Ceux qui font
profession de s'adresser à l'opinion publique doivent voir juger au
grand jour les infractions qu'ils auraient commises en matière de
presse. Ils doivent répondre de leurs actes devant les représentants
de cette même opinion publique qu'est censé figurer le jury en Cour
d'assises.
Ces précautions ont pu paraître excessives. En pratique, elles
mettent l'auteur à l'abri de poursuites et de condamnations. Elles
lui assurent l'impunité. Plutôt que d'assurer, grâce aux débats d'as-
si~es, une publicité plus grande encore à ces écrits qu'elle juge pour-
tant répréhensibles, l'autorité publique préférera s'abstenir. Il a été
suggéré de réformer cet état de droit. Mais enlever le délit de presse
à la compétence du jury, n'est-ce pas priver l'auteur d'une protec-
tion élémentaire de ses droits?
On ne saurait évidemment assimiler aux mesures préventives que
prohibe la Constitution les mesures répressives qu'elle permet sous
certaines conditions et les contraintes de divers ordres qui peuvent
peser sur l'auteur. Certes, ce dernier a la faculté d'exercer son acti-
vité de manière indépendante. Mais il peut aussi, tel le journaliste,
travailler au service d'une entreprise de presse. Il ne saurait, évi-
demment, revendiquer une totale liberté au sein de l'institution qui

(93) La notion de« délit de presse» est entendue dans un sens restreint. Une infraction pénale
doit avoir été commise à l'occasion de l'expression d'une pensée dans un écrit imprimé et diffusé.
On ne saurait comprendre sous cette expression toute infraction commise à l'aide de moyens
d'imprimerie : la fabrication de faux billets de banque (C. pén., art. 160 s.), l'omission des nom
et domicile de l'auteur ou de l'imprimeur responsable (C. pén .. art. 299), le refus d'insertion du
droit de réponse (décret du 20 juillet 1831), la publicité en faveur d'objets, produits ou opérations
prohibés par la loi (C. pén., art. 383), la diffusion d'avis et d'informations inexacts de nature à
ébranler le crédit de l'Etat ou la confiance dans le franc (A.R. 19 juillet et 3 décembre 1934) ..
(94) Exception faite des écrits à caractère raciste ou xénophobe (Const. art. 150, al. 2)
(A.M. ScHAUS, «Le délit de presse raciste>>, in Les droits de l'homme au seuil du troisième millé-
naire ... , p. 785).
244 LES CITOYENS

l'occupe. Celle-ci pourra donc, sous réserve d'une éventuelle clause


de conscience des journalistes, imprimer aux publications une orien-
tation déterminée ou exercer des contrôles internes aux fins de
maintenir la liberté de presse dans certaines limites.
233. - La liberté de l'éditeur de presse est également sauvegar-
dée. Il profite des dispositions constitutionnelles en la matière.
Depuis 1974, et pour autant qu'il édite en Belgique un quotidien
d'opinion, il peut aussi bénéficier d'une aide de la part des pouvoirs
publics. Diverses législations << tendant à maintenir la diversité dans
la presse quotidienne d'opinion f> sont intervenues en ce domaine. La
matière fait l'objet d'interventions communautaires depuis 1988.
234. - La liberté de presse profite aussi à l'imprimeur. Quoi de
plus normal? Sans impression, il n'y a pas presse. D'où cette for-
mule inscrite dans la déclaration des droits de l'homme et du
citoyen : la liberté reconnue, c'est d'abord le droit d'<< imprimer
librement f> (art. 11).
Il faut en déduire que la liberté proclamée dans l'article 25 de la
Constitution ne saurait profiter à ceux qui, pour exprimer leur opi-
nion, font usage des moyens de la radio et de la télévision.
Faut-il invoquer ici l'esprit de la règle constitutionnelle? La
liberté de presse se donne pour support un écrit (95); parce qu'elle
dépend d'un outillage spécifique, elle peut paraître plus exposée que
d'autres libertés aux interventions du pouvoir. C'est à ce titre
qu'elle s'est vue mieux protégée que d'autres. Mais le raisonnement
ne vaut-il pas a fortiori pour ceux qui utilisent des procédés plus
sophistiqués et plus coûteux encore (96)?
Il suffit, semble-t-il, de s'interroger sur le sens des mots.
La presse, au sens initial du terme, c'est la <<machine à impri-
mer f> (97). Elle s'entend, au sens ordinaire, de tout procédé destiné
à reproduire, par la voie d'une empreinte dans une matière quelcon-
que (papier, cire ... ), des signes ou des caractères particuliers. La

(95) Une jurisprudence contestable de la Cour de cassation met l'accent sur cette réalité en
opérant une distinction artificielle entre l'écrit - qui traduit l'exercice de la liberté de presse -
et les images, photos ou dessins qui l'illustrent qui ne sont pas protégés comme relevant de
l'usage de cette même liberté (Cass., 18 décembre 1973, Pas., 1974, I, p. 46). On trouvera une
critique de cette jurisprudence dans l'étude de J. DE MEYER, « Enkele overwegingen betreffende
de drukpersvrijheid », T.B.P., 1978, pp. 3 s.
(96) F. DELPÉRÉE, «Questions et réponses sur le statut de la R.T.B.F.», Etudes de Radio-
Télévision, 1980, n" 27, p. 44.
(97) J. RIVERO, op. cit., t. 2, p. 176.
LES DROITS DE L'HOMME 245

<< presse )) parlée ou télévisée ne recourt pas à pareilles techni-


ques (98).
Les textes confirment cette interprétation stricte. L'article 25,
alinéa 2, de la Constitution fait explicitement référence au métier de
l'<< imprimeur )). Les dispositions pénales qui fixent les contours du
délit de presse (décret sur la presse du 20 juillet 1831, art. 11) et les
lois plus récentes, comme celle du 20 juin 1961 relative au droit de
réponse (art. 1er) ou les normes qui fixent les critères et les moda-
lités pour l'octroi de l'aide à la presse d'inscrivent dans la même
perspective.
235. - La liberté de presse profite aussi aux intermédiaires de
presse (99). L'exercice de pareille liberté est tributaire, en effet,
d'opérations matérielles - diffusion, publicité, transport, dépôt,
vente en gros et au détail... - . Il était à craindre qu'à la faveur
de ces diverses activités, une censure indirecte ne soit établie. La
Constitution s'efforce de la prévenir en mettant les intermédiaires
de presse<< à l'abri des poursuites)) si l'auteur et, à son défaut, l'édi-
teur sont connus et domiciliés en Belgique.
La responsabilité <<en cascade)) est organisée. <<Il n'y aura jamais
qu'un seul coupable )). Les règles du Code pénal sur la participation
ne trouvent pas à s'appliquer. S'ils n'ont fait que prêter assistance
à l'auteur, l'éditeur, l'imprimeur et le distributeur ne seront pas
poursuivis comme coauteurs ou comme complices.
Si l'auteur n'est pas connu ou n'est pas domicilié en Belgique,
seul l'éditeur sera poursuivi. A son défaut, seul l'imprimeur est mis
en cause. Ce n'est qu'à défaut d'auteur, d'éditeur et d'imprimeur
que le distributeur sera poursuivi.
236. - Comment ne pas évoquer encore la liberté du lecteur -
destinataire naturel de l'information et des moyens de presse -?
Voici un écrit dont le contenu lui paraît répréhensible au regard
des prescriptions de la loi pénale ou dont les imputations peuvent
lui causer personnellement dommage. Les modes de répression ou de
réparation qu'organise en l'espèce la loi peuvent paraître particuliè-

(98) La terminologie néerlandaise qui est en vigueur en matière constitutionnelle entérine


cette acception. La presse est qualifiée de drukpers et postule l'usage de moyens d'impression.
(99) Voy. cependant la loi du 11 avril 1936 qui permet au roi d'interdire, par arrêté délibéré
en conseil des ministres, l'introduction en Belgique de publications étrangères obscènes. En dispo-
sant que la presse est libre, la Constitution n'a pu viser que les publications qui sont réalisées
en Belgique.
246 LES CITOYENS

rement inadaptés. Ne vaut-il pas mieux rétablir, à bref délai, la


vérité dans l'esprit même des autres lecteurs de l'article incriminé?
Un droit particulier est reconnu au lecteur (décret du 20 juillet
1831, modifié par la loi du 23 juin 1961). Celui de requérir l'inser-
tion dans un écrit périodique d'une réponse à un article qui le met
personnellement en cause.
Celui aussi, s'il s'agit d'une critique à caractère scientifique, artis-
tique ou littéraire, de faire rectifier par un périodique les éléments
de fait inexacts ou de répondre à une <(atteinte>> à l'honneur. Peu
importent en l'occurrence les motivations du lecteur qui entend
exercer son droit. Il est seul juge de son propre intérêt (Cass.,
14 octobre 1974, Association pharmaceutique belge c. Test-Achats,
J.T., 1975, p. 10).
L'exercice du droit de réponse qu'organise la loi du 23 juin 1961
est subordonné au respect de conditions de fond : la réponse doit
avoir un rapport immédiat avec le texte incriminé; elle ne peut être
injurieuse, ni contraire aux lois ou aux bonnes mœurs; elle ne sau-
rait mettre en cause des tiers. Il est aussi astreint au respect de
conditions de forme : le lecteur a le choix entre mille lettres d'écri-
ture ou le double de l'espace occupé par le texte qui justifie le droit
de réponse (art. 2, al. 1er).
L'éditeur responsable de la publication incriminée est tenu d'insérer la réponse
en entier, sans intercalations, à la même place et dans les mêmes carac-
tères (lOO). Si la réponse est assortie d'un commentaire, celui-ci pourra éventuel-
lement justifier l'envoi d'un nouveau droit de réponse.

237. - La liberté de l'emploi des langues, c'est la liberté reconnue


à tout individu de s'exprimer dans la langue de son choix pour com-
muniquer avec autrui. Cette liberté ne saurait être absolue dans une
société plurilingue.
En principe, l'emploi des langues entre personnes privées est
entièrement libre. Cette matière est à ce point liée aux droits de la
personnalité qu'aucune réglementation ne paraît concevable. En
revanche, les modalités de communication entre le citoyen et l'auto-
rité publique méritent d'être précisées.

(lOO) La réponse doit être insérée dans le premier numéro publié après expiration d"un délai
de deux jours. qui prend cours à compter du moment du dépôt de la réponse au bureau du jour-
nal. Ainsi, le droit de réponse adressé le lundi au bureau d"un quotidien devra être publié dans
les éditions du jeudi; envoyé le même jour à un hebdomadaire qui paraît le jeudi, il devra être
reproduit dans le numéro du jeudi de la semaine suivante.
LES DROITS DE L'HOMME 247

Reprenant à son compte les enseignements de l'arrêté du gouver-


nement provisoire du 16 novembre 1830 selon lequel <~les citoyens,
dans leurs rapports avec l'administration, sont autorisés à se servir
indifféremment de la langue française, flamande ou allemande >>, la
Constitution précise que <~ l'emploi des langues usitées en Belgique
est facultatif>>.
Le citoyen est donc habilité à employer, selon ses préférences, le
français, le néerlandais et l'allemand - qualifiés de langues natio-
nales, au sens de langues usitées en Belgique - dans ses rapports
avec l'autorité publique (101).
Jusque là, rien de plus clair. Où la difficulté apparaît, c'est lors-
qu'il s'agit de préciser la langue que les diverses autorités publiques
vont être amenées, elles, à utiliser pour leur propre fonctionnement
et dans leurs relations avec les particuliers.
La Constitution se contente, à cet égard, d'établir une règle de
compétence et une règle de fond. On en rappelle la portée. L'on ren-
voie, pour le surplus, au livre VII et à l'examen des fonctions fédé-
rées. Dans un Etat fédéral de type bicommunautaire, la matière
relève moins, en effet, du domaine des libertés publiques que de l'or-
ganisation des pouvoirs publics et de la répartition des fonctions qui
leur reviennent.
238. - La règle de compétence est simple et complexe, à la fois.
L'emploi des langues, dans les cas prévus par la Constitution, ne
peut être réglé que <~ par la loi >> fédérale. L'intervention exclusive du
législateur est donc organisée. Le roi ne saurait se voir déléguer
pareille compétence. Tout au plus pourra-t-il intervenir en la
matière aux fins de préciser les modalités d'application de la loi
(art. 108).
Cette règle de compétence, si nette qu'elle puisse paraître dans ses
formulations, doit cependant s'analyser en tenant compte des attri-

(lOI) La notion de' langues officielles' rejoint, aujourd'hui, celle de' langues nationales •>. Il
n'en a pas toujours été ainsi. La loi du 19 septembre 1831 concernant la sanction et la promulga-
tion des lois prévoit que le texte français des lois demeure ''seul officiel •> (art. 2). La loi du
18 avril 1898 consacre le principe d'égalité des langues française et flamande;<< les contestations
basées sur la divergence de textes sont décidées d'après la volonté du législateur, déterminées sui-
vant les règles ordinaires d'interprétation sans prééminence de l'un des textes sur l'autre>> (art. 7).
Voy. aussi la loi du 31 mars 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la pré-
sentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires. La langue
allemande s'est vu reconnaître le statut de langue officielle à la faveur de la révision constitution-
nelle de 1970 (art. 3 et 4); voy. aussi la loi du 31 décembre 1983, art. 47, 53, 76 et 77.
248 LES CITOYENS

butions que la Constitution confère également en la matière aux


communautés. C'est dans des domaines distincts que la loi fédérale
et le décret communautaire sont habilités à intervenir ( 102). Par la
force des choses, leurs interventions auront également une portée
géographique différente.
239. - La règle de fond suscite plus de controverses encore. Elle
a été source de querelles qui ne sont pas encore éteintes.
La loi fédérale peut régler l'emploi des langues mais << seulement
pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires )).
Le décret communautaire, lui, peut régler l'emploi des langues, <<à
l'exclusion du législateur)) fédéral, pour<< 1o les matières administra-
tives; 2° l'enseignement dans les établissements créés, subven-
tionnés ou reconnus par les pouvoirs publics; 3° les relations sociales
entre les employeurs et les travailleurs et leur personnel, ainsi que
les actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règle-
ments)).

240. - Au-delà des problèmes particuliers d'interprétation, une


incohérence du système ne peut manquer d'apparaître. Alors même
que la personne se voit reconnaître le droit de s'adresser partout à
l'autorité publique dans l'une des << langues usitées en Belgique )), la
législation - tant fédérale que fédérée - tend à consacrer le prin-
cipe de l'unilinguisme des agents, des enseignants, des magistrats.
Elle consacre aussi le principe de l'unilinguisme des services locaux,
des écoles, des tribunaux, dans les régions linguistiques française et
néerlandaise ( 103).

( 102) On s'interrogera ultérieurement (n" 962) sur la compatibilité des articles 30 et 129, § 2,
de la Constitution. Cette difficulté ne saurait être résolue que si l'on tient compte des ressorts
géographiques distincts qui sont ceux de la loi fédérale et du décret. Dans les matières qui sont
apparemment de compétence concurrente, le décret est en mesure d'abroger ou de modifier la loi
fédérale, mais dans le ressort d'une seule région linguistique. La loi fédérale reste d'application
ailleurs.
(103) Ce principe de territorialité était initialement conçu de manière souple. La loi du 28 juin
1932 sur l'emploi des langues en matière administrative prévoyait, en effet, l'organisation de
recensements linguistiques décennaux et l'adaptation du régime linguistique des services publics
en fonction de leurs résultats : si trente pour cent des habitants d'une commune unilingue décla·
raient utiliser plus fréquemment l'autre langue, des'' facilités» devaient leur être accordées (voy.
n" 330); si cinquante pour cent des habitants se prononçaient en faveur de l'autre langue, la
commune changeait de régime linguistique. Ce système équilibré et respectueux de la volonté
exprimée par les habitants des communes concernées a été paralysé par la grève administrative
de bourgmestres flamands qui se sont opposés à l'organisation d'un recensement avec volet lin·
guistique. La loi du 24 juillet 1961 a accrédité ce point de vue. Celle du 3 novembre 1962 a fixé
les frontières linguistiques et supprimé tout mécanisme d'adaptation automatique de ces limites.
LES DROITS DE L'HOMME 249

Un dialogue de sourds peut ainsi s'établir entre l'autorité et cer-


tains de ses administrés. En particulier, dans chaque région unilin-
gue, les ressortissants de l'autre communauté s'exposent à n'être ni
compris, ni entendus.

241. - Les libertés du patrimoine sont également proclamées.


Toute personne a << droit au respect de ses biens)) (protocole addi-
tionnel à la Convention européenne, art. 1er). <<Nul ne peut être
privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas
et de la manière établie par la loi et moyennant une juste et préa-
lable indemnité)) (Const., art. 16). Nul ne peut être privé de <<tous))
ses biens par l'effet d'une <<peine de confiscation)) (Const.,
art. 17) ( 104).
A travers ces dispositions, une même préoccupation s'exprime.
L'usage de quelques biens, en particulier celui que permet la pro-
priété, fait partie de ces facultés que l'individu doit pouvoir exercer
en vue d'assurer son propre épanouissement. La maîtrise qu'il va
exercer sur des biens est à la fois signe et condition de son autono-
mie.
Le patrimoine d'un individu est signe d'autonomie, au même titre
que les droits qui s'attachent à sa personne. Il peut, en effet, confé-
rer à l'individu la faculté d'agir, de créer ou d'innover. Il peut sou-
tenir les initiatives, qu'il est conduit à prendre. Le patrimoine est
aussi condition d'autonomie dans la mesure où << une certaine zone
de propriété privée)>, parce qu'elle est<< créatrice de sécurité)) (105),
est indispensable au jeu des autres libertés.

242. - Le régime des biens et de la propriété qu'organise le droit


public ne saurait se confondre avec celui qu'organise le Code civil,
spécialement son article 544. Il s'y ajoute.
La propriété, selon le droit civil, peut être restreinte dans son
usage <<par la loi ou les règlements)). Ceux-ci veilleront notamment
à protéger certains intérêts particuliers - ceux des commerçants,
des fermiers, de catégories déterminées de propriétaires ... - . Ils
chercheront aussi à préserver l'intérêt général - les règles d'urba-
nisme s'inspirent, par exemple, de considérations d'ordre économi-

(104) La peine de confiscation est dangereuse et injuste parce qu'elle frappe des innocents.
(105) J. RIVERO, op. cit., t. l''', p. 27.
250 LES CITOYENS

que, social et esthétique et visent à conserver les beautés naturelles


du pays ou de la région - .
Mais la propriété, selon le droit public - c'est-à-dire la propriété
immobilière-, peut, en outre et pour cause d'utilité publique seule-
ment, être ôtée. Cette fois, ce n'est plus l'usage de la propriété d'un
bien qui est réglementé, c'est le bien lui-même, avec les droits qui,
selon la loi civile, s'y attachent, qui peut être enlevé à son proprié-
taire (C. A., n° 24/96, 27 mars 1996).
Toute atteinte à la propriété ne devient pas expropriation. Les
réquisitions de biens meubles ou l'imposition d'une servitude d'uti-
lité publique telle une zone de recul- qui n'auraient ni pour objet,
ni pour effet de priver un individu de son bien-, ne sont pas assu-
jetties, par exemple, au régime organisé par la Constitution. Les
dommages occasionnés par un propriétaire, fût-il autorité publique,
à ses voisins ne sauraient non plus être visés par le texte constitu-
tionnel ou par le principe fondamental qu'il consacre (voyez, cepen-
dant, Cass., 6 avril 1960, Pas., I, p. 915, concl. P. MAHAUX,
R.O.J:B., 1960, p. 257, note J. DABIN : <<Le devoir d'indemnisation
en cas de troubles de voisinage>)).
Des limitations ou restrictions (C.A., n° 50/93, 24 juin 1993) sont
apportées au droit de propriété par les législations prises dans les
domaines de l'aménagement du territoire, de la protection de l'envi-
ronnement ou de la préservation du patrimoine. Elles n'emportent
pas expropriation au sens constitutionnel de l'expression. Elles se
bornent à préciser, pour chaque type d'affectation, les limites qui
sont apportées à l'exercice du droit de propriété (106)
243. - L'expropriation ne peut avoir lieu, aux termes de l'ar-
ticle 16, que <<pour cause d'utilité publique>). La notion est générale
et ses contours imprécis ( 107).
L'utilité publique peut sans doute s'entendre de l'usage public; il
s'agit alors de priver un individu de la propriété d'un bien pour
mettre celui-ci à la destination du plus grand nombre. Mais elle se
comprend également au sens de l'utilité sociale : l'expropriation est

(106) F. HAUMONT, «Les limitations du droit de propriété immobilière», in Le droit de pro-


priété en Europe occidentale et orientale. Mutations et limites d'un droit fondamental, Louvain-la-
Neuve, Académia-Bruylant, 1995, p. 92. Comme le relève le Conseil d'Etat (L. 29.093/4, 6 octobre
1999), les autorités publiques doivent veiller, par exemple, à« assurer un juste équilibre entre les
exigences de la conservation du patrimoine immobilier et les impératifs de la sauvegarde du droit
de propriété ».
(107) C. CAMBIER, op. cit., p. 304.
LES DROITS DE L'HOMME 251

réalisée pour substituer à l'intérêt privatif d'un particulier un inté-


rêt jugé plus digne d'attention; ce sera celui d'un autre particulier,
d'une collectivité politique, d'un groupe de particuliers, d'une insti-
tution privée, de l'Etat ~ quelle que soit la destination qu'il
compte donner au bien exproprié (108) ~ .
L'expropriation doit avoir lieu «dans les cas prévus par la loi,
c'est-à-dire dans les circonstances concrètes qui justifient l'utilité
publique de l'expropriation. Que dit la loi fédérale en l' occur-
rence ( 109)? Elle énonce un principe très général dont il convient,
en chaque circonstance, de vérifier la correcte application : il ne sau-
rait y avoir expropriation qu'<< en vertu d'une loi ou d'un arrêté
royal organisant les travaux qui la rendent nécessaire >> (loi du
27 mai 1870, art. 1er) ( 110). On considère généralement que l'inter-
vention du législateur est requise si une appréciation spécifique lui
est réservée et que l'intervention du roi est permise si l'expropria-
tion relève, de manière manifeste, de l'utilité publique (Ill).
L'expropriation doit aussi avoir lieu <<de la manière établie par la
loi >>. Des règles de procédure générale sont arrêtées. La procédure
ordinaire est réglée par les lois du 17 avril 1835 et du 27 mai 1870;
la procédure d'urgence fait l'objet de la loi du 10 mai 1926; la pro-
cédure d'extrême urgence a été organisée par la loi du 26 juillet
1962 ... (112).

(108) La notion d'« utilité publique» est appelée à recevoir une interprétation extensive.
Voyez, par exemple, les lois du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'ur·
banisme (art. 25), du 9 avril 1965 sur l'expansion universitaire (art. 68), du 30 décembre 1970 sur
l'expansion économique (art. 30) ...
( 109) Comme l'écrit J. HoEFFLER (avis et rapport dans l'affaire Liébin et Baudry, C.E., arrêt
n" 16.159, du 6 décembre 1973, R.J.D.A., 1974, pp. 107 s.),« si l'on s'en tient à la lettre de l'ar-
ticle 16 de la Constitution, l'expropriation n'est permise que dans les cas, c'est-à-dire dans les cir-
constances expressément visées par une loi». Mais, relève-t-il, «d'importants domaines de l'acti-
vité publique qui, par nature, requièrent sans le moindre doute des expropriations et y donnent
couramment lieu, ne font pas l'objet de textes légaux de portée générale habilitant les pouvoirs
publics à cette fin>> (p. 115).
(llO) Il revient, en particulier, au juge de vérifier si le décret d'expropriation a été régulière-
ment pris et peut s'autoriser d'une loi. Ce décret ne réalise pas l'expropriation mais l'exprime par
la décision prise par la puissance publique de procéder à une affectation du sol et à des travaux
d'aménagement de nature à modifier la topographie d'un quartier ou à transformer l'environne-
ment (J. HoEFFLER, op. cit., p. 109). Il donne aussi au pouvoir expropriant un titre à poursuivre
la procédure à cette fin.
(Ill) R. ANDERSEN et P. NtHOUL, «Le Conseil d'Etat. Chronique de jurisprudence>>,
R. B. D.C., 1994, p. 86 et références citées.
(112) Pour plus de détails, voy. C. CAMBIER, op. cit., pp. 363 s.; D. DÉOM, «Les causes parti-
culières d'expropriation», in L'expropriation pour cause d'utilité publique (dir. G. BF:NOIT, J. SAM·
BON et P. JADOUL), Bruxelles, La Charte, 1993, pp. 81-100.
252 LES CITOYENS

244. L'expropriation ne saurait aussi avoir lieu que <<moyen-


nant une juste et préalable indemnité)). L'exigence d'une indemnité
vient en premier : elle a pu apparaître comme résultant d'un prin-
cipe général du droit international, tout au moins pour les Etats
membres du Conseil de l'Europe (premier protocole de la Conven-
tion européenne, art. pr, al. 2). Cette indemnité doit être <<juste )).
Ce qui signifie qu'à défaut d'accord amiable entre le propriétaire et
le comité d'acquisition, le montant de l'indemnité sera arrêté par un
juge, en l'occurrence par le juge judiciaire. Ce qui indique aussi que
l'indemnité doit être complète. Elle représente le dédommagement
intégral du préjudice subi par celui qui est privé définitivement de
son bien ( 113 ). Cette indemnité doit aussi être <<préalable )). Mais
préalable à quoi? Pour que la règle constitutionnelle soit respectée,
il faut que le paiement de l'indemnité précède, non le transfert de
propriété, mais la prise en possession du bien (114); l'exproprié dis-
pose d'un droit de rétention sur son propre bien aussi longtemps
que cette indemnité n'a pas été versée ou consignée.
Les lois qui autorisent la location préalable à l'expropriation ne
paraissent pas respecter à la lettre le texte constitutionnel (voyez,
par exemple, la loi du 9 août 1955 instituant un Fonds des routes
1955-1969). Cette location qui se fait<< sous l'empire de la contrainte
et où le premier souci du locataire est de démolir l'immeuble
loué)) (115) ne peut-elle, en effet, apparaître comme une expropria-
tion déguisée? Les pouvoirs publics n'ont-ils pas pris possession
définitive des biens sans s'acquitter au préalable du versement
d'une juste indemnité?
245. - Les communautés et régions sont également habilitées à
procéder à des expropriations pour cause d'utilité publique (l. sp.,
art. 79). Sur les questions que soulève la mise en œuvre de cette
compétence, voy. M. PAQUES, <<Les incidences de la réforme de
l'Etat sur la matière de l'expropriation pour cause d'utilité publi-
que)>, in L'expropriation pour cause d'utilité publique ... , pp. 3-47;

(113) Le dommage subi par l'exproprié ne se limite pas à la perte de la propriété, mais tient
aux effets de l'expropriation sur l'ensemble de son patrimoine, immobilier et mobilier, ainsi que
sur son activité professionnelle. Pour évaluer le dommage et donc le montant de l'indemnité, il
y a lieu de se placer au moment où statue le juge et non à celui de la naissance ou de la surve-
nance du dommage (Cass., 20 septembre 1979, J.T., 1980, p. ll6, concl. F. DuMON) .
. (ll4) J. VELU, op. cit., t. III, p. 993.
(115) P. DE VISSCHER, «Le régime administratif de la propriété privée>, Rev. Adm., 1957,
p. 176.
LES DROITS DE L'HOMME 253

M. VERDUSSEN et D. RENDERS, <<Le droit de propriété face aux


politiques d'aménagement du territoire. Analyse de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour d' arbi-
trage, Aménagement>>, 1996, p. 195.
<<Dans l'exercice de leurs compétences ... , les régions (et les com-
munautés) peuvent procéder à des expropriations ou autoriser des
personnes de droit public à le faire, pour autant qu'elles respectent
les procédures judiciaires arrêtées par la loi fédérale ainsi que le
principe constitutionnel de la juste et préalable indemnité)) (C. A.,
no 81/97, 17 décembre 1997; dans le même sens, n° 9/97, 5 mars
1997).

C. - Les instruments de la liberté

246. - Il est des libertés dont le caractère instrumentaire prédo-


mine. Elles sont de l'ordre des moyens. Elles sont au service des
autres libertés dont elles contribuent à favoriser l'épanouissement.
Elles sont complémentaires, sans pour autant être accessoires. Elles
font appel aux procédés de la libre réunion, du libre rassemblement
ou de la libre association. Vinculées ou limitées à l'excès, elles por-
tent - cela va de soi - préjudice à l'essor des libertés.

247. - Pour la Constitution,<< les Belges ont le droit de s'assem-


bler paisiblement et sans armes)) (art. 26, al. pr). C'est la liberté de
réunion pacifique qui est ainsi consacrée.
La disposition est intéressante à un double titre.
D'abord, parce que la Constitution, attachée à la proclamation
des libertés individuelles, ne peut s'empêcher de reconnaître, au
titre des instruments de cette liberté individuelle, une liberté collec-
tive - c'est-à-dire une liberté dont l'exercice postule l'action
conjointe de plusieurs personnes - .
Ensuite, parce que la Constitution, témoignant ainsi de sa
méfiance vis-à-vis des libertés collectives, n'entend pas les consacrer
en bloc mais établit entre elles une gradation aux fins d'en régler
avec plus de précision l'exercice. Vient en premier la liberté de réu-
nion privée. Suit la liberté de réunion publique dans des lieux clos
et couverts. Il faut en distinguer la liberté de rassemblement en
plein air (no 248) et la liberté d'organiser de manière durable une
association (no 249).
254 LES CITOYENS

Le fait pour des individus de se rencontrer en un lieu privé - le


domicile de l'un d'eux, par exemple- ne saurait être visé par l'ar-
ticle 26 de la Constitution : le domicile est inviolable et les réunions
privées qui s'y· tiennent, soit celles dont l'accès est subordonné à
une invitation personnelle adressée par l'organisateur de la réunion,
bénéficient de cette garantie constitutionnelle
Par contre, le fait de se rassembler en un lieu public, une salle de
spectacles, par exemple, ne peut échapper ·aux prévisions de la
Constitution. Le lieu devient public, et la réunion qui s'y tient sera
une réunion publique - alors même qu'elle se déroule dans un lieu
clos et couvert - , dès que chacun y est convié et que l'accès est
ouvert, sans frais ou contre paiement d'un droit d'entrée, à tout qui
souhaite participer à la réunion.
L'exercice de la liberté de réunion ainsi entendue est organisé par
la Constitution. En la matière, elle formule trois principes.
Le premier est que les réunions doivent être paisibles et sans
armes : troublant la tranquillité publique ou portant atteinte à la
sécurité publique, elles pourront être dispersées.
Le second principe est que la liberté de réunion ne s'exerce que
dans le respect des lois. Celles-ci peuvent régler l'exercice de cette
liberté; elles peuvent aussi conférer à des autorités locales le soin
d'établir pareille réglementation (voyez notamment le décret du
14 décembre 1789, celui des 16 et 24 août 1790 et la Nouvelle loi
communale).
Troisième principe. L'exercice de la liberté de réunion ne peut
être soumis à autorisation préalable. A l'inverse du Conseil d'Etat,
la Cour de cassation considère que l'article 26 de la Constitution
n'interdit pas de subordonner à autorisation préalable les réunions
publiques de divertissement dans les salles de spectacle et dans les
cafés. Le texte constitutionnel ne prête cependant pas à des diver-
gences d'interprétation sur ce point ( 116).
248. - La manifestation, quelle que soit la forme qu'elle
emprunte - défilé, cortège, procession, meeting ... - , s'entend du

(116) Cass., 16 novembre 1920, Pas., 1921, 1, p. 126. Le Conseil d'Etat ne partage pas ce
point de vue (n" 2.387, 24 avril 1953, Boi, R.J.D.A., p. 221, note M. DuMoNT). Une autre ques-
tion est celle de l'accès aux salles de danse des mineurs de moins de 18 ans non accompagnés de
leurs parents; voy. la loi du 15 juillet 1960 sur la préservation morale de la jeunesse. Adde :
1. LEYSEN, <<La liberté de danser: les mesures de police administrative à l'égard des bals et des
salles de danse>>, A.P. T., 1999, no 4.
LES DROITS DE L'HOMME 255

rassemblement en plein air de personnes qui entendent exprimer


une volonté ou un sentiment collectif. Elle peut s'accompagner de
discours, de cris, de chants, du port de calicots, etc. Elle peut se
tenir en un seul lieu ou, au contraire, se déplacer sur la voie publi-
que.
La manifestation, à la différence de la réunion, reste entièrement
soumise aux lois de police (art. 26, al. 2).
L'autorité de police est donc en mesure de réglementer un rassem-
blement en plein air, de le soumettre à autorisation préalable, de
l'interdire au besoin, aux fins de veiller à l'ordre public.
Une idée prédomine en l'occurrence. L'autorité publique a mis-
sion de préserver la destination naturelle de la voie publique qui est
de permettre la commodité du passage. Elle doit veiller à dégager
les places, les rues et les routes et éviter que la manifestation n'ait
pour résultat de porter par trop atteinte à l'usage normal de la rue.
L'ordre et la tranquillité sur la voie publique sont en cause. La
sécurité des habitants aussi. Il y a lieu pour l'autorité de police de
prendre les mesures nécessaires pour que les manifestations sur la
voie publique ne permettent pas à des individus de se rendre
<(maîtres)) de la rue à la faveur d'un rassemblement ou d'un mouve-
ment de foule.
Est-ce à dire qu'il appartient à l'autorité publique d'entraver, par
des mesures générales et permanentes, l'exercice de la liberté de
manifestation? On ne saurait le soutenir. Les mesures, même celles
qui sont prises à titre préventif, doivent être adaptées aux situations
qui peuvent compromettre la tranquillité ou la sécurité publiques.
Pour éviter le reproche d'arbitraire, elles gagneront à viser
expressément certains lieux (loi du 2 mars 1954 en ce qui concerne
la <(zone neutre)) ), certaines périodes (en ce qui concerne, par
exemple, les jours les plus encombrés de la semaine), certaines situa-
tions (décret des 16-24 août 1790 en ce qui concerne les foires et
marchés), etc.

249. - <(Les Belges ont le droit de s'associer)) (art. 27). S'asso-


cier revient pour plusieurs individus à décider ensemble de pour-
suivre un but collectif par la mise en commun de moyens, de
connaissances ou d'activités.
S'associer consiste à user de sa liberté pour forger un groupement
permanent, moins éphémère qu'une réunion ou qu'un rasseblement,
256 LES CITOYENS

qui aura mtsswn de promouvoir d'autres libertés : la liberté des


cultes, la liberté des opinions, la liberté de l'enseignement ...
Les principes ne paraissent pas prêter à discussion. Leur mise en
œuvre n'a pas èté sans soulever nombre de contestations.
Une difficulté proprement juridique doit, d'abord, être résolue.
Quels sont les contours de la liberté qui est ainsi définie? On en
débat au cours du XIX" siècle. Il faut, en réalité, attendre la loi du
24 mai 1921 <<garantissant la liberté d'association)) pour lever toute
incertitude à cet égard. Ce qui est consacré, c'est, sans conteste, la
liberté de s'associer (( dans tous les domaines )) (art. 1er' al. 1er) ; c'est
aussi la liberté de ne pas <<faire partie d'une association)) (art. 1er,
al. 2). Cette disposition ne prive, cependant, pas les pouvoirs publics
de requérir l'inscription obligatoire à un groupement ou à un ordre,
comme condition préalable d'exercice d'une profession : ce n'est pas,
à vrai dire, d'association mais de groupement constitué dans un
intérêt public qu'il est question en l'espèce (117). Ce qui est aussi
consacré, c'est le droit de se retirer d'une association, en respectant
les dispositions prévues à son règlement.
Une difficulté d'ordre politique ne saurait non plus être esquivée.
La liberté d'association s'exerce <<dans tous les domaines)). Son
essor dépend donc étroitement de celui des libertés dont elle est
l'instrument. Comment imaginer la liberté d'association profession-
nelle si la liberté du travail ou même le droit au travail ne sont pas
consacrés?
Mais, en même temps, la liberté d'association sert la cause des
libertés qu'elle concrétise. Comment obtenir le droit au travail sans
la liberté de constituer des associations professionnelles (no 259)?
Les vicissitudes de la liberté d'association sont liées à la question
politique de savoir quelles libertés doivent être dotées de ce nou-
veau moyen d'action.
Une autre difficulté, d'ordre technique cette fois, doit être aper-
çue. L'association est-elle génératrice d'une nouvelle personne juri-
dique? Renonçant à des constructions doctrinales dépassées et aux
théories de la personnalité fictive et concédée, la loi du 27 juin 1921
consacre le régime des associations sans but lucratif et reconnaît de
plein droit la personnalité juridique à celles qui se sont constituées

(117) Cass., 3 mai 1974, J.T., p. 564.


LES DROITS DE L'HOMME 257

dans les conditions fixées par la loi; la loi de 1873 accorde aussi la
personnalité juridique aux sociétés commerciales.
La constitution d'une association est libre. L'exercice de ce droit
ne peut être soumis à mesures préventives. Mais l'octroi à cette
association, sous quelque forme qu'elle se constitue, de la personna-
lité juridique reste subordonné à des conditions que la loi est en
mesure de déterminer.
L'exercice du droit d'association peut faire l'objet de mesures
répressives : ainsi la loi du 29 juillet 1934 (modifiée par la loi du
4 mai 1936) interdit les milices privées, soit les organisations dont
l'objet est de recourir à la force, ou de suppléer l'armée ou la police,
de s'immiscer dans leur action ou de se substituer à elles; il entend
également réprimer l'action des groupements qui, par leurs exhibi-
tions, ont l'apparence de troupes militaires.

§ 2. - L'évolution des libertés


250. - Qui ne dénonce aujourd'hui la crise des libertés?
La sécurité juridique est ébranlée dans ses fondements : l'utilité
de la loi, l'objectivité de la justice, le primat de la sécurité physique,
tous postulats qui sont mis en doute, sinon en cause. Les libertés
individuelles sont attaquées jusqu'à la racine : de quel droit l'indi-
vidu va-t-il se dresser contre la volonté du corps social et chercher
à faire prévaloir, au mépris de l'intérêt général, des prérogatives ins-
pirées d'une philosophie libertaire? Les libertés collectives, elles-
mêmes, prêtent à critique : elles profitent aux plus forts comme aux
plus faibles, aux plus riches comme aux plus pauvres; c'est dire que,
loin d'assurer une meilleure cohésion sociale dans la collectivité poli-
tique, elles peuvent conduire à de plus vives oppositions encore.
Tout se passe comme si l'avènement des libertés dans la société
moderne conduisait inexorablement à << la décadence de la
liberté)) (ll8).
La crise des libertés classiques amène à mettre l'accent sur un
nouvel éventail de libertés. Changement de philosophie, mutation
des idéologies et des conceptions de vie sociale, a-t-on relevé, qui
conduit à insister, non plus sur les libertés de l'homme abstrait,

(IlS) D. HALÉVY, Décadence de la liberté, Paris, 1930.


258 LES CITOYENS

mais sur les droits d'un homme situé et engagé dans des réalités
toujours concrètes.
Il ne sert à rien pourtant d'opposer les libertés modernes aux
libertés classiques. Les mêmes préoccupations affleurent. Des
accents particuliers peuvent être apportés ici ou là. Des méthodes
différentes peuvent être utilisées. Mais, au-delà de différences cir-
constancielles, les objectifs à atteindre semblent de même nature.
Ils sont, en tout état de cause, étroitement complémentaires. A quoi
bon la sécurité juridique sans la sécurité d'existence, ou l'inverse?
Et qui peut dire que l'une est plus indispensable que l'autre aux
droits de l'homme?
Seules diffèrent, en réalité, les modalités d'intervention des pou-
voirs publics. Non, comme on le répète si souvent, parce que, dans
le domaine des libertés classiques, l'Etat doit s'abstenir et que, dans
le cadre des libertés modernes, il se doit d'intervenir. Mais parce
que, dans le premier cas, l'Etat est tenu à ce que le civiliste appelle-
rait une obligation de Jaire ou de ne pas Jaire et que, dans le second,
l'Etat est tenu à une obligation de donner qui prend principalement
la forme de prestations pécuniaires.
Il n'y a pas de libertés plus ou moins réelles, plus ou moins
concrètes, plus ou moins sociales. Elles sont toutes l'expression de
finalités identiques. Mais elles peuvent être comprises de manière
différente à des moments distincts de l'évolution de l'Etat. Une
société qui se veut libre ne saurait sacrifier les unes aux autres, ni
même donner le pas aux unes sur les autres.
Quelles sont ces libertés nouvelles dont l'Etat moderne assure à
l'individu le bénéfice?

A. - Les exigences de la liberté


251. - L'exigence de travail est prioritaire. Dans une civilisa-
tion tout entière dominée par le travail, comment empêcher que les
hommes prennent conscience de ce que leurs intérêts vitaux résident
aussi dans une exigence minimale de sécurité matérielle, et spéciale-
ment professionnelle.
Le droit au travail, que la Constitution consacre en son article 23,
alinéa 3, 1°, s'affirme dans cette perspective. Il se définit comme la
liberté que tout homme va exercer aux fins de vivre, en se procu-
LES DROITS DE L'HOMME 259

rant par son activité les ressources nécessaires. Ce droit peut évi-
demment revêtir plusieurs significations ( 119).
La première, toute négative, se traduit dans la prohibition du tra-
vail forcé ou obligatoire. Nul ne peut être astreint à accomplir pareil
travail (Conv. europ., art. 2), mises à part les prestations requises en
cours de détention, à l'occasion de crises ou de calamités, dans le
cadre aussi de l'exécution d'obligations civiques ou militaires (ibi-
dem).
Une seconde signification, plus positive, mérite d'être soulignée.
Elle offre à chaque individu la possibilité de choisir l'emploi qu'il
juge convenir à ses aptitudes, à ses souhaits, aux disponibilités du
marché. La Constitution garantit à chacun <~ le droit au travail et au
libre choix d'une activité professionnelle~> (art. 23, al. 3, 1°, in
limine). Mise à part la catégorie des emplois publics que les pouvoirs
créent et auxquels ils pourvoient d'autorité en recrutant ceux qui
leur paraissent les plus aptes (no 144), les emplois du secteur privé
sont conférés librement.
Une troisième signification, plus positive encore, du droit au tra-
vail requiert une intervention multiforme des pouvoirs publics :
outre l'obligation, plus politique que juridique, de tenter de réaliser
le plein emploi, ils peuvent notamment souscrire à cette autre obli-
gation de créer des services de placement, d'orientation, de forma-
tion ou de réadaptation professionnelles. C'est dans ce contexte
aussi que les pouvoirs publics viendront au secours des citoyens qui
sont sans emploi, en leur versant, par exemple, des allocations de
chômage.
252. - Le droit à la santé semble également faire partie de ces
intérêts qui sont liés à l'existence même de l'individu. Il s'agit du
droit que possède toute personne de vivre en mettant sa personne
à l'abri de la maladie.
Le droit à la santé peut apparaître sous un jour individuel. C'est
une facette du droit à la vie et du droit au respect de la vie privée

(119) D. DE BRUYN, «Le droit constitutionnel au travail», A. D. Lv., 1996, p. 187; J. JACQ-
MAIN, <<Droit au travail, droit du travail », in Les droits économiques, sociaux et culturels dans la
Constitution ... , p. 170.
260 LES CITOYENS

(n° 202). Nul ne peut, dans cette perspective, être soumis à des trai-
tements inhumains et dégradants (Conv. europ., art. 3) (120).
Le droit à la santé peut également prendre une signification
sociale. La protection de la santé fait partie des objectifs qui peu-
vent justifier, dans une société démocratique, que des entraves
soient apportées au jeu normal des libertés - telle la détention
régulière de la personne susceptible de propager une maladie conta-
gieuse- (Conv. europ., art. 5, 1, e) ou l'interdiction de faire de la
publicité en faveur de tel médicament ou de tel traitement.
Le droit à la santé peut aussi susciter une intervention directe des
pouvoirs publics. Outre l'obligation générale de prévention - dans
la mesure du possible - de maladies épidémiques et autres, il y a
lieu de relever l'obligation d'organiser des services de consultation
et d'éducation pour assurer l'amélioration de la santé. Il y a place
pour un effort de santé <<publique >>. Les pouvoirs veilleront, ainsi
que le relève J. DABIN (121), à ce que chaque homme soit doté des
forces physiques qui le rendent << apte à occuper son poste social >>.
253. - Le droit à la sécurité sociale paraît également s'inscrire
parmi les besoins vitaux de l'individu. Consacré de manière
embryonnaire par les déclarations de droits de la Révolution fran-
çaise qui l'envisageaient sous forme d'une dette sacrée,<< pour élever
les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes et fournir du
travail aux pauvres valides qui n'auraient pu s'en procurer>>
(Constitution du 3 septembre 1791, titre Ie•), éclipsé au XIXe siècle
par les courants du libéralisme politique qui se superposaient à ceux
du libéralisme économique, le droit à la sécurité sociale s'est pro-
gressivement inscrit dans le droit interne et international. Ce qui est
en cause, c'est le droit à << la sécurité économique de chacun par une
redistribution concertée du revenu national>> (122).
La Constitution consacre désormais << le droit à la sécurité sociale,
à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique >>
(art. 23, al. 3, 2°).

(120) Au sens de la Convention européenne des droits de l'homme (art. 3), la notion de« trai-
tements inhumains » déborde de beaucoup le problème de la détermination et de l'exécution des
sanctions pénales; elle vise toute mesure prise par l'autorité publique qui, en raison des circons-
tances, peut apparaître comme affectant l'intégrité physique de celui qui en est victime. La
notion de << traitement dégradant >> s'entend de toute mesure qui peut avilir l'individu en portant
atteinte à sa dignité.
(121) J. DABIN, op. cit., p. 116.
(122) J.-J. DUPEYROUX, Sécurité sociale, Paris, Dalloz, 1969, p. 26.
LES DROITS DE L'HOMME 261

L'originalité des techniques utilisées empêche de voir dans le


droit à la sécurité sociale un substitut pur et simple du droit au tra-
vail. La diversité des interventions empêche également de ramener
pareil droit à une variété du droit à la santé.
La sécurité sociale, dont la responsabilité incombe à l'Etat fédé-
ral, s'attache à protéger plus complètement les droits d'un individu
et ceux de sa famille, entendue au sens large de l'expression. Les
pouvoirs publics assurent cette protection en créant, en organisant
et en contrôlant les institutions qui assureront la gestion des res-
sources ou qui procéderont à la distribution des avantages de sécu-
rité sociale. Ils assureront aussi une part importante du finance-
ment des divers régimes de sécurité sociale (123).

B. - Les perspectives de la liberté


254. - Quelques libertés ont pu être définies, il y a deux siècles,
et consacrées, voici près de cent septante ans, dans la Constitution.
Mais elles n'ont fait l'objet à l'époque que de définitions étriquées.
S'inscrivant aujourd'hui dans d'autres perspectives, elles peuvent
connaître de nouveaux développements. Quelques exemples illus-
trent le raisonnement.
255. - La Constitution consacre la liberté d'opinion. Elle pro-
clame aussi la liberté de presse. De manière plus générale, la
Convention européenne des droits de l'homme précise que <<toute
personne a droit à la liberté d'expression>> (art. 10) : elle doit avoir
la possibilité de faire connaître à autrui - par la parole, l'écrit,
l'image, les gestes, les attitudes ... - ses idées, ses convictions ou ses
informations.
Mais, aujourd'hui, n'est-ce pas un droit à l'information, à une
information complète, exacte, équilibrée et libre, qui prédomine?
Ou, pour reprendre les termes de la Convention européenne, la
liberté d'expression ne comprend-elle pas, d'abord, << la liberté de
recevoir ... des informations ou des idées >>?
Dans cette perspective nouvelle, les missions assignées aux pou-
voirs publics se trouvent modifiées. Il ne suffit plus, pour eux, de
s'accommoder tant bien que mal des phénomènes de pluralité d'opi-

(123) A. DELPÉRÉE, La politique sociale- Facteurs dominants et éléments constitutifs, 2 vol.,


Louvain-la-Neuve, 1977.
262 LES CITOYENS

nions ou de diversité des moyens d'expression. Il leur revient d'as-


surer l'épanouissement du droit général à l'information.
Ils y contribuent en créant les institutions chargées du service
public de la radiodiffusion et de la télévision et en leur conférant
éventuellement une situation de quasi-monopole (124).
Ils assurent la promotion de la liberté d'informer en imposant à
ces institutions publiques et à leurs agents des règles de neutralité
(no 216) et en les obligeant à traiter également toutes les opinions
politiques et philosophiques. Par ailleurs, ils aideront la presse
écrite par un système de subventions aux entreprises de presse
(n" 233).
Ils régleront surtout l'usage de la liberté d'expression en organi-
sant, au sein de divers services publics, la coexistence de plusieurs
courants de pensée selon les règles du << pluralisme idéologique et
philosophique>>. Les articles l l et 131 de la Constitution traduisent
cette préoccupation en préservant le respect des droits et libertés
des << minorités >> idéologiques et philosophiques.
La loi du 16 juillet 1973 (dite loi du <<pacte culturel>> ) élargit
encore cette préoccupation en s'efforçant de protéger les << ten-
dances>> - majoritaires ou minoritaires - qui peuvent s'exprimer
en matière idéologique et philosophique (voy. aussi les décrets de la
Communauté flamande des 28 janvier 1974 relative au pacte cultu-
rel et 25 juillet 1979 garantissant les droits des tendances de langue
néerlandaise dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale). Diverses
autorités publiques sont tenues d'associer les organisations représen-
tatives des utilisateurs et toutes les tendances idéologiques et philo-
sophiques à l'élaboration et à la mise en œuvre de la politique cultu-
relle. Une commission - la commission nationale du pacte cultu-
rel - instruit les plaintes qui lui sont adressées, fait éventuellement

(124) C'est dans cette même perspective que, sans se préoccuper outre mesure des attribu-
tions reconnues en la matière aux communautés, le législateur fédéral a cru devoir étendre la
législation sur le droit de réponse (voy. no 236) aux «émissions, éditions ou programmes audio-
visuels à caractère périodique» (loi du 4 mars 1977, art. 2). Les conditions mises à l'exercice de
ce droit diffèrent sur plus d'un point de celles requises pour l'exercice de pareil droit dans la
presse écrite. Le titulaire du droit de réponse (personne physique, personne morale ou association
de fait) doit justifier d'un intérêt personnel; il ne peut agir qu' «en vue de rectifier un ou plu-
sieurs éléments de fait erronés »ou de "répondre à un ou plusieurs faits ou déclarations de nature
à porter atteinte à son honneur» (art. 7 nouveau); il doit "motiver» sa demande. Il est précisé,
par ailleurs, que << le requérant n'accède en aucun cas au microphone, à la caméra ou au dispositif
d'enregistrement •> (art. Il, § 1"',al. 5) et que« la réponse est lue par la personne qui est désignée
par l'organisme producteur ou par l'éditeur, sans commentaire ni réplique» (art. Il, § 1 '"', al. 4).
Des voies de recours sont organisées en cas de <<refus de la demande de réponse» (art. 12).
LES DROITS DE L'HOMME 263

les recommandations nécessaires aux autorités intéressées et


adresse, chaque année, un rapport aux Chambres législatives et aux
parlements de communauté (125).
256. - La Constitution consacre la liberté de l'enseignement.
Elle fait obligation aux pouvoirs publics de créer, là où le besoin
s'en fait sentir, des écoles. Elle leur fait un devoir de contribuer, soit
directement, soit par des subventions, aux <<frais de l'enseigne-
ment>>.
Mais, aujourd'hui, c'est un droit à l'instruction et à la culture que
chaque individu est habilité à revendiquer. Ainsi la Constitution
consacre, outre le droit à l'enseignement (art. 24), <<le droit à l'épa-
nouissement culturel et social>> (art. 23, al. 3, 5°). Les obligations
qui pèsent dès à présent sur les pouvoirs publics ne prennent-elles
pas, dans cette perspective, une autre dimension?
Des services devront être créés et gérés : bibliothèques, théâtres,
salles de spectacle, centres culturels ou sportifs, aires de jeux et de
loisirs ... Des moyens financiers devront être dégagés pour encoura-
ger les beaux-arts, la diffusion du livre, les activités d'éducation
permanente ... Des politiques devront être conçues au plan national,
au plan d'une communauté, au plan local : tourisme social, anima-
tion culturelle, protection du patrimoine architectural, tous
domaines dans lesquels les pouvoirs publics sont, au nom des droits
nouveaux de l'individu, investis de responsabilités nouvelles.
257. - La Constitution proclame le droit de propriété. La
Convention européenne reconnaît à chaque individu le libre usage et
la libre disposition de ses biens. Les instruments nécessaires à une
libre activité économique sont ainsi réunis.
Dans leur prolongement s'inscrit la liberté du commerce et de
l'industrie, telle qu'elle se trouvait affirmée dans la loi des 2-
17 mars 1791 (dite<< décret d'Allarde >>):<<Il sera libre à toute per-
sonne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier
qu'elle trouvera bon>> (126).

(125) J. DE MEYER, << Levensbeschouwelijk en politiek pluralisme in openbare diensten », in


Miscellanea Ganshof van der Meersch, Bruxelles, 1972, t. III, p. 79; H. DuMONT, Le pluralisme
idéologique et l'autonomie culturelle en droit public belge, Bruxelles, Bruylant, 1996, 2 vol.
(126) A. MANITAKIS, La liberté du commerce et de l'industrie en droit belge et en droit français,
Bruxelles, Bruylant, 1979; M. HERRIET, «Le principe de la liberté du commerce et de l'industrie
et sa protection par le Conseil d'Etat», A.P.T., 1987, p. 181; S. DEPRÉ, Les autorisations admi·
nistratives relatives à l'exercice de certaines professions, Bruxelles, Bruylant-Nemesis, 1999.
264 LES CITOYENS

<< La liberté du commerce et de l'industrie ne peut être conçue

comme une liberté absolue. Le législateur compétent ... peut être


amené à limiter la liberté d'action des personnes ou entreprises
concernées>> (C.A., no 35/95, 25 avril 1995). Encore faut-il que cette
restriction soit raisonnable (C. E., no 50.241, 16 novembre 1994, S.
A. Etablissements Delhaize Frères et Cie ) et qu'elle réponde à une
certaine nécessité (C.A., no 123/98, 3 décembre 1998; no 70/99,
17 juin 1999; n° 102/99, 30 septembre 1999; no 124/99,
25 novembre 1999 et no 13/2000, 2 février 2000).
Mais ces principes ne gagnent-ils pas à être examinés à la lumière
des responsabilités que la société assigne aujourd'hui aux pouvoirs
publics dans la conduite de l'économie? L'individu n'a-t-il pas droit
aussi à la sécurité économique? Cette préoccupation, même si elle
n'apparaît pas encore comme un véritable droit, tend à s'affirmer.
Les pouvoirs publics s'attachent à planifier l'activité économique
(voy. la loi du 15 juillet 1970 portant organisation de la planifica-
tion et de la décentralisation économique) ; ils cherchent à assurer
<< une expansion maximale économique équilibrée et, dans ce cadre,

une constante amélioration en matière d'emplois, de revenus du tra-


vail, de pouvoir d'achat, de logements, d'infrastructure et d'équipe-
ments >> (idem).
Ils se préoccupent aussi de réglementer l'activité économique.
Diverses polices - comme la police des prix (voy. la loi du 22 jan-
vier 1945 sur la réglementation économique et les prix) ou la police
du commerce (voy. notamment les lois du 27 mai 1960 sur la protec-
tion contre l'abus de puissance économique et du 14 juillet 1971 sur
les pratiques du commerce) - sont aménagées aux fins de normali-
ser l'activité économique.
Ils n'hésitent pas à apporter aux entreprises des incitants écono-
miques sous forme d'aides diverses. Ils peuvent même se substituer
aux entreprises privées et user, dans l'intérêt général, de la liberté
d'entreprendre. << Pour ne pas être ou pour ne point pouvoir être
(pour des raisons financières ou de sécurité) exercées dans le
privé>> ( 127), certaines activités seront prises en charge directement
par le secteur public.
Derrière ces interventions qui, à première vue, ne concernent que
les rapports entre entreprises privées et pouvoirs publics, c'est une

( 127) C. ÜAMBIER. op. cil., p. 426.


LES DROITS DE L'HOMME 265

part du statut de l'individu- pas seulement celui de l'entrepreneur


mais aussi celui du travailleur et du consommateur - qui s'édifie.

C. - Les dimensions de la liberté


258. - La vie familiale confère à la liberté une dimension parti-
culière. Un nouveau droit, par conséquent, apparaît : celui de fon-
der une famille, celui aussi de voir garantir le respect de la vie de
la cellule familiale.
<< A partir de l'âge nubile, précise la Convention européenne,
l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une
famille, selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit>>
(art. 12). <<Toute personne a droit au respect de sa vie ... familiale ... >>
(art. 8, al. 1er). La Constitution, elle, garantit à chacun le <<droit au
respect de sa vie ... familiale ... >> (art. 22, al. pr).
La liberté ainsi reconnue à la famille ne saurait évidemment por-
ter atteinte à la liberté individuelle de chacun de ses membres. Cha-
cun des époux, chacun des enfants bénéficie des libertés que la
Constitution reconnaît. Le principe demeure, même si la conciliation
des dispositions de la Constitution et de la loi civile peut, dans la
pratique, paraître délicate.
1

Comme l'a souligné la Cour européenne des droits de l'homme,


dans un arrêt du 23 juillet 1968, les dispositions de la Convention
font essentiellement obligation aux autorités publiques de ne pas
s'immiscer arbitrairement dans la vie quotidienne des familles. Elles
ne sauraient, par exemple, troubler la vie des familles par une légis-
lation qui aurait pour but ou pour effet d'éloigner <<de façon arbi-
traire des enfants de leurs parents >>.
Mais comme l'a précisé la même Cour, dans un arrêt du 13 juin
1979, à cet engagement négatif peuvent s'ajouter des obligations
positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale. Elles
impliquent, en particulier, que le droit de chaque Etat établisse un
statut juridique qui permette l'épanouissement des relations fami-
liales.
Faut-il aller plus loin? Faut-il considérer que la Convention euro-
péenne contient implicitement les grandes lignes d'un statut civil de
la famille - du droit de la filiation et du mariage, notamment -?
On ne le pense pas. Tel n'est ni l'objet, ni l'effet de la Convention
266 LES CITOYENS

européenne. Sur ce point, les articles 8 et 12 ne sauraient se com-


prendre comme des dispositions d'effet direct.
Elles requièrent seulement que la famille et ceux qui en font par-
tie soient protégés. Elles laissent aux autorités publiques nationales
le choix des solutions qu'elles jugent le plus adéquates.
Largement influencée par les réactions de l'opinion publique à l'occasion de
l'affaire Dutroux, la révision du 23 mars 2000 a une portée plus symbolique que
juridique. Elle inscrit dans la Constitution un article 22bis. <<Chaque enfant a
droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle. La loi,
le décret ou (l'ordonnance) garantissent la protection de ce droit>>. Telle qu'elle
est rédigée, la disposition n'est pas à l'abri de critiques. Sont-ce là les seuls droits
de l'enfant? Lui sont-ils réservés ou profitent-ils également aux adultes? Ne
vaut-il pas mieux considérer que les droits de l'homme bénéficient à tous, sans
condition d'âge? (128)

259. - La vie sociale confère à la liberté une seconde dimension.


La Constitution n'a pas ignoré les libertés instrumentaires que seuls
des individus en groupe sont à même de mettre en œuvre. Mais ces
libertés connaissent des développements nouveaux avec l'affirma-
tion de la liberté syndicale. C'est, dira la Convention européenne
(art. ll, 1), <<la liberté de fonder avec autrui des syndicats et de
s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts >>; c'est aussi
la liberté d'utiliser dans l'action syndicale - de promotion ou de
revendication - les autres libertés publiques et de mettre en œuvre
les moyens qui en découlent : pétition, manifestation, cortège ...
La Constitution, de son côté, consacre désormais, en plus de la
liberté générale d'association (art. 27), le droit de<< négociation col-
lective>> (art. 23, al. 3, 1°, in fine).
Cette liberté syndicale était conçue, à l'origine, dans une perspec-
tive individualiste : la liberté de s'affilier et de ne pas s'affilier était
alors préservée. Elle a évolué depuis lors : les organisations syndi-
cales librement constituées sont devenues les auxiliaires des pou-
voirs publics et les gestionnaires des services publics en matière

(128) Sur les droits de l'enfant, voy. M. BossUYT, «La Convention internationale relative aux
droits de l'enfant •>, R. !nt. D. H., 1990, p. 141 ; F. DELPÉRÉE, ''La Constitution et la Convention
relative aux droits de l'enfant», in La Convention des droits de l'enfant et la Belgique (dir. M.·
Th. MEULDERS-KLEIN), Bruxelles, Story-Scientia, 1990, p. 87; V. POULEAU, <<A propos de la
Convention internationale relative aux droits de l'enfant. L'enfant, sujet de droit . enfin une réa-
lité?», J.T., 1990, p. 617.
LES DROITS DE L'HOMME 267

sociale. Les syndicats sont désormais investis d'une <~ fonction


sociale publique f) (129).
L'évolution n'a pas été sans porter atteinte à la conception classi-
que de la liberté d'association. Dès l'instant où les pouvoirs publics,
comme les employeurs, cherchent des interlocuteurs dans le monde
du travail, ils sont enclins à privilégier les quelques organisations
syndicales qui représentent le personnel d'une entreprise, d'un sec-
teur d'activité, voire de l'ensemble des travailleurs. Ils opèrent un
tri parmi les syndicats. Plutôt que de les mettre tous sur le même
pied, ils choisissent comme seuls interlocuteurs les organisations
syndicales <~ les plus représentatives f>. A la limite, ils peuvent porter
un coup définitif à la liberté syndicale en favorisant la constitution
d'un syndicat unique : c'est en n'admettant comme partenaire que
la seule organisation syndicale qui serait la plus représentative.
L'évolution n'a pas été non plus sans affecter la conception tradi-
tionnelle de la liberté du travail. Les conditions de travail ne résul-
tent plus seulement de la discussion d'un contrat, dans les limites
laissées par des lois impératives. Elles sont aussi déterminées par les
conventions collectives de travail auxquelles les syndicats sont par-
tie.
La négociation collective des conditions de travail peut même
conduire- dans un souci de paix sociale, précise-t-on- à réserver
des avantages d'ordre pécuniaire au profit des travailleurs affiliés à
un ou plusieurs syndicats déterminés. S'il n'y a pas, à proprement
parler, discrimination en l'espèce, l'on peut se demander si ces
mesures sont bien compatibles avec le principe de la liberté syndi-
cale et avec la règle d'égalité qui doit présider aux rapports entre
les organisations professionnelles.
260. - La vie politique donne à la liberté une troisième dimen-
sion.
L'exercice par le citoyen des droits-fonctions que lui reconnais-
sent la Constitution et la loi ne va pas sans la jouissance des libertés
traditionnelles : opinion, presse, manifestation, association ... Mais le
fonctionnement du système constitutionnel secrète d'autres exi-
gences. Il requiert notamment que les citoyens se groupent en for-
mations politiques aux fins de sélectionner ceux qui brigueront un
titre à l'exercice du pouvoir, aux fins aussi de dégager les options

( 129) C. A. CoLLIARD, op. cit., pp. 608 s.


268 LES CITOYENS

générales qui servent de lignes de conduite au gouvernement. Les


partis qui se sont constitués, en Belgique, dès le milieu du
XIXe siècle témoignent de cette réalité.
Il est vrai que la Constitution ignore les partis. Elle se distingue
ainsi de Constitutions plus récentes qui les reconnaissent, qui défi-
nissent leur rôle, qui fixent les principes de leur organisation, qui
déterminent parfois les conditions de participation de ces forma-
tions à la vie politique. En droit positif, quelques indices témoi-
gnent néanmoins de l'existence des partis politiques.
Les élections législatives se font selon la technique du scrutin de
liste (Const., art. 62, al. 2). Le système oblige les candidats d'une
même tendance au sein d'un arrondissement à se grouper en vue des
élections. Au plan fédéral, les listes en concours peuvent aussi s' affi-
lier en vue d'obtenir un numéro d'ordre commun (C. El., art. 115bis,
§ 2). Quant aux différents groupes politiques représentés au Parle-
ment, ils peuvent encore demander la protection de leur sigle électo-
ral (art. 115bis, § 1"'). Sur ce point, l'allusion aux partis politiques
est transparente puisque, à vrai dire, il n'existe pas de groupes poli-
tiques au sein <<du Parlement~>; c'est au sein de chaque Chambre
législative qu'ils sont constitués.
Autre indice. Le budget des dotations prévoit au profit de ces
mêmes groupes politiques des indemnités de secrétariat. De com-
mun accord entre les groupes, ces indemnités servent à financer les
centres d'études respectifs des partis politiques correspondants. Il
s'agit là d'une aide des pouvoirs publics aux partis politiques, tout
au moins aux partis suffisamment importants pour être représentés
par plusieurs parlementaires au sein de chaque Chambre et pour
pouvoir y constituer un groupe politique (Règl. Chambre, art. 10.5,
et du Sénat, art. 16).
<<Pêchant par pusillanimité, le législateur (fédéral) s'est longtemps abstenu
d'aborder la problématique des ressources financières des partis politiques. Mis
à part l'octroi de subsides aux groupes politiques des assemblées législatives,
quelques facilités éparses accordées à l'occasion des élections et la déductibilité
fiscale de certaines libéralités, la matière était plongée dans un profond vide juri-
dique. En 1989, le législateur (fédéral) s'est décidé à combler ce vide en adoptant
une loi qui vise, d'une part, à limiter et à contrôler les dépenses électorales et,
d'autre part, à régler les moyens financiers et la comptabilité des partis politi-
ques ... Concrètement, une dotation est allouée, chaque trimestre, à tout parti
politique représenté au Parlement par au moins un député et un sénateur élu
LES DROITS DE L'HOMME 269

directement, sous la réserve qu'il en fasse la demande» (A. RASSON et M. VER-


DUSSEN, <<Constitutions et partis politiques. Belgique>>, A.!. J.O., 1993, p. 86).
Selon l'article !"', 1 o de la loi du 4 juillet 1989, un parti politique est une
<< association de personnes physiques, dotées ou non de la personnalité juridique,
qui participe aux élections prévues par la Constitution et par la loi, qui, confor-
mément à l'article 117 du Code électoral, présente des candidats aux mandats
de député et de sénateur dans chacune des circonscriptions électorales d'une
communauté ou d'une région et qui, dans les limites de la Constitution, de la
loi, du décret et de l'ordonnance, tente d'influencer l'expression de la volonté
populaire de la manière définie dans ses statuts ou son programme>>.
Il est précisé, dans l'article 15bis, que, pour bénéficier d'une dotation, le parti
politique doit <<inclure dans ses statuts ou dans son programme une clause par
laquelle il s'engage à respecter dans l'action politique qu'il entend mener, et à
faire respecter par ses différentes composantes et par ses mandataires élus, au
moins les droits et libertés garantis par la convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales ... et par les protocoles addi-
tionnels à cette convention en vigueur en Belgique». Voy. les dispositions de la
loi du 12 février 1999 sur les sanctions financières à l'encontre du parti qui
<< montre, de manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants, son
hostilité envers ces droits et libertés ».

261. - Le silence des textes constitutionnels masque malle rôle


essentiel que les partis politiques jouent dans l'organisation et dans
le fonctionnement du système politique de la Belgique.
L'influence des partis est déterminante à des moments décisifs de
la vie politique du pays : au moment de la constitution d'un gouver-
nement de coalition, au moment de la rédaction de son pro-
gramme - certains accords politiques signés par les présidents de
parti seront publiés en annexe de la déclaration du nouveau gouver-
nement-, au moment de l'élaboration de ces pactes politiques qui,
comme le pacte scolaire ou le pacte culturel, sont conclus en marge
des institutions officielles par les formations politiques présentes au
sein des Chambres ou même au moment de la mise en chantier
d'une réforme constitutionnelle majeure (130).
L'influence des partis est déterminante aussi dans la vie politique
la plus quotidienne. L'action gouvernementale et administrative est
commandée par les préoccupations d'hommes et de femmes qui se
situent pourtant en dehors de l'appareil des institutions publiques;
l'action parlementaire est tributaire d'une discipline de parti qui
laisse peu de place aux initiatives individuelles; les personnels

(130) Voy. les<< accords de la Saint-Michel>> négociés dans la nuit du 28 au 29 septembre 1992
par le Premier ministre DEHAENE et les présidents des quatre partis de la majorité gouvernemen-
tale.
270 LES CITOYENS

publics - à tout niveau - voient leur carrière, sinon leur action,


influencées par des considérations d'ordre partisan.
Il est vain d'ouvrir ici le débat de la démocratie et de la particra-
tie (M. GRÉGOIRE). Car l'existence des partis politiques peut témoi-
gner d'une préoccupation démocratique essentielle; elle traduit le
souci de citoyens conscients de participer à la gestion de la chose
publique par le truchement d'associations libres, ouvertes, se pliant
elles-mêmes aux règles de la démocratie interne. Mais l'existence de
partis politiques peut aussi révéler un réel dévoiement de la démo-
cratie; elle témoigne alors du souci de quelques oligarchies irrespon-
sables de détourner le pouvoir à leur profit en dehors des procédures
et des institutions officielles de décision. L'appréciation que l'on
porte sur le phénomène des partis dépend, en définitive, du bon
usage ou du mésusage que les citoyens feront de leur liberté.

SECTION Il. - LA PROTECTION DES LIBERTÉS

262. - Libertés traditionnelles, libertés nouvelles... Un trait


commun les caractérise. Elles sont protégées. Les individus et les
groupes se voient reconnaître des facultés dont le système juridique
entreprend de déterminer les contours. Diverses prescriptions appa-
raissent. Elles restreignent, en fait comme en droit, l'usage de la
liberté. Mais, en même temps, elles contribuent à en établir l'assise
et à mieux en préciser les modalités d'exercice.
L'exercice des libertés (§1er) ne se réalise pas en terrain décou-
vert. Il s'insère dans un statut (A) que le droit public - dans ses
dimensions interne, européenne et internationale - contribue à éta-
blir (131). Cet exercice n'est pas non plus générateur d'impunité. Il
y a des usages abusifs de la liberté (B). Le droit entend normale-
ment les réprimer. Il veut aussi en réparer les conséquences domma-
geables.
L'exercice des libertés peut encore menacer l'ordre public.
L'usage des libertés ne va pas sans risques (C). Ni pour les indivi-
dus, ni pour la société. Si les pouvoirs publics peuvent prendre en

(131) Sur l'ensemble de la question, voy. F. DELPÉRÉE, H. SIMONART, S. WEERTS etE. WIL-
LEMART, Les droits fondamentaux en Belgique, Louvain-la-Neuve, 1999, 95 p. et spécialement les
chapitres IV et V rédigés par E. WILLEMART.
LES DROITS DE L'HOMME 271

charge certains risques, ne doivent-ils pas chercher à se prémunir


contre d'autres?
Le droit des libertés publiques trouve sa configuration originale
dans un statut où mesures préventives et mesures répressives se
complètent selon les modes que la Constitution détermine.
Encore faut-il que ce statut des libertés soit respecté par tous.
Non seulement par l'individu ou par le groupe qui cherche à en
bénéficier. Mais aussi par d'autres individus et par d'autres groupes.
Mais encore par les autorités publiques, y compris par celles qui ont
contribué à définir pareil statut. Il n'y a de protection effective des
droits de l'homme que si celui qui peut en réclamer le bénéfice est
habilité à obtenir, même de son propre Etat, le respect du statut
des libertés reconnues.
Protection et garantie des libertés (§ 2) vont donc de pair. Il
paraît indiqué de recenser les garanties que le système politique (A)
peut offrir aux individus. Il faut aussi relever les garanties juridic-
tionnelles que l'Etat (B) comme la société internationale (C) sont en
mesure de procurer.
Ici encore, le droit fait forcément œuvre limitée. La garantie la
plus effective de l'usage normal des droits et des libertés ne réside
jamais dans un arsenal de procédures et de sanctions. Elle s'inscrit
dans les habitudes d'un peuple attentif à la défense de valeurs qui
lui paraissent essentielles. <<La véritable protection)), écrit P. Weil,
<<réside dans la croyance et les mœurs des gouvernants et des gou-
vernés, dans le contexte politique et sociologique, dans l'air du
temps, pour tout dire ... )) (132). C'est un problème d'éthique. On ne
saurait pour autant en négliger les aspects juridiques.

§ 1er. ~ Les conditions d'exercice des libertés

A. ~ Le statut des libertés


263. ~ Il faut, d'abord, préciser quels sont les bénéficiaires des
libertés publiques.
Le titre II de la Constitution s'inscrit sous l'intitulé << Des Belges
et de leurs droits )). Selon l'interprétation usuelle, il ne convient pas
d'attribuer à cet intitulé, pas plus qu'à ceux d'autres parties et cha-

(132) P. WEIL, 'Les techniques de protection des libertés publiques en droit français», in
Mélanges Marcel Bride/, Lausanne, Imprimeries réunies, 1968, p. 609.
272 LES CITOYENS

pitres de la Constitution, une portée normative. Comment ne pas


avoir égard néanmoins aux termes mêmes de la Constitution et à
l'esprit de ses dispositions ?
A première vue, seules les personnes physiques qui peuvent reven-
diquer la qualité de Belge détiennent les droits constitutionnelle-
ment reconnus ... En clair, les non-Belges ne disposent pas des droits
de l'homme. Les personnes morales, fussent-elles belges, ne peuvent
non plus revendiquer le bénéfice de ces droits.
Cette première lecture de la Constitution est incorrecte. Les
étrangers comme les nationaux peuvent, en principe, revendiquer le
bénéfice des libertés publiques. Les personnes morales peuvent agir
comme les personnes physiques.
La Constitution définit ses bénéficiaires dans des perspectives
englobantes. Un siècle et demi plus tard, nombre d'instruments
internationaux confirment cette façon de voir. Il reste que le statut
des titulaires des droits fondamentaux n'est pas entièrement compa-
rable. Des distinctions subsistent. Elles tiennent tant à la personna-
lité des bénéficiaires qu'à la nature des droits protégés.
264. - Le titre II de la Constitution s'ouvre, on le sait, par
deux dispositions liminaires - les articles 8 et 9 - qui établissent
les règles de principe sur le statut de la nationalité. De cette
manière, la distinction entre Belges et étrangers est affirmée d'em-
blée. Elle sert de préambule à un exposé plus détaillé sur les droits
de l'homme (133).
Suit une disposition cardinale - l'article 10 -tout entière consa-
crée aux règles de l'égalité. Elle traite des droits politiques qui peu-
vent revenir au citoyen - l'électorat, l'éligibilité, l'accès aux
emplois publics - et l'on sait que ces droits sont, selon une concep-
tion traditionnelle, réservés aux nationaux. Elle pénètre aussi dans
le domaine des droits de l'homme en proclamant que <<les Belges
sont égaux ·devant la loi>>. Ce que confirme l'article 11 : <<la jouis-
sance des droits et libertés>> qui sont reconnus à ces Belges-là doit
être assurée << sans discrimination >>.
Les articles 12 à 32 poursuivent l'énumération. Ils s'inscrivent
dans la philosophie qui vient d'être esquissée. Les Belges disposent
des droits et libertés qui leur sont reconnus. De manière explicite,

( 133) Ou faudrait-il considérer que la nationalité est le premier des droits de l'homme, en tout
cas celui qui revient comme tel aux nationaux de l'Etat?
LES DROITS DE L'HOMME 273

les articles 26 et 27 précisent que<< les Belges ont le droit de s'assem-


bler paisiblement et sans armes >> et que << les Belges ont le droit de
s'associer >>. Il n'est pas interdit de considérer que ce ne sont là que
des exemples et que tous les articles contenus dans le même titre
doivent s'entendre de la même manière (134).
En somme, la Constitution établit, en son titre II, que les droits
des citoyens et les droits de l'homme sont reconnus aux Belges. Si
l'on tient compte des données politiques et sociales qui caractéri-
saient l'époque à laquelle la Constitution a été rédigée, il faut
convenir que celle-ci confère aux mêmes individus le bénéfice des
deux catégories de droit. Seuls ceux qui sont Belges, hommes et
adultes revendiquent la pleine et entière protection de la Constitu-
tion.
265. - Est-ce à dire que les non-Belges se voient automatique-
ment privés de l'exercice des droits de l'homme?
Il y a lieu de tenir compte des dispositions de l'article 191 de la
Constitution, inscrit dans un titre VII sous l'intitulé << dispositions
générales >>. Le texte est manifestement de principe. Il veut que
<<tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique joui(sse)
de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les excep-
tions établies par la loi>> (135).
Plusieurs dispositions récentes de la Constitution confirment cette
interprétation. Elles indiquent, de la manière la plus indéterminée
qui soit, que<< chacun>>- qu'il soit belge ou étranger- a droit<< au
respect de sa vie privée et familiale>> (art. 22), a<< le droit de mener
une vie conforme à la dignité humaine>> (art. 23), a <<le droit
d'adresser aux autorités publiques des pétitions>> (art. 28) et a <<le
droit de consulter>> les documents administratifs (art. 32).
La Cour d' arbitrage entérine cette façon de voir. Elle permet à
la personne étrangère de saisir la haute juridiction constitutionnelle
d'un recours en annulation visant à faire censurer l'inconstitution-
nalité d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance. Dépassant cette
règle procédurale, elle affirme aussi sans équivoque, même si c'est

(134) Voy. G. DoRet A. BRAAS, «La Constitution>>, in Les Novelles, Lois politiques et adminis-
tratives, t. V, Bruxelles, Larcier, 1935, p. 122, n" 308; W.,J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, <<La
sécurité de l'Etat et les libertés individuelles et droit belge>>, R.D.l.D.C., 1958, p. 58; P. WIGNY,
op. cit., p. 265, n" 152.
(135) D. RENDERS, <>La Cour d'arbitrage et l'article 191 de la Constitution>> ... , p. 1411.
274 LES CITOYENS

de manière implicite, que les droits fondamentaux reconnus aux


Belges- et, en particulier, celui de l'égalité- reviennent aussi aux
étrangers.
Dans l'arrêt n" 25/90 du 5 juillet 1990, la Cour d'arbitrage relève que la loi
attaquée - celle du 3 novembre 1967 sur le pilotage des bâtiments de mer -
peut s'appliquer<< à des personnes tant étrangères que belges>>. Elle ajoute sans
équivoque, même si la formulation négative de la proposition peut sembler
curieuse:<< L'article (191) de la Constitution (qui accorde aux étrangers la même
protection que celle qui revient aux Belges) ne s'oppose ... pas en l'espèce à ce
que des étrangers se prévalent des articles lO et ll (de la Constitution)>> (136).

L'interprétation combinée des articles 10, 11 et 191 de la Consti-


tution conduit à un raisonnement saisissant. L'on part d'une pré-
misse : <<Les Belges sont égaux entre eux>). L'on admet que <<les
étrangers jouissent de la même protection que celle des nationaux >).
Il faut en conclure que<< en matière de droits de l'homme, les Belges
et les étrangers sont traités de la même manière >).
La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales retient la même solution. En vertu de son
article 1er, l'Etat contractant doit reconnaître les droits et libertés
consacrés dans la Convention, << non seulement à ses propres natio-
naux et à ceux des autres Etats contractants, mais aussi aux ressor-
tissants des Etats non parties à la Convention et aux apa-
trides>) (137).
266. - Peu familiarisée avec les notions de la personnalité
morale, la Constitution reconnaît aux Belges et aux étrangers le
bénéfice des libertés publiques. C'est<< l'homme>), voire<< le citoyen>),
qui est désigné comme destinataire des droits reconnus par le texte
constitutionnel.
La rédaction même de plusieurs dispositions constitutionnelles
confirme cette interprétation. Seule une personne physique peut
être candidate à un emploi public dans les conditions de l'article 10.
Seule elle profite d'une liberté qui revient directement à sa per-

(136) Voy. J.-P. LACASSE, «Les étrangers et le principe d'égalité et de non-discrimination •>,
R.D.E., 1991, pp. 33-36; R. ERGEC, "Le droit international et le droit à l'égalité des étrangers
dans la jurisprudence de la Cour d'arbitrage», R.B.D.C., 1991, pp. 622-649; P. BouCQUEY, op.
cit., ibidem.
(137) J. VELU et R. ERGEC, op. cit., n" 76
--- ------------------------------

LES DROITS DE L'HOMME 275

sonne, sous la forme d'une liberté qualifiée pour la circonstance


d'<< individuelle>> dans les conditions de l'article 12, alinéa 1er. Seule
elle est mise à l'abri de mesures de contrainte pénale qui seraient
ordonnées en dehors des prévisions de la loi puisqu'aux termes de
l'article 12, alinéa 2, <<nul>> - c'est-à-dire nulle personne physi-
que - << ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et
dans la forme qu'elle prescrit>>. A supposer même que des libertés
collectives puissent être organisées - réunion (art. 26, al. 1er) et
manifestation (art. 26, al. 2) - et ·que leur exercice génère -
comme dans le cas de l'association (art. 27) - une nouvelle per-
sonne juridique, ces droits profitent aux individus et non aux per-
sonnes morales.
On ne saurait s'étonner de cette façon de faire. La philosophie
libérale qui anime les rédacteurs de la Constitution transparaît ici.
Entre l'individu et la société étatique, il n'y a place pour aucun
intermédiaire. Ni la famille, ni l'entreprise, ni la profession ne sont
en mesure de s'interposer entre l'individu et la collectivité politique.
A fortiori, ils ne sauraient concurrencer cet individu sur le terrain
du bénéfice des droits de l'homme.

267. - Les évolutions les plus récentes du droit constitutionnel


conduisent à nuancer cette interprétation. A deux points de vue, au
mo ms.
L'article 11, introduit dans la Constitution, le 24 décembre 1970,
consacre << les droits et libertés des minorités idéologiques et philoso-
phiques>>. Pour sa part, l'article 131, qui date du même moment,
condamne << toute discrimination pour des raisons idéologiques et
philosophiques>>. La loi du 13 juillet 1973, dite loi du <<pacte cultu-
rel>>, se donne pour objet spécifique d'assurer<< la protection des ten-
dances idéologiques et philosophiques >>.
Rien n'établit que les <<minorités>> ou les <<tendances>> prennent
les traits d'une personne juridique. Mais des organismes, des institu-
tions ou des autorités qui sont tenues au respect de la Constitution
et de la loi fédérale et qui peuvent tirer parti de leurs dispositions
sont en mesure d'emprunter ces formes d'organisation juridique. De
cette manière, des personnes morales peuvent revendiquer le béné-
fice des droits reconnus dans les articles 11 et 131 de la Constitu-
tion.
276 LES CITOYENS

L'article 24, pour sa part, est profondément remanié, le 15 juillet


1988. De :rp.anière simple, il établit la règle selon laquelle <<tous les
élèves ou étudiants, parents, membres du personnel et établisse-
ments d'enseignement sont égaux devant la loi ou le décret)}. Cette
disposition est significative à souhait. Préoccupée de définir le
champ des bénéficiaires de la règle d'égalité dans l'enseignement,
elle tient compte tout à la fois de personnes physiques et de per-
sonnes morales; elle n'établit pas de distinction entre les personnes
morales de droit privé et celles de droit public.
La leçon mérite d'être généralisée. L'on peut penser que, si la
Constitution devait être réécrite dans plusieurs de ses dispositions,
elle tiendrait compte des mêmes préoccupations. <<Ce n'est que par
la reconnaissance de droits subjectifs à la personne morale que les
droits fondamentaux de la personne humaine pourront être efficace-
ment protégés ... La reconnaissance de libertés à la personne morale
comme telle est le moyen le plus efficace de valoriser la liberté indi-
viduelle d'association et de lui faire produire ses effets utiles au ser-
vice des droits fondamentaux de la personne humaine)} (138).
L'observation vaut sans doute pour les personnes morales de droit
privé. Mais, comme l'écrit J. VELU, à propos de la Convention euro-
péenne des droits de l'homme, << nous voyons difficilement en quoi
les arguments invoqués pour faire bénéficier les personnes morales
de droit privé des droits reconnus par la Convention ne vaudraient
pas aussi pour les personnes morales de droit public)} ( 139).
Et d'observer : <<A partir du moment où l'on admet que les droits
de l'homme sont opposables aux individus et aux groupements
privés, il n'existe pas de motif valable pour protéger uniquement les
personnes morales de droit privé et certaines personnes morales de
droit public contre les actes des individus et des groupements,
attentatoires aux droits fondamentaux : il y a, au contraire, d'au-
tant plus de raisons d'étendre cette protection à l'Etat que celui-ci
a l'obligation de sauvegarder les intérêts les plus généraux de la col-
lectivité)} (140).

(138) P. DE VISSCHER, «Allocution de clôture», in Les droits de l'homme et les personnes


morales, Bruxelles, Bruylant, 1970, p. 161.
(139) R. ERGEC, op. cit., n" 85. Adde · J. VELU, ''La Convention européenne des droits de
l'homme et les personnes morales de droit public», in Miscellanea W.J. Ganshof van der Meersch,
Bruxelles, Bruylant, 1972, t. II, p. 589.
(140) J. VELU et R. ERGEC, op. cit., n" 86.
LES DROITS DE L'HOMME 277

L'arrêt de la Cour d'arbitrage n° 18/90 du 23 mai 1990 s'inscrit dans cette


perspective. Appelée à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi du 9 août
1988, dite loi de pacification communautaire, la Cour observe que les règles édic-
tées <<en matière électorale>> font partie d'<< un ensemble complexe de règles
visant à assurer la pacification dans les rapports entre les Communautés fla-
mande et française prises dans leur ensemble >>. La Cour ajoute : << En dotant
Comines-Warneton des mêmes règlements que Fourons, le législateur a entendu,
dans le souci de réaliser un équilibre communautaire, établir un système instau-
rant une égalité de traitement entre une commune de la frontière linguistique
de la région de langue française et une commune de la frontière linguistique de
la région de langue néerlandaise >>.

268. - A la différence des droits qui reviennent aux individus,


les droits qui profitent aux personnes morales peuvent paraître res-
treints. Ceci tient à la nature de certains de ces droits et au statut
particulier de ces personnes juridiques.
Certains droits ne peuvent être revendiqués que par les seuls indi-
vidus pris ut singuli : le droit à la vie, le droit au mariage, le droit
à une vie familiale ... D'autres pourront être exercés tant par la per-
sonne physique que par la personne morale : liberté d'expression,
liberté d'enseignement, liberté d'association, liberté des cultes ...
Encore faut-il, comme l'a rappelé P. DE VISSCHER, tenir compte
de deux principes qui dominent la matière de la capacité des per-
sonnes morales (141).
Le premier est le principe de spécialité : la personne morale ne
possède de droits que s'ils sont nécessaires à la réalisation de son
objet social. A ce point de vue, les droits de la personne morale s6nt
toujours des droits particuliers, alors que ceux de l'individu sont
absolus.
Le second principe est celui de l'effet utile : la personne morale
possède - de plein droit et sauf disposition contraire - tous les
droits nécessaires ou inhérents à la réalisation de son objet social.
La personne morale est une personne instrumentale. Sa constitution
requiert qu'elle ait les moyens de réaliser les fins pour lesquelles elle
a été aménagée.
269. - Qui est débiteur des droits de l'homme?
La Constitution entend protéger les citoyens contre l'arbitraire
des autorités publiques. Les pouvoirs constitués sont les débiteurs
immédiats des droits de l'homme.

(141) P. DE VISSCHER, op. cil., p. 162.


278 LES CITOYENS

Mais les individus ne sont-ils pas également débiteurs de ces


droits? N'y a-t-il pas place pour <<une protection de l'individu
contre l'arbitraire public mais aussi pour une protection contre l'ar-
bitraire privé qui n'est pas moins redoutable>> (142)?
270. ~ Les droits fondamentaux lient, au premier chef, les auto-
rités exécutives et administratives, à l'égard desquelles se manifeste
la plus grande méfiance. L'usage des prérogatives de puissance
publique est soumis au respect des garanties élémentaires de l'Etat
de droit. Ainsi, par exemple, les autorités chargées du maintien de
l'ordre ne peuvent, dans l'exercice de cette fonction, attenter aux
libertés publiques que dans le respect des prescriptions de la Consti-
tution et des conventions internationales ( 143).
Les droits fondamentaux lient également le législateur ~ fédéral
ou fédéré ~ . La Constitution s'en remet à lui afin qu'il prolonge
son œuvre en aménageant les droits qu'elle consacre. C'est l'idée de
la protection des droits par la loi. Mais la Constitution lui impose
aussi de respecter ces droits à travers l'œuvre législative. Ainsi est-il
notamment tenu de veiller, en toute matière, à l'égalité entre les
citoyens. L'idée de la protection des droits contre la loi, longtemps
tenue en échec par le mythe de l'infaillibilité du législateur, est
concrétisée aujourd'hui par l'émergence de la justice constitution-
nelle.
Le juge ~ judiciaire, administratif et constitutionnel ~ auquel
revient la tâche de sanctionner le respect des droits par les autres
pouvoirs est lui-même tenu de se soumettre aux prescriptions
constitutionnelles en matière de libertés publiques. Ainsi, la fonc-
tion juridictionnelle est-elle encadrée par les principes de la légalité
des infractions, des poursuites et des peines et par les garanties du
procès équitable. Ces obligations s'analysent comme << des règles de
fond dont les principes s'imposent tant à l'Etat fédéral qu'aux com-
munautés et aux régions>> ( 144).
271. ~ Les droits fondamentaux génèrent des obligations d' abs-
tention à charge des pouvoirs publics. Ceux-ci ne peuvent se livrer
à des ingérences dans la sphère de liberté que la Constitution et les

( 142) J. RIVERO, <<Rapport de synthèse>>, in Cours constitutionnelles européennes et droits fon-


damentaux, Paris, Economica, Aix-en-Provence, P.U.A.M., 1982, p. 523.
(143) R. ERGF:c, J. VF.LAF.RS, J. SPRF.UTELR, L. DuPONT et R. ANDERSEN, Maintien de l'ordre
et droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1987.
(144) T. STIEVENARD, «Les droits de l'homme» in La Belgique fédérale ... , p. 431.
LES DROITS DE L'HOMME 279

conventions ménagent autour de l'individu, de ses proches, de ses


biens, de ses opinions, de ses activités.
En ce qui concerne les droits économiques, culturels et sociaux,
les mêmes pouvoirs sont tenus à une obligation de standstill. <<Il ne
serait, en tous cas, pas admissible que les (différents) législateurs
adoptent des dispositions restrictives dans les matières visées à l'ar-
ticle 23 de la Constitution~> (145).
Les pouvoirs publics assument, en outre, des obligations de pres-
tation, qui consistent essentiellement à promouvoir l'effectivité des
droits fondamentaux. Il appartient à l'Etat et à ses composantes de
créer les conditions d'exercice concret des libertés publiques et de
poursuivre la réalisation progressive des droits économiques, cultu-
rels et sociaux, en adoptant les mesures législatives qui s'imposent
et en dégageant les moyens financiers requis.
272. ~ Selon la doctrine de la Drittwirkung, les droits de
l'homme devraient être appliqués aux relations entre les individus.
Ainsi, chaque particulier ( 146) serait tenu, en raison de la protection
constitutionnelle et internationale du droit à la vie privée, de res-
pecter l'intimité de ses semblables.
L'idée est <<féconde et généreuse~> ( 14 7). Est-elle pour autant
convaincante (148)?
Préconiser l'application immédiate des droits fondamentaux dans
les relations de droit privé revient à considérer que l'autorité publi-
que peut être tenue d'adopter des << mesures visant au respect (de
ces droits) jusque dans les relations des individus entre eux~> ( 149).

(145) P. LAMBERT, «La mise en œuvre juridictionnelle des droits économiques, sociaux et
culturels"· in Les droits économiques, sociaux et culturels ... , p. 116.
(146) Ou groupe de particuliers: l'on pense notamment aux partis politiques, aux entreprises,
aux syndicats, aux églises, aux écoles ..
(147) M. A. EISSEN, <<La Convention européenne des droits de l'homme et les obligations de
l'individu une mise à jour ll, in René Cassin Amicorum discipulorumque Liber, t. III, Paris,
Pedone, 1971, p. 162. Voy. égal., du même auteur,« The European Convention in Human Rights
and the duties of the individual ~~. Acta Scandinavia Juris Gentium, 1962, pp. 230-253.
(148) La doctrine belge est partagée sur cette question. Voy. not. K. RIMANQUE, De toepasse-
lijkheid van de grondrechten in private verhoudingen, Anvers, Kluwer, 1982. En faveur de la Dritt-
wirkung, voy. J. VELU et R. ERGEC, op. cit., p. 75; D. SPIELMANN, L'effet potentiel de la Conven-
tion européenne des droits de l'homme entre personnes privées, Bruxelles, Bruylant, 1995. A l'op-
posé, voy. F. RwAux, La protection de la vie privée et des autres biens de la personnalité, Bruxelles,
Bruylant, Paris, L.G.D.J., 1990, pp. 675 s.; In., «Le droit successoral des enfants naturels
devant le juge international et le juge constitutionnel : obs. sous C.E.D.H., 29 novembre 1991,
arrêt Vermeire c. Belgique>~, R.T.D.H., 1992, pp. 211-226.
(149) C.E.D.H., 26 mars 1985, arrêt X. et Y. c. Pays-Bas.
280 LES CITOYENS

L'<~ obligation de faire >> mise à charge de l'autorité générerait, du


même coup, des droits au profit des individus.
Comme l'explique F. RIGAUX, à propos du droit à la vie privée,
<~ déduire de l'article 8 de la Convention (européenne des droits de
l'homme) un devoir positif de l'Etat en ce qui concerne la manière
de régler les rapports juridiques privés, c'est reconnaître que ceux-ci
ne sont pas soustraits au domaine matériel de la Convention; ils y
pénètrent seulement sous la forme d'une obligation de faire mise à
charge de l'Etat>> (150). Il n'y a pas, poursuit-il <~d'appréhension
immédiate d'une situation de droit privé>> (151).
Les droits garantis par la Constitution et par les conventions doi-
vent être transposés dans les lois applicables aux relations de droit
privé. Les mesures adoptées peuvent consister dans la sanction
pénale de comportements attentatoires aux droits d'autrui (152).
Elles peuvent aussi résulter de l'adoption de normes impéra-
tives (153).
Les droits fondamentaux pénètrent également le droit privé par
la médiation de concepts, tels l'ordre public et les bonnes mœurs,
que le particulier doit respecter lors de la passation d'un acte juridi-
que privé.
Une clause contractuelle qui ne respecterait pas les droits d'un tiers doit être
considérée comme illicite et mérite d'être écartée d'office par le juge. Tel serait
par exemple le sort d'un contrat par lequel un détective s'engagerait à s'immis-
cer dans la vie privée d'un tiers. L'inaliénabilité des droits fondamentaux pré-
vaut sur l'autonomie de la volonté. L'ordre public s'oppose aussi à ce qu'une
partie à un acte renonce à ses propres droits (154). Une clause de célibat insérée
dans un contrat de travail devrait, par exemple, être annulée.

273. - Quel aménagement le législateur donne-t-il aux libertés?


Les dispositions du titre II de la Constitution sont concises. La
proclamation solennelle des libertés leur confère les garanties de per-
manence et de suprématie que la loi fédérale ou fédérée ne peut leur
offrir. La formulation précise et pragmatique de la plupart d'entre
eux assure leur applicabilité immédiate. Mais la Constitution n'est

(150) F. RIGAUX, «Le droit successoral... •>, op. cit., p. 217.


(151) Ibid.
(152) M. VERDUSSEN, Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal ... , pp. 314 s.
(153) E. WILLEMART, ''Le respect du droit à la vie privée dans les relations entre l'assureur
et le candidat-assuré>>, in Liber Amicorum Hubert Claassens, Anvers, Maklu, Bruxelles, Bruylant,
1998, pp. 291-301.
(154) O. DE ScHUTTER, '' Epidémie du sida et droits de l'homme •>, R.T.D.H., 1994, sp. pp. 78-
80.
LES DROITS DE L'HOMME 281

pas nécessairement la norme la plus appropriée pour aménager


l'exercice concret des droits et libertés. La définition constitution-
nelle des droits fondamentaux trouve son prolongement naturel
dans leur aménagement législatif.
Le législateur - fédéral, communautaire ou régional - assume
l'obligation de garantir le respect des droits et libertés et· d'adopter
les mesures susceptibles d'en favoriser la jouissance concrète. Ceci
est vrai aussi bien pour les libertés dites << de la première généra-
tion>> (155), que pour les droits économiques, sociaux et culturels.
Le législateur dispose, à cet effet, d'un pouvoir de libre initia-
tive (156). La Constitution, qui n'ignore ni les enjeux, ni les dangers
de cet aménagement, formule cependant un certain nombre de
recommandations.
274. - La Constitution invite formellement la loi fédérale, le
décret ou l'ordonnance à garantir certains droits. Les recommanda-
tions formulées aux articles 11, 22, 23 et 24 sont porteuses d'une
double signification.
Elles doivent, d'abord, être entendues en termes d'attribution de
compétence. La Constitution confie aux différents législateurs le
pouvoir d'aménager les droits qu'elle consacre. En ce sens, elle
confirme la compétence de principe du législateur fédéral et, le cas
échéant, elle l'étend aux législateurs de communauté et de région.
Ces mêmes dispositions doivent, également, être comprises en
termes de contrainte. La Constitution ne s'en remet pas à l'initia-
tive des législateurs. Elle leur rappelle l'obligation de participer,
chacun pour ce qui le concerne, à l'aménagement des droits définis
aux articles 11, 22, 23 et 24. L'expression de cette contrainte est,
semble-t-il, motivée par différentes préoccupations.
Il s'agit d'exhorter le législateur.<< Chacun a le droit de mener une
vie conforme à la dignité humaine >>; il convient qu'à cette fin, la loi,
le décret ou l'ordonnance <<garantissent, en tenant compte des obli-
gations correspondantes, les droits économiques, sociaux et cultu-
rels>>.

(155) La liberté des éditeurs de presse, par exemple, est favorisée par l'aide financière des
pouvoirs publics.
(156) La loi du 24 mai 1921 garantissant la liberté d'association complète, par exemple, l'ar-
ticle 27 de la Constitution, sans que le législateur n'ait été expressément invité à intervenir en
ce sens.
282 LES CITOYENS

Il s'agit aussi d'orienter le législateur. L'article 11 de la Constitu-


tion consacre le principe de non-discrimination. Il précise qu'<< à
cette fin, la loi et le décret garantissent notamment les droits et
libertés des minorités idéologiques et philosophiques>> (157).
L'insistance de la Constitution peut être source d'ambiguïté. L'ar-
ticle 22 de la Constitution consacre le droit à la vie privée et fami-
liale mais ajoute que la loi, le décret ou l'ordonnance <<garantissent
la protection de ce droit >>. Ce << souci du détail >> ( 158) a le mérite de
mettre en évidence la nécessité de garanties légales complémentaires
et de consacrer la compétence des communautés et des régions en
la matière. Il a pour effet pervers de << laisser accroire qu'en l'ab-
sence d'interventions législatives, cet article ne peut avoir aucun
effet immédiat>> (159).
275. - La Constitution évoque encore la possibilité, pour le
législateur fédéral, de <<régler l'exercice>> d'une liberté publique.
L'article 26, alinéa premier, affirme que <<les Belges ont le droit de
s'assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois
qui peuvent régler l'exercice de ce droit, sans néanmoins le sou-
mettre à une autorisation préalable >>.
Cette disposition ne doit pas être entendue en termes d'habilita-
tion. Elle rappelle la compétence exclusive du législateur fédé-
ral ( 160). Elle encadre surtout les pouvoirs qui lui sont concédés :
l'exercice du droit de réunion ne peut être soumis à une autorisation
préalable.

B. - La limitation des libertés


276. - Comment empêcher que la liberté de l'un ne s'exerce au
détriment de la liberté de l'autre? Comment éviter que l'usage de
la liberté ne porte préjudice aux intérêts généraux dont les autorités
publiques ont la charge?
La question qui est ainsi posée concerne essentiellement l'exercice
des libertés classiques - mais il faudrait peut-être se demander

(157) Le législateur fédéral a rempli ce mandat en adoptant la loi du 16 juillet 1973 garantis-
sant la protection des tendances idéologiques et philosophiques. Mon. b., 16 octobre 1973.
(158) M. VERDUSSEN et A. NoEL, <• Les droits fondamentaux et la réforme constitutionnelle de
1933 >>, A.P. T., 1994, p. 130.
(159) Ibid.
(160) En l'occurrence, la Constitution confie cependant d'importantes compétences aux com-
munautés en matière d'emploi des langues (Const., art. 129).
LES DROITS DE L'HOMME 283

dans quelle mesure le fait pour l'individu de revendiquer le droit à


des avantages sociaux, économiques et culturels peut aussi porter
atteinte aux droits d'autrui ... - . La Constitution apporte à cette
question des réponses nettes. Elle met en œuvre un système que l'on
qualifie d'ordinaire de << répressif f). Il se fonde sur deux principes
essentiels.
Premier principe. L'individu est habilité à user - sans contrainte
et sans intervention préalable de l'autorité publique - de la liberté
que la Constitution lui reconnaît et dont les lois et règlements ont
arrêté les contours. Nombre de dispositions constitutionnelles
témoignent de cette préoccupation. Non seulement parce qu'elles
affirment avec vigueur les principes les plus essentiels en la
matière - la presse est libre, l'emploi des langues usitées en Bel-
gique est libre ... - mais aussi parce qu'elles cherchent à prémunir
les individus contre l'emprise du pouvoir - la censure ne pourra
être établie, le cautionnement ne pourra être exigé, l'exercice du
droit de manifester ne pourra être soumis à << autorisation préa-
lable f> •.. - •
Deuxième principe. La Constitution subordonne l'exercice de la
liberté au respect des lois civiles et pénales. Elle l'assujettit aussi au
respect des règlements qui commandent la matière et qui sont, à
leur tour, assortis de sanctions pénales. Elle légitime donc la répres-
sion des infractions commises <<à l'occasion de l'usage de ces
libertés f>. Elle permet que soient réparés les dommages que l'usage
fautif des libertés a pu provoquer.

277. - L'organisation du système répressif s'inscrit dans le


droit fil de la tradition libérale. Il respecte le partage d'attributions
entre le législateur et le juge. Il << garantit f>, comme le note l'ar-
ticle 14, la liberté de l'individu. Il prend appui sur l'ensemble des
règles qui apportent aux individus la sécurité juridique et la sécurité
physique.
Le brevet de libéralisme que s'accorde le système répressif est-il
justifié? Une réponse affirmative doit être assortie au minimum de
trois nuances.
Premièrement, dans un régime constitutionnel qui fait de la défi-
nition préalable des infractions une condition essentielle de bonne
justice, l'individu n'agit jamais que sous la menace de lois et de
règlements. Ceux-ci peuvent être envahissants. Les restrictions
284 LES CITOYENS

qu'ils apportent à l'exercice des libertés peuvent paraître rigou-


reuses. A la limite, tout usage de la liberté est constitutif d'infrac-
tion ou de faute. Dans cette perspective, le système répressif cède
la place à un système oppressif.
Deuxièmement, le système répressif ne va pas sans un dosage
équilibré des infractions et des sanctions. Les peines doivent, elles
aussi, faire l'objet de définitions préalables. Mais comment agir dans
la peur et sous la menace de sanctions qui, à leur tour, pourraient
paraître excessives ?
Troisièmement, les vertus du système répressif reposent sur les
épaules de ceux qui poursuivront avec plus ou moins d'assiduité les
infractions, sur celles des juges qui infligeront avec plus ou moins
de rigueur les sanctions. En la matière, les dispositions de la loi
pénale, comme celles de la loi civile, laissent à l'autorité une marge
importante d'appréciation.
Plusieurs inconnues subsistent. Comme l'écrit J. RocHE, si le sys-
tème répressif est préférable à un système préventif de limitation
des libertés, c'est uniquement parce que celui-ci n'empêche pas
celui-là. Dans la seconde hypothèse, rien n'interdit au pouvoir de
limiter, avant comme après, l'exercice des droits de l'homme, alors
que le système répressif est exclusif d'une intervention a priori des
autorités publiques.

C. ~ Les risques des libertés

278. ~ En permettant à l'individu d'user de sa liberté ~ sans


autres conditions que celles qui, au préalable, sont arrêtées de
manière générale et abstraite ~ et en réservant au seul juge la pos-
sibilité de réprimer a posteriori les abus et les excès qui ont été com-
mis, les pouvoirs publics ne prennent-ils pas des risques excessifs?
N'exposent-ils pas les autres individus, les groupes, la société tout
entière à des dangers qui, pour n'avoir pas été écartés à temps,
pourraient causer des troubles excessifs ou être difficilement répa-
rables? Le mieux n'est-il pas, une fois encore, de prévenir plutôt
que de guérir, c'est-à-dire plutôt que de réprimer et d'obliger à répa-
rer?
Le danger du régime préventif est évident. Des autorités publi-
ques timorées s'abstiendront de prendre le moindre risque. Mal ins-
pirées ou maladroites, elles multiplieront les entraves ou les
LES DROITS DE L'HOMME 285

contraintes. Mal intentionnées, elles tireront parti de la faculté qui


leur est offerte de prémunir la société de tout danger pour prohiber
l'usage normal de la liberté.
La Constitution n'a pu s'empêcher de procéder à ce calcul de ris-
ques. Elle choisit délibérément- on l'a déjà précisé- la cause de
la liberté. Elle proscrit l'instauration d'un système préventif.
<<Toute mesure préventive est interdite>>, note l'article 24, alinéa 1er,
en matière d'enseignement. Mais la leçon est générale : la<< censure>>
ne pourra être établie, le << cautionnement >> ne pourra être exigé,
l'<< intervention >> de l'Etat est interdite en matière d'organisation
des Eglises, des << autorisations préalables >> ne pourront brider la
liberté de manifester, <<aucune mesure préventive>> ne pourra affec-
ter le droit de s'associer, << nulle autorisation préalable >> n'est requise
pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics ...
279. - Une hypothèse, cependant, retient l'attention de la
Constitution. Elle est inscrite dans son article 26, alinéa 2. L'exer-
cice du droit de réunion n'est soumis à aucune mesure préventive,
précise l'article 26, alinéa Pr. Il n'empêche. <<Cette disposition ne
s'applique point aux rassemblements en plein air qui restent entiè-
rement soumis aux lois de police >>. Les bases d'un système préventif
sont ainsi jetées. Deux principes le commandent.
D'abord, le système préventif représente l'exception. Le système
répressif, lui, constitue la règle. En dehors des hypothèses prévues
au texte, la règle de liberté doit prévaloir; seuls les abus sont punis-
sables. Force est d'observer, cependant, que le juge a donné à l'ar-
ticle 26, alinéa 2 de la Constitution une interprétation extensive.
Interrogé sur la question de savoir si seule la liberté de rassemble-
ment pouvait être affectée de mesures préventives ou si, au
contraire, toute liberté lorsqu'elle se manifeste <<en plein air>> pou-
vait faire l'objet de pareil régime, il n'a pas hésité, dès la fin du
XIXe siècle, à choisir la seconde solution. Développant en la
matière une interprétation par analogie, il a précisé que, même là
où la Constitution paraissait pourtant mettre à l'abri de l'interven-
tion du pouvoir l'exercice public d'une liberté (voy. art. 19), l'auto-
rité administrative disposait de la compétence générale d'imposer
des mesures préventives. Aucune des libertés n'y échappe, << quel
que soit par ailleurs son régime>> (161).

(161) J. RIVERO, op. cit., t. l"', p. 190.


286 LES CITOYENS

Ensuite, le système préventif ne peut affecter une liberté que si celle-


ci est appelée à s'exercer sur la voie publique.
Les mesures de police ne concernent que les libertés qui s'exercent
<<en plein air>> (Ûonst., art. 26, al. 2), <<dans les rues, lieux et édifices
publics>> (décret du 14 décembre 1789, art. 50 in fine) , <<dans les
rues, quais, places et voies publiques>> (décret des 16-24 août 1790,
art. 2, 1°) (N.L.C., art. 135, § 2, al. 2, 1°), <<dans les lieux d'assem-
blée publique>> (idem, art. 30, 2°) (décret des 16-24 août 1790,
art. 30, 2°), ou encore << dans les endroits où il se fait de grands ras-
semblements d'hommes, tels que foires, marchés, réjouissances et
cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux
publics>> (idem, art. 30, 3°).
La destination naturelle de la rue - et de ses dépendances ~ est
de permettre le passage normal, commode et tranquille. Cette fina-
lité ne peut être préservée que si l'autorité de police s'attache à évi-
ter les encombrements et les tumultes. Mais comment y parvenir
sans mettre sous tutelle les libertés qui choisissent précisément la
voie publique pour lieu d'expression?
L'on s'interrogera sans doute sur le bien-fondé de cette concep-
tion dans les villes modernes qui, par la force des choses, sont engor-
gées, bruyantes et polluées. L'on se demandera aussi si cette vision
bourgeoise de la vie sociale - la liberté à domicile - n'est pas,
pour une part, dépassée par l'évolution des mœurs et des habitudes
de société : les rues et les places peuvent être lieux de rencontre plus
qu'occasions de passage; l'agora peut être élément de liberté plus
que facteur de désordre (162).
Les << grands rassemblements >> sur la voie publique peuvent gêner
la circulation des hommes et des voitures. Ils peuvent aussi exposer
l'autorité à perdre le contrôle de la rue. Ce danger ne pourra être
évité que si la liberté qui peut guider la foule - la liberté des cultes
pour une procession ou un pèlerinage, la liberté d'opinion pour un
cortège politique ... - est mise temporairement sous contrôle pré-
ventif. Ce raisonnement - on le voit - n'est valable que pour les
seuls rassemblements qui, par leur importance, constituent une
menace sérieuse pour l'ordre public.

(162) A ce sujet, voy. les observations de K. RIMANQUE ( «De vrijheid van expressie op stra-
ten en pleinen », T.B.P., 1978, no 1, pp. 7 à 24).
LES DROITS DE L'HOMME 287

280. - Le système préventif permet de soumettre l'exercice des


libertés publiques aux <~ lois de police >>.
L'expression qu'utilise la Constitution a pu paraître ambiguë. Les
mesures préventives ne sont pas l'œuvre, en effet, du législateur.
Elles émanent de l'autorité administrative. Celle-ci agit même, en
l'espèce, en dehors de toute habilitation de la loi. Elle intervient en
vertu d'une mission qui lui revient en propre : assurer le maintien
de l'ordre public.
Si la Constitution renvoie à la loi, fédérale, en l'occurrence, c'est
parce que celle-ci s'est attachée à définir les conditions mêmes de
l'intervention de police; c'est aussi parce qu'elle a pu, dans certains
cas, énumérer les mesures que l'autorité administrative était habili-
tée à prendre.
281. - Les conditions ? La police administrative se donne un
objet : prévenir, mais aussi réprimer à l'occasion - par des actes
matériels-, les perturbations à l'ordre public (163). La loi fédérale
s'est attachée à circonscrire cette finalité fort vague. <~Faire jouir les
habitants des avantages d'une bonne police>>, précise l'article 135,
§ 2, N.L.C. (164), c'est leur assurer notamment le bénéfice <~de la
propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les
rues, lieux et édifices publics>> (165).
La précision est importante. Les pouvoirs de police ne sauraient
traduire l'exercice d'une compétence arbitraire.
S'il y a place pour une appréciation discrétionnaire, celle du choix
du moment pour agir, par exemple, il ne saurait s'agir pour l'auto-
rité de police de mettre en œuvre ses attributions en dehors des
prescriptions - de forme et de fond - que la loi lui impose.
Il lui appartient notamment de tenir compte des circonstances de
fait qui justifieront - en l'espèce et non de manière générale - le
recours aux mesures préventives; il lui appartient de procéder à une

(163) C. GAMBIER, op. cit., p. 380.


(164) Voy. aussi le décret du 22 décembre 1789 relatif à la constitution des assemblées pri-
maires et des assemblées administratives, art. 2, le décret des 16-24 août 1790 sur l'organisation
judiciaire, art. 3, et la loi du 6 mars 1818 concernant les peines à infliger pour les contraventions
aux mesures générales d'administration intérieure ainsi que les peines qui pourront être statuées
par les règlements des autorités provinciales ou communales.
(165) Sur la notion d' «ordre public>>, voy. dans l'affaire dite des <<jack-pots», Cass., 4 mars
1974, Pas., I, p. 681; C.E., n" 17375 à n" 17380, 15 janvier 1976, Union belge de l'automatique et
consorts, J.T., 1977, p. 6, note C. DAUBIE ; adde :A. VANWELKENHUYZEN et A. VAN SoLINGE,
«Du contrôle des motifs des actes administratifs», A. P. T., 1976-1977, p. 77.
288 LES CITOYENS

analyse de proportionnalité entre la menace du danger et l'ampleur


des moyens qu'elle s'apprête à utiliser pour le combattre; il lui
appartient encore d'éviter de prendre des mesures qui, par nature,
paraîtraient excessives, eu égard aux libertés auxquelles elles vont
porter atteinte.

282. - Les mesures ? Elles se situent dans une gradation qui


témoigne de la volonté croissante de l'autorité administrative d'in-
tervenir avant même que l'individu n'ait usé de sa liberté.
Le régime de la déclaration préalable oblige celui qui compte user
de ses droits à remplir une formalité, à savoir informer l'autorité
administrative de ses intentions. Il permet à l'autorité de prendre
toute mesure utile aux fins d'éviter le désordre. Il lui permet aussi
de procéder, en connaissance de cause, à la constatation des infrac-
tions qui seraient éventuellement commises lorsque les intentions
auront été traduites en actes.
C'est ainsi qu'une ordonnance de police communale peut faire
obligation à qui souhaite distribuer des tracts sur la voie publique
d'en avertir l'autorité administrative, voire de lui remettre un
exemplaire de pareil écrit.
Le régime de l'autorisation préalable, auquel la Constitution fait
référence dans ses articles 26 et 31, confère à l'autorité administra-
tive un rôle moins passif. Il oblige celui qui entend user de sa liberté
à en demander le bénéfice à l'autorité. Il permet à celle-ci d' accor-
der ou de refuser l'autorisation. Il lui permet aussi d'assortir cette
autorisation de conditions - une manifestation se verra autorisée
en tel lieu, à tel moment, moyennant telles garanties ... - . Il lui
permet encore de préciser que le non-respect des conditions pres-
crites emporte retrait automatique de l'autorisation qui a été initia-
lement accordée. Il lui permet toujours de provoquer la répression
des infractions commises dans le cadre de ce régime de liberté sur-
veillée.
C'est ainsi que des règlements généraux de police font obligation
à qui souhaite organiser une manifestation sur la voie publique de
solliciter au préalable l'autorisation de manifester. C'est un véri-
table consentement de l'autorité publique qu'il faut obtenir.
Le régime de l'interdiction préalable - que vise implicitement l'ar-
ticle 26 de la Constitution - laisse à l'autorité administrative plus
d'initiative encore. Sans être sollicitée ou alertée par l'individu,
LES DROITS DE L'HOMME 289

l'autorité de police prohibe l'usage d'une liberté parce qu'elle craint


les incidents qu'elle ne saurait maîtriser, parce qu'elle n'est pas
assurée en la circonstance de pouvoir maintenir l'ordre.
Cette interdiction peut être totale - toute réunion, tout spec-
tacle ... - ou partielle - tout rassemblement de plus de cinq per-
sonnes, toute réunion publique durant un week-end ... - ; elle ne
saurait, cependant, être permanente et générale, à peine de porter
définitivement atteinte à la liberté des individus.
C'est ainsi que le collège des bourgmestre et échevins, investi -
en vertu de l'article 130 N.L.C. -de la responsabilité d'assurer la
police des spectacles, peut, << dans des circonstances extraordinaires,
interdire toute représentation pour assurer le maintien de la tran-
quillité publique •>.
283. - Les droits et libertés peuvent-ils faire l'objet de régimes
dérogatoires ?
La Constitution ne connaît pas d'exception générale au régime
des libertés publiques : elle ne prévoit pas de restriction à l'encontre
des groupements liberticides; elle ne prévoit pas non plus d'état
dérogatoire aux droits et libertés ( 166). Au contraire, elle précise, en
son article 187, que << la Constitution ne peut être suspendue en tout
ou en partie>>. Les droits ne peuvent donc, en principe (167), être
suspendus ni en cas de guerre, ni dans d'autres circonstances excep-
tionnelles ( 168).
En revanche, la Constitution autorise le législateur à assortir cer-
tains droits d'exceptions particulières. Elle recourt, pour ce faire à
des habilitations expresses : la Constitution garantit la liberté indi-
viduelle, mais autorise les poursuites dans les cas prévus par la loi,
et dans la forme qu'elle prescrit (169); elle consacre l'inviolabilité du
domicile, mais autorise les visites domiciliaires << dans les cas prévus
par la loi et dans la forme qu'elle prescrit •> (170); elle proclame le
respect de la vie privée et familiale << sauf dans les cas et conditions

(166) Au contraire de l'article 15 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui


autorise les Etats parties, << en cas de guerre ou en cas d'antre danger public menaçant la vie de
la Nation», à <<prendre des mesures dérogeant aux obligations» que la Convention met à leur
charge.
(167) Un arrêté-loi du Il octobre 1916 relatif à l'état de guerre et à l'état de siège permet
pourtant des dérogations à certaines libertés constitutionnelles.
(168) Voy. R. ERGEC, op. cit., p. 50.
(169) Const., art. 12, al. 2.
(170) Const., art. 15.
290 LES CITOYENS

fixés par la loi)) (171). La plupart des droits fondamentaux sont sus-
ceptibles de faire l'objet de telles dérogations.
Par contre, la Convention européenne des droits de l'homme et le
Pacte sur les droits civils et politiques limitent, quand ils les autori-
sent, les restrictions dont peuvent être affectés les droits qu'ils
reconnaissent ( 172).

§ 2. - La garantie des libertés

A. - Les garanties politiques


284. - Le juriste prend souvent plaisir à déplorer l'inadéqua-
tion du droit positif aux faits. La règle de droit, figée et dépassée,
serait perpétuellement en retard sur une réalité en changement per-
manent. Dans la matière des droits de l'homme, pourtant, le ton
change. L'inadéquation subsiste. Mais ce sont les faits, cette fois,
qui ne correspondent pas aux promesses du droit.
En cause, l'attitude des autorités publiques qui, aux prises avec
les nécessités de l'action quotidienne, peuvent être enclines à corn-
mettre quelque << bavure )). En question aussi, le comportement des
individus et des groupes qui ont tendance à penser que la liberté
s'affirme d'elle-même et qu'elle n'a pas à être défendue dans le
concret. En discussion encore, les positions des uns et des autres qui
montrent peu d'enthousiasme à donner aux nouveaux droits de
l'homme un contenu effectif.
Il faut combattre les abus. Il faut vaincre les inerties. Le droit
public apporte à cette cause l'ensemble des techniques du système
politique. Elles peuvent être utilement mises en œuvre au service
des libertés. On en relève ici quelques-unes.
Une liberté, d'abord, peut venir au secours d'une autre liberté. La
cause des libertés est indissociable. Les libertés instrumentales ser-
vent - on l'a indiqué - à promouvoir les droits de l'homme dont
l'existence pourrait être compromise. La liberté de la presse est uti-

(171) Coust., art. 22. Voy. égal. Coust., art. 10, al. 2, 11, 14, 16, 21, al. 2, et art. 32.
(172) Ces restrictions doivent être nécessaires, dans une société démocratique, pour préserver
les intérêts limitativement énumérés par la Convention. Voy. les art. 8, 9, 10 et 11, § 2, de la
Convention européenne des droits de l'homme. Le Pacte sur les droits civils et politiques prévoit
des limitations similaires au pouvoir du législateur.
LES DROITS DE L'HOMME 291

lisée pour assurer le respect du droit; la liberté d'association sert à


constituer des groupes de pression qui réclament la censure des vio-
lations commises. Toutes ces démarches ~ individuelles ou collec-
tives ~ présentent un trait commun : elles s'inscrivent en marge du
fonctionnement des institutions officielles. Mais, dans la mesure où
elles témoignent de manière spontanée des convictions profondes de
l'opinion publique, elles peuvent avoir une influence non négligeable
sur l'action de l'autorité.
L'organisation du système politique, ensuite, peut servir la cause
des libertés. Le principe de la séparation des pouvoirs, même s'il est
compris de manière nuancée, apporte des garanties essentielles. Fai-
sant le départ entre la fonction de légiférer et celle d'administrer,
préservant l'indépendance de la fonction de juger, il contribue ~
par l'ordonnancement des pouvoirs qu'il inspire ~ à sauvegarder les
droits de l'individu. Il ne conduit pas à mettre dans les mêmes
mains ces trois formes d'intervention dans le domaine des droits de
l'homme.
Des techniques particulières du système politique, enfin, contribuent
à défendre les droits de l'homme. Les procédures du contrôle politi-
que de l'action gouvernementale peuvent notamment être utilisées
à cette fin. A titre d'exemple, la conduite d'une enquête parlemen-
taire sur la publicité indirecte dans les instituts de radiodiffusion et
de télévision n'a pu laisser dans l'ombre les problèmes généraux que
soulève la consécration des principes de la liberté d'expression dans
les établissements chargés du service public de la radiodiffusion et
de la télévision ( l 73).
Au niveau des administrations locales qui assument très concrète-
ment la responsabilité du maintien de l'ordre public, les procédures
organisées ~ voire les sanctions politiques ~ paraissent moins effi-
caces. Il n'empêche, l'exercice bien compris d'un contrôle de tutelle,
aux fins de veiller au respect de la loi mais aussi à la sauvegarde
de l'intérêt général (no 395}, peut servir cet objectif.
Autre technique. Des institutions sont créées en marge des pou-
voirs ~ telles la << commission permanente de contrôle linguistique ))
ou la <<commission du pacte culturel))~ . Veillant l'une et l'autre
au respect d'une législation déterminée qui a pu être conçue dans le
prolongement des textes constitutionnels ~ l'article 30, d'une part,

(173) Doc. Parl .• Chambre, 1976-1977, no 1020.


292 LES CITOYENS

l'articles 131, d'autre part - , elles peuvent, par leurs avis, contri-
buer à la défense des libertés publiques.

B. - Les garanties juridictionnelles


285. - L'individu peut n'avoir qu'une confiance limitée dans les
contrôles politiques et administratifs. Les modalités du contrôle,
son objet, les sanctions peuvent laisser à désirer. Comment ne pas
se tourner vers le juge pour obtenir satisfaction ( 174)?
L'intervention du juge revêtira plusieurs modalités. Elles sont tri-
butaires des attentes du justiciable ( 175).
286. - Mis en cause à l'occasion de l'exercice d'une liberté, le
citoyen trouvera un moyen de défense dans l'obligation faite au
juge de <c n'appliquer les arrêtés et règlements qu'autant qu'ils sont
conformes>> au droit. Se fondant sur l'article 159 de la Constitution,
il invoquera l'exception née d'une violation des droits de l'homme
reconnus par la Constitution ou par la Convention européenne des
droits de l'homme. Il invitera le juge à le relaxer ou à déclarer non
fondée l'action intentée contre lui.
287. - Renversant les rôles, le justiciable pourra aussi s'atta-
cher à provoquer la répression d'une infraction qui, commise par un
agent de l'autorité ou par un autre particulier, aurait eu pour effet
de compromettre ses droits.
La répression pénale s'inscrit, pour l'essentiel, dans cette perspec-
tive : les coups et blessures portent atteinte à l'intégrité physique de
la personne, le vol à ses biens, la diffamation à son honneur ... Dans
cette perspective, la répression des infractions que peuvent com-
mettre les agents de l'autorité dans l'exercice de leurs fonctions
prend évidemment une signification particulière. Le Code pénal les
énumère (Livre II, titre IV, art. 233 à 268) et incrimine, en particu-
lier, <c l'abus d'autorité>> (voy. notamment C. pén., art. 257).
Une question particulière est rencontrée à cette occasion par la
Constitution. La répression pénale ne vise jamais les actes de l'auto-
rité qu'à travers ceux de ses agents - subordonnés ou respon-

(174) Voy. M. DRAN, Le contrôle juridictionnel et la garantie des libertés publiques, Paris,
L.G.D.J., 1968, coll. Bibliothèque constitutionnelle et de science politique.
(175) Autre chose est des attentes de l'autorité publique elle-même. Elle provoquera normale-
ment la répression des infractions commises à l'occasion de l'usage des libertés. Elle agira en vue
d'obtenir réparation des dommages qu'elle a subis.
LES DROITS DE L'HOMME 293

sables - . L'autorité ne risque-t-elle pas, dans ces conditions, de


couvrir systématiquement ses agents? Mieux encore : ne va-t-elle
pas, comme sous la Constitution de l'an VIII, leur apporter par
principe sa garantie et subordonner à son autorisation préalable une
action, tant au civil qu'au pénal ?
La Constitution entend faire obstacle à ce système de la garantie
administrative en précisant que << nulle autorisation préalable n'est
nécessaire pour exercer les poursuites contre des fonctionnaires
publics pour faits de leur administration ... >> (art. 31).
288. - Le justiciable peut encore porter le débat sur un autre
terrain. L'action de l'autorité porte atteinte aux droits de l'homme.
Elle est constitutive de faute. Mais, en plus, elle peut être généra-
trice de dommage, matériel ou moral. Rien n'empêche la victime
d'en réclamer réparation. Elle s'adressera normalement aux tribu-
naux civils. En cas de dommage exceptionnel, elle pourra également
solliciter l'intervention de la section d'administration du Conseil
d'Etat (art. ll).
Ici encore, des difficultés surgissent dans la pratique.
La faute commise est-elle celle d'un agent public ou celle de l'au-
torité publique? L'autorité mise en cause peut-elle se retourner
contre l'agent fautif (176)? Il n'empêche que le principe demeure.
Le droit de la responsabilité civile offre à l'individu la possibilité
d'agir pour préserver ses droits.
289. - De manière plus fondamentale encore, le justiciable peut
s'attacher à provoquer la censure d'une loi, d'un décret ou d'une
ordonnance qui méconnaîtrait les articles 10, ll et 24 de la Consti-
tution. Il peut en obtenir l'annulation. A l'occasion d'un litige, il
peut également inviter le juge à poser une question préjudicielle à
la Cour d'arbitrage. Celle-ci prononcera éventuellement un constat
de non-validité de la norme contestée et fera défense au juge de
l'appliquer dans le litige dont il est saisi.
290. - D'autres voies d'action sont encore concevables. L'auto-
rité a pu porter atteinte par des faits aux droits d'un particulier.
Mais elle a pu aussi le réaliser par une décision administrative, de

( 176) Sur la responsabilité de la puissance publique et de ses agents, voyez C. ÜAMBIER, op.
cit., pp. 573 s. Adde : F. DELPÉRÉE, «Problèmes de responsabilité des agents publics dans les
Etats d'Europe occidentale>>, in La responsabilité des fonctionnaires, Paris, Cujas, 1979, p. 151.
294 LES CITOYENS

caractère individuel ou général. Le contentieux de légalité qui se


noue devant la section d'administration du Conseil d'Etat permet à
toute personne << intéressée )) de requérir l'annulation de cette mesure
(lois coord., art. 14). C'est par voie d'arrêt que le Conseil est amené
à censurer, à bref délai, cette violation par l'autorité administrative
des droits de l'homme.
Certes, dans la matière des libertés individuelles, l'intervention du
juge, quelle que soit la forme qu'elle emprunte, est toujours tardive.
Le mal est fait; la réparation ne saurait être qu'imparfaite; la
répression ne saurait donner à la victime entière satisfaction. Mais
la peur de sanctions - même tardives - peut être salutaire. Les
contrôles juridictionnels, s'ils sont suivis d'effet et si l'autorité
consent à se plier à la décision du juge, gardent une indéniable uti-
lité.

C. - Les garanties internationales


291. - Une question subsiste. Si le citoyen cherche à préserver
ses libertés contre l'Etat, peut-il légitimement attendre de ce même
Etat qu'ille protège efficacement et qu'il consente à s'imposer à lui-
même limites et contraintes? Ne doit-il pas chercher ailleurs qu'en
l'Etat une protection réelle? Ne peut-il compter sur un autre Etat
de la communauté internationale ou sur une organisation interna-
tionale pour obtenir cette assistance? Des solutions s'esquissent.
Leur valeur est fonction du degré d'organisation de la société inter-
nationale.
292. - En 1831, la protection internationale des droits de
l'homme se ramène aux stipulations de quelques traités internatio-
naux- comme l'acte final du Congrès de Vienne- qui, dans des
matières particulières, traduisent le souci des Etats d'assurer des
garanties effectives aux droits élémentaires de l'être humain. Les
garanties internationales empruntent également les formes de la
protection diplomatique : un Etat prend alors fait et cause pour
l'un de ses ressortissants lorsque les droits de ce dernier sont mécon-
nus par un Etat étranger.
293. - Depuis 1919, et la création de l'Organisation internatio-
nale du travail, une dimension nouvelle est donnée à la protection
des droits de l'homme- en tout cas de ceux du travailleur- . Une
institution internationale à vocation universelle se préoccupe, en
LES DROITS DE L'HOMME 295

effet, d'établir les normes minimales de la politique sociale. Les


conventions et les recommandations qu'elle adopte accréditent
l'idée que les droits de l'homme peuvent être, sinon protégés, du
moins valablement définis à l'échelle internationale; les Etats res-
tent néanmoins compétents pour prendre les mesures nécessaires à
la mise en vigueur des dispositions arrêtées par l'O.I.T.
294. - A partir de 1945, et la création de l'Organisation des
Nations Unies, le mouvement s'amplifie.
La Charte des Nations Unies fait obligation aux Etats membres
d'agir << tant conjointement que séparément, avec l'organisation en
vue d'assurer le respect universel et effectif des droits de l'homme
et des libertés fondamentales, sans distinction de race, de sexe, de
langue et de religion»>.
Le mouvement s'approfondit, le 10 décembre 1948, par l'adoption
et la proclamation de la << Déclaration universelle des droits de
l'homme»> par l'Assemblée générale de l'O.N.U. (Rés. 217 A III).
Cette déclaration qui, en plusieurs de ses dispositions, n'est pas
dépourvue d'ambiguïté, constitue un instrument important de réfé-
rence. Elle est de nature à <<inspirer la pratique des Nations Unies
et, avec elle, celle de tous les Etats»> ( 177). Elle est, cependant,
dépourvue de valeur juridique dans l'ordre interne.
295. - Le mouvement se concrétise aussi, le 16 décembre 1966,
par l'adoption, au sein de l'Assemblée générale de l'O.N.U., des
<<pactes»> relatifs aux droits civils et politiques, d'une part, aux
droits économiques, sociaux et culturels, d'autre part, ainsi que
d'un protocole facultatif se rapportant au premier de ces pactes.
Les pactes présentent trois singularités par rapport à la Déclara-
tion universelle de 1948.
Ils sont conçus comme des instruments juridiques. Ils contiennent
des règles - de fond et de procédure - qui sont obligatoires pour
les Etats signataires. Ceux-ci s'engagent, en particulier, à prendre
<< les aménagements devant permettre l'adoption de telles mesures
législatives ou autres, propres à donner effet aux droits reconnus »>
(art. 2).
Seconde différence. Les pactes complètent la Déclaration dans la
mesure où les droits proclamés sont mieux précisés et où de nou-

(177) P. REUTER, Institutions internationales, Paris, P.U.F, 1963, p. 83.


296 LES CITOYENS

veaux droits - comme ceux de l'enfant, ceux des minorités, ceux


des peuples à disposer d'eux-mêmes - trouvent ici concrétisation.
Une troisième particularité doit être signalée. Les pactes contien-
nent des dispositions institutionnelles et organisent un système de
contrôle du respect de leurs prescriptions. Un dialogue s'instaure
ainsi par voie de rapports entre les Etats et le << Comité des droits
de l'homme>>. Une information s'échange aussi sur les mesures qui
ont été arrêtées pour donner effet aux droits reconnus dans les
pactes.
Des procédures facultatives peuvent aussi être mises en œuvre :
un Etat peut admettre que le Comité reçoive et examine toute com-
munication d'un autre Etat sur les atteintes portées aux droits de
l'homme; il peut aussi admettre que soit désignée une commission
de conciliation ad hoc aux fins d'aboutir à un règlement amiable du
conflit. Mais force est de constater que rapports et recommanda-
tions qui marquent la fin de la procédure ne s'imposent pas aux
parties concernées.
De son côté, le protocole facultatif habilite également le Comité
des droits de l'homme à recevoir et à examiner, dans certaines
conditions, les communications émanant de particuliers qui se
disent victimes d'une violation d'un des droits reconnus au Pacte
des droits civils et politiques. Sans être en mesure de trancher le
litige, le Comité est habilité à procéder à des enquêtes et à des
concertations.
D'autres conventions ont pu être conclues. Elles se donnent, par
exemple, pour objet l'élimination de toutes les formes de discrimina-
tion raciale, la prévention et la répression du crime de génocide,
l'esclavage, etc.

296. - Depuis 1950, la protection des droits de l'homme s'est


perfectionnée dans des cadres géographiques plus restreints et plus
homogènes que ceux de l'Organisation des Nations Unies.

En Europe, c'est la signature, le 4 novembre 1950, par les Etats


membres du Conseil de l'Europe de la Convention de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales qui marque le moment
le plus significatif. C'est aussi la signature de << protocoles addition-
LES DROITS DE L'HOMME 297

nels >> à la Convention et celle de la Charte sociale européenne, le


28 octobre 1961, à Turin.
La Convention définit de manière précise les droits de l'homme et
les libertés fondamentales - mais ces prescriptions ne diffèrent pas
fondamentalement de celles du titre II de la Constitution - . Elle
s'attache essentiellement à reconnaître les droits individuels, à l'ex-
ception des droits économiques, sociaux et culturels. Elle les énonce
comme autant d'obligations juridiques qui pèsent sur les Etats
signataires de la Convention.
La Convention énonce également les limitations qui peuvent être
apportées au régime des droits de l'homme. Les restrictions qu'elle
prévoit dépassent - et de loin - celles que la Constitution énumère
de son côté. Elles tiennent aux circonstances : la guerre ou le danger
public menaçant la vie de la nation (art. 15). Elles tiennent à la
défense des valeurs qu'une << société démocratique >> est habilitée à
préserver : << la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être
économique du pays, la défense de l'ordre, la prévention des infrac-
tions pénales, la protection de la santé ou de la morale, la protection
des libertés d'autrui>> (art. 8, § 2). Elles tiennent aussi à la préserva-
tion des objectifs mêmes de la Convention : les droits reconnus ne
sauraient conférer à quiconque le droit << de se livrer à une activité
ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou des
libertés reconnus dans la ... Convention>> (art. 17).
La Convention cherche surtout à instaurer la sauvegarde des
droits. A cette fin, elle crée des institutions spécialisées et organise
les procédures pour y accéder.

297. - Instituée en 1959, la Cour européenne des droits de


l'homme est restructurée à partir de 1998, soit à la date d'entrée en
vigueur du protocole no 11. Elle comprend autant de juges qu'il n'y
a d'Etats membres du Conseil de l'Europe (soit quarante et un),
mais plusieurs juges peuvent être nationaux du même Etat. Elle est
divisée en quatre sections. Leur composition doit réaliser un équi-
libre d'un point de vue géographique, juridique - pour tenir
compte des systèmes juridiques en vigueur - et personnel - pour
assurer une représentation des sexes - . Au sein de chaque section,
des chambres de sept membres sont constituées. Le juge élu au titre
de l'Etat concerné y siège de droit.
298 LES CITOYENS

Une Grande chambre est également constituée ( 178). En font par-


tie le président, les vice-présidents, les présidents de section ainsi
que douze autres juges désignés, selon un système de rotation, tous
les neuf mois.
298. - La Cour européenne des droits de l'homme peut être sai-
sie d'une requête individuelle (par un particulier) ou d'une requête
étatique (par l'un des Etats membres). Dans l'un et l'autre cas, il
est fait état d'une violation par l'un des Etats membres de l'un des
droits garantis par la Convention. Il est précisé quel acte est de la
sorte incriminé - loi, règlement, décision administrative, juge-
ment ... - et quelle autorité publique est ainsi concernée.
La chambre saisie se prononce sur la recevabilité de la requête
puis sur le fond de l'affaire. En cours de procédure, la chambre peut
inviter les parties à soumettre des preuves supplémentaires et des
observations écrites.
299. - La Cour statue par voie d'arrêt. Celui-ci n'est définitif
qu'à l'expiration d'un délai de trois mois - qui est ouvert pour
demander le renvoi de l'affaire devant la Grande chambre - ou
avant - si les parties déclarent ne pas utiliser cette procédure ou
si leur demande est rejetée - .
Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe est responsable de
la surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour. Il lui revient
notamment de vérifier si les Etats condamnés pour avoir violé la
Convention prennent les mesures nécessaires pour s'acquitter des
obligations générales ou spécifiques qui résultent des arrêts. Il leur
incombe, en particulier, de s'informer sur les changements législatifs
ou réglementaires qui ont pu être apportés en droit interne ou sur
les satisfactions équitables qui ont été procurées aux demandes des
requérants.
Un besoin d'ordre pourrait s'imposer. Les juges nationaux et les juges interna-
tionaux devraient apprendre à ordonner leurs interventions. Ils gagneraient à
instaurer entre eux un ordre de priorité, logique et chronologique. Pourquoi ces
divers juges ne s'inspireraient-ils pas d'une doctrine simple, celle de la subsidia-
rité 1 Le citoyen se réjouit de voir la Cour européenne des droits de l'homme
n'intervenir que lorsque les voies de droit ont été épuisées dans l'ordre interne.

(178) La chambre saisie peut à tout moment se dessaisir au profit de la Grande chambre. Elle
agit de la sorte lorsque l'affaire examinée soulève une question grave qui porte sur !"interpréta-
tion de la Convention ou lorsque l'examen du litige pourrait conduire à rendre un arrêt qui s'ins-
crirait en contradiction avec un arrêt rendu antérieurement par la Cour.
LES DROITS DE L'HOMME 299

Il s'inquiète lorsque la même Cour entreprend de juger, sur la scène internatio-


nale, ce qui a déjà fait l'objet d'un examen complet dans l'ordre national>>
(F. DELPÉRÉE, «L'Etat et ses juges>>, Revue de l'Académie des sciences morales
et politiques, 2000, n° 2).

BIBLIOGRAPHIE

La matière des droits de l'homme a donné naissance à une littérature juridique


abondante. Il suffira de citer ici les titres les plus importants et de renvoyer, pour
le surplus, à des bibliographies spécialisées.

Quelques ouvrages de synthèse ont été consacrés, spécialement en France, à ce


qu'il est convenu d'appeler, dans les programmes universitaires de ce pays, les
libertés publiques.

On relève tout particulièrement :


J. RIVERO, Les libertés publiques, t. 1, Les droits de l'homme et t. II, Le régime des
principales libertés, Paris, P.U.F, collection Thémis, 1973-1977.

Voyez également :
G. BURDEAU, Libertés publiques, 4e éd., Paris, L.G.D.J., 1972; C.A. CoLLIARD,
Libertés publiques, 6e éd., Paris, Dalloz, 1982; J. MouRGEON, Les droits de l'homme,
Paris, PUF, coll. Que sais-je 1, n° 1728; J. RoBERT, Libertés publiques, Paris, Ed.
Montchrestien, 1971.

On consultera sur les questions particulières de l'égalité :


R. ANDERSEN, <<L'égalité des citoyens devant la loi dans la jurisprudence du
Conseil d'Etat statuant au contentieux de l'annulation>>, R.J.D.A., 1973, p. 81 ;
P. DELVOLVÉ, Le principe d'égalité devant les charges publiques, Paris, L.G.D.J.,
1969; Gelijkheid en non-discriminatie, dir. A. ALEN et M. MELCHIOR, Antwerpen,
Kluwer, 1991; L. INGBER, <<L'égalité en droit ou le droit à l'égalité», J.T., 1979,
p. 313 ; A. MAST, <<Rapport sur les notions d'égalité et de discrimination en droit
belge>>, Travaux de l'Association Henri Oapitant, 1965, t. XIV; Travaux du Centre
de philosophie du droit de l'U.L.B., L'égalité, Bruxelles, Bruylant, vol. 1 et 2.

La sécurité juridique :
Vie privée et droits de l'homme, Actes du troisième colloque international sur la
Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1973; J. VELU,
Le droit au respect de la vie privée, Bruxelles, Larcier, 1974.

La sécurité personnelle :
C.J. VANHOUDT, <<Le droit de perquisition et les atteintes à l'inviolabilité du domi-
cile>>, J. T., 1959, p. 598.

La liberté d'opinion :
F. DELPÉRÉE, <<Libres propos sur la liberté d'expression», A.P.T., 1977-1978,
p. 103; P. VANDERNOOT, «La liberté d'expression dans la fonction publique en Bel-
gique>>, R. T.D.H., 1993.
300 LES CITOYENS

La liberté des cultes :


Ph. I. ANDRÉ-VINCENT, La liberté religieuse, droit fondamental, Paris, Tégùi, 1976;
Ch. BRICMAN, (<L'article 181, § 2, de la Constitution :l'irrésistible puissance des sym-
boles>>, R.B.D.C., 1995, p. 21 ; C. SAGESSER et V. DE CooREBYTER, (<Cultes et laïcité
en Belgique>>, Dossier CRISP, 2000, no 51 ; R. ToRFS, (<Le régime constitutionnel des
cultes en Belgique>>, in Le statut constitutionnel des cultes dans les pays de l'Union
européenne, Paris, Litec, 1995, p. 63; A. VANWELKENHUYZEN, (<Les relations entre
l'Etat et les Eglises>>, Rapports belges au V II' Congrès international de droit comparé,
Bruxelles, Bruylant, 1970, p. 593 ; H. VuYE, (< Hoe gescheiden zijn Kerk en Staat.
Interpretatiemogelijkheden omtrent art. 21 van de Grondwet », Rec. arr. Hof Cass.,
1995, p. 50; H. WAGNON, (<La condition juridique de l'Eglise catholique en Bel-
gique», A.D.S.P., 1964, p. 59.

La liberté de l'enseignement :
J. BouRTEMBOURG, (<L'enseignement et la communautarisation >>, A.P.T., 1988,
p. 183; F. DELPÉRÉE, (<Constitution et enseignement>>, A.P.T., 1989, p. 220; M. LE-
ROY, (<La communautarisation de l'enseignement>>, J.T., 1989, p. 71; J.-J. MASQUE-
LIN, Le droit aux subsides de l'enseignement libre, Bruxelles, Ed. universitaires, 1975;
« Federalisering van het onderwijs >>, T.B.P., 1990; R. WITMEUR, (<La Cour d'arbi-
trage (1989-1995) et le droit de l'enseignement», J.T., 1996, p. 825.

La liberté de la presse et des médias :


M. HANOTIAU, «Le droit à l'information>>, R.T.D.H., 1993, p. 23; ID.,(< La respon-
sabilité en cascade en matière civile», R.C.J.B., 1998, p. 359; F. JoNGEN,(< La liberté
d'expression dans l'audiovisuel : liberté limitée, organisée et surveillée», R.T.D.H.,
1993, p. 95; ID., Le droit de la radio et de la télévision, Bruxelles, De Boeck, 1989;
Médias et service public (dir. F. JoNGEN), Bruxelles, Bruylant, 1992; Prévention et
réparation des préjudices causés par les médias (dir. F. TULKENS et A. STROWEL,
Bruxelles, Larcier, 1998; J. VELAERS, (< Vrijheid en verantwoordelijkheid : twee
grondwettelijke waarden. Enkele beschouwingen over de artikelen 25 en 150 van de
Grondwet) >>, in Justice et médias, Bruxelles, 1995, p. 81.

La liberté de l'emploi des langues :


L. DoMENICHELLI, Constitution et régime linguistique en Belgique et au Canada,
Bruxelles, Bruylant, 1999, coll. Les inédits du droit public; J. FALCH, Contribution
à l'étude du statut des langues en Europe, Presses de l'Université Laval, 1973; P. MA-
ROY, (<L'évolution du régime linguistique belge>>, R.D.P., 1966, p. 449.

Le droit de propriété :
B. LoMBAERT, «La protection juridictionnelle de la propriété pnvee face aux
empiètements de l'administration», R. T.D.H., 1995, p. 33; P. VANDERNOOT, (<La
Cour d'arbitrage et le droit de propriété>>, A.P.T., 1999, p. 200; M. VERDUSSEN et
D. RENDERS, (<Le droit de propriété face aux politiques d'aménagement du terri-
toire. Analyse de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et
de la Cour d'arbitrage •>, Aménagement-Environnement, 1996, p. 195.

La liberté de réunion :
LES DROITS DE L'HOMME 301

L. DuPRIEZ, La liberté de réunion, Bruxelles, 1887 ; G. MALINVERN!, La liberté de


réunion. Etude de droit constitutionnel suisse, Genève, Librairie de l'Université, 1981.

La liberté de manifestation
Maintien de l'ordre et droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1987; K. RIMANQUE
et J. DE JoNGHE, <<De vrijheid van expressie op straten en pleinen •>, T.B.P., 1978,
p. 7.
La liberté d'association :
R. ANDERSEN et J. HARMEL, <<La liberté d'association et la fonction publique •>,
A.D.Lv., 1980, p. 249; J. MoRANGE, La liberté d'association en droit public français,
Paris, P.U.F, 1977; J. VAN CoMPERNOLLE, <<Le contrôle administratif et judiciaire
des syndicats», in Rapports belges au XI' Congrès de l'Académie internationale de droit
comparé, Bruxelles, 1982.

La liberté de fonder un parti politique :


S. DEPRÉ, << Le financement public des partis politiques hostiles aux droits et
libertés de l'homme •>, R.B.D.C., 1999, p. 287; H. DuMONT,<< Les partis liberticides et
le loyalisme démocratique •>, A.P.T., 1996, p. 109; L. IKER-DE MARCHIN,« Le finan-
cement des partis politiques et la limitation des dépenses électorales en Belgique »,
CH CRISP, 1991, n°8 1323-1324; A. RASSON et M. VERDUSSEN, ((Constitution et par-
tis politiques : Belgique>>, A.I.J.C., 1993, p. 73; M.-F. RIGAUX, <<Les limites de la
parole impie>>, R.B.D.C., 1999, p. 7; R. SENELLE etE. CLEMENT,<< Üver partijfinan-
ciering, verkieziengsuitgaven en vermogensaangiften •>, in Liber amicorum Prof. Dr.
G. Baeteman, Deurne, Kluwer, 1997, p. 667; J. SoHIER, <<L'interdiction des partis
liberticides et le seuil électoral, spécificités du droit électoral allemand. Des règles
transposables en droit belge?», A. P. T., 1997, p. 114; M. VERDUSSEN, <<La limitation
et le contrôle des dépenses de propagande électorale •>, A.D.Lv., 1990, p. 277.

Le droit à la dignité humaine :


Dignité humaine et hiérarchie des valeurs. Les limites irréductibles (dir. S. MARCUS-
HELMONS), Louvain-la-Neuve et Bruxelles, Académia-Bruylant, 1999; P. MARTENS,
<• Encore la dignité humaine : réflexions d'un juge sur la promotion par les juges
d'une norme suspecte •>, in Les droits de l'homme au seuil du troisième millénaire ... ,
p. 561.

Les droits économiques et sociaux


Centre interuniversitaire de droit public, <• La reconnaissance des droits économi-
ques et sociaux dans la Constitution belge •>, R.B.S.S., 1968, p. 1283 ; P. DE VIS-
SCHER, << Les libertés économiques et sociales et la révision de la Constitution»,
A.D.S.P., 1952, p. 305; Les droits économiques, sociaux et culturels dans la Constitu-
tion, dir. R. ERGEC, Bruxelles, Bruylant, 1995; Ph. GosSERIES, <<Droit de la sécurité
sociale comme droit de l'homme>>, J. T. T., 1996, pp. 53, 69 et 85 ; A. MANITAKIS, La
liberté du commerce et de l'industrie en droit belge et en droit français, Bruxelles, Bruy-
lant, 1979 ; S. MARCUS-HELMONS, <<Les droits économiques et sociaux et la Constitu-
tion belge •>, A.D.S.P., 1968, p. 189; P. ÜRIANNE, <• De la juridicité des droits écono-
miques et sociaux reconnus dans les déclarations internationales», Ann. Dr., 1974,
p. 147; D. PIETERS, Sociale grondrechten op prestaties in de Grondwetten van de landen
van de Europese gemeenschap, Anvers, 1985 ; La reconnaissance et la mise en œuvre des
302 LES CITOYENS

droits économiques et sociaux, Actes du colloque international de droit comparé,


Bruxelles, C.I.D.C., 1972; Vers une protection efficace des droits économiques et
sociaux?, Département des droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1973.

Les droits des minorités :


N. RouLAND, S. PIERRÉ-CAPS et J. PouMARÈDE, Droit des minorités et des peuples
autochtones, Paris, PUF, 1996, coll. Droits fondamentaux; Les droits des minorités,
Actes du HP Colloque de droit constitutionnel, Les Cahiers de droit, Laval, 1986;
F. DELPÉRÉE, «Droits des minorités, droits de l'homme •>, in Les droits de l'homme au
seuil du troisième millénaire ... , p. 309; <<La protection des minorités •>, R. T.D.H.,
1997; J.-Cl. ScHoLSEM, «Faut-il protéger les minorités? Quelques remarques intro-
ductives>>, in Présence du droit public et des droits de l'homme. Mélanges offerts à Jac-
ques Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, t. Il, p. 1167.

Sur la problématique des rapports entre les jurisprudences internationales et natio-


nales en matiére de droits de l'homme, voy. 0. DE SCHUTTER et S. VAN DROOGHEN-
BROECK, Le droit international des droits de l'homme devant le juge national, Bruxelles,
Larcier, 1999.
LIVRE III

Les collectivités politiques


300. - Dans un troisième livre, l'on étudie le statut des collecti-
vités politiques que la Constitution crée et qu'elle organise.
C'est l'Etat fédéral ainsi que ses composantes qui retiennent,
d'abord, l'attention. Quels en sont les traits distinctifs ? A quels
objectifs répond la création de ces multiples collectivités politiques?
Quelles modalités peut-elle emprunter? Comment distinguer, par
exemple, au sein de l'Etat belge, ce qu'il est convenu d'appeler,
d'une part, l'Etat fédéral et, d'autre part, les communautés et les
régions?
C'est la question des divisions de l'Etat qui doit ensuite être
approfondie. Que sont les collectivités locales? Pourquoi les quali-
fier de collectivités territoriales? Quelles sont les parties de terri-
toire qui leur sont assignées? Pourquoi les qualifier aussi de collecti-
vités subordonnées? Comment se situent-elles, au sein de l'Etat
belge, par référence à l'Etat fédéral et aux collectivités fédérées?
C'est la question des structures de l'Etat qui mérite, enfin, un exa-
men d'ensemble. Des collectivités politiques nombreuses et diversi-
fiées sont appelées à coexister, à coordonner leur action, voire à s'in-
tégrer les unes aux autres. Mais selon quels modèles? En fonction
de quelles réalités? Eu égard à quels projets?
Ces questions sont toutes d'actualité. Elles appellent des réponses
circonstanciées. Est-il besoin de dire que celles-ci engagent l'avenir?
L'on ne peut s'empêcher de s'interroger, fût-ce avec un brin d'in-
quiétude : l'Etat belge, qui a cessé d'être un Etat unitaire pour
devenir un Etat fédéral, c'est-à-dire un Etat multipolaire, est-il
viable?
CHAPITRE PREMIER
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES

SECTION Ire. - L'ETAT FÉDÉRAL

301. - La Constitution parle peu et mal de l'Etat.


Elle en parle peu. L'Etat belge, comme tel, n'apparaît guère. Il
ne transparaît qu'à travers les mécanismes de fonctionnement ou les
particularités d'organisation que le droit assigne à certaines de ses
institutions ou à celles des collectivités qu'il embrasse.
Tout se passe comme si l'Etat imposait d'emblée et d'évidence son existence
en tant que collectivité de personnes et en tant que société institutionnalisée. Ce
ne serait que<< dans l'Etat>> que le droit de la Constitution trouverait à s'expri-
mer.
Tout se passe de surcroît comme si l'Etat ne devait sa création qu'à l'inter-
vention de la société internationale : ce ne serait que sous le couvert de cet
accord international que <<l'intérêt et la sûreté de l'Etat>> (art. 167, § 1.,, al. 2)
trouveraient une garantie valable; le droit - par essence national - de la
Constitution ne ferait qu'entériner cette situation.
Pour fondées que puissent paraître ces observations, l'analyse reste incom-
plète. Elle laisse délibérément de côté la réalité proprement constitutionnelle que
représente l'Etat. Celui-ci est création du droit autant que donnée de fait; il est
collectivité de droit interne autant que sujet de la communauté internationale.
Et, sans poser à nouveau ici la question de l'antériorité logique ou chronologique
de ces diverses opérations (n° 48), comment ne pas observer au minimum que
toute présentation des réalités qui minimise l'une d'elles -l'opération de créa-
tion constitutionnelle de l'Etat - , au point de la passer sous silence, est
inexacte 1

La Constitution parle mal aussi de l'Etat. Tantôt elle l'identifie


à la collectivité politique - le Royaume. de Belgique - qui est
sujet de la société internationale (voy. les art. 87 et 167, §1er, al. 2).
Tantôt elle l'assimile à la société glo hale - << la Belgique >> - qui
intègre les individus qui vivent sur son territoire et les collectivités
politiques qui y trouvent place (voy. les art. 1er, 2, 3, 4, 10 et 194).
Tantôt encore elle le caractérise sous l'appellation d'<< Etat fédéral >>
pour désigner la collectivité qui, au sein de l'ensemble belge, assume
306 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

des tâches d'intérêt national par opposition aux tâches d'intérêt


communautaire ou régional (voy. les art. 21, 170, 173 et 181).
On l'a a souvent souligné. La dénomination d'Etat fédéral est impropre. Elle
est, en tout cas, équivoque. Elle peut servir, comme dans l'article le', à désigner
l'ensemble belge. Elle peut aussi, comme dans l'article 170 de la Constitution,
servir à identifier le seul palier fédéral de gouvernement. Cette confusion des
concepts, à laquelle les rédacteurs de la Constitution belge n'échappent pas, peut
engendrer des incompréhensions tenaces. Pour ne prendre qu'un exemple, cer-
tains considéreront que le roi est le chef de l'Etat belge alors que d'autres l'iden-
tifieront au seul titulaire du pouvoir exécutif fédéral. Ces questions importantes
font l'objet d'un examen au livre VII (Les fonctions fédératives).

La confusion des concepts est encore avivée du fait que les pou-
voirs fédéraux se voient confier l'essentiel des tâches qui relèvent
des fonctions fédératives.
302. - Seul l'Etat fédéral, au sens strict de l'expression - il
vaudrait mieux écrire : la collectivité fédérale, par comparaison
avec les collectivités fédérées et, en même temps, par opposition à
elles - , retient, pour le moment, l'attention.
L'Etat fédéral est une collectivité politique territoriale.
L'Etat fédéral est, d'abord, une collectivité politique (§ Pr). Il se
définit tel, à raison de la personnalité juridique qui lui revient (A),
des attributions qu'il exerce (B) et des institutions spécifiques dont
il est pourvu (C). Il peut même apparaître à ce titre comme la col-
lectivité politique par excellence : les buts qu'il poursuit, les per-
sonnes qu'il rassemble, les moyens qu'il met en œuvre lui confèrent
une place privilégiée dans l'ensemble du système constitutionnel.
L'Etat fédéral est aussi une collectivité territoriale (§ 2). Un phé-
nomène notoire est relevé. L'action fédérale s'inscrit sur un terri-
toire qui est plus vaste que celui qui est assigné à toute autre collec-
tivité politique. Le droit en détermine les frontières (A) et en
authentifie les modifications (B). Il attache surtout à cette délimita-
tion des effets juridiques (C).

§ 1er. - La collectivité politique


303. - A quel titre l'Etat fédéral doit-il être considéré comme
une collectivité politique?
La question, proprement juridique, ne saurait recevoir qu'une
réponse juridique. Sur ce terrain, le droit ne saurait reprendre à son
compte les analyses du sociologue ou celles du philosophe. Certes,
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 307

l'existence d'une ou de plusieurs nations, la conscience que des grou-


pements humains peuvent avoir de caractères similaires ou dis-
tincts ~ race, langue, histoire, culture ... ~, la volonté de commu-
nautés isolées de passer outre à leurs antagonismes instinctifs, tous
ces éléments peuvent conduire à l'apparition d'une société dont les
membres témoignent d'un <<vouloir vivre collectif 1>. Ces données
sociales ne sont pas négligeables. Que serait l'Etat fédéral dont les
citoyens ne percevraient ou ne manifesteraient aucun sentiment de
commune appartenance? Un minimum de cohésion du ou des
groupes nationaux est indispensable à la survie de l'Etat fédéral.
La définition juridique de la collectivité politique se doit, cepen-
dant, d'être plus précise et plus concrète. Elle repose essentiellement
sur trois critères. Pour qu'une collectivité politique~ quelle qu'elle
soit ~ arrive à l'existence, elle doit, d'abord, revêtir une personna-
lité juridique particulière. Elle doit, ensuite, se voir reconnaître des
matières propres qu'elle sera seule à régler. Elle doit encore être
pourvue d'autorités publiques qu'elle se sera librement données.
L'Etat fédéral présente-t-il ces traits?

A. ~ La personnalité juridique
304. ~ La Constitution ne proclame pas la personnalité juridi-
que de l'Etat fédéral. Il n'empêche que les droits et obligations qui
lui incombent suffisent à attester de cette personnalité. L'existence
d'un patrimoine propre, le droit d'être représenté en justice, le droit
d'acquérir, d'aliéner, d'échanger, d'accepter des dons et des legs (1),
celui d'occuper les agents << de l'Etat 1> fédéral..., autant de carac-
tères révélateurs d'une personnalité propre.
Cette personnalité juridique est celle de l'Etat fédéral. Elle n'est
pas démembrée entre ses différents pouvoirs. Elle n'est pas partagée
entre les diverses autorités qui exercent concrètement ses fonctions.
Elle n'est pas non plus dissociée en fonction des activités de l'Etat
fédéral : la distinction d'un Etat-personne privée et d'un Etat-per-
sonne publique est d'ancienneté récusée (Cass., 5 novembre 1920,
Flandria, Pas., I, p. 218, conclusions P. LECLERCQ).
La reconnaissance au profit de l'Etat fédéral de la personnalité
juridique n'est évidemment pas sans présenter quelque originalité.
L'Etat fédéral tient une place <<hors pair 1> parmi les personnes juri-

(1) J. DEMBOUR, Droit administratif, Faculté de droit de Liège, 1972, p. 74.


308 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

cliques organisées dans l'ordre interne. N'est-il pas habilité à préci-


ser les éléments de sa propre personnalité ou, du moins, à délimiter
les particularités de la personnalité des autres personnes publi-
ques (2)?
La reconnaissance au profit de l'Etat fédéral de la personnalité
juridique n'est pas sans incidences concrètes. L'Etat fédéral, mais il
se confond ici avec l'Etat belge ... , voit affirmer son existence, son
identité - de là son drapeau aux << couleurs rouge, jaune et noire >>
et ses armes <<le lion Belgique>> avec la légende <<L'Union fait la
Force>> (art. 193) - . L'Etat fédéral est sujet de droit. Il a titre,
comme l'écrit J. Dabin (3), <<pour avoir des droits, pour être tenu
d'obligations, pour accomplir des actes>> dans les domaines qui relè-
vent de ses responsabilités.
La Constitution en procure elle-même quelques exemples. L'Etat
fédéral a des recettes et des dépenses (art. 174, al. 2); des charges
peuvent grever son budget (art. 174, al. 2); des impôts peuvent être
établis à son profit (art. 170 et 171); le <<trésor public>> a la charge
de certaines dépenses, notamment les traitements et les pensions
(art. 179 et 181).

B. - Les attributions fédérales


305. - L'Etat fédéral a la charge de matières propres que la
Constitution lui réserve et qu'elle soustrait tant à la responsabilité
des autres Etats qu'à celle des collectivités plus restreintes qui sont
organisées au sein de l'Etat belge.
C'est dans les termes les plus larges que l'Etat fédéral reçoit mis-
sion pour pourvoir à la satisfaction des besoins collectifs qui se révè-
lent sur le territoire national. La définition précise des matières
qu'il est habilité à prendre en charge n'est pas procurée de manière
limitative et exhaustive. Leur délimitation varie avec la conception
que la société politique se fait du rôle et des modes d'intervention
de l'Etat fédéral.
Deux limites méritent, cependant, d'être rappelées.
L'une dérive du principe de << spécialité >> qui gouverne l'action des
personnes de droit public. L'Etat fédéral n'échappe pas à la règle.
Sa qualité de collectivité politique ne l'habilite pas à se saisir de

(2) J. DEMBOUR, op. cit., ibid.


(3) J. DABIN. L'Etat ou le politique .. , op. cit., p. 225.
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 309

toute matière qu'il entendrait voir régler. L'<~ intérêt de l'Etat ))


auquel fait référence l'article 167 de la Constitution peut se heurter
aux principes fondamentaux de liberté des citoyens (art. 12)
(n" 190).
L'autre limitation tient au partage des pouvoirs que le système
d'organisation fédérale ne peut manquer d'instaurer. Les compé-
tences réservées à l'action communautaire et régionale ne sauraient
être prises en charge par l'Etat fédéral.
Le livre VIII du présent ouvrage est tout entier consacré à
l'étude des fonctions assumées par l'Etat fédéral.

C. - Les institutions fédérales

306. - L'Etat fédéral est pourvu d'institutions publiques qui lui


sont propres. Celles-ci ne lui sont pas imposées de l'extérieur par un
autre Etat ou par la communauté internationale. La Constitution le
veut ainsi : <~Tous les pouvoirs émanent de la nation )>. C'est bien
cette nation qui, pour s'organiser en Etat, va se doter, par l'inter-
médiaire de la Constitution, d'institutions dont elle fixe les attribu-
tions et les prérogatives.
Tout autre serait la situation juridique d'une colonie ou d'un pro-
tectorat, tels ceux qui, jusqu'en 1970, étaient mentionnés dans la
Constitution (art. 1er, al. 4 ancien). Le régime juridique aménagé
pour les territoires non métropolitains ne leur permettait pas de se
donner des institutions propres; à supposer même qu'il y ait eu per-
sonnalité distincte et matières spécifiques, il n'y avait pas place
pour une collectivité politique dotée d'institutions étatiques
propres.
L'étude des institutions politiques de l'Etat belge, en particulier,
celles de l'Etat fédéral, fait l'objet de développements importants
en droit constitutionnel. Voy. Livre IV, Les pouvoirs fédéraux.

§ 2. - Le territoire de l'Etat fédéral

A. - La détermination des frontières

307. - Parmi les collectivités politiques qui sont organisées au


sein de l'Etat belge, seul l'Etat fédéral est habilité à donner à son
action une mesure qui s'étend à l'ensemble du territoire national.
310 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

En ce sens, il n'est pas une collectivité territoriale comme les autres.


Ce n'est pas un champ restreint mais un domaine complet qui est
ouvert aux interventions de l'Etat fédéral.
Encore faut-il préciser quelles limites sont procurées à ce terri-
toire.
308. - <<L'Etat, peut écrire Jean Dabin (4), est formation politi-
que et non expression géographique )). La proposition a le mérite
d'indiquer les limites et les principes de solution d'un débat juridi-
que sur les frontières de l'Etat. Débat limité puisqu'exprimé en
termes de droit, il récuse d'emblée les controverses sur les frontières
dites naturelles des Etats pour tenir compte exclusivement des don-
nées du droit positif. Débat finalisé aussi puisque, commandé par
les nécessités de l'action étatique, il n'hésite pas à bousculer quel-
ques-unes des évidences des sciences géographiques pour mettre en
relief une notion plus juridique que topographique du territoire et
de ses frontières.
Au risque de refuser aux mots le sens que leur procurent l'usage
ou l'étymologie, le droit tend, en effet, à ne pas identifier <<terri-
toire )) et << étendue de terre )) ; dans la même logique, il est conduit
à ne pas assimiler << frontières )) et << ligne de séparation de deux
espaces terrestres )>. Parti d'une notion qui ne s'appliquait à l'origine
qu'à une terre ferme et occupée, le droit ne peut aujourd'hui ignorer
que le territoire de l'Etat fédéral s'étend également aux fleuves, aux
rivages, à certaines étendues maritimes comme au sous-sol et à l'es-
pace atmosphérique. Ainsi << des espaces de plus en plus fluides,
vides et même abstraits)) (5) font l'objet de délimitations par le
droit. S'ils ont échappé aux prévisions des constituants (6) et s'ils ne
sont pas visés expressément par les dispositions du titre premier de
la Constitution, ils font, cependant, partie intégrante du territoire
de l'Etat fédéral, sans exclusion aucune.
309. - Par <<territoire de la Belgique)>, on entend l'espace sur
lequel l'Etat belge, et donc l'Etat fédéral, est appelé à exercer ses
attributions. Il comprend trois parties qui sont assujetties à des
régimes distincts de délimitation.

(4) J. DABIN, op. cit., p. 47.


(5) P. REUTER, Droit international public ... , p. 99.
(6) R. SENELLE, La Constitution belge commentée ... , 1974, p. 10.
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 311

1. Une première partie du territoire comprend un espace de terres


(sol et sous-sol) et d'eaux intérieures.
Pour l'essentiel, l'acte final du Congrès de Vienne du 9 juin 1815,
les traités des 26 juin et 7 octobre 1816 et le traité de Courtrai du
28 mars 1820 en ont déterminé l'étendue et les frontières (7).
2. Une deuxième partie du territoire recouvre un espace mari-
time. La convention de Genève du 29 avril 1958, approuvée par la
loi du 29 juillet 1971, a explicitement reconnu l'existence de ce
qu'elle appelle, de manière significative, la mer territoriale : c'est
<<la zone de mer adjacente aux côtes)), y compris le lit et le sous-sol
de la mer (art. 1er, al. 2); son étendue est de douze milles marins
(soit 22.224 mètres) (loi du 6 octobre 1987 fixant la largeur de la
mer territoriale belge). L'Etat belge <<étend)) sa souveraineté à la
mer territoriale (8).
On relève aussi que l'Etat fédéral peut exercer certains droits de
contrôle sur une partie de la haute mer que constitue la zone conti-
guë à la mer territoriale (art. 24); il peut aussi exercer des droits
d'exploitation sur le plateau continental (loi du 13 juin 1969). Mais
ces espaces ne relèvent pas de son territoire.
3. Une troisième partie du territoire se définit selon une autre
dimension et désigne un espace aérien : c'est l'espace atmosphérique
qui se situe au-dessus des espaces terrestres et de la mer territoriale.
L'Etat fédéral y étend également de manière complète et exclusive
sa souveraineté. La convention de Chicago du 7 décembre 1944,
approuvée par la loi du 30 avril 1947, a rappelé ce principe (art. Pr)
et s'est efforcée, notamment, de régler la question du vol d'avions
dans cet espace aérien.
L'Etat belge n'exerce pas de souveraineté dans l'espace extra-
atmosphérique.

(7) Voy. aussi le traité des 24 articles du 19 avril 1839 et la Convention de Maastricht du
8 août 1843. Par la suite, et après la première guerre mondiale, le Traité de Versailles du 28 juin
1919 a prévu l'adjonction du territoire de Moresnet ainsi que celui d'Eupen-Malmédy-Saint-Vith.
(8) V. LEJEUNE, <<La mer territoriale fait-elle partie du territoire de la province de Flandre
occidentale?>>, note sous C.E., n" 17.569, 27 avril 1976, Koninklijk Belgisch Yachting Verbond,
A.P.T., 1976-1977, no 4, p. 332. Adde: l'avis nuancé de la section de législation du Conseil d'Etat
(chambres réunies) sur des amendements au projet de loi spéciale de réformes institutionnelles
(Doc. Parl., Ch., 1980, n" 627(12).
312 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

B. - La modification de frontières
310. - <<Les limites de l'Etat ... ne peuvent être changées ou rec-
tifiées qu'en vertu d'une loi >> précise l'article 7 de la Constitution;
son article 167, § P", alinéa 3, complète l'énoncé du principe général
en fournissant quelques exemples d'application : <<Nulle cession, nul
échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en
vertu d'une loi >>. Ces dispositions sont significatives à plus d'un
titre.
Premièrement, la Constitution ne prohibe pas d'une manière
générale les modifications de frontières. Au contraire, elle les auto-
rise. Que ces changements se traduisent en plus ou en moins, ou
qu'ils représentent une opération d'échange importe peu en l'espèce.
Ainsi, la Constitution qui paraît faire obligation expresse à certaines
de ses autorités de <<maintenir ... l'intégrité du territoire>> (art. 91)
n'a pu s'empêcher, dans un réflexe de réalisme, de tenir compte de
quelques-uns des aléas de la vie internationale; elle n'hésite pas,
dans le même esprit, à imaginer, dans son article 185, l'hypothèse
où le territoire serait occupé ou traversé sans habilitation légale par
une troupe étrangère - ce qui correspond à la définition internatio-
nale de l'agression et de la violation de territoire - .
Dans la double éventualité de l'accroissement - elle se réalisera
avec les cantons d'Eupen, Malmédy et Saint-Vith, par exemple -
et de la restriction- elle se réalisera notamment avec une partie de
la province du Luxembourg - , la Constitution ne pouvait négliger
de régler la procédure de modification des frontières.
Deuxièmement, la Constitution attribue compétence au légis-
lateur fédéral pour procéder à l'opération de modification des fron-
tières. Sans doute, ces modifications sont-elles, le plus souvent, ins-
crites dans un traité international que le roi est, pour la Belgique,
amené à conclure. Mais l'accord qu'il peut ainsi apporter au nom de
l'Etat ne saurait, à raison des particularités du droit public belge,
emporter effet en droit international s'il ne se trouvait consolidé par
l'adhésion que lui apporte le législateur fédéral par le vote d'une loi
bicamérale; celle-ci, à la différence de la loi d'assentiment, apparaît
comme condition de validité de l'opération en droit international (9)
et non comme élément de validité du traité en droit interne.

(9) P. DE VISSCHER, op. cit., t. l, p. 1\4.


L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 313

Quoi de plus normal<< au point de vue des principes~> (lü)? Toute


cession ou acquisition de territoire prend la forme d'<< un acte qui
touche à la Constitution nationale dans ce qu'elle a de plus essen-
tiel ~> (11) : un traité ordinaire ne saurait, par sa seule vertu, empor-
ter pareil effet.
Troisièmement, la Constitution ne fait pas de la compétence
reconnue au législateur une compétence exclusive. Tel est le sens de
la formule que répètent ses articles 7 et 167, § pr, alinéa 3 : <<en
vertu de la loi~>. Le législateur fédéral peut déléguer l'exercice de
cette compétence au roi; il peut aussi se réserver le droit d'approu-
ver par voie législative les mesures prises en la matière ( 12).
La procédure à suivre indique, à tous égards, que la modification
des frontières constitue une opération exceptionnelle dans la vie de
l'Etat fédéral. Elle intervient à la suite d'une guerre ou s'efforce de
corriger des situations géographiques accidentelles.

C. - La signification des frontières


311. - Les frontières délimitent dans l'espace un territoire.
C'est celui assigné à l'Etat fédéral. Sur son territoire, l'Etat fédéral
exerce pleinement ses attributions. La proposition appelle un double
commentaire.
D'une part, l'Etat fédéral exerce ses compétences sur son terri-
toire. Ce n'est pas à dire que les compétences fédérales soient terri-
toriales, qu'elles s'exercent relativement à un territoire. Les compé-
tences n'ont de sens que si elles servent à régler des situations j uri-
diques ou à commander les comportements des personnes. Mais ces
situations et ces comportements ne se développent pas dans l'ab-
strait; ils s'inscrivent de manière concrète dans l'espace, sur un ter-
ritoire délimité par des frontières.
Dans l'exercice de ses responsabilités, l'Etat fédéral, qui est aussi
appareil de contrainte, peut être appelé à user de la force. Il est seul
sur son territoire à pouvoir pratiquer pareille contrainte. Ce faisant,
il se saisit indistinctement de toute situation - qu'elle concerne ses

(lO) A. ESMEIN, op. cit., p. 579.


(11) A. ESMEIN, op. cit., p. 580.
(12) Ainsi la loi du 4 avril 1839 a autorisé le gouvernement belge à signer un traité de sépara-
tion avec la Hollande (cité par P.-F. SMETS, L'assentiment des Chambres législatives aux traités
internationaux et l'article 68, alinéa 2, de la Constitution belge, Bruxelles, Bruylant, 1964, p. 20,
note 4).
314 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

nationaux ou qu'elle implique des étrangers- qui se rattache à son


territoire : << les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui
habitent le territoire>> (C. civ., art. 3).
D'autre part, l'Etat fédéral exerce seul ses compétences sur son
territoire. Cet espace est le << symbole de sa puissance >> ( 13 ). Car si
les frontières ont pour signification de délimiter le territoire sur
lequel l'Etat fédéral a compétence et responsabilité pour agir, elles
indiquent aussi, sous réserve de règles coutumières ou convention-
nelles du droit international ( 14), des compétences et des responsa-
bilités exclusives. Le cadre territorial délimité par les frontières est
le signe de l'indépendance et de la souveraineté de l'Etat; il est la
<<protection avancée>> de l'idée (15) étatique.
La Constitution tire de ces principes des conséquences concrètes. Elle réserve
au législateur fédéral la charge de réglementer l'accès au territoire des étrangers
(art. 191) (n° 130), celle d'autoriser l'entrée, le passage et le stationnement de
troupes étrangères sur le territoire (art. 185; voy. la loi du 11 avril 1962 autori-
sant le passage et le séjour en Belgique des troupes des pays liés à la Belgique
par le traité de l'Atlantique nord ainsi que celle du 22 janvier 1970 qui permet
à l'accord de Bruxelles, passé le 12 mai 1967 entre le Royaume de Belgique et
le Quartier général suprême des forces alliées en Europe et concernant les condi-
tions particulières d'installation et de fonctionnement de ce Quartier général sur
le territoire du Royaume de Belgique, de sortir« son plein et entier effet>>) (16).
Elle fixe aussi le siège du gouvernement fédéral, et donc le lieu normal de ses
travaux, à Bruxelles, capitale de la Belgique (art. 194) : ce n'est qu'exception-
nellement, et en vertu des règles de droit international, qu'il pourra exercer des
compétences à l'étranger.

Ainsi les frontières économiques, sociales ou culturelles qui sépa-


rent les peuples peuvent s'effacer. Mais les frontières entre Etats,
celles qui séparent, en droit, deux territoires, demeurent. Leur signi-
fication juridique persiste dans une société internationale formée à
partir d'Etats distincts.
312. -- Par définition, l'Etat fédéral exerce ses responsabilités sur l'ensemble
du territoire national. II convient qu'il articule les compétences qui lui reviennent

(13) J. DONNEDIEU DE VABRES, op. cit., p. 95.


(14) Les agents diplomatiques accrédités en Belgique sont habilités à accomplir sur le terri-
toire belge les actes juridiques qui figurent dans l'exercice normal de leurs fonctions.
(15) G. BuRDEAU, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, L.G.D.J., 1966, p. 17.
(16) Faut-il considérer que cette autorisation législative- donnée en termes fort généraux-
implique que le roi puisse, à son tour, permettre à des troupes étrangères d'installer en territoire
belge toute forme de matériel, y compris des rampes de lancement et des missiles 1 La question
a fait l'objet de multiples débats au sein de l'une et l'autre chambres. Les dispositions de la loi
du 11 avril 1962 ne permettent pas d'exclure pareille habilitation au profit du pouvoir exécutif
(voy. P. DE VISSCHER, « Legal aspects concerning the installation of the first nuclear missiles on
Belgian soi!>>, Israel Law Review, 1985, p. 137).
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 315

à celles qui sont attribuées aux collectivités fédérées et qui affectent nécessaire-
ment une portion du même territoire (sur le territoire régional, voy. no 318; sur
l'aire de compétence communautaire, voy. n°' 328 s.).
Plusieurs précisions méritent à ce propos d'être apportées.
Dans l'accomplissement de ses tâches, l'Etat fédéral ne peut être entravé par
les comportements de collectivités politiques qui prétendraient iJ?,staurer des
aires géographiques réservées et où serait exclue toute intervention fédérale.
A l'inverse, l'Etat fédéral ne peut perturber, au nom d'un prétendu principe
de prééminence, l'exercice des compétences fédérées. Une exception est relevée
dans la Région bruxelloise : l'Etat fédéral se réserve le droit d'intervenir, dans
quatre matières de compétence régionale, en vue de préserver « le rôle national
et international de la capitale>> (n° 1032).
L'Etat fédéral - qui est en mesure d'intervenir sur l'ensemble du territoire
national - peut pratiquer des politiques sectorielles qui le conduisent à n'agir
que pour une partie de celui-ci (n" 339). Les secteurs géographiques sélectionnés
pour diversifier les politiques fédérales coïncident peut-être avec ceux qui ser-
vent de ressort territorial aux régions, voire aux communautés. Dès l'instant où
les autorités fédérales restent dans leurs domaines de compétence matérielle, l'on
ne saurait y voir une intrusion dans le champ des responsabilités fédérées.

SECTION II. - LES RÉGIONS

313. - <(La Belgique comprend trois régions ... >> (Const., art. 3).
La Constitution ou, à la rigueur, une loi spéciale <( établit >> leur <( res-
sort>> (Const., art. 5 et 39). Dans leur laconisme, les prescriptions
constitutionnelles ont un mérite. Elles indiquent que les régions
sont des collectivités politiques. Elles précisent aussi qu'il s'agit de
collectivités territoriales.

§ 1er. - Les collectivités politiques


314. - La Constitution belge se réfère à juste titre à l'existence
des composantes de l'Etat belge. Il s'agit - qui peut l'ignorer? -
des communautés et des régions. Comme l'écrit l'article 1er de la
Constitution, <( la Belgique est un Etat fédéral qui se compose des
communautés et des régions>> (voy. aussi l'intitulé du titre pr : ((De
la Belgique fédérale, de ses composantes et de son territoire>>) (17).
Ce qui signifie sans nul doute que les communautés et les régions
sont des éléments constitutifs du système fédératif.

( 17) Dans un souci de compromis, les articles 2 et 3 de la Constitution se contentent, pour


leur part, d'affirmer que « la Belgique comprend trois communautés » et « trois régions >>.
316 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

Telle est la réalité juridique de base. Un Etat composé se


construit au départ de quelques collectivités politiques qui en
constituent les éléments structurels.
Divers changements institutionnels peuvent se produire : la mul-
tiplication ou la fusion des communes, l'augmentation ou la diminu-
tion du nombre des provinces, l'organisation ou la mise en sommeil
des agglomérations et des fédérations de communes ... Ces opérations
ne modifient pas en profondeur les structures de la Belgique. Tou-
cher sur des points essentiels à l'architecture communautaire et
régionale de l'Etat belge revient, au contraire, à mettre en cause ses
assises.
Telle est aussi la réalité politique. La Belgique d'aujourd'hui ne
peut vivre sans communautés ni régions. Ceux qui rêvent d'un
retour en arrière seront déçus. De la même manière, les commu-
nautés et les régions ne sauraient exister sans les institutions de
l'Etat fédéral. Ceux qui aspirent à un grand bond en avant seront
peut-être surpris d'une appréciation aussi péremptoire.

A. - Les personnes juridiques

315. - Les régions disposent de la personnalité juridiq~e.

La Constitution ne s'exprime pas clairement en ce sens. Par


contre, les lois spéciales de réformes institutionnelles de 1980 (art. 3)
et de 1989 (art. 3) le précisent expressément. Elles en tirent des
conséquences concrètes.
Les régions disposent d'un personnel (art. 87, § 1er); elles peuvent
créer des services décentralisés, des établissements et des entreprises
(art. 9, al. 1er); elles peuvent prendre des participations en capital
(ibidem); elles peuvent posséder des biens meubles et immeubles
(art. 12); elles prennent des engagements (art. 15) et ceux-ci ne sont
pas garantis par une autre personne juridique, à savoir l'Etat fédé-
ral; elles disposent d'un budget où elles portent leurs recettes et
leurs dépenses (art. 13, § pr); elles peuvent agir en justice, y com-
pris au plan international (art. 16, § 3, 2°) ...
La Constitution reconnaît également aux personnes juridiques
qu'elle institue une dénomination particulière. Il s'agit de la Région
wallonne, de la Région flamande et de la Région bruxelloise. L'on
ne peut que déplorer l'usage qui conduit parfois à remplacer cette
dernière appellation par celle de Région de Bruxelles-Capitale.
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 317

Pour tenir compte du vocabulaire utilisé par la Constitution et par la loi spéciale
du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, l'on désignera la collecti-
vité politique sous le titre de<< Région bruxelloise >>et l'on qualifiera ses institutions
de Conseil et de Gouvernement de la « Région de Bruxelles-Capitale >>.

B. - Les attributions régionales


316. - Comme le veut l'article 39 de la Constitution, une loi
spéciale détermine <<les matières >> que les pouvoirs régionaux peu-
vent régler. Les lois de réformes institutionnelles de 1980 et de 1989
se donnent cet objet. Elles attribuent aux trois régions les mêmes
compétences : << ... la Région de Bruxelles-Capitale a les mêmes com-
pétences que la Région wallonne et la Région flamande >> (l.
sp. 12 janvier 1989, art. 4, al. pr). Il y a lieu de se référer à l'ar-
ticle 6 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980,
ainsi qu'aux dispositions subséquentes, pour mesurer très exacte-
ment l'autonomie qui, de ce point de vue, est reconnue aux régions.
L'on examine, dans le livre IX, les fonctions fédérées et, en parti-
culier, les fonctions régionales.

C. - Les autorités régionales


317. - La Constitution est plus prolixe quant à l'aménagement
des pouvoirs régionaux. Après avoir précisé, ce qui est essentiel, dans
l'article 39, que les autorités régionales doivent être composées de
<<mandataires élus>>, elle précise, dans les articles 116 et 122, que les
assemblées régionales doivent être composées << de membres élus
directement >> et que les gouvernements de région sont << élus >> par
cette assemblée.
L'on examine, dans un livre V, la manière dont ces prescriptions
constitutionnelles ont été interprétées par le législateur spécial et la
façon dont des institutions asymétriques ont pu, malgré ces disposi-
tions générales, être mises en place.

§ 2. - Les ressorts territoriaux

A. - Les principes constitutionnels


318. - La Constitution crée trois regwns. <<Ni plus, ni
moins>> (18). Le texte de l'article 3 est sans équivoque à cet égard.

(18) P. WIGNY, «L'article l07quater ou la décentralisation économique», J. T., 1973, p. 281.


318 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

C'est <<la Belgique>> (19) tout entière qui doit comprendre (20) trois
régions (21). La formule est nette à souhait. Elle exclut l'hypothèse
selon laquelle la carte de la Belgique régionalisée pourrait com-
prendre des blancs : nulle commune, nul arrondissement, nulle pro-
vince n'échappe à la division du territoire en régions.
La Constitution fixe aussi, on l'a relevé, la dénomination des
régions : ce sont << la Région wallonne, la Région flamande et la
Région bruxelloise>> (art. 3).
La Constitution hésite, par contre, sur la manière d'établir le res-
sort territorial de chaque région. Elle opère d'office pour la Région
wallonne et pour la Région flamande. Elle laisse au législateur spé-
cial le soin de régler cette question pour la Région bruxelloise.

B. - La Région wallonne et la Région flamande


319. - L'article 5 de la Constitution complète l'article 3. <<La
Région wallonne comprend les provinces suivantes : le Brabant wal-
lon, le Hainaut, Liège, le Luxembourg et Namur. La Région fla-
mande comprend les provinces suivantes : Anvers, le Brabant fla-
mand, la Flandre occidentale, la Flandre orientale et le Limbourg >>.
La disposition constitutionnelle est précise à souhait. Si les limites
de la Région wallonne ou celles de la Région flamande devaient être
modifiées, elles ne pourraient l'être que par révision de la Constitu-
tion. A cet égard, l'article 5 de la Constitution vide de sens l'ar-
ticle 39. Il assure, au moins de manière implicite, la délimitation de
la Région bruxelloise.

C. - La Région bruxelloise
320. - Si l'on s'en tient à la pureté des principes constitutionnels, c'est le
législateur, statuant à la majorité spéciale, qui est habilité à fixer << le ressort»
de la Région bruxelloise (art. 39). La section de législation du Conseil d'Etat
dira en ce sens que<< l'obligation d'exécuter l'article (39) pour la Région bruxel-
loise comme pour les autres régions est et demeure inscrite dans la Constitu-
tion» (22).
La loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises met en
œuvre cette compétence. Elle précise que «le territoire>> de la Région bruxelloise

(19) La formule désigne en l'occurrence l'ensemble du territoire de l'Etat.


(20) La même formule revient sous la plume du pouvoir constituant aux articles 2 et 4.
(21) On relève, en particulier, que la Communauté germanophone (n" 329) ne saurait consti-
tuer une quatrième région; elle fait partie intégrante de la Région wallonne.
(22) Doc. Parl., Sénat, n" 434/1, annexe, p. 3.
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 319

<<comprend le territoire de l'arrondissement administratif de 'Bruxelles-Capi-


tale', tel qu'il existe au moment de l'entrée en vigueur» de la loi spéciale.
Qu'est-ce à dire ? L'arrondissement précité a été constitué par l'article 6 des
lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative (A.R.
18 juillet 1966); il a été, en même temps, érigé en« région bilingue de Bruxelles-
Capitale>>. Cet arrondissement couvre le territoire de ce qu'il est convenu d'appe-
ler <<les dix-neuf communes bruxelloises •>.
En somme, ce sont les contours de la région linguistique propre à Bruxelles
qui servent comme critères de référence pour la délimitation de la Région
bruxelloise. Il est vain de s'interroger sur les critères objectifs - autres que lin-
guistiques - qui ont été utilisés pour délimiter le ressort de cette région.
Les arguments politiques ont été systématiquement négligés. Ainsi, le senti-
ment d'une commune appartenance à la région centrale du pays, tel qu'il peut
s'exprimer dans les motions de conseils communaux, tel qu'il peut transparaître
des résultats de divers scrutins, tel qu'il aurait pu se manifester à l'occasion d'un
recensement ou d'une consultation des populations concernées, n'a pas été pris
en compte.
Les arguments techniques ne pèsent pas non plus lourd dans ce type de dis-
cussions. Diverses études scientifiques - de caractère économique, sociologique
ou urbanistique - ont montré que Bruxelles s'inscrivait naturellement dans un
territoire qui était délimité au nord, à l'est et au sud par les zones périphériques
aux villes-satellites de Mechelen, de Leuven et de Nivelles et qui était borné à
l'ouest par la ligne de séparation des provinces du Brabant flamand et de la
Flandre orientale.
Ces considérations n'ont guère ébranlé les certitudes de ceux qui entendaient
fixer le ressort de la Région bruxelloise sur la base des seuls critères linguistiques
de 1963 (23).

Le ressort de la Région bruxelloise s'établit, en réalité, par sous-


traction. Puisque la Belgique comprend trois régions et que les deux
autres régions couvrent les dix provinces, il va de soi que la Région
bruxelloise s'identifie au territoire qui échappe à la division en pro-
vinces. De cette manière, elle << coïncide avec la région bilingue de
Bruxelles-Capitale reconnue par la Constitution>> (C.A., n" 90/94,
22 décembre 1994). Dans la mesure où toute modification de ce res-
sort affecterait celui des deux autres régions, seule une révision de
la Constitution pourrait faire œuvre utile en ce domaine.

(23) Sur cette question, voyez F. DELPÉRÉE, ''Le statut de Bruxelles», in La réforme de l'Etat,
cent cinquante ans après l'indépendance nationale, Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, 1980, p. 331.
320 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

SECTION III. -LES COMMUNAUTÉS

321. - L'expression de <<collectivité politique>) est-elle syno-


nyme de celle de << collectivité territoriale >)?
En droit public belge, la question passait, jusqu'il y a peu, inaper-
çue ou ne soulevait que des discussions de caractère académique.
Seuls des exemples empruntés au droit d'Etats étrangers, où le plu-
ralisme culturel ou religieux ne s'était pas concrétisé par une divi-
sion des personnes et des institutions sur le terrain, pouvaient don-
ner à penser que les problèmes juridiques et politiques nés de ces
situations étaient à la fois originaux et complexes.
A partir de 1970, l'organisation de trois communautés- originel-
lement qualifiées de << culturelles >) - sur le territoire de l'Etat belge
rappelle, cependant, avec insistance l'importance de ces problèmes
et l'urgence de réponses adéquates. Que sont, en effet, les commu-
nautés? S'agit-il de collectivités politiques? Comment se définissent-
elles par rapport à l'Etat fédéral? Comment se situent-elles par rap-
port aux collectivités territoriales que sont les régions?
322. - Selon l'article 2 de la Constitution, << la Belgique com-
prend trois communautés : la Communauté française, la Communauté
flamande et la Communauté germanophone >).
Dans sa concision, la disposition constitutionnelle a le mérite de
consacrer expressément l'existence d'autres composantes de l'Etat
belge. Ces composantes ne viennent pas se substituer aux compo-
santes territoriales qui ont été recensées. Elles s'y ajoutent.
Les communautés sont des collectivités politiques. La dénomina-
tion et la personnalité qu'elles reçoivent, les attributions qui leur
sont dévolues, les autorités dont elles sont pourvues suffisent à indi-
quer qu'il s'agit de collectivités politiques distinctes de l'Etat fédé-
ral, distinctes aussi de ces autres collectivités fédérées que sont les
régions (24).
Compte tenu de la multiplicité des communautés, il importe de
délimiter le champ d'action de ces collectivités. C'est par référence
aux appartenances communautaires des citoyens et des institu-
tions - publiques ou privées - qu'il est procédé. Des points de

(24) Les commissions communautaires doivent également être considérées comme des collecti-
vités politiques (n" 374).
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 321

repère géographiques (A), linguistiques (B) ou socio-culturels (C)


servent à préciser ces appartenances.
323. - L'on ne saurait manquer de souligner l'originalité du
phénomène institutionnel communautaire. La communauté n'est
pas, à proprement parler, une collectivité territoriale. Elle se
contente, pour déterminer son champ d'action, de la référence à une
aire de compétence plus indéfinie. Par la force des choses, elle ne
commande pas les comportements de l'ensemble des personnes éta-
blies dans son ressort. Elle accepte, sur la même aire géographique,
l'intervention d'une autre collectivité politique, en l'occurrence,
d'une autre communauté - avec laquelle elle entre forcément en
concours-.
Cette réalité institutionnelle, c'est celle qu'illustrent de manière
exemplaire les deux communautés majeures - française et fla-
mande - auxquelles la Constitution ajoutera, par la suite, la Com-
mission communautaire française.
Si l'on est enclin à considérer, dans une perspective traditionnelle,
qu'une collectivité politique ne peut se concevoir sans un territoire
et une population qui soient circonscrits au cm 2 et à l'unité près,
l'on refusera à trois composantes de l'Etat belge cette appella-
tion (25). Si, comme on le suggère, la notion de collectivité politique
peut se prêter à des configurations multiples et, par conséquent,
englober des collectivités aux contours plus incertains, cette appel-
lation peut sans inconvénient- théorique ou pratique- être attri-
buée aux communautés.

§ 1er. - Les collectivités politiques


324. - Un diagnostic sans équivoque - <<l'Etat unitaire est
dépassé par les faits •> (G. EYSKENS)- a préparé une double opéra-
tion constitutionnelle, le 24 décembre 1970 et le 17 juillet 1980.
D'une part, trois communautés sont créées au sein de l'Etat belge
(art. 2). D'autre part, leurs relations avec les autres collectivités
politiques sont précisées au prix d'un bouleversement fondamental
des structures de cet Etat (art. 115 à 140; voy. nos 410 s.).

(25) Cette conception étroite est préconisée par Y. LEJEUNE (<<La notion de collectivité en
droit public belge», in Liber amicorum E. Krings ... , pp. 209 s.) ainsi que par M. UYTTENDAELE
et R. WITMEUR, «La frontière linguistique entre deux eaux», J.T., 1997, p. 477. Camp. F. DEL-
PÉRÉE, « Le 'peuple', la 'nation' et la 'Communauté' dans la Constitution belge», in Le concept
de peuple (dir. F. RIGAUX), Bruxelles, Story-Scientia, 1988, p. 65.
322 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

La création et l'aménagement des communautés témoignent de


l'apparition de collectivités politiques fédérées d'un type original en
droit public belge.
Par un curieux contresens, une partie de la doctrine a cru, au lendemain de
1970, devoir refuser aux communautés la qualification de collectivités politiques.
La Constitution, en reconnaissant leur existence, se serait bornée à désigner
d'une formule générique des réalités d'ordre psychologique ou sentimental. Elle
n'aurait, ce faisant, guère innové : c'est «un état de choses bien connu>) (26),
constaté de longue date par le Centre d'études pour la réforme de l'Etat ou par
le Centre Harmel pour l'amélioration des relations linguistiques, qu'elle se serait
contentée d'entériner. Mais, sur le terrain du droit public, pas de collectivités
politiques nouvelles et pas d'institutions qui leur soient spécifiques.

Pourtant, les communautés sont des personnes juridiques. Elles


détiennent des attributions qui leur reviennent en propre. Elles pos-
sèdent des institutions spécifiques, tels les parlements et les gouver-
nements de communauté.

A. ~ Les personnes juridiques

325. ~ Une personnalité propre est reconnue à chaque commu-


nauté (27). La loi spéciale de réformes institutionnelles (art. 3) l'in-
dique expressément pour les Communautés française et flamande;
la loi du 31 décembre 1983 (art. 2) le précise pour la Communauté
germanophone. Plus fondamentalement, la Constitution érige les
communautés en composantes de l'Etat belge (art. 1er et 2).
A cette occasion, leur dénomination sont modifiées. La Commu-
nauté culturelle française devient la<< Communauté française)), avec
les équivoques que cette appellation peut susciter. La Communauté
culturelle néerlandaise est désormais dénommée << Communauté fla-
mande)). La Communauté culturelle allemande devient la<< Commu-
nauté germanophone )).
Elles disposent de tous les attributs de la personnalité juridique
un personnel, un budget, des biens, des droits et des obligations ...

(26) P. DE STEXHE, La révision de la Constitution belge 1968-1971, Bruxelles, Larcier, 1972,


pp. 50 s.
(27) P CHARLIER, «Les Communautés culturelles française et néerlandaise en Belgique»,
R.I.S.A., 1978, n" 3.
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 323

B. -Les matières communautaires


326. - Des <<attributions)> (Const., art. 38) sont assignées en
propre aux communautés. Elles sont << reconnues par la Constitution
ou par les lois prises en vertu de celle-ci )>, soit par les articles 127
à 130 et 135 à 140 de la Constitution. Elles sont précisées par la loi
spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 (art. 4 et 5) et
par la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la
Communauté germanophone (notamment les articles 4 et 5).
Les Communautés française et flamande sont chacune habilitées
à<< régler)), à l'exclusion du législateur, les matières culturelles, l'en-
seignement, la coopération culturelle nationale et internationale, les
matières personnalisables, ainsi que l'emploi des langues en matière
administrative, scolaire et sociale (art. 127, 128 et 129). La Commu-
nauté germanophone règle les mêmes matières. Hormis en matière
d'enseignement, elle ne règle pas, cependant, les questions qui sont
relatives à l'emploi des langues (art. 130).
Le livre IX est consacré à l'étude des fonctions fédérées, notam-
ment dans le domaine communautaire.

C. - Les autorités communautaires


327. - Des institutions spécifiques reviennent aux commu-
nautés. Même si la disposition est rédigée de manière équivoque, les
articles 115 et 116 de la Constitution le précisent : le Parlement de
la Communauté française, le Parlement flamand et le Conseil de la
Communauté germanophone << sont composés de mandataires élus ))
et, de manière plus précise, de <<membres élus directement )). Par ail-
leurs, aux termes des articles 121 et 122 de la Constitution, <<les
membres de chaque gouvernement de Communauté sont élus )) par
leur assemblée.
Le livre V est consacré à l'étude des pouvoirs fédérés, notamment
dans l'ordre communautaire.

§ 2. - Les appartenances communautaires


328. - La communauté n'est pas créée au départ d'une notion
précise, le territoire ou une portion de celui-ci. Référence est faite
à l'<< appartenance communautaire )) comme critère de rattachement
d'une situation déterminée à l'ordre juridique d'une communauté
ou, à défaut, à celui de l'Etat fédéral.
324 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

Cette appartenance ne s'apprécie pas en dehors de toute notion


géographique. Sous la pression de forces politiques qui ont cru
nécessaire de subordonner la création des communautés à la délimi-
tation préalable de <~ leur ~> ressort territorial - de leur <~ sol ~>,
comme on dit souvent - , des démarcations ont été opérées pour
donner au moins aux communautés une <~ base territoriale ~>.
Une telle base est, cependant, passible de rétrécissements à raison
de données linguistiques ou d'accroissements à raison de données
socio-culturelles.

A. - Les données territoriales


329. - La base territoriale de la communauté, c'est la région
linguistique correspondante.
La Communauté française a pour base territoriale la région de
langue française, soit un ressort comprenant les provinces du Bra-
bant wallon, du Hainaut, de Namur, du Luxembourg et de Liège
(mise à part la région de langue allemande).
La Communauté flamande a pour base territoriale la région de
langue néerlandaise, soit un ressort comprenant les provinces du
Brabant flamand, de Flandre occidentale, de Flandre orientale,
d'Anvers et du Limbourg.
La Communauté germanophone a pour base territoriale - et seul
champ d'exercice possible de ses attributions - la région de langue
allemande (loi du 31 décembre 1983, art. 3); celle-ci comprend les
cantons d'Eupen et de Saint-Vith (28).
Ces limites ont été fixées par les lois coordonnées sur l'emploi des
langues en matière administrative (A.R. 18 juillet 1966, art. 2).
Qualifiées dans le jargon politique de <~frontières linguistiques~>,
elles ne peuvent être modifiées que par une loi spéciale (Const.,
art. 4, al. 3) (29).

(28) Les Communautés française et flamande - à la différence de la Communauté germano-


phone- ne disposent donc pas d'un territoire communautaire. Comp. A. ALEN et R. ERGEC, «Le
principe de territorialité dans la jurisprudence helge et européenne. Un essai de synthèse», J. T.,
1998, p. 785. Voy., sur ce point, l'avis L. 21.690/2/V, 16 juillet 1992. L'on ne saurait en déduire,
contrairement à ce que soutient l'avis précité, que chaque communauté peut intervenir, et
notamment prélever des impôts, • sur tout le territoire national ».
(29) La répartition géographique des compétences tant au niveau des communautés qu'au
niveau des régions peut entraîner des conflits interterritoriaux. Des difficultés peuvent surgir face
à des situations pouvant se rattacher, par des éléments distincts, à plusieurs ressorts territoriaux.
Sur ce sujet et sur le principe d'exclusivité énoncé par la Cour d'arbitrage, voy. F. DELPÉRÉE
et A. RASSON-ROLAND, La Cour d'arbitrage ... , pp. 87 s.
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 325

B. - Les données linguistiques


330. - Les données territoriales ne sont pas seules à être prises
en considération pour déterminer les appartenances communau-
taires. Des données linguistiques viennent interférer avec ces pre-
miers éléments.
L'explication est simple. L'emploi des langues, dans certaines matières et en
certains endroits du territoire - spécialement à proximité des « frontières lin-
guistiques>> - , n'a pas été sans susciter des difficultés auxquelles le législateur
s'est efforcé en 1963 d'apporter une solution. Peu heureuse sans doute dans ses
modalités (n° 240}, elle avait le mérite de clore pour un temps le débat. L'orga-
nisation des communautés en 1970 ne pouvait avoir pour résultat de rallumer
ces controverses; elle devait surtout éviter de donner aux deux collectivités poli-
tiques nouvelles la possibilité de leur apporter unilatéralement une solution.

La base territoriale de la communauté se réduit pour la circons-


tance.
Un décret linguistique ne produit jamais d'effet en dehors de la
région de langue correspondante. En clair, la Communauté française
ne saurait intervenir dans la région de langue néerlandaise et, inver-
sement, la Communauté flamande dans la région de langue fran-
çaise (30). Toutes deux sont incompétentes pour régler - séparé-
ment ou conjointement- l'emploi des langues dans la région bilin-
gue de Bruxelles-Capitale (31). Elles le sont également en région de
langue allemande. Pour ces deux dernières régions linguistiques, la
compétence normative est réservée au législateur fédéral, mais la
Communauté germanophone est néanmoins habilitée à régler l'em-
ploi des langues dans l'enseignement (Const., art. 130, 5°).
Il y a plus. Un décret linguistique ne s'applique pas dans l'en-
semble de la région linguistique correspondante. Il ne peut couvru
trois situations.
La première est celle des communes ou groupes de communes
contigus à une autre région linguistique et où la loi prescrit ou per-

(30) Même dans l'hypothèse exceptionnelle et temporaire où la Communauté française s'était


vue reconnaître la compétence d'agir pour une institution - l'Université catholique de Lou-
vain- située originellement en région de langue néerlandaise (art. 132), cette prérogative n'avait
pas été étendue à la matière de l'emploi des langues. Depuis 1979. l'Université a été intégrale-
ment transférée dans la région de langue française et dans la région bilingue de Bruxelles-Capi-
tale.
(31) «En matière d'emploi des langues, la communauté n'est pas appelée à intervenir dans
le ressort de la région bilingue de Bruxelles-Capitale» (Gedr. st., Vi. R., 1996-1997, no 69/2, avis
L. 25.538/1, 18 septembre 1996; C.E., L. 17.475/2 et L. 17.476/2, 13 octobre 1996).
326 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

met l'emploi d'une autre langue que celle de la région dans laquelle
ils sont situés (Const., art. 129, § 2, premier tiret) (32). Ces com-
munes sont généralement qualifiées de <~ communes à statut spécial •>
(Doc. parl., Sénat, sess. ord. 1962-1963, no 304; Ann. parl.,
Chambre, 6 novembre 1997, intervention J.L. DEHAENE).
~·Le règlement de l'emploi des langues pour les opérations électorales>> peut,
par exemple, être «fixé par la Communauté française et par la Communauté fla-
mande pour les communes sans statut linguistique spécial >>. Il doit, par contre,
être fixé par le législateur fédéral, statuant à la majorité spéciale pour les com-
munes dotées d'un statut spécial (Doc. parl., Chambre, 1985-1986, 315, n"' 1 et
2; C.E., L. 22.180/VR, le' avril 1993; adde: C.A., n" 26/90, 14 juillet 1990).

La deuxième situation est celle des services dont l'activité s'étend


au-delà de la région linguistique où ils sont établis (Const., art. 129,
§ 2, deuxième tiret).
Au sens de la législation linguistique, la carte d'identité peut être considérée,
comme un document qui est établi, pour l'essentiel, par un~· service central»-
le ministère de l'Intérieur- même s'il est délivré par un~· service local» -l'ad-
ministration communale - à la personne intéressée. Dans la mesure où cette
carte est utilisée comme un moyen d'identification dans l'ensemble du Royaume
et à l'étranger, il revient au législateur fédéral de régler seul cette matière (Gedr.
St., VI. R., 1996-1997, n" 550/2 avec l'avis L. 26.127/VR, 12 mars 1997; contra:
C.E., n° 38.376 et no 38.377, 20 décembre 1991 et Commission permanente de
contrôle linguistique, n° 28.212/11, 5 novembre 1996).

Troisième situation. C'est celle des institutions fédérales et inter-


nationales désignées par la loi dont l'activité est commune à plus
d'une communauté (Const., art. 129, § 2, troisième tiret).
La Constitution a cru bon de préciser à ce sujet que la liste de ces institutions
devait être déterminée par la loi fédérale; elle n'a pas encore été arrêtée. Dans

(32) On vise ainsi, d'une part, ''les communes périphériques' et, d'autre part, «les communes
de la frontière linguistique». On y ajoute les «communes malmédiennes ».
Les « communes périphériques », au sens des lois coordonnées sur l'emploi des langues en
matière administrative (art. 7), sont dotées d'un statut propre et sont considérées comme des
communes à régime spécial. Situées dans l'arrondissement de Hal-Vilvorde, il s'agit des com-
munes de Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-
Oppem.
Les «communes de la frontière linguistique», au sens des mêmes lois (art. 8), sont dotées,
elles, d'un régime spécial en vue de la protection de leurs minorités. Il s'agit, dans la province
du Brabant flamand, de la commune de Biévène, dans la province de Flandre occidentale, des
communes de Messines et Espierres-Helchin, dans la province de Flandre orientale, de la com-
mune de Renaix, dans la province de Hainaut, des communes de Comines, Enghien, Flobecq et
Mouscron, dans la province de Limbourg, des communes de Fouron et d'Herstappe.
Les «communes malmédiennes », que visent les mêmes lois coordonnées (art. 8, 2"), sont égale-
ment dotées d'un « régime spécial » en vue de la protection de la minorité de langue allemande.
Il s'agit, dans l'arrondissement de Verviers, et donc dans la province de Liège, des communes
de Malmédy et de Waimes.
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 327

le silence du législateur, les institutions communes tendent à se scinder et à se


rattacher, fût-ce par morceau, à l'une et l'autre communautés.

C. - Les données socio-culturelles

331. - La division du territoire en trois communautés et en


quatre régions linguistiques fait apparaître aussitôt les particula-
rités de la coexistence des communautés française et flamande dans
le ressort de la région bilingue de Bruxelles-Capitale.
De là, une nécessité : celle de concevoir un mode d'appartenance
des personnes ou des institutions à l'ordre juridique de l'une ou
l'autre communauté, celle aussi de définir un critère de rattache-
ment des situations au droit qu'elles sont en mesure d'élaborer, celle
encore de préciser quel régime trouvera à s'appliquer aux situations
qui ne relèveraient, en aucune manière, de ces ordres communau-
taires.
Une réponse s'esquisse dans la Constitution. Chaque communauté
est habilitée à régler les matières culturelles, entendues au sens large
de l'expression, ainsi que les matières personnalisables, en même
temps pour sa région linguistique et pour la région bilingue de
Bruxelles-Capitale. Il est entendu que, dans cette dernière région
linguistique, seuls sont concernés ceux qui appartiennent à la com-
munauté considérée.
La Constitution procure ainsi des accroissements significatifs à la
base territoriale de la communauté.
La communauté règle par décret, << pour ce qui la concerne ))
(art. 127, § pr et 128, §1er) ... Mais qu'est-ce que <<ce qui la
concerne )) ? La Constitution précise qu'en matière culturelle (en ce
compris l'enseignement et la coopération culturelle) et dans le
domaine des matières personnalisables, cette notion doit non seule-
ment couvrir la région linguistique correspondante mais s'étendre
pour englober << les institutions établies dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale )) qui, en raison de leurs activités - dans le pre-
mier cas - ou de leur organisation- dans le second - , <<doivent
être considérées comme appartenant exclusivement à l'une ou à
l'autre communauté)) (art. 127, § 2, 128, § 2 et 129, § 2). Qu'est-ce à
dire?

332. - Un premier critère est avancé. Il permet d'identifier


d'emblée certains destinataires de l'action communautaire et d'en
328 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

écarter d'autres. Seules sont prises en compte les << institutions >> qui
sont établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale. Les
termes employés sont particulièrement vagues; ils peuvent viser des
institutions privées ou publiques, des entités autonomes ou des ser-
vices distincts, etc.
Par contre, les personnes physiques établies dans la région bilin-
gue ne sont pas, à la différence de celles qui relèvent de régions uni-
lingues, personnellement assujetties à l'observation des décrets : ce
n'est qu'indirectement, et à travers l'action ou l'intervention d'ins-
titutions spécialisées (écoles, théâtres, hôpitaux, centres sportifs ... ),
qu'elles seront considérées comme relevant de l'une, de l'autre, voire
des deux communautés.
333. - Un critère matériel ou un critère organique vient s'y
ajouter.
Lorsque le décret entend régler des matières culturelles, l'enseigne-
ment ou la coopération entre les communautés, c'est le critère maté-
riel qui prévaut. Les institutions prises en considération doivent
exercer des << activités >> dont le caractère les fait appartenir de plein
droit à une communauté.
Le critère matériel qui est ainsi retenu est particulièrement res-
trictif. Dans une région unilingue, en effet, non seulement toutes les
personnes physiques mais encore toutes les institutions publiques ou
privées, quelles que soient leurs activités (culturelles ou non, locali-
sées exclusivement dans la région linguistique ou non), vont être
considérées comme relevant de la communauté correspondante;
dans la région bilingue, par contre, seules les institutions dont les
activités sont d'ordre culturel pourront être rattachées valablement
à l'une ou l'autre des communautés.
Le décret du 20 juillet 1975 fait obligation aux institutions publiques d'appo-
ser en certaines occasions le drapeau de la Communauté française sur les édifices
publics : le décret concerne, en région de langue française, toutes les institutions
publiques - maisons communales, écoles, prisons, casernes ... - alors que, dans
la région bilingue, il ne touche que les institutions culturelles (33).

(33) «Un établissement d'enseignement situé dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale et


où la langue de l'enseignement est le français ... doit être considéré comme une institution appar-
tenant exclusivement à la Communauté française' (C.E., L. 17.373/2/V, 29 août 1986; «les spor-
tifs bénéficieront des subventions de la Communauté française ... dès J'instant où ils seront
membre d'un cercle ou, via celui-ci, d'une fédération reconnue par cette communauté» (C.E.,
L. 20.477/9, 4 février 1991).
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 329

Lorsque le décret a trait aux matières personnalisables, un critère


organique tend, au contraire, à l'emporter.
Pourquoi ce régime distinct? C'est, a-t-on précisé, parce que les
institutions sociales qui fonctionnent dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale, tels les hôpitaux, doivent être ouvertes à tous.
Mais en va-t-il autrement dans cette région linguistique pour les ins-
titutions culturelles ?
Un régime particulier est mis en place. Il tend à définir des cri-
tères précis et formels d'appartenance communautaire. Seules les
institutions << agréées )) par une communauté seront considérées
comme relevant de l'ordre juridique de celle-ci. L'agrément peut
résulter d'une décision formelle de la communauté; elle peut aussi
être implicite. Ainsi un hôpital universitaire situé dans la région
bilingue de Bruxelles-Capitale accueillera des malades d'expression
française ou d'expression néerlandaise. Mais se rattachant, en fait
ou en droit, à un établissement d'enseignement qui, par son acti-
vité, relève, lui, de l'une ou de l'autre communauté, il appartiendra
également à celle-ci (34).
Ce régime est aussi assorti d'exceptions. Les institutions qui, par
leur organisation, appartiennent exclusivement à une communauté
relèvent de l'ordre juridique de cette communauté. Mais c'est à
condition qu'une loi spéciale n'en dispose pas autrement (art. 129,
§ 2). Faut-il y voir l'indication d'une exception d'ordre général -
mais appartient-il à une loi, même spéciale, de défaire l'œuvre de la
Constitution? - ou simplement la possibilité de concevoir des
régimes distincts dans des cas particuliers ou pour des institutions
déterminées? La première préoccupation semble avoir animé les
auteurs de la Constitution.
334. - Un critère fonctionnel complète les critères matériel ou
organique. L'appartenance des institutions établies dans la région
bilingue de Bruxelles-Capitale à l'une ou l'autre des communautés
n'est prise en considération que si elle est exclusive. L'institution est

(34) Un décret de la Communauté française du 1"'juillet 1982 fixe les critères d'appartenance
exclusive à cette communauté des institutions traitant les matières personnalisables dans la
région bilingue de Bruxelles-Capitale : «Appartiennent exclusivement à la Communauté fran·
çaise, au sens de l'article (128, § 2) de la Constitution, les institutions ... dont les actes de gestion
courante et journalière se font en français et qui, par l'organisation de leur service d'accueil,
s'adressent de manière spécifique aux francophones» (art. 2).
330 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

dite monocommunautaire - soit monoculturelle, monoéducative ou


monopersonnalisable - .
Dans le chef de l'individu qui réside dans l'une des communes
bruxelloises, les réalités sont plus complexes. L'appartenance n'est
pas affichée. Elle n'est pas obligatoire. Elle n'est pas exclusive. Elle
n'est pas définitive. C'est de manière volontaire qu'un individu
choisit de fréquenter telle institution. Il se soumet - par le fait
même - à la législation de la communauté dont cette institution
relève. Il choisit sa propre loi ... De manière plus concrète, il adhère
à l'un des régimes juridiques qui lui sont offerts ou décide de ne se
soumettre à aucun d'eux.
Les institutions bruxelloises qui ne relèvent pas exclusivement de
l'une ou l'autre des communautés sont dites, elles, bicommunau-
taires. L'expression est équivoque. Elle pourrait donner à penser
que ces institutions - et les personnes qui les fréquentent - vont
être placées sous la responsabilité conjointe des Communautés fran-
çaise et flamande. Il n'en est rien. A défaut d'être monocommunau-
taires, ces institutions bruxelloises échappent entièrement à la com-
pétence de l'une ou l'autre communauté, et même des deux à la fois.
Comment cela se peut-il?
Les institutions biculturelles ou biéducatives relèvent des autorités
fédérales (35). Aucune appartenance communautaire ne prévaut en
ce domaine. Les personnes qui fréquentent ces institutions ou qui
recourent à leurs services ne peuvent se prévaloir d'une apparte-
nance communautaire indirecte.
Les institutions bipersonnalisables sont placées sous la responsabi-
lité de la Commission communautaire commune. Ici encore, aucune
appartenance communautaire - directe ou indirecte - ne saurait
être décelée.
335. - On ne saurait manquer de souligner les difficultés prati-
ques que peut susciter, spécialement dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale, ce procédé de définition des appartenances com-
munautaires. Quand l'activité d'une institution ressortit-elle exclu-
sivement au domaine d'une communauté? Comment faire le départ
entre des institutions uni- et bicommunautaires? Quel régime lin-

(35) «L'autorité fédérale conserve, à titre résiduel, compétence exclusive à l'égard des institu-
tions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leurs activités, ne
peuvent être considérées comme appartenant exclusivement à l'une ou l'autre communauté>>
(C.E., L. 23.040, 4 mai 1994).
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES 331

guistique faut-il aménager à leur intention? Comment traiter les


institutions dont une part seulement des activités relève des
matières culturelles ou des matières personnalisables ?

BIBLIOGRAPHIE

Les ouvrages de droit international public contiennent des développements impor-


tants sur les thèmes de l'indépendance et de l'intégrité territoriale de l'Etat. Voyez,
par exemple,
P. DE VISSCHER, Cours général de droit international public, Recueil des Cours de
l'Académie de droit international, volume Il, 1972; P. REUTER, Droit international
public, Paris, Dalloz.
Sur les divisions communautaires dans l'Etat, on consultera :
P. ÜHARLIER, <<Les communautés culturelles française et néerlandaise en Bel-
gique», R.I.S.A., 1978, no 3; F. DELPÉRÉE, <<Perspectives communautaires», Dos-
siers du CACEF, janvier-février 1978, p. 25; P. WIGNY, <<Réflexions sur le terme
communauté,,, Miscellanea W. J. Ganshof van der Meersch, Bruxelles, Bruylant,
1972, t. III, p. 399.

On consultera également
F. DELPÉRÉE, Le nouvel Etat belge, Bruxelles, Labor, 1986; F. DELPÉRÉE et S.
DEPRÉ, Le système constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Larcier, 1998.
CHAPITRE II
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS

336. - <<Symbole de puissance, l'espace est aussi le premier obs-


tacle à l'exercice du pouvoir >) écrit Jacques DoNNEDIEU DE
VABRES (1). Et d'observer que l'Etat ne peut vaincre cet obstacle
que s'il s'engage dans la voie de la division de son territoire en
espaces qui délimitent des centres d'intérêts locaux. Tantôt il recon-
naît des collectivités anciennes dont il consacre l'existence et le res-
sort; tantôt il les suscite et les invite à s'organiser. Toujours il les
intègre; il en uniformise l'organisation; il les situe les unes par rap-
port aux autres; il les associe, à leur place et avec leurs moyens, à
la réalisation du bien public général.
Même dans les Etats où, comme en France ou en Italie, la Consti-
tution proclame le caractère <<un et indivisible >) de la République,
elle ne peut s'empêcher d'ajouter aussitôt que cette donnée de prin-
cipe ne fait pas obstacle à l'existence de diverses collectivités terri-
toriales qui trouvent tout naturellement leur place sur son terri-
toire.
Pour prendre un exemple-limite, même dans la principauté de Monaco, une
distinction fonctionnelle s'est établie entre les affaires et les autorités de l'admi-
nistration principautaire et celles d'une administration proprement munici-
pale (2).

Dans les Etats fédéraux, le problème se pose autrement. Non que


la Constitution ignore les collectivités locales. Au contraire, elle
atteste de leur existence, elle définit leurs attributions et leurs auto-
rités. Mais une question nouvelle apparaît ici. Les collectivités
locales doivent être situées par rapport tant à l'Etat fédéral qu'à ses
composantes. Des solutions complexes peuvent être apportées à ce
problème institutionnel.
C'est dire que l'Etat -l'Etat belge comme les autres Etats- est
forcément structure d'ensemble. Il ne se conçoit pas sans ses divi-
sions. Mises à part ses composantes, il est peuplé de multiples collee-

( 1) J. DONNEDIEU DE V A BRES, op. cit., ibid.


(2) M. W ALINE, Droit administratif, 9'" éd., Paris, Sirey, 1963, p. 300.
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 333

ti vi tés qui voient délimiter leur champ d'action dans l'espace par
référence à une portion du territoire.
Une étude de l'Etat belge qui ignorerait ces réalités politiques et
institutionnelles serait amputée d'une donnée importante. Comment
caractériser le centre en ignorant les extrémités?
Les communes, les provinces, les agglomérations et fédérations de
communes ainsi que les districts sont des collectivités qui présentent
une même caractéristique : ce sont des collectivités politiques. Elles
sont, avec l'Etat fédéral et les régions, les espèces d'un genre com-
mun : les collectivités politiques territoriales. La Constitution précise
notamment la manière dont sont établis et modifiés les ressorts ter-
ritoriaux de ces collectivités politiques.
Les commissions communautaires représentent, pour leur part,
des collectivités d'un type particulier. Ce ne sont pas des collectivités
politiques territoriales, mais communautaires. La Constitution les
organise. Elle doit, cette fois, préciser leur aire de compétence grâce
à des facteurs institutionnels de rattachement.

337. - Il n'y a pas lieu de confondre les collectivités locales ou


les commissions communautaires avec les circonscriptions adminis-
tratives.
Mises à part les divisions qu'entraîne la multiplicité des collecti-
vités politiques, le territoire national est, en effet, divisé en une plu-
ralité d'espaces : il est couvert de circonscriptions de toute dimen-
sion, de toute nature, de tout objet.
L'existence de ces circonscriptions répond au souci d'assurer tan-
tôt l'efficacité, tantôt la diversité de l'action des pouvoirs publics.

338. - L'efficacité de l'action politique et administrative peut


représenter un premier objectif. Le contrôle des douanes sera mieux
assuré aux frontières, la justice sera mieux rendue à l'endroit du
délit, le vote se déroulera plus commodément à la commune du
domicile de l'électeur ...
L'échelle du territoire national, si réduit soit-il, ne permet pas,
pour des raisons de commodité, que toutes les fonctions politiques
et administratives s'effectuent en un même lieu, par exemple dans
la capitale du pays.
D'où la nécessité de découper l'espace en circonscriptions, de dési-
gner le lieu où l'action des pouvoirs publics va se développer concrè-
334 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

tement, où ils exerceront leurs fonctions, où ils implanteront leurs


activités, leurs services, leurs agents. La technique utilisée est celle
de la déconcentration. Elle doit conduire à un aménagement ration-
nel des institutions et des services publics mais ne traduit pas la
volonté d'organiser de nouvelles collectivités politiques.
339. - La diversité de l'action politique et administrative appa-
raît comme un objectif distinct. La règle de droit est générale mais
elle n'atteint pas nécessairement la généralité des citoyens; elle peut
se donner comme objectif de régir une ou plusieurs généralités de
citoyens. Les divisions du territoire servent alors à désigner le
groupe de personnes ou la fraction de la collectivité étatique à
l'égard desquels les pouvoirs publics, quels qu'ils soient, ont reçu
mission d'agir.
Ces divisions conduisent à la définition de zones géographiques
qui servent de champs d'application à une législation, à une régle-
mentation particulière ou qui circonscrivent dans l'espace des inté-
rêts sur lesquels porte une procédure de consultation. Par contre,
elles ne sont pas le ressort de collectivités qui prendraient en charge
les intérêts d'un groupe de citoyens par l'intermédiaire de manda-
taires élus.
340. - L'importance des circonscriptions administratives n'est
pas sous-estimée par la Constitution qui consacre explicitement
l'existence de certaines d'entre elles. Il s'agit notamment des quatre
régions linguistiques visées à l'article 4, alinéa 1er: (<la région de lan-
gue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de
Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande~> (3). Leurs
limites déterminent le champ d'application des lois fédérales et des
décrets, spécialement ceux qui sont pris en matière d'emploi des
langues (n° 330).
Faut-il aller plus loin 1 Le Conseil d'Etat tire de cette délimitation administra-
tive des conséquences juridiques importantes. <<Au prescrit de l'article 4, la lan-
gue de la région (linguistique) est la langue officielle, principe qui s'impose par-
tout où la loi ou le décret ne prévoit pas de régime dérogatoire non équivoque·~
(n" 15.990, 17 août 1973, Germis). Avec cette application concrète:« L'article (4)
de la Constitution contient l'exigence de principe que les membres des organes
des communes de la région de langue néerlandaise doivent utiliser et, partant,

(3) Il est précisé qu'aucune commune ou groupe de communes ne pourrait rester" en l'air'' :
«chaque commune du Royaume fait partie d'une de ces régions linguistiques>> (Const., art. 4,
al. 2).
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 335

connaître le néerlandais>> (arrêt no 26.944, 30 septembre 1986, Happart). La


Cour d'arbitrage tient un raisonnement différent. Pour elle, l'article 4 de la
Constitution n'impose pas<< directement, par son effet propre, (d') obligations en
matière d'emploi des langues>> (C.A., 26 mars 1986). La seconde interprétation
respecte mieux la portée qu'il convient de donner à l'instauration d'une circons-
cription administrative (4).

341. - Dans son article 6, la Constitution fait un sort particu-


lier aux divisions du territoire que représentent les << subdivisions
des provinces >>. Elle précise que leur ressort ne peut être établi que
<<par la loi>> fédérale. Que sont ces subdivisions?
On a pu croire que l'expression désignait les communes, ce que pourrait
confirmer l'économie générale du texte constitutionnel : entre un article 5 fai-
sant référence aux régions et aux provinces et un article 7 qui traite des limites
de l'Etat fédéral, des provinces et des communes, n'y a-t-il pas place pour un
article 6 qui traite de l'institution communale? On a pu également soutenir que
la formule servait à désigner les arrondissements administratifs, voire les can-
tons, qui sont aménagés au sein des provinces; encore qu'il paraisse, dans cette
hypothèse, paradoxal de subordonner leur établissement à l'intervention exclu-
sive du législateur fédéral (<<par la loi») alors que les limites de l'Etat fédéral,
des provinces et des communes pourraient, elles, être modifiées par le pouvoir
exécutif sous couvert d'une habilitation ou d'une ratification législative.

Il semble que l'article 6 de la Constitution ne puisse être inter-


prété indépendamment de ces autres textes constitutionnels que
sont les articles 42 (version ancienne : <<Les membres des deux
Chambres représentent la nation, et non uniquement la province ou
la subdivision de province qui les a nommés >>) et 62 (primitivement
conçu en ces termes : << Les élections se font par telle division de pro-
vince et dans tel lieu que la loi détermine>>). En d'autres termes, la
Constitution semble avoir eu particulièrement en vue, dans l'ar-
ticle 6, les circonscriptions électorales et les collèges électoraux
qu'elles définissent.
342. - L'on passe brièvement en revue le statut que la Consti-
tution fait aux différentes collectivités locales, en renvoyant à des
études spécialisées pour l'examen des règles particulières d'organisa-
tion et de fonctionnement de ces collectivités. Voy. notamment
F. DELPÉRÉE et S. DEPRÉ, Le système constitutionnel de la Bel-
gique ... , Chapitre 1er. Les collectivités locales.

(4) Autre chose est évidemment de la constitution des communautés (n"' 324 s.).
336 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

SECTION J'e. -LA COMMUNE

§ 1er. - La collectivité politique


343. - La Constitution reconnaît aux collectivités locales, et
notamment à la commune, le statut de collectivités politiques. Cette
réalité constitutionnelle est parfois gommée. La commune est sou-
vent présentée comme une institution purement administrative. Les
tâches qu'elle assume relèvent, dit-on, de la gestion des affaires
publiques. Ses actions et ses décisions, rappelle-t-on, sont tributaires
de choix politiques qui sont pratiqués ailleurs - c'est-à-dire dans
des collectivités de dimension moins réduite - .
Cette présentation est incorrecte. Elle ne correspond pas à la réa-
lité institutionnelle. La commune est pourvue d'autorités propre-
ment politiques. Celles-ci trouvent dans l'élection le siège de leur
légitimité. Elles assument des fonctions qui, même si elles trouvent
place dans un cadre territorial restreint, sont autant de direction
que de gestion. Elles n'agissent pas sous l'autorité mais sous le
contrôle - ce qui ne revient pas au même - d'institutions de
tutelle.
Toute personne qui vit en Belgique appartient à une commune.
Elle y trouve un point d'ancrage institutionnel. Elle y a son domi-
cile ou sa résidence. Elle y a peut-être le centre de ses activités ou
de ses affections. Si elle est belge ou si elle est citoyenne de l'Union,
elle y exerce de surcroît les droits élémentaires de la citoyenneté.
En ce sens, la commune est la collectivité politique de base. Les
autorités constituantes peuvent songer à simplifier le paysage insti-
tutionnel de la Belgique et à supprimer, par exemple, l'une ou
l'autre collectivité intermédiaire. Elles ne sauraient, par contre, tou-
cher à la commune qui représente, selon l'expression des sociolo-
gues, la collectivité de proximité par excellence.
En somnie, le système institutionnel de la Belgique repose sur le
socle communal.

A. - La personne juridique
344. - Une personnalité distincte de celle de l'Etat fédéral et de
ses composantes caractérise, sans conteste, la commune. La Consti-
tution, peu familiarisée avec ce problème dont les contours, même
en doctrine, sont mal assurés, ne consacre pas de manière expresse
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 337

cette personnalité. Elle accrédite néanmoins l'idée puisqu'elle range


les autorités locales parmi les <<pouvoirs publics)) qu'elle organise
(art. 41, 162 à 166).
La reconnaissance de cette personnalité ne saurait prêter à discus-
sion. Pour aider la commune à satisfaire les intérêts dont elle a la
charge, le droit positif lui confère des prérogatives particulières qui
attestent cette existence propre. Ainsi, la Nouvelle loi communale
lui attribue compétence pour ester en justice (NLC, art. 270 et 271),
pour se doter d'un personnel (NLC, art. 143 s.) et d'un budget
(NLC, art. 238 s.) : toutes prérogatives qui sont des attributs de la
personnalité juridique.

B. - Les intérêts communaux


345. - La Constitution pose comme principe << l'attribution aux
conseils( ... ) communaux de tout ce qui est d'intérêt( ... ) communal))
(art. 162, al. 2, 2°). Elle s'abstient cependant de définir les intérêts
que la commune prend en charge. Elle utilise - de manière tautolo-
gique - une clause générale de compétence (5). Le conseil commu-
nal règle <<les intérêts exclusivement communaux)) (Coust., art. 41).
Un texte constitutionnel rédigé de manière aussi imprécise a un
mérite. Il ne fige pas arbitrairement la réalité mouvante des intérêts
communaux dans les définitions étriquées du XIXe siècle. Il pré-
sente aussi un inconvénient. Il ne définit pas clairement les
domaines d'action de la commune. Il permet que leurs compétences
soient progressivement vidées de leur contenu par l'Etat fédéral, les
communautés et les régions.
Une triple évolution- qui n'est pas propre à la Belgique- s'est
produite en l'occurrence.
Dans une première étape, la notion d'<< intérêts communaux ))
reçoit une interprétation étroite. Les autorités locales ont sans
doute un pouvoir d'initiative dans la définition de tels intérêts
(NLC, art. 117). Mais leur silence ou leur inaction - dus notam-
ment à un manque de moyens humains et financiers - laisse le
champ libre aux interventions des autorités centrales.

(5) La Cour de cassation l'observe dans un arrêt du 6 avril 1922 :<<Doit être considéré comme
d'intérêt communal, l'acte ou le service public qui intéresse la collectivité des habitants d'une
commune» (Rev. Adm., 1923, p. 143).
338 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

Dans une deuxième étape, le législateur se reconnaît compétent


pour disqualifier les intérêts communaux et pour les faire passer
dans le domaine des intérêts de <<l'administration générale •>. Un
ensemble de lois - fédérales, communautaires ou régionales -
règlent désormais des matières - l'enseignement, la police du rou-
lage, l'urbanisme et l'aménagement du territoire ... - qui entraient
classiquement dans le domaine de l'administration communale.
Dans une troisième étape, le législateur suit l'exemple que la
Constitution procure dans le domaine de l'état civil (art. 164). Il
confie aux autorités locales la gestion d'affaires d'intérêt purement
général : dresser les actes de l'état civil, tenir les registres électo-
raux, délivrer les permis de conduire, recueillir les demandes de pen-
sion, contrôler le chômage ... (6). Voy. NLC, art. 116 et 117.
Aux termes d'une triple évolution qui a duré plus d'un siècle, la
commune est dessaisie d'une part importante des intérêts exclusive-
ment locaux pour être chargée, sinon assaillie, d'activités qui relè-
vent de l'ordre des intérêts généraux.
Il n'y a donc pas de limites fermes entre le domaine << des intérêts
exclusivement communaux •> et celui des <<intérêts généraux •>, c'est-
à-dire fédéraux, communautaires ou régionaux. Il y a plutôt une
frontière mouvante que les différents législateurs reçoivent mission
de clicher selon les circonstances ou les opportunités.
346. - Les textes qui organisent les institutions communales
attirent l'attention sur quelques missions spécifiques de la commune.
Il ne s'agit pas, à proprement parler, de missions exclusives. Diffé-
rentes législations existent également dans ces domaines. La Nou-
velle loi communale ou d'autres législations s'efforcent néanmoins
de prescrire la manière dont les différentes autorités de la commune
peuvent agir dans ces domaines particuliers.
347. - Comme le prescrivent les lois coordonnées du 20 août 1957, <<toute
commune est tenue de créer et d'entretenir au moins une école primaire commu-
nale •• (art. 22, al. l "') pour autant que les parents de quinze enfants réclament
ce type d'enseignement. Elle peut aussi créer une école gardienne (art. 28) pour
autant que les parents de trente-cinq enfants de trois à six ans le requièrent.

(6) Y. LF,JIWNE, «La gestion des intérêts généraux par les communes», A. P. T., 1986, p. 126.
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 339

L'école communale est dirigée par la commune (art. 23). Le conseil arrête le
cadre du personnel et désigne les instituteurs. Il organise l'enseignement qui se
donne dans cette école (7).
L'école communale est une école officielle. Elle n'est pas soumise à l'obligation
de neutralité que la Constitution impose aux écoles qui sont organisées par la
communauté. Une contrainte s'impose néanmoins dans l'aménagement des pro·
grammes. L'école doit offrir le choix <<entre l'enseignement d'une des religions
reconnues et celui de la morale non confessionnelle>> (Const., art. 24, § 1"', al. 4).

348. - << La police communale fait partie des matières relevant de l'intérêt
communal>> (C.A., n" 18/94, 3 mars 1994) ..
La commune <<a pour mission de faire jouir les habitants des avantages d'une
bonne police, notamment de la propreté, de la sûreté et de la tranquillité dans les
rues, lieux et édifices publics>> (NLC, art. 135, § 2, al. 1'"). A cette fin, il revient
au conseil communal d'établir <<les ordonnances de police communale>> (NLC,
art. II9, al. 1c'). Il peut les assortir de sanctions pénales.
Reprenant à son compte des formulations qui étaient déjà inscrites dans l'ar·
ticle 50 du décret du 14 décembre 1789 relatif à la constitution des municipalités
et l'article 3 du décret des 16·24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, ainsi que
les commentaires que la jurisprudence leur a apportés en près de deux siècles
(Cass., 9 octobre 1953, Pas., 1954, I, p. 109) (8), la loi fédérale reconnaît à la
commune- et plus particulièrement au conseil communal (9)- des responsabi·
lités spécifiques dans le domaine de la police générale (10). Ce pouvoir de police
ne peut s'exercer - dans les matières que la loi confie aux autorités commu·
nales - que pour autant que la mesure prescrite soit nécessaire pour atteindre
le but poursuivi (Il).
La compétence du conseil est assortie de deux exceptions.
- Le collège exerce <<la police des spectacles» (NLC, art. 130), c'est·à·dire
veille à ce que les représentations de spectacles ne compromettent pas l'ordre
public. L'interdiction doit être temporaire. Elle doit se justifier par des raisons
qui tiennent au maintien de l'ordre public. Elle doit répondre aux exigences de
la proportionnalité (C.E., n° 44, 9 mai 1949, Universal Films; n" 6.797, 8 janvier
1959, Columbia Films; n" 38.018, 31 octobre 1991 et n" 38.108, 14 novembre
1991, SPRL Sound and Vision).

(7) F. DELPÉRÉE et D. DÉOM, ''L'administration de l'enseignement en Belgique», in Ann.


eur. adm. publ, 1990, p. 199.
(8) J. DEMBOUR, Les pouvoirs de police administrative générale des autorités locales, Bruxelles,
Bruylant, 1956, p. 162.
(9) Il s'agit d'une compétence réservée au conseil communal. ''Il est, en effet, de règle dans
le système belge de confier les attributions générales de police administrative à des autorités -
le plus souvent à des assemblées - démocratiquement élues, parce que ces attributions sont de
nature à affecter (l'exercice) des libertés publiques» (L. 25.462/9, 30 octobre 1996).
(10) Non sans équivoque, l'article 133, alinéa 3, NLC, modifié par la loi du 3 avril 1997, indi·
que que <<sans préjudice des compétences du ministre de l'Intérieur, du gouverneur et des institu·
tions communales compétentes, le bourgmestre est l'autorité responsable en matière administra·
tive sur le territoire de la commune».
(11) C.E., n" 14.473. 26 janvier 1971, Van Look, R. W., 1972·1973, col. 613, rapport F. DE·
BAEDTS.
340 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

Le bourgmestre assume des tâches de suppléance (NLC, art. 134, § 1 ec) dans
deux hypothèses. L'une est celle <<d'émeutes, d'attroupements hostiles, d'at-
teintes graves portées à la paix publique •>. L'autre est celle <<d'autres événe-
ments imprévus ». Dans ces deux cas, << lorsque le moindre retard pourrait occa-
sionner des dangers ou des dommages pour les habitants •>, c'est-à-dire en cas
d'urgence (12), le bourgmestre peut, à son tour, <<faire des ordonnances de
police •> (13).
Comme l'écrit M.-A. FLAMME, le premier magistrat communal <<est (ainsi)
investi ... d'un pouvoir réglementaire exceptionnel, sorte de dictature momenta-
née dont il peut assurer la fonction par des peines de police» (14). Dans la prati-
que administrative, une grande tolérance existe en ce qui concerne l'appréciation
de l'urgence. L'intervention du bourgmestre est jugée régulière non seulement
s'il lui est impossible de réunir le conseil communal mais aussi s'il est simple-
ment difficile de tenir la réunion à temps.

349. - En ce qui concerne le patrimoine communal, <<le conseil arrête les


conditions de jouissance et de gestion des biens communaux (aliénation d'im-
meubles, emprunts, acceptation de libéralités, ouverture ou suppression de rues
et de chemins vicinaux, plans généraux d'alignement, règlements et tarifs de
location des places dans les halles, foires, marchés ou abattoirs, décisions de
principe concernant les projets de construction des édifices communaux, condi-
tions des adjudications et fournitures, etc.) ... Les mesures d'exécution (désigna-
tion des architectes, mise en adjudication, choix de l'entrepreneur, direction des
travaux) relèvent de la compétence du collège» (15).

C. ~ Les autorités communales


350. ~ L'existence d'une personne juridique ne va pas sans la
présence d'institutions particulières qui puissent agir en son nom et
pour son compte. Leur désignation ne peut être le fait de l'Etat
fédéral, de la communauté ou de la région. Elle doit résulter d'une
décision de la collectivité politique elle-même. Le plus communé-
ment, c'est par le biais de l'élection qu'elle se réalise.
<< Il y a, dans chaque commune, un corps communal composé de

conseillers, du bourgmestre et des échevins >>. Dans son article 1er, la


Nouvelle loi communale souligne avec force une réalité institution-
nelle qui est trop souvent passée sous silence. C'est celle de l'unicité
du corps communal. Contrairement à une idée reçue, la séparation
des pouvoirs et des fonctions ne s'applique pas ici.

(12) A. VANDERSTICHELE, La notion d'urgence en droit public, Bruxelles, Bruylant, 1986 et la


jurisprudence citée.
(13) Voy. Proposition de loi insérant un article 1341er dans la Nouvelle loi communale, Doc.
parl., Chambre, sess. ord. 1997-1998, 1277/l.
(14) M.-A. FLAMME, Droit administratif, t. I"c, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 224.
(15) M.-A. FLAMME, op. cit., p. 203.
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 341

L'unicité du corps communal tient, pour l'essentiel, à son mode


de sélection. Hormis l'exception notoire mais relative du bourg-
mestre, les autorités qui composent le corps communal proviennent
d'une élection- directe ou indirecte-. La loi fédérale- à savoir
la Nouvelle loi communale et la loi électorale communale - établit
les règles de sélection des différentes autorités communales. Elle
s'efforce de concrétiser au mieux cette préoccupation démocratique.
L'unicité du corps communal tient aussi à ses modes de fonction-
nement. Le bourgmestre et les échevins sont amenés à travailler
ensemble au sein du collège. Il y a plus. Les conseillers, d'une part,
le bourgmestre et les échevins, d'autre part, vivent sous le signe de
l'irrévocabilité mutuelle. L'un ne peut renverser l'autre. L'autre ne
peut dissoudre l'un. Ils sont voués à coexister et, si possible, à colla-
borer pendant une période immuable de six ans (16).
Pour une étude des institutions communales, voy. Le système
constitutionnel de la Belgique ... , nos 6 à 90.

§ 2. - Le ressort territorial de la commune

A. - Les données historiques


351. - A sa création, l'Etat belge comprenait quelque
2.500 communes. Soucieux de rapprocher les autorités locales des
citoyens, il s'est engagé, à la fin du XIXe siècle, sur la voie d'une
multiplication du nombre des entités communales, au point de com-
prendre, au lendemain de la seconde guerre mondiale, 2.670 com-
munes - dont près de la moitié ne comprenait pas mille habi-
tants-.
Soucieux de remédier aux difficultés de gestion administrative
que cette opération avait suscitées, l'Etat s'est orienté, dans une
seconde étape (1961-1975), sur une autre voie : il a cherché à corri-
ger les inconvénients du grand nombre en procédant au groupement
des communes, notamment par le procédé dit de la <<fusion des com-
munes)).
Le but de l'opération était clairement affirmé. Il s'agissait, lors-
que <<des considérations d'ordre géographique, économique, social,

( 16) Les crises qu'un régime de type parlementaire ménage dans le fonctionnement des collec-
tivités politiques semblent inconciliables avec le souci de continuité qui doit caractériser la ges-
tion des intérêts locaux.
342 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

culturel ou financier le requièrent>> (loi du 23 juillet 1971 concer-


nant la fusion des communes et la modification de leurs limites,
art. 1er), de créer des communes nouvelles qui représentent des
<<entités suffisantes>> (loi du 26 juillet 1971, art. 2, § 4, in fine) pour
la gestion locale des affaires publiques.
L'imprécision qui marque la définition de ces objectifs paraissait
affecter d'un handicap majeur cette opération de rationalisation
politique et administrative. Celle-ci s'est néanmoins achevée avec le
vote de la loi du 30 décembre 1975. Elle est réalisée depuis le
1er janvier 1977 ( 17).

B. - Les données juridiques


352. - Les modalités de l'opération de fusion méritent d'être
relevées. La Constitution - qui crée l'institution communale et qui
détermine les principes généraux de son organisation (art. 41 et
162) - veut que les limites des communes existantes ne puissent
être changées ou rectifiées qu'<< en vertu d'une loi>> fédérale (art. 7).
Cette disposition est interprétée de la manière suivante : le pouvoir
gouvernemental peut procéder au groupement des communes mais
il doit, pour ce faire, obtenir une habilitation ou une ratification
législative.
Concrètement, la loi du 23 juillet 1971 détermine la procédure de
fusion. Par arrêté délibéré en conseil des ministres, le roi peut
<<fusionner des communes limitrophes, annexer à l'une d'entre elles
la totalité ou une fraction d'une ou plusieurs autres ou rectifier leurs
limites>> (art. 1er). Le ministre de l'Intérieur met au point un<< plan
de fusion>>. Via les gouverneurs de provinces, il le transmet pour
avis aux conseils communaux intéressés (art. 2, al. 2). Tirant les
leçons de cette consultation, le roi procède alors, par voie d'arrêtés
royaux délibérés en conseil des ministres, à l'opération de fusion des
communes. Ces arrêtés royaux n'entrent, cependant, en vigueur
qu'après avoir été ratifiés par les chambres législatives (art. 3).
Avant ratification, les arrêtés échappent - en leur qualité d'actes
préparatoires - à la censure du juge administratif. Après ratifica-
tion, ils y sont également soustraits - en leur qualité d'actes légis-
latifs-.

( 17) F. DELPÉRÉE et R. DETRIER, ''Droit et sociologie des organisations. Quelques observa-


tions sur les regroupements de communes», A. D. Lv., 1973, pp. 32 s.
------------------

L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 343

Cette procédure complexe a permis de vaincre les réticences que


les mandataires locaux comme les élus nationaux n'ont cessé de
manifester à l'encontre de la procédure de fusion des communes.
Elle a contribué à déjouer les résistances au changement et les senti-
ments, souvent réels et parfois factices, d'attachement et d' apparte-
nance à des collectivités politiques réduites. Elle permet de réaliser
une action politique plus efficace et une gestion administrative plus
cohérente.
Depuis les élections communales d'octobre 1976, trois communes
sur quatre ont disparu. 589 communes subsistent : 19 dans la région
bruxelloise, 262 en région wallonne et 308 en région flamande.

C. - Le ressort de la commune
353. - Par définition, chaque collectivité locale intervient dans
le ressort qui est le sien. Des exceptions mineures sont apportées de
manière classique à cette règle de bon sens.
Il est traditionnellement admis que la commune peut installer un
cimetière public en dehors des limites du territoire communal et y
exercer les compétences de police qui s'attachent à l'ensevelissement
des défunts (18).
La constitution d'une association de pouvoirs publics permet la
gestion des intérêts locaux au-delà des limites du territoire d'une
collectivité locale. Selon l'expression consacrée, il s'agit de faire
<<plus grand>> mais il ne s'agit pas de faire <<autre chose>>.

SECTION II. - LA PROVINCE

§ 1er. - La collectivité politique


354. - Si la commune se définit comme la collectivité de base,
la province, elle, se caractérise comme la collectivité intermédiaire.
Elle se situe à mi-chemin entre les communes qu'elle englobe et la
région dans laquelle elle s'inscrit. Elle est conduite à collaborer avec
les unes et avec l'autre. Elle peut notamment servir de relais aux
préoccupations locales auprès des autorités régionales.
D'un point de vue institutionnel, la province présente un
ensemble de traits qui la range résolument dans le camp des collee-

(18) F. D!èLPÉRÉE, «Les cimetières et les musulmans>>, R.B.D.C., 1997, pp. 267 s.
344 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

tivités locales. A certains égards, et notamment pour ce qui


concerne le fonctionnement de l'assemblée politique, elle s'organise
aussi selon des modalités qui rappellent plutôt celles de la région ou
de l'Etat fédéral.
La province souffre d'un handicap. A la différence d'autres collec-
tivités politiques - telle la commune - , elle a peu de contact
direct avec le citoyen. A la différence d'autres collectivités politi-
ques - telle la région - , elle n'est pas en mesure de concevoir et
de mettre en œuvre les projets politiques qui permettraient d'assu-
rer à son niveau un réel développement économique et social. Il n'en
faut pas plus pour que le rôle, et même l'existence, de la province
soient régulièrement mis en cause.

A. - La personne juridique
355. - De la même manière qu'elle consacre implicitement la
personnalité juridique de la commune, la Constitution la reconnaît à
la province. Elle range ainsi la province parmi les << pouvoirs
publics>> qu'elle organise (art. 41, 162 et 163).
L'attribution d'une telle personnalité juridique est clairement
attestée par la loi provinciale qui confère des prérogatives particu-
lières aux provinces, notamment la compétence de se doter d'un
personnel (art. 65, al. 2) et d'un budget (art. 66), de faire <<les
emprunts, les acquisitions, aliénations et échanges de biens de la
province>> (art. 73), de créer et organiser des établissement publics
d'intérêt provincial (art. 72) ainsi que d'ester en justice (art. 74 et
124).

B. - Les intérêts provinciaux


356. - La Constitution attribue aux conseils provinciaux tout
ce qui est d'intérêt provincial (art. 162, al. 2, 2°).
Plus encore que les intérêts communaux, les intérêts provinciaux
manquent de détermination précise. Il revient à la province de cir-
conscrire elle-même <<la sphère de ses intérêts propres, et ceci par
des initiatives spontanées>> ( 19). Encore doit-elle tenir compte, pour

(19) C. GESCHÉ·STRAUVEN, «La province, niveau intermédiaire dans la structure de l'Etat»,


A.P.T., 1982, p. 169.
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 345

ce faire, d'un ensemble de contingences politiques et administra-


tives (20).
Aux termes de l'article 41 de la Constitution,<< les intérêts exclusi-
vement ( ... ) provinciaux sont réglés par les conseils ( ... ) provin-
ciaux >>. Au même titre que le conseil communal, l' assembl~e provin-
ciale possède en ce domaine une plénitude de compétences. La loi
provinciale consacre cette préoccupation en attribuant au conseil
une compétence générale. Il lui revient d'édicter << des règlements
provinciaux d'administration intérieure et des ordonnances de
police>> (LP, art. 85).
La fonction réglementaire qui revient au conseil provincial est assortie néan-
moins d'une double limite.
Le conseil doit tenir compte des responsabilités qui reviennent aux communes.
Selon la Cour de cassation, certaines matières - notamment celles qui relèvent
de la police- ne peuvent être utilement et valablement réglées qu'au niveau de
la commune. A ce titre, elles relèvent exclusivement de la sphère de compétence
de celle-ci (21).
Le conseil doit également prendre en considération les responsabilités qui
reviennent à l'Etat fédéral, aux communautés et aux régions. Au sens propre du
terme, il dispose avec eux de compétences concurrentes. Selon une formule
expressive, il agit <<pour autant que>> ces autres autorités ne soient pas interve-
nues et <<jusqu'à ce qu' >> elles exercent elles-mêmes la fonction normative et
réglementaire. << Les règlements provinciaux ne peuvent porter sur des objets
déjà régis par des lois ou des règlements d'administration générale. Ils sont
abrogés de plein droit si, dans la suite, il est statué sur les mêmes objets par des
lois ou règlements d'administration générale •> - que ceux-ci soient d'origine
fédérale, communautaire ou régionale -.
En d'autres termes, le conseil provincial fait, pour l'essentiel, œuvre complé-
mentaire en tenant compte des spécificités provinciales. Il agit pour autant que
sa compétence ne soit pas expressément exclue par une loi fédérale, un décret
ou un règlement (22).

Pour assurer le << règlement >> des intérêts provinciaux, le conseil


dispose aussi d'attributions non réglementaires. Il établit son bud-
get (LP, art. 66, § 2), il lève l'impôt et autorise les emprunts (LP,
art. 73), il arrête les comptes (LP, art. 66, § pr), il nomme et révo-

(20) Comme les autres collectivités locales, la province n'agit que dans le cadre des moyens
qu'elle acquiert - en ce compris par le biais de l'impôt (Const., 170, § 3, avec les exceptions
importantes que précisent ses al. 2 et 3) - ou qui lui sont alloués- par le biais de dotations - .
La province est investie des tâches de gestion des intérêts provinciaux. Elle doit également assu-
mer la gestion des intérêts généraux que l'Etat fédéral, la communauté ou la région lui confient.
(21) Cass., 29 avril 1872, Pas., 1, p. 315.
(22) M.-A. FLAMME, op. cit., p. 189. J.-M. FAVRESSE, «La province et l'Etat central
Approche théorique», in La province dans l'Etat belge, Bruxelles, La Charte, 1985, p. 63.
346 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

que le personnel de l'administration provinciale (LP, art. 65, al. 2),


il crée et organise des établissements publics d'intérêt provincial
(LP, art. 72).
357. - Il serait pour le moins restrictif de considérer que la pro-
vince n'intervient que pour régler ses intérêts propres. Elle consacre
une part de son temps et de son énergie à assumer des missions d'in-
térêt général qui lui sont confiées par les autorités supérieures -
l'Etat fédéral, la communauté ou la région - .
Elle agit - via le gouverneur et les services du gouvernement
provincial - en qualité d'autorité déconcentrée, et ce dans les liens
d'un système hiérarchique.
Elle assure également - via ces mêmes autorités et services -
<<l'exécution des lois, décrets et règlements d'administration géné-
rale )) - soit de normes fédérales ou fédérées - dans le ressort de
la province (LP, art. 124).
Elle peut se voir confier - à l'entremise du conseil provincial -
la responsabilité de délibérer sur des questions d'intérêt général.
De manière plus circonstancielle, des missions particulières mais
d'intérêt général sont encore confiées aux autorités provinciales.
La députation permanente est la juridiction administrative qui statue, en pre-
mière instance, sur les réclamations relatives aux élections communales (loi élec-
torale communale, art. 74).
Le gouverneur doit introduire un recours auprès du gouvernement régional
contre toute décision par laquelle une autorité provinciale viole la loi (voy.
notamment l'art. 314 du décret wallon du le' avril 1999 organisant la tutelle sur
les communes, les provinces et les intercommunales de la Région wallonne).

C. - Les autorités provinciales


358. - Selon la Constitution, les conseils provinciaux sont
chargés des intérêts exclusivement provinciaux (art. 41) ; leurs
membres sont désignés par élection directe (art. 162, al. 2, 1°).
L'on commettrait une erreur à considérer que les situations insti-
tutionnelles qui s'imposent à la commune valent mutatis mutandis
à la province. La diversité des autorités provinciales en est la meil-
leure preuve.
La loi provinciale ne reprend pas à son compte l'idée de l'unicité
d'un corps provincial - dont émaneraient l'ensemble des autorités
qui exercent des responsabilités politiques et administratives dans
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 347

la province-. Au contraire, même. Elle met plutôt l'accent sur la


trinité du pouvoir provincial (23).
Le conseil provincial rassemble des élus, issus d'un scrutin parti-
culier à l'échelle de la province. Le gouverneur est nommé par le roi
et remplit, tant au profit de l'Etat fédéral que de la :r:égion, les
tâches d'un commissaire du gouvernement dans la province. La
députation permanente peut jouer le rôle d'une institution de
concertation. Six de ses membres sont élus au sein du conseil pro-
vincial. Le gouverneur de la province en fait également partie.
Pour une étude des institutions provinciales, voy. Le système
constitutionnel de la Belgique, no• 54 à 75.
359. - Un phénomène saisissant - et trop peu souligné -
mérite d'être relevé. Des relations particulières de confiance politi-
que ne doivent pas nécessairement s'instaurer entre l'autorité
élue - le conseil - et l'autorité nommée - le gouverneur - . Si ces
relations existent, elles peuvent contribuer au bon fonctionnement
de la collectivité provinciale. Si elles font défaut, il y a lieu de s'ac-
commoder de cette différenciation de statuts et de la division des
responsabilités qui en résulte. La députation permanente organise la
coexistence de ces diverses autorités.

§ 2. - Le ressort territorial de la province

A. - Le nombre des provinces


360. - La Constitution crée la province. Elle en fixe de manière
indirecte le nombre et la dénomination. <<La Région wallonne com-
prend les (cinq) provinces suivantes : le Brabant wallon, le Hainaut,
Liège, le Luxembourg et Nam ur. La Région flamande comprend les
(cinq) provinces suivantes : Anvers, le Brabant flamand, la Flandre
occidentale, la Flandre orientale et le Limbourg}) (art. 5, al. 1er).
Elle détermine aussi les principes généraux d'organisation de ces
collectivités (art. 41 et 162).
Une conséquence en découle. La réduction du nombre de provinces
(dans l'hypothèse d'un Etat bâti, par exemple, sur cinq provinces)
n'est réalisable qu'au prix d'une révision de la Constitution. Par
contre, une augmentation du nombre des provinces peut se faire par

(23) LP, art. 1°' : ''Il y a dans chaque province un conseil provincial, une députation perma-
nente et un gouverneur)).
348 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

voie législative puisqu'elle implique la division de l'Etat en<< un plus


grand nombre de provinces)) (art. 5, al. 2).
Les dix-neuf communes qui composent la Région bruxelloise
échappent, de ce fait, à la division du territoire en provinces

B. - Les limites des provinces


361. La Constitution fait implicitement référence aux
anciennes limites des provinces. Elle précise que celles-ci ne <<peu-
vent être changées ou rectifiées qu'en vertu d'une loi)) fédérale
(art. 7; voy., par ex., la loi du 8 novembre 1962 rattachant six com-
munes, celles des Fourons, à la province du Limbourg et neuf com-
munes, dont Mouscron et Comines, à la province du Hainaut).
Les changements ou les rectifications des limites d'une province
peuvent avoir pour effet indirect de modifier les limites des régions
linguistiques (dans l'hypothèse, par exemple, du <<retour à Liège))
des communes des Fourons, aujourd'hui fusionnées en une
seule) (24). Pareille modification ne pourrait intervenir que par le
vote d'une loi spéciale (art. 4, al. 3).

C. - L 'extraprovincialisation
362. - L' <• extraprovincialisation )) de certaines parties du terri-
toire est prévue explicitement par la Constitution : aux fins de sous-
traire celles-ci à la division de la Belgique en provinces, une loi spé-
ciale (art. 5, al. 3) peut fixer les limites de ces territoires, préciser
qu'ils relèvent directement du pouvoir exécutif fédéral et les sou-
mettre à un statut propre. Cette disposition, conçue initialement
pour résoudre les difficultés nées dans les Fourons, n'a pas reçu
d'application.
En 1962, les six communes de Fourons ont été transférées de la province de
Liège (arrondissement de Verviers) à la province de Limbourg (arrondissement
de Tongres). Elles font ainsi partie de la région de langue néerlandaise, tout en
étant dotées d'un régime spécial en vue de la protection des minorités~ en fait,
des majorités d'habitants d'expression française~. Elles entrent dans la catégo-
rie des ''communes de la frontière linguistique~ (lois coord. sur l'emploi des lan-
gues en matière administrative, art. 8).
Devant les vives réactions suscitées par cette situation, le gouvernement sug-
géra, en 1968, d'« extraprovincialiser >) les six communes des Fourons et de les

(24) Les régions linguistiques prennent pour base géographique les limites de certaines pro-
vinces (n" 330).
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 349

<<grouper en canton autonome relevant directement du ministère de l'Intérieur>>.


C'est dans cette perspective que fut élaboré l'article 5, alinéa 3 de la Constitu-
tion.
En 1971, un projet de statut du canton de la Voer fut rédigé par le gouverne-
ment (Doc. parl., Chambre, 1970-1971, n° 1064/1).
Tout en maintenant les communes fouronnaises en région de langue néerlan-
daise, il les soustrayait à la division en provinces et concevait un statut qui -
sur le plan électoral, judiciaire et fiscal- s'efforçait de répondre aux vœux des
populations concernées. Pareil projet se heurta aux objections du Conseil
d'Etat : l'adoption du statut aurait ·pour conséquence de supprimer <<la pri-
mauté du néerlandais comme langue administrative dans les communes >> des
Fourons; elle porterait atteinte aux dispositions de l'article 4 de la Constitution
qui ne prévoit de région bilingue qu'à Bruxelles-Capitale.
Compte tenu de l'échec du projet de loi, le roi composa, le 10 mai 1973, un
arrêté royal qui lui permettait, après avis du conseil des ministres, de prendre
des mesures pratiques aux fins de résoudre les difficultés découlant du régime
linguistique de l'enseignement dans les Fourons (not. l'exigence d'une requête
déposée par seize chefs de famille) : les dispositions prescrites par la loi du
29 mai 1959 semblaient, en effet, impraticables dans ces communes peu peu-
plées. Cet arrêté royal a, cependant, été annulé par le Conseil d'Etat, le 9 août
1976 (n° 17.760, a.s.b.l. Werkgemeenschap Oost-België). Adde : la résolution AH-
74-1 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe dans l'affaire Habitants des
Fourons c. la Belgique; sur cette question, voyez C. DAUBIE, « L'affaire des habi-
tants des Fourons>> in La Wallonie et l'Europe, Louvain-la-Neuve, 1977, p. 104.
En janvier 1977, les six communes furent fusionnées en une seule, ce qui per-
mit de résoudre les difficultés auxquelles l'arrêté royal de mai 1973 entendait
remédier. Le statut, pour sa part, fait toujours défaut ... (voy. Doc. Parl.,
Chambre, 1979-1980, n° 412/1, proposition Spaak-Mordant et Doc. Parl., Sénat,
1979-1980, no 323/1, proposition Bertrand-Lagasse).

SECTION III. - L'AGGLOMÉRATION


ET LA FÉDÉRATION DE COMMUNES

§ 1e•. - La collectivité politique

363. - En 1970, il est envisagé de créer des agglomérations et


de fédérations de communes. Pas de manière systématique, mais
plutôt là où le besoin s'en fait sentir. C'est-à-dire dans des espaces
où l'action communale peut paraître étriquée.
Une idée se fait ainsi jour. Plutôt que de procéder à une fusion
de communes- qui risque de dissoudre les identités locales-, plu-
tôt que de réaliser des associations de communes - qui n'ont trait
qu'à des intérêts communaux déterminés - , pourquoi ne pas créer
350 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

une collectivité politique nouvelle et l'investir de responsabilités


particulières? Une alternative à l'opération de fusion des communes
est ainsi esquissée.
L'opération de fusion de communes qui se réalise en 1976 rend
vaine la constitution de cet échelon particulier de pouvoir. La
crainte de multiplier des échelons politiques et administratifs entre
la commune et l'Etat fédéral a été, à cet égard, déterminante. Si ce
n'est à Bruxelles, la catégorie des agglomérations et des fédérations
de communes est dépourvue aujourd'hui d'illustration particulière.

A. - La personne juridique
364. - La loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et
les fédérations de communes lève toute équivoque en précisant, en
son article 3, § 3, que <<les agglomérations et les fédérations sont
dotées de la personnalité juridique»>.
La dénomination choisie- agglomération ou fédération de com-
munes - est sans incidence sur le statut juridique de la collectivité.
La première appellation est réservée aux collectivités qui pourraient
être constituées à Anvers, Bruxelles, Charleroi, Gand et Liège. La
seconde est donnée aux collectivités qui seraient créées ailleurs dans
le pays.
L'on relève que l'agglomération bruxelloise ne jouit que d'une
personnalité incomplète. Les droits et obligations qui lui reviennent
à ce titre sont, en réalité, exercées par les autorités d'une autre col-
lectivité politique, la Région bruxelloise.

B. - Les matières d'agglomération


ou de fédération
365. - Prise en exécution de l'article 165 de la Constitution, la
loi du 26 juillet 1971, organisant les agglomérations et fédérations
de communes, énumère les matières qui, jusqu'alors, étaient de la
compétence des communes et qui sont d'office transférées aux nou-
velles institutions (art. 4, § 2); la même loi cite également des
matières de la compétence de la commune qui sont transférables << à
la demande des communes composantes et du consentement de l'ag-
glomération ou de la fédération»> à celle-ci (art. 4, § 3).
Dans cette perspective, l'agglomération bruxelloise est investie de
compétences particulières. Elles sont énumérées à l'article 4 de la loi
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 351

du 26 juillet 1971. Ces compétences sont soustraites aux responsabi-


lités des dix-neuf communes bruxelloises. Dans l'idéal, elles doivent
se combiner avec les compétences laissées à ces communes.
La loi du 21 août 1987 réduit considérablement les compétences
de l'agglomération. Elle agit de la sorte au profit de la Région
bruxelloise et des dix-neuf communes. Les compétences dites exclu-
sives sont désormais au nombre de quatre : l'enlèvement et le traite-
ment des immondices, la lutte contre l'incendie, l'aide médicale
urgente et le transport rémunéré de personnes (art. 4, § 2) (25).
En outre, les attributions des communes relatives à la distribu-
tion d'eau, au balayage des rues, des places, des marchés et des
parcs publics, ainsi qu'au déneigement des voies publiques, peuvent
être transférées à l'agglomération bruxelloise (art. 4, § 2bis) pour
autant que le gouvernement bruxellois, avec l'autorisation du
conseil, fixe la date d'entrée en vigueur de cette disposition (l. sp.
12 janvier 1989, art. 47, § 2).
De la même manière, l'agglomération pourrait être amenée à
régler <<la création d'une voirie d'agglomération par la reprise de
voiries communales, la gestion et l'éclairage de celles-ci>>, ainsi que
<<l'informatique des communes>> (art. 4, § 2ter), à condition que le
gouvernement bruxellois, avec l'autorisation du conseil, fixe la date
d'entrée en vigueur de cette disposition (l. sp. 12 janvier 1989,
art. 47, § 2).
L'agglomération pourrait encore régler une série de matières énu-
mérées par la loi fédérale- les aéroports, la détermination de l'em-
placement des marchés publics d'intérêt d'agglomération, de fédéra-
tion ou régional, les abattoirs, etc. (art. 4, § 3) - , <<avec l'accord ou
à la demande de la moitié au moins des communes qui la compo-
sent, et pour autant que ces communes représentent les deux tiers
de la population>> (idem).
D'autres matières peuvent enfin lui être confiées dans le cadre de
la décentralisation ou de la déconcentration, ainsi qu'à la demande
d'une ou de plusieurs communes de son ressort (art. 4, § 4). Ces
transferts de compétence ne peuvent, toutefois, avoir lieu que de
l'accord du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale (l. sp. 12 jan-
vier 1989, art. 50, al. 1er).

(25) C.E., L. 21.739/9, 23 décembre 1992. Adde : P. NmouL, «Les autorités bruxelloises», in
La Belgique fédérale ... , p. 145, note 109.
352 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

Il s'agit là de virtualités plus que de réalités.

C. - Les institutions d'agglomération


· ou de fédération

366. - La Constitution précise que l'organisation des agglomé-


rations et des fédérations de communes se fait en << application des
principes énoncés à l'article 162 ~> (art. 165, ·§1er), dont celui de
l'élection directe des membres de leur conseil; la règle de l'élection
est même respectée pour la désignation du président du collège exé-
cutif de l'agglomération ou de la fédération de communes : il est élu
par le conseil et en son sein (loi du 26 juillet 1971, art. 37).
Alors même que la Constitution et la loi décrivent avec un luxe
de précisions les institutions de l'agglomération bruxelloise et pres-
crivent dans le détail les règles qui servent à élire directement les
mandataires bruxellois, la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative
aux institutions bruxelloises déjoue ces prévisions. Elle prescrit que
les institutions de la Région bruxelloise - le gouvernement et le
conseil - exerceront les responsabilités qui auraient dû revenir au
collège et au conseil d'agglomération.
Encore faut-ille préciser. Dans les matières dévolues à l'agglomé-
ration, les autorités régionales n'utilisent pas les prérogatives qui
sont normalement les leurs. Elles ne peuvent, par exemple, agir par
voie d'ordonnance en ces matières. Elles interviennent avec les
moyens et selon les procédures qui sont assignées à une collectivité
décentralisée.
Les compétences de l'agglomération peuvent également être
confiées par la Région bruxelloise à des organismes d'intérêt public.
<<En vertu de cette compétence, la Région (bruxelloise) a, le 19 juil-
let 1990, adopté deux ordonnances créant, l'une l'Agence régionale
pour la propreté, l'autre un Service d'incendie et d'aide médicale
urgente. Ces deux organismes sont chargés de l'exercice des compé-
tences de l'agglomération bruxelloise~> (C.A., n° 2/94 et n° 3/94,
13 janvier 1994).

§ 2. - Le ressort territorial

367. - C'est la Constitution, dans son article 165, qui établit


l'institution des agglomérations et des fédérations de communes. Dans
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 353

son article 166, elle institue <<l'agglomération à laquelle appartient la


capitale du royaume)>, soit l'agglomération bruxelloise.
Mais c'est le législateur fédéral qui est habilité par la Constitution
à fixer le statut de ces institutions (loi du 26 juillet 1971), à déter-
miner le nombre des agglomérations, à les créer et à en fixer le res-
sort territorial (art. 61, pour l'agglomération de Bruxelles), à créer
les fédérations périphériques à ces agglomérations et à en fixer le
ressort territorial (art. 4 et 85). C'est le roi, par contre, qui crée les
autres fédérations de communes et qui fixe leur ressort territorial
(art. 2, § 3).
Les limites des agglomérations et des fédérations de communes,
quelles qu'elles soient, ne peuvent être changées ou rectifiées qu'en
vertu d'une loi fédérale (art. 165, § pr, al. 5).
368. - La procédure suivie en matière de création d'aggloméra-
tions et fédérations de communes recoupe, sur plusieurs points, celle
qui a été adoptée en matière de fusion des communes.
Deux exemples l'indiquent. D'une part, le ministre de l'Intérieur
est amené à consulter les conseils des communes intéressées avant
de les grouper en agglomération et en fédération de communes : le
défaut d'avis motivé de leur part vaut avis favorable. Mais cette
consultation préalable n'est pas prévue << en ce qui concerne l' agglo-
mération bruxelloise}) (loi du 26 juillet 1971, art. PC, al. 3) et ses
fédérations périphériques (art. 2, § 2, al. 3). D'autre part, si les fédé-
rations de communes sont créées par le roi, le législateur fédéral se
réserve la compétence d'approuver ou d'improuver les mesures
prises : il est amené, en effet, à ratifier les arrêtés royaux qui procè-
dent à la création des fédérations de communes; ces arrêtés n'en-
trent en vigueur qu'après avoir acquis force de loi (art. 2, § 3, al. 7).
En 1970, la création des agglomérations et des fédérations de
communes avait paru constituer une alternative valable à la procé-
dure de fusion des communes (26). Elle semblait offrir l'avantage de
centraliser - à un échelon territorial plus étendu - des politiques
et des services d'intérêt <<supra-communal}) sans pour autant tou-
cher aux structures locales existantes. En fait, l'opération de fusion
l'emporta rapidement sur celle de la fédération.

(26) En permettant de créer "des» agglomérations et ''des» fédérations de communes


(art. 165), la Constitution n'avait pas entendu quadriller le territoire de ces nouvelles divisions
territoriales.
354 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

A l'heure actuelle, la Belgique ne comprend qu'une seule agglo-


mération : << l'agglomération bruxelloise >> étend ses compétences sur
le territoire des 19 communes de la région bilingue de Bruxelles-
Capitale. Les quatre autres agglomérations comme les fédérations
de communes (27) ne semblent pas devoir être constituées à l'ave-
nu.

SECTION IV. - LE DISTRICT

§ 1er. - La collectivité politique


369. - L'article 41, alinéa 3, de la Constitution (28) envisage la
possibilité de créer, au sein de la commune, une nouvelle collectivité
politique. Le législateur fédéral est habilité à définir << les compé-
tences, les règles de fonctionnement et le mode d'élection >> d'organes
territoriaux intracommunaux pour << régler des matières d'intérêt
communal>>. Il peut aussi - mais moyennant une loi spéciale -
habiliter la région à adopter un décret ou une ordonnance, à la
majorité des deux tiers, pour régler les conditions et la procédure de
création des organes intracommunaux.
La création d'intracommunales est réservée aux grandes villes
notamment celle d'Anvers, soit aux communes de plus de 100.000
habitants. La Nouvelle loi communale (art. 330 à 351) règle le sta-
tut du district.

A. - La personne juridique
370. - Il n'apparaît pas clairement des textes constitutionnel et
législatifs si l'institution infracommunale détient la personnalité
juridique. Elle n'a pas de personnel, ni de moyens financiers propres
mais utilise une part de ceux qui reviennent à la commune (NLC,
art. 340, § 6, 346 et 34 7). Elle possède néanmoins des biens, elle
engage des dépenses, elle fait exécuter des travaux, elle érige des
établissements .... Tout donne à penser qu'en rangeant cette institu-
tion parmi les pouvoirs constitués, l'article 41 de la Constitution

(27) Cinq fédérations périphériques à l'agglomération bruxelloise, celles d'Asse, Hal-Vilvorde,


Rhode-Saint-Genèse, Tervueren et Zaventem, ont été créées par la loi du 26 juillet 1971. Elles
ont été supprimées, au !"' janvier 1977, par la loi du 30 décembre 1975.
(28) Mon. b., 2 avril 1997, p. 7665.
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 355

entend lui accorder un régime similaire à celui des autres collecti-


vités locales.

B. - Les intérêts intracommunaux


371. - Les autorités du district règlent des intérêts communaux
spécifiques, ceux qui n'intéressent qu'une partie des habitants de la
commune. Ces intérêts doivent être suffisamment localisables que
pour pouvoir être confiés à des autorités qui auront un champ d'ac-
tion limité, tant sur le plan géographique que fonctionnel.
Les compétences d'intérêt communal sont définies et déléguées
par le conseil communal, le collège ou le bourgmestre. Dans ce cas,
le conseil de district prête son concours à l'accomplissement de ces
tâches. Il prend notamment les arrêtés d'exécution requis.
Les compétences du district peuvent aussi être d'intérêt général.
Elles lui sont déléguées par le conseil communal, le collège ou le
bourgmestre, pour autant que ceux-ci bénéficient eux-mêmes d'une
délégation de l'autorité supérieure et qu'une telle subdélégation ait
été envisagée.
Le conseil de district détient à cette fin la fonction réglementaire
(NLC, art. 342) et des pouvoirs décisionnels (art. 343). Il dispose
également d'une << compétence consultative générale pour toutes les
matières qui ont trait au district~> (ibidem).

C. - Les autorités intracommunales

372. - Les autorités du district doivent être choisis par les


citoyens. Des élections directes sont prévues à cet effet (Const.,
art. 41, al. 3). <<Les membres des conseils de district sont élus pour
six ans par l'assemblée des électeurs communaux qui sont inscrits
dans les registres de la population de la commune comme habitants
de l'entité territoriale compétente~> (NLC, art. 331, § pr). <<Les
conseils de district élisent en leur sein un président et les membres
du bureau~> (NLC, art. 332, § 1er).

§ 2. - Le ressort territorial

373. - Selon l'article 41, alinéa 3, de la Constitution, les dis-


tricts sont créés << dans les communes de plus de 100.000 habitants ~>.
Aucune obligation ne pèse, cependant, sur ces collectivités. L'initia-
356 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

tive de la création et de la délimitation des districts revient à << leur


conseil communal>>.

SECTION V. - LES COMMISSIONS COMMUNAUTAIRES

374. - Des collectivités particulières dotées, elles aussi, de la


personnalité juridique exercent, sur le territoire de la région bilingue
de Bruxelles-Capitale, des compétences de nature communautaire.
Il s'agit des trois commissions communautaires. Ce sont des collecti-
vités <<juridiquement distinctes >> de la collectivité régionale. Elles
présentent la particularité d'être pourvues d'institutions qui se com-
posent << des mêmes personnes que celles qui composent les organes
régionaux>> (29).
La rédaction de l'article 166, § 3, 1" et 2°, de la Constitution ne peut manquer
de surprendre. Consacrée principalement aux modes d'organisation de l' agglomé-
ration bruxelloise, cette disposition fait incidemment - et paradoxalement -
référence à la notion de << communauté>>. Chaque commission communautaire a,
<< pour sa communauté >>, des compétences en matière d'enseignement et de
culture ainsi que dans le domaine des matières personnalisables.
Quelle portée reconnaître à cette disposition 1 Va-t-on considérer qu'en plus
des trois communautés que crée l'article 2 de la Constitution, deux autres, les
communautés française et néerlandaise de Bruxelles, voire trois autres, si l'on
tient compte aussi de leurs intérêts communs, auraient vu le jour par le biais
de l'article 166 de la Constitution 1
Cette thèse se heurte au prescrit clair de la Constitution. Il n'y a que <<trois
communautés>> (art. 2) et la communauté bruxelloise ou ses démembrements
n'est pas de celles-là. Elle va aussi à l'encontre d'une volonté politique affirmée
sans détours. Mise à part la Communauté germanophone, qui bénéficie d'un sta-
tut particulier, la réforme de l'Etat est appelée à se réaliser sur fond de deux
communautés et non de trois, quatre ou cinq entités.
Si la Constitution invite les commissions à agir, chacune pour sa communauté,
c'est pour indiquer un facteur de rattachement des personnes, des institutions
et des situations à l'action de l'une ou de l'autre commission.
La coexistence des commissions communautaires et des commu-
nautés peut intriguer. Les unes et les autres semblent investies de
responsabilités du même ordre. L'anomalie peut être résorbée si l'on
se rappelle que la communauté est une collectivité fédérée qui fait
œuvre normative et exécutive, y compris dans le ressort de la région
bilingue de Bruxelles-Capitale, alors que la commission communau-

(29) Doc. parl., Sénat, sess. ord. 1988-1989, n" 514/2, p. 4.


L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 357

taire est, pour l'essentiel, une collectivité décentralisée placée


sous la tutelle de la communauté - et qu'elle est habilitée à
prendre, dans le seul ressort de la région bilingue de Bruxelles-Capi-
tale, des initiatives ponctuelles dans le domaine de l'action commu-
nautaire.
375. - L'on ne saurait perdre de vue le régime particulier aménagé pour la
Commission communautaire française et pour la Commission communautaire
commune et qui en fait des collectivités politiques hybrides- mi-fédérées et mi-
décentralisées-.
Lorsque la Commission communautaire française exerce les compétences qui
lui sont transférées par la Communauté française, elle échappe à tout contrôle de
tutelle de la part de celle-ci. Elle statue par voie de décrets qui ont force de loi.
Lorsque la Commission communautaire commune entreprend d'exercer des
compétences dans le domaine des matières bipersonnalisables, elle échappe, elle
aussi, aux contrôles politiques et administratifs de la tutelle. Elle fait des ordon-
nances qui ont également force de loi.

§ 1er. - Les collectivités politiques


376. - Les trois commissions communautaires exercent l'essen-
tiel de leurs responsabilités sous un régime de décentralisation.
Deux d'entre elles, la Commission communautaire française et la
Commission communautaire commune interviennent également
pour l'exercice de certaines de leurs responsabilités, au titre de col-
lectivités fédérées.

A. - La personne juridique
377. - L'article 60 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative
aux institutions bruxelloises, pris en application de l'article 135 de
la Constitution, prévoit que chaque commission possède la person-
nalité juridique (30).

B. - Les intérêts communautaires


378. - Selon l'article 166, § 3, de la Constitution, les commis-
sions communautaires exercent quatre types d'activités selon le
régime de la décentralisation (31).

(30) Confondant l'institution proprement dite et la manière de composer certaines de ses


autorités, J"article 136 de la Constitution se contente de citer« les groupes linguistiques du Conseil
de la Région de Bruxelles-Capitale» et leurs «collèges». Il s'agit là d'une méprise regrettable qui
ne facilite pas la compréhension du texte constitutionnel.
(31) P. NIHOUL, op. cit .. p. 157.
358 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

La Commission communautaire française peut, comme tout autre


pouvoir organisateur, prendre des initiatives dans le domaine des
<~matières culturelles, d'enseignement et personnalisables >>. La Com-
mission communautaire flamande peut agir de même. En clair, l'une
et l'autre sont habilitées, si elles en ont les moyens, à créer des
écoles, des musées, des centres de médecine préventive ...
La Commission communautaire commune peut prendre les mêmes
initiatives lorsque les activités poursuivies sont <~ d'intérêt commun >>
et visent donc indistinctement les personnes qui relèvent - fût-ce
de manière indirecte - des communautés française et flamande à
Bruxelles.
Les Commissions communautaires française et flamande exercent
de surcroît les compétences réglementaires qui leur sont respective-
ment déléguées par les Communautés française et flamande. Il va de
soi que ces délégations ne sauraient se réaliser que dans les
domaines de compétence communautaire (32).
Les Commissions communautaires française et flamande héritent
encore des missions provinciales qui sont localisées à Bruxelles et
qui relèvent de leurs compétences (1. sp. 12 janvier 1989, art. 79bis,
80bis et 83quinquies).
Il en va de même pour la Commission communautaire commune
lorsque les missions provinciales qui sont organisées à Bruxelles
relèvent des matières communautaires communes (1. sp. 12 janvier
1989, art. 83quinquies).
Les compétences attribuées de la sorte aux commissions communautaires sont
des compétences réglementaires (C.E., L. 25.580/2, 4 octobre 1996 et L. 25.637/
9, 16 octobre 1996). Elles ne sont pas habilitées à intervenir en ces domaines par
décret ou ordonnance.

C. - Les autorités communautaires


379. - Les commissions communautaires française et flamande
disposent d'une assemblée délibérante et d'un collège exécutif.
L'Assemblée de la Commission communautaire se compose, aux
termes de l'article 136 de la Constitution, des membres du groupe
linguistique correspondant du Conseil de la Région de Bruxelles-

(32) L. sp. 12 janvier 1989, art. 65. Pour les missions déléguées, aucun mécanisme particulier
de tutelle n'est institué. Voy. R. ANDERSEN,« Les compétences des institutions bruxelloises», in
La Région de Bruxelles-Capitale ... , p. 287.
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 359

Capitale. Ceux-ci sont, par la force des choses, investis d'un triple
mandat : conseiller régional, conseiller de l'Assemblée de la Commis-
sion communautaire, conseiller de l'Assemblée réunie.
Le Collège de la Commission communautaire comprend les deux
ministres et le ou les secrétaires d'Etat du gouvernement régional
qui appartiennent au groupe linguistique correspondant. En fonc-
tion de ce groupe, le ministre-président est également membre de
l'un des collèges (33).
Quant à la commission communautaire commune, elle a, pour
autorités une Assemblée réunie et un Collège réuni.
L'Assemblée réunie rassemble les membres des deux groupes lin-
guistiques de la Région de Bruxelles-Capitale. Elle comprend donc
septante-cinq membres. Trait caractéristique de son statut : elle
délibère selon la règle de la double majorité.
Le Collège réuni se compose, pour sa part, des ministres bruxel-
lois, à l'exclusion, par conséquent, des secrétaires d'Etat. Le
ministre-président en fait partie, mais il n'y détient qu'une voix
consultative même s'il en assume la présidence (l. sp. 12 janvier
1989, art. 77).

§ 2. - Les appartenances communautaires

A. - Les données territoriales


380. - Les règles retenues pour déterminer les appartenances
communautaires (n° 328) et pour préciser le champ des interven-
tions communautaires ne s'appliquent pas de plana aux commis-
sions qui sont instituées dans la Région bruxelloise.
Comment cela se peut-il?
Les trois commissions communautaires reçoivent d'emblée le
même ressort géographique - il équivaut à celui de la Région
bruxelloise - . Elles sont invitées à agir concurremment sur un ter-
ritoire - qui ne connaît, par ailleurs, ni accroissement ni rétrécisse-

(33) L. sp. 12 janvier 1989, art. 60, al. 2 et 3, modifié par l'art. 77 de la l. sp. 16 juillet 1993
(I). Adde : L. sp., art. 76 :<<Un membre bruxellois du gouvernement de la Communauté française
et un membre bruxellois du gouvernement flamand désignés par leurs gouvernements assistent
avec voix consultative aux séances du Collège de la Commission communautaire française ou du
Collège de la Commission communautaire flamande, selon le cas» (al. 1"'); <• Ils assistent, tous
deux, dans les mêmes conditions, aux séances du Collège réuni>> (al. 2).
360 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

ment-. Elles sont amenées à se répartir, de manière empirique, les


institutions, les personnes et les situations juridiques.

B. - Les données institutionnelles

381. - Les Bruxellois francophones et flamands n'appartien-


nent pas de plein droit à l'une ou à l'autre des commissions (fran-
çaise ou flamande), ni même à la troisième (commune). C'est en
recourant aux institutions et services dirigés, reconnus ou subven-
tionnés par l'une ou l'autre de ces collectivités politiques que le
citoyen bruxellois fait choix, de manière concrète mais indirecte, de
cette appartenance.
Comme on l'a montré, cette appartenance n'est pas obligatoire.
Elle n'est pas exclusive. Elle n'est pas définitive. Tout dépend, en
réalité, de la liberté du citoyen qui s'adresse, ou qui ne s'adresse
pas, à une ou plusieurs institutions à vocation communautaire.

C. - Les données institutionnelles

382. - L'appartenance communautaire est tributaire, dans le


champ des compétences décentralisées, de critères socio-culturels
(Const., art. 166).
Elle dépend, dans le champ des compétences fédérées, de l'étendue
des compétences transférées (pour la Commission communautaire
française) ou du domaine des compétences bipersonnalisables (pour
la Commission communautaire commune).
Comment ne pas ajouter qu'une commission peut, au titre des
compétences décentralisées et fédérées, entrecroiser, non sans ambi-
guïtés, ses interventions?

BIBLIOGRAPHIE

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LGDJ, 1995; Ch. DEBBASCH (dir.), La décentralisation en Europe, Paris, CNRS, 1981;
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Bruxelles, Bruylant, 1997; Ph. DE BRUYCKER et D. YERNAULT, «Pour la révision de
l'article 162 de la Constitution relatif aux communes et aux provinces>>, R.B.D.C.,
1999, p. 89; A. DELCAMP, Les institutions de Bruxelles. De la commune à l'aggloméra-
tion, de la région-capitale à l'Etat fédéré, Bruxelles, Bruylant, 1993; F. DELPÉRÉE,
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L'ÉTAT ET SES DIVISIONS 361

PÉRÉE et S. DEPRÉ, Le système constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Larcier, 1998;


Droit constitutionnel local. Egalité et liberté locale dans la Constitution (dir. A.-M. LE
PouRHIET), Paris, Economica, 1999, avec des contributions de Ph. DE BRUYCKER et
F. DELPÉRÉE; M. JoASSART, <<La loi du 25 juin 1997 modifiant la loi provinciale>>,
R.B.D.C., 1997, p. 361; R. MAES, La décentralisation territoriale, Bruxelles, lnbel,
1985; J. SAMBON, <<Les entités fédérées et l'autonomie locale>>, A. P. T., 1994, p. 165;
Union des villes et communes, L'autonomie communale en droit belge, Bruxelles, Lar-
cier, 1968.
CHAPITRE III
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES

383. - L'Etat - l'Etat belge comme ses semblables - est


structure d'ensemble. Il agrège, dans une même construction, des
matériaux distincts. Ce sont, en l'occurrence, des collectivités politi-
ques qui se partagent l'exercice des responsabilités publiques.
Dans ce contexte, une question ne peut manquer d'être évoquée.
Quelle est la nature des relations juridiques qui vont s'établir entre
les autorités de ces collectivités? Comment vont-elles harmoniser et
coordonner leur action? Comment le système constitutionnel de
l'Etat va-t-il, malgré la multiplicité des collectivités ou grâce à elle,
conserver sa cohésion? Comment concilier, en d'autres termes,
<{l'unité)) qui est l'apanage de l'Etat et <{la diversité)) qui est le
propre des collectivités politiques qui s'organisent dans l'Etat?
Il faut montrer, par référence aux modèles de la décentralisation
et du fédéralisme, comment l'Etat belge est, aujourd'hui, pourvu
d'institutions dont le caractère fédéral ne saurait prêter à discus-
sion. Il faut aussi indiquer comment l'Etat fédéral, les collectivités
fédérées et les collectivités décentralisées intègrent leur action dans
un même ensemble institutionnel.
Le baron DESCAMPS qui enseignait le droit public à Louvain, à la
fin du XIXe siècle, a pu, pour décrire les institutions de la Belgique,
utiliser le terme de <{mosaïque constitutionnelle)). L'expression
paraît plus que jamais adéquate.

SECTION Ire. - LES FORMES D'ETAT

384. - Le constitutionnaliste emprunte volontiers ses images au


métier et au langage de l'architecte. A l'art de construire, il assimile
volontiers le travail de conception des principes d'organisation de
l'Etat ou la mise en œuvre des techniques qui réalisent l'aménage-
ment de ses institutions. Et l'esprit de prendre plaisir à poursuivre
la comparaison dans tous ses compartiments : style et structure
d'ensemble, assemblage des formes, étagement des constructions,
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 363

équilibre des masses ... Tout donne à penser que les similitudes de
vocabulaire et les images qu'elles suggèrent ne relèvent pas d'un
simple jeu de société mais traduisent l'adéquation de réalités com-
parables.
Les analogies que l'on relève peuvent évidemment être trom-
peuses si elles laissent croire que l'entreprise constitutionnelle se
donne pour seul but de tracer puis d'élever la charpente générale de
l'Etat; elles réduisent alors le droit public à l'étude de ses struc-
tures, c'est-à-dire à la description de son ossature. Les analogies
peuvent, par contre, être instructives et significatives si elles rappel-
lent que construire est vain pour qui entreprend la conception et
l'exécution d'un plan, sans se soucier des besoins à satisfaire. L'art
de construire rappelle, mieux que tout autre, que l'organisation à
promouvoir va de pair avec la fonction à remplir, les structures à
construire avec les intérêts à protéger, le cadre de vie à aménager
avec l'action à poursuivre.
En d'autres termes, la distinction chère aux publicistes entre
l'étude des structures de l'Etat (ou dans l'Etat) et celle du fonction-
nement des pouvoirs dans le même Etat paraît artificielle.
Comment les options en matière de structures ne conditionne-
raient-elles pas le fonctionnement des pouvoirs? On ne légifère pas
de la même manière et dans les mêmes matières dans un Etat uni-
taire et dans un Etat fédéral... En revanche, la connaissance des
modalités de fonctionnement en droit et en fait des pouvoirs dans
l'Etat est indispensable pour caractériser correctement les struc-
tures de cet Etat. On ne contrôle pas de la même manière et sur les
mêmes matières dans un Etat unitaire et dans un Etat fédéral...

385. - Dans chaque société politique, une <~idée d'entreprise)),


pour utiliser l'expression de Maurice HAURIOU, commande la réali-
sation et l'évolution de l'ordre constitutionnel. Se concrétisant en
même temps dans la répartition des responsabilités au sein de l'Etat
et dans l'organisation de ses structures, elle les pétrit d'un même
mouvement pour donner à la Constitution de cet Etat ses caractères
originaux.
Cette idée d'entreprise peut être plus ou moins consciente, plus ou
moins simple, plus ou moins heureuse. Peu importe. Elle existe et
guide, à ce titre, l'œuvre de construction constitutionnelle dans son
364 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

ensemble. A l'interprète d'en découvrir, dans chaque cas, les traits


spécifiques : car rien n'est plus particulier à une société politique
que cette idée initiale qui commande l'organisation et le fonctionne-
ment de ses institutions.
Certes, des modèles existent. Tirés de l'histoire ou forgés par la
doctrine, ils inspirent des sociétés politiques à la recherche d'une
idée directrice. Référence est ainsi communément faite au modèle de
construction unitaire et au modèle de construction fédérale. Chacun
d'eux commande un type d'aménagement des institutions publi-
ques.
Ce sont là les formes classiques d'organisation de l'Etat (§ l er).
Les modèles diffèrent moins par l'origine qu'ils assignent aux diffé-
rentes collectivités politiques (A) ou par la nature des attributions
qu'ils consacrent à leur profit (B) que par les règles qu'ils établis-
sent pour régir les relations des différentes collectivités politiques au
sein de l'Etat (C).
Les formes d'organisation de l'Etat peuvent aussi être plus com-
plexes (§ 2). Les modèles ne sont pas toujours reproduits de façon
fidèle : des structures de compromis (A) peuvent notamment être
recherchées. Les modèles ne sont pas toujours empruntés de
manière complète : des structures inachevées (B) peuvent voir le
jour. Des techniques et des matériaux issus de l'un et l'autre
modèles peuvent également être utilisés au même moment : des
structures hybrides (C) sont alors mises en place.

§ l er. - Les formes classiques


d'organisation de l'Etat
386. - Deux formes d'Etat sont d'ordinaire retenues : l'Etat
unitaire et l'Etat fédéral.
Mais comment distinguer à coup sûr ces modèles d'organisation
de l'Etat? Suffira-t-il de constater que « la décentralisation est un
fédéralisme atténué; le fédéralisme, une décentralisation très pous-
sée >> ( l ). Le juriste, s'il veut conserver aux mots, et surtout aux
idées, un sens et un contenu précis, ne peut s'en tenir à de telles
considérations qui, à la limite, vident les concepts juridiques de
toute signification. Pas plus que le médecin ne peut se passer de

(l) M. DUVERGER, op. cit., p. 7l.


L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 365

diagnostic, le juriste ne peut se passer de concepts (2). L'observa-


tion vaut aussi en matière de formes d'Etat, même si les difficultés
y paraissent plus sérieuses que dans d'autres matières, même si les
distinctions tranchées gagnent à être nuancées à la lumière de l'ex-
périence.
Différents critères servent à justifier la distinction entre le modèle
unitaire et le modèle fédéral. Ils méritent d'être soumis à critique.

A. - L'origine des collectivités politiques

387. - Ne faut-il pas s'interroger, par priorité, sur l'origine juri-


dique et historique des collectivités particulières dans les deux
formes d'Etat? Ne faut-il pas considérer qu'elles sont créations de
l'Etat unitaire mais qu'elles servent à créer l'Etat fédéral (3)?
Dans une perspective statique, les différences entre modèles peu-
vent paraître peu sensibles. Le modèle unitaire aménage l'action de
collectivités autonomes en recourant aux techniques de la décentra-
lisation, tant il est vrai qu'il n'y a pas d'Etat unitaire à l'état pur.
Le modèle fédéral, lui, postule l'existence de collectivités de base
qui, dans leur ressort, jouissent d'une autonomie réelle. Où est, à
vrai dire, la différence ?
Dans une perspective dynamique qui tient compte des évolutions
inévitables qui ont marqué, à un moment ou à un autre, l'organisa-
tion des collectivités autonomes au sein de l'Etat, les différences ont
tendance à s'accentuer.
La décentralisation apparaît dans l'Etat unitaire comme le fruit
d'une concession octroyée par la collectivité générale aux entités de
base. Dans le modèle fédéral, l'autonomie première des collectivités
composantes est corrigée par leur libre coopération.
Dans cette perspective, la décentralisation opère << du centre aux
extrémités >>. La fédération, elle, opère << de la base à un
ensemble>> (4). Décentraliser, c'est disperser. Mais fédérer, c'est

(2) M. W ALINE, «Empirisme et conceptualisme dans la méthode juridique : faut-il tuer les
catégories juridiques 1 », in Mélanges Dabin, t. I, p. 687.
(3) Sur cette discussion, voy. F. DELPÉRÉE, La Belgique, Etat fédéral?, cité, p. 638.
(4) C. CAMBIER, op. cit., p. 138.
366 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

unir (5). Des exemples indiscutables paraissent étayer la validité de


ce raisonnement. Est-il besoin de se référer à l'évolution constitu-
tionnelle de la France, d'une part, et à celle des Etats-Unis d' Améri-
que, d'autre part?

388. - Cette présentation ne va pas sans soulever des objec-


tions.
Elles sont, d'abord, d'ordre historique. Le sens d'une évolution ne
s'apprécie correctement que si le point de départ en a été, au préa-
lable et de commun accord, arrêté. Même si l'on s'en tient, par com-
modité, aux transformations qui sont inscrites dans la Constitution,
il reste à choisir le moment où commence pareille évolution et donc
à fixer la période de référence au cours de laquelle elle sera mesurée.
Des hésitations peuvent surgir.
Un seul exemple. D'où vient l'Italie régionale du dernier quart du
vingtième siècle? Des principautés médiévales, de la République
cisalpine, du Risorgimento, de la centralisation fasciste ou de la
Constitution hésitante de 194 7 ? En fonction de l'une ou de l'autre
option, la région apparaîtra comme la condition mise par les repré-
sentants des collectivités préexistantes à leur encadrement dans un
ordre constitutionnel plus vaste ou, au contraire, comme la manifes-
tation de l'octroi par l'Etat unitaire de fonctions déterminées à des
collectivités particulières (6).
Les objections sont aussi d'ordre théorique. La perspective dyna-
mique donne à penser que la décentralisation est un mode d'organi-
sation de l'Etat. Elle donne à croire que la fédération, elle, serait un
mode de création de l'Etat ou, mieux encore, une forme d'associa-
tion de plusieurs Etats préexistants : les structures fédératives
seraient celles d'un <<Etat d'Etats)).

(5) «Pour nous servir de guide dans cette œuvre de rénovation, notre vieille devise nationale
a gardé toute son actualité. En l'adoptant, les fondateurs de la Belgique indépendante avaient
conscience à la fois de notre diversité et notre indispensable cohésion. Ils pensaient qu'au sein
d'un pays, les régions, dans leur légitime autonomie, sont les parties complémentaires d'un
ensemble et ne peuvent s'ériger en jalouses rivales. Ils savaient que fédérer c'est unir dans la dif-
férence acceptée et non pas dissocier dans l'affrontement>> (Discours du Roi BAUDOUIN, le
31 mars 1976).
(6) Les études de G. SCELLE ont bien démonté ce mécanisme : l'Etat décentralisé peut être
la condition mise par des collectivités préexistantes à leur soumission ou à leur intégration dans
une société politique plus étendue; l'Etat fédéral, de son côté, peut tantôt résulter de l'associa-
tion ou de l'agrégation d'organismes étatiques originaux, tantôt provenir d'un phénomène de
désagrégation d'Etats ou d'empires préexistants (G. SCELLE, <<Le droit public et la théorie de
l'Etat>>, in Introduction à l'étude du droit, Paris, Rousseau, 1951, t. I. p. 34).
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 367

Il s'agit là d'une méprise. L'Etat, qu'il soit de forme unitaire ou


fédérale, reste un Etat unique. Création autoritaire ou association-
nene, peu importe en l'occurrence. Cet Etat fait table rase de toute
structure équivalente et concurrente sur son territoire, ou il n'est
pas l'Etat.
L'<< Etat d'Etats >> est, en droit, un non-sens. L'autorité étatique
ne saurait, en même temps, se trouver d'un côté et de l'autre. Il
s'agit soit d'un Etat formé d'anciens Etats et ce titre leur est par-
fois maintenu <<par courtoisie ou habileté politique>> (7) soit d'une
association d'Etats et le droit international public la dénomme à
juste titre <<confédération d'Etats>> (8).
Ce n'est pas à dire que les arguments d'ordre historique n'éclai-
rent pas la discussion des concepts de décentralisation et de fédéra-
tion : le point de départ d'une évolution suffit souvent à en détermi-
ner la signification et la profondeur exactes. Mais elle ne fournit pas
un critère sûr de distinction.
A mi-chemin de la simple alliance de quelques Etats pleinement
indépendants et de l'hypothétique Etat unitaire que corrigerait
seule l'autonomie de quelques communes, se situe une zone intermé-
diaire où des Etats les uns décentralisés, les autres fédéraux trou-
vent à s'organiser.

B. - Les attributions des collectivités politiques

389. - Une distinction entre l'Etat unitaire et l'Etat fédéral ne


peut-elle alors se fonder sur un deuxième critère? Ne peut-elle se
baser sur la nature distincte des attributions qui sont conférées aux
collectivités décentralisées et aux collectivités fédérées?
Dans cette perspective, la décentralisation, phénomène purement
administratif, n'octroierait que des fonctions administratives à la
collectivité décentralisée; celle-ci se contenterait de s'<< administrer >>
elle-même. Le fédéralisme, phénomène politique, conférerait, au
contraire, à la collectivité fédérée << toute la gamme des compétences

(7) R. PINTO, Eléments de droit constitutionnel, Lille, Morel et Corduant, 1952, p. 195.
(8) Sur l'opposition classique comme sur certains rapprochements entre <• confédération» et
<• fédération •>, voy. P. REUTER, op. cit., p. 154-.
368 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

étatiques}) (9) en matière gouvernementale, législative et juridic-


tionnelle.
390. - Pareille distinction peut paraître simple. Mais où situer
la différence entre le << politique }) et l'<< administratif})? Elle repose
aussi sur des postulats discutables.
D'une part, la décentralisation peut correspondre à une forme
d'aménagement du pouvoir politique. L'administration locale sup-
pose la mise en œuvre de prérogatives qui s'apparentent aux fonc-
tions de gouverner, de réglementer, d'imposer, voire de juger. Ce
n'est pas là de la pure gestion administrative. Les autorités locales
trouvent aussi dans l'élection la source de leur investiture. Ce n'est
pas là le mode de désignation de purs administrateurs. Les collecti-
vités locales sont des collectivités politiques; leurs attributions sont,
pour une part, des attributions politiques.
D'autre part, le fédéralisme implique aussi l'octroi aux collecti-
vités fédérées de responsabilités administratives. L'exercice de la
fonction gouvernementale ou de la fonction législative risque d'être
dépourvu d'effet utile, si la collectivité fédérée ne dispose pas de ser-
vices et de moyens administratifs qui lui permettent d'assurer la
préparation et l'exécution de ses décisions.
391. - L'énoncé de cette deuxième thèse prend parfois un tour
plus technique. Le propre de la collectivité fédérée n'est-il pas de
détenir la fonction constitutionnelle, à la différence de la collectivité
décentralisée qui trouverait dans la loi de l'Etat les grandes lignes
de son organisation? Le propre de la collectivité fédérée n'est-il pas
de recueillir le <<résidu de compétences }) dans l'Etat, à la différence
de la collectivité décentralisée qui ne détiendrait que les attribu-
tions qui lui sont formellement consenties? Le propre de la collecti-
vité fédérée n'est-il pas de détenir <<la compétence de la compé-
tence}), à la différence de la collectivité décentralisée qui n'est pas
en mesure de restreindre ou d'accroître ses attributions ?
Ces propositions appellent deux types de commentaires.
Sur le plan théorique, on observe que la fonction << constitution-
nelle }) qui reviendrait aux collectivités fédérées se résume à peu de
choses : la faculté de se doter de règles d'organisation interne (en

(9) A. DE LAUBADÈRE, Traité élémentaire de droit administratif, Paris, L.G.D.J., 1963, t. 1,


p. 95, n" 148.
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 369

application, le plus souvent, de prescriptions détaillées et impéra-


tives de la Constitution). Il n'y a pas de vrai Etat; il ne saurait y
avoir de vraie Constitution. On constate aussi que la question des
compétences résiduelles n'est pas propre à une discussion sur les
formes d'Etat mais que, dans toute institution complexe- dans les
Etats unitaires comme dans les Etats fédéraux - , se pose la ques-
tion de leur exercice. On relève encore que <( la compétence de la
compétence )) ne saurait être analysée comme traduisant une sorte
de compétence originelle mais se ramène toujours à l'exercice d'une
compétence que la Constitution attribue à l'une ou à l'autre collecti-
vité politique.
Sur le plan pratique, l'exemple d'Etats typiquement fédéraux -
tel le Canada - qui ne répondent pas au schéma présenté pose éga-
lement problème. La Loi constitutionnelle de 1867 énumère les com-
pétences reconnues aux provinces canadiennes, leur refuse toute
possibilité de s'organiser de manière autonome et à la faveur de la
clause <(paix, ordre et bon gouvernement du Canada)) (art. 91),
réserve à la Fédération les compétences les plus générales et l' exer-
cice d'un très large pouvoir résiduel.
·A moins d'exclure le Canada mais aussi l'Inde, d'autres encore de
la liste des Etats fédéraux, ne faut-il pas convenir que ces critères
formels, qui prétendent établir une ligne ferme de démarcation
entre les deux formes d'Etat, ne paraissent guère concluants?
Mieux vaut reconnaître sur ce terrain théorique et pratique
l'identité des formes unitaire et fédérale de l'Etat. Chacune à sa
manière traduit un mode de répartition des attributions et des
moyens au sein de l'Etat.

C. - Les relations entre collectivités politiques

392. - L'Etat unitaire et l'Etat fédéral apparaissent comme les


phases d'un même mouvement d'autonomie. Ils consacrent un phé-
nomène identique de partage des attributions entre une collectivité
centrale et des collectivités particulières. Où est alors la différence?
Sinon dans le mode de relations qui s'établit entre elles.
L'opposition entre des collectivités décentralisées assujetties à
contrôles et des collectivités fédérées se prévalant de prérogatives
souveraines est simpliste. Les réalités et les modèles sont infiniment
370 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

plus complexes. Le principe de distinction ne réside pas dans la pré-


sence ou l'absence de relations entre le sommet et la base; il est tiré
du type de relations qui s'établit entre les collectivités politiques
dans l'Etat unitaire et dans l'Etat fédéral.
Ces relations s'instaurent entre le sommet et la base, entre la col-
lectivité générale et les collectivités particulières. Elles se nouent
aussi, à la base, entre les collectivités particulières.
393. - L'Etat unitaire décentralisé se caractérise par trois traits.
D'abord, il préserve l'unité de la société politique en recourant à
une loi générale qui s'appliquera de manière indifférenciée. Ensuite,
il instaure des relations de tutelle entre la collectivité générale et les
collectivités particulières. Enfin, il ne favorise guère la collaboration
entre collectivités politiques distinctes.
394. - L'Etat unitaire est un Etat dans lequel la loi est la même
pour tous (10). La volonté politique s'y exprime d'une seule et même
voix. Elle s'impose à tous : individus, groupes ou collectivités politi-
ques. Elle s'inscrit dans la Constitution mais aussi dans la loi -
nationale, par définition - . Cette volonté se traduit encore dans les
interventions du gouvernement. Elle se matérialise dans les déci-
sions des cours et tribunaux qui rendent la justice au nom de la loi.
395. - L'Etat unitaire investit les collectivités locales de la mis-
sion de gérer les intérêts qui leur sont propres et d'exprimer ainsi
à leur niveau des préoccupations particulières.
L'Etat décentralisé reste un Etat unitaire. Les préoccupations des
collectivités locales sont, en effet, subordonnées à la volonté de
l'Etat national. Des contrôles juridiques et politiques sont mis en
œuvre par diverses autorités publiques aux fins de faire respecter,
en toutes circonstances, l'intérêt général, c'est-à-dire national.
L'Etat unitaire décentralisé peut, en particulier, instaurer des
contrôles de tutelle - que la collectivité générale exercera, au nom de
la loi nationale et au nom de la conception qu'elle se fait de l'intérêt
général - , sur les actes des collectivités particulières.
Ces contrôles opèrent à sens unique. Les collectivités locales ont
sans doute la possibilité de contester, au contentieux de l'annula-
tion notamment, le bien-fondé des mesures de tutelle qui affectent

(10) F. DELPÉRÉF., <<La voie fédérale», J.T., 1989, p. 2.


L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 371

leurs actes, mais elles ne sauraient jamais mettre en cause, au nom


des mêmes impératifs, les actes de la collectivité générale.
Ces contrôles, il faut l'ajouter, sont largement de nature politique.
Les collectivités locales ont, ici aussi, la possibilité de mettre en
doute la validité juridique des interventions de l'autorité de tutelle.
Mais elles ne sauraient contester à celle-ci le droit d'agir pour pré-
server ce qui ne relève pas de la stricte légalité et qui est du
domaine de l'intérêt général.
Ces contrôles sont mis en œuvre à l'intervention d'autorités poli-
tiques, celles de la collectivité générale. Ils ne reviennent pas à une
autorité indépendante, tel le juge. Ils ne sont pas attribués à une
tierce partie à la collectivité générale et aux collectivités particu-
lières. Ils sont exercés par l'autorité qui est investie de la mission
d'assurer la cohérence du fonctionnement global de l'Etat.
Les relations qui s'instaurent dans l'Etat unitaire décentralisé
sont à tous égards des relations de subordination. L'action des col-
lectivités particulières est assujettie à celle que poursuit la collecti-
vité générale.
·396. - L'Etat unitaire décentralisé n'exclut pas la collaboration
entre collectivités particulières mais tend à la maintenir dans des
limites étroites.
L'exercice par les collectivités particulières de tâches d'intérêt
général n'est pas un phénomène nouveau; mais c'est la loi nationale
qui en contient les développements, en déléguant, par exemple, aux
autorités locales des responsabilités qui n'entrent pas dans le
domaine des intérêts locaux. Cette forme de dévolution d'attribu-
tions est contrôlée par la collectivité générale.
L'association de collectivités particulières n'est pas non plus pro-
hibée. Mais la Constitution et la loi nationale en précisent l'objet et
les modalités. Il ne saurait être question pour les collectivités parti-
culières de sortir, par ce biais, du domaine restreint des intérêts
locaux dont elles ont la charge. L'opération est à nouveau contrôlée
par la collectivité générale.
En somme, il n'y a de collaboration permise que dans les condi-
tions que fixe la collectivité générale. Elle ne conduit pas les collec-
tivités particulières à décider de l'intérêt général, mais seulement à
assurer l'exécution de missions qui poursuivent cet objectif.
372 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

397. - L'Etat fédéral, lui, se caractérise par trois traits. Il s'agit


d'un Etat plurilégislatij. Il soustrait les collectivités fédérées à la
tutelle de la collectivité fédérale. Il s'efforce d'instaurer entre les
diverses collectivités politiques qui trouvent place au sein de l'Etat
des mécanismes et des relations de collaboration.
398. - L'Etat fédéral repose sur le partage de la fonction légis-
lative. La tâche qui revient à concevoir les normes qui s'applique-
ront à un nombre indéterminé de personnes et à arrêter, de cette
manière, les politiques publiques n'est pas réservée en monopole aux
autorités d'une seule collectivité politique, à savoir celles de l'Etat
fédéral. Cette fonction est morcelée. Elle appartient en partage à la
collectivité fédérale et aux collectivités fédérées.
Pour éviter toute méprise, il est précisé que le terme <<législatif))
qualifie, en l'occurrence, une fonction qui est affectée d'une puis-
sance souveraine. Quelles que soient les appellations retenues pour
désigner les normes élaborées, celles-ci déploient leurs effets sans
autres contrôles que ceux qu'impose le respect de la Constitution
commune.
L'autonomie s'entend ici au sens plein du terme.
399. - Les contrôles de tutelle sont incompatibles avec la mise
en œuvre de techniques fédératives. Ils constituent un << critère
négatif absolu )) ( ll) de l'existence d'un Etat fédéral.
L'explication est simple. Dans un Etat fédéral, la collectivité
générale et les collectivités particulières se partagent les responsabi-
lités du pouvoir. Mais cette répartition des fonctions s'instaure
entre des collectivités politiques égales. Chacune d'elles se voit
confier un domaine propre d'attributions; elle ne saurait, en la
matière, être subordonnée à une autre collectivité politique.
Ce n'est pas à dire qu'elles échappent à toutes formes de contrôle.
La collectivité fédérale et les collectivités fédérées sont également
assujetties au respect des règles, constitutionnelles notamment, qui
président à la répartition des attributions et des moyens.
Le plus souvent, des institutions et des procédures sont mises en
place pour assurer le contrôle de la constitutionnalité de leurs actes.
Référence est faite notamment au système fort complet de la Cour
constitutionnelle fédérale de la République fédérale d'Alle-

(ll) R. PINTO, op. cit., p. 199.


L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 373

magne (12); le juge ordinaire peut aussi s'arroger, sous le contrôle


d'une Cour suprême, le droit d'exercer ces prérogatives de contrôle
Référence est faite ici au système des Etats-Unis d'Amérique et au
rôle que la Cour suprême a pu y remplir (13).
De ce point de vue, la collectivité fédérale et chacune des collecti-
vités fédérées sont mises sur pied d'égalité.
400. - La collaboration entre collectivités politiques est inhé-
rente à la mise en œuvre de techniques fédératives. Cette collabora-
tion peut se concrétiser de manière organique et de manière fonc-
tionnelle.
La collaboration organique est la mieux perçue. Elle s'instaure à
travers l'aménagement d'institutions publiques - celles de la col-
lectivité fédérale, notamment - qui associent les collectivités parti-
culières à la gestion d'intérêts qui ne leur sont pas réservés en
propre. Les collectivités fédérés vont donc participer, comme telles,
à la conduite des affaires fédérales. Elles sont, par exemple, amenées
à désigner - directement ou indirectement - les autorités publi-
ques fédérales (voy. les modalités de composition du Sénat améri-
cain ou du Conseil des Etats en Suisse) (14).
La collaboration fonctionnelle est moins manifeste.
Elle repose sur le dialogue et la coopération entre collectivités dis-
tinctes. Elle conduit à la réalisation d'actions <~ coordonnées >> et
complémentaires. Ici aussi, l'explication peut paraître simple.
L'Etat fédéral repose sur un partage initial d'attributions et de
moyens. Les collectivités constituées en son sein n'en recueillent
jamais qu'une part. L'efficacité d'une action cohérente et continue
justifie qu'elles s'efforcent de compenser, par la coopération, cette
faiblesse originelle.
Comme le note J. ANASTOPOULOS, le fédéralisme coopératif n'est
pas, cependant, <~ le lieu idyllique où se rencontreraient les volontés
concordantes de partenaires sans problèmes et sans arrière-pensées

(12) Voy. L. FAVOREU, Les cours constitutionnelles, P.V.F .. 1992, 2'' éd., «Que sais-je?»,
n" 2293, pp. 51 s.
(13) Ibid., pp. 6 à 10.
(14) Le degré de coopération organique est variable. Les collectivités fédérées participent à
la révision de la Constitution de l'Etat; ou bien, elles sont représentées au sein d'une assemblée
législative fédérale; ou bien encore, elles désignent les membres du gouvernement fédéral. Toutes
caractéristiques qui permettent aux collectivités fédérées d'être présentes, pour une part, ~·dans
la substance du pouvoir fédéral>> (G. BURDEAU, Droit constitutionnel ... , op. cit., p. 50).
374 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

politiques>> (15). C'est beaucoup plus le lieu d'une négociation per-


manente entre collectivités concurrentes. Des accords fédéraux-
fédérés (de caractère formel ou informel) peuvent en résulter. Les
principes d'une concertation et les modalités d'une coopération peu-
vent être arrêtés.
La coopération, à peine de n'être qu'une forme déguisée de cen-
tralisation au profit de la collectivité générale, doit reposer sur
l'idée d'égalité des partenaires au sein de l'Etat fédéral. Elle doit
aussi préserver les lignes de l'équilibre des attributions et des
moyens qu'établit la Constitution. Comme l'écrit J.C. VILE, l'équi-
libre doit être maintenu <~de telle manière qu'aucun niveau de gou-
vernement ne devienne prépondérant au point de pouvoir dicter les
décisions de l'autre, ce qui n'empêche que chacun puisse influer sur
l'autre, marchander avec lui ou le convaincre>> ( 16).
401. - Des conclusions nettes se dégagent-elles d'une comparai-
son entre l'Etat unitaire décentralisé et l'Etat fédéral (17)? Les dif-
férences peuvent, à la réflexion, paraître ténues. Les deux formes
d'Etat traduisent un même mouvement d'autonomie. Elles consa-
crent un même partage d'attributions. Tout au plus, aménagent-
elles des relations d'un autre ordre entre base et sommet.
La distinction gagne à être maintenue. Non comme cette sépara-
tion radicale entre deux conceptions antagonistes d'organisation de
l'Etat. Mais comme une différenciation nuancée qui reflète les voies
différentes que peut emprunter la recherche d'un équilibre au sein
de l'Etat entre l'action de la collectivité générale et celle de collecti-
vités particulières.

§ 2. - Les formes complexes


d'organisation de l'Etat

A. - Les structures de compromis


402. - La seule référence aux modèles classiques d'organisation
de l'Etat a parfois été contestée. D'autres modèles ne pourraient-ils

(15) .J. ANASTOPOULos, Les aspects financiers du fédéralisme, Paris, L.G.D.J, 1979, p. 221.
(16) J. C. VILE, The structure of American Federalism, New York, Oxford University Press.
1961, p. 199 (cité par J. ANASTOPOULOK, op. cit., p. :~99).
( 17) Les systèmes confédéraux n'aménagent, en principe, aucun lien, ni de subordination ni
de coopération, entre les collectivités particulières des Etats confédérés et les institutions de la
confédération. Ce problème d'organisation institutionnelle sort du domaine du droit interne pour
déboucher sur la scène internationale (voy. n" 388).
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 375

être inventés? Prenant appui sur des expériences constitutionnelles


récentes, n'offrent-ils pas des champs nouveaux d'analyse?
Parmi les modèles originaux, celui de l'Etat régional est le mieux
connu. Il est aussi le plus intéressant dans la mesure où il se pré-
sente comme le compromis (18) ou comme la synthèse opérée au
départ de structures antinomiques. L'Etat régional se situerait à
mi-chemin entre l'Etat unitaire et l'Etat fédéral.
Pareille conception part, en général, d'une comparaison inexacte
ou incomplète entre les modèles unitaire et fédératif. Ainsi le régio-
nalisme peut paraître se mouvoir entre la décentralisation adminis-
trative et le fédéralisme politique; mais, si la nature des attribu-
tions reconnues aux collectivités de base n'est pas un critère sûr ou
suffisant de distinction entre les deux formes d'Etat, quelle est la
portée de l'observation?
Si l'on pose la question des formes de l'Etat en termes de rela-
tions entre collectivités politiques, force est de s'interroger sur les
contrôles qui peuvent affecter l'action des régions; aux fins d'identi-
fier un Etat régional qui n'entre ni dans le modèle unitaire, ni dans
le modèle fédéral, il faut trouver des formes de contrôles qui se
situent à mi-chemin entre les interventions de tutelle et les vérifica-
tions de constitutionnalité.
Est-ce possible? Sans doute. Dans l'Etat, les relations entre col-
lectivités politiques peuvent s'établir sur la base d'un contrôle très
étendu et très exigeant de la légalité; elles peuvent aussi se nouer
sur base d'opportunités limitées et de stricte interprétation. A la
limite, la distinction entre le respect de l'intérêt général et celui de
la légalité s'estompe. C'est sur cette ligne floue de démarcation que
l'Etat régional peut, sans doute, se bâtir.
En dehors de ces hypothèses exceptionnelles qui répondent le plus
souvent au souci de cacher, sous des formes unitaires, une réforme
d'allure fédérale ou de camoufler, sous des techniques fédératives, la
mise en place ou le maintien de structures unitaires, mieux vaut
convenir que les collectivités politiques régionales se rangent soit
parmi les collectivités décentralisées, soit parmi les collectivités
fédérées : tout dépend du type de relations que la Constitution éta-
blit entre elles et la collectivité centrale; elles sont donc appelées à

(18) Sur ce thème, F. D~~LPÉRÉE, «Le compromis régional», in Rapports belges au IX' Congrès
international de droit comparé, Bruxelles, 1974. pp. 407 s.
376 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

prendre place dans l'Etat à côté d'autres collectivités, elles-mêmes


décentralisées ou fédérées.

B. - Les structures inachevées


403. - Les structures de l'Etat se font et se défont. La Consti-
tution en établit les principes. Mais elle ne saurait toujours en com-
mander dans le détail les évolutions. Les structures les plus solides
ne sont pas figées. Les règles qui régissent les rapports entre collec-
tivités politiques dans l'Etat apparaissent plutôt comme la résul-
tante des tensions incessantes qui existent entre elles. C'est dire que
les collectivités politiques en présence façonnent progressivement le
contenu précis de leurs relations juridiques. Au point de favoriser
des comportements unitaires dans des structures fédératives et de
développer des techniques d'inspiration fédérale dans des structures
unitaires.
L'utilisation appropriée de mécanismes institutionnels adéquats
permet de favoriser ces tendances qui peuvent aller jusqu'à s'ins-
crire en contradiction avec le schéma constitutionnel. Deux pro-
cédés sont cités à titre d'exemple.
Le premier consiste à n'inscrire dans la Constitution que les prin-
cipes généraux d'aménagement des institutions, soit pour l'essentiel
leur dénomination, leur nombre, le statut de leurs organes. Les
modalités pratiques de fonctionnement, et spécialement la nature
des liens entre pareilles collectivités et la collectivité centrale, sont,
par contre, passées sous silence. C'est le législateur qui est habilité
à régler ces questions. Des majorités parlementaires changeantes
peuvent ainsi donner à un Etat une ou plusieurs physionomies que
la Constitution n'entendait pas lui procurer ou n'avait même pas
envisagées. Achever, ce n'est pas nécessairement respecter le même
style.
Le second procédé consiste à n'inscrire dans la Constitution que
les principes d'aménagement des collectivités politiques : leur statut
et les modalités de leur fonctionnement sont arrêtés. Les moyens
d'action humains et financiers - des administrations et des res-
sources - sont, par contre, passés sous silence. Puisque ces moyens
ne sont pas illimités, leur répartition s'accomplira en fonction de la
force respective des collectivités. C'est l'affaire de négociations poli-
tiques, toujours à reprendre. L'exercice, sinon le contenu, de l'auto-
nomie locale est intimement lié aux résultats de pareille discussion.
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 377

Dans un Etat, le pouvoir politique, entendu au sens sociologique


du terme, peut changer de mains. Et le phénomène se produit dans
les Etats unitaires comme dans les Etats fédéraux. Les collectivités
décentralisées comme les collectivités fédérées peuvent être plus ou
moins bien administrées, plus ou moins riches, plus .ou moins
actives. Une collectivité décentralisée aux larges ressources est cer-
tainement aussi autonome en fait, sinon en droit, qu'une collectivité
fédérée aux moyens insuffisants.
L'observation a le mérite de montrer que le problème des struc-
tures dans l'Etat est, pour le juriste, un problème technique : il n'y
attache pas nécessairement un choix préalable de valeurs politiques.
La liberté, celle des personnes et celle des collectivités politiques,
s'accommode de différents types de structures étatiques.

C. - Les structures hybrides

404. - Un Etat peut se constituer au départ d'une idée simple


d'entreprise. Toutes ses institutions, toutes ses fonctions, toutes ses
collectivités reçoivent un aménagement qui correspond sans faille à
ce schéma directeur. Mais un Etat peut aussi se construire au
départ d'une idée plus complexe qui emprunte à chacun des modèles
de référence quelques-unes de ses techniques. Il se donne alors des
structures hybrides dont une part peut correspondre au modèle uni-
taire et l'autre au modèle fédératif.
L'amalgame tire son originalité du dosage qui est alors établi
entre les techniques de l'une ou de l'autre inspiration.
Le phénomène trouve une illustration dans les Etats fédéraux.
Les collectivités particulières - collectivités fédérées, régions, can-
tons, provinces ... - organisent, en leur sein, l'action de collectivités
plus restreintes encore, telles les communes, selon les schémas de la
décentralisation. La Constitution peut même imposer de recourir à
cette forme d'organisation interne. Fédéralisme et décentralisation
se concilient ici, mais à des niveaux distincts.
Sur ce thème, voy. F. DELPÉRÉE, «Futuribles : l'Etat belge en 1982 ,,, La
Revue générale, 1977, p. 8 : «L'Etat est comme une maison qu'il faut meubler de
fond en comble. Elle peut se donner évidemment un mobilier de même style à
tous ses étages et dans toutes ses pièces. Un salon Empire, une salle à manger
Empire, une chambre à coucher Empire, une cuisine Empire et un grenier
Empire ... Mais elle peut aussi tirer parti d'un habile mélange des genres et des
378 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

époques. Un salon victorien, une salle à manger Henri IV, une chambre à cou-
cher Louis-Philippe, une cuisine moderne et un grenier vide ... Discutera-t-on des
goûts et des couleurs? L'ensemble peut être, selon le talent du décorateur, plus
ou moins réussi, plus ou moins harmonieux, plus ou moins pratique ... Il en va
de même dans la vie des Etats >>.

SECTION II. - LEs FORMES n'oRGANISATION


DE L'ETAT BELGE

405. - Comme l'écrit Carl. J. FRIEDRICH, le système fédératif


repose sur << une série de communautés politiques >> qui << coexistent
et interagissent comme des entités autonomes •> mais qui sont << unies
dans un ordre commun possédant son autonomie propre>> (19). Il
postule l'existence de collectivités fédérées. Il appelle aussi l'organi-
sation d'une collectivité fédérale. Il requiert, en plus, l'aménage-
ment d'un système commun - sinon de commandement, du moins
d'organisation - qui intègre les interventions des unes et de l'autre
dans un ensemble institutionnel aussi cohérent que possible.
406. - L'Etat belge s'inscrit dans ce schéma fédéraliste. Il s'est
construit, au départ, sur des principes unitaires. Il s'est progressive-
ment transformé, à partir de 1970, en un Etat fédéral. Il en pré-
sente les traits essentiels, même si certaines particularités ne peu-
vent manquer de caractériser le fédéralisme << à la belge >>.
L'on ne saurait taire ces caractéristiques - à prétexte de vouloir
faire entrer les institutions de l'Etat belge dans le moule d'un
modèle fédératif qui n'existe peut-être que sur papier - .
L'on ne saurait non plus se contenter de dénoncer ces singula-
rités - au point d'y voir des sortes d'anomalies génétiques qui
condamneraient résolument l'Etat belge à disparaître dans un terme
plus ou moins rapproché - .
Il convient plutôt de prendre acte de ces traits particuliers. L'on
peut comprendre que, sur le terrain de l'analyse, ils suscitent quel-
ques interrogations, sinon quelques inquiétudes. La perspective
intégratrice est-elle présente à suffisance ? Les éléments désintégra-
teurs n'occupent-ils pas une place trop importante?

(19) C.J. FRIEDRICH, Tendances du fédéralisme en théorie et en pratique, trad. par A. et L. PHJ-
LIPPART, Bruxelles, Institut belge de science politique, 1971, p. 19 (cité par F. DELPÉRÉE et
M. VERDUSSEN, <<L'organisation •>, in La Belgique fédérale ... , p. 59).
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 379

§ 1er. - Les perspectives historiques

A. - La perspective unitaire
407. - L'Etat belge de 1831 était, sans conteste, un Etat uni-
taire. Ce n'est pas à dire, comme on le soutient très so~vent, que
la forme de l'Etat s'est imposée d'elle-même. Les membres du
Congrès national étaient conscients des diversités de tous ordres, et
spécialement des particularités provinciales, qui caractérisaient le
nouvel Etat. Ils n'ont pu esquiver le débat institutionnel, théorique
et pratique, sur le choix des structures qui paraissaient le mieux
correspondre à ces réalités politiques. Sur ce terrain fondamental,
les discussions du Congrès national ne laissent point, cependant,
d'être quelque peu décevantes. Et ceci pour trois raisons.
La première est d'ordre politique. Les tenants de la thèse fédérale
au Congrès n'ont eu de cesse d'associer au problème des formes de
l'Etat celui des formes du gouvernement et même celui des modes
de désignation du chef de l'Etat; l'idée fédérale ne pouvait, selon
eux, se concrétiser que dans la <<république fédérative des provinces
belges)) (20). L'option prise, dès le 22 novembre 1830, en faveur
d'une forme monarchique de gouvernement eut pour résultat
d'écarter la solution fédérale et de clore prématurément le débat sur
les structures de l'Etat. Observateur attentif des premiers moments
de la Belgique indépendante, E. HuYTTENS pouvait écrire, en ce
sens, aux premières lignes de ses Discussions du Congrès national :
<<La révolution belge a fait une nation, une dynastie, une Constitu-
tion)) (21). Il serait même plus exact d'écrire: une Constitution, une
dynastie, une nation.
La deuxième raison est d'ordre doctrinal. Les tenants de l'une et
de l'autre thèses, plus préoccupés de références à l'Antiquité que
d'analyses de droit contemporain, n'ont pas été en mesure d'étayer
leur argumentation sur quelques modèles précis de référence. Igno-
rant le droit public des Etats-Unis d'Amérique, <<cette confédéra-
tion étendant son autorité des lacs du Canada jusqu'au pied des
Montagnes rocheuses, depuis l'océan jusqu'aux hordes sauvages qui
avoisinent les bords de la Mer glaciale)) (22), vivant dans le souvenir

(20) L. DE PoTTER, « Lettre à mes concitoyens», cité in Discussions du Congrès national


t. V, pp. 284 et 292.
(21) E. HUYTTENS, op. cit., t. 1, p. J.
(22) Abbé J. DE SMET, Discussions du Congrès national... , t. 1, p. 207.
380 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

imprems de cette ébauche d'Etat fédératif que constituaient les


Etats Belgiques-Unis, issus de la révolution brabançonne, projetant
encore sur le tout une vision embellissante et harmonieuse des
anciennes institutions municipales et provinciales, le Congrès natio-
nal ne pouvait s'empêcher de formuler des appréciations qui, avec
le recul du temps et des évolutions doctrinales, surprennent.
Ainsi, pour certains, la coexistence d'un pouvoir supérieur ayant
la charge des intérêts généraux du royaume et de pouvoirs locaux
ayant la responsabilité des intérêts communaux et provinciaux suf-
firait à démontrer que <<c'est bien là l'Etat fédératif>> (23). Pour
d'autres, le système qui consiste à laisser à chaque province une
administration pleine et entière et à les inviter ensuite à << convenir
des points communs aux diverses parties de l'Etat>> (24) serait
caractéristique d'un régime unitaire.
En dehors de tout cadre doctrinal, ce type d'appréciation est iné-
vitable.
La troisième raison est d'ordre historique. Né d'une révolution,
l'Etat belge devait, pour préserver son indépendance, mener une
action politique, diplomatique et militaire qui ne souffrît aucun
retard et ne permît aucune diversion. Il fallait à la Belgique << un
centre d'unité, un point de centralisation qui puisse neutraliser les
inconvénients>> de divisions intestines, quelles qu'elles soient (25).
Dans l'esprit des membres du Congrès national, l'Etat unitaire
pouvait, mieux que l'Etat fédéral, remplir cet office. << Le grand
défaut des Etats fédérés, constatait J. LEBEAU, c'est la faiblesse du
pouvoir central>> (26).
L'explication est claire. Pour affirmer son indépendance, la Bel-
gique a cru préférable de recourir à un pouvoir central fort. Les
structures unitaires ont paru plus appropriées pour réaliser cet
objectif.

B. - La perspective décentralisatrice
408. - L'Etat belge, construit sur le modèle unitaire, faisait
place à l'action de collectivités politiques décentralisées - les pro-

(23) Ch. DE Roo, Discussions du Congrès national... , t. I, p. 220.


(24) P.-A. WYVEKENS, Discussions du Congrès national..., t. I, p. 203.
(25) H. VILAIN Xliii, Discussions du Congrès national... , t. I, p. 199.
(26) J. LEBEAU, Discussions du Congrès national ... , t. I. p. 211.
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 381

vinees et les communes - . Non seulement la Constitution en pré-


voit l'existence et en organise le mode de création. Mais elle leur
confie la charge de régler << les intérêts exclusivement communaux et
provinciaux>> (art. 41, al. l"r). Et surtout, elle précise que l'autono-
mie des pouvoirs locaux s'exercera << d'après les principes établis par
la Constitution>> (art. 41, al. pr, in fine). Ces principes font l'objet
de l'article 162, alinéa 2, de la Constitution; ils énoncent explicite-
ment la possibilité d'un contrôle de l'autorité de tutelle ou du pou-
voir législatif << pour empêcher que la loi ne soit violée ou l'intérêt
général blessé>> (art. 162, al. 2, 6°). L'existence de pareil contrôle de
tutelle est évidemment caractéristique d'un phénomène de décentra-
lisation.

C. - La perspective décentralisatrice (suite)


409. - La révision constitutionnelle du 24 décembre 1970 n'a
pas porté atteinte à ces structures unitaires et décentralisées. Elle
les a même, dans une certaine mesure, renforcées.
D'une part, elle prévoit l'existence de nouvelles collectivités poli-
tiques territoriales : les agglomérations et les fédérations de com-
munes. C'est << en application des principes énoncés à l'article 162 >>
de la Constitution que leur organisation et leur compétence sont
fixées par la loi. Celle du 26 juillet 1971 consacre son chapitre V à
un exposé des modalités de la tutelle administrative sur les agglo-
mérations, sur les fédérations et sur les communes qui les compo-
sent (art. 56).
D'autre part, elle inscrit pour la première fois, en toutes lettres,
dans le texte constitutionnel le principe de << la décentralisation d'at-
tributions vers les institutions provinciales et communales >>
(art. 162, al. 2, 3°). Innovation essentielle, ont affirmé les milieux
politiques (27). Pas dans le principe, assurément : l'article se borne
à faire référence au système mis au point dès 1831 pour aménager
les relations entre collectivités politiques dans l'Etat. Mais dans les
modalités peut-être : les pouvoirs locaux disposeraient ainsi de deux
sources distinctes d'attributions, celles qui leur sont conférées direc-
tement par la Constitution (art. 41) et celles qui leur sont dévolues
facultativement par la loi (art. 162, al. 2, 3°). Si l'on sait, cepen-
dant, que le législateur s'est toujours reconnu compétent pour

(27) P. DE STEXHE, op. cit., p. 298.


382 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

concrétiser sur ce point les prescriptions constitutionnelles et pour


fixer dans le détail les limites des intérêts communaux et provin-
ciaux, on conviendra que le législateur garde la liberté qui lui était
déjà assurée; la· réforme paraît plus procéder d'intentions politiques
que de véritables réformes sur le terrain du droit positif.
Dans l'exercice de leurs tâches décentralisées, les commissions communau-
taires sont soumises à un contrôle de tutelle (Const., art. 162, al. 2, 6°, 165,
§ P ' - <<en consacrant l'application des principes énoncés à l'article 162 >)-et
166, § 1"'- <<l'article 165 s'applique à l'agglomération>) bruxelloise et, il faut le
présumer, aux commissions qui sont constituées dans son orbite). Sur le régime
énergique de contrôle à l'égard des districts, voy. NLC, art. 431, al. 4 s.

§ 2. - Les perspectives contemporaines

A. -L'ouverture au fédéralisme

410. - En 1970, des structures d'inspiration fédérale sont ajou-


tées aux structures unitaires de l'Etat belge.
Prévoyant, instituant et organisant les communautés, la Consti-
tution de 1970 met, en effet, en place des collectivités politiques qui
ne rentrent en aucune manière dans un schéma de décentralisation.
Les communautés exercent la fonction législative. Les attributions
qui leur sont reconnues sont exclusives et entières. Elles agissent à
l'abri des contrôles de tutelle. Elles n'ont à respecter, dans l'exercice
de leurs compétences que les prescriptions de la Constitution et des
lois fédérales qui lui procurent exécution.
Les communautés ne sont pas des collectivités décentralisées.
Lors de leur création, elles ne sont pas non plus d'authentiques col-
lectivités fédérées. C'est de << préfédéralisme )) (28) ou de << parafédé-
ralisme )) (29) qu'il convenait de parler à ce moment. Et ceci pour
trois raisons.
L'autonomie reconnue aux communautés était, d'abord, assortie
de telles contraintes qu'elle pouvait être privée d'une part essen-
tielle de ses vertus.
L'autonomie reconnue au sein de l'Etat aux communautés n'al-
lait pas de pair avec une coopération entre ces collectivités, que ce
soit pour la gestion des intérêts communautaires ou pour la

(28) P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, op. cit., p. 256.


(29) P. WIGNY, Comprendre la Belgique, Verviers, Ed. Marabout.
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 383

conduite des affaires générales de l'Etat. Mais peut-être fallait-il


considérer que la parité entre ministres d'expression française et
d'expression néerlandaise, qui est de règle au conseil des ministres
(art. 99, al. 2), constituait une amorce significative de cette collabo-
ration?
L'autonomie reconnue aux communautés, enfin, n'interférait pas
avec le processus d'autonomie reconnue aux collectivités décentrali-
sées. Sur une toile de fond unitaire se sont greffées des institutions
dont l'aménagement s'inspirait d'une philosophie politique diffé-
rente. Mais celle-ci ne commandait pas l'organisation de l'ensemble
des collectivités politiques dans l'Etat.

B. - L'approfondissement du fédéralisme
411. - L'Etat belge, qui a fonctionné pendant près d'un siècle
et demi comme un Etat unitaire (30), est devenu un Etat fédéral.
Les germes semés en 1970 ont produit leurs fruits. Des réformes
radicales sont intervenues, dans le même sens, à partir des étés 1980
et 1988. A chaque étape, la mise en œuvre des règles organiques de
l'Etat fédéral se perfectionne (31).
412. - La règle d'autonomie se concrétise très tôt.
Les Communautés française et flamande sont d'emblée habilitées
à faire la loi dans le domaine des matières culturelles. Elles seront
ensuite autorisées à faire de même dans un autre domaine, celui des
matières dites personnalisables. La Communauté germanophone les
rejoint sur ce double terrain, même si, en l'occurrence, c'est une loi
ordinaire qui détermine ses attributions. Toutes trois seront égale-
ment parties, dès 1988, aux opérations de communautarisation de
l'enseignement.
De leur côté, les Régions wallonne et flamande sont, à partir de
1980, investies de compétences législatives dans un ensemble de
domaines qui touchent essentiellement à l'aménagement du terri-
toire et aux équipements collectifs. Elles prendront en charge, à

(30) <<Cet Etat (unitaire) était un Etat simple. Pour un constitutionnaliste, c'était vraiment
un Etat de tout repos. Une nation, un peuple, un territoire, un roi, un Parlement, une Cour de
cassation, un Conseil d'Etat, que demander de plus? Comment imaginer une structure plus
simple et plus claire de l'Etat? (... ) Ces structures unitaires -faut-il le dire? - , nous les tenions
de la France de 1789, de la France jacobine, de la République et de l'Empire>> (F. DELPÉRÉE,
«Les nouvelles institutions de la Belgique», in The Cambridge Lectures 1981, ed. N.E. EARTHAM
et B. KRIVY, Butterworths, p. 313).
(31) F. DELPÉRÉE, ''La Belgique est un Etat fédéral>>, J.T., 1993, p. 637.
384 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

partir de 1988, puis de 1993, d'au t .;s secteurs d'ac ti vi tés, comme
les transports, les communications, la politique économique. Quant
à la Région bruxelloise, elle est appelée, depuis 1989, à assumer des
responsabilités identiques. Encore qu'à son égard, la faculté de faire
la loi, au sens précis de l'expression, n'est pas reconnue dans quatre
secteurs : l'urbanisme, l'aménagement du territoire, les travaux
publics et le transports (32).
En vertu de l'article 167 de la Constitution·, les communautés et
les régions disposent, depuis 1993, du pouvoir de conclure des
traités internationaux dans les matières de leur compétence (33).
Enfin, la Commission communautaire française est amenée à
intervenir dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale pour exercer
certaines compétences de la Communauté française (Const.,
art. 138). La Commission communautaire commune y est habilitée
à régler les matières personnalisa bles d'intérêt général (Const.,
art. 135).
413. - L'égalité entre les collectivités qui composent l'Etat
belge est réalisée par la mise en œuvre de plusieurs techniques :
l'équivalence des normes, l'exclusivité des attributions et l'identité
des contrôles.
L'équivalence des normes vient en premier. Dans les matières qui
lui reviennent, l'Etat fédéral fait la loi. Dans les matières qui leur
sont attribuées, les trois communautés, les Régions wallonne et fla-
mande et la Commission communautaire française adoptent des
décrets. Dans les matières qui lui sont dévolues, la Région bruxel-
loise adopte, pour sa part, des ordonnances. La différence de termi-
nologie ne reflète en rien une différence de nature entre ces normes
législatives. Lois, décrets et ordonnances (34) ont même valeur. Ils
ont force de loi (35).
L'exclusivité des attributions ne peut non plus être perdue de vue.
<<Les compétences de l'Etat (fédéral) et celles de ses composantes

(32) L. sp. 12 janvier 1989, art. 45.


(33) L'intervention des collectivités fédérées dans l'ordre international est éminemment déli-
cate. Un équilibre subtil doit être réalisé entre deux exigences antinomiques. D'une part, l'Etat
fédéral doit pouvoir imposer une certaine cohérence dans la définition et la conduite de la politi-
que étrangère. D'autre part, l'autonomie des collectivités fédérées doit, pour être effective, trou-
ver des prolongements dans l'ordre international.
(34) Sous réserve de ce qui sera précisé à propos des ordonnances dont les juridictions peu-
vent refuser l'application dans les conditions visées à l'article 9 de la loi spéciale du 12 janvier
1989.
(35) Voy. Const., art. 134, 127, § 2 et 130, § 2.
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 385

s'excluent mutuellement>> (36). Concrètement, les communautés et


les régions ne sauraient se borner à compléter des normes nationales
ou à exécuter des politiques conçues au niveau national. Il convient
de leur attribuer l'exclusivité des interventions dans les domaines
qui leur sont confiés (37).
Quant aux contrôles, toutes les normes- tant fédérales que fédé-
rées - y sont assujetties. C'est la Cour d'arbitrage, et elle seule, qui
détient le pouvoir du dernier mot (38). Elle a été instituée pour évi-
ter que chaque législateur n'empiète sur les compétences des autres
collectivités et pour garantir le respect de l'égalité entre celles-
ci (39). L'autorité de la Cour, comme gardienne de l'égalité entre les
collectivités politiques au sein de l'Etat, résulte de sa situation dans
l'ordre juridique belge. Elle est une autorité constituée mais elle est
liée fonctionnellement au pouvoir constituant.
414. - En ce qui concerne la règle de la participation, elle s'il-
lustre, d'abord, dans la collaboration des communautés et des
régions à l'action des pouvoirs fédéraux.
Ainsi, la fonction de gouvernement est assurée, pour l'essentiel,
par le conseil des ministres qui, selon la formule consacrée, déter-
mine, coordonne et oriente la politique générale de l'Etat fédéral.
Aux termes de l'article 99, alinéa 2, de la Constitution, ce conseil
doit être composé de manière paritaire. Il doit compter, le Premier
ministre éventuellement excepté, autant de ministres d'expression
française que d'expression néerlandaise. En clair, il a vocation de
représenter les deux grandes communautés qui composent la Bel-
gique; ce qui signifie aussi que chaque groupe de ministres doit être
assuré d'un appui majoritaire au sein de sa communauté (no 443).

(36) R. ERGEC, 'Un Etat fédéral en gestation : les réformes institutionnelles belges de 1988-
1989 », R.D.P., 1991, p. 1597, n" 5.
(37) Selon la formule usuelle de la Cour d'arbitrage, ''il faut considérer que le Constituant et
le législateur spécial, dans la mesure où ils n'en disposent pas autrement, ont attribué aux com-
munautés et aux régions toute la compétence d'édicter les règles propres aux matières qui leur
ont été transférées» (C.A., n" 69(92, 12 novembre 1992).
(38) Voy. F. DRLPÉRÉE, ''La Cour d'arbitrage et le fédéralisme belge>>, in Fédéralisme et cours
suprêmes (dir. E. ÜRBAN), Bruxelles, Bruylant, Montréal, Presses de l'Université, 1991, pp. 167
à 198.
(39) Coust., art. 142, al. 2; 1. sp. 6 janvier 1989, art. 2, 2". Le seul Etat où les particuliers peu-
vent également saisir la juridiction constitutionnelle de tels litiges est l'Espagne. La comparaison
reste limitée. Si le Tribunal constitutionnel espagnol peut être saisi des conflits de compétence
entre l'Etat et les Communautés autonomes, ou entre les Communautés elles-mêmes, il ne peut
être saisi par un particulier que dans l'hypothèse d'un conflit négatif de compétence : l'État
national et une Communauté se refusent à prendre en charge une matière déterminée au motif
qu'elle se rattache aux compétences de l'autre.
386 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

D'autres mécanismes sont mis en place qui permettent aux collectivités fédé-
rées de trouver un terrain d'expression au plan fédéral. On pense aux groupes
linguistiques établis, au sein de chacune des chambres, par l'article 43, § 1"' de
la Constitution. On pense également à la Cour d'arbitrage, dont la composition,
mais aussi le fonctionnement, sont réglés dans le strict respect de la parité lin-
guistique (40).

La règle de la participation se révèle, ensuite, à travers la coopé-


ration qui peut ou qui doit s'instaurer entre les collectivités politi-
ques qui trouvent place dans l'Etat fédéral. Cette coopération est
censée être l'expression d'un sentiment persistant de convivialité.
Tantôt elle est organisée avec souplesse : il s'agit alors de susciter
une coordination harmonieuse entre les différentes politiques, tout
en préservant la liberté, pour chaque collectivité, d'engager le dialo-
gue ou de le refuser. Tantôt, elle est confinée dans des schémas plus
rigides et plus formalistes. En toute hypothèse, elle suppose <c le res-
pect de la loyauté fédérale>>, conformément à l'article 143 de la
Constitution.
Les techniques de participation ne sont pas aussi développées que celles d'au-
tonomie. Il faut regretter que la réforme du Sénat n'ait pas abouti à l'instaura-
tion d'une seconde chambre qui soit réellement représentative des entités fédé-
rées et, partant, d'un bicaméralisme qui soit plus adapté à l'Etat fédéral. Au lieu
de cela, l'article 67, §1er de la Constitution ne prévoit que 21 c< sénateurs commu-
nautaires>> (sur 74 au total). Qui plus est, les régions ne trouvent à travers ces
sénateurs qu'une représentation indirecte. Quant à l'idée d'un Sénat paritaire,
elle est récusée. Et pourtant ... N'est-ce pas là une condition essentielle de la via-
bilité de l'Etat belge (41) 1

C. -Le dépassement du fédéralisme

415. - Et si la Belgique qui a cessé d'être un Etat unitaire et


qui a été pourvue de structures fédérales avait déjà délaissé ses nou-
veaux habits pour endosser ceux d'une confédération d'Etats?
Le raisonnement qui s'esquisse ainsi part d'un postulat. Il y
aurait une ligne droite dans le cours de la vie des Etats. A une
extrémité, un Etat unitaire à l'état pur. A l'autre, deux ou plusieurs
Etats de taille plus réduite. Entre les deux, un ensemble de situa-
tions institutionnelles qui témoigneraient d'une autonomie crois-
sante des entités particulières et d'un dépérissement progressif de
l'autorité de l'Etat : déconcentration, décentralisation fonctionnelle,

(40) L. sp. 6 janvier 1989, art. 31, 55 et 56.


(41) L. INGBER, «L'égalité en droit ou Je droit à l'égalité», J. T., 1979, p. 315.
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 387

décentralisation territoriale, fédéralisme, organisation intégrée,


confédération, voire simple coopération internationale ...
Dans cette perspective, qu'a notamment esquissée- pour la cri-
tiquer- Jean-François AuBERT (42), il appartiendrait au juriste de
placer sur cette route droite les poteaux qui serviraient à indiquer :
<<Ici, vous sortez de la zone de l'Etat unitaire>>, <<Ici, vous pénétrez
dans l'aire de l'Etat fédéral>>, <<Ici encore, vous vous trouvez dans
une confédération d'Etats>>.
Cette présentation peut paraître commode. Elle est néanmoins
incorrecte. Elle néglige la différence de nature qui existe entre
l'Etat - unitaire et fédéral - , d'une part, et la confédération
d'Etats, d'autre part. Malgré leurs différences, les formes unitaire et
fédérale de l'Etat présentent un point commun. Elles apparaissent
comme des modes d'organisation à l'intérieur d'un Etat qui reste
une société politique unique. La structure confédérale postule, au
contraire, la multiplicité des Etats. Elle ressortit à <<l'ordre inter-
étatique>> (43).
Sans doute, y a-t-il place, dans des structures d'inspiration fédé-
rale, pour des méthodes qui s'inspirent du confédéralisme (44). La
préférence donnée à des mécanismes de concertation permanente
plutôt qu'à des procédures de décision unilatérale s'inscrit notam-
ment dans cette perspective.
L'on ne souscrit pas aux analyses qui tendent à considérer que les formes d'or-
ganisation dualiste des autorités publiques ~ notamment au niveau gouverne-
mental~ participent à l'effort de dépassement, et même de démantèlement, des
structures fédérales. Peut-être d'aucuns souhaiteront-ils utiliser les structures
dualistes à cette fin et chercheront-ils à démontrer que la discussion organisée
sous cette forme ne peut conduire qu'à l'obstruction ou à la paralysie. Mais, sur
le plan de la technique juridique, l'on ne saurait former un tel diagnostic.
Le fédéralisme ~ construit au départ de deux composantes majeures ~induit
l'aménagement d'institutions qui ne ressemblent évidemment pas à celles qui
ont cours dans les structures multipolaires. Il ne renonce pas pour autant à l'ins-
piration de base, fondée tout à la fois sur l'autonomie des composantes et leur
participation à une œuvre commune. Il s'efforce de concilier la gestion particu-
lière des intérêts fédérés et la cogestion des intérêts fédéraux.

(42) J.-F. AuBERT, <• Essai sur le fédéralisme», R.D.P., 1963, pp. 401 à 452.
(43) G. HERAUD, L'inter-étatique, le supra-national et le fédéral, Archives de philosophie du
droit, t. 6, Paris, Sirey, 1961, p. 182.
(44) P. REUTER,« Confédération et fédération. Vetera et Nova», in Mélanges offerts à Charles
Rousseau, Paris, Pédone, 1974, p. 199; K. RIMANQUE, ''Le confédéralisme >>, in La Constitution
fédérale du 5 mai 1993 ... , p. 31.
388 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

Tout dépend, en l'occurrence, de l'attitude de ceux qui ont en charge de telles


responsabilités. S'ils le veulent, ils peuvent développer dans leurs enceintes ces
mécanismes et ces réflexes de cogestion paritaire. Ils peuvent également profiter
de cette forme d'aménagement des institutions publiques pour les transformer
en conférences diplomatiques où, sans se préoccuper de l'intérêt fédéral - moins
encore de l'intérêt global - , deux groupes qui adoptent une stratégie défensive
n'auront à cœur que de défendre leurs intérêts particuliers.
La fonction de relation intercommunautaire ou interrégionale est - le terme
n'est pas excessif- magnifiée. L'idée du <<fédéralisme coopératif>> est amplifiée
au travers des dispositions de diverses lois de réformes institutionnelles. Voy. !.
sp., titre IV : <<La coopération entre les communautés>> et titre IVbis : <<La coo-
pération entre l'Etat, les communautés et les régions~; !. sp., 12 janvier 1989,
titre IV : « De la coopération entre l'Etat, les communautés et les régions >>; !.
sp., 16 juillet 1993, titre II, chapitre II,<< De la concertation et de la coopération
entre l'Etat, les communautés et les régions>>.
Parfois même, la fonction de relation intercommunautaire ou interrégionale
interfère dans le domaine des relations internationales. Voy.!. sp. 5 mai 1993 sur
les relations internationales des communautés et des régions et l'accord de coo-
pération, conclu le 8 mars 1994, entre l'Etat fédéral, les communautés et les
régions relatif aux modalités de conclusion des traités mixtes (Mon. b., 6 mars
1996).

416. - <<En deçà et au-delà de l'Etat fédéral ... >> (45). Le diagnos-
tic demeure, même si le champ d'analyse s'est singulièrement res-
serré. Ce n'est rien dire qu'un Etat est ou non fédéral. Il peut être
plus ou moins fédéral. Qui contestera que la Belgique d'après 1993
est plus fédérale (46) que celle qui, en 1970, faisait l'expérience
timide de la redistribution des pouvoirs ?

§ 3. - Les données comparatives

A. - Le fédéralisme de dissociation

417. - Le fédéralisme belge est un fédéralisme de dissocia-


tion (47). Alors que la plupart des Etats fédéraux se construisent
par association (ou, si l'on préfère, par agrégation), la Belgique fédé-

(45) F. DELPÉRÉE, • La Belgique, Etat fédéral 1 », op. cit., p. 607.


(46) F. DELPÉRÉE, «La Belgique est un Etat fédéral», op. cit., p. 637.
(47) G. ScELLE, Manuel élémentaire de droit international public, Paris, Domat-Montchrestien,
1943, pp. 192-193.
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 389

rale naît de la dissociation ~ au sens premier du terme ~ d'une


société politique unitaire (48).
Plusieurs conséquences en résultent. Le fédéralisme n'est pas éta-
bli en terrain vierge, mais dans une société qui conserve, au moins
pour un temps, des institutions ou des comportements inspirés des
structures anciennes. Les assemblées parlementaires ~ et notam-
ment le Sénat ~, pour ne prendre que cet exemple, rendent mal
compte de la structure fédérative de l'Etat (49).
La consécration des autonomies s'inscrit en droite ligne dans cette
logique de dissociation. Tout comme le peu de soin mis à concevoir
des mécanismes de participation. Les formes d'association des col-
lectivités fédérées à la gestion des affaires fédérales ne s'imposent
que malaisément en Belgique (n°" 1017 s.).
Le fédéralisme de dissociation ne va pas sans soulever quelques
interrogations, sinon quelques inquiétudes. Y a-t-il des crans d'ar-
rêts sur la route de la désintégration ?

B. ~ Le fédéralisme de superposition
418. ~ Le fédéralisme belge est un fédéralisme de superposition.
La préoccupation est exprimée de faire droit à une double revendi-
cation d'autonomie. Sur un même territoire, deux catégories de col-
lectivités fédérées coexistent : les communautés et les régions. Les
trois communautés ne coïncident pas, cependant, avec les trois
régions. Comme l'a souligné André MoLITOR, <<cette situation est
unique en Europe occidentale>> (50).
De là, l'affirmation ambiguë que ne peut manquer de véhiculer
l'article 1er de la Constitution : << La Belgique est un Etat fédéral qui
se compose des communautés et des régions>>. On serait tenté de
commenter cette disposition en précisant que l'Etat belge se com-
pose à la fois des communautés et des régions en se demandant au
surplus comment elles peuvent coordonner leurs interventions.

(48) Il y a fédéralisme par dissociation lorsqu'une entité. gérée par un Etat unitaire, se désa-
grège. Le fédéralisme. note J.-L. QuERMONNE, arrête« cette désagrégation à un certain stade en
substituant à l'Etat unitaire un Etat fédéral apte à reconnaître et à garantir des compétences
étatiques à différentes entités reconnues autonomes» (Les régimes politiques occidentaux, Paris,
Seuil, coll. Points. 1986, p. 268).
(49) Voy. F. DELPÉRÉE et S. DEPRÉ, Le système constitutionnel de la Belgique .... n•' 336 s.
(50) A. MoLITOR, «La régionalisation dans les Etats d'Europe occidentale'· A.P.T., 1981,
p. 206.
390 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

Comment oublier, par ailleurs, que sur le territoire de Bruxelles,


cinq collectivités fédérées ~ une de caractère régional et quatre
autres de caractère communautaire ~ se superposent également?
Un fédéralisme résolument asymétrique ~ encore qualifié de
fédéralisme flexible, de fédéralisme à la carte ou de fédéralisme évo-
lutif... ~ rend compte de ces réalités politiques (51).

C. ~ Le fédéralisme de confrontation
419. ~ Le fédéralisme belge est un fédéralisme de confrontation.
Il repose sur l'existence, au sein de l'Etat belge, de huit collectivités
fédérées. Telle est la leçon de l'analyse juridique. D'un point de vue
plus politique l'on est amené à constater qu'il se compose, pour l'es-
sentiel, de deux parties distinctes~ à savoir les deux grandes com-
munautés ~. Le fédéralisme est dualiste.
L'accent est mis sur l'existence, voire l'équilibre, de deux groupes communau-
taires - le français et le flamand - qui trouvent dans des institutions appro-
priées des mécanismes de protection de leurs intérêts spécifiques. Le recours à
des majorités pondérées permet notamment d'atteindre cet objectif. Dans une
perspective plus constructive, ces mécanismes pourraient être conçus comme les
instruments d'une collaboration intercommunautaire.
Le groupe germanophone, lui, n'est guère pris en considération. Un sénateur
communautaire lui est néanmoins alloué. Il ne relève ni de l'un, ni de l'autre
groupe linguistique au Sénat (Const., art. 43, § 2, et 67, § l "', 5°). Un parlemen-
taire européen lui est également assuré (1. 23 mars 1989 relative à l'élection du
Parlement européen, art. 10, § 5).
Les groupes régionaux, et notamment le groupe bruxellois n'interviennent pas
non plus dans l'organisation des autorités fédérales, que ce soit au niveau gou-
vernemental, législatif ou juridictionnel, Aucun quota d'emplois ou de postes ne
leur est réservé dans cette perspective. Dans le même esprit, aucun mandat
européen ne leur est consacré.

On ne saurait trop souligner les différences fondamentales qui


peuvent exister entre un fédéralisme bipolaire et un fédéralisme
multipolaire. Non que le premier soit voué à l'échec et que le second
soit seul digne d'intérêt. Mais parce que le fédéralisme dualiste pos-
tule la mise en place d'institutions publiques ~ tant au niveau fédé-
ral qu'au niveau fédéré ~ qui rendent compte de cette réalité de

(51) F. DELPÉRÉE, ''La société distincte<>, in Le fédéralisme de demain : réformes essentielles


(dir. G.-A. BEAUDOIN, J. MAGNET, B. PELLETIER, G. ROBERTSON, J. TRENT), Montréal, Wilson &
Lafleur, 1998, p. 221.
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 391

base. En substance, le fédéralisme dualiste gagne à s'organiser


comme un fédéralisme paritaire (52).
Le fédéralisme dualiste génère également des pratiques politiques
qu'il convient de connaître et, si possible, de canaliser. Comment
éviter, par exemple, que les deux entités n'entreprennent de compa-
rer de manière systématique leurs mérites ou leurs faiblesses? Com-
ment faire en sorte qu'elles ne se querellent régulièrement sur les
sujets les plus divers? Comment empêcher les deux communautés
de se demander si, plutôt que de poursuivre des collaborations illu-
soires, elles ne devraient pas chercher à aménager des formes civili-
sées de partage des responsabilités et des moyens ? Tout cela est
dans la logique du système ...
<~La bipolarité, écrit A. ALEN, est une donnée réelle et sociologi-
que que l'on ne peut uniquement infléchir par le biais de réformes
institutionnelles)) (53).
La confrontation fait partie de la vie des sociétés politiques évo-
luées. Le problème n'est pas qu'il y ait des conflits. Il est plutôt
qu'il n'y ait pas suffisamment d'institutions et de procédures pour
y mettre fin sans recours. Le problème est peut-être aussi qu'il n'y
ait pas toujours de volonté politique pour mettre fin à de telles
contestations.
420. - Faut-il en déduire que l'image procurée par le système
étatique belge <~ est singulièrement brouillée, mélangeant divers
traits de décentralisation, de régionalisme, de fédéralisme, voire de
confédéralisme )) (54)? Faut-il, à la limite, contester l'appellation
fédérale ou ne l'utiliser qu'avec circonspection?
Il s'agirait là d'un méprise. La discussion sur la forme de l'Etat
ne relève pas de la métaphysique, mais du droit. Elle ne s'inscrit
pas dans un débat historique, mais est tributaire de choix politi-
ques. Elle ne saurait se ramener à la vérification de prescriptions
techniques, mais doit tenir compte des volontés - claires ou impli-
cites - que l'Etat lui-même énonce via les autorités publiques qui
sont les siennes.

(52) <<Où va la Belgique?>), J. T., 1982, p. 216.


(53) A. ALEN, La Belgique : un fédéralisme bipolaire et centrifuge, Bruxelles, Ministère des
affaires étrangères, du commerce extérieur et de la coopération au développement, 1990, p. 8,
n" 17.
(54) J.-C. SCHOLSEM, <<La réforme de l'Etat : une mise en perspective», Actualités du droit,
1991, p. 272, n" 7.
392 LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

A cet égard, le choix est clair. La Belgique n'est plus un Etat uni-
taire. Elle présente les traits essentiels d'un Etat fédéral. Elle
devient, chaque jour un peu plus, un Etat fédéral. Elle connaîtra,
à l'avenir, des évolutions qui rendront l'Etat plus fédéral
encore (55).
La Belgique n'en est pas moins un Etat fédéral complexe. Cette
complexité est, en quelque sorte, le reflet d'une société multidimen-
sionnelle, où s'enchevêtrent des aspirations apparemment antinomi-
ques. D'une certaine manière, cette conjonction de desseins confère
à la Belgique une richesse enviable. N'est-elle pas, de ce point de
vue, le miroir du monde contemporain, spécialement en Europe 1

BIBLIOGRAPHIE

L'on trouve un relevé des opérations successive de réforme de l'Etat dans :


M. LEROY, De la Belgique unitaire à l'Etat fédéral, Bruxelles, Bruylant, 1996, coll.
Les inédits du droit public; J.-P. NANDRIN, <<De l'Etat unitaire à l'Etat fédéral--
Bref aperçu historique de l'évolution institutionnelle de la Belgique>>, in La réforme
de l'Etat ... et après? (cité), p. 14.

Sur les travaux préparatoires de la révision de la Constitution belge en 1970, on


consultera :
P. DE STEXHE, La révision de la Constitution 1968-1971, Bruxelles, Larcier, 1972.

Sur la portée de la révision constitutionnelle qui a été ainsi opérée, voy. :


«La Constitution belge révisée>>, numéro spécial des Annales de droit, 1972, n'" 2-3;
C. CAMBrER, << Deux aspects de la révision de la Constitution. La décentralisation et
la redistribution des pouvoirs>>, J. T., 1975, pp. 145 et 161; F. DELPÉRÉE, <<La Bel-
gique, Etat fédéral?>>, R.D.P., 1972, p. 607; W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH,
<<Réflexions sur la révision de la Constitution>>, J.T., 1972, p. 447; P. WIGNY, La
troisième révision de la Constitution, Bruxelles, Bruylant, 1975.

Pour un commentaire des diverses phases de la régionalisation, l'on se référera,


pour la régionalisation préparatoire, à :
<< La régionalisation : réalités et perspectives >>, numéro spécial des Annales de droit
(avec des contributions de F. DELPÉRÉE, R. HENRION, Ph. MAY~TADT, E. CEREXHE
et B. HAUBERT, C. DAUBIE, J.-M. QUINTIN, F PERIN et P. DE VISSCHER), 1975;
G. SouMERYN, <<Aspects institutionnels de la régionalisation préparatoire en Bel-
gique>>, J. T., 1977, p. 109.

(55) <<Le fédéralisme en Belgique>>, in Le fédéralisme en Europe, Barcelone, Institut de Cièn-


cies Politiques i Socials, 1992, p. 91.
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES 393

pour la régionalisation immédiate, à :


F. DELPÉRÉE, <<La régionalisation en Belgique, an X>), R.I.S.A., 1979, n° 4;
P. TAPIE, «Les régions>), in L'Etat belge, 150 ans après l'indépendance, Bruxelles,
Conférence du Jeune barreau, 1980.

Sur l'interprétation et la mise en œuvre des lois de réformes institutionnelles des


8 et 9 août 1980, voyez également :
F. DEHOUSSE, <<Les conflits budgétaires dans la réforme de l'Etat», CH. CRISP,
n°' 1124-1125; F. DELPÉRÉE, Le nouvel Etat belge, Bruxelles, Labor, 1986; F. DELPÉ-
RÉE et F. JoNGEN, Quelle révision constitutionnelle?, Louvain-la-Neuve, 1985;
Ch. HUBERLANT, <<Quelques aspects juridiques des réformes institutionnelles>), in
Liber Amicorum F. Dumon, Anvers, Kluwer, 1983, t. Il, p. 873; P. PEETERS, « Over
de bevoegdheidsverdeling en de bevoegdheidsrechtelijke kwalificatie van normen >),
R. W., 1984-1985, col. 705; F. RIGAUX, «Les règles de droit délimitant leur propre
domaine d'application>), Ann. dr. Lv., 1983, p. 285; J.-M. VAN BoL,« Les matières
communautaires et régionales>), J. T., 1981, p. 633.

Sur les structures de l'Etat belge après les réformes institutionnelles de 1993-1994,
l'on consultera :
F. DEHOUSSE, Introduction au droit public, Brugge, La Charte, 1995; F. DELPÉRÉE
et S. DEPRÉ, Le système constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 1998; Het
federale België na de vierde Staatshervorming (dir. A. ALEN et L.-P. SuETENS), Brugge,
Die Keure, 1993; «La Belgique est un Etat fédéral>) (dir. M.-F. RIGAUX, H. DuMONT
et F. TULKENS), A.P.T., 1994, n° 3; La Belgique fédérale (dir. F. DELPÉRÉE),
Bruxelles, Bruylant, 1994 (et la bibliographie, fort complète, citée); La Constitution
fédérale du 5 mai 1993 (dir. F. DELPÉRÉE), Bruxelles, Bruylant, 1993; Les réformes
institutionnelles de 1993. Vers un fédéralisme achevé?, Bruxelles, Bruylant, 1994; La
réforme de l'Etat... et après? L'impact des débats institutionnels en Belgique et au
Canada (dir. S. JAUMIN), Bruxelles, Editions ULB, 1997, avec des contributions de
J.-P. NANDRIN, M. UYTTENDAELE, Ph. DE BRUYCKER et F. DELPÉRÉE; M.-A. LE-
JEUNE, Introduction au droit et aux institutions de la Belgique fédérale, 2• éd., Brugge,
La Charte, 1996; M. UYTTENDAELE, Regards sur un système institutionnel paradoxal.
Précis de droit public belge, Bruxelles, Bruylant, 1997; ID., Institutions fondamentales
de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 1997.

Sur le thème général du fédéralisme, voy., dans une littérature juridique et politi-
que abondante :
M. CROISAT, Le fédéralisme dans les démocraties contemporaines, Paris, Montchres-
tien, 1995; M. CROISAT et J.-L. QuERMONNE, L'Europe et le fédéralisme, Paris,
Montchrestien, 1996; F. DELPÉRÉE, Le fédéralisme en Europe, Paris, PUF, 2000, coll.
Que sais-je!, n° 1953 et références citées; ID.,<< Le fédéralisme sauvera-t-il la nation
belge!», in Le déchirement des nations (dir. J. RUPNIK), Paris, Le Seuil, 1995, p. 123;
Foderalismus zwischen Integration und Sezession. Chancen und Risiken bundesstaa-
tlicher Ordnung (dir. J. KRAMER), Baden-Baden, Nomos, 1993; Le fédéralisme.
Approches politique, économique et juridique, Bruxelles, De Boeck, 1994.
LIVRE IV

Les pouvoirs fédéraux


421. - Quels sont les pouvoirs constitutionnels qui sont appelés
à agir dans l'Etat fédéral?
Pour répondre à cette question simple, une triple démarche s'im-
pose.
Il convient, d'abord, de se demander comment sont choisis les
titulaires du pouvoir. Selon quelles techniques, autoritaires ou démo-
cratiques, sont-ils investis de responsabilités publiques particulières
(nos 422 s.)?
Il faut ensuite s'interroger sur l'organisation des pouvoirs. Des
autorités multiples concourent à l'expression de la décision et à la
conduite de l'action. Le font-elles de manière cohérente et ordon-
née ? Quelles sont les techniques qui sont retenues à cette fin
(nos 492 s.)?
Il importe enfin de poser la question du statut des titulaires du
pouvoir. Quels sont les droits et devoirs qui leur reviennent? Quel
est le régime juridique spécifique qui est aménagé à leur intention
(n"s 555 s.)?
CHAPITRE PREMIER
LE CHOIX DES TITULAIRES
DU POUVOIR

422. - La Constitution crée l'Etat. La Constitution détermine


les divisions et les structures de l'Etat. Mais la Constitution fait
plus encore. Elle précise les modes d'exercice du pouvoir dans
l'Etat.
En ce sens, la Constitution définit le système constitutionnel de
la Belgique. Elle énonce les principes fondamentaux sur lesquels
reposent l'organisation et le fonctionnement des institutions publi-
ques. Elle fixe les règles qui servent à déterminer quelles personnes
vont concrètement assumer les responsabilités du pouvoir.
Cet objet particulier de la Constitution mérite d'être mis en évi-
dence. Jusqu'à présent, en effet, l'étude de l'Etat fédéral et de ses
composantes s'est poursuivie au prix d'un travail préliminaire
d'abstraction. C'est de << collectivités politiques )) qu'il a été ques-
tion : on s'est borné à en apercevoir, comme du dehors, les caracté-
ristiques les plus essentielles; on s'est limité à en situer la place
exacte dans la gamme des sociétés politiques.
Or la vie politique, dans l'Etat belge comme ailleurs, est faite de
réalités concrètes, vivantes et humaines. Le roi prononce une allocu-
tion, les citoyens sont appelés aux urnes, les sénateurs tiennent une
séance de nuit, la cour d'assises rend un verdict d'acquittement ...
Ces réalités quotidiennes, diverses et contingentes viennent s'insé-
rer dans l'action que poursuit l'Etat dans divers secteurs d'activité.
Mais comment? Par quels procédés et selon quelles modalités?

423. - L'Etat fédéral agit. C'est à l'entremise des pouvoirs


publics que la Constitution organise. C'est aussi à l'intervention
d'hommes et de femmes qui peuvent être considérés comme les titu-
laires légitimes du pouvoir.
Que dit la Constitution du pouvoir et des pouvoirs? Peu de
choses, en somme.
398 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

D'une part, <<le pouvoir)) est ignoré comme tel. C'est une donnée,
non de droit, mais de philosophie ou de science politique. Le
Congrès national ne l'a appréhendée qu'en apercevant la nécessité
de distinguer le pouvoir civil du pouvoir des Eglises; l'affirmation
des principes de la séparation mitigée des Eglises et de l'Etat
(art. 21 et 181, § 1er) en résulte incidemment (n" 219).
D'autre part, << les pouvoirs )) fédéraux sont énumérés au titre III
de la Constitution. Outre le pouvoir constituant, il est fait référence
au << pouvoir législatif fédéral )>, au << pouvoir exécutif fédéral )) et au
<<pouvoir judiciaire )). Mais cette division tripartite ne commande ni
l'ordonnancement du texte constitutionnel, ni - de manière plus
fondamentale -l'aménagement des institutions de l'Etat fédéral.
Tout se passe comme si la Constitution, après avoir affirmé, dans
le préambule du titre III, l'existence des pouvoirs, cherchait avant
tout à en démonter les mécanismes et à définir les différentes auto-
rités publiques qui les composent; quitte à montrer ensuite com-
ment ces autorités sont appelées, en pratique, à collaborer au sein
de l'un ou l'autre pouvoir.
Il paraît indiqué de suivre la même démarche et de connaître les
autorités publiques qui sont titulaires du pouvoir avant d'examiner
l'organisation des pouvoirs publics que ces autorités composent.

424. - La notion d'autorité publique qui est utilisée ici est ins-
crite incidemment à l'article 28 de la Constitution qui consacre le
droit de pétition; elle est utilisée par son article 30 lorsqu'il s'efforce
de préciser quelles limites peuvent être apportées à la liberté de
l'emploi des langues; elle figurait également dans une disposition
transitoire de la Constitution - l'ancien article 137 - qui s' atta-
chait, dans l'attente de lois organiques, à préciser le sort des institu-
tions provinciales et communales mises en place par le régime hol-
landais.
Cette notion gagne à être rapprochée et distinguée de celle de
pouvoir public qui revient, elle, aux articles 33 à 41 de la Constitu-
tion. La différence n'est pas de pure forme.
Chaque pouvoir public est composé d'un ou de plusieurs élé-
ments - de rouages, en quelque sorte-. Ces éléments, ce sont les
autorités publiques. Ainsi le <<pouvoir législatif fédéral )) se compose
de trois <<branches)), c'est-à-dire de trois autorités publiques dis-
tinctes : le roi, la Chambre des représentants et le Sénat (art. 36).
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 399

A l'inverse, une autorité publique, telle <<le roi)>, est appelée à com-
poser, en tout ou en partie, non pas un seul mais deux pouvoirs
publics distincts : le pouvoir exécutif fédéral (art. 37) et le pouvoir
législatif fédéral (art. 36).
425. - La distinction entre <<autorité publique)) et <<pouvoir
public)) permet de souligner d'emblée deux éléments caractéristi-
ques du système constitutionnel de la Belgique : la complexité de
l'organisation des pouvoirs et l'interdépendance des éléments qui les
cons ti tuent ( 1).
Cette distinction est plus significative encore dans un Etat fédé-
ral, puisque des pouvoirs législatifs et exécutifs sont organisés aux
différents niveaux de pouvoir. Il va sans dire que ce sont des auto-
rités distinctes qui les composent.
Dans cette perspective, priorité doit être donnée à l'étude des
autorités publiques. Telle a été également la démarche du Congrès
national préoccupé de la question de savoir quelle autorité serait
placée à la tête de l'Etat ou comment serait composé le Sénat,
avant même d'avoir déterminé la composition respective des pou-
voirs et les règles qui présideraient à leurs relations. Ce faisant, le
pouvoir constituant n'a pas seulement fait œuvre empirique. Il a
traduit l'une des préoccupations majeures de son temps.
L'apport essentiel du droit public contemporain ne réside pas
dans une théorie de la séparation ou de la collaboration des pou-
voirs. Il se concrétise dans cette idée-force : les tenants d'un pou-
voir, quels qu'ils soient, ne s'imposent jamais aux membres de la
société politique. Les autorités publiques agissent parce qu'elles ont
été sélectionnées selon les techniques que la Constitution détermine.
Les autorités sont choisies. <<L'idée qu'on puisse choisir les gou-
vernants, écrit en ce sens M. DuvERGER, est moderne)) (2). De là,
l'importance et la priorité que la Constitution réserve à l'inventaire
des techniques de sélection des titulaires du pouvoir. Quelques dis-
positions traduisent cette préoccupation. Elles peuvent paraître iso-
lées. Elles sont d'autant plus significatives. Tels l'article 42 qui veut

(1) La notion de<< pouvoir», telle qu'elle est utilisée par la Constitution, est ambiguë. Tantôt
elle renvoie à des institutions, tantôt à des fonctions. Ainsi, dans l'alinéa 1,., de l'article 33 de la
Constitution, le terme de <<pouvoirs» a un sens organique; il faut plutôt lui donner un sens maté-
riel dans son alinéa 2. De la même manière, l'intitulé du titre III et l'article 75 doivent être com-
pris dans un sens organique, alors que les articles 34, 36, 37 et 74 visent les pouvoirs au sens
matériel du terme.
(2) Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, P.U.F, 1963, p. 75.
400 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

que << les membres des deux Chambres représentent la Nation ~>, l'ar-
ticle 85 qui précise que << les pouvoirs constitutionnels du roi sont
héréditaires ~> ou l'article 152 qui proclame que << les juges sont
nommés à vie~>.
Le choix des autorités publiques peut s'opérer selon des modalités
diverses. Il peut relever d'une technique de désignation (nos 426 s.).
Il peut ressortir aussi à une technique d'élection (nos 462 s.). Il peut
encore recourir à des techniques plus complexes; ce sont celles qui
empruntent, par exemple, des éléments particuliers aux techniques
de désignation et d'élection (n°" 486 s.).

SECTION pe_ -LES TECHNIQUES DE DÉSIGNATION

426. - Les techniques de désignation présentent une caractéris-


tique commune. Elles conduisent à choisir les titulaires du pouvoir
sans que les citoyens ne soient, en quelque manière, associés au
déroulement du processus de sélection.
Un choix s'opère. Il peut être l'œuvre du pouvoir constituant lui-
même. Ce dernier fixe les règles d'organisation d'un pouvoir; il pré-
cise quelle autorité va en exercer les attributions; en outre, il déter-
mine les règles qui permettront, sans l'intervention ni du peuple, ni
d'un pouvoir constitué, d'identifier de manière précise le ou les titu-
laires d'un pouvoir. Les règles de succession au trône, fondées sur
l'hérédité (§ 1e•), s'inscrivent dans cette perspective. La Constitution
établit la monarchie (A) et indique les modalités de dévolution de
la couronne (B); elle règle, en même temps, le statut des successibles
(C).
Le choix des titulaires du pouvoir peut aussi emprunter d'autres
voies. La désignation peut être l'œuvre d'un pouvoir constitué. En
général, ce sera celle du pouvoir exécutif fédéral. La mission à rem-
plir peut paraître fort limitée à côté de celle qui revient au pouvoir
constituant. L'autorité qui choisit n'est pas en mesure de détermi-
ner les attributions de l'autorité qu'elle constitue. Il lui revient de
désigner les titulaires du pouvoir, non d'organiser ce pouvoir ou de
fixer les règles d'exercice de la fonction (3). Il n'empêche. La mis-

(3) Exception est faite de !"hypothèse où le roi, titulaire du pouvoir exécutif fédéral, entend,
à la faveur de la désignation de ministres ou de fonctionnaires, assurer l'organisation de ce même
pouvoir. Encore doit-il agir dans le respect des règles ~ fort simples, au demeurant ~ de la
Constitution.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 401

sion qui revient ainsi à un pouvoir constitué lui ménage dans la pro-
cédure de choix des individus, une marge importante d'initiative.
Les règles de composition du gouvernement fédéral (§ 2) entrent
dans cette catégorie. Le roi nomme les ministres (A) et les secré-
taires d'Etat (B). Il peut leur adjoindre des commissaires du gou-
vernement (C).
La nomination est le procédé normal de sélection des autorités et
des agents qui relèvent du pouvoir exécutif fédéral. Encore
convient-il de nuancer l'observation. La même procédure, mise en
œuvre par le roi, sert aussi à composer d'autres autorités relevant
d'autres pouvoirs. On y trouve une illustration supplémentaire du
phénomène de perméabilité entre les pouvoirs. Ils restent organi-
quement distincts et exercent des fonctions spécifiques mais les
autorités qui les constituent peuvent, en maintes circonstances, se
réclamer d'une commune origine.
Des procédures de nomination (§ 3) peuvent servir à composer,
sinon le pouvoir législatif fédéral (A), du moins, pour une part, le
pouvoir judiciaire (B). Elles conduisent aussi à désigner les tenants
du pouvoir dans d'autres collectivités que l'Etat fédéral (C).
·Ûn ne saurait négliger le rôle joué par le roi dans le processus de
désignation. Il est l'autorité désignée, selon les règles de l'hérédité,
par la Constitution. Il est aussi l'autorité appelée à désigner, selon
les procédures de nomination, d'autres titulaires du pouvoir.

§ 1er . - L'h'ere'd't'
te

A. - L'institution monarchique
427. - La formule figure dans tous les manuels scolaires : la
Belgique est une << monarchie constitutionnelle )>. Si la proposition
n'a pas la portée que d'aucuns ont tenté de lui donner (4), elle a, au
moins, le mérite de mettre l'accent sur quelques réalités constitu-
tionnelles.
Le roi, comme toute autre autorité, tient ses pouvoirs de la
Nation (art. 33) et de la Constitution qui en exprime les

(4) Selon L. WoDoN, «il y a des éléments fondamentaux antérieurs et supérieurs à la Consti-
tution même et c'est au roi, chef de l'Etat, qu'il appartient d'assurer le maintien de ces bases.
Voilà la prééminence royale»(« Considérations sur la séparation et la délégation des pouvoirs en
droit public belge>>, Académie royale de Belgique, classe des sciences politiques et morales, 1942,
p. 55).
402 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

volontés (5). D'où cette précision importante : le roi ne prend pos-


session du trône, c'est-à-dire n'exerce ses fonctions, qu'après avoir
solennellement juré devant les Chambres réunies (6) <<d'observer la
Constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l'indépendance
nationale et l'intégrité du territoire>> (art. 91) (7). Le refus de prêter
serment dans le délai de dix jours équivaut à une renonciation au
trône.
La Constitution établit qu'il lui revient de fixer elle-même les
règles qui président au choix du monarque. Elle n'entend pas laisser
à celui-ci une marge quelconque d'initiative. Comme l'écrit P. WI-
GNY, la validité d'une renonciation au trône qui serait faite à
l'avance serait douteuse, en droit (8). Plus encore une renonciation
pour autrui : une abdication en faveur d'un descendant choisi de
manière discrétionnaire sort, par exemple, des prévisions de la
Constitution. Seule marge de liberté réservée au souverain désigné :
il peut renoncer à prêter serment. Il peut aussi, avec le contreseing
d'un ministre, abdiquer en cours de règne (9).
428. - La Constitution détermine le mode de dévolution de la
Couronne en instituant une monarchie. En 1831, la Nation n'a pas
choisi un roi. Elle a choisi une dynastie. Après avoir hésité quelque
temps - fallait-il choisir un prince belge ou étranger, le duc de
Leuchterberg ou le duc de Nemours (lü) ... ? - , le Congrès national
marque ses préférences pour LÉOPOLD, prince de Saxe-Cobourg. Il

(5) Le chef de l'Etat porte le titre de «roi des Belges» et non celui de «roi de Belgique>>
(décret du Congrès national du 29 janvier 1831 ''sur le mode de proclamation et d'acceptation
du chef de l'Etat>>). L'appellation indique l'origine des pouvoirs reconnus au roi. Ils ne procèdent
pas d'un titre de propriété sur un territoire. Tls ont pour source la volonté de la Nation que la
Constitution est censée exprimer.
(6) La formalité est importante. A supposer que les chambres législatives aient été dissoutes
antérieurement et que la convocation de nouvelles chambres ait été faite pour une époque posté-
rieure au dixième jour suivant le décès d'un roi, «les anciennes chambres reprennent leurs fonc-
tions» (art. 90) et reçoivent le serment du nouveau roi.
(7) «Avant cela, est-il déjà roi?», demande P. WIGNY (op. cit., p. 595). Jouit-il, avant même
d'avoir prêté serment, du privilège de l'inviolabilité (n" 557)? La réponse paraît affirmative. Une
chose est d'être désigné comme titulaire du pouvoir exécutif, une autre est d'en exercer les res-
ponsabilités.
(8) P. WIGNY, op. cit., p. 586.
(9) Sur l'ensemble de la problématique, ''La succession au trône>>, J. T., 1993, p. 813 et «Le
prince et le roi>>, J. T., 2000, p. 159.
(10) Le 3 février 1831, le Congrès national choisit Loms CHARI~ES d'Orléans, duc de Nemours,
et le préfère à CHARLES AuausTE-EUGÈNE-NAPOLIWN, duc de Leuchterberg. Mais Loms-PHI-
LIPPE, ''roi des Français>>, déclina la proposition du Congrès. Les puissances européennes s'oppo-
sèrent, de leur côté, à l'autre candidature.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 403

décide surtout, dans le même temps, que la couronne se transmettra


automatiquement à sa descendance.
429. - La Constitution proclame le principe de l'institution
monarchique (11). Elle reprend à son compte le décret du
22 novembre 1830 par lequel le Congrès national déclare que le
peuple belge adopte pour forme de son gouvernement <<la monarchie
constitutionnelle représentative, sous un chef héréditaire>> ( 12).
La formule a pu paraître ambiguë. _Le pouvoir constituant (par
174 voix contre 13) a voulu résoudre, en un même moment, laques-
tion des structures de l'Etat en rejetant l'idée d'une république
fédérative (n° 407), établir les bases du régime parlementaire en
précisant que le chef de l'Etat se devait de tenir compte de la
volonté exprimée par la représentation nationale et instaurer la
monarchie en indiquant la manière dont le chef de l'Etat serait
désigné.
C'est cette dernière modalité qui retient pour l'instant l'attention,
même si, dans l'Etat moderne, la distinction entre monarchie et
république semble avoir perdu de son importance.
L'appellation de monarchie ne renvoie ni aux classifications doc-
trinales d'ARISTOTE - qui y voyait le gouvernement d'un seul - ,
ni à celles de MoNTESQUIEU - qui y voyait le système politique où
l'exécutif est confié à une seule personne - . Elle désigne plus sim-
plement le système constitutionnel dans lequel le chef de l'Etat
détient son titre en vertu du principe d'hérédité. Elle s'oppose à la
république où le chef de l'Etat est désigné soit par le peuple, soit
par ses représentants.
Il s'agit là d'une donnée constitutionnelle précise. Le chef de
l'Etat n'est pas désigné à l'occasion d'élections périodiques. Il n'est
pas l'élu d'une majorité. Il n'est pas non plus désigné à temps. Si
l'on considère qu'avec << un chef temporaire, l'époque de chaque élec-
tion est une crise pour la patrie>> (baron DE STASSART). il faut
convenir que le choix du Congrès national a été dicté par le souci
d'assurer la continuité et la stabilité de l'institution.

(11) ''La monarchie belge>>, Revue internationale de politique comparée, 1996, p. 277 et ''La
fonction du roi», Pouvoirs, 1996, p. 43.
( 12) Pour sa part, le décret du 28 janvier précise le mode de désignation du premier roi. Les
votes sont émis par bulletin signé. Le candidat qui obtient, au premier tour, un nombre de suf-
frages qui dépasse la moitié du nombre des parlementaires est élu. Après ce scrutin, la moitié
du nombre de votants suffit. Si un résultat n'est pas obtenu de cètte manière, il est procédé à
un scrutin de ballottage entre les deux candidats qui ont recueilli le plus de suffrages.
404 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

La distinction entre monarchie et république n'est guère instruc-


tive, par contre, sur les traits qui peuvent caractériser le fonctionne-
ment de l'un ou de l'autre système politique. Elle laisse, en particu-
lier, dans l'ombre la question des prérogatives reconnues à un
monarque, comme celle des pouvoirs attribués à un président de
république.
Optant pour l'institution monarchique, pour des raisons de sécu-
rité extérieure et de stabilité intérieure, les auteurs de la Constitu-
tion ne s'y sont pas trompés. Reprenant le mot prêté à LA
FAYETTE - << la monarchie constitutionnelle représentative et héré-
ditaire est la plus belle des républiques >> (cité par DESTROU-
VELLES) - , ils ont eu conscience d'instaurer une<< république dégui-
sée>> (Abbé DE HAERNE). Qu'on l'appelle<< monarchie républicaine>>
comme Jean-Baptiste NOTHOMB ou qu'on la dénomme<< république
royale>> comme Charles LE HoN, il s'agit toujours de désigner une
même réalité : celle d'un gouvernement mixte qui consiste dans l'as-
sociation d'une puissance qui dure et d'une puissance qui change -
celle du roi et celle des ministres - .

430. - En Belgique, l'institution monarchique n'est pas, à pro-


prement parler, au cœur d'un débat politique qui mettrait en cause
son utilité ou ses responsabilités (13).
Même ceux qui se plaisent à souligner son caractère anachronique
et à douter de son poids politique ( 14), lui reconnaissent une cer-
taine utilité sociale : c'est la fonction symbolique de la monarchie
qui est mise en évidence. Comme on le montrera, les fonctions de
représentation ne suffisent pas, cependant, à définir les contours de
la fonction royale (n° 503). Sans pouvoir réel de décision, le chef de
l'Etat peut exercer une influence non négligeable sur le cours des
événements, sur le comportement de ceux qui sont investis des
tâches effectives de gouvernement et sur les réactions de l'opinion
publique (15).

(13) Voy. cependant, F. PERIN, <<Monarchie, partis et pouvoirs réels», in Hommage à Charles
Goossens, Liège, Faculté de Droit, 1985, p. 281.
(14) Voy. J. DE MEYER,<< De monarchie in de moderne Staat »,Res Publica, 1957, p. 181; In.,
<<Réflexions sur la monarchie parlementaire>>, Res Publica, 1961, p. 245; R. ERGEC et M. UYT-
TENDAELE, <<La monarchie en Belgique - Reflet du passé ou nécessité nationale 1 >>, in Présence
du droit public et des droits de l'homme ... , p. 597.
( 15) << Le prince et le roi », op. cit., p. 159.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 405

B. - Les modalités de dévolution


de la couronne
431. - <<Les pouvoirs constitutionnels du roi, precise l'ar-
ticle 85, alinéa 1er de la Constitution, sont héréditaires dans la des-
cendance directe, naturelle et légitime de S. M. Léopold-Georges-
Chrétien-Frédéric de Saxe-Cobourg, par ordre de primogéniture>>.
La descendance s'apprécie par rapport à LÉOPOLD pr et non par
référence au souverain régnant. Cette descendance doit être directe,
ce qui exclut les collatéraux (de LÉOPOLD pr) et les alliés (de LÉo-
POLD pr et de ses descendants). Elle doit être naturelle, c'est-à-dire
résulter des liens du sang, ce qui exclut les enfants adoptifs. Elle
doit être légitime, ce qui exclut les enfants naturels.
Jusqu'en 1991, seuls les descendants mâles entraient en ligne de
compte. Depuis lors, l'accession au trône est ouverte sans autre pré-
cision à la descendance de LÉOPOLD pr - masculine ou féminine - .
Une disposition transitoire prévoit, cependant, que les dispositions de
l'article 85 ne s'appliqueront, pour la première fois, qu'à la descendance
d'ALBERT II. Elle a pour effet d'exclure de la succession au trône JOSÉPHINE-
CHARLOTTE, fille aînée de LÉOPOLD III, ainsi que ses descendants. Une telle suc-
cession aurait soulevé problème dans la mesure où le décret du Congrès national
du 24 novembre 1830 a exclu à perpétuité les membres de la famille d'Orange-
Nassau de tout pouvoir en Belgique (16) (n° 55).

A l'heure actuelle, les descendants sont au nombre de sept. Dans


quel ordre sont-ils amenés à accéder au trône? C'est par ordre de
primogéniture que la dévolution de la couronne est assurée. Encore
faut-il observer que l'hérédité s'apprécie non par tête, mais par
branche : le droit d'aînesse profite aux princes et princesses belges
de la branche de la famille royale appelée à régner (art. 72). L'ordre
de succession est donc le suivant : PHILIPPE, AsTRID, AMÉDÉO,
MARIA-LAURA, JoACHIM, LuiSA MARIA et LAURENT (17).
PHILIPPE est héritier présomptif de la couronne et peut, à ce titre,
être qualifié de successeur. Les six autres ne sont que successibles.
La disposition de l'article 85 de la Constitution se complète aussi par celle de
l'article 86 : à défaut de descendance de LÉOPOLD P', le« roi pourra nommer son

(16) «En marge des anniversaires royaux», R.F.D.C., 1992, p. 129.


(17) Divers événements peuvent affecter l'ordre de succession. Ainsi le successeur qui reste en
défaut de prêter serment dans le délai fixé par l'article 91 de la Constitution est censé renoncer
à ses droits à la couronne. Tl y a lieu également de tenir compte des causes de déchéance qu'éta-
blit la Constitution (n" 433).
406 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

successeur avec l'assentiment des Chambres>> (18). Faut-il y voir une modalité
de <<succession>> au trône? Faut-il, au contraire, relever une prérogative qui
serait celle de <<nommer» le futur chef de l'Etat, de la même manière que le roi
nomme ses ministres? Faut-il, selon une expression consacrée, encore qu'impré-
cise, ramener l'opération à une forme« d'adoption politique>>- ce qui explique-
rait le double quorum, de présences et de suffrages, des deux tiers requis pour
l'assentiment que procurent à pareille décision les deux Chambres législatives?
Usant de la prérogative de l'article 86, le roi désigne non seulement un succes-
seur mais aussi, en vertu de l'article 85, alinéa 1"', une nouvelle dynastie. Il
semble donc qu'on puisse analyser l'opération comme l'une des modalités des
règles de succession au trône. Les décrets dits supra-constitutionnels sont d' ap-
plication.

432. - L'article 85 de la Constitution soulève un problème pra-


tique. Le prince ALEXANDRE et les princesses MARIE-CHRISTINE et
MARIA EsMÉRALDA, nés du second mariage de LÉOPOLD III, sont-ils
successibles? Ils sont, sans conteste, descendants directs, naturels et
légitimes de LÉOPOLD pr et appelés ainsi à figurer dans l'ordre de
succession au trône. D'où vient alors qu'ils aient été, jusqu'à pré-
sent, omis?
Le doute résulte, d'abord, de l'acte remis, le 6 décembre 1941, par
LÉOPOLD III au Premier président de la Cour de cassation et par
lequel il abandonnait tous les droits pour les enfants nés de son
second mariage. Mais il n'appartient évidemment pas au titulaire
d'un pouvoir constitué, fût-il le monarque, de modifier à la faveur
d'un acte particulier, les règles de succession au trône ou de dicter
les conséquences qu'il faut en dégager.
L'indécision vient plutôt de ce que la descendance paraît, au
terme de la Constitution, représenter l'effet d'un mariage régulier,
à un point tel que les enfants qui ne sont pas issus du mariage ou
qui sont nés hors mariage sont exclus de cette descendance. Ce
mariage doit être régulier au sens de la loi civile. Il doit l'être aussi
au sens du droit public (Const., art. 21, al. 2, 85, al. 2 et 106) (19).

(18) Le Congrès national avait reconnu cette prérogative à LÉOPOLD l''' (art. 86). Elle fut
étendue à ses successeurs à l'occasion de la révision constitutionnelle de 1893. Elle s'exerce dans
les conditions prescrites par l'article 106 de la Constitution.
(19) L'article 85, alinéa 2, de la Constitution ne vise pas le mariage du roi mais celui d'un
prince de la famille royale (voy. no 499). Cette disposition gagne cependant à recevoir une inter-
prétation a fortiori :le consentement qu'elle postule est de nature politique et requiert l'interven-
tion d'un ministre responsable. Imagine-t-on que celui-ci doive intervenir pour le mariage d'un
prince, mais non celui du roi? (Voy., à cet égard, la déclaration du gouvernement par laquelle
les ministres réunis en conseil ''ont donné leur assentiment unanime à la décision de S. M. le Roi
de contracter mariage avec Dona FABIOLA DE MoRA v ARAGON'' (16 septembre 1960, Mon. b.,
28 septembre 1960) ainsi que l'acte du gouvernement précédant l'acte de mariage du Roi BAu-
DOUIX (15 décembre 1960, Mon. b., 16-17 décembre 1960). Cela ne signifie pas que le roi qui se
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 407

Tel n'est pas le cas du second mariage de LÉOPOLD III. Il faut en


conclure qu'il ne saurait avoir, par lui-même et par ses effets,
aucune incidence sur la succession au trône.

C. - Le statut des successibles


433. - Les membres de la famille royale ne jouissent pas d'un
statut particulier, en droit constitutionnel (20). S'ils portent, en
vertu de l'arrêté royal du 2 décembre 1991, le titre de <~ prince >> ou
de <~ princesse >> de Belgique - ce titre est désormais réservé aux
seuls descendants en ligne directe d'ALBERT II, les autres descen-
dants de LÉOPOLD pr ne pouvant désormais transmettre ce titre à
leurs propres descendants - , s'ils sont pourvus aussi de certaines
qualifications honoris causa - selon l'expression de P. ERRERA -
tels <~ prince de Liège >> ou <~ duc de Brabant >>, ils ne bénéficient pour-
tant d'aucune protection particulière en vertu des règles de droit
public (21).
Au sein de la famille royale, les successibles jouissent-ils d'un sta-
tut particulier? A première vue, la réponse semble devoir être néga-
tive.
La Constitution n'accorde pas aux successibles le privilège de l'in-
violabilité. Elle ne leur accorde pas le bénéfice d'une liste civile,
même si le législateur peut prendre à sa charge le versement de
dotations aux membres de la famille royale - qu'ils soient d'ail-
leurs successibles ou non - (22). La Constitution s'efforce, cepen-
dant, de mettre les successibles dans les conditions de dignité, de
capacité et de neutralité requises pour un exercice ultérieur de la
fonction royale.
Condition de dignité? La Constitution énonce à propos des succes-
sibles une cause de déchéance des droits à la couronne - le mariage
<~sans le consentement du roi>> (art. 85, al. 2) - ; elle précise aussi
la manière dont ils pourront être relevés de cette déchéance - <~ par

marie sans le consentement d'un ministre soit de plein droit déchu de ses fonctions. Préoccupée
de préserver la stabilité de !"institution monarchique, la Constitution ignore les modes de destitu-
tion du chef de l'Etat.
(20) «Le prince et le roi», op. cit., p. 160.
(21) L'épouse du roi porte le titre de <<reine>>. Cette appellation honorifique ne lui confère
aucmne fonction, ni aucune protection spéciale, hormis celle que consacre l'article 103 du Code
pénal.
(22) Voy. la loi du 16 novembre 1993 et la dotation qu'elle prévoit au profit de la reine
FABIOLA et du prince PHILIPPE.
408 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

le roi>> mais <<moyennant l'assentiment des Chambres>>- (art. 85,


al. 3). Le roi doit apporter, en effet, son consentement au mariage
de tout prince ou princesse de la famille royale qui pourrait lui suc-
céder, quel que soit son âge ou le lien de parenté qui le lie au chef
de l'Etat (voy. également la disposition transitoire I du titre IX : le
mariage de la princesse AsTRID <<est censé avoir obtenu le consente-
ment visé à l'article 85, alinéa 2 >> ).
Ces modalités indiquent clairement que le consentement du roi ne
peut être assimilé au consentement donné par les parents selon la
règle du droit civil : il s'agit d'un consentement proprement politi-
que (23), apporté selon le mode normal d'exercice des pouvoirs
constitutionnels du roi. A défaut de pareil consentement, le prince
ou la princesse qui aurait contracté mariage perd ses droits à la cou-
ronne. Cette déchéance ne pourra être relevée que par un autre acte
politique du roi qui requiert l'assentiment préalable des Chambres
législatives et le concours d'un ministre.
Condition de capacité 1 Il s'agit d'organiser un << stage >> à l'inten-
tion des héritiers présomptifs. La volonté est exprimée d'associer les
enfants du roi ou, à leur défaut, les descendants belges de la
branche de la famille royale appelée à régner à la conduite des
affaires de l'Etat. C'est en les désignant comme sénateurs d~ droit
(art. 72) qu'on leur permet de se familiariser avec les questions de
politique générale. Pourvu qu'ils prêtent serment en qualité de
sénateur- ce qu'ont fait le prince PHILIPPE, la princesse AsTRID et
le prince LAURENT - , ils ont voix consultative à l'âge de dix-huit
ans et voix délibérative à l'âge de vingt-et-un ans (24).
L'exercice de la fonction sénatoriale par un prince ou une princesse de Bel-
gique n'est pas chose aisée. Il y a deux écueils. Ou bien le prince est assidu, il
participe aux travaux, il discute en commission et en séance publique, il prend
part aux votes. Il appuie la politique gouvernementale : on le traite de complai-
sant. Il joint sa voix à celles de l'opposition : on crie aussitôt à la traîtrise. Ou
bien le prince est retenu par des obligations protocolaires, il est absent à la plu-
part des séances, il ne participe qu'à quelques réunions symboliques, il ne vote
pas. L'opinion ne manque pas de s'interroger sur l'utilité de ce rôle de figuration
(<<Le prince et le roi>> ... , p. 160).

Condition de neutralité 1 Il s'agit de ne pas compromettre les suc-


cessibles dans une action politique trop accentuée qui les expose à

(23) Contra : P. ERRERA, Traité de droit public belge, 2'' éd., p. 197.
(24) Alors même qu'ils appartiennent de plein droit au Sénat, ils ne font pas partie des
groupes linguistiques constitués au sein de l'assemblée (no 467).
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 409

engager leur responsabilité personnelle, alors que le principe d'invio-


labilité les mettra plus tard hors d'atteinte de pareil contrôle. La
Constitution en fait une cause particulière d'incompatibilité; aucun
membre de la famille royale ne peut être ministre ou secrétaire
d'Etat (art. 98 et 104, al. 4).

§ 2. - La composition du gouvernement fédéral

A. - La nomination des ministres

434. - Nommer, c'est, par définition, désigner une personne pour


lui assigner une fonction publique particulière.
Il n'est pas sans intérêt de souligner d'emblée les particularités
qui caractérisent, en toutes circonstances, l'opération de nommer.
Une fonction publique, au sens large de l'expression, peut être
conférée selon des procédés diversifiés - et la nomination ne repré-
sente que l'un d'eux - . Au départ, il y aura toujours place pour
une évaluation des tâches à accomplir et pour une appréciation des
nécessités de l'intérêt général. Mais, une fois décrits l'objectif et les
moyens pour y parvenir, il reste à choisir les individus qui vont
assurer la charge effective de la fonction.
L'Etat fédéral va-t-il compter sur des contributions volontaires et
fonder son action sur le concours de bénévoles? Va-t-il recruter ses
collaborateurs, quels qu'ils soient, par contrat et négocier avec eux
les conditions de leur coopération? Va-t-il plutôt réquisitionner un
ensemble de personnes et les sommer d'agir valens nolens au mieux
de ses intérêts? Ou bien va-t-il se réserver la possibilité de nommer
ses collaborateurs, c'est-à-dire de les choisir sans avoir au préalable
requis leur assentiment, ni celui d'une autre autorité publique, mais
en réservant aux personnes nommées la possibilité de renoncer à la
fonction pour laquelle elles auront été désignées ? C'est la dernière
solution qui est retenue, le plus généralement.
En nommant, l'Etat fédéral exerce une responsabilité sans par-
tage. Il dispose des individus au mieux de l'intérêt général. Il agit
de manière unilatérale. Seule est préservée la liberté individuelle de
la personne nommée qui n'a pas à accepter ou à refuser la désigna-
tion intervenue mais qui se voit reconnaître la possibilité d'y renon-
cer sans délai.
410 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

C'est dans l'exercice des responsabilités gouvernementales - là


où les attributions traduisent le mieux les modes d'action unilaté-
rale du pouvoir- que le procédé de la nomination est le plus cou-
ramment utilisé.
435. - Il faut évoquer, de prime abord, le processus de nomina-
tion des ministres. Selon la forte expression de P. WIGNY, dans un
régime parlementaire les ministres sont << les véritables gouver-
nants)) (25). <<En eux se concentre la part de souveraineté qui
appartient au pouvoir exécutif)) (26) fédéral. Effectivement, les
ministres (27) apparaissent, aux termes mêmes de la Constitution,
comme ces autorités publiques qui, répondant des actes accomplis par
le chef de l'Etat, vont assurer, au titre de la fonction gouvernementale,
la gestion des affaires publiques - à tout le moins celles de l'Etat fédé-
ral-.
C'est dire le rôle capital que les ministres sont appelés à jouer
dans le système constitutionnel. C'est dire aussi l'importance qu'il
convient d'accorder aux procédés utilisés en vue d'assurer la dési-
gnation de ces autorités publiques. Les ministres sont sans doute
nommés par le roi (Const., art. 96). Mais à quel titre? Selon quelle
procédure ? En fonction de quelles réalités ?
Sur ce terrain, la Constitution se borne à énoncer quelques règles
sommaires. On est conduit à en donner une interprétation qui tient
compte de l'économie générale du texte et de l'évolution de la
société politique. Une distinction aussi précise que possible est opé-
rée entre les aspects juridiques et politiques de la même question.
436. - 1. L'auteur. - <<Le roi nomme ... ses ministres)). La for-
mule, ramassée à souhait, de l'article 96, alinéa pr, de la Constitu-
tion ne devrait guère prêter à discussion. L'autorité investie par la
Constitution de la responsabilité de désigner les ministres, c'est incon-
testablement le roi. Lui, et lui seul, a le droit de les nommer. C'est
un acte juridique de nomination qui n'émane que du roi, soit un
arrêté royal, qui confère aux ministres un titre pour agir.

(25) P. WIGNY, op. cit., p. 678.


(26) Ibid., p. 699.
(27) Il n'est pas tenu compte ici des membres des gouvernements de communauté et de région
qui portent également ce titre.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 411

Il peut paraître singulier de rappeler cette évidence. L'énoncé de


pareille proposition permet d'opérer une brève mise au point sur
quelques questions contestées.
La nomination d'un ministre est l'œuvre du roi agissant comme
autorité appartenant au pouvoir exécutif fédéral, au sen~ de l'ar-
ticle 37 de la Constitution. Cet acte individuel doit répondre à des
conditions que la Constitution, voire la loi fédérale, déterminent
(no" 439 s.). S'il ne satisfait pas à ces exigences de forme ou de fond,
il s'expose à des critiques de constitutionnalité ou de légalité. A
moins de donner une signification restrictive à la notion d'<< actes >>
administratifs qu'utilisent les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat
et d'entériner de cette manière la théorie des <<actes de gouverne-
ment>>, l'on doit considérer que le juge administratif peut connaître
du contentieux de pareilles décisions s'il s'avérait qu'elles fussent
contestables {28).
La nomination d'un ministre sort ses effets dès que le chef de l'Etat
procède à pareille désignation. Une éventuelle acceptation de la
fonction par son titulaire ne saurait, en particulier, être considérée
comme condition de validité de la décision prise (sur la procédure
du serment, no 450).
La nomination d'un ministre n'est pas soumise à l'assentiment ou
à la ratification des chambres législatives. Une éventuelle <<investi-
ture>> des membres du ministère, pris individuellement ou collecti-
vement, sort des prévisions du système belge, alors même que cette
procédure est réglée avec soin par des Constitutions étrangères (voy.
le régime instauré sous la IVe République : les ministres ne sont
juridiquement nommés par le président de la République qu'après
l'investiture parlementaire du cabinet, art. 45).
437. - La nomination d'un ministre est un acte qui relève de la
compétence exclusive du roi, en tant que chef de l'Exécutif fédé-
ral (29). Cette règle est battue en brèche dans une hypothèse. C'est
celle de l'article 96, alinéa 2, de la Constitution.

(28) La section d'administration du Conseil d'Etat a accepté, à deux reprises, de donner un


avis sur les conséquences qui s'attachent à la rupture momentanée. au sein du conseil des
ministres, de la parité requise par l'article 99, alinéa 2, de la Constitution. Elle a considéré, aux
termes de l'article 9 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, qu'il s'agissait de questions
d'ordre administratif. En irait-il autrement si elle était saisie au contentieux de l'annulation
(Chroniques de crise, Bruxelles, Ed. CRISP, 1983, p. 300)?
(29) A. BuTTGENBACH, Manuel de droit administratif, Bruxelles, Larcier, 1959, t. l'.', n" 547
(cité par B. WALEFFE, Le Roi nomme et révoque ses ministres, Bruxelles, Bruylant, 1971, p. 14).
412 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Dans ce cas particulier, le gouvernement essuie un vote de


méfiance (30) à la Chambre des représentants. Il est précisé que
cette méfiance doit être constructive. Ce qui signifie que la motion
soumise au vote des députés doit indiquer le nom d'un successeur
au Premier ministre. Plus précisément : le nom d'un Premier
ministre potentiel - en réalité, un formateur - . Si ce dernier réus-
sit, comme le lui demande la Chambre, à mettre sur pied un nou-
veau gouvernement, le roi n'a d'autre possibilité que de le nommer.
Il exerce à ce moment une <<compétence liée>> (31).
La préoccupation de limiter en ce domaine les responsabilités de
la couronne est manifeste. Il n'est pas certain que la compétence
reconnue au roi de nommer ses ministres soit réduite de manière
substantielle. L'hypothèse prévue par l'article 96, alinéa 2, de la
Constitution est précise et ne couvre pas l'ensemble des incidents
qui émaillent la vie du gouvernement fédéral (32). Le roi conserve
la faculté de concourir par des moyens officieux, comme des consul-
tations, à la composition des équipes ministérielles. En cas d'échec
du formateur choisi par la Chambre des représentants, la dissolution
de cette assemblée est inévitable. Le roi retrouve alors l'exercice
d'une compétence exclusive (33).
438. - 2. L'objet. - La nomination, acte individuel? Sans
doute. Mais comment ne pas observer, à la lecture même de la
Constitution, qu'elle s'apparente le plus souvent à un acte collectif,
c'est-à-dire, selon la formule consacrée, à un entassement d'actes
individuels? Hormis dans des cas exceptionnels (34), le roi n'a pas
pour tâche de désigner un ou plusieurs individus pris isolément. Il
a mission de composer le gouvernement et d'en nommer les
membres.
Dans l'hypothèse, en particulier, où la Chambre des représentants
désigne un successeur au Premier ministre, elle le charge de compo-

(30) Le mécanisme s'applique également lorsque la Chambre des représentants refuse de voter
la confiance au gouvernement.
(31) «Les autorités fédérales», in La Constitution fédérale du 5 mai 1993 ... , p. 9.
(32) ''Il faut remonter au 13 mars 1946 et à un gouvernement minoritaire Spaak pour trouver
une situation comparable» (op. cit.).
(33) Op. cit., p. 11.
(34) Reste évidemment l'hypothèse où un ou plusieurs ministres sont remplacés dans un cas
fortuit (décès, maladie ... ). L'on retient aussi l'hypothèse de la désignation de l'un ou l'autre
ministre pour assurer la relève d'un ministre démis de ses fonctions ou révoqué par le roi. Ces
nominations particulières peuvent ne pas affecter les équilibres généraux qui président à l' organi-
sation du gouvernement.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 413

ser un gouvernement. Le roi ne saurait, dans ce cas procéder à un


simple remaniement ministériel. Il lui revient de nommer <<le nou-
veau gouvernement fédéral)> (art. 96, al. 2).
Le passage du singulier au pluriel - et plus encore au collectif -
donne évidemment à l'opération de nomination une signification
particulière. Il ne s'agit plus désormais de choisir des ministres un
à un et de désigner pour chaque poste la personne dont la valeur
et les qualités individuelles justifient amplement le recrutement. Il
importe de constituer un gouvernement, selon l'expression inscrite
dans l'article 104 de la Constitution. La démarche suppose que le roi
retienne un principe de formation du ministère - une coalition,
mais il faudra préciser laquelle, ou une équipe homogène - (35),
qu'il établisse les grands équilibres gouvernementaux et qu'il assure,
en fonction de cette architecture élémentaire, la distribution des
portefeuilles ministériels. Dans cette perspective, la nomination des
ministres n'est pas le point de départ mais le point d'aboutissement,
de l'opération de formation d'un gouvernement.
La Constitution accrédite progressivement cette idée : en préci-
sant que certaines décisions devront être prises par les ministres
réunis en << conseil )) (voy., par exemple, l'art. 93), en organisant et
en structurant le<< conseil des ministres)> (art. 99), en fixant aussi les
règles de composition du<< gouvernement)> (art. 104 et 96, al 2). Ces
dernières dispositions notamment viennent infléchir l'interprétation
qu'on aurait pu être tenté de procurer au seul article 96, alinéa 1er,
de la Constitution. Ce texte ne peut plus être pris isolément.
Telle est la situation en droit. L'autorité habilitée à nommer les
ministres voit s'imposer à elle un ensemble de règles constitution-
nelles qu'elle va, pour faire œuvre valide, respecter. Dans l'exercice
de ses attributions, elle doit se laisser guider par des textes ou par
des principes de droit public qu'elle ne saurait identifier à des consi-
dérations de pure convenance politique ou à d'utiles conseils tacti-
ques.

(35) Les gouvernements de coalition sont la règle en Belgique. Le dernier gouvernement


homogène, disposant d'une majorité dans les deux Chambres, remonte au 15 janvier 1952; il
s'agissait du gouvernement social-chrétien VAN HouTTE qui est resté en fonctions jusqu'au
23 avril 1954.
414 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Seule autorité habilitée à agir, le roi ne dispose pas d'une « liberté


absolue » dans le choix de ses ministres (36).
En droit, différentes données commandent, au moins pour une
part, l'opération de nomination : ce sont des données institution-
nelles (no 439), linguistiques (no 443) organiques (n° 445) et person-
nelles (n° 446). En fait, l'action des personnalités et des partis poli-
tiques (no 451) semble également déterminante.
439. - 3. Les conditions de la nomination. Données d'ordre insti-
tutionnel. - Le chef de l'Etat doit prendre en compte des données
d'ordre institutionnel au moment où il désigne les membres du gou-
vernement fédéral.
Ces ministres sont, sans doute, les siens- la formule utilisée dans
l'article 96, alinéa pr, de la Constitution est explicite - . Ces
ministres sont appelés à incarner, indissolublement avec le roi, le
pouvoir exécutif fédéral - ne sont-ils pas, par nécessité constitu-
tionnelle, associés à une œuvre commune? - . Ces ministres ont,
sans doute, la confiance du chef de l'Etat- c'est à eux que revien-
dra concrètement la charge, et la responsabilité, de la gestion des
affaires publiques - .
Mais peut-on tirer parti de ces réalités constitutionnelles indiscu-
tables pour considérer que le roi est en mesure de désigner ses
ministres en tenant compte de préoccupations qui lui seraient parti-
culières? L'observation serait inexacte. Elle manquerait, de sur-
croît, d'un élémentaire réalisme.
Dans un régime de type parlementaire, lorsque le roi nomme les
ministres, il est censé agir dans une préoccupation précise. Il lui
appartient, non pas seulement de· composer un gouvernement
valable, mais de constituer un gouvernement viable. Pour ce faire, il
lui revient de choisir un ensemble de ministres qui ont la confiance
d'une majorité de citoyens dans l'opinion publique et qui, à ce titre,
sont assurés de la confiance d'une majorité de parlementaires au
sein de la Chambre des représentants.
Si des liens de confiance s'établissent entre le roi et ses ministres
à la faveur de la procédure de nomination, il s'agit essentiellement

(36) On ne saurait dégager de la règle selon laquelle le roi détient la compétence exclusive de
nommer ses ministres l'idée que le chef de l'Etat puisse choisir ses collaborateurs <<où il veut et
comme il lui plaît» (LEFEBRE, Etudes sur les lois constitutionnelles de 1875, p. 103, cité par
R. CARRÉ DE MAI.BERG, Contribution à la théorie générale de l'Etat, t. II, p. 75).
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 415

d'une confiance objective. Le roi choisit ses ministres, non en fonction


de ses opinions ou de la leur, mais en raison de celles que peuvent
exprimer ~ de manière d'ailleurs disparate ~ le corps électoral et
ses représentants. Puisqu'il désigne des ministres politiquement res-
ponsables devant la Chambre, il lui appartient de nommer ceux qui
sont susceptibles d'obtenir sa confiance.

440. ~ L'obligation faite au roi de désigner des ministres qui


jouissent de la confiance de la Chambre va-t-elle de pair avec une
obligation de choisir les membres du gouvernement parmi les représen-
tants de la Nation ?
La réponse est négative. La Constitution récuse le système du
<<gouvernement d'assemblée ~>, en faveur sous la Convention, qui
veut que l'équipe ministérielle soit composée à la manière d'une
députation permanente de l'assemblée et qu'elle soit investie des
tâches limitées d'un comité exécutif. De ce fait, le gouvernement
n'est ni en bloc, ni en chacun de ses membres, l'émanation du corps
électoral. Il n'est pas un Parlement en format réduit.
La proposition ne saurait habiliter le roi à choisir des ministres
qui ne répondent pas aux vœux majoritaires de l'assemblée. Mais
elle l'autorise à recruter les membres du gouvernement en dehors de
son enceinte. Tel n'est peut-être pas le phénomène le plus fréquent.
Mais, constitutionnellement parlant, rien n'interdit au roi de choisir
ses ministres ailleurs que dans les Chambres. Le recours à des extra-
parlementaires ~ soit à des hommes politiques qui ne se sont pas
présentés aux suffrages des électeurs, soit à des techniciens qui sont
alors recrutés pour leur compétence dans un domaine de l'action
gouvernementale (la défense nationale, les finances, les affaires éco-
nomiques ... ) ~ est compris dans cette perspective.
Depuis la révision de 1993, la Constitution prend à son compte les
règles en vigueur dans les systèmes plus présidentiels ~ celui des
Etats-Unis d'Amérique (art. 5) ou celui de lave République fran-
çaise (art. 23), par exemple ~ qui instaurent une incompatibilité
entre la qualité de ministre et celle de représentant de la Nation.
<< Le membre de l'une des deux Chambres nommé par le roi en

qualité de ministre et qui l'accepte, cesse de siéger et reprend son


mandat lorsqu'il a été mis fin par le roi à ses fonctions de ministre~>
(art. 50). Le député ou le sénateur appelé à exercer une fonction
ministérielle n'en perd pas, pour autant, son mandat. L'article 50 de
416 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

la Constitution précise les modalités de son remplacement dans la


chambre concernée. A cet effet, une loi organise le remplacement du
nouveau ministre par le <<premier suppléant en ordre utile »> (loi du
6 août 1931, art. 16bis). Si le ministre perd pour une raison ou une
autre son portefeuille, il retrouve immédiatement son siège (37).
Les ministres gardent néanmoins leur << entrée dans chacune des
Chambres »>. Ils doivent y << être entendus quand ils le demandent »>
(art. 100, al. 1er) (38).
441. - L'obligation faite au roi de désigner des ministres qui
jouissent de la confiance de la Chambre des représentants n'exclut-
elle pas la composition de gouvernements minoritaires?
La réponse sera, en principe, négative. La confiance ou la
méfiance que la Chambre peut manifester à un nouveau gouverne-
ment ne se présume pas. Elle se vérifie. Rien n'empêche le roi de
composer un gouvernement qui ne bénéficie pas d'un appui suffi-
sant de députés (voy. les gouvernements EYSKENS en juin 1958 et
TINDEMANS en mai 1974). Ce gouvernement aura alors sa chance.
Une majorité parlementaire, numérique mais disparate, peut être
tentée de lui apporter sa confiance ou, à tout le moins, de faire
preuve d'une neutralité bienveillante ou expectante. Quelques
députés isolés pourront aussi apporter au gouvernement le soutien
qui semblait momentanément lui faire défaut. Mais la Chambre
peut aussi manifester sans équivoque sa volonté de ne pas appuyer
cette forme particulière de gouvernement. Il revient alors à celui-ci

(37) <<Pour le suppléant, il s'agit ni plus ni moins d'un siège éjectable ... '' (La Constitution fédé-
rale du 5 mai 1993 ... , p. Il.
(38) De là, l'habitude prise par les gouvernements nouvellement désignés de se présenter
devant la Chambre des représentants, de lui communiquer le contenu de la déclaration gouverne-
mentale et de solliciter sa confiance. Le cabinet n'est pas dans l'impossibilité de gouverner aussi
longtemps qu'il n'a pas reçu ce que l'on appelle improprement «l'investiture'' de la Chambre,
(contra : P. WIGNY, n" 141, p. 245 et no 454, p. 607). Celle-ci n'a pas à ratifier (ibidem, p. 246) les
nominations intervenues. Elle n'a pas à parfaire une œuvre qui est de la responsabilité exclusive
du roi et qui est donc achevée dès que celui-ci a rédigé l'arrêté royal portant désignation des
ministres.
Subsiste évidemment la faculté pour la Chambre des représentants de contrôler, en tout
temps, l'action du pouvoir exécutif. Rien ne l'empêche d'exercer cette censure dès l'entrée en
fonctions du nouveau cabinet et de provoquer éventuellement sa démission immédiate (hypo-
thèse d'un gouvernement P.H. SPAAK, désigné le 13 mars 1946- Mon. b. du 17 mars, p. 2382-
et démissionnaire, le 20, à la suite du rejet par la Chambre des représentants d'un ordre du jour
de confiance). L'article 96, alinéa 2, de la Constitution autorise même la Chambre, non satisfaite
du gouvernement nommé par le roi, à proposer dans une telle hypothèse le nom d'un successeur
à l'éphémère Premier ministre. Dans l'intervalle, soit entre le moment de la nomination et celui
du vote qui clôt le débat parlementaire, le gouvernement exerce pleinement ses fonctions.
Lorsqu'un ministre est remplacé, pour des raisons fortuites, par un autre, la mesure ne fait
pas l'objet d'une communication à la Chambre des représentants.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 417

de présenter sa démission au roi ou de provoquer, dans les condi-


tions de l'article 46 de la Constitution, la dissolution des Chambres.
Il va sans dire que, dans un régime parlementaire, le recours à un
gouvernement minoritaire doit rester exceptionnel; il ne se conçoit
que si une formation ou une coalition qui sert d'ossature à un gou-
vernement peut fonder des espoirs sur des hommes ou des groupes
qui lui apporteront, si nécessaire, les quelques voix d'appoint qui lui
font défaut ou qui, par leur abstention, ne mettront pas son exis-
tence en péril.

442. - L'obligation faite au roi de désigner des ministres qui


jouissent de la confiance de la Chambre des représentants ne doit-
elle pas l'amener, en période de révision constitutionnelle, à compo-
ser un gouvernement assuré d'une majorité renforcée?
La réponse sera, une fois encore, négative. Si le gouvernement
entend faire œuvre utile dans l'opération constituante, s'il cherche
notamment à promouvoir l'adoption de dispositions nouvelles, il
gagnera sans doute à être appuyé par une majorité parlementaire
dont la force numérique équivaut à celle requise pour faire œuvre
constituante (ou pour adopter des lois spéciales). L'observation est
de l'ordre du souhaitable et non de l'obligatoire. Une déclaration de
révision ne confère jamais au pouvoir constituant qu'une faculté
d'agir (n" 62). La simple éventualité d'une révision de la Constitu-
tion n'est pas génératrice d'une contrainte nouvelle- au plan juri-
dique, s'entend- lorsqu'il revient au roi de composer le gouverne-
ment.

443. - 4. Les conditions de la nomination. Données d'ordre lin-


guistique. - Au moment de composer ou de remanier un gouverne-
ment, le chef de l'Etat doit aussi prendre en compte des données
d'ordre linguistique.
L'arithmétique parlementaire veut, on l'a indiqué, que le ministère
dispose, au sein de la Chambre des représentants, d'un appui équi-
valant à plus de la moitié des représentants de la Nation. L'arithmé-
tique gouvernementale veut, de son côté, que <~le conseil des ministres
compte autant de ministres d'expression française que d'expression
néerlandaise)) (art. 99, al. 2}, étant entendu que, pour le calcul de
cette parité, le Premier ministre est éventuellement excepté (ibi-
dem).
418 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

La règle peut être prise dans une acception purement mathémati-


que. Elle peut également revêtir une signification plus institution-
nelle. Elle veut alors que chaque ministère soit assuré d'une majo-
rité suffisante au sein des deux grandes communautés qui compo-
sent l'Etat et, plus concrètement, au sein de chacun des groupes lin-
guistiques de la Chambre des représentants (39).
La disposition inscrite à l'article 99, alinéa 2 de la Constitution
n'a pas pour objet d'établir les règles sur l'emploi des langues au
sein du conseil des ministres : sous réserve des règles de courtoisie
linguistique, la liberté de chacun est, en l'espèce, préservée; sous
réserve des prescriptions particulières que la loi du 31 mars 1961
impose pour l'élaboration des textes légaux et réglementaires, la
liberté du conseil est également assurée.
La ratio legis de la Constitution est autre. L'équilibre qui doit
s'instaurer entre le nombre des ministres<< d'expression française f) et
<<d'expression néerlandaise f> qui appartiennent au conseil doit être
compris comme une règle d'organisation plutôt que comme une
règle de fonctionnement de l'institution.
Le conseil des ministres (40) doit être composé de mamere pari-
taire. Le nombre des ministres doit être pair et il doit se distribuer
en parts égales entre les membres d'expression française et ceux
d'expression néerlandaise. Mais comment identifier ceux-ci, sans
tenir compte de critères d'appartenance communautaire (no 328)?
Pour les ministres qui ont été élus dans l'une des deux chambres,
c'est l'appartenance à un groupe linguistique qui prévaudra; pour
les ministres techniciens- domiciliés dans une région unilingue-,
c'est l'appartenance à cette région qui servira de critère de rattache-
ment; pour ceux qui seraient domiciliés dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale, on tiendra compte des institutions - par
exemple, universitaires - auxquelles ils peuvent être attachés.
La règle revient à associer au sein d'une institution paritaire des
représentants ou des ressortissants des Communautés française et

(39) Selon P. WIGNY (La troisième révision de la Constitution, Bruxelles, Bruylant, 1972,
p. 95), <<la présence d'nn ministre d'expression allemande n'influe pas sur la parité ... ».
(40) L'article 99, al. 2 ne s'applique pas aux secrétaires d'Etat qui appartiennent au gouver-
nement sans faire partie du conseil des ministres.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 419

flamande. Il va sans dire qu'il doit s'agir de représentants valables


ou de ressortissants attitrés (41).
444. A l'encontre d'une doctrine dominante qui répugne à dégager, sur ce
point, les conséquences les plus immédiates du fédéralisme dualiste, l'on tend à
considérer que l'article 99, alinéa 2, de la Constitution formule, de manière
implicite, une règle juridique dont le roi ne saurait ignorer les préceptes au
moment de la composition d'un nouveau gouvernement.
Cette règle veut que le chef de l'Etat vérifie, d'abord, si les ministres qu'il
s'apprête à désigner bénéficient d'un appui majoritaire à la Chambre des repré-
sentants et, ensuite, si chaque ensemble de ministres dispose d'une majorité au
sein du groupe linguistique correspondant.
Il ne suffit pas que le roi nomme sept ministres d'expression française et sept
ministres d'expression néerlandaise et se contente d'observer qu'ils disposent
ensemble d'une majorité nationale. Il faut encore qu'il s'assure que le gouverne-
ment soit politiquement et linguistiquement équilibré. En clair, chaque aile du
gouvernement doit disposer d'une majorité dans son groupe linguistique, à la
Chambre des représentants (Le système constitutionnel de la Belgique ... , p. 208).

445. - 5. Les conditions de la nomination. Données d'ordre orga-


nique. -L'article 99, alinéa 1er, de la Constitution dispose que<< le
conseil des ministres compte quinze membres au plus)). Le chiffre de
quinze est curieux puisqu'il ne s'agit pas d'un chiffre pair. Il s'agit
également d'un chiffre en trompe-l'oeil; le nombre de secrétaires
d'Etat, lui, n'est pas fixé dans la Constitution (42).
446. - 6. Les conditions de la nomination. Données indivi-
duelles. -Au-delà de ces contraintes d'ordre institutionnel, le roi ne
doit-il pas, au moment de composer un gouvernement, respecter des
conditions qui tiennent à la qualité des personnes qu'il pourrait
désigner pour exercer la fonction ministérielle? Sur ce plan, les exi-
gences constitutionnelles paraissent réduites : << Seuls les Belges peu-

(41) f)p là vient quP le conseil drs ministre~--- ainsi constitu{~ Pst appelé à connaîtrP rlPs
motions rnotiYées adoptées par ]ps trois quarts des membres d'un groupt> linguistiqn(' (C'onl.-'t ..
art. .)4) et des dispositions qui pourraient, à J'occasion de J'élaboration d'une loi. affecter les rela-
tions entre com'muna·utés. Sur la eomposition du gouvernement MARTEN~ V, constitué en
décembre 1981, voy. Chronique-s de crise, p. 178. La rupture de la parité linguistique au conseil
des ministres soulève des problèmes politiques importants puisqu'elle affecte la protection que
la Constitution entend assurer à chacune des Communautés, française et flamande. Elle pose éga-
lement la question de la validité des actes administratifs qui seraient accomplis par un conseil
composé en violation de J'art. 99, al. 2, de la Constitution (Chroniques de crise, pp. 85 à 88).
(42) ''Cette modification de la Constitution apparaît comme une concession aux critiques de
type poujadiste qui ont pu être émises sur Je coût des appareils gouvernementaux» (<<Les auto-
rités fédérales», op. cit., p. 8).
420 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

vent être ministres>> (art. 97). Nul ne peut être ministre s'il appar-
tient à la famille royale (art. 98; no 433) (43).
Mais, de son côté, la personne désignée comme ministre ne doit-
elle pas tenir compte, avant d'entrer en fonctions, des interdictions
particulières que la loi fédérale formule à la faveur d'un régime d'in-
compatibilités?
La réponse est affirmative. Les dispositions légales paraissent,
cependant, désuètes et lacunaires (voy., par exemple, la loi du
4 août 1832 organique de l'ordre judiciaire, art. 6, et la loi du
29 octobre 1846 relative à l'organisation de la Cour des comptes,
art. 2). La matière gagnerait à être mieux réglementée pour éviter
le cumul de mandats publics tout comme l'immixtion dans les
affaires privées (44) (voy., sur ce thème, les suggestions qu'avait
déjà formulées, en 1937, le Centre d'études pour la réforme de l'Etat).
Le souci affiché, depuis 1999, par le gouvernement Verhofstadt d'assurer une
présence équilibrée des hommes et des femmes dans différentes autorités publi-
ques pourrait conduire à formuler une exigence supplémentaire : le conseil des
ministres devrait comprendre au moins une femme.

447. - 7. La procédure de nomination. Les usages politiques. -


La désignation des ministres s'accomplit dans le respect de certaines
procédures. Les unes sont d'ordre juridique - et même constitu-
tionnel - ; elles peuvent affecter la validité de l'acte de nomination.
D'autres procédures sont seulement prescrites par l'usage. Il semble
démontré, à l'expérience, que le cheminement qu'elles imposent
contribue à mieux éclairer les choix de l'autorité investie du pouvoir
de nommer. On ne saurait y voir une coutume - simplement une
pratique qu'il se recommande, en règle générale, et pour faire œuvre
utile, de respecter - .
La Constitution n'en dit mot. Mais comment ignorer aujourd'hui
les éléments qui composent le<< rituel>> (45) de formation du gouver-
nement fédéral? Cinq phases d'un même processus peuvent être dis-
tinguées.

(43) La Constitution entend éviter que ne soit éludée, par la désignation d'un ministre dans
la famille royale, la règle du contreseing ministériel. Elle veut aussi ne pas exposer inutilement
à critique politique celui qui pourrait occuper le trône (<• Le prince et le roi>>, cité).
(44) Voy. égal. les articles 2 et 4 de la loi du 6 août 1931 établissant les incompatibilités et
interdictions concernant les ministres, anciens ministres et ministres d'Etat, ainsi que les
membres et anciens membres des Chambres législatives.
(45) A. MoLITOR, La fonction royale en Belgique, Ed. CRISP, 1994, p. 3l.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 421

Dans une première phase, le roi entreprend des consultations. Il


reçoit - selon la tradition protocolaire, car << le roi reste libre de ses
consultations>> (46) - des hommes politiques (le Premier ministre
démissionnaire, les présidents d'assemblée, les membres influents du
gouvernement, les dirigeants de formations politiques) ainsi que les
responsables d'organisations économiques ou professionnelles.
Ces consultations poursuivent plusieurs objectifs. Le roi s'attache
à établir un <<diagnostic sur la situation générale du pays>> (47). Il
recueille les commentaires sur << le rapport de forces politiques >>, tel
qu'il se présente après l'échec du gouvernement ou à l'issue des élec-
tions législatives. Il s'éclaire sur la possibilité de désigner d'emblée
le formateur du nouveau gouvernement ou sur la nécessité d'accom-
plir des opérations intermédiaires.
Le plus communément, le roi va, dans une seconde phase, dési-
gner un informateur. Il appartient à celui-ci de prolonger la mission
exploratoire amorcée par le chef de l'Etat. Cette pratique est dange-
reuse, écrivait en 1952 Pierre WIGNY (48), parce qu'elle risque de
faire tomber en désuétude << le droit essentiel de la couronne de par-
ticiper à la constitution du gouvernement >>. Près de cinquante ans
plus tard, on tend plutôt à considérer que la pratique est essentielle
pour permettre au roi de remplir utilement la fonction qui est la
sienne. Car l'informateur agit<< pour compte d'autrui>>. Il permet au
roi de poursuivre, par personne interposée (B. WALEFFE), les pre-
mières consultations qu'il a pu avoir.
La mission d'information peut être définie de manière générale :
<< examiner toutes les formules de gouvernement possibles, sans en
exclure aucune, ni en favoriser l'une au détriment d'une autre;
... examiner la possibilité de rapprocher les points de vue>> (mission
d'information confiée à W. CLAES, le 21 décembre 1978). Elle peut
également être circonscrite de manière plus précise (missions
confiées, le 8 avril 1968, à A. D'ALCANTARA et, le 25 novembre 1972,
à J. DE SAEGER). Au terme de cette mission, l'informateur fait rap-
port au roi. Il peut lui remettre un document écrit qui fait la syn-
thèse des conversations qu'il a nouées avec des personnalités politi-
ques.

(46) A. MoLITOR, op. cil., ibidem.


(47) Ibid., p. 32.
(48) Op. cit., p. 610.
422 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Le cas échéant - si la crise se complique - , le roi fera appel,


dans une troisième phase, à un ou plusieurs médiateurs. La mission
d'information n'a pas permis de dégager des suggestions précises
quant à la forme du gouvernement et quant au nom du formateur.
Comment sortir de l'impasse, sinon en ouvrant, sous la conduite
d'un médiateur, des pourparlers en vue de rapprocher les points de
vue des formations politiques et pour dégager des propositions qui
pourraient être transmises au chef de l'Etat? En ce sens, la média-
tion s'apparente à la fois à une mission particulière d'information et
aux préliminaires d'une mission de formation de gouvernement (49).
Dans cette troisième phase, le roi peut aussi - si la crise se pro-
longe- désigner un négociateur. L'exercice de cette mission<< impli-
que le déploiement d'activités qui visent à rapprocher des points de
vue, à établir et à recueillir des consensus sur des points particu-
liers. La mission de négociation se ramène dans cette perspective, à
une mission de bons offices>> (50).
Une quatrième phase lui succède normalement. C'est celle où le
roi choisit un formateur. L'expression est significative à souhait. Il
s'agit, cette fois, de << former >> un gouvernement, c'est-à-dire de faire
choix successivement d'une formule de coalition, d'un programme
et d'une équipe de gouvernement. C'est au terme de procédures -
souvent longues et laborieuses - que des choix précis se dessinent.
Il revient au formateur d'arrêter les modalités de pareilles négocia-
tions; elles empruntent la voie de procédures de plus en plus forma-
lisées.
Le formateur est, en principe, appelé à prendre la tête du gouver-
nement qu'il a reçu charge de composer. Des contingences politi-
ques, cependant, peuvent le conduire - en dernière minute - à
<<passer la main>> (hypothèses des gouvernements constitués en 1979
par P. VANDEN BoEYNANTS et en 1987 par J.-L. DEHAENE).
Ce n'est que dans une cinquième étape que le roi désigne les
ministres (et les 8ecrétaires d'Etat, voy. n" 452) qui composeront le

(49) Sur ce thème, Chroniques de crise, pp. 66-67.


(50) ''Crise. réalités et artifices>>, J. 7'., 1992, p. 572.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 423

gouvernement (51). La procédure sort, cette fois, de l'ordre officieux


pour déboucher sur le terrain de la désignation d'autorités publi-
ques (52).
448. - 8. La procédure de nomination. Les règles constitution-
nelles. - Le roi nomme ses ministres. Un arrêté royal contient
pareille décision. Rien de plus normal. Mais un problème surgit aus-
sitôt. Cet arrêté royal doit-il être contresigné au sens de l'article 106
de la Constitution? Si tout acte du roi doit être accompli avec le
concours d'un ministre - qui, par cela seul, s'en rend respon-
sable - , pareille règle ne cesse-t-elle pas de produire ses effets lors-
que le roi procède au choix de ses ministres ? Si l'on peut corn-
prendre qu'un ministre contresigne l'acte du roi désignant l'un de
ses collègues, ne faut-il pas, lorsque l'ensemble du gouvernement
démissionne, rendre au roi sa liberté d'agir?
Le problème est éminemment politique. Les ministres sont-ils
ceux du roi ou ceux d'une majorité politique? Dans un régime par-
lementaire, c'est sur la base d'une confiance objective que se nouent
les relations entre le roi et ses ministres (no 439); l'exigence du
contreseing ministériel permet d'en vérifier le bien-fondé.
Le problème présente aussi des aspects techniques. Comment
assurer l'application de la règle du contreseing au moment où deux
gouvernements sont appelés à se succéder? A la césure, le roi n'est-il
pas voué à agir seul ?
La difficulté est tournée de la manière suivante. Le Premier
ministre démissionnaire contresigne l'arrêté royal de nomination de
son successeur; ce faisant, il atteste de la régularité de la procédure
suivie tout au long de la crise et il prend la responsabilité des actes

(51) A ce stade, en particulier, l'opération de composition du gouvernement paraît l'emporter


sur celle de désignation des ministres. A chaque changement de gouvernement, la démission de
l'ensemble des ministres sortants est acceptée; d'autres sont investis de leurs fonctions. A suppo-
ser même qu'un ministre retrouve l'intégralité de ses attributions dans le nouveau gouvernement,
sa démission est acceptée; il est ensuite nommé pour assumer les responsabilités qu'il n'a pas
cessé d'exercer.
(52) A la suite des élections du 17 décembre 1978, le roi a successivement désigné un informa-
teur (W. CLAES), un formateur (W. MARTENS), deux médiateurs (W. CLAES et Ch.-F. NOTHOMB)
pour rapprocher les points de vue des partis francophones et flamands, un second formateur
(P. VANDEN BoEYNANTs), avant de désigner W. MARTENS comme Premier ministre. A la suite
des élections du 8 novembre 1981, le roi a successivement désigné un informateur (H. VANDER-
POORTEN) et trois formateurs (W. DE CLERCQ, Ch.-F. NoTHOMB et W. MARTENS) avant de choisir
ce dernier comme Premier ministre.
424 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

accomplis, à ce moment, par le roi (53). Le nouveau Premier


ministre contresigne, pour sa part, les arrêtés royaux qui acceptent
la démission de son prédécesseur ainsi que celle des membres du
gouvernement sortant. Il contresigne ensuite l'arrêté royal qui porte
désignation des membres de son gouvernement.
449. - La formule est simple. Reste à savoir si le nouveau Pre-
mier ministre pourrait apporter un contreseing à sa propre nomina-
tion, dans l'hypothèse où son prédécesseur - tout comme les
ministres démissionnaires - refuserait d'accomplir pareille forma-
lité.
Cette position a été défendue, au siècle dernier, par A. GIRON (54).
<< Le système écrivait-il, ne présente aucun inconvénient. Le but du

contreseing est d'exonérer le roi de toute responsabilité. Il importe


peu, dès lors, que la responsabilité soit assurée par l'ancien minis-
tère ou par le nouveau~>.
La Commission constituée par l'arrêté du Régent du lü mars
1949 pour donner un avis sur l'exercice des pouvoirs royaux nuance
cette thèse. Elle ne retient que deux situations dans lesquelles le
nouveau Premier ministre contresignera valablement sa propre
nomination.
Dans le premier cas, les ministres sortants sont, par suite de force
majeure, dans l'impossibilité d'agir; il convient pour assurer la
continuité de l'exercice du pouvoir, tout en assurant la couverture
des actes accomplis par le roi, d'habiliter le nouveau Premier
ministre à intervenir.
Dans le second cas, les ministres sortants opposent un refus injus-
tifié (55) à la désignation d'un nouveau gouvernement : alors même
qu'ils sont démissionnaires - ou qu'ils devraient l'être (à la suite,
par exemple, d'un vote de méfiance)-, ils s'opposent soit à la dis-
solution de la Chambre des représentants (entraînant celle du
Sénat), soit à la désignation d'un Premier ministre et d'un gouver-

(53) A. MoLITOR relève que <<durant toute la période qui sépare la démission du gouverne-
ment de la nomination du suivant >>, les démarches du roi pour résoudre la crise se déroulent
pratiquement sans couverture constitutionnelle. «Sans doute, en théorie, si l'attitude du roi dans
cette activité suscitait ultérieurement, à tort ou à raison, des critiques au Parlement, le Premier
ministre en fonction devrait-il en prendre la responsabilité mais elle serait fictive» (op. cit., p. 42).
(54) Le droit public de la Belgique, Bruxelles, 1884, p. 124.
(55) Un refus pourrait se justifier par l'impossibilité devant laquelle se trouverait le nouveau
gouvernement d'obtenir, de quelque manière que ce soit, la confiance de la Chambre des repré-
sentants.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 425

nement qui pourraient obtenir la confiance de la Chambre des repré-


sentants; il faut, pour lever cette obstruction et pour restaurer les
lois élémentaires du système parlementaire, permettre au roi de pas-
ser outre à ce refus et au Premier ministre entrant de le couvrir (56).
450. - 9. La procédure de nomination. Le serment. - Un
ministre n'entre en fonction qu'après avoir prêté serment entre les
mains du roi. Ce serment est celui dont les termes sont arrêtés, en
vertu de l'article 192 de la Constitution, par le décret du 20 juillet
1831; il est imposé aux ministres par l'article 2 de ce décret.
Comment ne pas s'interroger sur la nature du serment? Que signi-
fie la promesse de <c fidélité au roi >> ? Que représente celle d' <c obéis-
sance à la Constitution et aux lois du peuple belge >>? Le respect de
la légalité s'impose, sans conteste, à toutes les autorités publiques,
y compris aux ministres. Mais la fidélité n'a-t-elle pas d'autres exi-
genees? Ne risquent-elles pas d'entrer en concours, voire en conflit,
avec celles de la légalité?
La fidélité n'est pas l'allégeance personnelle : elle cherche à carac-
tériser, non pas le comportement d'individus dans la vie sociale,
mais les relations entre des autorités publiques dans un système
constitutionnel. La fidélité n'est pas non plus synonyme d'irrespon-
sabilité; pour autant que de besoin, la Constitution rappelle qu' <c en
aucun cas, l'ordre verbal ou écrit du roi ne peut soustraire un
ministre à la responsabilité >> - de quelque nature que soit celle-ci
(art. 102) - . La fidélité sert, en réalité, à définir les relations qui
vont unir deux autorités publiques au sein d'un même pouvoir :
l'unité d'action caractérise l'exercice de la fonction gouvernemen-
tale (no 501); les autorités qui l'assument ont indissolublement par-
tie liée.
Comment ne pas s'interroger aussi sur la portée du serment? En
le prêtant, un ministre n'acquiesce-t-il pas à une désignation qui
restait jusque-là au stade de projet? En refusant - provisoirement
ou définitivement (57) -de prêter serment, un ministre ne décline-
t-il pas la charge qui lui est offerte? Le serment n'est-il pas, dans

(56) Rapport de la Commission chargée d'émettre un avis motivé sur l'application des prin-
cipes constitutionnels relatifs à l'exercice des prérogatives du Roi et aux rapports des grands pou-
voirs constitutionnels entre eux (Mon. b. du 6 août 1949, pp. 7589 s.).
(57) La question prend une acuité particulière. le 2 juin 1977, lorsque quatre ministres
sociaux-chrétiens nommés, le jour même. par le roi refusent, à la demande du comité directeur
de leur parti. de prêter serment. Le 3 juin, ils acceptent pourtant la charge qui leur avait été
confiée (Chroniques de crise, p. 39).
426 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

ces conditions, l'élément qui noue ou dénoue les liens qui pouvaient
s'établir entre le roi et l'un de ses ministres? Toute désignation
n'est-elle pas affectée d'une condition suspensive - à savoir l' accep-
tation de fonctions, opération que la prestation de serment a pour
objet d'officialiser -?
Ces perspectives contractuelles sont peu compatibles avec le pro-
cessus de désignation - et de révocation - unilatérales. La réalité
est autre. Le roi nomme les ministres. Cette désignation emporte
immédiatement des effets juridiques. Mais puisque nul ne peut, au
nom du principe de liberté individuelle, se voir imposer l'exercice
d'une fonction publique, la procédure de la prestation de serment
place la personne nommée devant une alternative : ou la charge qui
lui est nouvellement conférée lui agrée et le serment marque le
moment où elle est en mesure d'exercer ses fonctions; ou cette
charge ne lui convient pas et le refus de prêter serment s'apparente
à une démission.
En un mot, la prestation de serment d'un ministre marque le
commencement de l'exercice légitime des fonctions que lui confère
la nomination.

451. - 10. L'influence des partis politiques. Le rôle du roi et des


Chambres.
Comment ignorer qu'en marge du schéma constitutionnel, des
pratiques s'instaurent qui viennent, sinon contrarier, du moins
infléchir considérablement le processus de désignation des
ministres?
Le rôle déterminant joué par les formations politiques à l'origine,
en cours et à l'issue des crises ministérielles ne saurait être passé
sous silence.
Le plus souvent, en effet, l'origine des crises réside moins dans la
volonté de la Chambre des représentants de désavouer, par une
motion motivée sans équivoque, le gouvernement en place sur un
point précis de son programme que dans une dégradation lente et
diffuse des relations entre les formations politiques qui apportent
leur appui au gouvernement. Faute d'un support politique stable,
celui-ci tend alors à se désagréger de l'intérieur.
La démission des ministres, la révocation de certains d'entre eux
ou la dissolution des chambres législatives - tous phénomènes qui
ouvrent officiellement la crise - ne sont que les manifestations
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 427

extérieures de la désunion intervenue au sein d'une coalition de par-


tis politiques.
Très communément aussi, le cours des crises s'infléchit en fonction
des orientations que les formations politiques sont en mesure de leur
procurer. Celles-ci présenteront une personnalité comme l'informa-
teur ou le formateur << tout désigné >>. Elles jetteront des exclusives
contre une formule gouvernementale ou contre un homme politique
déterminé. Elles mettront l'accent sur des points importants de leur
programme. Elles se refuseront à discuter de questions particulières.
Plus concrètement encore, elles avanceront le nom d'hommes et de
femmes susceptibles d'être désignés comme informateur, médiateur
ou formateur ou, ultérieurement, d'être investis de charges ministé-
rielles.
De véritables négociations qui s'apparentent à celles que met en
œuvre la diplomatie (P. DE VISSCHER) s'instaurent entre formations
politiques - tout au moins entre les délégations des partis qui ont
été retenus par le formateur en vue de constituer le gouverne-
ment (58) - . Leur déroulement, souvent à huis clos, tend à se for-
maliser - désignation de négociateurs, constitution de groupes de
travail, consultation d'experts, organisation d'un secrétariat, rédac-
tion de notes de synthèse, rapport aux bureaux ou aux comités
directeurs de parti ... - . Les formations politiques sont ainsi en
mesure d'assurer à la crise un prompt dénouement ou, au contraire,
de la prolonger (59).
L'issue des crises ministérielles est aussi largement tributaire de la
volonté des partis politiques qui, sous l'impulsion du formateur,
marqueront - avant même la constitution du gouvernement et le
vote de confiance de la Chambre des représentants - leur accord
sur le programme et la composition du futur ministère. Aux der-
niers jours de la crise, les << congrès>> de parti sont appelés à entéri-
ner les résultats souvent fort détaillés des négociations poursuivies
en vue de constituer le gouvernement fédéral.
Quelle part réelle de pouvoir revient au roi lorsqu'il nomme ses
ministres 1 Les prévisions de J. LEBEAU - <<Toute l'action de la
couronne gît dans le choix du cabinet, mais puisque celui-ci est res-
ponsable devant les Chambres, ce pouvoir sera forcément limité >>

(58) Des «conclaves» trouvent à s"organiser à cette occasion · voy., en 1974, la réunion de
Steenokkerzeel, et, en 1977, la conclusion des accords d'Egmont.
(59) Voy., par exemple, «Courtes crises», J. T., 1999, p. 629.
428 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

(cité par L. DE LICHTERVELDE) - ont-elles encore quelque perti-


nence? On prétend que le roi, même s'il doit suivre les indications
générales que lui fournit une majorité parlementaire, plus encore
une majorité politique, conserve la possibilité de choisir les per-
sonnes qui lui paraissent les plus aptes à remplir des fonctions
ministérielles. Cette prérogative-là semble, elle-même, avoir disparu.
Le roi ne dispose en tout cas pas d'un véritable droit d'initiative à
cet égard. Seul subsiste, sans doute, dans une certaine mesure, la
liberté de choisir un << formateur>> et, de manière indirecte, celle de
désigner le<< Premier ministre>> (60). L'observation est formulée sous
réserve de l'hypothèse prévue par l'article 96, alinéa 2, de la Consti-
tution (n° 437).
Dans la même perspective, quelle part de pouvoir revient à la
Chambre des représentants? Est-il vrai que <<la constitution effec-
tive du gouvernement et la désignation des ministres >> sont devenus
<<l'apanage du Parlement>>? Ou la Chambre des représentants n'est-
elle appelée - au terme du processus de formation du ministère -
qu'à apporter sa confiance à un gouvernement qui a déjà obtenu
celle des formations politiques intéressées et qui, à ce titre, a été
investi par le roi des responsabilités du pouvoir exécutif? Politique-
ment parlant, le vote de confiance qu'exprime la Chambre des
représentants ne saurait être sous-estimé. Il marque, en effet, l'as-
sentiment à une déclaration gouvernementale - véritable pro-
gramme politique du nouveau ministère- et à ses annexes- cata-
logue détaillé des mesures précises que ce gouvernement entend pro-
mouvoir-

B. - La nomination des secrétaires d'Etat


452. - <<Le r01 nomme... les secrétaires d'Etat>> (Const.,
art. 104, al. 1er). La similitude de rédaction des articles 96 et 104 de
la Constitution invite, sans conteste, à transposer en la matière les
règles et les pratiques qui ont été dégagées à propos de la désigna-
tion des ministres fédéraux (n"s 434 s.).

(60) «Tl n'est pas douteux, écrivait encore H. SPEYER, en 1939, qu'en ce qui concerne le choix
du Premier ministre, le roi des Belges jouit d'une très large liberté d'action et que la règle qui
lui réserve l'initiative de toute action positive a toujours été observée ... >> (Le rôle des partis, 1939,
p. 127, cité par A. MAST, Overzicht van het Belgisch grondwettelijk recht, Gand, Story-Scientia,
1981, p. 354, note 18).
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 429

Le principe de cette assimilation a parfois été discuté. Si le roi


nomme<< ses)) ministres, n'a-t-il pas vocation à désigner<< les)) secré-
taires d'Etat? Le glissement qui s'opère à la faveur de la rédaction
des dispositions constitutionnelles ne serait-il qu'accidentel? N'indi-
que-t-il pas plutôt que les secrétaires d'Etat sont moins ceux du roi
que ceux des ministres auxquels ils sont, selon la Constitution,
adjoints (art. 104, al. 2)?
L'argumentation procède d'une méprise. Si différence il y a, elle
ne réside pas dans le régime distinct qui marquerait les relations
entre le roi et les ministres, d'une part, celles entre le roi et les secré-
taires d'Etat, d'autre part : en témoigne notamment la règle qui
veut que les secrétaires d'Etat, comme les ministres, sont respon-
sables des actes du roi; les dispositions constitutionnelles, tels les
articles 88 et 106, qui concernent les ministres leur sont, en prin-
cipe, applicables (art. 104, al. 4) (61); ils sont membres à part
entière du gouvernement (62).
La différence est autre. Elle est d'ordre technique. Puisqu'un
secrétaire d'Etat doit être <<adjoint à un ministre)) (63), le roi ne
saurait composer un gouvernement en recourant aux seuls secré-
taires d'Etat; il doit nécessairement désigner deux ministres ~
puisqu'il doit respecter la règle de la parité ministérielle ~ auxquels
les différents secrétaires d'Etat seront associés. L'inverse n'est pas
vrai. Un gouvernement peut être régulièrement composé sans que
des secrétaires d'Etat n'en fassent partie. En d'autres termes, le roi
n'a pas l'obligation constitutionnelle d'en désigner (64).
Une autre réalité ne saurait être méconnue. Les attributions de
chaque secrétaire d'Etat sont, sans doute, définies dans l'arrêté
royal de nomination mais elles peuvent être précisées par un arrêté

(61) Le statut des secrétaires d'Etat est identique à celui des ministres; les modalités de
nomination, les régimes de responsabilité, les règles sur les incompatibilités leur sont d'office
applicables. L'expression de «sous-ministre» qui est parfois utilisée pour qualifier les secrétaires
d'Etat est donc foncièrement inexacte.
(62) A ce titre, ''ils peuvent recevoir le contreseing>> (art. 104, al. 3).
(63) Ce ministre est, en principe, le titulaire du département dont le secrétaire d'Etat exerce
certaines responsabilités. Dans l'hypothèse où les attributions dépassent les limites d'un départe-
ment ministériel (exemple d'un secrétaire d'Etat à la politique scientifique désigné aux fins de
coordonner les activités de divers services dans ce secteur d'activités), il s'indique d'adjoindre le
secrétaire d'Etat au Premier ministre.
(64) P. W!GNY, La troisième révision ... , p. 273.
430 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

royal particulier (65) (art. 104, al. 2). En l'absence ou dans l'attente
de pareille détermination, un secrétaire d'Etat ne saurait exercer la
fonction qu'il tient de sa nomination : il est paré d'un grade mais
dépourvu d'emploi (voy. la situation faite en 1974 à R. MOREAU,
secrétaire d'Etat aux Affaires sociales wallonnes).
453. - Les modalités de l'assimilation entre ministre et secré-
taire d'Etat gagnent à être précisées.
Un arrêté royal du 24 mars 1972 précise les conditions de l'intervention d'un
secrétaire d'Etat. II énonce à cet égard trois principes.
En principe, le secrétaire d'Etat dispose, dans les matières qui lui sont
confiées, de «tous les pouvoirs d'un ministre>> (art. 1e'). II lui revient, en particu-
lier, de représenter et d'engager l'Etat fédéral dans le domaine de compétences
qui lui est attribué.
Le secrétaire d'Etat doit agir conjointement avec le ministre auquel il est
adjoint dans quelques domaines. Le contreseing de l'un et de l'autre sont requis
en ces matières. A savoir :
. la présentation d'un projet de loi à la Chambre des représentants;
. la sanction et la promulgation de la loi fédérale;
. l'élaboration d'un arrêté royal réglementaire;
. la confection d'un arrêté royal <<portant création d'emplois des rangs 15 à 17
dans un ministère ou de même importance dans un organisme d'intérêt public
ou portant nomination à un tel emploi» (art. 2, 4°).
«La compétence du secrétaire d'Etat n'exclut pas celle du ministre auquel il
est adjoint. Celui-ci peut toujours évoquer une affaire ou subordonner la décision
à son accord>> (art. 4).

La règle de la parité ministérielle ne trouve pas à s'appliquer aux


secrétaires d'Etat (art. 104, al. 2 et al. 4). Une conséquence en
résulte logiquement. Là où la Constitution réserve expressément des
responsabilités au conseil des ministres (ou aux ministres réunis en
conseil), les secrétaires d'Etat ne sont pas associés à leur exercice-
la Constitution, dans son article 104, fait explicitement référence
aux articles 90, alinéa 2, 93 et 99; il faut y ajouter l'article 54 ~
(adde : les hypothèses où la loi requiert une délibération en conseil
des ministres).
L'on a cru pouvoir soutenir que les dérogations à la règle de la
parité ne pouvaient être qu'exceptionnelles, en ce qui concerne les

(65) ''Les secrétaires d'Etat peuvent être chargés de missions bien différentes; tantôt ils
seront les collaborateurs d'un ministre dont ils partagent toutes les responsabilités; tantôt ils
géreront un département moins important ou une section de département; tantôt encore ils rece-
vront une mission spécifique qui peut être de caractère temporaire, par exemple, l'élaboration
d'une législation importante>> (P. WwNY, op. cit., p. 274).
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 431

secrétaires d'Etat (66). Il s'agit là d'un vœu qui ne prévaut m sur


les règles, ni sur les réalités de l'action politique (67).

C. - La nomination de commissaires
du gouvernement

454. - Le roi peut procéder, comme en 1999, à la désignation de


commissaires du gouvernement (68). Ceux-ci appartiennent-ils au
gouvernement fédéral? Relèvent-ils plutôt de la fonction publique?
Sont-ils investis de tâches politiques ou administratives?
La désignation de ces commissaires répond au souci d'atteindre
rapidement des résultats dans un certain nombre de domaines. La
tâche qui leur est confiée n'est pas de décision, mais de coordina-
tion. La description reste éminemment floue ...
Le roi n'utilise pas, pour ce faire, les prérogatives que lui reconnaissent les
articles 96 et 104 de la Constitution. Il n'a pas désigné des ministres ou des
secrétaires d'Etat, fût-ce sous une appellation particulière. L'expression de sous-
ministre ou de sous-secrétaire d'Etat manque de pertinence (69).
Le roi n'a pas non plus fait usage des pouvoirs que lui octroie l'article 107,
alinéa 2, de la Constitution. Il n'a pas nommé des fonctionnaires dans l'adminis-
tration générale de l'Etat.
Le roi se fonde sur l'article 37 de la Constitution. En clair, il désigne, en
dehors du gouvernement et de l'administration générale, des personnes qui relè-
vent sans conteste de l'aménagement du pouvoir exécutif fédéral. Il leur confère
des missions temporaires mais pas épisodiques. Elles se situent sur le terrain de
la coordination des activités gouvernementales et administratives.
Les commissaires doivent tenir compte des compétences qui reviennent aux
ministres et aux secrétaires d'Etat. Ils ne doivent pas porter atteinte aux res-
ponsabilités qui reviennent aux fonctionnaires des départements ministériels.
Mais ils peuvent sans doute s'attacher- par des études, des rapports, des réu-

(66) P. WIGNY, op. cit., p. 97.


(67) Ainsi, le gouvernement MARTF.NS 1 (A.R. du 3 avril 1979, Mon. b., 5 avril 1979, p. 3972)
compte vingt-cinq ministres. Soit, outre le Premier ministre, douze ministres d'expression fran-
çaise et douze d'expression néerlandaise, ainsi que huit secrétaires d'Etat, quatre d'expression
française et quatre d'expression néerlandaise. Il s'agit là de la seule application du principe de
parité aux secrétaires d'Etat. Elle s'explique par le souci de composer de manière équilibrée les
comités ministériels communautaires et régionaux qui, à l'époque, étaient constitués au sein du
gouvernement. Par contre, le gouvernement MARTENS V (1981-1985) compte, outre quinze
ministres, dix secrétaires d'Etat dont quatre sont d'expression française et six d'expression néer-
landaise.
(68) Ils sont chargés respectivement des relations entre la Belgique et la Commission euro-
péenne pour le dossier de la dioxine (F. WrLLOCKx). de la problématique des grandes villes
(Ch. PICQUÉ) et de la simplification administrative (A. ANDitÉ).
(69) Les commissaires ne sauraient, en particulier, répondre des actes du roi devant la
Chambre des représentants.
432 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

nions ... - à harmoniser les activités des personnes et des services dans un sec-
teur d'activités déterminé(<< Courtes crises>>, J.T., 1999, p. 640).

§ 3. - La nomination d'autres autorités publiques

A. - La nomination
et l'organisation du pouvoir exécutif

455. - Le roi << nomme aux emplois d'administration générale et


de relation extérieure ... >> (Const., art. 107, al. 2).
Il pourvoit les cadres de la fonction publique en opérant un choix
parmi les citoyens qui, s'étant prévalu de l'un des droits-fonctions
que la Constitution établit, se sont portés candidats à un emploi dis-
ponible et ont satisfait aux épreuves de recrutement.
Il nomme ces agents publics. Il leur confère donc un grade, soit,
aux termes de l'article 4 du statut des agents de l'Etat, un titre qui
situe un individu dans la hiérarchie administrative et qui l'habilite
à << occuper l'un des emplois correspondant à ce grade >>. Il assure
aussi leur affectation en tenant compte des besoins de ses ser-
vices - ceux de l'intérieur (qu'ils soitent centraux ou déconcentrés)
et ceux de l'extérieur - . Il définit aussi leurs fonctions.
L'agent public, avant d'entrer en fonctions, prête serment. S'il
néglige ou refuse d'accomplir pareille formalité, sa nomination est
annulée avec effet retroactif (arrêté royal du 2 octobre 1937,
art. 48).

B. - La nomination et l'organisation
du pouvoir législatif

456. - La nomination ne paraît guère utilisée comme technique


de désignation des autorités publiques qui sont appelées à exercer
des responsabilités dans l'ordre du pouvoir législatif fédéral.
La Constitution mentionne le recours à la technique de la nomi-
nation pour la désignation du président et du vice-président de cha-
cune des chambres (art. 52), à laquelle il faudrait joindre les procé-
dures prescrites par les règlements d'assemblée aux fins de choisir
les membres des commissions parlementaires. En réalité, c'est d'une
élection par l'assemblée et au sein de celle-ci qu'il s'agit (n" 532).
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 433

C. - La nomination et l'organisation
du pouvoir juridictionnel
457. - La nomination est l'un des modes normaux de désigna-
tion des autorités qui assument l'exercice des responsabilités dans
l'ordre du pouvoir juridictionnel. Non pas que l'autorité judiciaire
soit une branche du pouvoir exécutif fédéral, mais parce que, une
fois écartées les règles de l'élection et de la cooptation comme modes
de désignation des magistrats (70), il üwt s'en remettre au titulaire
du pouvoir exécutif fédéral, éclairé au besoin par des propositions,
pour choisir ceux qui exerceront la fonction de juger (71).
La Constitution veut que les juges soient nommés par une même autorité, à
savoir le roi. Tous tiennent leur autorité d'un acte de désignation qui est l'œuvre
du chef de l'Etat. Le phénomène est saisissant à souhait. Les juges qui compo-
sent un pouvoir, en l'occurrence le pouvoir juridictionnel, sont désignés par le
titulaire d'un autre pouvoir, l'exécutif (fédéral). Précision essentielle. Certains
d'entre eux, à savoir les magistrats du siège, ne sont pas soumis à l'autorité hié-
rarchique du ministre de la Justice. Leurs personnes mais aussi leurs décisions
sont mises à l'abri des interventions du pouvoir exécutif. Il n'en va pas de
même, mais selon des modalités complexes, pour les membres du ministère
public (72) (<<Quelques propos sur la justice et la politique>>, J.T., 1997, p. 71).

La solution peut paraître curieuse. Les autorités qui constituent


un pouvoir sont désignées par le titulaire d'un autre pouvoir. Elle
ne se comprend que si l'on tient compte des conditions particulières
dans lesquelles la nomination s'accomplit. L'autorité juridiction-
nelle est conférée à vie ou, en tout cas, jusqu'à un âge qui impose
la retraite:<< On n'embrasse, disait déjà EsMEIN, une profession qui
exige des connaissances spéciales et une expérience lentement
acquise, que si on peut la continuer pendant sa vie entière ou, tout
au moins, jusqu'à un âge avancé>> (73).

(70) L'idée du tirage au sort subsiste aux fins de constituer le jury (Const., art. 150; Code
jud., art. 218 s.).
(71) Sur l'ensemble de la question, F. DEL PÉRÉE,« La Constitution et les juges''· in Constitu-
tion et justice, Presses de l'Université de Toulouse, 1996, p. 55.
(72) Voy. Un ministère public pour son temps, actes du colloque des 7-8 octobre 1994, notam-
ment l'intervention d'A. ALEN (« Het openbaar ministerie en de federale regering, de Gemeens-
cbaps- en Gewestregeringen •>. p. 211); M. VERDUHSEN, <<Le statut constitutionnel du ministère
public», Juger, 1997, p. 10.
(73) A. EsM~:IN, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, Paris. 1903, 3'' éd.,
p. 354. La Constitution apporte, elle-même, des exceptions à pareille règle. L'article 157 laisse à
la loi le soin de fixer la durée des fonctions confiées aux membres des tribunaux militaires, des
tribunaux de commerce et des juridictions du travail.
434 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Le juge ainsi désigné est assuré de l'inamovibilité et mis à l'abri


des déplacements ou des sanctions que pourrait valoir à un agent
de l'exécutif une conception autoritaire de l'intérêt du service. Ce
juge bénéficie encore, dans une large mesure, de l'irresponsabilité.
Alors même que des voies de recours sont ouvertes et peuvent ame-
ner réformation ou cassation des décisions de justice, la personne et
la carrière du juge sont mises à l'abri d'actions intempestives.
458. - Quelques exemples illustrent le raisonnement. Les juges de la Cour
d'arbitrage sont nommés par le roi. Ils le sont sur une liste double arrêtée alter-
nativement par la Chambre des représentants et par le Sénat à la majorité des
deux tiers. Ils sont désignés à vie et mis à la retraite à l'âge de 70 ans. Même
ceux qui sont issus de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat ne sauraient
y être déplacés. La Cour assure elle-même la discipline de ses membres : s'ils
<< ont manqué à la dignité de leurs fonctions ou aux devoirs de leur état », elle
peut les destituer ou les suspendre de leurs fonctions (1. sp. 6 janvier 1989,
art. 49).
Les conseillers à la Cour de cassation sont, eux aussi, nommés par le roi. Ils
le sont sur la base d'une présentation que la commission de nomination et de
désignation du Conseil supérieur de la justice arrête à la majorité des deux tiers,
après avoir recueilli l'avis de l'assemblée générale de la Cour (Const., art. 151,
§ 4). Ils sont nommés à vie, comme le prescrit l'article 152 de la Constitution,
mais avec les nuances que ne peut manquer de retenir cette disposition : ils sont
mis à la retraite à l'âge de 70 ans et bénéficient de la pension prévue par la loi.
Ils sont assujettis à la discipline que la Cour exerce, en particulier, sur ses
membres (Code jud., art. 410).
Les conseillers d'Etat (qui ne bénéficient pourtant pas du statut que la Consti-
tution aménage au profit des seuls magistrats de l'ordre judiciaire) sont désignés
par le roi sur deux listes triples, établies l'une par l'assemblée générale des
membres du Conseil d'Etat, l'autre par la Chambre des représentants ou le
Sénat, alternativement. Ils sont désignés à vie.
<< Les juges de paix, les juges des tribunaux, les conseillers des cours >> sont, eux
encore, nommés par le roi. Cette nomination se fait <<sur présentation motivée
de la commission de nomination et de désignation >> du Conseil supérieur de la
justice. Cette présentation est faite à la majorité des deux tiers, << après évalua-
tion de la compétence et de l'aptitude» (art. 151, § 4, al. 1 et 2) (74). Ils bénéfi-
cient du statut qu'organise l'article 152 de la Constitution.

459. - Le roi nomme également un ensemble de magistrats qui,


à des titres divers, participent à l'exercice de la fonction de juger.
Il lui revient ainsi de désigner les officiers du ministère public près
les cours et tribunaux (Const., art. 153). La fonction qu'il leur
confère- défendre, comme commissaires du gouvernement, les exi-

(74) J. VAN CoMPERNOLLE, «Le Conseil supérieur de la justice et la carrière des magistrats>>,
in Le Conseil supérieur de la justice (dir. M. VlŒDUSSEN), Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 113.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 435

genees de l'ordre public et l'intérêt de la justice - leur vaut un sta-


tut hybride qui témoigne à la fois de leur appartenance au pouvoir
exécutif et du concours qu'ils apportent à l'exercice de la fonction
judiciaire. Ils exercent leurs responsabilités sous l'autorité du
ministre de la Justice (Code jud., art. 143) (75).
Il revient aussi au roi de désigner les membres de l'auditorat du
Conseil d'Etat. Il les choisit, au départ, sur une liste qui indique
l'ordre de leur classement à un concours que le Conseil d'Etat orga-
nise. La fonction d'<< auxiliaire du juge>> administratif qui leur
revient, selon l'expression de Cyr CAMBIER, tend également à leur
conférer un statut d'entre-deux : nommés et révoqués par le roi, ils
sont cependant à l'abri des interventions du pouvoir exécutif fédéral
dans l'exercice de leurs fonctions.

D. -La nomination et l'organisation


des collectivités locales

460. - La prérogative de nommer qui revient au roi n'épuise


p~ts ses effets dans le seul domaine des autorités fédérales. Il revient
aussi au titulaire du pouvoir exécutif fédéral de désigner des auto-
rités publiques qui seront celles d'autres collectivités politiques.
Le phénomène peut paraître singulier. Il représente un tempéra-
ment au principe d'autonomie qui commande l'organisation de col-
lectivités décentralisées. Il conduit l'autorité d'une collectivité poli-
tique à choisir de manière unilatérale une ou plusieurs autorités qui
seront investies de responsabilités dans une autre collectivité. Ce
procédé de sélection ne saurait être utilisé que de manière excep-
tionnelle. S'il devenait la règle, il compromettrait la réalisation de
l'idée même d'autonomie (n" 350).
461. - Le phénomène peut revêtir plusieurs modalités.
Dans une première hypothèse, le roi désigne directement l'auto-
rité qui assumera des responsabilités dans la collectivité locale : la
nomination du bourgmestre (NLC, art. 13) entre dans cette catégo-
ne.

(75) Voy. «Un ministère public pour son temps>>, actes du colloque tenu au Palais de Justice
de Bruxelles, les 7 et 8 octobre 1994.
436 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Dans une deuxième hypothèse, le roi peut assurer de mamere


indirecte la désignation des titulaires du pouvoir à un échelon moins
important que celui de l'Etat fédéral; il désigne des autorités - des
ministres, par exemple - qu'il constitue dans l'ordre du pouvoir
exécutif fédéral mais qu'il va, en même temps, affecter à des tâches
et à des responsabilités dans des collectivités plus restreintes : dans
une phase transitoire, la composition des exécutifs de région et de
communauté a été assurée de cette manière.
Dans des hypothèses plus complexes - celles de l'organisation
des collectivités locales - , le roi peut assurer la désignation directe
d'autorités publiques. Il peut profiter de cette technique de désigna-
tion pour investir des autorités, tel le gouverneur de province, de
responsabilités qui sont celles d'un agent de l'Etat fédéral.

SECTION II. - LES TECHNIQUES D'ÉLECTION

§ l er. - L'élection

462. - La Constitution donne à réfléchir sur le sens de l'élec-


tion.
La doctrine soutient communément qu'il n'y a pas place pour un
droit constitutionnel électoral. La Constitution aurait vocation à
rester muette sur l'ensemble des problèmes théoriques et pratiques
que peut susciter l'organisation des élections. C'est plutôt le proces-
sus électoral qui donne à réfléchir sur le sens et les caractères de la
Constitution.
Une observation est alors formulée. Si le phénomène électoral
échappe aux prévisions de la Constitution, c'est parce que le docu-
ment constitutionnel doit répondre à des exigences de concision.
Comment imaginer qu'il reproduise l'ensemble des prescriptions de
détail que l'utilisation des techniques électorales requiert pour faire
œuvre utile? Un code électoral, adopté dans les formes législatives,
répondra plus adéquatement à l'objectif poursuivi ...
Le raisonnement a tendance à négliger les principes constitution-
nels qui ne peuvent manquer d'être formulés en la matière.
Le système électoral d'un Etat est à l'image de son système constitutionnel.
Ou il devrait l'être. Ses traits essentiels ne doivent pas se réduire à quelques dis-
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 437

positions techniques et ésotériques. Ils doivent témoigner de lignes de force qui


sont, en réalité, celles de la société politique tout entière. Regarder l'Etat, c'est
aller à la découverte de son système électoral. Analyser le système électoral,
c'est aller à la rencontre de l'Etat. La transparence démocratique est à ce prix
(F. DELPÉRÉE et D. RENDERS, «Belgique>>, in Les régimes électoraux des pays de
l'Union européenne (dir. A. PANTÉLIS et S. KouTSOUBINAS, préface G. BRAI-
BANT, Londres, Esperia, 1998, p. 77).

La Constitution réserve une place importante au principe, sinon


aux modalités, des élections. Elle énonce le principe représentatif
qui veut que les membres des deux Chambres représentent la
Nation (art. 42); elle précise que les députés à la Chambre des repré-
sentants<< sont élus directement par les citoyens>> (art. 61) et que les
membres du Sénat - mis à part les sénateurs de droit (voy.
no 433)- sont élus par les citoyens (art. 67, § l er, l o et 2"), par les
parlements de communauté (art. 67, § l"r, 3° à 5°) ou par le Sénat
lui-même (art. 67, § l er, 6° et 7°); elle prescrit que tout acte de dis-
solution des assemblées composées selon les techniques de l'élection
doit emporter << convocation des électeurs dans les quarante jours et
des chambres dans les deux mois>> (art. 46 in fine).
La Constitution fait, par ailleurs, de l'élection une règle d'organisation fonda-
mentale pour les institutions communautaires (art. 116, § 1"') et régionales
(art. 39), pour les institutions provinciales et communales (art. 162, al. 2, l")
pour les agglomérations et fédérations de communes (art. 165, § 1"', al. 1e') ainsi
que pour les districts (art. 41, al. !"'et 2).

A. - Le principe de l'élection

463. - Les techniques d'élection présentent une singularité.


Elles fondent le choix des titulaires du pouvoir sur le suffrage popu-
laire. Elles renoncent aux procédés aristocratiques ou autoritaires
de l'hérédité ou de la nomination pour mettre en œuvre des techni-
ques de caractère démocratique. Telle est la donnée essentielle. Les
citoyens sont, au moment de l'élection, associés à l'opération de sélec-
tion des gouvernants.
Aujourd'hui, cette idée paraît s'imposer d'emblée. Pour mesurer
l'originalité du procédé, il convient de remonter un instant aux ori-
gines et d'indiquer de quelle manière l'idée d'élection a pu s'imposer
comme mode de sélection de certaines autorités publiques.
438 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Peut-être faut-il partir d'un constat? Dans l'Etat moderne, c'est-


à-dire dans une société politique étendue et disparate, les citoyens
ne peuvent, sans inconvénients évidents, retenir la règle de l'unani-
mité comme principe de gouvernement; ils doivent s'en remettre à
la volonté qu'exprimeront un certain nombre d'entre eux.
Et alors, de deux choses l'une. Ou bien, cette volonté, les citoyens
entendent l'exprimer eux-mêmes ~ en faisant usage notamment
des techniques de type référendaire ~; ils s'en remettent à la déci-
sion du plus grand nombre d'entre eux, selon la règle de la majorité.
Ou bien, et selon une procédure toute différente, les citoyens enten-
dent voir exprimer cette volonté par un tout petit nombre d'entre
eux ~ les personnes qui ont charge d'une responsabilité publi-
que ~, ils recourent à la technique de l'élection pour désigner les
quelques personnes qui assureront ces fonctions.
Le recours aux élections ne conduit pas à consacrer, même de
manière indirecte, l'application de la règle de la minorité. Sans
doute, seuls quelques-uns assumeront les responsabilités du pouvoir.
Mais, tel est le sens du processus électoral, il est entendu que la
minorité ~les élus ~ a été choisie par la majorité des citoyens~
les électeurs ~.
Dans cette perspective, la règle de la majorité ~ qui fait partie de
ces idées simples qui appartiennent au patrimoine de la culture poli-
tique moderne ~ ne sert pas, comme dans les systèmes référen-
daires, à dégager sur-le-champ une volonté politique déterminée.
Elle vise à sélectionner certaines autorités publiques.
La Constitution consacre ces principes sous une forme solennelle :
<~ Les membres des deux Chambres représentent la Nation >>. Elle
reprend ainsi à son compte la célèbre formule de RoEDERER :
<~ Point de représentation sans élection >>. Mais elle va presque jus-
qu' à en inverser les termes : <~ Point d'élection sans représentation >>.
Le processus électoral vise à jeter un pont entre la majorité des
individus dans l'Etat et la minorité qui a charge de les gouverner.
Il a le mérite d'associer le plus grand nombre de citoyens à l'opéra-
tion de sélection des autorités publiques.

B. ~ La portée de l'élection

464. ~ Quelle signification attribuer à l'article 42 de la Consti-


tution?
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 439

Ce sont <<les membres des deux Chambres>>, tous et chacun de ces


membres, qui sont appelés à représenter la Nation. Dans sa simpli-
cité, la proposition est parfois obscurcie par des considérations idéo-
logiques. Il faut, au contraire, en rappeler les termes concrets.
L'article 42 de la Constitution désigne, d'une part, les membres
des deux Chambres fédérales et eux seuls. Ce n'est pas le pouvoir
législatif fédéral - dans ses trois branches : le roi, la Chambre des
représentants et le Sénat - , ce ne sont pas les assemblées légis-
latives - en tant qu'autorités publiques distinctes - qui sont
concernés par le principe représentatif. Le pouvoir législatif fédéral
n'est pas élu. Les Chambres fédérales ne sont pas élues. Seuls les
membres de ces Chambres sont sélectionnés par les citoyens; eux
seuls sont habilités à représenter la Nation.
D'autre part, l'article 42 de la Constitution vise tous les membres
des Chambres. Ce ne sont pas les seuls élus directs mais aussi les
élus au second, voire au troisième degré qui sont concernés. La seule
exception réside peut-être dans la présence de sénateurs de droit qui
sont investis de leurs fonctions sans posséder un titre qu'ils tien-
draient de l'élection. On ne saurait, par contre, considérer que les
révisions constitutionnelles de 1921 et de 1993, en introduisant les
catégories des sénateurs cooptés et des sénateurs communautaires
ont entendu déroger aux principes de la représentation nationale.
Elles se sont bornées à prévoir des modes complexes et indirects de
sélection des élus; l'élection directe, au premier degré, n'est que
l'une des variantes qui permet aux électeurs de sélectionner les élus.
465. - C'est à <<représenter>> la Nation que les membres des
chambres fédérales doivent s'attacher. A quelque assemblée qu'ils
appartiennent, ils sont les << représentants >> de la Nati on. Le mot est
lourd de sens dans la doctrine du droit public. Lié à la technique
de l'élection, en est-il le corollaire ou le complément? Tour à tour
utilisé et récusé par la théorie politique, désigne-t-il une procédure
de sélection des dirigeants ou une atteinte intolérable aux principes
de la souveraineté nationale?
L'article 42 de la Constitution se préoccupe d'affirmer un prin-
cipe : << le représentant a, pour les affaires comprises dans sa compé-
tence, un pouvoir de libre initiative, de personnelle appréciation, de
propre décision>> (R. CARRÉ DE MALBERG). Il n'est pas un<< fondé de
pouvoir>> (id.). Un représentant de la Nation, et non de ses seuls
électeurs, ne saurait recevoir d'eux aucun ordre, aucune instruction
440 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

prectse. Il ne parle, n'agit et ne vote en leur nom. Il ne reçoit pas


de mandat impératif. Même si l'expression est entrée dans les
mœurs et dans les textes, ce n'est pas un mandataire public au
mandat exprès, précis, limité et impératif. Il ne rend pas de comptes
à ses électeurs. Son action l'expose tout au plus à une non-réélec-
tion.
Sans doute faut-il, pour que le système électoral et politique fonc-
tionne correctement, que l'élu représente - c'est-à-dire reflète dans
son action quotidienne - l'opinion du pays ou celle d'une de ses
fractions. C'est la volonté de l'opinion publique qui doit être recher-
chée et suivie, non celle d'un individu ou celle d'un groupe d'élus :
toute inadéquation entre la volonté parlementaire et la volonté
populaire est préjudiciable au fonctionnement du système.
D'où l'importance du débat qui doit s'ouvrir à l'occasion de com-
pétitions électorales. C'est l'occasion pour les candidats et pour les
formations politiques auxquelles ils adhèrent de faire connaître un
programme.
Des mécanismes doivent aussi être institués pour vérifier périodi-
quement le bien-fondé et l'exactitude de cette représentation : les
parlementaires sont élus à temps. Les élections renouvelées, au
minimum tous les quatre ans, doivent permettre aux électeurs
d'exercer un contrôle épisodique sur les représentants.

466. - C'est <c la Nation f) que les membres des Chambres fédé-
rales sont censés représenter. <c Un député est nommé par un bail-
liage au nom de la totalité des bailliages f), écrivait déjà SIÉYÈS.
<c Un député l'est de la Nation entière f>. Mais qu'est-ce que la

Nati on? Et pourquoi cette référence à la Na ti on?


Le premier problème est celui de l'identification de la Nati on. Les
membres des chambres fédérales représentent la Nation. Mais c'est
aussi <c de la Nation f> qu'émanent tous les pouvoirs publics (art. 33).
Est-ce la même réalité que désigne ainsi, sous le même vocable, la
Constitution? Un rapprochement ne doit-il pas être opéré entre les
deux dispositions? Les membres des chambres, dépositaires authen-
tiques des volontés de la Nation- puisqu'ils la représentent-, ne
sont-ils pas investis de la compétence de préciser le mode d'exercice
des autres pouvoirs? La Constitution n'a-t-elle pas ainsi consacré le
principe d'une primauté - voire d'une suprématie - qui revien-
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 441

drait, en droit comme en fait, à l'un des pouvoirs dans l'Etat, en


l'occurrence au pouvoir législatif fédéral?
L'observation résulterait d'un curieux contresens. Si les
articles 33 et 42 de la Constitution doivent être embrassés dans une
même analyse, il n'en reste pas moins que - logiquemen~ et chro-
nologiquement - l'article 33 vient en premier, et l'article 42 ne fait
qu'en procurer une application limitée. Et non l'inverse.
L'article 33 proclame que << tous les pouvoirs émanent de la
Nati on >> et qu'<< ils sont exercés de la manière établie par la Cons ti-
tution >>. C'est dire que la Nation belge, s'exprimant en 1831 à l'en-
tremise du pouvoir constituant originel, a inscrit dans une Constitu-
tion les principes d'organisation et de fonctionnement des pouvoirs
publics. Le Congrès national réunissait les représentants par excel-
lence de la Nation souveraine; c'est en son nom qu'ils procèdent à
l'opération créatrice de l'Etat. La Na ti on désigne, dans cette pers-
pective, la collectivité humaine qui préexistait à l'Etat.
L'article 42 ne se réfère pas exactement à la même idée. On ne
saurait soutenir que chaque parlementaire représente, aujourd'hui,
cette volonté préliminaire. Il représente - au présent, si l'on peut
dire - la Nation d'aujourd'hui, soit concrètement les dix millions
de personnes qui vivent sur le territoire national. Si l'on y tient, on
ajoutera que ce parlementaire représente aussi - toujours au pré-
sent- une Nation abstraite et permanente faite de l'ensemble des
générations de Belges qui partagent les mêmes idéaux de vie com-
mune.
A représenter tout le monde, et même des abstractions, on risque
de ne plus représenter personne. La réalité est à la fois plus simple
et plus empirique. Le parlementaire tient son investiture d'une par-
tie des citoyens mais il est présumé les représenter tous. Il tient ses
pouvoirs de la Constitution, telle que l'a voulue la Nati on. Cette
situation ne procure ni au parlementaire, ni au pouvoir législatif
fédéral dont il fait partie une position prééminente : les pouvoirs
sont, par définition constitutionnelle, sur pied d'égalité puisqu'ils
émanent tous également de la Nation.
Pourquoi alors cette référence au principe de représentation
nationale ? Essentiellement comme un correctif aux effets de la tech-
nique de l'élection. Tel candidat a recueilli 10 % des voix qui se
sont portées en faveur des membres d'une liste qui s'est vue attri-
buer à la Chambre des représentants un siège dans une circonscrip-
442 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

tion électorale déterminée. A ce titre, il est élu député. Quelle signi-


fication juridique et politique accorder à cette opération? Il ne
s'agit pas pour le nouvel élu d'assurer la représentation des intérêts
particuliers de quelques milliers de personnes - les électeurs qui
ont voté en sa faveur ou en faveur de ses colistiers, ou encore en
faveur de la liste qui les rassemble, les membres du collège électoral
qui l'ont élu, pas même l'ensemble des électeurs des différents col-
lèges - (76).
A défaut d'exiger - ce qui serait difficilement praticable - que
le représentant de la Nation soit l'élu de tous, la Constitution veut
au moins que l'élu de quelques-uns soit le représentant de tous. C'est
à ce titre qu'il participe à toute délibération et à toute décision qui
est de la compétence de l'assemblée dont il fait partie- non seule-
ment sur les affaires d'intérêt local qui pourraient concerner directe-
ment la circonscription ou le collège qui l'a élu mais sur toutes
affaires d'intérêt général - . Par ses paroles, par son action et par
ses votes, il concourt notamment à l'élaboration des règles de droit
qui seront applicables, non à quelques-uns, mais à la généralité des
citoyens.
467. - Ce n'est pas seulement la Nation que les membres des deux
Chambres représentent. L'élection des mandataires fédéraux ne peut
se dérouler dans l'ignorance des collectivités locales et des compo-
santes de l'Etat fédéral.
Les membres des deux Chambres représentent, en fait, les collec-
tivités locales, en particulier les communes.
Les membres des deux Chambres - à l'exception des sénateurs
de droit et du sénateur désigné par le Conseil de la Communauté
germanophone- sont répartis en groupes linguistiques (art. 43). Ils
représentent, à ce titre, les communautés auxquelles ils appartien-
nent. La loi du 3 juillet 1971 détermine la composition des deux
groupes linguistiques de la Chambre des représentants (77). La
Constitution fait de même pour les groupes linguistiques composés
au Sénat
C'est <c pour les cas déterminés dans la Constitution )) que cette
répartition a un sens : les lois spéciales doivent réunir, entre autres

(76) L'article 42 de la Constitution précise que «les membres des deux Chambres • ne repré-
sentent pas « uniquement ceux qui les ont élus ».
(77) P. VANDERNACHT et J. VAN NIEUWENHOVE, «La réforme des assemblées législatives à la
lumière des révisions constitutionnelles de 1993 », R.B.D.C., 1994, pp. 72-73.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 443

conditions, la majorité des suffrages dans <( chaque groupe linguisti-


que de chacune des Chambres>> (no 44); une motion motivée- dite
<( sonnette d'alarme >> - ne peut suspendre la procédure parlemen-
taire d'élaboration de la loi que si elle est signée par <( les trois
quarts au moins des membres d'un des groupes ling~istiques >>
(art. 54) (n° 939).

C. - Les procédés de l'élection

468. - Si elles procèdent toutes d'une même préoccupation


démocratique, dans la mesure où elles fondent la sélection des titu-
laires du pouvoir sur le suffrage populaire, les techniques d'élection
peuvent différer par les procédés qu'elles mettent en œuvre.
Tantôt l'élection conduit les citoyens à choisir directement les
membres d'une assemblée et à les investir, sans intermédiaire, des
responsabilités du pouvoir. Une élection directe (§ 2) est organisée.
Elle sert à sélectionner les membres de la Chambre des représen-
tants (A), certains membres du Sénat (B) et les conseillers qui
appartiennent aux assemblées des collectivités locales (C).
Tantôt, au contraire, l'élection amène les mêmes citoyens à laisser
choisir par ceux qu'ils auront, dans un premier temps, élus d'autres
titulaires du pouvoir. L'élection est, à ce moment, une élection
médiate (§ 3) : il s'agit d'une élection au second degré (A) ou d'une
cooptation (B) pour compléter la composition d'une assemblée; il
peut aussi s'agir de l'élection des membres d'un collège exécutif (C).
Election directe et élection médiate ne sont pas inconciliables.
Une assemblée délibérante comme le Sénat voit même organiser le
recrutement de ses membres selon l'une et l'autre techniques.
Toutes deux sont concevables dans une société démocratique, même
si l'élection directe permet aux citoyens d'être associés plus étroite-
ment au choix des élus. L'élection médiate introduit inévitablement
des distorsions entre les volontés exprimées par les électeurs et celles
qu'expriment, épurées par le filtre de deux ou trois scrutins, les
élus; elle garde les faveurs de ceux qui se préoccupent, dans un sys-
tème bicaméral, de recourir à des modes contrastés de sélection
pour le personnel des assemblées.
444 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

§ 2. -L'élection directe

A. - La Chambre des représentants


469. - L'article 63, § 1er, de la Constitution précise que <~la
Chambre des représentants compte 150 membres>>. Comment ceux-
ci sont-ils élus? L'article 61, alinéa 1er, de la Constitution, rappelle,
en une même disposition, la composition du corps électoral et le
principe de l'élection directe : <~Les membres de la Chambre des
représentants sont élus directement par les citoyens âgés de dix-huit
ans accomplis, et ne se trouvant pas dans l'un des cas d'exclusion
prévus par la loi>>. Quant à l'article 62, alinéa 2, il ajoute que <~les
élections se font par le système de représentation proportionnelle
que la loi détermine>>.
Dans un arrêt n° 74/92 du 18 novembre 1992, la Cour d'arbitrage souligne que
l'éligibilité est ~~un droit fondamental dans une société démocratique>>. A ce
titre,~~ elle ne peut faire l'objet que de limitations particulières, lesquelles, même
indirectes, doivent se justifier par des exigences spécifiques, indispensables à
l'exercice d'une fonction déterminée>>.

470. - l. Le principe de la représentation proportionnelle. -Au


vœu de la Constitution, l'élection des membres de la Chambre des
représentants s'opère selon une technique éprouvée (78), celle de la
représentation proportionnelle.
Une idée prédomine en la matière. La Chambre doit être compo-
sée à l'image de la Na ti on; elle doit exprimer les préoccupations des
diverses composantes de l'opinion publique. La technique de la
représentation proportionnelle, parce qu'elle vise à procurer un
cliché instantané de l'opinion - cliché qui permet à celle-ci de se
reconnaître dans ses traits essentiels comme dans ses nuances - ,
contribue à composer une assemblée qui pourra prétendre repro-
duire, de manière fidèle mais en format réduit, le groupe des élec-
teurs.

(78) Ce n'est pas à dire que d'autres techniques électorales n'ont pas été utilisées. Entre 1831
et 1899, il a été recouru à la technique du scrutin majoritaire avec ballottage; il s'agissait, selon
les arrondissements, d'un scrutin uninominal ou d'un scrutin de liste. La Constitution révisée en
1893 permet, cependant, à la loi de modifier cet état de choses - loi du 29 décembre 1899 -.
Une nouvelle révision, celle du 15 novembre 1920, fait obligation constitutionnelle de recourir à
ce mode de scrutin.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 445

Une technique simple sert cet objectif: les listes de candidats (79)
présentées aux suffrages des électeurs obtiennent, au sein des
diverses circonscriptions électorales, un nombre de sièges propor-
tionné au nombre de voix qu'elles y ont recueillis.
La préférence donnée aux techniques de représentation propor-
tionnelle traduit, sans conteste, une préoccupation de justice électo-
rale. Une vérité arithmétique est sortie des urnes. Elle indique avec
précision la force respective des formations en lice. Il est raisonnable
de composer l'assemblée élue à l'image de la Nati on qui s'est ainsi
exprimée. L'élection a été le révélateur de toutes les nuances et de
toutes les diversités d'opinion qui caractérisent la Nati on. Pourquoi
les gommer artificiellement ?
471. - Sans doute, des arguments sérieux sont-ils traditionnel-
lement avancés à l'encontre de cette technique de représentation.
Des voix s'élèvent sporadiquement pour plaider la cause d'un sys-
tème majoritaire- c'est-à-dire d'une forme de scrutin où la forma-
tion politique qui, dans un arrondissement, recueille la majorité des
voix (80) obtient automatiquement le ou les sièges qui formaient
l'enjeu de l'élection-.
La technique de la représentation proportionnelle ne privilégie-t-
elle pas l'idée de justice au détriment d'un objectif d'efficacité poli-
tique qui est de dégager une majorité nette dont les traits seront
automatiquement accentués mais qui sera seule capable d'appuyer
l'action d'un gouvernement stable? Ne fait-elle pas la part trop
belle aux petites formations politiques tout en faisant obstacle à la
constitution de ces partis de large coalition que le système majori-

(79) Ces listes sont présentées, aux termes de l'article ll6, § 1"', du Code électoral, par
500 électeurs au moins lorsqu'au dernier recensement, la population de la circonscription électo-
rale est supérieure à un million d'habitants, par 400 électeurs au moins lorsque ladite population
est comprise entre 500.000 et un million d'habitants et par 200 électeurs au moins dans les autres
cas; soit par trois membres sortants au moins. Les formations politiques, estimait-on générale-
ment, ne bénéficient donc d'aucun monopole - ni de droit, ni de fait - dans le dépôt des listes.
L'observation reste fondée pour une part. Voy. cependant, les dispositions du Code électoral qui
tendent à favoriser les formations qui sont déjà représentées aux Chambres, notamment
l'art. ll5bis sur la protection des sigles et l'affiliation des listes et l'art. ll6, § 1''', in fine, qui per-
met à trois députés sortants de présenter une liste.
(80) Une majorité relative peut être requise (dans l'hypothèse du scrutin majoritaire à un
tour - système britannique). Une majorité absolue peut aussi être exigée - tout au moins au
premier tour- (dans l'hypothèse du scrutin majoritaire à deux tours, avec ballottage- système
français); à défaut, une majorité relative suffira.
446 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

taire (81) semble devoir engendrer? Ne procure-t-elle pas l'image


éclatée d'une opinion composite au lieu de dégager une option claire
de gouvernement (82)?
Si, malgré ces critiques, l'idée de représentation proportionnelle a
prévalu en Belgique dès la fin du XIXe siècle, c'est pour des raisons
qui sont à la fois d'ordre historique et d'ordre doctrinal.
Sur un plan historique, la doctrine proportionnaliste a fait son
chemin en même temps que l'idée du suffrage universel. Le succès,
même mitigé, du principe d'égalité politique - sous forme du suf-
frage plural - devait entraîner celui du mode proportionnel de
répartition des suffrages. Par la même occasion, un certain plura-
lisme idéologique était préservé : le parti libéral dont la représenta-
tion parlementaire avait tendance à s'effriter, dans un système
majoritaire, au profit du parti catholique et du P.O.B. voyait
consacrer son droit à l'existence (83).
Sur un plan idéologique, la doctrine proportionnaliste se nourrit
également d'une réflexion sur le rôle des parlementaires. On admet
volontiers que les chambres législatives sont investies d'une double
fonction : gouverner les hommes en participant à l'élaboration de la
loi, délibérer des affaires publiques aux fins de contrôler l'action du
gouvernement. La fonction de gouvernement est, par nature, l' apa-
nage d'une majorité; rien n'empêche, dans cette perspective, de
recourir aux mécanismes du scrutin majoritaire pour permettre à un
courant dominant de se dessiner de manière nette, voire accusée. La
fonction de délibérer, elle, se partage; elle n'est pas tributaire du
nombre, mais de la hardiesse de ceux qui ont mission de censurer
l'action gouvernementale; pourquoi ne pas recourir, dans cette
seconde perspective, à des modes de scrutin qui vont permettre à
des contre-pouvoirs de se manifester de façon efficace?

(81) L'obRervation vaut surtout pour le scrutin majoritaire. pur et simple. à un seul tour. Le
Herutin de ballottage permet lui, de\( s'exprimer au premier tour >t même s'il invite à <t choisir au
second>>.
(82) Peut-être aussi faut-il s'attacher à conjuguer <• justice électorale» et<< efficacité gouverne-
mentale •>? Des systèmes tempérés de représentation proportionnelle cherchent à atteindre ces
objectifs. Voy. not. les systèmes électoraux en usage en République fédérale d'Allemagne --
représentation proportionnelle «personnalisée» - et en République d'Irlande.
(83) Une crainte transparaît ainsi : celle de voir le scrutin majoritaire engendrer, dans un
pays divisé et peu tolérant, des majorités qui pratiqueraient l'alternance sans respecter les mino-
rités, c'est-à-dire les majorités d'hier. Ce n'est pluR l'alternance, de règle dans les sociétés démo-
cratiques, mais c'est la loi du talion qui trouve alors à s'appliquer.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 447

La maxime proportionnaliste - <<La délibération à tous, la déci-


sion à la majorité >> - résume bien ces préoccupations.
472. - 2. Les modalités de la représentation proportionnelle.
Le principe de représentation proportionnelle qui commande l' orga-
nisation de la Chambre des représentants peut paraître simple dans
ses présupposés logiques. Il n'empêche que ses modalités d' applica-
tion sont plus complexes. Elles tiennent aux particularités retenues
pour l'attribution des sièges. Elles supposent, en effet, la constitu-
tion de collèges électoraux (no 473), la composition de listes decan-
didats (no 475), la répartition des sièges entre les listes présentées
dans une même circonscription (nos 476 et 477).
4 73. - << La constitution des collèges électoraux est réglée par la
loi>> fédérale. La Constitution adopte, en son article 62, l'idée du sec-
tionnement du territoire en un certain nombre de circonscriptions.
L'élection des membres de la Chambre des représentants (celle aussi
des membres, élus directs, du Sénat) se fait au sein de collèges que
ces circonscriptions servent à délimiter. Une conséquence essentielle
en résulte : les membres d'un collège ne sont jamais appelés à élire
qu'<< une fraction de la représentation nationale>> (84).
Sans doute a-t-on parfois suggéré de constituer, à l'échelle de la Nation, un
seul collège électoral qui serait appelé à élire l'ensemble des membres de l'assem-
blée (voy., par exemple, les projets de« Sénat national •>; voy. aussi le mode de
désignation des membres de la Knesseth (85)). Sur un plan théorique, la formule
paraît peu praticable à raison du grand nombre de candidats - près de
15.000 - qui seraient appelés à solliciter concurremment les suffrages du corps
électoral. Sur un plan politique, la formule qui fait droit à l'idée de la << représen-
tation nationale>> paraît dépassée par l'évolution des faits et des institutions
qu'accréditent les clivages de type communautaire et régional. Sur un plan idéo-
logique, la formule qui vise à améliorer la qualité du recrutement du personnel
politique aurait pour résultat paradoxal de renforcer l'emprise que des forma-
tions politiques centralisées exercent sur les candidats.

474. - La Constitution détermine l'autorité habilitée à compo-


ser les collèges électoraux. La loi fédérale est seule autorisée à ce

(84) P. DE VISSCHER, op. cit., t. Il, p. 27.


(85) Un système de représentation nationale présente l'avantage d'être conforme à la théorie
du mandat national selon laquelle tout parlementaire représente l'ensemble de la Nation (art. 42
de la Constitution). A l'inverse, on peut reprocher à la technique du sectionnement de favoriser
les particularismes et de rendre fictif le principe du mandat national (ibid., p. 28).
448 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

faire. Cette règle, inscrite dans les articles 6, 42 et 62 de la Constitu-


tion répond à une préoccupation simple : ôter au gouvernement
fédéral la tâche de définir les circonscriptions électorales - et donc
les collèges électoraux - , lui enlever l'envie de fixer à sa guise les
limites des cadres territoriaux dans lesquels seront sélectionnés ceux
qui ont vocation de contrôler son action (n" 341 ).
La Constitution fait plus encore. Elle indique une règle technique
dont le législateur fédéral ne peut manquer de tenir compte dans
l'exercice de cette responsabilité : << chaque circonscription électorale
compte autant de sièges que le chiffre de sa population contient de
fois le diviseur fédéral, obtenu en divisant le chiffre de la population
du Royaume par 150 ~>-soit le nombre des députés- (art. 63, § 2,
al. 1er). Selon les chiffres procurés par le recensement décennal
(Mon. b., 2 juillet 1997, p. 17672), la population belge compte
10.170.226 habitants, nationaux et étrangers confondus. Il y a donc
un député pour un peu plus de 65.000 habitants.
Le scrutin d'arrondissement soulève d'autres difficultés. Lorsqu'il est pratiqué
dans des circonscriptions peu peuplées - qui ne sont appelées à désigner, par
exemple, que deux ou trois élus-, illimite de manière excessive l'enjeu du scru-
tin. Un siège est généralement assuré à l'une des formation politiques en pré-
sence. L'enjeu du scrutin se limite à l'obtention de l'autre siège. Soit un raz de
marée conférera a un parti une représentation homogène dans l'arrondissement.
Soit le siège ira à un deuxième ou à un troisième parti. Une issue aussi limitée
n'est pas faite pour mobiliser l'attention des électeurs. De plus grands arrondis-
sements auraient pour effet de rendre la lutte électorale plus ouverte (La
démarche citoyenne, coll. Quartier libre, Bruxelles, Labor, 1998, p. 85, note 16).

475. - La représentation proportionnelle exclut la forme du


scrutin uninominal - qui est forcément de nature majori-
taire (86) -.Plusieurs sièges (deux au minimum) sont à pourvoir au
sein de chaque arrondissement. Les candidats sont, dès lors, encou-
ragés à se présenter groupés sur des listes complètes qui prétendent
toutes obtenir l'ensemble des sièges à attribuer.

(86) Le scrutin uninominal postule évidemment que l'ensemble du territoire soit divisé en
autant de circonscriptions qu'il y a de représentants à élire. Il n'y a pas de compatibilité entre
cette forme de scrutin et la représentation proportionnelle. Le scrutin majoritaire, lui, n'exclut
pas nécessairement la forme du scrutin plurinominal; pour les modalités du scrutin majoritaire
de liste, voy. J. M. CoTTERET et Cl. EMERI, Les systèmes électoraux, Paris, P.U.F, 1970.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 449

Ce système que le Code électoral accrédite (voy. aussi le numéro


d'ordre commun pour les listes affiliées) tend, assure-t-on, à privilé-
gier le débat d'idées plutôt que la lutte des personnes (87).
En fait, il confère, dans le processus de sélection des élus, un rôle
déterminant aux dirigeants des partis politiques : ceux-ci accueillent
un candidat sur la liste qu'ils présentent ou le rejettent; ils le
situent en ordre utile, à une place de combat ou à un poste de
simple figuration; ils mettent à sa disposition les moyens de la cam-
pagne officielle (des tribunes et des émissions de radio et de télévi-
sion, par exemple) ou le laissent agir seul; ils lui apportent le
concours des appareils et des moyens du parti ou les lui refusent.
Le mode de scrutin favorise ce type de comportement. En parti-
culier, l'ordre de présentation des candidats sur la liste commande
très largement le choix qui sera, en définitive, opéré.
Lorsque le nombre de candidats figurant sur une liste est supé-
rieur au nombre de sièges qui lui reviennent, il n'est possible de
confier les mandats qu'après dévolution et répartition des votes
exprimés en case de tête. Puisque ceux-ci sont présumés être des
votes de liste <<favorables à l'ordre de présentation>> (Code él.,
art. 172, al. 2), cette attribution<< se fait d'après un mode dévolutif>>
(id.) : au premier, au deuxième, et <<ainsi de suite>> (id.) en respec-
tant strictement l'ordre de présentation (88). Selon cette technique,
seuls les candidats bien placés peuvent espérer augmenter leur
potentiel de votes nominatifs par un nombre de suffrages de la liste.
Un exemple illustre la portée de la règle. Aux élections légis-
latives du 17 avril 1977, la liste C.V.P. a obtenu, avec un chiffre
électoral de 99.928, quatre sièges dans l'arrondissement de Leuven.
9
Le chiffre d'éligibilité y est de !!~8 , soit de 19.985.
La répartition des sièges s'opère de la manière suivante

(87) L'affirmation mériterait d'être nuancée car, dans le débat électoral, les «listes» gagne-
ront à être conduites par des individualités marquantes et les <<hommes» gagnent, même dans
le scrutin «d'arrondissement», à être porteurs d'un projet politique précis.
(88) On ne confondra pas l'influence des votes en case de tête avec celle des votes de préfé-
rence pour un candidat, lorsque ces votes de préférence excèdent le quotient d'éligibilité. Les
votes en case de tête influencent directement à la fois l'attribution des sièges à la liste, parce qu'ils
interviennent dans le calcul du chiffre électoral de la liste, et l'attribution des sièges aux candi-
dats, parce qu'ils sont reportés dans l'ordre de la liste aux candidats suivants. Les votes de préfé-
rence, par contre, n'influencent que l'attribution des sièges à la liste parce qu'ils interviennent
pour le calcul du chiffre électoral de la liste. Ils sont sans effet direct sur l'ordre d'attribution
des sièges aux candidats, puisque les votes de préférence excédentaires ne sont pas reportés à
d'autres candidats de la même liste.
450 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Chiffre électoral 99.928


Votes de liste (case de tête) : 34.333
Votes préférentiels (au profit de titulaires)

Henckens 9.874 (+ 10.111) = 19.985

Devos 15.589 (+ 4.396) = 19.985


Eyskens 30.300 1er élu
De Vlies 5.183 (+ 14.802) = 19.985
Legrand-Bert mans 656 (+ 5.024) = 5.680
Gysemberg 723

Ces données chiffrées révèlent qu'un candidat peut, par ses


propres voix, atteindre le quotient d'éligibilité et être élu- encore
que cette situation soit exceptionnelle pour des candidats qui n'ont
pas été placés en ordre utile - . Elles indiquent aussi, pour les
autres candidats, combien l'ordre de présentation de la liste déter-
mine l'ordre de sélection des élus.
L'influence de la case de tête fait l'objet de vives critiques (89).
Elle consacre le rôle des partis politiques dans l'opération de sélec-
tion des élus (90). Mais y renoncer, n'est-ce pas restaurer, sous cer-
taines formes, l'organisation du suffrage censitaire? Les candidats
plus fortunés disposeraient de plus de moyens pour faire cam-
pagne ...
''Le mécanisme de la case de tête donne aux formations politiques un poids
excessif dans la sélection des élus. Déversant - comme dans les fontaines en ter-
rasse des jardins de Tivoli - les voix qui se sont portées en case de tête, soit
dans ce qu'il est convenu d'appeler le 'pot commun', sur les candidats d'une
liste électorale déterminée, et le faisant dans l'ordre rigoureux de présentation
de cette liste, la procédure privilégie sans conteste les candidats qui figurent en
bonne place, soit - selon la formule consacrée - en ordre utile. Elle enlève du
même coup tout espoir d'être élu à ceux qui ne bénéficient pas d'un paquet suffi-
sant de votes préférentiels et qui, par ailleurs, n'ont pas été classés à bon escient
par la formation politique dont ils se réclament. Comment corriger ce vice orga-
nisationnel 1 Il faut songer à abaisser le seuil d'éligibilité afin de donner plus de
poids aux votes nominatifs. Il faut réfléchir à une répartition égalitaire des voix
portées en case de tête. Il faut éventuellement préconiser un système mixte qui

(89) «La liberté de l'électeur est plus apparente que réelle'' (P. WIGNY, op. cit., p. 432); «les
candidats placés en tête de classement sont assurés de J'appoint des gros bataillons de la case
de tête ... ; on a dit que c'étaient des élus à vie'' (ibidem).
(90) En recourant éventuellement au système des ''polis •·
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 451

permette aux candidats les mieux placés sur la liste de puiser dans le pot plus
de voix que leurs coreligionnaires. Il faut également revoir les mécanismes de
financement des partis politiques aux fins d'assurer une répartition équitable des
moyens publics et d'éviter que les candidats plus fortunés puissent s'assurer une
propagande plus efficace>> (La démarche citoyenne, Bruxelles, Labor, 1998, p. 38).

Le gouvernement VERHOFSTADT s'est engagé à supprimer certains


effets de la dévolution des voix exprimées en case de tête : seule la
moitié du nombre des voix favorables à l'ordre de présentation
seraient ainsi répartis (l. 26 juin 2000 pour les élections commu-
nales, provinciales et européennes).

476. - La technique de la représentation proportionnelle peut


paraître simple dans le mode de répartition des sièges qu'elle pro-
pose.
En quelques opérations, les scrutateurs réunis, au soir d'élections
générales, en <~ bureau électoral f> pourront assurer la répartition des
sièges entre les listes et entre candidats en présence, en fonction du
nombre de voix exprimées. A eux de dénombrer les suffrages vala-
blement exprimés; à eux aussi de déterminer le <~ quotient électoral >>
valable dans l'arrondissement (en divisant le chiffre des suffrages
exprimés en faveur des différentes listes et des différents candidats
par le nombre de sièges à pourvoir); à eux, encore, de répartir les
sièges entre les différentes listes (en divisant le nombre de suffrages
accordés à chaque liste par ce quotient électoral). Quelques opéra-
tions d'arithmétique élémentaire devraient suffire ...
A procéder ainsi, le bureau électoral risque de faire œuvre inutile.
Car comment, par ces opérations, attribuer tous les sièges à pour-
voir? Chaque formation politique peut, à raison du nombre de voix
qu'elle a récoltées, revendiquer à coup sûr un certain nombre de
sièges. Mais que faire des <~ sièges restants f)? Chaque liste dispose
d'un << reste de voix f) qui lui donne droit à prétendre obtenir un ou
plusieurs sièges supplémentaires ...
Faut-il attribuer les sièges restants selon la technique du <~plus
grand reste >> : le siège est attribué à la liste qui, après une première
répartition, compte le plus grand nombre de suffrages restants?
Faut-il plutôt recourir à la technique de <~ la plus forte moyenne f> :
le siège est attribué à la liste dont les candidats ont proportionnelle-
ment recueilli le plus grand nombre de suffrages? Faut-il encore
préférer la technique de l'apparentement : le siège est attribué à la
452 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

liste qui, à un échelon géographique plus vaste, a obtenu les plus


grands restes ?
Le Code électoral s'efforce de répondre à ces questions en preCI-
sant le système D'Hondt, encore appelé système Jefferson. Chaque
liste (91) obtient autant de sièges que son chiffre électoral - soit le
total des bulletins favorables à cette liste (Code él., art. 166) -
comprend de fois le diviseur électoral. Celui-ci s'obtient en divisant
<~successivement par 1, 2, 3, 4, 5, etc. le chiffre électoral de chacune
des listes ~> et en rangeant <~ les quotients dans l'ordre de leur impor-
tance jusqu'à concurrence d'un nombre total de quotients égal à
celui des membres à élire ~>; <~ le dernier quotient sert de diviseur
électoral~> (Code él., art. 167, al. pr et 2).

Un exemple illustre la portée de la règle. Soit l'arrondissement de


Neufchâteau-Virton qui est appelé à désigner deux représentants et
où les résultats suivants ont été enregistrés, lors des élections géné-
rales du 17 avril 1977 :
Liste 2 (PSC) : 29.044 voix
Liste 3 (PRLW) : 12.709 voix
Liste 9 (PSB-RW) : 13.243 voix
Le diviseur électoral s'obtient comme suit

PSC PRLW PSB-RW


1 29.044 (I) 12.709 13.243
2 14.522 (Il) 6.355 6.622
3 9.681 4.236 4.414

La liste 2 obtiendra deux sièges, les listes 3 et 9 n'en obtiennent


aucun.
Le système D'Hondt présente un avantage technique : l'une des
listes en concours va, en toutes circonstances, utiliser à plein les
voix qui lui ont été allouées; par contre, il n'empêche pas que des
restes importants de voix soient inutilisés par les autres listes. Le
système D'Hondt présente aussi un avantage politique : d'expé-

(91) Selon le système décrit, toutes les listes en présence participent à la distribution des
sièges. Le droit belge ne connaît pas la formule du « seuil électoral '' qui conduit à écarter de l' opé-
ration de répartition des mandats les listes qui n'ont pas obtenu, soit dans un arrondissement
électoral, soit dans l'ensemble du pays, un nombre minimum de voix.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 453

rience, il permet de réaliser un parallélisme assez exact entre le


nombre de voix recueillies et le nombre de sièges attribués.
477. - 3. Les affinements de la représentation proportionnelle. Le
système qui vient d'être décrit peut paraître inspiré par des préoc-
cupations profondes de justice électorale. Il n'empêche que, dans
chaque arrondissement, nombre de voix exprimées, spécialement
celles des petites formations politiques, ne sont guère utilisées pour
la dévolution des sièges à pourvoir. Ne serait-il pas possible d'affi-
ner encore les techniques de représentation pour conférer quelque
usage aux voix restantes? Le Code électoral n'ignore pas cette
préoccupation.
Le système défini aux articles 169 et suivants est, en effet, assorti
d'une importante exception, là où les listes en présence dans plu-
sieurs arrondissements d'une même province ont eu recours, avant
les élections, au mécanisme de l'apparentement.
Dans cette hypothèse la répartition des sièges va s'opérer en trois
étapes successives.
Il est, d'abord, procédé à une première attribution des sièges aux
différentes listes de chacune des circonscriptions : un diviseur électo-
ral est déterminé par circonscription; il s'obtient en divisant le
nombre total des votes valables qui ont été émis par le nombre total
de sièges à pourvoir. Chaque liste recueille autant de sièges que son
chiffre électoral contient de fois le diviseur électoral.
En deuxième lieu, il est procédé à une attribution complémentaire
de sièges aux listes apparentées, et cela en fonction à la fois de leur
chiffre électoral provincial et du nombre de sièges qu'elles ont déjà
obtenus à l'échelon de la province (92) : le bureau central provincial
divise successivement le chiffre électoral de chaque groupe de listes
apparentées par le nombre de sièges que le groupe a obtenus,
majoré successivement de 1, 2, 3, 4, 5, etc.; <~le bureau range les
quotients dans l'ordre de leur importance jusqu'à concurrence d'un
nombre égal à celui des mandats disponibles; chaque quotient utile
détermine en faveur du groupe ou de la liste qu'il concerne l'attribu-
tion d'un siège complémentaire>> (Code él., art. 170, al. 5).

(92) Le bureau provincial écarte de la répartition complémentaire les listes qui n'auraient
obtenu dans aucune circonscription une fraction locale égale à 0,33. La fraction locale se calcule
en divisant le chiffre électoral de la liste par le nombre de sièges obtenus plus un (Code él.,
art. 169, al. 2).
.....
0<
Chambre Province de Luxembourg
.....

J.Vombre de Nombre N °'":~re 1 Nombre


de steges de steges
" Bl ancs B u ll etms
.
.~
Diviseur8 Groupe A - Groupe B - Groupe C - . , l
Arrondissements sièges à de votes
électoraux Li8te 2 P.S.C. Liste 3 P.R.L. W. Liste 9 P.S.B.R. W. lacquts a restant à 1 et nuls 1 déposés
conférer valables premzere ,
repartition conferer

Chiffres Quotients 1 Chiffres 1 Quotients 1 Chiffres 1 Quotients


électoraux 1 électoraux 1électoraux 1électoraux 1électoraux 1électoraux

Arlon-Marche- t"'
68.759 22.919 30.636 1336 17.768 0,775 0,887 7.799 76.558 1
Bastogne 20.355 _l t>:l
Neufchâteau- Virton 54.9H6 27.498 29.044 1.056 12.709 0.462 13.243 0,481 5.321 1 60.317 w
"'i
0
Totaux 123.755 59.680 30.-t-ïï 0 33.598 1 13.120 1 136.875 1 cj
<:
Chiffre.s électoraux pro\'inciaux 59.680 30.477 33.598 0
....,
:Nombre de sièges arfJuis à la première répartition 0 0 ~
w
Quotients électoraux provinciaux 3) 19.893 III 1) 30.477 II 1) 33.598 "i
t>:l·
4) 14.920 2) 15.238 2) 16.799 tj
t>:l-
~
Fractions locales >
cj
~
Arlon~ Marche- Bastogne 0.668 0.775 II 0,887
Neufchâteau- Virton 0.528 III 0.462 0,481

Attribution des sièges

Arlon-Marche-Bastogne 1+0 =1 0 + 1 =1 0 + 1 =1
Xeufchâteau- Virton 1+ 1 =2 0+0=0 0 +0= 0

Totaux 2 + 1 =3 0 + 1 = 1 0 + 1 =1
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 455

Enfin, il est procédé à la désignation des circonscriptions où les


listes formant groupe obtiendront le ou les sièges complémentaires
qui leur reviennent (Code él., art. 171) : c'est dans l'ordre d'impor-
tance des quotients utiles que cette détermination s'accomplit, en
tenant compte de l'importance respective des restes au sein de cha-
que groupe de listes (93).
Un exemple illustre cette importante exception. Soit les arrondis-
sements d'Arlon-Marche-Bastogne et de Neufchâteau-Virton, dans
la province du Luxembourg, où trois groupes de listes apparentées
s'étaient présentés aux suffrages des électeurs en avril 1977 et où
cinq sièges sont à attribuer. Deux d'entre eux (un dans chaque
arrondissement) seront dévolus à l'occasion d'une première réparti-
tion, trois le seront à l'échelon provincial.
478. - Il convient de souligner l'influence des choix que la
Constitution a opérés en matière électorale sur le fonctionnement
des partis politiques.
Le scrutin de liste confère aux états-majors de parti un rôle essen-
tiel dans la désignation des élus. La confection des listes de candi-
dats à laquelle les citoyens ne sont pas appelés à participer, à moins
qu'ils ne soient affiliés à un mouvement politique, devient une opé-
ration déterminante dans le choix des représentants de la Nation.
La représentation proportionnelle a, selon l'expression consacrée,
un effet multiplicateur sur le nombre des formations politiques. Elle
favorise l'émiettement des partis. Elle encourage les divisions et les
dissidences. Elle ne fait pas obstacle à l'apparition de formations
qui n'ont qu'une implantation locale ou régionale. Le résultat ne
s'est pas fait attendre : sans même comptabiliser les parlementaires
dits indépendants, il y a place pour onze partis distincts à la
Chambre des représentants; les gouvernements sont au minimum
quadripartites; le parti le plus important, le VLD, ne recueille, aux
élections du 13 juin 1999, que 23 sièges sur 150 à la Chambre.
Le tour unique de scrutin conduit les partis politiques à mener une
campagne électorale durant laquelle ils s'attachent à convaincre la
plus grande part de l'opinion publique. Ceci les amène à souligner
les oppositions qui existent entre eux plutôt qu'à rechercher les

(93) Le désavantage du système est qu'il introduit, comme dit P. WIGNY (op. cit., p. 440),
«une instabilité artificielle dans la représentation parlementaire>>. Dans le cadre d'une province,
écrit justement l'auteur, le dernier siège acquis par une liste sera, d'élection en élection, attribué
tantôt à un arrondissement, tantôt à un autre (Chroniques de crise, pp. 61 et 183).
456 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

convergences. Au lendemain des élections, il s'agit de panser les


plaies et il revient à un certain nombre d'entre eux de renouer les
contacts qui serviront à composer le gouvernement fédéral. La
durée des crises est tributaire de ces comportements électoraux.

B.- Le Sénat
479. - Aux termes de l'article 67, § l er, de la Constitution le
Sénat se compose de << . . . sénateurs élus conformément à l'ar-
ticle 61... >> (art. 67, § pr, P et 2), de << ... sénateurs désignés par le
Conseil de la Communauté flamande, dénommé Conseil flamand, en
son sein ... , par le Conseil de la Communauté française, en son sein ... ,
par le Conseil de la Communauté germanophone en son sein >>
(art. 67' § l er, 3° à 5°) et de (( sénateurs désignés )) par les autres
membres du Sénat (art. 67, § pr, 6° et 7°).
Selon l'article 72, << les enfants du Roi ou, à leur défaut, les des-
cendants belges de la branche de la famille royale appelés à régner,
sont de droit sénateurs à l'âge de dix-huit ans ... >>.
Il résulte de ces deux dispositions que le Sénat compte quatre
catégories distinctes de membres. On les cite d'ordinaire sous les
appellations suivantes : les sénateurs élus directs, les sénateurs com-
munautaires, les sénateurs cooptés et les sénateurs de droit. Seule
la première catégorie retient, pour l'instant, l'attention.
480. - Le Sénat se compose, pour une première part, << de séna-
teurs élus conformément à l'article 61 >> de la Constitution (art. 67,
§ l er, l et 2°), soit d'élus directs.
0

L'élection directe concerne quarante sénateurs sur septante et un.


Vingt-cinq d'entre eux sont élus sans intermédiaire par les électeurs
qui sont âgés de dix-huit ans accomplis et qui ressortissent au col-
lège électoral néerlandais. Quinze autres sont élus par les citoyens
qui relèvent du collège électoral français (94).
Nul sénateur germanophone n'est choisi de cette manière. Nulle
représentation n'est garantie aux électeurs de l'un et de l'autre col-

(94) « La proportion de vingt-cinq à quinze ne correspond pas au rapport numérique entre les
deux groupes qui servent de soutènement aux collèges néerlandais et français ... La règle d'égalité
dans la comptabilisation des suffrages a été corrigée, ici, au profit du collège néerlandais» («Les
autorités fédérales>>, op. cit., p. 12).
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 457

lèges qui sont domiciliés dans la Région bruxelloise (95). L'observa-


tion prévaut, même s'il est vraisemblable que les formations politi-
ques veilleront à placer en ordre utile des candidats qui appartien-
nent à ces deux collectivités politiques.
481. - Les exigences de la nationalité, de la dignité, de l'âge
(21 ans) et de la domiciliation en Belgique requises pour être éligible
à la Chambre des représentants (art. 64) sont applicables pour
l'élection directe des sénateurs. Ceux-ci, comme les députés, ne peu-
vent être en même temps membres d'un parlement de communauté
ou de région (art. 119).
Trois traits différencient l'élection directe des sénateurs et celle
des députés.
L'un relève de l'arithmétique. Le nombre des sénateurs élus directs
est de 40. Si l'on considère que le même corps électoral choisit 150
députés et 40 sénateurs, il faut admettre qu'un candidat doit obte-
nir plus du triple de voix pour accéder à une fonction au Sénat que
pour être élu à la Chambre des représentants. A moins d'être solide-
ment implantées dans une circonscription électorale, les petites for-
mations politiques ont moins de chance d'être présentes au Sénat
qu'à la Chambre. De là, les discordances qui s'établissent parfois
entre la force numérique des partis dans l'une et l'autre assemblées.
Ainsi, à l'issue des élections du 1er juin 1958, le parti social-chrétien
ne disposait d'une majorité que dans le seul Sénat.
Une autre différence est d'ordre territorial. Deux circonscriptions
seulement sont organisées pour l'élection directe des sénateurs. Elles
servent, comme à l'occasion des élections européennes, à choisir les
élus de l'un et l'autre collèges. Cette solution n'est pas applicable
pour le choix des députés (20 circonscriptions sont organisées à ce
niveau).
Le troisième trait est plus significatif. Tous les membres de la
Chambre des représentants tiennent leurs Jonctions d'une élection
directe. Seule une part des sénateurs sont choisis par le corps électo-

(95) Un correctif est inscrit dans l'article 67, § 2 de la Constitution : ''si quatre au moins des
sénateurs visés au § 1'"', 2" (soit les sénateurs élus directement par le collège français) ne sont pas
domiciliés, le jour de leur élection. dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, au moins deux
des sénateurs visés au§ 1''', 4" (soit les sénateurs communautaires) doivent être domiciliés, le jour
de leur élection, dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale>>. De la même façon, un sénateur,
au moins, membre du groupe linguistique néerlandais est domicilié au jour de son élection dans
la région bilingue de Bruxelles-Capitale (voy. F. DELPt<:r<~~E, ''Les institutions>>, in La Belgique
fédérale, 1994, p Ill).
458 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

ral : les autres sont choisis par les parlements de communauté, par
les sénateurs eux-mêmes ou encore par la Constitution. Ce mode
particulier d'élection confère-t-il aux sénateurs élus directs des res-
ponsabilités particulières? On pourrait en douter. Ils ne composent
pas une assemblée particulière au sein du Sénat. Il n'empêche. Avec
les sénateurs communautaires, les sénateurs élus au premier degré
seront investis de la responsabilité de choisir les sénateurs cooptés
et de compléter ainsi la composition de l'assemblée dont ils font
partie.

C. - Les assemblées des collectivités locales


482. - La Constitution le veut ainsi. Les membres des conseils
communaux, des conseils provinciaux, des conseils de district ainsi
que, sur papier, du conseil de l'agglomération bruxelloise doivent
être désignés selon le procédé de l'élection directe (art. 41, al. 2 et
3, 162, al. 2, 1°, et 165, § 1er, al. 1er, in fine).
La loi fédérale s'attache à préciser les modalités de cette élection.
C'est le système de la représentation proportionnelle qui prévaut
(loi électorale communale, art. 56; loi organique des élections pro-
vinciales, art. 19; NLC, art. 331, §1er; loi organisant les aggloméra-
tions et les fédérations de communes, art. 28, § 2).
Encore convient-il de remarquer que le système D'Hondt qui est
retenu, dans son principe, pour la répartition des sièges entre les
listes en concours peut subir ici quelques correctifs. Ainsi la loi élec-
torale communale prescrit de rechercher le quotient électoral en
divisant le chiffre électoral de chaque liste successivement par 1; 1
1/2; 2; 2 1/2; 3 ... pour obtenir un nombre de quotients égal au
nombre de mandats à pourvoir (art. 56) : le système avantage les
listes les mieux pourvues et renforce les majorités.

§ 3. - L'élection médiate

A. - L'élection des collèges exécutifs


483. - La procédure de l'élection médiate peut se donner une
première justification. Il s'agit de composer, au départ de l'assem-
blée élue d'une collectivité politique, une autre autorité de cette
même collectivité, de l'établir par la technique de l'élection et de lui
conférer des fonctions exécutives. Dans cette perspective, collège
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 459

électoral et autorité élue sont les organes distincts d'une même per-
sonne juridique. Mieux encore : ils peuvent se recouvrir pour partie.
L'autorité élue est choisie au sein de l'assemblée. Organiquement,
elle en émane. Fonctionnellement, elle en dépend- soit qu'elle ait
charge de procurer exécution à ses décisions, soit qu'elle ait à lui
rendre compte de sa gestion - .
L'élection des échevins et celle des députés permanents se réali-
sent selon ces modalités : dans la commune, les échevins (dont le
nombre peut varier de deux à dix) sont élus au scrutin secret par
le conseil communal et en son sein (96); dans la province, les
députés permanents (dont le nombre est de six) sont élus par le
conseil provincial et en son sein.
Cette élection permet, au moins en principe, d'harmoniser les
actions de l'autorité délibérante et de l'autorité exécutive.

B. - L'élection «au second degré»


484. -- L'assemblée délibérante d'une collectivité politique peut
être appelée à composer un collège électoral restreint. Celui-ci a la
responsabilité de choisir, en lui même ou ailleurs, ceux qui siégeront
dans une autre assemblée, celle d'une collectivité politique distincte.
L'élection s'opère à deux degrés distincts : les élus sont choisis
par les élus du suffrage universel. Elle conduit surtout à composer
les autorités qui s'agencent à deux étages distincts : la seconde
assemblée n'émane pas de la première; tout - le statut comme les
responsabilités - différencie leurs membres.
L'organisation du Sénat illustre, pour partie, ce phénomène.
Conçu, au départ, comme un corps totalement électif dont les
membres étaient, pour huit ans, choisis par le suffrage direct, le
Sénat voit modifier sa composition à la faveur des révisions de 1893,
1921 et 1993. Pour une part au moins, il est appelé à devenir<< l'as-
semblée des élus des élus>). L'instauration, hier, des sénateurs pro-
vinciaux, et aujourd'hui, des sénateurs communautaires répond à
cette préoccupation.

(96) Par dérogation à ce principe, les échevins des communes périphériques visées à l'article 7
des lois sur l'emploi des langues en matière administrative et des communes de Comines-Warne-
ton et de Fourons sont élus directement par l'assemblée des électeurs communaux (NLC, art. 15,
§ 2).
460 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Les sénateurs communautaires sont choisis par les parlements de


communauté, soit par des autorités constituées dans des collecti-
vités fédérées. Ils exerceront pourtant des responsabilités dans une
assemblée qui est, pour sa part, celle de l'Etat fédéral. En vertu de
l'article 42 de la Constitution, ils y sont les représentants de la
Nati on. Ils siègent au Sénat au même titre que leurs collègues élus
selon d'autres modalités.
Ces sénateurs communautaires sont au nombre de dix pour cha-
cune des Communautés française et flamande (art. 67, §1er, 3° et
4°). Un vingt et unième est choisi par le Conseil de la Communauté
germanophone (art. 67, § 1er, 5°). Les vingt et un sénateurs commu-
nautaires sont choisis parmi les membres de l'assemblée qui les élit.
Ils sont choisis << en son sein »). Il y a lieu, en l'occurrence, de respec-
ter autant que faire se peut les règles de la représentation propor-
tionnelle, selon les modalités déterminées par la loi fédérale (art. 68,
§ pr, et C. El., art. 211) (97) - mais une loi spéciale peut détermi-
ner la liste des modalités de cette élection qui peuvent être réglées
par un décret spécial (art. 68, § 3, al. 2) - .
L'élection de sénateurs communautaires ménage une forme de
dédoublement fonctionnel. Les réformes constitutionnelles interve-
nues en 1970 avaient organisé de manière systématique le cumul des
mandats national, communautaire et régional. Cette solution est,
pour une part, récusée en 1993. Elle est pourtant maintenue pour
les vingt et un sénateurs communautaires. Ceux-ci exercent simulta-
nément leurs fonctions dans l'assemblée communautaire, dans l'as-
semblée régionale dont ils sont originaires et dans l'assemblée séna-
toriale.

C. - La cooptation
485. - L'organisation du Sénat répond encore à une autre
préoccupation. Les sénateurs cooptés sont élus par un collège électo-
ral restreint composé des sénateurs élus directs et des sénateurs
communautaires.
Pour compléter le groupe linguistique néerlandais du Sénat, les
vingt-cinq sénateurs élus directement par le collège électoral néer-

(97) '' Les sénateurs de communauté ne représentent pas les coalitions politiques établies au
sein de leur conseil puisque leur désignation se fera en fonction du résultat des élections directes
des 40 sénateurs» (P. VANDERNACHT en J. VAN NIEUWENHOVE, op. cit., p. 77).
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 461

landais et les dix sénateurs communautaires élus par le Parlement


flamand choisissent six sénateurs supplémentaires. Le groupe se
compose donc de quarante et un sénateurs. L'un d'eux au moins
doit être domicilié, au jour de son élection, dans la région bilingue
de Bruxelles-Capitale; peu importe la catégorie de sénateurs dont il
relève.
Pour compléter le groupe linguistique français du Sénat, les quinze
sénateurs élus directement par le collège français et les dix sénateurs
communautaires élus par le Parlement de la Communauté française
procèdent à la cooptation de quatre collègues. Le groupe linguistique
français compte donc vingt-neuf membres. Six d'entre eux au moins
doivent, au jour de leur élection, être domiciliés dans la région bilin-
gue de Bruxelles-Capitale.
Dans l'esprit de la Constitution, révisée sur ce point le 15 octobre
1921, des places devaient être réservées à des personnalités émi-
nentes dans les domaines de la science, de l'administration ou de
l'économie - des personnes qui n'auraient, comme l'écrit A. Es-
MEIN, <<ni le goût, ni la possibilité de briguer une élection locale, et
dont les lumières ou les talents seraient précieux dans la Haute
assemblée f) (98) - . La manière dont sont sélectionnés les sénateurs
cooptés ne favorise guère ce type de démarche. Comme le veut le
règlement du Sénat (voy. aussi les art. 218 à 221 C. El.), les candi-
dats sont << présentés f> par les groupes politiques : si leur nombre
équivaut à celui des mandats à conférer, ils sont proclamés élus;
sinon, il y a élection.
Les groupes politiques sont maîtres de l'opération. Ils peuvent
être tentés d'utiliser la cooptation, moins comme l'opération qui
apporterait au Sénat le concours de personnalités indépendantes
que comme celle qui permet de récompenser ou de récupérer les ser-
viteurs de l'une ou de l'autre formation politique (99).

SECTION III. - LES PROCÉDURES MIXTES

486. - Les autorités désignées sont choisies selon des techniques


de caractère autoritaire. Les autorités élues le sont selon des procé-

(98) Op. cit., p. 725.


(99) L'idée d'une élection ''à un troisième degré>> (R. SENELLE) est inexacte. La cooptation
ne réalise pas une élection à trois étages distincts.
462 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

dures de type démocratique. L'antinomie paraît totale entre ces


deux modes de sélection des autorités publiques. Mais, dans un sys-
tème constitutionnel, il y a place pour des procédures mixtes qui
s'attachent à conjuguer, selon des modalités diverses, désignation et
élection.
Des désignations sont effectuées. Cette prérogative - on l'a indi-
qué - revient normalement au pouvoir constituant ou au pouvoir
exécutif fédéral. Mais un aménagement de ces techniques de dési-
gnation n'est-il pas concevable (§ l er)? Les élus ne peuvent-ils être
associés à pareilles procédures ?
Tantôt il revient à quelques élus (A) d'assurer eux-mêmes des
désignations. Tantôt il appartient aux assemblées (B) d'agir de la
même manière. Tantôt encore il est question de les associer, via des
procédures de présentation (C), à la réalisation de désignations.
Des élections ont lieu. Elles ont normalement pour objet de choi-
sir les personnes qui président aux destinées d'une collectivité. Mais,
ici aussi, un aménagement de ces techniques d'élection est conce-
vable (§ 2). Les élus pourront être utilisés à d'autres fins.
Ils pourront être nommés pour exercer d'autres responsabilités
dans la même collectivité (A). Ils pourront être choisis pour exercer
des charges électives (B).
Les mécanismes auxquels il est fait référence peuvent paraître
complexes. Ils peuvent sembler résulter d'un défaut de conception
dans l'aménagement des institutions publiques. Ils peuvent donner
à penser que le cumul des fonctions, plus encore le dédoublement
des responsabilités, devraient, dans la mesure du possible, être
évités.
Ces combinaisons institutionnelles peuvent aussi procéder d'un
choix délibéré. Aux fins de coordonner l'action de plusieurs auto-
rités publiques et, au-delà d'elles, celle des collectivités politiques
dont ils assument les responsabilités, des institutions sont mises en
place qui font appel aux mêmes personnes, et aux mêmes élus, pour
assurer des responsabilités distinctes.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 463

§ 1er. - L'aménagement des techniques de désignation

A. - Les désignations opérées par des élus


487. - Les collèges exécutifs des collectivités locales sont, en
règle générale, élus. La majorité qui s'est révélée au sein de l'assem-
blée délibérante impose, en fait, ses candidats; elle se trouve seule
représentée au sein du collège issu de l'élection médiate. Cette
conception prévaut d'ordinaire. Elle préserve l'unité d'action du
collège exécutif et est garante de l'efficacité de ses interventions.
Il est parfois suggéré d'apporter des tempéraments à cette règle.
Dans une collectivité politique, l'opposition au sein de l'assemblée
ne gagnerait-elle pas à être associée aux responsabilités du pouvoir
exécutif? Ne serait-il pas opportun d'instaurer des <<gouvernements
d'union locale >>? Si l'on retient cette conception particulière de l'or-
ganisation des pouvoirs, force est de recourir, pour la composition de
l'exécutif, aux règles de la représentation proportionnelle : chacune
des formations politiques va, à la mesure de sa force, être associée
aux responsabilités de l'exécutif.
Une difficulté technique peut surgir. Qui, en l'espèce, sera habilité
à choisir les délégués d'une formation? L'assemblée élue - mais
celle-ci pourrait, à la majorité, être tentée par des manœuvres de
diversion -? L'assemblée élue sur présentation des groupes politi-
ques constitués en son sein? Ou, de manière plus directe, les groupes
politiques eux-mêmes? C'est cette dernière solution qu'utilise la loi
du 26 juillet 1971 (art. 38) pour l'organisation, sur papier, de l'exé-
cutif de l'agglomération bruxelloise (100).
De ce fait, l'assemblée est privée du droit d'élire les membres d'un
collège qui seront, cependant, choisis en son sein. L'élection cède ici
le pas à la désignation. Elle est le fait des élus des divers groupes
politiques. A travers leur intervention, les partis se voient recon-
naître le droit de procéder à la désignation directe de leurs élus pour
occuper, dans une collectivité, des fonctions exécutives.
L'opportunité de pareilles désignations n'est pas établie. La
représentation proportionnelle peut, à ce niveau, paraître artifi-
cielle. Elle peut aussi être vidée de sa signification si la majorité du
collège exécutif prive les membres des formations d'opposition d'at-
tributions effectives.

( 100) Chroniques de crise, p. 174.


464 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

B. - Les désignations opérées par des assemblées

488. - D'autres désignations interviennent. Elles ne sont pas le


fait de quelques élus, mais celui des assemblées qu'ils composent.
Plusieurs préoccupations peuvent s'exprimer ici.
Il peut s'agir pour les élus de la Nation d'opérer les désignations
qui préserveront la continuité du fonctionnement de l'Etat, et spé-
cialement celui de la fonction exécutive. Lorsque l'exercice des res-
ponsabilités conférées par la technique de l'hérédité est entravé, il
leur revient de lever les obstacles au fonctionnement normal des ins-
titutions. Si l'occasion s'en présente, les Chambres réunies sont
appelées à nommer un régent (art. 92 et 93), un tuteur (art. 92) et,
au besoin, un nouveau monarque en choisissant une nouvelle dynas-
tie (art. 95).
Le Congrès ne procède ni a une élection au second degré, ni à une
cooptation : l'autorité désignée peut ne pas sortir de ses rangs; elle
ne complète pas l'autorité élue; elle ne procède pas, même indirecte-
ment, du suffrage universel - encore que le choix d'une nouvelle
dynastie ne puisse être, aux termes de l'article 95 de la Constitu-
tion, que le fait des Chambres intégralement renouvelées - .
Il peut s'agir aussi pour les membres d'une assemblée délibérante
de procéder aux désignations qui permettront le plein exercice par
l'assemblée de ses propres responsabilités. Chaque assemblée orga-
nise ses services administratifs et pourvoit aux postes qu'elle crée
par des nominations appropriées (n" 534).
Il peut même s'agir pour les membres d'une assemblée élue de
nommer ceux qui composeront des institutions qui, organisées par
la Constitution, par une loi ou par un décret, sont associées aux res-
ponsabilités de l'assemblée : ainsi <<les membres de la Cour des
Comptes>> (art. 180, al. 1er) sont nommés, pour six ans, par la
Chambre des représentants; le président de la Commission perma-
nente de contrôle linguistique est désigné par la même autorité (lois
coord. sur l'emploi des langues en matière administrative, art. 60,
§ 3); les membres de la Commission nationale permanente du pacte
culturel sont désignés pour quatre ans par les parlements de commu-
nauté (loi du 16 juillet 1973, art. 22, al. 2); la moitié des membres
du Conseil supérieur de la justice sont désignés, pour cinq ans, par
le Sénat (Const., art. 151, § 2, al. 2).
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 465

Comment, dans ce contexte, analyser la prérogative qui revient à


<~chacune des Chambres)) (art. 52) et à chacun des parlements de
communauté ou de région (loi spéciale du 8 août 1980, art. 33) (101)
de nommer son président et ses vice-présidents et de composer son
bureau? Faut-il y voir des nominations au sens propre du terme?
Les charges en question sont temporaires; elles sont conférées pour
la durée d'une session. Mieux vaut sans doute y voir des charges
conférées, pour un temps et selon une procédure d'élection interne,
à des membres de l'assemblée.

C. - Les désignations sur présentation


489. - Une nomination intervient. Elle est, comme il se doit, le
fait d'une autorité exécutive. Mais elle peut être subordonnée -
dans certaines circonstances - au respect d'une procédure de pré-
sentation : l'autorité qui nomme entend s'éclairer sur les mérites des
candidats.
Cette présentation peut émaner d'un collège administratif - le
conseil de direction d'un département ministériel, par exemple - .
Elle peut aussi être l'œuvre de l'institution qui accueillera la per-
sonne désignée (voy., par exemple, les dispositions de l'article 151,
§ 4, al. 3, de la Constitution qui habilitent la cour d'appel et la Cour
de cassation à donner un avis sur les candidats à un poste de magis-
trat dans ces juridictions). Elle peut encore émaner d'une institu-
tion, tel le Conseil supérieur de la justice, spécialement constituée à
cet effet (Const., art. 151, § 4, al. 2 et § 5, al. 2).
~·Les commissions de nomination (constituées au sein des collèges) sont com-
pétentes pour 1 o la présentation des candidats en vue d'une nomination comme
magistrat ... >) (art. 259bis-10, § l"'·, du Code judiciaire). Cette présentation doit
être motivée. Elle est formée par l'une des deux commissions compétentes de
nomination et de désignation - la francophone ou la néerlandophone -- à la
majorité des deux tiers. Elle doit être approuvée par le Conseil supérieur de la
justice.
La présentation n'a pas d'effet contraignant. Le roi ne se contente pas de
prendre acte d'une décision qui aurait été conçue entièrement en dehors de l'in-
tervention des autorités gouvernementales. Il peut refuser la présentation « selon
le mode déterminé par la loi et moyennant motivation >).
Selon J'article 259ter, § 5, du Code judiciaire, ~·le roi dispose d'un délai de
soixante jours pour prendre une décision ... En cas de refus motivé, la commis-

(101) L'article 33 de la loi spéciale du 8 août 1980 utilise à bon escient le terme d'élections.
466 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

sion de nomination dispose d'un délai de quinze jours pour procéder à une nou-
velle présentation».
Si aucun autre candidat n'est présenté dans le délai prescrit ou si le roi ne pro-
cède à nouveau pas à la nomination du candidat présenté dans les soixante
jours, un nouvel appel aux candidats est publié au Moniteur belge (<<Le statut
et la composition du Conseil supérieur de la justice >>, in Le Conseil supérieur de
la justice ... , 1999, p. 50).
Ces présentations peuvent aussi émaner d'assemblées élues (102).
Non qu'il revienne à des corps politiques de choisir des juges ou
qu'il leur appartienne de lier de manière décisive le pouvoir de nom-
mer du chef de l'Etat. Mais parce qu'elles sont à même de res-
treindre, dans une très large mesure, les possibilités de nommer. La
Chambre des représentants et le Sénat alternativement, agissent de
la sorte. Ils présentent au roi des candidats aux postes de juge à la
Cour d'arbitrage, de conseiller d'Etat et d'assesseur auprès de la
section de législation du Conseil d'Etat.

§ 2. -L'aménagement des techniques d'élection

A. -La désignation d'élus


490. - Voici une personne choisie pour exercer une fonction
élective : un conseiller communal, par exemple. Elle peut éventuel-
lement bénéficier, via une élection restreinte, d'une charge au sein
d'un collège exécutif : elle est, par exemple, choisie comme échevin.
Mais sa qualité d'élu du suffrage universel la place aussi dans une
autre position. Elle va figurer parmi les personnes qui pourront
faire l'objet d'une nomination aux fins d'exercer des responsabilités
particulières dans la collectivité politique concernée : elle peut, par
exemple, être nommée bourgmestre.
La Nouvelle loi communale retient cette technique pour la dési-
gnation du chef de l'administration communale. Elle renonce au
système de l'élection directe et médiate. Elle ne recourt pas non
plus au régime du fonctionnariat (103). Le roi nomme le bourg-
mestre; ille désigne, en pratique, en tenant compte de présentations
officieuses émanant des membres du conseil. Le roi ne pourrait

( 102) Il en va ainsi pour la nomination par le roi des membres de la Commission permanente
de contrôle linguistique, qui se fait sur présentation d'une liste triple par les différents conseils
de communauté (lois coord., art. 60).
(103) Sur les controverses que suscite l'instauration du bourgmestre-fonctionnaire, voy. les
travaux du C.E.R.E., La réforme de l'Etat, t. J''', p. 410.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 467

nommer le bourgmestre << hors du conseil >> que de l'avis conforme de


la députation permanente; il doit le choisir << parmi les électeurs de
la commune âgés de 25 ans accomplis>> (NLC, art. 13, al. 2).

B. - L'utilisation des élus


491. - Voici une personne choisie pour exercer la fonction déli-
bérante dans une collectivité donnée. Ne pourrait-elle être utilisée
pour assumer une autre fonction délibérante dans une autre collecti-
vité? .
L'on n'évoque pas ici le phénomène de cumul de candidatures qui
permettra, en fait, à une même personne de briguer et d'exercer plu-
sieurs fonctions électives, mais celui du dédoublement d'autorités et
de fonctions qui va conduire la Constitution ou la loi fédérale à
investir automatiquement une personne élue dans une assemblée
législative d'une fonction délibérante dans une deuxième. Dans ces
conditions, la qualité d'élu du suffrage universel confère d'office
titre pour siéger dans une pluralité d'assemblées.
Cette technique est utilisée pour composer les parlements de com-
munauté et de région. Ainsi les membres du Parlement wallon sont
membres du Parlement de la Communauté française; ils y siègent
à côté d'élus bruxellois. De cette manière, la loi permet de faire
l'économie d'un scrutin, elle instaure aussi - de manière organi-
que - une collaboration entre des collectivités distinctes.

BIBLIOGRAPHIE

La manière dont sont choisis les titulaires du pouvoir n'a pas fait l'objet d'études
d'ensemble, hormis celles qui sont reprises dans les ouvrages généraux de droit
public.
En ce qui concerne la désignation du roi, l'ouvrage fondamental est évidemment
celui d'André MoLITOR, La fonction royale en Belgique, Bruxelles, Ed. CRISP, 1994.
On consultera également :
C. KoNINCKX, Tout savoir sur le Roi en Belgique. Monarchie et fonction royale,
Bruxelles, Kluwer, 2000; J. DE MEYER,<< De monarchie in de moderne Staat >>,Res
Publica, 1967, p. 181; A. MoLITOR, <• Réflexions sur la fonction royale>>, in Nous, Roi
des Belges. 150 ans de monarchie constitutionnelle, Bruxelles, 1981, p. 13; A. VANWEL-
KENHUYZEN, V 0 <• Chef de l'Etat>>, R.P.D.B., 1977, Complément, t. V.

En ce qui concerne la nomination des ministres, voyez :


F. DELPÉRÉE, Chroniques de crise 1977-1982, Bruxelles, Ed. CRISP, 1983; J. GoL,
«Naissance et mort des gouvernements belges au XIX" siècle>>, Ann. Fac. Dr. Liège,
468 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

1966, p. 463; A. MAST, «La nomination et la révocation des ministres>>, J. T., 1949,
p. 649; F. SPAAK, «La nomination et la révocation des ministres. Le rôle du Premier
ministre>>, Rev. Uni v. Bruxelles, 1949, p. 70; B. WALEFFE, Le Roi nomme et révoque
ses ministres. La formation et la démission des gouvernements en Belgique depuis 1944,
Bruxelles, Bruylant 1972.

La nomination des magistrats a donné lieu à quelques études importantes. On


relève, en particulier,
C. CAMBIER, Droit judiciaire civil. Fonction et organisation judiciaires, deuxième
partie, titre II, Les magistrats, Bruxelles, Larcier, 1974, pp. 541 à 635; A. MAST,
<<L'indépendance des magistrats>>, J.T., 1946, p. 181; M. VERDUSSEN (dir.), Le
Conseil supérieur de la justice, Bruxelles, Bruylant, 1999.
Singulièrement, les techniques d'élection n'ont pas donné lieu à des études signifi-
catives, mis à part l'ouvrage classique de JoSEPH-BARTHELEMY (L'organisation du
suffrage et l'expérience belge, Paris, Giard et Brière, 1912) et les études plus récentes
de J. CADART (Les modes de scrutin des 18 pays libres de l'Europe occidentale. Leurs
résultats et leurs effets comparés. Elections nationales et élections européennes, Paris,
P.U.F, 1983). Adde : J.-M. CoTTERET et Cl. EMERI, Les systèmes électoraux, Paris,
PUF, 194, coll. Que sais-je 1, n" 1382; Les régimes électoraux des pays de l'Union euro-
péenne (dir. A. PANTELIS et S. KouTSOUBINAS, préface G. BRAIBANT), Londres, Espe-
ria, 1998, avec une contribution, pour la Belgique, de F. DELPÉRÉE et D. RENDERS.

Quelques travaux doivent encore être signalés :


J. GrLISSEN, Le régime représentatif en Belgique depuis 1790, Bruxelles, La Renais-
sance du Livre, 1958; Ch. GoossENS, <<Le bicaméralisme en Belgique», R.l.S.A.,
1951, p. 270; Ch. GoossENS, <<Le bicaméralisme en Belgique et son évolution>>, in
Liber amicorum F. Dumon, Anvers, Kluwer, 1983, p. 793; L. MouREAU et Ch. Goos-
SENS, <<L'évolution des idées concernant la représentation proportionnelle en Bel-
gique>>, R.D.I.D.C., 1958, p. 378; H. VAN IMPE, Le régime parlementaire en Belgique,
Bruxelles, Bruylant, 1968.
En ce qui concerne la révision constitutionnelle de 1993 et la réforme des assem-
blées législatives, voyez Je troisième chapitre de la« Bibliographie sélective '' effectuée
par F. MERCIER-NÉLISSE dans La Belgique fédérale (dir. F. DELPÉRÉE), Bruxelles,
Bruylant, 1994, pp. 508-511. Sur la réforme du Sénat, voy. notamment A. ALEN et
F. MEERSCHAUT, <<Le bicaméralisme belge, de la voie unitaire à la voie fédérale>>,
A.P. T., 1990, p. 132; E. CoLLA et J.-Cl. ScHOLSEM, <<La réforme du système bi camé-
rai belge de 1993 », A.P. T., 1993, p. 205; La réforme du Sénat, Bruxelles, Bruylant,
1990, et notamment l'étude de J. STENGERS (<• Les caractères généraux de l'évolution
du Sénat depuis 1831 >>).
CHAPITRE II
L'ORGANISATION DES POUVOIRS

492. - Les pouvoirs sont composites. Ils s'organisent au départ


de plusieurs éléments. Ils agissent en tenant compte de l'action
d'autorités distinctes.
Le pouvoir exécutif fédéral comprend le roi, les ministres, les
secrétaires d'Etat, ainsi que les services administratifs dont ils ont
la charge. Le pouvoir législatif fédéral se compose du roi, de la
Chambre des représentants et du Sénat. Le pouvoir juridictionnel
englobe la Cour d'arbitrage, la Cour de cassation, le Conseil d'Etat,
les cours et tribunaux, auxquels il convient d'adjoindre les juridic-
tions administratives, les tribunaux militaires, etc.
Ces éléments ne s'agencent pas pèle-mêle. Chaque pouvoir est
organisé selon des règles et des procédures qui lui sont propres.
Indépendamment même de la fonction à remplir, des principes d'or-
ganisation commandent la manière selon laquelle les autorités publi-
ques sont habilitées à intervenir.
On examine successivement les procédures de gouvernement
(no 493) qui caractérisent l'aménagement du pouvoir exécutif fédé-
ral, les procédures de délibération (no 523) qui singularisent l'agen-
cement du pouvoir législatif fédéral et les procédures juridiction-
nelles (n° 551) qui donnent aux autorités investies de la fonction de
juger leurs traits essentiels.

SECTION Ire. - LES PROCÉDURES


DE GOUVERNEMENT

493. - Le pouvoir exécutif fédéral est organisé. C'est au départ


d'autorités publiques distinctes, certes, mais qui ont toutes été
sélectionnées selon des techniques de désignation - hérédité ou
nomination -et qui, de surcroît sont toutes appelées, pour l'essen-
tiel, à concourir à l'exercice des fonctions de gouvernement. Un
trait caractérise ce pouvoir : l'unité dans l'action - qui trouve son
expression symbolique dans la personne du roi-; à lui<< appartient
470 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

le pouvoir exécutif fédéral, tel qu'il est réglé par la Constitution ))


(art. 37).
La préoccupation de préserver l'unité du pouvoir exécutif fédéral
conduit à mettre en place des procédures spécifiques. Le roi doit agir
avec le contreseing d'un ministre (§ 1er) : le principe (A), les moda-
lités (B) et les effets (C) de cette règle constitutionnelle sont ana-
lysés. Le Premier ministre, les ministres, les secrétaires d'Etat doi-
vent faire preuve de solidarité dans la conduite de l'action gouver-
nementale (§ 2) : le principe (A) est rappelé, ainsi que ses limites
(B); les instruments (C) de solidarité sont, par la même occasion,
inventoriés. Les relations entre le roi et les autres membres du pou-
voir exécutif doivent être entourées de discrétion (§ 3) : le principe
vaut pour les travaux des ministres (A); il s'étend aux entretiens du
chef de l'Etat (B); il faut préciser la portée de cette norme (C).
Ces règles ne suffisent pas à caractériser l'action du pouvoir exé-
cutif fédéral - le principe de la responsabilité ministérielle, par
exemple, n'est pas évoqué pour l'instant - . Mais elles précisent les
conditions dans lesquelles ce pouvoir intervient et la manière dont
il conçoit, de l'intérieur, son organisation pour faire face aux mis-
sions qui lui sont spécifiques.

§ 1er. - La règle du contreseing ministériel

A. - Le principe
494. - <<Le roi ne peut agir seul)). Cette maxime reçoit une signi-
fication précise. Tout acte, toute parole, toute attitude, tout écrit du roi
qui est susceptible d'avoir une incidence politique requiert l'accord d'un
ministre (ou d'un secrétaire d'Etat).
L'article 106 de la Constitution exprime cette règle dans les
termes suivants : <<Aucun acte du roi ne peut avoir d'effet s'il n'est
contresigné par un ministre ... )). Cette disposition a pu, un temps,
être interprétée comme prescrivant une simple condition de forme :
l'obligation pour un ministre d'authentifier la signature apposée au
bas d'un acte du roi, l'engagement aussi d'assurer l'exécution de la
décision exprimée par écrit. Elle est apparue, très vite, comme
imposant aussi une condition de fond : l'obligation pour un ministre
d'intervenir conjointement avec le roi pour tout acte - positif ou
non, écrit ou non, dans l'ordre national ou non ... - que le chef de
l'Etat est appelé à accomplir.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 471

La justification de la règle est claire. L'Etat belge s'est doté d'un


régime monarchique (n° 428). Celui-ci soustrait la fonction royale à
des remises en question périodiques; il confère à son titulaire -
pour la durée du règne - le bénéfice de la stabilité; il le fait échap-
per au contrôle direct des assemblées politiques. Mais, en même
temps, l'Etat fédéral est pourvu d'un régime de type parlementaire,
dans lequel tout acte d'une autorité publique, a fortiori du roi, doit
pouvoir être soumis à critique et à contrôle. Pour concilier ces deux
principes (1), il faut empêcher le roi d'agir seul; il faut aussi dési-
gner un responsable. Un ministre remplit cet office.

B. -La mise en œuvre


495. - Le principe est simple. Son application, par contre, a
plus prêté à discussion. Quels sont les actes du roi qui peuvent, à
un moment donné, avoir une incidence politique? Tous, en prin-
cipe : un voyage, une rencontre, une parole, une initiative, un
silence ... La généralité de cette règle n'a pourtant été découverte
que progressivement. Trois questions ont, en particulier, retenu l'at-
tention.
496. - l. Le roi nomme les ministres (art. 96, al. Pr). A cette
occasion, il n'agit pas seul (voy. no 448). Mais les démarches qu'il
accomplit au cours d'une crise, les initiatives qu'il prend pour la
dénouer, les consultations qu'il suscite ne s'inscrivent-elles pas, dans
le moment, sur fond d'irresponsabilité? Durant la crise, et aux fins
de combler cet hiatus, le roi veille à maintenir le contact avec le
Premier ministre démissionnaire pour faire couvrir les actes qu'il est
amené à accomplir.
497. - 2. Le roi a le droit de remettre ou de réduire des peines
prononcées par les juges (art. llO). Il a le droit de grâce. Mais l'exer-
cice de la clémence ne relève pas d'une prérogative qui reviendrait
personnellement au roi. Le droit est à mettre en œuvre avec le
concours d'un ministre, normalement celui de la justice, qui répon-
dra de la politique suivie en matière de réduction de peines devant

(1) Comme le relève, en 1949, la Commission instituée pour préciser les pouvoirs du roi, «le
Congrès national a concilié les avantages de la monarchie héréditaire avec la nécessité d'un pou-
voir responsable devant la nation souveraine, en établissant la règle de l'incapacité pour le roi
d'agir seul dans le domaine politique, celle de la responsabilité ministérielle et enfin celle de l'in-
violabilité de la personne du roi. Ces règles vont de pair et se justifient mutuellement» (Mon.
b., 6 août 1949, p. 7590).
------------------------

472 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

la Chambre des représentants. Les affaires VAN GLABBEKE, en 1948,


et STRUYE, en 1949, illustrent bien cet état de choses.
498. - 3. <<Le roi commande les forces armées et constate l'état
de guerre ainsi que la fin des hostilités>> (Const., art. 167, § pr,
al. 2). Il est chef de l'armée. Il assure donc l'administration des
troupes en temps de paix et leur commandement effectif en temps
de guerre (2). Mais, pour ce faire, doit-il être couvert par un
ministre ou lui appartient-il, en ce domaine, d'agir seul?
La première thèse prévaut en 1831 : LÉOPOLD pr, à peine monté
sur le trône, prend le commandement effectif des opérations pour
repousser l'armée hollandaise mais prend soin de faire contresigner
ses ordres par deux de ses ministres (3). La seconde thèse s'esquisse
dès la fin du XIXe siècle : en matière de défense militaire, le roi n'a
pas à agir sous la << tutelle >> d'un ministre; il n'a pas à requérir le
contreseing de ce dernier. Cette thèse trouve sa consécration durant
la première guerre mondiale. ALBERT pr est commandant en chef
effectif de l'armée belge; s'il consulte son gouvernement sur quel-
ques opérations essentielles, telle la résistance derrière l'Yser, il
assure seul, en réalité, la direction des troupes sur le terrain. L. Wo-
DON, secrétaire du roi, donne même à cette interprétation des fonde-
ments d'allure constitutionnelle : l'article 91 de la Constitution
imposerait au chef de l'Etat de défendre à tout prix l'intégrité du
territoire et dérogerait ainsi à l'article 106.
Durant l'immédiat après-guerre, marqué par l'exaltation de la
victoire et des mérites du Roi chevalier, cette controverse constitu-
tionnelle ne put être tranchée. Au moment de la mobilisation de
1939 et de l'invasion allemande du lü mai 1940, LÉOPOLD III prit
le commandement de l'armée et la direction effective des opéra-
tions. Le 28 mai, il capitule et refuse de quitter, avec ses ministres,
le territoire pour poursuivre la guerre aux côtés des puissances
alliées. Ces différentes décisions sont prises sans que le roi ne bénéfi-
cie d'un contreseing ministériel.
<<L'affaire royale>> était ainsi ouverte. Elle se termine le 16 juillet
1951 par l'abdication de LÉOPOLD III, alors même qu'une majorité

(2) P. WIGNY. op. cit .. t. II. p. 913.


(3) En 1836, LF:oPOLD l''' écrivait. cependant, à DE TH F-UX : «Je ne pense pas que le ministère
ait jamais formulé la moindre prétention de se connaître en affaires de guerre, en quoi il s'est
rendu justice>> (cité par A. 8IMON, Déopold l'', Bruxelles, La Renaissance du livre. p. 14).
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 473

de Belges souhaitaient qu'il puisse reprendre l'exercice effectif de


ses fonctions (no 150), et l'avènement du Roi BAUDOUIN.
Le développement de la question royale a permis à la Commission
de 1949 de rappeler cette règle élémentaire : les actes que le roi
accomplit en vertu de l'article 167, § pr, alinéa 2, de la C~nstitution
doivent, comme les autres actes, être couverts par un ministre. Un
conseil est également formulé à cette occasion : le roi gagne à ne pas
exercer effectivement le commandement de l'armée (4).
Les conceptions modernes de la guerre, la mondialisation du
théâtre des opérations, l'intégration de l'armée belge dans des orga-
nisations militaires internationales rendent plus impératif encore le
respect de ces prescriptions.
Ces controverses sont éteintes aujourd'hui. Il est admis que l'ar-
ticle 106 de la Constitution est une disposition générale. La fonction
royale doit, en toutes circonstances, s'exercer avec le concours d'un
ministre. Aucune autre disposition constitutionnelle ne peut s'inter-
préter comme lui apportant dérogation (5).
499. - En définitive, seuls certains actes accomplis par le roi ne
requerront pas le contreseing d'un ministre parce qu'ils relèvent de
la vie privée du monarque - un contrat ou un testament, par
exemple, pourront être accomplis sans l'assistance d'un ministre - .
Mais tant les textes que les pratiques constitutionnels révèlent que
des actes purement privés peuvent, lorsqu'ils sont accomplis par le
roi, avoir une incidence politique certaine; il en va ainsi du mariage
(art. 85; voy. no 432, note 19). Pareils actes doivent être accomplis
avec l'assentiment ministériel.
500. - Le roi doit agir avec le concours de ses ministres ... Des
règles de procédure découlent de ce précepte.
Le contreseing est procuré, sous sa forme officielle, par l' apposi-
ti on d'une signature à côté de celle de l'auteur de l'acte. Il est égale-
ment fourni à l'occasion des contacts suivis que le roi a, de manière
plus informelle, avec ses ministres. Il peut résulter, par exemple, des

(4) Rapport de la Commission (Mon. b .• 6 août 1949, p. 7589); W. J. GANSHOF VAN DER
MEERSCH,<< Le commandement de l'armée et la responsabilité ministérielle en droit constitution-
nel belge», Revue de l'Université de Bruxelles, 1948-1949, pp. 256-321; P. DE VISSCHER, «La fonc-
tion royale<>, Revue générale belge, 1949, p. 673.
(5) Si ce contreseing ne peut -pour des raisons politiques ou pratiques -être apporté par
un ministre, le roi se trouve dans l'obligation de s'abstenir d'agir. C'est ainsi qu'il ne participe
pas aux élections.
474 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

informations qui s'échangent journellement entre le cabinet du roi


et celui du Premier ministre.
Le contreseing sera généralement procuré avant que le roi ne soit
amené à agir. Ainsi le projet de loi voté par les deux Chambres sera
revêtu du contreseing ministériel avant d'être soumis à la sanction
royale. La formule ménage à suffisance le pouvoir d'influence de la
couronne, tout en la préservant d'initiatives qui la conduiraient à
agir sans être couverte par un ministre. Il est aussi concevable que,
pour des raisons pratiques notamment, le roi signe un arrêté royal
que le ministre concerné se bornera à contresigner quelques jours
plus tard. Il n'y a pas de prescriptions chronologiques à respecter
en l'espèce. Il n'y a qu'un seul précepte de logique constitutionnelle
à observer : le roi doit s'abstenir de prendre des initiatives qui le
conduiraient à signer un acte alors que ses ministres ne seraient pas
prêts à lui apporter, en l'espèce, leur contreseing.

C. -Les effets
501. - Si le concours du roi et de ses ministres est requis pour
la confection des actes qu'il revient au pouvoir exécutif d'accomplir,
ne faut-il pas en déduire que les <~ actes du roi )) sont toujours le pro-
duit de deux volontés conjointes - le seing et le contreseing -? Et
admettre qu'à défaut de pareil concours, l'acte du pouvoir exécutif
fédéral manque de fondement juridique? De la même manière que,
dans les matières définies à l'article 77 de la Constitution, la
Chambre et le Sénat doivent, chacun de leur côté, se prononcer sur
l'adoption d'une loi en préparation, il appartiendrait au roi et à l'un
de ses ministres d'exprimer, en toute indépendance, leurs volontés,
étant entendu que la concordance dans l'appréciation est requise
pour produire des effets de droit.
La comparaison est inexacte. Sans le contreseing d'un ministre, le
roi est sans doute incapable d'agir valablement; sans la signature
du roi, un acte du pouvoir exécutif est également dépourvu d' effica-
cité juridique. Mais le problème est autre. Le roi et ses ministres ne
se situent pas dans une relation d'indépendance réciproque. Ils ne
statuent pas de manière autonome. Le pouvoir exécutif fédéral, à la
différence du pouvoir législatif fédéral, est un. La volonté qu'il
exprime n'est pas divisible.
En cas de divergence, il n'y a pas absence de décision. L'un est
appelé à l'emporter sur l'autre. Dans la mesure où la responsabi-
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 475

lité- entendue en termes juridiques- des actes du pouvoir exécu-


tif fédéral repose sur les seules épaules des ministres, leur volonté
est vouée à prévaloir. Dans le concret, le roi est donc amené à
prendre des décisions << qui peuvent lui déplaire mais qu'(il) a dû
approuver parce qu'elles émanent d'un gouvernement jouissant de
la confiance des chambres>> (A. MoLITOR). L'observation ·est impor-
tante. Dans la mesure où l'article 106 de la Constitution met à
charge des ministres la responsabilité des actes du pouvoir exécutif,
il leur transfère le droit d'initiative dans l'action gouvernementale.
Le régime parlementaire qui repose tout entier sur le système de
la responsabilité ministérielle marque l'effacement des pouvoirs de
décision qui pouvaient être reconnus au roi. Il préserve, par contre,
l'influence morale qui peut être la sienne dans la vie politique de
l'Etat.
502. - Le 3 avril 1990, le roi BAUDOUIN exprime le souhait de
ne pas signer personnellement la loi dépénalisant partiellement
l'avortement (loi du 3 avril 1990, modifiant l'article 350 du Code
pénal, Mon. b., 5 avril 1990). Il se sépare ainsi de ses ministres. Il
n'entend pas, cependant, bloquer le processus législatif et faire obs-
tacle à la volonté exprimée par les Chambres législatives et les
membres du gouvernement. Pour sortir de l'impasse, il est recouru
à une fiction. Le roi se place dans l'impossibilité de régner; ses
ministres assument dans l'immédiat ses responsabilités; à ce titre,
ils sanctionnent la loi (6).
503. - Dans ce contexte, le rôle assigné au chef de l'Etat - la
fonction royale, selon l'expression d'A. MoLITOR - reçoit un sens
précis. <<Le roi règne mais ne gouverne pas>> (Adolphe THIERS). Sa
fonction est moins de décision que d'influence. Il exprime une
préoccupation, il exhorte, il apporte une adhésion mais il ne lui
revient pas d'agir, d'intervenir, d'imposer (7). De cette manière, la
fonction royale et la fonction ministérielle sont complémentaires (8).

(6) F. DréLPfmÉE, ''Le Roi sanctionne les lois'· J.T., 1991, p. 593 et R. ERGEC, «L'institution
monarchique à l'épreuve ùe la crise>>, J. T., 1990, p. 265.
(7) «Le prince et le roi >>, cité.
(8) Comme le relève le jurisconsulte anglais, Walter Bagehot, il appartient au roi ùe déclarer
en substance à un ministre, au sujet d'une question controversée:<< Vous portez entièrement la
responsabilité des mesures que vous préconisez. Ce que vous estimez être le mieux doit être fait.
Tout ce que vous estimez être le mieux aura mon appui total et effectif. Mais je dois vous faire
observer que, pour telle et telle raison, ce que vous proposez n'est pas indiqué; que, pour telle
et telle raison, ce que vous ne proposez pas est meilleur. Je ne m'oppose pas à vos intentions;
il est de mon devoir de ne pas m'opposer, ruais je vous rends attentif au fait que je vous mets
476 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Il appartient évidemment au gouvernement de préserver le rôle


d'influence qui revient au roi (no 430). Il appartient à ce dernier de
ne pas poursuivre de politique personnelle, fût-ce par des voies
détournées.
Comme toute autre autorité publique que la Constitution établit, le roi rem-
plit une fonction. Cette fonction, c'est la fonction officielle. Elle conduit le roi
à poser un certain nombre d'actes, à intervenir dans diverses procédures, à agir
et à décider. Mais, comment ne pas le souligner aussi, comme toute institution,
le roi remplit, en marge des textes, une autre fonction. On la qualifie, pour la
circonstance, de symbolique. Elle conduit le roi à représenter, sans même le vou-
loir, un certain nombre de valeurs ou d'intérêts qui sont ceux d'une société poli-
tique. Elle l'amène à s'exprimer, qu'il le veuille ou non, au nom de la nation.
Ou de manière plus prosaïque, au nom de l'Etat.
Fonction officielle et fonction symbolique s'entrecroisent sans doute. Il n'est
pas commode de préciser laquelle prend aujourd'hui le pas sur l'autre. On tend
à croire que la fonction officielle va en se restreignant, même si elle se perpétue
dans ses formes extérieures. La fonction symbolique, elle, a tendance à s'ac-
croître, même s'il n'est pas toujours aisé d'en mesure de manière concrète les
incidences juridiques ou politiques(« La fonction du roi>>, Pouvoirs, 1996, p. 43).

On peut aujourd'hui appliquer au roi des Belges la disposition de


la Constitution espagnole du 29 décembre 1978 aux termes de
laquelle <<le roi est le chef de l'Etat, symbole de son unité et de sa
permanence; il arbitre et tempère le fonctionnement régulier des
institutions>> (art. 56, al. pr).
La fonction symbolique s'exprime à travers les discours que le roi
prononce, les visites ou les démarches officielles qu'il accomplit, les
entretiens qu'il accorde.
La fonction arbitrale du roi, par contre, ne peut être surestimée.
Le véritable arbitre, dans le système constitutionnel belge, c'est
l'opinion publique qui s'exprime à travers les élections, les sondages,
les manifestations publiques. Le roi peut appeler, selon les procédés
d'influence qui sont les siens, les autorités publiques au respect de
la <<règle du jeu>> mais il n'est pas en mesure de faire prévaloir en

en garde>>. Et le roi d'ajouter : «Avez-vous songé aux événements survenus pendant tel ou tel
gouvernement, il y a quelques années 1 Ils constituent un exemple frappant des résultats déplo-
rables qui seront la conséquence inéluctable de la politique que vous entendez poursuivre. Votre
rôle dans la vie politique à cette époque ne revêtait pas la même importance et il se peut que
vous n'ayez point un souvenir assez précis de ce qui s'est passé. Je vous engage à revoir laques-
tion à la lumière de ces précédents et de prendre l'avis de vos collègues plus anciens qui y ont
été plus directement associés. Il n'est pas raisonnable de refaire une politique qui, dans le passé,
a donné d'aussi mauvais résultats •> (cité par R. SENELLE, 'Le monarque constitutionnel en Bel-
gique», Res Publica, 1962, p. 64).
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 477

l'occurrence sa volonté ou de dégager les solutions qui auraient ses


préférences personnelles.
La fonction modératrice assignée au chef de l'Etat prend toute sa
signification dans une société politique où les conflits communau-
taires et idéologiques prennent une telle acuité que le roi doit s' atta-
cher, avec les moyens qui lui sont propres, à les désamorcer ou à en
canaliser le cours.
Le roi de demain ne sera pas un homme de pouvoir ou de décision. Les préro-
gatives royales, comme l'a montré exc.ellemment André MoLITOR, se sont estom-
pées, en tout cas, à partir de 1951. Et ce dans tous les domaines de l'action
publique. Imposer, diriger, ordonner sont passés de mode.
Le roi de demain sera peut-être un homme de parole, celui qui, sous le couvert
du gouvernement, expliquera à ses compatriotes les enjeux de la vie politique
et sociale. Il mesurera, chaque jour un peu plus, les difficultés de l'exercice.
Comment s'adresser, en particulier, aux Wallons, aux Flamands et aux Bruxel-
lois, en prétendant atteindre tous les Belges 1
Le roi de demain sera de plus en plus un homme d'attitude. A lui d'écouter,
de recevoir, de rencontrer. Et de profiter de chacune de ces occasions privilégiées
pour entendre les préoccupations des citoyens et pour dire à ses interlocuteurs
quelles sont les finalités qui méritent d'être préconisées dans l'action politique
de chaque jour.
Le roi de demain gagnera à être toujours plus un homme de témoignage. Il
devra attester, par ses démarches et par son comportement, plus encore que par
des paroles ou des actes officiels, son attention et son attachement à des objec-
tifs qui sont ceux du peuple belge, dans ses diverses composantes (<<Le prince
et le roi», J.T., 2000, p. 160).

§ 2. - La règle de la solidarité ministérielle


504. - Il ne suffit pas, pour réaliser l'unité de l'action gouverne-
mentale, que le roi et un ou plusieurs de ses ministres s'accordent.
Il faut encore que l'ensemble des membres du gouvernement se sen-
tent et se montrent solidaires d'une action qu'ils poursuivent en
commun.
La solidarité ne s'impose pas. Elle se négocie. Elle s'édifie aussi
dans des institutions qui s'attachent à coordonner l'action politique
des titulaires du pouvoir exécutif fédéral, par exemple : le conseil
des ministres, le conseil de gouvernement et les comités ministériels.

A. - Le principe
505. - S'interroger sur le principe de la solidarité ministérielle,
c'est se demander comment le gouvernement se décide à agir. Un
478 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

ministre n'est solidaire que d'une décision qui existe et qu'il a


contribué à susciter. Comment cette décision voit-elle le jour?
Sur ce point précis, des éléments de réflexion sont procurés par
la loi spéciale du 8 août 1980. Elle précise, dans son article 69, les
règles de fonctionnement des gouvernements de communauté et de
région. Elle observe que ces autorités sont appelées à délibérer
<< selon la procédure du consensus suivie en conseil des ministres ~>.

La précision est importante. Elle accrédite l'idée que le consensus


est la procédure qu'il convient de suivre, au sein du conseil des
ministres, pour dégager une décision politique et que seule la déci-
sion obtenue de cette manière engage solidairement les ministres et
les autres membres du gouvernement.
506. - Qu'est-ce que la procédure du consensus (9)? Elle impli-
que que la décision politique à prendre en conseil des ministres ne
soit pas arrêtée ex abrupto mais se révèle toujours au terme d'une
délibération qui permette aux points de vue opposés de s'exprimer
et de se rapprocher. En ce sens, la procédure du consensus, c'est la
procédure de la décision négociée.
Cette définition est essentiellement négative. Elle exclut certaines
méthodes de délibération, plutôt qu'elle n'en suggère.
507. - Le recours à la procédure du consensus exclut l' applica-
tion stricte de la règle de l'unanimité. Celle-ci voudrait que l'en-
semble des membres du gouvernement adhèrent pleinement et offi-
ciellement à chacune des décisions prises par celui-ci. Mise en œuvre
dans une institution collégiale, cette règle conduit à conférer à cha-
cun des ministres une prérogative redoutable : celle d'acquiescer,
mais aussi celle de pouvoir s'opposer, à la moindre proposition
émise par un collègue. La poursuite d'une action gouvernementale
efficace ne s'accommode guère de l'exercice de ce droit de veto vir-
tuel.
Le recours à la procédure du consensus exclut aussi l'application
automatique de la règle de la majorité absolue. Celle-ci voudrait
qu'un groupe de ministres puisse faire prévaloir sa volonté sur celle
qu'exprime un groupe d'autres ministres. La poursuite d'une action
gouvernementale cohérente ne paraît guère compatible avec ces
solutions brutales. Dans les gouvernements de coalition, en particu-

(9) Sur cette question. Chroniques de crise, p. 148.


L'ORGANISATION DES POUVOIRS 479

lier, l'application systématique de la règle de la majorité risque de


se révéler très vite impraticable.
508. ~ La définition de la procédure de consensus peut aussi
présenter des aspects plus positifs. Se situant <<à mi-chemin d'un
mécanisme majoritaire contesté et d'une unanimité... inacces-
sible)) (10), elle ne peut s'empêcher d'emprunter des éléments à cha-
cune de ces techniques de décision. Ce faisant, elle met en évidence
quelques règles élémentaires qui. commandent le fonctionnement
interne du gouvernement.
Le consensus ne requiert pas l'unanimité. Mais il doit y tendre.
Il est recherche active de l'assentiment le plus large. Il est effort
permanent de dépassement des clivages et des blocages politiques.
Il est tentative de conciliation entre des positions différentes, vmre
contradictoires (11).
Deux conséquences pratiques en découlent.
La première, c'est qu'une formation politique assomee aux tra-
vaux du gouvernement ne saurait, sans manquement grave à la pro-
cédure du consensus, refuser d'ouvrir ou de poursuivre les conversa-
tions qui viseraient à lever les équivoques qui assortissent un point
du programme gouvernemental; ces méthodes de négociation per-
manente ne sont peut-être pas les plus expéditives et les plus effi-
cientes mais ce sont celles qu'impose un système politique à la
recherche de compromis acceptables.
La deuxième conséquence, c'est que, si tous les membres du gou-
vernement doivent contribuer à instaurer les conditions de la solida-
rit~ ministérielle, l'un d'eux se voit investi de responsabilités spécifi-
ques en la matière. Le Premier ministre est l'artisan du consensus.
C'est lui qui ouvre une ultime négociation, qui lui donne ses orienta-
tions majeures, qui dégage les solutions acceptables, qui clôt la dis-
cussion en recueillant l'assentiment des membres du gouvernement.
C'est lui aussi qui supporte le poids d'un échec dans la recherche du
consensus.
Le consensus exclut la décision d'une majorité. Mais il tolère les
minorités. Il prend parti de ces différences qui sont de mise dans

(10) J. RIGAUD, «Réflexions sur la notion de consensus», Pouvoirs, 1978, n" 5, p. 8.


(11) Comme l'écrit G. DE LACHARRIÈRE, «<e consensus s'oppose clairement aux procédures de
vote majoritaire en réaction contre lesquelles sa pratique s'est introduite. Il impose le recours à
la négociation et la renonciation aux facilités des majorités automatiques » (Pouvoirs, 1978, n" 5,
p. 35).
480 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

une société politique composite et dans un gouvernement de coali-


tion. Il n'entend pas faire table rase des différences foncières qui
peuvent exister entre des mouvements d'inspirations politiques dis-
parates. Il tient compte des vœux exprimés par une majorité,
pourvu qu'ils ne froissent pas outre mesure un ou plusieurs courants
minoritaires. Il s'efforce moins de réaliser un accord que de bénéfi-
cier d'un nihil obstat.
Une formation politique minoritaire au sein d'un gouvernement
pourra adhérer, du bout des lèvres, à une décision prise par le
conseil des ministres sans y être contrainte sous l'effet d'un vote,
sans devoir non plus marquer officiellement son accord à pareille
mesure : il suffit qu'elle n'élève pas d'objection majeure à pareille
décision pour qu'elle voie le jour.
Une fois la décision prise en tenant compte des vœux exprimés
par la majorité des ministres, elle lie l'ensemble du gouvernement
qui en assume solidairement la responsabilité : comme le relève
A. MAST, ceci vaut tant pour les ministres qui ont défendu en
conseil le bien-fondé de la décision que pour ceux qui l'ont contes-
tée ( 12). Ceci vaut aussi pour les secrétaires d'Etat.
509. - Le consensus indique une démarche. Il n'en garantit pas
le résultat. Quels effets s'attachent au << dissensus >>, c'est-à-dire à
l'échec des procédures de consensus et à la constatation d'un désac-
cord persistant au sein du gouvernement?
A défaut de consensus, ne convient-il pas de revenir aux règles de
la décision majoritaire, avec les conséquences qui s'y attachent? Les
tenants de l'opinion minoritaire sont invités à se soumettre. Faut-il,
au contraire, tirer la leçon d'un échec aussi retentissant et accepter
qu'il soit mis fin à l'expérience gouvernementale en cours?
C'est affaire de circonstances. Comme l'écrit P. WIGNY <<sur les
grandes questions, on est d'accord sous peine de dissolution >> de
l'équipe ministérielle; << dans les petites questions, il faut se sou-
mettre ou se démettre>> (13). Tout dépend, en réalité, de l'objet du
dissensus. Porte-t-il sur un point essentiel du programme gouverne-
mental ou sur un point de détail de l'action politique quotidienne?

(12) Comme le relève A. MAST, << voor het nemen van een bindende beslissing is het niet
vereist dat de ministers eenstemmig stelling nemen over de oplossing van het gestel de probleem;
eike minister heeft het recht de mening van de meerderheid van zijn collega's niet te delen en
dienovereenkomstig tegen het besproken voorstel stelling te nemen » (op. cit., p. 378).
(13) P. WIGNY, op. cit., p. 722.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 481

B. - Les limites
510. - La solidarité ministérielle est-elle sans limites? Les
ministres sont-ils politiquement et solidairement responsables -
notamment devant la Chambre des représentants - des actions
menées par chacun d'eux? Une réponse classique revient à dire que
la responsabilité est solidaire, dès qu'il s'agit d'un acte intéressant
la politique générale; il aura normalement fait l'objet d'une délibé-
ration en conseil des ministres; ses conséquences doivent rejaillir sur
le cabinet tout entier. La responsabilité peut, au contraire, être
individuelle, particulière à un ministre ou à un secrétaire d'Etat,
lorsqu'il s'agit d'un acte qui n'intéresse qu'un département ministé-
riel déterminé, qu'il n'émane que d'un seul membre du gouverne-
ment et qu'il n'a pas fait l'objet d'une discussion collégiale.
Mais comment distinguer les actes qui intéressent ou qui n'inté-
ressent pas la politique générale? Dans une société politique de
dimension restreinte et dans laquelle la presse fait écho aux
moindres faits et gestes des titulaires de l'autorité publique, les déci-
sions dont le contenu peut paraître peu significatif (la nomination
d'un bourgmestre, par exemple) peuvent prendre l'allure de ques-
tions de gouvernement. Le champ de la responsabilité individuelle
tend à se réduire considérablement (14).

C. - Les instruments
511. - Le souci de constituer un gouvernement homogène, sinon
dans sa composition politique du moins dans son organisation et son
action, conduit à mettre en place un ensemble d'institutions qui
s'attachent à coordonner l'action gouvernementale. Le plus sou-
vent, des pratiques se développent. Elles sont progressivement
accréditées par le droit. Mais l'évolution ne se produit pas sans à-
coups. Les milieux politiques semblent rebelles à des formes trop
nettes de hiérarchisation entre les membres du gouvernement ou
entre les formations qu'il pourrait compter en son sein (voy., cepen-
dant, les observations sur le statut des secrétaires d'Etat, no 452 et
note 65). Les mêmes milieux semblent également privilégier le
recours aux procédés purement politiques de coordination, en
dehors des mécanismes officiels utilisés par des institutions prééta-

( 14) La suite qui, sur un plan politique, est donnée, le 13 juillet 1985, au «drame du Heyse! »
confirme au besoin cette interprétation. Comp. loi spéciale de réformes institutionnelles, art. 71.
482 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

blies. Sommets et conclaves, s'inscrivent, par exemple, dans cette


perspective.
Sous ces réserves, il convient d'être attentif aux institutions qui
ont pour mission d'instaurer ou de préserver la solidarité ministé-
rielle.
512. - Le Premier ministre est le chef naturel du gouvernement.
Il lui revient d'en diriger et d'en coordonner l'action.
Jadis simple primus inter pares, le formateur du cabinet porte,
depuis la première guerre mondiale (15), le titre de Premier
ministre. Il dispose, en cette qualité, d'une autorité effective sur ses
collègues. Il les rappelle au besoin au respect des préceptes de la
déontologie ministérielle. Le rôle primordial qu'il est appelé à jouer
est consacré, depuis 1970, par la reconnaissance de son existence et
de son titre dans l'article 99, alinéa 2, de la Constitution. On peut
ajouter, depuis la réforme de 1993, l'article 96, alinéa 2.
Comment expliquer cette évolution? Elle est tributaire de plu-
sieurs phénomènes. Au XIXe siècle, le conseil des ministres avait,
en fait, deux présidents : l'un était le roi, l'autre le chef du cabinet.
Le conseil délibérait, en certaines occasions, en présence et sous la
présidence du roi. La pratique était aussi que le cabinet pouvait
délibérer à part - on l'appelait alors, au sens propre du terme, le
<<conseil de cabinet}) - . Au XXe siècle, la présence du roi devient
exceptionnelle. Le chef du cabinet s'arroge normalement la fonction
de président du conseil des ministres.
La constitution de gouvernements toujours plus nombreux, grou-
pant des ministres relevant de diverses formations politiques et
confrontés à des problèmes toujours plus complexes et plus techni-
ques, a rendu plus délicate l'intervention du roi dans la gestion des
affaires quotidiennes. Elle a conduit à l'affirmation d'un personnage
qui assume véritablement la fonction de chef de gouvernement.
Comment ne pas rappeler encore que le Premier ministre est nor-
malement l'homme politique qui a assuré la tâche de formation du
gouvernement, a fortiori, dans l'hypothèse de l'article 96, alinéa 2,

(15) Le titre de Premier ministre apparaît pour la première fois dans l'arrêté royal du
2 décembre 1919 refusant la démission de Léon DELACROIX. Voy. cependant l'arrêté royal du
25 novembre 1918 instituant le cabinet du Premier ministre ainsi que le rapport au Roi de l'ar-
rêté royal du 1°' janvier 1918 organisant le département de la reconstitution nationale. Dès le
mois de décembre 1918, L. DELACROIX a contresigné certains arrêtés royaux en usant du titre
de Premier ministre.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 483

de la Constitution? C'est lui qui a contribué, de mamere décisive,


à la définition du programme et au choix des membres de l'équipe
gouvernementale; ses collègues ne peuvent ignorer la part qu'il a
prise dans ces choix initiaux. Une conséquence précise en résulte. La
démission du Premier ministre entraîne de plein droit celle des
membres du gouvernement. Il n'est pas concevable que l'équipe
ministérielle survive à son chef ( 16).
Le Premier ministre n'exerce pas la direction d'un département
ministériel déterminé. Il a, cependant, une autorité directe sur les
services qui lui sont attachés - les services du Premier ministre - .
Il préside le conseil des ministres; il le convoque et en arrête
l'ordre du jour; il en dirige les travaux et en tire les conclusions; il
fait établir le procès-verbal de la réunion (voy., à ce sujet, la circu-
laire du 16 mai 1983 qui contient les <<instructions pratiques>> sur le
fonctionnement du conseil des ministres).
Il préside également les principaux comités ministériels (n" 517).
513. - Le dualisme linguistique, puis communautaire, qui
caractérise l'Etat fédéral a donné naissance à la fonction de vice-pre-
mier ministre.
De prime abord, celui-ci apparaît, à côté du Premier ministre,
comme le porte-parole de l'autre communauté et, en même temps,
comme celui de l'autre formation politique présente au gouverne-
ment. Ainsi, en 1961 ( 17), alors que la fonction de Premier ministre
revient à un social-chrétien flamand, Théo LEFÈVRE, celle de vice-
premier ministre est conférée à un socialiste francophone, Paul-
Henri SPAAK. Dans les gouvernements de plus large coalition, le roi
désigné deux (voy. le gouvernement tripartite d'E. LEBURTON en
1973), voire trois vice-premiers ministres (voy. le gouvernement
MARTENS en 1979). Dans les gouvernements les plus récents, chacun
des partis politiques représentés au gouvernement est pourvu d'un
vice-premier ministre.
A la différence du Premier ministre, le ou les vice-premiers
ministres ne sont investis d'aucune responsabilité officielle. Ils sont
les chefs de file des ministres d'une tendance politique déterminée.

(16) Voy. la démission de Léo TINDEMANS, le Il octobr·e 1978, Chroniques de crise ... , p. 44.
(17) Comme le note H. VAN IMPE (op. cit .. p. 231). <<en 1958. le gouvernement social-chrétien-
libéral comprenait officiellement un vice-président du conseil de cabinet, Albert LILAH, qui, sans
être titulaire d'un département, était chargé, en outre, de la réforme administrative>>.
484 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Ils contribuent à assurer l'harmonie des relations au sein du gouver-


nement en étroite concertation avec le Premier ministre. En l'ab-
sence de celui-ci, l'un d'eux assurera normalement l'intérim.
Le ou les vice-premiers ministres sont le plus souvent à la tête
d'un département ministériel important.
514. - Le conseil des ministres est l'institution qui, placée sous
la présidence du Premier ministre, réunit l'ensemble des ministres.
Il <<compte quinze membres au plus~> (art. 99, al. 1er). Il ne com-
prend pas les secrétaires d'Etat. Il est organisé sur base du principe
de la parité linguistique, << le Premier ministre éventuellement
excepté~> (art. 99, al. 2) (no 443).

Le conseil des ministres a pour mission spécifique de définir la


politique générale du gouvernement et de coordonner l'action de ses
membres. Comme le précise la circulaire du 16 mai 1983, il <<délibère
et décide de la politique générale; il veille à promouvoir la solidarité
gouvernementale~>.

Il est tenu de se réunir dans les circonstances exceptionnelles que


la Constitution définit. Il contribue à préserver la stabilité de l'insti-
tution monarchique : à la mort du roi (art. 90), il exerce ses pou-
voirs durant l'interrègne; en cas d'impossibilité de régner du chef de
l'Etat, il fait constater cette situation avant qu'il ne soit pourvu à
la régence (art. 92). Le conseil des ministres s'attache aussi à
résoudre les conflits d'intérêts entre communautés : sa composition
paritaire lui vaut d'être saisi des motions motivées qu'un groupe
linguistique peut, à la majorité des trois quarts, déposer contre les
propositions ou les projets de loi qui porteraient gravement atteinte
aux relations entre communautés (art. 54, procédure de la <<son-
nette d'alarme>>) (18).
Le conseil des ministres est également tenu de se réunir lorsque
la délibération du conseil est imposée par la loi. Ainsi les lois de
pouvoirs spéciaux ou de pouvoirs extraordinaires (voy., par
exemple, la loi du 2 février 1982 attribuant certains pouvoirs au roi)
requièrent, en général, que cette formalité accompagne l'adoption
des mesures réglementaires. De la même manière, la loi prescrit que
l'expulsion d'un étranger qui a été autorisé à s'établir en Belgique
fasse l'objet d'un arrêté délibéré en conseil des ministres, si l'expul-

(18) Ann. Parl., Chambre, 4 juillet 1985.


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L'ORGANISATION DES POUVOIRS 485

sion est justifiée par des raisons tenant à l'activité politique de l'in-
téressé.
Lorsque la loi laisse au pouvoir exécutif le soin de régler par
arrêté royal une matière importante dont elle se borne à définir les
principes, ou lorsque le roi établit la manière dont il exercera la
fonction exécutive dans une matière qui intéresse la généralité des
ministres, il peut aussi se faire qu'ils exigent que la réglementation
prenne la forme d'<< arrêtés royaux délibérés en conseil des
ministres)) (voy., par exemple, l'arrêté royal du 2 octobre 1937 por-
tant le statut des agents de l'Etat qui, dans son article 116, prévoit
que << toute modification, même partielle, apportée au ... statut fera
l'objet d'un arrêté motivé délibéré en conseil des ministres)>).
De manière plus exceptionnelle, la loi peut attribuer directement
certains pouvoirs aux ministres réunis en conseil, sans que l'inter-
vention du roi ne soit, en l'occurrence, prescrite. Ainsi la loi du
29 octobre 1846 permet aux ministres de passer outre au refus de
visa que la Cour des comptes leur oppose à l'occasion de la liquida-
tion définitive d'une dépense, mais à charge pour eux d'engager leur
responsabilité devant la Chambre des représentants. Ainsi encore la
loi du 6 janvier 1989 organisant la Cour d'arbitrage leur donne-t-elle
la faculté de saisir la Cour d'un recours abstrait contre une loi ou
un décret qui, à leur estime, violerait les règles répartitrices de com-
pétences entre l'Etat, les communautés et les régions ou les
articles 10, 11 et 24 de la Constitution.
Enfin, l'usage requiert une délibération du conseil des ministres
dans tous les cas où une décision engage la politique générale du
gouvernement (projets de budget, nominations importantes ... ). Des
décisions qui, en temps normal, revêtent un caractère mineur, peu-
vent encore, en fonction des circonstances du moment, mettre le
sort d'un gouvernement en péril et, de ce fait, être évoquées en
conseil des ministres.
Sur la procédure de délibération en conseil des ministres et sur la
règle du consensus, voy. n° 506.

515. - Le conseil de gouvernement procède de la réunion com-


mune des ministres et des secrétaires d'Etat. Il n'est investi d'au-
cune mission constitutionnelle. Il peut être convoqué, à l'initiative
du Premier ministre, pour asseoir ou pour restaurer la cohésion de
l'équipe gouvernementale. Une réunion du conseil de gouvernement
486 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

peut, dans cette perspective, être envisagée au lendemain de la dési-


gnation du nouveau ministère ou à l'approche de sa démission.

516. - Le Conseil de la Couronne, pour sa part, résulte de la réu-


nion du roi, de ses ministres et des ministres d'Etat. Il ne se réunit
qu'exceptionnellement (la dernière réunion remonte à 1960, avant
l'indépendance du Congo). Il a pour tâche d'éclairer le roi sur des
questions importantes de la vie de l'Etat.
Les ministres d'Etat ne sont membres ni du conseil des ministres,
ni du gouvernement. Ils ne sont pas responsables des actes du roi.
Ils n'ont aucune autorité à exercer. Ils exercent une magistrature
morale, à raison des services qu'ils ont rendus à l'Etat ou au pays
et du titre honorifique qui leur a été, pour ce motif, octroyé.

517. - Le gouvernement belge peut pratiquer le système du tra-


vail en comités ministériels. Ceux-ci sont formés d'un nombre res-
treint de ministres et de secrétaires d'Etat. Les désignations se font
en tenant compte de critères politiques, pour respecter les équilibres
qui sont de mise dans les gouvernements de coalition, et de critères
techniques, pour instaurer une coopération entre les responsables de
départements distincts.
Ces comités ministériels sont de deux ordres. Il y a les comités ad
hoc qui sont constitués pour examiner une question particulière ou
circonstancielle; ils n'ont ni composition fixe, ni attributions déter-
minées; ils sont créés et supprimés au coup par coup. Il y a aussi
les comités permanents qui sont organisés par arrêté royal au
moment de la constitution du gouvernement et pour la durée de
celui-ci; ils préparent de manière systématique le travail gouverne-
mental dans des domaines d'activité préalablement définis.
En principe, les comités ministériels ne sont pas investis d'un
pouvoir de décision. Ce sont des commissions de travail, aménagées
à l'intérieur du gouvernement, et chargées d'en faciliter l'action-
soit qu'ils préparent la décision d'un ou de plusieurs ministres, soit
qu'ils en assurent l'exécution - .
La réduction, à partir de 1993, du nombre de ministres peut inci-
ter le gouvernement à ne pas constituer en son sein de comités per-
manents. L'observation ne porte pas préjudice à l'instauration d'un
organe politique, dénommé dans le jargon journalistique le << kern >>
(le noyau), et rassemblant le Premier ministre et ses vice-premiers.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 487

518. - D'autres techniques de coordination existent. Ainsi le roi


peut désigner, parmi les membres du gouvernement et du conseil
des ministres, des ministres sans portefeuille. Ceux-ci ne sont pas
placés à la tête d'un département ministériel. Ils assument, tel le
ministre de la politique scientifique, la direction de quelques ser-
vices ou de quelques agents. Ils peuvent aussi, tels les ministres
coordonnateurs du gouvernement EYSKENS de 1960 ou du gouver-
nement HARMEL de 1965, avoir pour mission spécifique d'harmoni-
ser l'action de leurs collègues.
Le roi peut nommer des membres du gouvernement qui n'appar-
tiennent pas au conseil des ministres. Il s'agit des secrétaires d'Etat
(no 452). Chacun d'eux est adjoint à un ministre et, de ce fait,
appelé à collaborer avec lui.
519. - En dehors du gouvernement et, a fortiori, du conseil des
ministres, le roi peut encore désigner des commissaires du roi et des
commissaires royaux.
Le commissaire du roi est investi d'une tâche politique. Il apporte
son concours à un ministre auquel il est adjoint. Ses fonctions pren-
nent fin avec la démission ou la révocation de celui qu'il a pour
tâche de seconder (voy. A.R. 30 juillet 1965 nommant J. VAN BIL-
SEN, commissaire du roi à la coopération au développement). Le
commissaire royal, lui, est investi d'une tâche technique. Il prépare
la politique du gouvernement sur une question que celui-ci a préala-
blement arrêtée. Son statut ne dépend pas de celui du ministre dont
relèvent ses travaux (voy. A.R. 17 octobre 1958 instituant un com-
missariat royal à la réforme judiciaire et désignant Ch. V AN REE-
PINGHEN pour exercer cette charge).
Sur le commissaire du gouvernement, voy. no 455.

§ 3. - La règle de la discrétion ministérielle

A. - Le principe
520. - Le conseil des ministres délibère à huis clos. <<Faut-il en
conclure, écrit P. WIGNY, que le public, dans une démocratie, n'a
pas le droit de tout savoir)> ( 19)?

(19) Op. cit., p. 722.


488 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Un consensus ne s'obtient pas sur la place publique. Il ne se


dégage pas non plus sous la pression des dirigeants des formations
politiques de la coalition. Il s'inscrit dans le secret des délibérations
gouvernementales.
Au surplus, les mesures prises en conseil ne sont pas définitives.
La plupart du temps, il convient de soumettre à la signature du roi
les décisions qui ont fait l'objet d'un débat préliminaire. En révéler
la teneur et souligner les points de vue discordants qui se sont mani-
festés en cours de discussion, c'est mettre le chef de l'Etat dans l'im-
possibilité de jouer le rôle constitutionnel qui est le sien.
Les discussions qui se déroulent en conseil des ministres sont
confidentielles. Un procès-verbal est néanmoins rédigé qui se borne
à acter les décisions prises (20).
Il est communiqué par extrait aux ministres mais n'est pas
publié. La circulaire du 16 mai 1983 précise qu'<< après la séance, et
pour chaque affaire, une notification est adressée au ministre propo-
sant, ainsi qu'aux membres du gouvernement associés ou particuliè-
rement intéressés au problème>>; elle ajoute qu'<< à tous les membres
du gouvernement est envoyé un résumé des notifications, indiquant
en quelques mots le sort qui a été réservé à chaque affaire traitée
en conseil; il permet de vérifier aisément l'avancement des tra-
vaux>>.
Une brève information est aussi procurée à l'opinion publique sur
les décisions prises en conseil des ministres : communiqués, confé-
rences de presse, déclarations radiotélévisées ...

B. - Les relations entre le roi et les ministres

521. - Le <<colloque>> entre le roi et ses ministres est également


secret. Les avis du chef de l'Etat doivent être protégés. <<Car, s'ils
sont suivis, ils ne peuvent engager la responsabilité du chef de
l'Etat qui est couvert par le contreseing. Et, s'ils ne sont pas
écoutés, il faut que ce soit sans entamer le prestige royal>> (21).

(20) Le procès-verbal est rédigé en cinq exemplaires. Quatre sont destinés respectivement au
chef de l'Etat, au Premier ministre, au secrétaire du conseil et aux archives du Royaume. Le cin-
quième, dénommé {( canada >>, est conservé au secrétariat du conseil des ministres.
(21) P. WIGNY, op. cit., p. 574.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 489

Selon l'expression consacrée, il appartient aux ministres de ne pas


découvrir la couronne. L'expression mérite d'être explicitée. Elle
peut être prise, en effet, dans deux sens différents.
<~ Découvrir la couronne ~>, c'est d'abord révéler la part personnelle
que le roi a pu prendre dans l'élaboration d'une décision; c'est, par
le fait même, l'exposer aux critiques de l'opinion publique et enga-
ger sa responsabilité politique dans un dossier particulier. Ce com-
portement s'inscrit en violation des prescriptions de l'article 106 de
la Constitution.
<~ Découvrir la couronne ~> c'est aussi mettre le roi devant le fait
accompli. C'est l'empêcher de remplir son rôle constitutionnel. C'est
l'obliger d'entériner en droit une décision qui est déjà prise en
fait (22). Dans cette hypothèse, ce n'est plus le roi qui est couvert
par ses ministres; c'est lui, au contraire, qui les couvre (23). Il s'agit
là d'un curieux dévoiement du système constitutionnel.
Il va sans dire que le Palais peut par de brefs communiqués pro-
curer une information sur des entrevues que le roi a eues et sur les
initiatives qu'il a été amené, spécialement en temps de crise ministé-
rielle, à prendre. Certains de ses communiqués, comme celui par
lequel le roi accepte la démission officieuse d'un gouvernement et le
charge d'expédier les affaires courantes, gagneraient à être publiés
au Moniteur belge.

C. -Les effets
522. - A l'occasion des démarches qu'ils accomplissent, et
notamment lorsqu'une publicité relative est donnée à leurs inter-
ventions, le roi et ses ministres doivent veiller à ne pas se mettre
mutuellement devant le fait accompli.
Le roi manquerait à cette prescription de déontologie si, par un
discours improvisé ou une initiative insolite, il obligeait le gouverne-
ment à couvrir les actes du chef de l'Etat, alors qu'il n'aurait pu,
au préalable, discuter avec lui du bien-fondé de ces démarches. De
leur côté, les ministres portent atteinte au rôle d'influence que le roi
doit être en mesure d'exercer lorsqu'ils présentent à l'opinion un
ensemble de mesures que le monarque ne peut - sauf à susciter une
crise constitutionnelle grave - que ratifier.

(22) Sur ce thème, voy. Chroniques de crise. p. 19.


(23) Discours de L~OPOLD III, le 2 février 1939, cité par P. WHlNY, op. cit., p. 576.
490 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

SECTION II. - LES PROCÉDURES


DE DÉLIBÉRATION

523. - Le <<pouvoir législatif fédéral~>, lui aussi, est organisé par


la Constitution. Mais il est formé au départ d'autorités publiques
dont l'une est sélectionnée par le procédé de la désignation et les
deux autres par le procédé de l'élection. Comment pourrait-il
répondre aux impératifs d'unité qui caractérisent l'organisation du
pouvoir exécutif fédéral? Une autre préoccupation s'exprime ici : il
faut permettre aux représentants de la Nation d'ouvrir le débat le
plus large et le plus complet possible.
La mise en œuvre de procédures de délibération s'attache à ren-
contrer cet objectif.
Une double discussion (§ 1er) est organisée aux fins d'exercer la
fonction législative. Comment y arriver sans instaurer deux assem-
blées selon les techniques éprouvées du bicaméralisme (A} et sans
leur donner la possibilité de s'organiser de manière autonome (B)?
Comment ne pas aussi fixer les cadres chronologiques de pareille dis-
cussion, en instaurant le régime des sessions parlementaires (C)?
Au sein de chacune des Chambres, la discussion se clôt par des
décisions prises selon la règle de la majorité (§ 2) : des quorums de
présence (A) et de vote (B) sont requis à cette occasion; ils diffèrent
de ceux qui sont exigés pour l'exercice d'autres attributions parle-
mentaires (C).
La règle de la publicité est également de mise (§ 3). Elle concerne
les débats (A} et les votes (B) mais peut être assortie d'exceptions
(C).
Ces quelques règles ne suffisent pas à caractériser l'action du pou-
voir législatif fédéral - ce qui conduirait à s'interroger ici sur les
modes d'élaboration de la loi fédérale ou sur les formes du contrôle
de l'action gouvernementale - . Elles se bornent à déterminer le
cadre général des interventions de ce pouvoir.

§ 1er. - La règle de la double discussion

524. - L'exercice par le pouvoir législatif fédéral des attribu-


tions qui lui reviennent ne répond pas à des règles uniformes. L'in-
tervention de la Chambre des représentants aux fins d'assurer le
contrôle politique de l'action gouvernementale, par exemple, n'est
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 491

pas tributaire des initiatives du Sénat : la Chambre, agissant seule,


peut renverser le gouvernement alors même que ce dernier pourrait
se prévaloir de l'appui qu'il conserve dans l'autre assemblée. L'in-
tervention d'une assemblée dans l'œuvre d'élaboration de la loi
fédérale est tributaire d'autres contraintes : la discussion devant
l'une et l'autre Chambres peut être requise, notamment pour le vote
de lois bicamérales, avant que la troisième branche du pouvoir légis-
latif - le roi - ne soit appelée à manifester son assentiment à la
volonté politique qui s'est ainsi exprimée.
Le principe du bicaméralisme est équivoque. Il peut être compris
comme préservant, au sein du système constitutionnel, l'action
alternative et indépendante de deux assemblées distinctes. Il peut
aussi être entendu comme requérant, pour le bon fonctionnement de
ce système, l'action conjointe de ces mêmes assemblées.

A. - Le bicaméralisme
525. - l. Le principe du bicaméralisme. - La division du corps
législatif en deux assemblées est apparue, au début du siècle, comme
un << axiome de la science politique)) (BRYCE). Depuis les règles d'or-
ganisation du régime parlementaire jusqu'aux techniques d' aména-
gement des Etats composites, tout contribuait à faire d'un accident
historique - les délibérations séparées au sein du Parlement
anglais- un principe naturel appelé à gouverner les modes de déli-
bération. Cette règle, disaient les plus enthousiastes, forme << le droit
commun chez les peuples libres)) (EsMEIN).
Le corps législatif est appelé à se diviser en deux chambres.
Celles-ci sont égales en droit. Seule une délibération concordante
prise de part et d'autre à la majorité peut engager le corps législatif
tout entier et saisir valablement la troisième branche du pouvoir
législatif.
La justification d'un tel principe est simple. Il assure la modéra-
tion du pouvoir législatif, en le prémunissant contre les << emporte-
ments)) d'une assemblée unique. Il permet de réaliser une représen-
tation fidèle des courants qui divisent l'opinion et entre lesquels le
législateur fera œuvre de compromis. D'un point de vue plus techni-
que, il sert aussi l'œuvre de réflexion et de rédaction de la loi.

526. - Cet axiome est, aujourd'hui, mis en cause dans ses pos-
tulats comme dans ses modalités.
492 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Dans ses postulats? Le système repose sur l'idée que deux assem-
blées différemment composées, et assurant donc une représentation
différente de la Nation, exprimeront mieux qu'une seule institution
la fonction de délibération. Un problème technique en découle : si
la première assemblée est constituée de représentants directs de la
Nation, sur quels critères composer la seconde?
Des suggestions ont été, à un moment ou à un autre, formulées.
Elles conduisent à la création d'un Sénat aristocratique, d'un Sénat
capacitaire, d'un Sénat royal, d'un Sénat national, d'un Sénat com-
munautaire et régional, d'un Sénat corporatif...
Ces formules, pour intéressantes qu'elles puissent paraître, n'ont
guère eu de répercussions réelles, parce qu'elles négligeaient de s'in-
terroger sur les attributions respectives des deux assemblées.
Comment ~ de surcroît ~ deux assemblées, dont les membres
représentent tous et chacun la Nation, pourraient-elles, en un même
moment, exprimer deux opinions contradictoires?
Dans ses conséquences? Le système bicaméral se donne un objec-
tif : lutter contre le despotisme des assemblées délibérantes. De la
même manière que les Romains restreignaient leur exécutif en rem-
plaçant un roi par deux consuls, les démocraties modernes enten-
dent se prémunir contre l'absolutisme de l'assemblée en partageant
entre deux institutions la fonction de délibération. Pour éviter les
excès et les abus, deux chambres valent mieux qu'une. Leur com-
mune délibération ne sera pas commode à établir mais, lorsqu'elle
sera acquise, elle exprimera au moins une opinion largement répan-
due, longuement discutée et soigneusement rédigée.
Deux objections se dessinent aussitôt. La première, c'est que, si
la différence de composition n'est pas valablement assurée, ce sont,
en réalité, deux assemblées identiques qui vont examiner un même
texte; le système n'offre aucune garantie contre des majorités abu-
sives. La seconde, c'est que le système des deux Chambres aboutit
essentiellement à ralentir la délibération de la loi. Ces lenteurs sont-
elles conciliables avec le fonctionnement du pouvoir législatif dans
l'Etat moderne?
Pour éviter de tels inconvénients, le bicaméralisme parfait cède
souvent la place à un bicaméralisme inégalitaire où la haute assem-
blée ~ le Sénat français, la Hou se of Lords ... ~ est dépossédée
d'une part de ses attributions.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 493

527. - 2. L'évolution du bicaméralisme. - En Belgique, chaque


révision constitutionnelle- 1893, 1920-1921, 1970, 1980, 1993 ... -
est l'occasion d'un débat sur les mérites et les défauts du système
bicaméral ainsi que sur les traits précis qu'il devait recevoir. Il n'est
pas inutile de retracer brièvement cette évolution.
Après avoir rejeté l'idée d'un Sénat royal, d'un Sénat héréditaire
et d'un Sénat provincial, le Congrès national opte en faveur d'un
Sénat électif. Dans le but de composer différemment les deux
chambres, il prévoit des conditions particulières d'éligibilité au
Sénat : un cens plus élevé est requis des candidats; ceux-ci doivent
être âgés de 40 ans. Le Congrès national fixe le nombre des séna-
teurs à la moitié de celui des membres de la Chambre des représen-
tants (51 pour 102 en 1831); il précise que leur mandat sera d'une
durée deux fois plus longue que celui des membres de la Chambre
des représentants (huit ans, avec renouvellement par moitié tous les
quatre ans). Le Sénat ainsi composé était une assemblée<< fort calme
et décorative)) qui réunissait, pour l'essentiel, de grands proprié-
taires fonciers et des membres de la noblesse (24). Son autorité vis-
à-vis de la Chambre était réduite. Dans cette perspective, l'ar-
ticle 27 ancien de la Constitution a consacré, jusqu'en 1921, un droit
de priorité au profit de la Chambre des représentants pour l'examen
des lois de budget et des lois fixant le contingent de l'armée.
La révision constitutionnelle qui intervient en 1893 procède à un
abaissement minime du cens d'éligibilité. Elle crée la catégorie des
sénateurs provinciaux qu'elle dispense du paiement du cens, ainsi
que celle des sénateurs de droit.
La révision constitutionnelle de 1920-1921 supprime toute exi-
gence de cens. Elle crée la catégorie des sénateurs cooptés. Par ail-
leurs, elle ramène la durée du mandat sénatorial à quatre ans. Elle
place, du même coup, le Sénat sur pied d'égalité avec la Chambre
des représentants.
A l'occasion de la discussion et du vote de la loi spéciale du 8 août
1980 de réformes institutionnelles, une idée se dessine encore : le
Sénat devrait être réformé pour ne plus comprendre que des
membres élus. A cette condition, les parlements de communauté et
de région ne comprendraient que des sénateurs - tous élus directs,
par définition - . Cette préoccupation n'a pas été concrétisée.

(24) P. DF. VIHSCHER, op. cit., t. II, p. 4.


494 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

528. - En 1993, la composition du Sénat est modifiée sur des


points de détail (n" 479). Son statut au sein du pouvoir législatif
fédéral est réaménagé de fond en comble. Il reste associé, comme
par le passé, à l'exercice de la fonction constituante. Il n'est plus
investi des tâches de contrôle politique du gouvernement. Il ne par-
ticipe plus à la confection du budget. Il perd des responsabilités
essentielles à l'occasion de la confection de la loi.
Si la Constitution continue à affirmer qu'en toutes circonstances,
le pouvoir législatif fédéral est exercé << collectivement par le roi, la
Chambre des représentants et le Sénat )), cette prescription ne peut
se comprendre qu'à condition d'user d'une fiction juridique :lorsque
la Chambre des représentants a adopté le texte d'une loi et que
quinze sénateurs ne provoquent pas une nouvelle délibération à ce
propos, le Sénat est censé marquer implicitement son adhésion à la
volonté exprimée par la première Chambre.
C'est de bicaméralisme tempéré et inégalitaire qu'il est question
en la circonstance.
La réforme du Sénat s'est engagée sur des voies qui ne sont pas satisfaisantes.
Un Sénat nouvelle mouture devrait se caractériser tout à la fois par sa légitimité
et par son efficacité. Sa légitimité, parce qu'il associerait, sur pied d'égalité, les
deux grandes communautés qui composent le Belgique. Son efficacité, parce
qu'il se saisirait de tous les dossiers- faciles et difficiles- que soulève la coha-
bitation de deux peuples au sein de l'Etat belge. Nous sommes loin de compte,
tant sur le terrain de la légitimité que sur celui de l'efficacité (<<Les autorités
fédérales» ... , p. 24).

529. - 3. La crise du bicaméralisme. - Aujourd'hui, le bicamé-


ralisme paraît en déclin, sinon en crise. Comme l'observe G. BUR-
DEAU, l'évolution démocratique conduit <<soit à la disparition du
bicaméralisme, soit à la diminution des pouvoirs de la Chambre
haute)) (25).
Dans certains Etats, la seconde Chambre est purement et simple-
ment absente. C'est le cas des pays nordiques - au Danemark, en
Suède, en Norvège ou en Finlande - . C'est aussi celui du Grand-
Duché de Luxembourg. C'est encore la situation des Etats qui ont
accédé plus récemment à l'indépendance, spécialement dans le
Proche et l'Extrême-Orient. Il faut relever, dans la même perspec-
tive, que l'Etat belge a lui-même aménagé, au niveau communau-

(25) Traité de science politique, Paris, L.G.D.J., 1976, t. IX, p. 67.


L'ORGANISATION DES POUVOIRS 495

taire et régional, un régime représentatif qui s'accommode des tech-


niques du monocaméralisme.
Dans d'autres Etats, la seconde Chambre voit diminuer singuliè-
rement ses prérogatives. C'est la situation faite, par exemple, au
Conseil de la République de la Constitution française de 1946 ou à
la Chambre des Lords en Grande- Bretagne.
L'évolution ainsi décrite n'est, cependant, pas uniforme. Le pres-
tige reconnu au Sénat américain et à ses membres suffit à le démon-
trer. La référence indique que l'institution du bicaméralisme prend
une signification particulière dans les Etats fédéraux. L'idée n'est
pas seulement de provoquer une double délibération dans l'élabora-
tion de la loi et du budget ou un double contrôle de l'action du gou-
vernement. Elle est d'instaurer des formes différentes de représenta-
tion dans les assemblées législatives. Il est admis, en effet, que dans
les Etats fédéraux, une assemblée est appelée, comme dans les Etats
unitaires, à représenter la Nati on et ses habitants, mais que la
seconde Chambre a vocation à représenter de manière particulière
les composantes de l'Etat fédéral.
Dans cette perspective, une représentation égale des collectivités
particulières peut être assurée (26). Elle paraît même constituer un
principe essentiel du fédéralisme - c'est la pratique aux Etats-
Unis, en Suisse ou au Nigéria, par exemple - ; une représentation
pondérée peut également être assurée comme au Canada, en Répu-
blique fédérale d'Allemagne ou en Autriche. Ces modifications orga-
niques confèrent évidemment à la Chambre haute une mission spéci-
fique dans l'aménagement de l'Etat fédéral; cette fonction ne peut
se confondre avec celle qui pouvait être remplie dans les sociétés
unitaires de l'Europe du XIXe siècle.
Le Sénat de Belgique n'a pas connu pour sa part de telles évolu-
tions. Il est composé selon les règles de la représentation proportion-
nelle. Il n'instaure pas la parité entre les mandataires de l'une et
l'autre communautés. Il ne recourt pas de manière systématique
aux majorités spéciales qui auraient permis d'atteindre le même
objectif. Il ne confère pas au Sénat les attributions essentielles qui
lui donneraient un rôle important dans l'organisation des institu-
tions publiques. Il faut regretter que le Sénat ne soit pas devenu un

(26) Charles GooSSENS, «Le bicaméralisme en Belgique et son évolution», Liber amicorum
Frédéric Dumon, Anvers, 1983, t. II, p. 793; R. HENRION, «Le Parlement belge. Pouvoir de légis-
lation et de contrôle?», séance de l'Académie royale de Belgique du 6 mai 1985.
496 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

lieu où les représentants des communautés et des regwns auraient


débattu, sur pied d'égalité, des intérêts qu'ils partagent en commun
dans l'Etat fédéral.

B. - L'indépendance organique des Chambres


530. - Chaque Chambre forme une branche distincte du pou-
voir législatif fédéral. Dans les limites fixées par la Constitution, elle
est maîtresse de son organisation. Elle établit, à cette fin, son règle-
ment (Coust., art. 60).
Le règlement d'assemblée contient des dispositions relatives à
l'organisation et au fonctionnement de l'assemblée. Il comprend
aussi des prescriptions relatives à l'élaboration de la loi fédérale et
à la révision de la Constitution. Il rassemble encore des dispositions
relatives aux techniques de contrôle de l'action gouvernementale.
Seules les questions d'organisation et de fonctionnement retiennent,
pour l'instant, l'attention. A l'occasion de cet examen, des diffé-
rences apparaissent dans l'aménagement interne des assemblées.
Elles sont relevées au passage.
531. - Comme le veut la Constitution (art. 52), chaque
Chambre a un président. Il est élu par ses pairs à la majorité absolue
des suffrages (Règl., Ch., art. 3; Règl., Sén., art. 9). Il a pour mis-
sion de diriger les travaux de l'assemblée. A cette fin, il convoque
ses collègues en séance publique; il veille à la réunion des commis-
sions parlementaires et à l'avancement de leurs travaux; il réunit la
conférence des présidents (no 539) aux fins d'arrêter l'ordre des tra-
vaux; dans les débats, il répartit le temps de parole entre les
groupes et entre les parlementaires.
Le président d'assemblée dispose aussi de fonctions qui l'amènent
à maintenir l'ordre dans l'assemblée qu'il préside et dans les locaux
qui sont affectés aux travaux parlementaires. Il exerce la police de
l'assemblée, rappelle au besoin les parlementaires à l'ordre, suspend
et, si nécessaire, lève la séance.
Le président joue un rôle essentiel dans la conduite de la procé-
dure législative. Il statue, en premier degré, sur la recevabilité des
propositions qui sont déposées sur le bureau de la chambre; il
envoie le texte du projet en commission; il ouvre les débats en
séance publique et dirige les délibérations; il fait observer, en toutes
circonstances, le règlement; il donne et retire la parole à chaque
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 497

parlementaire; il fait procéder aux scrutins nécessaires et en pro-


clame les résultats.
Tant le règlement de la Chambre (art. 5, al. 2) que celui du Sénat
(art. 13, al. 2) insistent sur la magistrature morale que le président
de l'assemblée doit exercer : s'il prend la parole dans un débat, c'est
pour présenter l'état de la question et y ramener; s'il veut discuter,
il quitte le fauteuil et ne peut le reprendre qu'après la délibération
sur la question débattue.
532. - Chaque chambre dispose ég'alement d'un bureau (27). A
la Chambre des représentants, il se compose, outre le président, de
cinq vice-présidents et de quatre secrétaires. Au Sénat, il comprend,
outre le président, trois vice-présidents et trois questeurs. Les
membres d'un bureau d'assemblée sont élus pour la durée d'une ses-
sion. Ils sont choisis par leurs pairs à la majorité absolue des suf-
frages et par autant de scrutins qu'il y a de postes à pourvoir; les
trois derniers vice-présidents de la Chambre, les questeurs du Sénat
ainsi que les secrétaires des deux assemblées sont néanmoins élus au
scrutin de liste.
Pourquoi la Constitution prescrit-elle, dans son article 52, la com-
position d'un bureau? Pour une raison simple. <<C'est un fait d'ex-
périence courante qu'une assemblée, quelle qu'en soit la nature,
politique ou non politique, ne peut fonctionner correctement si elle
ne désigne pas un organe plus restreint chargé à la fois de préparer,
de diriger les débats et d'exécuter les décisions d'ordre interne prises
par l'assemblée~> (28). Le bureau de chaque Chambre remplit cet
office.
D'une part, le bureau est investi d'une tâche essentielle dans l'or-
ganisation des travaux parlementaires, spécialement ceux qui relè-
vent de la fonction législative. Les règlements de la Chambre
(art. 7) et du Sénat définissent incidemment ces attributions en pro-
curant quelques exemples de << ce qui est du ressort du bureau ~>, et
donc de la mission des secrétaires : surveiller la rédaction du procès-
verbal, donner lecture des propositions, amendements et autres

(27) A l'ouverture de chaque session, un bureau provisoire est constitué. Il est formé du
doyen d'âge, qui fait office de président, et des quatre membres les plus jeunes qui font fonction
de secrétaires (Règl., Ch. et Sén., art. 1'''). Le bureau provisoire fait procéder, en début de légis-
lature, à la vérification des pouvoirs et à la prestation de serment des nouveaux membres.
(28) Ch. DF.BBASCH, J. BoURDON, J.-M. PoNTIF.R et J.-Cl. RICCI, Droit constitutionnel et insti-
tutions politique8, Paris, Economica, 1983, p. 674.
498 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

pièces à communiquer à l'assemblée, inscrire successivement les par-


lementaires qui demandent la parole, tenir note des résolutions et
des votes, procéder à l'appel nominal...
D'autre part, le bureau se voit assigner des responsabilités dans
le domaine de l'administration interne de l'assemblée. Les services
de celle-ci sont placés sous son autorité. Il les organise et en prescrit
le fonctionnement; il fixe le statut de leurs membres; il exerce la
haute direction sur leurs activités. Dans le même ordre d'idées, il
vérifie et apure les comptes de l'assemblée (Règl., Sén., art. 15,
al. 2).
Faut-il ajouter que le bureau, et particulièrement son président,
ont mission de veiller au respect du règlement de l'assemblée dont
ils font partie? En quelque sorte, ils en sont le gardien. Une préro-
gative leur revient à ce titre : ils désignent les membres de la com-
mission qui sera adjointe au bureau aux fins d'examiner, avant dis-
cussion en séance publique, les modifications que des parlementaires
suggèrent d'apporter au règlement de l'assemblée (Règl., Sén.,
art. 86).
Les vice-présidents exercent, dans la conduite des débats parle-
mentaires, les mêmes attributions que celles du président, lorsqu'ils
sont amenés à le remplacer au fauteuil présidentiel. Les secrétaires,
eux, assistent le président dans l'exercice de ses fonctions et, en
cette qualité, font << tout ce qui est du ressort du bureau )).
533. - Chaque assemblée est encore pourvue d'une questure. Les
questeurs sont au nombre de six à la Chambre et de trois au Sénat.
Il s'agit de parlementaires choisis, tous les deux ans, par leurs pairs
pour exercer, selon l'expression imagée de P. WIGNY, <<la charge du
ménage parlementaire )). Comme le prescrivent les règlements, ils se
soucient du cérémonial, du matériel et des dépenses. Leur fonction
est plus administrative que politique.
Il leur revient de faire des propositions sur le budget de l' assem-
blée {Règl., Ch., art. 106bis, al. 2 et Sén., art. 15, al. 2). S'ils doivent
prendre toute mesure qui concerne << l'entretien du palais législatif)),
ils ne sont pas habilités à y maintenir l'ordre. La police appartient
à l'assemblée législative elle-même : elle est exercée en son nom par
le président qui donne à la garde de service les ordres nécessaires.
Au Sénat, les questeurs font partie du bureau.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 499

534. - Chaque Chambre dispose également de services adminis-


tratifs : un greffe, un service d'études, des traducteurs, une biblio-
thèque, des huissiers ... Les membres du personnel sont nommés, à
la Chambre (art. 106bis, al. 3) et, au Sénat, par le bureau sur propo-
sition du collège des questeurs (art. 83) (29).
Les services de l'assemblée sont placés sous la direction d'un gref-
fier. Celui-ci, qui n'est pourtant pas parlementaire, est élu par l'as-
semblée selon les règles qui président au choix des membres du
bureau. Il est le secrétaire général de rassemblée : il rédige - sous
le contrôle du bureau - le procès-verbal des séances, il conserve les
archives, il convoque les parlementaires aux séances et aux réunions
de commissions.
535. - Des groupes politiques sont constitués. Ils assurent la
représentation des partis dans les assemblées parlementaires.
Députés ou sénateurs peuvent se rassembler selon leurs affinités
politiques (30). L'existence de ces groupes est consacrée directement
par les règlements d'assemblée (Règl., Ch., art. 10 et Règl., Sén.,
art. 18) (31) et indirectement par l'article 222 du Code électoral.
Un minimum de députés est requis pour que le groupe politique
soit reconnu : cinq membres suffisent à la Chambre. Au Sénat, nul
quorum n'est prescrit par le règlement.
Les groupes contribuent à un fonctionnement ordonné de l'assem-
blée. Ils assurent la discipline de leurs membres. Ils arrêtent les
positions communes. Ils mandatent les orateurs qui exposeront
celles-ci et ordonnent les interventions des parlementaires. Ils assu-
rent aussi le relais entre le parti et ses élus.
Les groupes servent également à l'organisation de l'assemblée.
Une part des élections au bureau, tout comme les désignations dans
les commissions constituées dans chaque Chambre, se font au pro-
rata de leur importance numérique : << les nominations auxquelles la
Chambre est appelée à procéder parmi ses membres, à l'exception de
celles relatives au bureau, se font à la représentation proportion-
nelle des groupes politiques)) (art. 12).

(29) Ce personnel n'est pas soumis au statut des agents de l'Etat.


(30) Nul ne peut faire partie de plus d'un groupe politique.
(31) Les groupes politiques ont été également reconnus par des lois telles que la loi du 15 juil-
let 1970 (art. Il) sur l'organisation de la planification et de la décentralisation économique et la
loi du 16 juillet 1973 (art. 19) sur la protection des tendances idéologiques et philosophiques.
500 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Les responsabilités assignées aux groupes politiques et à leurs pré-


sidents valent à ces derniers d'être associés étroitement à la
conduite du travail parlementaire : le bureau de la Chambre est
complété depuis 1977 par les présidents des groupes politiques qui
comptent au minimum douze membres (art. 3, al. 3) - leur statut
est analogue à celui des vice-présidents - ; la conférence des prési-
dents ou la commission du travail parlementaire fait également
appel aux présidents de groupe ou à leurs représentants.
Depuis 1972, chaque groupe politique bénéficie d'un subside
annuel provenant des crédits de fonctionnement inscrits au budget
des dotations (voy. Règl., Sén., art. 18, al. 4).
Chaque groupe dispose encore d'un secrétariat administratif, dont
le rôle consiste à assister les mandataires du parti dans l'exercice de
leurs fonctions en préparant avec eux la discussion des budgets, des
projets de loi ou les interpellations. La rémunération du personnel
de ce secrétariat est à prélever sur le subside octroyé au groupe.
536. - Depuis 1970, des groupes linguistiques se sont ajoutés
aux groupes politiques.
Selon l'article 43, § pr, de la Constitution, les membres<< élus)> (ce
qui exclut les sénateurs de droit) (32) de chaque Chambre sont
répartis en un groupe linguistique français et un groupe linguistique
néerlandais, <<pour les cas déterminés dans la Constitution)> (no 467)
et <<de la manière fixée par la loi )>.
Selon la loi du 3 juillet 1971, l'appartenance à un des groupes lin-
guistiques de la Chambre des représentants est, en principe, déter-
minée par le régime linguistique de la région dans laquelle les
députés ont été élus. Le ou les députés de la région de langue alle-
mande sont, cependant, rangés dans le groupe linguistique français.
Les députés élus par le collège électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde
appartiennent à un groupe linguistique en fonction de la langue
dans laquelle ils prêtent (en premier lieu) le serment constitutionnel.
L'appartenance des sénateurs à un groupe linguistique est réglée
par l'article 43, § 2, de la Constitution. Les sénateurs élus directe-
ment par le collège électoral français, ceux désignés par le Parle-
ment de la Communauté française et les membres cooptés par ces
deux catégories de sénateurs forment le groupe linguistique français

(32) Le sénateur désigné par la Communauté germanophone en son sein (art. 67, § 1 ,.,., 5")
n'est membre d'aucun des deux groupes linguistiques du Sénat.
.----------------------------------

L'ORGANISATION DES POUVOIRS 501

du Sénat. Les sénateurs élus directement par le collège électoral


néerlandais, ceux désignés par le Parlement flamand et les membres
cooptés par ces deux dernières catégories de sénateurs forment le
groupe linguistique néerlandais du Sénat.
537. - Les commissions parlementaires sont organisées au sein
de chaque Chambre.
Elles préparent le travail qui sera accompli par l'assemblée en
séance publique. Elles ne se substituent pas à elle. On considère
généralement que c'est au sein des commissions que s'accomplit, en
un cercle restreint et à l'abri de la publicité, le travail parlementaire
le plus approfondi et le plus sérieux.
1. Après un renouvellement de la Chambre des représentants, celle-
ci nomme, en son sein, et pour la durée de la législature, des com-
missions permanentes qui ont pour mission de réaliser les travaux
préparatoires à l'élaboration de la loi ou du budget. Leurs attribu-
tions et leur dénomination sont fixées par le président de la
Chambre des représentants, sur avis de la conférence des présidents;
il tient compte, pour ce faire, des divisions de l'administration géné-
rale en départements.
Les commissaires sont élus selon le principe de la représentation
proportionnelle, au prorata de l'importance des groupes politiques.
Si un groupe n'est pas représenté dans une commission, l'un de ses
membres peut participer aux travaux de la commission mais il n'y
a pas voix délibérative. De même, les membres de la Chambre des
représentants qui n'appartiennent pas à une commission détermi-
née, mais qui ont déposé une proposition de loi qui vient en discus-
sion, peuvent assister à ces réunions et y être entendus; ils n'ont pas
non plus voix délibérative. La commission peut encore prendre
l'avis de personnes ou d'organismes non parlementaires (pratique
des hearings).
Chaque membre d'un groupe politique fait partie d'au moins
deux commissions.
Lorsque le président de la Chambre ou l'un des vice-présidents
qu'il désigne est membre d'une commission permanente, il la préside
de plein droit. Dans les autres cas, la commission nomme un prési-
dent parmi ses membres pour la durée de la session; cette désigna-
tion requiert l'avis conforme du président de la Chambre qui répar-
502 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

tira ces mandats entre les groupes politiques en tenant compte


d'une proportionnalité relative (art. 13, al. 3).
2. Après un renouvellement du Sénat, il est également procédé à
la constitution de commissions permanentes. Leur nombre et leurs
attributions sont déterminés par le bureau; ils ne coïncident pas
avec ceux des départements ministériels mais s'adaptent aux grands
secteurs de l'action gouvernementale.
Les commissaires sont élus à << la représentation proportionnelle )),
(art. 21, al. 2 et 76). Les sénateurs qui ne sont pas membres d'une
commission déterminée peuvent, sauf décision contraire de cette
commission, assister à ses réunions et y être entendus; ils n'y ont
pas voix délibérative. Dans les conditions fixées par le président de
la commission et avec l'accord de celle-ci, des personnes extérieures
au Sénat peuvent également être entendues.
Lorsque le président du Sénat appartient à une commission per-
manente, il la préside de plein droit. Dans les autres cas, la commis-
sion désigne, pour la durée de la session, son président.
3. En dehors des commissions permanentes, chaque assemblée
peut former des commissions spéciales chaque fois qu'elle le juge
utile (Règl., Ch., art. 25bis et Sén., art. 31); elle peut notamment les
charger de procéder à l'examen d'un projet ou d'une proposition de
loi déterminés. Ces commissions cessent d'exister à l'achèvement de
leur travail, par exemple, lors du dépôt du rapport sur les projets
de texte dont elles ont été saisies.
Les assemblées forment également des commissions de vérifica-
tion des pouvoirs, des pétitions, du règlement, des poursuites, des
naturalisations, de la révision de la Constitution ... dont les règle-
ments s'attachent à préciser la compétence (33).
538. - Une commission particulière, appelée commission parle-
mentaire de concertation, est instaurée aux fins de départager la
Chambre des représentants et le Sénat sur les questions que l'un ou
l'autre doivent examiner soit en priorité, soit de manière exclusive.
La loi du 6 avril 1995, prise en application de l'article 82, ali-
néa 3, de la Constitution compose cette commission de

(33) Les commissions mixtes sont formées de députés et de sénateurs. Elles permettent d'évi-
ter les navettes entre les deux assemblées. Cette pratique est trop rarement utilisée en Belgique
(discussion du projet de Code judiciaire, par exemple) alors pourtant qu'elle permet de lutter
contre les méfaits du bicaméralisme.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 503

22 membres - onze députés et onze sénateurs - et détermine le


mode de son fonctionnement. << Les décisions de la commission >> sont
prises <<à la majorité absolue des membres de chacune des compo-
santes de la commission et, à défaut, à la majorité des deux tiers>>.
Elles <<lient les deux assemblées>> (art. 14).
539. - La conférence des présidents exerce, à la Chambre, un
rôle capital dans l'organisation du travail parlementaire et des dis-
cussions publiques. Elle établit un ordre des travaux qu'elle soumet
à l'approbation de l'assemblée. Elle peut notamment fixer la durée
d'une discussion, le temps de parole réservé à chaque groupe politi-
que en séance publique, l'heure du scrutin ... (Règl., Ch., art. 28).
Pour la fixation de l'ordre du jour, le gouvernement est invité à
déléguer l'un de ses membres.
La conférence des présidents comprend, outre le président et les
vice-présidents de la Chambre, les anciens présidents de l'assemblée,
le président et un membre de chaque groupe politique.

C. - Les sessions parlementaires

540. - L'existence de deux assemblées distinctes ne peut man-


quer de susciter une question pratique. Quand sont-elles habilitées
à délibérer, jouissent-elles en ce domaine d'une parfaite autonomie,
comment vont-elles coordonner leurs activités?
Une idée s'affirme ici. Les chambres législatives n'ont pas la maî-
trise absolue de leurs travaux et de leurs réunions. Un temps limité
leur est donné pour organiser la double discussion que le bicaméra-
lisme peut rendre nécessaire.
Le droit belge ignore le système des assemblées permanentes. La
Constitution n'a pas voulu que les chambres soient en activité, au
moins virtuelle, durant toute la législature, soit durant la période
qui sépare deux élections législatives. La législature se partage en
périodes d'activité, les sessions parlementaires, et en périodes
d'inactivité, les vacances parlementaires (34).

(34) Sur ce thème, voy. F. DELPÉRÉE et F. JoNGEN, ''La législature>> (cité).


-------------------------------------------------.

504 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

541. - Les chambres législatives ont-elles alors la maîtrise de


leurs sessions (35)? La réponse est négative, à plusieurs égards.
L'ouverture de la session ordinaire, d'abord, ne dépend pas des
Chambres : elle est fixée par la Constitution à une date fixe, le
deuxième mardi d'octobre (art. 44, al. 1er). La clôture de la session,
ensuite, ne leur revient pas : c'est le roi qui la prononce; il n'a
d'autres règles de conduite à respecter que celles prescrites par la
Constitution : il doit permettre aux Chambres de se réunir au moins
quarante jours (art. 40, al. 2 et 3) (36) et veiller à ce que le Sénat
ne se réunisse pas <<hors du temps de la session de la Chambre des
représentants~> (art. 73) (37).

La réunion des Chambres en session extraordinaire, ensuite, ne


dépend pas d'elles. Si les circonstances l'exigent, le roi peut les
convoquer ; il lui appartient de clore cette session.
Les sessions des Chambres, enfin, pourraient être interrompues
par le roi : il peut ajourner les Chambres, mais l'ajournement ne peut
excéder le terme d'un mois, ni être renouvelé dans la même session
sans l'assentiment des Chambres; la pratique qui servait de préam-
bule à une mesure de dissolution est tombée en désuétude.
Dans quelques cas particuliers, les deux Chambres qui ne sont pas
en session sont également tenues de se réunir : c'est pour entendre
la prestation de serment du nouveau roi (art. 90, al. 1er) ou pour
pourvoir à la régence (art. 92, 93 et 95); en cas d'impossibilité de
régner, ce sont les ministres qui convoquent immédiatement les
Chambres (art. 93).
542. - Les Chambres législatives tirent leur indépendance de ce
qu'elles exercent, en fait, une activité quasi permanente. La prati-
que constitutionnelle est en ce sens. Le roi ne clôt la session ordi-
naire des Chambres législatives qu'à quelques jours de leur réunion
de plein droit; ce sont alors les présidents d'assemblée qui, durant

(35) La session s'entend de la période de temps de moins de douze mois pendant laquelle une
assemblée délibérante est habilitée à siéger valablement. Elle s'inscrit le plus souvent à cheval
sur deux années civiles. Exemple : session ordinaire 1999-2000. La séance, elle, est cette période
de la journée au cours de laquelle une assemblée se réunit de manière effective; elle est ajournée
à une séance ultérieure que fixe le président, après consultation de ses collègues.
(36) Ce délai est notamment prescrit pour l'adoption des budgets et le vote du contingent qui
doivent intervenir annuellement (Const., art. 174 et 18~).
(37) L'inverse n'est pas vrai. Il n'empêche que l'activité de la Chambre des représentants est,
pour une part, paralysée dès le moment où le Sénat n'est plus en mesure d'agir; la règle de la
collégialité requiert leur collaboration pour l'élaboration des lois bicamérales.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 505

les mois d'été, ont la faculté de réunir les membres des Chambres.
Une conséquence en résulte : il n'y a plus de session extraordinaire,
si ce n'est à l'issue d'élections législatives.
L'esprit du régime parlementaire le veut ainsi. Les Chambres, et
en particulier la Chambre des représentants, sont appelées à exercer
un contrôle permanent sur l'action du pouvoir exécutif fédéral; elles
lui apportent, par la majorité qu'elles représentent, un appui indis-
pensable.
<< Le ministère politiquement responsable, ne saurait sans danger

pour sa propre autorité, pour son existence même, se soustraire pen-


dant un long temps au contact et au contrôle du Parlement ... Il y
a là une loi naturelle, résultant de la logique des institutions, et qui
enlève beaucoup de leur importance aux règles constitutionnelles
sur les sessions ... >> (38).

§ 2. - La règle de la majorité
543. - La règle de la majorité fait partie de ces idées simples
qui commandent l'aménagement des sociétés démocratiques et, au
sein de celles-ci, le fonctionnement des assemblées. Une décision
prise à la majorité s'impose à tous. La minorité, même si elle reste
fidèle à ses convictions, ne peut que s'incliner devant la mesure qui
est arrêtée de cette manière. Mais de quelle majorité s'agit-il et com-
ment la calculer ?

A. - Les quorums de présence


544. - Une majorité de parlementaires doit-elle être réunie pour
permettre à l'une ou l'autre Chambre de remplir ses missions? En
principe, la réponse est négative.
Aucun quorum n'est requis pour délibérer. Les parlementaires ne
se font pas faute de profiter de cette disposition constitutionnelle :
les uns poursuivent d'autres activités parlementaires (et travaillent,
par exemple, en commission alors que la séance publique se pour-
suit); d'autres assument la charge d'autres activités politiques (par
exemple, dans les collectivités locales); d'autres encore s'attachent
à mener, pour leurs électeurs, un ensemble de démarches auprès du

(38) A. EsMEIN, op. cit., p. 555.


506 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

pouvoir exécutif et de ses services; quelques-uns sont tout simple-


ment absents (39).
Un quorum de présence est exigé pour le vote des résolutions. La
majorité des membres de l'assemblée doit se trouver réunie (art. 53,
al. 3 ). En cas d'absentéisme, les formations politiques d'opposition
peuvent tirer profit de cette règle en quittant l'hémicycle au
moment du vote : celui-ci ne pourra être organisé ou, s'il l'est, sera
dépourvu de valeur. La formule du pairage s'attache à combattre
les méfaits de cette pratique.
Un quorum de présence des deux tiers est requis lorsqu'une
Chambre fait œuvre constituante, lorsqu'elle accepte la nomination
par le roi de son successeur (art. 86) et lorsqu'elle donne son assenti-
ment à la désignation du roi comme chef d'un autre Etat (art. 87).
Un quorum de présence dans chaque groupe linguistique est, par
ailleurs, requis pour l'adoption des dispositions d'une loi spéciale.

B. -Les quorums de vote


545. - Le principe est simple. Toute résolution est prise à la
majorité absolue des suffrages (Coust., art. 53, al. 1er). Le nombre
des votes positifs doit l'emporter sur celui des votes négatifs, ce qui
signifie qu'en cas de partage des voix, la proposition mise en délibé-
ration est rejetée (Coust., art. 53, al. 2).
Pour vérifier si la majorité absolue est atteinte, il y a lieu de
comptabiliser les seuls suffrages positifs et négatifs. Selon la formule
consacrée, <<les abstentions ne comptent pas )>. Comme le précise
l'article 49 du règlement de la Chambre des représentants, << tout
membre qui, présent dans la Chambre lorsque la question est mise
aux voix, s'abstient de voter, sera invité par le président, après l'ap-
pel nominal ou le vote nominatif, à faire connaître les motifs qui
l'engagent à ne pas prendre part au vote)).
Des majorités qualifiées, soit les deux tiers, sont requises pour
l'adoption de la Constitution (art. 195, al. 5) ou d'une loi spéciale

(39) Nul sénateur ne peut s'abstenir d'assister à une séance ... Le compte rendu analytique
mentionne le nom des absents en assemblée et en section, en indiquant les motifs d'excuse. Un
tableau trimestriel des absences en assemblée, en section et en commission est publié, avec J'indi-
cation des motifs d'absence (Règl., Sén., art. 35, al. 2). Selon le règlement de la Chambre (art. 31,
al. 5), la liste des membres présents est portée au procès-verbal.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 507

(no 44). Elles le sont également lorsque les Chambres doivent auto-
riser le roi à devenir chef d'un autre Etat (art. 87, al. 2) ou nommer
son successeur (art. 86, al. 2).

C. - Les quorums particuliers

546. - La Constitution permet d'aménager des règles particu-


lières << à l'égard des élections et des présentations f). La règle de la
majorité relative peut, dans certaines hypothèses, suffire.
Ainsi les nominations se font, en principe, à la majorité absolue
des suffrages- et au scrutin secret- (Règl., Ch., art. 11). Mais la
présence de plusieurs candidats peut conduire à un éparpillement
des suffrages. Un premier, voire - à la Chambre - un deuxième
tour de scrutin peut rester sans résultat. Un scrutin de ballottage
est alors organisé entre les deux candidats qui ont obtenu le plus de
voix; à ce moment, la majorité relative suffit - étant entendu
qu'en cas d'égalité, le plus âgé l'emporte- (ibidem).

§ 3. - La règle de la publicité

547. - La publicité, celle des débats et des votes, est un prin-


cipe fondamental du droit parlementaire. A la différence du pouvoir
gouvernemental qui est appelé à forger ses décisions dans la discré-
tion, sinon dans le secret, les deux branches élues du pouvoir légis-
latif fédéral sont amenées à se prononcer au vu et au su de l'opinion
publique. Les électeurs sont ainsi mis en situation de pouvoir
contrôler l'action des élus.

A. - La publicité des séances

548. - La publicité est, d'abord, celle des séances. Si chaque


Chambre peut déterminer la manière dont elle exerce ses attribu-
tions, elle ne peut ignorer les principes que la Constitution elle-
même établit. La publicité est au nombre de ceux-ci (art. 47).
La publicité des séances se marque par la possibilité offerte aux
citoyens d'accéder à la tribune publique qui est aménagée dans l'un
et l'autre hémicycles et d'y suivre les travaux en séance plénière. La
loi du 2 mars 1954 qui tend à prévenir et à réprimer les atteintes
508 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

au libre exercice des pouvoirs souverains établis réprime, en particu-


lier, le fait de se livrer dans les locaux des Chambres à tous faits,
gestes, paroles ou agissements quelconques de nature à troubler les
travaux parlementaires; dans la tribune publique, les spectateurs
sont priés de se tenir assis et découverts et de ne se livrer à aucune
manifestation extérieure d'approbation ou de critique. Le président
de l'assemblée fait respecter ces prescriptions; il décide au besoin de
faire évacuer les tribunes.
La publicité des séances est également assurée par l'écho que la
presse procure aux débats parlementaires. Encore faut-il retenir que
les deux assemblées législatives n'ont admis la retransmission en
direct de leurs débats à la radio et à la télévision que dans des cir-
constances tout à fait exceptionnelles. La presse se borne à produire
un résumé succinct des interventions les plus saillantes.
La publicité des séances se traduit essentiellement par la publica-
tion de documents qui en relatent le déroulement. Ce sont les
Annales parlementaires qui fournissent la reproduction intégrale des
discussions et qui mentionnent les votes intervenus (40). C'est aussi
le Compte rendu analytique, sorte de journal parlementaire officia-
lisé, qui fournit à bref délai un résumé des débats et une recension
des votes; alors que les Annales rapportent les interventions dans
la langue utilisée par les auteurs, le Compte rendu analytique est tout
entier rédigé en français ou en néerlandais.

B. - La publicité des votes


549. - La publicité des séances ne va pas sans la publicité des
votes. Pour permettre un contrôle réel de l'opinion sur l'ensemble de
la délibération, le vote exprimé par un parlementaire doit être indi-
viduel, pour refléter l'opinion de celui qui l'émet. Il doit aussi être
personnel, c'est-à-dire émaner de celui qui a charge de l'exprimer -
les délégations ne sont pas concevables - . Le vote doit aussi être
public : les modalités retenues doivent permettre d'identifier avec
suffisamment de netteté les partisans et les adversaires d'une résolu-
tion (art. 55).

(40) Après un avertissement, le président peut décider que les propos tenus par l'orateur qui
dépasse son temps de parole ne seront reproduits ni aux Annales parlementaires, ni au Compte
rendu analytique.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 509

Quelles en sont les modalités? Le vote peut avoir lieu par assis
et levé. C'est la procédure la plus simple et la plus rapide. Elle est
de droit en toute matière - sauf pour les élections et les nomina-
tions qui se font au vote secret, ainsi que pour les projets et les pro-
positions de loi pour lesquels d'autres conditions sont exigées du
scrutin public -. Le résultat du vote par assis et levé est constaté
par les secrétaires et proclamé par le président; il ne laisse aucune
trace.
Le vote peut aussi avoir lieu par appel nominal. Il est obligatoire
quand il porte sur l'ensemble des lois fédérales (Const., art. 55) ou
quand il est réclamé par cinq membres, au Sénat (Règl., art. 42,
al. 3) ou huit membres, à la Chambre (Règl., art. 46, al. 1er).
Dans la pratique, le vote par appel nominal peut revêtir deux
modalités. Il y a le vote à haute voix (Const., art. 39 ancien). C'est
le scrutin le plus solennel. Une lettre de l'alphabet est tirée au sort
au début de chaque séance; en fonction de l'ordre ainsi constitué,
il est procédé à l'appel des noms des parlementaires; chacun d'eux
exprime son vote à haute voix. Le recours systématique à cette
forme de scrutin aboutit à paralyser les travaux de l'assemblée. Il
y a aussi le vote électrique que l'on appelle le vote nominatif et qui
constitue une variété d'appel nominal; il remplace le scrutin à haute
voix. De son pupitre, chaque parlementaire émet un vote au moyen
d'un appareil placé devant lui. De petites lampes constatent l'exé-
cution du vote; elles restent allumées jusqu'à la clôture du scrutin;
les résultats sont reproduits sur un tableau électrique figurant dans
l'assemblée.

C. - Les exceptions

550. - La publicité des séances et des votes n'est pas une règle
absolue. Des exceptions peuvent lui être apportées.
<<Chaque Chambre se forme en comité secret, sur la demande de
son président ou de dix membres. Elle décide ensuite, à la majorité
absolue, si la séance doit être reprise en public sur le même sujet >)
(Const., art. 47, al. 2 et 3). Il est tenu un procès-verbal des réunions
en comité secret. Mais, comme le précisent l'article 32, alinéa 7, du
règlement de la Chambre et l'article 36, alinéa 3, du règlement du
Sénat, l'assemblée peut aussi décider qu'il n'en sera pas rédigé.
510 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Le vote, lui aussi, peut être secret. Il en va ainsi lorsqu'il appar-


tient à l'assemblée de procéder à des nominations ou à des présenta-
tions (n° 8 456 s.).

SECTION III. - LES PROCÉDURES


JURIDICTIONNELLES

551. - Le <<pouvoir juridictionnel>> est également orgamse par


les dispositions de la Constitution et de la loi fédérale. Il est com-
posé d'autorités multiples, disséminées de surcroît sur le territoire,
mais dont chacune tient son investiture d'une nomination par le roi.
Ni les procédures de gouvernement, ni celles de délibération ne peu-
vent, dans ce contexte, prévaloir. Seule compte la préoccupation
d'assurer à chacune des autorités constituées au sein de ce pouvoir
l'indépendance que requiert l'exercice de ses fonctions.
Il n'y a pas de justice. Il n'y a que des juridictions plus ou moins intégrées
les unes aux autres. Il n'y a que des juges dotés d'un statut de large indépen-
dance. Le fonctionnement de la justice mérite d'être examiné au travers des ins-
titutions et des personnes qui rendent la justice.

L'article 151, § 1er, de la Constitution en établit la règle : <<Les


juges sont indépendants dans l'exercice de leurs compétences juri-
dictionnelles >>.
La définition des procédures juridictionnelles prend, dans cette
perspective, un relief particulier. Elle sert à caractériser tout à la
fois l'autorité qui y recourt et l'œuvre qu'elle accomplit. D'une cer-
taine manière, elle présente un caractère moins contingent que les
procédures esquissées ailleurs. La fonction de gouverner aurait pu se
concevoir sans l'alliance d'un monarque qui est irresponsable et de
ministres qui le sont, la fonction de délibérer sans le préalable de la
double discussion. Mises en œuvre au niveau d'une communauté,
d'une région, voire d'une collectivité locale, ces fonctions s'adaptent
à un cadre institutionnel nouveau et ne sacrifient pas au dogme de
l'inviolabilité du chef de l'exécutif ou du bicaméralisme ... Conçoit-
on, à l'inverse, un juge qui ne soit pas indépendant?
Des règles particulières traduisent cette préoccupation. L'œuvre
de justice, quelque forme qu'elle emprunte, ne se conçoit pas sans
un débat contradictoire (§ 1e''). Elle requiert que les jugements
soient motivés (§ 2). Elle postule encore une certaine publicité des
audiences et des décisions de justice (§ 3). Ce sont là des conditions
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 511

inhérentes à la fonction de juger. Elles offrent des garanties indis-


pensables pour l'exercice effectif des droits de l'homme.

§ 1er. - La règle du débat contradictoire

552. - Par définition, le juge statue sur des prétentions oppo-


sées. Il tranche un litige et, pour ce faire, il procède à une évalua-
tion des positions en présence : des droits ou des intérêts, matériels
ou moraux, privés ou publics, peu importe. Comment imaginer que
le juge puisse remplir cet office sans entendre les parties au litige?
Le droit processuel a pour objet de préciser les règles et les moda-
lités de ce débat. En toutes circonstances, la règle du débat contra-
dictoire se trouve affirmée. Le respect des droits de la défense le
veut ainsi.
Le principe du contradictoire n'est pas inscrit, à proprement par-
ler, dans la Constitution. Il s'agit, selon la doctrine et la jurispru-
dence, d'un principe général de droit public (41); à ce titre, il s'ap-
plique à toute juridiction. Il peut se dégager d'un ensemble de dis-
positions, tant de droit interne que de droit international, qui com-
mandent l'organisation des procédures en matière civile, pénale et
administrative. Ainsi le livre II de la quatrième partie du Code judi-
ciaire, consacré à << l'instance ~>, précise la manière dont les parties au
litige introduisent leurs demandes, communiquent leurs pièces,
échangent dossiers et conclusions; l'article 104 7 du même Code pré-
voit aussi que<< tout jugement par défaut peut être frappé d'opposi-
tion ... ~> pour permettre à la partie défaillante de faire valoir ses
moyens.
De leur côté, les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat prescrivent
que la procédure à suivre devant la section d'administration assure
aux intéressés << les garanties nécessaires pour la défense de leurs
droits~> (art. 30, al. 1er); adde : l. coord. 12 janvier 1973 et A. Rgt.
23 août 1948 déterminant la procédure devant la section d'adminis-
tration du Conseil d'Etat.

(41) W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, «Le droit de défense, principe généra\ de droit.
Réflexions sur des arrêts récents», in Mélanges Jean Dabin, Bruxelles, Bruylant, 1963, t. II,
p. 569.
512 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

§ 2. - La règle de la motivation
553. - Un jugement doit être motivé. Il doit, selon l'expression
consacrée, révéler les raisons de droit ou de fait que la juridiction
compétente a prises en compte pour justifier sa décision. C'est là,
observe la Cour de cassation, << une garantie essentielle contre la par-
tialité et l'arbitraire, qui s'impose comme preuve que le magistrat
a examiné soigneusement les moyens qui lui étaient soumis, et qu'il
a médité la solution du litige>) (Cass., 21 septembre 1933, Pas., I,
p. 311). Le juge ne peut se contenter d'imposer sa décision. Il doit
convaincre les parties au litige, les juridictions qui en connaîtront
éventuellement sur recours et, plus généralement, l'opinion publique
du bien-fondé de la solution qu'il retient.
<<Tout jugement est motivé>), précise l'article 149 de la Constitu-
tion. D'où il suit que la règle a une portée générale. Elle vaut évi-
demment pour les tribunaux judiciaires. Elle vaut aussi pour les
juridictions administratives. A ce niveau, elle s'impose tantôt à rai-
son d'un texte exprès (voy. l. coord. Conseil d'Etat, art. 28, al. 1er),
tantôt en vertu d'un principe général de droit public - la nature de
la fonction juridictionnelle impose au juge de motiver ses déci-
sions - . Elle s'applique encore à la Cour d'arbitrage (loi spéciale du
6 janvier 1989, art. 111 : <<L'arrêt contient les motifs et le disposi-
tif...>)).
<<L'obligation de motiver est complexe, écrit le procureur général
W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH. Elle est à la fois de forme et de
fond. De ce qu'elle est de forme, il résulte que l'examen du moyen
fondé sur un défaut de motif est préalable aux moyens de fond.
Mais que l'obligation de motiver doive toucher au fond ressort de
ce que la juridiction supérieure, et surtout la Cour de cassation, doi-
vent trouver dans le motif les éléments de nature à leur permettre
d'exercer leur contrôle >) (42).
<<Le motif doit être clair, précis et complet sur le point tranché
dans le dispositif>) ; il y a défaut de motifs lorsque les motifs donnés
par le juge sont << incertains, imprécis, ambigus, contradictoires ou
inconciliables>) (43).

(42) «L'obligation de motiver les actes de juridiction en droit belge», in Rapports belges au
xe Congrès international de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 465.
(43) Ibid., p. 466.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 513

§ 3. - La règle de la publicité
554. - Selon l'article 148 de la Constitution, <(les audiences des
tribunaux sont publiques>>. L'ouverture des prétoires permet, en
principe, que l'œuvre de justice, en tout cas le déroulement des
débats, s'accomplisse sous le contrôle des citoyens. Une exception
est prévue au texte. Le huis clos peut être prononcé au cas où
<( cette publicité serait dangereuse pour l'ordre ou les mœurs >>; il
revient au juge de décider si ces conditions sont remplies, encore
qu'en matière de délits politiques et de presse, le huis clos ne puisse
être prononcé qu'à l'unanimité des magistrats appelés à siéger
(al. 2).
La disposition inscrite dans l'article 148 de la Constitution
connaît des tempéraments. Des débats se déroulent en chambre du
conseil, à l'abri de la publicité. La Constitution mériterait d'être
révisée pour tenir compte de ces solutions imposées par l'expérience.
<(Tout jugement ... est prononcé en audience publique>> (Const.,
art. 149). Comme le relève J. VAN CoMPERNOLLE, <(la condition du
prononcé en audience publique détermine l'existence même de l'acte
juridictionnel>>. Elle ne s'apparente pas aux exigences de publicité
qui affectent les lois, décrets et règlements pour leur permettre de
sortir leurs effets (44). En conséquence, il ne peut y être dérogé (45).
Une jurisprudence contestable de la Cour de cassation tend à
considérer que ces prescriptions ne trouvent pas à s'appliquer aux
juridictions administratives. Elle conduit à donner une portée diffé-
rente aux deux conditions inscrites dans l'article 149 de la Constitu-
tion - la motivation et la publicité du prononcé - . Elle semble
également s'écarter de l'interprétation communément apportée à
l'article 6, § 1er de la Convention européenne des droits de l'homme.

(44) Introduction au droit judiciaire, Louvain-la-Neuve, 1985, p. 17.


(45) Comp. M. LEROY,« Tout jugement est motivé et rendu publiquement», R.B.D.C., 1999,
p. 77 : «Le prononcé en audience publique ne devrait être maintenu dans sa forme actuelle que
dans les cas où sa solennité contribue à l'efficacité attendue du jugement, soit principalement en
matière répressive, où un délinquant, surtout un délinquant primaire, peut être impressionné de
manière salutaire par un juge qui lui lit son jugement en le regardant droit dans les yeux ''·
514 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

BIBLIOGRAPHIE

La doctrine s'intéresse peu, semble-t-il, aux modes d'organisation des pouvoirs,


hormis sans doute aux questions touchant à l'aménagement des procédures juridic-
tionnelles. Outre les études citées en notes de bas de page, il y a lieu de citer :

Pour les procédures de gouvernement :


L. DE LICHTERVELDE, «Coutumes de la monarchie constitutionnelle >), Académie
royale de Belgique, Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques,
1948, t. XXXIV, p. 154; F. DELPÉRÉE, Chroniques de crise, 1977-1982, Bruxelles,
Ed. CRISP, 1983, spécialement p. 147; C.-H. H(JJER, Le régime parlementaire belge de
1918 à 1940, Uppsala, 1946; A. MoLITOR, La fonction royale en Belgique, Bruxelles,
Ed. CRISP, 1994; R. URBAIN, La fonction et les services du Premier ministre en Bel-
gique, Bruxelles, Librairie encyclopédique, 1958; B. WALEFFE, Some constitutional
aspects of recent cabinet development in Great Britain and in Belgium, Bruxelles, Bruy-
lant, 1968.

Pour les procédures de délibération


E. BLAMONT, Techniques parlementaires, Paris, P.U.F, 1958; R. SENELLE, «De
benoeming van de voorzitter van de Kamer van Volksvertegenwoordigers >), R. W.,
1966, col. 630; Une étude comparative sur la structure et le fonctionnement des institu-
tions représentatives dans 41 pays, Paris, P.U.F, 1961; H. VAN IMPE, Le rôle de la
majorité parlementaire dans la vie politique belge, Bruxelles, Bruylant, 1966.

Pour les procédures juridictionnelles :


Les principaux ouvrages de droit judiciaire et de contentieux administratif, en par-
ticulier :
C. CAMBIER, Précis de droit judiciaire civil, t. le' : Fonction et organisation judi-
ciaires, Bruxelles, Larcier, 1974; ID., Principes du contentieux administratif, t. le': Le
juge dans l'Etat. Le contrôle judiciaire de l'administration, Bruxelles, Larcier, 1961;
A. FETTWEIS, Introduction au droit judiciaire. <<Les institutions», Liège, 1983;
Ch. VAN REEPINGHEN, Rapport sur la réforme judiciaire, Bruxelles, 1964.
Ainsi que les travaux suivants :
F. DuMON, «De la motivation des jugements et de la foi due aux actes)), J.T.,
1978, p. 465; A. FETTWEIS, <<Le rôle du formalisme dans le procès civil moderne>), in
Liber amicorum F. Dumon, Anvers, Kluwer, 1983, t. Il, p. 663; W. J. GANSHOF VAN
DER MEERSCH, <<Le droit de défense, principe général de droit. Réflexions sur des
arrêts récents)), in Mélanges Jean Dabin, Bruxelles, Bruylant, 1963, t. Il, p. 569; ID.,
<<Réflexions sur l'art de juger et l'exercice de la fonction judiciaire», J.T., 1973,
p. 509; ID., « L'obligation de motiver les actes de la juridiction en droit belge>), in
Rapports belges au X' Congrès international de droit comparé, Bruxelles, Bruylant,
1978, p. 418; J. VAN CoMPERNOLLE, «Etendue et limites des pouvoirs du juge dans
le conflit familial>), in Famille, droit et changement social, Bruxelles, Bruylant, 1978,
p. 562; J. VELU, «L'arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 1959 et le problème
de l'application aux juridictions administratives des règles constitutionnelles sur la
publicité des audiences et des jugements», J. T., 1960, p. 441.
CHAPITRE III
LE STATUT DES TITULAIRES
DU POUVOIR

555. - L'appartenance d'un ensemble de personnes physiques à


une autorité publique et donc à un pouvoir leur vaut un régime
juridique qui n'est pas celui des autres citoyens.
Il est malaisé de préciser si les dérogations qui caractérisent ce
statut s'inscrivent en plus, sous forme de privilèges, ou en moins, en
termes de sujétions. La protection qui est assurée va moins aux
individus qu'au pouvoir qu'ils incarnent et à la fonction qu'ils exer-
cent.
Il convient de préciser, à grands traits, le statut constitutionnel
qui est fait aux membres du pouvoir exécutif fédéral, aux parlemen-
taires fédéraux ainsi qu'aux magistrats.

SECTION Fe. - L E STATUT DES MEMBRES


DU POUVOIR EXÉCUTIF FÉDÉRAL

556. - Le pouvoir exécutif fédéral se compose du roi et du gou-


vernement qu'il désigne. Des principes d'intégration visent à préser-
ver leur unité d'action. Mais comment ignorer que ces autorités dis-
tinctes ont été choisies selon des modalités différentes? Un statut
spécifique revient à chacune d'elles. Des droits et des devoirs revien-
nent, en particulier, à chacun de leurs membres.
Ce regime particulier prend la forme d'immunités (§ 1er). Dans le
chef du roi, elle est synonyme d'inviolabilité (A). Pour les membres
du gouvernement, elle équivaut à un régime particulier de responsa-
bilité pénale (B) et civile (C).
Elle peut aussi se traduire en avantages économiques (§ 2). Pour
le roi, ceux-ci se matérialisent dans la liste civile (A). Pour les
membres du gouvernement, ils consistent en un traitement (B), sur
lequel se greffent des avantages accessoires (C).
516 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

§ 1er. - Les immunités

A. - L'inviolabilité du roi
557. - En s'attachant à définir le statut personnel du roi, la
Constitution ne peut manquer de reprendre à son compte la formule
de l'Ancien droit : The King can do no wrong. Elle le fait en termes
laconiques : <<La personne du roi est inviolable>) (art. 88).
De cette manière, elle écarte l'idée même que le chef de l'Etat
puisse commettre des agissements répréhensibles au regard de la loi
pénale. Elle considère aussi que, si une infraction se révèle, le roi
doit être mis à l'abri de toute mesure d'instruction, de contrainte
ou de jugement. La protection qui va à la fonction se révèle ainsi :
s'il en allait autrement, comment préserver la continuité monarchi-
que et la permanence de l'institution royale ( 1)?
L'inviolabilité du roi est absolue. Elle couvre les actes que le roi
accomplit dans l'exercice de ses fonctions. <<Si la Reine, disait déjà
DICEY au siècle dernier, tuait de sa propre main le Premier
ministre, aucun tribunal ne pourrait connaître de cet acte >). D'où
cette précision qu'apporte un peu maladroitement l'article 88 : les
ministres seront politiquement responsables de ces actes. L'inviola-
bilité couvre aussi les agissements hors fonction.
La Commission chargée d'émettre un avis motivé sur l'applica-
tion des principes constitutionnels relatifs à l'exercice des préroga-
tives du roi a estimé que l'immunité prévue par l'article 88 de la
Constitution produisait également des effets d'un point de vue civil.
A raison de la généralité des termes utilisés, le roi est mis à l'abri
de toute action devant la juridiction civile.
Selon la Commission, << un correctif est apporté à la rigueur du
principe en ce qui concerne les obligations de droit privé qui ont
trait au patrimoine du roi : aussi admet-on, en cette matière, la pos-
sibilité d'une action en justice, l'immunité ne se manifestant que
par le fait que le roi ne peut être attrait personnellement en justice

(1) Les articles 101 à 112 du Code pénal visent, de leur côté, à réprimer les attentats et les
complots contre le Roi, mais aussi ceux qui seraient accomplis contre l'héritier présomptif et les
membres de la famille royale ou qui chercheraient à changer la forme de gouvernement monar-
chique. Adde :le décret du 20 juillet 1831 (art. 3) et la loi du 6 avril 1847 (art. r') sur la répres-
sion des offenses envers la personne du Roi.
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 517

mais y est représenté par l'intendant ou l'administrateur de la liste


civile>> (2).
Sans procéder à une révision préalable de l'article 88 - ni non plus des
articles 58 et 103 - de la Constitution, l'Etat belge a procuré assentiment au
statut de Rome de la Cour pénale internationale. Il expose ainsi le roi, les
ministres et les parlementaires à des mesures de poursuites en dehors des condi-
tions prescrites par la Constitution. Le Conseil d'Etat n'a pas manqué de relever
que cette façon de faire était inappropriée (L. 28.936/2, 21 avril 1999). Il serait
judicieux d'introduire une clause particulière en ce sens : <<Il est suggéré d'insé-
rer, par exemple, dans un article 168bis nouveau de la Constitution, la disposi-
tion suivante : 'L'Etat adhère au Statut de la Cour pénale internationale, fait
à Rome le 17 juillet 1998'. Pareille disposition couvrirait les adaptations qui en
résultent dans l'ordre juridique constitutionnel» (ibidem).

558. - La règle d'inviolabilité est assortie d'un corollaire impor-


tant. La responsabilité politique des actes ou des initiatives du roi
repose sur les ministres et sur eux seuls. Comme le relève André
MAST, les Chambres législatives doivent laisser la personne du roi en
dehors de leurs débats; si un parlementaire méconnaît cette règle,
il est rappelé à l'ordre par le président de l'assemblée (3). A fortiori,
un ministre ne peut se prévaloir de la position adoptée par le rm
pour justifier les mesures qu'il a prise.

B. - La responsabilité pénale des ministres


559. - Pendant plus d'un siècle et demi, le régime de la respon-
sabilité pénale des ministres est resté à l'état embryonnaire. L'an-
cien article 103 avait été conçu à titre provisoire. Il devait être com-
plété par une loi que le Congrès national considérait comme urgente
(Const., art. 139 ancien). Différents projets ont été soumis aux
Chambres législatives pour donner suite à cette invitation et pour
mettre le régime actuel en conformité avec les dispositions de la
Convention européenne des droits de l'homme. Mais ils n'aboutirent
pas (4).

(2) Mon. b., 6 août 1949, p. 7591. Adde . J. SAcE, ''Nul fors le Roi ne plaide par procureur»,
in Mélanges offerts à Roland De Valkeneer, Bruxelles, Bruylant, 2000.
(3) Op. cit., p. 252.
(4) A. GIRON, Le droit public de la Belgique, pp. 128 s.; J. J. THONISSEN, La Constitution belge
annotée, pp. 200 s.; CENTRE n'ÉTUDES POUR LA RÉFORME DE L'ETAT, La réforme de l'Etat, conclu-
sions additionnelles, pp. 94 s.; R. DELANGE, «Considérations sur la responsabilité pénale et la res-
ponsabilité civile des ministres et des secrétaires d'Etat>> J.T., 1976, pp. 653 s.; M. VERDUSSEN,
Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal, Bruxelles, Bruylant, 1995, pp. 511 s.
518 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Dans ces conditions, le régime répressif retenu à l'encontre des


ministres reposait sur un double monopole.
Le monopole des poursuites revenait à la Chambre des représen-
tants. Il appartenait à l'assemblée politique représentative de la
Na ti on d'accuser les ministres et donc de les traduire en justice.
Une disposition transitoire de l'article 103 de la Constitution préci-
sait même que la Chambre disposait, en la matière, d'un pouvoir
discrétionnaire (5).
Le monopole de jugement revenait à la Cour de cassation qui sié-
geait, en la circonstance, en chambres réunies. Elle seule pouvait
connaître des infractions commises par un ministre, que ce fût dans
l'exercice de ses fonctions ou en dehors de celles-ci. La Cour déter-
minait la peine, en faisant application des lois pénales.
560. - Le développement de plusieurs << affaires )) - qui ont mis
en cause d'anciens ministres pour des actes accomplis dans l' exer-
cice de la fonction gouvernementale (6) ou qui ont failli atteindre
des ministres en fonction pour des actes de leur vie privée (7) - a
rappelé, si besoin en était, l'urgence d'un règlement un tant soi peu
détaillé des phases de la procédure pénale lorsqu'elle tend à répri-
mer les infractions qu'auraient pu commettre des membres du pou-
voir exécutif fédéral.
Plutôt que de s'attacher à rédiger la loi qui procurerait applica-
tion à l'article 103 de la Constitution (8), les milieux politiques ont
entrepris de modifier la Constitution pour en procurer ensuite une
application plus commode.
<<Si le gouvernement et le Parlement s'accrochent au vieux texte de 1831, ils
ne feront pas du bon ouvrage. Ils s'exposent à des difficultés inextricables dans
l'aménagement des procédures et dans la définition des règles de fond.
Si le gouvernement et le parlement procèdent, au contraire, à la révision préa-
lable de l'article 103 de la Constitution et, dans sa foulée, de l'article 126, s'ils

(5) On considérait, jusqu'en 1993, que la Chambre pouvait retenir, à l'encontre d'un ministre,
des faits qui n'étaient pas incriminés par la loi pénale. Les auteurs du siècle dernier imaginaient,
par exemple, qu'un ministre soit mis pénalement en cause pour avoir porté gravement atteinte
aux intérêts généraux du pays en entraînant celui-ci dans une guerre malheureuse. La répression
pénale se voulait un substitut de la responsabilité politique.
(6) Affaires Inusop et Agusta-Dassault («Le procès Agusta-Dassault »,in L'Année francophone
internationale. An 2000, AFI, 2000, p. 42).
(7) Affaire Trusnacht.
(8) La loi du 17 décembre 1996 portant exécution temporaire et partielle de l'article 103 de
la Constitution montre très tôt ses limites.
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 519

renoncent à cette occasion au double monopole - dans la poursuite et dans le


jugement-, tout devient plus simple, plus cohérent, plus harmonieux.
En février 1831, le Congrès national disait qu'il était urgent de concevoir une
loi sur la responsabilité des ministres. Aujourd'hui, je m'autorise à le contredire:
il est plus urgent encore de changer la Constitution.
C'est un vieil adage de chez nous. Il ne faut pas mettre la charrue devant les
bœufs. Je traduis. Il ne faut pas mettre la loi devant la Constitution(<< Conclu-
sions •>, in La responsabilité pénale des ministres, fédéraux, communautaires et
régionaux- dir. F. DELPÉRÉE et M. VERDUSSEN -,Bruxelles, Bruylant, 1997,
p. 160).

561. - La Constitution a été révisée le 12 juin 1998. Elle revient


sur les solutions acquises.
D'une part, la Chambre des représentants voit réduire ses compé-
tences. Elle se borne désormais à donner une autorisation. Celle-ci
est requise dans trois cas : l'arrestation du ministre, la citation
directe par le procureur général devant la cour d'appel et la réquisi-
tion émanant de la même autorité judiciaire en vue d'assurer le
règlement de la procédure (9).
D'autre part, les attributions de la Cour de cassation sont désor-
mais transférées à une cour d'appel. Celle-ci siège en assemblée
générale. Ses arrêts sont susceptibles d'un <<pourvoi devant la Cour
de cassation, chambres réunies >>, mais il est précisé que celle-ci ne
connaît plus, en l'espèce, <<du fond des affaires>> (art. 103, al. 3).
La loi du 25 juin 1998 régie la responsabilité pénale des
ministres (10). Elle <<détermine le mode de procéder>> contre eux,
<<tant lors des poursuites que lors du jugement>> (art. 103, al. 2). Il
est notamment précisé que << la cour d'appel de Bruxelles est seule
compétente pour juger un ministre pour les infractions qu'il aurait
commises dans l'exercice de ses Jonctions )) (art. 2, al. 1er).
Le roi ne peut faire grâce à un ministre condamné par la cour que
sur la demande de la Chambre des représentants (art. 103 et Ill).

(9) L'intervention de la Chambre des représentants in limine litis est précisée : 'Sans se pro-
noncer sur le fond du dossier, la Chambre vérifie si la demande (que lui transmet le procureur
général) est sérieuse •· Elle peut refuser son autorisation dans deux cas.' Il s'avère: que tant l'ac-
tion publique que les faits sont manifestement fondés essentiellement sur des motifs politiques;
que les éléments fournis sont irréguliers, arbitraires ou insignifiants •• (loi du 25 juin 1998, art. 12,
§ 1"', al. 2 et 3).
(lü) Il s'agit d'une loi monocamérale (Const., art. 74).
520 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

562. - Y a-t-il lieu d'établir un régime distinct selon que l'in-


fraction commise s'inscrit dans l'exercice des fonctions ministé-
rielles - la corruption, par exemple - ou, au contraire, ne ressortit
pas à ce type d'activités - l'homicide ou la fraude fiscale, par
exemple-?
La Constitution n'établit pas ce genre de distinction. Elle mani-
feste le souci de garantir un exercice adéquat de la fonction ministé-
rielle, quel que soit le type d'infraction commise.
Une distinction s'impose néanmoins. La juridiction répressive
habilitée à connaître de la responsabilité du ministre ne sera pas la
même. Si l'infraction touche à l'exercice de la fonction ministérielle,
seule la cour d'appel de Bruxelles peut en connaître. Si l'infraction
commise par le ministre se situe hors fonctions, c'est la cour d'appel
<< du lieu de l'infraction, celle de la résidence du prévenu et celle du

lieu où le prévenu aura été trouvé »> qui sont << également compé-
tentes »> pour connaître de ce dossier.

563. - Le système retenu s'applique-t-il aux anciens ministres,


lorsqu'il convient d'incriminer des faits qui remontent à une époque
où ils étaient en charge ?
Si les faits reprochés relevaient de la fonction ministérielle, il y a
lieu de considérer que la responsabilité pénale suit le régime de la
responsabilité politique. Les tribunaux ordinaires ne peuvent en
connaître. La Chambre des représentants est habilitée à se pronon-
cer sur l'opportunité des poursuites. Si elle juge bon de renvoyer
l'ancien ministre devant un juge, seule une cour d'appel peut
connaître de ce litige.
Faut-il s'étonner de la solution retenue? La protection qui pré-
vaut sans limitation dans le temps est établie tant dans l'intérêt de
la fonction ministérielle que dans l'intérêt du ministre. Le régime
spécifique doit donc recevoir l'application la plus étendue possible.
Pour les faits qui ne relèvent pas de l'exercice des fonctions minis-
térielles, une solution différente s'impose (voy. la décision de la
Chambre des représentants du 14 mai 1982, Ann. parl., p. 1664, et
l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 1985, dans l'affaire Van-
den Boeynants). Le système de l'article 103, alinéa 1er, de la Consti-
tution s'inscrit dans cette perspective. L'objectif était de mettre le
ministre en mesure de remplir aisément ses fonctions, sans être gêné
par des poursuites téméraires, intempestives ou vexatoires (pour les
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 521

parlementaires, une disposition analogue est inscrite dans l'ar-


ticle 59 de la Constitution; no 578). Ce régime de protection ne vaut
que pendant le temps de l'exercice des fonctions. A l'échéance de la
fonction ministérielle, le régime de droit commun trouve à s' appli-
quer (11).

C. - La responsabilité civile des ministres


564. - Lorsqu'un dommage est causé par un ministre qui agit
dans l'exercice de ses fonctions, la procédure prescrite en matière
pénale est mise en œuvre, en attendant l'élaboration d'une loi
monocamérale spécifique (sur cette question, voy. Appel, Bruxelles,
1er février 1950, R.C.J.B., 1952, p. 44 et note P. DE VISSCHER;
comp. M. VERDUSSEN et B. LOMBAERT, <<La faute civile de l'admi-
nistration, du ministre et de son cabinet )), in La faute dans les diffé-
rentes branches du droit, 1999, p. 79).
Lorsqu'un dommage est causé par un ministre qui agit hors
l'exercice de ses fonctions, le droit commun est applicable, à moins
que le jugement de l'action civile ne suppose la constatation préa-
lable d'une infraction pénale.

§ 2. - Les avantages économiques

A. - La liste civile du roi


565. - Le statut des biens qui reviennent au roi ou qui sont mis
à sa disposition n'a guère retenu l'attention de la doctrine (12).
Cette réserve n'est pas justifiée. A un moment où les agissements
des autorités publiques et des personnes qui en assument les respon-
sabilités sont placées de manière permanente sous le contrôle de
l'opinion publique, le silence qui entoure la gestion des biens du roi

(JI) D'où la formulation elliptique et peu heureuse de l'article 103, alinéa 1'"'·, de la Constitu-
tion : «Les ministres sont jugés exclusivement par la cour d'appel pour les infractions qu'ils
auraient commises dans l'exercice de leurs fonctions. Il en est de même des infractions qui
auraient été commises par les ministres en dehors de l'exercice de leurs fonctions et pour lesquels
ils sont jugés pendant l'exercice de leurs fonctions». Comment un ministre peut-il commettre des
infractions qui se situeraient, en même temps <<en dehors)) et <<pendant)) l'exercice de ses fonc-
tions? Il s'agit, dans le premier cas, d'un rattachement de type matériel et. dans le second, de
type chronologique. A contrario, si un ministre commet une infraction qui ne présente aucun lien
avec la fonction qui lui a été confiée, mais qu'il doit répondre de ses actes à un moment où il
n'est plus en charge, le droit commun trouve à s'appliquer.
( 12) L'étude la plus complète a été publiée de manière anonyme dans la Revue administrative
de 1910 (pp. 197 s.). Adde . A. MoLITOR, La fonction royale. 2'' éd., Bruxelles, Ed. CRISP, 1994
et A. VANWELKENHIJYZEN, v" Chef d'Etat, in R.P.D.B., supplément, t. V, 1977.
522 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

pose problème. Il peut donner à croire que des pratiques peu com-
patibles avec une saine administration des deniers publics auraient
tendance à se développer. Il peut engendrer des suspicions d'autant
plus vives qu'elles se fonderont sur des faits ou des chiffres qui
échappent, pour une large part, à vérification.
566. - Si le roi des Belges détient ou utilise un certain nombre
de biens - mobiliers et immobiliers - , ceux-ci ne sont pas tous
assujettis à un même régime juridique. La propriété de ces biens,
leur gestion et leur utilisation répondent à des règles différentes.
Des biens relèvent du patrimoine privé du roi. La qualité de chef de l'Etat est,
en l'occurrence, indifférente. Par divers procédés qui relèvent du droit privé -
achat, succession, libéralité ... - , le roi a acquis un certain nombre de biens. Ils
lui reviennent, en sa qualité de citoyen, au même titre que toute autre per-
sonne (13). Peu importe le moment où ces biens entrent dans le patrimoine du
roi. Ils lui appartenaient avant même qu'il ne monte sur le trône ou ils sont
devenus, depuis lors, sa propriété.
D'autres biens composent les biens de la couronne. Ils sont mis par l'Etat fédé-
ral à la disposition du roi. Celui-ci bénéficie à leur égard d'une jouissance en via-
ger. Des immeubles - le palais de Bruxelles et le château de Laeken- sont uti-
lisés par le roi. Il les affecte à un usage professionnel ou leur donne, au moins
pour partie, une utilisation privée. A charge pour lui de les entretenir et de les
meubler.
Des biens relevant de la donation royale sont également mis à la disposition
du roi. Ils sont utilisés pour meubler les résidences royales sous la responsabilité
de l'Intendant de la liste civile.
Une autre catégorie de biens compose la collection royale. Il s'agit de biens
meubles qui appartiennent à l'Etat fédéral mais qui se trouvent placés dans
diverses résidences royales. Ils sont répertoriés et inventoriés. En principe, ils ne
se trouvent que dans les résidences officielles (palais de Bruxelles, châteaux de
Laeken, du Stuyvenberg, de Ciergnon et de Fenffe).
Une dernière catégorie de biens relèvent de la liste civile.

567. - Au sens strict de l'expression, la liste civile désigne la


somme forfaitaire et immuable que l'Etat fédéral met chaque année, à
la disposition du roi pour lui permettre de Jaire face à ses obliga-
tions (14). Son montant est établi au début de chaque règne (15).

(13) A. MOLITOR, op. cit., p. 159.


(14) La loi du 16 novembre 1993 fixe pour la durée du règne d'ALBERT Il, la liste civile à
244 millions de francs. Elle assure aussi la liaison de cette somme à l'indice des prix à la consom-
mation. Ce montant est revalorisé tous les mois à partir de 1994 sur base des traitements réels
des services d'administration de l'Etat fédéral et des augmentations de cotisations patronales à
la sécurité sociale. Elle atteint, en 2000, 264 millions.
(15) A l'exemple américain (art. 2, section 1, clause 6), le montant de la liste civile est arrêté
pour toute la durée des fonctions, sans pouvoir être augmenté, ni diminué. La justification de
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 523

La liste civile est, selon l'expression d'André MOLITOR, un << bud-


get d'institution>> ( 16). Elle rassemble les moyens financiers qui sont
mis à la disposition du chef de l'Etat pour lui permettre de remplir
les diverses missions qui lui sont assignées. Elle doit servir au roi << à
rétribuer ses collaborateurs, à entretenir les résidences royales, à
assurer le fonctionnement de ses services, à pourvoir à ses dépenses
personnelles et aux frais d'hospitalité et de représentation >> ( 17).
La liste civile procède de plusieurs préoccupations.
Elle entend, d'abord, permettre au chef de l'Etat de rémunérer
les membres du personnel de la maison du Roi (18), soit ceux qui
figurent, de manière imagée, sur la<< liste>> (19) de ceux qui y sont
titulaires d'une fonction civile et qui assistent le roi dans l'exercice
de ses responsabilités. La part la plus importante des moyens
alloués au roi reçoit cette destination.
La liste civile se donne ensuite pour objet de rémunérer le titu-
laire de la fonction royale. Le roi, écrivait un auteur du siècle der-
nier, est le premier fonctionnaire de l'Etat (20). Dans la mesure où
<<tout travail mérite salaire>> ou traitement (21), il convient que la
liste civile permette au roi de prélever les émoluments qui corres-
pondent aux activités publiques qu'il remplit. D'où l'idée, par
exemple, qu'en cas de régence, la personne appelée à suppléer le roi
dans l'exercice de ses fonctions, peut également obtenir le bénéfice
d'une telle liste.

cette pratique saute aux yeux. Il faut éviter que le vote des moyens financiers mis à la disposi-
tion du roi n'offre aux chambres législatives la possibilité de mettre en cause, fût-ce de manière
indirecte, la responsabilité du roi. Il faut mettre aussi le gouvernement à l'abri de la tentation
de faire, de cette manière, pression sur le chef de l'Etat. De la sorte, '' la personne royale est mise
à l'abri des discussions parlementaires et des démonstrations antidynastiques, comme il s'en pro-
duit, depuis quelques années, à propos des dotations des princes royaux' (PANDECTES BELGES,
v" Roi, Royauté, n" 297).
(16) Le caractère budgétaire de la liste civile lui vaut notamment d'être arrêtée par le légis-
lateur. Une dérogation importante est néanmoins apportée au principe de l'annualité du budget.
( 17) A. MoLITOR, « Réflexions sur la fonction royale », in Nous, Roi des Belges. 150 ans de
monarchie constitutionnelle, Bruxelles, Crédit communal, 1981, p. 20.
(18) La maison du roi groupe quatre services : le département du grand maréchal de la Cour,
le cabinet du roi, la maison militaire et le service de la liste civile.
(19) Le terme est d'origine britannique. Il date du lendemain de la révolution de 1688, c'est-
à-dire du moment où fut fixé le nouveau statut de la monarchie britannique.
(20) J.J. THONISSEN, op. cit., n" 341; R. SENELLE etE. CLEMENT,« Dota ti es», Administratief
Lexicon, 1990.
(21) La liste civile n'est pas à proprement parler un traitement. S'il fallait y voir la contre-
partie des services assumés par le roi, son montant serait manifestement disproportionné. Il n'en
reste pas moins que la Jiste civile permet de servir des traitements, ceux qui reviennent au roi
et à ses collaborateurs (P. ERRERA, op. cit., p. 193. Contra J. VELU, Notes de droit public,
Bruxelles, Presses universitaires, 1979, vol. 2, p. 421; R. ERGEC, Introduction au droit public,
t. I"', n" 411).
524 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

La liste civile peut encore recevoir une troisième destination. A


supposer qu'un surplus apparaisse au terme des deux premières opé-
rations, il sert à couvrir les dépenses que le roi et ses collaborateurs
sont amenés à consentir pour le bon accomplissement de leurs fonc-
tions. Dans la mesure où des palais, châteaux et maisons sont mis
à la disposition du chef de l'Etat, il revient notamment à ceux qui
administrent la liste de pourvoir << à leur entretien intérieur et à leur
ameublement)) (22).
On ne saurait non plus perdre de vue les dépenses d'accueil et de
représentation qui incombent au chef de l'Etat dans l'exercice de
ses fonctions.
La liste civile peut enfin servir à couvrir les dépenses personnelles
que le chef de l'Etat, voire les membres de sa famille, peuvent
encourir durant le règne. Comment expliquer autrement la disposi-
tion inscrite dans la loi du 24 juillet 1951 (Moniteur belge du 27 juil-
let) précisant que le montant de la liste civile serait augmenté de six
millions au 1er janvier de l'année au cours de laquelle le Roi BAU-
DOUIN contracterait mariage ?

B. ~ Le traitement des ministres


568. ~ Chaque année, les lois budgétaires fixent le traitement et
les frais de représentation des ministres et secrétaires d'Etat ainsi
que le traitement et indemnités du personnel des cabinets.
Le traitement du ministre qui est à la tête d'un département et
celui des secrétaires d'Etat qui lui sont adjoints sont inscrits au
budget du département en question. Le traitement des autres
membres du gouvernement est inscrit au budget des services du
Premier ministre.
Le traitement annuel, pour les ministres, atteint la somme de
7,2 millions. Elle est, pour le Premier ministre, de 7,5 millions.

C. ~ Autres avantages
569. ~ Les membres du gouvernement ne perçoivent pas, en
cette qualité, d'allocations familiales. En attendant qu'un régime

(22) La loi du 28 février 1832 a mis les habitations royales à la disposition de LÉOPOLD l''',
à charge pour la liste civile de pourvoir à leur entretien et à leur ameublement. La même pres-
cription est établie par la loi du 25 décembre 1865 qui met les mêmes habitations à la disposition
de LÉOPOLD Il.
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 525

permanent de retraite et de survie soit instauré au bénéfice des


ministres, des anciens ministres, de leurs veuves et de leurs orphe-
lins, le législateur a occasionnellement octroyé une pension annuelle
et viagère à la veuve d'un ministre pour la mettre à l'abri de diffi-
cultés matérielles (par exemple, Mmes TIELEMANS, LEFÈVRE et
TERWAGNE) (Const., art. 179).
Chaque membre du gouvernement dispose gratuitement d'une
automobile avec chauffeur (23).

SECTION Il. - LE STATUT DES MEMBRES


DU POUVOIR LÉGISLATIF FÉDÉRAL

570. - Le pouvoir législatif fédéral se compose du roi, de la


Chambre des représentants et du Sénat. Il n'y a pas lieu de rappeler
le statut que la Constitution réserve au roi (comme à ses ministres)
(nos 557 à 569). Lorsque le roi intervient à titre d'autorité légis-
lative, il bénéficie du régime d'immunités, et spécialement d'irres-
ponsabilité, qui est organisé à son profit : il n'appartient pas aux
Chambres de critiquer l'attitude ou le comportement de la troisième
branche du pouvoir législatif.
Il faut, par contre, s'interroger sur le statut des parlementaires.
Une idée prévaut en ce domaine. Pareil statut doit préserver l'indé-
pendance des membres des Chambres et assurer le libre exercice de
la fonction parlementaire. Les représentants de la Nation doivent
être protégés contre eux-mêmes, contre les emprises du pouvoir exé-
cutif fédéral et du pouvoir judiciaire et contre l'intervention de
tiers.
Un régime simple d'incompatibilités (§ 1er) s'efforce de répondre à
ces préoccupations. Il est organisé par la Constitution (A), par la loi
fédérale (B) ou par les règlements des partis politiques (C). Un
régime d'immunités (§ 2) est également prévu, sous les formes classi-
ques de l'irresponsabilité (A) et de l'inviolabilité (B); d'autres
formes de protection (C) sont assurées. Il convient aussi de recenser
les avantages économiques (§ 3) qui reviennent aux parlementaires :

(23) S'il renonce au véhicule de l'Etat et utilise sa propre voiture, il est remboursé des frais
qu'il a consentis (AR. 18 janvier 1965 portant réglementation générale en matière de frais de
parcours).
526 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

une indemnité (A), des prestations accessoires (B) et des avantages


fiscaux (C).

§ 1er. - Les incompatibilités

A. - Le régime constitutionnel
571. - A proprement parler, la Constitution n'organise pas un
régime d'incompatibilités. Elle se borne à préciser que le membre de
l'une des Chambres fédérales (( nommé par le Roi en qualité de
ministre ... cesse de siéger)) dans l'assemblée parlementaire. Il est
remplacé par son suppléant mais retrouve son mandat s'il vient à
perdre son portefeuille ministériel (art. 50).
La Constitution précise aussi que ((le membre de l'une des deux
chambres nommé par le gouvernement fédéral à toute autre fonction
salariée que celle de ministre et qui l'accepte, cesse immédiatement
de siéger ... )) (art. 51). Il s'agit d'une sorte de sanction, plus que d'un
cas d'incompatibilité.
La nomination d'un parlementaire à une fonction publique que le
gouvernement rémunère éveille le soupçon. L'indépendance de l'élu
a pu être compromise; sa nomination peut apparaître comme une
promesse ou comme une récompense. Une sanction le frappe qui ne
pourra être<( purgée)) (A. EsMEIN) qu'<( en vertu d'une nouvelle élec-
tion)) (art. 51, in fine).
La Constitution ne prohibe donc pas formellement le cumul de la
fonction parlementaire et d'une fonction publique. Elle permet à un
fonctionnaire de se porter candidat à une élection, d'être élu et
d'exercer le mandat pour lequel il a été désigné. Elle permet aussi
au parlementaire qui a été déchu de ce mandat pour avoir accepté
une fonction publique mais qui, par la suite, est réélu d'exercer ces
deux responsabilités.
Aujourd'hui, les dispositions inscrites dans les articles 50 et 51 de
la Constitution doivent être lues de concours avec celles que retien-
nent un ensemble de textes législatifs. Cette double lecture infléchit
le premier commentaire.

B. - Le régime légal
572. - Le regime des incompatibilités est, en réalité, orgamse
par la loi du 6 août 1931. Pour l'essentiel, il se ramène à la prohibi-
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 527

tion du cumul d'une fonction publique et d'une fonction parlemen-


taire, au niveau fédéral.
Il s'agit d'un cas d'incompatibilité. Cette dernière ne VICie pas
l'élection - qui est valable et qui le reste - . Elle place seulement
l'élu devant un choix : exercer la fonction parlementaire ou occuper
l'emploi public. Elle ne s'apparente pas à un cas d'inéligibilité.
Il s'agit d'une incompatibilité restreinte. L'incompatibilité, en
droit, est l'exception (24). L'idée selon laquelle la fonction de député
et de sénateur requerrait toute l'occupation d'une personne n'a pas
prévalu : la professionnalisation de la fonction parlementaire est
même apparue comme présentant plus d'inconvénients que d' avan-
tages.
Seule subsiste l'idée selon laquelle la fonction de député ou de
sénateur ne permet pas une allégeance, sous la forme d'une nomina-
tion et d'un traitement, vis-à-vis du gouvernement fédéral (25).
Subsiste aussi l'idée selon laquelle un député ou un sénateur ne
peut se voir récompenser par le gouvernement fédéral et attribuer,
de cette manière, titres ou fonctions : <c tout membre des Chambres
qui accepte la décoration d'un ordre national... ou qui reçoit du Roi
des lettres patentes de concession en matière de noblesse cesse
immédiatement de siéger ... >> (loi du 6 août 1931, art. 7); <c les
membres des Chambres ne peuvent être nommés à des fonctions

(24) Le régime d'incompatibilité de fonctions fait l'objet- à juste titre- d'interprétations


restrictives qui en limitent la portée. Ce qui est prohibé, c'est l'exercice cumulé d'une fonction
au service du gouvernement fédéral et d'une fonction parlementaire. Mais qui peut croire que
l'administration se ramène aux seuls services dont le gouvernement de l'Etat fédéral a directe-
ment la charge? Tout le domaine des administrations communautaires et régionales, des adminis-
trations locales, des administrations décentralisées par services échappe aux prescriptions de la
loi. L'observation vaut pour les fonctions mi-politiques et mi-administratives qui sont exercées
dans les organes de direction de ces collectivités politiques ou de ces services publics. Elle vise
aussi tous les emplois administratifs qui ont été organisés dans les services de ces institutions.
Les élus locaux, les agents des administrations locales, les agents des services publics les plus
divers peuplent donc les Chambres législatives.
Sur ce terrain, le cumul est la règle. Voy. cependant les incompatibilités restreintes que pré-
voient des lois particulières pour des fonctions administratives exercées en dehors de l'adminis-
tration générale de l'Etat. A titre d'exemple, on citera la loi du 16 mars 1865 qui institue une
Caisse générale d'épargne et de retraite (art. 9), la loi du 23 juillet 1926 créant la Société natio-
nale des chemins de fer belges (art. 7 et 8) ou l'arrêté royal du 24 août 1939 relatif à l'organisa-
tion et aux attributions de la Banque nationale (art. 26).
(25) Les ministres des cultes rétribués par l'Etat, les avocats en titre des administrations
publiques, les agents du caissier de l'Etat ou les commissaires du gouvernement auprès d'une
société anonyme ne peuvent non plus être, en même temps, membres des Chambres législatives
(loi du 6 août 1931, art. 1"').
528 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

salariées par l'Etat (fédéral) qu'une année au moins après la cessa-


tion de leur mandat>> (art. 5).
573. ~ Des lois particulières complètent le régime des incompa-
tibilités inscrit dans la loi du 6 août 1931. Voyez, par exemple, la
loi du 29 octobre 1846 relative à l'organisation de la Cour des
comptes (art. 2, al. 2), le Code judiciaire (art. 293) et la loi spéciale
du 6 janvier 1989 organisant la Cour d'arbitrage (art. 44).
Ni la Constitution, ni la loi fédérale n'organisent un régime d'in-
compatibilités entre l'activité parlementaire et l'exercice d'une fonc-
tion privée. Le droit belge est lacunaire sur ce point. Si les parle-
mentaires paraissent à l'abri des pressions du gouvernement, ils ne
le sont guère à l'égard de celles que pourraient exercer les forces
économiques et sociales (26).
574. ~ La Constitution prohibe le cumul des mandats politi-
ques, tout au moins au niveau parlementaire : <c On ne peut, précise
l'article 49 de la Constitution, être à la fois membre des deux
Chambres >>, à peine de fausser le principe du bicaméralisme.
La loi organique des élections provinciales précise, dans la même
perspective, que nul ne peut être en même temps député ou séna-
teur et membre d'un conseil provincial.
La loi du 23 mars 1989 relative à l'élection du Parlement euro-
péen (mod. l. 4 mai 1999) étend, pour sa part, aux parlementaires
européens élus en Belgique <c les incompatibilités et les limitations de
cumul>> qui sont applicables aux parlementaires belges (art. 42).

C. ~ Les règlements des partis politiques


575. ~ Certains partis politiques se sont préoccupés d'instaurer
des incompatibilités qui frappent les mandataires publics qui se
réclament de leur obédience. Tantôt il s'agit d'empêcher le cumul
avec certaines activités privées. Tantôt il s'agit de prévenir le cumul
de mandats (voy., par exemple, les statuts du mouvement Ecolo

(26) La loi du 2 mai 1995 prescrit l'obligation de déposer une liste de mandats, fonctions et
professions et d'établir une déclaration de patrimoine. Elle n'a pas pour objet d'exclure le cumul
de ces activités et de leurs rémunérations. Elle reste sans portée pratique, à défaut de mesures
qui en permettent la mise en œuvre (art. 5).
Pour sa part, la loi du 4 mai 1999 précise qu'à partir de 2001, le mandat parlementaire ne
peut être cumulé C< avec plus d'un mandat exécutif rémunéré>> et que le montant des indemnités,
traitements et jetons de présence perçus en rétribution d'activités politiques ou publiques <<ne
peut excéder la moitié du montant de l'indemnité parlementaire» (art. 3 et 4).
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 529

pour qui <~ il est interdit d'exercer simultanément deux mandats ...
politiques ... , sauf obligation constitutionnelle ou légale>> (point VII,
5.2) et d'assumer pareil mandat <~pendant plus de deux termes nor-
maux consécutifs>> (point VII, 5.6). Tantôt encore il s'agit d'éviter
qu'un mandataire politique ne fasse partie des instances dirigeantes
d'un mouvement extérieur au parti (voy., par exemple, la décision
du comité directeur du parti social chrétien du 15 mai 1982).
Le respect de ces prescriptions relève de la discipline interne de
chaque formation politique.

§ 2. - Les immunités
576. - Les immunités parlementaires sont les garanties que la
Constitution accorde aux parlementaires en matière civile et pénale,
en vue de préserver le libre exercice de leur mandat (27). Elles com-
prennent notamment l'irresponsabilité et l'inviolabilité.

A. - L'irresponsabilité
577. - La première immunité est celle de l'irresponsabilité. Ins-
cr~te dans le Bill of Rights de 1686, proclamée par les Etats géné-
raux en 1789, elle fait partie du droit commun des Etats qui enten-
dent assurer l'indépendance du Législatif et de ses membres.
Elle reçoit une expression large : <~ Aucun membre de l'une ou de
l'autre chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l'occasion des
opinions et votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions >>
(art. 58).
L'irresponsabilité est une forme d'immunité absolue. Elle emporte
dispense générale et perpétuelle d'application des règles de droit
pénal et de responsabilité civile à tous les actes que le député ou le
sénateur accomplit dans l'exercice de ses fonctions et qui pourraient
contenir une infraction ou une faute faisant corps avec cet exercice
même.
Le souci de protéger les membres des Chambres de poursuites
téméraires ou vexatoires pour des faits imaginaires, mineurs ou dou-
teux conduit à les mettre à l'abri de poursuites qui, à l'égard

(27) Les immunités sont accordées tant dans l'intérêt de la fonction exercée que dans celui
des parlementaires qui en bénéficient. D'où il ressort qu'un député ou un sénateur ne peut renon-
cer soit de manière générale, soit dans un cas particulier, à ces éléments qui font partie intégrante
de son statut.
530 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

d'autres citoyens, seraient bien fondées puisque cherchant à répri-


mer des infractions réelles, graves et certaines. Peu importe par ail-
leurs l'origine des poursuites : le ministère public, l'exécutif fédéral,
un simple particulier, un autre parlementaire ...
Encore faut-il, pour que le régime d'immunité soit d'application,
que l'infraction, telle qu'elle est définie par la loi pénale, fasse corps
avec une opinion ou un vote. Des actes de violence, des voies de fait,
des coups et blessures échangés à l'occasion d'une séance n'entrent
pas dans cette catégorie (Bruxelles, 31 octobre 1900, Pas., 1901, II,
p. 34).
Encore faut-il également que l'infraction soit contenue dans un
vote émis dans l'exercice des fonctions ou dans une opinion expri-
mée à cette occasion. N'est pas une infraction commise dans l 'exer-
cice des fonctions, celle qui est accomplie à l'occasion d'une réunion
politique ou lors de la reproduction, en dehors de l'enceinte parle-
mentaire, d'un discours politique. La responsabilité du parlemen-
taire est, cependant, dégagée s'il se borne à renvoyer aux Annales
parlementaires. La publication d'opinions, même délictueuses,
émises dans l'exercice des fonctions et reproduites au Compte rendu
analytique ou dans les Annales relève, en effet, d'une publicité obli-
gatoire, sous réserve du droit qui revient au président de faire sup-
primer, dans pareil document, les paroles qui seraient contraires à
l'ordre public (Cass., 11 avril 1904, Pas., 1, p. 199).

B. - L'inviolabilité

578. - La deuxième immunité est celle de l'inviolabilité (Const.,


art. 59). Organisée de manière complexe, elle cherche à répondre à
diverses préoccupations et à rencontrer plusieurs situations.
Les préoccupations sont multiples : assurer l'indépendance des
membres des Chambres, les mettre à l'abri de poursuites mal fon-
dées, éviter la contrainte par corps sur la personne des parlemen-
taires, ne pas investir les assemblées de la responsabilité de juger,
fût-ce par prétérition, les infractions commises par leurs membres.
Les situations juridiques sont diversifiées : il y a lieu de tenir
compte de l'avancement des procédures répressives - la poursuite,
l'arrestation, la détention - ainsi que des circonstances qui les
entourent - par exemple, le flagrant délit - .
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 531

579. - Une idée majeure s'impose en la circonstance. L'inviola-


bilité ne protège pas le parlementaire contre les mesures de pour-
suite ou d'arrestation qui seraient fondées sur des infractions liées
à l'exercice de ses fonctions; dans ce cas, c'est l'irresponsabilité -
c'est-à-dire une forme de protection renforcée - qui trouve à s'ap-
pliquer.
L'inviolabilité ne présente d'utilité que dans l'hypothèse inverse.
Le parlementaire est poursuivi pour des actes qui sont étrangers à
l'exercice de ses fonctions politiques; il·l' est, par exemple, pour des
faits de vol, de corruption ou de coups et blessures.
580. - Dans ce contexte, à quoi sert l'inviolabilité 1 Elle entend
protéger le parlementaire, pendant la durée des sessions, contre la
mise en œuvre de procédures juridictionnelles que justifieraient des
infractions étrangères à l'exercice normal du mandat.
Il ne s'agit pas de faire échapper l'élu fautif ou présumé tel à la
conséquence d'actes qui sont punissables pour tous les citoyens,
mais de différer dans le temps le jugement de telles infractions.
Dans l'intérêt de la fonction et de l'institution parlementaires, il
faut mettre, en cours de session, les élus de la Nati on à l'abri de ces
procédures et a fortiori d'une condamnation pénale.
L'inviolabilité n'est donc pas synonyme d'impunité. Elle aboutit
à une suspension temporaire et relative du procès répressif.
D'un point de vue chronologique, deux hypothèses sont à distin-
guer.
La première : l'assemblée n'est pas ou n'est plus en session. Le
droit commun trouve à s'appliquer. Si la poursuite entreprise en
période de vacances n'est pas terminée à l'ouverture de la session ou
si le parlementaire est détenu à ce moment, la Chambre intéressée
peut requérir la suspension des poursuites (art. 59, al. 6), de la
détention préventive ou de l'exécution d'une peine privative de
liberté.
Deuxième hypothèse. L'assemblée est en session. Le système de
droit commun trouve à s'appliquer dès lors qu'il y a flagrant délit,
au sens technique que le droit pénal donne à cette expression (28).
S'il n'y a pas flagrant délit, l'autorisation préalable de la Chambre
intéressée doit être sollicitée par le procureur général de la cour

(28) Mais l'assemblée concernée peut prendre l'initiative de demander la suspension des pour-
suites ou de la détention.
532 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

d'appel pour tout renvoi ou toute citation devant un juge répressif


ainsi que pour toute arrestation, au sens technique de l'expression.
Dans l'intervalle, soit, dans la plupart des cas, entre le moment
où les faits ont été commis et celui où ils vont pouvoir être jugés,
des mesures d'instruction peuvent être prises. Elles ne requièrent
pas - il faut écrire : elles ne requièrent plus - l'autorisation de la
Chambre concernée (29).
C'est en creux que l'alinéa 2 de l'article 59 formule le principe de la liberté de
l'instruction ... Les mesures contraignantes requérant l'intervention d'un magis-
trat instructeur '-- autres que l'arrestation, visée à l'alinéa 1"' - peuvent être
ordonnées et exécutées sans qu'il soit nécessaire de solliciter l'autorisation de
l'assemblée. Que sont ces mesures? Ce sont les mesures pour lesquelles <<l'ordre
du juge est nécessaire en vertu de la loi et par lesquelles, sans J'autorisation de
l'intéressé, il est porté atteinte à ses droits et libertés personnels •> (Doc. parl.,
Sénat, sess. ord. 1996-1997, no 1-363/3, p. 2) (M. VERDUSSEN, op. cit., p. 677).

581. - Lors de la mise en œuvre de ces procédures, trois garan-


ties sont prescrites. Elles apparaissent comme des << dispositions
compensatoires>> dès l'instant où nulle autorisation n'est requise
pour l'inculpation d'un parlementaire (M. VERDUSSEN).
Les << mesures contraignantes requérant l'intervention d'un juge >>
ne peuvent être prises par celui-ci seul. A la demande du juge com-
pétent, il revient au premier président de la cour d'appel de statuer
en la matière. Sa décision est << communiquée au président de la
chambre concernée>> (Const., art. 59, al. 2).
Les perquisitions et saisies ne peuvent être effectuées <<qu'en pré-
sence du président de la chambre concernée ou d'un membre
désigné par lui>> (art. 59, al. 3).
Seuls les officiers du ministère public et les agents compétents
sont habilités à << intenter des poursuites en matière répressive à
l'égard d'un membre de l'une ou de l'autre chambre>> (art. 59, al. 4).
582. - L'immunité parlementaire peut être levée en période de
session. En fonction de quels critères la Chambre concernée pren-
dra-t-elle cette mesure?
L'assemblée se demandera si la poursuite n'est pas inspirée par un
mobile politique ou partisan. Elle examinera si les faits invo-
qués (30) sont éventuellement punissables et si la culpabilité du par-

(29) M. VERDURSEN, <<Une inviolabilité parlementaire tempérée>>, J. T., 1997, p. 673.


(30) La levée de l'immunité est limitée aux seuls faits dénoncés à, l'assemblée; le juge répressif
n'est pas lié par la qualification qui leur a été donnée.
~---------------------------------------------------------------------------

LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 533

lementaire n'est pas, à première vue, invraisemblable. Elle se posera


également une question : la poursuite qui pourrait s'engager contre
l'un de ses membres n'est-elle pas de nature à entraver le fonction-
nement régulier des travaux de l'assemblée?
Si l'assemblée concernée refuse la levée de l'immunité, les procé-
dures répressives sont suspendues jusqu'à la fin de la session. Le
cours de la prescription est également suspendu.
A supposer que l'immunité parlementaire ait été levée, le parle-
mentaire concerné peut, par la suite, demander à l'assemblée dont
il fait partie de <~ suspendre les poursuites )). Il peut introduire cette
requête à tous les stades de l'instruction. <~ La chambre concernée
doit se prononcer à cet effet à la majorité des deux tiers des votes
exprimés)) (art. 59, al. 5).

C. -- A ut res formes de protection

583. -- La loi du 2 mars 1954 tend à prévenir les atteintes au


<~libre exercice des pouvoirs souverains établis par la Constitution )).
Elle cherche, en particulier, à procurer aux parlementaires des
conditions sereines de travail, tout en préservant le principe de
publicité des séances publiques. Dans cette perspective, les rassem-
blements en plein air et les démonstrations individuelles sont inter-
dits dans la<~ zone neutre)) (art. 3); l'entrée dans les locaux réservés
aux membres des Chambres législatives est réglementée (art. 1er);
les faits, gestes, paroles ou attitudes qui troubleraient les travaux
parlementaires sont prohibés (ibidem). Les infractions aux dis po si-
tions de la loi sont poursuivies sur dénonciation du président d'une
des Chambres (art. 2).
584. -- Une question précise se greffe sur celle des immunités. A
partir de quand le parlementaire jouit-il des prérogatives attachées
à sa fonction? Est-ce à partir du jour de l'élection, de celui de la
validation des pouvoirs ou encore de celui de la prestation de ser-
ment? Près d'un mois peut s'écouler entre le scrutin et les opéra-
tions subséquentes ...
Un parlementaire est présumé représenter la Nation dès le
moment où le bureau électoral l'a proclamé élu; dès ce moment, il
jouit des privilèges et immunités consacrés par la Constitution.
Cette présomption pourra être renversée au moment de l'opération
de validation des pouvoirs. Ce parlementaire ne pourra, cependant,
534 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

exercer les fonctions qui lui sont conférées par élection qu'après
avoir prêté le serment d'<< observer la Constitution >>.

§ 3. - Les avantages économiques

A. - L'indemnité parlementaire

585. - La Constitution cherche à assurer l'indépendance écono-


mique des parlementaires.
Les membres des deux Chambres reçoivent une indemnité
(art. 66, al. 1er et art. 71, al. 2). Comment ne seraient-ils pas cou-
verts des frais et débours- voyage, séjour ... - qu'ils consentent à
l'occasion de l'exercice de leurs fonctions ? Pourquoi n'auraient-ils
pas droit, en outre, au libre parcours sur toutes les voies de commu-
nication exploitées ou concédées par l'Etat (art. 66, al. 2 et art. 71,
al. 3)? Pourquoi n'utiliseraient-ils pas gratuitement les autres
moyens de transport que la loi détermine (art. 66, al. 3 et art. 71,
al. 4)?
Que l'indemnité parlementaire ne soit pas considérée comme une
rémunération ou comme un traitement - ainsi que le note la
Constitution à propos de l'indemnité perçue par les sénateurs
(art. 71, al. 1er) - relève de la pure fiction.
La justification de l'indemnité saute aux yeux. Il s'agit d'assurer
un accès libre et égal aux fonctions politiques et de supprimer le
cens déguisé d'éligibilité qu'aurait consacré le principe de la gratuité
absolue de la fonction parlementaire. Il s'agit aussi de préserver
l'indépendance des membres des Chambres dans l'exercice de leurs
fonctions; ils peuvent ne pas exercer une profession lucrative sans
être exposés à des difficultés matérielles; ils ne dépendent pas d'une
formation politique dont ils seraient les appointés; ils ne sont pas
exposés aux sollicitations intéressées des tiers.
L'évolution du montant de l'indemnité confirme cette interpréta-
tion. Conçue initialement à l'intention des membres de la Chambre
des représentants qui n'habitaient pas la ville où se tenait la session
parlementaire (art. 66 ancien) et pour la seule durée de celle-ci
(idem), elle est devenue une indemnité annuelle au profit de tous les
parlementaires. Cette indemnité est, depuis 1921, de douze mille
francs pour un représentant et de quatre mille francs pour un séna-
teur.
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 535

Ces montants fixés par la Constitution ont fait l'objet, à plusieurs


reprises, de péréquations. Ils sont indexés (31) et assortis des avan-
tages de programmation sociale prévus pour les titulaires d'une
fonction publique.
La détermination du montant exact de l'indemnité et de ses
corollaires est laissée à la discrétion de chacune des assemblées. Le
système retenu peut susciter des critiques sur le plan juridique :
appartient-il à chaque Chambre d'ajuster, par simple décision de
l'assemblée, des montants fixés dans la Constitution? Le système
peut également prêter à controverse sur le plan politique : revient-il
à une institution publique quelle qu'elle soit d'arrêter sans contrôle
le traitement de ses membres? Une intervention des trois branches
du pouvoir législatif fédéral pourrait désamorcer ce type d' objec-
tions.

B. - Les avantages accessoires


586. - Des avantages accessoires à l'indemnité sont prévus. Ils
s'apparentent tantôt à ceux que le droit social aménage au profit
des titulaires d'une fonction publique (le pécule forfaitaire de
vacances et les prestations familiales), tantôt à ceux qu'il aménage
au profit des travailleurs salariés (une <~indemnité de départ~> est
versée aux parlementaires qui abandonnent leurs fonctions). Un
régime de pensions de retraite est également organisé.
Par contre, les membres des Chambres législatives ne bénéficient
d'aucune protection dans le secteur maladie-invalidité; ils sont
néanmoins assurés contre les suites d'accidents corporels dont ils
pourraient être victimes dans et hors l'exercice de leurs fonctions.

C. - Autres avantages
587. - Les parlementaires bénéficient d'avantages fiscaux :
72 %, soit une somme mensuelle de 219.272 francs, est assimilée
à une rémunération; 28 %, soit une somme mensuelle de
61.398 francs est censée couvrir les dépenses inhérentes à l'exercice
de la fonction et est, au titre des charges professionnelles, exonérée
d'impôt.

(31) L'indemnité annuelle brute s'élève à 3.368.000 francs.


536 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

Ils jouissent aussi de la franchise postale lorsqu'ils s'adressent aux


autorités et aux services publics; mille enveloppes timbrées sont
également mises à la disposition de chaque parlementaire.

SECTION III. - L E STATUT DES MAGISTRATS

588. - Une juridiction peut se définir par l'activité qu'elle


accomplit. Elle a mission de statuer en droit sur les questions qui
lui sont soumises. Elle prend des décisions revêtues de l'autorité de
la chose jugée. Une juridiction se caractérise aussi par les procé-
dures qu'elle respecte : l'accent a été mis sur les règles du débat
contradictoire (n" 552), de la motivation (no 553) et de la publicité
(no 554) qui marquent l'œuvre de justice. Mais une juridiction se
définit encore par le statut qui est fait à ses membres. L'indépen-
dance dans l'exercice de la fonction à remplir suppose l'indépen-
dance de ceux qui l'exercent. Elle est gage de leur impartialité.
La question des modes de désignation a été examinée (n" 457).
Reste celle du statut qui est fait aux magistrats. Elle donne lieu à
d'amples développements en droit judiciaire (voy. sur ce sujet,
C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, t. 1"", Fonction et organisation
judiciaires, Bruxelles, Larcier, 1974, spécialement le titre II <<Les
magistrats)) de la deuxième partie L'organisation judiciaire, pp. 541
s.). Tant il apparaît que <<revenant ou incombant à la personne du
juge, ces droits et obligations concernent directement le justiciable
et la justice)) (32).
On se borne à examiner la matière à grands traits. Deux ques-
tions sont privilégiées dans la mesure où elles permettent une com-
paraison avec le statut des membres du pouvoir exécutif fédéral et
celui des parlementaires.
Le régime d'incompatibilités (§ l"r) qu'organise la loi fédérale est
décrit : elles peuvent prendre la forme d'interdictions absolues (A)
ou relatives (B), voire même de simples empêchements (C). Les
avantages économiques (§ 2), soit le traitement (A) et la pension
d'éméritat (B) ou de retraite (C), sont également recensés.

(32) C. CAMBIER, op. cit., p. 559.


LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 537

§ pr_ - Les incompatibilités

A. - Les interdictions absolues


589. - Le magistrat ne peut, à raison de la fonction qu'il
exerce, remplir une autre profession- celle d'avocat-, ni embras-
ser d'autres états - celui de militaire ou celui d'ecclésiastique - .
Il lui est défendu d'exercer un mandat politique ou une fonction
publique rémunérée : l'article 155 de la Constitution précise à ce
propos qu'<< aucun juge ne peut accepter du gouvernement des fonc-
tions salariées, à moins qu'il ne les exerce gratuitement et sauf les
cas d'incompatibilité déterminés par la loi )} fédérale. A moins qu'il
ne soit juge social ou consulaire, il ne peut exercer un commerce ou
prendre part à la gestion ou à la surveillance de sociétés privées à
but lucratif.
Le souci de préserver << l'indépendance professionnelle )} du magis-
trat (33), a conduit à formuler des règles strictes en matière d'in-
compatibilités (voy., à titre d'exemples, le Code judiciaire, art. 292
à 304, les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, art. 107 à 115, et
la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, art. 44 à 48).
Le magistrat ne peut non plus cumuler plusieurs fonctions effec-
tives de l'ordre juridictionnel. En particulier, le magistrat du siège
ne peut être affecté en même temps au parquet, et l'officier du
ministère public ne peut être assumé au siège.

B. - Les interdictions relatives


590. - Comme le relève C. CAMBIER (34), <<certaines interdic-
tions de cumul applicables aux juges effectifs peuvent faite l'objet
de dérogations )}. Celles-ci prennent la forme d'autorisations indivi-
duelles qui sont octroyées par le roi dans des circonstances détermi-
nées.
C'est à ce titre qu'un magistrat peut participer à des activités
d'enseignement ou siéger dans un jury d'examens (35). L'article 294
du Code judiciaire prévoit aussi que les juges peuvent, moyennant
autorisation, remplir des charges publiques rémunérées, et notam-

(33) R. WARLOMONT, Le magistrat. Son statut et sa fonction, Larcier, 1950, no 342.


(34) Op. cü., t. I, p. 568.
(35) A. MAST (op. cit., p. 406) considère que ces dérogations sont en contradiction avec l'ar-
ticle 155 de la Constitution.
538 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

ment participer à des commissions, des conseils ou des comités


consultatifs où leur expérience sera particulièrement précieuse (dans
le même sens, voy. les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat,
art. 107 et sv., ainsi que la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage,
art. 44, al. 2).
Faut-il y voir une simple modalisation à l'interdiction de prin-
cipe, inscrite à l'article 155 de la Constitution? La constitutionna-
lité de la disposition paraît douteuse, là où il ne s'agit pas seulement
d'indemniser, par un jeton de présence, le déplacement d'un magis-
trat mais de lui donner le bénéfice d'une rémunération. Des limita-
tions sont, en tout état de cause, prescrites pour limiter le nombre
des charges ou des fonctions qui peuvent être ainsi accordées ainsi
que le montant des rémunérations qui peuvent être versées.

C. - Les empêchements
591. - Les empêchements que prescrivent les lois fédérales sont
de plusieurs ordres.
Ils affectent le processus de désignation des juges : des conjoints,
parents et alliés jusqu'au troisième degré ne peuvent être nommés
dans une même juridiction. Ils touchent aussi au processus de
confection des sièges, soit des formations de jugement : << là où, sur
dispense du roi, des parents peuvent être membres d'une même juri-
diction, ils ne peuvent jamais siéger dans une même affaire)) (36).
Ils justifient la mise en œuvre des procédures de récusation (Code
jud., art. 828 et sv.) lorsqu'un magistrat pourrait avoir un intérêt
personnel dans l'affaire dont il est saisi.
Une cause particulière d'empêchement concerne les conseillers
d'Etat : ils ne peuvent connaître, à la section d'administration, de
recours en annulation qui seraient introduits contre des arrêtés et
règlements sur lesquels ils auraient été consultés à la section de
législation.
Dans la même perspective, un problème de récusation peut se
poser devant la Cour d'arbitrage. L'impartialité de la Cour et de ses
membres peut être contestée si, en sa qualité originelle de magis-
trat, un juge s'est prononcé sur l'affaire dont la Cour est saisie ou
si, en sa qualité première de parlementaire, un juge a pris position

(36) C. ÜAMBIER, op. cit., p. 570.


LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 539

sur la validité d'une règle de droit qui est déférée à la censure de


la Cour d'arbitrage (37).
Il serait indiqué d'écarter ce juge au moment de composer la for-
mation de jugement. La loi spéciale du 6 janvier 1989 se borne à
renvoyer, dans son article 101, alinéa 1er, aux disposition~ du Code
judiciaire (art. 828 et 830). Elle résout ainsi la première question.
Quant à la seconde, l'article 101, alinéa 2, considère de manière
laconique qu'elle ne constitue pas une cause de récusation.
C.A., 10 mai 1994, no 35/94: <<La Cour d'arbitrage est un organe juridictionnel
astreint comme tel au respect du principe général de droit relatif à l'impartialité
subjective et objective du juge ... Le point de vue auquel s'est placé un représen-
tant de la Nation pour prendre position à l'égard d'une politique et des actes
législatifs par lesquels elle se réalise n'est pas comparable avec celui du juge spé-
cialisé dans l'appréciation juridique de la constitutionnalité de tels actes>>.

§ 2. - Les avantages économiques

A. - Le traitement
592. - <<Le salaire des juges, écrit BENTHAM, doit provenir uni-
quement du trésor public, sans aucun émolument, aucune amende,
aucun droit sur les parties, ou sur aucune des opérations judiciaires.
Toute exception à ce principe, quelque légère qu'elle fût, directe ou
indirecte, exposerait la probité du juge ou sa réputation >> (cité par
R. WARLOMONT, op. cit., p. 972).
La Constitution s'inspire directement de ces idées. Le juge ne doit
pas compter sur une fortune personnelle pour être à même d'exercer
sa fonction. Il ne doit pas non plus toucher les épices et soutirer une
part des profits de justice pour subvenir à ses besoins.
La Constitution recourt au système des rémunérations fixes. Il les
met à l'abri d'interventions du pouvoir exécutif fédéral. << Les traite-
ments des membres de l'ordre judiciaire sont fixés par la loi >> fédé-
rale (Const., art. 154; voy. Code jud., art. 355 s.).
Les traitements et pensions des juges à la Cour d'arbitrage, sont
fixés par la loi ordinaire du 6 janvier 1989 (art. 1, 4, 6 et 8).
Pour les membres du Conseil d'Etat, le principe est identique :
<<une loi (fédérale) fixe les traitements, majorations et indemnités>>

(37) F. DEL PÉRÉE et A. RASSON-ROLAND, «En route pour la Cour d'arbitrage», A.P. T., 1982,
p. 237.
540 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

(lois coord., art. 103, et loi du 5 avril 1955 relative aux traitements
des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat).

B. - La pension d'éméritat
593. - Un juge est nommé à vie (Const., art. 152) (38). Comme
l'écrit P. WIGNY, il n'en reste pas moins que <<l'âge vient accabler
inexorablement tous les membres>> du pouvoir juridictionnel (39).
D'où cette précision qu'apportait déjà la loi - dont la constitution-
nalité a été débattue - du 25 juillet 1867 et que confirment les
articles 383 à 397 du Code judiciaire : les juges peuvent être mis à
la retraite. La Constitution, révisée le 23 janvier 1981, confirme
cette interprétation : les juges << sont mis à la retraite à un âge déter-
miné par la loi et bénéficient de la pension prévue par la loi >> fédé-
rale.
Pour concilier le principe de la nomination à vie et la solution
pratique d'une mise à la retraite à 70 ans, le législateur fédéral
cherche à préserver les intérêts particuliers des magistrats en leur
accordant, après 30 ans de carrière, le bénéfice de l'éméritat : il leur
attribue, même après cessation de fonctions, un traitement plein (ou
plus exactement un traitement égal à la moyenne des traitements
des cinq dernières années). L'un des rapporteurs de la loi du 25 juil-
let 1867 soulignait de manière emphatique cette particularité : << On
lui laisse tout et on ne lui enlève que le pouvoir de siéger >> (Doc.
Parl., Chambre, 1866-1867, p. 223).
La loi fédérale peut indiquer à quel montant ces pensions sont
plafonnées.

C. - La pension de retraite
594. - Le magistrat qui n'est pas en mesure de bénéficier d'une
pension d'éméritat- parce qu'il n'a pas exercé suffisamment long-
temps la fonction de juge - a néanmoins droit à une pension de
retraite. Il va de soi que, lui aussi, est nommé à vie. Ce qui signifie

(38) Pour les juges à la Cour d'arbitrage et pour les conseillers d'Etat, voy. respectivement
la loi spéciale du 6 janvier 1989, art. 32, et les lois coordonnées, art. 70, § 4. La règle de la nomi-
nation à vie ne vaut pas pour les membres des tribunaux militaires, pour les juges consulaires
et pour les juges sociaux. L'article 157 de la Constitution prévoit explicitement qu'une loi fixe
« la durée de leurs fonctions ».
(39) Op. cit., p. 754.
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 541

que, pour la Constitution et la loi fédérale, nomination à vie et émé-


ritat ne sont pas indissolublement liés (40).
Des pensions de survie sont également octroyées aux ayants droit
du magistrat.

BIBLIOGRAPHIE

On trouvera peu d'études d'ensemble, hormis dans les ouvrages généraux de droit
constitutionnel, sur les questions touchant au statut des titulaires du pouvoir.

Sur le statut du roi et des ministres, voyez :


H. BosLY, <<L'affaire INUSOP : responsabilité pénale des ministres et droits de
l'homme>>, R.B.D.C., 1997, p. 425; 0. DE KERCHOVE DE DENTERGHEM, De la respon-
sabilité des ministres dans le droit public belge, Gand, 1867; M. DELANGE, <<Considéra-
tions sur la responsabilité pénale et la responsabilité civile des ministres et secrétaires
d'Etat>>, J.T., 1976, p. 653; F. DELPÉRÉE, «Des ministres pénalement responsables>>,
I.D.J., 1998, n" 7, p. 1; La responsabilité pénale des ministres fédéraux, communau-
taires et régionaux (dir. F. DELPÉRÉE et M. VERDUSSEN}, Bruxelles, Bruylant, 1997;
A.E. DE ScHRIJVER, << De ministerraad en het instituut van Staatssecretarissen •>, in
Recht en beweging, Anvers, 1972, p. 373; L. DUPRIEZ, Les ministres dans les princi-
paux pays d'Europe et d'Amérique, Paris, 1892; E. LIEKENDAEL, <<Contribution
mineure à une réflexion sur un poblème majeur : la responsabilité pénale des
ministres fédéraux>>, J. T., 1998, p. 585; R. SENELLE, Preadvies betreffende ministe-
riële verantwoordelijkheid en ministeriële verantwoording, Bruges, Administratief Lexi-
con, 1978; H. VUYE, «Les irresponsabilités parlementaires et ministérielles les
articles 58, 101, alinéa 2, 120 et 124 de la Constitution>> C.P.D.K., 1997, p. 2.

Sur le statut des parlementaires :


F. DE BuvsT, La fonction parlementaire en Belgique : mécanismes d'accès et images,
Bruxelles, Ed. CRISP, 1967; F. DELPÉRÉE, «Parlement et administration en Bel-
gique>>, in Parlement et administration en Europe, Paris, C.N.R.S., 1982; G. SouME-
RYN, <<L'immunité parlementaire : évolution et aspects nouveaux>>, Res Publica,
1975, p. 53; M. VERDUSSEN, <<Une inviolabilité parlementaire tempérée •>, J. T., 1997,
p. 673.
Sur le statut des magistrats, on consultera - outre les ouvrages déjà cités - :
E. KRINGS, <<Les juges professionnels et non professionnels >>, in Rapports belges au
X' Congrès international de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 165; Le
Conseil supérieur de la justice (dir. M. VERDUSSEN}, Bruxelles, Bruylant, 1999;
A. MAST, «L'indépendance des magistrats>>, J. T., 1946, p. 181; J. MATTHYS, <<De
magistratuur. Sommige aspecten van de voorbereiding, de recrutering, de opleiding

(40) A. MAST, op. cit., n" 361; contra : EECKMAN, «Traitement des magistrats», B.J., 1888,
col. 17.
542 LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

en de selectie van haar !eden», R. W., 1977-1978, col. 1730; L.-P. SuETENS, <<Les
bases constitutionnelles de l'organisation judiciaire>>, in Rapports belges au
X' Congrès international de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 376; Ch. VAN
REEPINGHEN, «Rapport sur la réforme judiciaire>>, Doc. Parl., Sénat, 1963-1964,
n° 60. .
LIVRE V

Les pouvoirs fédérés


595. - Dans un quatrième livre, l'on s'est préoccupé de définir
les pouvoirs constitués qui sont appelés à agir dans l'Etat fédéral.
Il convient de suivre la même démarche en ce qui concerne, cette
fois, les pouvoirs fédérés.
Il faut à nouveau se demander comment sont choisis les titulaires
du pouvoir. Les techniques autoritaires trouvent-elles ici leur place?
Les techniques démocratiques sont-elles plus à l'honneur?
Il faut également s'interroger sur l'organisation des pouvoirs
fédérés. Des méthodes de travail ont été définies à l'occasion de
l'examen du statut des autorités fédérales. Sont-elles ici de mise ? La
copie est-elle corrigée à cette occasion ?
Il faut encore poser la question du statut des titulaires du pouvoir.
Bénéficient-ils des mêmes droits et assument-ils les mêmes devoirs
que les autorités fédérales? Un régime juridique spécifique est-il
organisé à leur intention?
Un problème particulier mérite d'être examiné. Les règles énon-
cées valent-elles pour l'ensemble des collectivités fédérées ou sont-
elles propres à chacune d'elles ? L'exercice de responsabilités dans
une collectivité fédérée l'exclut-il dans une autre? Empêche-t-il, de
surcroît, la détention d'un mandat ou de fonctions dans l'Etat fédé-
ral? A raison de la configuration de l'Etat, le régime des incompati-
bilités recèle d'infinies complexités.
CHAPITRE PREMIER
LE CHOIX DES TITULAIRES
DU POUVOIR

596. - Des autorités publiques sont désignées. D'autres sont


élues. Elles le sont au gouvernement et à l'assemblée délibérante.
L'on se réfère à ces techniques, telles qu'elles sont mises en œuvre
au niveau fédéral. Comment ne pas ajouter aussitôt que la règle de
l'élection l'emporte nettement sur celle de la désignation ? Comme si
l'investiture démocratique, au premier ou au second degré, consti-
tuait, pour la communauté et la région, le mode privilégié, sinon
exclusif de choix les titulaires du pouvoir.
L'on tient compte aussi de techniques d'auto-organisation qui
sont utilisées, de manière originale, au niveau communautaire et
régional.
L'on tient compte, dans cette analyse, des huit collectivités fédérées qui trou-
vent place, à côté de la collectivité fédérale, dans l'ensemble belge. Il s'agit de
la Région wallonne, de la Région flamande, de la Région bruxelloise, de la Com-
munauté française, de la Communauté flamande, de la Communauté germano-
phone, de la Commission communautaire française et de la Commission commu-
nautaire commune. Sauf précision particulière, les règles qui sont énoncées
valent pour toutes ces collectivités.

SECTION pe, - LES TECHNIQUES


DE DÉSIGNATION

597. - Les techniques de désignation occupent, au niveau fédé-


ral, une place importante, sinon primordiale. Le roi, faut-ille rappe-
ler?, est désigné par le procédé de l'hérédité, les ministres sont
nommés de manière unilatérale par le roi ...
Ces procédés ne trouvent pas, au niveau fédéré, la même expres-
sion. Ceci pour une raison simple. Il n'y a pas de chef d'Etat fédéré.
Il y a certes, un ministre-président. Mais celui-ci ne peut se com-
parer au chef de l'Etat. Il n'est pas choisi par le procédé de l'héré-
dité. Il n'est pas cette tierce partie qui appartient tant au pouvoir
546 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

gouvernemental qu'au pouvoir législatif et qui, à ce titre, peut éven-


tuellement arbitrer les conflits qui s'élèvent entre l'équipe exécutive
et l'assemblée.
Le ministre-président ne peut non plus se comparer au Premier
ministre fédéral. S'il assume les fonctions de direction et d'orienta-
tion qui sont celles de tout chef du gouvernement, il bénéficie d'un
statut qui diffère profondément de celui du Premier ministre. Il ne
tient pas son investiture du roi ou de l'autorité qui, au niveau
fédéré, remplirait une fonction comparable. Lui, il est élu.
Le ministre-président est élu au second degré. Il n'est pas néces-
sairement choisi au sein du parlement de la communauté ou de la
région (mais bien au sein des assemblées des commissions commu-
nautaires). Le parlement élit les membres du gouvernement de la
communauté ou de la région. Les ministres communautaires et
régionaux procèdent ensuite au choix de celui d'entre eux qui assu-
mera les responsabilités de la présidence.
598. - Les agent publics qui exercent leurs fonctions dans la
communauté ou dans la région sont, en principe, choisis par le pro-
cédé de la nomination (l. sp., art. 87) (1). C'est le gouvernement qui
procède à ces nominations.

SECTION II. - LEs TECHNIQUES n'ÉLECTION

599. - L'élection est le procédé normal de sélection des auto-


rités communautaires et régionales (2). Pas seulement pour le choix
des membres de l'assemblée, mais aussi pour l'investiture des
membres du gouvernement. Tout se passe comme si l'article 33, ali-
néa 1er, de la Constitution - qui s'applique aussi aux autorités
fédérées - devait se lire de la manière suivante : << Tous les pouvoirs
émanent de l'élection>>.
Le Parlement wallon compte septante-cinq membres tout comme
le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale. Le Parlement de la

(1) M. HERBIET, «Bilan de la mise en place des administrations régionales et communautaires


entre 1980 et 1988 », A.P. T., 1989, p. 167; J. SoHIER, «Implications administratives des
réformes institutionnelles et perspectives en matière de fonction publique : l'article 87 nouveau
de la loi spéciale de réformes institutionnelles», A.P.T., 1989, p. 164. Voy. aussi Les agents
contractuels dans la fonction publique régionale (dir. F. DELPÉRÉE), Bruxelles, Bruylant, 1997,
avec les contributions de F. LEURQUIN-DE VISSCHER et Ch. HoREVOETS.
(2) F. DELPÉRÉE, «La Belgique est un Etat fédéral», J. T., 1993, p. 667.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 547

Communauté française comprend nonante-quatre membres. Le Par-


lement flamand rassemble cent vingt-quatre membres. Le Conseil de
la Communauté germanophone est composé de vingt-cinq membres.
L'Assemblée de la Commission communautaire française compte,
aujourd'hui, soixante-quatre membres, et l'Assemblée réunie de la
Commission communautaire commune, septante-cinq membres. Tous
sont élus.
Le gouvernement wallon, pour sa part, compte neuf ministres. Le
gouvernement bruxellois comprend cinq ministres auxquels viennent
s'adjoindre trois secrétaires d'Etat. Le gouvernement de la Commu-
nauté française se compose de huit ministres. Le gouvernement fla-
mand rassemble onze ministres. Le gouvernement germanophone
compte trois ministres. Le Collège de la Commission communautaire
française rassemble quatre membres et le Collège réuni de la Com-
mission communautaire commune, cinq. A nouveau, tous sont élus.
Il y a lieu de tenir compte de différents types d'élection. Il y a
des élections directes. Il y a les élections médiates. A cette occasion,
les élus d'une assemblée, ou les membres d'un gouvernement, peu-
vent servir à en composer un autre.

§ pr_ - L'élection directe

600. - L'article 39 de la Constitution prescrit que les autorités


régionales, en ce compris le parlement régional, visé à l'article 115,
§ 2, soient composés de <<mandataires élus>>. L'article 116, §1er, de
la Constitution formule la même règle pour l'ensemble des parle-
ments de communauté et de région. Une règle simple paraît donc
s'imposer. Chaque assemblée fédérée doit être pourvue de représen-
tants qui trouvent dans l'élection un titre spécifique pour agir.
S'inscrivant dans cette logique démocratique qui vaut, au niveau
communautaire, dès 1983, pour la Communauté germanophone et,
au niveau régional, dès 1989, pour la Région bruxelloise, la Consti-
tution semble même imposer, partout et toujours, la technique de
l'élection directe. <<Chaque Conseil de communauté est composé de
membres élus directement ... >>; <<chaque Conseil de région est composé
de membres élus directement>>.
Les élections ont lieu << tous les cinq ans >> (Const., art. 117, al. 1er).
Puisque les élections législatives sont, elles, organisées tous les
quatre ans, les scrutins aménagés au niveau fédéral et fédéré ne
548 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

devraient pas coïncider, en tout cas après 1999. Par contre, les élec-
tions communautaires et régionales se tiennent en même temps que
les élections européennes (3) (Const., art. 117, al. 2}.
La technique de la répartition des sièges est celle de la représenta-
tion proportionnelle.
601. - Les règles qu'établit la Constitution servent à construire
un décor en trompe-l' oeil (4). Des élections ad hoc ne sont pas orga-
nisées aux fins de composer l'ensemble des parlements de commu-
nauté et de région. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, << élec-
tion directe >> et << élus directs >> ne coïncident pas.
Le principe de l'élection directe est prévu, de manière expresse,
pour composer deux parlements régionaux sur trois - en Wallonie
et à Bruxelles, mais pas en Flandre - .
Il se concrétise pour l'un des trois parlements de communauté -
celui de la Communauté germanophone - ; il s'applique, pour par-
tie, à un autre conseil - le Parlement flamand - ; il ne commande
pas la composition du troisième parlement - celui de la Commu-
nauté française - .
A fortiori, il ne vaut pas pour les assemblées des commissions
communautaires qui sont constituées au sein du Conseil de la
Région de Bruxelles-Capitale (no 379).
602. - Comment expliquer, voire justifier, un système aussi dis-
persé d'organisation des assemblées ? Les raisons sont à la fois
d'ordre historique et politique.
Dès 1983, le Conseil de la Communauté germanophone est élu
directement par les citoyens des neuf communes de la région de lan-
gue allemande. A partir de 1989, le Conseil de la Région de
Bruxelles-Capitale est, lui aussi, élu sans intermédiaire par les
citoyens des dix-neuf communes bruxelloises. Dans l'un comme
dans l'autre cas, le principe de l'élection directe est considéré
comme un acquis institutionnel important sur lequel les réformes
ultérieures ne sauraient revenir.
L'insistance mise du côté wallon à organiser une collectivité poli-
tique qui soit pourvue d'une assemblée composée d'élus directs

(3) «Pour que le système fonctionne, il convient que ces scrutins soient clairement différenciés
et qu'une pleine participation soit favorisée en fonction des enjeux respectifs» (La Belgique fédé-
rale, p. 126).
(4) F. DELPÉRÉE, <<Les dispositions en trompe-l'oeil», R.B.D.C., 1999, p. 107.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 549

amène le législateur spécial de 1993 à recourir à la même technique.


Le Parlement wallon est constitué par le procédé de l'élection
directe. Une moindre faveur accordée à la Communauté française
conduit à choisir d'autres formes de recrutement pour les membres
de l'assemblée communautaire; celle-ci sera, certes, composée d'élus
directs, comme le veut la Constitution, mais elle les emprunte, en
réalité, à deux autres assemblées : le Parlement wallon et le Conseil
de la Région de Bruxelles-Capitale.

Du côté flamand, à l'inverse, l'accent est mis sur la Communauté


flamande et ses institutions. Il porte à organiser, pour sa plus
grande part, le Parlement flamand sur la base d'élections directes.
Le souci de ne pas pourvoir la Région flamande d'institutions spéci-
fiques permet de faire l'économie d'une assemblée et donc d'élec-
tions régionales.

603. - L'article 116 de la Constitution s'efforce de conjuguer


ces diverses préoccupations. La disposition, d'application apparem-
ment uniforme, est formulée de manière paradoxale.

Un premier principe est affirmé. Les parlements de communauté


sont composés d'élus directs. Une réserve l'assortit aussitôt. Les élus
directs peuvent, ce qui semble aller de soi, provenir de l'élection
directe du conseil concerné. Ils peuvent également, ce qui est plus
surprenant, être issus d'une élection à un parlement régional. Appli-
cation en est faite au Parlement de la Communauté française.

Un deuxième principe est inscrit dans la Constitution. Les parle-


ments régionaux sont, eux aussi, composés d'élus directs. La même
réserve est formulée. Les membres des parlements régionaux peu-
vent provenir d'une élection ad hoc. Ils peuvent également être choi-
sis directement à l'occasion d'une autre élection, à savoir celle qui
sert à désigner les membres d'un parlement de communauté. Ce qui
est le cas du côté flamand, si l'on considère que le Parlement fla-
mand fait également office d'assemblée régionale.

Dans la deuxième formule de chaque variante, il est difficile de


considérer qu'il s'agit d'une élection directe, au sens strict de l'ex-
pression. Le procédé de l'élection médiate rend mieux compte de ces
réalités institutionnelles.
550 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

A. - Les parlements régionaux

604. - Il y a trois régions. Il n'y a, en réalité, que deux parle-


ments régionaux : l'un en Wallonie, le Parlement wallon, l'autre à
Bruxelles, le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale. Il n'y a pas
de Parlement de la Région flamande, mais un Parlement flamand
qui fait office d'assemblée pour cette Région.

605. - Le Conseil régional wallon, appelé aussi Parlement wal-


lon, est une assemblée de septante-cinq membres. Les conseillers y
sont élus directement, selon les règles de la représentation propor-
tionnelle, par le corps électoral de la Région wallonne. Il y a un élu
pour quelque quarante-cinq mille habitants.
Le parlement est élu pour cinq ans. Quoi qu'il arrive, il dispose
de ce laps de temps pour assumer les fonctions qui lui reviennent.
Aucune autorité, ni celles de la Région, ni a fortiori celles de l'Etat
fédéral ou de la Communauté, ne peut le dissoudre. Il ne peut non
plus se saborder et << se >> dissoudre. Le système retenu est celui de
l'assemblée de législature.
On relève dès maintenant qu'il appartient au parlement régional
d'élire, à son tour, un gouvernement de neuf membres au plus.

606. - En vertu du principe d'autonomie organisationnelle


(no 630}, le législateur régional est habilité à modifier - en plus ou
en moins - le nombre des membres du parlement. Même s'il peut
paraître surprenant, le principe ne fait pas difficulté. Sa mise en
œuvre peut, par contre, engendrer des problèmes techniques qu'il ne
sera pas toujours commode de résoudre.
D'où vient la difficulté? Les membres du Parlement wallon com-
posent également le Parlement de la Communauté française. Aux
fins de constituer cette assemblée, il y a lieu de tenir compte de tous
les élus régionaux de Wallonie (soit septante-cinq) et d'une partie
des élus francophones (dix-neuf, seulement) du Conseil de la Région
de Bruxelles-Capitale.
Si le nombre des élus wallons devait, à l'avenir, être réduit, le
poids politique de la Région wallonne au sein du Parlement de la
Communauté française s'en trouverait, par la même occasion,
amoindri. Des raisons politiques risquent de faire obstacle à une
réforme qui pourrait pourtant se justifier par le souci de donner au
Parlement wallon une plus grande cohésion.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 551

Si, à l'inverse, le nombre des élus wallons était augmenté, l'équi-


libre qui est instauré au sein du Parlement de la Communauté fran-
çaise entre les représentations politiques de la Région wallonne et
de la Région bruxelloise serait affecté par l'opération d'élargisse-
ment. Le problème est d'autant plus aigu que la Région bruxelloise
ne dispose pas, elle, d'un pouvoir d'auto-organisation et n'est pas en
mesure d'augmenter à due proportion le nombre de ses élus.
Autrement dit, le principe d'autonomie organisationnelle doit être
mis en œuvre dans le respect des principes d'équilibre qu'instaure
la loi spéciale de réformes institutionnelles. Si le législateur régional
entend augmenter le nombre des membres du Parlement wallon, il
lui revient de préciser quels sont ceux de ses membres qui siégeront
également au Parlement de la Communauté française, quels sont les
procédés qui serviront à les sélectionner et quelles sont les techni-
ques qui permettront de préserver à cette occasion la représentation
des divers groupes politiques.

607. - Le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale se compose


de mandataires qui sont tous élus directs. Leur nombre est de sep-
tante-cinq. Eux aussi sont choisis pour une période fixe de cinq ans.
Le Conseil est aussi investi de la fonction d'élire, mais pas néces-
sairement en son sein, les cinq membres du gouvernement régional.
Deux de ceux-ci appartiennent au groupe linguistique français,
deux autres au groupe linguistique néerlandais.
Trois traits caractérisent la mise en place du Conseil. Ils sont liés
à l'aménagement d'une élection qui se déroule dans une circonscrip-
tion qui a pour dimension la région bilingue de Bruxelles-Capitale.
En ce qui concerne les candidatures, elles sont présentées sur des
listes unilingues - française et néerlandaise - . La langue dans
laquelle est rédigée la carte d'identité du candidat sert à déterminer
le type de listes sur lesquelles il peut concourir pour obtenir les suf-
frages des électeurs bruxellois.
En ce qui concerne les électeurs, ils peuvent apporter leur voix à
un candidat de l'un ou l'autre groupe linguistique. C'est dans le
secret de l'isoloir et en fonction de considérations politiques et
culturelles qu'ils déterminent ce choix.
En ce qui concerne les élus, ils sont choisis sur des listes séparées.
Les conseillers appartiennent donc ipso facto à l'un des deux groupes
linguistiques. C'est entre ces deux groupes que se réalise une pre-
552 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

mtere répartition des sièges; une seconde répartition intervient


ensuite entre les listes d'un même régime linguistique.
Les conseillers francophones constituent le groupe linguistique
français du Conseil; les conseillers élus sur des listes flamandes com-
posent le groupe linguistique néerlandais.
L'importance des deux groupes linguistiques ne peut être sous-
estimée. Chacun d'eux vérifie les pouvoirs de ses membres et juge
les contestations qui s'élèvent à ce sujet. Il désigne ses représentants
au sein du gouvernement de région. Il sert, par la technique du
dédoublement fonctionnel, à composer la commission communau-
taire correspondante (5).
Les groupes linguistiques réunis forment non seulement le Conseil
de la Région de Bruxelles-Capitale, mais aussi la Commission com-
munautaire commune. Au sein de cette commission, les décisions
sont prises selon la règle de la double majorité - soit en fonction
d'une majorité qui aura été dégagé dans chaque groupe - .
Les septante-cinq élus du Conseil de la Région de Bruxelles-Capi-
tale ne peuvent cumuler, parmi les mandats électifs - communal,
régional et fédéral - , que deux de ces mandats.
608. - L'option prise, dès 1980, en ce qui concerne la Région
flamande subsiste. Cette Région ne dispose pas d'institutions
propres. Ni sur le plan politique, ni sur le plan administratif.
En réalité, ce sont les institutions de la Communauté flamande
qui exercent les responsabilités de la Région flamande (6). Aucune
élection, ni directe, ni médiate, n'est organisée.
Cette situation particulière justifie l'adoption de trois règles qui
s'appliquent aux institutions de la Communauté flamande lors-
qu'elles exercent des responsabilités régionales.
- Tout décret flamand mentionne dans son texte s'il règle une
matière régionale ou communautaire. La précision est importante

(5) Le groupe linguistique français se réunit également pour désigner en son sein les dix-neuf
parlementaires régionaux bruxellois qui servent à composer, avec les septante-cinq parlemen-
taires wallons, le Parlement de la Communauté française. Les six premiers élus du groupe linguis-
tique néerlandais rejoignent, pour leur part, le Parlement flamand.
(6) <<C'est la politique du coucou ... Le coucou est cet oiseau qui a pris la curieuse habitude
de placer ses œufs dans le nid d'un autre oiseau, à charge pour ce dernier de les couver ... Le cou-
cou, c'est la Région flamande. Elle place l'ensemble de ses attributions sous la responsabilité des
autorités de la Communauté flamande>> («Table ronde sur les fédéralismes canadien et belge>>,
Revue parlementaire canadienne, 1999-2000, vol. 22, n" 4, p. 25).
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 553

compte tenu des champs d'application distincts des règles régionales


et communautaires.
- Les élus bruxellois qui siègent au Parlement flamand partici-
pent aux travaux de l'assemblée. Ils y délibèrent de toute question
mais ne participent pas aux votes sur les décrets régionaux.
- Le membre du gouvernement flamand qui est domicilié dans
la région bilingue de Bruxelles-Capitale ne dispose que d'une voix
consultative lorsque ce gouvernement délibère de questions de com-
pétence régionale.

B. -Les parlements communautaires

609. - Le principe de l'élection directe prévaut - depuis


1983 - pour la désignation des membres du Conseil de la Commu-
nauté germanophone. Leur nombre est de vingt-cinq. Ils sont élus,
pour une période de cinq ans, par les électeurs de la région de lan-
gue allemande.
Siègent également au Conseil, avec voix consultative - et donc
sans droit de vote - , des membres associés. Il s'agit, outre le séna-
teur communautaire germanophone, des députés de l'arrondisse-
ment de Verviers, d'un éventuel sénateur coopté, des parlementaires
régionaux wallons et des membres du conseil provincial de Liège,
pour autant qu'ils soient domiciliés en région de langue allemande
et qu'ils aient prêté le serment constitutionnel en allemand.

610. - Le Conseil de la Communauté flamande, que la Constitu-


tion décide d'appeler Conseil flamand (Vlaamse Raad) et qui a, pour
sa part, choisi la dénomination de Parlement flamand (décret spécial
du 2 avril 1996 relatif à la dénomination du Conseil flamand) com-
prend cent vingt-quatre membres. La plus grande part - cent dix-
huit - sont choisis, à l'occasion d'un scrutin direct, et selon les pro-
cédés de la représentation proportionnelle, par le corps électoral de
la Région flamande.
Comme on le montrera (no 617), les six autres sont pris dans le
groupe linguistique néerlandais du Conseil de la Région de
Bruxelles-Capitale - lui-même élu directement - (no 607).
<<Le (Parlement) flamand est composé de cent dix-huit élus qui ont leur domi-
cile dans les communes de la région de langue néerlandaise et qui sont inscrits
dans les registres de la population de ces communes, y compris les citoyens fran-
cophones qui seraient élus dans l'arrondissement administratif de Halle-Vil-
554 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

voorde, lequel fait partie de la région unilingue de langue néerlandaise. Il s'y


ajoute que siègent au (Parlement) flamand six membres du groupe linguistique
néerlandais du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, c'est-à-dire des habi-
tants de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, qui ont opté, lors de leur dési-
gnation comme candidat à l'élection du Conseil de la Région de Bruxelles-Capi-
tale, pour l'appartenance au groupe linguistique néerlandais>> (C.A., no 90/94,
22 décembre 1994).

Les parlementaires flamands sont élus pour une période fixe de


cinq ans.
Ils choisissent les membres du gouvernement flamand (no 625).
611. - Le Parlement de la Communauté française n'est pas, pour
sa part, composé selon les principes de l'élection directe (no 614).
Dans la logique de légitimité que poursuit l'auteur de la Constitu-
tion, ce parlement est placé dans une situation d'infériorité par rap-
port au Parlement wallon qui exerce, à peu de choses près, ses res-
ponsabilités dans la même enceinte géographique (7).

§ 2. - L'élection médiate

A. - L'utilisation des élus


612. - Le phénomène est bien connu. Des élus ont été choisis
selon les procédés de l'élection directe. A ce titre, ils composent l'as-
semblée d'une collectivité politique fédérée. Ne pourraient-ils, de
surcroît, et dans la perspective d'un dédoublement fonctionnel,
contribuer à l'aménagement d'une autre assemblée dans une autre
collectivité politique? Les élus se dédoublent, voire se détriplent. Ils
assument, à la faveur d'une seule et même élection, plusieurs mandats
politiques. Cette technique est utilisée pour la composition - en
tout ou en partie - des parlements communautaires et régionaux.
613. - Pendant vingt-cinq ans, soit entre 1970 et 1995, le
dédoublement fonctionnel a été la règle. Un parlementaire siégeait
dans l'une des chambres fédérales. Il était également membre d'un
conseil de communauté.
Pendant quinze ans, soit entre 1980 et 1995, le détriplement fonc-
tionnel s'est imposé de la même manière. Les élus directs de la
Nati on assumaient, de manière concomitante, des fonctions dans les

(7) F. DELPÉRÉE, <• La Belgique est un Etat fédéral», J.T., 1993, p. 667.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 555

conseils de communauté et, sauf à Bruxelles, dans les conseils régio-


naux.
L'exercice cumulé de plusieurs mandats politiques se justifiait par
la volonté d'harmoniser, autant que faire se pouvait, les politiques
menées à ces différents niveaux. Il a été abandonné à raison des dif-
ficultés pratiques que suscitaient ces activités alternées et parfois
délocalisées. L'on n'est pas sûr non plus qu'il permettait aux élus
de se retrouver dans les allégeances multiples qu'ils consentaient
vis-à-vis de l'Etat fédéral, de la communauté et de la région. Sié-
geant dans l'une des chambres, le parlementaire n'était-il pas atten-
tif, par priorité, aux intérêts de la région, ou de la sous-région dont
les citoyens lui avaient apporté les suffrages? Siégeant au conseil
régional, le même mandataire public n'était-il pas préoccupé des
intérêts généraux dont il avait également la charge?
614. - Le Parlement de la Communauté française est composé de
manière médiate. Il rassemble exclusivement des élus régionaux.
Ceux-ci proviennent du Parlement wallon et du Conseil de la Région
de Bruxelles-Capitale.
S'il est concevable de retenir l'ensemble des élus wallons - ils
sont au nombre de septante-cinq - , il n'est pas indiqué de retenir
l'ensemble des élus francophones de Bruxelles - ils sont actuelle-
ment au nombre de soixante-quatre - . Seuls dix-neuf d'entre eux
sont choisis. Ils sont élus - au second degré - par le groupe lin-
guistique français du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale et
en son sein (1. sp., art. 24, § 3).
Les septante-cinq élus wallons et les dix-neuf élus bruxellois sont
rassemblés pour former le Parlement de la Communauté française
qui compte donc nonante-quatre membres.
615. - En recourant à la technique de l'élection médiate, la
Constitution et la loi spéciale empêchent l'ensemble des électeurs de
la Communauté française de manifester une même préoccupation
politique. Elles n'obligent pas non plus les Bruxellois à manifester
clairement une appartenance particulière à l'une ou l'autre commu-
nauté.
L'équation<< Communauté française= Région wallonne+ Bruxel-
lois francophones )) tend à s'accréditer ainsi dans le droit et les insti-
556 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

tutions. D'où l'appellation que d'aucuns suggèrent parfois d' adop-


ter : <<Communauté Wallonie-Bruxelles)) (8).
616. - On observe au passage que les textes cités autorisent -
et même organisent - l'exercice par nonante-quatre personnes du
double mandat, communautaire et régional.
Joints à l'article 67 de la Constitution, qui prévoit l'élection des
sénateurs communautaires, ils permettent, le cas échéant, l'exercice
d'un triple mandat - communautaire, régional et fédéral - .
617. - Le Parlement flamand se compose, pour une part, de
cent dix-huit membres désignés à l'occasion d'élections directes qui
ont lieu au niveau régional- mais qui ne conduisent pas à l'instal-
lation d'un conseil régional - (n" 608) et, pour une autre part, de
six membres qui sont pris dans le groupe linguistique néerlandais du
Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale. A la différence de ce qui
se présente du côté francophone, une élection particulière n'inter-
vient pas à cet effet. Les six premiers élus du groupe néerlandais
sont désignés d'office. La Communauté flamande entend montrer
ainsi que tous ses mandataires publics sont des élus au premier
degré et qu'aucun filtre n'intervient pour l'établissement de la
représentation bruxelloise au Parlement flamand.
Le Parlement flamand compte donc cent vingt-quatre membres.
618. - Selon l'article 136 de la Constitution, il y a un groupe
linguistique français au Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale.
Il est, on le sait, l'un des éléments de ce Conseil. Il va, de surcroît,
constituer une assemblée délibérante spécifique, celle de la Commis-
sion communautaire française. Des élus régionaux sont ainsi investis
de tâches communautaires. La Commission veille - y compris par
la voie décrétale - au développement de l'enseignement, de la
culture, de la santé et des activités sociales à Bruxelles.

(8) L'expression« Communauté française>> est ambiguë. Sortie de son contexte institutionnel,
elle paraît désigner le groupe de personnes qui sont de nationalité française mais qui résident en
Belgique. L'expression << Communauté Wallonie- Bruxelles » est-elle plus appropriée? Se référant
à «Bruxelles» elle paraît annexer indûment les Bruxellois qui se réclament d'une appartenance
à la Communauté flamande. Se référant à la<< Wallonie>>, elle paraît englober tout aussi artificiel-
lement les Wallons, qui peuvent se prévaloir d'une appartenance à la Communauté germano-
phone ... D'autres appellations, telles<< Communauté francophone •> ou «Communauté franco-wal-
lonne >> ne devraient-elles pas être préférées?
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 557

Comme son nom l'indique, elle se compose des membres du


groupe linguistique français des élus régionaux à Bruxelles. Leur
nombre est actuellement de soixante-quatre.
619. - Selon l'article 135 de la Constitution, la loi spéciale
désigne les autorités qui, pour la région bilingue de Bruxelles-Capi-
tale, exercent les compétences non dévolues aux Communautés dans
les matières visées à l'article 128, § p•, de la Constitution, soit les
matières dites bipersonnalisables (n" 334). Sous ce langage herméti-
que se cachent les autorités qui œuvrent au sein de la Commission
communautaire commune.
Cette collectivité fédérée est pourvue d'une assemblée réunie.
Celle-ci se compose des membres des deux groupes linguistiques du
Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale. Arithmétiquement par-
lant, l'assemblée réunie de la Commission communautaire commune
équivaut au Conseil régional. Comme lui, elle comprend septante-
cinq membres.
620. - Chaque parlement peut aussi associer à ses travaux des
sénateurs élus directs. Ceux-ci y ont voix consultative. S'ils accep-
tent cette invitation, les sénateurs-conseillers sont amenés à aban-
donner tout autre mandat politique (9).
L'article 37bis, § le•, alinéa 2, de la loi spéciale de réformes insti-
tutionnelles permet, par décret spécial (l. sp., art. 35, § 3}, d'associer
les sénateurs francophones - wallons ou bruxellois, peu importe,
pour autant qu'ils aient été élus directement - aux travaux du
Parlement wallon (voy. le décret spécial du 23 octobre 1997 visant
à associer les sénateurs élus directement par le collège électoral fran-
çais aux travaux du Parlement wallon, Mon. b., 30 octobre 1997)
(Le système constitutionnel ... , p. 131, no 121).

B. - L'élection des ministres


621. - La désignation des ministres qui composent les gouver-
nements de communauté et de région s'opère de manière originale.
Ils ne sont pas nommés, ils sont élus. Selon l'article 122 de la Consti-

(9) L'on entend contourner ainsi l'obligation qui est faite aux membres des parlements de
communauté ou de région d'être domiciliés dans la région correspondante ou dans la région
bruxelloise. Un sénateur, domicilié dans l'autre région linguistique -- par exemple, dans une
commune à facilités ou à statut spécial - , peut siéger de cette manière dans un parlement de
communauté ou de région. Pour ce faire, il doit, cependant, abandonner les fonctions locales qu'il
occupait dans cette commune.
558 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

tution, <<les membres de chaque gouvernement de communauté et


de région sont élus par leur conseil >>. Ce dernier statue à la majorité
absolue. Les équipes exécutives qui sont ainsi constituées sont, à
proprement parler, des gouvernements d'assemblée.
Si un accord politique existe entre les formations politiques qui
sont prêtes à se partager les postes au sein du gouvernement, il est
procédé à un seul vote. Celui-ci revient à approuver ou à rejeter la
liste des ministres qui est soumise à l'attention du parlement. Si -
hypothèse peu vraisemblable - aucune liste n'est déposée au jour
de l'élection, il est procédé à autant de scrutins qu'il y a de postes
à pourvoir. Les membres du gouvernement sont alors élus de
manière distincte.
La Constitution n'exige pas - ou, plus exactement, n'exige
plus - que les ministres communautaires et régionaux soient élus
au sein de leur parlement respectif et donc qu'ils en soient membres.
Ce mécanisme se justifiait par le souci d'éviter que des mandats
politiques soient confiés à des personnalités qui n'appartenaient pas
à la communauté ou à la région concernée. Il est néanmoins sup-
primé.
Il ne s'agit pas d'une élection au second degré, comme pour la
députation permanente ou le collège des échevins. Il s'agit plus
exactement d'une élection par un corps électoral restreint qui est
celui du parlement. Ce dernier dispose d'une liberté totale dans le
choix de ses ministres (10).
622. - Le gouvernement élit en son sein un président. On l'ap-
pelle <<ministre-président >> et quelque fois <<premier ministre >>. Il
prête serment dans les mains du roi qui, de ce fait, ratifie son élec-
tion (11).
623. - Selon la loi spéciale de réformes institutionnelles, le gou-
vernement wallon se compose de sept membres maximum, en ce corn-

( 10) Des conditions de domiciliation sont néanmoins prescrites : dans la Région wallonne pour
les membres du gouvernement régional wallon, dans la même région ou dans la région bilingue
de Bruxelles-Capitale pour les membres du gouvernement de la Communauté française, dans la
région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale pour les membres
du gouvernement flamand.
( ll) '' Le ministre-président prête serment entre les mains du roi : il existe donc bel et bien
un lien particulier entre lui et le chef de l'Etat>>, écrit ,J.-M. DEHOURSE (<<Qui>> couvre« le Roi?»,
La Libre Belgique, février 1996). Celui-ci considère à tort, malgré l'article 99 de la Constitution,
que le président d'un gouvernement de communauté et de région peut assumer la responsabilité
de certains actes accomplis par le roi.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 559

pris son président. Ce nombre peut être modifié par décret spécial.
Tel est l'objet du décret du 12 juillet 1999. Ce chiffre est porté à
neuf.
Les ministres sont élus par le Parlement wallon. Avant d'entrer
en fonction, ils << prêtent serment entre les mains du président >> de
l'assemblée (l. sp., art. 62).
La circonstance que les membres du gouvernement wallon ne sont
pas nécessairement élus au sein du parlement régional oblige la loi
spéciale de réformes institutionnelles à déterminer des conditions
d'éligibilité et des incompatibilités.
Des conditions d'éligibilité sont prescrites. Elles s'inspirent de
celles applicables aux élus. Le ministre wallon doit, en particulier,
être domicilié dans une commune wallonne.
Des incompatibilités sont également prévues ( 12). Elles sont
réduites.
Il n'y a pas d'incompatibilité entre l'exercice de la fonction de
membre du gouvernement wallon et de membre du gouvernement
de la Communauté française. Le cumul est possible.
Par contre, il existe une incompatibilité entre l'exercice du man-
dat de membre du Parlement et de membre du gouvernement wal-
lons.
Conformément aux articles 123, § 2, de la Constitution et 49, § 2, de la loi spé-
ciale de réformes institutionnelles, la Région wallonne a instauré une incompati-
bilité entre un mandat au sein du Parlement wallon et l'exercice d'une fonction
au gouvernement régional. Plus précisément, <<le mandat de membre du (Parle-
ment) est incompatible avec la fonction de membre du gouvernement wallon>>.
Le parlementaire wallon qui est élu pour faire partie du gouvernement cesse
immédiatement de siéger. Il est remplacé par le premier suppléant en ordre utile
de la liste sur laquelle il a été élu (décret spécial du 13 juillet 1995 organisant
le remplacement des ministres par leur suppléant parlementaire).

Enfin, << nul ne peut être à la fois membre ... d'un gouvernement
de région et membre du gouvernement fédéral>> (l. sp., art. 61).
624. - Le gouvernement bruxellois est composé de cinq ministres.
Ce nombre n'est pas modifiable, sauf révision de la loi spéciale du

( 12) Les incompatibilités qui existaient autrefois et qui portaient sur l'exercice simultané de
la fonction de membre du gouvernement wallon et de membre du gouvernement de la Commu-
nauté française disparaissent. Le cumul est donc possible étant entendu que, pour pouvoir être
élu membre du gouvernement wallon, il faut être domicilié en Région wallonne et que l'élection
en qualité de membre du gouvernement de la Communauté française est subordonnée à une
domiciliation soit en région bilingue de Bruxelles-Capitale, soit en Région wallonne.
560 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

12 janvier 1989. Ils sont élus par le Conseil de la Région de


Bruxelles-Capitale. Ils ne doivent pas nécessairement appartenir au
Conseil qui les élit.
Le président excepté (13), le gouvernement compte deux
membres relevant du groupe linguistique français et deux membres
du groupe linguistique néerlandais. Tous doivent être domiciliés
dans l'une des dix-neuf communes de l'arrondissement administratif
de Bruxelles-Capitale.
Deux modes d'élection sont concevables. L'élection opère de plein
droit lorsqu'une liste de cinq noms - contresignée par la majorité
absolue des membres du Conseil et par la majorité des membres de
l'un et l'autre groupes linguistiques - est présentée au Conseil. A
titre subsidiaire, il y a lieu de procéder à cinq élections successives.
Deux membres du gouvernement sont élus par le groupe linguisti-
que français et deux autres par le groupe linguistique néerlandais.
Le ministre-président, lui, est élu par l'ensemble des membres du
Conseil régional, à la majorité absolue des voix.
Le gouvernement régional est complété par trois secrétaires d'Etat
régionaux (14). L'un d'eux au moins appartient au groupe linguisti-
que le moins nombreux. Tous sont adjoints à un ministre régional
du même groupe linguistique - qui détermine leurs attributions
exactes - . Etant donné qu'ils peuvent être élus en dehors du
Conseil, l'acte de présentation doit indiquer le groupe linguistique
auquel l'intéressé est censé appartenir (l. sp., 12 janvier 1989,
art. 41, § 1er, al. 3).
Les secrétaires d'Etat régionaux ne sont pas membres du gouver-
nement régional - même s'il est précisé, de manière artificielle,
qu'ils sont membres du <<pouvoir exécutif f> régional-. Ils disposent
d'un pouvoir de préparation et d'exécution des décisions gouverne-
mentales----:<< à l'exclusion de tout pouvoir de décision f> - . Ils peu-
vent cependant participer, avec voix consultative, aux réunions du
gouvernement.

(13) Le président du gouvernement bruxellois fait partie du collège de la commission commu·


nautaire qui correspond au groupe linguistique auquel il appartient. Il est appelé à devenir
membre du collège réuni de la commission communautaire commune. Mais il n'y a qu'une voix
consultative.
(14) F. DELPÉRÉE, in Le Soir, 21 novembre 1997.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 561

Tant sur un plan juridique que politique, leur situation peut


paraître singulière. En matière législative, ils n'exercent pas le droit
d'initiative devant le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale (l.
sp., 12 janvier 1989, art. 6, a contrario) (15). Par contre, ils sont
politiquement responsables devant le Conseil dans les mêmes condi-
tions que les ministres régionaux (art. 41, §§ 2 et 4).
625. - Le gouvernement flamand est composé en fonction des
options prises dès 1980. La Région est privée d'institutions propres.
C'est donc le gouvernement de la Comrimnauté flamande qui exerce
les responsabilités du gouvernement de la Région flamande.
Le gouvernement flamand est composé de onze membres au plus,
en ce compris le président (l. sp., art. 63, §1er). Un décret spécial
peut décider d'augmenter ou de diminuer ce nombre (l. sp., art. 49,
§ 2). L'un des ministres au moins doit être domicilié dans la région
bilingue de Bruxelles-Capitale (l. sp., art. 63, § pr). Il ne dispose que
d'une voix consultative lorsque le gouvernement flamand délibère
de matières régionales ( 16). Les autres ministres doivent être domi-
ciliés dans l'une des communes de la Région flamande (l. sp.,
art. 59, § 2, 4°, a).
·Les ministres flamands sont élus par le Parlement flamand.
L'élection se fait, en principe, par le dépôt d'une liste de noms qui
est signée par une majorité des membres du Parlement. A défaut
d'accord en ce sens, le Parlement procède à l'élection séparée des
ministres (l. sp., art. 60, § 2). Ceux-ci prêtent serment entre les
mains du président du Parlement.
626. - Aux termes de la loi spéciale de réformes institution-
nelles, le gouvernement de la Communauté française est composé de
quatre membres maximum. Un décret spécial peut modifier ce
nombre. Tel est l'objet du décret spécial du 13 juillet 1999. Le gou-
vernement communautaire compte désormais huit ministres.
En 1999, l'organisation tripartite des gouvernements communautaire et régio-
nal au Sud du pays ne peut manquer de susciter la question délicate de la répar-
tition des influences politiques. S'il est possible de disposer, à la Région, d'une
marge de manœuvre dans un exécutif de sept membres, le problème peut
paraître insoluble, à la Communauté, lorsqu'il convient de composer un gouver-

(15) «Une profonde différence-- que masque. à première vue, l'identité de dénomination-
apparaît donc entre les compétences des secrétaires d'Etat (fédéraux) et celles des secrétaires
d'Etat régionaux>> (C.E., L. 19.886/9, 19 septembre 1990).
(16) Tl peut être dérogé, par décret spécial, à une telle règle (1. sp., art. 35, § 3 et 49)
562 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

nement de quatre membres au plus. Si l'on veut de surcroît faire droit aux pré-
tentions des tendances, des sous-régions et des personnalités locales, les modes
de fonctionnement qui étaient en usage dans les gouvernements Onkelinx et Col-
lignon doivent être fondamentalement revus. En particulier, la pratique - fort
louable - qui revenait à confier à chaque ministre communautaire, hormis le
président, des compétences régionales ( 17) doit être abandonnée.
L'autonomie organisationnelle (18) qui revient aux communautés et aux
régions est utilisée en vue d'augmenter le volume des places à pourvoir. Il faut
regretter que des solutions structurelles soient adoptées pour faire face à des pro-
blèmes circonstanciels(<< Courtes crises>>, J.T., 1999, p. 639).

Un membre au moins du gouvernement de la Communauté fran-


çaise doit être domicilié dans la Région bruxelloise. Les autres doi-
vent être domiciliés dans une commune de la Région wallonne (1.
sp., art. 59, § 2, 4°, b).
En vertu de l'article 122 de la Constitution, les membres du gou-
vernement sont élus par le parlement, étant entendu qu'ils ne doi-
vent pas nécessairement être choisis dans ses rangs.
Plus radicalement, le décret spécial du 24 juillet 1995 (19), pris en
exécution de l'article 123, § 2, de la Constitution et de l'article 49,
§ 2, de la loi spéciale du 8 août 1980, dispose que le membre du Par-
lement qui est élu en qualité de membre du gouvernement, cesse
immédiatement de siéger et ne reprend ses fonctions que lorsqu'il
est mis fin à ses fonctions de ministre. Entre-temps, il est remplacé
par le premier suppléant en ordre utile de la liste sur laquelle il a
été élu.
Les ministres du gouvernement désignent, parmi eux, un
ministre-président. Ils prêtent serment entre les mains du président
du Parlement. Le ministre-président, prête, lui, serment entre les
mains du roi. Il est généralement admis que cette formalité substan-
tielle ne crée pas de lien particulier d'allégeance entre l'autorité qui
est investie du pouvoir exécutif au niveau fédéral et celle qui dirige
l'autorité exécutive au niveau fédéré.

(17) <<Crise sans crise», J. T., 1995, p. 664.


(18) C. MERTES, «L'autonomie constitutive des communautés et des régions», CH. CRJSP,
n"' 1650-1651. La prétendue autonomie constitutive, voire constitutionnelle, de certaines collecti-
vités fédérées se ramène au règlement de quelques questions d'organisation institutionnelle. Pour-
quoi accréditer des appellations qui ont, certes, cours dans les milieux politiques, mais qui n'ont
pas de sens juridique précis et qui, pis encore, peuvent induire le citoyen en erreur sur la portée
des phénomènes constitutionnels ?
(19) Mon. b., 29 juillet 1995, p. 20473.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 563

La Communauté française dispose de la même liberté d'organisa-


tion que la Région wallonne pour modifier ou supprimer par décret
spécial les règles de fonctionnement du gouvernement.
627. - Le gouvernement de la Communauté germanophone com-
prend trois membres. Les ministres peuvent être choisis en dehors
du conseil (loi du 31 décembre 1983, art. 49), mais doivent être
domiciliés dans une commune de la région de langue allemande
(art. 50).
Toute liberté d'auto-organisation est refusée à la Communauté
germanophone.

C. - L'utilisation des ministres


628. - Un phénomène original mérite d'être souligné. Des élec-
tions ont eu lieu dans une région. Des conseillers régionaux ont été
choisis. Ils forment eux-mêmes un collège électoral restreint qui sert
à choisir les membres du gouvernement régional. Mais, une fois élus,
ceux-ci ne pourraient-ils servir à composer du même coup le gouver-
nement d'une autre collectivité politique? Cette solution est mise en
œuvre dans la Région bruxelloise aux fins de composer les gouver-
nèments, en l'occurrence les collèges, des Commissions communau-
taires.
629. - Il y a un collège communautaire français. Sa composition
est prescrite par la Constitution. Il comprend les deux ministres et
les deux secrétaires d'Etat du gouvernement bruxellois qui appartien-
nent au groupe linguistique français. Si le président du gouverne-
ment régional bruxellois fait partie de ce groupe linguistique, il
appartient également au collège français.
Il y a un collège communautaire flamand. Les mêmes règles s'y
appliquent.
Mentionné à l'article 136, alinéa 2, de la Constitution, le collège
réuni comprend l'ensemble des ministres bruxellois (20). Le
ministre-président du gouvernement bruxellois y siège également.
Dans la mesure où <<les Collèges forment ensemble le Collège
réuni>> (Const., art. 136, al. 2), le gouvernement régional et le collège
réuni sont composés des mêmes personnes. Alors que le ministre-

(20) A l'exclusion, par conséquent, des secrétaires d'Etat; voy. P. NIHOUL, ''Les autorités
bruxelloises», in La Belgique fédérale, p. 156.
564 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

président assume la direction du gouvernement avec les responsabi-


lités qui s'attachent à ces fonctions, il n'assume, cependant, la prési-
dence du collège réuni qu'avec voix consultative et sans être investi
de quelque compétence particulière (1. sp., art. 75, al. 2 et 77).

SECTION III. - LES TECHNIQUES


D'AUTO-ORGANISATION

630. - L'organisation des collectivités fédérées est fédérale. La


Constitution (art. 118, § 2, et 123, § 2) reconnaît, cependant, aux
communautés et aux régions - en tout cas, à certaines d'entre
elles - la faculté de modifier, chacune pour ce qui la concerne, les
dispositions législatives qui sont relatives à l'élection, à la composi-
tion et au fonctionnement de leur parlement et de leur gouverne-
ment. Ces collectivités disposent ainsi d'une marge de liberté d'orga-
nisation - celle-ci est parfois qualifiée pompeusement d'<< autono-
mie constitutive~>, voire <<constitutionnelle~> - (21).
En ce sens, les communautés et les régions sont libres d'édicter
des règles pour leur propre organisation. Ces dispositions particu-
lières dérogent à celles qui sont arrêtées de manière uniforme par la
loi spéciale de réformes institutionnelles pour toutes les collectivités
fédérées. La mise en œuvre de cette faculté permet, par la force des
choses, d'organiser des institutions dites << asymétriques ~>.
L'Etat fédéral asymétrique est celui qui, tel l'Etat belge, se com-
pose de collectivités fédérées qui sont égales en droit, qui se ressem-
blent pour l'essentiel mais dont le régime juridique n'est pas en tous
points uniforme dans la mesure où toutes ou certaines d'entre elles
ont, dans les limites fixées par la Constitution, adopté - sur des
points déterminés - un statut particulier.
631. - Une réelle liberté d'organisation est consacrée par la
Constitution. Elle est néanmoins affectée de trois restrictions signifi-
catives.
La première est d'ordre institutionnel. La liberté d'organisation ne
revient ni à la Région bruxelloise, ni à la Communauté germano-
phone, ni aux commissions communautaires. En fait, elle n' appar-
tient pas non plus à la Région flamande. Aucune justification

(21) F. DELPÉRÉE, «La Constitution, pour quoi faire?>> ... , 1994, p. 3.


LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 565

convaincante n'a été donnée à une solution qui peut paraître dis cri-
minatoire (22). Tout au plus admettra-t-on que les autorités bruxel-
loises ne sauraient porter préjudice, à la faveur de dispositions spé-
cifiques, aux équilibres institutionnels délicats qui sont instaurés
dans la région centrale du pays.
La deuxième restriction est d'ordre procédural. La liberté d' orga-
nisation requiert la mise en œuvre d'une procédure particulière. Le
législateur spécial doit, dans une première étape, déterminer les
matières qui relèvent de la libre organisation des collectivités fédé-
rées et en préciser les contours. Dans une deuxième étape, il appar-
tient aux communautés et à la région intéressées d'adopter un
décret spécial - c'est-à-dire un décret voté à la majorité des deux
tiers des suffrages exprimés, à condition que la majorité des
membres du parlement concerné soient présents - en ce sens.
Tant au nord qu'au sud du pays, les communautés et la région
concernées ont utilisé la faculté d'auto-organisation. Elles ont ins-
tauré une incompatibilité entre la fonction de membre du gouverne-
ment et du parlement (23). Avec le concours de son gouvernement,
le Conseil flamand a également adopté un décret spécial selon lequel
il y avait lieu désormais de l'appeler<< Parlement flamand»> (24).
La troisième limitation est d'ordre matériel. La loi spéciale du
16 juillet 1993 précise les questions particulières <<relatives à l'élec-
tion, à la composition et au fonctionnement des assemblées fédé-
rées »> dont les collectivités intéressées peuvent se saisir de manière
autonome (Const., art. 118, § 2).
Elles sont autorisées à :

(22) Doc., CRW, 1992-1993, 168, no 1, avis L. 22.546(2, 30 juin 1993. F. TULKENH, « L'autono-
mie constitutive : un nouveau concept de droit constitutionnel belge?>>, A.P. T., 1994, p. 161;
F. TULKENS, «La réforme de l'Etat. II. ~Les entités fédérées : nouveaux socles de l'Etat fédé-
ral>>, J.T., 1994, p. 411; M. UYTTENDAELE, ''L'autonomie constitutive en droit fédéral belge.
Réflexions sur l'unicité du pouvoir constituant dans un Etat fédéral», A.P. T., 1994, p. 221.
(23) Décret spécial flamand du 26 juin 1995 établissant des incompatibilités avec le mandat
de membre du Conseil flamand, Mon. b., 1e•· juillet 1995; décret spécial de la Région wallonne
du 13 juillet 1995 organisant le remplacement des ministres par leur suppléant parlementaire,
Mon. b., 21 juillet 1995; décret spécial de la Communauté française du 24 juillet 1995 organisant
le remplacement des ministres au sein du Conseil de la Communauté française, Mon. b., 29 juillet
1995.
(24) Décret spécial du 2 avril 1996 relatif à la dénomination du Conseil flamand, Mon. b.,
18 avril 1996.
566 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

modifier le nombre des membres du parlement (l. sp., art. 24,


§§ 1er, al. 3, 2, al. 2 et 3, al. 2) (25);
édicter de nouvelles incompatibilités pour les parlementaires (l.
sp., art. 24bis, § 3);
ériger une incompatibilité entre la fonction de ministre et celle
de membre de l'assemblée (l. sp., art. 49, § 2);
modifier les limites des circonscriptions électorales applicables
aux élections régionales (l. sp., art. 26, § 1er).
<<De manière plus générale, les assemblées peuvent décider d'un
certain nombre de règles de fonctionnement : ouverture, durée et
clôture des sessions, élection du bureau, des président et vice-prési-
dents, publicité des séances, présence des membres du gouverne-
ment, organisation du droit de pétition, compétences du bureau
(préparation des séances, fixation de l'ordre du jour et nomination
du personnel, à l'exception du greffier), nomination et attributions
du greffier, etc. >> (26).
L'autonomie organisationnelle concerne également le statut des
gouvernements. La Communauté française, la Communauté fla-
mande ou la Région wallonne peuvent, par décret spécial, modifier
le nombre des ministres et les règles relatives au fonctionnement de
leur gouvernement respectif. Elles peuvent <<régler le mode de déli-
bération du gouvernement, fixer les règles selon lesquelles celui-ci
engage sa responsabilité devant le (parlement), déterminer les
conditions dans lesquelles il expédie les affaires courantes>> (l. sp.,
art. 49).
632. - Est-ce à dire que chaque communauté ou région peut se
donner une Constitution ?
Si la Constitution sert à désigner, dans les termes les plus vagues
qui soient, le document politique qui célèbre l'avènement d'une
société ou d'une collectivité déterminée, il n'y a aucun inconvénient
à utiliser le terme de constitution wallonne ou de constitution fla-
mande. Cela n'a aucune conséquence juridique ou pratique.
Si la Constitution doit, par contre, recevoir un sens juridique pré-
cis, si elle doit se définir par son objet mais aussi par son autorité

(25) Si le Parlement de la Communauté française ou le Parlement flamand font usage de cette


prérogative, ils doivent veiller à assurer aux Bruxellois une représentation équitable. Celle-ci ne
peut être proportionnellement inférieure à celle qui est retenue dans la loi spéciale. Les rapports
6/118 et 19/75 ne peuvent être modifiés.
(26) M. UYTTENDAELE, Regards sur un système institutionnel paradoxal ... , n" 694.
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR 567

et sa valeur, si elle doit s'entendre comme la règle juridique qui


impose ses prescriptions aux citoyens et aux autorités publiques, si
elle doit se comprendre comme la règle juridique qui n'a d'autres
impératifs à respecter que ceux qu'elle établit elle-même pour sa
révision, alors le diagnostic est manifestement différent.
633. - Des constitutions particulières relèvent de l'incongruité
juridique. Une règle ne peut en même temps être souveraine ou
subordonnée.
La Constitution et la loi spéciale de réformes institutionnelles
confèrent aux communautés et aux régions une autonomie organisa-
tionnelle. Certains y voient aujourd'hui une fonction constituante
embryonnaire. L'observation procède d'un curieux contresens. La
règle constitutive prend la forme d'un décret spécial qui, comme
tout décret, est assujetti au respect de la Constitution. En cas de
violation de celle-ci, ce décret peut être censuré par la Cour d' arbi-
trage. Curieuse Constitution qu'une norme subordonnée qui peut
être annulée par le juge constitutionnel!
Qui dit Constitution dit Etat. Qui dit Etat dit Constitution. Tant que les
Belges souhaiteront vivre dans un Etat, et l'on souligne : un Etat, ils n'auront
besoin que d'une Constitution, et l'on souligne : une Constitution.
L'affirmation ne porte pas préjudice à la compétence qui revient à des collec-
tivités politique de déterminer des règles d'organisation qui leur sont spécifiques.
Mais utiliser à ce moment-là le terme de Constitution, c'est une une erreur tech-
nique. A moins que ce ne soit un pari politique.
CHAPITRE II
L'ORGANISATION DES POUVOIRS

634. - Les pouvoirs fédérés sont moins composites que ne le


sont les pouvoirs fédéraux. Le problème des relations entre le roi et
ses ministres ne se pose d'aucune manière. Le problème des relations
entre deux assemblées n'est pas non plus à l'ordre du jour.
De manière paradoxale, l'on voit apparaître au niveau fédéré
d'autres règles qui réinstaurent, au sein de structures simples, un
peu de complexité dans les relations entre autorités publiques.
Comme si celle-ci était inhérente à l'aménagement rationnel des
pouvoirs publics, à quelque niveau que ce soit.
L'organisation d'un système monocaméral oblige notamment à
repenser les techniques du parlementarisme classique.

SECTION Ire. - LES PROCÉDURES


DE GOUVERNEMENT

635. - Dans la mesure où le pouvoir exécutif communautaire


ou régional est tout entier aux mains du gouvernement, un
ensemble de règles applicables au niveau fédéral ne trouvent pas à
s'appliquer. Il en va ainsi de la règle du contreseing ministériel
(no 494). Par contre, les règles de la collégialité et de la solidarité
ministérielle reçoivent une application particulière. Celle de la dis-
crétion également.
Ces règles d'organisation internes sont inscrites, au vœu de l'ar-
ticle 121, § pr de la Constitution, dans une loi spéciale. Pour la
Communauté germanophone, une loi ordinaire suffit.

§ 1er. - La règle de la collégialité


636. - L'article 68 de la loi spéciale de réformes institution-
nelles veut que le gouvernement << décide de ses règles de fonctionne-
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 569

ment •> (1). Ce qui signifie que la communauté ou la région ne saurait


s'immiscer, par voie de décret ordinaire, dans le fonctionnement du
gouvernement (2). Un décret spécial pourrait néanmoins intervenir
en ce sens (no 630).
Pour sa part, l'article 69 de la loi spéciale de réformes il).stitution-
nelles précise que <<sans préjudice des délégations qu'il accorde, cha-
que (gouvernement) délibère collégialement selon la procédure du
consensus suivie en conseil des ministres de toutes affaires de sa
compétence >>.
Le gouvernement doit, en principe, prendre toute décision de manière collé-
giale. Pris isolément, les ministres ne sont pas investis de responsabilités particu-
lières. Pris collégialement, ils concourent, par contre, à la formation d'une déci-
sion commune (3). Ils forment <<un ensemble fonctionnellement cohérent dont la
décision doit reposer sur l'échange des points de vue •> (4). Dans cette même per-
spective, c'est au gouvernement ~- et non à un seul de ses membres - que
revient la charge de procurer exécution à un décret (5).
Une répartition du travail s'instaure néanmoins entre les ministres régionaux.
La loi spéciale permet de déroger au principe de collégialité. Elle prévoit d'ac-
corder des délégations aux membres du gouvernement. <<Sur cette base, (le gou-
vernement) peut certainement déléguer à l'un de ses membres le pouvoir de
prendre la plupart des décisions de portée individuelle. En revanche, il serait
contraire aux principes généraux du droit public belge que (le gouvernement)
délègue à l'un de ses membres la totalité de l'exercice de son pouvoir réglemen-
taire. Il convient, à cet égard, d'appliquer aux délégations que (le gouverne-
ment) accorde à un de ses membres, les principes qui, selon la jurisprudence et
la doctrine, sont applicables au roi lorsqu'il délègue son pouvoir réglementaire
à un ministre>> (6). Il faut aussi que la répartition des compétences de décision,
par voie de délégation, entre les membres (du gouvernement) soit équitable, en
d'autres termes qu'elle s'opère «raisonnablement, de façon justifiée et selon un
critère d'égalité de traitement>> (7).

§ 2. - La règle du consensus
637. - A l'instar du conseil des ministres (n" 504), le gouverne-
ment fédéré ne peut prendre de décision selon la règle de la majo-
rité. Il ne peut non plus se résoudre à respecter la règle de l'unani-

( 1) Sur le mode de fonctionnement du gouvernement wallon, voy. l'arrêté du gouvernement


wallon du 25 juillet 1996 portant règlement du fonctionnement du gouvernement, Mon. b., 8 août
1996, p. 21180.
(2) CE., L. 16.396/2, JO décembre 1984.
(3) C.E., L. 14.403/2, 5 décembre 1981.
(4) C.E., L. 14.461/1, 15 janvier 1982.
(5) C.E .. L. 17.110/2, 24 mars 1986.
(6) C.E., L. 17.576/2, 3 octobre 1986.
(7) C.E., L. 14.461/1, 15 janvier 1982.
570 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

mité. La décision est formulée selon la procédure du consensus. Elle


intervient au terme d'un large débat qui s'efforce de concilier les
points de vue divergents et qui s'attache à dégager une position
dominante.
638. - Pour rappel, le ministre d'origine bruxelloise qui siège au
sein du gouvernement flamand n'y a pas voix délibérative lors-
qu'une décision est prise dans le domaine des matières régionales.

§ 3. - La règle de la discrétion ministérielle


639. - Comme on l'a relevé, tant la Constitution que la loi, spé-
ciale ou ordinaire, ne s'expriment pas sur les modes d'organisation
des gouvernements de communauté et de région. Elle laisse à cha-
que équipe exécutive le soin de décider de << ses règles de fonctionne-
ment >>. Parmi les mesures communément prises, il faut relever la
règle du huis clos pour les délibérations du gouvernement commu-
nautaire ou régional.

SECTION II. - LES PROCÉDURES


DE DÉLIBÉRATION

640. - Le pouvoir législatif, tel qu'il est aménagé au niveau


communautaire ou régional, est lui aussi organisé. Il est composé au
départ d'autorités qui tirent toutes leur origine de l'élection. Tant
l'assemblée que le gouvernement sont élus. Les nécessités de l'action
politique peuvent néanmoins conduire ces deux autorités élues à
adopter des points de vue qui ne sont pas convergents. Il faut ins-
taurer des mécanismes pour leur permettre de coordonner leur
action.
641. - Il va sans dire que les modalités d'organisation des par-
lements communautaires et régionaux sont fortement inspirées par
celles qui commandent l'aménagement des assemblées fédérales.
Ainsi chaque parlement se prononce sur la validité de la désigna-
tion de ses membres (8). Il procède à la vérification des pouvoirs (9).

(8) L. sp. 8 août 1980, art. 31, § 1".


(9) L. sp., art. 31, § 3.
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 571

Il reçoit le serment d'allégeance à la Constitution des nouveaux par-


lementaires (10). Il détermine l'indemnité qui leur sera allouée (11).
Comme dans les assemblées fédérales, le travail parlementaire
s'organise en sessions - qui rythment le cours de la législature - .
Il se développe au cours de séances publiques. Il respecte à tous
égards les normes et traditions de la procédure parlementaire.

§ 1er. - La règle de la délibération unique


642. - Le monocaméralisme est de règle au niveau des collecti-
vités fédérées. L'œuvre de confection des décrets et ordonnances
prend en considération cette donnée institutionnelle. Deux techni-
ques, l'une d'organisation, l'autre de fonctionnement, peuvent
contribuer à instaurer, sous d'autres formes, un certain dualisme
dans l'œuvre de délibération.
<<Le pouvoir décrétai s'exerce collectivement par le (parlement) et
le gouvernement>> (l. sp., art. 17). L'usage - qui tend à accréditer
l'existence de décrets du Parlement wallon ou flamand, comme s'ils
pouvaient émaner d'une seule branche du pouvoir décrétai...
semble particulièrement inadéquat. Il est à déconseiller.
En matière décrétale, <<le pouvoir d'initiative appartient au gou-
vernement et aux membres du (parlement)>> (l. sp., art. 18). Des
projets ou des propositions de décret sont déposés en ce sens. Quant
au gouvernement, il << sanctionne et promulgue les décrets >> (l. sp.,
art. 21). (12)
A l'occasion du débat parlementaire, << chaque membre du gouver-
nement peut demander une seconde lecture >>; <<chaque membre du
(parlement) peut demander une seconde lecture selon le mode déter-
miné par le règlement si un amendement au texte est proposé >> (l.
sp., art. 38, al. 2 et 3).

(10) L. sp., art. 31bis.


(11) L. sp., art. 31ter. Cette indemnité qui ne peut dépasser celle allouée aux membres de la
Chambre des représentants ne pourra être cumulée avec une indemnité de sénateur, mais bien
avec celle allouée par un autre conseil, dans la mesure où elle ne dépasse pas l'indemnité octroyée
au député.
(12) «Le gouvernement fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des décrets,
sans pouvoir jamais ni suspendre les décrets eux-mêmes, ni dispenser de leur exécution» (l. sp.,
art. 20). Les mesures prises en exécution des décrets doivent s'inscrire dans les limites de l'habili-
tation qui est procurée. Si ce n'est pas le cas, le juge judiciaire pourra en refuser l'application
et le juge administratif, s'il est saisi en ce sens, sera en mesure d'en prononcer l'annulation.
572 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

La disposition- qui est originale en droit belge- tend à prému-


nir contre les inconvénients que pourrait susciter l'absence de toute
procédure bicamérale à l'occasion de l'élaboration d'un décret. Les
--articles---44 et 45 du règlement du Parlement wallon décrivent, par
exemple, la procédure qui permet à un parlementaire ou à un
ministre de demander une seconde lecture du texte. Dans ce cas, le
vote en seconde lecture a lieu, en principe, lors de la plus prochaine
séance publique.

§ 2. - La règle de la majorité

643. - Dans un parlement de communauté ou de région, le tra-


vail s'organise selon une procédure classique. Les règles de quorums,
de présences et de votes, trouvent à s'appliquer.
En ce qui concerne les présences, la loi spéciale de réformes insti-
tutionnelles établit, dans son article 35, une règle générale : les par-
lements ne peuvent prendre de résolution qu'autant que la majorité
de leurs membres se trouve réunie (§ 1er).
En ce qui concerne les votes, la même loi spéciale instaure la règle
de la majorité absolue : <<toute résolution est prise à la majorité
absolue des suffrages ~> (§ 2). En cas de partage des voix, la proposi-
tion en délibération est rejetée (ibidem).
La majorité qualifiée, celle des deux tiers, peut être requise dans
trois cas particuliers. La Constitution requiert le vote d'un décret
spécial pour la délégation de compétences éducatives à un ou plu-
sieurs << organes autonomes ~> (art. 24) ou pour l'exercice de l' autono-
mie organisationnelle (art. ll8, § 2). Dans son article 35, § 3, la loi
spéciale de réformes institutionnelles requiert, pour sa part, qu'un
ensemble de décrets soient votés à la majorité des deux tiers. Ils ont
pour objet d'associer des sénateurs aux travaux des assemblées
communautaires et régionales (art. 37bis) et d'établir des incompati-
bilités supplémentaires (art. 59, § 3), notamment entre un mandat
parlementaire et la fonction ministérielle (art. 49).
644. - L'Assemblée réunie de la Commission communautaire
commune, statue selon la règle de la double majorité. Seul le
concours de l'un et de l'autre groupes linguistiques permet de faire
œuvre utile. En cas de conflit entre ces groupes ou à l'intérieur de
L'ORGANISATION DES POUVOIRS 573

l'un d'eux, le fonctionnement de l'assemblée réunie peut s'en trou-


ver compromis (13).
645. - Un phénomène surprenant mérite d'être relevé. Certains
parlementaires participent aux débats mais ne prennent pas part
aux votes.
Il s'agit des mandataires bruxellois qui siègent au Parlement fla-
mand et qui, dans cette assemblée, ne participent pas aux votes
relatifs à des matières régionales ..
Il s'agit des mandataires germanophones, qui siègent au Parle-
ment wallon mais qui, s'ils ont prêté exclusivement ou en premier
lieu, serment en allemand, ne participent pas aux votes relatifs à
des matières communautaires transférées.
Il s'agit encore des mandataires qui sont associés aux travaux
d'un parlement communautaire ou régional mais qui n'y prennent
part à aucun scrutin.

§ 3. - La règle de la publicité
646. - La publicité des séances et prescrite par l'article 34, ali-
néa 1er, de la loi spéciale de réformes institutionnelles. Néanmoins,
chaque assemblée se forme en comité secret<< sur la demande de son
président ou de cinq membres>> (art. 34, al. 2).
La publicité des votes est prescrite, elle, par les règlements d'as-
semblée. Il va de soi, cependant, que << les élections et présentations
de candidats se font au scrutin secret>> (art. 36, al. 2).

( 13) F. DELPÉRÉE, "Conclusions>>, in La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, 1999, p. 378.


CHAPITRE III
LE STATUT DES TITULAIRES
DU POUVOIR

647. - L'exercice de responsabilités gouvernementales ou parle-


mentaires vaut aux titulaires de ces fonctions le bénéfice d'un statut
particulier. Comme on l'a déjà indiqué, les prérogatives qui revien-
nent tant aux ministres qu'aux parlementaires communautaires et
régionaux sont d'ordre fonctionnel, et non personnel. Eu égard aux
exegences de la fonction à remplir, des règles dérogatoires à celles
du droit commun sont instaurées. Pour l'essentiel, elles s'inspirent
de celles qui prévalent au niveau fédéral.
Dans la mesure où des situations de dédoublement, voire de détri-
plement fonctionnel subsistent, il y a lieu d'être attentif à la
conjonction des règles qui sont d'application simultanée dans les
collectivités fédérale et fédérées.

SECTION pe. - L E STATUT DES MINISTRES


COMMUNAUTAIRES ET RÉGIONAUX

648. - Des ministres fédérés élus ont-ils le même statut que des
ministres fédéraux nommés? Pour l'essentiel, c'est un régime
d'identité qui prévaut. Le modèle fédéral est copié dans les collecti-
vités fédérées. Il n'empêche. Il subit quelques adaptations, sinon
quelques altérations.

§ 1er. - Les incompatibilités


649. - La loi spéciale de réformes institutionnelles se préoccupe
d'établir un régime d'incompatibilités à l'intention des ministres
communautaires et régionaux. Ce régime simple repose sur une
triple idée.
Il n'y a pas d'incompatibilité entre l'exercice d'une fonction dans
un gouvernement communautaire et dans un gouvernement régional.
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 575

Le cumul est possible (1). Ainsi, un membre du gouvernement régio-


nal bruxellois ou du gouvernement régional wallon peut être, en
même temps, membre du gouvernement de la Communauté fran-
çaise. Un membre du gouvernement régional bruxellois peut égale-
ment faire partie du gouvernement flamand (2).
Il y a incompatibilité, par contre, entre la qualité de membre
d'un gouvernement communautaire ou régional et celle de membre du
gouvernement fédéral (l. sp., art. 61).
Il y a également incompatibilité entre deux fonctions de ministre
régional. Ainsi, << nul ne peut être à la fois membre du gouvernement
de la Région de Bruxelles-Capitale et membre d'un autre gouverne-
ment régional)) (l. sp., 12 janvier 1989, art. 35, § 3, al. 2). En
revanche, il n'existe aucune incompatibilité entre les fonctions de
ministre bruxellois et de ministre d'un gouvernement de commu-
nauté. Puisque la Région bruxelloise ne jouit pas de la liberté d'or-
ganisation (no 631 ), elle ne saurait instituer une incompatibilité
entre la fonction de ministre bruxellois et le mandat de conseiller
bruxellois.
Les ministres communautaires et regwnaux sont, par ailleurs,
soumis aux mêmes incompatibilités que les membres des parlements
(l. sp., art. 59, § 3).
Des décrets spéciaux peuvent prescrire d'autres incompatibilités.
Conformément aux articles 123, § 2, de la Constitution et 49, § 2, de
la loi spéciale de réformes institutionnelles, la Région wallonne a
instauré une incompatibilité entre un mandat au sein du Parlement
wallon et l'exercice d'une fonction au gouvernement régional. Plus
précisément, <<le mandat de membre du (Parlement) est incompa-
tible avec la fonction de membre du gouvernement wallon )) - mais
pas de membre du gouvernement de la Communauté française (l.
sp., 12 juillet 1999)

(1) H. SIMONART, (op. cit., p. 50) le souligne : «Le cumul est donc possible étant entendu que,
pour pouvoir être élu membre du gouvernement wallon, il faut être domicilié en Région wallonne
et que l'élection en qualité de membre du gouvernement de la Communauté française est subor-
donnée à une domiciliation soit en région bilingue de Bruxelles-Capitale, soit en Région wallonne.
Sans être prophète, on devine que le cumul risque de se réaliser de manière fort unilatérale ».
(2) Au lendemain des élections régionales du 21 mai 1995, les partis majoritaires dans la Com-
munauté française et la Région wallonne ont donc pu opter, sans objection d'ordre juridique,
pour une forme accentuée de collaboration. Hormis le ministre-président et le ministre qui est
domicilié en Région bruxelloise, les autres ministres du gouvernement de la Communauté fran-
çaise étaient également membres du gouvernement wallon.
576 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

§ 2. - La responsabilité pénale des ministres

650. - La responsabilité pénale des ministres communautaires


et régionaux est organisée par l'article 125 de la Constitution. Les
garanties procédurales sont identiques à celles qui reviennent, en
vertu de l'article 103 de la Constitution, aux ministres fédéraux. Un
tel mécanisme se justifie par la préoccupation d'assurer à l'ensemble
des ministres une unicité de statut.
Il en résulte que <c les membres d'un gouvernement de commu-
nauté ou de région sont jugés exclusivement par la cour d'appel
pour les infractions qu'ils auraient commises dans l'exercice de leurs
fonctiOnS~) (art. 125, al. 1er, 1re phrase). (CIl en est de même deS
infractions qui auraient été commises par les membres d'un gouver-
nement de communauté ou de région en dehors de l'exercice de leurs
fonctions et pour lesquelles ils sont jugés pendant l'exercice de leurs
fonctions~> (id., 2e phrase).

La loi spéciale du 25 juin 1998 règle la mise en œuvre de ces prin-


cipes constitutionnels.
Comment procéder s'il y a <c double application de l'article 125 ~>
de la Constitution (al. 6), c'est-à-dire si un ministre est simultané-
ment membre d'un gouvernement communautaire et régional?
Selon l'article 10, § 2, alinéa 2, de la loi spéciale du 25 juin 1998,
<c l'autorisation requise est celle du (parlement) devant lequel le

membre (du gouvernement) est ou était responsable vu la qualité en


laquelle il a commis les faits ~>.

651. - Un régime singulier d'irresponsabilité est, par ailleurs,


instauré. Il applique au membre d'une équipe gouvernementale une
garantie de l'action parlementaire (cfr. Const., art. 101, al. 2, en ce
qui concerne les ministres fédéraux).
<cAucun membre d'un gouvernement ... ne peut être poursuivi ou
recherché à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l 'exer-
cice de ses fonctions ~> (Const., art. 124). Dans une perspective res-
treinte, cette disposition vise l'hypothèse du ministre qui commet
une infraction lorsqu'il participe aux travaux du parlement qui l'a
élu. Dans une perspective plus large, elle couvre les actes et propos
qui se rattachent directement aux fonctions de ministre communau-
taire et régional.
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 577

SECTION Il. - LES STATUTS DES PARLEMENTAIRES


COMMUNAUTAIRES ET RÉGIONAUX

§ pr_ - Les incompatibilités


652. - La qualité de parlementaire communautaire ou régional
est incompatible avec l'exercice de fonctions tant à l'échelon fédéral
que fédéré (3). La Constitution, les lois spéciales et ordinaires et des
décrets spéciaux énoncent des incompatibilités.
653. - Selon l'article 119 de la Constitution, les députés et les
sénateurs, hormis les sénateurs communautaires, ne peuvent siéger
dans les parlements communautaires et régionaux. Une séparation
aussi nette que possible est ainsi établie entre les personnes qui
assument des fonctions parlementaires dans la collectivité fédérale
et les collectivités fédérées.
654. - La loi spéciale de réformes institutionnelles établit, pour
sa part, une incompatibilité entre la fonction de ministre ou secré-
taire d'Etat fédéral et celle de parlementaire communautaire ou
régional (art. 24bis, § 2 ; sur le régime de remplacement, voy. décrets
des 12 et 19 juillet 1999).
Selon la même loi spéciale, les mandats de membre du Parlement
de la Communauté française, du Parlement flamand et du Conseil
de la Communauté germanophone sont, par ailleurs, incompatibles
entre eux (4).
Un problème particulier surgit au lendemain des élections régionales du
21 mai 1995. II a trait à la composition du Parlement de la Communauté fran-
çaise (5).
Dans l'arrondissement de Verviers, un candidat s'est présenté tant aux élec-
tions du Conseil de la Communauté germanophone que du Parlement wallon. II
est élu dans l'une et l'autre assemblées. En tant que membre du Parlement wal-
lon, il siège également de plein droit au Parlement de la Communauté française.
Le voici donc membre de deux conseils de communauté. Dans la mesure où la

(3) Les dispositions légales relatives aux incompatibilités et aux conditions d'éligibilité ne
sont pas rendues applicables aux membres du Parlement de la Communauté française. Celui-ci
se compose de membres du Parlement wallon et du groupe linguistique français du Conseil de
la Région de Bruxelles-Capitale. De la sorte, les conditions d'éligibilité et les incompatibilités pré-
vues à l'égard des membres de ces assemblées s'appliquent également aux membres du Parlement
de la Communauté française. Voy., à ce propos, l'avis de la section de législation du Conseil
d'Etat, Doc. parl., Sénat, sess. ord. 1992-1993, n" 558/2, p. 11.
(4) L. sp. 8 août 1980, art. 24bis, § 4.
(5) Voy. l'article 2 de la loi spéciale du 25 mars 1996, modifiant l'article 24bis, § 5, de la loi
spéciale du 8 août 1980, Mon. b., 19 avril 1996, p. 9288.
578 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

loi spéciale interdit un tel cumul de fonctions, il choisit de prêter serment à la


Communauté germanophone et à la Région wallonne. Il indique, par ailleurs,
qu'il entend céder au Parlement de la Communauté française la place à son sup-
pléant (6).
La commission de vérification des pouvoirs n'accepte pas cette façon de faire.
Selon elle, la Constitution et la loi spéciale ont mis en place un système aux
termes duquel les mandats de parlementaire wallon et de parlementaire de la
Communauté française sont indissociables. L'élu ne peut pas choisir de siéger
dans une seule assemblée. Celui qui est élu à la Région wallonne doit également
siéger à la Communauté française. C'est tout ou rien ...
Depuis lors, l'article 24bis, § 5, alinéa 2, de la loi spéciale de réformes institu-
tionnelles a été modifié. Celui qui est élu au Conseil de la Communauté germano-
phone et au Parlement wallon est remplacé, au Parlement de la Communauté
française, par le suppléant qui a été élu, en même temps que lui, à l'occasion
des élections régionales wallonnes.

De son côté, l'article 49, § 2 de la loi spéciale de réformes institu-


tionnelles, modifié le 16 juillet 1993, prévoit que<< le (Parlement) de
la Communauté française ... (peut, en ce qui le concerne) décider par
décret (spécial) qu'un membre du conseil, élu en qualité de membre
du gouvernement cesse immédiatement de siéger et ne reprend ses
fonctions qu'après avoir démissionné de ses fonctions ministérielles.
Le décret prévoit son remplacement au (Parlement))).
Tel est l'objet du décret spécial du 24 juillet 1995. <<Le membre
du Parlement de la Communauté française élu membre du gouver-
nement cesse immédiatement de siéger lorsqu'il a prêté le serment
prévu à l'article 62 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes ins-
titutionnelles. Il redevient membre du Parlement lorsque cessent ses
fonctions de ministre)) (7). L'intéressé est remplacé par le premier
suppléant en ordre utile de la liste sur laquelle il a été élu.
La loi spéciale relative aux institutions bruxelloises retient
d'autres incompatibilités. Nul ne peut être parlementaire régional
bruxellois s'il est député, sénateur, parlementaire européen, ministre
ou secrétaire d'Etat fédéral.
655. - Un mandat parlementaire au niveau fédéré ne peut être
<<cumulé avec plus d'un mandat exécutif rémunéré)) (l. sp.,

(6) Dans le même sens, un conseiller régional bruxellois qui siège également, en cette qualité,
au Parlement flamand annonce qu'il démissionne de son mandat bruxellois, à condition de pou-
voir conserver son mandat au Parlement flamand.
(7) Décret spécial du 24 juillet 1995 organisant le remplacement des ministres au sein du
Conseil de la Communauté française, Mon. b., 29 juillet 1995, p. 20473.
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR 579

art. 24bis, § 2ter). Des incompatibilités plus discrètes et de caractère


plus fonctionnel sont, pour le reste, établies. Elles sont inspirées des
dispositions de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux insti-
tutions bruxelloises (8).
656. - Des décrets spemaux établissent, comme on l'a déjà
relevé, l'interdiction de cumuler une fonction parlementaire et une
fonction gouvernementale dans une collectivité fédérée (9).
Ainsi, en vertu des règles de libre organisation, la Communauté
flamande a établi cette incompatibilité : << l'exercice du mandat de
membre du Parlement flamand est incompatible avec celui de
membre d'un gouvernement communautaire ou régional, ou avec la
fonction de secrétaire d'Etat régional ~> ( 10).

§ 2. - Les immunités
657. - Chaque parlementaire communautaire et régional bénéfi-
cie d'immunités. Ce sont celles prévues aux articles 58 et 59 de la
Constitution, soit l'irresponsabilité et l'inviolabilité (Const., art. 120).
Si l'immunité doit être levée, elle le sera par le parlement, ou le
conseil, dont le mandataire public fait partie.
S'il appartient à la fois au Parlement wallon et au Parlement de
la Communauté française, voire au Sénat -en qualité de sénateur
communautaire - , plusieurs autorisations sont requises. Seule une
levée cumulée de ces immunités distinctes peut autoriser des pour-
suites.

BIBLIOGRAPHIE

Sur le principe de l'autonomie organisationnelle, l'on se référera aux études sui-


vantes :

(8) Le mandat de parlementaire communautaire ou régional est incompatible avec les fonc-
tions de gouverneur, vice-gouverneur et gouverneur-adjoint de province, de conseiller et greffier
provincial, de commissaire d'arrondissement. de juge, référendaire ou greffier à la Cour d'arbi-
trage, de conseiller d'Etat, d'assesseur de la section de législation ou de membre de l'auditorat,
du bureau de coordination ou du greffe du Conseil d'Etat, de conseiller, auditeur ou greffier à
la Cour des comptes, de militaire en service actif, de membre du personnel directement placé sous
l'autorité du conseil ou du gouvernement concerné, à l'exception des membres du personnel de
l'enseignement, ainsi qu'avec l'exercice de fonctions judiciaires (1. sp. art. 24bis, § 2 ; art. !Obis de
la loi ordinaire du 31 décembre 1983; art. 12, § 2, 1. sp. 12 janvier 1989).
(9) L. sp., art. 24bis, § 3, et 49, § 2.
( 10) Décret spécial du 26 juin 1995 établissant des incompatibilités avec le mandat de
membre du Parlement flamand, art. 1''', al. 1'''.
580 LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

Cl. MERTES, <<L'autonomie constitutive des communautés et des regwns >>, CH


CRISP, 1999, n°' 1650-1651; F. DELPÉRÉE, <<Le fédéralisme asymétrique>>, Civitas,
2000 (à paraître).

Sur les autorités régionales, en général, voy.


C. LEGAST, <<Les élections régionales directes>>, R.B.D.C., 1984, p. 297; F. TuL-
KENS, <<La réforme de l'Etat. II. Les entités fédérées, nouveaux socles de l'Etat fédé-
ral>>, J.T., 1994, p. 409.

Sur la Région bruxelloise, en particulier, l'on consultera


Ph. DE BRUYCKER, <<Bruxelles dans la réforme de l'Etat>>, CH CRISP, 1989,
n°' 1230-1231; F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FREMAULT-DE CRAYENCOUR, «La
Région bruxelloise, son ressort et ses institutions>>, A.P. T., 1998, p. 257; Het statuut
van Brussel-Bruxelles et son statut (dir. E. WITTE, A. ALEN, H. DuMONT et R. ER-
GEe), Gent-Bruxelles, Larcier, 1999; N. LAGASSE, <<Gouverner Bruxelles. Règles en
vigueur et débat>>, CH CRISP, 1999, n°' 1628-1629; L'avenir de Bruxelles, aspects
économiques et institutionnels (dir. A.-M. KuMPS, F. DELPÉRÉE et R. WTTERWULGHE),
Bruxelles, Pub!. Fac. Uni v. St Louis, 1980; La Région de Bruxelles-Capitale (dir.
F. DELPÉRÉE), Bruxelles, Bruylant, 1999; J.-P. NASSAUX, «Les relations communau-
taires à l'Assemblée réunie de la Commission communautaire commune>>, CH
CRISP, 1999, n"' 1633-1634; R. WITMEUR, La Commission communautaire fran-
çaise : une copie à revoir pour un Etat fédéral achevé, Bruxelles, Bruylant, 1995, coll.
Les inédits du droit public.

Sur les autorités communautaires, en général, voy., outre les références procurées
au livre III, F. DELPÉRÉE, <<Nouveaux itinéraires constitutionnels>>, in Nouveaux iti-
néraires en droit. Hommage à François Rigaux, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 157.
LIVRE VI

Le partage des compétences


658. - L'on ne saurait entreprendre l'examen des fonctions qui
reviennent aux pouvoirs constitués sans s'interroger, par priorité,
sur les implications- le terme est faible- que l'organisation fédé-
rative de l'Etat peut avoir sur l'exercice des responsabilités publi-
ques.
Le (< partage des pouvoirs >>, comme dit la doctrine canadienne, ou
(< le partage des compétences >> comme l'on dit plus communément

en Belgique, introduit, en effet, des distinctions, sinon des divisions,


qui marquent de manière déterminante l'action des pouvoirs fédé-
raux et celle des pouvoirs fédérés.
Les grandes lignes de ce partage transcendent celles qui, d'ancien-
neté, se sont instaurées entre les fonctions assumées. La séparation
des fonctions, comme la préconisait MoNTESQUIEU, ne disparaît pas
pour autant. En réalité, elle s'efface derrière une séparation plus
nette, plus radicale et plus effective entre les responsabilités qui
reviennent aux différentes collectivités organisées au sein de l'Etat
belge.
659. - L'Etat fédéral, dit-on, repose sur une double règle de
séparation. Il est suggéré d'établir une grille de lecture des institu-
tions publiques qui se fonde, d'une part, sur le principe de la sépara-
tion horizontale des fonctions assumées - les tâches de gouverne-
ment, d'administration, de législation, et ainsi de suite - et,
d'autre part, sur le principe de la séparation verticale des compé-
tences attribuées - les tâches de défense à l'Etat fédéral, d'ensei-
gnement à la communauté, d'aménagement du territoire à la région,
et ainsi de suite - .
A dire vrai, les réalités fédératives sont plus complexes ( 1 ). Les
collectivités fédérées ne se trouvent pas en situation de subordina- ,

(1) F. DELPÉRÉE, «Introduction», in La séparation des pouvoirs: deux siècles après Montes-
quieu, dossier réalisé pour la Fondation Roi Baudouin, 1998.
582 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

tion par rapport à l'Etat fédéral. Les tâches qu'elles remplissent ne


sont pas inférieures aux autres. Le statut d'égalité qui est organisé
pour la collectivité fédérale et pour les collectivités fédérées ne se
concilie pas avec l'idée de verticalité, et donc de hiérarchisation.
Mieux vaut raisonner sur d'autres bases méthodologiques.
Il faut partir de la règle de la séparation verticale des pouvoirs
et tirer parti de la distribution des responsabilités entre la collecti-
vité fédérale et les collectivités fédérées au sein de l'Etat belge.
Il faut ensuite considérer que les collectivités politiques -
qu'elles soient fédérale ou fédérées qui sont constituées en Bel-
gique - pratiquent la séparation horizontale des fonctions.
Il faut enfin admettre que des applications distinctes de la règle
de séparation horizontale peuvent prévaloir et qu'une parfaite
symétrie ne règne pas dans la répartition des fonctions telle qu'elle
s'instaure, d'une part, dans l'Etat fédéral et, d'autre part, dans les
collectivités fédérées.
Ainsi, en ce qui concerne l'Etat fédéral, la fonction juridictionnelle doit être
dissociée autant que faire se peut de la fonction gouvernementale ou de la fonc-
tion législative. Ce problème ne se pose pas dans les collectivités fédérées qui ne
sont pas habilitées à exercer la fonction juridictionnelle.
La présence d'un chef d'Etat à l'échelon fédéral et son absence dans les collec-
tivités fédérées contribuent également à instaurer des relations particulières
entre le gouvernement et l'assemblée.

660. - Avant de s'interroger sur l'exercice des fonctions au sein


de chaque ensemble institutionnel (Livres VII, VIII et IX), il
convient de préciser la méthode de répartition des tâches qui pré-
vaut dans le système constitutionnel belge.
Avec l'aide des lois spéciales ou ordinaire de réformes institution-
nelles, la Constitution répartit les responsabilités publiques entre
l'Etat fédéral et les collectivités fédérées (nos 661 s.). Elle assure la
distribution de leurs compétences sur le territoire national (n°" 689
s.). Elle permet et organise, au besoin, les concours de compétences
(nos 712 s.). L'on ne saurait oublier qu'elle se préoccupe aussi d'as-
surer une distribution des moyens entre l'Etat fédéral et les collecti-
vités fédérées (nos 740 s.).
La Constitution n'exclut pas des transferts de responsabilité entre collectivités
fédérées (Livre IX). Elle remplit encore un autre office. Elle se préoccupe d'ins-
taurer les institutions qui préviendront ou qui régleront les conflits qui peuvent
surgir dans l'exercice de responsabilités distinctes (Livre VII).
CHAPITRE PREMIER
LE SYSTÈME DE PARTAGE

661. - Le système fédératif repose sur un partage constitution-


nel des compétences. Celles-ci ne sont pas concentrées dans les
mains des seules autorités fédérales. Elles se répartissent entre la
collectivité fédérale et les collectivités fédérées. A proprement par-
ler, la souveraineté est fragmentée.

Ce partage de responsabilités est établi de manière aussi rigide


que possible. L'étanchéité des cloisons qui sont établies entre les
ordres juridiques est considérée comme le gage d'un bon fonctionne-
ment du système fédératif. L'on part de l'idée que plus ces respon-
sabilités seront dissociées, moins il y aura de recoupement d' attribu-
tions, d'interférences dans les interventions respectives et, en consé-
quence, de conflits de compétence.

'' La technique qui revient à établir des cloisons étanches entre règles norma-
tives suffit-elle, cependant, à écarter les conflits? On ne saurait l'affirmer. Tous
les experts du fédéralisme le confirment. Consciemment ou inconsciemment,
dans le souci de bien faire ou dans le souci de nuire, les empiétements de compé-
tence sont monnaie courante>>(<< Le fédéralisme de confrontation>>, in Gouverner
la Belgique. Clivages et compromis dans une société complexe, dir. P. DELWIT, J.-
M. DE WAELE et P. MAGNETTE, Paris, PUF, 1999, p. 60).

Dans cette perspective, trois principes président au partage des


compétences (Section 1). Il s'agit du principe d'attribution (§ l er),
du principe d'exclusivité (§ 2) et du principe d'externalité (§ 3).

Trois préoccupations doivent être présentes à l'esprit au moment


de la mise en œuvre de ces principes (Section 2). Il faut avoir égard
au principe de proportionnalité (§ l er), au principe de subsidiarité
(§ 2) et au principe de parallélisme (§ 3).

Trois difficultés doivent encore être prises en compte (Section 3).


Elles tiennent à l'exercice des compétences réservées (§ l er), des
compétences implicites (§ 2) et des compétences accessoires (§ 3).
584 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

SECTION Ire_ - LES PRINCIPES DU PARTAGE

662. - Le partage des compétences est la règle d'or du fédéra-


lisme. Hans KELSEN écrivait, dès 1928, que cette répartition est le
noyau politique de l'idée fédéraliste ( l ). La Cour constitutionnelle
fédérale d'Allemagne lui fait écho aujourd'hui en rappelant que l'or-
ganisation fédérale a pour objet d'assurer la <<division des fonctions
étatiques~> (2). La Belgique s'inscrit progressivement - certains
diront : radicalement - dans cette philosophie institutionnelle
répartitrice (3).
A-t-on perçu les conséquences de cette révolution institutionnelle? La Consti-
tution change de nature. Elle ne remplit plus la même fonction que dans l'Etat
unitaire. Elle n'est plus la norme suprême que la Nation unifiée se donne et
qu'elle impose à tous, aux gouvernants comme aux gouvernés. La Constitution
devient le pacte fédératif que l'Etat fédéral et ses composantes entreprennent le
négocier, qu'ils acceptent de signer et qu'ils s'engagent, il faut l'espérer, à res-
pecter. Voici le phénomène nouveau. La Constitution n'a de sens que si elle
bénéficie du consentement de ceux à qui elle s'adresse. Elle est norme consen-
suelle plutôt que règle imposée.
La Constitution prend, dans ce contexte, un relief particulier. Elle ne se
contente pas de définir les droits des citoyens. Elle ne se limite pas à organiser
le statut des autorités publiques. Elle se donne pour tâche de distribuer les com-
pétences et les moyens entre les collectivités qu'elle institue. Elle s'efforce de
déterminer les règles de leur vie commune («Pour une Belgique fédérale dans
une Europe fédérale>~, Bulletin de l'Académie royale de Belgique, 1999, n° 7-12,
p. 412).

§ l er. - Le principe d'attribution

A. - Les compétences attribuées


663. - Les compétences de l'Etat fédéral ne sont qu'exceptionnel-
lement des compétences d'attribution. En quelques occasions,
cependant, la Constitution ou la loi spéciale de réformes institution-
nelles mentionne incidemment les compétences qui reviennent à
l'Etat fédéral et que les collectivités fédérées ne sauraient exercer.
Tantôt la Constitution attribue en propre une compétence à l'un
des pouvoirs fédéraux : il revient ainsi au législateur fédéral de

(l) H. KELSEN, «La garantie juridictionnelle de la Constitution», R.D.P., 1928, p. 253.


(2) Cité parC. STARCK, La Constitution, cadre et mesure du droit, Paris, Economica, 1994, p. 83.
(3) F. DELPÉRÉE, « Egalité et pluralité des ordres juridiques», in ASSOCIAZION>' ITALIANA DEI
CosriTUZIONALISTI, Principio di eguaglianza e principio di legalità nella pluralità degli ordinamenti
giuridici, Padova, Cedam, 1999, p. 233.
LE SYSTÈME DE PARTAGE 585

régler l'organisation de la justice (art. 77, alinéa pr, 9), celle de la


force publique (art. 182 s.) ou celle des collectivités locales
(art. 162); il appartient au pouvoir exécutif fédéral d'assurer la
défense du territoire et de veiller à l'intérêt et à la sûreté de la col-
lectivité générale (art. 167).
Tantôt la Constitution ou la loi spéciale ~ qui s'attachent, en
ordre principal, à déterminer les attributions qui reviennent aux
communautés et aux régions ~ ne peuvent s'empêcher de relever,
au passage, les attributions qu'il revient malgré tout à l'Etat fédéral
d'assumer dans le même domaine d'activités : il revient ainsi au
législateur fédéral de régler le droit du travail et la sécurité sociale,
par exception aux compétences reconnues à la région en matière de
politique économique; il lui revient de régler l'emploi des langues
dans les communes à statut spécial, par exception à la compétence
de principe que la communauté détient en matière linguistique.
La majeure partie des compétences qui reviennent à l'Etat fédé-
ral restent néanmoins indéterminées. Elles s'inscrivent dans l'exer-
cice de compétences résiduelles (no 664).
Les compétences des collectivités fédérées, elles, sont d'attribution. Il
n'y a pas de compétence communautaire ou régionale de plein droit.
Il n'y a pas une clause générale de compétence au profit des collecti-
vités fédérées. Au contraire, même. La Constitution et les lois qui
en procurent application s'attachent à énumérer les matières déter-
minées qui leur reviennent en vertu d'une disposition expresse.
S'agissant des communautés, la Constitution détermine elle-même
les domaines d'activités ~ les matières culturelles, l'enseignement,
l'emploi des langues et les matières personnalisables ~. Pour l'en-
seignement et l'emploi des langues, l'intitulé paraît se suffire à lui-
même. En revanche, la liste des matières culturelles (nos 970 s.) et
celle des matières personnalisables (nos 974 s.) sont arrêtées par le
législateur spécial.
L'article 39 de la Constitution ne procède pas autrement pour les
régions. Celles-ci sont compétentes dans les matières qu'une loi spé-
ciale <~détermine~>. La loi spéciale de réformes institutionnelles rem-
plit cet office (nos 984 s.). Elle utilise la technique des <~blocs de
compétences~>. Les intérêts régionaux sont identifiés par des inti-
tulés généraux ~ l'aménagement du territoire, l'environnement et
la politique de l'eau, la rénovation rurale et la conservation de la
nature ... ~. Ces intitulés sont précisés par des verbos qui indiquent
586 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

les matières dans lesquelles les régions sont autorisées à poursuivre


une politique autonome.
Quant aux commissions communautaires française et commune,
elles tirent leurs attributions soit de la Constitution (art. 135), soit
de décrets de transfert (n°" 1005 s.). Il y est fait référence à tout ou
partie des compétences reconnues aux communautés.

B. - Les compétences résiduelles


664. - Puisque les collectivités fédérées n'ont de compétences
qu'attribuées, les compétences résiduelles reviennent de plein droit à
l'Etat fédéral.
La situation semble claire. Les limites du champ d'activité des
pouvoirs fédéraux ne sont pas identifiées, ni même identifiables
avec précision. Leurs autorités ont vocation à intervenir dans tous
les secteurs qui ne sont pas investis par autrui. En d'autres termes,
l'Etat fédéral dispose du résidu de la compétence. Tout ce qui n'est pas
de la compétence des collectivités fédérées lui revient, sans texte (4).
La solution retenue semble logique. Elle s'inscrit dans la philoso-
phie du fédéralisme de dissociation. Si l'on part du constat qu'avant
1970, toute compétence était, par définition, nationale, il faut
admettre que seules les compétences expressément attribuées aux
collectivités fédérées leur reviennent et que le reste appartient tou-
jours de plein droit à la collectivité générale, soit à l'Etat fédéral.
La question se complique néanmoins à raison des tergiversations
du pouvoir constituant sur cette question essentielle pour l' aména-
gement du système fédéral.

C. - Un renversement de perspectives
665. - Une révolution- le mot n'est pas trop fort- s'amorce
avec la révision du 17 février 1993.
Selon l'article 35, alinéa 1er, de la Constitution, <<l'autorité fédé-
rale n'a de compétences que dans les matières que lui attribuent for-
mellement la Constitution et les lois portées en vertu de la Constitu-
tion même)). L'alinéa 2 ajoute même que <<les communautés et les
régions, chacune pour ce qui la concerne, sont compétentes pour les

(4) R. ANDF:RSEN et P. NIHOUL, «Le Conseil d'Etat. Chronique de jurisprudence 1994 >>,
R.B.D.C., 1995, p. 181, no 19.
LE SYSTÈME DE PARTAGE 587

autres matières, dans les conditions et selon les modalités fixées par
la loi >> fédérale. Il est précisé qu'il doit s'agir d'une loi spéciale.
Autrement dit, les autorités fédérales ne disposeraient plus que de
compétences attribuées. Les communautés et les régions détien-
draient, elles, les attributions que la Constitution et les lois fédérales
déterminent. Elles disposeraient également des attributions que la
Constitution ou la loi fédérale ne réservent pas aux autorités fédé-
rales. Leur domaine deviendrait tout à la fois déterminé et indéter-
miné.
La Constitution s'exprime une fois de plus en utilisant la techni-
que du trompe-l'oeil. Une disposition transitoire précise, en effet,
que l'article 35 ne produira pas immédiatement ses effets. Une loi
spéciale<< détermine la date à laquelle le présent article (35) entre en
vigueur >>; << cette date ne peut pas être antérieure à la date d'entrée
en vigueur du nouvel article à insérer au titre III de la Constitution,
déterminant les compétences exclusives de l'autorité fédérale >>.
Si l'on s'attache à décoder les prescriptions particulièrement her-
métiques de l'article 35 et de sa disposition transitoire, il faut consi-
dérer que le transfert des compétences résiduelles n'aura lieu qu'à
trois conditions.
Il faut, d'abord, réviser la Constitution. A cette occasion, il
convient de définir, de manière positive, la liste des attributions qui
reviennent aux autorités fédérales. Il revient à << un nouvel article à
insérer au titre III de la Constitution >> de déterminer les compé-
tences des pouvoirs fédéraux.
Il faut, ensuite, qu'une loi spéciale précise la manière dont les
communautés et les régions vont exercer ~ de manière cumulative
ou distincte ... ~ les compétences résiduelles qui leur reviendraient
désormais.
Il faut, enfin, qu'une loi spéciale ~ la même ou une autre ~ fixe
la date à laquelle l'article 35 de la Constitution entrera en vigueur.
Cette date ne peut être antérieure à celle de l'entrée en vigueur des
nouveaux articles du titre III de la Constitution (5).

(5) Sur les critiques sévères qu'appelle le système de l'article 35 de la Constitution, en ce com-
pris sa disposition transitoire, voy. F. DELPÉRÉE et· A. ALEN, "Les compétences résiduelles>>,
J.T., 1991, p. 805 et" De residuaire bevoegdheden », R. W., 1991, col. 345; M. VERDUSSEN, <<La
réforme de l'Etat -La nouvelle configuration des compétences>>, J. T., 1994, p. 531; P. PEE-
TERS, " Vlottende residuaire gewest- en gemeenschapsbevoegdheden en de federale Belgische
Staat : een zinvolle en halbare kaart 1 >>, Jura Falconis, 1994-1995, pp. 401 à 435.
588 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

§ 2. - Le principe d'exclusivité

A. - Les compétences exclusives


666. - Le principe d'exclusivité s'inscrit dans le prolongement
du principe d'attribution. Les compétences de l'Etat fédéral, des com-
munautés et des régions sont exclusives les unes des autres. Elles s'ex-
cluent mutuellement (6). Un législateur ne saurait régler une
matière qui revient à un autre, même s'il se limite à reproduire les
dispositions d'une législation existante.
Pour tenir compte du champ restreint d'application territoriale
des décrets et des ordonnances, l'on ajoutera que les compétences
d'une communauté et d'une région sont également exclusives, pour
un même territoire, de celles d'une autre communauté ou d'une
autre région (7).
Le recours, sous une forme ou sous une autre, au mécanisme des
compétences concurrentes est rejeté de manière absolue par la
Constitution et la loi spéciale de réformes institutionnelles.
La règle Bundesrecht brinkt landesrecht, telle qu'elle est inscrite dans l'ar-
ticle 31 de la Loi fondamentale de la République fédérale d'Allemagne n'est pas
d'application.
Comment interpréter une telle clause? Faut-il y voir la reconnaissance d'une
prérogative exorbitante qui reviendrait à la Fédération? Celle de ne pas tenir
compte des règles constitutionnelles sur le partage des compétences, celle de
pouvoir empiéter à sa guise sur les attributions fédérées?
Si tel était le raisonnement, il ne servirait à rien d'organiser une Cour consti-
tutionnelle fédérale pour statuer sur les conflits entre autorités fédérales et fédé-
rées. Les premières auraient systématiquement raison, alors même que les
secondes n'auraient pas nécessairement tort.
Si tel était le raisonnement, l'organisation fédérative de l'Etat ferait peser sur
les collectivités composantes une chape plus grande encore que celle de la tutelle

(6) Il ne s'agit pas de permettre aux communautés et aux régions de compléter les normes
fédérales ou d'exécuter des politiques conçues à ce niveau. Il convient de leur attribuer l'exclusi-
vité des interventions dans les domaines qui leur sont confiés. Selon la jurisprudence de la Cour
d'arbitrage, «il faut considérer que le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils
n'en disposent pas autrement, ont attribué aux communautés et aux régions toute la compétence
d'édicter des règles propres dans les matières qui leur ont été transférées •> (C.A., n" 69/92,
12 novembre 1992). Pour le Conseil d'Etat aussi, <• la compétence des communautés (et celle des
régions) exclut celle des autorités (fédérales), et vice-versa» (C.E., L. 19.681/VR, 27 février 1990).
(7) Voy. les art. 127, § 2, 128. § 2 et 129, § 2, de la Constitution pour les Communautés fran-
çaise et flamande, l'art. 130, § 2, pour la Communauté germanophone et l'art. 2 de la loi spéciale
de réformes institutionnelles du 8 août 1980 pour les Régions wallonne et flamande, ainsi que les
art. 2, § 1,.,. et 7, al. 2. de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises
pour la Région bruxelloise.
LE SYSTÈME DE PARTAGE 589

qui affecte parfois l'action des collectivités décentralisées. Elle donnerait à l'au-
torité centrale non seulement le droit de contrôler, mais celui d'intervenir en lieu
et place de la collectivité fédérée.
C'est un contresens absolu. Il faut donner à la clause inscrite à l'article 31 de
la Loi fondamentale une portée plus restreinte.
Le système allemand de partage des pouvoirs conduit à composer trois cor-
beilles de compétences : les compétences fédérales exclusives, les compétences
fédérées exclusives et les compétences concurrentes. Il va de soi que le principe
de prééminence ne vaut que pour la troisième corbeille. Dès l'instant où la Fédé-
ration et les Lander sont habilités à intervenir de concours dans le même secteur
d'activités, leurs initiatives peuvent se contredire. Il faut, pour ne pas prolonger
inutilement le conflit, établir une règle de prévalence. Elle profite, en l'occur-
rence, à l'Etat fédéral.
La même règle ne vaut pas pour les deux autres corbeilles (Le fédéralisme en
Europe, Paris, PUF, 2000, coll. Que sais-je 1, p. ll8).

B. - Les interprétations larges


667. - La Cour d'arbitrage élargit encore la portée du principe
d'exclusivité.
Dès l'instant où les compétences communautaires et régionales
sont attribuées de manière exclusive aux collectivités fédérées, il y
a lieu d'en procurer une interprétation large.
Partant de la règle d'autonomie des communautés et des régions,
la Cour tient à affirmer - à propos de matières communautaires,
comme le tourisme, la radiodiffusion et la télévision ou la politique
du troisième âge, ou d'une matière régionale, comme la production
et la distribution d'eau - que << le Constituant et le législateur spé-
cial, dans la mesure où ils n'en disposent pas autrement, ont attri-
bué aux communautés et aux régions toute la compétence d'édicter
des règles propres aux matières qui leur ont été transférées et ce,
sans préjudice de leur recours, au besoin, à l'article 10 de la loi spé-
ciale du 8 août 1980 )) (8).
Sous réserve des exceptions inscrites dans la loi fédérale, c'est
l'ensemble de la matière considérée qui est attribuée à la commu-
nauté et à la région. Celle-ci est donc compétente pour << adopter
toutes les dispositions qu'(elle) estime devoir prendre pour mener à
bien sa politique en cette matière )).

(8) C.A., n" 25,26 juin 1986, III, 2.B.I.; n" 27,22 octobre 1986, III, 3.B.3.1.; n" 31,20 jan-
vier 1987, III, 2.B.3.a.; n" 40, 15 octobre 1987, III, 2.B.I. et n" 41,29 octobre 1987, III, 2.B.2.
590 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

C. - Les interprétations strictes


668. - Dans la même perspective, la Cour d'arbitrage relève
dans un arrêt du 20 décembre 1985 que <<toute exception doit s'in-
terpréter restrictivement )). L'on est enclin à donner une interpréta-
tion stricte aux exceptions qui, ici et là, sont apportées à des compé-
tences d'attribution.
L'exercice est plus délicat qu'il n'y paraît. Si l'exception envisa-
gée constitue << l'essence même de la compétence maintenue à
l'Etat)) fédéral, l'on ne comprendrait pas que la matière qui lui est
ainsi attribuée- comme à rebours- ne fasse pas, elle aussi, l'objet
d'une interprétation large (9).

§ 3. - Le principe d 'externalité

A. - Les compétences internationales

669. - En disposant que le roi dirige les relations internatio-


nales, l'article 167, § 1er, de la Constitution utilise une formule géné-
rale destinée à mettre en évidence le fait que le chef de l'Etat exerce
l'ensemble des compétences qui ont trait à la matière des relations
internationales - ce qui excède le seul pouvoir de conclure des
traités internationaux - .
Il ne faut pas en déduire que les collectivités fédérées se trouve-
raient ici dans une situation de subordination par rapport à l'Etat
fédéral. Elles exercent leurs attributions dans le domaine des rela-
tions internationales avec la même autonomie que celle qui leur
revient dans d'autres domaines. Elles règlent la coopération interna-
tionale, y compris la conclusion de traités, pour les matières qui
relèvent de .leur compétence de par la Constitution ou en vertu de
celle-ci.
Tout traité, en matière communautaire ou régionale, est donc
conclu par le gouvernement fédéré et soumis à assentiment par la
voie d'un décret ou d'une ordonnance.

(9) Sur les problèmes d'interprétation suscités par les exceptions aux compétences commu-
nautaires en matière d'enseignement, voy. F. DELPÉRRF. et A. RASSON-ROLAND, Recueil
d'études ... , p. 102, n" 71.
LE SYSTÈME DE PARTAGE 591

B. - Les compétences partagées


670. - Le critère qui sert à déterminer la compétence de l'Etat
fédéral et celle des collectivités fédérées en matière de conclusion de
traités internationaux est celui de la matière qui fait l'objet du
traité. L'Etat fédéral, d'une part, les communautés et les régions,
d'autre part, disposent de la sorte d'une compétence exclusive pour
conclure les traités portant uniquement sur les matières qui ressor-
tissent à leurs compétences.
<< L'autonomie qui est reconnue sur le plan interne (doit pouvoir)

s'exprimer sur le plan externe>> (Doc. parl., Sénat, s.e. 1991-1992,


n° 100-16/1°, p. 1). La répartition des compétences matérielles dans
l'ordre interne constitue le fil conducteur pour la détermination des
compétences des communautés et des régions sur le plan internatio-
nal.

C. - Les compétences mixtes


671. - Des dispositions particulières règlent la conclusion des
traités mixtes - soit des accords internationaux qui ne portent pas
exclusivement sur des matières qui relèvent de la compétence de
l'Etat fédéral, des communautés et des régions-. En vertu de l'ar-
ticle 167, § 4, de la Constitution, une loi spéciale doit arrêter les
modalités de conclusion de tels traités (10).
En réalité, le législateur s'est abstenu de régler cette question et
a renvoyé la solution de ce problème à un accord de coopération,
celui du 8 mars 1994, approuvé par la loi fédérale du 20 août 1996.
La qualification de traité mixte appartient, sous le contrôle du Conseil d'Etat
et de la Cour d'arbitrage, à la conférence interministérielle de la politique étran-
gère.
<<L'assentiment aux traités mixtes est donné par toutes les assemblées parle-
mentaires concernées (et leurs gouvernements respectifs). Certains traités
devront donc être soumis à leur assentiment : le Sénat, la Chambre des représen-
tants, le (Parlement) de la Communauté française, le (Parlement) flamand, le
Conseil de la Communauté germanophone, le (Parlement) wallon, le Conseil (de
la Région de Bruxelles-Capitale), l'Assemblée de la Commission communautaire
française et l'Assemblée réunie de la Commission communautaire commune»
(M. UYTTENDAELE, op. cit., p. 1006).

(10) Sur l'ensemble de la question, voy. M. THEWER, «La collaboration entre l'Etat, les com-
munautés et les régions en matière européenne >>, in La Belgique fédérale ... , p. 58.
592 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

<<Le roi ne peut ratifier un 'traité mixte' que si les assemblies législatives de
toutes les autorités associées à la conclusion du traité ont marqué leur assenti-
ment au sujet de celui-ci, de sorte que le refus d'assentiment manifesté par une
assemblée législative rend impossible la ratification» (C.E., L. 23.877/A.G.,
13 décembre 1994).

SECTION II. LA MISE EN ŒUVRE DU PARTAGE

672. - Les principes qui président au partage des compétences


peuvent paraître simples. Leur mise en œuvre ne va pas sans susci-
ter un ensemble de difficultés concrètes. Pour les résoudre, la doc-
trine et la jurisprudence dégagent des principes - la proportionna-
lité, la subsidiarité et le parallélisme - qui ne sont pas exprimés en
toutes lettres dans la Constitution mais qui peuvent néanmoins gui-
der l'interprétation de ses dispositions ou aider à régler les conflits
qu'une application trop systématique des normes constitutionnelles
de partage pourrait susciter.
Ces principes sont plus que des règles de méthodologie. Ils ne
prescrivent pas seulement des directives pour le travail interpréta-
tif. Ils énoncent des critères de validité pour les interventions nor-
matives des pouvoirs fédéral ou fédérés.

§ l er. - Le principe de proportionnalité

A. - Les compétences mesurées


673. - Dans l'exercice de leurs compétences, l'Etat fédéral, les
communautés et les régions sont soumis au respect de la règle de
proportionnalité : un législateur, fût-il compétent, doit veiller à ne
pas rendre impossible ou exagérément difficile la mise en œuvre par
un autre législateur de sa compétence (11).
Dans un arrêt du 24 mai 1988, la Cour d'arbitrage reconnaît qu'une large
compétence - formulée sans exception - a été attribuée à la région en matière
d'urbanisme et d'aménagement du territoire : elle est donc compétente pour
octroyer les permis de bâtir de centrales nucléaires et d'installations de traite-
ment de déchets radioactifs et pour déterminer la procédure d'octroi de ces per-
mis, même si ces centrales et installations relèvent de la compétence de l'Etat
fédéral. Mais cette compétence se limite <<aux objectifs de l'urbanisme et de
l'aménagement du territoire>). La région ne peut concevoir l'urbanisme et l'amé-

(li) C.A .. n"' 23/92. 2 avril 1992.


LE SYSTÈME DE PARTAGE 593

nagement du territoire de manière telle qu'il serait impraticable pour l'Etat


fédéral de conduire une politique efficace dans les matières qui relèvent de sa
compétence (12).

B. - Les compétences limitées


674. - Par la force des choses, des interférences peuvent aussi
s'instaurer entre les interventions de l'Etat fédéral, des commu-
nautés et des régions. Le principe de proportionnalité sert à en gom-
mer quelques conséquences préjudiciables.
L'arrêt de la Cour d'arbitrage n° 15/96 du 15 mai 1996 fournit une illustration
éclairante de l'application de ce principe. L'Etat fédéral proclame la liberté du
commerce et de l'industrie. De son côté, la région peut limiter, «dans le secteur
économique ou dans d'autres secteurs», la liberté d'action des personnes ou des
entreprises concernées. Elle assure, par exemple, la protection de l'environne-
ment, en ce compris la lutte contre le bruit. Peut-elle, ce faisant, limiter les tra-
vaux de chantier 1 Selon la Cour, les entrepreneurs du secteur ne peuvent être
placés devant l'alternative simple : soit renoncer à l'exécution des travaux, soit
encourir des sanctions pénales. Une réglementation régionale de ce type<< affecte
la liberté du commerce et de l'industrie de façon disproportionnée par rapport
à l'objectif poursuivi>> (13).
La Cour d'arbitrage précise que, si une région peut assortir d'un privilège ou
d'une hypothèque les créances nées des dispositions qu'elle a prises pour régler
une matière qui lui est attribuée, cette compétence n'est pas sans limites. <<Il
découle du fait que plusieurs législateurs sont compétents pour créer des privi-
lèges, qui doivent pouvoir être intégrés dans un même ordre, que, lorsqu'il fixe
le rang du privilège qu'il crée, chaque législateur doit mettre en balance l'intérêt
qu'il entend protéger en créant le privilège et les autres intérêts qui sont pro-
tégés par des privilèges créés par d'autres législateurs. Dans ce cas particulier,
cette proportionnalité constitue un élément de la compétence du législateur
intervenant en l'espèce. La Cour devra dès lors déterminer si le rang qu'un légis-
lateur a attribué à un privilège satisfait ou non à cette exigence de proportion-
nalité>> (14). En d'autres termes, si la Cour n'hésite pas à opter pour une inter-
prétation large des compétences, elle se préoccupe de l'assortir, quand des che-
vauchements de compétence sont à craindre, d'une limite tirée du principe de
proportionnalité.

(12) C.A., n" 54, 24 mai 1988.


(13) C.A., n" 29/96, 15 mai 1996, TV., B.8.5.
(14) C.A., n" 27, 22 octobre 1986, III. En l'espèce, la Cour estime que le principe de propor-
tionnalité a été respecté «Compétent ( ... ) pour créer le Fonds, le législateur régional flamand
a estimé devoir, pour maintenir les ressourceR du Fonds à un niveau lui permettant d'intervenir
efficacement, créer une hypothèque et un privilège dont l'assiette et le rang sont identiques à
ceux qu'avait antérieurement fixés, à des fins analogues, le législateur national». Pour un com-
mentaire de cet arrêt, voy. J. VF.LAF.RS, «De (impliciete?) bevoegdheid van de gewesten om voor-
rechten en decretale hypotheken te creeren >>, T.B.P., 1987. pp. 326-328.
594 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

C. - Les compétences adaptées

675. - L'Etat fédéral, les communautés et les régions sont


encore assujettis, sous une troisième facette, au principe de propor-
tionnalité. Dans la poursuite de politiques qu'elles sont habilitées à
mener, ces collectivités doivent recourir aux moyens les plus
adaptés pour atteindre leur objectif. Elles doivent, en particulier,
éviter de donner à leur action et à leurs interventions une portée
excessive.

§ 2. - Le principe de subsidiarité

A. - Des compétences concurrentes ?

676. - Selon le traité de Maastricht, les autorités européennes


n'interviennent que si et dans la mesure où les objectifs poursuivis
ne peuvent pas être atteints de manière suffisante ou satisfaisante
par les Etats membres eux-mêmes. L'on ne saurait prétendre que ce
principe de subsidiarité commande l'aménagement du système fédé-
ral de la Belgique.
L'affirmation du principe d'exclusivité, jointe au rejet d'un
régime de compétences concurrentes, empêche que les pouvoirs fédé-
ral et fédérés puissent intervenir alternativement dans un même
secteur d'activités. Le principe de subsidiarité ne saurait intervenir
pour régler une telle concurrence et pour instaurer un ordre de prio-
rité dans les interventions respectives des pouvoirs.

B. - Des compétences complémentaires

677. - Telle qu'elle est conçue, la répartition des compétences


ne permet pas non plus aux pouvoirs fédéral et fédérés d'agir de
manière complémentaire - soit que les régions et les communautés
interviennent pour procurer exécution aux principes normatifs qui
auraient été établis par l'Etat fédéral, soit que ce dernier se mani-
feste pour parachever, voire pour harmoniser, les règles qui auraient
été prises par les collectivités fédérées - .
Dans quelques domaines, cependant, des interventions successives
sont envisagées et mêmes imposées. Ainsi, les communautés et les
régions peuvent établir le statut du personnel de leurs administra-
tions respectives mais doivent le faire dans le respect des principes
LE SYSTÈME DE PARTAGE 595

generaux de droit de la fonction publique, tels qu'ils sont inscrits


dans l'arrêté royal du 22 septembre 1994.
La Constitution et les lois spéciales de réformes institutionnelles
ne peuvent, dans ces conditions, s'empêcher de fixer un ordre de
priorité, tout à la fois logique et chronologique, pour les interven-
tions des pouvoirs fédéral et fédérés. L'un ne saurait agir sans l'in-
tervention préalable de l'autre.
En ce qui concerne la politique de santé,_<< outre la législation organique sur
les hôpitaux, la fixation des règles de base reste une compétence fédérale. L'Etat
fédéral établit notamment les critères de programmation et les normes d'agré-
ment. Par contre, les communautés sont compétentes pour examiner si la
demande concrète satisfait aux normes et critères fédéraux, pour établir les prio-
rités, et pour prendre les décisions individuelles, notamment en ce qui concerne
l'octroi et le retrait de l'agrément>> (C.E., L. 30.106/4, 24 mai 2000; adde :
Ph. QuERTAINMONT, Législation hospitalière, Story-Scientia, 1988, p. 41;
Ph. QuERTAINMONT et A. VAGMAN, <<L'évolution de l'environnement juridique
des institutions hospitalières>>, Rev. dr. santé, 1996-1997, p. 169). Elles sont éga-
lement compétentes pour fixer des normes complémentaires de programmation
et d'agrément.

C. - Des compétences supplétives


678. L'idée de subsidiarité intervient d'une autre manière
dans la répartition des compétences.
Selon l'article 169 de la Constitution et l'article 16, § 3, de la loi
spéciale de réformes institutionnelles, les autorités fédérales sont,
dans une hypothèse particulière, habilitées à se substituer aux auto-
rités fédérées. Cette situation se présente lorsqu'une collectivité
fédérée ne remplit pas ses obligations internationales et que l'Etat
belge est condamné par une juridiction internationale du fait de ce
non-respect.
L'exercice de cette compétence supplétive est soumis à des condi-
tions strictes (15).
Il convient que la Belgique ait été condamnée par une juridiction
internationale ou supranationale - la Cour de justice des Commu-
nauté européennes sera amenée à intervenir en première ligne - .
Il faut que la collectivité fédérée ait été mise en demeure d'agir.

(15) M. STRUYS, <<La mise en œuvre des obligations découlant du droit européen>>, in La Bel-
gique fédérale ... , p. 487.
596 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

Il importe que la collectivité intéressée ait été associée par l'Etat


fédéral à l'ensemble de la procédure de règlement du différend, y
compris devant le juge international ou supranational.
La loi spéciale du 5 mai 1993 organise également un système de
sanctions pécuniaires. L'Etat fédéral peut répercuter sur la commu-
nauté ou la région défaillante les frais résultant du non-respect de
ses obligations internationales.
« L'autorité fédérale doit pouvoir user de cette faculté pour surmonter les
ambiguïtés inévitables de la répartition des compétences internationales au sein
de l'Etat belge et garantir aux Etats étrangers qu'ils peuvent traiter directe-
ment avec les collectivités composantes de la Belgique sans s'exposer à des
contestations ultérieures» (Y. LEJEUNE, « La conduite des relations internatio-
nales>>, in La Belgique fédérale .... , p. 335).
<< La surveillance fédérale a ses limites. Dès l'instant où le contrôle entend ne
pas se limiter à veiller au respect de la Constitution ou à celui des engagements
internationaux mais entre dans le domaine du contrôle d'opportunité, il n'est
plus compatible avec l'existence d'un système fédéral équilibré. L'on comprend
que les collectivités fédérées n'acceptent que difficilement cette immixtion dans
le domaine de leurs affaires intérieures •> (Le fédéralisme en Europe, p. 74).

§ 3. - Le principe de parallélisme

679. - La Cour d'arbitrage accepte l'exercice de compétences


parallèles. Elle admet que la collectivité fédérale et tout ou partie
des collectivités fédérées agissent, chacune de leur côté et sans inter-
férence grave, dans un même domaine.
Dans un arrêt du 25 février 1986, elle précise que les régions sont compétentes
<<pour l'initiative industrielle publique financée par les moyens régionaux, par
l'intermédiaire d'institutions régionales et en vue de promouvoir le développe-
ment économique régional, tandis que les autorités (fédérales) sont compétentes
pour l'initiative industrielle publique financée par les moyens (fédéraux), exercée
au moyen d'institutions (fédérales) et visant à promouvoir le développement de
l'économie (fédérale) •> (C.A., no 11/86, 25 février 1986).

Dans le domaine de la recherche scientifique, les communautés et


les régions sont également compétentes pour intervenir dans la
mesure où la recherche se rapporte à des matières qu'elles ont nor-
malement en charge. De son côté, l'autorité fédérale est compétente
pour la recherche scientifique qui est liée aux matières qui lui
reviennent (l. sp., art. 6bis, §§1er et 2).
LE SYSTÈME DE PARTAGE 597

SECTION Ill. - LES DIFFICULTÉS DU PARTAGE

680. - Si précises que soient les règles de partage des compé-


tences et si utiles que soient les principes qui président à leur mise
en œuvre, l'organisation d'un système fédéral de gouvernement
expose à des conflits d'autant plus délicats qu'ils mettent aux prises
les partenaires à une même entreprise étatique. Ces conflits portent
rarement sur des empiétements manifestes de compétence. Ils se
présentent à la marge, là où les compétences de l'un s'inscrivent de
manière tangentielle par rapport à celles de l'autre. Avant de
condamner une collectivité politique pour avoir excédé ses pouvoirs
n'est-il pas permis de donner une interprétation conciliante des
règles de répartition de compétences? Plus précisément, n'est-il pas
possible de procurer une extension limitée, pour ne pas dire margi-
nale, des attributions initiales des communautés et des régions?

§ 1er. - Les compétences réservées

A. - Les compétences réservées


par la Constitution
681. - La Constitution a toujours réservé certaines attributions
au législateur national. Elle n'hésite pas à écrire que des matières
doivent être réglées <<par la loi >> ou, selon une formulation plus éner-
gique encore << ne peuvent être réglées que par la loi >>. Ce qui exclut
toute intervention, si ce n'est sur des questions de détail, de l'Exé-
cutif.
La question prend un relief particulier depuis 1970. Avec la fédé-
ralisation, la Constitution n'a pas manqué de réserver un certain
nombre de matières à la compétence du législateur fédéral. Comme
par le passé, celle-ci exclut automatiquement l'intervention du gou-
vernement fédéral. Mais de surcroît, elle empêche que les légis-
lateurs fédérés puissent se saisir de telles questions.
Ainsi, il faut considérer que l'organisation de la justice, qu'elle
soit judiciaire ou administrative ( 16) - et, de manière plus géné-
rale, l'organisation de la protection juridictionnelle des droits et
intérêts des citoyens (C.E., L. 17.101/9, 14 mai 1986) - est restée

(16) C.E., L. 26.610/A.G./4, 31 octobre et 17 novembre 1997; A. RASSON-ROLAND, «Les auto-


rités de justice», in La Belgique fédérale ... , p. 190.
598 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

<~de la seule compétence du législateur (fédéral), en tant que matière


réservée par la Constitution, en l'occurrence l'article 144, à la loi
(fédérale)>> (C.E., L. 19. 757/A.G., 21 novembre 1990) ( 17).
L'observation est d'autant plus importante que, dans une version initiale, l'ar-
ticle 19 de la loi spéciale de réformes institutionnelles précisait que «le décret
règle les matières visées aux articles 4 à l l (de la même loi) sans préjudice des
compétences que la Constitution réserve à la loi fédérale •>. Comme le constate
M. UYTTENDAELE (op. cit., p. 933), ~·l'article 19, § !"', permettait dès lors d'in-
corporer dans les règles attributives de compétence à l'Etat fédéral, les disposi-
tions constitutionnelles adoptées avant 1970 qui réservaient des compétences au
pouvoir législatif>>.

B. Les compétences réservées


par la loi spéciale
682. - La loi spéciale de réformes institutionnelles suit la voie
tracée par la Constitution. Elle exprime à son tour des réserves de
compétence au profit des autorités fédérales ( 18) - spécialement
législatives - .
Ces réserves peuvent être formulées de manière générale. Ainsi la
loi spéciale du 8 août 1980 précise que l'autorité fédérale est <~seule
compétente >> pour déterminer les conditions d'accès à la profession.
Ou encore : <~ La compétence exclusive attribuée au législateur fédé-
ral... comprend notamment le pouvoir de fixer toutes les règles en
matière d'implantation d'établissements commerciaux, sans que
l'on puisse distinguer en l'occurrence les règles générales des règles
complémentaires et des décisions d'application >> ( 19).
Ces réserves peuvent aussi être formulées de manière plus nuan-
cée. Il en va ainsi du pouvoir d'adopter des règles de police générale
ou d'édicter une réglementation relative aux communications et aux
transports - par exemple, la réglementation de la navigation, y
compris le pilotage et le remorquage - . Cette compétence est
<~ demeurée fédérale >>, rappelle l'arrêt de la Cour d'arbitrage du
18 janvier 1996- même si les gouvernements régionaux sont asso-

(17) A. RASRON-RoLAND (op. cit., p. 191) en déduit que <des communautés et les régions ne
peuvent ni créer une juridiction, ni déterminer ses compétences, ni la priver de sa compétence
en prenant un décret de validation d'actes administratifs individuels >>.
(18) Y. KREINS, «Les pouvoirs implicites au sens de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août
1980 », J.T., 1985, p. 487; G. CEREXHE,« Les matières réservées: une notion de droit constitu-
tionnel! >>, A. P. T., 1983, p. 243; B. HAUBERT, ''Les pouvoirs implicites ou les creux de la réforme
institutionnelle>>, A.P.T., 1985, p. 290; M. LEROY,« L'avenir des matières réservées>>. Rev. droit
U.L.B., 1990, p. 15.
(19) C.A., n" 18{96, 5 mars 1996.
LE SYSTÈME DE PARTAGE 599

ciés à l'élaboration de telles normes (20) - . Il ne suffit pas que l'au-


teur d'un décret régional précise que d'autres règlements de police
pourront être adoptés <<dans les limites des compétences de la
région )) pour se conformer au principe de distribution des compé-
tences. Il y a plutôt << excès de compétence matérielle )) de sa part
et empiétement sur une <<compétence exclusivement fédérale)) (21).
Reste pour les autorités régionales la possibilité d'adopter des règles
de police qui ne soient pas générales.

C. - Les compétences réservées


de manière implicite

683. - Une réserve plus générale de compétences est formulée


de manière implicite. En matière économique, les compétences
régionales doivent tenir compte des principes de l'union économique
et de l'unité monétaire. Selon la Cour d'arbitrage, cette réserve de
compétences vaut aussi pour d'autres attributions régionales et
même communautaires (22).

§ 2. - Les compétences implicites

A. - Les compétences implicites, selon les textes

684. - Des compétences implicites sont reconnues aux commu-


nautés, aux régions et aux autres collectivités fédérées. Les formula-
tions ont pu varier mais l'idée reste la même.
Comme le précise l'article 10 de la loi spéciale de réformes institu-
tionnelles, << les décrets peuvent porter des dispositions de droit rela-
tives à des matières pour lesquelles les conseils ne sont pas compé-
tents, dans la mesure où ces dispositions sont nécessaires à l'exercice
de leur compétence )). De la sorte, ils << peuvent régler une matière

(20) C.A., n" 5/96, 18 janvier 1996.


(21) Ibidem.
(22) C.E., L. 20.033/8 du 6 juillet 1990, et les références citées : B. HAUBERT et P. VANDER-
NOOT, <<La nouvelle loi de réformes institutionnelles du 8 août 1988 •>, A.P.T., 1988, p. 241;
A. ALEN, <<De bevoegdheidsverdeling tussen de Staat, de Gemeenschappen en de Gewesten -
Enkele algemene bedenkingen na de derde Staatshervorming >>, T.B.P., 1989, p. 50; B. JADOT,
«La Communauté économique européenne, l'Etat, la Région et la protection de l'environne-
ment •>, J. T., 1988, p. 728, note 53.
600 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

qui relève de la compétence de l'Etat>> fédéral (23), <<soit en vertu


d'une réserve expresse formulée par les règles répartitrices de com-
pétences, soit sur la base de sa compétence résidu(elle) >>.
L'article 10 de la loi spéciale de réformes institutionnelles fait
l'objet de deux interprétations dont les postulats comme les consé-
quences peuvent se révéler contradictoires.
Prise à la lettre, la disposition semble autoriser d'inadmissibles
débordements de compétence. Elle met à néant l'entreprise de véri-
fication - a priori ou a posteriori - de la constitutionnalité des
décrets et des ordonnances. Elle semble autoriser les collectivités
fédérées à agir dans un domaine indéterminé qui, par hypothèse,
sort du champ normal et limité de leurs attributions.
Dans une seconde interprétation, plus respectueuse, sinon du
texte même de la loi spéciale, du moins de l'esprit qui a présidé au
partage des responsabilités entre les diverses collectivités politiques,
un principe est rappelé. Il n'appartient jamais à une collectivité
fédérée de sortir du domaine de ses attributions. En revanche, il lui
revient d'utiliser à plein les attributions qui sont les siennes. Pour
atteindre un objectif politique déterminé, elle est en mesure d'éta-
blir les normes à cet effet.
Peut-être certaines règles relèveront-elles à cette occasion du
droit civil, du droit judiciaire, du droit pénal, d'autres disciplines
encore ... Il n'y a pas lieu de s'en étonner outre mesure. Les
domaines de compétences établis par la Constitution ne coïncident
pas avec les découpages qui sont opérés à des fins pédagogiques
dans la matière juridique.

B. - Les interprétations jurisprudentielles


685. - La jurisprudence s'efforce de donner de l'article 10 de la
loi spéciale de réformes institutionnelles une interprétation réduc-
trice, sinon minimaliste. Elles s'attachent notamment à répondre à
cette question. Le recours à l'article 10 de la loi spéciale de réformes
institutionnelles est-il compatible avec le régime des compétences
exclusives, voire réservées, qu'instituent la Constitution et la même
loi spéciale ?

(23) C.A., n" 68/96, 28 novembre 1996. Ainsi,'' afin d'exercer sa compétence de protection des
bois et forêts», le législateur wallon «a pu légitimement estimer nécessaire de réglementer la cir-
culation - - notamment celle des engins motorisés -- sur les voies qui desservent les bois et
forêts'' (ibidem).
LE SYSTÈME DE PARTAGE 601

Le procédé n'est admissible, selon la Cour d'arbitrage- et selon


le Conseil d'Etat qui endosse la même interprétation - , qu'à une
double condition.
- La matière qui revient au législateur fédéral - soit au titre
des matières réservées, soit au titre des compétences rési.duelles -
doit se prêter à un règlement ou une application différencié (24)
selon les communautés ou les régions. Tel ne peut être le cas, par
exemple, dans le domaine des adjudications. A raison de directives
européennes, les autorités publiques- quelles qu'elles soient - ne
peuvent déroger à la règle de l'attribution du marché public au sou-
missionnaire ayant remis l'offre la plus basse. Des régimes différen-
ciés, et donc des compétences implicites, ne sont pas concevables en
ce domaine.
- L'incidence sur la matière réservée, sur la matière de compé-
tence résiduelle, voire sur la matière attribuée à une autre collecti-
vité fédérée ne doit être que<< marginale>> (25). Une collectivité fédé-
rée peut, par exemple, invoquer le bénéfice des compétences impli-
cites pour exercer ses attributions dans un domaine qui revient à
une autre collectivité fédérée. Encore faut-il que, ce faisant, elle ne
vide pas de leur substance les compétences reconnues à ces autres
collectivités (C.E., L. 21.216/9, 14 octobre 1991).
Le Conseil d'Etat a admis, par exemple, que le gouvernement
wallon puisse, au titre des pouvoirs implicites, être chargé par le
législateur décrétai de fixer les modalités d'adaptation du prix d'hé-
bergement dans les maisons de repos pour personnes âgées, alors
même que la politique des prix est de la compétence exclusive de
l'autorité fédérale (Doc., C.R.W., s. o. 1996-1997, n" 213/1, p. 27,
avis L. 25.119/9) >> (26).

C. - Les commentaires doctrinaux


686. - Comme l'a relevé R. ANDERSEN, la loi spéciale du
16 juillet 1983 n'entend pas modifier l'article 10 mais <<vise à
étendre les pouvoirs implicites des entités fédérées, en modifiant
l'article 19, § 1er, alinéa pr de la loi spéciale du 8 août 1980 de

(24) C.A., n" 6/96, 18 janvier 1996.


(25) C.A., n" 68/96, 28 novembre 1996.
(26) R. ANDF.RSEN et P. NmouL, «Le Conseil d'Etat- Chronique de jurisprudence 1996 »,
R.R.D.C., 1997, p. 208.
602 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

manière à permettre désormais l'exercice de ces pouvoirs implicites


dans les matières réservées par la Constitution à la loi >> fédérale.
Et l'auteur d'ajouter : << Il n'y aura plus à distinguer selon que les
pouvoirs implicites s'exercent dans les matières qui relèvent des
compétences que la Constitution réserve à la loi (fédérale), dans
celles qui relèvent des compétences qui sont expressément recon-
nues au législateur (fédéral) par les lois de réformes institutionnelles
et dans celles qui ressortissent aux compétences résiduelles. Dans
tous les cas, cet exercice sera soumis aux même conditions, telle
qu'elles sont prévues par l'article 10 de la loi spéciale précitée et
telles qu'elles ont été interprétées par la Cour d'arbitrage >>.

§ 3. - Les compétences accessoires


687. - En vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles,
certaines compétences accessoires reviennent expressément aux com-
munautés et aux régions.
La compétence reconnue aux collectivités fédérées est souvent
présentée comme étant de caractère normatif. C'est oublier les res-
ponsabilités qu'elles peuvent exercer dans l'exercice de la fonction
réglementaire. C'est également perdre de vue les tâches qu'elles peu-
vent assumer sur le plan financier. << La fixation des moyens finan-
ciers d'une politique culturelle >>, précise la Cour d'arbitrage, << relève
de l'acte de 'régler' des matières culturelles>> (27) et ressortit donc
à la compétence de la communauté.
La collectivité fédérée ne peut pas non plus manquer d'exercer
des responsabilités administratives. Elle édicte ainsi des règles qui
sont relatives au statut de personnels déterminés - par exemple,
les personnels enseignants - .
Elle précise, par la même occasion, le sort qui doit être réservé à des actes
administratifs irréguliers, telles des désignations. Mais, ce faisant, ne déroge-t-
elle pas à la jurisprudence du Conseil d'Etat qui veut qu'un acte administratif
individuel irrégulier, dès l'instant où il est créateur de droits, ne puisse être
retiré que dans le délai de soixante jours, c'est-à-dire dans le délai prescrit pour
introduire un recours devant le juge administratif? Selon la Cour, le décret incri-
miné ne prête pas à critique sur ce point. Il ne modifie, en effet, ni directement,
ni indirectement les délais pour introduire un tel recours (28).

(27) C.A., n" 54/96, 3 octobre 1996, III, B.5.


(28) C.A., no 7/96, 18 janvier 1996, C.B.15.
LE SYSTÈME DE PARTAGE 603

Cette compétence accessoire implique la faculté de créer << des ser-


vices décentralisés, des établissements et des entreprises f) ou de
prendre des participations en capital (29).
688. - Les compétences ancillaires sont celles qui accompagnent
l'exercice normal des compétences principales ou accessoires. Elles
sont de l'ordre des moyens d'action. Comment, par exemple, régler
la matière des <<beaux-arts f>, au titre des matières culturelles, sans
octroyer des subventions, décerner des prix, créer des établisse-
ments publics, fixer le statut de leur personnel? Et ainsi de suite.
Qui peut régler les fins doit aussi pouvoir se prononcer sur les
moyens ...

(29) C.A., n" 5/96, 18 janvier 1996, IV, B.6.2.


CHAPITRE II
LA DISTRIBUTION DES COMPÉTENCES

689. - La coexistence sur un même territoire de collectivités


politiques de même rang requiert que soit déterminée avec soin la
manière dont elles vont intervenir. Il faut éviter que l'exercice par
plusieurs autorités publiques de la fonction normative ou gouverne-
mentale ne génère des conflits de compétence.
L'exercice des compétences fédérales peut paraître simple. Celui des
compétences fédérées qui se partagent, par la force des choses, entre
huit collectivités distinctes - trois communautés, trois régions et
deux commissions communautaires - peut s'avérer plus complexe.
En ce domaine, deux paramètres gagnent à être utilisés. Le pre-
mier, le mieux connu, est celui de la répartition des compétences, au
sens matériel de l'expression (pour les principes du partage, nos 662
s.; pour l'inventaire des compétences fédérées, voy. Livre IX. Les
fonctions fédérées). Le second critère, plus délicat à employer, est
celui de la détermination de << ressorts territoriaux >>, en ce qui
concerne les régions, ou d'<< aires de compétence >>, en ce qui concerne
les communautés et les commissions communautaires.
Les deux paramètres doivent être utilisés de manière conjointe
pour opérer une distribution exacte des compétences entre l'Etat
fédéral et les diverses collectivités fédérées.
Certaines compétences s'exercent <<à géométrie variable''· Ainsi l'emploi des
langues en matière administrative est, en principe, de compétence communau-
taire et donc d'application limitée à une région unilingue (Const., art. 129, § 1oc)
(n° 966). Mais elle est, par exemple, de compétence fédérale lorsqu'elle a trait
à des services qui, aux termes de l'article 129, § 2, 2e tiret, de la Constitution,
poursuivent des activités qui s'étendent« au-delà de la région linguistique dans
laquelle ils sont établis ''·

SECTION Fe. - L'EXERCICE


DES COMPÉTENCES FÉDÉRALES

690. - Par définition, les compétences fédérales s'exercent sur


l'ensemble du territoire de l'Etat fédéral. La loi fédérale est l'œuvre
LA DISTRIBUTION DES COMPÉTENCES 605

des représentants de la Na ti on. Ce qui signifie qu'en principe, elle


s'applique de manière indistincte sur l'ensemble du territoire. Elle
concerne l'ensemble de la population belge. Elle affecte un ensemble
des situations qui se présentent sur le territoire de la Belgique.
L'observation ne porte pas préjudice au développement de politi-
ques fédérales sectorielles. Peut-être même celles-ci trouveront-elles
à s'appliquer sur des portions précises du territoire et, pourquoi
pas?, dans des régions particulières. Il s'agit alors d'appliquer une
loi ou une réglementation fédérale de manière différenciée, sans
pour autant instaurer sur place un nouveau centre de décision poli-
tique. Voyez, par exemple, la loi du 15 juin 1935 concernant l'em-
ploi des langues en matière judiciaire et la détermination des arron-
dissements qui en permettent l'application.

SECTION II. - L'EXERCICE DES COMPÉTENCES


COMMUNAUTAIRES

§1er. - Les appartenances communautaires


691. - La communauté est une collectivité de caractère politi-
que, sans être pour autant de nature territoriale. Tel est même l'at-
trait majeur de pareille collectivité. Elle présente l'originalité de
rassembler deux catégories distinctes de personnes.
Les unes sont localisées dans la région de langue française, dans
la région de langue néerlandaise ou dans la région de langue alle-
mande. Elles s'inscrivent volens nolens dans un ressort territorial
prédéterminé. Elles n'ont pas à choisir leur appartenance commu-
nautaire. En application du principe de territorialité linguistique
(no 692), elles relèvent de plein droit de la communauté correspon-
dante.
Les autres sont localisées dans la région bilingue de Bruxelles-
Capitale. Elles ne bénéficient pas d'une appartenance de plein droit
à l'une ou à l'autre des communautés. Elle se rattachent volontaire-
ment à l'ordre juridique de la Communauté française ou à celui de
la Communauté flamande, voire aux deux, et cela via les institu-
tions qui en relèvent. En l'occurrence, et pour elles seulement, c'est
le principe de non-territorialité (no 697) qui prévaut.
Il y a lieu aussi de tenir compte des effets externes (no 702) qui
peuvent s'attacher aux interventions des autorités communautaires.
------· ----------------------------------------------~

606 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

A. -- Le principe de territorialité
692. -- En ce qui concerne la Communauté germanophone, l'ap-
partenance com.munautaire est exclusivement tributaire de critères
territoriaux. Toutes les personnes qui résident dans la région de lan-
gue allemande -- et elles seules -- relèvent de cette communauté.
Elles sont soumises à ses règles. Elles y exercent leurs droits. Elles
sont assujetties aux obligations qu'elle impose.
L'article 130, § 2, de la Constitution est clair à cet égard. Les
décrets et règlements germanophones ont force de loi dans la région
de langue allemande -- quelle que soit la matière considérée --.
Les communes de la région de langue allemande forment néan-
moins une zone distincte pour l'application des lois coordonnées sur
l'emploi des langues en matière administrative. Elles sont rangées
parmi les communes à statut spécial. Ceci explique que la Commu-
nauté germanophone ne dispose pas de compétences en matière lin-
guistique, si ce n'est dans le domaine de l'enseignement
693. -- En ce qui concerne les Communautés française et fla-
mande, la détermination de l'appartenance communautaire est plus
complexe. Elle est tributaire de quatre facteurs qu'il convient, en
chaque circonstance, de conjuguer. Ces facteurs ne sont pas indé-
pendants de tout rattachement géographique. Mais la localisation
en un point déterminé du territoire ne suffit pas à déterminer à suf-
fisance une appartenance politique précise ( 1).
La région linguistique sert à déterminer la base territoriale de la
communauté correspondante (n° 330). Mais trois autres critères --
linguistique, socio-culturel et institutionnel -- doivent être pris en
considération de manière concomitante. Selon les hypothèses envi-
sagées, ils contribuent à assurer le rétrécissement ou l'élargissement
de la base territoriale initiale (n"s 331 s.).
694. -- Un <<principe de territorialité>) ou une <<référence territo-
riale >) gouvernent-ils l'action communautaire? Ce principe et cette
référence trouvent-ils place dans la Constitution et les lois de
réformes institutionnelles? Sont-ils, de surcroît, consacrés dans un

(1) La Communauté française et la Communauté flamande- à la différence de la Commu-


nauté germanophone - ne disposent pas d'un territoire communautaire. Voy., sur ce point,
l'avis L. 21.690/2/V, 16 juillet 1992. L'on ne saurait en déduire, contrairement à ce que soutient
l'avis précité, que chaque communauté peut intervenir, et notamment prélever des impôts, dans
d'autres régions linguistiques.
LA DISTRIBUTION DES COMPÉTENCES 607

ensemble de décisions de justice - que ce soit dans l'ordre interne,


avec la Cour d'arbitrage et le Conseil d'État, ou, dans l'ordre euro-
péen, avec la Cour européenne des droits de l'homme -?
Selon A. ALEN et R. ERGEC, le principe de territorialité trouverait son point
de départ dans les lois linguistiques des 8 novembre 1962 et 2 août 1963 (coor-
données le 19 juillet 1966). La Constitution l'aurait inscrit, dès 1970, dans ses
dispositions. Il aurait pour objet, ou pour effet, <• de confiner l'activité légis-
lative, gouvernementale et administrative de chaque (collectivité) fédérée princi-
palement à son territoire défini, en substance, à l'aide des régions linguistiques
et d'assurer, à l'intérieur de chaque région unilingue, la primauté de principe de
la langue de cette région •> (2).

Le concept utilisé est inadéquat. Il ne rend compte que d'une


part de la réalité constitutionnelle. Définir la communauté par réfé-
rence à la seule région linguistique - qui en constituerait, << en subs-
tance >>, le socle - revient à nier la spécificité d'une construction
institutionnelle qui, on l'a souligné, est pourvue de cloisons mobiles
et reçoit des champs différenciés d'application selon les matières
considérées (n° 328).
695. - Faut-il tirer argument de l'arrêt rendu, le 23 juillet 1968, par la Cour
européenne des droits de l'homme dans l'affaire relative à« certains aspects du
régime linguistique de l'enseignement en Belgique >>?
Des habitants francophones de diverses communes flamandes reprochent à la
législation belge (celle du 30 juillet 1963) de ne pas organiser d'enseignement en
langue française dans les communes de la région de langue néerlandaise -~ alors
qu'y vivent des minorités francophones significatives-~~ et de s'opposer à l'orga-
nisation d'un enseignement en langue française- même lorsqu'il procède d'ini-
tiatives privées - .
L'Etat belge est condamné pour violation de l'article 14 de la Convention
européenne des droits de l'homme et de l'article 2 du premier protocole à cette
convention. <• La condamnation repose sur le fait que, selon la loi, l'enseignement
en langue française dans les six communes périphériques n'est pas accessible aux
enfants dont les parents résident en dehors des communes considérées, alors que
le même enseignement, dispensé en langue néerlandaise, l'est à tout enfant quels
que soient sa langue maternelle ou le lieu de résidence de ses parents •> (3).
Selon la Cour, la défense de l'homogénéité linguistique d'une région est néan-
moins acceptable. Une distinction de traitement se justifie si elle repose sur une
appréciation objective de circonstances de natures différentes et si la loi ménage
un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts d'une communauté et les
droits et libertés garanties par la Convention. Dans le cas présent, la Cour estime
que la distinction de traitement repose sur <<cet élément objectif que constitue
la région>>.

(2) Op. cit., pp. 785 à 790.


(3) A. ALEN et R. ERGEC, op. cit., p. 786.
608 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

La lecture opérée par la Cour est réductrice. Elle se fonde, de manière ambi-
guë, sur la notion de région qui, à l'époque, n'avait pas, en droit belge, de signi-
fication juridique. A supposer même qu'elle entende désigner ainsi la région lin-
guistique, enco(e faut-il constater que la détermination du champ d'application
d'une loi ne saurait être porteuse d'une signification normative. La création
d'une région linguistique n'a pour effet direct d'imposer à ceux qui vivent sur
le territoire ainsi délimité l'utilisation d'une langue déterminée. A fortiori, la
référence à la région est sans incidence sur la détermination des caractéristiques
d'une communauté. Il n'est pas besoin de rappeler <'J.Ue celle-ci ne voit le jour
qu'avec la révision de la Constitution du 24 décembre 1970.

696. - La Cour européenne des droits de l'homme évoque clairement le prin-


cipe de territorialité dans l'arrêt Mathieu-Mohin du 2 mars 1987.
La requête met en cause le mode de composition des conseils de communauté
et de région. Aucune représentation d'élus francophones ayant leur domicile au
sein de l'arrondissement administratif de Halle-Vilvoorde n'était, en effet, pos-
sible au sein du Parlement flamand - et cela pendant la période qui va jus-
qu'aux réformes institutionnelles de 1993 - .
Les requérants invoquent <<la violation par la loi spéciale de réformes institu-
tionnelles du 8 août 1980, de l'article 3 du premier protocole additionnel à la
Convention européenne des droits de l'homme •> (le droit aux élections libres)
combiné avec l'article 14 de la Convention (l'interdiction de la discrimination
fondée notamment sur la langue).
Selon la Cour, <<la loi spéciale de 1980 s'insère dans un système institutionnel
général de l'Etat belge, inspiré par le principe de territorialité. Il concerne tant
les institutions administratives et politiques que la répartition des compétences
et de leurs pouvoirs. Encore inachevée, la réforme en cours cherche à réaliser un
équilibre entre les diverses communautés culturelles et régions du Royaume
moyennant un ensemble complexe de freins et de contrepoids; elle a pour but
d'apaiser, par la création de structures plus stables et décentralisées, les diffé-
rends linguistiques au sein du pays ».
L'argumentation de la Cour est claire. Le principe de territorialité a inspiré
la conception et l'évaluation du système institutionnel actuel. Ce principe
influence la répartition de compétences ainsi que l'organisation des institutions
publiques de l'État belge. Le raisonnement est, lui aussi, inexact. Il confond la
décentralisation et le fédéralisme. Il mélange l'organisation de communautés
(qualifiées de culturelles ... ) avec celle des régions. Il place le débat sur le terrain
linguistique- alors que l'extension des compétences en dehors de la région lin-
guistique correspondante concerne les autres compétences communautaires - .

B. - Le principe de non-territorialité

697. - L'on sait qu'un décret linguistique ne s'applique pas


dans l'ensemble de la région de langue française ou dans la région
LA DISTRIBUTION DES COMPÉTENCES 609

de langue néerlandaise. Il ne concerne pas l'ensemble des personnes


qui relèvent - directement ou indirectement - de la communauté.
L'on sait aussi qu'un décret pris dans les matières culturelles,
éducatives ou personnalisables s'applique dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale. Il ne saurait déborder sur le territoire d'une
autre région unilingue. A Bruxelles, il ne s'impose qu'aux institu-
tions qui, en raison de leurs activités ou de leur organisation, relè-
vent exclusivement de l'une ou de l'autre communauté (nos 331 s.).
Pour le citoyen qui réside dans l'une des communes bruxelloises,
les réalités sont plus complexes. L'appartenance personnelle n'est
pas affichée. Elle n'est pas obligatoire. Elle n'est pas exclusive. Elle
n'est pas définitive. C'est de manière volontaire qu'un individu
choisit de fréquenter telle institution. Il se soumet - par le fait
même - à la législation de la communauté dont cette institution
relève. << Il choisit sa propre loi ... >>. De manière concrète, il adhère
à l'un des régimes juridiques qui lui sont offerts ou décide de ne se
soumettre à aucun d'eux.

698. - Faut-il aller plus loin et considérer que la Constitution,


plutôt que de consacrer le principe de territorialité, a reconnu le
principe de personnalité? Faut-il considérer que l'appartenance
communautaire se définit en dehors de toute référence territoriale?
Le raisonnement serait excessif. Dans le domaine de l'emploi des
langues, la région linguistique représente, dans les conditions que
prescrit l'article 129 de la Constitution et avec les exceptions qu'il
énonce, l'aire maximale d'action de la communauté.
Le 30 janvier 1986, la Cour d'arbitrage rend deux arrêts de principe relatifs
à des décrets linguistiques. Elle examine notamment le recours introduit contre
le décret de la Communauté française du 30 juin 1982 relatif à la protection de
la liberté de l'emploi des langues et de l'usage de la langue française en matière
de relations sociales entre les employeurs et leur personnel ainsi que d'actes et
de documents des entreprises imposés par la loi et les règlements. Le gouverne-
ment de la Communauté française développe, à cette occasion, l'argumentation
suivante : <<L'appartenance à une communauté linguistique déterminée consti-
tue un élément essentiel dans la définition du concept de communauté... Les
compétences attribuées par l'article 129 de la Constitution portent sur des carac-
téristiques personnelles et se fondent plus particulièrement sur l'appartenance à
une communauté culturelle et linguistique déterminée. La langue parlée par une
personne constitue un élément déterminant en vue de savoir qui est compétent
envers elle. Le critère de territorialité n'est qu'un critère complémentaire per-
mettant de désigner les sujets de droit d'une communauté>>.
610 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

La Cour rejette cette argumentation. « Les dispositions constitutionnelles -


celles de l'article 129 de la Constitution- ont déterminé une répartition exclu-
sive de compétence territoriale. Un tel système suppose que l'objet de toute
norme adoptée par un législateur communautaire puisse être localisée dans le
territoire de sa compétence, de sorte que toute relation et toute situation
concrètes soient réglées par un seul législateur. Dans le respect des dispositions
constitutionnelles, les Conseils de communauté peuvent déterminer le critère ou
les critères en application desquels l'objet des normes qu'ils adoptent est localisé,
selon eux, dans leur aire de compétence. Les critères choisis sont, toutefois, sou-
mis au contrôle de la Cour, laquelle a pour mission de veiller à ce que les conseils
n'excèdent ni leur compétence matérielle, ni leur compétence territoriale>>.

699. ~ Depuis 1996, la jurisprudence de la Cour d'arbitrage


tend à infléchir le caractère trop absolu d'un soi-disant principe de
territorialité.
Le 3 octobre 1996, l'arrêt Carrefour 1 se prononce sur un recours en annula-
tion du décret de la Communauté française du 22 décembre 1994 contenant le
budget des dépenses de la Communauté pour 1995 et ouvrant notamment des
crédits en faveur d'associations francophones des communes à statut spécial.
Selon le Gouvernement flamand, << l'article 4 de la Constitution souligne sans
équivoque l'importance accordée par le Constituant au principe de territorialité,
en particulier, lorsqu'on lit cette disposition conjointement avec les autres dispo-
sitions constitutionnelles ... , en tant que critère de partage de la compétence des
Conseils des Communautés française et flamande de régler par décret, chacun
pour ce qui le concerne, les matières énumérées dans ces articles, c'est-à-dire le
cadre spatial dans lequel peuvent s'exercer les compétences des commu-
nautés ... >>.
Dans son arrêt, la Cour d'arbitrage tend à consacrer une vision plus personna-
liste de l'action communautaire. Elle rejette l'argument tiré de l'excès de compé-
tence territoriale de la Communauté française. Si elle annule la disposition liti-
gieuse, c'est après avoir procédé à un examen de son objet réel et entrepris de
requalifier la norme attaquée.
<<Telle qu'elle est conçue et rédigée, cette disposition permet, entre autres, de
financer des associations francophones situées dans les communes périphériques,
toutes situées dans la région de langue néerlandaise et dans les communes de la
frontière linguistique qui sont également situées dans cette région linguistique.
Il s'agit de communes dans lesquelles l'article 129, § 2, de la Constitution recon-
naît l'existence de minorités et pour lesquelles la législation contient des mesures
de protection de ces minorités. De par la définition de son champ d'application
ratione loci, cette disposition ne peut pas être considérée comme visant la promo-
tion de la culture par la Communauté française; elle s'analyse en revanche
comme une mesure de protection de la minorité francophone établie dans ces
communes».
La Cour poursuit : <<Il appartient à chaque législateur, dans la limite de ses
compétences, d'assurer la protection des minorités ... Ni la Constitution, ni les
lois de réformes institutionnelles n'instituent les Communautés flamande, fran-
LA DISTRIBUTION DES COMPÉTENCES 611

çaise et germanophone protectrices respectivement des néerlandophones, des


francophones et des germanophones dans les régions linguistiques unilingues de
Belgique dont la langue n'est pas la leur» (4).
Le 10 mars 1998, la Cour d'arbitrage rend l'arrêt Carrefour II. Elle examine
la validité du décret du 20 décembre 1996 qui ouvre, pour les années 1996 et
1997, un poste budgétaire intitulé : «Information, promotion, rayonnement de
la langue et de la culture française et de la Communauté française >>.
La Cour annule l'article 2, § 1'", alinéas 4 et 5, et§ 2 de ce décret au motif que
les opérations incriminées ont pour but de couvrir les opérations antérieures
dont l'inconstitutionnalité a déjà été constatée. Elle rejette pour le surplus une
partie du recours sous la réserve expresse que l'article 2, § 1"', alinéas 2 et 3, et
l'article 4 ne puissent s'interpréter comme permettant d'affecter une partie quel-
conque des montants qui y sont prévus à l'aide aux associations francophones
des communes à statut linguistique spécial.
L'arrêt Carrefour Ill s'inscrit dans la même perspective. La Cour d'arbitrage
rend, le 29 avril 1999, l'arrêt n° 50/99, en tout point semblable aux deux pre-
miers arrêts Carrefour.
La Cour rejette le recours en annulation introduit par le Gouvernement fla-
mand contre un ensemble de dispositions budgétaires qui accordent pour l'année
budgétaire 1997 et pour la troisième fois une aide aux associations francophones
des communes à statut spécial. L'arrêt est rendu sous la réserve expresse que
l'allocation accordée ne puisse en aucun cas être interprétée comme permettant
d'affecter une partie quelconque des montants prévus à l'aide aux associations
francophones de ces communes.

700. - Pour rendre compte de ces réalités nuancées, il convient,


à l'instar de la Cour d'arbitrage, d'utiliser un autre vocable que
celui de territoire : celui d'<< aire de compétence>>. Avec cette préci-
sion : << pour apprécier la localisation d'une norme dans l'aire de
compétence fixée par la Constitution, il faut tenir compte de la
nature et de l'objet de la compétence matérielle attribuée à une col-
lectivité politique >>.
L'exercice peut susciter quelques difficultés pratiques.
Dans le domaine de la protection de la jeunesse, l'on tiendra compte notam-
ment de la <<résidence familiale du mineur>> ou, à défaut, de l'endroit où il est
<<éduqué et entretenu>> (5). Le <<lieu où le jeune se trouve>> paraît, par contre,
trop indéterminé et ne saurait être retenu, comme critère de localisation, qu'à
titre <<très subsidiaire>> (6).

(4) M. UYTTENDAELE et R. WITMEUR, <<La frontière linguistique entre deux eaux •>, J. T.,
1997, p. 478.
(5) Ibid.
(6) Ibid. Adde : V. BARTHOLOMF:E, 'Le champ d'application des décrets communautaires en
protection de la jeunesse», note sous C.A., n" 72/96, 11 décembre 1996, J.D.J., 1997, p. 227.
612 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

Dans le domaine de l'emploi des langues dans les relations sociales entre
employeurs et travailleurs, il convient de tenir compte du lieu où ces relations
<<se déroulent principalement et de fixer ce lieu exclusivement dans l'aire de
compétence du législateur décréta! •>. Le siège d'exploitation est retenu comme
critère valable de rattachement (7).

701. - En décembre 1970, la Constitution n'a fait choix ni de


la thèse territorialiste, ni de la thèse personnaliste. Elle a essayé,
non sans mal, de combiner ces deux façons de voir. Elle a recouru
à des critères de rattachement qui soient respectueux de l'une et
l'autre approches.
De ce point de vue, le rattachement des personnes au système
juridique de la communauté ne peut se concevoir uniquement en
termes territoriaux. La notion d'appartenance communautaire -
que retient expressément la Constitution et qui doit être déclinée
sur plusieurs registres - fournit, de ce point de vue, un guide plus
sûr pour la détermination de ceux qui sont sujets de droits et d'obli-
gations au sein de la communauté.
Il n'y a pas de collectivité politique sans élément humain - à
savoir une population déterminée - . Cet élément a été couplé,
depuis le dix-neuvième siècle, avec un élément territorial. A un
point tel que la détermination de ce territoire suffit, dans les cas les
plus simples, à préciser quelles sont les règles de droit qu'il convient
d'appliquer.
La Constitution belge présente l'originalité de découpler, dans
une certaine mesure, l'élément humain et l'élément territorial. Elle
permet, spécialement dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale,
d'organiser la vie commune de deux collectivités politiques sur un
même territoire.
La thèse territorialiste vise à nier la spécificité du modèle consti-
tutionnel belge. Au contraire, la notion d'appartenance communau-
taire - qui répond mieux aux données du droit positif, si ce n'est
aux réalités culturelles - permet de rendre compte de manière
nuancée du fait communautaire. A ce titre, elle gagne à être préser-
vée.

(7) C. A., n" 10/86, 30 janvier 1986.


LA DISTRIBUTION DES COMPÉTENCES 613

C. - Les effets externes

702. - Sans appartenir à la communauté - et notamment sans


être affectées, ni directement, ni indirectement, par les normes que
celle-ci établit - , un ensemble de personnes peuvent ressentir les
effets des mesures qu'elle prend. Elles résident dans d'autres régions
linguistiques. Elles se trouvent à l'étranger, qu'elles soient belges ou
non nationales. Elles peuvent être concernées par la politique d'une
communauté qui, par la force des choses, reçoit des effets extraterri-
toriaux.
Ainsi la politique de défense et d'illustration de la langue, la poli-
tique de coopération culturelle, dans l'ordre national ou internatio-
nal, d'autres politiques encore - comme celle de l'audiovisuel ou
des médias - ne peuvent, par définition, se limiter aux seuls ressor-
tissants de la communauté.
<< En raison même de la promotion de la culture>>, il faut considérer que la
Constitution ne fait pas obstacle à ce que la règle communautaire produise des
<<effets extraterritoriaux potentiels>> (C.A., n° 54/96, 3 octobre 1996). <<La déli-
mitation découlant de la répartition exclusive de compétence territoriale en
matière culturelle ne signifie pas, en raison même de la promotion de la culture,
que la compétence communautaire en cette matière cesse d'exister au seul motif
que les initiatives prises peuvent produire des effets en dehors de la région qui,
dans le domaine des matières culturelles, a été confiée aux soins de la commu-
nauté concernée>> (ibid.).

§ 2. - Les régimes juridiques particuliers

A. - Les Commissions communautaires


française et flamande

703. - Les règles retenues pour déterminer les appartenances


communautaires (no 374) valent également pour les commissions
communautaires unilingues qui assument, toutes deux, leurs respon-
sabilités dans le ressort de la Région bruxelloise. Elle n'y ont pour
destinataires que les personnes qui recourent aux services offerts,
dans l'une ou l'autre langue, par les institutions qui se rattachent
par leurs activités et leur organisation à l'ordre juridique d'une
communauté.
614 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

B. - La Commission communautaire commune


704. - Dans l'exercice de ses compétences décentralisées comme
dans celui de ses compétences fédérées, la Commission communau-
taire commune s'adresse à l'ensemble des personnes qui relèvent de
la Région bruxelloise. Elle reçoit donc une aire de compétence qui
équivaut à la région bilingue de Bruxelles-Capitale.

C. - Les compétences transférées


705. - Dans la mesure où, comme en Région flamande, des
compétences régionales sont exercées par des autorités communau-
taires, le champ d'application territoriale des décrets et règlements
doit être clairement explicité. Il est limité à l'espace régional. Ce
dernier équivaut à celui de la région de langue néerlandaise (l. sp.,
art. 1er, al. 2).
Dans la mesure où, comme en Région wallonne, des compétences
communautaires sont dévolues aux institutions régionales, ce ressort
territorial doit également être mentionné. Il se ramène à celui de la
région de langue française (Const., art. 138, al. 1er).

SECTION III. - L'EXERCICE DES COMPÉTENCES


RÉGIONALES

706. - La distribution des compétences régionales s'opère de


manière plus simple que celle des compétences communautaires. Par
principe, chaque région agit dans un ressort territorial (n° 707) qui
est le sien et qu'elle ne partage d'aucune manière avec une autre
région. Des difficultés (no 709) peuvent néanmoins survenir. Une
question délicate est celle de savoir comment régler les conflits
interterritoriaux (no 711).

§ 1er. - Les ressorts régionaux


707. - Chaque région intervient dans un ressort que la Consti-
tution ou la loi spéciale relative aux institutions bruxelloises déter-
mine. Par définition, elle ne saurait agir pour régler des situations
qui se présentent dans une autre région.
En Région flamande, l'appartenance régionale est tributaire de
critères strictement territoriaux. Toutes les personnes - belges ou
LA DISTRIBUTION DES COMPÉTENCES 615

étrangères - qui résident dans une commune flamande sont de


plein droit assujetties aux règles de droit flamandes.
En Région wallonne, la même solution s'impose. Toutes les per-
sonnes qui résident dans une commune wallonne sont, en principe,
assujetties aux règles de droit wallonnes.
Une exception doit, cependant, être mentionnée. Lorsque la
Région wallonne intervient dans les matières de compétence com-
munautaire qui lui ont été transférées, l'appartenance régionale se
réduit. Dans ce cas, les personnes qui relèvent de plein droit de la
Communauté germanophone - parce qu'elles y sont localisées -
échappent à l'application des règles de droit wallonnes.
En Région bruxelloise, l'appartenance régionale est plus malaisée
à circonscrire. Elle profite sans nul doute à toutes les personnes qui
résident dans rune des dix-neuf communes bruxelloises. Les ordon-
nances de la Région bruxelloise leur sont applicables de plein droit.
Mais une institution constituée au sein de la Région - à savoir
la Commission communautaire française - développe des politiques
communautaires, y compris par voie de décret, qui n'atteindront,
selon des critères complexes de rattachement, qu'une part de la
population bruxelloise (8).
708. - La définition géographique de la collectivité régionale
peut induire à erreur. Il est séduisant d'opposer la communauté
dont les compétences s'adresseraient à des personnes - l'enseigne-
ment, l'éducation artistique, les soins de santé ... - à la région dont
les compétences concerneraient l'aménagement du territoire, au sens
large de l'expression - en ce compris l'urbanisme, le logement ou
l'environnement - .
Cette présentation binaire est exagérée. Il y a des infrastructures
communautaires - les musées ou les écoles, par exemple - comme
il y a des infrastructures régionales - les voies publiques ou les

(8) Dans un avis du 29 août 1986, le Conseil d'Etat (L. 17.373/2/V) rappelle un propos du
professeur RIGAUX selon lequel • la réforme institutionnelle n'ayant pas créé de sous-nationalité,
il n'existe, pour désigner les personnes destinataires des normes communautaires, aucun critère
personnel» (• Les règles de droit délimitant leur propre domaine d'application», A.D.Lv., 1983,
p. 316). Voy. égal. R.D.G., 1983-1984, no 72/1, avis L. 16.312 et C.C.F., 1984-1985, n" 174/1, avis
L. 16.403. Le Conseil d'Etat rappelle, chaque fois, que la Constitution et les lois de réformes insti-
tutionnelles ont rejeté ''toute forme de sous-nationalité >>. L'on ne saurait en déduire que les
Bruxellois n'appartiennent à aucune communauté et qu'ils ne sont pas, en définitive, destina-
taires des décrets communautaires. C'est de rattachement indirect qu'il est question en la circons·
tance (F. DELPÉRÉE, • Nouveaux itinéraires constitutionnels», cité, p. 153).
616 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

aéroports, notamment - . Il y a des politiques régionales comme il


existe des politiques communautaires qui n'ont que peu de rapport
avec l'aménagement de l'espace - il en va ainsi de la politique éco-
nomique, en ce compris les débouchés et les exportations - .
Certaines compétences, comme << les monuments et les sites ~> ont
été rangées tantôt dans l'ordre des matières communautaires, tan-
tôt dans celui des matières régionales. D'autres compétences,
comme la formation professionnelle, s'inscrivent à la lisière des
attributions qui reviennent aux deux collectivités fédérées.

§ 2. - Les difficultés d'application

A. - Le critère de localisation
709. - Des problèmes peuvent se présenter à raison de la diffi-
culté de déterminer le critère de localisation d'une activité ou d'une
situation dans une région déterminée.
La Région bruxelloise a pu, à bon droit, régler l'activité de location de voi-
tures avec chauffeur en prenant en considération <<le point de départ de la pres-
tation de service·~- Il s'agit là, précise la Cour d'arbitrage, d'<< un critère de ratta-
chement pertinent permettant de localiser la matière à régler dans la sphère de
compétence territoriale de la Région (bruxelloise)·~ (9).
Le décret wallon du 16 septembre 1985 modifie, pour sa part, le Code fores-
tier. Aux termes de ses dispositions, <<toute aliénation ou tout changement de
mode de jouissance des bois et forêts situés en Région wallonne et appartenant
à des communes ou à des établissements publics sont soumis à une autorisation
du gouvernement wallon·~- La mesure ne risque-t-elle pas d'affecter des com-
munes et des établissements publics relevant d'autres régions? Selon la Cour
d'arbitrage, il ne s'agit pas d'une mesure de<< tutelle administrative·~ mais d'une
forme de <<contrôle sur la destination des bois et forêts appartenant au patri-
moine forestier wallon». Sans qu'il y ait lieu de se demander si la région exerce
ainsi une compétence extraterritoriale, il faut considérer qu'un tel contrôle serait
inefficace s'il ne s'appliquait pas à <<l'ensemble des bois appartenant aux com-
munes et aux établissements publics·~ (10).

B. - Le critère de localisation (suite)


710. - Comme l'ont rappelé les chambres réunies du Conseil
d'Etat (avis L. 24.903/VR, 22 avril 1997), la compétence ratione loci
d'une région s'exerce dans le respect de deux critères dont l' applica-

(9) C.A., no 56/96, 15 octobre 1996, TV, B.7.3.


(10) C.A., no 17/96, 5 mars 1996, V, B.2.2.
LA DISTRIBUTION DES COMPÉTENCES 617

ti on cumulative peut, dans certaines circonstances, s'avérer labo-


rieuse.
D'une part, l'article 39 de la Constitution, jumelé à son article 5,
assigne à chaque région un ressort géographique particulier. Il en
résulte que << les régions ne peuvent prendre des dispositions de droit
interne en ce qui concerne les zones situées en dehors de leur terri-
toire )) (ibid.).
D'autre part, l'article 167 de la Constitution permet à chaque
région de mener une action internationale. << Pour les matières qui
relèvent de (ses) compétences de par la Constitution ou en vertu de
celles-ci )), chaque région est habilitée à mener une politique exté-
rieure spécifique. A cette fin, elle peut notamment prendre des ini-
tiatives ou conclure des accords de coopération internationale avec
d'autres Etats ou leurs composantes.
<< La compétence internationale des régions est, à cet égard, plus

étendue que leur pouvoir de transposition des instruments de droit


international en droit interne)) (ibid.). De par la nature même des
choses, l'action internationale de la région a des répercussions à
l'extérieur du territoire régional, et même du territoire fédéral.
Comment concilier l'interprétation de ces dispositions?
L'on ne saurait considérer que les attributions régionales peuvent
s'exercer sans point de référence géographique dès l'instant où il
s'agit, pour la collectivité régionale, de prendre un engagement
international ou de lui procurer exécution. L'on ne saurait plus
admettre que seules les règles de compétence matérielle doivent à ce
moment être prises en compte. Alors même qu'aux fins de concréti-
ser les engagements internationaux qu'elle a pris, la région peut
intervenir en dehors des limites prescrites aux articles 5 et 39 de la
Constitution, elle doit donner à ses actions et interventions des
caractéristiques telles qu'elles se rattachent à la partie du territoire
fédéral qui est le sien.
La région ne peut agir en dehors des limites du territoire que lui
assigne de manière directe ou indirecte les articles 5 et 39 de la
Constitution que si elle fait choix d'un critère pertinent de rattache-
ment à ce même territoire (11).

(11) Voy. les difficultés soulevées par un projet de loi portant exécution d'un protocole au
traité sur l'Antarctique relatif à la protection de l'environnement.
618 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

C. ~Les situations mixtes


711. ~ Les textes constitutionnels peuvent soulever d'autres
difficultés pratiques. Elles tiennent aux situations mixtes ~ c'est-à-
dire à celles qui peuvent se rattacher, par des éléments distincts, à
plusieurs ressorts territoriaux ~.
La Cour d'arbitrage est saisie très tôt de ce problème. Des décrets
communautaires, en particulier, lui sont déférés. Ils ont pour parti-
cularité d'avoir défini eux-mêmes leur champ d'application. Ils ont
choisi des critères précis de localisation. Le plus souvent, ils ont
retenu des facteurs multiples et alternatifs de rattachement.
La Cour rappelle un principe simple. <<Les dispositions constitu-
tionnelles ont déterminé une répartition exclusive de compétences
territoriales. Un tel système suppose que l'objet de toute norme
adoptée par un législateur communautaire puisse être localisée dans
le territoire de sa compétence, de sorte que toute relation et toute
situation concrète soient réglées par un seul législateur)) ( 12).
La Cour d'arbitrage rejette ainsi résolument le système des com-
pétences territoriales concurrentes. Il faut s'en féliciter sans réserve.
La Cour d'arbitrage ne refuse pas aux communautés de détermi-
ner elles-mêmes des critères de localisation. Mais elle entend que
ceux-ci soient conformes aux prescriptions de la Constitution. Le
contrôle de constitutionnalité s'exercera, s'il échet, <<par rapport
aux dispositions qui attribuent la compétence matérielle et qui
contiennent les éléments sur la base desquels la validité de ces cri-
tères peut s'apprécier)). En effet, estime la Cour, <<la perception de
l'objet, de la nature et éventuellement du but de la compétence
matérielle attribuée est nécessaire pour apprécier exactement la
localisation ~ dans l'aire de compétence fixée par la Constitu-
tion ~ de l'objet de la norme édictée)).

(12) C.A., n"' 9 et 10,30 janvier 1986, n" 17,26 mars 1986 et n" 29, 18 novembre 1986. Voy.,
à ce sujet, F. DELPÉRÉE et A. RASSON-ROLAND, Recueil d'études ... , p. 120; J.-L. VAN BüXTAEL,
<<Constitution et conflits de lois», R.B. D.lnt., 1994, p. 184.
CHAPITRE III
LES CONCOURS DE COMPÉTENCE

712. - Les compétences qui reviennent aux collectivités politi-


ques sont partagées en fonction des matières qui leur reviennent de
plein droit ou qui leur sont attribuées. Des ressorts territoriaux ou
des aires de compétence leur sont également assignés. <<Chacun
maître chez soi>>, selon l'expression consacrée.
Cette séparation rigide des responsabilités et des ressorts exclut-
elle que deux ou plusieurs collectivités politiques entreprennent de
coopérer, mettent leurs missions et leurs moyens en commun, bref
participent à la réalisation du bien public? A cette fin, est-il permis
d'imaginer et de réaliser des concours de compétence?
La Constitution ne marque pas beaucoup d'enthousiasme à l'idée
de tels concours. Faut-il s'en étonner? Elle a établi les règles d'attri-
bution des compétences et des moyens. Va-t-elle admettre que des
autorités constituées dérangent, de leur propre mouvement ou de
manière concertée, l'ordonnancement initial ?
Dans une fédération, en particulier, comment accepter que quel-
ques partenaires remettent en cause ce qui a été accepté par tous ?
Comment préserver tout à la fois l'autonomie et l'égalité des compo-
santes? Comment éviter que, sous couvert de collaboration, les plus
forts n'imposent leur << loi >> aux plus faibles?
Certes, <<fédérer, c'est unir>>. Le pacte fédératif requiert que l'Etat
fédéral et les collectivités fédérées collaborent au sein de l'ensemble
belge. Mais cette concertation doit-elle rester au stade du discours
ou des comportements politiques? Peut-elle aussi prendre le mode
d'accords signés en bonne et due forme ?

713. - L'Etat belge s'ouvre progressivement aux techniques du


fédéralisme coopératif, en ce compris à celle des accords négociés.
Il traduit ainsi une double préoccupation. Celle des collectivités
fédérées qui entendent contribuer à l'exercice effectif des attribu-
tions qui reviennent à l'Etat fédéral. Celle, en sens inverse, de l'Etat
620 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

fédéral qui exprime la volonté de concourir à l'exercice d' attribu-


tions qui sont celles des collectivités fédérées.
La collaboration institutionnelle entre collectivités politiques est inhérente à
la mise en œuvre des techniques fédératives. Elle s'instaure à travers l'aménage-
ment d'institutions publiques qui sont celles de la collectivité générale. Les col-
lectivités particulières sont associées à la gestion d'intérêts qui ne leur sont pas
réservés en propre. Les collectivités fédérées vont participer comme telles à la
conduite des affaires fédérales ... C'est là la meilleure collaboration qui soit. Cette
collaboration ne fait pas obstacle, en effet, à l'exercice de compétences auto-
nomes. Elle ne porte pas préjudice à l'autonomie des collectivités fédérées. Elle
leur permet d'être associées au pouvoir fédéral (<< Quelle coopération entre les
communautés et les régions 1 >>, La Revue politique, 1989, n°' 1-2).

714. - Les formes de coopération sont multiples. Elles gagnent


à être formalisées pour assurer la sécurité des relations juridiques et
pour préserver l'équilibre du système fédératif.
Elles peuvent emprunter les voies de la coopération verticale
(no 715) ou celles de la coopération horizontale (no 717). Dans cette
deuxième hypothèse, il peut s'agir soit d'une coopération conven-
tionnelle, via les accords de coopération (no 718), soit d'une coopé-
ration procédurale (no 728).

SECTION re. - L A COOPÉRATION VERTICALE

715. - La Constitution et la loi spéciale de réformes institution-


nelles prescrivent, sur des points précis, des formes de coopération
verticale. Elles instaurent un étagement des responsabilités de
l'Etat fédéral et des collectivités fédérées dans un même domaine
d'activités.
Cette forme de coopération a ses mérites. Elle s'impose là où l'in-
térêt de l'Etat, pris dans sa globalité, justifie l'adoption de mesures
uniformes ou, en tout cas, suffisamment coordonnées. Elle peut
aussi receler des dangers. Elle apparaît comme la tutelle déguisée
qu'à prétexte de les aider, l'Etat fédéral entend exercer à l'encontre
de collectivités particulières.
En ce sens, la coopération verticale doit demeurer exceptionnelle.
Pour rappel, la règle <<droit fédéral brise droit cantonal>> n'est pas d'applica-
tion en droit belge (n" 666). Les mécanismes du fédéralisme dit administratif ne
sont qu'exceptionnellement mis en œuvre.

716. - L'on retient deux exemples de coopération verticale.


LES CONCOURS DE COMPÉTENCE 621

D'une part, les principes généraux du statut administratif et


pécuniaire du personnel de l'Etat sont applicables aux commu-
nautés et aux régions. Dans les limites qu'ils déterminent, ces der-
nières fixent les règles relatives au statut administratif et pécuniaire
de leur personnel (1. sp., art. 87, §§ 3 et 4).
D'autre part, les normes concernant l'occupation de travailleurs
étrangers sont de compétence fédérale mais leur application est de
compétence régionale (1. sp., art. 6, §1er, IX, 3°).

SECTION Il. ~ LA COOPÉRATION HORIZONTALE

717. ~ La participation peut revêtir d'autres formes. Elle tend,


cette fois, à associer diverses collectivités politiques à une œuvre
commune. Pour ce faire, elle privilégie des formes de participation
que l'on qualifie d'horizontales.
Les composantes ~ qui sont en même temps des coopérantes ~
sont placées sur pied d'égalité avec l'Etat fédéral. Les partenaires
déterminent eux-mêmes les objets, les formes et les modalités de
leur participation.
Le phénomène est significatif à souhait. Malgré leur autonomie
mutuelle et, en même temps, grâce à elle, l'Etat fédéral et les collec-
tivités fédérées prennent conscience de leur interdépendance. Ils
mesurent les connexions qui existent entre leurs compétences res-
pectives. Ils se convainquent que la gestion de la société politique
globale et, en même temps, celle de chacun des sous-ensembles,
requièrent un minimum de collaboration.
A l'instar des Etats de la société internationale qui conçoivent
ensemble la manière de régler leurs problèmes, notamment de fron-
tières, les collectivités politiques ~ fédérale et fédérées ~ qui peu-
plent la Belgique peuvent, si elles le veulent, assurer une gestion
efficace des affaires qui leur sont communes. La qualité de leurs
actions respectives suppose, voire requiert, leur coopération.
La participation horizontale prend, pour l'essentiel, deux formes :
la coopération conventionnelle et la coopération procédurale.

§ 1er. ~ La coopération conventionnelle


718. - La coopération conventionnelle n'est pas instaurée par
la Constitution. Manifestement, cette dernière présente des traits
622 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

plus autonomistes que participatifs. La loi spéciale de réformes ins-


titutionnelles (art. 92bis et 92ter) corrige cette façon de voir.
Elle ne met pas en cause la philosophie qui inspire le partage des
compétences entre l'Etat fédéral, les communautés et les régions.
Elle ne porte pas non plus atteinte aux textes constitutionnels qui
définissent les missions spécifiques de la Cour d'arbitrage et de la
section de législation du Conseil d'Etat. Mais elle se préoccupe d'ins-
taurer des formes souples de coopération entre les diverses collecti-
vités politiques.
L'attribution de compétences exclusives aux collectivités fédérées
tout comme l'octroi de compétences résiduelles à l'Etat fédéral ne
peuvent porter préjudice à la possibilité qui est offerte à tout ou
partie de ces collectivités de conclure entre elles des accords de coo-
pération.
Encore faut-il accepter les effets de la logique institutionnelle qui
est instaurée. Pacta sunt servanda. Les partenaires aux accords de
coopération doivent bon gré mal gré accepter une limitation de leur
autonomie.
719. - Les accords de coopération peuvent se donner trois justi-
fications.
Dans le souci d'assurer une gestion rationnelle et cohérente de
matières d'intérêt communautaire ou régional, des exigences techni-
ques peuvent justifier de premières formes de coopération.
Un accord en bonne et due forme est, par exemple, imposé pour régler l'orga-
nisation des services de taxis dès lors qu'ils étendent leurs activités à plus d'une
région. La conclusion d'un tel accord est facultatif s'il s'agit d'organiser les ser-
vices de location de voitures avec chauffeur, alors même qu'ils se donneraient
la même assise territoriale (1).

Des exigences politiques peuvent également être prises en considé-


ration. Dès l'instant où le fédéralisme s'instaure par voie de disso-
ciation, il est illusoire de compter sur des mécanismes spontanés de
collaboration. Dans la mesure où il repose sur un nombre restreint
de collectivités politiques, il risque également de susciter des rela-
tions antagonistes qu'il sera difficile de dénouer si << le droit positif

(1) C.A., n" 56/96, 15 octobre 1996.


LES CONCOURS DE COMPÉTENCE 623

ne détermin(e) pas un cadre normatif garantissant l'effectivité d'une


coopération et le respect des accords passés>> (2).
Des préoccupations financières ne peuvent non plus être perdues
de vue. Voy., par exemple, l'accord de coopération entre l'Etat
fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de
Bruxelles-Capitale relatif aux attachés économiques et commer-
ciaux régionaux et aux modalités de promotion des exportations
(Mon. b., 26 octobre 1994). Comme le relève Ph. COENRAETS, le
souci a été maintes fois exprimé de mettre, si possible, en commun
des <<crédits budgétaires exagérément fractionnés>> (3).
720. - La plupart des accords de coopération sont facultatifs.
Certains d'entre eux sont néanmoins imposés.
Les articles 92bis, §§ 2 et 3 de la loi spéciale de réformes institu-
tionnelles requièrent la conclusion d'accords obligatoires dans
quatre secteurs distincts.
Le premier est celui de l'hydrologie, de la maîtrise des eaux, des
voies hydrauliques qui excèdent le territoire d'une région et des tra-
vaux dont la mise en œuvre ou l'absence sont susceptibles de causer
un dommage à une autre région.
Le deuxième secteur a trait aux tronçons de route et biefs de
voies hydrauliques interrégionales et les ports situés sur le territoire
de plus d'une région.
Un troisième secteur englobe les services de transports en com-
mun- urbains et vicinaux- et les services de taxis qui s'étendent
sur le territoire de plus d'une région (C.E., L. 21.739/9, 23 décembre
1992).
Quatrième domaine : l'entretien, l'exploitation et le développe-
ment des réseaux de télécommunication et de télécontrôle qui, en
rapport avec le transport et la sécurité, dépassent les limites d'une
région.

(2) A. ALEN et P. PEETERS, '' België op zoek naar een cobperatief Staatsmodel. Over de
samenwerking tussen de Staat, de Gemeenschappen en de Gewesten na de derde Staatshervor-
ming », T.B.P., 1989, p. 351; T. DE Wn.nE n'EsTMAEL, <<Les accords de coopération comme
mécanisme de prévention et de solution des conflits - Présentation de la nouveauté institution-
nelle », in Les conflits d'intérêts. Quelle solution pour la Belgique de demain?, Brugge, La Charte,
1990, p. 98; P. KLEIN,« Un aspect du fédéralisme coopératif horizontal : les accords de coopéra-
tion entre collectivités fédérées>>, Centre d'études du fédéralisme, 1990, p. 18; M. UYTTENDAELE
et Ph. CoENRAETS, <<Les accords de coopération», CH CRISP, 1991, n" 1325.
(3) Ph. CoENRAETS, «Les accords de coopération dans la Belgique fédérale», A. P. T., 1992,
p. 158.
624 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

A. - L'objet de l'accord
721. - Aux termes de l'article 92bis, § P\ alinéa Pr, de la loi
spéciale de réformes institutionnelles, <<l'Etat (fédéral), les commu-
nautés et les régions peuvent conclure des accords de coopéra-
tion ... >> (4).
Ces accords portent notamment - mais pas exclusivement - sur
la création et la gestion conjointe de services et institutions com-
muns, sur l'exercice conjoint de compétences propres ou sur le déve-
loppement d'initiatives en commun.
La Communauté française et la Région wallonne peuvent passer un accord de
coopération aux fins de déterminer les politiques croisées (5) qu'elles mèneront
à frais partagés. Encore faut-il que cet accord n'ait pas pour objet exclusif d'as-
surer << le refinancement » de la Communauté française et de dissimuler un trans-
fert de compétences au profit de la Région wallonne (CE, L. 30.102/2 du 31 mai
2000). Adde :CE, L. 27.681/2, 24 juin 1998 (à propos de l'implantation d'ordina-
teurs dans les écoles wallonnes).

722. - L'article 92bis est rédigé en termes à ce point generaux


que les accords peuvent porter sur les objets les plus divers. C'est
dans cet esprit que la Communauté française et la Région wallonne
ont créé un établissement public doté de la personnalité juridique
qu'elles ont curieusement dénommé <<l'Etablissement>> (6). Elles lui
ont délégué l'exercice conjoint de certaines de leurs compétences
propres. L'Etablissement est habilité à prendre des décisions indivi-
duelles dans trois matières : la tutelle sur les centres publics d'aide
sociale, le transport scolaire et le tourisme (C.E., L. 20.400/9,
3 décembre 1990).
723. - Comme le souligne F. LEURQUIN-DE VISSCHER, la liberté
d'action qui est laissée aux partenaires de l'accord est grande. Elle
n'est pas absolue, cependant. <<Ils sont tenus de respecter les normes
supérieures et notamment les règles constitutionnelles et légales de
répartition des compétences et l'on remarquera, à cet égard, corn-

(4) <• Il faudrait prévoir la possibilité de conclure des accords de coopération- pas seulement
entre l'Etat (fédéral). les communautés et les régions - mais entre toutes les collectivités politi-
ques. Pourquoi une région ne pourrait-elle pas faire un accord avec une commune 1 Pourquoi une
région ne pourrait-elle pas faire un accord avec une province 1 » («Quelle coopération entre les
communautés et les régions 1 >>, Rev. pol., 1989, n''" 1-2).
(5) Cette expression sert à désigner les interventions combinées des autorités communautaires
et régionales dans un même domaine d'activités, pour autant que chacune d'elles trouve un titre
pour prendre en charge ces activités en fonction des compétences matérielles qui lui reviennent
en propre.
(6) Accord de coopération du 17 novembre 1990, Mon. b., 4 mai 1991.
LES CONCOURS DE COMPÉTENCE 625

bien la marge est étroite entre les formes de collaborations inter-


dites, à savoir celles qui impliquent 'un échange, un abandon ou
une restitution de compétences telles qu'elles sont déterminées et
attribuées par la Constitution ou en vertu de celle-ci' et celles qui
sont permises et qui tiennent, par exemple en 'l'exercice conjoint de
compétences propres'. Dans certains cas également des principes
directeurs fixés par le législateur spécial lui-même viennent res-
treindre la latitude des parties à l'accord. Mais ces contraintes mises
à part, la conclusion des accords de coopération par les gouverne-
ments concernés se fait sans qu'une législation de base n'en fixe les
règles et les procédures. On ne peut que (le) regretter ... >> (7).
Adde :C.E., L. 26.784/2, 19 novembre 1997: «L'accord de coopération ... doit
être négocié et conclu dans le respect des règles de compétence assignées à l'au-
torité fédérale et à chacune des communautés et des régions».

B. - L'élaboration de l'accord
724. - Les accords de coopération sont négociés et conclus par
l'autorité compétente - l'expression s'entend au pluriel pour tenir
compte de la pluralité des partenaires - .
·Il est précisé - par analogie avec une version antérieure de l'ar-
ticle 167 de la Constitution - que <<les accords qui portent sur les
matières réglées par décret, ainsi que les accords qui pourraient gre-
ver la communauté ou la région ou lier des Belges individuellement,
n'ont d'effet qu'après avoir reçu l'assentiment par décret>>. De la
même manière, << les accords qui portent sur les matières réglées par
la loi, ainsi que les accords qui pourraient grever l'Etat ou lier indi-
viduellement des Belges individuellement, n'ont d'effet qu'après
avoir reçu l'assentiment par la loi >> fédérale (l. sp., art. 92bis, § 1er,
al. 2) (8).
<<A peine de priver, sans justification perceptible, l'article 92bis (de la loi spé-
ciale de réformes institutionnelles) d'une part importante de sa portée, il faut
admettre que la force obligatoire de la loi ou du décret d'approbation d'un
accord de coopération s'étend à celui-ci, comme celle de l'arrêté royal qui
approuve une convention collective de travail confère à cette convention sa

(7) F. LEURQUIN-DE VtsRCHER, "Les règles de droit>>, in La Belgique fédérale ... , p. 220.
(8) L'exigence de l'assentiment législatif se comprend aisément. Comme le relève R. ANDER-
SEN(« Les compétences des institutions bruxelloises», in La Région de Bruxelle8-Capitale, p. 260),
les accords de coopération contiennent des mesures <<qui, en leur absence, ne pourraient être
adoptées que par le législateur national, régional ou communautaire>>. Adde : R. ERGEC. «Le
droit international et les conflits au sein de l'Etat fédéral», R. D.l.C., 1987, p. 3:3:l.
626 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

propre force obligatoire, bien qu'elle ne soit pas, à proprement parler, un acte
de même nature juridique>> (C.E., L. 19.366f9bis, 6 novembre 1989).

Le législateur spécial rapproche les modes d'élaboration d'un


accord de coopération de ceux d'un traité international, au sens de
l'article 167 de la Constitution. D'où il résulte que l'accord conclu
est soumis à une procédure d'assentiment.
Voy., par exemple, l'important accord de coopération du 8 mars 1994 qui a
été conclu entre l'Etat fédéral, les communautés et les régions sur les modalités
de conclusion des traités mixtes. L'assentiment à cet accord a été donné par la
loi fédérale du 20 août 1996, l'ordonnance du 11 janvier 1996, le décret flamand
du 19 mars 1996, le décret de la Communauté française du 18 mars 1996, le
décret germanophone du 10 juin 1996 et le décret wallon du 20 juin 1996.

Les accords de coopération sont appelés - après avoir été


approuvés, le cas échéant, par le législateur concerné - à s'intégrer
dans l'ordre juridique de l'Etat fédéral, de la communauté ou de la
région qui les a conclus (9).

O. -L'autorité de l'accord
725. - Pour autant qu'il ait été dûment approuvé, un accord de
coopération peut être soumis à la censure de la Cour d'arbitrage. La
loi fédérale ou le décret d'assentiment peut être annulé ou déclaré
non valide (10). Avec cette conséquence précise : <<Sans porter
atteinte à la validité de l'accord, (l'arrêt de la Cour d'arbitrage)
viendra néanmoins frapper son efficacité : il sera inapplicable dans
l'ordre juridique concerné ou, s'il s'agit d'une décision rendue sur
question préjudicielle, au litige qui a donné lieu à recours>> {11).
726. - L'article 92bis, § 5, de la loi spéciale de réformes institu-
tionnelles dispose que les litiges nés de l'interprétation ou de l'exé-
cution des accords de coopération - pour autant qu'ils soient obli-

(9) M. UYTTENDAELE considère que<< les accords de coopération s'analysent comme des traités
de droit interne». Il observe qu'ils <<peuvent, selon le cas, revêtir la forme d'une norme législative
ou d'une norme réglementaire mais, en tout état de cause, il ne peuvent être modifiés que de l'ac-
cord des parties qui les ont conclus ». Il en déduit - mais la conclusion n'est-elle pas abusive? -
que les accords de coopération <<se situent dans la hiérarchie des normes au-dessus des normes
prises par chaque autorité pour ce qui la concerne» (op. cit., p. 982). Comp. Ph. COENRAETS, op.
cit., p. 167 : <<La valeur juridique des accords approuvés ne peut être définie que par rapport à
la norme d'approbation. S'agissant de normes législatives, on peut en conclure, par application
de la théorie de l'absorption, qu'un accord approuvé se situe au même niveau que la loi (fédé-
rale), le décret ou l'ordonnance, à la seule différence près qu'il ne peut être modifié unilatérale-
ment par l'une de ces trois normes >>.
(10) F. LEURQUIN-DE VISSCHER, op. cit., p. 222.
(11) Ibid.
LES CONCOURS DE COMPÉTENCE 627

gatoires - sont tranchés par des juridictions spécialement insti-


tuées à cette fin. Les articles 124bis de la loi spéciale de la Cour
d'arbitrage et 14bis, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil
d'Etat excluent, par ailleurs, l'intervention du juge constitutionnel
et du juge administratif pour connaître de la violation de tels
accords.
Adde : la loi du 23 janvier 1989 sur la juridiction visée aux arti-
cles 92bis, §§ 5 et 6, et 94, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de
réformes institutionnelles. << Il est constitué, pour chaque accord de
coopération... une juridiction dénommée 'juridiction de coopéra-
tion', seule compétente pour statuer sur les litiges ~> nés de la mise
en œuvre de cet accord.
727. ~ La coopération entre l'Etat, les communautés et les régions est un
enfer pavé des meilleurs intentions. Chacun s'accorde pour dire : <<Embrassons-
nous Folleville>~. Quand il s'agit de passer aux actes, le constat est moins clair.
Les promesses se sont évanouies, les vœux ne sont pas suivis d'effet, les efforts
accomplis trébuchent devant la difficulté de l'entreprise. C'est dire que le fédéra-
lisme coopératif a des limites.
Sur la pratique des accords de coopération, voy. en particulier Ph. COEN-
RAETS, <<Les accords de coopération dans la Belgique fédérale>~, A.P.T., 1992, ici
p. 177.
A défaut d'accord ~ et en dehors des quelques cas de coopération obliga-
toire~, nul mécanisme ne peut imposer une solution à l'Etat fédéral, aux com-
munautés et aux régions qui ne sont pas en mesure de s'entendre. Moyennant
accord, des formes de coopération peuvent s'esquisser. Il faut souhaiter que la
lourdeur des procédures mises en œuvre ne compliquent pas outre mesure la
tâche des partenaires.

§ 2. - La coopération procédurale
728. - La coopération entre l'Etat fédéral, les communautés et
les régions postule le respect de prescriptions de procédure qui sont
imposées aux différents partenaires. Elle commande l'exercice de la
fonction normative et réglementaire qui peut être assumée dans ces
collectivités politiques.

A. - Le régime juridique des procédures


729. - La Constitution ne traite pas des formes de la coopéra-
tion procédurale. Voy. cependant, dans le domaine des relations
internationales, les dispositions de l'article 167, § 5, de la Constitu-
tion : << Le roi peut dénoncer les traités conclus avant le 18 mai
628 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

1993 et portant sur les matières (communautaires et régionales),


d'un commun accord avec les gouvernements de communauté et de
région>>.
La loi spéciale de réformes institutionnelles ainsi que la loi spé-
ciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés
et des régions instaurent, par contre, un ensemble de mécanismes
qui conduisent l'Etat fédéral, les communautés et les régions à se
rencontrer, avec des intensités variables, dans l'exercice de leurs
compétences respectives.
La coopération procédurale contribue à instaurer l'exercice
conjoint de responsabilités qui a priori pouvaient paraître distinctes
et semblaient vouer à le demeurer. Elle peut favoriser ~ pour
autant que les partenaires le comprennent de cette manière ~ des
formes actives de coopération horizontale.
Les techniques auxquelles le législateur spécial impose de recourir
sont diverses ~ information, proposition, accord, autorisation, avis
conforme ... ~ (12). Toutes relèvent de la coopération obligatoire.
Elles sont conçues comme des formalités auxquelles il convient de
recourir pour faire œuvre utile dans certains domaines de l'action
fédérale, communautaire ou régionale.

B. ~ Les formes et procédures

730. ~ Sans prétendre faire œuvre exhaustive, l'on fournit ici


quelques exemples de l'application des exigences de la coopération
procédurale. Elles commandent largement l'œuvre de confection des
lois fédérales, décrets, ordonnances et règlements (no 739).
731. ~ Il y a, d'abord, la procédure d'information.
Comme le relève M.-A. LEJEUNE, la loi spéciale de réformes insti-
tutionnelles contient elle-même plusieurs obligations d'informa-
tion (13). Celle-ci repose sur la transmission d'une information. Elle
ne donne pas lieu, par contre, à échange de vues entre les autorités
concernées.

(12) Pour une étude détaillée de ces mécanismes, voy. M.-A. LEJEUNE, <<Les mécanismes de
prévention des conflits d'intérêts>>, in Les conflits d'intérêts ... , pp. 50 et s.
(13) M.-A. LEJEUNE, op. cil., p. 51.
LES CONCOURS DE COMPÉTENCE 629

''Les (gouvernements) de communauté informent l'autorité nationale compé-


tente de leurs décisions en matière d'agréation, de fermeture et d'investisse-
ments>> concernant la politique de dispensation de soins (1. sp., art. 5, § 2);
Les gouvernements régionaux informent les autorités fédérales compétentes de
la gestion des intercommunales de distribution de gaz et d'électricité (1. sp.,
art. 6, § 6);
Selon l'article 16, § 2, de la loi spéciale de réformes institutionnelles, dès l'ou-
verture des négociations en vue de toute révision des traités européens, les parle-
ments de communauté et de région doivent en être informés. Ils ont également
connaissance du projet de traité avant la signature. Dans la mesure où les collec-
tivités fédérées ont le droit de représenter l'Etat belge chaque fois que l'exercice
de leurs compétences est en jeu, la participation à ces discussions fait, chaque
fois, l'objet d'un accord de coopération ad hoc. Voy. aussi les dispositions de l'ac-
cord de coopération, conclu le 8 mars 1994 entre l'Etat fédéral, les communautés
et les régions, relatif: aux modalités de conclusion des traités mixtes (n° 671).
Voyez également l'article 49, § 3, de la loi spéciale de financement selon lequel
'' les communautés et les régions peuvent émettre des emprunts privés en francs
belges sur le marché belge des capitaux ainsi que des titres à court terme en
francs belges après en avoir informé le ministre des Finances».

732. - La loi spéciale de réformes institutionnelles recourt éga-


lement à la procédure de l'avis préalable. C'est après avis des gou-
vernements de communauté et de région et délibération du conseil
des ministres qu'est pris l'arrêté royal qui désigne ceux des principes
généraux de la fonction publique qui seront applicables de plein
droit au personnel des communautés, des régions et des personnes
morales de droit public qui en dépendent (l. sp., art. 87, § 4).

733. - L'article 6, § 4, de la loi spéciale de réformes institution-


nelles prescrit que les gouvernements de communauté et de région
soient associés à l'élaboration de règlementations fédérales en
matière de normes de produits et de transit des déchets, à l'élabora-
tion des règles de police générale et de la réglementation relatives
aux communications et aux transports ainsi qu'aux prescriptions
techniques relatives aux moyens de communication et de transport,
à l'élaboration des règles relatives à l'organisation et à la mise en
œuvre de la sécurité de la circulation aérienne sur les aéroports
régionaux et les aérodromes publics, à l'élaboration du plan d'équi-
pement national du secteur de l'électricité ainsi qu'à l'élaboration
de disposition fédérales sur la protection civile.
Selon la section de législation du Conseil d'Etat, << associer un
organe à l'élaboration d'un règlement implique non seulement l'ac-
tion de recevoir et d'examiner d'éventuelles suggestions mais, en
-------------------------------------------------

630 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

outre, celle d'en débattre avec lui, c'est-à-dire au moins de lui expo-
ser avant de prendre la décision, les raisons pour lesquelles il n'est
pas jugé opportun de les suivre, si tel est le cas, de sorte que cet
organe puisse obtenir une garantie que son point de vue ne sera pas
écarté sans motif admissible>> (avis L. 24.106/9, 29 novembre 1995
et 25.624, 27 janvier 1997) (14).
Il est généralement admis que la procédure d'association ne peut se limiter à
une réunion du comité de concertation à laquelle ne participent, comme le veut
la loi, que certains membres des gouvernements concernés. Elle doit consister en
des échanges de vues sur un texte préalablement communiqué à ces gouverne-
ments et sur lesquels ceux-ci doivent, en tant que tels et en pleine connaissance
de cause, avoir eu l'occasion de se prononcer.
La procédure prescrite vaut en toutes circonstances -- que le texte en prépa-
ration prenne la forme d'un avant-projet ou d'une proposition -- (Doc. parl.,
Chambre, sess. ord. 1996-1997, n" 748(2, avis L. 26.311(9, 7 mai 1997). Force est,
cependant, de constater que les règlements des chambres législatives restent en
défaut de préciser la manière et le moment pour organiser une telle association
lorsque le texte est d'origine parlementaire.
Le fait que la réglementation soit élaborée dans un traité international ne dis-
pense pas l'Etat fédéral de l'obligation de respecter la formalité de l'association.
Comme l'a souligné la Cour d'arbitrage,<< le Constituant, qui interdit que le légis-
lateur adopte des normes législatives internes contraires aux normes visées à
l'article 142 de la Constitution, ne peut être censé autoriser ce législateur à le
faire indirectement par le biais de l'assentiment donné à un traité international 1>
(C.A., n" 12/94, 3 février 1994, V.B.4.).
Comme l'a relevé, pour sa part, la section de législation du Conseil d'Etat,<< la
loyauté fédérale implique qu'aucune des parties ne puisse paralyser, par son
inertie, l'adoption d'une loi 1> fédérale (C.E., L. 25.093/9 et L. 25.094/9, 25 avril
1996, Doc. parl., Chambre, s. o. 1995-1996, no 577/1, p. 11).<< Encore faut-il, pré-
cise-t-elle, qu'il ressorte effectivement de la procédure suivie qu'une véritable
association a été réalisée. Ceci implique, à tout le moins, d'une part, qu'aucune
des parties ne soit placée devant des textes déjà entièrement élaborés et, d'autre
part, que la possibilité d'en délibérer dans des délais raisonnables lui ait été lais-
sée 1> (ibidem).

734. -- <<Dans les lois spéciales du 8 août 1980 et du 16 janvier


1989, l'on rencontre, écrit M.-A. LEJEUNE, deux types de concerta-
tion. D'une part, celle à laquelle doit se livrer une autorité qui est
et qui demeure exclusivement compétente, mais qui doit, avant de
se décider, 'se concerter' avec d'autres autorités; d'autre part, celle
qui intervient entre plusieurs autorités, chacune compétente dans

(14) C.E., no 31.587, 14 décembre 1988, Région wallonne. J.L.M.B., 1988, p. 551, note
B. HAUBERT, <<La prévention des conflits d'intérêts entre les différentes composantes de l'Etat
belge · la notion d'association». Adde M.-A. LEJEUNE, op. cit., p. 57.
LES CONCOURS DE COMPÉTENCE 631

son domaine, et dont le but est de permettre une certaine coordina-


tion de leurs politiques respectives f) (15).
<<La concertation a pour but d'obliger l'autorité investie du pouvoir de déci-
sion à prendre en considération l'opinion d'une autre autorité ... sans toutefois
que l'autorité compétente pour décider perde sa liberté d'agir ... Elle n'a de sens
que si elle intervient avant la décision» ( 16). Elle peut s'instaurer au sein du
comité de concertation mais peut également être établie en dehors de pareille
institution.
~ La loi spéciale de réformes institutionnelles prescrit cette concertation
dans un ensemble de domaines que définit l'article 6, § 3 : << 2° ... toute mesure
au sujet de la politique de l'énergie ... ; 3° ... les grands axes de la politique énergé-
tique nationale; 4 °... les normes techniques minimales de sécurité relatives à la
construction et à l'entretien des routes, des ports, des voies hydrauliques, des
digues, des aéroports et des aérodromes; 5" ... les travaux à réaliser en faveur
des institutions européennes et internationales; 6° ... le trafic aérien sur les aéro-
ports régionaux et les aérodromes publics ainsi que ... les droits y afférents >f;
-- La loi spéciale du 16 janvier 1989 requiert que l'autorité fédérale se
concerte avec les gouvernements de communauté et de région dans les domaines
qu'elle énumère -- on en trouve une liste dans l'étude de M.-A. LEJEUNE sur
<<Les mécanismes de prévention des conflits d'intérêts >f -·-;
~ La loi spéciale de réformes institutionnelles prescrit encore une telle
concertation dans les matières que l'article 6, § 3bis, énumère : << 1o l'échange
d'informations entre les services de formation, de chômage et de placement,
ainsi que les initiatives concernant les programmes de remise au travail des chô-
meurs; 2° le planning, la fonctionnalité et la compatibilité des réseaux d'auto-
routes et des voies hydrauliques; 3° la coopération entre les chemins de fer,
d'une part, et les sociétés de transport urbain et vicinal, d'autre part, en vue de
la coordination et de la promotion du transport public; 4 o la détermination et
la bonne fin des mesures qui peuvent être prises à l'égard des mineurs ayant
commis un fait qualifié d'infraction; 5" les mesures qui ont une incidence sur la
politique agricole »;
-·- La loi spéciale de réformes institutionnelles prescrit une concertation entre
les gouvernements régionaux concernés ~ mais sans intervention, cette fois, de
l'autorité fédérale ~ dans trois domaines · << 1o les dispositions spécifiques rela-
tives aux forêts situées sur le territoire de plus d'une région; 2° l'ouverture et
la fermeture de la chasse, de la tenderie et de la pêche fluviale; 3" les nappes
d'eau s'étendant sur plus d'une région >f (1. sp., art. 6, § 2);
Même s'il n'entend régler la circulation que dans la partie des bois et forêts
qui est située en Région wallonne, un décret wallon ne saurait être pris sans
concertation préalable avec les autres régions dès l'instant où ces bois et forêts
débordent sur leur territoire (C.A., n° 68/96, 25 novembre 1996).
~ La loi spéciale de réformes institutionnelles précise encore que l'autorité
fédérale se concerte avec les gouvernements concernés dans le domaine des rela-

(15) M.-A. LEJEUNE, op. cit., p. 60.


(16) C.A., n" 2/92, 15 janvier 1992.
632 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

tions internationales. La concertation concerne la préparation des négociations


et des décisions, ainsi que le suivi des activités des institutions européennes, rela-
tives à la politique agricole (1. sp., art. 6, § 2bis);
- La loi spéciale du 16 janvier 1989 de financement des communautés et des
régions prescrit également des concertations. << En raison de l'incidence, sur le
produit de l'impôt régional, qu'est le précompte immobilier, d'une mesure rela-
tive à la base d'imposition des revenus des biens immobiliers, la loi spéciale ...
subordonne la définition de la base d'imposition du précompte immobilier à l'ac-
cord des gouvernements régionaux >> ( 17); si cette formalité n'a pas été respectée,
la disposition législative doit être annulée.
<< La Belgique est un Etat fédéral. Partant, il est impossible que son ordonnan-

cement juridique échappe complètement aux tensions entre l'égalité constitu-


tionnelle et le fédéralisme. Les législateurs concernés peuvent néanmoins tenter
de réduire, en fait, ces tensions en se concertant entre eux et en adoptant des
mesures convergentes, ceci notamment en vue de préserver l'union économique
et monétaire ... En Belgique, la concertation sur la politique fiscale prévue à l'ar-
ticle 8 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des commu-
nautés et des régions pourrait servir de cadre à la conception coordonnée de
cette réforme globale. Une telle concertation s'avère d'autant plus nécessaire
qu'il y va de la sauvegarde des recettes fiscales, menacées qu'elles seraient dans
leur existence même par la survenance d'une spirale de mesures de défiscalisa-
tion concurrentes. La menace est réelle en matière d'impôt successoral où le cri-
tère de rattachement est déterminé par 'l'endroit où la succession s'est ouverte',
c'est-à-dire par un critère sur lequel les intéressés ont prise>> (C.E., L. 27.082/4,
18 novembre 1997).

735. - Dans certains cas, l'autorité fédérale ne peut intervenir


que moyennant l'accord des autorités communautaires ou régio-
nales. C'est le cas notamment lorsque le législateur fédéral entend
fixer le revenu cadastral qui est la base d'imposition du précompte
immobilier ( 18) ou lorsqu'il détermine les règles générales relatives
aux plafonds des aides aux entreprises en matière d'expansion éco-
nomique (19).
Adde : <<Le roi règle, par arrêté délibéré en conseil des ministres,
pris de l'accord des gouvernements compétents, la représentation
des communautés et des régions, selon le cas, dans les organes de
gestion ou de décision des institutions et organismes nationaux,

(17) C.A., n" 74/96. Il décembre 1996.


(18) Comme le précise l'arrêt n" 12/96 du 5 mars 1996, ''en réservant au législateur fédéral..
le pouvoir, en matière de précompte immobilier, de 'fixer la base d'imposition', le législateur spé-
cial a voulu éviter qu'il soit porté atteinte à la manière uniforme dont l'administration du
cadastre procède pour fixer le revenu cadastral de tous les biens immobiliers sis en Belgique,
conformément aux articles 4 72 et suivants du C. 1. R 1992 >>.
(19) C.A., n" 70/96, Il décembre 1996, (a contrario).
LES CONCOURS DE COMPÉTENCE 633

notamment consultatifs et de contrôle, qu'il désigne~> (1. sp.,


art. 92ter, al. PT
736. - Conçue comme un acte de tutelle administrative, l'ap-
probation ne saurait être qu'exceptionnelle dans l'aménagement du
statut des collectivités fédérées. Comme le relève à bon e·scient M.-
A. LEJEUNE, l'article 49 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 retient,
cependant, à trois reprises, cette façon de procéder.
- Les conditions et le calendrier d'émission de chacun des emprunts que les
communautés et les régions peuvent émettre sur le marché belge des capitaux
sont soumis à l'approbation du ministre des Finances.
- Les communautés et les régions peuvent émettre des emprunts en francs
belges en dehors de la Belgique ou des emprunts en devises avec l'approbation
du ministre des Finances. L'approbation est requise pour chaque emprunt.
- Les emprunts privés que les communautés et les régions, ainsi que les orga-
nismes d'intérêt public qui en dépendent, veulent émettre en francs belges sur
le marché belge des capitaux ainsi que l'émission de titres à court terme en
francs belges en Belgique sont soumis à l'approbation du ministre des Finances.

737. - Le mécanisme de l'avis conforme apparaît à l'article 80


de la loi spéciale de réformes institutionnelles : l'avis conforme du
gouvernement régional wallon ou du gouvernement flamand est
requis préalablement à toute délibération en conseil des ministres
sur un avant-projet de loi ou un arrêté royal portant fusion de com-
munes wallonnes ou flamandes.
<< On le retrouve aussi dans la loi spéciale de financement qui pré-

voit que la liste des biens visés à l'article 57 et qui sont transférés
aux communautés et aux régions 'est dressée par arrêté royal déli-
béré en conseil des ministres, de l'avis conforme des gouvernements
de communauté et de région' (art. 57, § 4, al. 2) ~> (20).
738. - La technique de la proposition est également utilisée.
Elle peut être le fait du gouvernement fédéral ou celui des gouver-
nements fédérés.
En matière de recherche scientifique, le gouvernement fédéral
peut proposer aux gouvernements de communauté et de région de
collaborer à des actions et programmes de recherche qu'il entend
poursuivre, notamment au plan international, dans des domaines de
compétence communautaire ou régionale (1. sp., art. 6bis, § 3, al. 2).

(20) M.-A. LEJEUNE, op. cit., p. 76.


634 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

En matière d'expansion économique, notamment, le conseil des


ministres peut octroyer la garantie de l'Etat. Il ne peut le faire,
cependant, que sur la proposition du gouvernement régional
concerné (l. sp., art. 6, §1er, VI, al. 2, 2°).

C. - Les formes substantielles


739. - Des conséquences précises découlent de l'instauration de
telles formalités.
Les formalités prescrites se présentent comme autant de forma-
lités substantielles qui doivent être accomplies à l'occasion de l'élabo-
ration de lois fédérales, de décrets, d'ordonnances, de règlements ou
d'actes administratifs.
Il s'agit de formalités préalables à la saisine de la section de légis-
lation du Conseil d'Etat. Si elles n'ont pas été accomplies ou si elles
ne l'ont été qu'imparfaitement, l'organe de consultation constitu-
tionnelle constatera que <<le dossier n'est pas en état)).
Si ces procédures sont prescrites pour l'élaboration de normes
législatives, elles sont assimilées à des règles de compétence (l. sp.,
6 janvier 1989, art. 124bis). Elles peuvent, à ce titre, justifier une
intervention de la Cour d'arbitrage.
Si elle sont imposées pour l'élaboration d'actes ou de règlements,
l'article 14bis des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat précise que,
<< pour l'application (de ces lois), sont considérées comme des formes
substantielles, les concertations, les associations, les transmissions
d'informations, les avis, les avis conformes, les accords, les accords
communs... et les propositions qui concernent les relations entre
l'Etat (fédéral), les communautés et les régions et qui sont prévus
par ou en vertu des lois prises en exécution des articles... de la
Constitution )) (qui définissent les attributions respectives des corn-
munautés, des régions et des commissions communautaires).
Seuls l'Etat fédéral, les communautés, les régions et la Commis-
sion communautaire commune (21) peuvent se prévaloir de la viola-
tion des formes substantielles et demander au Conseil d'Etat de pro-
noncer la suspension ou l'annulation du règlement ou de l'acte
administratif incriminé.

(21) La Commission communautaire française, curieusement, n'est pas visée.


LES CONCOURS DE COMPÉTENCE 635

Si la procédure d'accord débouche sur un accord de coopération


en bonne et due forme - que cet accord soit obligatoire ou faculta-
tif - , des règles particulières de contentieux sont prescrites
(n° 726). L'article 14bis des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat
ne trouve pas à s'appliquer.
CHAPITRE IV
LA DISTRIBUTION DES MOYENS

740. - La loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au finance-


ment des communautés et des régions (l. sp. fin.) organise<< un véri-
table système de financement des collectivités fédérées >> ( 1). Elle
établit la règle de leur autonomie financière (2). Elle entend instau-
rer un traitement égalitaire entre ces différentes collectivités.
Le Conseil d'Etat rappelle, à ce propos, l'arrêt de la Cour d'arbitrage no 13/91
du 28 mai 1991 selon lequel les principes d'égalité et de non-discrimination ne
s'appliquent pas seulement aux citoyens mais aussi aux collectivités politiques,
en l'occurrence aux communes. Il en déduit que des différences de traitement
entre communautés ou entre régions ne seraient compatibles avec ces principes
que pour autant qu'elles puissent se fonder sur des critères objectifs et perti-
nents qui tiennent compte de la situation spécifique de certaines collectivités
politiques et des tâches qu'elles doivent remplir (Doc. parl., Sénat, sess. ord.
1992-1993, n° 558-1, documents 13A et 13B et avis L. 22.410/1, 10 mai 1993).

Ce qui implique la possibilité pour les communautés et les régions


de se procurer, ou à tout le moins de disposer de ressources propres
(nos 742 s.) et de ressources dérivées (nos 748 s.). Ce qui postule
aussi la faculté d'exécuter sans réserve les dépenses qui sont néces-
saires à la réalisation des politiques qui ont été décidées de manière
autonome. Le droit d'établir librement son budget et celui d'arrêter
les comptes y afférents vont de pair avec l'exercice de ces compé-
tences (sur ces questions, voy. Le système constitutionnel de la Bel-
gique, n°" 498 s.).

(1) J. LE BRUN,'' La répartition des moyens», in La Constitution fédérale du 5 mai 1993 ... ,
p. 199.
(2) La Communauté germanophone trouve les règles de son financement dans une loi ordi-
naire et non dans une loi spéciale. Les moyens financiers qui lui sont alloués le sont, pour l'essen-
tiel, par la voie d'une dotation, c'est-à-dire d'un crédit à charge du budget national (art. 56, 2"
et 58 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germano-
phone). A partir de 2001, cette dotation sera ajustée pour tenir compte de l'évolution de la popu-
lation âgée de moins de 18 ans. La Communauté dispose, par surcroît, du droit de lever l'impôt
(Coust., art. 170, § 2). Elle bénéficie également de recettes fiscales et non fiscales. Elle peut
contracter des emprunts (art. 56 à 60ter de la loi du 31 décembre 1983). Comme le précise l'ar-
ticle 176, alinéa 2, de la Constitution, la Communauté germanophone est maîtresse de'' l'affecta-
tion de ses recettes ». Elle le fait par décret.
LA DISTRIBUTION DES MOYENS 637

La rédaction de la loi spéciale de financement est complexe. Les


auteurs de la loi se sont, en effet, souciés de déterminer quelle pour-
rait être- dans les années à venir- l'évolution des moyens finan-
ciers qui seraient mis à la disposition des collectivités fédérées.
Le même instrument juridique se préoccupe de conjuguer le prin-
cipe de l'autonomie financière des collectivités fédérées et celui de
leur nécessaire solidarité (no 751).

SECTION Fe. - LES RESSOURCES PROPRES

741. - Au sens de la loi spéciale de financement, les ressources


propres s'entendent des moyens financiers que les communautés et
les régions peuvent se procurer elles-mêmes. Elles sont de divers
ordres. La Constitution ou la loi spéciale de financement fournis-
sent, pour chacune de ces catégories de ressources - les impôts, les
taxes et redevances, les emprunts - un titre particulier de compé-
tence.

§ pr. - Les impôts

A. - Le pouvoir de lever l'impôt


742. - Comme le soulignent J. LE BRUN et A. NottL, << l'autono-
mie fiscale des (collectivités) fédérées - c'est-à-dire le pouvoir de
lever l'impôt de manière autonome - est considérée dans la théorie
du fédéralisme financier, comme une composante indispensable du
pouvoir politique de celles-ci. La fiscalité est le pouvoir majeur de
création de ressources pour la couverture des charges liées à une
politique propre~>.
L'Etat fédéral a toujours levé l'impôt. Il continue à le faire, que
ce soit pour le financement de politiques fédérales ou pour celui
d'actions poursuivies par les autorités communautaires et régionales
(n° 8 748 s.).
La région peut lever l'impôt. Ce pouvoir lui est reconnu par la
Constitution- l'on ne saurait, en effet, oublier que les dispositions
de la loi spéciale de financement sont formulées << sans préjudice de
l'article 170, § 2 de la Constitution~>-. Il s'exerce, selon une expres-
sion consacrée encore qu'équivoque, de manière autonome (C.A.,
638 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

no 47, 25 février 1988). Autrement dit, il n'est pas tributaire des


compétences matérielles que la région exerce par ailleurs (3).
<<On constate cependant, en pratique, que l'assiette des impôts des collecti-
vités fédérées ëst souvent liée à leurs compétences matérielles. Les impôts régio-
naux frappent, par exemple, la production, le ramassage ou le traitement des
déchets, les captages d'eau, la pollution des eaux de surface, le déversement des
eaux usées, les excédents d'engrais, l'extraction de graviers, les taudis et les
immeubles>> (E. WILLEMART, Les limites constitutionnelles du pouvoir fiscal,
Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 29).
L'exercice par les régions de leur compétence fiscale, notamment en dehors du
ressort territorial que leur assigne l'article 5 de la Constitution, a suscité
d'amples discussions. Voy. P. V AN ÛRSHOVEN, << De fiscale aspecten van de
vierde Staatshervorming >>,in A. ALEN et L.P. SuETENS (éd.), Het federale België
na de vierde Staatshervorming. Een commentaar op de Nieuwe Grondwet en haar
uitvoeringswetten, Brugge, Die Keure, 1993, p. 108.
En vertu du principe constitutionnel du consentement à l'impôt,
un acte de nature législative - soit un décret ou, en ce qui concerne
la Région bruxelloise, une ordonnance - doit établir un tel impôt.
Encore convient-il que <<l'exercice par ... une région de la compétence fiscale
propre qui lui a été attribuée ne porte pas préjudice à la conception globale de
l'Etat, telle qu'elle se dégage des révisions successives de 1970, 1980, 1988 et
1993 ainsi que des lois spéciales et ordinaires déterminant les compétences res-
pectives de l'Etat (fédéral), des communautés et des régions>> (4).

La communauté peut également lever l'impôt (5). Elle aussi dis-


pose en ce domaine d'une compétence autonome. L'on ne peut,
cependant, manquer de relever les problèmes délicats que soulève la
détermination du champ d'application des décrets communautaires
qui seraient pris en matière fiscale (6). La question a perdu une

(3) A. ALEN, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Kluwer, 1995, n" 814 c.
(4) Conformément à article 170, § 2, c'est au législateur décrétai et à lui seul qu'il appartient
d'établir les éléments qui concourent à la détermination de la dette fiscale exigible des rede-
vables. Les délégations au gouvernement ne peuvent porter que sur des points secondaires. S'il
s'était agi d'une redevance, il aurait suffi, pour satisfaire aux dispositions de l'article 173 de la
Constitution, que le législateur décrétai détermine les cas dans lesquels une rétribution est due,
le gouvernement étant chargé du reste. La distinction entre impôt et redevance est encore impor-
tante à d'autres points de vue. Le pouvoir fiscal des collectivités fédérées est limité par la loi
fédérale- ce qui n'est pas le cas en matière de rétributions- (R. ANDERSEN et P. NIHOUL, «Le
Conseil d'Etat. Chronique de jurisprudence 1994 •>, R.B. D.C., 1995, p. 203).
(5) J.-CI. ScHOLSEM, «Le refinancement de la Communauté française>>, in La Constitution
fédérale du 5 mai 1993, p. 232; Ch. BRICMAN, << Les nouveaux mécanismes de financement •>, in Les
réformes institutionnelles de 1993. Vers un fédéralisme achevé?, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 196.
(6) CE, L. 21.104/2/V du 28 août 1991 : «L'attribution d'une véritable compétence fiscale à
la Communauté française et à la Communauté flamande pose un problème juridique important
qui tient, pour l'essentiel, à l'absence de 'sous-nationalités', en Belgique, en général, et dans la
région bilingue de Bruxelles-Capitale, en particulier». Sur le même thème, J.-CI. ScHOLSEM, op.
cit., p. 227.
LA DISTRIBUTION DES MOYENS 639

une grande partie de son acuité depuis que les milieux politiques
ont décidé de ne pas rendre << exécutable f> la compétence fiscale
propre dont les communautés sont dotées sur la base de l'ar-
ticle 170, § 2, alinéa 1er, de la Constitution, du moins en ce qui
concerne les Communautés française et flamande, et de résoudre par
d'autres procédés le problème du financement de l'enseignement de
la Communauté française (7). Malgré tout, le texte constitutionnel
demeure.

B. - La prééminence fédérale

743. - La Constitution instaure en matière fiscale une véritable


hiérarchie des normes législatives - qui rompt avec le système des
compétences exclusives qui prévaut ailleurs (no 459) - . L'Etat
fédéral, les communautés et les régions disposent, de manière
concurrente, du droit de lever l'impôt. Mais la prééminence fédérale
est nettement affirmée en ce domaine. << La Constitution charge le
législateur fédéral d'assurer, en fonction des nécessités, la régulation
de la fiscalité des entités fédérées et organise en conséquence le par-
tage de la compétence fiscale f> (C.E., L. 24.514/VR, 24 octobre
1995).
Trois règles s'imposent en la matière.
La Constitution instaura la règle de la primauté fédérale. Les col-
lectivités fédérées ne peuvent lever l'impôt que pour les matières
qui ne font pas l'objet d'une imposition de l'Etat fédéral. L'ar-
ticle 11 de la loi spéciale de financement, complété par l'article 1er
de la loi ordinaire du 23 janvier 1989 (II) qui procure exécution à
l'article 170, § 2, de la Constitution, consacre, dans cette perspec-
tive, le principe non bis in idem. Il interdit aux collectivités fédérées
d'établir des impôts dans les matières faisant l'objet d'une imposi-
tion par l'Etat fédéral, d'instaurer des centimes additionnels ou de
procéder à des remises aux impôts visés par la loi de financement
(C.E., L. 23.523/9, 6 juillet 1994; Doc. parl., Chambre, S.E. 1991-
1992, n° 475/4).

(7) Sur cette question, voy. not. P. VAN ÜRSHOvEN, op. cit., pp. l07 à llO et Ch. BRICMAN,
op. cit., ibid.
640 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

De cette manière, le législateur fédéral peut se réserver une matière imposable


et exclure les interventions d'autres législateurs, voire même des collectivités
locales, dans le même domaine (8).

Selon la jurisprudence de la Cour d'arbitrage (9), le législateur


fédéral peut de la sorte déterminer les impôts qui ne peuvent être
établis par les collectivités fédérées. Il peut aussi supprimer ou limi-
ter a posteriori les impôts qu'elles auraient institués (10).
Dans ce domaine particulier, la Constitution instaure une véri-
table hiérarchie des normes. Le décret communautaire et régional
n'est pas, dans ce domaine, l'égal de la loi. Primauté est reconnue
à la loi fédérale sur un décret qui serait intervenu dans le même
domaine. Comme l'écrivent J.-M. DELPORTE et A. MoREAU (11), le
législateur fédéral garde la << compétence des compétences~> en
matière fiscale.
La Constitution instaure également l'exception fédérale. Le légis-
lateur fédéral, statuant à la majorité ordinaire, peut - pour autant
qu'il en démontre la nécessité- instaurer des exceptions à la com-
pétence fiscale propre des collectivités fédérées. Il peut déterminer
quels impôts ne peuvent être levés par les communautés et les
régions. Il peut limiter ou supprimer un impôt institué par une com-
munauté ou une région (C.A., n° 47/88, 25 février 1988 et 57/88,
2 juin 1988) (12).
<<Une loi ordinaire peut en vertu de (l'article 170, § 2, al. 2, de la Constitution)
déterminer, en quelque sorte préventivement, quels impôts ne peuvent être levés
par les communautés et les régions. Elle peut de même supprimer ou limiter un
impôt déjà établi par une communauté ou une région·~ (C.E., L. 24.490/VR,
24 octobre 1995, citant C.A., n° 47, 25 février 1988).

(8) A. ALEN et B. SEUTIN, «De fiscale bevoegdheden van gemeenschappen en gewesten •>,
T,B.P., 1989, p. 271; J.-Cl. ScHOLSEM, <<L'impact de la réforme des institutions sur les finances
publiques et la fiscalité», A.D.Lv., 1981, p. 251; J.-Cl. ScHOLSEM, <<La réforme de l'Etat. Les
nouvelles règles de financement», J. T., 1989, p. 251; J.-M. VAN BoL, «Les ressources des com-
munautés et des régions en 1982. Questions et réponses sur certains aspects financiers de la
réforme de l'Etat», A.P.T., 1983, p. 42).
(9) C.A .. n" 47, 25 février 1988, Il, 6.B.3.; n" 56, 22 juin 1988.
(lü) Sur ce sujet, voy. J. SAROT, La jurisprudence de la Cour d'arbitrage ... , p. 195; F. DELPÉ-
RÉE et A. RASSON-ROLAND, Recueil d'études ... , p. 117.
(11) J.-M. DELPORTE et A. MoREAU, <<Les compétences fiscales des communautés et des
régions dans le nouveau paysage politique belge», Bull. Doc. Min. Finances, 1989, II, p. 2.
(12) Commentant l'article 170 de la Constitution, P. VAN RoMPUY (<<De financiële autonomie
van gemeenschappen en gewesten •, in Zeven Knelpunten na zeven jaar Staatshervorming,
Bruxelles, Story-Scientia, 1988, p. 226) précise, en ce sens, que le législateur fédéral peut limiter
la compétence fiscale des communautés et des régions. Cette limitation peut se traduire par des
modifications de la base imposable et même par l'interdiction de lever certains impôts.
LA DISTRIBUTION DES MOYENS 641

Dans deux secteurs d'activités, l'article 2 de la loi ordinaire du


23 janvier 1989, établit néanmoins la règle de la préférence régionale.
<<L'Etat (fédéral) et les communautés ne sont pas autorisés à lever
des impôts en matière d'eau (et) de déchets~>. Ils ne peuvent non
plus << percevoir des centimes additionnels aux impôts et perceptions
sur ces matières, (ni) accorder des remises sur ceux-ci~> (13).

C. - Les additionnels et soustractionnels


744. - Les communautés et les régions sont autorisées à perce-
voir des centimes additionnels dans les trois matières suivantes : les
droits d'enregistrement, l'impôt des personnes physiques et la rede-
vance radio et télévision. Pour les deux premières matières, elles
peuvent également accorder des réductions, soit - dans le jar-
gon - des centimes soustractionnels.
Le droit d'établir des centimes soustractionnels n'emporte pas le droit pour
une communauté ou une région de modifier la répartition de la charge fiscale
entre les contribuables et de porter ainsi atteinte à la progressivité de l'impôt.
A propos de l'impôt des personnes physiques, la loi spéciale de financement
prend soin de préciser qu'il est <<un impôt national perçu d'une manière uni-
forme sur tout le territoire du Royaume·~ (art. 6, § leT

L'article 11 de la loi spéciale de financement énonce, pour le reste,


une interdiction générale. Les communautés et les régions ne peu-
vent ni lever de centimes additionnels, ni accorder de réductions sur
les impôts et perceptions visées par la loi spéciale.
Le système belge de partage de l'autonomie fiscale exclut ainsi la
possibilité d'établir des impôts concurrents. Hormis dans les trois
cas qui viennent d'être cités, il ne laisse aux communautés et
régions que la possibilité d'intervenir fiscalement là où le terrain est
vierge.

§ 2. - Les taxes et redevances


745. - Les taxes représentent des prélèvements fiscaux qui sont
opérés à l'encontre de certains particuliers à raison des services que
leur rend la collectivité publique. L'Etat fédéral, les collectivités

(13) Telle qu'elle est inscrite dans l'article 170 de la Constitution, la notion d'<< exception>> est
interprétée de manière large. Elle peut conduire à la suppression pure et simple de la compétence
constitutionnellement dévolue à l'Etat fédéral ou aux collectivités fédérées dans une matière
déterminée. Elle permet aussi au législateur fédéral de subordonner les interventions des légis-
lateurs communautaires et régionaux à ses propres interventions.
642 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

fédérées ~ de même d'ailleurs que les collectivités locales ~ peu-


vent percevoir ces taxes ~ qualifiées de rémunératoires ~.
Comme l'indique de manière pédagogique l'exposé des motifs de
l'avant-projet de décret relatif à la taxation des déchets en Région
wallonne, les taxes peuvent remplir trois fonctions distinctes : bud-
gétaire, incitative et redistributive.
Ainsi une taxe wallonne sur les déchets peut assurer des rentrées
financières à l'autorité taxa tri ce. Elle s'attache aussi à promouvoir
le recyclage des déchets et à pénaliser financièrement les pollueurs
en proportion des nuisances qu'ils occasionnent. Elle contribue
encore à faire supporter par les pollueurs une partie des dépenses de
financement des mesures collectives d'assainissement.
746. ~ Les redevances désignent les sommes que doit acquitter
le particulier qui recourt librement à un service fourni par la collec-
tivité publique. Les communautés et les régions peuvent percevoir
de telles redevances. Encore faut-il, pour respecter l'article 173 de
la Constitution, qu'elles soient :
<< la rétribution d'un service fourni par l'autorité (publique) au

profit du redevable, considéré individuellement >> ( 14);


la contrepartie immédiate d'un service et proportionnées au coût
de celui -ci ( 15) ;
la contrepartie d'un service auquel il est recouru volontaire-
ment (16).
Si ces conditions ne sont pas remplies, il s'agit d'un impôt ( 17).

§ 3. ~ Les emprunts
747. ~ Les collectivités fédérées peuvent contracter des
emprunts dans les conditions fixées par la loi spéciale de finance-
ment (art. 49). Elles peuvent ainsi acquérir des ressources supplé-

( 14) J.-M. VAN BoL, «L'impôt et la redevance comme instruments des politiques régionales
et communautaires. Le cas de la politique de l'environnement», A.P.T., 1986, p. 257; R. ANDER-
SEN, << La notion de redevance, spécialement au regard de l'article ll3 de la Constitution », in
Liber amicorum Krings, Bruxelles, Story-Scientia, 1991, p. 949; Cass., 20 février 1986, J. T., 1986,
p. 457.
(15) C.E., L. 23.713/9, 7 novembre 1994.
(16) Voy. J. DE MEYER, Impôts et rétributions, polycopié; J.-M. VAN BoL, op. cit., n"' Il et
12; J. KIRCKPATRICK et P. GLINEUR, «La distinction entre l'impôt et la rétribution régie par J'ar-
ticle ll3 de la Constitution», in Présence du droit public et des droits de l'homme ... , t. I"', p. 562;
Cass., 5 mars 1888, Pas., I, p. 109; 20 novembre 1972, Pas., 1973,1, p. 279; 20 février 1986, J.T.,
1986, p. 455; C.E., n" 21.061, 24 mars 1981.
(17) C.A., arrêt no 55/96, 15 octobre 1996.
LA DISTRIBUTION DES MOYENS 643

mentaires pour financer des investissements en capital ou pour cou-


vrir des déficits temporaires. En principe, l'Etat fédéral ne garantit
pas les engagements ainsi pris par les communautés et les régions
(l. sp., art. 15).

SECTION II. - LES RESSOURCES DÉRIVÉES

§ 1er. - Les impôts communautaires dérivés


748. - <<La redevance radio-télévision est un impôt des Commu-
nautés>> (l. sp. fin., art. 5bis, § PT Ceci ne signifie nullement que le
législateur communautaire a pleine maîtrise en ce domaine. Il s'agit
d'un impôt communautaire dérivé. <<Le législateur fédéral est com-
pétent pour fixer le taux d'imposition, la base d'imposition et les
exonérations de l'impôt>>- étant entendu que, sur ces points, toute
modification ne peut s'effectuer qu'<< avec l'accord des gouverne-
ments de communauté (l. sp. fin., art. 5bis, § 2) - .
« Est attribuée à la Communauté française le produit net de la redevance radio
et télévision localisée dans la région de langue française, majorée de 80 % du
produit net de cette redevance localisée dans la région bilingue de Bruxelles-
Capitale. Est attribuée à la Communauté flamande le produit net de la rede-
vance radio et télévision localisée dans la région de langue néerlandaise, majorée
de 20 % du produit net de cette redevance localisée dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale>> (1. sp. fin., art. 5bis, § 4, al. 2 et 3).

§ 2. - Les impôts régionaux dérivés


749. - Les régions bénéficient de la ristourne intégrale du pro-
duit d'impôts qualifiés, pour la circonstance, de régionaux. Ces
impôts existent. Ils sont d'origine fédérale. Ils sont perçus au
niveau fédéral. Mais l'autorité fédérale qui les a établis se prive
désormais d'intervenir en ce domaine.
La matière imposable est déterminée avec premswn. << Le légis-
lateur spécial a, en quelque sorte, figé la matière imposable de ces
impôts et perceptions>>. Il les a <<énumérés à l'article 3 de la loi spé-
ciale du 16 janvier 1989 >> et son intervention s'impose <<tant au
législateur (fédéral) statuant à la majorité ordinaire qu'aux (légis-
lateurs) régionaux>> (Doc. parl., Chambre, S.E. 1991-1992, 604-1,
avis L. 21.734/AG, 16 septembre 1992).
<< Les impôts suivants sont des impôts régionaux : l" la taxe sur les jeux et
paris; 2" la taxe sur les appareils automatiques de divertissement; 3" la taxe
644 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

d'ouverture des débits de boissons fermentées; 4 o les droits de succession et de


mutation par décès; 5° le précompte immobilier; 6" les droits d'enregistrement
sur les transmissions à titre onéreux de biens immeubles; 7° la taxe de circula-
tion sur les véhicules automobiles; 8" les taxes, assimilées aux accises, frappant
un produit mis à la consommation en raison des nuisances qu'il est réputé géné-
rer, appelées écotaxes >> (1. sp. fin., art. 3).
Sur les compétences respectives de l'Etat fédéral et des régions, voy. 1. sp. fin.,
art. 4. Cette disposition instaure des régimes différenciés - en ce qui concerne
le taux d'imposition, la base d'imposition, les exonérations d'impôts, les cen-
times additionnels, les remises d'impôt - pour chacun des impôts régionaux.

En réalité, ces impôts sont dits régionaux parce que leur produit
se répartit << en fonction de leur localisation >> dans l'une des trois
régions (l. sp. fin., art. 5, § PT Sur les modalités de cette localisa-
tion, l. sp. fin., art. 5, §§ 2 et 2bis.

§ 3. - Le produit d'impôts fédéraux


750. - Selon les mécanismes prévus par la loi spéciale de finan-
cement (art. l er, § l er, 2° et § 2, 3°), et spécialement par son titre IV
(art. 6 à 47), des <<parties ... du produit d'impôts>> fédéraux (18) -
notamment l'impôt des personnes physiques et la taxe sur la valeur
ajoutée- ou du produit de perceptions qui sont réalisées au niveau
fédéral peuvent être << attribuées >> aux communautés et aux régions.
On les dénomme, pour ce motif, des << parties attribuées du produit
d'impôts>> (l. sp. fin., intitulé du titre IV).
En pratique, c'est l'une des sources principales des moyens finan-
ciers qui reviennent aux communautés et régions. Il revient au
législateur fédéral, statuant à la majorité spéciale, de déterminer la
matière imposable, la base et le taux d'imposition ainsi que les exo-
nérations. Il lui revient ainsi de fixer le montant des moyens qui
sont globalement attribués aux collectivités fédérées pour une année
budgétaire déterminée.
Une distinction d'ordre terminologique est à cet égard opérée
parmi les impôts fédéraux. Certains sont qualifiés de partagés et

(18) Comme le relève la Cour d'arbitrage, dans l'arrêt n" 12/96 du 5 mars 1996, la loi spéciale
de financement traite, dans son article 8, des impôts partagés et des impôts conjoints. Il s'agit
d'impôts fédéraux dont une partie est attribuée aux collectivités fédérées. Il en résulte que la
concertation sur la politique fiscale - que prescrit cet article 8 - ne vise que ce type d'impôts.
«L'article 8 n'est dès lors applicable, ni isolément ni en combinaison avec 'le principe de la
loyauté fédérale'- telle qu'elle est visée à l'article 143, §l'", de la Constitution- à un impôt
régional 1>.
LA DISTRIBUTION DES MOYENS 645

profitent aux communautés; d'autres de conjoints et profitent aux


régions.
Les communautés disposent du produit de deux impôts fédéraux
dits partagés - il s'agit de l'impôt des personnes physiques et de la
taxe sur la valeur ajoutée - . Ces impôts sont perçus de la même
manière et dans les mêmes conditions sur l'ensemble du territoire.
Leur produit, ou une partie de celui-ci, est néanmoins partagé. Il est
attribué aux communautés dans les conditions fixées par la loi spé-
ciale de financement. Les communautés ne sont pas en mesure de
lever des impôts additionnels à ces impôts fédéraux ni de consentir
des réductions.
Les régions, elles, disposent du produit d'un seul impôt fédéral dit
conjoint - il est précisé que <<l'impôt conjoint visé au (titre IV) est
l'impôt des personnes physiques)) (1. sp. fin., art. 6, § 2, al. 2) - . Il
s'agit, ici encore, d'un impôt fédéral. Il est perçu, lui aussi, << de
manière uniforme sur tout le territoire du Royaume )). A la diffé-
rence des communautés, les régions sont habilitées à percevoir des
centimes additionnels à cet impôt conjoint ou à consentir des
remises.
Aux fins de respecter les principes de l'union économique et de
l'unité monétaire, il est prescrit qu'un arrêté royal établisse << le
pourcentage maximal (aux) centimes additionnels et (aux) remises))
qui s'appliquent à l'impôt fédéral conjoint (1. sp. fin., art. 9 et 11).
Cet arrêté doit faire l'objet d'une délibération en conseil des ministres, d'une
concertation avec les gouvernements régionaux ainsi que d'une confirmation par
la voie d'une loi fédérale.
L'impôt des personnes physiques est réputé localisé <<à l'endroit où le contri-
buable a établi son domicile>) (1. sp. fin., art. 7, § 1"', 1°).
Sur les modes de répartition du produit des impôts fédéraux, voy. 1. sp. fin.,
art. 10.

SECTION Ill. - LA SOLIDARITÉ FINANCIÈRE

751. - Une intervention de solidarité fédérale est prévue. Elle


est attribuée à la région dont le produit moyen de l'impôt des per-
sonnes physiques par habitant se situe en-dessous de la moyenne
nationale. Cette règle joue actuellement en faveur de la Région wal-
lonne (1. sp. fin., art. pr, § 2, 4° et 48).
646 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

Une clé de répartition est instaurée pour l'attribution aux commu-


nautés d'une partie du produit de la taxe sur la valeur ajoutée. Il
n'y a pas lieu de prendre en considération la localisation de ces res-
sources mais le nombre d'élèves qui fréquentent les écoles des Com-
munautés française et flamande. La loi spéciale de financement
(art. 39, § 2) retient une répartition sur la base de la clé 42,45-57,25.
La préservation de la sécurité sociale parmi les matières de com-
pétence fédérale a un effet indirect sur la redistribution des revenus.
A défaut d'instaurer une solidarité entre les collectivités fédérées,
elle établit une solidarité entre les citoyens - et cela au-delà de
leurs appartenances communautaires et régionales

BIBLIOGRAPHIE

Outre les ouvrages déjà cités (notamment La Belgique fédérale et Le système consti-
tutionnel de la Belgique, ainsi que les bibliographies sélectives qu'ils contiennent), l'on
se référera aux études suivantes :
A. ALEN, << La Belgique : un fédéralisme bipolaire et centrifuge >), Textes et docu-
ments, Bruxelles, 1990; R. DEHOUSSE, Fédéralisme et relations internationales,
Bruxelles, Bruylant, 1991; F. DEL PÉRÉE, «La Belgique est un Etat fédéral>), J. T.,
1993, p. 637; W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH et R. ERGEC, <<Les relations exté-
rieures des Etats à système constitutionnel régional ou fédéral>), R.B.D.I.C., 1986,
p. 301; M. UYTTENDAELE (dir.), Fédéralisme et relations internationales, Bruxelles,
Bruylant, 1998; ID., <<Fédéralisme régional ou fédéralisme communautaire>), in La
Constitution fédérale du 5 mai 1993, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 122.

En ce qui concerne la question de la répartition des moyens financiers, voy., outre


les études déjà citées :
A. ALEN et B. SEUTIN, <<De fiscale bevoegdheden van de gemeenschappen en de
gewesten >), T.B.P., 1989, p. 271; M. BoURGEOIS, <<Les prérogatives normatives des
régions à l'égard des impôts 'régionaux' (articles 3 et 4 de la loi spéciale de finance-
ment) : le régime légal et la jurisprudence de la Cour d'arbitrage>), à paraître;
C. VANDERVEEREN et J. VucHELEN (éd.), Een Vlaamse fiscaliteit binnen een econo-
mische en monetaire unie, Antwerpen, 1998; P. VAN ÜRSHOVEN, <<De fiscale bevoegd-
heid van de Vlaamse Gemeenschap en het Vlaamse Gewest >), in Vlaamse fiscaliteit.
Status questionis 1997, Brugge, Die Keure, 1997, p. l. Sur les aspects économiques de
la question, voy. V. DERMIEN, R. DECHAMPS et M. VAN DEN KERKHOVE, <<Les pers-
pectives budgétaires de la Région wallonne de 2000 à 2010 >),Namur, 2000; ID.,<< Les
perspectives budgétaires de la Région de Bruxelles-Capitale et de la Commission
communautaire française de 2000 à 2010 >), Namur, 2000.
LIVRE VII

Les fonctions fédératives


752. - Le système constitutionnel ne peut être compris dans
une perspective purement organiciste. Il s'agit d'un système fonc-
tionnel. Il répond à une finalité principale. Il tend à permettre aux
collectivités politiques et à leurs autorités de remplir dans des
conditions optimales les fonctions qui leur sont assignées.
753. - La notion de fonction sert à désigner un ensemble homo-
gène d'activités qui, accomplies par une ou plusieurs autorités publi-
ques, contribuent à la mise en œuvre du système constitutionnel.
A la faveur de cette définition, plusieurs préoccupations apparais-
sent.
Identifier une fonction revient à choisir des activités publiques
qui, alors même qu'elles peuvent paraître diversifiées (1), présentent
suffisamment de liens entre elles que pour être groupées en un
ensemble cohérent (2).
Identifier une fonction conduit à faire abstraction, momentané-
ment, des distinctions qui existent entre les autorités publiques ou
entre les pouvoirs qu'elles composent, tant il est vrai qu'une même
autorité peut exercer plusieurs fonctions, et qu'une même fonction
peut être prise en charge par plusieurs autorités publiques.

(1) La fonction n'est pas définie ici d'un point de vue purement matériel. Elle n'est pas identi-
fiée sous son aspect concret et contingent. L'Etat verse une pension, la communauté délivre un
prix littéraire, la région aide une entreprise en difficulté, la commune secourt les indigents ..
Toutes interventions qui forment la trame des activités publiques dans la vie économique, sociale
ou culturelle. L'inconvénient de l'analyse matérielle est qu'elle tend à l'hétéroclite et au circons-
tanciel. Au regard de la méthodologie constitutionnelle, elle s'expose au risque de ne pouvoir
s'inscrire que malaisément dans les dispositions - peu nombreuses, au demeurant - de la règle
de droit.
(2) Ce n'est pas à dire que les activités publiques sont envisagées dans une perspective fina-
liste et classées à raison des objectifs que l'autorité publique est amenée à poursuivre : l'Etat
assure la sécurité des citoyens, il veille au progrès social, il recherche l'équilibre des finances
publiques ... L'analyse finaliste est essentiellement d'ordre politique. Au regard de la méthodolo-
gie constitutionnelle, elle suscite une difficulté. Comment donner aux objectifs une expression
appropriée en termes de droits et d'obligations, tant pour les citoyens que pour les autorités
publiques 1
648 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

Il est souvent suggéré d'identifier un ensemble d'activités publi-


ques eu égard aux actes techniques que les titulaires du pouvoir sont
appelés à accomplir. Le roi et les deux Chambres confectionnent une
loi, le gouvernement de la Région wallonne fait un arrêté, la Cour
d'arbitrage rend un arrêt ... Toutes activités diversifiées à raison des
(<produits)) distincts que procure l'intervention des autorités publi-
ques. Cette analyse présente des avantages. Précise et nuancée, elle
peut s'appliquer à des domaines fort différents de l'activité publi-
que; elle peut être utilisée dans l'Etat fédéral, mais aussi dans les
collectivités particulières.
Cette présentation n'est pas sans inconvénient. Elle introduit des
distinctions, voire des divisions, artificielles; un projet politique se
manifeste en recourant à des actes juridiques distincts. Les auteurs
de la Constitution paraissent, un instant, privilégier cette analyse
technique. Qu'est-ce que le pouvoir législatif? Sinon, au sens propre
de l'expression, la mission de produire la loi ... Qu'est-ce que le pou-
voir judiciaire? Sinon l'ensemble des autorités qui sont investies de
la fonction de juger. Et à quoi revient celle-ci? Sinon à rendre des
décisions de justice ... L'analyse technique se ramène à un jeu d'en-
fant. Mais elle ne rend pas compte de la réalité constitutionnelle.
Les distinctions opérées entre les sources formelles du droit positif
ne suffisent pas à rendre compte de la diversité des fonctions exer-
cées dans l'Etat. Elles ne coïncident pas de manière précise avec les
divisions qui sont à opérer à ce niveau. Pour ne prendre que cet
exemple, la loi, qualifiée alors de matérielle, fait œuvre normative;
mais, prise sous son aspect formel, elle peut faire tantôt œuvre
administrative (voy. la loi de naturalisation), tantôt œuvre budgé-
taire et comptable, tantôt encore œuvre de contrôle politique
(comme en matière d'assentiment aux traités). L'observation indi-
que qu'un même acte juridique peut être utilisé pour remplir des
fonctions distinctes. Tout comme une même fonction peut être assu-
mée grâce à des actes distincts.
Identifier une fonction consiste à montrer comment les activités
recensées contribuent, chacune pour leur part, à l'exercice du pou-
voir dans une collectivité politique. Comme le souligne RoussEAU,
(<toutes les fois que l'on croit voir la souveraineté partagée, on se
trompe : les droits qu'on prend pour partie de cette souveraineté lui
sont tous subordonnés)) (Contrat social, II, 2). Georges BuRDEAU
écrit dans le même sens : (<Les fonctions de l'Etat consistent toutes
LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES 649

dans la mise en œuvre de la puissance étatique •> (<<Remarques sur


la classification des fonctions étatiques •>, R.D.P., 1945, p. 215).
754. - Contrairement à une idée reçue, les fonctions fédérales
(livre VIII) et fédérées (livre IX), telles qu'elles s'exercent en Bel-
gique dans le respect des règles qui président au partage des compé-
tences et des moyens (3), ne suffisent pas à rendre compte de l'en-
semble des activités publiques qui sont remplies au sein de l'Etat.
Des fonctions fédératives doivent aussi être prises en compte.
Elles ont d'autant plus d'importance qu'elles contribuent à donner
au système constitutionnel ses assises. Elles s'efforcent d'harmoniser
l'action de l'Etat fédéral et celle de ses composantes. Elles cher-
chent à donner cohérence à l'ensemble constitutionnel.
755. - Les fonctions fédératives sont trop souvent passées sous
silence, notamment parce qu'elles n'entrent pas dans les classifica-
tions habituelles des manuels. Ou, ce qui revient au même, elles ne
sont pas appréciées à leur juste valeur, parce qu'elles n'existent qu'à
l'état embryonnaire dans les sociétés unitaires.
Dans une fédération, comme la Belgique, ces fonctions prennent,
au contraire, un relief particulier. Elles appellent des commentaires
appropriés. Pour ne prendre que les exemples les plus significatifs,
comment ne pas célébrer, dans un système fédératif, la fonction
constituante ou la fonction de justice constitutionnelle?
Il convient de procéder à la définition des fonctions fédératives,
tout en relevant que certaines d'entre elles ont déjà fait l'objet d'un
premier examen (nos 756 s.). Il faut aussi s'interroger sur la réparti-
tion des tâches qu'elles impliquent (nos 773 s.). Il importe encore de
se prononcer sur la manière d'exercer ces fonctions, notamment
dans une perspective intégrationniste à l'échelle européenne
(n° 8 789 s.).

(3) L'on ne confondra pas la question de la répartition des compétences -telle qu'elle a été
envisagée au livre IV, et celle de la répartition des fonctions - telle qu'elle est examinée dans
les livres VII, VIII et IX --·. Une chose est d'établir que la politique de défense, pour prendre
cet exemple, est de compétence fédérale. Une autre est de préciser les tâches que couvre cette
rubrique et d'indiquer quelles autorités -- le roi, les chambres législatives, ces institutions agis-
sant de concert.. --- peuvent les remplir.
CHAPITRE PREMIER
LA DÉFINITION DES FONCTIONS

756. - La collectivité fédérale, les collectivités fédérées et les


collectivités locales ne s'assemblent pas pèle-mêle. Elles s'inscrivent
dans un système constitutionnel intégré que l'on qualifie de fédératif,
dans la mesure où il tend à réunir des collectivités distinctes dans
un même ensemble étatique et à ordonner, autant que faire se peut,
sinon à accorder les interventions de leurs autorités.
Le système fédératif n'est pas qu'une enveloppe qui serait desti-
née à donner une touche finale à l'ensemble institutionnel. Il y a un
Etat global ou, si l'on préfère ce qualificatif, intégral (section l)
(n° 8 757 à 759).
Même si les autorités de l'Etat global peuvent paraître dispersées,
cet Etat est pourvu de fonctions qui lui sont spécifiques. Il joue un
rôle irremplaçable dans l'organisation et le fonctionnement de la
société politique. Sans lui, la Belgique part en miettes. Elle n'est
plus que la mosaïque qui est dépourvue de ce ciment qui aurait dû
ou pu contribuer à en réunir les éléments disparates.
Trois fonctions - la fonction de révision constitutionnelle, la
fonction de justice constitutionnelle et la fonction de consultation
constitutionnelle- s'inscrivent, pour l'essentiel, dans cette perspec-
tive fédérative.
Comment ne pas souligner aussi que l'une des fonctions primor-
diales reconnues à l'Etat global revient à associer - de manière
aussi rationnelle et cohérente que possible - les sous-ensembles qui
trouvent place en son sein. L'Etat global est un Etat intégrateur
(section 2) (nos 760 à 772). Il organise et ordonne le partage des
compétences et des moyens entre les collectivités politiques.
Il ne suffit pas, cependant, de déterminer des tâches particulières.
Il faut encore indiquer la manière dont elles gagnent à être remplies
pour servir l'objectif poursuivi.
Trois méthodes - basées sur la loyauté, la conciliation et le
contrôle réciproque - peuvent contribuer à développer la perspec-
tive intégratrice. L'on ne saurait prétendre que toutes trois ont reçu
652 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

des formes institutionnelles affirmées. Elles restent parfois au stade


des vœux ou des intentions inachevées. Elles se situent plus sur le
terrain des règles de conduite politique que sur celui des droits et
devoirs susceptibles d'être garantis juridiquement
La construction fédérative trouve ici des expressions nuancées.
En fonction des techniques - de conception, d'interprétation et
d'application - utilisées, le fédéralisme prend des significations
variées. Il peut, selon la terminologie anglo-saxonne, apparaître
comme centralisateur. Il peut aussi se donner des significations plus
autonomistes. Il peut même, si les circonstances s'y prêtent ou si les
autorités publiques le souhaitent, changer de physionomie en cours
de route.
L'on ne saurait s'en cacher. Les préoccupations de dissociation,
telles qu'elles s'expriment dans la société politique belge, peuvent
aller à contre-courant de ce mouvement fédérateur - au sens pre-
mier du terme - .

SECTION Fe. -LES FONCTIONS INTÉGRATRICES

§ 1er. - La fonction constituante


757. - La Jonction constituante (Const., art. 195) est la fonction
fédérative par excellence.
Le processus d'établissement, puis de révision, de la Constitution
(nos 53 s.) conduit à asseoir les bases du système constitutionnel
global. Il confère aux Belges et aux étrangers leurs droits. Il jette
les fondements du partage des pouvoirs et des moyens qui prévaut
entre la collectivité fédérale et les collectivités fédérées. Il fixe le
statut des autorités fédérales et, sous réserve des fonctions d'auto-
organisation, celui les autorités fédérées. Il n'ignore pas le régime
juridique des collectivités locales. Aucune question d'importance
constitutionnelle ne doit échapper à l'opération constituante.
L'on se méprendrait, cependant, en considérant que la fonction
constituante est une fonction fédérale, au sens précis du terme.
Dans une fédération construite sur le principe d'égalité des parte-
naires, il ne revient pas à l'un de ceux-ci, fût-il l'Etat fédéral, de
déterminer le statut des composantes et d'aménager à leur profit un
régime d'attributions concédées. De ce point de vue, l'idée du trans-
fert de compétences fédérales aux collectivités fédérées - qui appa-
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 653

raît dans la jurisprudence de la Cour d'arbitrage - est inappro-


priée.
En droit comme en fait, l'opération constitutionnelle est l'œuvre
de tous.
L'on se méprendrait également en considérant que la fonction
constituante est une fonction fédérée ou, ce qui revient au même,
une fonction partagée entre les collectivités fédérées, étant entendu
qu'il leur reviendrait, dans une perspective confédéraliste, de définir
de commun accord les responsabilités qu'elles consentent à octroyer
à l'Etat fédéral. De ce point de vue, l'idée d'attribution de compé-
tences et de moyens à l'Etat fédéral par les collectivités qui le com-
posent sort également des prévisions d'un système fédératif bien
conçu et attentif aux équilibres entre les niveaux fédéral et fédéré.
Au sens premier du terme, la fonction constituante revient à
constituer l'Etat belge, en tant que structure d'ensemble appelée à
réunir ses éléments particuliers. Elle doit fixer de manière concomi-
tante le statut des autorités fédérales et celui des autorités fédérées.
Elle doit œuvrer pour les uns et pour les autres, sans distinction.
<< Dans chaque Etat fédéral digne de ce nom, les compétences doivent être

réparties entre l'Etat fédéral et les Etats fédérés. En outre, une répartition
financière correspondant à la répartition des tâches doit être assurée. La Consti-
tution fédérale détermine les deux types de répartition. Cette séparation des
pouvoirs ... doit être garantie par un droit supérieur, sinon l'organisation fédérale
est à la libre disposition du législateur fédéral. Les Etats fédérés sont les promo-
teurs essentiels de l'idée de suprématie de la Constitution >> (C. STARCK, La
Constitution, cadre et mesure du droit, Paris, Economica, 1994, p. 15).

§ 2. - La fonction de justice constitutionnelle

758. - La Cour d'arbitrage exerce en monopole une autre fonc-


tion fédérative, à savoir la fonction de justice constitutionnelle.
Elle veille à la protection des droits de l'homme, en tout cas à
certains d'entre eux (Const., art. 10, 11 et 24). Elle assume le res-
pect du pacte fédéral. Elle prolonge et adapte, avec les moyens qui
lui sont propres, l'opération constituante (n" 98).
Ici encore, la fonction assumée - à la requête du citoyen, à la
demande des autorités gouvernementales ou législatives ou encore
sur question préjudicielle émanant d'un juge - est remplie dans
654 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

une perspective globalisante. Elle profite tant à l'Etat fédéral


qu'aux collectivités fédérées.
Elle conduit à censurer les lois - qu'elles soient fédérales, com-
munautaires ou régionales - . Elle le fait par référence à la Consti-
tution et aux lois qui en assurent le prolongement.
<<Dans l'Etat, il appartient aux autorités publiques comme aux citoyens d'ap-
précier toute chose 'au regard de la Constitution'. Ainsi en va-t-il tout particu-
lièrement de la Cour d'arbitrage. Elle a été créée par la Constitution et pour la
Constitution. Elle a mission de veiller à sa sauvegarde. Comment ceux qui s'at-
tachent à regarder sous divers angles l'institution gardienne de la Constitution
ne seraient-ils pas animés des mêmes préoccupations 1 •> (<<Au regard de la Consti-
tution •>, in Regards croisés sur la Cour d'arbitrage ... , p. 201).

Dans cette perspective, la jurisprudence de la Cour d'arbitrage


contribue à préserver l'organisation et le fonctionnement du sys-
tème fédératif dans son ensemble.
Elle met l'accent sur l'autonomie respective des différents ordres
de gouvernement - l'ordre juridique fédéral et chacun des ordres
fédérés - . Ce faisant, elle réaffirme la nécessité de respecter le prin-
cipe d'égalité dans les rapports entre l'Etat fédéral et ses compo-
santes.
Quant aux formes de participation des communautés et des
régions à l'organisation et au fonctionnement de l'Etat fédéral, elles
apparaissent plus timidement. Le non-respect des modalités de coo-
pération entre les partenaires de l'Etat fédéral est néanmoins à
comprendre, aux termes de l'article 124bis de la loi spéciale sur la
Cour d'arbitrage, comme un excès de pouvoir constitutionnel. La
Cour d'arbitrage a mission de le censurer.
<< Il me semble exister une certaine affinité entre juridiction constitutionnelle
et fédéralisme (E. Mc WHINNEY, Federalism and Supreme Courts, 1973). Dans
divers pays, la naissance de la juridiction constitutionnelle se trouve fortement
liée à l'établissement du système fédéral. .. En Allemagne, la Cour constitution-
nelle prévue par la Constitution de Weimar était essentiellement une institution
compétente en matière de contentieux fédéral... Une des raisons qui expliquent
le lien entre l'existence d'une juridiction constitutionnelle et le fédéralisme
semble être le fait que des conflits entre membres d'un Etat fédéral sont plus
menaçants pour l'existence de ce Etat que ne le sont des conflits entre divers
organes d'un Etat unitaire ou entre le citoyen et le pouvoir étatique>>
(D. GRIMM, <<Le fédéralisme allemand : développement historique et problèmes
actuels>>, in Le fédéralisme en Europe, Barcelone, 1991, p. 49).
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 655

§ 3. - La fonction de consultation
constitutionnelle
759. - La section de législation du Conseil d'Etat exerce, à son
tour, une fonction fédérative. Il s'agit de la fonction consultative en
matière constitutionnelle ( 1).
Ce faisant, elle s'attache à protéger la Constitution in globo. Elle
contribue à éclairer l'action des différents pouvoirs publics. Elle est
le conseiller juridique du gouvernement - que ce soit dans l'Etat
fédéral, dans les communautés et les régions - . Elle est parfois
celui des assemblées délibérantes - dans chacune de ces collecti-
vités - . A cette occasion, elle s'efforce de désamorcer les conflits
qui pourraient surgir entre ces collectivités politiques.
La section de législation du Conseil d'Etat n'a pas d'interlocuteur
privilégié. Elle travaille au service de l'Etat fédéral, de chacune des
communautés et de chacune des régions, sans donner la priorité- ni
chronologique, ni logique- à l'un des partenaires. Peut-être la juris-
prudence qu'elle élabore, au fil des avis, rendrait-il mieux service à
l'ensemble de ces collectivités si elle était mieux diffusée auprès de
ceux qui recourent, sur des points particuliers, à sa consultation.
<<Tout ce qui concerne le Conseil d'Etat ressortit à la compétence exclusive de
l'autorité fédérale; la matière ne se prête pas, fût-ce pour partie, à une réparti-
tion des compétences entre l'Etat fédéral et les (collectivités) fédérées, ce qui
n'exclut évidemment pas que l'institution soit mise au service de tous. Le
Conseil d'Etat est une institution fédérale qui exerce ses fonctions consultatives
et juridictionnelles dans l'intérêt de l'Etat fédéral comme dans celui des (collecti-
vités) fédérées>> (R. ANDERSEN et M. VAN DAMME, <<La section de législation du
Conseil d'Etat>>, in Conseil d'Etat. Liber memorialis 1948-1998, Gent, Mys &
Breesch, 1999, p. 87).
<<L'organisation des pouvoirs publics, la procédure de confection des lois, les
rapports entre le législatif et l'exécutif, l'aménagement des institutions de jus-
tice, les responsabilités des communautés et des régions, le régime des finances
publiques, les principes de l'autonomie locale ... , autant de matières qui sont
réglées, au moins dans les grandes lignes, par la Constitution. Le Conseil d'Etat
va procéder à un examen systématique du projet (de loi, de décret, d'ordon-

( 1) Pour rappel, • lorsque l'urgence est invoquée à propos d'un avant-projet de loi, de décret
ou d'ordonnance » et que le gouvernement concerné entend se dispenser de consulter le Conseil
d'Etat, ''l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat est néanmoins requis». Il porte sur
un point précis : l'avant-projet a-t-il pour objet ''des matières qui relèvent, selon le cas, de la
compétence de l'Etat fédéral, de la communauté ou de la région •> (lois coord., art. 3, § 2, al. l'')?
Adde : lois coord., art. 85bis, al. !'''. «Lorsque la demande d'avis soulève une question relative
aux compétences respectives de l'Etat (fédéral), des communautés ou des régions, le premier pré-
sident la défère aux chambres réunies de la section » de législation.
656 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

nance ou de règlement) au regard de ces normes de référence. Il va exercer un


contrôle général et préventif de constitutionnalité>> (F. DELPÉRÉE, <<La Consti-
tution et le Conseil d'État en Belgique>>, E.D.C.E., 1995, p. 578).

SECTION II. - LES MÉTHODES INTÉGRATRICES

760. - Si éminentes soient-elles, les fonctions fédératives ne suf-


fisent pas à assurer, au sein de l'Etat belge, une coordination, voire
une concertation, suffisante entre les différents partenaires. Ce qu'il
est convenu d'appeler - pour autant que l'expression ne paraisse
pas trop anachronique - l'intérêt général de l'Etat doit aussi être
cherché par d'autres voies.
Des méthodes de gouvernement et de gestion méritent d'être pri-
vilégiées. Les fonctions fédératives n'ont de sens que si elles s'ac-
compagnent de modes de fonctionnement qui s'inspirent des mêmes
préoccupations. Il s'agit moins, en l'espèce, d'assurer un partage
exact des fonctions entre diverses autorités publiques que de déter-
miner la manière dont elles seront exercées.
Il n'est pas établi que ces méthodes soient à suffisance pratiquées
dans l'ensemble belge. La collectivité fédérale, encore habituée à
développer des comportements qui étaient de mise dans un Etat
unitaire, tend à imposer des agissements uniformes sans se préoccu-
per des intérêts de ses partenaires. Quant aux collectivités fédérées,
elles sont plus préoccupées d'affirmer leur autonomie dans le
domaine communautaire ou régional que de pratiquer des méthodes
qui les amèneraient à tenir compte des intérêts des autres compo-
santes. Elles ne sont pas toujours animées du souci de préserver l'in-
térêt de l'ensemble.
Ces attitudes qu'explique<< le poids du passé>> gagnent à être com-
battues. L'apprentissage de méthodes intégratrices peut servir cet
objectif.

§ 1er. - L 'attitude de loyauté

A. - Le principe politique de loyauté


761. - Dans d'autres Etats, comme la République fédérale
d'Allemagne (2), la loyauté fédérale est comprise comme un principe

(2) H.A. SCHWARZ-LIEBERMANN VON WAHLENDORF, «Une notion capitale du droit constitu-
tionnel allemand: la Bundestreue (fidélité fédérale)», R.D.P., 1979, p. 769; J.-Cl. ScHOJ.HF-M, ''De
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 657

constitutionnel qui tend à affiner les règles de répartition des com-


pétences entre l'Etat fédéral et ses composantes et qui permet donc
au juge constitutionnel, voire au juge administratif, de réprimer
l'exercice abusif de compétence qui serait commis par l'Etat fédéral
ou l'une de ses composantes (no 763) (3).
La Constitution belge choisit une autre voie. Certes, elle précise,
à la faveur de l'article 143, §1er, que ((dans l'exercice de leurs com-
pétences respectives, l'Etat fédéral, les communautés, les régions et
la Commission communautaire commune agissent dans le respect de
la loyauté fédérale ... >>. Mais elle ajoute aussitôt que, si une telle
obligation est prescrite, ce n'est pas, comme on aurait pu le croire,
pour prévenir ou régler les conflits de compétences - qui font, eux,
l'objet de l'article 142, alinéa 2, de la Constitution-. C'est, précise-
t-elle, uniquement <<en vue d'éviter des conflits d'intérêts (4) >>.
C'est dire que, si la collectivité fédérale et les collectivités fédérées
sont tenues de respecter un principe de loyauté fédérale, les man-
quements à l'article 143, § 1er, de la Constitution ne sont pas sanc-
tionnés juridiquement. La loyauté se situe au niveau des relations
PC?litiques qui s'établissent entre des autorités publiques qu'il faut
présumer compétentes.
<<Ce qui est essentiel et qu'il faut toujours garder à l'esprit, c'est qu'un Etat
fédéral n'est viable que si, dans le respect des autonomies, il existe un sentiment
d'appartenance fédérale, une volonté de vivre ensemble. C'est là toute la portée
de la loyauté fédérale •> (E. CEREXHE, Tout savoir sur la réforme de l'Etat belge,
Bruxelles, Story-Scientia, 1993, p. 111).

De cette manière, le concept de loyauté fédérale sert, pour l'essen-


tiel, à évaluer la qualité des relations de bon voisinage qui existent

la Bundestreue à la loyauté fédérale : fidélité ou inconstance », in La loyauté, Mélanges offerts à


E. Cerexhe, Bruxelles, Larcier, 1996, p. 335.
(3) Tel est le cas en République fédérale d'Allemagne où la << Bundestreue est appliquée par
la Cour constitutionnelle comme un principe de droit inhérent à l'Etat fédéral>> (P. PEETERS,
<• Wijzigingen aan de bevoegdheden van de Staat, de Gemeenschappen en de Gewesten », in
A. ALEN et L.P. SUETENH (éd.), Het federale België na de vierde Staatshervorming, Brugge, Die
Keure, 1993, p. 30.
(4) La notion de conflits d'intérêts vise les hypothèses où une assemblée législative estime
qu'elle peut être gravement lésée par un projet ou une proposition de loi, de décret ou d'ordon-
nance déposé par une autre autorité législative, ainsi que les cas où une autorité gouvernementale
juge qu'elle peut être gravement lésée par une décision, un projet de décision ou une absence de
décision obligatoire d'une autre autorité gouvernementale. Il s'agit de conflits de type politique,
qui sont soumis au règlement du comité de concertation, à la suite d'une éventuelle intervention
du Sénat (sur la procédure de règlement des conflits d'intérêts, voy. S. DEPRÉ, <• Les conflits d'in-
térêts : une solution à la lumière de la loyauté fédérale?>>, R.B.D.C., 1995, pp. 153 s.).
658 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

ou, au contraire, qui font défaut entre l'Etat fédéral, les commu-
nautés et les régions (5).
Il est fréquent d'entendre des responsables politiques s'insurger contre ce
qu'ils qualifient de <<manquements à la loyauté fédérale>>, lorsqu'ils désapprou-
vent les initiatives, les déclarations ou les comportements de leurs collègues
d'une autre communauté ou d'une autre région, voire de l'Etat fédéral. Leur dis-
cours est à son tour qualifié, par d'autres dirigeants politiques, de<< manquement
à la loyauté fédérale>>. Ainsi engagé, le dialogue ne peut conduire qu'à des
impasses.

B. - Le principe juridique de loyauté


762. - En dépit des formulations maladroites de l'article 143,
§ 1er, de la Constitution, le concept de loyauté fédérale mérite de
retrouver son sens originel. Une fédération ne peut s'organiser, ni
fonctionner que si les partenaires acceptent de travailler << à la
loyale>> (6).
Différentes autorités sont habilitées à faire œuvre législative.
Quand bien même elles sont autonomes, elles ne peuvent s'ignorer.
Elles doivent reconnaître qu'elles contribuent, de manière différente
peut-être et dans les limites de toutes sortes qui affectent l'exercice
de leurs compétences respectives, au fonctionnement harmonieux de
l'Etat, envisagé dans sa globalité.
La loyauté fédérale apparaît, dans ce contexte, comme une exi-
gence de comportement qui transcende les règles de répartition des
compétences.
Elle impose tant à l'Etat fédéral qu'à ses composantes de prendre
en considération l'existence et les intérêts des autres parties. Elle les
force à s'abstenir de prendre des mesures qui relèvent, certes, de
leurs compétences mais qui risquent de nuire à leur bonne intelli-
gence. Elle correspond à <<une obligation pour la fédération et les
(collectivités) fédérées, dans le cadre de l'exercice de leurs compé-
tences, de ne pas porter atteinte à l'équilibre de la construction de
l'ensemble>> (7).

(5) Sur le thème de la loyauté fédérale, voy. les études rassemblées dans !"ouvrage sur La
loyauté. cité.
(6) F. DELPÉRÉE, <<La Belgique est un Etat fédéral», J.T., 1993, p. 644.
(7) Proposition de révision du titre III, chapitre Illbis, de la Constitution en vue d'y ajouter
des dispositions relatives à la prévention et au règlement des conflits d'intérêts, Doc. parl., Sénat,
sess. extr. 1991-1992, no l00-27/7, p. 3.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 659

Si elle le voulait, la Cour d'arbitrage pourrait, au nom d'une


interprétation avisée de ses attributions, veiller au respect du prin-
cipe de la loyauté fédérale, ainsi entendu.

C. - Les pratiques déloyales

763. - A défaut de vouloir imposer à l'Etat fédéral et à ses


composantes des comportements qui s'inspirent, en toutes circons-
tances, du concept de loyauté fédérale~ au sens juridique de l'ex-
pression - , la Constitution devrait aménager les recours qui per-
mettent de censurer les actes des uns et des autres qui témoignent
d'une déloyauté manifeste vis-à-vis de leurs partenaires institution-
nels.
<<La forme la plus claire de la loyauté fédérale, c'est le respect de la Constitu-
tion fédérale ... Quels manquements le juge constitutionnel pourrait-il censurer?
Ceux que la Constitution et la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage lui donnent
déjà à connaître, à savoir les conflits de compétence. Mais aussi d'autres infrac-
tions spécifiques, comme le choix délibéré de procédures inconstitutionnelles, le
non-respect de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice constitutionnelle,
voire l'ignorance avérée des avis de constitutionnalité donnés par le Conseil
d'Etat>> (<<A la loyale>>, p. 123).
'Si l'on entend procurer au concept de la loyauté fédérale ses vir-
tualités, mieux vaut laisser dans l'ombre les solutions que ne font
qu'ébaucher la fin du paragraphe 1er et le paragraphe 2 de l'ar-
ticle 143 de la Constitution. Plus d'importance pourrait être donnée,
par contre, aux prescriptions de l'article 1er de la Constitution.
Cette disposition n'est pas à prendre comme un constat de sociolo-
gie politique. Une signification juridique doit lui être procurée : << La
Belgique doit êtr~ un Etat fédéral... Elle doit se composer des com-
munautés et des régions ... Celles-ci doivent œuvrer, avec l'Etat
fédéral, à une œuvre commune ... >>.
La loyauté fédérale mérite mieux que des arrangements politiques
déséquilibrés.

§ 2. - Les méthodes de conciliation

A. - Le principe de conciliation
764. - Le bon fonctionnement du système fédératif peut encore
requérir d'autres démarches. Les méthodes conciliatrices peuvent ici
révéler leurs mérites.
660 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

Il ne s'agit pas, comme en matière de justice constitutionnelle, de


trancher des conflits de compétence, ni de fixer par voie d'arrêt les
attributions respectives de l'Etat fédéral, des communautés et des
régions. Il ne s'agit pas, comme en matière de consultation constitu-
tionnelle, d'éclairer les autorités gouvernementales et législatives
sur l'état du droit constitutionnel.
Il importe plutôt de dégager, selon la procédure du consensus, un
accord entre les collectivités politiques concernées, sinon impliquées,
et de prendre une décision inspirée - pour l'essentiel - par des
motifs d'opportunité politique.
La conciliation quitte le terrain de l'interprétation, de l'applica-
tion et de l'appréciation de la validité de la règle de droit pour péné-
trer sur celui de la négociation et, si possible, sur celui de la concer-
tation. Il ne s'agit pas de rendre à chacun son dû mais de rappro-
cher les points de vue, de dissiper les malentendus et, si nécessaire,
de conclure des arrangements.
Les avantages et les inconvénients de la méthode inscrite en fili-
grane des articles 141 et 143, § 3, de la Constitution - lorsqu'ils
évoquent la prévention des conflits, qu'ils soient de compétence ou
d'intérêts, entre l'Etat fédéral, les communautés et les régions -
sautent aux yeux.
Au titre des avantages, il y a lieu de relever l'intérêt de provoquer
une rencontre entre les partenaires institutionnels dès qu'une ques-
tion est susceptible d'envenimer leurs rapports et de créer un réel
conflit entre eux. Mieux vaut prévenir que guérir. Sans compter
qu'à l'occasion de telles rencontres, de véritables accords de coopé-
ration peuvent être conclus et apporter une solution durable aux
difficultés rencontrées.
Au titre des inconvénients, l'on observe que la méthode concilia-
trice n'est qu'une forme proposée, qu'elle ne garantit pas le succès
de l'entreprise et qu'elle ne lie pas en droit les partenaires à la pro-
cédure de conciliation. Sans compter que les arguments juridiques
ne pèsent pas beaucoup dans une négociation entre partenaires poli-
tiques.

B. - La portée de la conciliation

765. - La conciliation institutionnelle peut produire deux types


de résultats.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 661

Si la conciliation aboutit, la décision prise a une portée politique.


Elle ne modifie pas l'ordonnancement juridique, à quelque niveau
que ce soit. Elle ne lie, en droit, ni les gouvernements, ni les assem-
blées concernés. Les autorités publiques sont informées des résultats
de la conciliation qui est intervenue. Elles en tirent, en toute auto-
nomie, les conséquences qu'elles jugent utiles.
Si, à l'inverse, la conciliation n'aboutit pas, aucune solution n'est
apportée au conflit latent. Chaque autorité publique retrouve son
autonomie et sa liberté d'action. Elle reprend l'examen ou l'exécu-
tion de la disposition contestée. Pis encore, par ses initiatives, elle
est en mesure d'aggraver le conflit et d'approfondir le désaccord.
Dans un avis du 20 juin 1983, la section d'administration du Conseil d'Etat
observe ce qui suit à propos du comité de concertation : <<Le législateur n'a pas
créé une institution qui serait compétente pour trancher les conflits d'intérêts,
en imposant une solution, soit au gouvernement (fédéral}, soit à un (gouverne-
ment fédéré). Il a prévu une procédure qui tend à prévenir et à régler ces
conflits, en mettant en présence, au sein du comité de concertation, des repré-
sentants du gouvernement (fédéral) et des représentants des (gouvernements
fédérés). Ceux-ci doivent s'efforcer de prendre, par la procédure du consensus,
une décision qui donne une solution au conflit. Si cette concertation échoue,
c'est-à-dire si elle ne permet pas la réalisation d'un consensus, le conflit d'inté-
rêts n'est pas réglé ... L'autorité dont le projet de décision ou la décision a été
contestée retrouve sa liberté de décision et peut donc persister dans son projet
ou exécuter sa décision •> (A. 30.183/III-9-877).

C. ~ Les instruments de conciliation

766. ~ La conciliation se développe dans des institutions qui ne


sont investies ni d'une mission de justice, ni d'une fonction d'avis
en matière constitutionnelle. Elle est mise en œuvre à l'intervention
d'autorités qui ~ à raison de leur composition et de leurs attribu-
tions ~ sont en charge d'intérêts proprement politiques.
Il est vain d'attendre de ces autorités politiques qu'elles dévelop-
pent à cette occasion des comportements qui soient inspirés par des
considérations juridiques.
Parmi ces autorités, il y a lieu de relever des institutions fédé-
rales~ telles le conseil des ministres (n" 514) ou le Sénat (n"" 778
s.)~. Il faut également mentionner des autorités qui se situent plus
à l'intersection des niveaux fédéral, communautaires et régio-
662 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

naux - par exemple, le comité de concertation (no 772) ou les


conférences interministérielles - .

§ 3. - Le règlement des conflits


767. - Un partage aussi perfectionné soit-il des compétences
qui reviennent respectivement aux autorités fédérales et aux auto-
rités fédérées ne saurait empêcher que des conflits surgissent.
Ces conflits portent notamment sur l'étendue exacte des compé-
tences qui reviennent aux diverses collectivités politiques. De
manière intentionnelle ou inconsciente, des autorités publiques
empiètent sur les domaines de responsabilités qui sont attribués à
d'autres. Ou elles interviennent dans des ressorts territoriaux
(no 707) et des aires de compétence (n° 691) qui sont réservés à
d'autres autorités.
Des contrôles doivent être établis aux fins de prévenir ou de
résorber de tels excès. Moins qu'aucun autre système constitution-
nel, le système fédératif ne peut se dispenser d'opérer pareilles véri-
fications sur l'action de l'Etat fédéral et sur celle des collectivités
fédérées.
Ces contrôles peuvent être des contrôles juridiques. Ils sont mis
en œuvre, à titre préventif, par la section de législation du Conseil
d'Etat (no 768) et, à titre répressif, par la Cour d'arbitrage (no 806)
Il peut aussi s'agir de contrôles politiques, à l'initiative d'institu-
tions politiques. L'on devine, cependant, la difficulté. Comment évi-
ter que de tels contrôles ne débouchent sur des formes - officielles
ou plus officieuses - de tutelle, n'organisent une décentralisation
déguisée, bref, ne fassent perdre au système fédératif sa singularité
et, peut-être, son efficacité?

A. - La prévention politique des conflits


768. - La section de législation assure un contrôle préventif de
la constitutionnalité des lois, décrets et ordonnances. Elle étend ce
même contrôle aux règlements des gouvernements fédéral et
fédérés. Il s'agit bien entendu d'un contrôle juridique et même, pour
l'essentiel, constitutionnel (n° 759).
Les mêmes instruments peuvent faire l'objet d'un contrôle politi-
que. Selon les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, en effet, <<lors-
que, selon l'avis de la section de législation, un avant-projet de loi,
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 663

de décret ou d'ordonnance, ainsi qu'un amendement ou un projet


d'amendement excède, selon le cas, la compétence de l'Etat (fédé-
ral), de la communauté ou de la région, cet avant-projet, cette pro-
position ou cet amendement sont renvoyés au comité de concerta-
tion ... )) (art. 3, § 3).
De manière paradoxale, le contrôle politique préventif se sura-
joute ainsi au contrôle juridique préventif.
<< Le comité de concertation donne endéans les quarante jours et
suivant la règle du consensus, son avis sur la question de savoir s'il
y a excès de compétence; l'avis est motivé)) (1. coord., art. 3, § 4,
al. pr).
<< Si le comité de concertation estime qu'il y a excès de compé-
tence, il demande, selon le cas, au gouvernement fédéral, au gouver-
nement communautaire ou régional compétent, au collège de la
Commission communautaire française ou au Collège réuni de corri-
ger l'avant-projet ou de déposer devant l'assemblée saisie de
l'avant-projet ou de la proposition, les amendements qu'il déter-
mine et qui font cesser cet excès de compétence)) (1. coord., art. 3,
§ 4, al. 2).
<<La procédure ... laisse rêveur. En effet, alors que la section de législation a
soulevé une question de nature essentiellement juridique - l'existence d'un
excès de compétence - , le soin de la résoudre est confié à un organe purement
politique - à savoir le comité de concertation - . On peut se demander com-
ment celui-ci, composé exclusivement de parties directement intéressées aux
questions de compétence, pourrait prendre une position distincte d'un avis de la
section de législation du Conseil d'Etat qui présente toutes les garanties d'objec-
tivité>) (M. UYTTENDAELE, Regards sur un système institutionnel paradoxal,
Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 964).

B. - La prévention politique des conflits (suite)


769. - Les membres d'un groupe linguistique de l'une des
assemblées fédérales - la Chambre des représentants ou le Sénat -
peuvent estimer, à l'occasion de la discussion d'un projet ou d'une
proposition de loi, que ses dispositions << sont de nature à porter gra-
vement atteinte aux relations aux relations entre les communautés ))
(Const., art. 54, al. l er) et, plus concrètement, à nuire aux intérêts
particuliers de leur communauté.
Si trois quarts au moins des membres de ce groupe linguistique
signent une motion en ce sens, la <<sonnette d'alarme)) est agitée et
<<la procédure parlementaire est suspendue)) (Const., art. 54, al. 2).
664 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

Elément essentiel dans le développement de cette procédure. La


motion est déférée au conseil des ministres. Celui-ci dispose de
trente jours pour statuer sur la motion, le cas échéant, pour formu-
ler des amendements au texte incriminé, voire pour conseiller à l'as-
semblée de renoncer à la poursuite de la discussion qui était enta-
mée.
Le conseil des ministres <<invite la chambre saisie à se prononcer
soit sur cet avis, soit sur le projet ou la proposition éventuellement
amendés>> (ibid.).
770. - Lorsqu'une assemblée législative estime qu'elle peut être
<<gravement lésée>> par le dépôt d'un projet ou d'une proposition de
loi, de décret ou d'ordonnance, ou par un amendement à ce projet
ou à cette proposition, devant une autre assemblée, elle peut
demander que la procédure soit suspendue en vue d'une concerta-
tion. Pour ce faire, elle doit s'exprimer aux trois quarts des voix (loi
ordinaire du 9 août 1980, art. 32, § 1er, al. 1er).
<< La suspension de la procédure a pour principal objet de permettre des négo-

ciations officieuses ... '' (M. UYTTENDAELE, op. cit., p. 967).

<<Si la concertation n'a pas abouti à une solution dans (le) délai
(de soixante jours), le Sénat est saisi du litige ... >>. Cette assemblée,
dont on a relevé qu'elle était déséquilibrée sur un plan linguistique,
rend un avis motivé dans les trente jours. Cet avis est transmis au
comité de concertation qui << rend une décision selon la procédure du
consensus dans les trente jours>> (ibid., al. 3) (8).
771. - Lorsqu'un gouvernement estime qu'il peut être <<grave-
ment lésé>> par un projet de décision de l'une des autorités homolo-
gues, il peut également saisir le comité de concertation. Celui-ci
<< rend une décision, selon la procédure du consensus, dans les
soixante jours>> (loi du 9 août 1980, art. 32, § 2).

C. - La répression politique des conflits


772. - La Cour d'arbitrage exerce le contrôle constitutionnel
répressif. Comme le veut la Constitution (art. 142, al. 2, 1 °), elle sta-
tue << par voie d'arrêt sur les conflits >> entre la loi, le décret et l'or-

(8) Lorsque la procédure est mise en œuvre à l'initiative d'une chambre législative, il n'est
pas recouru au Sénat. Le comité de concertation rend une décision dans les soixante jours (ibid.,
al. 4)
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 665

donnance. Il va de soi qu'elle examine ces controverses << au regard


de la Constitution ~> et notamment des règles que ses dispositions
formulent en matière de partage des compétences.
A côté de ce contrôle juridictionnel, il y a place pour un contrôle
politique répressif. Il est également mis en œuvre par le comité de
concertation. Trois hypothèses méritent d'être distinguées.
Dans un premier cas, un gouvernement fédéral ou fédéré a pris
une décision et celle-ci est considérée par l'un de ses homologues
comme portant gravement atteinte aux intérêts de l'un des parte-
naires. Le comité de concertation peut être saisi. Il dispose de
soixante jours pour rendre sa décision. Dans l'intervalle, <<la déci-
sion litigieuse ou son exécution est suspendue~> (loi du 9 août 1980,
art. 32, § 2, in fine).
Dans une deuxième hypothèse, un gouvernement fédéral ou
fédéré ou même un seul de leurs membres peut estimer qu'il est gra-
vement lésé << par l'absence de décision ~> d'un autre gouvernement
ou d'un de ses membres. Le Premier ministre ou le ministre-prési-
dent d'un gouvernement de communauté ou de région peut saisir le
comité de concertation. A nouveau, cette saisine n'a d'autre objet
que de provoquer une concertation avec les autorités responsables
(ibid., art. 32, § 3).
Une troisième éventualité est envisagée. Le Premier ministre ou
le ministre-président d'un gouvernement de communauté ou de
région peut saisir le comité de concertation si la décision prise par
un gouvernement ou par un ministre a été prise sans qu'aient été
observées <<les procédures de concertation, d'association, de trans-
mission d'information, d'avis, d'avis conforme, d'accord, d'accord
commun- à l'exception des accords de coopération visés à l'arti-
cle 92bis de la loi spéciale de réformes institutionnelles ~> ou << les pro-
positions qui concernent les relations entre l'Etat (fédéral), les com-
munautés et les régions~>, telles qu'elles sont prévues dans les lois
procurant application aux dispositions constitutionnelles relatives
au partage des compétences (ibid., art. 33).
Dans ce cas, la décision litigieuse ou son exécution est suspendue
jusqu'à ce que le comité de concertation constate que <<les règles de
procédure prescrites ont été observées~> (ibidem). La suspension ne
peut, cependant, excéder cent vingt jours.
CHAPITRE II
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS

773. - Dans une société démocratique, les fonctions attribuées


ne le sont pas à une seule autorité. Elles sont distribuées. Sous des
modalités diverses, une séparation ou, si l'on préfère, une réparti-
tion des fonctions est réalisée.
Les schémas qui sont utilisés pour réaliser cette distribution des
tâches, principalement entre les autorités gouvernementales et légis-
latives, servent à caractériser chaque société politique. Les régimes
politiques - parlementaire, semi-parlementaire, présidentiel, d'as-
semblée... - sont tributaires de cette répartition plus ou moins
rigide des tâches.
Comme on le montrera, au sein d'une fédération, le même schéma
institutionnel ne prévaut pas nécessairement dans l'Etat fédéral et
dans ses composantes, ou encore dans les collectivités locales. Mieux
encore : le régime qui est retenu pour l'exercice des fonctions fédéra-
tives n'est pas nécessairement le même que celui commande l'exer-
cice des fonctions fédérales et fédérées.
Si elle se veut exacte, la présentation des régimes politiques doit
se démultiplier.
Un phénomène singulier mérite d'être relevé. Les fonctions fédé-
ratives ne s'inscrivent pas dans les schémas préétablis. Le régime
mis en place ne traduit pas, en toutes circonstances, une forme de
relations entre plusieurs autorités publiques. Ainsi des institutions,
comme la Cour d'arbitrage ou le Conseil d'Etat, sont organisées de
manière autonome, pour ne pas dire : isolée. Elles gagnent à rester
dans cette situation qui préserve l'indépendance dont elles doivent
faire preuve dans l'exercice de leurs fonctions.
Les contours des régimes politiques, notamment parlementaire ou
semi-parlementaire sont, d'une certaine manière, transgressés. Le
pouvoir n'arrête pas le pouvoir ... Au contraire, il arrive qu'il
s'exerce sans contrainte et sans contrôle.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 667

Des collaborations ( 1) se dessinent néanmoins entre les pouvoirs,


tant sur le plan organique (Section 1) que sur le plan fonctionnel
(Section 2). Mais elles restent parfois au stade de l'ébauche. Des
contrôles (2) aussi s'instaurent. Mais ils restent à l'état embryon-
naire (Section 3).

SECTION pe, - LA COLLABORATION ORGANIQUE

774. - Le régime parlementaire - qui prévaut communément


en Belgique - repose sur la collaboration organique des pouvoirs
publics. Ceux-ci sont véritablement enchevêtrés. A un point tel que
les fonctions remplies peuvent apparaître comme le fait d'autorités
d'origines distinctes. Ce régime commande le fonctionnement de
l'Etat fédéral et, dans une mesure atténuée, celui des collectivités
fédérées. Il ne régit pas, par contre, l'exercice des fonctions fédéra-
tives.
Des structures de collaboration (§ 1er) sont mises en place, cepen-
dant. Des ébauches de collaboration (§ 2) voient également le jour.
Des échecs (§ 3) ne peuvent être évités.

§ 1er. - Les structures de collaboration


775. - La collaboration organique n'est pas instituée de
manière générale. Elle ne vaut pas pour toutes les fonctions intégra-
trices.
La fonction de justice constitutionnelle n'est pas partagée. La
fonction de consultation constitutionnelle ne l'est pas non plus.
On trouve néanmoins une illustration du phénomène de collabo-
ration organique dans l'aménagement du pouvoir constituant.
Celui-ci se compose sur une base tripartite. Comme le veut la
Constitution (art. 195), la fonction de révision constitutionnelle se
réalise à l'intervention de trois branches distinctes : le roi, la
Chambre des représentants et le Sénat. Avec cette précision essen-
tielle : le corps électoral doit avoir, au préalable, renouvelé les deux
branches élues, à savoir les chambres fédérales.

(!) Sur l'importance de la notion de collaboration dans un régime parlementaire, voy. n" 891.
(2) Sur le rôle des contrôles dans un régime parlementaire, voy. no 892.
668 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

Au surplus, il faut considérer, eu égard aux majorités qualifiées


qui sont requises, qu'un groupe linguistique ne saurait imposer à
l'autre une révision de la Constitution qui heurterait ses préoccupa-
tions et ses intérêts. De cette manière - indirecte, il est vrai - les
communautés sont associées à l'exercice de cette fonction.
Les méthodes intégratrices s'inscrivent plus dans le schéma insti-
tutionnel de collaboration. La loyauté fédérale est, par définition,
relationnelle. La conciliation aussi. L'exemple du comité de concer-
tation, composé au départ de représentants des gouvernements
fédéral et fédérés, est significatif. Encore que le droit de veto virtuel
qui est reconnu à chacun des membres du comité de concertation (3)
puisse donner à penser que l'esprit de collaboration n'anime pas
nécessairement ceux qui sont appelés à siéger dans cette institution.

§ 2. - Des ébauches de collaboration


776. - Des institutions, comme la Cour d'arbitrage ou le Conseil
d'Etat agissent seules. Elles ne s'intègrent pas dans des ensembles
plus vastes. Il n'empêche. Sous certains traits, ces institutions se
présentent comme associant à de mêmes tâches des personnes qui
relèvent de communautés distinctes.
La composition paritaire de la Cour d'arbitrage et l'exercice de ses
responsabilités dans des formations de jugement composées de juges
de l'un et l'autre groupes linguistiques traduit concrètement cette
préoccupation. Les arrêts de la Cour ne peuvent être taxés de par-
tialité au vu des sensibilités communautaires et régionales.
Le Conseil d'Etat est également composé sur une base paritaire.
Mis à part l'examen de quelques questions qui touchent à la réparti-
tion des compétences par les chambres réunies de la section de légis-
lation, les problèmes juridiques font, cependant, l'objet d'un exa-
men dans des chambres unilingues. Des accents particuliers peuvent
donc s'exprimer. Ils ne peuvent être corrigés qu'au prix d'un travail
de coordination interne.
« La section de législation constitue un des rouages essentiels de la procédure
organisée par la loi en vue de prévenir les conflits de compétence entre les
diverses composantes de l'Etat ... L'autorité des avis constatant l'existence d'un

(3) Comme le souligne crûment l'article 33bis de la loi ordinaire du 9 août 1980, un membre
peut « empêcher que le consensus soit atteint ».
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 669

excès de compétence est encore accrue par la circonstance que, s'agissant d'une
norme de nature législative qui, jadis, échappait, une fois adoptée, à tout
contrôle de constitutionnalité de la loi, le contrôle exercé à titre préventif par
la section de législation est désormais complété par le contrôle a posteriori de
la Cour d'arbitrage. La crainte que l'avertissement donné par la section de légis-
lation soit, si le législateur n'y prend garde, suivi d'une annulation par la Cour
d'arbitrage devrait l'inciter à redoubler de prudence'' (R. ANDERSEN et M. VAN
DAMME, op. cit., p. 92).

<<En créant les chambres réunies, le législateur a voulu accroître les possibilités
de la section de législation afin qu'elle puisse répondre aux exigences liées à la
nouvelle structure de l'Etat (fédéral). Il a notamment voulu éviter que certaines
demandes d'avis, susceptibles de soulever un problème de compétences, ne doi-
vent inévitablement être traitées par des conseillers et des assesseurs apparte-
nant à un seul groupe linguistique. Il a également voulu éviter autant que faire
se peut les divergences d'avis entre les chambres françaises et néerlandaises en
matière de répartition de compétences entre l'Etat fédéral, les communautés et
les régions ... La section de législation est relativement peu consultée dans cette
composition" (Ibidem, p. 105).

La composition du comité de concertation le prépare également à


mettre en œuvre des méthodes intégratrices.
En vertu de l'article 31, 2o de la loi ordinaire de réformes institu-
tionnelles du 9 août 1980, le comité de concertation comprenait huit
membres, à savoir quatre représentants du gouvernement fédéral et
quatre représentants des gouvernements communautaires et régio-
naux. Depuis 1989, quatre nouveaux membres sont venus s'y
adjoindre : le président du gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale, un membre de ce gouvernement appartenant à l'autre
groupe linguistique, ainsi que deux ministres fédéraux appartenant
à des groupes linguistiques différents.
Le comité de concertation se caractérise «par une composition en carré, maté-
rialisée par une double parité, linguistique et institutionnelle'' (4). <<Malgré les
termes utilisés par la loi, le comité de concertation ne délibère pas dans le res-
pect de la procédure du consensus - au sens habituellement donné à ce terme
dans notre droit public - mais bien dans le respect de la règle de l'unanimité.
Chaque membre du comité dispose, en réalité, d'un droit de veto (5) sur les déci-
sion du collège>> (6).

(4) M. UYTTENDAELE, op. cit., p. 961.


(5) «Cette appréciation doit néanmoins être nuancée en ce qui concerne les représentants du
gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. En effet, en vertu de l'article 33bis de la loi
ordinaire du 9 août 1980, les deux représentants du gouvernement de la région de Bruxelles-Capi-
tale doivent adopter une position commune pour faire obstacle à une décision qui aurait recueilli
l'assentiment de tous les autres membres du comité" (M. UvrrENDAELE, op. cit., p. 962).
(6) Ibid.
670 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

777. - Les accords de coopération qui peuvent être conclus par l'Etat fédé-
ral, les communautés et les régions sont également l'œuvre conjointe de diverses
autorités publiques. Les gouvernements respectifs concluent les accords. Ceux-ci
font ensuite l'o.bjet d'une procédure d'assentiment dans chacune des collectivités
concernées. A cette occasion, les diverses branches du pouvoir législatif- fédé-
ral ou fédéré - sont appelées à intervenir.

§ 3. - Des échecs de collaboration

778. - Une institution comme le Sénat aurait pu être un lieu où


des représentants attitrés de l'Etat fédéral, des communautés et des
régions auraient entrepris de discuter de questions d'intérêt com-
mun et concerté les politiques menées dans ces diverses collectivités
politiques, en même temps qu'ils participaient aux fonctions fédé-
rales attribuées à cette assemblée législative.
La manière dont est composé le Sénat ne permet pas de répondre
à cette préoccupation.

Les quarante et un sénateurs du groupe linguistique néerlandais, les vingt-


neuf sénateurs du groupe linguistique français, le sénateur germanophone et les
trois sénateurs de droit composent ensemble le Sénat. Les chiffres retenus réali-
sent une répartition au prorata de l'importance numérique des différents col-
lèges. Aucune pondération n'est instaurée, si ce n'est pour la Communauté ger-
manophone (<<Les autorités fédérales>>, p. ll).

Les tâches spécifiques qui reviennent au Sénat dans la cadre du


règlement des conflits d'intérêts (Const., art. 143, § 2) perdent, de ce
fait, une part de leur utilité.

Selon l'article 143, § 2, de la Constitution, <<le Sénat se prononce par v01e


d'avis motivé, sur les conflits d'intérêts entre les assemblées qui légifèrent>> par
voie de loi, de décret ou d'ordonnance,<< dans les conditions et suivant les moda-
lités>> qu'une loi spéciale détermine. Cette suggestion dont l'origine remonte aux
travaux du Centre d'études pour la réforme de l'Etat avait un sens dans laper-
spective de l'édification d'un Sénat paritaire. Elle est dépourvue de signification
dans le cadre d'un Sénat composé à la proportionnelle.

Au surplus, et contrairement aux propositions de 1984, le Sénat n'est pas


investi, en l'espèce, d'une fonction décisoire. L'avis motivé qu'il procure ne lie
pas les autorités qui auront à statuer sur le conflit d'intérêts(<< Les institutions»,
in La Belgique fédérale ... , p. 120).
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 671

SECTION Il. - LA COLLABORATION FONCTIONNELLE

779. - Le régime parlementaire se caractérise aussi par la colla-


boration fonctionnelle qu'il contribue à instaurer entre diverses
autorités publiques dans l'exercice de leurs fonctions respectives.
Les pouvoirs sont censés << aller de concert >>. L'on ne saurait considé-
rer que ce précepte est pleinement suivi au niveau fédératif.
Le peu de collaboration organique n'est pas racheté par le déve-
loppement d'une collaboration fonctionnelle réussie. Tout se passe,
au contraire, comme si les restrictions mises à la collaboration orga-
nique impliquaient la même réserve pour l'essor de la collaboration
fonctionnelle.
Le pouvoir constituant révise la Constitution, la Cour d'arbitrage assume le
contentieux constitutionnel, la section de législation du Conseil d'Etat vérifie à
titre préventif la constitutionnalité des lois, décrets et ordonnances ... Et ainsi de
suite. Il n'y a pas de relations organiques entre ces institutions. Chacune
concourt à sa manière et avec ses moyens, à préserver les règles fondamentales
du pacte fédératif. Aucune n'est tenue de collaborer avec les institutions du
même ordre. Seule une solidarité fonctionnelle peut s'imposer (voy. Regards
croisés sur la Cour d'arbitrage - dir. F. DELPÉRÉE, M. VERDUSSEN et A. RAs-
SON-ROLAND, - , Bruxelles, Bruylant, 1995, avec notamment les interventions
de F. TULKENS, R. ANDERSEN, P. NIHOUL, S. DEPRÉ et R. ERGEC).

Des ébauches de collaboration peuvent néanmoins s'esquisser. Un


<< dialogue institutionnel >> peut se nouer. Il peut amener à dépasser

les situations d'isolationnisme. Il peut éviter la guerre des pouvoirs.


Il peut instaurer des formes de collaboration.
Ces préoccupations fédératives sont d'autant plus importantes
qu'elles ne se dessinent pas entre les autorités d'une seule collecti-
vité politique - par exemple, celles de l'Etat fédéral - mais
qu'elles peuvent animer des autorités publiques qui, dans la fédéra-
tion, concourent au bon fonctionnement de collectivités distinctes.
Des collaborations normatives (§ 1er), juridictionnelles (§ 2) et ins-
trumentales (§ 3) voient le jour.

§ 1er. - Les collaborations normatives


780. - La jonction constituante s'exerce, par définition, sans
contrainte. Pour autant qu'elle respecte les règles minimales de fond
et de forme qu'énonce l'article 195 de la Constitution, elle se déve-
loppe de manière souveraine. L'exercice de cette fonction ne
requiert pas de partenaire. Il n'en reste pas moins que la Constitu-
672 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

tion requiert expressément le concours d'autres autorités, spéciale-


ment législatives, que ce soit au niveau fédéral ou fédéré. Pour ne
prendre que cet exemple, il revient à la loi fédérale, au décret et à
l'ordonnance de ·garantir les droits économiques, sociaux et culturels
et de déterminer les conditions de leur exercice (Const., art. 23,
al. 2). Plusieurs dispositions constitutionnelles ne sont pas d'effet
direct (7). Sans les interventions complémentaires de législateurs
fédéral et fédérés, voire de plusieurs d'entre eux de manière conco-
mitante, les textes constitutionnels les mieux établis restent lettre
morte.
La fonction de consultation constitutionnelle s'exerce également de
manière indépendante. Il n'en reste pas moins que ce contrôle de
constitutionnalité qui se développe en amont ne peut perdre de vue
l'opération d'élaboration de la loi fédérale, du décret et de l' ordon-
nance qui est sur le point de s'amorcer. Ce qui peut conduire la sec-
tion de législation à donner des conseils de rédaction législative plu-
tôt qu'à formuler des condamnations juridiques. Ce contrôle ne peut
non plus perdre de vue celui qui s'exercera peut-être un jour en
aval. Ce qui peut conduire la section de législation du Conseil d'Etat
et la Cour d'arbitrage à harmoniser leurs jurisprudences (sur cette
question, R. ANDERSEN, P. NIHOUL et S. DEPRÉ, op. cit., p. 144).
781. - << Le Conseil d'Etat est, par définition, un contrôleur constitutionnel.
Il lui appartient de prendre position, avant toute autre institution ou juridic-
tion, sur les questions de constitutionnalité. Il lui revient de prodiguer aux auto-
rités exécutives ou législatives ses conseils pour qu'elles fassent œuvre correcte,
notamment au regard des prescriptions de la Constitution ... A sa manière et
avec les moyens qui sont les siens, le Conseil peut permettre à la Constitution
d'évoluer et de s'adapter sans trop de brutalité aux principales évolutions du
temps>> (<<La Constitution et le Conseil d'Etat>>, in Cinquante années du Conseil
d'Etat. Liber memorialis ... , p. 72).

§ 2. - Les collaborations juridictionnelles


782. - La fonction de justice constitutionnelle s'exerce, par
définition, de manière indépendante. Elle n'est pas tributaire d' ap-
préciations portées par d'autres autorités publiques.
Comment ignorer, cependant, que la Cour d'arbitrage qui exerce
cette fonction est, pour une part importante de ses activités, saisie

(7) A. VANWELKENHUYZEN, «L'application directe et l'effet indirect des normes constitution-


nelles», in Rapports belges au Xl' Congrès de l'Académie internationale de droit comparé, Bruxelles,
1985, p. 103.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 673

par une question préjudicielle que lui adresse les cours et tribunaux
et, plus généralement, toute juridiction. Un <~dialogue de juge à
juge>>, selon l'expression d'A. RASSON-ROLAND, peut ainsi s'instau-
rer (8). Une<~ guerre des juges>>, pour citer J. VAN CoMPERNOLLE et
M. VERDUSSEN, peut également se développer (9).

§ 3. - Les collaborations instrumentales


783. - La mise en œuvre de méthodes intégratrices peut
conduire l'État fédéral, les communautés et les régions à recourir
aux mêmes institutions ou aux mêmes services pour l'exercice de
tâches qui sont indispensables à l'exercice de leurs fonctions spécifi-
ques. A leur intermédiaire, des synergies peuvent s'instaurer. Des
jurisprudences uniformes peuvent se dessiner. Des collaborations
peuvent même s'ébaucher.
On citera, parmi les institutions et services qui contribuent à ces
tâches instrumentales, le Conseil d'Etat, la Cour des comptes, l'ins-
pection des finances, les services de sélection et d'orientation, les
comités d'acquisition ...

SECTION III. - LES CONTRÔLES

784. - La présence ou l'absence de contrôles dans l'exercice des


principales fonctions politiques est un élément essentiel pour carac-
tériser un régime politique. Le régime parlementaire instaure, par
exemple, un contrôle réciproque des autorités exécutives et des
assemblées parlementaires : des procédures comme l'interpellation à
l'encontre du gouvernement ou la dissolution des chambres tradui-
sent ces préoccupations.
L'on ne saurait considérer que des contrôles significatifs soient
mis en œuvre à l'occasion de l'exercice des fonctions fédératives.
Seules des ébauches de contrôle se dessinent. Ils ne sont pas appelés
à connaître d'autres développements.

(8) A. RASSON·ROLAND, ''La question préjudicielle''· in Le recours des particuliers devant le


juge constitutionnel ... , p. 37.
(9) J. VAN CoMPERNOLLE et M. VERDUSSEN, ''La guerre des juges aura-t-elle lieu? A propos
de l'autorité des arrêts préjudiciels de la Cour d'arbitrage>>, J. T., 2000, p. 297 :«La collaboration
entre les ordres juridictionnels constitue une impérieuse nécessité. Si l'on entend sauvegarder la
cohérence de notre système juridique, cette collaboration ne doit pas seulement être clairement
affirmée. Elle doit aussi être effectivement réalisée» (ici, p. 304).
674 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

§ 1er. - Le contrôle de la fonction constituante

785. - Le pouvoir constituant est souverain. Par définition, il


échappe à contrôle. La Cour d'arbitrage l'a rappelé à plusieurs
reprises. Il ne lui appartient pas de vérifier la constitutionnalité
d'une disposition de la Constitution. Il ne lui revient pas non plus
de vérifier si certaines dispositions de la Constitution, par exemple
celles qui sont mentionnées expressément dans l'article 142 de la
Constitution ou dans une loi spéciale, sont appelées à l'emporter sur
d'autres. Comme on l'a souligné, il n'y a pas de dispositions supra-
constitutionnelles. Il n'y a pas non plus des dispositions constitu-
tionnelles de premier et de second rang. Des formes de contrôle sont
donc superflues. De surcroît, quelle autorité dans l'Etat pourrait
s'arroger le droit d'exercer un tel contrôle ?

§ 2. - Le contrôle de la fonction juridictionnelle

786. - La Cour d'arbitrage est investie, en monopole, du


contrôle répressif de la constitutionnalité des lois, décrets et ordon-
nances. Comment serait-elle assujettie, dans l'exercice de cette fonc-
tion, à quelque contrôle que ce soit ? Qui contrôlera le contrôleur?
Deux phénomènes ne peuvent, cependant, être perdus de vue.
Lorsque la Cour d'arbitrage annule une norme législative, l'arrêt
qu'elle rend fait disparaître avec effet rétroactif la norme contestée
de l'ordre juridique. L'arrêt qui est rendu produit par lui-même ses
effets. Si la Cour répond à une question préjudicielle et constate, à
cette occasion, la non-conformité de la norme aux prescriptions de
la Constitution, l'efficacité de l'arrêt qu'elle rend est tributaire d'in-
terventions ultérieures. Il faut, d'abord, que le juge du fond tienne
compte de la solution de droit qui s'impose à lui. Il faut, ensuite,
et aux fins de restaurer l'harmonie de l'ordre juridique, que le légis-
lateur compétent entreprenne de réformer la législation existante.
Le silence des législateurs, en particulier, peut enlever aux arrêts de
la Cour d'arbitrage une part de leur efficacité.
Autre phénomène. L'arrêt de la Cour d'arbitrage clôt le débat
constitutionnel. Celui-ci ne risque-t-il pas, cependant, de rebondir
sous une autre forme? La Cour européenne des droits de l'homme
peut être saisie d'un litige portant sur la conformité d'une norme
législative, voire d'une procédure juridictionnelle, avec les disposi-
tions de la Convention et celles de ses protocoles. Elle peut être
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 675

encline à procurer une solution différente à un litige similaire. Com-


ment ne pas constater que l'arrêt de la Cour d'arbitrage se trouve
une nouvelle fois, privé d'une part non négligeable de son efficacité?

§ 3. ~ Le contrôle de la fonction consultative


787. ~ La section de législation du Conseil d'Etat rend des avis.
Selon la formule consacrée, un avis n'est qu'un avis. Il ne lie pas
l'autorité publique, même celle qui était tenue de consulter le
Conseil d'Etat sur la validité de ses projets. Les gouvernements et
les assemblées ne se privent pas d'ignorer les appréciations de non-
conformité qui sont formulées par l'institution de consultation
constitutionnelle. Elles s'exposent, par la même occasion, à la cen-
sure de la Cour d'arbitrage.
788. ~ Les litiges relatifs à l'interprétation ou à l'exécution
d'un accord obligatoire de coopération sont tranchés par une juri-
diction qui est dénommée <~ juridiction de coopération ~> et qui est
instituée ~ dans les conditions fixées par la loi du 23 janvier
1989 ~ pour chaque accord particulier (l. sp., art. 92bis, § 5). Le
contrôle peut porter sur les excès de compétence que les parties
contractantes ont pu commettre en instaurant les modes de leur col-
laboration.
Adde : l'art. 94, § 3, de la loi spéciale de réformes institutionnelles
qui, sur un point particulier, aménage, en cas d'échec des procé-
dures de concertation, l'intervention de la juridiction de coopéra-
tion.
CHAPITRE III
L'EXERCICE DES FONCTIONS

789. ~ Comment sont exercées les fonctions fédératives? La


question n'appelle ici qu'un bref examen. Pour certaines d'entre
elles, en effet, il est renvoyé à d'autres développements. Il est fait
référence, pour l'exercice de la fonction constituante, aux nos 53 s.,
pour l'exercice de la fonction de justice constitutionnelle, aux n° 8 87
s. et, pour l'exercice de la fonction de consultation constitutionnelle,
aux n° 78 s.
8

L'on indique, par contre, comment l'exercice des fonctions fédéra-


tives peut contribuer à assurer plus de cohérence dans les activités
qui sont poursuivies au sein de l'Etat, et notamment dans la pro-
duction normative des différentes collectivités politiques.

Une préoccupation intégrationniste est présente tant dans l'ordre


interne (section 1) que dans l'ordre international (section 2). Il faut
souhaiter que ces mouvements soient complémentaires

Avec les moyens qui sont les leurs, les autorités investies des fonc-
tions fédératives peuvent contribuer à la réalisation d'un tel objec-
tif. Elles ne sauraient évidemment agir seules en ce domaine. L'atti-
tude des autorités internationales, et spécialement européennes,
peut conforter ou, au contraire, contrecarrer leurs efforts (section 3).

<<Pour qu'un système juridique puisse prétendre, sinon à l'harmonie, du moins


à la cohérence, il doit répondre à quelques conditions élémentaires. Les normes
qui y sont édictées - par des autorités publiques distinctes, il faut le présu-
mer -- ne se contredisent pas. Des mécanismes ou des procédures sont instituées
aux fins de résorber les contradictions qui pourraient apparaître entre ces instru-
ments juridiques. Un ou plusieurs juges sont établis pour faire respecter la cohé-
rence du système global. Ce système cohérent a-t-il cours en Belgique 1 Doit-il
encore être aménagé ou perfectionné 1 >> ( « Les rapports de cohérence entre le
droit constitutionnel et le droit international public. Développements récents en
Belgique •>, R.F.D.C., 1998, p. 729).
L'EXERCICE DES FONCTIONS 677

SECTION re. ~LES FONCTIONS D'INTÉGRATION


DANS L'ORDRE INTERNE

790. ~ Rédiger la Constitution, la réviser, l'interpréter, accorder


les normes législatives à ses dispositions, les censurer si elles ne s'y
conforment pas ... , toutes ces opérations procèdent d'une même
préoccupation : assurer la cohérence de l'ordre juridique, instaurer
par là même la sécurité du droit et des relations juridiques, bref
constituer l'Etat de droit.
L'objectif est simple à énoncer. Il est plus difficile à mettre en
pratique dès l'instant où diverses autorités publiques participent à
une même tâche. Elles ne feront œuvre utile que si elles restent dans
l'exercice de la fonction qui leur est attribuée et n'entreprenne pas
d'exercer celle des autres.
Les dangers sont réels. S'ils ne sont pas perçus à leur juste
mesure, ils risquent de compromettre l'exercice des fonctions fédéra-
tives.
Dans l'exercice de la fonction de révision constitutionnelle, le
pouvoir constituant peut être tenté de remplir la fonction de légifé-
rer au plan fédéral, communautaire et régional. Il peut être enclin
à régler par anticipation les litiges que la mise en œuvre de la règle
constitutionnelle ne manquera pas de susciter. Il peut être invité à
sortir du domaine des principes pour entrer dans celui des prescrip-
tions de détail. Il manque alors son but. Il risque de faire œuvre
inutile ou rapidement désuète.
Dans l'exercice de la fonction de justice constitutionnelle, la Cour
d'arbitrage peut être tentée, pour sa part, de réécrire la Constitu-
tion comme elle voudrait qu'elle fût. Elle s'attache alors à corriger
les imperfections de rédaction, à combler les lacunes, à anticiper sur
des solutions qui recueillent peut-être le consensus des milieux poli-
tiques mais qui ne sont pas encore traduites en règles de droit. L'on
dénonce parfois, avec E. LAMBERT, le <<gouvernement des juges>>.
C'est surtout contre le <<parlement des juges>> qu'il convient de
mettre en garde.
Dans l'exercice de la fonction de consultation constitutionnelle, la
section de législation du Conseil d'Etat peut être tentée de donner
des avis à ce point cinglants qu'ils s'apparentent à des décisions et
même à des vetos. Elle s'expose à pratiquer l'acharnement juridique
en ouvrant des guérillas avec les autorités qui la consultent. Elle
678 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

peut encore s'attacher à anticiper sur l'œuvre du juge constitution-


nel, voire à la concurrencer.
Ces travers ne sauraient être combattus par des procédures spéci-
fiques. De tels écueils ne peuvent être évités que si chaque autorité
accepte de rester dans les limites de la fonction qu'elle s'est vue
assigner et que si les hommes et les femmes qui y contribuent font
preuve d'un sens aigu de la déontologie.

SECTION II. - LES FONCTIONS D'INTÉGRATION


DANS L'ORDRE INTERNATIONAL

791. - Une autre question ne saurait être ignorée. Et si l'Etat


belge n'était - ou n'était plus - que l'une des pièces, réduite, au
demeurant, d'un ensemble institutionnel plus vaste? Et si ses tâches
devaient nécessairement s'inscrire dans un système institutionnel à
l'échelle internationale ?
La souveraineté est partagée à l'intérieur. Elle l'est entre divers
ordres juridiques. Chacun d'eux exprime une volonté politique auto-
nome qui n'a d'autres limites que le respect de la Constitution com-
mune. Cette même souveraineté est aussi partagée avec l'extérieur.
A la faveur des mouvements de coopération internationale qui se
réalisent tant sur le continent européen qu'à l'échelle universelle,
des restrictions à l'exercice des attributions fédérales ou fédérées
sont consenties. Peuvent-elles aller jusqu'à limiter l'exercice des
fonctions fédératives?
L'Etat belge s'attache à coordonner - autant que faire se
peut- ses interventions avec celles d'autres Etats auxquels il se lie
par traité. Il agit de la même manière dans des organisations,
comme les Nations Unies, la Communauté européenne ou l'Union
européenne, dont les manifestations juridiques- toujours plus pré-
sentes - marquent dès à présent une part essentielle de ses acti-
vités.
L'on ne saurait soutenir qu'un système juridique intégré a déjà
vu le jour. Sa réalisation n'est pas encore achevée. Nul ne sait le
temps qu'il faudra mettre pour atteindre cet objectif. Aujourd'hui,
l'Etat global est un Etat en voie d'intégration.
Mais comment l'ignorer? L'action de diverses institutions -
appartenant à des ordres juridiques distincts - soulève des pro-
L'EXERCICE DES FONCTIONS 679

blèmes délicats de coordination. Le respect des partenaires - de


tous les partenaires, depuis l'Etat belge jusqu'à ses homologues, en
passant par les organisations internationales elles-mêmes - appa-
raît comme une condition essentielle à l'harmonisation des rapports
juridiques et à la réalisation efficace des interventions publiques. Il
est permis de souhaiter que tous les efforts - d'où qu'ils vien-
nent - contribuent à l'assurer.
Les œuvres constitutionnelle (§ 1er), jurisprudentielle (§ 2) et com-
munautaire (§ 3) mériteraient de se compléter, plutôt que de se
concurrencer.

§ pr_ -L'œuvre constitutionnelle

A. -Le texte
792. - La Constitution se saisit, en 1970, du problème de la
coopération internationale qui est poursuivie à l'entremise d'organi-
sations internationales. L'article 34 précise, depuis lors, que << l' exer-
cice de pouvoirs déterminés peut être attribué par un traité ou par
une loi à des institutions de droit international public )).
La rédaction de l'article 34 de la Constitution est prudente.
Telle qu'elle est libellée, la disposition ne permet pas à l'Etat
belge d'attribuer - sans esprit de retour - des fonctions particu-
lières à des institutions de droit international public mais l'habilite
seulement à leur en confier l'exercice provisoire. La disposition ne
permet pas non plus l'attribution de l'exercice de fonctions non
autrement précisées mais seulement celle de <<pouvoirs déter-
minés))- dont on peut présumer qu'ils auront été identifiés à suffi-
sance dans le traité fondateur ou dans la loi fédérale, par exemple,
celle qui procure assentiment au traité - . La disposition ne privilé-
gie pas l'insertion de la Belgique dans des organisations intégrées,
telle la Communauté européenne, mais envisage toute forme de col-
laboration avec des institutions de droit international public.
Dans le même moment, la rédaction de l'article 34 de la Constitu-
tion est audacieuse.
Telle qu'elle est rédigée, elle régularise une situation qui, depuis
1951, prêtait à critique sur le plan constitutionnel. Elle permet le
transfert de l'exercice de pouvoirs déterminés non seulement par un
traité mais aussi - même si cette dernière possibilité paraît assez
680 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

illusoire ( 1) - par une loi fédérale. Elle permet aussi le développe-


ment d'un droit dérivé dont elle ne maîtrise pas l'essor et qui risque
de se trouver en contradiction avec les prescriptions du droit belge.
Elle n'exclut pas non plus l'élaboration par des institutions de droit
international public de décisions qui - dans les cas prévus par les
traités constitutifs - seront << automatiquement obligatoires pour
les Etats membres des Communautés et immédiatement introduites
et applicables dans l'ordre juridique interne (2) )).

B. - Le silence du texte
793. - La rédaction de l'article 34 de la Constitution peut
paraître lacunaire.
Telle qu'elle est libellée, la disposition constitutionnelle ne précise
pas la valeur juridique qu'il convient d'attribuer dans l'ordre
interne aux traités constitutifs; la disposition reste a fortiori en
défaut de préciser la place respective des normes et décisions qui
sont prises par les institutions de droit international public et celles
qui sont adoptées dans l'ordre interne; la disposition constitution-
nelle ne précise pas non plus quelles autorités seront en mesure de
régler les conflits qui ne manqueront pas d'apparaître entre les dis-
positions du droit international et celles du droit interne.

C. - Les compléments au texte


794. - A de multiples reprises, il a été suggéré d'inscrire dans
la Constitution une disposition qui fixe le rang des différentes règles
du droit international par rapport à celles du droit national, en par-
ticulier du droit constitutionnel et législatif. Ces suggestions n'ont
pas été suivies d'effet. Dans les milieux juridiques, en particulier,
l'accent est mis sur les mérites d'évolutions jurisprudentielles plus
souples et moins formalisées. De telles objections restent-elles fon-
dées? Dans un souci de cohérence et de sécurité juridique, la
matière ne gagnerait-elle pas à être clarifiée?

(l) M. UYTTENDAELE, op. cit., p. 47.


(2) N. V ALTICOS, <<Expansion du droit international et Constitutions nationales. Un cas signi-
ficatif : le transfert de pouvoirs à des organisations internationales et la Constitution belge •, in
Evolution constitutionnelle en Belgique et relations internationales - Hommage à Paul De V isscher,
Paris, Pedone, 1984, p. 9.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 681

§ 2. - L'œuvre jurisprudentielle

A. - Le principe de primauté
795. - La jurisprudence comble, pour une part, le silence de la
Constitution.
Dès le 27 mai 1971, la Cour de cassation établit une règle fonda-
mentale d'interprétation. Elle doit servir à régler l'ensemble des
conflits qui pourraient survenir entre les normes de droit internatio-
nal, et spécialement celles de droit européen, d'une part, les règles
de droit interne, d'autre part.
La Cour estime, dans le célèbre arrêt Fromageries Franco-Suisse
Le Ski, que les Etats membres ont limité l'exercice de leurs pouvoirs
souverains dans les domaines que les traités qui ont créé le droit
communautaire déterminent.
Il en résulte que << lorsque le conflit existe entre une norme de
droit interne et une norme de droit international (qui a) des effets
directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité
doit prévaloir. La prééminence de celle-ci résulte de la nature même
du droit international conventionnel >>.
<<Pour beaucoup, le droit européen l'emporte sur le droit national, en ce com-
pris le droit constitutionnel. Pacta sunt servanda. Autrement dit : les conventions
signées doivent être respectées. Si les traités internationaux contiennent quelque
entorse au droit national, c'est parce que les autorités publiques qui étaient
habilitées à engager l'Etat l'ont voulu ainsi. A elles de réfléchir plus tôt, de ne
pas se laisser circonvenir, de ne pas céder aux modes de l'instant>> (Le fédéra-
lisme en Europe ... , p. 84).

Comme le souligne J. VELU, la Cour de cassation a résolument


choisi de la sorte une vision moniste du droit. Elle ne s'en est pas
départie depuis lors. Elle a, du même coup, investi les juridictions
belges de la tâche concrète d'assurer, à l'occasion des litiges dont
elles sont saisies, le respect des règles de droit international public.
Elle leur a donné mission de consacrer, si nécessaire, la prééminence
de ces dispositions sur les règles de droit belge.
«Les juridictions belges sont investies d'une tâche précise. A l'occasion de
l'examen des litiges dont elles sont saisies, elles ont mission de faire respecter les
règles de droit européen. Elles doivent consacrer, si nécessaire, la prééminence
de ces dispositions sur les règles belges. De manière diffuse, elles contribuent,
sous le contrôle de la Cour de cassation, à instaurer la cohérence du système juri-
dique par le haut, soit par le droit européen. Si nécessaire, elles s'adressent à la
Cour de justice des Communautés européennes et obtiennent, par le biais d'une
682 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

question préjudicielle, réponse aux problèmes d'interprétation du droit commu-


nautaire>> (ibid., p. 88).

B. - Les limites de la primauté


796. - La primauté qui est ainsi reconnue au droit internatio-
nal conventionnel n'est pas absolue. Trois restrictions au minimum
doivent être énoncées.
Stricto sensu, la primauté reconnue au droit international ne vaut,
en application de la règle Pacta sunt servanda, que pour les disposi-
tions du droit conventionnel. La jurisprudence Le Ski laisse entière
la question de la validité et de l'efficacité du droit dérivé. Elle laisse
a fortiori dans l'ombre la question de la valeur qu'il revient d'attri-
buer à des décisions unilatérales ou à des actes individuels qui sont
accomplis, par exemple, par les autorités communautaires.
La primauté reconnue au droit international ne vaut que pour les
dispositions de droit conventionnel qui ont été correctement arrê-
tées et qui, il faut le supposer, ont donc été introduites - selon les
formes et dans les conditions voulues - dans l'ordre juridique
belge.
La primauté reconnue au droit international conventionnel ne
vaut que pour les dispositions qui ont des effets directs dans l'ordre
interne. Des analyses particulièrement fines doivent être opérées
pour faire, fût-ce au sein d'un même instrument juridique, le départ
entre les normes qui produisent par elles-mêmes ces effets de droit
et celles qui requièrent, pour leur mise en œuvre, l'adoption de dis-
positions particulières par les autorités belges.

C. - Les limites de la primauté (suite)


797. - Une autre distinction est évoquée.
L'affaire qui donne lieu à l'arrêt du 27 mai 1971 a trait aux rap-
ports entre le droit européen et une loi belge. Pour sa part, l'arrêt
se prononce, de manière générale, sur les relations qui doivent exis-
ter entre le droit international conventionnel - quels qu'en soient
l'origine institutionnelle et la portée géographique - et le droit
belge.
N'y a-t-il pas lieu, cependant, de faire le départ entre les sources
du droit international? Ne convient-il pas de distinguer le droit
international général et le droit communautaire?
L'EXERCICE DES FONCTIONS 683

En d'autres termes, l'arrêt du 27 mai 1971 ne s'inscrit-il pas dans


le sillage de l'article 34 de la Constitution ? La primauté reconnue
au droit international ne vaut-elle pas pour les seuls domaines où
un transfert d'attributions a été expressément consenti par traité au
profit d'institutions de droit international public?
Là où aucun transfert d'attributions, au sens précis de l' expres-
sion, n'a été réalisé, même au profit de l'Union européenne, la règle
de primauté affichée par la jurisprudence Le Ski ne saurait préva-
loir.
Le traité de Maastricht reconnaît au citoyen de l'Union les droits politiques
de l'électorat et de l'éligibilité à l'occasion des élections municipales. Il n'y a pas
d'attributions de compétences à l'Union européenne sur ce terrain. Les Etats
membres restent compétents pour intervenir en ce domaine. Là où la citoyen-
neté organisée par l'Etat membre fait défaut, l'Union est en mesure d'intervenir
à titre subsidiaire.

§ 3. - L'œuvre communautaire

A. - La jurisprudence communautaire

798. - La jurisprudence communautaire va bien au-delà des


principes établis par la Constitution. Elle n'hésite pas, pour sa part,
à affirmer le principe de la primauté absolue du droit communau-
taire sur le droit national, quel qu'il soit.
<<Les grandes années de la jurisprudence fondatrice de la Cour de justice (des
Communautés européennes) lui ont permis d'énoncer les principes fondamentaux
qui ont donné à l'ordre juridique communautaire toute sa force. La consécration
de la primauté absolue du droit communautaire sur le droit national, y compris
le droit constitutionnel, témoigne d'une vision très hiérarchisée des rapports
entre le droit communautaire et les droits nationaux. La jurisprudence sur l'effet
direct du droit communautaire sans cesse étendu par la manipulation des critères
jurisprudentiels originels a visé à assurer l'impact du droit primaire (les traités
constitutifs) et du droit dérivé (règlements, mais aussi directives et décisions)
dans les ordres juridiques nationaux. Elle a permis aux justiciables d'invoquer
ces normes devant les juges nationaux considérés comme les juges communau-
taires de droit commun et placés, à ce titre, à défaut d'une hiérarchie judiciaire,
sous une tutelle normative exercée par la Cour de justice des Communautés
européennes>> (J. RIDEAU, «Quinze Etats membres en quête d'Union •>, in Les
Etats membres de l'Union européenne. Adaptations - Mutations - Résistances,
Paris, L.G.D.J., 1996, p. 5).

<< Issu d'une source autonome, le droit né du traité ne pourrait, en

raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement oppo-


684 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

ser un texte interne quel qu'il soit sans perdre son caractère com-
munautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la
Communauté elle-même •> (C.J.C.E., n° 6/64, 15 juillet 1964).
<( Le juge national, chargé d'appliquer dans le cadre de sa compé-
tence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'as-
surer le plein effet de ces normes, en laissant au besoin inappliquée,
de sa propre autorité, toute disposition de la législation nationale,
même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimina-
tion préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre pro-
cédé constitutionnel •> (C.J.C.E., no 106/77, 9 mars 1978).

B. - Les limites de la primauté


799. - L'affirmation sans nuances de la primauté du droit euro-
péen sur le droit national et, en particulier, sur le droit constitution-
nel peut contribuer à créer l'incohérence, plutôt que l'harmonie au
sein d'un système juridique complexe.
L'intégration des Etats à l'échelon européen a des limites. Celles-
ci ne sont pas uniquement tributaires des résistances économiques
ou culturelles qui peuvent s'exprimer au sein des Etats associés.
Elles tiennent également aux nécessités d'une action intégrée qui ne
soit ni uniformisante, ni centralisatrice mais qui prennent en
compte tout à la fois les préoccupations démocratiques et les inté-
rêts étatiques.

C. - Les résistances à la primauté


800. - Les approfondissements de la construction européenne
ont amené les Etats à faire valoir trois types de préoccupations.
La préoccupation démocratique passe par la défense des droits fon-
damentaux. Comme le soulignent C. GREWE et H. OBERDORFF,
cette préoccupation est reproduite en toutes lettres dans la Consti-
tution suédoise. Le Riksdag peut renoncer à des attributions en
faveur des Communautés européennes. C'est pour autant que ces
dernières maintiennent en vigueur <( une protection des droits et
libertés •> correspondant à celle instituée par la Constitution et par
la Convention européenne des droits de l'homme (3).

(3) Les Constitutions des Etats de l'Union européenne -- dir. C. GREWE et H. ÛBERDORFF --,
Paris, La DocumeDtation française. 1999, p. 19.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 685

La préoccupation nationale passe par la préservation de ce que le


Conseil constitutionnel français appelle << les conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale>>.

Un aspect de la souveraineté nationale est souvent perdu de vue.


La Nati on s'exprime de manière solennelle lorsqu'elle se donne une
Constitution ou lorsqu'elle la révise. Une loi fédérale d'assentiment,
adoptée à la majorité absolue des suffrages, permet à un traité de
produire ses effets dans l'ordre interne. Peut-elle avoir pour objet de
modifier le texte et le contenu de dispositions constitutionnelles
dont la révision requiert, entre autres, la réunion d'une majorité
qualifiée des suffrages? Il serait trop facile de modifier, avec l'aide
d'un ou de plusieurs partenaires étrangers, ce qui aurait été établi
au terme d'une procédure lourde et complexe. Il y aurait là un véri-
table << détournement de procédure constitutionnelle >>.

CA, no 12/94, 3 février 1994 : «Le Constituant, qui interdit que le législateur
adopte des normes législatives internes contraires aux normes visées par l'article
(142) de la Constitution, ne peut être censé autoriser ce législateur à le faire indi-
rectement par le biais de l'assentiment à un traité international. Par ailleurs,
aucune norme de droit international - lequel est une création des Etats --,
même pas l'article 27 de la convention de Vienne de 1969, ne donne aux Etats
le pouvoir de faire des traités contraires à leur Constitution >>.

La préoccupation fédérative implique le souci de préserver, dans


l'ordre interne, la répartition des fonctions entre trois corbeilles :
fédérative, fédérale et fédérée. Le souci est notamment exprimé de
ne pas déranger, à la faveur de transferts de compétence, les équi-
libres internes et de ne pas modifier, à l'occasion du développement
de politiques communautaires, les volumes respectifs de chaque cor-
beille.

Ce souci est particulièrement vif dans une fédération où la fonction internatio-


nale n'est pas réservée au seul Etat fédéral mais est partagée avec les commu-
nautés et les régions. <<Le Conseil d'Etat a rappelé que, dans un Etat où le pou-
voir de faire des traités internationaux n'est plus réservé au pouvoir exécutif
(fédéral) mais réparti, aux termes même de l'article 167 de la Constitution, entre
un ensemble d'autorités fédérales, communautaires et régionales, il y a lieu
d'être particulièrement attentif aux problèmes que soulève l'harmonisation des
règles de droit international, de droit européen, de droit constitutionnel, de droit
fédéral et de droit des collectivités fédérées>> (C.E., L. 27.449/2, 23 mars 1998).
686 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

SECTION III. - LES FONCTIONS D'INTÉGRATION


DANS LES ORDRES JURIDIQUES NATIONAL
ET INTERNATIONAL

801. - Si elle veut réussir, l'intégration des Etats européens


dans l'Europe communautaire ne peut bousculer ni leur système
constitutionnel, ni leur système juridictionnel - qui fonde la
construction de l'Etat de droit-, ni non plus- ce qui apparaîtrait
comme un comble - leur système fédératif.
La construction d'<< une Belgique fédérale dans une Europe fédé-
rale >> est à ce prix.
Encore faut-il, pour atteindre cet objectif, que des mécanismes
intégrateurs soient mis en place. Ils appellent une définition plus
précise des rôles respectifs qui sont assignés à la Constitution et au
droit communautaire (§ 1er) et des missions spécifiques qui sont
reconnues aux juges belges et au juge communautaire (§ 2). La pro-
blématique ne saurait être examinée sans tenir compte du double
mouvement fédérateur qui se développe dans l'Etat belge et dans
l'Union européenne (§ 3).

§ 1'". - La Constitution et le droit international

A. -Les principes
802. - << Dans le système juridique national, le traité internatio-
nal doit céder le pas à la Constitution>> (4).
Un traité international qui a été accompli- du côté belge- par
une autorité constituée et qui a été intégré - dans l'ordre juridique
belge- par d'autres autorités constituées, dont l'une statue notam-
ment selon les règles de la majorité ordinaire ne saurait modifier de
plein droit - que ce soit dans un sens positif, en ajoutant des pres-
criptions constitutionnelles, ou dans un sens négatif, en en reti-
rant - des dispositions qui sont l'œuvre du pouvoir constituant et
qui requièrent, notamment pour leur adoption, l'adhésion des
chambres législatives statuant à la majorité des deux tiers.
Un traité international qui a été accompli- du côté belge- par
un gouvernement de communauté ou de région et qui a été

(4) F. DELPÉRÉE, ''Belgique>>, in Les Etats membres de l'Union européenne ... , p. 93.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 687

intégré - dans l'ordre juridique belge ou, en tout cas, dans celui de
la communauté ou de la région considérée - par d'autres autorités
constituées, dont l'une notamment statue selon les règles de la
majorité ordinaire au sein d'une assemblée fédérée, ne saurait modi-
fier les dispositions du pacte fédératif.
Un traité international qui a été accompli - du côté belge -
dans des conditions qui ne correspondent pas aux prescriptions -
de forme ou de fond - du droit constitutionnel ne saurait - par le
seul fait d'un acte tout aussi inconstitutionnel d'assentiment - pro-
duire ses effets dans l'ordre juridique belge et, pis encore, défaire
des dispositions constitutionnelles ou législatives qui répondent,
pour leur part, à toutes les conditions de validité - externe et
interne-.
Un traité international qui a été conclu par les autorités belges
habilitées à ce faire et qui confère à des institutions de droit inter-
national public l'exercice de pouvoirs déterminés- mais il faudrait
aussi évoquer les normes, les règles et les décisions qui sont prises
par les autorités qui ont été aménagées à cet effet, voire même les
arrêts, ceux des juridictions belges comme ceux des juridictions
internationales, qui procurent application au droit communau-
taire- ne saurait contenir des prescriptions qui dérangent l' organi-
sation des institutions publiques de l'Etat belge.
Si l'on devait suivre un autre raisonnement, rien n'empêcherait le juge belge
d'écarter l'application d'un arrêté royal délibéré en conseil des ministres à pré-
texte que la disposition de la Constitution qui prescrit que ce conseil est composé
de quinze membres maximum complique les mécanismes de transposition des
directives communautaires. Rien n'empêcherait non plus ce même juge d'écarter
l'application d'une loi fédérale, à prétexte qu'elle a suivi, comme le veut la
Constitution, la procédure du bicaméralisme intégral ou virtuel et que ces pres-
criptions prolongent inutilement les mécanismes de transposition. Les mêmes
observations pourraient valoir pour la consultation des organes constitutionnels
d'avis ou pour la concertation avec d'autres autorités publiques et administra-
tives. Une chose est de constater que les mécanismes de décision, tels qu'ils exis-
tent en Belgique, sont inadaptés à l'évolution du droit communautaire et qu'il
y aurait lieu d'en revoir les modalités. Une autre chose est de décider, par la voie
d'une décision de justice, que ces mécanismes sont obsolètes et qu'il n'y a plus
lieu de respecter les prescriptions de la Constitution.

B. - Les contrôles

803. - La Cour d'arbitrage s'est reconnue compétente pour


contrôler la validité interne- c'est-à-dire la conformité à la Consti-
688 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

tution et la compatibilité avec elle - des lois, décrets et ordon-


nances qui procurent assentiment à un traité international. Mieux
que cela, pour faire œuvre utile, elle a été amenée à contrôler la
constitutionnalité du traité qui a fait l'objet de la procédure d'as-
sentiment. << L'examen du contenu de la convention internationale f)
fait partie des tâches de contrôle assignées au juge constitution-
nel (5).

C. - Les réactions
804. - La position affichée, et réaffirmée depuis lors, par la
Cour d'arbitrage (6) n'a pas fait que des heureux. Le procureur
général VELU n'a pas manqué de souligner que cette position s'ins-
crivait manifestement en retrait de la jurisprudence Le Ski. Mais
n'est-elle pas plus respectueuse du partage des attributions constitu-
tionnelles? Ne s'inscrit-elle pas mieux dans le schéma fédératif?
Sur l'ensemble de la question, voyez notamment Y. LEJEUNE et
Ph. BROUWERS, <<La Cour d'arbitrage face au contrôle de la consti-
tutionnalité des traités f>, note sous C.A., 16 octobre 1991, J.T.,
1992, p. 671; Ph. BROUWERS et H. SIMONART, <<Le conflit entre la
Constitution et le droit international conventionnel dans la jurispru-
dence de la Cour d'arbitrage f>, in C.D.E., 1995, p. 7; J.V. LouiS,
<<La primauté, une valeur relative ? f>, C.D.E., 1995, p. 23.

§ 2. - Le juge et le droit international

A. -Le juge belge

805. - Le droit communautaire fait du juge belge un juge de


droit commun de l'interprétation et de l'application du droit com-
munautaire. Il étend ainsi le champ de ses investigations et de ses
contrôles. Il ne saurait pour autant modifier les conditions de la dis-

(5) Le raisonnement est le suivant. En approuvant J'acte international conventionnel, la


norme de droit belge s'est appropriée les inconstitutionnalités dont cet acte était peut-être
entaché. Dans ces conditions, la Cour d'arbitrage ne peut déclarer forfait. Elle doit étendre le
contrôle de la norme d'assentiment à la confrontation entre les normes internationales qui ont
été ainsi introduites dans l'ordre juridique belge et les règles constitutionnelles.
(6) C.A., no 26/91, 16 octobre 1991; n" 12/94, 3 février 1994; n" 33/94, 26 avril 1994. Adde :
F. DELPÉRÉE et A. RASSON·ROLAND, La Cour d'arbitrage ... , p. 77; C. NAOME,<< Les relations entre
le droit international et le droit interne belge après l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 16 octobre
1991 •>, R.D.I.D.C., 1994, p. 24: J. DELVA, «De impact van het Europese verdragsrecht op de
rechtspraak van het Arbitragehof. Een poging tot kritische doorlichting >>, T.B.P., 1995, p. 637.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 689

pensation de la justice en Belgique. Il ne peut conférer aux juges


belges d'autres prérogatives que celles que la Constitution attribue
à chacun d'eux.
Le juge belge n'est pas autorisé à annuler une disposition de la
Constitution. Ce même juge n'est pas non plus habilité à en refuser
l'application dans un cas d'espèce - et la Cour d'arbitrage est sans
compétence pour lui donner quelque injonction en ce sens - . Dans
ces conditions, d'où le juge tirerait-il la prérogative de censurer
l'œuvre constitutionnelle au nom du droit communautaire ou du
droit international conventionnel ?
Rien n'empêche sans doute le juge belge de constater une distor-
sion entre les solutions que retiennent divers instruments juridiques.
Rien ne l'empêche de saisir de cette question les autorités de
Luxembourg. De là à considérer qu'il peut faire l'économie de ces
démarches et suspendre- de son propre mouvement- les disposi-
tions de la Constitution (7), il y a un pas que l'on ne saurait franchir
à peine de remettre en question les règles les plus élémentaires de
dispensation de la justice.
A ce propos, la confusion semble régner dans la jurisprudence
judiciaire et administrative (C.E., no 62.922, 5 octobre 1996, Orfin-
ger) (8). Elle tend à considérer que, dès l'instant où la primauté de
la norme de droit international est affirmée à l'encontre d'une
norme de droit interne, y compris une norme constitutionnelle,
celle-ci serait vouée à s'effacer. Les solutions de droit qu'elle a éta-
blies seraient oblitérées. Toutes les autorités publiques - y compris
juridictionnelles - devraient considérer le texte constitutionnel
comme nul et non avenu.
Le juge institué par la Constitution n'est pas là pour l'ignorer
mais pour la défendre.

(7) La question de la place des règles de droit international parmi les normes qui sont appli·
cables en Belgique est Je plus souvent envisagée dans une perspective hiérarchisante. Il s'agirait
d'imposer ou, au contraire, de contester, la (<primauté 1> des unes sur les autres. Le plus souvent
aussi, la question est examinée dans une perspective neutralisante. Dès J'instant où la supériorité
de tout ou partie des règles de droit international est affirmée à l'encontre de règles plus particu·
li ères, en ce compris des règles constitutionnelles, l'efficacité de ces dernières devrait se trouver
paralysée, sinon effacée, par des dispositions en sens contraire.
Il paraît inadéquat de confronter deux normes qui relèvent de deux ou de plusieurs ordres
juridiques différents en termes conflictuels. Chacune de ces normes prise dans son ordre juridique
spécifique, a sa validité. C'est leur application cumulative qui, dans une situation déterminée,
plonge Je juriste, voire le juge, dans J'embarras.
(8) Camp. F. RJGAUx et F. D~;LPRRÉE. ''Nationalité et citoyenneté. Développements et inci·
dences sur le droit de la fonction publique en Belgique», A.P.T., 1997, p. 15.
690 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

B. - Le juge communautaire
806. - La Cour de justice des Communautés européennes peut
être tentée de donner une lecture constitutionnaliste des traités fon-
dateurs. Elle n'ignore pas l'origine conventionnelle de ces traités.
Mais elle peut y voir << le socle constitutionnel )) d'une construction
inachevée. Elle l'assimile à tout le moins à une<< charte constitution-
nelle)) (C.J.C.E., 23 avril 1986, Parti écologiste Les Verts).
Un minimum de cohérence s'impose. Aucune Constitution ne
tolère sur son territoire une autre Constitution. Ou elle n'est plus la
Constitution. L'émergence d'une Constitution européenne ne peut
que conduire à l'évanouissement des Constitutions nationales. De
règles primaires, les voici ramenées au rang de règles secondaires, et
même subordonnées ...

C. - Le dialogue de juge à juge


807. - Une démarche plus constructive ne peut-elle se conce-
voir? La perspective binaire qui incite à recourir au principe de
suprématie n'est-elle pas excessivement simplificatrice? Ne crée-t-
elle pas plus de conflits qu'elle n'en résout? Une démarche plus
conciliante ne doit-elle pas être préconisée ?
Une norme de droit interne transpose fidèlement les principes du
droit primaire et dérivé ... Une norme de droit communautaire s'éla-
bore en tenant compte des spécificités des ordres juridiques natio-
naux ... Il s'agit là d'interventions qui doivent être encouragées
parce qu'elles respectent l'ensemble des partenaires institutionnels.
Une norme de droit interne ignore purement et simplement les
prescriptions du droit primaire et dérivé ... Une norme de droit com-
munautaire fait totalement abstraction des dispositions des Consti-
tutions des Etats européens ... Il s'agit là d'interventions qui méri-
tent d'être censurées sans tergiverser.
Contrôles de validité et de non-validité... Contrôles à double
sens ... Soit. Mais, dans des cas, plus nombreux qu'il n'y paraît, un
tiers chemin peut aussi être emprunté. Chacun des ordres juridiques
a agi de manière autonome. Chacun est resté dans le domaine de ses
attributions. Des interférences, des recoupements, des contradic-
tions se produisent néanmoins dans l'exercice de ces compétences.
Faut-il crier au viol du traité? Ou à la forfaiture constitution-
nelle? Pourquoi ne pas envisager, plus simplement et plus concrète-
L'EXERCICE DES FONCTIONS 691

ment, les modifications qui, de part et d'autre, pourraient raboter


les aspérités les plus voyantes tout en restant fidèle aux engage-
ments institutionnels pris dans l'Etat et dans l'Union? Ces perspec-
tives conciliatrices mériteraient d'être mieux explorées et, là où elles
existent, mieux utilisées.

§ 3. - Le système fédératif et le droit international


808. - La logique communautaire peut heurter de plein fouet la
logique fédérative. L'interpénétration des relations juridiques et
politiques dans la société européenne peut favoriser des comporte-
ments intégrationnistes, voire uniformisateurs. Plutôt que de déve-
lopper des relations de collaboration entre des appareils distincts de
pouvoir, elle instaure des méthodes de commandement de type ver-
tical.

809. - Le principe de hiérarchie trouve d'autant plus facile-


ment à s'appliquer qu'il s'appuie sur le principe d'immédiateté.
L'Europe n'a pas besoin du concours des autorités fédérales ou fédé-
rées pour imposer ses prescriptions aux autorités publiques, aux
administrations, aux entreprises privées et même aux citoyens. De
cette manière, elle bouscule, même sans le vouloir, les équilibres
internes.
Cette façon de raisonner est-elle judicieuse? Le droit communau-
taire peut prendre appui sur les droits nationaux, y compris les
droits fédérés. Sans doute cherchera-t-il à recevoir une application
uniforme sur tout le territoire de la Communauté. Mais ne peut-il
atteindre cette objectif par des voies différenciées?

810. - L'Europe n'a pas non plus à requérir le consentement,


encore moins l'approbation de ceux à qui elle s'adresse. Elle n'a pas
à respecter les ordres juridiques des Etats, alors que ceux-ci sont
tenus au respect des traités communautaires. La perspective n'est
pas à double sens. Elle est à voie unique. Elle va du sommet à la
base. La loyauté communautaire commande de se plier aux injonc-
tions qui sont formulées.

A. - Le refus des méthodes unitaires


811. - Les règles de droit européen, de droit fédéral et de droit
fédéré doivent, dit-on, s'intégrer les unes aux autres comme dans la
692 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

pyramide de KELSEN. Le niveau le plus vaste commande au plus


restreint. Les normes, les directives et les mesures qui sont élaborées
au niveau communautaire se déversent naturellement, comme les
eaux qui s'écoulent dans les bassins des fontaines, aux étages infé-
rieurs.
Cette option n'est pas fondée. Comme l'écrivent E. GARCIA DE
ENTERRIA et T. RAMON FERNANDEZ, les rapports entre le droit com-
munautaire, le droit national et le droit des collectivités autonomes
doivent s'envisager en fonction du principe de répartition des com-
pétences, et non en fonction du principe de hiérarchie (9).
812. - Prise à la lettre, la thèse de la primauté absolue est sin-
gulière. Elle ne s'accorde pas avec les principes d'organisation de la
société fédérative.
Dans les systèmes fédératifs qui prévalent dans les Etats euro-
péens, tant la fédération que les collectivités fédérées sont assujet-
ties au respect de normes communes qui sont inscrites dans la
Constitution. A défaut de Constitution européenne, le système mis
en place risque de mettre les Etats membres sous l'égide des institu-
tions communautaires.
Même dans un Etat fédéral comme la Belgique, le droit fédéral ne
· l'emporte pas sur le droit régional. Il ne l'emporte que, pour autant
qu'il soit pris dans le domaine des matières fédérales. S'il empiète
sur le domaine des compétences communautaires ou régionales, c'est
lui, au contraire, qui s'expose à critique et à censure. Les prescrip-
tions du droit international réussissent l'exploit d'avoir plus de
force juridique que si elles étaient les dispositions qu'aurait élabo-
rées un hypothétique Etat mondial ou une Fédération européenne
achevée.
Dans un Etat fédéral, même en gestation, il s'indique, à tout le
moins, que le juge qui veille au respect du pacte fédératif ne soit pas
une autorité qui relève soit de l'ensemble communautaire, soit des
ensembles nationaux, mais du système global.

B. - La promotion de méthodes fédératives


813. - Il faut rendre à la Communauté son sens premier. La
Communauté n'est rien sans ses membres. C'est-à-dire sans les

(9) Curso de Derecho administrativo. 5'' ed., Madrid, 1989, p. 178.


L'EXERCICE DES FONCTIONS 693

Etats. Et, au-delà d'eux, sans leurs collectivités particulières. Il ne


sert à rien de leur reconnaître le droit à l'existence si c'est pour leur
dénier, dans le même moment, le droit à une action autonome. Dans
leurs dimensions fédérale et fédérées, ces Etats peuvent contribuer
à donner à l'Europe son équilibre.
<<L'Union européenne est confrontée au défi du pluralisme juridique ... La plu-
ralité des droits nationaux est une part de l'identité de la culture juridique euro-
péenne (P. HABERLE). De ce point de vue, il est assez paradoxal que le droit
communautaire ne reconnaisse formellement que 'les traditions constitution-
nelles communes', c'est-à-dire ce qui est commun, et non ce qui est spécifique
à la tradition juridique et constitutionnelle des Etats membres ... L'Union euro-
péenne doit trouver la voie d'une intégration juridique pluraliste, qu'appelle
notamment l'hétérogénéité des systèmes de droit de l'administration, et cela
implique que ce pluralisme bénéficie de garanties juridiques. Cette voie pourrait
être celle du 'pacte fédératif' au sens où Olivier BEAUD le caractérise, pacte inte-
rétatique, mais ni traité international ni constitution, et qui impose de com-
prendre ses rapports avec les constitutions des Etats membres autrement qu'en
termes de hiérarchie des normes>> (10).

814. - La primauté et la prééminence sont concevables dans un


système de droit moniste - où toutes les normes s'intègrent dans
un même ensemble hiérarchisé - . Ces notions n'ont pas de sens
dans un système juridique qui se fonde notamment sur le principe
d'égalité - et non de subordination - des parties composantes.
L'égalité qui doit prévaloir dans une telle société politique ne
commande pas seulement les relations qui s'instaurent entre les
Etats. Elle doit également régenter les rapports qui existent entre
la Communauté et chacun des Etats. Cette solution institutionnelle
ne conduit pas à l'anarchie dès l'instant où les textes constitutifs de
l'ensemble européen ont pris soin de déterminer les compétences des
uns et des autres et ont instauré des mécanismes adéquats de
contrôle pour régler les conflits qui peuvent survenir entre eux.

C. - Les contrôles
815. - Le juge constitutionnel assume le contrôle de la constitu-
tionnalité de la loi. Il exerce cette fonction dans les limites que la
Constitution lui assigne. La moindre des choses est que ce juge créé
pour défendre la Constitution la respecte ... Ne devrait-il pas dispo-
ser d'attributions qui lui permettent d'agir de façon cohérente ? La

(JO) G. MARCOU,« Conclusion'· in Les mutations du droit de l'administration en Europe. Plura-


lisme et convergences, Ed. L'Harmattan, 1995, p. 343.
694 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

Constitution ne devrait-elle pas être révisée pour étendre la fonction


qu'elle lui attribue ?
La mission du juge constitutionnel gagne à s'élargir. Elle doit
dépasser le contrôle de la loi. Elle doit dépasser le contrôle de
constitutionnalité. Elle doit même dépasser la stricte fonction de
contrôle pour assumer - selon une expression connue - une mis-
sion d'aiguillage.
816. - 1. Le juge constitutionnel a été institué pour connaître
de l'activité parlementaire et pour brider au besoin la toute puis-
sance des assemblées.
Le législateur fédéral peut se tromper, comme tout le monde. Il
peut, par maladresse ou par commodité, ignorer les droits de
l'homme, les attributions des autres pouvoirs, les procédures institu-
tionnalisées. Le juge constitutionnel doit le ramener à la raison. En
tout cas, au respect de la Constitution.
Le législateur fédéré est faillible. Il peut se sentir enfermé dans le
carcan des compétences qui lui ont été attribuées. Il découvre, sur
le terrain, l'utilité de connexions avec des responsabilités qui sont
à la marge des siennes. De manière plus conquérante, il peut être
tenté d'acquérir, sinon en droit du moins en fait, de nouvelles com-
pétences. Des garde-fous s'imposent.
Le législateur fédéral ou fédéré n'est pas seul faillible. D'autres
autorités doivent être assujetties aux mêmes contrôles. Ce que le
législateur ne peut faire seul, peut-il l'accomplir avec d'autres? Suf-
fit-il qu'un traité international résulte d'un accord de volontés pour
faire œuvre souveraine et échapper à toute contestation?
Il convient de mesurer la portée de la règle pacta sunt servanda. <<Si (cette
règle) fait peser sur l'Etat, pris en sa qualité de sujet du droit international, une
obligation d'exécuter de bonne foi les engagements qu'il souscrit, de nature à
engager, à défaut, sa responsabilité internationale, elle ne saurait par elle-même
avoir d'effet sur la hiérarchie des normes internationales et internes au regard
de l'ordre juridique de l'Etat, non plus que sur la mise en œuvre dans le temps
des procédures destinées à en assurer la sanction ... >> (X. PRETOT, «La non-
conformité à la Constitution du traité sur l'Union européenne» in La Constitu-
tion et l'Europe, 1992, p. 327).

Comme l'écrivent M. MELCHIOR et P. VANDERNOOT (11), <<les


organes étatiques, même lorsqu'ils concluent des traités, tirent leurs

(li) «Contrôle de constitutionnalité et droit communautaire dérivé>>, R.B.D.C., 1998, p. Il.


L'EXERCICE DES FONCTIONS 695

pouvoirs de la Constitution; ils ne peuvent donc valablement déro-


ger à celle-ci, en marquant leur accord sur des normes susceptibles
de produire dans l'ordre interne des effets contraires aux disposi-
tions constitutionnelles matérielles >>.
817. ~ Ceci vaut pour le droit communautaire primaire. La
clause générale de compétence ne saurait suffire. Sans doute, n'y a-
t-il pas lieu de s'opposer à un transfert de compétences à l'Union
européenne si les règles constitutionnelles le permettent. Mais com-
ment ne pas constater que les traités communautaires s'insèrent de
plus en plus dans des domaines qui n'ont rien à voir avec l'hypo-
thèse première ?
Pour ne prendre qu'un exemple, l'organisation du droit de vote
aux élections municipales n'est pas un transfert de compétences des
Etats à l'Union européenne. C'est une intervention de l'Union, à
coup sûr heureuse, dans le domaine des affaires intérieures des
Etats.
L'on ne peut exclure<< l'hypothèse de la défaillance de l'ordre juri-
dique communautaire >>. Dans ce cas, le conflit << devra être tranché
en faveur de la règle constitutionnelle>> (12).
Pour assurer la cohérence et la coexistence d'ordres juridiques
distincts, voire <<la cohabitation de deux logiques>> (13), il serait
plus simple que le juge constitutionnel accepte de vérifier la consti-
tutionnalité des traités européens et qu'il souscrive ainsi à la leçon
de l'arrêt Saurran : << La suprématie conférée aux engagements
internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux disposi-
tions de nature constitutionnelle>> (C.E. fr., 30 octobre 1998, avec
les commentaires de L. DuBOUIS, B. MATHIEU, M. VERPEAUX et
0. GoHIN, R.F.D.A., 1999, pp. 57 s.).
818. ~ Ce qui est suggéré pour le droit primaire vaut a fortiori
pour le droit dérivé. Le juge constitutionnel doit être en mesure de
se prononcer sur la validité constitutionnelle d'un acte de droit
dérivé, à tout le moins celle de la loi fédérale ou fédérée qui en
assure la transposition. Il n'y a pas lieu de se demander si le traité
communautaire vient ou non faire écran à cette forme de contrôle.

(12) L. DUBOUIS, «Le juge français et le conflit entre norme constitutionnelle et norme euro-
péenne>>, in Mélanges Boulouis, Paris, Dalloz, 1991, p. 218).
(13) Ibid.
696 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

L'acte dérivé peut contenir, en lui-même, un vice de constitutionna-


lité qui doit pouvoir être décelé et censuré.
819. - Dans un avis L. 27.449/2 du 23 mars 1998, le Conseil
d'Etat s'inscrit largement dans cette perspective. La leçon métho-
dologique est simple.
Il faut vérifier << si les engagements internationaux pris par l'Etat
fédéral ou l'une de ses composantes s'inscrivent bien dans le cadre
des prescriptions de la Constitution )).
Il faut vérifier « si les règles de droit national qui s'attachent à
transposer la législation communautaire dans l'ordre juridique
national se concilient avec les mêmes dispositions de la Constitu-
tion)).
Il faut que le juge constitutionnel puisse << exercer, s'il y a lieu, un
contrôle de constitutionnalité à l'égard des mêmes engagements
internationaux ainsi que des normes qui assurent, en droit belge, la
transposition des directives communautaires )).

820. - 2. Le juge constitutionnel pourrait être investi, dans


cette perspective d'une triple fonction de contrôle : celui-ci porterait
sur la constitutionnalité, la conventionnalité et l' européanité des enga-
gements législatifs - fédéraux et fédérés - .

821. - Le juge constitutionnel assume, cela va de soi, une mis-


sion première : le contrôle de la constitutionnalité de la loi. Il vérifie
si celle-ci est conforme à la Constitution et, plus largement, à ce
qu'il est convenu d'appeler le <<bloc de constitutionnalité)).
Ce même juge ne devrait pas hésiter à exercer le contrôle de la
conventionnalité de la loi. Si l'Etat se lie avec d'autres Etats, selon
les formes prescrites par la Constitution, et si le traité conclu a des
effets directs dans l'ordre interne, il faut considérer que les engage-
ments pris font partie du droit interne. Le juge constitutionnel peut
dans ces conditions s'interroger sur la conformité de la loi avec des
dispositions comme celles de la convention européenne des droits de
l'homme ou des pactes onusiens.
En Autriche, le bloc de constitutionnalité s'est enrichi, selon l'expression de
Sylvie PEYROU-PISTOULEY, des normes de droit international. Les <<traités
d'Etat>) modifient ou complètent la Constitution. Ils doivent être ratifiés par le
Conseil national. Ils font partie intégrante de la Constitution. Ils peuvent servir
de normes de référence et justifier un contrôle qui sera, formellement, de consti-
tutionnalité et, effectivement, de conventionnalité.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 697

La Constitution introduit à ce type de contrôles en précisant que la Cour d'ar-


bitrage doit notamment veiller au respect de l'article 11 de la Constitution. Cette
disposition précise que les droits et libertés << reconnus aux Belges » doivent être
assurés sans discrimination. L'expression est entendue au sens large. La recon-
naissance des droits et libertés n'est pas le seul fait du droit belge. Elle peut éga-
lement être l'œuvre du droit international, en particulier, celle du droit euro-
péen.

822. - Ce même juge devrait encore procéder à un contrôle de


ce qu'on appellera, pour la circonstance, le contrôle d'européanité de
la loi. Il devrait, cette fois, vérifier la conformité de la loi - fédé-
rale ou fédérée - avec les normes de droit communautaire.
La Cour constitutionnelle italienne s'inscrit, à partir de 1994, dans cette per-
spective (sentence n° 384). Saisie d'un recours qui a été introduit par voie princi-
pale contre une loi régionale, la haute juridiction constitutionnelle estime qu'il
lui revient d'épurer l'ordre national des normes qui sont incompatibles avec le
droit communautaire. Cette entreprise, estime-t-elle, répond à une <<exigence
constitutionnelle de clarté normative et de certitude dans l'application du droit»
{M. FERRI).

823. - 3. Si l'on accepte cette double grille de lecture et Sl on


l'inscrit, selon les formalités voulues, dans l'ordre national, le juge
constitutionnel serait investi de nouvelles missions.
Il lui reviendrait, d'une part, de passer au peigne fin les engage-
ments internationaux des autorité fédérales et fédérées et, d'autre
part, de ratisser plus large en s'interrogeant sur la validité des
normes nationales par rapport aux engagements internationaux.
Ces nouvelles façons de faire n'aliènent ni la liberté, ni la souve-
raineté du juge constitutionnel. Au contraire, elles l'établissent dans
la qualité d'un juge qui doit remplir ses fonctions au carrefour de
l'ordre juridique national et de l'ordre juridique communautaire.
Elles l'instaurent comme juge de la cohérence juridique.
Le phénomène d'européanisation des Constitutions nationales ne traduit pas
nécessairement un mouvement de caractère moniste. Il ne s'inscrit pas nécessai-
rement dans la foulée de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes. Il privilégie plutôt une démarche dualiste qui permet à chaque
Etat de vérifier la validité constitutionnelle des engagements auxquels il sous-
crit.
L'intervention des Cours constitutionnelles peut se révéler particulièrement
utile. Soit pour apaiser les scrupules constitutionnels qui ont pu apparaître ici
ou là. Soit pour mettre le holà à des entreprises qui viseraient à instaurer des
discordances manifestes entre le droit communautaire et le droit national.
L'intégration du droit communautaire dans les Constitutions des Etats euro-
péens permet l'émergence d'un droit constitutionnel européen. Ce droit trouve
698 LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

sa source dans les Constitutions européennes, tout autant dans leurs textes que
dans les traditions constitutionnelles communes. Il justifie un contrôle, fût-il
marginal, sur les développements du droit primaire et a fortiori du droit dérivé.
Bernard STIRN écrit en ce sens que <<la Constitution est par nature supérieure
à toutes les autres normes juridiques dont elle détermine elle-même la valeur»
(Les sources constitutionnelles du droit administratif, Paris, L.G.D.J., p. 26).
En ce sens, << la forte constitutionnalisation, loin de toujours exprimer un fort
attachement à l'Europe, est, au contraire, souvent l'indice d'une méfiance
envers l'Europe, traduisant une volonté de fixer les limites de l'engagement
consenti. Le silence des Constitutions témoigne souvent, en sens inverse, d'une
ouverture plus marquée rendant inutile le recours à des aménagements constitu-
tionnels spécifiques» (J. RIDEAU, <<Rapport introductif>>, in Le traité d'Amster-
damface aux Constitutions nationales- dir. D. MAus et O. PASSELECQ- Paris,
La Documentation française, 1998, p. 15).

824. - Les juridictions nationales feront œuvre utile si, éclairées


par le juge européen sur l'interprétation du droit communautaire et
par le juge constitutionnel sur la portée du droit public interne,
ainsi que sur la régularité des engagements internationaux, elles
parviennent à rendre à chacun ce qui lui est dû.
L'objectif n'est pas, comme on le proclame si souvent, de réaliser un Etat plu-
rinational où l'Union européenne serait la seule figure étatique au-delà des
Nations de tout genre- anciennes ou nouvelles- qui figureraient sur la carte
de l'Europe. Il est plutôt de construire une nation européenne pluriétatique. Il
s'agit de donner de cette manière à un ensemble d'Etats- dont certains sont
fédéraux - des préoccupations politiques communes et des finalités partagées.
L'exercice est plus difficile que celui qui revient à plaquer un Etat sur des Etats
existants. Il cherche à donner une âme à des Etats qui ont perdu une partie de
la leur.

BIBLIOGRAPHIE

Sur la signification des fonctions fédératives, voy. notamment F. DELPÉRÉE et


S. DEPRE, Le système constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Larcier, 1998.

Sur les perspectives intégratrices et leur conciliation avec les perspectives fédéra-
listes, voy. F. DELPÉRÉE, Le fédéralisme en Europe, Paris, PUF, 2000, coll. Que sais-
je?, n° 1953; ID., <<La Constitution belge et le droit communautaire>>, in Droits
nationaux, droit communautaire : influences croisées. En hommage à Louis Dubouis,
Paris, La Documentation française, 2000, p. 71.
LIVRE VIII

Les fonctions fédérales


825. - Un quatrième livre s'est attaché à identifier les pouvoirs
qui sont à l'œuvre dans l'Etat fédéral. Un huitième analyse les fonc-
tions qu'ils remplissent.
Il importe, d'abord, de procéder à une définition des fonctions.
Quelles sont les responsabilités qui reviennent en propre à l'Etat
fédéral? Quelles sont celles qu'il partage avec ses composantes
(no 826 s.)?
Il convient, ensuite, de préciser comment s'opère la répartition des
fonctions. Le partage des responsabilités s'inscrit-il dans un schéma
de séparation? Ménage-t-il plutôt des collaborations et des
contrôles? Quelles techniques servent à distribuer les fonctions
entre les autorités fédérales (no 857 s.)?
Il faut enfin s'interroger sur l'exercice des fonctions. Quelles sont
les tâches concrètes qu'elles impliquent? Comment sont-elles effecti-
vement remplies? Quelles particularités présentent-elles dans l'Etat
fédéral (n° 901 s.)?
CHAPITRE PREMIER
LA DÉFINITION DES FONCTIONS

826. - L'on distingue parmi les fonctions fédérales, les fonctions


étatiques qui n'appartiennent en principe qu'à l'Etat fédéral et les
fonctions collectives qu'il partage avec les collectivités fédérées.
Certaines fonctions sont spécifiques à l'Etat fédéral. A ce titre,
elles sont qualifiées de fonctions étatiques (Section 1). John LocKE en
avait perçu confusément l'existence en y voyant les activités d'un
pouvoir <<chargé de la sécurité et des intérêts extérieurs de la com-
munauté •>. MoNTESQUIEU avait également identifié << la puissance
exécutive des choses qui dépendent du droit des gens •> et par
laquelle <<l'Etat fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit les ambas-
sades, établit la sûreté, prévient les invasions )). La défense et les
relations extérieures relèvent manifestement de cette catégorie.
D'autres fonctions sont communes à toutes les collectivités politi-
ques, à l'Etat fédéral sans doute mais aussi à ses composantes. A
ce titre, elles sont qualifiées de fonctions collectives (Section 2). Ces
activités sont, pour l'essentiel, nécessaires à une vie politique nor-
male ( 1 ). Certaines responsabilités relèvent des fonctions de direc-
tion de la collectivité politique et comprennent tout à la fois des
tâches de gouvernement et de législation. D'autres se présentent
plus comme des fonctions d'administration et incluent les tâches de
gestion des services et des moyens. D'autres encore peuvent être
caractérisées comme des fonctions de contrôle de la collectivité.

SECTION pe, -L'IDENTIFICATION


DES FONCTIONS ÉTATIQUES

827. - L'Etat fédéral n'est pas une collectivité politique en tout


point pareille aux autres. Cette situation lui vaut d'être investi de
responsabilités particulières.

(l) Sur ce thème, voy. G. BERGERON, Fonctionnement de l'Etat, Paris, A. Colin, 1965, p. 192.
702 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

Ces fonctions sont celles que P. WIGNY définit- à bon escient-


comme étant des fonctions de souveraineté (2). Elles conditionnent
l'existence de la collectivité étatique ou se situent sur le terrain des
relations qu'elle·entretient avec les autres sujets de la communauté
internationale. Comme l'écrit J. DABIN, <<le public attend de l'Etat
la défense efficace de la communauté contre l'agression, la protec-
tion de ses membres individuels et la promotion de leurs intérêts à
l'étranger>> (3). Ces fonctions sont, pour l'essentiel, exercées par
l'autorité à qui la Constitution reconnaît la qualité de << chef d'Etat >>
(art. 87), c'est-à-dire par le roi.

§ 1er. - Les fonctions de sécurité nationale


828. - << Il ne peut être assigné d'autre but à l'Etat, écrit
E. WEIL, que celui de durer en tant qu'organisation consciente de
la communauté historique>>. Et le philosophe d'ajouter :<<Le but de
l'Etat, c'est l'Etat lui-même>> (4).
L'existence d'un Etat, quel qu'il soit, s'inscrit dans le temps. L'Etat est fait
pour durer. C'est en ce sens que l'existence et l'organisation de l'Etat, spéciale-
ment dans l'ordre interne, ne vont pas sans la consécration de son indépendance
à l'extérieur et vis-à-vis de l'extérieur. L'idée va tellement de soi que la plupart
des ouvrages de droit constitutionnel n'y font même pas référence. Cette atti-
tude surprend, cependant, eu égard à l'intérêt que le constituant de 1830-1831
témoignait, pour sa part, à l'égard de l'idée d'indépendance.
L'affirmation, dès le 4 octobre 1830, de l'existence d'un<< Etat indépendant»,
la proclamation par le Congrès national, le 18 novembre 1830, de << l'indépen-
dance du peuple belge>>, suffisent à démontrer l'importance du concept aux yeux
du constituant originaire. Quoi de plus normal? L'indépendance lui apparaissait
à la fois comme la preuve et la garantie de l'existence du nouvel Etat.

La première fonction de l'Etat, c'est incontestablement la fonc-


tion de survivre. Et comment survivre sans préserver la sécurité -
celle de l'Etat fédéral, celle de ses composantes, celle des citoyens
qui en font partie-, sans se défendre contre les agressions de l'ex-
térieur qui pourraient compromettre son existence ?
La Constitution rend compte, au moins partiellement, de cet
objectif (A). Elle témoigne surtout, à travers ses dispositions, de
l'évolution des conceptions (B) qui prédominent en matière de sécu-

(2) P. WIGNY, op. cit., t. I, p. 125.


(3) J. DABIN, L'Etat ou le politique, p. 7.
(4) E. WEIL, Philosophie politique, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1956, p. 139.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 703

rité ainsi que de la diversité des techniques (C) qui sont utilisées à
cette fin.

A. -L'objectif
829. - La sécurité nationale vise à préserver l'intégrité du terri-
toire et, par là, à sauvegarder l'indépendance de l'Etat. La Consti-
tution belge dégage quelques applications du principe d'indépen-
dance et s'efforce surtout d'en protéger efficacement la réalisation.
Trois modalités méritent d'être relevées.
La première. L'indépendance de l'Etat est liée à la possession d'un
territoire. L'intégrité du territoire représente, en effet, le signe précis
et tangible de l'indépendance de la collectivité étatique. L'article 91
de la Constitution qui fixe, dans son alinéa 2, la formule du serment
constitutionnel du roi concrétise bien cette idée; il oblige le chef de
l'Etat à jurer de maintenir en même temps << l'indépendance natio-
nale et l'intégrité du territoire >>.
La deuxième. L'indépendance est liée à l'absence d'intégration dans
une autre société politique. Des restrictions unilatérales instituant un
statut de subordination portent incontestablement atteinte à l'indé-
pendance de l'Etat. Car qui dit indépendance, dit respect du prin-
cipe de non-intervention dans les affaires étatiques (5). L'égalité de
droit que la communauté internationale assure aux Etats ne fait
que consacrer cette caractéristique première.
L'Etat, quels que soient sa superficie, ses richesses ou le nombre
de ses habitants, représente une personne juridiquement autonome
et, à ce titre, égale en droit avec ses semblables; et cela même si des
contraintes de fait de tout ordre viennent, à chaque instant, limiter
le champ de son action.
La troisième. L'indépendance de l'Etat n'exclut pas sa collaboration
avec d'autres Etats. Des intérêts communs aux Etats de la société
internationale se révèlent. Ils peuvent être perçus comme tels et

(5) Le problème est d'autant moins passé inaperçu, en 1831, que les constituants n'ont pu
s'empêcher de prendre en considération la situation spécifique du Luxembourg et les relations
qu'il entretenait ''avec la Confédération germanique >> (art. 1"', al. 2, in fine, ancien). Il a pu
considérer que cette situation ne compromettait pas l'indépendance de l'Etat eu égard aux liens
particulièrement souples qui régissent les rapports entre collectivités politiques au sein d'une
confédération d'Etats. L'art. 1···, al. 2, in fine, a été privé de signification à la suite du traité des
24 articles emportant cession d'une partie de la province du Luxembourg; la révision constitu-
tionnelle du 7 septembre 1893 a entériné cette situation (voy. L. RoMMEL, Les étapes constitution.
nelles du Grand·Duché de Luxembourg, Bruxelles, L'Edition universelle, pp. 9 s.).
704 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

promus. alors par deux ou plusieurs Etats. Ils engendrent des solida-
rités qui, sans supprimer l'indépendance des Etats, viennent en
limiter l'exercice : c'est essentiellement par des accords librement
conclus entre Etats indépendants que ces formes de coopération
s'établissent. <<Les Etats sont engagés parce qu'ils le veulent
bien •> (6).

B. - Les conceptions .
830. - Initialement, la sécurité paraît devoir être réalisée par
un moyen privilégié : c'est la<< guerre •> (art. 167) qui peut préserver
<<la sûreté de l'Etat •> (ibid.). D'où l'importance que la Constitution
accorde aux problèmes du recrutement, de l'organisation et du com-
mandement de l'armée (7).
Certes, le développement pacifique des relations internationales
ne saurait être négligé et la contribution qu'il permet d'apporter
aux différends entre Etats ne saurait être sous-estimée. Mais l'al-
liance, inscrite au besoin dans un traité, paraît moins constituer
l'aboutissement de négociations à caractère diplomatique que la
garantie imaginée pour assurer un meilleur succès des armes ou
pour conjurer les périls d'un conflit armé.
De nouvelles conceptions, cependant, sont apparues. D'une part,
la sécurité, c'est aussi la sécurité dans l'Etat. Cette sécurité n'est pas
seulement compromise <<en temps de guerre •>, elle n'est pas seule-
ment mise en péril lorsque des troupes étrangères prétendent << occu-
per ou traverser le territoire •> (art. 185) sans y être autorisées par
la loi. Des événements, d'ordre interne ou d'ordre international,
peuvent se produire : sans plonger l'Etat dans la guerre, ils peuvent
compromettre sa sécurité. La Constitution en fournit un exemple,
emprunté à l'histoire politique de laye République française : c'est
<< lorsque les Chambres se trouvent empêchées de se réunir librement
sur le territoire national•> (art. 196).
D'autre part, la sécurité de l'Etat n'est plus, pour des raisons
idéologiques et pour des raisons techniques, dissociée de la sécurité

(6) P. REUTER, Droit international public, Paris, P.U.F, 1963, pp. 8 s.


(7) Le droit de déclarer la guerre et de faire usage de l'armée s'exerce selon les prescriptions
du droit internationaL Ainsi, selon la Charte des Nations Unies, un Etat membre de l'O.N.U.
ne peut utiliser la force armée qu'en état de légitime défense (art. 51) ou en exécution d'une déci-
sion ou d'une recommandation du Conseil de sécurité ou de l'Assemblée générale. Le droit inter-
national ne s'oppose pas à ce qu'un Etat prête une assistance technique militaire à un Etat
étranger.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 705

de la société internationale. Depuis la fin du XIXe siècle, l'internatio-


nalisation des conflits armés est une réalité avec laquelle l'Etat doit
compter. La pratique des négociations internationales s'en est trou-
vée sensiblement accrue. Des organisations internationales - des
institutions de droit international public, comme dit l'article 34 de
la Constitution - ont été mises en place pour développer un sys-
tème de défense intégrée (Traité de l'Atlantique nord du 4 avril
1949 - approuvé par la loi du 2 juin 1949 - , Convention de
Londres du 19 juin 1951 entre les Etats parties au Traité de l'Atlan-
tique nord sur le statut de leurs forces, loi du 11 avril 1962 autori-
sant le passage et le séjour en Belgique des troupes des pays liés à
la Belgique par le Traité de l'Atlantique nord). Les engagements
souscrits à cette occasion par l'Etat lui font notamment l'obligation
de maintenir et d'accroître la << capacité individuelle et collective de
résistance à une attaque armée)> (art. 3 du Traité).

C. - Les techniques
831. - La défense de l'Etat est assurée en recourant aux
moyens diplomatiques (no 833) et, si besoin est, à la force publi-
que (8). Sur ce point précis, les dispositions constitutionnelles sont
particulièrement nettes. Elles s'attachent à distinguer les tâches
précises qui reviennent en la matière aux autorités publiques. Trois
domaines d'activités sont à distinguer.
Le premier est celui de l'organisation générale de l'armée. La
Constitution se réserve la possibilité de statuer elle-même en la
matière. L'armée est aménagée en forces (art. 167, al. 2).
Un second domaine est celui des mesures d'organisation qui affec-
tent les branches de la force publique. La loi fédérale intervient en
la matière. C'est elle, en particulier, qui détermine le mode de recru-
tement de l'armée (art. 182) et qui fixe le statut des militaires -
<<l'avancement, les droits et les obligations))- (ibid.).
Le dernier domaine est celui du commandement de l'armée. Il
revient au roi de l'assurer. A ce titre, il dirige les hommes - dans

(8) L'armée est l'instrument dont dispose le roi en vue de «maintenir l'indépendance natio-
nale et l'intégrité du territoire» (art. 91). Toutefois, l'armée peut être affectée à d'autres tâches
d'intérêt national ou international. Il a toujours été admis que le pouvoir exécutif fédéral pouvait
utiliser l'armée en vue d'assurer le maintien de l'ordre intérieur. Selon les lois communale
(art. 175) et provinciale (art. 129), le bourgmestre et le gouverneur de province peuvent requérir
la force armée en cas d'émeutes, de rassemblements tumultueux, de sédition, etc.
706 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

le respect des dispositions de la loi fédérale - et il << confère les


grades dans l'armée>) (art. 107, al. 1er).
Il dirige aussi les forces qu'ils constituent; dans les limites des
moyens budgétaires alloués à la défense nationale, il leur assure, en
particulier, l'équipement et le matériel nécessaires. En temps de
guerre, il conduit les opérations militaires (sur le commandement
effectif de l'armée, voy. n° 498) (9).

§ 2. - Les fonctions de relations extérieures


832. - Les Etats ne vivent pas en situation d'autarcie. Ils
entretiennent des relations de tout ordre : politiques, économiques,
culturelles, militaires... Ces relations peuvent prendre des formes
distinctes. Celles-ci varient en fonction de la solidarité que la Bel-
gique entend manifester vis-à-vis de ses partenaires.

A. - Les relations diplomatiques


833. - <<Un des traits caractéristiques de la communauté inter-
nationale moderne est l'existence de relations officielles et continues
entre les gouvernements par l'intermédiaire d'agents spécialisés que
chaque Etat institue sur le territoire des autres Etats avec le
consentement de ceux-ci>> (P. REUTER).
Les services diplomatiques et - au plan administratif - les ser-
vices consulaires constituent les intermédiaires tout désignés pour
assumer ces fonctions. Comme le précise l'article 107, alinéa 2 de la
Constitution, les emplois de << relation extérieure >> sont pourvus par
le roi. Comment mieux exprimer l'idée que c'est au chef de l'Etat,
et à ceux qui en dépendent hiérarchiquement, que revient la préro-
gative de représenter la collectivité nationale à l'étranger ou vis-à-
vis de l'étranger? C'est lui qui donne lettre de créance aux diplo-
mates belges en poste à l'étranger. C'est auprès de lui que sont
accrédités les diplomates des autres Etats.

(9) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, «Le commandement de l'armée et la responsabilité
ministérielle en droit constitutionnel belge», Rev U.L.B., 1949, p. 256; P. DE VISSCHER, <<La
Constitution belge et le droit international», (spécialement le chapitre VI, La conduite de la guerre
et les autres formes d'emploi de l'armée dans la vie internationale), R.B.D.I., 1986, p. 5; P. n'AR-
GENT, « La Belgique fédérale et le droit international. Le Roi commande les forces armées •>,
R.B.D.Int., 1994, p. 210.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 707

B. - Les relations conventionnelles


834. - Des accords internationaux engagent, sur des matières
d'intérêt commun, l'Etat belge et d'autres personnes de droit inter-
national. Sous l'étiquette générique des <<traités de paix, d'alliance
et de commerce>> (ancien art. 68), la Constitution réserve au roi la
fonction de négocier, conclure et ratifier ces accords (n" 862).
<<Lorsque l'on s'interroge sur ce qu'est un traité en droit des gens, un premier
motif d'insatisfaction provient de l'absence de véritable définition dans la
Convention de Vienne de 1969. Celle-ci n'a en effet pas l'ambition d'en offrir;
elle se contente de délimiter le champ d'application ratione materiae de ses dispo-
sitions. Elle précise simplement qu'elle <<s'applique aux traités entre Etats>>
(art. 2), l'expression traité signifiant« aux fins de la présente convention>> : <<un
accord international conclu par écrit entre Etats et régi par le droit internatio-
nal, qu'il soit considéré dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs
instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière" (art. 2,
l, a). Pourtant, intuitivement, l'on perçoit que l'intérêt de cette disposition
dépasse largement la fonction qui lui est officiellement assignée. Du reste, per-
sonne ne conteste qu'un accord qui répond à cette description constitue bel et
bien un traité au sens du droit international général et c'est donc cette quasi-
définition qui servira utilement de point de référence>>. (Ph. GAUTIER, Essai sur
la définition des traités entre Etats. La pratique de la Belgique aux confins du droit
des traités, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 2).

C. - Les organisations internationales


835. - La coopération internationale peut se donner des formes
plus durables que celles d'un accord limité. Elle conduit à la mise
en place d'institutions internationales qui sont dotées d'une person-
nalité et d'une volonté juridique distinctes de celles des Etats fon-
dateurs. Est-il besoin de préciser que la Belgique est, au niveau
européen ou international, membre de telles organisations - le
Benelux, l'U.E.O., l'O.C.D.E., les Nations Unies et ses institutions
spécialisées, bien d'autres encore -?
836. - La coopération internationale peut encore prendre la
forme de relations intégrées, telles celles qui se poursuivent au sein
de la Communauté européenne. A ce stade, il s'agit d'attribuer,
comme le précise l'article 34 de la Constitution, <<l'exercice de pou-
voirs déterminés >> à des << institutions de droit international public >>.
Il en résulte que les décisions des autorités communautaires sont,
dans les cas prévus par les traités constitutifs, << automatiquement
obligatoires pour les Etats membres des Communautés et immédia-
708 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

tement introduites et applicables dans l'ordre juridique


interne>> (10). Ce phénomène d'incorporation dans la vie nationale
d'un droit d'origine internationale modifie en profondeur le régime
constitutionnel de la Belgique, spécialement la distribution interne
des fonctions (n" 669).

SECTION II. -L'IDENTIFICATION


DES FONCTIONS COLLECTIVES

837. - Dans chaque collectivité politique - c'est-à-dire dans


l'Etat fédéral et dans les collectivités qu'il intègre - , des fonctions
sont remplies. Elles contribuent à un aménagement ordonné de la
société politique.
Selon une analyse traditionnelle, ces fonctions sont de nature exé-
cutive, législative et juridictionnelle. Chacune d'elles reviendrait au
<< pouvoir >> qui porte - à peu de choses près - la même dénomina-
tion (Const., art. 36, 37 et 40).
La conception- un pouvoir, une fonction (11)- ne résiste pas,
cependant, à l'examen. Elle procède d'une vision étriquée des fonc-
tions dans l'Etat fédéral. Dans une société politique, une même
autorité peut exercer plusieurs fonctions - le roi est ainsi l'une des
institutions qui sert de pivot à l'ensemble du système constitution-
nel... - . Une même fonction peut être prise en charge, sous des
aspects distincts, par plusieurs autorités - les responsabilités de
contrôle gagnent, par exemple, à être réparties ... - .
Il est inopportun de construire une théorie des fonctions politi-
ques au départ d'une division tripartite des pouvoirs dans l'Etat
fédéral. Il faut s'interroger sur les Jonctions à remplir sans se préoccu-
per de la qualité de ceux qui les assument ( 12).
La vie d'une collectivité politique est faite d'un ensemble d' acti-
vités, multiples et diversifiées.

( 10) Voy. N. V ALTI COS, op. cit., p. 9; J.-V. LoUis, <<L'article 25bis de la Constitution belge»,
R.M.C., 1970, p. 410.
(11) «La confusion, écrit P. WIGNY (op cit., p. 144), a été encouragée par une regrettable ter-
minologie. Les qualificatifs législatif, exécutif et judiciaire s'appliquent indifféremment aux
fonctions et aux organes. Respectant les termes de la Constitution, nous avons réservé ces expres-
sions pour les organes 1). La même démarche est suivie ici.
(12) «Il faut, écrit en ce sens G. BuRDEAU ('Remarques sur la classification des fonctions éta-
tiques ... ', pp. 202 s.), procéder à l'examen critique de la distinction des fonctions étatiques>>;
c'est là «un travail préliminaire qu'il importe d'accomplir avant de tenter la définition des
régimes politiques ... Avant de distribuer les rôles, il faut savoir ce qu'ils sont>> (p. 203).
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 709

Les unes appartiennent aux fonctions de direction (§ 1er), ce qui


comprend le gouvernement (A), la législation, la réglementation (B)
et la coopération (C). D'autres relèvent des fonctions d'administra-
tion(§ 2), ce qui inclut la gestion des personnels (A), des services (B)
et des moyens financiers (C). D'autres activités encore s'inscrivent
dans l'exercice des Jonctions de contrôle (§ 3); elles sont assumées à
l'intervention d'autorités politiques (A), administratives (B) et juri-
dictionnelles (C).
838. - On souligne la singularité de cette présentation.
Elle a l'avantage de ne pas distinguer outre mesure les fonctions de gouverne-
ment et de législation qui, même si elles recourent à des procédés distincts, tra-
duisent le même souci de fixer les objectifs d'une société politique. L'analyse
juridique rejoint ici les observations de la science politique moderne sur la corn-
pénétration des fonctions dans l'Etat.
Elle offre aussi la particularité de ne pas négliger les fonctions d'administra-
tion - comme s'il était possible, dans l'étude d'un système constitutionnel,
d'ignorer le poids des réalités administratives et budgétaires, ce qui n'est guère
différent de ce qu'enseigne la science administrative contemporaine --.
La présentation montre encore l'unité des fonctions de contrôle dans l'Etat
fédéral dont le pouvoir judiciaire n'est que l'un des rouages, essentiel, certes,
mais appelé à conjuguer avec d'autres les facultés qui lui reviennent de vérifier
les comportements des autorités publiques, dans leurs fonctions de direction et
d'administration, et ceux des citoyens.
Le point de vue adopté permet de prendre en compte les diverses activités des
collectivités publiques. Il introduit à des analyses <<en coupe» plutôt qu'à des
investigations linéaires. Il est représentatif de la multiplicité, de la diversité et
de l'enchevêtrement des responsabilités qui sont à assumer dans un système
constitutionnel comme celui de la Belgique. Passé ce stade du raisonnement -
avec cette interrogation : <<qu'y a-t-il à faire? »? - , il restera à se demander
comment se répartissent les fonctions entre les autorités publiques- ce qui per-
met de répondre à la question : << qui fait quoi? •> - .

§ 1er. - Les Jonctions de direction

A. - La Jonction de gouvernement
839. - Gouverner revient pour l'autorité publique à choisir les
buts à atteindre et à imposer les méthodes pour y parvenir (13). Le

(13) Il va de soi que le mot« gouvernement>> n'est pas pris ici dans une acception organique.
Il ne renvoie pas à l'institution prévue à l'art. 104 de la Constitution.
710 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

terme est emprunté au langage de la navigation. Gouverner revient


à mettre le cap et à hisser la voile pour arriver à bon port ( 14).
Plusieurs particularités affectent cette fonction. Le gouvernement
d'une collectivité politique implique d'abord que l'autorité fixe les
objectifs. Qu'ils soient généraux ou particuliers, originaux ou tradi-
tionnels, à moyenne échéance ou à long terme, toujours ils tradui-
sent un programme de société. La définition de ces objectifs peut
s'inscrire en marge d'un acte juridique, tel l'exposé des motifs qui
accompagne la rédaction d'un projet de loi fédérale; elle peut aussi
prendre la forme d'actes purement politiques, tels la déclaration
gouvernementale ou le discours du trône.
Le gouvernement d'une collectivité politique requiert ensuite que
l'autorité publique dispose des prérogatives du commandement. Elle
doit être en mesure de donner des ordres et d'imposer, sans le
concours d'autres autorités ni des citoyens, sa volonté. La Constitu-
tion n'ignore pas cette technique de gouvernement, spécialement
lorsqu'elle s'attache à préciser les modes de l'action unilatérale de
l'autorité : le roi nomme les ministres, il désigne les fonctionnaires,
il choisit les magistrats ...
Singularité de la fonction de gouvernement : l'autorité agit d'ini-
tiative. Elle exerce une compétence de propre mouvement. Elle
n'est pas invitée à agir. Elle se décide elle-même à intervenir. Elle
agit <<à titre de puissance initiale>> (G. BuRDEAU). Autre chose est
de savoir si l'exercice de cette fonction ne s'accomplit pas dans le
respect de normes particulières ~ la Constitution ou la loi fédérale,
par exemple ~. Puissance initiale ne signifie pas puissance incondi-
tionnée ou illimitée.

B. ~ La Jonction de législation
et de réglementation
840. ~ Légiférer et réglementer reviennent pour l'autorité
publique à édicter des ordres généraux (15).

(14) Sur ce thème, voy. Encyclopédie française, t. X, L'Etat, p. 145.


(15) Les modalités d'exercice de la fonction normative peuvent différer. D'un côté, l'exercice
en une ou plusieurs assemblées de responsabilités, selon les principes de la discussion publique
et de la confrontation des idées, en vertu de la règle de la majorité, et dans le respect de forma-
lités contraignantes. De l'autre, l'exercice isolé ou en collège de responsabilités, selon les principes
de solidarité et d'unanimité, en dehors de règles strictes de procédure et de formalisme. Au terme
du processus, le résultat est comparable, au moins pour le juriste.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 711

Une volonté s'exprime ainsi (16). C'est dans la forme de règles


générales, impersonnelles et objectives, qui sont appelées à régir la
conduite de tout ou partie des citoyens. A quoi tend la fonction de
législation et de réglementation? << A prévenir l'arbitraire, répond
C. CAMBIER, à créer la sécurité en soustrayant les actions particu-
lières à l'impulsion et à la libre appréciation de leurs auteurs, pour
les soumettre à l'observation de normes préétablies; à régulariser,
de la sorte, les comportements en leur imposant des règles de
conduite)) ( 17). Il sera permis d'ajouter : à soumettre l'autorité
publique et le citoyen à une même loi. Car<< dépersonnaliser)) l'exer-
cice du pouvoir en édictant des règles abstraites, c'est à la fois pro-
téger le citoyen contre les interventions discrétionnaires de l'auto-
rité et protéger l'autorité - spécialement dans ses tâches ex écu-
tives - contre le danger des improvisations hardies.
Lois et règlements fédéraux sont, à raison de leur généralité,
entourés de formes de publicité. <<Dans une démocratie, l'autorité
est à base de consentement. Pour que la norme soit respectée et exé-
cutée, il faut qu'elle soit au préalable connue de chacun des indivi-
dus qui pourront y conformer leur volonté libre)) (18). Ce que pré-
cise l'article 190 de la Constitution : <<Aucune loi, aucun arrêté ou
règlement ... n'est obligatoire qu'après avoir été publié dans la forme
déterminée par la loi )) fédérale.
841. - La fonction de législation est sans doute celle que la
Constitution conçoit avec le plus de netteté. Sans doute parce que
les termes utilisés - faire la loi - indiquent tout à la fois la mission
à remplir et le produit à réaliser. Sans doute aussi parce que les
exemples innombrables du recours à l'intervention législative suffi-
sent à tracer les contours de la mission à assumer. Que fait le légis-
lateur fédéral, sinon concrétiser les préoccupations du pouvoir
constituant, suppléer à son silence ou à son indécision (<<il appar-
tient à la loi ... s'il y a lieu ... )>), poursuivre sous d'autres formes,

(16) Les fonctions de gouvernement, de législation et de réglementation se recouvrent pour


partie : les ordres généraux qui sont édictés servent à traduire une volonté politique de gouverne-
ment des affaires publiques. Ce qui conduit J. DABIN à ranger l'ensemble de ces activités dans
la catégorie des fonctions de gouvernement. Dans le contexte belge, pareille présentation peut,
cependant, paraître équivoque dans la mesure où la Constitution isole des fonctions particulières :
dans ses articles 36, 74 et 75, il s'agit de la fonction de légiférer; dans ses articles 108, 159 et 162,
il est question de la fonction de réglementer. La fonction de gouvernement sera entendue ici sous
réserve des ordres généraux que la loi ou les règlements peuvent contenir.
(17) C. CAMBIER, Principes du contentieux administratif. .. , t. l'", p. 21.
(18) P. WIGNY, op. cit., p. 127.
712 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

notamment en recourant à des lois spéciales, l'opération consti-


tuante, conférer des habilitations à d'autres autorités publiques,
assurer la protection des droits de l'individu et des groupes, établir
des règles, des conditions, des formes et procédures applicables à
tous, prévoir les exceptions aux règles ainsi établies, organiser des
services particuliers, mettre en place des institutions, fixer l'inter-
prétation qu'il convient de donner a ses propres dispositions ... ?
L'énumération peut paraître hétéroclite. Elle indique à suffisance
la préoccupation des auteurs de la Constitution : soustraire à des
interventions particulières un ensemble d'activités de l'autorité
publique. L'égalité des citoyens est à ce prix.
La fonction de législation trouve notamment à s'exercer dans
l'Etat fédéral : elle appartient alors au pouvoir législatif fédéral,
dont elle n'est pourtant pas la fonction exclusive.
842. - La fonction de réglementation n'est guère définie avec
précision dans la Constitution ( 19). Tout au plus, l'article 108
prend-il soin de relever qu'il peut être nécessaire de réglementer afin
de pourvoir à << l'exécution des lois )) fédérales. Avec cette précision :
la fonction ne peut aller jusqu'à << suspendre les lois elles-mêmes, ni
dispenser de leur exécution)). De leur côté, les articles 41, 162, 165
et 166 de la Constitution soulignent incidemment que les collecti-
vités locales sont appelées à faire des règlements pour gérer les inté-
rêts dont elles ont la charge. La Constitution, manifestement plus
préoccupée de préciser la valeur d'un règlement - voy. l'ar-
ticle 159- que de déterminer les objets dont il a à connaître, s'abs-
tient de procurer d'autres explications.
La fonction de réglementation se donne un premier objet : prolon-
ger - par des mesures d'exécution - la fonction législative dans les
domaines où celle-ci s'est exprimée au niveau des principes (20).
Cette continuité de préoccupation et d'action justifient que les
mêmes règles de procédure, en tout cas au niveau de la publication
(art. 190), assortissent l'exercice de l'une et l'autre fonctions.

(19) «Le terme 'règlement' désigne d'ordinaire, en droit public belge, un acte non législatif
qui énonce une règle de droit. Par son contenu, il présente plusieurs analogies avec la loi : il est
obligatoire, impersonnel et général, en ce sens qu'il est susceptible de régir un nombre indéter-
miné de personnes>) (M. LEROY, Les règlements et leurs juges, Bruxelles, Bruylant, 1987, p. 15).
(20) En ce sens, le règlement est présenté comme une norme secondaire. Sur la discussion de
cette thèse, voy. M. LEROY, op. cit., p. 17.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 713

Reste à savoir ce qu'est <<l'exécution des lois>> fédérales. La


notion reçoit une signification extensive : elle permet de << dégager
du principe de la loi et de son économie générale les conséquences
qui, d'après l'esprit qui a présidé à sa conception et les fins qu'elle
poursuit, en dérivent naturellement>> (Cass., 5 mai 1970, Pas., I,
p. 766; C.A., no 70/92, 12 novembre 1992 et no 45/93, 10 juin 1993).
La fonction de réglementation peut avoir un second objet. Lages-
tion des intérêts communaux et provinciaux ne s'accomplit pas
pour procurer exécution à la loi fédérale. Celle-ci se borne à définir
les principes de l'organisation des autorités locales et à fixer quel-
ques-unes des règles de leur fonctionnement - les procédures de
tutelle, par exemple - . Les pouvoirs locaux sont autonomes et
pourvoient donc d'initiative aux intérêts dont ils ont la charge. La
fonction de réglementation gagne donc à ce niveau à être comprise
dans son sens premier - et sans le prisme déformant de l'article 108
de la Constitution --,---. Comme l'indique l'article 119 NLC, les règle-
ments sont pris dans deux domaines, l'administration intérieure et
la police.

C. - La fonction de coopération
843. - Pour assumer les fonctions de direction qui lui revien-
nent, une collectivité doit pouvoir nouer avec autrui des relations
de coopération. Elle passera avec une collectivité de même nature
qu'elle une convention, voire un simple accord politique. Ou bien
elle fondera avec d'autres une association dotée de la personnalité
juridique pour gérer des intérêts publics déterminés. Ou bien encore,
elle négociera avec des particuliers ou des entreprises leur concours
à la poursuite d'activités d'intérêt général.
A la faveur de trois révisions, la Constitution s'ouvre à ces préoc-
cupations. Mais elles ne concernent pas directement l'exercice des
fonctions fédérales.
En 1921, la révision de l'article 162 confère un fondement juridique certain à
la création des associations de pouvoirs publics - et la loi du l'" mars 1922 en
fournit une illustration avec les associations de communes, tout en précisant que
l'Etat, les provinces et même les particuliers et les sociétés peuvent participer
à la formation de pareilles institutions publiques --- (21).

(21) Ces dispositions ont été abrogées et remplacées par la loi du 22 décembre 1986 relative
aux intercommunales.
714 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

En 1970, l'insertion de l'article 127, § 1"', al. 1°', 3°, dans la Constitution
ménage la possibilité de développer la coopération des communautés en matière
culturelle et d'enseignement·- en juillet 1980, cette faculté est étendue à la coo-
pération dans le domaine des matières personnalisables (128, § 1"') -··. Ces vir-
tualités n'ont guère été exploitées.
En 1980, enfin, des formes de coopération, plus institutionnelles encore, sont
organisées puisque les communautés et les régions peuvent décider de commun
accord que leurs attributions seront exercées par les seules institutions commu-
nautaires (art. 137 et 138); l'article 52 de la loi spéciale de réformes institution-
nelles ajoute qu'à titre transitoire, les parlements de la Région wallonne et de
la Communauté française << peuvent régler leur coopération mutuelle et celle de
leurs services, tenir des assemblées communes et organiser des services com-
muns>>.
Sur la technique des accords de coopération, voy. n°' 717 s.

§ 2. -Les Jonctions d'administration

A. - L'administration des services


844. - Les fonctions d'administration ne se distinguent pas clai-
rement des fonctions de direction - en particulier, de celles qui
relèvent du gouvernement et de la réglementation - . Faut-il s'en
étonner? Les techniques utilisées - rassemblées communément
sous l'appellation des << prérogatives de puissance publique >> -
appartiennent au même registre. Comment administrer sans donner
des ordres - individuels ou généraux -? L'initiative qui revient à
l'autorité investie des tâches de gouvernement et de réglementation
revient aussi à celle qui accomplit des tâches de gestion. Comment
administrer sans être en mesure de prendre, au moment opportun,
les décisions qui s'imposent? Administrer aussi, selon l'expression
de Marcel WALINE, c'est prévoir et innover. Comment caractériser
dans ces conditions la fonction d'administrer?
Elle est liée à la définition des intérêts que la fonction d' adminis-
trer est conduite à régir. Administrer ne sert pas à circonscrire des
buts mais à définir des moyens. C'est, compte tenu des buts assignés
par d'autres - le législateur ou le gouvernement, au niveau fédé-
ral-, que l'administration est appelée à choisir ses moyens, à orga-
niser ses services ou à concevoir ses interventions. Pour utiliser
encore le langage de la navigation, la liberté de l'administration est
celle de la manœuvre, non de la destination.
La distinction peut paraître floue. Qui veut la fin, veut les
moyens. Et qui connaît les moyens détermine la fin. L'interdépen-
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 715

dance des fonctions de gouverner et d'administrer saute aux yeux.


L'observation ne supprime pas la différence foncière qui subsiste
entre les deux fonctions. Administrer, au sens étymologique du
terme, c'est servir; c'est mettre en œuvre les moyens qui permet-
tront d'atteindre les buts définis par d'autres. La fonction d' admi-
nistrer s'exerce au départ de données sur lesquelles l'administration
n'a pas prise (n° 26). Ces données sont, pour l'essentiel - et sans
tenir compte des données de fait pourtant contraignantes - , les
décisions des titulaires des fonctions de direction.

845. - Il va sans dire que la Constitution est attentive aux phé-


nomènes de l'action administrative, en tout cas de celle de l'Etat
fédéral. Elle établit, en ce domaine, quelques distinctions essen-
tielles. Elle entreprend, en effet, de faire le départ entre les tâches
d'administration générale et celles d'administration spéciale.
L'administration générale à laquelle fait référence l'article 107, ali-
néa 2 de la Constitution (voy. aussi les art. 180 et 190) s'inscrit
directement dans le prolongement de la fonction de gouvernement
au niveau fédéral. Elle implique la gestion de l'ensemble des services
qui sont placés sous la direction de l'autorité qui a en charge cette
dernière fonction. Ainsi l'administration de l'économie au niveau
fédéral est-elle le fait de services rassemblés dans un département
ministériel - celui des affaires économiques - qui est placé sous
l'autorité hiérarchique du ministre du même nom.
Les administrations spéciales que cite la Constitution - dans ses
articles 107, al. 3, et 182 - répondent à des préoccupations plus
particulières. Les tâches de la défense nationale appellent un régime
distinct afin de ne pas compromettre - à la faveur des interven-
tions des autorités publiques - des libertés constitutionnellement
protégées. A ce titre, elles ne sont pas définies par l'autorité exécu-
tive, mais par l'autorité délibérante.

B. - L'administration des personnels


846. - Parmi les fonctions d'administration, il en est une qui
est à juste titre isolée par la Constitution et par les lois qui en pro-
curent directement application. Elle concerne les personnels de la
fonction publique.
Différentes opérations sont mises en évidence : le recrutement, la
nomination, l'avancement, le déplacement, la discipline, le verse-
716 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

ment d'un traitement ou d'une pension ... Si l'on veut être attentif
aux prescriptions éparses de la Constitution sur ces sujets, on
découvrira sans peine les têtes de chapitre d'un statut administratif
et pécuniaire pour les agents publics - en tout cas, ceux de l'Etat
fédéral - et pour les militaires. Les bases constitutionnelles d'un
droit de la fonction publique sont ainsi jetées (22).
Le propos semble aller de soi en ce qui concerne les agents de
l'Etat. La Constitution réserve aux nationaux les emplois publics
(no 145), elle établit le principe de l'égal accès à ces fonctions
(art. 10, al. 2) (no 146); elle requiert que le roi nomme aux emplois
d'administration générale et de relation extérieure (art. 107, al. 2)
(n" 455); elle exige que les pensions soient accordées <~en vertu
d'une loi>> fédérale (art. 179).
Le propos s'impose plus encore en ce qui concerne les militaires,
comme si la Constitution avait été plus préoccupée de fixer elle-
même, ou de voir déterminer par le législateur fédéral, les droits
mais surtout les devoirs qui leur reviennent : elle établit l'exigence
de nationalité et pose le principe d'une égale admissibilité aux
emplois militaires (art. 10, al. 2); elle charge la loi fédérale de déter-
miner le mode de recrutement dans l'armée, de voter le contingent
(art. 183), de régler l'avancement des militaires (art. 182) et de
déterminer la manière dont ils peuvent être privés des grades et
honneurs (art. 186) que le roi leur a conférés (art. 107, al. 1er); elle
invite la loi fédérale à déterminer - de manière plus générale
encore - les droits et les obligations des militaires (art. 182, in
fine).

C. - L'administration des moyens financiers


847. - La Constitution, attentive aux manifestations de la fonc-
tion d'administrer, n'a pu ignorer les questions que soulève la ges-
tion des deniers publics. Trois questions retiennent de ce point de
vue son attention : la détermination des recettes et spécialement des
impôts, l'établissement du budget, l'accomplissement des dépenses.
De cette manière, la Constitution souligne les connexions pro-
fondes qui unissent le droit public et le droit des finances publiques.
Comme en d'autres pays, les assises du droit budgétaire, mais aussi

(22) Sur ce thème, voy F. DELPÉRÉE, «Le système administratif de la Belgique>>. Ann. eur.
adm. publique, 1987, p. 35.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 717

du droit fiscal et du droit de la comptabilité publique se trouvent


dans la Constitution. A l'inverse, les mécanismes financiers qui sont
retenus dans une société politique influent sur l'organisation des
autorités et l'équilibre des pouvoirs publics. Ce qui fait écrire à
P.M. GAUDEMET que <<pour bien comprendre un régime constitu-
tionnel, il convient de connaître les institutions financières)) (23).
Sur ces questions, l'on se permet de renvoyer aux manuels de
finances publiques. Il suffit d'indiquer ici quelles sont les fonctions
particulières que le droit public assigne en ce domaine à l'Etat fédé-
ral et comment il en conçoit l'exercice.
848. - L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen proclame que << tous les citoyens ont le droit de constater
par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contri-
bution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et
d'en déterminer la qualité, l'assiette, le recouvrement, la durée )). Il
établit ainsi le principe de l'autorisation des recettes, puis des
dépenses. De manière plus laconique, la Constitution lui fait écho,
dans son article 173 : << . . . aucune rétribution ne peut être exigée des
citoyens qu'à titre d'impôt au profit de l'Etat (fédéral), de la com-
munauté, de la région, de l'agglomération, de la fédération de com-
munes ou de la commune)) (24).
Une définition de l'impôt est ainsi procurée. Il apparaît comme la
contribution obligatoire qu'une collectivité politique impose de
manière indistincte à ses membres, pour lui permettre d'assurer les
fonctions qui sont les siennes avec les charges financières qu'elles
impliquent (25). Cette contribution (et non cette rétribution, comme
dit maladroitement l'article 173) ne sert pas à couvrir les dépenses

(23) P.M. GAUDEMET, Finances publiques, t. I, Politique financière, budget et trésor, Paris,
Montchrestien, 1974, p. 8. Adde: G. BuRDEAU, «Pouvoir politique et pouvoir financier (Essai de
systématisation de leurs relations)», in Mélanges J. Dabin, Bruxelles, Bruylant, 1963, t. I, p. 33.
(24) Faut-il ajouter que l'Etat fédéral et les autres collectivités politiques disposent d'autres
ressources que de celles que leur procure l'impôt? Ils font appel à l'épargne publique par le biais
de l'emprunt, ils recourent à des prêts pour obtenir des avances de trésorerie, ils se procurent
des moyens financiers grâce à la gestion de leur patrimoine, ils perçoivent des redevances en
rémunération de services particuliers qu'ils remplissent. Les sommes rassemblées constituent les
deniers publics. Mais, sur ces thèmes, la Constitution est particulièrement laconique (voy. cepen-
dant l'art. 175).
(25) D'autres prestations financières que l'impôt peuvent être imposées au citoyen : les cotisa-
tions de sécurité sociale, les sanctions pécuniaires, les amendes, les condamnations au paiement
de dommages et intérêts ... Sur le phénomène de la parafiscalité, voy .•J. V AN HoUTTE, '' L'impré-
cise frontière entre fiscalité et parafiscalité en Belgique •>, R.D.T.D.C., 1983, pp. 133 s.
718 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

particulières d'un service public déterminé mais à << alimenter la


caisse commune qui les finance tous>> (26).
Une règle fondamentale est inscrite à ce propos dans la Constitu-
tion. Elle est même répétée à plusieurs reprises dans l'article 170 de
la Constitution. Les contributions que les citoyens versent à la col-
lectivité politique doivent avoir été consenties par eux ou, en tout
cas, par les assemblées qui réunissent leurs représentants. Si l'impôt
est établi au profit de l'Etat fédéral (Const., art. 170, § 1er), il doit
trouver sa base dans une loi fédérale. Ce consentement est limité
dans le temps, puisque- comme le précise l'article 171, alinéa 2, de
la Constitution - les lois fédérales qui établissent les impôts << n'ont
de force que pour un an si elles ne sont renouvelées >>.
Une double préoccupation apparaît ainsi. D'une part, la Chambre
des représentants est appelée à intervenir avant toute dépense, et
même avant toute recette, pour indiquer - et, par là, mesurer -
les sommes qu'elle entend mettre à la disposition de l'autorité exé-
cutive (27). D'autre part, la même assemblée est amenée à se saisir
un an plus tard, du même problème; il est à présumer qu'elle en
connaîtra dans de meilleures conditions, puisqu'à ce moment elle
pourra vérifier l'usage qui a été fait des deniers publics. Les perspec-
tives de contrôle ne sont donc pas absentes. La règle de l'annualité
des dispositions fiscales permet à l'assemblée de procéder à une véri-
fication concrète des actions entreprises au cours de l'exercice bud-
gétaire écoulé (sur cette question, voy. E. WILLEMART, Les limites
constitutionnelles du pouvoir fiscal, Bruxelles, Bruylant, 1999,
p. 135).
849. - Parmi les règles qui commandent l'administration des
deniers publics, il en est une autre à laquelle la Constitution accorde
une importance particulière : la gestion des finances publiques
requiert l'établissement d'un budget. Ce dernier s'entend du docu-
ment qui recense ((toutes les recettes et dépenses)) d'une collectivité
politique.
Trois règles commandent la confection du budget.

(26) P. WIGNY, op. cit., p. 825.


(27) P. WIGNY, (op. cit., p. 833) relève, à juste titre, une particularité du système juridique
belge : ''Les lois organiques d'impôts sont permanentes ... Mais ces textes ne donnent pas immé-
diatement un droit au fisc. Ils doivent être fécondés, si l'on peut dire, par une disposition
annuelle spéciale qui autorise le gouvernement à les appliquer>>.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 719

D'un point de vue organique, c'est la Chambre des représentants


qui vote le budget de l'Etat (art. 174, al. pr). La formule retenue
n'est pas sans soulever une question technique. S'agit-il d'une préro-
gative qui revient à la Chambre, agissant comme telle et de manière
autonome? S'agit-il plutôt d'une fonction qui est assignée au pou-
voir législatif agissant au moyen d'une loi monocamérale?
Le rapprochement des opérations du budget et des comptes suffit
à indiquer que l'intervention du législateur est requise, en l' occur-
rence. Faut-il y voir une mauvaise rédaction du texte constitution-
nel? On n'en est pas sûr. Si l'article 174 de la Constitution donne
à la Chambre des représentants la mission expresse de voter le bud-
get, c'est pour indiquer qu'elle n'a pas d'initiative à prendre dans
l'exercice de la fonction budgétaire. La loi fédérale qu'elle amende
éventuellement et qu'elle adopte est soumise aux prescriptions de
l'article 109 de la Constitution. Le roi est amené à la sanction-
ner (28).
D'un point de vue matériel, le budget est appelé à contenir l'en-
semble des recettes et dépenses de l'Etat fédéral (Const., art. 174,
al. 2). La règle de l'unité du budget est ainsi rappelée. Le principe
de l'équilibre budgétaire veut que les recettes et les dépenses envisa-
gées soient, sur un plan arithmétique, équivalentes. Ce dogme a été
remis en cause (29), dès l'instant où il est apparu que les budgets en
équilibre- au stade des prévisions- se soldaient - après exécu-
tion - par des déficits caractérisés. Mieux encore : dans les milieux
politiques et financiers, le déficit systématique du budget est parfois
présenté comme un procédé de gestion économique.
D'un point de vue fonctionnel, le budget se donne une portée pré-
cise. Selon un schéma classique, il apparaît à la fois comme un acte

(28) Autre chose est de savoir si cette loi est ce qu'il est convenu d'appeler une loi« formelle».
Dans la mesure où elle ne crée, ni du point de vue des recettes ni de celui des dépenses, des droits
et obligations pour les particuliers, l'expression semble justifiée. « Il en résulte, écrit J. VELU
(Droit public, t. le', n" 484), que le budget ne peut servir de fondement légal à des arrêtés royaux
réglementaires». Sur la pratique des cavaliers budgétaires qui introduisent dans la loi des normes
qui n'ont ''rien de commun avec la prévision des recettes et des dépenses», voy. Ph. QuERTAIN-
MONT, ''Les cavaliers budgétaires en droit constitutionnel et financier belge>>, R ..J.D.A., 1974,
pp. 125 à 140.
(29) Le respect du principe d'unité du budget est compromis d'une autre mauière. La création
d'établissements ou d'entreprises publics, disposant d'un patrimoine et de ressources propres,
conduit au phénomène de '' débudgétisation » · les recettes et les dépenses de ces organismes n' ap-
paraissent plus au budget de l'Etat.
720 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

de prévision et d'autorisation (30). La prévision porte sur les


recettes dont la collectivité politique aura la disposition durant
l'exercice à venir et sur les dépenses qu'elle sera amenée à effectuer
pour la même période (31). L'autorisation porte sur les impôts à
percevoir et ouvre donc des crédits à l'autorité qui a la faculté de
les dépenser. Une conséquence pratique en découle. Le budget doit
être adopté avant le début de l'exercice. Si l'assemblée n'a pu se
procurer en temps utile - notamment parce que l'autorité exécu-
tive ne les lui a pas remis à temps - les documents sur lesquels elle
est amenée à se prononcer, elle peut accorder des douzièmes provi-
soires et autoriser l'engagement de dépenses courantes à concur-
rence de ce montant.

850. - Les dépenses autorisées sont inscrites au budget. Encore


y a-t-il lieu, au titre de l'administration des deniers publics, de pro-
céder à ces dépenses, de vérifier les conditions dans lesquelles l'opé-
ration se réalise et, après coup, d'arrêter les comptes.
Les règles sur la comptabilité publique (voy. not. la loi du 28 juin
1963, modifiant et complétant les lois sur la comptabilité de l'Etat)
établissent les dispositions essentielles en ce domaine. Il y est fait
référence au titre des contrôles financiers (no 854).

§ 3. - Les fonctions de contrôle


851. - Parmi les fonctions collectives, les fonctions de contrôle
sont d'ordinaire sous-estimées. Soit qu'on cherche à les intégrer
dans les fonctions de direction ou d'administration dont elles consti-
tueraient en quelque sorte l'appendice; on montre alors, par
exemple, que la fonction de contrôler le gouvernement qui revient
à la Chambre des représentants s'inscrit dans le prolongement de la
fonction de législation. Soit même qu'on en conteste l'existence ou
l'utilité intrinsèque; elles relèveraient du domaine des procédures,
sans répondre aux finalités spécifiques de l'aménagement d'une
société politique; on explique, par exemple, que les techniques d'en-

(30) Les opérations doivent être jumelées. Une simple prévision, telle celle qui résulte d'une
note d'experts, ne constitue pas un budget. Pas plus qu'une autorisation illimitée de dépenses.
Il convient que l'habilitation procurée s'inscrive dans les limites de la prévision.
(31) La période d'un an est retenue pour permettre d'établir des prévisions exactes et pour
garantir le contrôle effectif des opérations autorisées. Ce principe est critiqué au nom de la ratio-
nalité économique et de la continuité de l'action des pouvoirs publics.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 721

quête ou d'interpellation ne sont que des procédures de travail des


assemblées délibérantes.
Ces présentations réductrices sont inexactes. Elles exposent à ne
pas comprendre le fonctionnement du système constitutionnel.
Pourquoi l'une des autorités qui légifère dans l'Etat fédéral - à
savoir le roi et son gouvernement - irait-elle se contrôler elle-
même?
Pour lever ces équivoques, il convient d'identifier les tâches de
contrôle qui sont consacrées dans l'Etat fédéral et de préciser à
cette occasion les particularités qui affectent les contrôleurs et les
contrôlés. Des institutions spécifiques peuvent pourvoir à ces
tâches. D'autres autorités, attelées principalement à d'autres res-
ponsabilités, sont également amenées à participer à ces opérations.
Les contrôles institués permettent au système de fonctionner de
façon ordonnée, dans la mesure où ils impliquent une vérification -
tantôt permanente, tantôt circonstancielle - de l'adéquation des
agissements des autorités publiques aux fonctions dont elles ont été
investies et des comportements des citoyens au régime des droits et
obligations qui leur est conféré.

A. - Les contrôles politiques

852. - En démocratie, les choix politiques - même lorsqu'ils


sont présentés ou mis en œuvre par ceux qui ont mission de diriger
une collectivité politique - méritent discussion. La contestation est
la règle. Des contrôles politiques sont donc organisés aux fins de
débattre du bien-fondé des projets de société ou des solutions inter-
venues.
Ce contrôle politique, c'est celui qu'assument - de prime
abord - les citoyens, à l'occasion d'élections périodiques dont on
sait qu'elles peuvent moins servir à désigner les membres d'une
assemblée qu'à juger le comportement de l'équipe au pouvoir, à pro-
poser son maintien ou à organiser son remplacement.
Le contrôle politique est aussi celui qu'exercent les élus. Il doit
leur permettre de suivre la préparation et la mise en œuvre de la
politique menée par les autorités exécutives. La Constitution est
muette sur les procédés d'investigation - hormis l'enquête
(art. 56) - que les représentants de la Nation peuvent mettre en
722 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

œuvre à cette occasion (voy. aussi Coust., art. lOO). Les règlements
d'assemblée sont plus explicites.
853. - L'exercice de la fonction administrative est lui aussi
assujetti à contrôle. Chacun comprend l'importance d'une fonction
qui vise à s'assurer que les institutions administratives fonctionnent
adéquatement et qu'elles remplissent correctement les tâches qui
leur sont imparties. La Constitution fait référence à quelques-unes
des modalités de ce contrôle de régularité.
Elle établit, d'abord, les prérogatives du roi - chef de l' adminis-
tration générale et chef de l'armée (art. 107 et 167) -en l'investis-
sant du pouvoir hiérarchique sur ses agents et sur ses services. L'au-
torité discipline elle-même son action. <<Le pouvoir fait sa propre
police>>, selon le mot de Cyr CAMBIER (32).
La Constitution consacre aussi le contrôle des assemblées politiques
sur l'action de l'administration, en rendant le ministre responsable
des agissements des agents et des services qui sont placés sous sa
direction (art. 101) (33). Seul le ministre est <<le répondant et le res-
ponsable>> devant les assemblées (34).
Ces techniques n'épuisent pas l'ensemble des contrôles qui peu-
vent affecter l'action de l'administration. Les contrôles juridiction-
nels, en particulier, s'attachent à limiter la part du discrétionnaire
dans la conduite des affaires publiques (35).

B. - Les contrôles financiers


854. - La gestion des deniers publics est assujettie à des
contrôles particuliers. Il convient, en effet, de vérifier, dans les pro-
cédures d'exécution des dépenses, si les paiements qui sont effectués
sont conformes aux prévisions et aux autorisations budgétaires. Il
faut aussi, au moment où les comptes sont établis, tirer les leçons
de l'exercice écoulé.

(32) C. GAMBIER, Droit administratif, p. 434.


(33) L'administration et ses agents ne sont pas parties au dialogue entre les assemblées et le
gouvernement. Cette règle de conduite est appliquée de manière stricte; les fonctionnaires ne peu·
vent être amenés à rendre des comptes aux assemblées; ils ne sont pas, en règle générale, associés
aux travaux des commissions parlementaires; hormis dans l'hypothèse exceptionnelle de la com-
mission d'enquête, ils ne sont pas assujettis aux contrôles directs ou aux injonctions des
chambres législatives. Cette conception porte sérieusement atteinte à l'efficacité du contrôle
exercé (voy. F. DELPÉRÉE. «Parlement et administration en Belgique'' ... , p. 56.
(34) C. GAMBIER, op. cit., p. 460.
(35) L'administration face à ses juges, Ed. Conférence du Jeune Barreau, Liège, 1987; La res-
ponsabilité des pouvoirs publics, Bruxelles. Bruylant, 1991.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 723

Sans ouvrir ICI un exposé relevant du droit des finances publi-


ques, il importe de montrer comment la Constitution conçoit la
fonction de contrôle financier. Elle se réalise à deux moments dis-
tincts.
En cours d'exécution du budget, il appartient aux autorités de
contrôle de veiller, en vertu de l'article 180, alinéa 2, de la Constitu-
tion, << à ce qu'aucun article des dépenses du budget ne soit dépassé
et qu'aucun transfert n'ait lieu>>. La Cour des comptes remplit cet
office pour l'exécution du budget de l'Etat fédéral; elle appose son
visa sur les ordonnances de paiement qui respectent ce principe de
spécialité et qui concernent des opérations ne prêtant pas à critique
du point de vue de la légalité; dans le cas contraire, elle refuse son
visa ou vise avec réserve (voy. l'art. 5 de la loi du 29 octobre 1846,
relative à l'organisation de la Cour des comptes).
L'intervention d'autorités spécialisées n'a évidemment pas pour
objet de priver la Chambre des représentants de la fonction qui lui
revient en propre, à savoir le contrôle de l'utilisation des deniers
publics, mais plutôt de la mettre à même d'exercer cette mission en
connaissance de cause.
Au terme de l'exercice budgétaire, cette fois, il appartient aux auto-
rités de contrôle d'<< arrêter les comptes >> - selon le même
article 180, alinéa 2 de la Constitution - après avoir recueilli à cet
effet << tout renseignement et toute pièce comptable nécessaire >>. Ces
comptes procèdent d'une comparaison entre les prévisions de
recettes et de dépenses, inscrites au budget, et les réalisations aux-
quelles elles ont donné lieu.
Les comptes sont << arrêtés >> : en d'autres termes, recettes et
dépenses sont fixées définitivement. Ils sont approuvés par l'auto-
rité qui a procuré les autorisations initiales. Ils emportent décharge
des autorités qui assurent l'administration des deniers publics.
Pour l'Etat fédéral, le compte général est établi par le ministre
des Finances; la Cour des comptes l'examine et l'assortit de ses
observations; la Chambre des représentants arrête avec le gouver-
nement <<la loi de comptes>> (Coust., art. 74 et 174). Le caractère
illusoire de pareil contrôle a été dénoncé à de multiples reprises : la
loi de comptes, ou loi de règlement définitif du budget, est votée
724 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

plusieurs années après la clôture de l'année budgétaire considé-


rée (36).

C. - Les contrôles juridictionnels


855. - La fonction juridictionnelle paraît se distinguer aisément
des fonctions de gouverner, d'administrer ou de légiférer. Elle ne se
confond pas non plus avec les autres fonctions de contrôle. La rai-
son en est simple. Juger, c'est trancher une contestation eu égard
à la règle de droit.
Juger n'implique ni un choix des buts, ni un choix des moyens.
Les uns ont été définis de manière générale et abstraite. Les autres
ont fait l'objet d'appréciations particulières par l'autorité exécutive
et administrative. Il ne convient pas de substituer à ces choix ini-
tiaux les préférences de l'autorité juridictionnelle. Mais des vérifica-
tions sont à accomplir. L'œuvre de justice conduit, pour l'essentiel,
à examiner si les comportements individuels sont compatibles avec
les normes établies, ou si les normes elles-mêmes et les mesures qui
en procurent exécution ont été correctement conçues au regard des
principes de hiérarchie des règles de droit.
Juger ne conduit pas non plus à légiférer au départ d'un cas d'es-
pèce. Il suffit, aux termes et dans les limites de l'article 159 de la
Constitution, d'<< appliquer •> la règle de droit à une situation parti-
culière et de <<restaurer ainsi l'ordre compromis •> (C. CAMBIER).
L'article 6 du Code judiciaire le précise pour autant que de besoin :
<< Les juges ne peuvent prononcer par voie de disposition générale et
réglementaire sur les causes qui leur sont soumises •>. L'article 84 de
la Constitution traduit la même préoccupation.
856. - Juger s'apparenterait-il alors aux autres mameres de
contrôler? D'une certaine façon, oui. Car la fonction juridictionnelle
peut s'attacher, comme les fonctions de contrôle politique, adminis-
tratif ou financier, à vérifier si les actes des autorités publiques ne
prêtent pas à contestation. Au contentieux des droits subjectifs, le
juge s'attachera notamment à censurer les fautes de la puissance
publique ou de ses agents et à exiger les réparations qui s'imposent.
Au contentieux objectif, le juge vérifiera principalement la constitu-

(36) Voy. Ph. MoNFILS, ''Le contrôle parlementaire des dépenses publiques •>, R.J.D.A., 1964,
p. 137; R HENRION, '' Qui décide en matière de finances publiques en Belgique? », Res publica,
1983, p. 618.
LA DÉFINITION DES FONCTIONS 725

tionnalité ou la légalité des actes accomplis par les autorités publi-


ques et en prononcera éventuellement l'annulation.
Il n'empêche que les contrôles exercés par le juge présentent plu-
sieurs particularités.
La fonction juridictionnelle s'exerce au départ d'une contesta-
tion : une << affaire ~>, comme dit l'article 14 7 de la Constitution, est
portée devant l'autorité qui est appelée à statuer; l'œuvre de juger
n'est point spontanée (37).
La justice n'est pas aux mains des pouvoirs- ou d'un pouvoir-. Elle n'est
pas la propriété du juge - ou des juges -. En réalité, elle appartient au corps
des citoyens.
Parmi les fonctions qui reviennent à l'Etat, la fonction de juger est la seule
qui présente cette singularité. Elle ne s'exerce pas d'initiative. Elle n'est pas
spontanée. Le juge ne dispose pas d'une compétence de propre mouvement. Le
juge est sans pouvoirs, s'il n'est pas ''saisi·~ par le citoyen aux fins de remplir
son office.
Le citoyen est initiateur de justice. C'est lui qui saisit le juge. C'est lui qui
déclenche son intervention. C'est lui qui confère à l'intervention du juge sa légi-
timité, sinon son autorité.

La fonction juridictionnelle s'accomplit en procurant application


à la règle de droit. Elle n'a pas à prendre en compte des éléments
d'appréciation politique. Elle n'a pas à se situer sur le terrain des
opportunités. L'œuvre de justice conduit à trancher une contesta-
tion, à la faveur d'une opération qui est de dire le droit.
La fonction juridictionnelle se réalise dans des conditions d'indé-
pendance qui tiennent au statut de ceux qui rendent la justice
(nos 588 s.) et aux procédures mises en œuvre à cette occasion.

BIBLIOGRAPHIE

La doctrine constitutionnaliste n'entreprend qu'exceptionnellement de procéder à


une étude des fonctiou"s politiques. On trouvera des développements sur ces questions
dans des ouvrages plus généraux. Voyez notamment :
G. BELORGEY, Le gouvernement et l'administration de la France, Paris, A. Colin,
1970, 2'" éd.; G. BERGERON, Fonctionnement de l'Etat, Paris, A. Colin, 1965; G. BuR-
DEAU, Traité de science politique, t. VI, L'Etat libéral et les techniques politiques de la
démocratie gouvernée, Paris, L.G.D.J., 1987, 3'" éd.; J. DABIN, L'Etat ou le politique,

(37) <<Juger, c'est dire le droit, à l'effet d'en assurer le respect, quand il y a lieu de le faire,
c'est-à-dire quand il est violé et contesté'' (E. ARTUR,« Séparation des pouvoirs et séparation des
fonctions», R.D.P., 1900, p. 214, ici p. 226).
726 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

Paris, Dalloz, 1957; J. DE LA BIGNE DE VILLENEUVE, L'activité étatique, Paris, 1954;


L'Encyclopédie française, t. X, L'Etat, Paris, 1964.

On consultera, en particulier,
sur les fonctions de sécurité nationale
W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH,« Le commandement de l'armée et la responsa-
bilité ministérielle en droit constitutionnel belge>), Rev. U.L.B., 1948-1949, p. 256;
Répertoire pratique de droit belge, V 0 Armée; J. V AN DER VoRST, << L'armée dans l'Etat.
Quelques considérations théoriques», Res publica, 1970, p. 605.

sur les fonctions de relations extérieures :


P. DE VrsscHER, <<La Constitution belge et le droit international», R.B.D.I., 1986,
p. 5; Evolution constitutionnelle en Belgique et relations internationales. Hommage à
P. De Visscher, avec des contributions de N. VALTICOS, J. VERHOEVEN, F. DELPÉ-
RÉE, J. VAN CoMPERNOLLE, P. TAPIE, Ch. HUBERLANT et F. RIGAUX, Paris, Pédone,
1984; W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH,<< Réflexions sur le droit international et la
révision de la Constitution>), J.T., 1968, p. 485; Ph. GAUTIER,<< Le régime des traités
dans l'Etat fédéral», R.B.D.Int., 1994, p. 50; L'adaptation de la Constitution belge aux
réalités internationales, Bruxelles, Ed. Institut de Sociologie, 1966; J. MASQUELIN, Le
droit des traités dans l'ordre juridique et dans la pratique diplomatique belge, Bruxelles,
Bruylant, 1980; J. SALMON, <<Les problèmes d'adaptation de l'ordre juridique belge
à l'ordre juridique international», in La réforme de l'Etat, 150 ans après l'indépen-
dance nationale, Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, 1980, p. 123; P. WIGNY, Droit consti-
tutionnel, Ch. Il. Le pouvoir, Section 2. Les fonctions de la souveraineté.

sur les fonctions de direction :


J. DONNEDIEU DE VABRES, L'Etat, Paris, P.U.F., 1980, 6e éd.; W.J. GANSHOF VAN
DER MEERSCH et A. V ANWELKENHUYZEN, << Les tendances actuelles de répartition des
fonctions législatives entre le Parlement et le Gouvernement», Rapports belges au
VIII' Congrès international de droit comparé, Bruxelles, 1970, p. 155.

sur les fonctions d'administration :


A. ALEN, Rechter en bestuur in het Belgisch publiekrecht. De grondslagen van de rech-
terlijke wettigheidskontrole, Anvers, Kluwer, 1981, 2 vol.; C. GAMBIER, Droit adminis-
tratif, Bruxelles, Larcier, 1968; C. GAMBIER, <<La puissance publique en question ou
l'empire éclaté>), J. T., 1982, p. 214; M.-A. FLAMME, <<Service public et puissance
publique. Mythes ou réalités», Miscellanea W.J. Ganshof van der Meersch, Bruxelles,
Bruylant, 1972, t. III, p. 477; A. MoLITOR, L'administration de la Belgique,
Bruxelles, Ed. CRISP, 1974; Traité de science administrative (avec notamment des
contributions de J. M. AuBY, H. BucH, R. DRAGO, D. LEVY et J. RIVERO), Paris,
Mouton, 1966.

sur les fonctions de contrôle :


C. GAMBIER, Principes du contentieux administratif, t. 1 et Il; INSTITUT BELGE DES
SCIENCES POLITIQUES, Le contrôle parlementaire de l'action gouvernementale, Bruxelles,
Librairie encyclopédique, 1957; M. SoMERHAUSEN, << Le contrôle parlementaire de
l'administration belge>), Rapports belges au VII' Congrès international de droit com-
paré, Bruxelles, 1966, p. 285.
CHAPITRE II
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS

857. - Les fonctions sont multiples. Telle est la leçon qui se


dégage d'une analyse des principales manifestations de l'Etat fédé-
ral. Les fonctions sont complexes aussi, à raison des techniques
diversifiées auxquelles elles recourent. Telle est l'observation qui se
déduit d'une étude des fonctions étatiques et des fonctions collec-
tives.
Les autorités publiques sont multiples même si, selon une classifi-
cation opérée par la Constitution, elles peuvent - au moins en ce
qui concerne l'Etat fédéral - être répertoriées en trois catégories :
le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir juridictionnel.
Les autorités sont complexes aussi, à raison, par exemple, des exi-
gences de la collégialité.
Mais selon quel principe fonctionne l'ensemble? Quelle règle com-
mande l'aménagement fédéral des institutions publiques? Quelle
technique préside à la distribution des fonctions?
Une idée nouvelle s'impose ici. Elle est politique dans son inspira-
tion. Elle est juridique dans sa concrétisation. Elle s'exprime ainsi.
Dans une collectivité politique, des fonctions multiples et complexes ne
peuvent être déposées en une seule main; elles doivent être réparties
entre les diverses autorités publiques.
Tel est le credo du droit constitutionnel moderne. Il trouve une
expression symbolique dans la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen : << Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est
pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de
Constitution>> (art. XVI). Au-delà d'elle, c'est évidemment dans les
observations de MoNTESQUIEU, au chapitre VI du Livre Xl de L'Es-
prit des lois - << La Constitution de l'Angleterre >> - , qu'une concep-
tion de la distribution des fonctions dans l'Etat trouve ses assises.
Après avoir procédé à une première analyse des fonctions qui sont
à remplir dans l'Etat, MoNTESQUIEU écrit : <<Tout serait perdu si le
même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou
du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui
728 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

d'exécuter des résolutions publiques ou celui de juger les crimes ou


les différends des particuliers >>. La maxime reste d'actualité.
858. - Et pourtant ... Il est de bon ton à l'heure actuelle de faire
le procès de MoNTESQUIEU et de la théorie qu'il a esquissée. Vision
étriquée des fonctions de l'Etat, disent les uns, qui ramène au légis-
latif, à l'exécutif et au judiciaire un ensemble plus complexe d'acti-
vités qui caractérisent la vie publique! Conception figée des rap-
ports entre les autorités, ajoutent d'autres, qui sépare les attributs
d'un pouvoir qui ne saurait pourtant être divisé, qui a vocation
d'être unique comme l'est la finalité même du système politique!
Doctrine propice aux confusions conceptuelles, précisent encore
d'autres, qui mêle inconsciemment la fonction, qu'elle appelle pou-
voir, et le pouvoir, qu'elle dénomme puissance, sans faire le départ
entre ces deux ordres d'idées!
La Constitution belge qui trouve pourtant l'une de ses sources
d'inspiration dans la théorie de la séparation des pouvoirs ou, en
tout cas, dans certaines de ses applications, semble participer à ce
mouvement critique, à moins qu'elle n'en exagère les défauts. Elle
range au nombre des pouvoirs, et dans l'ordre, le pouvoir législatif,
le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, mais aussi les pouvoirs
locaux - et, aujourd'hui, les pouvoirs communautaires et régio-
naux - . Elle ne cherche pas à procurer à la notion de << pouvoir>>
une signification univoque : elle l'entend tantôt au sens organique
de l'expression, tantôt dans son sens fonctionnel. Elle institue sur-
tout des mécanismes précis de collaboration entre les pouvoirs pour
l'exercice des fonctions qu'ils assument et semble ainsi prendre le
contre-pied d'une conception stricte de la séparation des autorités
publiques.
859. - Le procès fait à L'Esprit des lois, au nom de principes
tirés de la doctrine de l'Etat ou de prescriptions empruntées aux
Constitutions contemporaines, ne paraît pas pertinent. L'objectif
que s'assigne MoNTESQUIEU, comme la méthode qu'il utilise, le
conduisent moins à présenter un schéma d'organisation de l'Etat ou
un projet de Constitution en bonne et due forme juridique qu'à for-
muler des préceptes de morale politique (1) :<<Tout homme qui a du
pouvoir est porté à en abuser. La vertu même a besoin de limites ...

(1) «Tl ne faut pas toujours tellement épuiser un sujet, qu'on ne laisse rien à faire au lecteur.
Il ne s'agit pas de faire lire, mais de faire penser>> (Livre XTT, chap. XX). Sage précepte ..
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 729

Il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pou-


voir>>.
MoNTESQUIEU apporte des maximes - plus que des techniques -
pour la direction de l'Etat. <~La liberté politique, ne se trouve que
dans les gouvernements modérés ... >>. La notion de gouvernement ne
peut être assimilée, dans cette perspective, à la puissance exécutive
mais sert plutôt à désigner - comme dans la terminologie anglo-
saxonne - l'ensemble des appareils qui concourent à la direction
des affaires de l'Etat.
La question à laquelle L'Esprit des lois s'attache à répondre est
la suivante : <~Comment aménager, dans l'Etat, cet appareil de
direction >>? La réponse qui, avec le recul du temps, peut paraître
imprécise, importe moins que la question (2). Il est des modes diffé-
renciés de répartition des fonctions. Mais l'intention reste la même.
Ces fonctions doivent être partagées entre plusieurs autorités. C'est le
gage de la liberté des citoyens. La leçon de MONTESQUIEU reste, sur
ce point, irremplaçable.
Maxime, plutôt que règle... Elle gagne à ne pas être interprétée
de manière formaliste. Sinon, toutes les Constitutions répondent au
vœu de MoNTESQUIEU; par la force des choses, toutes reposent sur
une distribution des tâches entre des autorités distinctes. L'Esprit
des lois requiert plus. Il veut que ces autorités, investies de fonc-
tions différentes, ne puissent se confondre par leur origine, par leur
statut, par leur modes de fonctionnement. En ce sens, la séparation
des fonctions postule la séparation des pouvoirs, et celle-ci requiert
que les autorités publiques soient, en droit comme en fait, choisies
selon des techniques diversifiées. Pour ne prendre que cet exemple,
les Etats à parti unique ou à parti dominant peuvent concevoir des
instruments constitutionnels qui reposent sur l'idée d'une sépara-
tion des fonctions étatiques. Ils peuvent prétendre les distribuer
entre des autorités distinctes. Il reste que la source du pouvoir est
unique - un parti, un chef, un collège .... - (3).

(2) Une idée s'exprime, en effet : <<Lorsque, dans la même procédure ou dans le même corps
de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de
liberté, parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois
tyranniques pour les exécuter tyranniquement ».
(3) «C'est, écrit J. CADART, le régime de beaucoup le plus répandu dans le monde et celui qui
a dominé l'écrasante majorité des systèmes politiques, au moins depuis que les sociétés humaines
vivent dans un cadre étatique» (Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, L.G.D.J,
1979, t. I, p. 389).
730 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

En ce sens, MoNTESQUIEU énonce les conditions mêmes de réalisa-


tion d'une société démocratique : le pluralisme, la concurrence, l'al-
ternance pour l'exercice du pouvoir.
860. - L'Esprit des lois retient l'attention sur un plan plus tech-
nique. Pour trois raisons.
Premièrement, MoNTESQUIEU établit l'existence, au niveau des
fonctions de l'Etat, de << la puissance exécutrice des choses qui
dépendent du droit des gens>> : par elle, l'Etat <<fait la paix ou la
guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient
les invasions >>. Mais à qui revient cette fonction? Au <<prince >> ou au
<<magistrat>>, répond MoNTESQUIEU. Aujourd'hui, à quelle autorité
la Constitution confère-t-elle l'attribution des fonctions étatiques?
Cette attribution revient, en principe, au chef de l'Etat.
Deuxièmement, MoNTESQUIEU souligne la place particulière de
certaines fonctions parmi les responsabilités qui sont assumées dans
une collectivité politique. << Il y a dans chaque Etat, trois sortes de
pouvoirs >> : la puissance législative, la puissance exécutrice et la
puissance de juger. <<Par la troisième, il (le prince ou le magistrat)
punit les crimes et juge les différends entre particuliers>>. Mais MoN-
TESQUIEU ajoute aussitôt : <<Des trois puissances dont nous avons
parlé, celle de juger est, en quelque façon, nulle. Il n'en reste que
deux>> (4). Jean BRÈTHE DE LA GRESSAYE commente cette proposi-
tion en observant que <<la puissance de juger est nulle en (ce) sens
(qu') elle ne constitue pas une force politique>> (5).
La leçon mérite d'être généralisée. La Constitution procède à l'at-
tribution des fonctions du contrôle juridique à des autorités qui sont
destinées à demeurer autonomes et qui devront exercer leurs res-
ponsabilités sans interférence et sans intervention d'autres auto-
rités.
Troisièmement, MoNTESQUIEU se prononce sur l'attribution des
autres fonctions collectives, à savoir les fonctions de direction et d'ad-

(4) Sous une autre forme : «La puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n'étant atta-
chée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient pour ainsi dire invisible et nulle »
(Livre XI, chap. V).
(5) MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, texte établi par J. BRÈTHE DE LA GRESSAYE, Paris, Les
belles lettres, 1955, t. II, p. 341. Dans cet esprit, la fonction de juger doit être réservée à des
autorités indépendantes, inscrites dans le pouvoir judiciaire et les autres juridictions. Lui recon-
naître une puissance ((nulle>), c'est avant tout la mettre à l'abri des interventions d'autorités
publiques qui n'émanent pas d'elle et préserver ceux qui l'exercent contre la tentation de fausser,
par leur décision, l'activité poursuivie par d'autres pouvoirs.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 731

ministration. Après avoir montré que les fonctions d'une société


politique ne peuvent, dans l'abstrait, être confondues et, dans le
concret, être confiées à une seule autorité, MONTESQUIEU se pro-
nonce sur les relations qui peuvent exister entre elles. Il souligne
leur interdépendance. Gouverner, administrer, légiférer --:- pour ne
prendre que ces exemples - ne peuvent être isolés l'un de l'autre.
Sur ce point, la leçon de L'Esprit des lois a été trop occultée. Ces
relations fonctionnelles peuvent prendre deux formes : la collaboration
et le contrôle (6).
La collaboration des autorités publiques peut être requise pour
l'exercice d'une même fonction, si bien que, <<par le mouvement
nécessaire des choses >>, ces autorités << sont contraintes d'aller, elles
seront forcées d'aller de concert >>, selon la formule connue. Mais le
contrôle réciproque des autorités publiques est également exigé pour
l'exercice correct des fonctions qu'elles assument. Ces autorités doi-
vent disposer de la <<faculté mutuelle d'empêcher>>.
Dans cette perspective, la théorie de la séparation des pouvoirs -
le terme n'a pas été utilisé par MoNTESQUIEU- gagne à être com-
prise comme une réflexion sur les relations qui existent entre pou-
voirs dans l'accomplissement de fonctions qui leur reviennent. Ces
relations peuvent être placées sous le double signe de la confiance
et de la méfiance. Des mécanismes de concertation et de surveil-
lance en sont induits.
861. - Les deux premières propositions de MoNTESQUIEU sont
souvent perdues de vue. La plupart du temps, la troisième n'est
examinée que sous l'angle des formes - plus ou moins accen-
tuées - de collaboration qui peuvent s'instaurer entre les pouvoirs.
C'est priver L'Esprit des lois d'une part de ses virtualités. C'est
réduire l'œuvre de MONTESQUIEU à quelques propos, limités au
demeurant, sur la concertation que les autorités publiques doivent
engager pour permettre un bon fonctionnement de l'Etat.
Il faut redonner à l'œuvre doctrinale son eh ti ère ampleur. Est-ce
lui accorder trop d'importance que de procéder à une lecture de la

(6) Ce qui rejoint la distinction de MoNTESQUIEU entre ''la faculté de statuer» (ou ''le droit
d'ordonner par soi-même, ou de corriger ce qui a été ordonné par un autre») et'' la faculté d'em-
pêcher>> (c'est-à-dire<< le droit de rendre nulle une résolution prise par quelque autre>>) (Livre XI,
chap. VI). Sur ce thème, voy. J.J. CHEVALLIER, ''De la distinction établie par Montesquieu entre
la faculté de statuer et la faculté d'empêcher», Mélanges Maurice Hauriou, Paris, Sirey, 1929,
p. 129.
732 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

Constitution belge à la lumière des préceptes de gouvernement


qu'elle contribue à établir?

SECTION re. - L'ATTRIBUTION


DES FONCTIONS ÉTATIQUES

862. - Les fonctions de souveraineté sont, en principe, attri-


buées à une seule autorité publique, le roi, encore appelé en l'espèce
et fort à propos le chef de l'Etat. Dans ce domaine, il y a identité
entre la fonction et l'autorité qui l'exerce. Par exemple, le roi - et
lui seul - assure la représentation de la Belgique vis-à-vis de
l'étranger. Lorsqu'il remplit cette mission, il n'a pas à tenir compte
d'actions conjuguées avec d'autres autorités (7).
La Constitution consacre, en termes particulièrement nets, le
principe d'exclusivité (§ 1er) quand la représentation de l'Etat (A)
est en cause ou quand il s'agit de défendre le territoire (B).
Ce principe connaît néanmoins des tempéraments (§ 2). La fonc-
tion internationale peut être partagée. Le rôle des assemblées parle-
mentaires (A) et celui des collectivités fédérées (B) ne peut être
perdu de vue.
Des limitations (§ 3) peuvent encore être apportées - dans le
concret - à l'usage des fonctions étatiques. L'attribution de ces
fonctions n'exclut pas l'exercice des prérogatives de contrôle : celui-
ci porte sur les politiques mises en œuvre (A) ainsi que sur les
moyens humains (B) et financiers (C) qui sont utilisés.

§ pr_ - Le principe d'exclusivité

A. - La représentation de l'Etat
863. - L'article 167 de la Constitution précise que<< le roi dirige
les relations internationales )), << commande les forces armées )) et
<< conclut les traités >>. Cette disposition peut susciter des contro-
verses sur des points de détail. Elle peut être critiquée pour des
maladresses de rédaction. Il n'empêche que, grâce à des exemples
choisis, elle exprime avec force une idée simple qui ne peut être per-

(7) Il va sans dire que le roi est appelé à exercer ces fonctions avec le concours de son gouver-
nement et avec le secours des administrations qui en dépendent.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 733

due de vue. Le roi, titulaire du pouvoir exécutif fédéral, est l'auto-


rité habilitée à représenter l'Etat belge et à l'engager valablement
vis-à-vis de l'étranger.
Selon l'expression d' Adhémar Es MEIN, le chef de l'Etat est << le
représentant général et unique >> de l'Etat dans ses rapports avec
d'autres Etats. C'est à ce titre qu'il lui revient de diriger la politique
étrangère, de conduire l'action diplomatique et, plus généralement
encore, d'établir les relations de tous ordres de l'Etat avec l'exté-
rieur (8).
864. - L'article 167 de la Constitution n'instaure pas un par-
tage des responsabilités en matière internationale. Elle agit comme
si, par définition, la négociation et la ratification (9) d'un traité
étaient le fait d'une seule autorité publique. Les prérogatives recon-
nues au chef de l'Etat sortent, à n'en pas douter, de l'ordinaire. Il
n'appartient pas ici au roi d'agir selon les directives du législateur
fédéral; il lui revient de se décider de son propre mouvement.
La Constitution accrédite-t-elle ainsi les conceptions de l'Ancien
régime qui faisaient du droit de traiter une prérogative originelle et
personnelle du monarque? Ou inscrit-elle les fonctions de représen-
tation internationale dans un ordre constitutionnel où tous les actes
du roi, parce qu'ils doivent pouvoir être soumis à critique, sont
accomplis avec le concours d'un ministre?
En ce qui concerne la conclusion des traités, le problème n'a
jamais fait difficulté. En son article 167, § 2, la Constitution orga-
nise elle-même les procédures du contrôle politique de l'action inter-
nationale; par ailleurs, l'article 106 institue le principe général de la
responsabilité ministérielle et la règle absolue du contreseing.
Les particularités de l'action internationale imposent les interven-
tions conjuguées du roi et de ses ministres. Le roi fait les traités.
Mais l'un de ses ministres engage les pourparlers préliminaires; il
signe le traité; il sollicite l'assentiment des Cham bres; il atteste de
la signature déposée au bas des instruments de ratification ... Par la
force des choses autant que par celle du droit, le roi ne peut - pas
plus en cette matière qu'en une autre - agir sans contreseing.

(8) A. ERMF.IN, op. cit., p. 566.


(9) L'échange des instruments de ratification a traditionnellement lieu après l'assentiment
parlementaire, de manière à éviter qu'un traité qui lierait valablement la Belgique sur le plan
international. soit dépourvu d'effet dans l'ordre juridique interne.
734 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

865. L'article 167 de la Constitution mériterait d'être révisé.


Des propositions concrètes ont été faites naguère pour adapter la
Constitution belge aux réalités internationales ( 10). Elles restent
d'actualité. La conclusion des accords en forme simplifiée est un fait
que la pratique internationale a accrédité (11) : des ministres ou des
hauts fonctionnaires sont ainsi amenés, en vertu d'une délégation
tacite du chef de l'Etat- selon l'expression d'A. MAST (12) - , à
conclure des executive agreements par simple échange de lettres;
ceux-ci, souligne la section de législation du Conseil d'Etat, seront
ensuite soumis à l'assentiment du législateur fédéral dans les condi-
tions prescrites à l'article 167, § 2 de la Constitution.

B. - La défense du territoire de l'Etat


866. - Le chef de l'Etat commande l'armée et, à ce titre, contri-
bue, en temps de paix comme en temps de guerre, à la défense du
territoire de l'Etat. Les responsabilités qui lui reviennent ne sont
pas comparables à celles qui lui sont attribuées en matière de rela-
tions internationales. Les interventions du chef de l'Etat s'inscri-
vent ici dans un cadre institutionnel qui est délimité par la Consti-
tution et par la loi fédérale. Des collaborations doivent s'instaurer
entre les autorités qui sont investies, à des titres divers, d'une part
de cette fonction étatique.

§ 2. - Les tempéraments

A. - L'intervention des chambres


867. - Le principe paraît simple. Au roi appartiennent les fonc-
tions étatiques, spécialement dans le domaine des relations interna-
tionales ( 13). Ce principe d'attribution exclusive des fonctions est
assorti de quelques tempéraments. Il ne s'agit pourtant pas de véri-
tables exceptions. Il n'y a pas de réel partage des responsabilités.
Il y a l'obligation faite au roi de donner communication aux
chambres, << aussitôt que l'intérêt et la sûreté de l'Etat le permet-

(10) L'adaptation de la Constitution belge aux réalités internationales, Bruxelles, Institut de


sociologie de l'U.L.B., 1962.
(11) P.F. SMETS, La conclusion des accords en forme simplifiée, Bruxelles, Bruylant, 1969;
Ph. GAUTIER, op. cit., pp. 149 s.
(12) A. MAST, op. cit., p. 338.
(13) Voy. aussi Coust., art. 107 : le roi nomme aux emplois de relations extérieures.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 735

tent >>, des traités qu'il a conclus et d'y joindre <<les communications
convenables>>. Mais, en l'espèce, le roi ne soumet pas un traité aux
chambres pour requérir leur approbation. Il se contente de leur faire
connaître ce qu'il a établi de sa seule autorité (art. 167, § pr, al. pr).
Il y a aussi l'obligation faite au roi de soumettre à l'assentiment
des chambres les traités dont il a déjà négocié le contenu avec un
Etat étranger. Ici encore, le pouvoir exécutif fédéral garde l'initia-
tive dans l'action et la maîtrise dans la décision. Il est simplement
responsable de ses actes devant les chambres. On dira, dans cette
perspective, que l'article 167, § 2, de la Constitution instaure, dans
les limites qu'il définit, une forme spécifique et automatique de
contrôle de l'action gouvernementale.
Par ailleurs, et comme le relevait déjà VAN MEENEN à la tribune
du Congrès national, le vote des chambres est, dans certains cas,
inévitable : lui seul peut changer formellement la législation ou
ouvrir des crédits à l'exécutif et ainsi donner effet utile au traité
dans l'ordre juridique national. Ce qui implique que, pour d'aucuns,
l'assentiment soit procuré par les trois branches du pouvoir légis-
latif(14).
Il y a, enfin, l'obligation faite au roi d'obtenir l'autorisation du
pouvoir législatif fédéral avant de négocier un traité de frontières
(art. 7 et 167, §1er, al. 3). L'intervention législative, cette fois, est
condition de validité internationale du traité à conclure. Elle repré-
sente la limitation la plus nette que la Constitution apporte aux
fonctions du roi dans le domaine des relations internationales (voy.
égal., Const., art. 185).

B. - L'intervention des autorités fédérées


868. - L'on rappelle, si nécessaire, que l'Etat fédéral ne dispose
plus du monopole dans le domaine des relations internationales. Il
partage cette compétence avec les collectivités fédérées. Sur l'inci-
dence de cette question dans l'organisation et le fonctionnement de
la Communauté européenne, voy. F. DELPÉRÉE, Le fédéralisme et
l'Europe, Paris, P.U.F., 2000, coll. Que sais-je?, no 1953.

(14) L'assentiment intervient, en principe, entre le moment où le traité a été signé et celui
où il lie définitivement les parties contractantes par l'échange des instruments de ratification.
Des procédures d'assentiment anticipé sont, cependant, concevables.
736 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

§ 3. - Les limitations

A. - Le contrôle des politiques


869. - <<Depuis que les Parlements existent, écrit P. DE VISs-
CHER, la doctrine s'interroge sur leur aptitude à contrôler la direc-
tion de la politique extérieure ~> ( 15). La Constitution répond à cette
question de diverses manières.
Elle réserve, d'abord, tant à la Chambre des représentants qu'au
Sénat (Const., art. 77), la faculté de contrôler l'action poursuivie
par le pouvoir exécutif fédéral à l'occasion des opérations de négo-
ciation et de conclusion d'un accord international. La procédure
d'assentiment inscrite dans l'article 167, § 2 de la Constitution peut
être comprise comme relevant autant d'une technique particulière
de contrôle que d'un mécanisme d'introduction dans l'ordre interne
de dispositions du droit international (16).
La Constitution donne aussi à la Chambre des représentants et,
pour une part, au Sénat, la possibilité de contrôler- a posteriori -
l'action poursuivie par les ministres responsables de la politique
étrangère, de la défense nationale, des relations extérieures ou de la
justice ainsi que de l'attitude adoptée par ceux qui sont sous leurs
ordres. Les procédés de l'interpellation, de la demande d' explica-
tion, de la question, voire de l'enquête parlementaire (no 955) peu-
vent être utilisés à cet effet.
Ces techniques de contrôle sont également de mise quand il s'agit
de vérifier comment le pouvoir exécutif fédéral remplit les missions
qui sont les siennes au titre de la défense du territoire.

B. -Le contrôle des moyens humains


870. - L'exercice des fonctions étatiques ne se conçoit pas sans
le concours d'un ensemble de services et de personnels (diplomates,
fonctionnaires, militaires ... ). Leur recrutement s'opère en tenant
compte des moyens budgétaires qui ont été mis à la disposition des
départements ministériels. En limitant ces moyens, la Chambre des
représentants est en mesure de restreindre l'activité des services et

(15) P. DE VISSCHER, <<Préface" de P.F. SMETS, Les traités internationaux devant le Parlement
1945-1955, Bruxelles, Bruy1ant, 1978, p. 3.
(16) Voy. le titre de la première partie de l'ouvrage cité de P.F. SMETS: «La procédure d'as-
sentiment comme mode de contrôle parlementaire de la conclusion des traités internationaux "·
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 737

des agents qui remplissent les fonctions étatiques. Au besoin, elle


pénalisera, voire supprimera, tel service en refusant de voter à nou-
veau les crédits qui lui sont alloués.
Une précaution particulière est prise dans le domaine de la force
publique associée aux opérations de défense du territoire : << Le
contingent de l'armée est voté annuellement. La loi fédérale qui le
fixe n'a de force que pour un an, si elle n'est renouvelée •> (Const.,
art. 183). Ce contingent, relève J. VELU, correspond au <<nombre
maximum de militaires - miliciens, militaires de carrière et volon-
taires, rappelés - qui peuvent être présents sous les armes simulta-
nément un même jour de l'année civile•>(l7).

C. - Le contrôle des moyens financiers


871. - Les procédés de contrôle qu'énumère la Constitution
sont divers. Certains d'entre eux- le vote annuel des impôts et du
budget, mais aussi le vote annuel de la loi de comptes - offrent à
la Chambre des représentants une occasion privilégiée pour émettre
des préoccupations sur la politique du pouvoir exécutif dans l'exer-
cice de ses fonctions étatiques et pour adapter en conséquence les
moyens financiers qui seront alloués à cette politique.
Comme l'écrivent avec pertinence Ch. DEBBASCH, J. BouRDON,
J.-M. PoNTIER et J.-Cl. RICCI, <<le vote du budget caractérise
davantage la faculté d'empêcher du Parlement que sa faculté de
statuer; à ce titre, il participe à l'activité de contrôle •>. Avec cette
explication : <<L'autorisation n'est pas un blanc-seing •> (18).

SECTION Il. - L'ATTRIBUTION DES FONCTIONS


DE CONTRÔLE JURIDIQUE

872. - Parmi les fonctions collectives, il en est qui sont appelées


à aller de concert : la direction et l'administration d'une collectivité
le veulent ainsi. D'autres, par contre, doivent s'exercer de manière
indépendante. Leur mise en œuvre ne tolère pas l'intervention ou
l'immixtion d'autres autorités.
Les fonctions de contrôle - tout au moins celles qui relèvent du
contrôle de la régularité juridique - entrent dans cette catégorie

(17) J. VELU, op. cit., t. I'"', p. 838.


(18) Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Economica, 1986, 2" éd., p. 795.
738 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

(§ 1er). Ces responsabilités ne sont pas moins importantes que les


autres. Les conditions dans lesquelles elles sont assumées vont, au
contraire, leur conférer une place particulière parmi les activités
publiques.
Les responsabilités qui reviennent au pouvoir juridictionnel (A)
ainsi qu'à d'autres autorités indépendantes (B) méritent d'être
citées dans cette perspective.
Ces principes peuvent connaître des tempéraments (§ 2). Plusieurs
phénomènes institutionnels méritent, en l'occurrence, d'être évo-
qués. La fonction à remplir peut ne pas être assurée par une seule
autorité, mais par une multitude d'institutions distinctes, agissant
chacune séparément. Le pouvoir juridictionnel est diffus (A). Des
contrôles juridictionnels restreints reviennent aussi à chaque assem-
blée parlementaire (B).
Ces principes trouvent application (§ 3) dans le système belge.
Celui-ci présente une originalité foncière. A la différence de situa-
tions qui prévalent à l'étranger et qui reconnaissent aux collecti-
vités fédérées des compétences significatives en ce domaine, l'Etat
fédéral (A) est seul compétent pour organiser la fonction de contrôle
juridique. Il s'attache à préserver l'indépendance de la fonction (B)
sans ignorer les interférences qu'elle peut avoir avec d'autres fonc-
tions politiques (C).

§ 1er. - Le principe d'indépendance

A. - La fonction juridictionnelle
873. - La fonction de juger est confiée au pouvoir juridictionnel
L'expression peut paraître inhabituelle, dans la mesure où l'ar-
ticle 40 de la Constitution se borne à consacrer l'existence d'un pou-
voir <<judiciaire)). Elle est choisie aux fins de rassembler sous une
même appellation l'ensemble des institutions de justice : la Cour
d'arbitrage que crée l'article 142 de la Constitution, les cours et tri-
bunaux qui composent le pouvoir judiciaire, les autres tribunaux et
juridictions contentieuses que cite l'article 146, la Cour des comptes
(qui connaît du jugement des comptables publics, en vertu de
l'art. 180, al. 2), mais aussi diverses juridictions administratives, au
sein desquelles la section d'administration du Conseil d'Etat occupe
une place prééminente (art. 160).
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 739

Le pouvoir juridictionnel (19) présente une caractéristique. C'est


un pouvoir diffus. Il est disséminé dans un ensemble d'autorités
réparties sur l'ensemble du territoire, depuis la Cour de cassation
jusqu'au juge de paix de Virton ou au juge de police d'Ostende.
Toutes sont appelées à remplir - en pleine indépendance - la
même et éminente fonction : rendre la justice. La multiplicité des
autorités conduit évidemment à mettre l'accent sur des aspects par-
ticuliers de la mission assignée au pouvoir juridictionnel.
87 4. - Il y a, d'abord, le contrôle partiel de la constitutionnalité
des lois et des décrets. Il est dévolu à la Cour d'arbitrage. On sait
que celle-ci résout les conflits qui lui sont déférés en tenant compte
des dispositions de la Constitution - et de celles des lois qui en pro-
curent application - , lorsqu'elles définissent les compétences res-
pectives de l'Etat fédéral, des communautés et des régions. Elle sta-
tue également sur la compatibilité des lois, décrets et ordonnances
avec les articles 10, 11 et 24 de la Constitution (no 87).
875. - Il y a, ensuite, le contrôle global de conformité à la
Constitution, aux lois et aux décrets des actes du pouvoir exécutif
fédéral, mais aussi des actes des gouvernements de communauté et
de région et des collectivités locales. Il est dévolu, pour une part,
au Conseil d'Etat et, pour une autre part, aux tribunaux relevant
du pouvoir judiciaire.
D'un côté, la section d'administration est saisie d'un recours que
lui adresse toute personne intéressée qui considère qu'un acte admi-
nistratif - de nature individuelle ou réglementaire - est illégal -
au sens large de l'expression - et, de ce fait, affecte ses intérêts; si
la requête est fondée, le Conseil d'Etat annule la mesure prise ; sa
décision a une portée rétroactive.
De l'autre côté, les cours et tribunaux, tout comme le Conseil
d'Etat, peuvent - à l'occasion d'un litige - vérifier la constitu-
tionnalité ou la légalité des mêmes actes administratifs; elles le

(19) Historiquement, le pouvoir juridictionnel est peut-être le plus ancien de tous. La justice
rendue à chacun a été l'un des premiers besoins des sociétés humaines. Là même où la confection
de la loi était encore inconnue et où l'idée d'un gouvernement n'était pas encore acceptée, la
nécessité était ressentie d'instituer des autorités chargées de rendre la justice, selon des formes
et des procédures prédéterminées. L'avènement de la loi et l'établissement du gouvernement ont
rendu plus impérieux encore le recours à des autorités juridictionnelles. L'application de la loi
peut susciter des difficultés; les intérêts des individus peuvent être contradictoires; les interven-
tions de l'administration peuvent se révéler abusives; des infractions peuvent être commises. Ces
circonstances requièrent l'intervention du juge.
740 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

feront, par exemple, à la demande d'un particulier qui est poursuivi


pour avoir méconnu les dispositions d'un règlement communal dont
la légalité est contestée; à supposer que la demande soit fondée, le
juge refuse, en vertu de l'article 159 de la Constitution, d'appliquer
<~ les arrêtés et règlements )) dans le cas d'espèce et relaxe la personne
des poursuites engagées contre elle (20).
876. - Il y a aussi le contrôle de l'exercice des droits subjectifs.
La plupart des litiges naissent de contentieux qui opposent des par-
ties sur ce qu'elles considèrent être leurs droits respectifs : conflits
familiaux, conflits du travail, conflits commerciaux... Comme l'a
relevé avec pertinence Cyr CAMBIER, <~c'est au règlement de ce
contentieux que l'on réduit généralement l'office du juge)) (21). <~Un
conflit naît, des parties disputent de ce qui leur revient et de ce qui
leur appartient, en vertu de la loi ou des principes généraux de légi-
timité : c'est l'affaire des tribunaux de départager ces plaideurs en
reconnaissant ou en déclarant dans leur chef un droit ou l'absence
de tout droit)) (22).
La Constitution se veut, sur ce terrain, particulièrement précise.
Si les contestations <~ont pour objet des droits civils)), elles sont
<~ exclusivement du ressort des cours et tribunaux )) qui appartien-
nent au pouvoir judiciaire - entendu au sens strict du terme -
(Const., art. 144). Si elles <~ont pour objet des droits politiques)),
elles sont également du ressort des tribunaux du pouvoir judiciaire.
Le principe ainsi établi doit, cependant, se comprendre sous réserve
des <~exceptions établies par la loi)) fédérale (Const., art. 145); des
juridictions administratives, en particulier, peuvent être constituées
pour connaître du contentieux de droits politiques (voy., par
exemple, pour l'électorat, no 170, et pour l'éligibilité, n° 171).
Sur la distinction entre <~ droits civils )) et <~ droits politiques )), on
consultera les principaux ouvrages de droit judiciaire et de conten-
tieux administratif (23).

(20) Voy. A. VANWELKENHUYZEN et A. VAN SOLINGE, op. cit., p. 80.


(21) C. CAMBIER, op. cit., t. l'·', p. 97.
(22) C. CAMBIER, op. cit., t. 1"', p. 99.
(23) C. CAMBIER, op. cit., t. l", pp. 284 à 337; Ch. GoossENS, «Recherches sur les critères de
distinction des droits individuels, droits civils, droits politiques, droits administratifs », Ann. dr.
Liège, 1960, p. 149; H. LENAERTS, De burgerlijke, politieke en administratieve rechten en de bevoegd-
heidsregeling naar Belgisch recht, Anvers, 1957; A. MAST, Overzicht van het Belgisch administratief
recht, Gand, Story-Scientia, lW éd., n"" 500 s.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 741

877. - Il y a encore le contrôle des infractions. Il porte sur la


conformité des agissements des personnes au regard de la loi pénale
ou des dispositions assorties de sanctions de cet ordre. Le conten-
tieux répressif est déféré, lui aussi, de manière exclusive aux cours
et tribunaux. Non que la contestation porte sur un droit civil, ou
même sur un droit politique. Mais parce que la Constitution, qui
entend établir les principes de la répression pénale (n° 213), consi-
dère que le juge judiciaire est le mieux placé pour vérifier la confor-
mité ou la non-conformité d'un acte à la loi. Le juge des infractions
ne départage pas des intérêts opposés. Il acquitte ou condamne. Il
veille au maintien de l'ordre dans la société.
878. - Le contentieux de cassation occupe une place particulière
parmi les contrôles juridictionnels (24). La Cour de cassation veille,
en effet, à assurer l'unité de la jurisprudence dans l'Etat. Elle
connaît des pourvois qui lui sont adressés contre les décisions de
justice rendues en dernier ressort et vérifie, à cette occasion, la
manière dont le juge, qualifié au fond, a appliqué le droit. En cas
de censure, la Cour renvoie l'affaire qui lui a été soumise devant une
juridiction de même rang que la précédente. Si le juge décide dans
le même sens que le premier et qu'il y a à nouveau pourvoi, la Cour
de cassation statue sur la question de droit et renvoie éventuelle-
ment l'affaire devant une troisième juridiction; celle-ci est tenue de
se conformer à la décision prise par la Cour.
Le Conseil d'Etat peut également être amené à exercer ce conten-
tieux de cassation dans les hypothèses prévues à l'article 15 des lois
coordonnées.

B. - Les fonctions de contrôle


d'autres autorités indépendantes
879. - D'autres institutions remplissent leur m1sswn de
contrôle juridique de manière indépendante : la Cour des comptes -
dans le domaine financier - , la section de législation du Conseil
d'Etat - dans le domaine de la préparation des lois, des décrets ou
des règlements - , pour ne citer que ces exemples.
Deux précisions s'imposent à ce propos. D'une part, une autorité
ou un corps de contrôle peut exercer ses activités de manière indé-

(24) F. RIGAUX, La nature du contrôle de la Cour de cassation, Bruxelles, Bruylant, 1966.


742 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

pendante et sans subir les pressions du contrôlé. Ceci ne préjuge pas


la question de savoir s'il est en mesure d'imposer ses préoccupa-
tions : dans un cas, le contrôle se traduira dans une décision qui lie;
dans un autre, il s'exprimera en un avis qu'il sera possible, au
besoin, de transgresser.
D'autre part, le principe d'indépendance des autorités et des
corps de contrôle s'exprime de manière plus nette encore lorsque
contrôleur et contrôlé ne relèvent pas d'une même collectivité politi-
que. L'indépendance fonctionnelle se double ici d'une indépendance
organique. La Cour des comptes ou le Conseil d'Etat sont établis
par la Constitution. Ils trouvent dans l'Etat fédéral leur assise; c'est
à son profit qu'ils remplissent, pour l'essentiel, leurs fonctions.
Depuis 1970, pour le Conseil d'Etat, et 1980, pour la Cour des
comptes, il est néanmoins admis que ces institutions - qui conser-
vent leurs responsabilités dans l'ordre fédéral - sont aussi appelées
à remplir leurs fonctions dans l'ordre communautaire et régional :
<<La loi du 29 octobre 1846 relative à l'organisation de la Cour des
comptes ... (est) applicable à la communauté et à la région)) (l. sp.
8 août 1980, art. 13, § 4); tout avant-projet de décret est soumis à
l'avis motivé de la section de législation du Conseil d'Etat (lois
coord., art. 3) (no 80).

§ 2. - Les tempéraments

A. - Les responsabilités de chaque juridiction


880. - La multiplicité des autorités juridictionnelles est inscrite
en toutes lettres dans la Constitution. Celle-ci ne proclame pas seu-
lement l'indépendance du pouvoir juridictionnel. Elle assure avant
tout l'indépendance des juridictions et celle des juges qui les compo-
sent.
Si l'existence d'un <<pouvoir judiciaire)) est consacrée au préam-
bule du titre III, il est aussitôt affirmé que la fonction à remplir est
assumée distinctement par chacune des cours et par chacun des tri-
bunaux dont l'article 40 reconnaît l'existence. Les dispositions ins-
crites au chapitre III du même titre confirment cette conception
protéiforme du pouvoir judiciaire (25). L'organisation judiciaire est

(25) Une juridiction est dotée d'attributions qui sont dissociables de celles des autres. L'indé·
pendance qui prévaut dans l'aménagement de la fonction rejaillit dans l'organisation du pouvoir.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 743

hiérarchisée, dira-t-on. Si l'on entend par là que les décisions de jus-


tice peuvent, en principe, faire l'objet de recours devant les juridic-
tions de degré supérieur, l'observation est fondée. Mais l'on ne sau-
rait en déduire que le premier juge se trouve vis-à-vis du juge d' ap-
pel dans une situation de subordination (26). Chacun remplit sa mis-
sion, de manière indépendante et dans les limites des attributions
qui lui ont été conférées, en statuant par droit et sentence. Chacun
rend complètement la justice.
En prévoyant que le contentieux des droits politiques pouvait
être confié par la loi fédérale à d'autres juridictions que celles du
pouvoir judiciaire, l'article 145 de la Constitution élargit encore le
débat. Il indique que la fonction juridictionnelle peut être assumée
par d'autres juridictions auxquelles les principes d'indépendance -
à tout le moins fonctionnelle - doivent également s'appliquer :
nombre de juridictions administratives sont organisées dans cette
perspective.
La Constitution elle-même cite, dans des dispositions particu-
lières, des juridictions qui ne relèvent ni du pouvoir judiciaire, ni
des juridictions administratives que l'article 145 permet de créer. Il
s'agit de la Cour d'arbitrage (art. 142) (no 87), de la Chambre des
représentants et du Sénat (art. 48) (no 171), de la Cour des
comptes - pour le jugement des comptables publics - (art. 180,
al. 2).
Dans un article 160, la Constitution consacre de la même manière
l'existence et les responsabilités juridictionnelles du Conseil
d'Etat (27).
881. - La Constitution établit quelques principes de l'organisa-
tion du pouvoir judiciaire.
Elle établit l'architecture générale de la <<pyramide de juridic-
tions»> (P. WIGNY) en prévoyant, dans l'article 151, l'existence de
justices de paix, de tribunaux de première instance et de cours d'ap-
pel et, dans l'article 156, celle de la Cour de cassation. Le législateur
fédéral s'est attaché à affiner cette présentation.

Chaque cour, chaque tribunal- au sens de l'article 40- est un rouage indépendant; il est le
pouvoir judiciaire à l'œuvre.
(26) Comme le relève P. WIGNY (op. cit., t. II, p. 735), «un jugement définitif d'un tribunal
de première instance est en lui-même un acte complet de souveraineté, sans aucune intervention
de la cour d'appel ».
(27) Voy. F. DELPÉRÉE, «Le Conseil d'Etat a quarante ans», A.P.T., 1987, p. 124.
744 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

Par canton judiciaire, une justice de paix est organisée.


Dans chacun des 26 arrondissements judiciaires, un tribunal de première ins-
tance est institué; il comprend trois sections : le tribunal civil, le tribunal com•c-
tionnel et le tribunal de la jeunesse; dans le même ressort, un tribunal du travail
et un tribunal de commerce sont également organisés (art. 157, al. 2). Dans cha-
cune des provinces, une cour d'assises connaît des affaires criminelles, ainsi que
des délits politiques et de la presse (art. 150); un jury, dont les membres sont
tirés au sort dans la population, est associé à ses travaux.
Dans les cinq ressorts définis à l'art. 156, 1" à 5", de la Constitution, une cour
d'appel est organisée. Elle est subdivisée en sections civiles, correctionnelles et
de la jeunesse et connaît des recours introduits contre les décisions des tribunaux
de première instance et des tribunaux de commerce. Dans les mêmes ressorts,
il est constitué une cour du travail qui connaît, en appel, des décisions prises par
les tribunaux du travail.
Il y a, enfin, <• pour toute la Belgique» une Cour de cassation. Elle comprend
trois sections : pour les affaires civiles et commerciales, pour les affaires pénales
et pour les affaires sociales.

882. - Par contre, la Constitution ne définit guère les attribu-


tions qui reviennent aux juridictions qu'elle institue.
Elle ne précise pas leur compétence territoriale, moins encore leur
compétence matérielle. C'est au législateur fédéral que revient le
soin de préciser les options constitutionnelles en ce domaine.

B. - Les responsabilités de chaque chambre

883. - En principe, une assemblée législative n'est pas dotée


d'attributions qui soient dissociables de celles de l'autre, pas plus
que des responsabilités de l'exécutif fédéral. Elle n'est qu'un rouage
du pouvoir législatif La collégialité prévaut pour son organisation et
son fonctionnement (28). En matière de contentieux électoral,
cependant, <<chaque chambre)) vérifie seule les pouvoirs de ses
membres (art. 48).

(28) On a déjà souligné l'ambiguïté du principe du bicaméralisme (n" 524). Fondé sur l'idée
de l'indépendance des chambres, il peut signifier que seule leur intervention concordante est en
mesure de produire des effets de droit (par exemple, en matière législative); il peut aussi indiquer
que chaque assemblée détient des responsabilités qui lui sont spécifiques et pour lesquelles elle
n'a pas besoin d'une intervention complémentaire de l'autre.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 745

§ 3. - Les applications

A. - Le caractère fédéral de la justice


884. - Le pouvoir gouvernemental se décline au mode fédéral et
au mode fédéré. Le pouvoir législatif se morcelle dans l'un et l'autre
ensemble. Il n'en va pas de même pour le pouvoir juridictionnel.
Rassemblant les autorités de justice qui exercent leurs fonctions en
Belgique - soit de façon centralisée, soit de manière diffuse et
déconcentrée - , il s'inscrit dans le seul ensemble fédéral. Sauf
exception, il n'y a pas de juridiction communautaire ou régionale.
En d'autres termes, la justice est fédérale - par son organisa-
tion - . Les autorités fédérales - plus précisément, les autorités
législatives fédérales - disposent en ce domaine d'une compétence
sans partage. La justice est même fédérative -par sa fonction - .
Elle gagne à le rester. Transcendant les clivages Etat fédéral-com-
munautés-régions, elle contribue au bon fonctionnement du système
institutionnel global.
Les formes claires ou larvées de régionalisation de la justice qui
sont parfois préconisées n'auraient d'autre portée que d'instaurer un
élément supplémentaire d'insécurité juridique. Est-ce le rôle de la
justice d'agir en ce sens ?
Il n'y a pas lieu de s'étonner des solutions retenues à l'heure
actuelle. La Constitution fait de la justice l'une des institutions sur
lesquelles elle édifie l'Etat de droit. A cette fin, elle lui assigne des
missions tant à l'échelon fédéral qu'aux niveaux communautaire,
régional et local.
La Constitution ne manque pas de souligner l'unicité de l'appareil
juridictionnel qu'elle met en place. <<Il y a, pour toute la Belgique,
une Cour d'arbitrage ... ~> (art. 142, al. pr). <<Il y a, pour toute la Bel-
gique, une Cour de cassation~> (art. 147, al. pr). <<Il y a, pour toute
la Belgique, un Conseil d'Etat ... ~> (art. 160, al. 1er).
Il résulte de l'ensemble de ces dispositions constitutionnelles que
la création, l'organisation, la compétence, le fonctionnement et la procé-
dure des autorités de justice relèvent de la compétence de l'Etat fédé-
ral (29). <<Les autorités communautaire ou régionales ne peuvent se

(29) P. LEWALLE, <<Les articles 160 et 161 de la Constitution relatifs au Conseil d'Etat et aux
juridictions administratives •>. A.P.T., 1994, p. 145; A. RAHHON-ROLAND, <<Les autorités de jus-
tice», in La Belgique fédérale ... , p. 190; F. DELP~'Rf<:~~. <<Le Conseil d'Etat et la Constitution •>, in
Liber Amicorum Prof Dr. G. Baeteman, Bruxelles, Story-Scientia, 1997, pp. 451 à 466.
746 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

prévaloir des attributions que la Constitution et la loi spéciale de


réformes institutionnelles leur reconnaissent pour agir en ces
domaines>> (30) et notamment pour créer des juridictions adminis-
tratives.

B. - Le caractère indépendant de la justice


885. - Comme l'indique l'article 151, §1er, de la Constitution,
<~les juges sont indépendants dans l'exercice de leurs compétences
juridictionnelles>>. Telle qu'elle est rédigée, la disposition a le mérite
d'indiquer que c'est la fonction de juger dont l'indépendance doit
être préservée plus encore que le statut des juges. L'indépendance
ne va ni au pouvoir juridictionnel, ni à chaque juge pris individuel-
lement. C'est l'opération qui consiste à <~rendre la justice>> qui est
mise à l'abri d'interventions extérieures (<~L'Etat et ses juges>>,
Revue des sciences morales et politiques, 2000, n° 2).

C. - Le caractère relationnel de la justice


886. - L'exercice des fonctions qui sont exercées dans des
conditions de large indépendance peut interférer sur l'exercice
d'autres fonctions, pour en faciliter ou en contrecarrer la mise en
œuvre. Quelques exemples sont pris dans le ressort de la fonction
juridictionnelle.
Par ses multiples autorités, le pouvoir juridictionnel rend la jus-
tice. Cette fonction lui est, en quelque sorte, réservée et les interven-
tions d'autres pouvoirs en ce domaine restent exceptionnelles. Mais
les juges - quels qu'ils soient - sont amenés à prendre des déci-
sions qui interfèrent, au moins de manière indirecte, avec l'exercice
d'autres fonctions.
Le pouvoir juridictionnel donne plein effet à l'exercice des fonc-
tions étatiques en consacrant, par exemple, le principe de primauté
du droit international conventionnel - pourvu qu'il ait effet direct
dans l'ordre interne - sur les règles de droit belge - y compris
celles que le pouvoir exécutif ou le pouvoir législatif fédéral a contri-
bué à élaborer - ; il refuse notamment d'appliquer la loi qui serait
contraire aux prescriptions de ces accords.

(30) C.E., L. 26.610/A.G./4, 31 octobre et 17 novembre 1997.


LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 747

Le pouvoir juridictionnel interfère d'une autre mamere dans


l'exercice de la fonction législative. Si le conflit avec un décret ou
une ordonnance révèle une violation des règles constitutionnelles
établissant le partage des attributions entre l'Etat fédéral, les com-
munautés et les régions, la Cour d'arbitrage est en mesure d'annuler
la norme incriminée ou de faire défense au juge du fond d'en faire
application dans un cas d'espèce.
Au contentieux de la constitutionnalité et de la légalité, le Conseil
d'Etat est, à son tour, habilité à rendre des arrêts qui affectent
l'exercice de la fonction gouvernementale ou de la fonction adminis-
trative; l'annulation des actes du pouvoir exécutif (lois coord.,
art. 14) ou le refus d'application de ceux-ci (Const., art. 159) tradui-
sent cette préoccupation. De leur côté, les cours et tribunaux procè-
dent aux mêmes contrôles et, en vertu de l'article 159 de la Consti-
tution, refusent d'appliquer <( les arrêtés et règlements généraux >>
qui sont contraires aux lois.
Il y a plus. Les litiges que connaît le juge peuvent opposer un
particulier à une autorité publique, spécialement au pouvoir exécu-
tif et à son administration. Comment les décisions de justice n'au-
raient-elles pas, dans ces conditions, des conséquences directes sur
l'activité des pouvoirs? L'Etat est condamné à réparer, à indemni-
ser, à faire cesser l'intervention dommageable, à payer des
astreintes ... : toutes décisions qui marquent l'intervention du juge
dans le domaine des affaires publiques (31).

SECTION III. - L'ATTRIBUTION


DES FONCTIONS COLLECTIVES
(OU LA THÉORIE DES RÉGIMES POLITIQUES)

887. - Comment organiser un ensemble de fonctions collec-


tives - pour l'essentiel, les fonctions de direction, d'administration
et de contrôle politique - dans une société déterminée, de manière
telle que ces fonctions concourent à une même fin?

(31) Invité a se prononcer sur le point de savoir si ces interventions ne portent pas atteinte
au principe de la séparation des pouvoirs, le juge considère, selon la formule d'A. VANWELKEN-
HUYZEN («La séparation des pouvoirs 1831-1981 »,p. 91), qu'en vertu de cette règle,« l'autorité
relevant d'un pouvoir ne saurait substituer son appréciation à celle d'une autorité relevant d'un
autre pouvoir exerçant une compétence discrétionnaire». Faut-il en déduire que le juge ne peut
assortir sa décision d'injonctions aux tenants du pouvoir exécutif? Voy., sur ce thème, Cass.,
26 juin 1980, Pas., I, p. 1341, concl. J. VELU; R.C.J.B., 1983, p. 177, note F. DELPÉRÉE.
748 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

Des réponses précises sont apportées à cette question. Elles tirent


parti des expériences constitutionnelles propres à la Confédération
helvétique, à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis d'Amérique.
La doctrine de droit public a, en effet, forgé trois modèles (§ 1er) :
le régime d'assemblée, le régime parlementaire et le régime présiden-
tiel (32). Quels sont les traits qui caractérisent ces régimes? Quelles
sont les différences qui existent entre eux ? Tiennent-elles au statut
particulier qu'ils réservent aux autorités publiques (A) ou aux
citoyens (B)? Sont-elles plutôt tributaires des rapports que ces
régimes instaurent entre les autorités publiques (C)?
A côté des modèles, il y a les réalités (§ 2). Les <<formes de gouver-
nement >> définies au XIX e siècle ont perdu une part de leur origina-
lité. Les différences tendent à s'estomper. Des données d'ordre poli-
tique sont ici à prendre en considération. La prééminence reconnue
à l'action (A) et à l'autorité gouvernementales (B) comme le déclin
de la fonction législative (C) expliquent notamment ce phénomène.
Le système belge s'est construit sur le modèle parlementaire (§ 3).
Telles sont les données initiales (A). Elles instaurent une large coo-
pération dans l'exercice des fonctions collectives (B). Elles connais-
sent, depuis plus d'un siècle, des évolutions significatives (C).

§ 1er. - Les modèles

A. - Le statut des autorités publiques


888. - Comment distinguer les régimes politiques? Selon quels
critères aménager différemment l'exercice des fonctions collectives?
Une première hypothèse est formulée. La distinction tient à la
situation distincte qui est faite aux autorités publiques et aux fonc-
tions qui leur sont conférées.
Le régime d'assemblée (33) repose sur la subordination de l'autorité
exécutive à l'autorité délibérante. Le gouvernement y est présenté
comme l'agent d'exécution des décisions législatives. Il n'y a pas à
proprement parler confrontation entre les autorités publiques. Seule
l'assemblée est porteuse de la souveraineté de la nation. Tout désac-
cord entre les autorités publiques se résout automatiquement à son
profit : l'autorité exécutive se soumet et ne peut point se démettre.

(32) On parle communément, à propos de ces régimes, de ''formes de gouvernement<>.


(33) P. BARTID, Le gouvernement d'assemblée, Paris, Joly, 1956.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 749

Comme son nom l'indique, le régime parlementaire (34) donne éga-


lement la préférence à l'autorité qui est censée exprimer les préoccu-
pations de la nation -puisque ses membres la représentent - . Ce
n'est pas à dire que l'autorité exécutive y est subordonnée à l'auto-
rité délibérante. Elle comble sa faiblesse initiale par une participa-
tion à certaines tâches - notamment législatives - qui reviennent
à l'assemblée. En ce sens, le régime parlementaire repose sur la col-
laboration des autorités publiques pour l'élaboration de la loi. Un
désaccord entre les autorités publiques ne se règle pas nécessaire-
ment au profit de l'une ou de l'autre : selon les circonstances, l'as-
semblée ou le gouvernement est appelé à l'emporter (35).
Le régime présidentiel (36), lui, est fondé sur le respect d'une règle
d'égalité stricte entre les autorités publiques. Le président se voit
confier - selon les termes de l'article 2, section 1 de la Constitution
américaine - le pouvoir exécutif; au Congrès sont attribués -
selon l'article 1er' section 1 du même texte - (( tous les pouvoirs
législatifs accordés par le présent acte>>. Autonomes dans l'exercice
de leurs responsabilités propres, l'autorité exécutive et l'autorité
délibérante sont forcément égales. En cas de conflit, nul ne saurait
durablement faire prévaloir ses préoccupations (37). Le régime pré-
sidentiel réduit au strict minimum la collaboration des autorités
publiques; il écarte aussi les occasions de confrontation.
A vrai dire, l'idée d'égalité renvoie à des données plus politiques
que juridiques. A ce titre elle se prête mal à des comparaisons pré-
Cises.
En régime d'assemblée, il a souvent été observé que la subordina-
tion de l'exécutif à l'assemblée lui procurait une situation enviable
et l'assurait d'une réelle continuité dans l'action, ce qui lui permet-
tait d'imposer au besoin ses préoccupations à l'assemblée. En

(34) R. CAPITANT, «Régimes parlementaires'· in Mélanges Carré de Malberg, Paris. Sirey,


1933, p. 33; H. LASKI, Le gouvernement parlementaire en Angleterre, Paris, P.U.F., 1950; Ph. LAU·
VAUX, Le parlementarisme, Paris, P.U.F., 1987, coll. Que sais-je?, p. 27.
(35) G. VEDEL,« Le régime présidentiel». Rev. trav. Académie des sciences morales et politiques,
1957, p. 260.
(36) Ce qui fait écrire à P. WIGNY (op. cit., p. 246) qu'en régime parlementaire, «l'équilibre,
fondement d'une collaboration harmonieuse des organes>>, est <<instable>>. Adde : P. LALUMIÈRF.
et A. DEMJCHEL, Les régimes parlementaires européens, Paris, P.U.F., 1978, p. 37.
(37) <<Aux Etats-Unis, écrit C. LECLERCQ, la séparation des pouvoirs est assurée ... »;<< un cer-
tain équilibre des pouvoirs» est ainsi préservé (Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris,
Litec, 1987, 5" éd., p. 197). <<La Constitution américaine, écrit dans le même sens P. WIGNY (op.
cit., p. 241), a voulu assurer l'indépendance et l'égalité des organes>>. Adde · R. MouLIN, Le prési-
dentialisme et la classification des régimes, Paris, L.G.D.J., 1978.
750 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

régime parlementaire, il n'est pas contesté que le recours à des tech-


niques comme celles des pouvoirs spéciaux (no 910) tend à conférer
au pouvoir exécutif le bénéfice d'une situation privilégiée qui ne lui
était pas promise au départ. En régime présidentiel, il a été relevé
que les phénomènes de personnalisation du pouvoir, liés à l'organi-
sation de l'élection présidentielle et à l'effort permanent d' explica-
tion de son action, conduisaient à altérer profondément les équi-
libres initiaux.
La définition de catégories juridiques peut-elle tenir compte de
ces subtils mélanges d'autorité?

B. - Le statut des citoyens


889. - Une deuxième hypothèse est avancée. Elle a été particu-
lièrement développée par M. PRELOT, dans son précis d'Institutions
politiques et droit constitutionnel. La distinction entre régimes n'est-
elle pas tributaire des rôles diversifiés qu'une société politique
assigne aux citoyens dans le choix des autorités gouvernementales?
L'exercice de fonctions particulières serait lié à des modes spécifi-
ques de désignation. La démonstration s'établit comme suit.
Dans un régime d'assemblée (encore dénommé, pour cette raison,
régime conventionnel ou directorial), le corps électoral désigne -
par l'intermédiaire de ses élus - l'organe gouvernemental. Ce qui
suffirait à expliquer la situation de dépendance de l'exécutif vis-à-
vis de l'assemblée et à faire prévaloir, en cas de conflit, la volonté
de celle-ci.
Dans un régime parlementaire, une autorité spécifique est appelée
à intervenir en dehors du peuple et de l'assemblée. C'est le chef de
l'Etat, stable et indépendant; il choisit des autorités qui puissent
obtenir la confiance de l'assemblée et de l'opinion publique. Le
recours à une tierce autorité amène les autorités élues et les auto-
rités exécutives à s'accorder sur l'essentiel.
Dans un régime présidentiel, le corps électoral procède lui-même à
la désignation de l'exécutif et lui procure les conditions d'une action
autonome.
L'explication trouve des soutènements dans des expériences
constitutionnelles qui ne prêtent pas à discussion (38). Elle ne sus-

(38) Encore convient-il, avec P. PACTET, de tenir compte de l'existence de régimes mixtes,
formés au départ d'emprunts à plusieurs régimes politiques. «Au régime parlementaire, les
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 751

cite, qu'une seule critique. Si elle peut rendre compte de l'aménage-


ment des pouvoirs et des fonctions dans l'Etat, elle n'apporte que
des solutions partielles à la question du régime politique des collec-
tivités particulières. La référence au rôle du chef de l'Etat notam-
ment peut se comprendre pour la collectivité générale mais est de
peu d'utilité pour les collectivités fédérées. Et s'il n'est pas possible
de trouver, à ces niveaux, des autorités du substitution - qui puis-
sent remplir la même fonction, tout en bénéficiant d'une stabilité
comparable - , où est l'utilité pratique de cette théorie?

C. - Les rapports entre autorités publiques


890. - Les pouvoirs constitués sont égaux, au moins en droit.
Les fonctions qu'ils assument revêtent une égale dignité. La multi-
plicité des autorités publiques et les fonctions diversifiées que cha-
cune d'elles doit exercer requièrent, cependant, que la Constitution
se prononce sur les rapports qui doivent s'établir entre elles.
Comment faire en sorte que les pouvoirs aillent de concert?
Deux réponses sont, dans la pratique, apportées à cette question.
D'une part, la Constitution morcelle les fonctions et en distribue
l'exercice à des autorités distinctes. Pour faire œuvre utile, celles-ci
seront tenues de collaborer. En ce sens, l'attribution de fonctions
particulières implique la collaboration des pouvoirs. D'autre part, la
Constitution prescrit l'intervention d'une autorité aux fins de
contrôler, autant que faire se peut, l'exercice de fonctions qui revien-
nent de plein droit à une autre autorité. Dans cette hypothèse, il
n'y a pas partage des fonctions et des responsabilités, il y a plutôt
vérification par l'un des initiatives prises par l'autre. L'attribution
de fonctions implique ici la confrontation des autorités publi-
ques (39).
Pour utiliser le langage de MoNTESQUIEU, on dira que dans la pre-
mière hypothèse, la Constitution prescrit que des initiatives
conjointes soient prises dans l'exercice de la << faculté de statuer >>;

regimes mixtes empruntent l'existence d'un gouvernement collégial et solidaire, responsable


devant l'assemblée élue au suffrage universel direct; au régime présidentiel, ils empruntent l'ins-
titution d'un président élu, lui aussi, au suffrage universel direct et disposant non seulement de
l'autorité que confère ce mode de désignation, mais aussi de pouvoirs souvent considérables»
(Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Masson, 1986, 8'" éd., p. 151).
(39) C'est dans cette optique que l'article 101 de la Constitution indique que chacune des
chambres peut requérir ou solliciter la présence d'un ministre.
752 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

dans la seconde, on relèvera qu'elle permet des interventions unila-


térales dans le développement de la <<faculté d'empêcher}) (40).
Ces deux phénomènes se conjuguent dans la vie d'une collectivité
politique. L'aménagement des régimes politiques dépend de la
manière dont ils peuvent se concrétiser.
891. - Pour ce qui est de la collaboration des autorités publi-
ques, des différences apparaissent.
- Le régime d'assemblée impose d'associer l'autorité délibérante
et l'autorité exécutive à l'exercice des mêmes tâches. La concerta-
tion est la règle même si, en fin de compte, la première doit être en
mesure d'imposer ses préoccupations à la seconde.
- Le régime parlementaire, lui, permet d'établir une interdépen-
dance organique et fonctionnelle entre l'autorité délibérante et l'au-
torité exécutive. Le cumul des responsabilités est admis. Les tâches
assumées, telle la confection de la loi, résultent - en droit comme
en fait - de la conjonction d'interventions d'autorités distinctes.
La concertation est encouragée, même si une spécialisation fonction-
nelle est préservée.
- Le régime présidentiel repose, de son côté, sur l'idée que cha-
que autorité est maîtresse dans son domaine d'activités. Il prescrit
néanmoins, sur des points déterminés, la collaboration des autorités
publiques. Le Sénat américain confirme certaines décisions prises
par le Président et ce dernier peut apposer son veto aux lois adop-
tées par le Congrès. Il ménage aussi les tempéraments que la prati-
que apporte à un régime de trop stricte séparation - les << mes-
sages }) au Congrès se comprennent, par exemple, comme autant de
formes de l'initiative législative - .
892. - Pour ce qui est de la confrontation des autorités publi-
ques, les distinctions se précisent.
- Le régime d'assemblée va se caractériser par le contrôle à sens
unique des titulaires de la fonction délibérante sur les organes d'exé-
cution. L'interpellation est la règle. La dissolution, par contre, n'est
guère concevable. Elle apparaît comme un critère négatif absolu de
pareil régime.

(40) ''J'appelle faculté de statuer, écrit MoNTF.HQUIEU, le droit d'ordonner par soi-même, ou
de corriger ce qui a été ordonné par un autre. J'appelle faculté d'empêcher, le droit de rendre
nulle une résolution prise par quelque autre •>. Cette dernière faculté doit se comprendre comme
impliquant une intervention sur les personnes et sur les actes.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 753

- Le reg1me parlementaire, de son côté, se caractérise par les


interactions qu'il établit entre l'exécutif et le législatif et, par consé-
quent, par les moyens d'action réciproques qu'il procure aux diffé-
rentes autorités publiques.
<(L'essence même du régime parlementaire réside dans la respon-
sabilité politique des ministres devant les chambres >>, écrit avec jus-
tesse P. WIGNY (41). R. CAPITANT lui fait écho dans cette formule :
<(Le parlementarisme n'est autre chose que le gouvernement par des
ministres responsables>> (42).
Ce qui fait dire à ALAIN dans ses Propos de politique : ((Tout pou-
voir est méchant, dès qu'on le laisse faire; tout pouvoir est sage dès
qu'il se sent jugé>> (43). Le contrôle est de l'essence de la démocra-
tie. <(La responsabilité ministérielle, écrit encore R. CAPITANT, est la
clef de voûte du régime parlementaire>> (44). Un gouvernement doit
pouvoir être renversé.
La dissolution est le corollaire de la responsabilité. Lorsque l'au-
torité gouvernementale est mise en minorité, elle doit avoir le choix
entre la démission et la dissolution. Ou bien elle s'en va, reconnais-
sant elle-même le bien-fondé de la critique, ou bien elle en appelle
au corps électoral.
- Le régime présidentiel, enfin, ne donne pas à une autorité
publique un droit d'intervention sur l'existence, sur l'action ou sur
le fonctionnement d'une autre autorité. On sait, par exemple, que
si le Président des Etats-Unis ne peut dissoudre le Congrès, il ne
peut non plus faire l'objet d'un vote de méfiance de la Chambre des
représentants ou du Sénat. Il s'agit d'un (( régime d'irrévocabilité
mutuelle>> (A. HAURIOU et J. GICQUEL).
893. - En somme, le régime d'assemblée est celui où un exécutif,
élu au second degré, est tenu de collaborer avec le conseil dont il
émane sans pouvoir s'affranchir de ses contrôles. Le régime parle-
mentaire est celui où un exécutif nommé est tenu de collaborer avec
l'assemblée dont il a la confiance et qu'il est en mesure de dissoudre.
Le régime présidentiel est celui où deux autorités élues - l'assem-
blée et l'exécutif - sont amenées à coopérer dans des domaines
limités et ne sont pas habilitées à se révoquer.

(41) P. WIGNY. op. cit., t. l''', n" 138, p. 244.


(42) R. CAPITANT, La réforme du parlementarisme, Paris, Sirey, 1934, p. 10.
(43) ALAIN, Propos de politique, p. 70.
(44) R. CAPITANT. op. cit., p. 13.
754 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

§ 2. - Les réalités

A. - La prééminence de la fonction
gouvernementale
894. - La répartition des fonctions collectives, surtout si elle
n'est pas inscrite en termes clairs dans un texte constitutionnel,
peut s'infléchir sous le poids des réalités politiques, économiques et
sociales. Là même où la Constitution déclare adhérer à un schéma
déterminé d'aménagement des fonctions - voy., par exemple, la
Constitution portugaise (art. 114 et 290) ou la Loi fondamentale de
la République fédérale d'Allemagne (art. 79, § 3) - et interdit la
révision des dispositions qui ont cet objet, des évolutions institu-
tionnelles se dessinent en marge des textes établis.
Elles contribuent à asseoir la prééminence de la fonction gouver-
nementale. Le phénomène est bien connu. Il répond à l'attente du
citoyen. Les autorités investies des fonctions de direction ne peu-
vent se contenter d'être arbitres d'une <<lutte qui se déroule entre
les forces sociales agissant spontanément)) (G. BuRDEAU). Elles ont
mission de gouverner, c'est-à-dire de provoquer des évolutions et
d'en assurer le développement. Elles ont aussi pour tâche de conce-
voir les moyens qui permettront de concrétiser ces orientations poli-
tiques; à ce titre, la fonction administrative est, dans toutes ses
dimensions- l'information, les services et la gestion-, l'accessoire
de la fonction gouvernementale. Ce couple de fonctions tend à l'em-
porter sur les autres. << La convergence et l'efficacité de leurs inter-
ventions )), comme << la cohérence des décisions qui les motivent ))
(id.) suffisent à leur assurer la prééminence par rapport à d'autres
fonctions - comme celles du contrôle - qui peuvent paraître plus
périphériques par rapport à l'exercice effectif du pouvoir.
Ce phénomène caractérise, semble-t-il, tous les régimes politiques.
Même en régime d'assemblée, la fonction gouvernementale s'impose
au premier rang à raison des activités qu'elle génère. En régime par-
lementaire, l'autorité exécutive ne réalise pas le programme politi-
que qu'une ou deux assemblées législatives auraient contribué à éta-
blir; elle met en œuvre son propre programme, celui qu'elle a sou-
mis à l'adhésion de l'autorité délibérante. << Les assemblées n'ont pas
d'imagination créatrice>> relève laconiquement G. BuRDEAU. En
régime présidentiel, plus encore, la fonction gouvernementale et
administrative s'affirme d'autant mieux qu'elle est identifiable et
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 755

isolée des autres; bénéficiant d'une investiture populaire, l'autorité


qui l'exerce est censée agir de manière légitime et efficace pour la
réalisation d'un programme de gouvernement.

B. - La prééminence de l'autorité
gouvernementale
895. - La primauté reconnue aux tâches de gouvernement peut
se traduire dans des changements institutionnels qui confortent
l'autorité qui les remplit dans une situation, elle aussi, privilégiée.
Un exemple illustre la réflexion. Le régime parlementaire a été
décrit comme ménageant des interactions entre une autorité exécu-
tive et une autorité délibérante, chacune étant investie de préroga-
tives qui lui permettent de mettre en cause jusqu'à l'existence de
l'autre. Au niveau fédéral, on reconnaîtra, par exemple, à l'exécutif
le droit de dissoudre les chambres et à la Chambre le droit de ren-
verser le gouvernement. Mais la mise en œuvre de ces principes peut
être génératrice de crises politiques à répétition. Celles-ci peuvent
entraver les équipes gouvernementales dans l'exercice de leurs
tâ.ches de direction. La préoccupation se manifeste alors d'aménager
le régime existant en recourant à ce qu'il est convenu d'appeler,
avec B. MIRKINE-GUETZÉVITCH, les techniques du<< parlementarisme
rationalisé )).
Les Constitutions de l'entre-deux guerres, plus encore celles de
l'après-guerre s'attachent à combattre l'instabilité qui menace les
équipes gouvernementales comme les formations législatives par un
ensemble de procédés qu'on se borne ici à mentionner : l'affirmation
constitutionnelle du rôle du Premier ministre ou du Chancelier, la
définition des missions du cabinet, l'instauration plus ou moins for-
malisée des contrats de législature, la limitation du droit de dissolu-
tion, la modification des pratiques parlementaires et des procédures
législatives, l'aménagement de mécanismes précis de contrôle politi-
que, l'exigence du vote de méfiance constructif, etc.

C. - Le déclin de la fonction législative

896. - On a relevé (n" 840) que la fonction législative prenait


place parmi les fonctions de direction d'une collectivité politique.
Comment expliquer qu'elle ne connaisse pas des évolutions analo-
gues à celles qui affectent la fonction gouvernementale? Une mis-
756 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

sion éminente est définie - établir les règles que d'autres seront
tenus d'appliquer - . Le plus souvent, elle est conférée à une auto-
rité qui se trouve, à raison de son investiture démocratique, en posi-
tion de supériorité par rapport à d'autres. Et pourtant, chacun s'ac-
corde à considérer que cette fonction se dévalorise. Non seulement
parce que cette fonction s'exerce, pour sa plus grande part, à l'ini-
tiative du gouvernement (no 894). Mais aussi parce qu'elle se tra-
duit souvent dans des normes fort schématiques, sortes de directives
que d'autres autorités appliquent avec une marge importante d'ini-
tiative, ou - ce qui ne vaut guère mieux - dans des lois fourre-
tout, sans catégories ni structures, simples catalogues de mesures
disparates et circonstancielles. Sans oublier les phénomènes de délé-
gation (no 910) qui amènent une autorité gouvernementale à exer-
cer une part de la fonction législative, en lieu et place des autorités
désignées à cet effet.
Faut-il pour autant annoncer le << déclin des Parlements )) ? Le
jugement serait excessif. La fonction législative n'est pas la seule
responsabilité qui soit confiée aux assemblées. Celles-ci ont aussi
pour mission de soutenir ou de contester l'action des autorités gou-
vernementales et administratives. Des tâches de substitution gagne-
raient peut-être à être développées dans cette perspective. Les mis-
sions de contrôle - dans l'ordre politique, administratif ou budgé-
taire - tendent peut-être à se revaloriser. Les assemblées délibé-
rantes pourraient surtout procéder à une révision fondamentale de
leurs méthodes de travail et utiliser les outils administratifs qui sont
à leur disposition. Sans oublier d'entreprendre les réformes de struc-
tures que l'organisation fédérale de l'Etat requiert.

§ 3. - Les régimes politiques en Belgique

A. - Le régime parlementaire
897. - Au niveau de l'Etat fédéral, la Constitution instaure une
forme de régime parlementaire. Plusieurs dispositions témoignent de
ce choix fondamental.
La Constitution établit les règles d'une collaboration organique
entre les autorités publiques. Les articles 42, 61 et 67 instituent
deux chambres élues - dont tous les membres représentent la
Nation (no 464) - ; l'article 85 institue un chef d'Etat, désigné
selon la technique de l'hérédité, et le charge de composer un gou-
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 757

vernement (n"" 427 et 434); l'article 36, surtout, requiert l'interven-


tion de ces trois autorités - de ces trois <<branches du pouvoir légis-
latif>>, comme dit l'article 75, alinéa pr, de la Constitution - pour
faire œuvre législative.
La Constitution établit aussi les règles d'une collaboration fonc-
tionnelle entre les autorités publiques. Dans la mesure où les fonc-
tions de gouvernement, de législation, de coopération et d' adminis-
tration ne peuvent être isolées l'une de l'autre, la Constitution favo-
rise une concertation permanente entre les autorités publiques dans
l'exercice de ces fonctions. Les fonctions s'interpénètrent au point
de créer de véritables <<chevauchements de compétence>> (45).
Ainsi l'article 108 de la Constitution ne peut manquer de se réfé-
rer à l'exercice de la fonction de législation. Il précise également la
place de la fonction de réglementation. Faute de pouvoir indiquer
où s'arrêtent l'une et l'autre, il instaure une règle de complémenta-
rité en proclamant que les règlements sont <<nécessaires pour l'exé-
cution des lois >> fédérales. On reviendra sur ces formes de collabora-
tion fonctionnelle (nos 898).
La Constitution établit encore les règles d'un contrôle mutuel des
autorités publiques. L'article 106 de la Constitution (voy. aussi
l'art. 101) affirme le principe selon lequel le ministère formé par le
roi doit bénéficier de la confiance de la Chambre des représentants.
L'article 100, alinéa 2, ajoute que cette chambre <<peut requérir la
présence des ministres >> qui auront à répondre devant la représenta-
tion nationale de l'action politique et administrative que poursuit
l'exécutif. C'est en ce sens que les ministres sont qualifiés de << res-
ponsables>> (46). A l'inverse, la Constitution aménage un contrôle
politique de l'exécutif fédéral sur chacune des chambres élues. La
maîtrise de leurs travaux ne leur appartient pas pleinement : la
convocation de sessions extraordinaires (art. 44, al. 4) et la clôture
des sessions - ordinaires ou extraordinaires - (art. 44, al. 3)
reviennent au roi (no 541). Mieux encore :le roi peut ajourner leurs
travaux (art. 45). Dans les hypothèses prévues à l'article 46 de la
Constitution, il peut aussi dissoudre la Chambre des représentants;
cette dissolution entraîne celle du Sénat (art. 46, al. 4) (47).

(45) J. VELU, op. cit., t. l"', p. 342.


(46) P. PACTET, ''L'évolution contemporaine de la responsabilité gouvernementale dans les
démocraties pluralistes» in Mélanges offerts à Georges Burdeau. Le Pouvoir, p. 191.
(47) Ph. LAUVAUX, La dissolution des assemblées parlementaires, Paris, Economica, 1983,
p. 146.
758 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

Les traits les plus caractéristiques d'un régime parlementaire sont


ainsi réunis.

B. - La collaboration fonctionnelle
898. - Le système constitutionnel de la Belgique paraît offrir
des exemples particulièrement significatifs du phénomène de collabo-
ration fonctionnelle.
1. Le roi, titulaire du pouvoir exécutif fédéral (art. 37), assume
l'essentiel des tâches qui relèvent des fonctions étatiques (no 827).
Il a aussi, cela va de soi, la responsabilité des fonctions de comman-
dement et de négociation. Il assume les missions qui relèvent de
l'administration des services et du personnel. Ces fonctions sont
véritablement les siennes. Mais, par surcroît, il est amené à interve-
nir à d'autres fins.
L'exécutif participe à la confection des lois fédérales. Il en prend
l'initiative, il dépose des amendements, il prend part aux discus-
sions parlementaires, il assure la sanction, la promulgation, la publi-
cation et l'exécution des lois. Il agit, en lieu et place du législateur
fédéral, lorsqu'il y est habilité par une loi particulière. Il convoque
les Chambres en session extraordinaire, il les ajourne et en clôt les
sessions. Au besoin, il les dissout.
Le pouvoir exécutif participe également à la fonction juridiction-
nelle. Il nomme les magistrats et les officiers du ministère public. Il
assure l'exécution des décisions de justice (art. 40, al. 2). Il exerce
le droit de grâce (art. 110), en réduisant ou en remettant les peines
prononcées par un juge.
Le pouvoir exécutif participe encore à la gestion des intérêts
locaux. Il nomme les bourgmestres (no 461 ). Il confie aux collecti-
vités locales des tâches d'intérêt général (no 345). Sous réserve des
contrôles assurés au niveau régional, il exerce la tutelle sur l'action
de ces entités (art. 162, al. 2, 6°).
Le pouvoir exécutif fédéral n'est associé que sur des points de
détail au règlement des affaires communautaires et régionales. L' ap-
plication du principe d'autonomie le veut ainsi. Le roi est néan-
moins appelé à ratifier l'élection du président d'un exécutif de com-
munauté ou de région.
2. Agissant de manière collective, les autorités qui composent le
pouvoir législatif fédéral, à savoir les deux Chambres et le roi, assu-
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 759

rent évidemment la confection de la loi fédérale (no 923). Telle est


leur mission première et traditionnelle. Il n'empêche que d'autres
missions leur reviennent.
Sur des points précis, le pouvoir législatif fédéral est associé à
l'exercice de fonctions étatiques. Il vote le contingent de l'armée
(art. 183), il détermine les règles de son organisation, il autorise des
troupes étrangères à occuper le territoire national. Il habilite le roi
à conclure des traités de frontières (art. 7 et 167, § 1er, al. 3) et
apporte son assentiment aux conventions internationales (art. 167,
§ 2); il peut aussi conférer des attributions particulières à des insti-
tutions de droit international public (art. 34).
Sur d'autres points, le pouvoir législatif fédéral est amené à colla-
borer à l'exercice des fonctions d'administration. Il lui revient, en
particulier, d'adopter le budget et d'arrêter les moyens financiers
qui seront consacrés aux affaires publiques; il lui appartient aussi
d'arrêter les comptes (art. 174). De manière plus accessoire, il statue
en matière de naturalisations (art. 9) (48).
Le pouvoir législatif participe également à la fonction de coopéra-
tion entre les collectivités politiques, dans la mesure où il en définit
les cadres et en précise les modalités.
Le pouvoir législatif est appelé, de la même manière, à procurer
une exécution aux dispositions de la Constitution lorsqu'il arrête le
statut des collectivités particulières dans l'Etat, lorsqu'il en définit
les moyens financiers ou lorsqu'il établit les procédures permettant
de prévenir ou de résoudre les conflits suscités par leurs interven-
tions. On sait que le législateur - statuant à la majorité qualifiée
ou à la majorité ordinaire - est l'autorité qui, dans le respect des
principes constitutionnels, organise les communautés, les régions, les
communes, les provinces, les agglomérations et fédérations de com-
munes et les districts.
A l'entremise de ses deux branches élues, le pouvoir législatif,
principalement la Chambre des représentants, participe également
aux opérations de contrôle politique sur l'action du gouvernement
et de son administration. Le contrôle financier n'est pas absent de
ses préoccupations. Quant au contrôle juridictionnel, il ne saurait
l'exercer : il reste que c'est le législateur qui aménage l'essentiel des

(48) D'autres exemples sont cités par J. VELU (op. cit., t. l'''·, p. 315) : ainsi le pouvoir légis-
latif fédéral fixe la liste civile au début de chaque règne (art. 89).
760 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

institutions de justice, qui détermine leurs attributions et leurs pro-


cédures. La Chambre des représentants procède également à la
nomination des membres de la Cour des comptes (art. 180); quant
à la Chambre des représentants et au Sénat, ils présentent des can-
didats au Conseil d'Etat et à la Cour d'arbitrage.
Une autre technique permet au pouvoir législatif d'influencer
l'exercice de la fonction juridictionnelle (49). Il est seul habilité à
interpréter les lois par voie d'autorité (art. 84); le juge se confor-
mera à l'interprétation qui est ainsi procurée (voy. Code judiciaire,
art. 7).

C. - Les évolutions du régime parlementaire


899. - Le régime parlementaire qu'instaure la Constitution est ori-
ginairement de caractère dualiste (ou orléaniste). Sur un plan organi-
que, il établit un exécutif bicéphale - fait du roi et de ses
ministres - . Sur un plan fonctionnel, il repose sur trois règles
simples. Chacun des organes mis en place dispose d'une autorité
effective et de tâches particulières. Le roi n'est pas responsable des
actes qu'il prend. Ses ministres sont tenus de répondre de leur
action. En somme, le régime parlementaire dualiste instaure un
domaine réservé au profit du chef de l'Etat (par exemple, en
matière de défense du territoire ou de politique étrangère) et le met
de ce fait à l'abri des contrôles parlementaires.
<<La cohabitation de deux têtes au sein d'un exécutif (dyarchie) ne facilite pas
toujours les relations entre les deux parties de l'exécutif et des conflits sont pos-
sibles entre elles. Ce système est fragile et suppose, pour bien fonctionner, que
le chef du gouvernement ait constamment la confiance du chef de l'Etat>)
(Ch. DEBBASCH et autres, op. cit., p. 116). Ce qui n'est pas sans rejoindre le pro-
pos prudent du prince LÉOPOLD, en réponse à la députation du Congrès national
venue lui offrir le trône de Belgique : << En y mettant de la bonne volonté de part
et d'autre, on peut encore marcher>). Adde : J. DE MEYER, << Over presidentiele
en parlementaire democratie>), R. W., 1961-1962, col. 2315.

(49) Voy. aussi les dispositions des art. 48 (qui permettent à chaque chambre de juger les
contestations qui s'élèvent sur l'éligibilité de leurs membres), 59 (qui amènent chaque chambre
à autoriser la poursuite ou l'arrestation d'un de leurs membres- n" 578 -)et 103 (qui organise
le régime de la responsabilité pénale des ministres- n" 559 -).On relèvera aussi qu'une com-
mission ad hoc de la Chambre des représentants est appelée à connaître sur renvoi des affaires
que lui défère la Cour de cassation qui a censuré un arrêt de la Cour des comptes (sur ce sujet,
voy Commission ad hoc de la Chambre des représentants, 29 mai 1986, J.T .. 1987. p. 28, obs.
F. DELPÉRÉE).
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 761

Ce regtme a, au cours du X!Xe siècle, évolué vers un parlementa-


risme de caractère moniste. S'il n'est pas touché à la structure dua-
liste de l'exécutif, il est, par contre, affirmé de manière plus nette
et, en fin de compte, de façon absolue que les autorités gouverne-
mentales doivent, dans leurs initiatives, respecter la règle d'unité
d'action. De ce fait, il n'y a plus de domaine réservé. Le~ ministres
sont responsables de l'ensemble des décisions de l'exécutif.

900. - Le parlementarisme moniste a subi, au XXe siècle, des


évolutions qui ont contribué à en modifier les techniques. Quelques
phénomènes méritent d'être recensés ici.
Le premier, c'est l'emprise des partis politiques sur des procé-
dures comme celles de l'élection, de la constitution du gouverne-
ment, sinon de la nomination des fonctionnaires et des magistrats.
Les phénomènes de symbiose entre les pouvoirs constitués s'en trou-
vent accentués et confèrent au fonctionnement du régime parlemen-
taire plus de souplesse encore. Mais n'introduisent-ils pas les germes
de la confusion des responsabilités ?
Le deuxième phénomène, c'est celui de la multiplication des for-
mations politiques - par les effets conjugués du système de la
représentation proportionnelle et du suffrage universel - . Depuis
1958, aucun parti ne peut prétendre obtenir une <<majorité abso-
lue>>. Des coalitions sont à négocier, à instaurer et à préserver. Lors-
qu'elles sont solides, elles contribuent à associer le plus grand
nombre à l'exercice du pouvoir. Lorsqu'elles sont fragiles et mena-
cées par la désunion, elles peuvent engendrer la paralysie des méca-
nismes de gouvernement.
Le troisième phénomène, c'est celui du développement des crises
politiques (voy. Livre X. Les procédures de crise). L'instabilité des
formations gouvernementales, en particulier, est dénoncée. Il faut
aussi tenir compte de la multiplication des consultations électorales.
Les conditions d'une action efficace et durable ne sont pas réunies.
Les crises menacent à terme la crédibilité d'une société politique,
celle des institutions qui contribuent à son aménagement, celle aussi
des titulaires du pouvoir.
Le parlementarisme du X XIe siècle s'alimente non de certitudes,
mais de questions.
762 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

BIBLIOGRAPHIE

La question de la répartition des fonctions introduit à une réflexion sur la typolo-


gie des régimes constitutionnels. Les principaux ouvrages de droit public se pronon-
cent sur ce sujet.

A propos du régime d'assemblée. voyez :


J. F. AuBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, 2 vol., Paris, Dalloz et Neuchâ-
tel, Ides et Calendes, 1967, suppl. 1982; A. RIKLIN et A. ÜCHSNER, <<Parlement>>, in
Manuel. Système politique de la Suisse, Berne, Haupt, 1983, vol. II, pp. 77 s.;
J.J. SUEUR, (<Le régime d'assemblée et l'élaboration de la Constitution de la v· Ré-
publique>>, R.D.P., 1983, p. 1209.

Des ouvrages plus particuliers ont été consacrés au régime parlementaire. Voyez
notamment:
M. AMELLER, Parlements, Paris, 1966, 2• éd.; J.C. CoLLIARD, Les régimes parlemen-
taires contemporains, Paris, F.N.S.P., 1978; R. FusiLLIER, Les monarchies parlemen-
taires, Paris, Ed. ouvrières, 1960; INSTITUT UNIVERSITAIRE EUROPÉEN, Parlement et
gouvernement. Le partage du pouvoir, Bruxelles, Bruylant, 1979; P. LALUMIÈRE et
A. DEMICHEL, Les régimes parlementaires européens, Paris, P.U.F., 1978, 2• éd.; <<La
représentation>>, Pouvoirs, 1978, no 9; Ph. LAUVAUX, Le parlementarisme, Paris,
P.U.F., 1987, coll. «Que sais-je!»; UNION INTERPARLEMENTAIRE, Les Parlements
dans le monde. Recueil de données comparatives, Bruxelles, Bruylant, 1986, 2 vol.
Sur le régime présidentiel, on consultera en particulier les ouvrages suivants :
Th. CRONIN, The State of the presidency, Boston, Little, Brown, 1980; R. TATALO-
VICH et B. DAYNES, Presidential power in the United States, Mortery, California,
Books, Cole, 1983; B. GILSON, La découverte du régime présidentiel, Paris, L.G.D.J.,
1982; R. MouLIN, Le présidentialisme et la classification des régimes politiques, Paris,
L.G.D.J., 1978.
Sur le régime parlementaire en Belgique :
W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH et A. VANWELKENHUYZEN, <<Les tendances
actuelles de la répartition des fonctions législatives entre le Parlement et le Gouver-
nement>>, Rapports belges au VIII' Congrès international de droit comparé, Bruxelles,
C.I.D.C., 1970, p. 555; J. GILISSEN, Le régime parlementaire en Belgique depuis 1890,
Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1958; Ch. GoossENS, Caractères fondamentaux de
l'évolution constitutionnelle et parlementaire de la Belgique. Lignes directrices du régime
actuel, Thessalonique, 1966; C.H. HôJER, Le régime parlementaire belge de 1918 à
1940, Uppsala, 1946; L. MouREAU, <<La position de la doctrine belge à l'égard du
principe de la séparation des pouvoirs», in Mélanges E. Mahaim, Paris, Sirey, 1935,
t. II, p. 207; F. PERIN, La démocratie enrayée. Essai sur le parlementarisme belge de
1918 à 1958, Bruxelles, I.B.S.P., 1960; H. RoLIN, <<De la hiérarchie des pouvoirs •>,
Académie royale de Belgique. Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et
politiques, 1936, p. 50; H. VAN IMPE, Le régime parlementaire en Belgique, Bruxelles,
Bruylant, 1968; A. VANWELKENHUYZEN, <<La séparation des pouvoirs 1831-1981 »,in
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 763

De Grondwet hondervijftig jaar, Bruxelles, Bruylant, 1981, p. 69; H. VuYE, <<Quelle


révision de la Constitution? A la recherche d'un équilibre entre le pouvoir exécutif
et le pouvoir législatif», R.B.D.C., 1999, p. 39; L. WoDON, <<Considérations sur la
séparation et la délégation des pouvoirs en droit public belge>>, Bulletin de la classe
des lettres et des sciences morales et politiques, 1942.
CHAPITRE III
L'EXERCICE DES FONCTIONS

901. - Les fonctions ne peuvent se comprendre comme le cata-


logue des préoccupations d'intérêt général qu'une société abstraite
se doit de prendre en compte. En droit public, les fonctions sont
entendues de manière concrète. Elles induisent des comportements,
elles justifient des interventions de l'autorité, elles génèrent des
actes juridiques, elles se développent selon des procédures conve-
nues. Bref, elles animent le système constitutionnel. Les fonctions
sont faites pour être exercées. Encore faut-il préciser de quelle
manière.
On ne saurait entreprendre ici une étude qui porterait sur l' exer-
cice de toutes les fonctions qui sont assumées par l'Etat fédéral.
Certaines d'entre elles font l'objet d'études spécialisées : les fonc-
tions étatiques, en droit international public; la fonction d' adminis-
trer, en droit administratif et en droit des finances publiques; la
fonction de juger, en droit processuel.
C'est l'exercice des principales fonctions collectives - gouverner,
légiférer, contrôler - qui retient maintenant l'attention. Les règles
du régime parlementaire déterminent les modes d'accomplissement
de ces fonctions.

902. - Dans les sociétés démocratiques, l'étude de la fonction


législative vient généralement en premier lieu. Pour des raisons his-
toriques : l'avènement des libertés a coïncidé avec l'affirmation de
la mission éminente du pouvoir législatif. Pour des raisons politi-
ques aussi : les assemblées élues sont censées exprimer les préoccu-
pations du plus grand nombre.
L'étude de la fonction gouvernementale - souvent qualifiée
d'exécutive- vient après, comme en second rang. Telle est la phi-
losophie politique qui prévaut au XIXe siècle : il faut se prémunir
contre les dangers de l'absolutisme; il faut affaiblir l'autorité gou-
vernementale; il faut faire une confiance absolue à la loi et se
méfier, au contraire, de la manière dont elle va être appliquée; il
L'EXERCICE DES FONCTIONS 765

faut cantonner le gouvernement dans un rôle aussi neutre et passif


que possible.
Cette présentation ne correspond plus aux réalités constitution-
nelles du moment. Les textes de base qui n'ont pas été modifiés
entre-temps ont suscité des interprétations évolutives des fonctions
respectives du législateur et du gouvernement. Ces fonctions cessent
d'être opposées pour se conjuguer. Elles tendent à la réalisation du
programme politique de l'équipe ministérielle au pouvoir.
Il s'indique d'entreprendre, en premier, l'examen de la fonction de
gouvernement (Section 1) et, ensuite, celle de législation (Section 2).
La fonction de contrôle politique des activités gouvernementales et
administratives (Section 3) retient enfin l'attention.

SECTION pe, -LA FONCTION DE GOUVERNEMENT

903. - <<Nous voici, écrit P. WIGNY, au centre de notre système


politique)) (1). Nous voici, en effet, au lieu où se décident les orien-
tations majeures, où se prennent les décisions essentielles, où se
négocie la solution des << dossiers )) les plus délicats. Gouverner
revient à faire les choix politiques qui commandent, dans le présent
et dans le futur, la vie de la nation.
Le juriste aura souvent tendance à considérer que ces choix pren-
nent la forme d'actes juridiques précis. Cette illusion doit être com-
battue. La fonction de gouvernement peut requérir des ordres -
généraux ou individuels - qui s'inscrivent, par exemple, dans un
arrêté royal. Mais l'exercice de cette fonction peut aussi s' accommo-
der de comportements purement politiques. S'ils échappent aux ana-
lyses de technique constitutionnelle, ils ne sauraient être sous-
estimés à raison de l'incidence qu'ils peuvent avoir dans la vie
sociale. Le ministre des Affaires économiques invite à épargner ou,
au contraire, à investir, le ministre des Affaires sociales fait cam-
pagne pour freiner la consommation médicale ou, au contraire, pour
offrir de nouveaux services aux patients, le ministre des Relations
extérieures tient un discours belliqueux ou, au contraire, développe
des propos bienveillants ... Toutes paroles, tous comportements qui
dénotent des attitudes politiques, qui établissent des positions de

(1) P. WIGNY, op. cit., p. 526.


766 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

gouvernement, même si aucun acte juridique ne vient les concréti-


ser (2).
L'exercice de la fonction de gouvernement peut aussi aller de pair
avec la mise en· œuvre de techniques qui ne sont pas celles du com-
mandement, mais celles de la convention. Des accords entre Etats,
des accords entre l'Etat fédéral et des collectivités politiques parti-
culières, des accords entre le secteur public et des personnes pri-
vées... peuvent être conclus dans cette perspective. Ce n'est pas
parce que la puissance publique ne négocierait pas toujours ces
conventions en faisant usage des prérogatives de l'autorité qu'elle
ne réaliserait pas - et parfois de manière efficace - sa fonction de
gouvernement.
Ce sont les modes formalisés et unilatéraux de la fonction de gou-
vernement, tels qu'ils sont définis par la Constitution, qui retien-
nent l'attention.

§l er. - Les fonctions propres


904. - Selon l'article 37 de la Constitution, << au roi appartient
le pouvoir exécutif fédéral )). Mais quelle est la fonction gouverne-
mentale qui lui est ainsi assignée? L'article 105 de la Constitution
définit au moins négativement une part de ces responsabilités : << Le
roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribue formellement la
Constitution ... )). Il identifie aussi les fonctions propres du roi: ce sont
celles que des dispositions constitutionnelles lui octroient expressément.

A. - Les Jonctions étatiques


905. - - Parmi les fonctions propres du roi qui relèvent de la fonction de
gouvernement au sens large de l'expression, il y a lieu de rappeler les missions
étatiques assignées au chef de l'Etat par les articles 91 et 167 de la Constitution,
pour assurer la défense du territoire (n° 828) et pour aménager les relations
extérieures de la Belgique (n° 832).
On ne saurait non plus perdre de vue que la Constitution associe, dans ses
articles 36, 109 et 195, le roi à l'exercice des fonctions constituante et législative.
Il fait organiquement partie du pouvoir constituant dérivé, ainsi que du pouvoir
législatif fédéral. Il prend l'initiative d'une déclaration de révision. Il propose

(2) A. MAST (op. cit., p. 315) écrit, dans le même sens, que le pouvoir exécutif doit prendre
en charge « het algemeen beleid van 's lands belangen ».
L'EXERCICE DES FONCTIONS 767

des amendements à la Constitution. Il exerce l'initiative législative. Il sanc-


tionne et promulgue les lois. Il en fait assurer la publication.

B. - Les fonctions organisationnelles


906. - Il faut également souligner la faculté qui est offerte au
roi par les articles 96, 104, 107, 151 et 153 de constituer des auto-
rités publiques distinctes de lui. Les unes assumeront des tâches
exécutives - les ministres et les secrétaires d'Etat - ou adminis-
tratives - les fonctionnaires et les militaires - . D'autres rempli-
ront des fonctions juridictionnelles - les magistrats - . Le roi les
nomme (nos 434 à 454). Il peut également désigner son successeur,
dans les conditions de l'article 86, al. pr (n° 431).
907. - Le roi exerce aussi des fonctions de caractère honorifique
ou symbolique.
Il confère les titres de noblesse. L'égalité juridique n'est pas rom-
pue pour autant, car à la concession de noblesse ne peut être
attaché aucun privilège (Const., art. 113) (3).
Il confère aussi les ordres militaires (Const., art. 114) et, admet-
on, les ordres civils, selon les règles prescrites par la loi fédérale.
Enfin, il bat monnaie en exécution de la loi fédérale (Const.,
art. 112). <~Battre monnaie a toujours été un privilège régalien.
Trace en est restée dans les Constitutions modernes. La prérogative
est beaucoup plus théorique que pratique)) (4).

C. - La fonction réglementaire
908. - Le roi exerce la fonction réglementaire. Il s'agit pour lui
d'édicter des dispositions abstraites et générales, applicables à un
nombre indéterminé de personnes. Il importe de créer la sécurité en
soustrayant des actions particulières à l'impulsion et à la libre
appréciation de leurs auteurs, pour les soumettre à l'observation de
normes préétablies.

(3) Un conseil héraldique a été créé par l'arrêté royal du 6 février 1844 et une commission
d'avis sur l'octroi de faveurs nobiliaires, par l'arrêté royal du 31 janvier 1978. Ces organismes
donnent un avis au roi sur la reconnaissance de pareils titres ou lui font des propositions pour
la collation de nouveaux titres.
(4) P. WIGNY, op. cit., p. 875; adde : Ph. LoHEST, ~~L'article 74 de la Constitution relatif au
droit de battre monnaie conféré au roi», Ann. Dr. Sc. pol., 1958, p. 121.
768 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

La fonction réglementaire peut se donner un premier objet : éta-


blir les règles générales qui sont nécessaires à l'exécution des lois
(Const., art. 108) (5). Il s'agit alors de la fonction réglementaire déri-
vée : << attendu que si le pouvoir exécutif, dans l'accomplissement de
la mission que lui confère l'article 108 de la Constitution, ne peut
étendre, pas plus qu'il ne peut restreindre la portée de la loi, il lui
appartient de dégager du principe de celle-ci et de son économie
générale les conséquences qui en dérivent naturellement d'après l'es-
prit qui a présidé à sa conception et les fins qu'elle poursuit>> (Cass.,
18 novembre 1924, Pas., 1925, I, p. 25; voy. aussi Cass., 19 janvier
1959, Pas., I, p. 494; 15 mars 1965, Pas., I, p. 740; 5 mai 1970,
Pas., I, p. 766) (6).
Cette œuvre qui vise à procurer pleine application et effectivité
à la règle de droit appartient au roi (7). Il lui revient de mettre en
œuvre cette fonction de sa propre initiative ou, au contraire, d'agir
à l'invitation du pouvoir législatif fédéral qui précisera éventuelle-
ment les délais, les modalités et la procédure d'exécution.
Lorsqu'il fait usage de son pouvoir réglementaire d'exécution des
lois fédérales, le roi peut déléguer à ses ministres ou à l'un d'eux la
responsabilité d'édicter des arrêtés ministériels d'exécution détaillée
de ses propres arrêtés royaux. En revanche, le roi ne peut pas délé-
guer totalement sa fonction de réglementation à des autorités admi-
nistratives autres que les ministres.
A qui revient la fonction réglementaire dérivée? La section de législation du
Conseil d'Etat rappelle que, <<conformément à l'article 108 de la Constitution,
cette compétence appartient, en principe, au roi et non au ministre, le roi pou-
vant à son tour déléguer au ministre des pouvoirs de détail>> (8). Il ne peut,
cependant, déléguer à un ministre la fonction réglementaire qu'à la condition

(5) Une conséquence en résulte. Le roi ne saurait exercer la fonction réglementaire qu'en exé-
cution de la Constitution elle-même, qu'en application d'une loi (tel est le sens donné à la fonc-
tion réglementaire dérivée) ou qu'en vertu d'une loi d'habilitation (ce qui ouvre la voie aux pou-
voirs spéciaux) (n" 910 s.). Le préambule des arrêtés pris par le roi doit indiquer la base constitu-
tionnelle ou légale sur laquelle ils sont pris.
(6) Sur les significations large ou étroite que peut revêtir l'expression <<exécution de la loi"·
voy. A. MAST, op. cit., p. 265.
(7) Reconnaîtra-t-on également au roi l'exercice de la fonction réglementaire pour procurer
exécution, non pas aux dispositions d'une loi, mais à celles d'un traité? A. MAST (op. cit., p. 320)
résume, à ce propos, la doctrine de la section de législation du Conseil d'Etat. Des règlements
sont concevables dans trois hypothèses : le roi exerce, en l'occurrence, la fonction réglementaire
autonome (n" 909); la loi d'assentiment l'habilite à agir ainsi; une loi particulière lui attribue la
même faculté.
(8) Doc. parl., Chambre, s.o. 1996-1997, n" 810/1, avis du 5 décembre 1994 (cité parR. AN-
DERSEN et P. NmouL, «Le Conseil d'Etat ~Chronique de jurisprudence 1996 •>, R.B.D.C., 1997,
p. 187); I. KovAWVSZKY, <<A propos du pouvoir réglementaire", A.P.T., 1996, p. 301.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 769

que la délégation soit suffisamment précise et qu'elle ne porte que sur des
mesures de détail ou de simple exécution (9).

La loi fédérale peut-elle confier expressément l'exécution de ses


propres dispositions à une autre autorité que le roi? La pratique est
en ce sens et de nombreuses lois ont confié la fonction réglementaire
soit à des ministres, soit à des établissements publics. Ces habilita-
tions n'ont pas pour objet de dépouiller le roi de la fonction propre
qu'il détient d'assurer lui-même l'exécution des lois.
909. - Le roi exerce également la fonction réglementaire auto-
nome. Sans habilitation législative, il fait des règlements pour amé-
nager les services publics ou pour assurer le maintien de l'ordre
public.
Le roi a pour tâche d'assurer la bonne marche des services
publics. Il a donc mission d'élaborer les règles d'organisation de
l'administration générale de l'Etat, selon l'interprétation qui peut
être dégagée des termes de l'article 107, alinéa 2 de la Constitution.
Le roi fait aussi les règlements de police en sa qualité de chef du
pouvoir exécutif fédéral (Const., art. 37). La fonction de police est,
en effet, considérée comme une prérogative naturelle de la fonction
gouvernementale. Cette dernière thèse, après avoir reçu l'appui de
la Cour de cassation (Cass., 16 janvier 1922, Pas., I, p. 132), a été
consacrée par la loi du 15 juin 1934. La majorité de la doctrine s'y
est ralliée aujourd'hui, ainsi que la section de législation du Conseil
d'Etat ( 10). Toutefois, le roi ne peut pas user de pareille prérogative
pour porter atteinte aux intérêts que la Constitution réserve aux
autorités communales, ni pour édicter des règles de conduite qui
seraient étrangères, par leur nature ou leur objet, à la notion de
police administrative.
<< Il n'est plus contesté que les règles concernant l'organisation de l'administra-
tion et le statut des agents de l'Etat (fédéral) sont des règles primaires, mettant
en œuvre uhe compétence que le roi tient directement de la Constitution, et que
le législateur ne pourrait s'y immiscer qu'en vertu d'une habilitation spéciale>>
(C.E., L. 20.503/9, 4 février 1991).
<<Au niveau du pouvoir fédéral, le pouvoir normatif subordonné est attribué
par la Constitution au roi qui agit sans habilitation spéciale pour prendre des

(9) M. LEROY, Les règlements et leurs juges, Bruxelles, Bruylant, 1987, p. 84; J. SALMON, Le
Conseil d'Etat, t. 1"', Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 412; R. ANDERSEN et P. NIHOUL, «Le Conseil
d'Etat- Chronique de jurisprudence 1994 (l'' partie)», R.B.D.C., 1995, p. 104.
( 10) La doctrine belge a été longtemps divisée sur cette question. Pour un exposé des thèses
en présence, voy. A. MAST, op. cit., p. 322; M. LEROY, op. cit., p. 70.
770 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

mesures nécessaires à la mise en application des lois (art. 108) ou, pour d'autres
mesures, en vertu d'une attribution par la loi d'un pouvoir réglementaire
(art. 105). Il a toutefois été admis que le roi pouvait, en raison de l'étroite union
qui doit exister entre le roi et son gouvernement et en considération de la res-
ponsabilité des ministres devant (l'une des) assemblées législatives, remettre à
un ministre le soin d'arrêter des mesures de détail facilitant la mise en œuvre
des normes établies par la loi (fédérale) ou par un arrêté royal (art. 88, 106 et
102) •> (C.E., L. 22.537/2, 21 novembre 1994).

§ 2. - Les Jonctions déléguées


910. - L'article 105 de la Constitution établit une double règle.
Il indique, d'abord, que des fonctions peuvent être reconnues au roi
à la faveur d'attributions expresses auxquelles procéderait la
Constitution elle-même. Il ajoute que d'autres fonctions peuvent lui
être conférées par des << lois particulières portées en vertu de la
Constitution même>>. Ce sont les fonctions déléguées (11).

A. - Les lois dites de pouvoirs spéciaux


911. - Depuis 1926 (loi du 16 juillet 1926 relative à certaines
mesures à prendre en vue de l'amélioration de la situation finan-
cière), diverses lois ont attribué au roi des pouvoirs qualifiés de
<<spéciaux>>. L'expression tend, de manière maladroite, à indiquer
que les prérogatives exceptionnelles qui sont reconnues au roi le
sont pour une période limitée et dans des secteurs prédéterminés.
Elle conduit aussi à considérer que les pouvoirs spéciaux créent un
dérangement dans les habitudes institutionnelles. Ce que confirme,
par exemple, l'article 4, §§ 2 et 3 de la loi du 27 mars 1986 : <<Les
arrêtés pris en vertu de ces pouvoirs peuvent abroger, compléter,
modifier ou remplacer les dispositions légales. Après l'expiration des
pouvoirs attribués par la présente loi, ces arrêtés ne peuvent être
abrogés, complétés, modifiés ou remplacés que par une loi ... >>.
Les lois de pouvoirs spéciaux ( 12) sont des lois par lesquelles le
pouvoir législatif fédéral délègue la Jonction législative au pouvoir exé-

(Il) F. DELPÉRÉE, <• Belgique. Les délégations législatives>>, Rev. fr. droit adm., 1987, p. 723.
( 12) Sur ce thème, voy. dans une littérature abondante : A. ALEN, ' De bijzondere machten :
een nieuwe besluitenregering in België? », T.B.P., 1986, p. 200; H. CoREMANS, 'Losse beschou-
wingen bij het verschijnsel van de bijzonderemachtenwetten >>, in Liber amicorum Robert Senelle,
Gand, 1986, p. 225; F. DEHOUSSE, • Pouvoirs spéciaux et changement de régime: les nouvelles
perspectives ouvertes par les lois de 1982 et 1983 », J.T., 1984, p. 353; In., • La justification des
pouvoirs spéciaux. Bilan des cinq dernières années », Ann. Fac. dr. Lg., 1987, p. 442; F. DELPÉ-
RÉE, • Chronique administrative», Annuaire européen d'administration publique, 1986; F. DELPÉ-
RÉE et J. LE BRuN, 'Les pouvoirs spéciaux et le domaine financier>>, in Le droit économique et
L'EXERCICE DES FONCTIONS 771

cutij fédéral. Elles soulèvent, sur le plan juridique, trois questions


distinctes : celle du fondement de cette pratique, celle de sa portée
et celle de ses effets. Elles posent aussi, sur un plan plus politique,
la question de l'opportunité de pareille pratique.
912. - Le fondement de la délégation de la fonction législative?
La doctrine comme la jurisprudence s'accordent aujourd'hui pour
trouver la justification de cette technique dans l'article 105 de la
Constitution. Si<< le roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attri-
buent formellement la Constitution même >>, il faut admettre que
cette disposition <<permet qu'une loi particulière, portée en vertu de
la Constitution même, étende l'exercice du pouvoir réglementaire du
roi au-delà des limites fixées par l'article 108 de la Constitution>>
(Cass., 3 mai 1974, J.T., p. 504, R. W., 1974-1975, col. 906, concl.
W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH).
La solution est particulièrement nette - encore qu'une question
de principe ne reçoive qu'une réponse douteuse : s'agit-il d'une
extension de la fonction réglementaire ou d'une délégation de la
fonction législative? Elle lève les incertitudes qu'avaient fait naître
une gamme de théories sur la constitutionnalité du procédé ( 13).
Sans doute peut-on s'interroger sur la compatibilité de cette
interprétation avec les intentions profondes des membres du
Congrès national. Pourquoi l'article 105 de la Constitution est-il
tombé en léthargie pendant un siècle et demi? N'est-ce pas la néces-

financier en 1985. Hommage à Robert Henrion, Bruxelles, Bruylant, 1985, p. 135; W.J. GANSHOF
VAN OllR MEERSCH et M. DIDERICH, <<Les états d'exception et la Constitution belge>>, Ann. Dr.
Sc. pol., 1953, pp. 49 et 304; Y. L~;.JEUNE etH. S<MONART, <<L'article 78 de la Constitution ou
la faculté d'étendre le pouvoir réglementaire royal>>, A.D.Lv., 1980, p. 250; J. MASQUELIN, <<La
fonction réglementaire et les pouvoirs spéciaux», R.J.D.A., 1969, p. 1: R. ÜCKRENT, Les crises
constitutionnelles du pouvoir législatif en Relgique, Bruxelles, 1944; G. PIQUET, «L'exercice des
pouvoirs spéciaux en 1967 >>, R.J. JJ. A .. 1967, p. 271 ; K. RIMANQUE, << Kritische kanttekeningen
bij de reeente ontwikkelingen inzake de bijzondere machten », in Liber amicorum Robert Senelle,
Gand, 1986, p. 245; J. SAROT, <<La pratique des pouvoirs spéciaux et extraordinaires avant et
après 1945 >>, in Miscellanea W.J. Ganshof van der Meersch, Bruxelles, Bruylant, 1972, t. III.
p. 293; A. VANWELKENHUYZ~~N, <<L'attribution de pouvoirs spéciaux et le contrôle judiciaire de
la constitutionnalité des lois», J.T., 1974. p. 577.
(13) Diverses théories ont été émises pour tenter de justifier la pratique des pouvoirs spé-
ciaux. La justification a été cherchée, à tort, dans la théorie de la délégation de pouvoir mais
elle se heurte aux dispositions de l'artiele 33, al. 2, de la Constitution. Elle a également été cher-
chée dans la théorie de la détermination de compétence entre la loi et le règlement d'exécution
mais, en l'occurrence, il ne s'agit pas de procurer exécution à une loi, il s'agit plutôt de s'y substi-
tuer. La théorie de l'état de nécessité a aussi été développée par le Centre d'études pour la
réforme de l'Etat, mais elle se borne à mettre en lumière la cause du phénomène et ne fournit
pas de justification aux atteintes portées aux articles 33 et 187 de la Constitution. Voy sur ce
thème, J. MERTENS DE WILMARS, Le fondement juridique des lois de pouvoirs spéciaux, Louvain,
1945.
772 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

· sité d'une action politique efficace qui amène à en donner un com-


mentaire neuf? Il suffit de constater que l'interprétation ne va pas
à l'encontre des dispositions écrites de la Constitution. Le débat
rhétorique sur la constitutionnalité des lois de délégation paraît
aujourd'hui dépassé.

913. - Quelle est la portée de la délégation de la fonction légis-


lative? La loi de pouvoirs spéciaux habilite le roi à légiférer et donc
à régler, par voie de dispositions générales et abstraites, un
ensemble de matières qui relèvent normalement de l'exercice de la
fonction législative au niveau fédéral. On ne l'a pas suffisamment
souligné. C'est la fonction qui est ainsi déléguée et non les préroga-
tives qui s'attachent à l'exercice du pouvoir législatif. Le roi n'est
pas habilité à faire une loi, mais à faire œuvre en matière législative,
en utilisant les modes d'action qui lui sont particuliers, notamment
ceux de l'action réglementaire ( 14).
C'est ce qui explique qu'un arrêté royal pris en vertu d'une loi de
pouvoirs spéciaux puisse abroger, compléter ou modifier une loi et
ne puisse plus être modifié, après expiration de la période de déléga-
tion, que par la loi ou par un autre arrêté de pouvoirs spéciaux
(J. SAROT).
Une exception apparente a été relevée : le roi conserve <<le droit
d'abroger, de compléter, de modifier ou de remplacer les disposi-
tions (de pareil arrêté) qui concernent les matières qui relèvent de
sa compétence)) (loi du 31 mars 1967, art. 3). Mais elle ne fait qu'il-
lustrer l'idée que les dispositions des arrêtés de pouvoirs spéciaux
traduisent l'exercice d'une compétence du roi dans le domaine de la
fonction législative; rien ne l'empêche d'y joindre des dispositions
qui relèvent de l'exercice de la fonction réglementaire.
La délégation de la fonction législative est assujettie à certaines
conditions : les unes sont inscrites dans la Constitution, les autres
sont formulées dans les lois de délégation.

(14) Comme l'a souligné le Conseil d'Etat, dans son avis du 3 janvier 1986, «l'admission d'un
tel fondement constitutionnel pour les lois dites de pouvoirs spéciaux se concilie parfaitement
avec la nature réglementaire qui, selon une opinion unanime, doit être reconnue aux arrêtés
royaux pris sur base de ces lois. Dès lors que les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux ne sont
pas des actes législatifs, mais des actes réglementaires, le juge peut et doit vérifier leur conformité
avec la loi d'habilitation et, le cas échéant, avec certaines lois qui doivent se combiner avec la
loi d'habilitation, ainsi qu'avec des normes qui leur sont supérieures».
L'EXERCICE DES FONCTIONS 773

914. - En vertu de l'article 105 de la Constitution, la loi de


délégation doit être une <~loi particulière>>. Une première consé-
quence en résulte. Les pouvoirs spéciaux ne peuvent être reconnus
à l'Exécutif que pour une période limitée ( 15). Il semble que la ten-
dance actuelle soit de réserver une période d'un an par législature
à l'ensemble des délégations qui pourraient être accordées à l'Exé-
cutif
915. - Le caractère particulier des lois de délégation conduit
d'aucuns à affirmer que l'attribution de pouvoirs spéciaux doit
avoir un caractère exceptionnel, ce qui justifie que les habilitations ne
soient consenties que pour des périodes limitées. Jusque là rien que
de très normal. Mais des considérations politiques se greffent aussi-
tôt sur ces propos initiaux. Pour que les pouvoirs spéciaux conser-
vent un caract'ère exceptionnel, il convient, dit-on, que le pouvoir
législatif n'y consente que dans des circonstances exceptionnelles -
que la section de législation du Conseil d'Etat va jusqu'à qualifier
de <~ circonstances de crise>> - . La doctrine n'hésite pas à agiter le
spectre de l'état de nécessité. C'est dans ces circonstances dramati-
ques où l'indépendance- économique et financière- de l'Etat est
menacée qu'il y a lieu d'agir selon des procédés qui dérogent au
mode normal d'élaboration de la loi ...
Est-il nécessaire de dramatiser ainsi la situation? Le gouverne-
ment devrait être habilité à solliciter l'exercice de pouvoirs spéciaux
lorsque, pour des raisons politiques ou techniques, il estime - sous
le contrôle de la Chambre - que les lenteurs inhérentes aux procé-
dures parlementaires ne lui permettent pas de réaliser en temps
utile ses projets. Préciser qu'au surplus <~ nécessité fait loi >> donne à
penser que le gouvernement entend sortir des cadres de la légalité,
alors même qu'il s'agit de l'y maintenir strictement (16).

( 15) Une situation particulière se présente en janvier 1986. Le gouvernement dépose un projet
de loi par lequel il sollicite des chambres législatives la faculté d'user d'une part au moins des
pouvoirs spéciaux jusqu'au 31 mars 1987. A supposer donc que ces intentions soient rapidement
transcrites en termes de loi, l'habilitation procurée vaudrait pour treize ou quatorze mois. Le
Conseil d'Etat n'a pu manquer de remarquer que« cette dernière période est la plus longue des
périodes pour lesquelles des pouvoirs spéciaux ont été sollicités>>. Se référant implicitement à la
durée maximum d'un an, la section de législation est contrainte de relever que cette période vient
s'ajouter à celles qui, en 1982 et en 1983- soit au cours d'une législature précédente-, ont per-
mis au gouvernement de légiférer selon les modalités de l'article 105 de la Constitution.
( 16) Reste l'idée que les pouvoirs spéciaux ne peuvent devenir la règle en matière législative
et qu'ils gagnent à rester l'exception (F. DEHOUSSE, op. cit., p. 353). Comme le souligne, en 1983,
le président de la Chambre, J. DEFRAIGNE, ~<le recours à une procédure exceptionnelle doit rester
exceptionnel» (Le Soir du 14 juin); il renouvelle les mêmes critiques en 1986 : <<On ne peut plus
774 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

916. La Constitution (art. 105) prescrit que les lois qui attri-
buent des pouvoirs spéciaux au roi se prononcent formellement sur
cette attribution. Il exige que les lois d'habilitation soient particu-
lières. Ce qui signifie qu'elles ne porteront, en principe, que sur des
objets déterminés et bien circonscrits. Les pouvoirs sont spéciaux et
non généraux. Au sens propre du terme, ils n'affectent que des
situations d'espèce. <<Toute loi d'habilitation, souligne le Conseil
d'Etat, doit donc définir avec précision les pouvoirs conférés au
roi >>. Elle gagne même à les énumérer avec exactitude, pour ne pas
se cantonner dans des formulations trop englobantes.
Sur le principe, il n'y a guère de contestation. Mais comment défi-
nir ces pouvoirs ? Deux conceptions se développent. L'une revient
à exiger que la loi d'habilitation indique les buts ou les objectifs en
vue desquels les pouvoirs spéciaux sont attribués. Dans cette préoc-
cupation finaliste, la loi du 27 mars 1986 indique que, si des pou-
voirs spéciaux sont reconnus au roi, c'est << afin d'assurer le redresse-
ment économique et financier, la diminution des charges publiques,
l'assainissement des finances publiques, la promotion de l'emploi
ainsi que l'équilibre financier, la maîtrise des dépenses et la sauve-
garde des régimes de sécurité sociale)} (art. 1er).
Une seconde conception conduit à définir les pouvoirs spéciaux en
déterminant les matières qui pourront faire l'objet d'interventions
réglementaires, voire en indiquant le sens dans lequel les nouvelles
réglementations devraient être conçues. Une comparaison s'impose :
le pouvoir législatif fédéral agit alors comme il est amené à le faire
en matière de révision constitutionnelle; dans une déclaration préa-
lable, il établit de manière aussi exacte et précise que possible la
liste des dispositions légales - soit par leur intitulé, soit par leur
objet - que le roi sera habilité à modifier ou à abroger.
C'est dans cette optique particulariste que la loi du 27 mars 1986
prescrit par exemple, dans son article 1er, 4", que le roi peut prendre
toutes les mesures utiles en vue de compléter, adapter ou modifier
la législation sur les hôpitaux, les laboratoires de biologie clinique
et les services médico-techniques. particulièrement en ce qui
concerne l'organisation, le fonctionnement, la gestion, le finance-
ment et la programmation de ces institutions ou services, tant pour

parler de pouvoirs exceptionnels quand on y recourt pour la troisième fois en quatre ans>) (La
Libre Belgique du 12 février).
L'EXERCICE DES FONCTIONS 775

les institutions publiques que privées, y compris les hôpitaux um-


versitaires.
917. - La loi de délégation doit encore être << portée en vertu de
la Constitution même>>. La condition est interprétée comme signi-
fiant que la loi de délégation ne peut habiliter le roi à légiférer dans
les matières qui sont réservées en propre au pouvoir législatif fédéral.
La loi de délégation doit, sur ce point, respecter l'ordonnancement
des fonctions voulu par la Constitution ( 17).
Des lois de pouvoirs spéciaux entendent néanmoins habiliter le roi
à prendre des dispositions dans des matières qui, comme celle de
l'impôt, requièrent l'intervention exclusive du législateur. Comment
tourner la difficulté? Les lois les plus récentes requièrent la confir-
mation législative des arrêtés qui ont été pris dans ces conditions.
Comme l'a relevé le Conseil d'Etat, <<le procédé a l'avantage de
réserver le dernier mot au législateur >>, de telle sorte que l'arrêté
royal apparaît comme établissant en quelque sorte un régime provi-
soire. Les arrêtés sont abrogés s'ils ne sont pas confirmés avant la
date prescrite par la loi d'habilitation.
La confirmation offre un avantage. Elle ménage le temps d'une
discussion politique. Elle rend aux Chambres législatives leurs res-
ponsabilités pleines et entières. Elle leur donne éventuellement la
faculté d'amender les dispositions prises par le roi; dans la pratique,
cette possibilité n'est cependant guère exploitée : les Chambres
législatives qui ont laissé à autrui le soin de statuer dans une
matière déterminée sont à vrai dire dans une situation peu confor-
table pour lui faire la leçon ...
La confirmation présente aussi un inconvénient. Elle a pour effet
de procurer valeur législative aux instruments juridiques qui
avaient été conçus initialement sous forme réglementaire. De ce fait,
la confirmation met à néant les velléités de contrôle juridictionnel
que la section d'administration du Conseil d'Etat ou les tribunaux

( 17) Les lois de pouvoirs spéciaux ne peuvent jamais habiliter le roi à violer la Constitution;
elles ne peuvent pas l'habiliter à régler des matières que la Constitution réserve en propre soit
au législateur, soit au pouvoir judiciaire. Ce précepte a été réaffirmé dans l'avis que la section
de législation du Conseil d'Etat a rendu, en chambres réunies, le 23 décembre 1981. Le Conseil
assouplit, à cette occasion, la rigueur avec laquelle il s'opposait, dans le passé, à toute délégation
en matière fiscale : ' Dans la mesure où le législateur estimerait que le pays se trouve dans un
état de nécessité telle qu'il s'imposerait d'attribuer au roi des pouvoirs spéciaux en matière fis-
cale, il faudrait au moins que la loi dispose que les arrêtés pris en cette matière cesseront de pro-
duire leurs effets s'ils ne sont pas confirmés par le législateur à une date que le législateur déter-
minera». La loi du 2 février 1982 s'est conformée à cet avis (art. 6).
776 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

judiciaires auraient été invités à exercer. L'inconvénient est d'au-


tant plus grand que la technique de la confirmation est retenue non
seulement pour les arrêtés qui interviennent dans le domaine des
matières réservées au législateur fédéral mais aussi pour tous autres
arrêtés. Autant dire qu'il n'y a plus de contrôle juridique a poste-
riori de la validité de pareils arrêtés, hormis celui de la Cour d'ar bi-
trage.
Le régime instauré sert la sécurité juridique mais ne ménage
guère la possibilité de s'opposer aux interventions exceptionnelles
du pouvoir exécutif
918. - Les lois particulières de délégation (lois des 16 juin 1926,
30 décembre 1932, 17 mai 1933, 31 juillet 1934, pr mai 1939,
12 mars et 31 mars 1967, 2 février 1982, 6 juillet 1983, 27 mars
1986 ... ) complètent les conditions constitutionnelles (18).
919. - Quels sont les effets de la délégation de la fonction légis-
lative? La délégation emporte transfert de l'exercice d'une fonction
mais non transfert des prérogatives attachées à la détention du pou-
voir législatif.
Un arrêté royal pris en vertu d'une loi de pouvoirs spéciaux a
valeur de règlement, au même titre que ceux que le roi élabore sur
la base de l'article 108 de la Constitution. Il est soumis aux diffé-
rents contrôles qui affectent pareille règle de droit - en particulier,
le contrôle incident mais général de constitutionnalité et de légalité
qu'exercent les cours et tribunaux (Const., art. 159) (19).
Comme l'a souligné le Conseil d'Etat, dans son avis du 3 janvier
1986, dès lors que les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux sont des
actes réglementaires, (( le juge peut et doit vérifier leur conformité
avec la loi d'habilitation et, le cas échéant, avec certaines lois qui

(18) La plupart des lois de pouvoirs speCiaux ont imposé au roi, un certain nombre de
contrôles et obligations du type de ceux que lui impose la loi du 2 février 1982 . l'obligation de
recueillir l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat sans pouvoir se réclamer de l'urgence
(art. 3, § l "'); l'obligation de recueillir les avis prescrits par une loi spéciale (art. 3, § 2); l'obliga-
tion de délibérer les arrêtés de pouvoirs spéciaux en conseil des ministres (art. 1,.,, al. l "'); l'obliga-
tion de « communiquer » les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux aux présidents de la Chambre
et du Sénat avant leur publication (art. 3, § 3); l'obligation de faire rapport aux chambres légis·
latives dans un certain délai; l'obligation de faire confirmer tout ou partie des arrêtés royaux par
le législateur.
(19) Ce contrôle s'étend aux dispositions de fond et de forme imposées par la loi d'habilita·
tion, aux conditions de formes substantielles édictées par d'autres lois ou par des arrêtés royaux,
ainsi qu'aux dispositions de la Constitution, pour autant que la loi d'habilitation n'ait pas
expressément autorisé le roi à y déroger.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 777

doivent se combiner avec la loi d'habilitation, ams1 qu'avec les


normes qui leur sont supérieures>> (20). Dans les matières couvertes
par la délégation, le roi ne pourra, cependant, pas se voir reprocher
le non-respect de dispositions légales.
Une précision s'impose. Diverses lois de pouvoirs spéciaux requiè-
rent que les arrêtés qui procèdent de la fonction déléguée fassent,
avant une date qu'elles déterminent, l'objet d'une confirmation par
le législateur fédéral; faute de quoi, les arrêtés sont abrogés de plein
droit. La confirmation confère à des arrêtés qui avaient initialement
un caractère réglementaire la valeur de lois.

B. - Les lois dites de pouvoirs extraordinaires

920. - La doctrine distingue traditionnellement les lois de pou-


voirs extraordinaires des lois de pouvoirs spéciaux (21). Mais où est
la différence? Y a-t-il place entre elles pour une distinction de
nature, de portée ou d'objet?
Il n'y a pas de différence de nature entre les deux formes de délé-
gation. A moins d'invoquer les principes extra-constitutionnels dont
l'urgence ou la nécessité requerraient la mise en œuvre, et donc
refuser toute explication juridique à la technique des pouvoirs
extraordinaires, il faut trouver, une fois encore, dans l'article 105 de
la Constitution la disposition qui permet cette délégation.
Y a-t-il alors une différence quant à la portée de la loi de déléga-
tion? En principe, aucune. L'interprétation de l'article 105 ne peut
comporter que les mêmes conséquences dans les domaines de la
fonction législative. La difficulté vient de ce que les lois de pouvoirs
extraordinaires du 7 septembre 1939 et du 20 mars 1946 ont expres-
sément conféré aux arrêtés de pouvoirs extraordinaires - qualifiés
pour la circonstance d'arrêtés-lois - <~force de loi>>. Ne faut-il pas

(20) La doctrine et la jurisprudence, sans compter les pratiques administratives, ont parfois
introduit des distinctions aussi subtiles que gratuites en cette matière : le contrôle ne s'opérerait
que par rapport à la loi-mère, ou par rapport aux lois que vise celle-ci, ou encore par rapport
à certaines dispositions de la Constitution ... Ces distinctions sont monnaie courante, alors pour-
tant qu'elles sont dépourvues de réelles justifications. Voy. cependant Cass., 20 avril 1950, Pas.,
1, 560, concl. L. CORNIL.
(21) Les lois de pouvoirs extraordinaires sont des lois par lesquelles le législateur autorise
temporairement le roi, en cas de nécessité et d'urgence, à prendre par arrêté délibéré en conseil
des ministres, des dispositions ayant force de loi, dans un ensemble de domaines dont l'objet n'est
autrement précisé que par l'indication du but d'intérêt général que ces arrêtés devront servir.
778 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

en déduire que ces textes exprimeraient non seulement l'exercice de


la fonction législative, mais auraient en plus force législative,
comme s'ils émanaient du pouvoir législatif?
La conclusion procéderait d'une méprise, à laquelle le législateur
de 1939 et de 1945 n'a peut-être pas échappé. Il n'appartient pas
à une loi, même une loi de délégation prise en vertu de l'article 105,
de décréter la valeur des actes juridiques qui seront accomplis en
exécution de cette délégation; pareille loi est portée en vertu de la
Constitution même et ne peut ignorer les compétences et les préro-
gatives reconnues aux pouvoirs publics. Un arrêté-loi, pris en vertu
d'une loi de pouvoirs extraordinaires, ne saurait détenir que la
valeur d'un règlement (22).
Faut-il entrer dans les distinctions que la Cour de cassation
(Cass., 27 janvier 1943, Pas., I, p. 32; R.J.D.A., 1946, p. 79, note
G. DoR) a introduites en cette matière? Faut-il admettre qu'une
dérogation puisse être apportée par la loi aux dispositions de l'ar-
ticle 159 de la Constitution - dérogation qui n'organiserait qu'un
contrôle de conformité à la loi de délégation -? La construction
qui s'efforce d'aménager un contrôle, même minimal, des arrêtés-
lois ne trouve pas de fondement dans le texte constitutionnel (23).
Reste sans doute une différence de<< degré» (J. MASQUELIN). La loi
de pouvoirs spéciaux désigne les matières dans lesquelles le roi est
habilité à faire usage du pouvoir réglementaire; la loi de pouvoirs
extraordinaires détermine les objectifs en vue desquels le roi est
habilité à utiliser ce telles prérogatives. Si les contrôles, sont du
même ordre, ils ne sauraient avoir, en pratique, la même intensité.
Pour une exacte compréhension du phénomène, l'on relève que les
lois de pouvoirs extraordinaires ont toutes été élaborées en temps de
guerre (lois du 7 septembre 1939, du 14 décembre 1944 et du
20 mars 1945).

(22) La Cour de cassation, dans un arrêt du 27 janvier 1943, a précisé que, par une loi de pou-
voirs extraordinaires, le législateur n'avait pas conféré au roi le pouvoir législatif et que c'était
en sa seule qualité de chef du pouvoir exécutif qu'elle lui avait attribué des pouvoirs extraordi-
naires. Les mots « ayant force de loi » ne signifient donc pas que le roi agit comme pouvoir légis-
latif.
(23) Lorsqu'il a recouru aux pouvoirs extraordinaires, le législateur a eu l'intention de créer
une catégorie normative nouvelle distincte des pouvoirs spéciaux et a entendu soustraire les
arrêtés-lois à tout contrôle des cours et tribunaux. L'arrêt du 27 janvier 1943 introduit un
contrôle minimal sous forme de vérification de la conformité de l'arrêté-loi par rapport à la<< loi-
mère ». Un contrôle général de constitutionnalité et de légalité est, au contraire, indiqué.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 779

C. ~ Les autres lois de délégation

921. ~ Préoccupés de ne pas utiliser des vocables tels <<loi de


pouvoirs spéciaux >> ou << loi de délégation >>, divers gouvernements
ont cherché à utiliser des appellations politiquement plus neutres.
Ils ont privilégié l'expression de <<loi-cadre>>. Comme le relève le
Conseil d'Etat, dans des avis des 31 mai et 4 juin 1996 (Doc. parl.,
Ch., s.o. 1995-1996, no 607/1, p. 55), <<une loi d'habilitation ordi-
naire ... qui, après avoir fixé les lignes de force des divers éléments
de la réglementation, confère au roi un pouvoir relativement
étendu, peut être qualifiée de 'loi-cadre'. Le fait que le roi puisse
être ainsi habilité à modifier ou à compléter les lois existantes n'est
pas incompatible avec la spécificité d'une loi d'habilitation >>. Les
arrêtés royaux accomplis dans ces conditions sont soumis, en vertu
de l'article 105 de la Constitution, à l'ensemble des contrôles de
constitutionnalité qui affectent les actes accomplis par l'autorité
déléguée.

922. ~ Ne convient-il pas de constitutionnaliser les techniques


de délégation? Procédant, le 4 novembre 1982, à l'installation du
Centre d'études pour la réforme de l'Etat, le ministre de la Justice
et des Réformes institutionnelles ne pouvait manquer de faire réfé-
rence à la pratique de la ye République. Il émettait, à cette occa-
sion, deux suggestions. L'une : <<Ne pourrait-on songer à définir
clairement les matières réservées à la loi et à conférer au roi les
matières résiduelles?>> L'autre : <<Ne pourrait-on également songer à
insérer dans la Constitution un mécanisme semblable à celui de la
législation par ordonnance, tel qu'il est prévu par l'article 38 de la
Constitution française ? >>
Ces suggestions posent problème sur un plan politique. N'intro-
duisent-elles pas un changement de régime? N'organisent-elles pas,
sans le dire, un régime présidentiel ?
Elles suscitent aussi des questions techniques. Comment délimiter
le domaine de la loi ? On ne saurait perdre de vue que, dans le sys-
tème juridique belge, les définitions qui seraient apportées en ce sec-
teur viendraient se surajouter à celles qui déterminent le domaine
du décret ... Comment résoudre les conflits de compétence? Si l'on
sait que la Constitution de la ye République a institué le Conseil
constitutionnel pour veiller au partage des attributions entre le pou-
voir législatif et le pouvoir exécutif, on mesure les difficultés que
780 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

peut engendrer l'absence de mécanismes de contrôle global de


constitutionnalité.

SECTION II. - LA FONCTION DE LÉGISLATION

923. - Lorsqu'elle s'exerce dans l'Etat fédéral, la fonction de


législation porte bien son nom. Il appartient au pouvoir législatif-
agissant collectivement- de faire la loi, au sens propre de l'expres-
sion (24).
Le pouvoir législatif fait la loi. L'expression peut paraître éminemment tauto-
logique. La Constitution exprime cette idée de la manière suivante : << Le pouvoir
législatif fédéral s'exerce collectivement par le roi, la Chambre des représentants
et le Sénat>) (art. 36).
Cette disposition a un mérite. Elle attire d'emblée l'attention sur une donnée
juridique essentielle. La loi fédérale n'est pas- il faudrait écrire : n'est plus-
le seul mode d'expression normative. Des lois fédérées- qualifiées de décrets ou
d'ordonnances - participent, à titre égal, à l'exercice de la même fonction.
La disposition a un autre mérite. Elle indique aussitôt quelles sont les auto-
rités publiques qui sont investies de la fonction législative au niveau fédéral. Par
la même occasion, elle exclut d'autres autorités de l'exercice de la même fonc-
tion. En particulier, le corps des citoyens n'est pas associé à la confection de la
loi. En clair, le référendum n'est pas organisé par la Constitution. Ni au niveau
législatif, ni ailleurs.
L'article 36 de la Constitution présente, cependant, un défaut. Il peut donner
à croire qu'au sein de l'Etat fédéral, le mode de confection de la loi est uniforme
et qu'il repose, en toutes circonstances, sur le principe de collégialité. Seule l'in-
tervention des trois autorités mentionnées dans cette disposition permettrait de
faire œuvre législative. Rien n'est moins vrai.
La loi fédérale se présente sous trois facettes : la loi monocamérale, la loi bica-
mérale intégrale et la loi bicamérale virtuelle. A l'occasion de la confection de
ces instruments, les trois autorités législatives ne sont pas associées à parts
égales. Elles ne sont pas non plus requises d'intervenir en toutes circonstances.
L'article 36 de la Constitution peut apparaître comme une disposition en
trompe-l'oeil. Elle est rédigée de manière simple, mais rend compte d'une réalité
complexe. Elle se situe sur le terrain de la définition des autorités qui sont appe-
lées à faire œuvre législative. Mais, pour leur part, les articles 74, 77 et 78 de
la Constitution entreprennent de distinguer le régime juridique d'élaboration des
lois en fonction des matières que celles-ci sont amenées à régler.

(24) <<La loi est la règle juridique élaborée par le pouvoir législatif... ». La définition qui peut
paraître tautologique a une explication matérielle - la loi est acte normatif parce qu'elle établit
des règles générales -- et une signification organique -- la loi se définit par son auteur - . Les
deux critères méritent d'être jumelés.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 781

Comment est aménagé l'exercice de pareille fonction? La Consti-


tution établit les trois phases d'élaboration de la loi fédérale.
Le premier temps est celui de l'initiative. Il rassemble les opéra-
tions qui ont pour objet de déclencher le processus législatif; dès cet
instant, des procédures sont mises en œuvre qui permettront le cas
échéant à une intention politique de se concrétiser en règle légis-
lative. Le deuxième temps, c'est celui de la discussion. Il appelle
débat, délibération, négociation sur l'ensemble des questions politi-
ques ou techniques que peuvent susciter les dispositions en projet.
Vient ensuite un troisième temps, celui de l'adoption de la loi. Il a
pour objet précis de faire naître des obligations juridiques, de créer
ou de supprimer des droits et des devoirs, bref de faire œuvre nova-
trice dans le domaine législatif.
Il paraît indiqué de suivre l'ordre chronologique pour rendre
compte du travail de lente maturation d'un texte qui est destiné à
devenir une loi fédérale.

§ pr. - L'initiative de la loi


924. - L'initiative législative s'entend comme le droit de proposer
à l'une des Chambres la modification ou l'abrogation d'un texte qui fait
partie des lois existantes ou de lui suggérer l'adoption d'une nouvelle.
Au-delà de la définition, plusieurs questions apparaissent. Qui
exerce pareille initiative? Quelles formes peut-elle prendre? Quelles
en sont les manifestations les plus caractéristiques?

A. - Le droit d'initiative
925. - Dans une société démocratique, le droit d'initiative
revient aux assemblées élues et, plus précisément, à leurs membres.
Ce principe est repris, non sans nuances, par la Constitution belge
qui proclame, dans son article 75, alinéa 1er, que ((le droit d'initia-
tive appartient à chacune des trois branches du pouvoir législatif~>.
Trois idées apparaissent ainsi.
- Chacun des membres de l'une et l'autre Chambres se voit
reconnaître le droit de déposer - sur le bureau de l'assemblée dont
il fait partie - le texte d'une proposition de loi. Rien n'interdit à
plusieurs parlementaires de se grouper pour contresigner ce docu-
ment mais, dans son principe, le droit d'initiative est un droit indi-
782 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

viduel (25). C'est aussi un droit absolu, puisqu'il peut porter sur
toute question qu'il appartient au législateur de régler (26). C'est un
droit illimité dans le temps - à tout le moins jusqu'au moment de
l'adoption de la nouvelle loi- dans la mesure où le droit d'amende-
ment (no 936) apparaît comme la forme secondaire ou comme
l'exercice différé du droit d'initiative.
- Les membres du gouvernement - qui ne sont pourtant pas par-
lementaires - disposent également du droit d'initiative. L'exercice
de ce droit peut être compris dans deux acceptions différentes. Les
uns y verront, dans l'esprit du régime parlementaire classique, une
initiative qui cesse sans doute d'être parlementaire mais qui reste
législative, tant par son objet que par ses auteurs, puisqu'elle est
l'œuvre de l'une des branches du pouvoir législatif; elle fournit une
illustration caractéristique du dédoublement des autorités et de la
compénétration des fonctions. D'autres y verront, dans une perspec-
tive plus contemporaine, l'habilitation donnée au gouvernement et
à ses membres de déclencher le processus législatif; l'idée est alors
de permettre à l'exécutif de traduire en termes de lois le programme
politique qu'il s'est assigné. Quoi qu'il en soit, l'article 75 de la
Constitution instaure le principe de l'initiative partagée. Ni les
ministres, ni les parlementaires ne détiennent le monopole de l'ini-
tiative législative.
- L'énumération procurée par la Constitution est limitative. Des
formes d'initiative populaire n'entrent pas dans les prévisions de
cette disposition (27).

(25) L'initiative individuelle peut apparaître comme une donnée élémentaire du droit parle-
mentaire. Elle est néanmoins tenue en échec dans d'antres Etats. Un député isolé n'y est pas
autorisé à prendre une initiative législative; seul un ensemble de parlementaires peut proposer
une modification de la loi. La justification de cette règle apparaît clairement. Il s'agit d'effectuer
un premier tri parmi les textes à prendre en considération. Avant de mobiliser l'attention des
chambres, un courant politique doit faire la preuve qu'il dispose d'un minimum d'appuis dans
l'enceinte parlementaire et donc - il faut le présumer - dans l'opinion publique. Telle est la
solution retenue au Bundestag. Cette règle traduit le souci de formaliser le jeu parlementaire
autour des groupes politiques constitués dans l'assemblée.
(26) Dans sa version initiale, l'article 75 de la Constitution précisait que «toute loi relative
aux recettes ou aux dépenses de l'Etat, ou au contingent de l'armée, doit d'abord être votée par
la Chambre des représentants>>. La législation a été modifiée en 1921 pour donner à la Chambre
des représentants et an Sénat un droit comparable d'initiative et d'examen.
(27) Le droit d'initiative n'est pas reconnu aux citoyens. Il ne l'est pas non plus à des conseils
consultatifs en matière économique et sociale. Sur le droit de quasi-initiative reconnu à des
conseils collatéraux, tel le Conseil national du travail (loi du 29 mai 1952, art. 1'''), voy. Ann.
Par!., Chambre, 8 février 1956. Il s'agit d'un simple droit de pétition. Il n'y a pas à proprement
parler saisine des chambres législatives.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 783

B. - Les formes de l'initiative


926. - Lorsque l'initiative émane d'un ou plusieurs parlemen-
taires, elle prend la forme d'une proposition de loi. Celle-ci est remise
au président de l'assemblée à laquelle appartient l'auteur de la pro-
position. Elle est rédigée dans la langue qu'il choisit et est traduite
éventuellement par les soins du bureau (loi du 31 mai 1962, art. 2,
al. 2).
Un premier contrôle est établi à ce moment. Il appartient au pré-
sident de l'assemblée d'apprécier si la proposition qui vient d'être
introduite peut être <<imprimée et distribuée avec ses développe-
ments >>. Ce qui est la règle commune. Mais, à supposer que son avis
soit négatif, la proposition est transmise à la conférence des prési-
dents qui peut revenir sur la première appréciation et décider de
faire procéder à la distribution de la proposition.
Un second contrôle est instauré. Il revient, en effet, à l'auteur de
la proposition de demander son inscription à l'ordre du jour. A cette
occasion, une première discussion publique est ouverte. Elle porte
sur la prise en considération de la proposition. Il appartient à ce
moment à l'assemblée de se demander si le texte en projet qui lui
est soumis n'est pas manifestement inconstitutionnel (28), s'il ne
cherche pas à perturber indûment les travaux législatifs, voire
même - en des moments délicats de la vie politique - s'il est justi-
fié au fond (29). A supposer qu'une proposition ne soit pas prise en
considération, elle ne pourra être réintroduite au cours de la même
session.
927. - Lorsque l'initiative émane du roi- ou du gouvernement
fédéral, comme dit l'article 2, alinéa 1er de la loi du 31 mai 1962-,
elle se traduit dans un projet de loi. Celui-ci prend la forme d'un
arrêté royal contresigné par un ou plusieurs ministres. Il est rédigé
en français et en néerlandais et déposé sur le bureau de la Chambre
des représentants (art. 75, al. 2). Telle est l'innovation majeure
depuis 1993 : <<les projets de loi soumis aux Chambres à l'initiative

(28) La Chambre des représentants a refusé en 1946 et en 1947 de prendre en considération


des propositions de déclaration de révision constitutionnelle; l'article 197 de la Constitution pro-
hibait, en effet, pareilles modifications pendant la régence.
(29) En général, la prise en considération est votée par courtoisie, sans débat et sans vote.
Voy. cependant, le rejet par la Chambre des propositions VAN DEN DAELE le 26 novembre 1957,
VERROKEN le 28 juin 1966, CoPPIETERS le Il mai 1967, VAN DER ELST le 23 janvier 1969 et
GALLE le 19 janvier 1984.
784 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

du roi, sont déposés à la Chambre des représentants. Ils ne sont


transmis au Sénat qu'après avoir été adoptés par la Chambre des
représentants >>. Le projet est immédiatement imprimé ainsi que son
exposé des motifs et l'avis du Conseil d'Etat. Il est ensuite distribué
aux membres de l'assemblée saisie.
Une question ne peut, à ce propos, être éludée. Comment le gou-
vernement procède-t-il à la confection des projets dont il entend sai-
sir une assemblée parlementaire?
Quelques principes peuvent être dégagés.
- L'avant-projet de loi est, en principe, préparé par les services
d'un département ministériel, selon les instructions du ministre
concerné (30). Souvent, il le sera par les membres d'un cabinet
ministériel ou, comme le note J. VELU,<< par des centres d'études de
partis politiques>> (31), voire même, dans certains cas, par des
bureaux d'avocats. A cette occasion, les rédacteurs du projet subis-
sent aussi l'influence des milieux les plus divers - politiques, écono-
miques, sociaux ou culturels - . Les démarches que le ministre
accomplit à ce moment ou qu'il refuse d'accomplir sont à sa seule
discrétion.
- Le texte ainsi préparé est, en raison d'une circulaire du
28 novembre 1985 qui énonce des <<instructions pratiques>> sur le
fonctionnement du conseil des ministres, soumis à ce collège. L'ex-
plication est claire : le projet est susceptible d'engager la responsa-
bilité du gouvernement tout entier; il doit, au préalable, être soumis
à délibération collégiale.
- D'autres consultations doivent être sollicitées. Des textes par-
ticuliers les prescrivent (32).
928. - L'une des formalités prescrites pour la rédaction d'un
projet de loi mérite de retenir l'attention. Aux termes de l'article 3

(30) L'article 6 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat permet au Premier ministre de
confier à la section de législation du Conseil d'Etat la rédaction d'un avant-projet de loi dont
il détermine alors <<la matière et l'objet''· Cette faculté n'est guère utilisée. Voy. cependant, la
rédaction de l'article 6 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Sur ce
thème, voy. P. DR VISSCHER et Y. LEJEUNE, <<La prévention des conflits de compétence •>,
A.P.T., 1979-1980, p. 805.
(31) J. VELU, op. cit., t. I"', p. 654.
(32) Ainsi, pour prendre l'exemple le mieux connu, les dispositions légales qui concernent les
agents de l'Etat ne sauraient être modifiées sans avoir été soumises à la procédure de négociation
qu'organisent la loi du 19 décembre 1974 --en particulier, l'article 2, § 2, modifié par la loi du
19 juillet 1983 ---Voy., à ce sujet, Le nouveau statut syndical du personnel dans le secteur public,
Bruxelles, Jnbel, 1985.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 785

des lois coordonnées qui instituent le Conseil d'Etat, <<les ministres


soumettent à l'avis motivé de la section de législation le texte de tout
avant-projet de loi ... L'avis est annexé à l'exposé des motifs des
projets de loi ... >>.
Il n'y a pas lieu d'examiner ici dans le détail les problèmes de
procédure que soulève la mise en œuvre de pareille disposition (33).
Il faut néanmoins souligner le rôle spécifique que le Conseil d'Etat
est amené à remplir en ce qui concerne les initiatives gouvernemen-
tales. La section de législation apparaît. ici comme le conseiller juri-
dique du gouvernement dans l'exercice de la fonction législative.
Il va sans dire que le Conseil d'Etat n'est pas chargé d'exercer un
contrôle d'opportunité sur les avant-projets qui lui sont soumis.
Selon l'expression consacrée, encore qu'équivoque, il n'a pas à
connaître du << fond >> de l'affaire. L'examen auquel il procède porte
sur la forme du texte et surtout sur sa validité juridique.
L'examen de la forme porte essentiellement sur la terminologie
utilisée - tel concept est-il employé à bon escient, les mêmes mots
ne servent-ils pas à désigner des réalités différentes, la rédaction du
texte rend-elle compte de l'enchaînement des idées à développer?
Voy., par exemple, la prescription no 5 du Traité de légistique for-
melle de Christian LAMBOTTE : << Lorsque dans un texte déterminé,
l'on désire utiliser des termes dans une acception autre que leur
acception usuelle ou légale, il importe d'indiquer - par la voie
d'une définition ou autrement - le sens qu'il y a lieu de donner à
ces termes dans ce texte. Il importe toutefois de ne pas donner aux
termes un sens différent de celui qu'un usage constant a consacré>>.
L'examen porte également sur la présentation du texte- l'intitulé,
le dispositif, l'abrogatoire, les dispositions transitoires ... - . La cir-

(33) Les règles de procédure peuvent être résumées comme suit. Tout avant-projet de loi doit
être soumis à l'avis motivé de la section de législation. Il l'est par le ministre dont il émane.
L'obligation de consulter la section de législation n'existe pas lorsqu'il s'agit d'un projet de loi
au sens formel du terme : Je budget, les comptes, les emprunts, les opérations domaniales, le
contingent de l'armée (lois coord., art. 3, § 1''"). L'obligation n'existe pas non plus dans le cas
d'urgence spécialement motivé. Dans cette hypothèse. l'avis est néanmoins requi•; il porte sur le
point de savoir si l'avant-projet respecte le partage des compétences entre l'Etat fédéral, les com-
munautés et les régions. L'affaire est, en principe, traitée par les chambres réunies de la section
de législation (lois coord., art. 85bis). L'avis motivé est joint au projet. Il ne lie pas le législateur
(sauf dans l'hypothèse et dans la mesure prévues par l'art. 3, § 3, des lois coordonnées). Sur l'en-
semble de ces questions. voy. F.M. RÉMION et M. SoMERHA!JSEN, Le Conseil d'Etat, Les Novelles,
t. VL Bruxelles, Larcier, 1975, n" 418 s.; F. P~RIN, <<Le contrôle de la constitutionnalité des
avant-projets et propositions de loi par la section de législation du Conseil d'Etat». J. T., 1951.
p. 329.
786 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

culaire de légistique formelle est publiée sur le site http:jjraadvst-


consetat-fgov.bej.
Le contrôle de la validité juridique amène, par contre, le Conseil
d'Etat à procéder à des analyses qui ne restent pas à la surface de
l'avant-projet soumis à son examen. Il s'agit d'assurer le contrôle de
la régularité interne. Pour ce faire, la section de législation se pose
d'ordinaire plusieurs questions.
- Le texte proposé reproduit-il adéquatement les préoccupations
de son auteur? Si tel n'est pas le cas, le Conseil d'Etat fait des pro-
positions concrètes et conçoit un texte qui réponde mieux à l'exposé
des motifs. A la limite, il rédige un texte selon les instructions du
gouvernement qui en détermine <<la matière et l'objet}) (lois coord.,
art. 6) (34).
- Appartient-il à l'autorité qui a pris l'initiative de rédiger
l'avant-projet d'intervenir en ce domaine? Le Conseil d'Etat est
attentif, en particulier, aux modes de répartition des attributions
entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif. Il veille aussi aux formes
de partage des responsabilités entre l'Etat fédéral et les autres col-
lectivités politiques. A cet égard, il exerce un contrôle préventif de
la constitutionnalité des lois.
- Le texte présente-t-il une utilité juridique? Contient-il des
prescriptions obligatoires? Ne se contente-t-il pas de reproduire,
sous une autre forme, un texte dont les dispositions font déjà partie
de l'ordre juridique? A-t-il tenu compte de prescriptions similaires
ou contradictoires sur les mêmes sujets?
- Le texte respecte-t-il les règles qui ont une autorité supérieure
à la sienne? En particulier, l'avant-projet de loi soumis à l'examen
du Conseil d'Etat respecte-t-il l'ensemble des prescriptions de la
Constitution?

C. - L'initiative, en pratique
929. - Les statistiques les plus récentes - tant en Belgique
qu'à l'étranger - indiquent que l'initiative parlementaire ne re pré-

(34) En vertu de la loi du 13 juin 1961 relative à la coordination et à la codification des lois,
le Conseil d'Etat peut également être habilité à coordonner ou à codifier la législation existante.
Le ministre qui a l'administration générale dans ses attributions doit confier ce travail an bureau
de coordination du Conseil d'Etat; le projet est ensuite soumis, pour avis, à la section de légis-
lation. Les textes coordonnés ou codifiés sont promulgués et publiés sous la forme d'arrêtés
royaux.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 787

sente qu'une part réduite - souvent moins de 10 % - des initia-


tives législatives (35). Lorsqu'elle voit le jour, elle est souvent vouée
à l'échec; elle ne va pas jusqu'à son terme et n'est donc pas en
mesure de modifier les règles de droit en vigueur. Comment expli-
quer cette situation qui amène à constater << le déclin des Parle-
ments >>? Deux raisons sont avancées.
L'une est de caractère technique. La complexité de l'œuvre légis-
lative exige du parlementaire des qualités exceptionnelles. Il doit
non seulement être doué du sens de l'imagination qui lui permette
d'inventer les solutions que requièrent les difficultés suscitées par la
vie sociale. Il doit aussi posséder des connaissances dans des
domaines aussi divers que l'économie, le droit, les sciences ou les
relations internationales pour traduire ses intentions dans des pro-
jets réalistes. Le parlementaire apparaît souvent comme un homme
seul. Il est mal armé pour affronter, même avec l'aide de son parti,
les difficultés techniques que soulève l'élaboration correcte de la loi.
L'autre cause est plus politique. La lutte d'influence que se
livrent les parlementaires et le gouvernement a perdu sa raison
d'être. Un autre débat s'ouvre. Il met face à face une majorité (qui
se. trouve tant au gouvernement que dans une partie des chambres)
et l'opposition (qui ne peut s'exprimer qu'au sein des assemblées).
Les initiatives parlementaires, lorsqu'elles émanent de membres de
la majorité, ne seront acceptées ou tolérées par le gouvernement que
si elles s'inscrivent dans le dessein majoritaire (G. BURDEAU). Lors-
qu' elles émanent de parlementaires de l'opposition, elles ont peu de
chance de franchir le cap du débat en commission ou en séance
publique.
En d'autres termes, le gouvernement, responsable des tâches
d'orientation de la société politique, ne peut se désintéresser de
l'exercice de l'initiative législative. Il en assume la plus grande part.
Il en contrôle, aussi étroitement que possible, le reste.
930. - L'initiative gouvernementale est réservée à la Chambre
des représentants. Les projets de loi ne sont transmis au Sénat
qu'après avoir été adoptés par celle-ci.
La règle de priorité qui est énoncée connaît deux exceptions.

(35) Voy. La réforme du travail parlementaire, mémoire ISCL, 1982-1983. Adde :


M. JENNAR,
E. W. VAN SCHOOR et V. MEEUSEN, «De effectiviteit van wetsvoorstellen en amende-
CLIJSTERS,
menten als parlementair wetgevend initiatief>>, Res publica, 1980, n"" 1-2, p. 189.
- ----------------.

788 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

La première concerne les projets de loi portant assentiment aux


traités internationaux. Ils sont d'abord déposés au Sénat, puis à
supposer qu'ils aient été adoptés, transmis à la Chambre des repré-
sentants. Il s'agit d'une exception mineure, puisqu'en l'occurrence,
il s'agit d'un projet de loi formelle que l'assemblée ne peut qu'ap-
prouver ou refuser, sans être en mesure de l'amender (art. 75, al. 3).
La deuxième exception a trait à un ensemble de textes qui requiè-
rent pour leur adoption une double délibération. Peu importe que
les projets de loi bicamérale soient introduits devant l'une ou l'autre
assemblée. Ces textes sont cités à l'article 77 de la Constitution. La
liste adoptée est limitative mais hétéroclite.
Il s'agit des lois spéciales - et on n'a pas manqué de souligner
à ce sujet la parenté entre l'adoption d'une loi spéciale et la révision
d'un texte constitutionnel (art. 77, al. P', P et 4°).
Il s'agit également d'une législation relative au Conseil d'Etat -
pour tenir compte de la fonction de contrôle préventif de la consti-
tutionnalité des lois, des décrets, des ordonnances qui revient à
cette institution- (art. 77, al. 1er, 8°). Dans le même ordre d'idées,
il est fait référence à la loi sur l'organisation des cours et tribunaux
(art. 77, al. 1er, 9°).
Il s'agit encore d'un ensemble de lois dont la Constitution
requiert l'adoption pour la mise en œuvre de ses dispositions
(art. 77, al. pr, 3°). Le texte renvoie aux lois spéciales déjà visées
au 4 o. Il est fait aussi référence à d'autres lois, celles qui sont visées
aux articles 5, 39, 43, 50, 68, 71, 77, 82, 115, 117, 118, 121, 123, 127
à 131, 135 à 137, 140 à 143, 145, 146, 163, 165, 166, 167, §1er, ali-
néa 3, § 4 et § 5, 169, 170, § 2, alinéa 2, § 3, alinéas 2 et 3, § 4, ali-
néa 2, et 175 à 177, ainsi que les lois prises en exécution des lois et
articles susvisés.
Dans tous ces cas, la Chambre des représentants et le Sénat sont
placés, comme le dit la Constitution, <<sur un pied d'égalité)).

§ 2. - La discussion de la loi
931. - L'initiative législative marque le début du processus
d'élaboration de la loi. Elle a un effet précis : elle saisit une assem-
blée (36) d'un texte qui est en mesure de devenir une loi.

(36) Une question importante et controversée surgit ici. Une fois l'assemblée saisie d'un pro-
jet, celui-ci peut-il encore être retiré? Lorsqu'il s'agit d'un projet de loi, observe J. VELU, <<on
L'EXERCICE DES FONCTIONS 789

La proposition ou le projet est soumis à discussion. Tant il est


vrai que le débat parlementaire est de l'essence du régime représen-
tatif. Il convient que des opinions diversifiées puissent s'exprimer
lors de la confection de la loi. Pour qu'un débat de qualité se déve-
loppe à cette occasion, il faut que l'assemblée dispose de moyens
humains suffisants et qu'elle puisse compter tout à la fois sur le
concours de généralistes aptes à se prononcer sur les grands choix
de société et de spécialistes aptes à apprécier les mérites et les
défauts des législations particulières que requiert le développement
des interventions de l'Etat. Il faut aussi qu'elle bénéficie de l'aide
que peuvent lui procurer des services d'études ou des institutions de
contrôle. Il faut, au besoin, qu'elle mette en œuvre les prérogatives
que lui confère, par exemple, l'article 56 de la Constitution pour
s'informer ~ y compris par enquête ~ dans les domaines à propos
desquels elle est invitée à légiférer.
Ces conditions nécessaires ne sont, cependant, pas suffisantes. Un
débat argumenté s'organise, à peine d'emprunter les modes de fonc-
tionnement de l'<< assemblée libre •>. C'est dire qu'il se prépare, spé-
cialement au sein des commissions parlementaires (no 932), qu'il se
programme ~ en tenant compte de la détermination de l'ordre du
jour (no 933) ~et qu'il se déroule dans le respect de quelques prin-
cipes que la Constitution définit dans ses articles 53 à 55 et 75 à 83
(n° 8 934 s.).
Une question essentielle apparaît ici : comment concilier, dans
l'organisation du débat parlementaire, les prérogatives de l'assem-
blée et les responsabilités du gouvernement ?

A. ~ La préparation du débat
932. ~ Le débat parlementaire se prépare dans les commissions
permanentes (sur l'organisation et le nombre de celles-ci, voy.
no 537). De sorte que l'assemblée plénière n'est appelée à s'exprimer
que sur un projet qui a déjà fait l'objet de délibérations préalables.
Encore convient-il d'indiquer les missions précises qui reviennent
aux commissions parlementaires.

admet maintenant que le gouvernement peut le retirer aussi longtemps qu'il n'a pas été adopté
par les deux chambres» (op. cit., p. 658). S'agissant d'une proposition de loi, des textes particu-
liers règlent la matière : le parlementaire qui a fait une proposition peut, quoique la discussion
soit ouverte, la retirer, pour autant qu'elle n'ait pas été adoptée par une chambre; mais<< si un
autre membre la reprend, la discussion continue» (Règl. Ch., art. 67; Règl. Sén., art. 51).
790 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

Dans une perspective minimaliste, qui se réclame du modèle bri-


tannique, ce rôle est restreint. La commission parlementaire ne met
pas en œuvre des compétences autonomes. Elle fait plus œuvre
technique que politique. Elle s'attache à mettre en forme législative
l'idée politique qui s'est exprimée. Elle se livre à un examen minu-
tieux de la proposition qui a été formulée, mais n'entend pas en
contester le bien-fondé.
Dans une perspective maximaliste, qui s'inspire du système italien,
le rôle des commissions délibérantes est, au contraire, amplifié. L'as-
semblée est dépossédée, au moins partiellement, de ses prérogatives.
La commission peut se voir confier non seulement l'examen des pro-
jets de loi, mais aussi leur adoption définitive.
Le droit parlementaire belge s'inscrit, pour sa part, dans une
perspective moyenne. Le travail législatif de l'assemblée est, en prin-
cipe, préparé en commission. Tout projet ou proposition fait l'objet
d'une mesure de << renvoi >> en commission permanente. Il appartient
à celle-ci de procéder à une première discussion, tant des aspects
politiques que des particularités techniques du projet (37).
Une précision importante est apportée par les règlements d'as-
semblée (Règl. Ch., art. 17 et 74; Règl. Sén., art. 45). Ils établissent
un ordre dans la discussion : les budgets et les projets de loi sont
examinés par priorité; les propositions peuvent être jointes, à la
demande de leur auteur, à la discussion des projets de loi, pourvu
que leur objet soit identique; vient ensuite l'examen des autres pro-
positions.

B. - L'organisation du débat
933. - Entre la phase de préparation et celle de la discussion
publique se situe un moment important. Il marque la fixation de
l'ordre des travaux. Comme le précise le règlement de la Chambre des
représentants, <<le président soumet pour ratification à la Chambre
l'ordre des travaux des séances plénières établi après avoir recueilli
l'avis de la conférence des présidents >> (art. 28quater, al. pr).
L'établissement de l'ordre des travaux représente plus qu'une for-
malité. Une assemblée parlementaire est saisie d'un ensemble de

(37) A. VANWELKENHUYZEN et C. CoURTOY, «Les commissions permanentes du Parlement


belge», Rapports belges au X' Congrès international de droit comparé, Bruxelles, 1978, p. 462; M.-
A. PIERSON, ''Le rôle des commissions dans le travail parlementaire», Res publica, 1980, p. 123.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 791

dossiers, de projets, de motions. Elle doit faire un choix. Les options


qu'elle fait à ce moment sont décisives. Le droit d'initiative ne
devient effectif que dans la mesure où l'inscription à l'ordre du jour
concrétise la démarche première.
Une règle prévaut en la matière. L'assemblée est maîtresse de ses
travaux et donc de son ordre du jour. C'est elle ou un organe consti-
tué en son sein qui va prescrire le programme des discussions. L'in-
tervention de la conférence des présidents - à laquelle peut assister
le Premier ministre ou l'un de ses délégués - ménage les différents
intérêts en cause : l'autonomie de l'assemblée, mais aussi les préoc-
cupations de l'équipe ministérielle (38).

C. -Le développement du débat


934. - Le débat parlementaire se développe. Le texte soumis à
discussion fait l'objet d'un seul examen- soit d'une seule lecture-
en séance plénière (39).

(38) Pour sa part, la Constitution française (art. 48) établit que l'ordre du jour des assemblées
comporte, par priorité et dans l'ordre que le gouvernement fixe, la discussion des projets de loi
déposés par le gouvernement et des propositions de loi acceptées par lui. La conférence des prési-
dents prend acte de la liste des projets arrêtés par le gouvernement; elle les inscrit, sans discus-
sion ni modification, à l'ordre du jour.
(39) La lecture unique est la lecture de l'assemblée elle-même.
Dans d'autres Etats, deux lectures sont organisées. Un premier débat s'ouvre sur les principes
généraux du projet. Le texte est alors envoyé en commission. Un second débat se développe
après l'examen en commission; il porte sur les dispositions du texte et sur les propositions de la
commission.
D'autres Etats encore pratiquent le système des trois lectures, comme par exemple la Républi-
que fédérale d'Allemagne. Une première lecture amène à débattre des principes généraux du pro-
jet. Celui-ci est ensuite envoyé en commission. La seconde lecture se donne pour objet de discuter
du projet tel qu'il sort, éventuellement amendé, de la commission; une délibération article par
article est notamment organisée. C'est également à ce moment que les amendements peuvent être
apportés au texte en débat. Une troisième lecture va se situer immédiatement après. Elle porte
sur l'ensemble du texte qui est soumis aux délibérations de l'assemblée. La troisième lecture
consiste donc en un débat général sur les options du projet; il n'y a plus place ici pour des amen-
dements. Elle se conclut par le vote final.
En droit britannique, également, trois lectures sont organisées. Mais elles se conçoivent diffé-
remment. La première lecture est de pure forme et correspond au dépôt du texte. La deuxième
lecture représente la phase principale de la discussion les lignes du projet sont déterminées
avant l'intervention des commissions. C'est à ce moment, notamment, que le ministre, auteur du
projet, développe les arguments essentiels en faveur du bill; il expose l'objet des mesures propo-
sées, il en montre la nécessité. De son côté, le leader de l'opposition ou d'autres orateurs prennent
la parole pour contester ou, au contraire, appuyer le projet. A ce stade, le bill est discuté comme
un tout. Il est hors de question de développer des amendements au projet. Ou, plus exactement,
comme le souligne la doctrine britannique, les amendements n'affectent pas le projet mais affec-
tent la motion qui clôt la seconde lecture. Un parlementaire suggérera, par exemple, que le débat
soit remis de plusieurs mois. Si le bill passe l'étape de la seconde lecture, il faut accepter l'idée
que ses principes fondamentaux ont été acceptés et que les modifications qui pourraient interve-
nir en commission ne porteront plus que sur des détails. La troisième lecture intervient après
792 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

La discussion s'ouvre par la présentation du rapport de la com-


mission qui a été saisie du projet (40). Le rapporteur rend compte
des débats en commission. Il revient alors aux orateurs inscrits de
prendre la parole. Un schéma simple permet d'organiser les débats :
la discussion générale porte sur les traits généraux, les principes, les
conceptions du projet qui est en discussion; l'examen des articles et
des amendements qui s'y rapportent peut ensuite avoir lieu; enfin,
il y a place pour les votes.
935. - En cours de discussion, le président d'une assemblée par-
lementaire peut demander l'avis de la section de législation du
Conseil d'Etat sur les dispositions d'un projet ou d'une proposition
de loi ainsi que sur celles d'amendements (lois coord., art. 2,
§1er) (41).
Il doit solliciter cet avis à la demande d'un tiers des membres de
son assemblée ou à la requête de la majorité des membres d'un des
groupes linguistiques constitués dans cette assemblée (lois coord.,
art. 2, §§ 2 et 3).
936. - Une assemblée parlementaire a le droit de débattre des
textes qui lui sont soumis. Elle a surtout le droit de les amender.
C'est ce qu'affirme l'article 76 de la Constitution.
Le droit d'amendement apparaît comme le prolongement du droit
d'initiative. Si j'ai le droit de déposer une proposition nouvelle de
loi, je suis également habilité à en suggérer une modification par-
tielle (42). Le droit d'amendement est aussi l'accessoire du droit de
parole. Si je puis discuter verbalement des mérites ou des défauts
d'un texte, je dois également être en mesure de matérialiser ces
préoccupations critiques dans un écrit. Une observation de méthode
rejoint ces considérations de principe. Si j'entends corriger un texte

l'examen en commission et après le rapport (A.H. HANSON et H.V. WISEMAN, Parliament at work.
A case-book of parliamentary procedure, London, Stevens, p. 121).
(40) Le rapport de la commission contient, outre l'analyse des délibérations sur les divers
articles, des conclusions motivées tendant à l'adoption, au rejet ou à l'amendement du projet ou
de la proposition (Règl. Ch., art. 18, al. 4).
(41) Voy. J. DEMBOUR, «Consultation de la section de législation du Conseil d'Etat par le pré·
sident de l'une des deux chambres législatives», Ann. Fac. dr. Lg., 1957, p. 149.
(42) Selon J. VELV, le droit gouvernemental d'amendement aurait un fondement distinct. Il
trouverait sa base dans l'article lOO de la Constitution, qui reconnaît aux ministres Je droit d'en-
trer et d'être entendus dans chacune des chambres. «ce qui implique le droit d'y présenter des
amendements aux propositions et projets de loi qui y sont discutés>> (op. cit., p. 671). La
construction peut paraître exagérément compliquée d'autant plus que l'article 100 de la Constitu-
tion semble mieux s'inscrire dans le prolongement des tâches du contrôle politique que dans celui
des fonctions de législation.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 793

de loi en projet, le mieux est sans doute de suggérer des modifica-


tions sur des points précis du projet. D'où cette prescription régle-
mentaire : les amendements << doivent s'appliquer effectivement à
l'objet précis ou à l'article du projet ou de la proposition qu'ils ten-
dent à modifier f>, ils doivent être <<formulés par écrit f) (Règl. Ch.,
art. 69, al. 1er, lbis, lter et 2).
L'article 76 de la Constitution confère aux parlementaires comme
au pouvoir exécutif un droit absolu d'amendement. Il ne l'assortit
pas de conditions de fond (43) ou de procédure (44). Il n'empêche.
Pour des raisons politiques, un gouvernement peut être tenté d'an-
noncer qu'il ne << tolérera f) pas d'amendement au projet qu'il a
déposé dans une matière déterminée. La déclaration n'a pas de por-
tée juridique. Elle vise seulement à resouder une majorité parlemen-
taire vacillante et à lui faire comprendre que l'exercice sauvage du
droit d'amendement pourrait être interprété comme une manifesta-
tion de méfiance et entraîner le retrait de l'équipe ministérielle.
Le droit d'amendement connaît, semble-t-il, aujourd'hui un
regain de faveur. Deux évolutions méritent d'être soulignées à ce
propos. D'une part, des parlementaires, frustrés dans l'exercice du
droit d'initiative, cherchent à utiliser la procédure d'amendement
pour améliorer les textes, lorsqu'ils sont dans la majorité, ou pour
paralyser autant que faire se peut la procédure parlementaire, s'ils
appartiennent à l'opposition. D'autre part, l'exercice du droit
d'amendement peut être l'occasion de mobiliser l'opinion publique
à travers les médias. L'amendement devient un instrument d'éduca-
tion politique.
937. - <<Les Chambres ont le droit ... de diviser les articles et les
amendements proposés f) (Const., art. 76).

(43) En droit français, un amendement formulé par un parlementaire est irrecevable si son
adoption a pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création et
l'aggravation d'une charge publique. Ce principe est encore accentué en ce qui concerne l'amen-
dement aux lois de finances : il ne peut être présenté, sauf s'il s'attache à supprimer ou à réduire
effectivement une dépense, à créer ou à accroître une recette ou à assurer le contrôle des dépenses
publiques.
(44) Même recevables, les amendements parlementaires sont strictement contrôlés en France.
D'une part, le gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'aurait pas été
soumis à la commission compétente; d'autre part, si le gouvernement le demande, l'assemblée
saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, en ne retenant que
les seuls amendements proposés ou acceptés par le gouvernement, selon la procédure dite du vote
bloqué.
794 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

La faculté qui est ainsi reconnue aux parlementaires comme aux


membres du gouvernement peut être exercée dans une préoccupa-
tion technique. Puisque la discussion et le vote ont lieu << article par
article )), la division d'une disposition cherche à clarifier le débat en
refusant l'amalgame de textes qui se donnent des objets distincts :
en ce sens, le règlement du Sénat prévoit que << si un texte traite de
plusieurs questions la division est de droit)) (art. 45, al. l er; voy.
aussi Règl. Ch., art. 4 7).
La division peut aussi s'opérer dans une préoccupation plus poli-
tique. Confrontée à un texte controversé, une partie de l'assemblée
peut suggérer de recourir aux techniques de l'article 76 de la Consti-
tution pour dissocier le vote sur les questions qui ne prêtent pas à
contestation de celui qui porte sur des dispositions plus disputées.
938. - La discussion en séance publique se développe en deux
temps distincts.
Il y a place, d'abord, pour une discussion générale. Celle-ci porte
sur les principes du projet de loi débattu, sur ses orientations et sur
ses tendances générales; si besoin en est, l'opportunité même de
pareille législation est contestée. C'est l'ensemble de la loi proposée
qui est ainsi soumis à débat public. Cette discussion, dont la procé-
dure est fixée par les règlements, se termine sans vote.
Une discussion et un vote (45), article par article, lui succèdent.
Dans l'ordre de présentation des articles, il est procédé à un débat
sur leurs dispositions et sur les amendements qui s'y rapportent. En
principe, l'économie générale de la loi n'est plus mise en cause à
l'occasion de cette discussion. Il se peut, cependant, que le refus
d'adopter une disposition particulière compromette l'équilibre géné-
ral du projet et, de ce fait, rende vains les débats ultérieurs (46).
939. - A l'occasion de la discussion parlementaire, soit <<après
le dépôt du rapport et avant le vote final en séance publique )), un
conflit peut opposer les deux groupes linguistiques constitués au
sein de l'assemblée. S'il ne se résout pas à la faveur de négociations

(45) La discussion de chaque article est, en principe, suivie de son vote. Mais, comme le note
J. VELU (op cit., t. I"', p. 678), «lorsqu'un article soulève des difficultés, il est quelquefois
'réservé' et le vote des articles 'à problèmes' se fait après l'adoption d'autres ». La disposition
de l'article 76 relative au vote des lois, article par article, peut être aisément éludée. C'est ainsi
que la loi du lO octobre 1967 «contenant» le Code judiciaire, qui figure sous l'article l ., de cette
loi, compte 1.675 articles.
(46) Chroniques de crise ... , p. 95.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 795

ou de discussions de couloir, l'un des groupes peut être tenté d'utili-


ser ce qu'il est convenu d'appeler <~la sonnette d'alarme>> (Const.,
art. 54). Cette technique est destinée à protéger chacune des com-
munautés (en fait, la Communauté française) contre l'adoption de
lois qui seraient imposées par les porte-parole de l'autre corn mu-
nauté. Elle requiert le dépôt d'une motion motivée sigriée par les
trois quarts au moins des membres d'un groupe linguistique et affir-
mant que les dispositions d'un projet ou d'une proposition <~sont de
nature à porter gravement atteinte aux relations entre les commu-
nautés >>. Dans ce cas, <~ la procédure parlementaire est suspendue >>.
La motion est déférée au conseil des ministres qui, dans les trente
jours, donne un avis motivé sur la motion et invite l'assemblée sai-
sie à se prononcer soit sur cet avis, soit sur le projet ou la proposi-
tion éventuellement amendés.
Pour éviter le recours abusif à la sonnette d'alarme, l'article 54
prévoit que la procédure ne peut être utilisée lors de la prise en
considération ou à l'occasion des débats en commission, qu'elle ne
peut être appliquée qu'une seule fois par les membres d'un groupe
linguistique à l'égard du même projet ou d'une même proposition et
qu'elle ne vaut ni pour les budgets, ni pour les projets ou proposi-
tions de loi spéciale, ni non plus pour les <~ résolutions >> des
chambres (47).

§ 3. - L'adoption de la loi
940. - Le débat parlementaire achevé, il convient de conclure.
La loi doit-elle être adoptée? Et dans quels termes? Plusieurs ques-
tions apparaissent ici. Comment l'assemblée se décide-t-elle à agir?
Comment l'autre chambre est-elle amenée à se prononcer? Corn-
ment la troisième branche du pouvoir législatif intervient-elle?
Comment parachever l'œuvre accomplie par des opérations qui
attestent notamment de la régularité de la procédure suivie?
941. - Dans une société démocratique, l'assemblée élue se pro-
nonce par un vote, c'est-à-dire par un acte qui, sur la question
débattue, permet de dégager une majorité dont l'opinion l'emporte
sur celle de la minorité. Telle est la logique du système représentatif
L'assemblée délibérante ne cherche pas à obtenir l'unanimité de ses

(47) Sur le recours au mécanisme de la'' sonnette d'alarme», le 14 juillet 1985, voy. <<Une
crise en trois temps>>, J. T., 1986, p. ll7.
796 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

membres. Elle ne tente pas de dégager un consensus au sein de l'hé-


micycle parlementaire. << On se compte >>.
Encore faut-il préciser de quelle majorité il doit s'agir et comment
la calculer. Sur l'ensemble de cette question, voy. nos 543 à 546.
Pour rappel, l'article 53 de la Constitution précise que << toute réso-
lution est prise à la majorité absolue des suffrages ... >>, qu'<< en cas de
partage de voix, la proposition mise en délibération est rejetée>> et
qu'<< aucune des deux chambres ne peut prendre de résolution qu'au-
tant que la majorité de ses membres se trouve réunie>>.
Les décisions des assemblées sont prises ouvertement. Les votes
vont donc se dérouler au vu des personnes qui assistent à la séance
et qui pourront se rendre compte de la manière dont se prononcent
les parlementaires. En ce sens, le scrutin public est celui qui permet
de contrôler l'identité de chaque parlementaire, de vérifier la
manière dont ils s'expriment et d'en assurer la publication dans les
comptes rendus officiels.
Sur les modes de publicité des scrutins, voy. no 549. Pour rappel,
<<sur l'ensemble des lois, il est toujours voté par appel nominal>>
(Const., art. 55).

A. - Les types de loi

942. - Selon l'article 36 de la Constitution, le pouvoir législatif


fédéral s'exerce collectivement par le roi, la Chambre des représen-
tants et le Sénat. Cette disposition est conçue selon la technique de
la peinture en trompe-l'oeil. Le principe de collégialité qui y est ins-
crit connaît, en effet, d'importants tempéraments.

943. - Il y a place, au niveau fédéral, pour des lois monocamé-


rales. L'article 74 de la Constitution renonce au principe du bicamé-
ralisme. Il institue des lois qui ne font l'objet que d'une seule délibé-
ration, celle de la Chambre des représentants. Dans quatre cas, le
pouvoir législatif s'exerce <<collectivement par le roi et la Chambre
des représentants >> seuls. Deux branches du pouvoir législatif sont
habilitées à agir, à l'exclusion de toute intervention sénatoriale.
Les matières concernées touchent à l'octroi des naturalisations,
aux lois relatives à la responsabilité civile et pénale des ministres,
à l'adoption des budgets et des comptes et à la fixation du contin-
gent de l'armée. Cette énumération est limitative.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 797

L'initiative est prise devant la seule Chambre des représentants. Dans le cas
des lois formelles, elle émane du gouvernement. La formule de présentation du
projet de loi est la suivante : <<Notre ministre de ... est chargé de déposer, en Notre
nom, à la Chambre des représentants, le projet de loi dont la teneur suit : ... '' (48).
Dans l'autre cas, elle procède soit d'une initiative parlementaire, soit d'une
initiative gouvernementale. Il va de soi que les sénateurs ne sauraient déposer
de propositions à ce sujet. La délibération de la loi se poursuit devant la seule
Chambre des représentants, et selon les procédures qui lui sont habituelles.
Le roi sanctionne la loi monocamérale - comme il sanctionne, d'ailleurs,
toute autre loi fédérale (Const., art. 109) - et parfait ainsi son élaboration.
La formule de sanction est la suivante : << A tous présents et à venir, Salut. La
Chambre des représentants a adopté et Nous sanctionnons ce qui suit : (Loi)>>.

944. - Il y a aussi des lois bicamérales intégrales, celles que pré-


voit l'article 77 de la Constitution. Ce sont des lois qui requièrent
une discussion et un vote dans les deux assemblées. Ces lois sont
celles pour lesquelles l'initiative peut être engagée devant l'une et
l'autre chambre. Le principe d'indépendance des assemblées est
maintenu, en l'occurrence.
La loi en projet est examinée successivement dans chacune des
chambres. Le système de la navette parlementaire permet de procé-
der à des lectures successives du texte adopté par l'une et l'autre
chambre, jusqu'à ce qu'elles soient d'accord sur les mêmes disposi-
tions. En d'autres termes, ni l'une, ni l'autre assemblée n'est en
mesure d'imposer, en ces domaines, sa volonté.
L'énumération de l'article 77 est limitative.
L'article 77 de la Constitution - qui, de manière singulière et à
la différence de l'article 74, ne fait pas référence à l'intervention du
roi - entend placer d'emblée la Chambre des représentants et le
Sénat <<sur un pied d'égalité>>.
L'expression peut paraître plus journalistique que constitution-
nelle. Elle laisse entendre que seule une délibération concordante
des deux chambres peut saisir valablement la troisième branche du
pouvoir législatif, à savoir le roi, d'un texte destiné à devenir une
loi. Ou, pour exprimer la même idée sous une autre forme, la Consti-
tution n'entend pas donner primauté aux délibérations de la

(48) Circulaire du Premier ministre du 19 avril 1996 relative à la procédure de dépôt d'un
projet de loi.
798 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

Chambre des représentants sur celles du Sénat. Chaque assemblée


délibère selon les modalités qui lui sont propres, en fonction du
calendrier qu'elle s'assigne et sans se préoccuper des discussions qui
ont lieu dans l'autre chambre. Tout au plus, communique-t-elle à
l'autre assemblée le résultat de ses délibérations.
Quelle procédure y a-t-il lieu de suivre en la matière? L'article 77
de la Constitution laisse dans l'ombre la question de savoir com-
ment la procédure législative doit être engagee et dans quel ordre
elle peut se développer. L'initiative d'une loi bicamérale intégrale se
prend soit devant la Chambre des représentants, soit devant le
Sénat.
Deux règles distinctes s'imposent en la matière.
L'une concerne le gouvernement fédéral. En principe et selon l'ar-
ticle 75, alinéa 2, de la Constitution, il ne saisit jamais de ses projets
que la Chambre des représentants. En dérogation à cette règle, le
gouvernement peut déposer des projets de loi bicamérale intégrale
soit devant l'une, soit devant l'autre assemblée (49).
L'observation est formulée sans préjudice de la règle inscrite dans
l'article 75, alinéa 3, de la Constitution. Si le projet de loi entend
porter assentiment à un traité et s'il est, comme à l'habitude, rédigé
par le gouvernement, il lui revient de le déposer par priorité au
Sénat (50). Par la suite, il sera transmis à la Chambre des représen-
tants.
L'autre règle concerne les parlementaires. De toute manière, un
droit d'initiative leur revient (art. 75, al. l er). Des propositions de
loi peuvent voir le jour. Elles sont déposées sur le bureau de l'as-
semblée dont relèvent leur auteur. Elles postulent une discussion et
un vote dans cette assemblée, avant que l'autre ne soit saisie d'un
texte qui est devenu entre-temps un projet de loi.

(49) La formule de présentation du projet de loi est la suivante :«Notre ministre ... est chargé
de présenter en Notre nom, aux Chambres législatives, le projet de loi dont la teneur suit : . ''·
(50) C.E.. L.25.153f2, 27 novembre 1996 : <<La pratique constitutionnelle qui, de manière
constante, a conduit à réserver au roi le monopole de l'initiative en ce qui concerne l'assentiment
aux traités peut être poursuivie sans inconvénient.. De la même manière que l'on ne conçoit
guère qu'un parlementaire dépose une proposition de loi relative au budget ou aux comptes, une
proposition de loi fixant le contingent de l'armée, ou encore une proposition de loi contenant le
feuilleton des naturalisations, il ne s'indique pas de l'autoriser à déposer une proposition de loi
d'assentiment à un traité ».
L'EXERCICE DES FONCTIONS 799

945. - Il y a aussi les lois bicamérales virtuelles, celles visées à


l'article 78 de la Constitution.
La loi bicamérale virtuelle est la loi fédérale qui est l'œuvre conjointe du roi,
de la Chambre des représentants et du Sénat et qui intervient, à titre résiduel,
dans toutes les matières autres que celles qu'énumèrent les articles 74 et 77 de
la Constitution, étant entendu que l'intervention du Sénat n'est requise en l'oc-
currence qui si quinze membres de cette assemblée demandent formellement, et
dans les délais prescrits, d'examiner la loi en projet.

Selon le cas, elles font l'objet d'une délibération dans une seule ou
dans les deux chambres. Tout dépend de la demande qu'exprime ou
que n'exprime pas le Sénat. Il appartient, en effet, à quinze séna-
teurs au moins de solliciter que le Sénat examine le projet de loi
(art. 78, al. 2). Leur demande doit être formulée dans les quinze
jours de la réception du projet de loi, voire en cas d'urgence dans
un délai qu'une commission parlementaire de concertation déter-
mine.
On ne saurait évidemment comparer la deuxième délibération
avec la première. Non seulement la discussion sénatoriale vient tou-
jours en second, mais mieux encore, elle ne se développe plus sur un
terrain vierge. En réalité, le projet de loi est déjà adopté - du
moins provisoirement - . Dans ces conditions, la seule faculté qui
revient au Sénat, c'est d'amender le projet (art. 78, al. 3). Ces modi-
fications doivent être adoptées dans les soixante jours de la
demande formulée par les sénateurs; ce délai peut être ramené à
trente jours. A supposer qu'un amendement ait été adopté par le
Sénat, il revient à la Chambre des représentants de l'examiner.
Celle-ci l'adopte ou le rejette. Elle se prononce ainsi définitivement
sur le texte qui était en discussion (art. 78, al. 4).
Les modes d'élaboration de la loi bicamérale virtuelle ne s'inscrivent pas,
contrairement peut-être aux apparences, en dérogation des prescriptions de l'ar-
ticle 36 de la Constitution. Le bicaméralisme est préservé.
Car de deux choses l'une. Ou bien le Sénat utilise la prérogative qui lui est
reconnue de procéder à un examen de la loi. Il intervient alors, de manière for-
malisée, dans le processus législatif. Il n'est pas en mesure d'imposer ses préoccu-
pations ou ses volontés. Mais il participe - au sens propre du terme, il prend
une part - au processus de confection de la loi.
Ou bien le Sénat n'utilise pas la prérogative que consacre l'article 78 de la
Constitution. Il estime qu'il n'y a pas lieu d'amender le projet qui lui est soumis.
Il est présumé marquer son accord avec la volonté exprimée par la première
assemblée. Il lui apporte, fictivement, un assentiment tacite.
800 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

C'est pour cette raison que le Conseil d'Etat a suggéré au gouvernement de


rédiger comme suit la formule de présentation d'un projet de loi (51) bicaméral
virtuel- qui est déposé sur le bureau de la Chambre des représentants (Const.,
art. 75, al. 2)-: <<Notre Ministre de ... est chargé de présenter, en Notre nom, aux
Chambres légis[atives et de déposer à la Chambre des représentants, le projet de loi
dont la teneur suit ... »(52). Cette précision est apportée même si le gouvernement
est dans l'ignorance, à ce moment, de la manière dont le Sénat va réagir.
Quant à la formule de sanction, elle est libellée comme suit : << Les Chambres
ont adopté et Nous sanctionnons ... >> (loi du 31 mai l\)61 relative à l'emploi des
langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en
vigueur des textes légaux et réglementaires, art. 3, § 2 nouveau). Cette précision
est apportée quel qu'ait été, en l'occurrence, le mode d'intervention du Sénat.

946. - Une loi peut être adoptée par la représentation nationale


sans que le Sénat n'ait eu d'aucune manière à en connaître. Il suffit
que quinze sénateurs ne requièrent pas la délibération de leur
assemblée.
Une loi peut aussi être adoptée par la représentation nationale
sans que le Sénat n'ait marqué son accord sur ses dispositions. Il
suffit que les propositions d'amendement ne soient pas prises en
compte.
Dans ces conditions, l'affirmation selon laquelle le pouvoir légis-
latif fédéral s'exerce collectivement par le roi, la Chambre des repré-
sentants et le Sénat paraît excessive. Elle ne peut être admise que
si l'on utilise une fiction juridique. Le Sénat marquerait implicite-
ment son adhésion à la volonté exprimée par la Chambre des repré-
sentants lorsque quinze de ses membres ne provoquent pas une
brève délibération ou lorsque l'assemblée ne propose pas d'amende-
ments au projet adopté par la première assemblée.

(51) Dans un avis A. 31.273/III-9-916, la section d'administration du Conseil d'Etat rappelle,


de manière très pédagogique, le sens précis qu'il convient de donner à la notion de <<projet de
loi >>. « Lorsque le roi signe l'arrêté de présentation, il charge un ou plusieurs ministres de déposer
'le projet dont la teneur suit'. A ce moment, le projet est l'œuvre du roi et des ministres, qui
sont, par ailleurs, titulaires du pouvoir exécutif mais qui, ici, agissent en qualité de 'branche du
pouvoir législatif' (art. 36 de la Constitution). Le projet est alors déposé, par un ministre ... Avant
la signature de l'arrêté de présentation, il n'existe qu'un avant-projet qui s'élabore en fonction des
règles procédant de l'organisation interne du gouvernement et qui doit être transmis au Conseil
d'Etat...».
(52) Pour les projets de loi portant assentiment aux traités, la formule de présentation est
la suivante : <<Notre ministre ... est chargé de présenter, en Notre nom, aux Chambres législatives
et de déposer au Sénat, le projet de loi dont la teneur suit : ... >>.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 801

B. - La sanction de la loi
947. - Dans les monarchies parlementaires, la sanction royale
est l'acte par lequel le souverain marque, en sa qualité de troisième
branche du pouvoir législatif, son accord avec la volonté exprimée
par les chambres (53). Sur un plan plus politique que juridique, elle
indique que le gouvernement participe à l'exercice de la fonction
législative de son origine à son terme.
La sanction est condition d'existence de la loi. Comme en Grande-
Bretagne où << la Reine en son Parlement >> est appelée à faire œuvre
législative, le chef de l'Etat dispose du droit de donner son accord
ou de le refuser à tout projet régulièrement voté par les chambres.
La doctrine contemporaine considère généralement que le refus de
sanction - soit le veto - relève des questions d'école (54). On
n'imagine guère que le roi - agissant avec le concours de l'un de
ses ministres - s'oppose durablement (55) à la volonté politique
formulée par les chambres et relayée par son gouvernement. Il en
irait autrement si, dans des circonstances exceptionnelles, le gouver-
nement fédéral entendait exprimer, à l'occasion de l'élaboration
d'une loi - vraisemblablement d'origine parlementaire - son
désaccord avec la volonté qui aurait été émise dans les assemblées
parlementaires.
Une situation particulière mérite d'être évoquée. Il semble qu'un nouveau
gouvernement pourrait, au lendemain d'élections législatives, s'opposer à un
texte qui aurait été promu, avant le scrutin, à l'initiative d'une autre majorité
que celle qui le soutient.

La formule de la sanction est déterminée comme suit : <<Albert Il,


roi des Belges, A tous, présents et à venir, Salut. Les Chambres ont
adopté et Nous sanctionnons ce qui suit ... >>. La signature du roi est
accompagnée de la signature d'un ou de plusieurs ministres.

(53) «Le roi sanctionne les lois», J. T., 1990, p. 593.


(54) Les arrêtés royaux du 8 octobre 1842 (Pasin., 1842, p. 488) et du 4 août 1884 (Pasin.,
1884, p. 315) offrent des exemples de refus formel de sanction. «Ni en 1842, ni en 1884, note
J. VELU (op. cit., t. le", p. 702), le refus de sanction n'entraîna de difficultés politiques car, en rai-
son des circonstances de J'époque, le législateur serait intervenu pour abroger les lois en question
au cas où le roi n'aurait pas refusé sa sanction». Adde : P. WIGNY, op. cit., no 463.
(55) La Constitution ne fixe aucun délai; les ministres assument devant la Chambre la respon-
sabilité d'un retard anormal.
802 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

C. - La promulgation et la publication de la loi


948. - La promulgation est l'acte juridique par lequel le pouvoir
exécutif fédéral constate que la procédure législative a été menée à
son terme, authentifie les dispositions de la loi adoptée et, en consé-
quence, en ordonne l'application (56). L'opération marque ainsi
l'instant précis où la nouvelle règle s'incorpore dans l'ordonnance-
ment juridique (57).
La promulgation n'est pas sans susciter des questions délicates.
V au t-elle certificat de régularité de la procédure ? L'attestation
s'impose-t-elle aux autorités publiques et aux citoyens? Constitue-t-
elle un brevet de qualité pour la norme contenue dans la loi promul-
guée? Plusieurs précisions s'imposent à ce sujet.
Il faut, d'abord, souligner que la promulgation est un acte qui
émane du roi, agissant en sa qualité de titulaire du pouvoir exécutif
fédéral (Cass., 2 juillet 1948, Pas., I, p. 428; Appel Gand, 5 juin
1951, R.A., 1952, p. 29, concl. F. DuMON). Elle ne s'inscrit plus, à
proprement parler, dans l'opération de confection de la loi; l'élabo-
ration de la règle est achevée; la promulgation n'est pas condition
d'existence, mais d'application de la loi.
Il convient aussi de rappeler que la promulgation confère à la loi
un caractère authentique. Elle couvre les vices de procédure dont le
vote de la loi aurait pu être affecté (58). Dans son arrêt du 14 jan-
vier 1976 (Pas., I, p. 538), la Cour de cassation observe<< qu'il n'ap-
partient pas au pouvoir judiciaire d'examiner si, au cours de la pro-
cédure relative à la discussion et au vote d'une proposition ou d'un
projet de loi, les dispositions du règlement de la Chambre ont été
observées f). Elle ajoute ceci : <<en promulguant la loi, le roi a

(56) Sur ce thème, on ne peut manquer d'être frappé par les silences de la doctrine constitu-
tionnelle. La procédure législative est étudiée sous toutes ses facettes. Par contre, la manière dont
un texte législatif entre en vigueur ne fait pas l'objet d'études approfondies, mise à part celle
qu'a préfacée Marcel W ALINE et qui a été publiée sous le titre La promulgation, la signature et
la publication des textes législatifs en droit comparé (Travaux et recherches de l'Institut de droit
comparé de l'Université de Paris, Ed. Epargne, 1961).
(57) On ne s'interroge pas ici sur les problèmes de publication. - soit d'un fait matériel qui
produit des conséquences juridiques, à savoir l'applicabilité de la loi au citoyen -. Il tient
compte d'une suite d'opérations matérielles : transmission du texte, composition, correction,
impression, postage, remise aux abonnés et aux services publics, affichage ... (no 950).
(58) P. DE VISSCHER, La promulgation, la signature et la publication des lois en droit belge ... ,
p. 41).
L'EXERCICE DES FONCTIONS 803

constaté de manière authentique et définitive que la loi ... a réguliè-


rement pris naissance>> (59).
La promulgation rend aussi la loi exécutoire. Elle oblige les agents
de l'autorité et de la force publiques, légalement requis, à prêter
leur assistance pour assurer l'exécution de ces dispositions. Cette
particularité explique que le roi puisse, sur la base d'une loi promul-
guée et non encore publiée, << valablement prendre >> des arrêtés
d'exécution (Cass., 5 janvier 1956, Pas., 1, p. 430; C.E., 2 juin 1950,
R.J.D.A., p. 216, note P. DE VISSCHER).
L'autorité investie de la mission de promulguer la loi n'a pas -
comme en République fédérale d'Allemagne, par exemple - pour
tâche de vérifier la conformité à la Constitution des dispositions
adoptées.
Le roi promulgue la loi en même temps qu'il la sanctionne
(Const., art. 109) : <<Promulguons la présente loi, ordonnons qu'elle
soit revêtue du sceau de l'Etat et publiée par le Moniteur
belge>> (60). Une seule et même signature royale couvre les deux opé-
rations.
949. - Le sceau de l'Etat est apposé sur le document original qui
reproduit le texte de la loi. Cette formalité traditionnelle est accom-
plie par le ministre de la Justice (Const., art. 193 et loi du 31 mai
1961, art. 3 ).
950. - La publication est l'acte matériel par l'effet duquel la loi
est portée à la connaissance des citoyens et qui la rend obligatoire
dans le délai légal. La Constitution (art. 190) subordonne la force
obligatoire des lois à une publication dont la forme est réglée par
la loi (loi du 31 mai 1961). L'exigence de la publication conditionne
uniquement la force obligatoire de la loi et est étrangère à son exis-
tence et à sa validité. Ainsi que la Cour de cassation l'a dit, par son
arrêt du l l novembre 1841, <<bien qu'on ne puisse être obligé d'exé-
cuter une loi avant qu'on n'en ait connaissance légale>>, c'est-à-dire
avant qu'elle n'ait été régulièrement publiée, << rien n'empêche celui

(59) Voy aussi Corr. Bruxelles, 22 février 1889, Pas., 1890, III, p. 64; Cass .. 29 juin 1939,
Pas., 1939, I, p. 341. Sur la promulgation par le roi d'une loi spéciale dont tout ou partie des
dispositions n'auraient pas été adoptées à une majorité qualifiée, voy. F. DELPRftR;;, <<La Consti-
tution et la règle de droit ''• A. D. Lv., 1972, p. 202.
(60) La formule de promulgation n'est pas sacramentelle (Cass., 2 juillet 1948, Pas., 1948, I,
p. 428).
804 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

qui connaît la loi de l'exécuter avant sa publication, lorsqu'il ne


blesse pas les droits des tiers >>.
Aucun délai n'est imposé pour cette publication. Aux termes de
l'article 4 de la loi du 31 mai 1961, les lois<< sont obligatoires dans
tout le Royaume le dixième jour après celui de leur publication, à
moins que la loi n'ait fixé un autre délai >>.
L'écoulement du délai crée une présomption absolue de connais-
sance de la loi, même lorsque la distribution du Moniteur belge est
entravée par une circonstance de force majeure (61). Selon la for-
mule de l'arrêt du 4 juin 1919, <<l'insertion de la loi au Moniteur
belge ... et l'expiration du délai après lequel elle est réputée connue
des citoyens, réalisent par elles-mêmes le mode de publicité consti-
tutif de la publication légale qui rend la loi obligatoire >>.
La loi peut également contenir une disposition expresse habilitant
le roi à décréter à quelle date tout ou partie de ses dispositions
entreront en vigueur.

SECTION III. - LA FONCTION


DE CONTRÔLE POLITIQUE

951. - << Le régime parlementaire implique que le gouvernement


ne peut agir qu'avec la confiance des chambres ... Elle est toujours
révocable)), écrit avec netteté P. WIGNY (62). Une conséquence pré-
cise en résulte. Tout acte, toute attitude, tout comportement d'un
membre de l'exécutif, entendu au sens large de l'expression- le roi,
les membres du gouvernement, leurs agents - , doit pouvoir être
soumis à critique. Chacune des chambres législatives, mais plus par-
ticulièrement la Chambre des représentants et chacun de ses
membres, agissant individuellement, trouvent ici le fondement

(61) Ch. HuBERLANT, «La présomption de connaissance de la loi, dans le raisonnement juridi-
que>), Présomptions et fictions en droit, Bruxelles, Bruylant, 1974, pp. 186-228. Sur l'entrée en
vigueur des lois publiées «par morceaux» dans deux Moniteurs belges, voy. Cass., 4 juin 1919,
Pas., I, p. 153.
(62) P. WIGNY, op. cit., p. 527. Le contrôle de l'action gouvernementale par la Chambre
n'équivaut pas à un droit d'évocation ou de substitution; il s'exerce sur la personne des ministres
à l'occasion des actes accomplis par eux, avec leur accord exprès ou tacite, ou sous leur autorité.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 805

d'une mission spécifique : contrôler l'action gouvernementale et


administrative.
Le contrôle, en l'occurrence, est politique. L'expression est équivoque, cepen-
dant. Trois problèmes au moins méritent d'être distingués. Le contrôle est politi-
que, dans une première acception, parce qu'il est mis en œuvre par un manda-
taire ou par une assemblée politique : l'autorité qui l'exerce n'est pas indépen-
dante, mais engagée. Le contrôle est politique aussi, dans une deuxième signifi-
cation; il va s'exercer au nom de critères qui peuvent être purement politiques :
l'assemblée blâme tel ministre ou refuse la confiance à tel gouvernement, non
parce qu'ils auraient démérité, qu'ils auraient enfreint la loi ou qu'ils feraient
preuve de négligence, mais simplement parce qu'elle estime qu'il est opportun
de changer la composition du ministère ou de modifier le jeu des alliances. Le
contrôle est encore politique, dans un troisième sens, parce que, porté à ses
limites, il est générateur de crises. Il convient d'être précis: dans un régime par-
lementaire, la .constatation d'une perte de confiance impose, en droit et pas seule-
ment en fait, le retrait du gouvernement. On peut mesurer les conséquences poli-
tiques de la nouvelle situation. On doit surtout souligner les conséquences juridi-
ques qui s'attachent aux opérations de contrôle politique.

La fonction de contrôle politique est aujourd'hui la fonction


essentielle qui revient aux membres de la Chambre des représen-
tants. Il faut s'interroger sur les procédures de pareil contrôle. On
soulignera, dans un livre X, les conséquences qui s'y attachent, spé-
cialement dans la vie des gouvernements.

952. - Le Sénat est dépossédé de ses prérogatives de contrôle


politique. Pour que nul n'en ignore, l'article 101 de la Constitution
précise que ((les ministres sont responsables devant la Chambre des
représentants >>. Comment ne pas ajouter : <( et devant elle seule >>?
L'article 96, alinéa 2, prévoit pour sa part que la même Chambre
des représentants peut adopter à l'encontre du gouvernement une
motion de méfiance qui contraint celui-ci à la démission. Le Sénat,
lui, est privé de l'exercice de cette fonction politique. Il devient une
chambre législative, au sens premier de l'expression.
Les sénateurs ne sont pas dépourvus de ces prérogatives de
contrôle que sont l'enquête et la question parlementaires. Ils peu-
vent, par leurs votes au Sénat infléchir l'activité du gouvernement
fédéral. La pratique montrera s'il est possible d'aller plus loin. La
préoccupation est clairement affichée de ne pas permettre le déve-
loppement d'un système de responsabilité innomée.
806 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

§ l er. - L'interpellation parlementaire


953. - L'interpellation est un moyen classique de contrôle poli-
tique. Elle repose sur la demande qu'un député adresse au gouver-
nement. Elle suscite un débat et un vote sur un point précis de l'ac-
tion gouvernementale ou administrative ou sur un sujet de politique
générale.
La Constitution ne mentionne pas explicitement cette technique
de contrôle. Mais la prérogative reconnue à la Chambre des repré-
sentants de requérir (63) la présence des ministres aux fins d'en-
tendre leurs explications (art. lOO, al. 2) annonce évidemment la
procédure d'interpellation. C'est le règlement de la Chambre de
représentants (art. 90 s.) qui en indique les phases essentielles. Il
semble que le règlement soit inspiré par un souci premier : éviter
que l'exercice abusif du droit d'interpellation ne perturbe, voire ne
paralyse, le cours des travaux parlementaires, en particulier ceux
que requiert l'élaboration des lois fédérales (64).
Le règlement demande, d'abord, que l'interpellateur fasse
connaître par écrit l'objet de son interpellation et dépose une note
<< indiquant d'une manière précise la question ou les faits sur les-

quels des explications sont demandées, ainsi que les principales


considérations que l'interpellateur se propose de développer f) (Règl.
Ch., art. 90, al. pr). Ceci aux fins de circonscrire aussi exactement
que possible l'objet du débat.
Le règlement contient aussi des prescriptions sur la phase orale -
ce qu'il est convenu d'appeler le développement - de l'interpellation.
Celle-ci a été inscrite à l'ordre du jour. Son exposé ne peut dépasser
un quart d'heure. L'un des membres du gouvernement répond (65).
Quatre orateurs au plus, y compris l'auteur de l'interpellation, peu-
vent encore prendre la parole pendant dix minutes (66).
Plus important encore. Les règlements d'assemblée indiquent la
manière dont se clôt une interpellation. Une règle essentielle appa-

(63) Le Sénat, lui, ne peut que demander la présence des membres du gouvernement fédéral.
(64) Voy. cependant, P. WIGNY (op. cit., n" 379) : «Toutes ces mesures de précaution sont
sages et empêchent l'obstruction. Il va de soi qu'elles ne sont plus admises si l'interpellation est
a la fois fondée et importante ... Dans ce cas, aucune mesure limitative n'est applicable>>.
(65) Si, après le développement de l'interpellation, un membre du gouvernement ne prend pas
la parole, l'interpellation est close; seul l'interpellateur est encore admis à prendre la parole pen-
dant dix minutes au plus.
(66) Si plusieurs interpellations sont déposées ''sur un même objet>>, elle sont ''jointes pour
ne former qu'un seul débat>> (voy. Règl. Ch., art. 90, al. 5, d).
L'EXERCICE DES FONCTIONS 807

raît ici : comme l'indique l'article 92, alinéa 2, du règlement de la


Chambre des représentants, l'assemblée peut être invitée à voter sur
un ordre du jour (67) qui lui est présenté par l'un de ses membres.
Il peut s'agir d'une motion pure et simple. Si l'Assemblée
l'adopte, elle constate qu'elle a entendu le développement de l'inter-
pellation et les explications du ou des ministres concernés; elle ne
manifeste ni sa confiance, ni sa méfiance au gouvernement; elle
poursuit ses travaux en passant au point suivant de son ordre du
jour. Si plusieurs motions ont été déposées au terme d'une interpel-
lation, <<la motion pure et simple a la priorité de droit>> (Règl. Ch.,
art. 92bis); son adoption entraîne la caducité des autres motions.
Il peut aussi s'agir d'une motion de méfiance constructive. Elle
doit contenir la proposition d'un successeur au Premier ministre. On
ne saurait sous-estimer l'importance de ces prescriptions. L' adop-
tion d'une motion de méfiance constructive contraint le gouverne-
ment à démissionner dans les conditions prévues à l'article 96 de la
Constitution.
Il peut encore s'agir d'une motion de méfiance. Selon l' arti-
cle 92sexies du règlement de la Chambre, la motion de méfiance est
celle <<par laquelle la Chambre retire sa confiance à un ministre ou
au gouvernement, sans présenter simultanément un successeur au
Premier ministre >>. Les auteurs d'une telle motion estiment que les
explications fournies par le gouvernement sont insuffisantes et
entendent témoigner leur désapprobation vis-à-vis du ministère ou
de l'un de ses membres.
Il peut encore s'agir d'une motion de confiance. La Chambre
accorde << inconditionnellement sa confiance au gouvernement ou à
un membre de celui-ci>>. Elle ne peut être déposée que par le gouver-
nement (art. 92 et 92ter).
Enfin, la motion de recommandation est une motion motivée qui
est déposée en conclusion d'un débat sur une interpellation et par
laquelle la Chambre ne se prononce ni sur la confiance ni sur la
méfiance à l'égard du gouvernement ou d'un ministre.

(67) Sur la double acception de l'expression« ordre du jour>>, voy. J. VELU, op. cit., n" 473.
808 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

§ 2. - La question parlementaire
954. - << Les ministres sont responsables ... ~>. Ils répondent de
leurs faits et actes. Au propre comme au figuré. La responsabilité
politique emporte l'obligation, pour un ministre, de répondre aux
questions qui lui sont adressées par un parlementaire.
La procédure, simple au demeurant (68), va reposer sur l'échange
d'une question posée par un parlementaire et d'une réponse fournie
par un ministre. Ni plus, ni moins. Il n'y a pas place pour une dis-
cussion - avec un dialogue alterné - , ni pour un débat - où
d'autres pourraient intervenir - . Il n'y a pas non plus de vote -
puisque l'assemblée, telle quelle, ne participe pas à la procédure - .
D'où cette idée que la question parlementaire qui s'adresse à un
ministre déterminé ne saurait avoir pour objet d'assurer un contrôle
politique de l'action du gouvernement dans son ensemble; tout au
plus fournira-t-elle au parlementaire un ensemble de renseignements
ou d'informations qu'il utilisera peut-être pour développer une
interpellation ou pour proposer la constitution d'une commission
d'enquête.
La Constitution ne dit rien de cette technique particulière de
contrôle politique. Les règlements d'assemblée comblent cette
lacune. Ils indiquent de manière négative les thèmes des questions
parlementaires : celles-ci ne pourront tendre à régler des cas indivi-
duels ou à obtenir des renseignements statistiques et de la documen-
tation.
Ils précisent aussi la procédure à suivre. En réalité, les assemblées
recourent à des techniques diversifiées : la question écrite avec
réponse écrite (avec publication au Bulletin des questions et des
réponses) (69), la question orale avec réponse orale- à la Chambre
des représentants, selon le système du question time (70) - , laques-
tion écrite avec réponse orale - au Sénat - et, enfin, la question
urgente développée oralement avec réponse orale (Règl. Ch., art. 85;
Règl. Sén., art. 66).

(68) C'est un moyen sommaire de publicité et de contrôle.


(69) Sur ce thème, voy. F. DRION, <<Les questions parlementaires», Res publica, 1975, p. 201;
J. TEMMERMAN, <<Les questions parlementaires en Belgique>>, Ann. Dr. Sc. pol., 1955, p. 143;
H. VAN IMPE, <<De parlementaire vragen >~, Adm. Lex., Bruges, Die Keure, 1971.
(70) C. REMY,<< La question parlementaire>>, Res publica, 1961, p. 161.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 809

§ 3. - L'enquête parlementaire
955. - <~Chaque Chambre a le droit d'enquête)), precise l'ar-
ticle 56 de la Constitution. La prérogative qui revient à l'assemblée
est celle de s'informer et de se documenter. Elle s'inscrit tout à la
fois dans l'exercice de la fonction de législation- il importe de réu-
nir les faits, les chiffres, les documents, les témoignages qui s'inscri-
vent dans l'œuvre d'élaboration de la loi - et dans l'exercice de la
fonction de contrôle politique - il faut fournir aux députés les élé-
ments qui leur permettront, le cas échéant, de censurer l'action du
gouvernement ou de l'un de ses membres (71) - .
Une enquête parlementaire ne peut, par contre, avoir pour objet
ou 'pôur effet QI' habiliter une deSëli'arii'brëSà-ëXëi·cer les fonctions
'qui rev~erinent en propre -à<I'autrëS"'âutorités publiques. Elle ne
peut être utilisée comme substitut de l'élection (ou de la consulta-
tion). Elle ne peut se donner pour objet de vérifier ce qui échappe
de plein droit à la maîtrise de l'assemblée (telle l'application procu-
rée aux règles de dévolution de la Couronne). Elle ne peut entre-
prendre sur les opérations de poursuite ou de répression des infrac-
tions (voy. cependant la loi du 3 mai 1880, art. 7 à lü). Elle ne peut
se prévaloir des tâches de contrôle sur les agissements des autorités
exécutives et administratives pour s'autoriser à examiner la légalité
des actes accomplis par des particuliers.
C'est la loi du 8 mai 1880 qui règle l'exercice du droit d'enquête.
Chaque Chambre exerce le droit d'enquête par elle-même ou par une
commission créée en son sein (art. 2); dans l'exercice de ses fonc-
tions d'enquête, elle bénéfice 5!es prér?gatiyes gui ~t reconl?:~.es au
juge d'instruction par le Code d'instruction criminelle. On peut se
demander pourqu-oi chaque chambre n'a pas été amenée à établir,
en vertu de l'article 56 de la Constitution, des dispositions régle-
mentaires en ce domaine. L'intervention du législateur pouvait
s'avérer nécessaire pour donner à la commission d'enquête certaines
prérogatives de la puissance publique et pour protéger, à cette occa-
sion, les droits des particuliers : on ne saurait perdre de vue, en
effet, que la commission convoque les témoins (art. 8), fait prêter

(71) Faut-il aussi rattacher le droit d'enquête à l'exercice de la fonction juridictionnelle du


Parlement. comme le fait .1. VELU (op. ciL n" 591)? La proposition peut se justifier si l'on prend
en considération les techniques que va mettre en œuvre la commission d'enquête; elle se com-
prend moins si l'on s'interroge sur les finalités de la constitution de pareille commission et sur
sa composition.
810 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

serment aux témoins, aux experts et aux interprètes (Const.,


art. 192 et loi du 8 mai 1880, art. 8, al. 2), peut procéder à des per-
quisitions et à des saisies de documents et de correspondances
(art. 4) (72).
Pour mener à bien sa mission, la commission d'enquêtf' dispose des mêmes
pouvoirs qu'un juge d'instruction, mais uniquement aux fins<< d'opérer les inves-
tigations nécessaires à l'exercice de sa mission>> (73). C'est dire que la commis-
sion d'enquête peut entendre des témoins sous serment, qu'elle peut demander
des perquisitions ou des saisies. En revanche, il est exclu qu'elle décerne des
mandats d'arrêt. La commission d~~~~t_e_~~~~-:P.~.~~jyg~~!"~l~ -~-ejl_~!Y.~ip!
pas à la fonction judiciaire. Sur ce point, la loi précise expressément que << les
enquêtes menées par les Chambres ne se substituent pas à celles du pouvoir judi-
ciaire, avec lesquelles elles peuvent entrer en concours, sans toutefois en entra-
ver le déroulement>> (L. 3 mai 1880, art. 1ec, al. 2) (74).
La commission d'enquête travaille, en principe, publiquement. Le huis-clos
peut être décidé. C'est en particulier le cas lorsque la publicité risque de nuire
au bon déroulement de l'enquête ou lorsqu'un témoin affiche certaines réticences
à se confier en public.

Comment se clôt une enquête parlementaire (75)? L'assemblée a


constitué une commission. Celle-ci travaille selon les modalités que
fixe la loi. Elle remet un rapport (76). Mais comment engager désor-
mais le débat parlementaire? Faut-il que l'assemblée statue sur le
rapport - mais quelle serait la signification de pareil vote -?
Faut-il qu'elle avalise tout ou partie des considérations ou des
conclusions que contient ce rapport? Faut-il plutôt qu'elle procède
elle-même à de nouvelles investigations ou qu'elle se fasse sa propre
conviction?
Les textes n'apportent guère de solution à ce problème. La
Constitution est muette. La loi du 8 mai 1880 sur les enquêtes parle-
mentaires traite uniquement du fonctionnement de la commission.
Le règlement de la Chambre des représentants, pas plus que celui

(72) Sur ce thème, P.J. BooN, De parlementaire enquete. Een rechtsvergelijkende studie, Zwolle,
1982; M. UYTTENDAELE, <<L'enquête parlementaire sur les événements tragiques qui se sont
déroulés le 29 mai 1985 au stade du Heyse!. Quelques réflexions sur les enquêtes parlementaires
et sur la responsabilité ministérielle», J. T., 1986, p. 357.
(73) M. UYTTENDAELE, Regards sur un système institutionnel paradoxal, p. 362.
(74) Voy. E. LIEKENDAEL, <<La séparation des pouvoirs à l'aube du troisième millénaire>>,
J. T, 1997, p. 557.
(75) Voy F. DELPÉRÉE, <<Une crise en trois temps», J. T., 1986, p. ll7.
(76) Pandectes belges, v" «Enquête parlementaire», n" 96.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 8ll

du Sénat, ne fournit d'indication utile. Quant à la doctrine constitu-


tionnaliste, elle a paru négliger l'examen de la question (77).
Il faut rappeler ici qu'une commission d'enquête parlementaire
peut être constituée dans deux finalités distinctes. Elle peut avoir
pour mission d'éclairer l'assemblée dans ses tâches de confection de
Ja loi. Elle peut aussi avoir pour tâche d'aider la Chambre des repré-
sentants dans ses missions de contrôle politique. Selon la perspec-
tive choisie, l'attitude de l'assemblée -gagne à être différente.
Dans le premier cas, elle prend acte du rapport qui a été déposé
et ses membres usent du droit d'initiative qui leur revient pour
déposer des propositions de loi ou pour amender des projets portant
remède à la situation dénoncée par les travaux de la commission
d'enquête. Dans le second, la chambre exerce, selon les procédés qui
lui sont propres, la fonction de contrôle politique. Elle a, de manière
collective, établi un dossier qui doit lui permettre de mieux appré-
cier une situation qui appelle, de sa part, un jugement de valeur.
Elle n'a pas à se prononcer sur la pertinence de ce dossier qui est
d'ailleurs le sien. Elle en prend connaissance. Il revient ensuite à
l'un des membres de mettre en œuvre les procédures qui conduiront,
le cas échéant, à la censure de l'action politique d'un ministre; le
développement d'une interpellation, qui se clôt par le dépôt et le
vote d'une motion motivée, s'inscrit directement dans cette perspec-
tive.
En ce sens, l'enquête ne constitue pas un procédé autonome de
contrôle et ne s'achève pas par un vote particulier de l'assemblée.
Elle ne fait jamais qu'introduire soit le travail de confection de la
loi, soit le travail de contrôle politique. Si des votes interviennent,
c'est en conclusion des initiatives qui sont prises pour relayer l'ac-
tion de la commission d'enquête.

SECTION IV. - LES FONCTIONS PARTICULIÈRES

§ l er. - La fonction habilitante


956. - Diverses autorités publiques sont appelées à intervenir
non pour décider, pour délibérer ou pour statuer, mais pour habili-

(77) A. MAST (op. cit .. p. 137) donne la liste des enquêtes parlementaires qui ont été instaurées
depuis 1880.
812 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

ter d'autres autorités à agir et pour leur conférer ainsi un titre régu-
lier de compétence. Quelques exemples illustrent le raisonnement.
Le conseil des ministres habilite, moyennant un avis motivé, une
chambre législative à reprendre l'examen d'un projet et d'une pro-
position de loi, en l'invitant à se prononcer sur son avis ou sur le
texte éventuellement amendé (Const., art. 54).
Les autorités qui constituent le pouvoir législatif peuvent, de leur
côté, autoriser des institutions de droit international à exercer les
fonctions qu'elles déterminent (Const. art. 34); elles peuvent autori-
ser le roi à conclure des traités de frontières (Const., art. 167, § pr,
al. 3) ou à faciliter le passage de troupes étrangères sur le territoire
national (Const., art. 185). Par des motions appropriées, les deux
chambres agissant séparément doivent donner leur assentiment à un
ensemble de décisions prises par le roi : relever un prince de la
déchéance des droits à la Couronne (Const., art. 85, al. 3), nommer
un successeur (Const., art. 86), accepter une désignation comme chef
d'un autre Etat (Const., art. 87) (78). Elles statuent aussi sur le
bien-fondé de motions qui se plaignent de discriminations pour des
raisons idéologiques et philosophiques et autorisent, le cas échéant,
les parlements de communauté à poursuivre l'élaboration d'un
décret (loi du 3 juillet 1971, art. 5 et 6) (n° 534).
On sait également que la Chambre des représentants est amenée,
pour sa part, à autoriser la Cour d'appel à connaître des infractions
commises par un ministre (Const., art. 103). Une assemblée parle-
mentaire peut autoriser les poursuites contre l'un de ses membres
(Const., art. 59).

§ 2. - La Jonction congressionnelle
957. - Les Chambres législatives sont appelées à exercer cer-
taines de leurs attributions en Congrès.
Cette autorité publique résulte de la réunion conjointe des
membres des deux chambres. Elle ne se confond pas, d'un point de
vue institutionnel et fonctionnel, avec celles-ci. Ainsi les décisions
que prend le Congrès sont adoptées à la majorité de ses membres,
sans qu'il y ait lieu de faire le départ entre des voix provenant de

(78) En ce cas, <<aucune des deux Chambres ne peut délibérer sur cet objet, si deux tiers au
moins des membres qui la composent ne sont présents, et la résolution n'est adoptée qu'autant
qu'elle réunit au moins les deux tiers des suffrages» (Const., art. 87. al. 2).
L'EXERCICE DES FONCTIONS 813

l'un ou de l'autre collège. Ainsi encore le bureau du Congrès est


constitué, pour le discours du trône, du doyen d'âge et des deux
plus jeunes membres de l'assemblée; dans les autres cas, il est com-
posé des deux présidents d'assemblée ainsi que de deux secrétaires :
ses travaux sont dirigés par le président le plus ancien.
Le Congrès est assemblé pour des réunions protocolaires. Il reçoit
le serment du roi ou du régent et entend le discours d'avènement
(Const., art. 91). Il se réunit aussi, s'il échet, pour entendre - à
l'ouverture de la session parlementaire - le discours du trône; cette
pratique est tombée en désuétude (79).
Le Congrès est également réuni, à l'initiative du conseil des
ministres, pour prendre des décisions exceptionnelles : le choix
d'une nouvelle dynastie (Const., art. 95), la désignation d'un régent
et d'un tuteur pour le roi (Const., art. 92 et 93), la constatation de
la fin de l'impossibilité de régner (loi du 19 juillet 1945).

BIBLIOGRAPHIE

On trouvera dans les manuels de droit public, mais aussi dans des cours d'intro-
duction au droit, de larges développements sur l'exercice des fonctions collectives.
Voy. en particulier :
E. CEREXHE, B. HAUBERT et J. REGNIER, Principes généraux et fondements du
droit. Le phénomène institutionnel, juridictionnel et normatif, Bruxelles, Larcier, 1977;
F. DELPÉRÉE, <<Le fonti normative in Belgio >>, Quaderni costituzionali, 1986, p. 277;
Ch. KouRILSKY, A. RAcz et H. ScHAFFER, The sources of law. A comparative empiri-
cal study. National systems of sources of law, Budepest, Akadémiai Kiado, 1982;
A. PIZZORUSSO (dir.), Law in the making. A comparative survey, Berlin, Springer Ver-
lag, 1988; J. VELU, Droit public, t. 1, livre III, Les pouvoirs constitués.

Sur les procédures du bicaméralisme tempéré, l'on consultera notamment :


E. CoLLA et J.-Cl. ScHOLSEM, «La réforme du système bicaméral belge de 1993 >>,
A. P. T., 1994, p. 205; S. DEPRÉ et D. RENDERS, «Le partage des compétences légis-
latives entre les assemblées fédérales>>, A. D. Lv., 1996, p. 331; J. SoHIER, <<La
réforme du Sénat et la nouvelle organisation du bicaméralisme >>, in Les réformes ins-
titutionnelles de 1993. Vers un fédéralisme achevé?, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 398;
M. VAN DER HuLST, «De parlementaire overlegcommissie >>, T.B.P., 1995, p. 351;
ID., <<De nieuwe wetgevingsprocedures in de praktijk : over mengen en splitsen ~.
T.B.P., 1997, p. 589.

(79) LÉOPOLD l'"' a prononcé huit discours du trône en quarante-quatre années de règne.
ALBERT l'"' en a prononcé deux (en 1910 et en 1918) ainsi qu'un discours exceptionnel, le 4 août
1914. Aucun discours du trône n'a été prononcé par LÉOPOLD III, BAUDOUIN r··· ou ALB!èRT II.
814 LES FONCTIONS FÉDÉRALES

Sur les procédures de contrôle politique et, en particulier, sur les enquêtes parle-
mentaires, voy. :
A. ALEN, F. DELPÉRÉE, A. DE NAUW et J. CI. ScHOLSEM, <<Les commissions d'en-
quête parlementaire et le huis clos», R.B.D.C., 1997, p. 277; D. DE BRUYN, <<L'ac-
tualité des enquêtes parlementaires fédérales>), J. T., 1997, p. 625; N. LAGASSE et
X. BAESELEN, Le droit d'enquête parlementaire, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 265;
E. LIEKENDAEL, << La séparation des pouvoirs à l'aube du troisième millénaire>), J. T.,
1997, p. 557; J. VELU,<< Considérations sur les rapports entre les commissions d'en-
quête parlementaire et le pouvoir judiciaire>), J.T., 1993, p. 589; ID., <<Considéra-
tions sur les rapports entre les enquêtes parlementaires et les droits de l'homme>),
Académie royale de Belgique, 1999; ID., «Enquêtes parlementaires et droits de
l'homme>), R.B.D.C., 1998, p. 105.
LIVRE IX

Les fonctions fédérées


958. - Au sein de l'Etat belge, les pouvoirs fédérés trouvent
place à côté, et non en dessous, des pouvoirs fédéraux. C'est pour
exercer les fonctions qui leur sont attribuées de manière spécifique.
A leur manière, les collectivités fédérées peuvent contribuer au bon
fonctionnement du système constitutionnel. Elles assument, cela va
de soi, les responsabilités qui leur reviennent en propre. Mais com-
ment vont-elles s'y prendre?
Point n'est besoin de rappeler ici les principes qui président au
partage des compétences entre l'Etat fédéral et ses composantes
(Livre VI). Il convient, par contre, de procéder à l'identification des
matières qui, de manière concrète, sont de compétence communau-
taire ou régionale (nos 959 s.).
Il faut aussi indiquer comment s'opère la répartition horizontale
des fonctions au sein des collectivités fédérées. Des collaborations et
des contrôles s'instaurent à ce niveau (nos 1012 s.). L'organisation
d'un régime semi-parlementaire caractérise l'aménagement de ces
collectivités.
Il convient encore de s'interroger sur l'exercice des fonctions fédé-
rées. Les règles en vigueur dans l'Etat fédéral ne trouvent pas
nécessairement à s'appliquer en l'occurrence (nos 1034 s.). Des
adaptations et des transpositions peuvent s'imposer.
CHAPITRE PREMIER
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES
COMMUNAUTAIRES ET RÉGIONALES

959. - Le fédéralisme de dissociation commande que les collec-


tivités fédérées n'aient d'autres responsabilités que celles qui leur
sont attribuées de manière expresse par la Constitution ou par les
lois fédérales qui en procurent application. Les tâches qui leur
reviennent sont spécialisées. Elles leur sont octroyées dans les
limites que tracent les textes constitutionnels ou législatifs qui éta-
blissent les règles du partage des compétences.
Définir le champ des compétences communautaires et celui des
compétences régionales conduit, dans cette perspective, à détermi-
ner les fonctions concrètes qui reviennent aux collectivités fédérées.
Les appellations utilisées peuvent induire en erreur. Des compétences sont
qualifiées de communautaires. Elles relèvent, en principe, d'autorités commu-
nautaires. Mais il se peut aussi, spécialement en Région wallonne, qu'elles soient
prises en charge par des autorités régionales. D'autres compétences sont quali-
fiées de régionales. Elles sont, en principe, exercées par des autorités régionales.
Mais il se peut aussi qu'elles soient assumées, par exemple dans la région de lan-
gue allemande, par des autorités communautaires.
Il importe aussi de tenir compte des évolutions institutionnelles qui se sont
produites au nord du pays. Le transfert global des matières régionales qui s'est
opéré en faveur des institutions communautaires perturbe une présentation
symétrique et ordonnée des compétences qui reviennent aux uns et aux autres.

SECTION pe. - LES COMPÉTENCES


COMMUNAUTAIRES

960. - Les compétences communautaire sont attribuées. Elles


sont énumérées. La Constitution n'attribue pas aux autorités com-
munautaires une compétence générale pour régler tout ce qui serait
d'intérêt communautaire. Elle entre dans la voie, originale en droit
belge, d'une énumération de matières qui sont soustraites à l'inter-
vention du législateur fédéral, ainsi qu'à celle du législateur régio-
nal, pour être attribuées à chaque communauté.
818 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

Ce mode de définition des compétences communautaires n'est pas


sans soulever des problèmes délicats d'interprétation dont la solu-
tion peut conduire à donner à l'autonomie communautaire un
contenu plus ou moins extensif. Ces problèmes sont de deux ordres.
D'une part, la Constitution et la loi fédérale n'ont pas manqué ~
pour définir les compétences communautaires ~ de recourir à des
expressions qui, ayant cours dans le langage politique, sont cepen-
dant dépourvues de valeur juridique. En accréditant ces notions, la
Constitution et la loi fédérale reprennent-elles à leur compte le sens
commun qui leur est donné ou entendent-elles leur procurer une
signification spécifique ?
D'autre part, la Constitution et la loi fédérale n'ont pu s' empê-
cher de recourir à des concepts juridiques qui se prêtent à des inter-
prétations divergentes et évolutives. Loin de fixer de manière nette
et permanente les contours des attributions reconnues dès à présent
à la communauté, la liste de matières retenues indique plutôt les
virtualités qui lui sont offertes et ménage les transitions vers une
plus grande autonomie de cette collectivité.

961. ~ La Constitution ne procure pas une définition claire des


responsabilités de la communauté. Elle détermine elle-même une
part de ces tâches ~ dans le domaine de l'emploi des langues ou de
l'enseignement (§§1er et 2) ~. Mais, pour une autre part~ celle des
matières culturelles et des matières personnalisables (§§ 3 et 4) ~,
elle laisse à la loi spéciale le soin de fixer de manière plus précise le
contenu de ces responsabilités. Il convient de suivre cette démarche.
Il faut aussi prendre en considération quelques compétences
annexes (§ 5).

§ pr. ~ L'emploi des langues

962. ~ Selon l'article 30 de la Constitution, << l'emploi des lan-


gues usitées en Belgique est facultatif; il ne peut être réglé que par
la loi (fédérale), et seulement pour les actes de l'autorité publique
et pour les affaires judiciaires •>.
La règle de liberté qui est inscrite dans cette disposition a été lar-
gement entamée par des législations de plus en plus contraignantes
et par des pratiques fondées sur le régime de l'unilinguisme des
agents, voire des services.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 819

De surcroît, la compétence reconnue et même réservée au légis-


lateur fédéral se trouve ébréchée sur des points essentiels. L'ar-
ticle 30 doit être lu, en effet, à la lumière de l'article 129 de la
Constitution qui précise les responsabilités de la communauté dans
le même domaine (1). Prises à la lettre, ces deux dispositions instau-
rent des solutions contradictoires. Il n'est possible d'en donner une
lecture cohérente qu'en distinguant mieux les domaines de compé-
tence en ce qui concerne l'emploi des langues et en tenant compte
du phénomène de distribution géographique des compétences
(n° 238).

A. - Les personnes privées


963. - Dans les relations entre personnes privées, l'emploi des
langues est libre. La matière ressortit aux droits intangibles de l'in-
dividu (no 237). Conversations, correspondances, conventions ver-
bales ou écrites, testaments... sont régis par une règle de totale
liberté. L'individu utilise la langue de son choix : patois, langue
régionale, nationale ou étrangère, langue vivante ou morte. Peu
importe, en l'occurrence.
·964. - Dans les relations entre les personnes privées et les entre-
prises qui les occupent, un tempérament est apporté à ce régime de
liberté. En permettant à la communauté de régler l'emploi des lan-
gues dans les entreprises privées - pour les relations sociales entre
les employeurs et leur personnel, ainsi que pour les actes et docu-
ments des entreprises imposés par les lois et les règlements -
(Const., art. 129, §1er, 3°), la Constitution s'écarte de l'idée que la
législation linguistique n'affecterait jamais que les relations des
individus avec les autorités publiques.
Les modifications qui sont apportées au décret flamand du 19 juillet 1973 -
communément appelé << décret de septembre >> -permettent de préciser la portée
de cette disposition. Des offres d'emploi et des entretiens préalables à l'em-
bauche tombent-ils sous le coup de telles dispositions? Dans la mesure où l'offre
d'emploi s'adresse à un nombre indéterminé de personnes, elle ne crée pas de
<<lien individualisé entre l'auteur de l'offre et les personnes qui pourraient y
répondre>>. Elle n'entre pas dans le domaine des relations entre l'employeur et
son personnel. L'entretien d'embauche met, au contraire, en présence un
employeur potentiel et une personne déterminée. II permet de préciser les élé-
ments de la relation de travail qui pourrait s'instaurer. A ce titre, il peut, selon

(l) F. DELPÉRÉE, <<Les politiques linguistiques en Belgique», Rev. gén. dr., 1988, 19, p. 255.
820 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

la Cour d'arbitrage, entrer dans la catégorie des<< relations sociales>> et faire l'ob-
jet de prescriptions linguistiques (2).

Les relations sociales doivent s'entendre des contacts verbaux qui


ont un lien direct ou indirect avec les rapports de travail. Elles ne
s'étendent pas aux relations que les employeurs sont tenus d'avoir
avec des institutions de droit public ou privé (3).
965. - Dans les relations entre les personnes privées et les insti-
tutions d'enseignement, y compris celles qui relèvent de l'enseigne-
ment libre - puisque, selon la Cour d'arbitrage, celles-ci assument
un service public fonctionnel (C.A., nos 25/92, 26/92 et 28/92, 2 avril
1992) - , la communauté peut régler l'emploi des langues- en tout
cas, celles qui président à l'organisation et à la dispensati on de l'en-
seignement

B. - Les administrations publiques


966. - Dans les relations entre les personnes privées et les admi-
nistrations publiques, << l'emploi des langues usitées en Belgique est
facultatif>> (Const., art. 30). Selon cette disposition, toute personne,
où qu'elle se trouve sur le territoire national, a le droit de s'adresser
à l'autorité publique dans l'une des langues nationales : en français,
néerlandais ou allemand (no 237) (4).
La reconnaissance de ce droit individuel est entamée par les dis-
positions légales ou décrétales qui, spécialement dans les régions

(2) C. HoREVOETS, «L'emploi des langues en matière sociale : un problème ancien, une solu-
tion classique», note sous C.A., n" 72/95, 9 novembre 1995, R.B.D.C., 1996, p. 186.
(3) C.A., n" 10/86, 30 janvier 1986.
(4) Le propos constitutionnel est souvent mal compris. Le citoyen a tendance à trouver, dans
l'article 30 de la Constitution, l'affirmation du droit qu'il aurait d'utiliser la langue de son choix
dans les relations privées. Ce qui est un contre-sens évident. La disposition ne concerne que « les
langues usitées en Belgique» - soit le français, le néerlandais et l'allemand, qualifiés, par ail-
leurs, de << langues officielles » - alors que le premier principe constitutionnel qui a été rappelé
réserve à l'individu la possibilité de s'exprimer en toute langue, en ce compris en des langues inu-
sitées en Belgique - le finnois, le swaheli ou le créole, pour ne prendre que ces exemples - .
Le citoyen a aussi tendance à trouver, dans la disposition constitutionnelle qui permet l'usage
<<facultatif» des langues, l'affirmation selon laquelle les autorités publiques auraient à faire
preuve de la même souplesse dans l'utilisation des langues officielles et que, dans une logique de
cohérence et d'efficacité, elles seraient tenues d'instruire le dossier administratif en fonction de
la langue dans laquelle l'affaire a été engagée. Ce qui va manifestement au-delà de ce que prescrit
le texte constitutionnel. Celui-ci se borne à proclamer un droit qui va directement au citoyen.
Il ne va pas jusqu'à prescrire une contrainte qui pèserait sur l'autorité publique.
En somme, l'article 30 de la Constitution donne au citoyen, quelle que soit la région d'où il
provienne et quelle que soit la région où il se trouve, la faculté d'utiliser de manière indifférenciée
le français, le néerlandais ou l'allemand lorsqu'il se trouve en contact - et, pourquoi pas?, en
relation positive- avec l'autorité publique.<< Facultatif'' est, dans le texte constitutionnel, syno-
nyme d'<< alternatif».
-~-- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 821

unilingues, concourent à organiser des administrations publiques en


recrutant des agents selon la règle de l'unilinguisme.
Ce principe constitutionnel ne peut être mis en œuvre que si des
formes et des pratiques de tolérance viennent corriger la rigidité de
la règle de droit. C'est peut-être là que le bât blesse. Sur le terrain
du fait, l'émergence de sentiments et d'attitudes d'intolérance peut
aller à l'encontre de préoccupations qui seraient celles de la << cour-
toisie linguistique >>. Sur le terrain du droit, l'affirmation du carac-
tère impératif- sinon d'ordre public - des prescriptions linguisti-
ques porte préjudice aux solutions improvisées auxquelles les inté-
ressés pourraient être tentés de recourir pour mettre << un peu
d'huile dans les rouages>>.
La reconnaissance de ce droit individuel peut également être
affectée par les dispositions d'un décret qui, tel celui du 30 JUin
1981, prescrit la solution inverse dans la région de langue néerlan-
daise : << Les particuliers, y compris les entreprises, établis dans une
région sans régime linguistique spécial de la région de langue néer-
landaise, utilisent exclusivement le néerlandais dans les rapports
avec les services locaux et régionaux >>.

C. - La justice et les autres compétences


fédérales

967. - Dans les relations entre les personnes privées et les ser-
vices de justice, la compétence fédérale est la règle, et ceci pour l'en-
semble du territoire. Ce qui ne signifie pas que le législateur fédéral
doit adopter des règles d'application uniforme. Il peut concevoir des
règles générales qui s'appliqueront à toutes les situations judiciaires.
Il peut aussi élaborer des <<lois-tiroirs>>, c'est-à-dire des instruments
législatifs qui contiendront des règles diversifiées et qui seront sus-
ceptibles de recevoir une application différenciée en fonction de la
localisation des affaires sur le territoire national.
La loi du 15 juin 1935 s'inscrit dans cette deuxième perspective.
Elle présente cette particularité d'être une loi nationale qui établit,
dès avant l'instauration d'un Etat fédéral, des règles juridiques dif-
férenciés en matière d'emploi des langues en justice. A défaut
822 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

d'aménager un fédéralisme de droit, elle instaure un fédéralisme de


fait (5).
968. - A titre résiduel, le législateur fédéral reste également
compétent pour régler l'emploi des langues - en matière adminis-
trative, scolaire et sociale - pour les parties du territoire qui ne
relèvent pas d'une région linguistique homogène, soit dans la région
bilingue de Bruxelles-Capitale et dans les communes dites à statut
spécial, en ce compris celles de langue allemande.
Le législateur fédéral est, en outre, compétent pour régler, sur
l'ensemble du territoire, l'emploi des langues pour les actes de l'au-
torité publique qui ne relèvent pas du domaine des affaires adminis-
tratives ou judiciaires - par exemple, l'usage des langues dans les
assemblées parlementaires - .

§ 2. - Les matières éducatives


969. - En ce qui concerne l'enseignement, il est renvoyé aux
observations relatives à la liberté de l'enseignement (nos 220 s.).
L'expression est entendue au sens large. Même des questions,
comme celle des transports ou des bâtiments scolaires, qui auraient
pu in abstracto relever d'autres ordres juridiques reviennent de plein
droit, et hormis l'hypothèse d'un transfert de compétences, aux
autorités communautaires.
En ce qui concerne l'emploi des langues dans l'enseignement, il
est renvoyé au no 965.
Au titre des matières culturelles, la loi spéciale de réformes institutionnelles
mentionne également <<l'encouragement à la formation des chercheurs>> (art. 4,
2") ainsi qu'un ensemble de rubriques qui peuvent toucher aux pratiques éduca-
tives : <<la formation préscolaire dans les gardiennats >>(ibid., ll "),<<la formation
postscolaire et parascolaire>> (ibid., 12"), <<la formation intellectuelle, morale et
sociale>> (ibid., 14°) et la promotion sociale (ibid., 15").

§ 3. - Les matières culturelles


970. - Selon les articles 127 et 130 de la Constitution, les
matières culturelles sont de la compétence de la communauté. Que
couvre une telle appellation ? L'expression de culture doit-elle être

(5) F. DELPÉRÉE, ''El uso de las lenguas en la justicia en Bélgica •>, in La administracion de
justicia en los Estados plurilingües, Barcelone, Generalidad de Cataluna, 1997, p. Il; E. FRENe-
KEN, "La ley helga por lo que respecta al uso de las lenguas en el àmbito judicial », ibidem, p. 25.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 823

entendue au sens que lui confère la sociologie moderne - et qui


l'identifie, de manière large, aux conceptions de vie sociale que se
donne une collectivité humaine - ou au sens restreint que lui don-
nent, par exemple, les académies officielles de beaux-arts? Ou faut-
il chercher réponse dans les instruments internationaux, tels ceux
qui sont préparés sous l'égide de l'UNESCO?
La loi spéciale du 8 août 1980 établit, dans son article 4, la liste
exhaustive des matières culturelles. Chaque rubrique appelle une
interprétation particulière. Au fil des dossiers dont elles sont saisies,
la section de législation du Conseil d'Etat et la Cour d'arbitrage s'ef-
forcent de la procurer.

A. - La défense et l'illustration de la langue


971. - La <<défense et l'illustration de la langue)) figure au pre-
mier rang des matières culturelles. Cette matière ne doit pas être
confondue avec celle de <<l'emploi des langues)). Les décrets pris en
ce domaine sont également d'application dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale. La Cour d'arbitrage observe curieusement que la
notion renvoie à << la protection de la langue en tant que telle, comme
instrument de culture, et non la protection des personnes dans
l'usage qu'elles en font)) (C.A., n° 17/86, 26 mars 1986).
Dans le cadre de ses compétences en matière culturelle, la communauté peut
prendre toute initiative pour la promotion de la culture et pour concrétiser le
droit de chacun à l'épanouissement culturel défini à l'article 23, alinéa 3, 5" de
la Constitution. Selon la Cour d'arbitrage, elle ne peut prendre, à ce titre, des
mesures de protection de sa minorité établie dans l'autre région linguistique (6).

B. - Les activités et institutions culturelles


972. - Parmi les rubriques visées à l'article 4 de la loi spéciale,
figurent : <<les beaux-arts)) (3°), <<le patrimoine culturel, les musées
et les autres institutions scientifiques culturelles, à l'exception des
monuments et des sites )) (4 °), << les bibliothèques, les discothèques et
services similaires )) (5°) et la formation artistique ( 13 ").
La matière de <<la radiodiffusion et la télévision)) (6°) est égale-
ment à ranger dans cette catégorie.
La loi spéciale soustrait une partie de la matière à la compétence de la com-
munauté : l'émission de communications du gouvernement fédéral. Mais corn-

(6) C.A., no 67(96, 28 novembre 1996.


824 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

ment concilier la responsabilité de la communauté ---- ou de l'établissement


public qu'elle a créé- d'arrêter les programmes de ses émissions de radio et de
télévision et le droit du gouvernement fédéral de délivrer sur les ondes et les
canaux qui lui reviennent des communications 1 Selon la Cour d'arbitrage, <<la
maîtrise de la programmation confiée aux instituts (de radio et de télévision) est
limitée à la matière transférée aux communautés elles-mêmes, dont l'émission de
communication du gouvernement (fédéral) est expressément exclue'>- L'émission
de telles communications ne constitue pas une émission des instituts. Le légis-
lateur fédéral est seul compétent pour adopter toutes les dispositions visant à
réaliser cette émission (C.A., n" 31, 20 janvier 1987).
La pratique semble accréditer l'idée que d'autres matières restent également
de compétence fédérale, en particulier la répartition des fréquences et l'octroi
des autorisations techniques.

Dans le même ordre d'idées, il faut mentionner << le soutien de la


presse écrite>> (6° bis).
La politique de la jeunesse représente, elle aussi, une matière
culturelle (7°).
D'autres rubriques sont répertoriées : <<l'éducation permanente et
l'animation culturelle >> (8 ") - notamment lorsque celle-ci se réalise
à l'intervention de centres culturels- ou<< l'éducation physique, les
sports et la vie en plein air >> (9°).
Malgré plusieurs avis négatifs du Conseil d'Etat, le comité de concertation
estime qu'une communauté est, dans cette perspective, en mesure de régler la
participation des mineurs à des compétitions sportives (Doc. parl., Sénat, 1983-
1984, 673, n° 2);

Les <<loisirs>> et le <<tourisme>> (10°) font également partie des


matières culturelles.
Alors même que les chambres réunies du Conseil d'Etat étaient d'avis que
seuls les éléments culturels d'une politique des loisirs et du tourisme étaient à
prendre en considération par la communauté (9 décembre 1981), le comité de
concertation considère (Gedr. St., VI. R., 1982-1983, n° 192/4) qu'une stricte dis-
tinction entre dispositions culturelles et dispositions économiques susciterait des
difficultés insurmontables et que la prévalence communautaire devrait être affir-
mée dans ce domaine. La Cour d'arbitrage estime de son côté, le 26 juin 1986,
que <<l'ensemble de la politique du tourisme, en ce compris tous les aspects de
cette politique, qui sont déterminants pour la qualité du secteur hôtelier et qui
visent à la protection du touriste '> est de compétence communautaire.

C. - Les activités liées à un changement


de profession
973. - L'on ne saurait ignorer que la reconversion et le recy-
clage professionnels (art. 4, 16°) sont également de compétence corn-
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 825

munautaire. L'explication est simple. Des tâches proches de celles


de l'enseignement et de la formation permanente sont à accomplir.
Mais, d'un autre côté, les fonctions à remplir sont voisines de celles
qui reviennent à la région au titre de la politique de l'emploi
(no 998). Elles sont également tributaires des interven~ions fédé-
rales, au titre de la sécurité sociale.
C'est la raison pour laquelle la loi spéciale exclut des compétences
communautaires <~ les règles relatives à l'intervention dans les
dépenses inhérentes à la sélection, la formation professionnelle et la
réinsertion du personnel recruté par un employeur en vue de la créa-
tion d'une entreprise, de l'extension ou de la reconversion de son
entreprise>> (16°, in fine).

§ 4. - Les matières personnalisables

974. - Les matières personnalisables sont ces matières qui, rele-


vant de la politique sociale, au sens large de l'expression, requièrent,
pour leur mise en œuvre, une relation individualisée entre le bénéfi-
ciaire et le dispensateur de la prestation. Pareille relation doit s'éta-
blir en tenant compte des conceptions sociales qui sont propres à
chaque communauté et en respectant la langue qui est spécifique à
ses ressortissants (7).
«L'exposé des motifs du projet de loi portant diverses réformes institution-
nelles retient comme caractère des matières personnalisables le fait qu'elles
soient 'étroitement liées à la vie de l'individu dans sa communauté' ... Si géné-
rale que soit (cette formule), elle constitue, à défaut de l'indication de critères
précis, un élément fort important de la notion>> (8).

La Constitution se contente d'utiliser la notion générique de


matières personnalisa bles (9). Elle renvoie, par ailleurs, à l'article 5
de la loi spéciale de réformes institutionnelles pour en donner une
liste limitative. Différentes rubriques sont ainsi répertoriées.

(7) F. DF-LPÉRÉE, Droit constitutionnel, t. 1"'', Les données constitutionnelles, Bruxelles, Larcier,
1987, p. 419.
(8) C.E., L. 14.190/2, 22 septembre 1981. Adde: L. 19.891/9, 17 septembre 1990 (Doc. parl.,
Chambre, s.a. 1977-1978, n" 461/1, p. 28).
(9) F. DF-LPÉRÉE, «Les matières personnalisables. De l'autonomie culturelle à l'autonomie
sociale? >>, in Les Cahiers du Ôacef, 1978, p. 3.
826 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

A. ~ La politique familiale
975. ~ La communauté peut régler << la politique familiale, en ce
compris toutes les formes d'aide et d'assistance aux familles et aux
enfants>> (art. 5, § 1er, Il, P).
Cette compétence renvoie à un ensemble d'initiatives et de mesures qui ten-
dent à apporter une assistance et une aide matérielle, sociale, psychologique et
éducative aux familles, en ce compris l'accompagnement d'une grossesse et l'aide
concernant la contraception et la parenté responsable. Elle ne vise en aucune
manière« la possibilité pour le législateur décrétai de régler ni l'exercice de l'art
de guérir, ni l'avortement>> (10). Elles ne lui permettent pas non plus d'octroyer
des aides aux familles de travailleurs salariés, ces avantages en nature étant assi-
milables aux prestations familiales octroyées aux familles de travailleurs salariés
ouvrant droit aux allocations familiales et << faisant ainsi partie intégrante du
régime de la sécurité sociale qui relève de la compétence de l'autorité fédé-
rale>> (11).

B. ~ La politique de santé
976. ~ La médecine préventive ~ à la seule exception des
mesures prophylactiques nationales ~ est de compétence commu-
nautaire (art. 5, §1er, 2°). Ainsi <<le dépistage et la lutte contre les
maladies transmissibles et sociales sont du ressort des communautés
mais les vaccinations obligatoires échappent à leur compétence, au
titre des 'mesures prophylactiques nationales'>> (C.E., L. 14.172/2).
Au titre de la médecine préventive, il y a lieu de prendre en compte :
* l'éducation sanitaire. <<II ressort des travaux préparatoires de la loi spéciale
que la compétence communautaire englobe notamment l'information et l'édu-
cation sanitaire, la protection sanitaire de la population, notamment par la
prévention du cancer et l'amélioration de l'état sanitaire de la population, soit
dans le cadre d'une éducation sanitaire, soit par d'autres moyens appro-
priés» (12). La réglementation relative aux denrées alimentaires ne relève pas,
par contre, de ce domaine. La communauté n'est pas compétente pour<< régle-
menter la publicité pour le tabac>>.
* la protection sanitaire. II s'agit notamment de protéger la mère et l'enfant dans
le cadre d'activités qui sont poursuivies dans les consultations de nourrissons,
les pouponnières, les maisons maternelles, les gardes à domicile, les centres de
vacances et d'hébergement.
* l'inspection sanitaire. Elle prend notamment la forme de l'inspection médicale
scolaire, telle qu'elle organisée par la loi du 21 mars 1964, et telle qu'elle se

(10) C.A., n" 20(89, 13 juillet 1989. Adde : C.A., no 30(91, 19 décembre 1991, obs. Ph. CaEN·
RAETS : «De nouvelles frontières aux compétences de la Cour d'arbitrage», J.T., 1992, p. 364.
(11) C.E., L. 26.564/1, 19 et 23 juin 1997.
(12) C.A., n" 7/93, 27 janvier 1993, R. W., 1992/1993, col. 987, note P. PoPELIER: "Wie voert
de strijd tegen het tabaksverbruik? >>.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 827

pratique dans les centres PMS. Elle peut également justifier les contrôles
médicaux dans le domaine du sport, en particulier ceux qui visent à déceler
les pratiques de dopage (13).
* le contrôle sanitaire. Il implique l'agrément des services inter-entreprises de
médecine du travail. Il requiert aussi le contrôle des dispositions du règlement
général sur la protection du travail.
On ne saurait, par contre, assimiler à la médecine préventive<< l'aide médicale
urgente>>. Cette matière reste de compétence fédérale. Elle implique, en effet, la
mise en œuvre d'un <<dispositif technique dont l'efficacité exige qu'il soit uni-
forme>> (C.A., n° 47/95, 6 juin 1995 et n" 63/95, 2 juillet 1995).

La médecine curative, pour sa part, fait l'objet d'interventions


communautaires lorsqu'elle se traduit dans la << dispensa ti on de
soins>> (art. 4, §1er, I, 1 °). Ceux-ci peuvent être procurés à l'hôpital
ou en dehors du milieu hospitalier. Des exceptions importantes -
qui comprennent notamment le régime de financement, le régime de
la sécurité sociale, la législation sur l'art de guérir ... - affectent,
cependant, cette compétence communautaire.
« Il est constant que l'autorité fédérale est compétente pour la réglementation
de l'art de guérir, de l'art infirmier et des professions médicales>> (Doc. parl.,
Chambre, 1983-1984, n" 910/2, p. 3). <<Il ressort clairement des travaux prépara-
toires de (l'art. 5, § 1"', 1 de la loi spéciale de réformes institutionnelles) que la
réglementation de l'exercice de l'art de guérir et des professions médicales ne
relève pas des matières concernant la politique de santé qui ont été transférées
aux communautés en tant que matières personnalisables >> (14). Le législateur
fédéral peut à ce titre se soucier << de la qualité de la dispensation des soins >>,
sans s'ingérer pour autant dans l'organisation de la formation de kinésithéra-
peute et sans porter atteinte aux responsabilités des communautés en matière
d'enseignement (15).

<<Les règles de compétence relatives aux hôpitaux peuvent, de


manière assez générale, se résumer comme suit : la fixation des
normes relève de l'autorité (fédérale), leur exécution et leur applica-
tion sont de la compétence des communautés>> (C.E., avis du
15 juillet 1992, Mon. b., 27 juillet 1992).

C. - L'aide aux personnes


977. - La matière de l'aide aux personnes est de compétence
communautaire. Elle englobe la politique familiale (n° 975), la poli-
tique d'aide sociale (2°), <<la politique d'accueil et d'intégration des

(13) Ged-r. St., VI. R., 1990-1991,448, n" 1, reproduisant l'avis L. 17.506/8, 10 décembre 1986.
(14) C.A., n" 81/96, cité.
( 15) Ibidem.
828 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

immigrés)) (3°), <<la politique des handicapés)) (4°), <<la politique du


troisième âge)) (6°), la <<protection de la jeunesse)) (7°) et <<l'aide
sociale aux détenus)) (8°).
<< Dans un important avis, la section de législation a ... été amenée
à préciser la notion même d'aide aux personnes. Pour le Conseil
d'Etat, cette notion concerne des personnes qui, pour une raison ou
l'autre, se trouvent dans une situation leur donnant droit à une aide
déterminée de la part de l'autorité. Cette situation peut être envisa-
gée sous deux angles. Dans une première approche, il est tenu
compte des causes qui conduisent à une telle situation; dans la
seconde approche, c'est la situation même dans laquelle se trouve la
personne qui est prise en considération. L'article 5, § 1er, II, de la loi
spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles procède des
deux conceptions. En ses 1°, 3°, 4°, 5°, 6" et 7°, il opte pour l'ap-
proche par catégorie, tandis qu'en son 2°, il se fonde sur la situation
de détresse considérée en elle-même, indépendamment de sa
cause)) (16).
978. - << La politique d'aide sociale, en ce compris les règles
organiques relatives aux centres publics d'aide sociale )) constitue un
domaine important de l'aide aux personnes. Aux fins de préserver
la responsabilité de l'Etat fédéral dans le domaine de la sécurité
sociale, le législateur spécial affecte cette compétence communau-
taire de trois exceptions :
* la fixation du montant minimum, des conditions d'octroi et du
financement du revenu légalement garanti, conformément à la
législation instituant le droit à un minimum de moyens d'exis-
tence;
* les matières relatives aux centres publics d'aide sociale, réglées
par les articles pr et 2 et dans les chapitre IV, V et VII, de la loi
organique du 8 juillet 1976 relative aux centres publics d'aide
sociale, sans préjudice de la compétence des communautés d'oc-
troyer des droits supplémentaires ou complémentaires;
* les matières relatives aux centre publics d'aide sociale, réglées
dans la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours
accordés par les commissions d'assistance publique.

(16) R. ANDERSEN et P. NmouL, «Le Conseil d'Etat - Chronique de jurisprudence 1996 »,


R.B.D.C., 1997, p. 200 et la référence citée : Gedr. St., VI. R., 1995-1996, no 298/2, avis du
12 novembre 1996.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 829

La protection minimale assurée ainsi par l'autorité fédérale peut-elle être éten-
due? <<Si l'on admet que l'autorité fédérale est incompétente, cela équivaurait
à figer en grande partie l'état de la législation au moment où la loi spéciale du
16 juillet 1993 est entrée en vigueur. La compétence de l'autorité fédérale relati-
vement aux matières visées à l'article 5, §le', II, 2", b, de la loi spéciale du
8 août 1980 se réduirait alors à une compétence d'appliquer les articles et cha-
pitres mentionnés par cette disposition et n'emporterait pas la compétence de les
modifier. Une pareille réduction de ce qu'il faut normalement entendre par la
compétence d'une autorité ne peut guère se concevoir si elle n'est pas exprimée
explicitement dans le texte même de la règle attributive de compétences concer-
née ou, du moins, dans ses travaux préparatoires ... Il ne peut guère être dérogé
au principe selon lequel le législateur est investi, dans le domaine qui lui est
attribué, du pouvoir de déterminer lui-même la teneur des règles de droit appli-
cables ... L'autorité fédérale est compétente pour déterminer le niveau des 'droits
de base'>> (Doc. parl., Sénat, session 1997-1998, 1-538/2, avis C.E., 25 novembre
1997).

979. - Dans un avis fort restrictif du 20 juin 1984, les chambres


réunies du Conseil d'Etat ont établi les règles du partage des compé-
tences en matière de protection de la jeunesse. <<Les compétences sont
réparties entre l'Etat (fédéral) et les communautés ... Les disposi-
tions relatives aux tribunaux de la jeunesse et aux chambres de la
jeunesse ... ressortissent au droit judiciaire et, par conséquent, elles
appartiennent à la compétence du législateur (fédéral). Les mesures
prises à l'égard des parents affectent l'autorité parentale que le
droit civil leur a pourtant conférée et ne peuvent donc relever de la
compétence des communautés. Les mesures prises à l'égard des
mineurs ont, pour leur part, un caractère contraignant et ne peu-
vent à ce titre relever des matières personnalisables >>.
La protection de la jeunesse comprend <<aussi bien la protection
judiciaire que la protection sociale>> (17). La communauté peut donc
déterminer des mesures de protection de la jeunesse. Elle peut
modifier la compétence matérielle des juridictions de la jeunesse
mais ne saurait, en ce faisant, régler leur procédure.
980. - La Communauté est compétente pour régler l'accueil et
l'intégration des personnes immigrées (18). Néanmoins, <<c'est au
seul législateur fédéral qu'est réservée la compétence d'établir des
exceptions à l'égalité des droits, consacrée (par l'article 191 de la

(17) C.A., n" 4/93, 21 janvier 1993, Journ. proc., 19 mars et 2 avril 1993, obs. M. PREUMONT,
«Annulation partielle du décret de la Communauté française relatif à l'aide à la jeunesse''·
(18) Voy. le décret flamand du 19 avril 1995 réglant l'octroi de subventions aux associations
populaires, Mon. b., 9 août 1995.
830 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

Constitution), entre les Belges et les étrangers)) (C.E., L. 24.814/9,


4 mars 1996). C'est à lui que revient également le soin d'établir les
règles qui concernent << la police des étrangers )).
L'exercice dé cette compétence communautaire peut entrer en
conflit avec d'autres compétences de nature régionale, telle la politi-
que du logement (19).

§ 5. - Les autres compétences communautaires


981. - La communauté reçoit compétence pour déterminer, à sa
manière, comment des échanges ou des accords - notamment
culturels- pourront s'établir avec les autres communautés qui sont
constituées en Belgique.
Des formes de coopération sont esquissées dans la loi fédérale du
21 juillet 1971. Une commission est mise en place au sein du parle-
ment de la Communauté. Elle se voit assigner pour objectif de<< pro-
mouvoir la coopération)) avec l'autre communauté (art. 4, § pr). Les
commissions- constituées dans l'un et l'autre parlement et rassem-
blées en séance commune - constituent les << commissions réunies
de coopération)). Elles ont pour objet de s'informer et de se consul-
ter. Mais chaque communauté est habilitée à tirer de ces discussions
les conclusions qui lui paraissent appropriées et à régler éventuelle-
ment la matière par décret.
982. - En vertu du principe d'externalité, les responsabilités
conférées dans l'ordre interne de la communauté ont leur prolonge-
ment dans l'ordre international.
<< Les auteurs de la Constitution )) souhaitent que << l'autonomie qui
est reconnue sur le plan interne, puisse s'exprimer sur le plan
externe)) (Doc. parl., Sénat, S.E. 1991/1992, no 100-16/1 ", p. 1).
L'article 167 de la Constitution et l'article 16 de la loi spéciale
concrétisent cette préoccupation.
983. - La communauté est encore compétente en matière de
recherche scientifique pour autant que celle-ci se rapporte aux
matières qui sont de compétence communautaire. Ceci comprend la

(19) Voy. C.E., L. 24.8114/9, 4 mars 1996, à propos d'un avant-projet de décret wallon relatif
à l'intégration des personnes étrangères ou d'origine étrangère. Il convient de noter que la compé-
tence de l'accueil et de l'intégration des immigrés a été transféré de la Communauté française
à la Région wallonne.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 831

recherche <~ concernant les mêmes matières dans le cadre ou en exé-


cution d'accords ou actes supranationaux>> (l. sp., art. 6bis, §PT

SECTION II. - LES COMPÉTENCES RÉGIONALES

984. - En son article 39, la Constitution n'attribue pas compé-


tence à la région pour régler tout ce qui est d'intérêt régional. Para-
doxalement, elle n'arrête pas non plus la liste des matières qui sont
de compétence régionale. Elle laisse à la loi spéciale le soin de
<~déterminer>> ces objets et d'énumérer les matières qui peuvent
faire l'objet d'interventions régionales. Elle ne lui assigne qu'une
règle de conduite. La liste ne pourra comprendre les matières lais-
sées à l'intervention de la communauté.
985. - La loi spéciale du 8 août 1980, modifiée le 8 août 1988,
n'entre pas, à proprement parler, dans la voie d'une énumération
des rubriques qui pourraient caractériser chacune des matières qui
relèvent des intérêts régionaux. Elle emprunte une voie moyenne.
Renouant avec les procédés mis en œuvre dans la loi de régionali-
sation préparatoire et avec la notion de <~politique régionale >> qu'elle
tendait à mettre en évidence, la loi spéciale va recourir à la techni-
que des <~ blocs de compétences >>. Elle groupe ainsi, sous des intitulés
forcément vagues- la politique de l'eau (art. 6, §1er, V), la politi-
que économique (ibid., VI), la politique de l'énergie (ibid., VII), la
politique de l'emploi (ibid., IX) - , un ensemble d'intérêts régio-
naux dont la définition exacte ne s'éclaire que par référence aux
politiques que les régions sont invitées à poursuivre.
Des matières particulières s'ajoutent à ces blocs de compétences :
l'aménagement du territoire (art. 6, § l"r, 1 à IV), la recherche appli-
quée dans le domaine des matières régionales (ibid., X), les interven-
tions à l'égard des pouvoirs subordonnés (ibid., VIII) ... En l'espèce,
le législateur semble avoir considéré que le seul énoncé des rubriques
devait suffire à en caractériser le contenu; il en procure éventuelle-
ment, grâce à des sous-rubriques, quelques exemples.
La technique utilisée provoque sans doute <~ un grand dérange-
ment d'habitudes anciennes et un effort nécessaire de réadaptation
832 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

de la part du public et surtout des juristes>> (20). Le système reste


néanmoins d'une <<logique accessible>> (21).
986. - L'on ne saurait entrer dans le détail de la définition des
matières régionales, de la mise en œuvre de ces attributions et des
controverses que l'application de la loi spéciale a d'ores et déjà pu
susciter. Il faut, par contre, répertorier les principaux chefs d'inter-
vention régionaux. L'on cite, à cet effet, des passages significatifs
d'avis de la section de législation du Conseil d'Etat ou d'arrêts de
la Cour d'arbitrage (22).

§ 1er. - L'organisation du territoire


987. - Dans l'ensemble des Etats européens, la politique régio-
nale conduit, au premier chef, à aménager une aire géographique,
une contrée, une étendue de pays (C. VANDERMOTTEN) qui présente
une spécificité par rapport aux territoires environnants. La régiona-
lisation, telle qu'elle est instaurée en Belgique, n'échappe pas à cette
manière de faire. C'est le territoire régional qui constitue le premier
objet de l'intérêt de la région.

A. - L'aménagement du territoire
988. - La région est investie, dans les termes les plus larges, de
responsabilités importantes pour ce qui est de l'organisation du
cadre de vie régional. A ce titre, elle règle notamment l'aménage-
ment du territoire (l. sp., art. 6, §1er, I).
Cette compétence implique la possibilité de régler << 2o les plans
d'alignement de la voirie communale, 3" l'acquisition, l'aménage-
ment, l'équipement de terrains à l'usage de l'industrie, de l'artisanat
et des services, ou d'autres infrastructures d'accueil aux investis-
seurs, y compris les investissements pour l'équipement des zones
industrielles avoisinant les ports et leur mise à la disposition des uti-
lisateurs, 4 o la rénovation urbaine, 5" la rénovation des sites d' acti-

(20) P. TAPIE, op. cit., p. 263.


(21) Ibid.
(22) Voy., à ce sujet, les chroniques annuelles de jurisprudence administrative et de jurispru-
dence constitutionnelle que publient, d'une part, R. ANDERSEN et P. NIHOUL et, d'autre part,
F. DELPÉRÉE, A. RASSON-ROLAND et B. RENAULD à la Revue belge de droit constitutionnel. Sur la
jurisprudence de la Cour d'arbitrage, voy. également F. DELPÉRF:E et A. RASSON-ROLAND,
Recueil d'études sur la Gour d'arbitrage 1980-1990, cité; J. SAROT, P. VANDERNOOT etE. PERE-
MANS, Dix ans de jurisprudence de la Gour d'arbitrage (5 avril 1985-31 août 1995), Bruxelles,
Bruylant, 1995.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 833

vité économique désaffectés, 6° la politique foncière}). Il y a lieu


d'ajouter une matière connexe : <~ 7o les monuments et les sites}).
La matière de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire est tout entière de
compétence régionale. ~·Cette attribution de compétence ne connaît pas d'excep-
tion>} (C.A., n° 54, 24 mai 1988). La région peut à ce titre modifier les disposi-
tions de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de
l'urbanisme. Il lui revient d'établir les plans qui pourvoient à cet office. Relève,
par exemple, de sa compétence «la réglementation de l'ensemble de la matière
des plans de secteur, en ce compris la fixation ou la modification des mesures
de publicité qui sont propres à la matière~ (23). Il incombe aussi à la région de
connaître, le cas échéant, des dossiers individuels que la mise en œuvre des opé-
rations d'urbanisme peut susciter.
En ce qui concerne les monuments et les sites, la compétence régionale com-
prend l'ensemble des mesures visant à ~·l'identification, la sauvegarde, le classe-
ment, l'entretien, la restauration, la consolidation, la mise en valeur, la gestion
de la promotion, le subventionnement de nouveaux ensembles architecturaux et
sites>} (C.A., n° 8/94, 27 janvier 1994 et n° 49/94, 22 juin 1994). Selon les tra-
vaux préparatoires de la loi spéciale, cette compétence englobe ~·les monuments
isolés, les parties de monuments, les immeubles par destination et les ensembles
architecturaux>} (Doc. parl., Chambre, 1988, 516/1, p. 5). Par contre, la commu-
nauté protège les objets mobiliers, qui ne sont pas des immeubles par destination
ou qui ont cessé de l'être (Gedr. St., VI. R., 1992-1993, n° 258/1, avis L. 20.611/
8) (24).

B. -L'environnement
989. - La région est compétente pour protéger l'environnement,
c'est-à-dire <~prévenir et combattre les différentes formes de pollu-
tion, parmi lesquelles la pollution de l'eau, du sol, (du sous-sol) et
de l'air}) (C.A. no 55/92, 9 juillet 1992). Elle peut également assurer
la lutte contre le bruit.
Elle est habilitée à régler <~ 2° la politique des déchets, 3° la police
des établissements dangereux, insalubres et incommodes, sous
réserve des mesures de police interne qui concernent la protection
du travail, 4 o la production et la distribution d'eau, en ce compris
la réglementation technique relative à la qualité de l'eau potable,
l'épuration des eaux usées et l'égouttage}) (l. sp., art. 6, § 1er, III).

(23) C.A., n" 20/96, cité.


(24) Dans l'avis L. 22.918/9, 18 avril 1994, le Conseil d'Etat ne manque pas de relever
<< qu'une telle répartition des compétences fondée sur la nature physique des biens concernés peut

conduire à certaines difficultés» et que «pour les résoudre, un accord de coopération entre com-
munautés et régions paraît souhaitable, voire indispensable».
834 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

La politique des déchets doit permettre à la région d'éviter que l'environnement


et la santé publique ne soient compromis. Se fondant sur les travaux prépara-
toires de la loi spéciale, la Cour d'arbitrage contribue à donner une définition
large de cette compétence régionale. Celle-ci comprend «le ramassage, le tri, le
transport, le traitement des déchets ainsi que leur stockage et leur dépôt sur ou
dans le sol, les opérations de transformation nécessaires à leur utilisation, leur
récupération ou leur recyclage>> (C.A., n° 1/89, 31 janvier 1989; n° 12/89, 31 mai
1989; n° 18/89, 29 juin 1989). Selon la Cour, la région peut aussi interdire l'aban-
don de déchets- c'est même le préalable à toute politique en la matière-. Elle
peut, par exemple, prendre des mesures préventives de police pour éviter qu'un
dommage écologique ne se produise ou ne se poursuive (25).

C. - La conservation de la nature
990. - En ce qui concerne la rénovation rurale et la conservation
de la nature, la région assume des responsabilités précises (l. sp.,
art. 6, § 1er, III) : << 1o le remembrement des biens ruraux et la réno-
vation rurale, 2° la protection et la conservation de la nature, à
l'exception de l'importation, de l'exportation et du transit des
espèces végétales non indigènes, ainsi que des espèces animales non
indigènes et de leurs dépouilles, 3° les zones d'espaces verts, les
zones de parcs et les zones vertes, 4 o les forêts, 5° la chasse ... et la
tenderie, 6" la pêche fluviale, 7° la pisciculture, 8° l'hydraulique
agricole et les cours d'eau non navigables, en ce compris leurs
berges, 9° le démergement, 10° les polders et les wateringues >>.
En particulier, << la conservation de la nature tend, comme la loi
du 12 juillet 1973 le précisait déjà en son article 1er, à sauvegarder
le caractère, la diversité et l'intégrité de l'environnement naturel
par des mesures de protection de la flore et de la faune, de leurs
communautés et de leurs habitats, ainsi que du sol, du sous-sol, des
eaux et de l'air>> (C.A., no 1/89, 31 janvier 1989).
La matière réglée par le Code forestier concerne la conservation de la nature.
<< Cette compétence habilite la région à prendre toutes les mesures nécessaires
pour l'exercer'' (26). <<En transférant (à la) région la compétence en matière de
protection et de conservation de la nature et en matière de forêts, le Constituant
et le législateur spécial ont attribué (à la) région, sous réserve de l'exception
indiquée à l'article 6, §1er, III, 2° in fine, toute la compétence d'édicter des
règles propres à ces matières, et ce sans préjudice du recours, au besoin, à l'ar-
ticle 10 de la loi spéciale"· La région peut notamment s'attacher à <<protéger

(25) F. DELPÉRÉE et A. RASSON-ROLAND, Recueil d'études ... , p. 129; E. ÜRBAN DE XIVRY,


«La jurisprudence de la Cour d'arbitrage et le droit de l'environnement •, Amén., 1988, p. 74;
C.A., n" 50/88, 17 mars 1988 et 54/88, 24 mai 1988.
(26) C.A., n" 68/96, cité.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 835

l'écosystème forestier>>. En luttant contre les perturbations qu'apportent à ce


dernier différents modes de locomotion, elle inscrit ses interventions dans le
cadre de la compétence régionale (27).

Dans chacun de ces domaines, la regwn fait œuvre décrétale et


réglementaire. Elle prend également les mesures individuelles qui
s'imposent. Elle assure la gestion des biens dont elle a la charge.

D. - Le logement
991. - En ce qui concerne le logement (art. 6, § 1er, IV), la
région est investie d'une compétence sans réserve. << D'après les tra-
vaux préparatoires de la loi spéciale, le terme 'logement' doit être
pris dans un sens très large et couvre l'ensemble de la politique du
logement, en ce compris, dès lors, l'octroi de subventions en vue de
stimuler la construction d'habitations >> (28). Par contre, les normes
de protection contre l'incendie restent de compétence fédérale à
moins qu'elles ne visent, par exemple, la qualité des matériaux ou
les installations des habitations (29).

§ 2. -L'économie

A. - La politique économique régionale


992. - La région est habilitée à régler << 1o la politique économi-
que; 2° les aspects régionaux de la politique du crédit, en ce compris
la gestion des organismes publics de crédit; 3° la politique des
débouchés et des exportations ... ; 5° les richesses naturelles>> (l. sp.,
art. 6, § 1er, VI, al. 1er).
Comme l'observeR. ANDERSEN, la région doit exercer les compé-
tences qui lui sont attribuées en matière de politique des débouchés
et des exportations << dans le respect des compétences parallèles de
l'Etat fédéral>> (30).

(27) Ibidem.
(28) Doc. Parl., Sénat, 1980-1981, n" 535/1, avis, L. 13.739/2, 18 novembre 1980.
(29) Doc., C.R.W., 1982-1983, n" 60/1.
(30) R. ANDERSEN, <<Les attributions de la Région>>, in La Belgique fédérale ... , p. 255 ;
Ch. DARVILLE-FINET, <<Le commerce extérieur, les principales étapes du nouveau paysage institu-
tionnel>>, R.B.D.I., 1994, p. 164. <• Les régions sont compétentes ponr mener leur propre politique
de promotion dans le domaine du commerce extérieur, sans préjudice toutefois des initiatives
fédérales en la matière qui résulteraient soit d'une concertation avec la région, soit d'accords de
coopération» (C.E., L. 26.943/4).
836 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

B. - La politique économique fédérale


993. - En matière économique, les compétences fédérales sont
de divers ordres. Il y a les compétences qui font figure d'exceptions
à la compétence régionale de principe. Il y a les compétences attri-
buées sans réserve aux autorités fédérales. Il y a les compétences
partagées avec les autorités régionales.
994. - Des compétences fédérales sont conçues comme des
exceptions à la compétence régionale de principe. La région est habi-
litée à agir mais elle doit le faire dans le respect de principes inscrits
dans la loi fédérale. Il en va ainsi du principe de liberté du com-
merce et de l'industrie. Cette liberté ne peut être conçue comme
<<absolue)> (31). <<Le législateur compétent peut être amené, que ce
soit dans le secteur économique ou dans d'autres secteurs, à limiter
la liberté d'action des personnes ou entreprises concernées, ce qui
aura nécessairement une incidence sur la liberté du commerce et de
l'industrie)). Avec cette conséquence précise : l'Etat fédéral, comme
la région, violerait cette liberté s'ils la limitaient sans qu'existe une
quelconque nécessité pour ce faire ou si cette limitation était mani-
festement disproportionnée au but poursuivi ou portait atteinte au
principe, en matière telle que l'union économique serait compro-
mise (32).
995. - D'autres compétences économiques sont attribuées sans
réserve à l'Etat fédéral. La loi spéciale les énumère dans l'article 6,
§1er, VI, alinéas 4 et 5. C'est notamment le cas du droit commer-
cial, du droit des sociétés, du droit du travail, de la sécurité
sociale ... C'est le cas aussi des conditions d'accès à la profession -
à l'exception du tourisme - . <<La compétence exclusive attribuée
au législateur fédéral pour régler les conditions d'accès à la profes-
sion)) doit, en particulier, être interprétée <<sans que l'on puisse dis-
tinguer en l'occurrence les règles générales des règles complémen-
taires et des décisions d'application)) (33). Elle ne se confond pas
avec la compétence reconnue à la communauté de déterminer les
règles en matière d'enseignement, même si celui-ci prépare naturel-
lement à l'exercice d'une profession (no 223).

(31) C.A., no 29/96, 15 mai 1996.


(32) C.A., n" 29/96, cité.
(33) C.A., no 18/96, 5 mars 1996.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 837

996. - D'autres compétences économiques encore ne sont attri-


buées que pour une part aux autorités fédérales. Ainsi en matière de
marchés publics, de protection des consommateurs, d'organisation
de l'économie et de plafonds d'aides aux entreprises, la compétence
du législateur fédéral se limite <~ à la fixation de règles générales >>.
En matière de marchés publics, <~il faut entendre (par là) les prin-
cipes qui sont contenus ou concrétisés dans la loi du 14 juillet 1976
relative aux marchés publics de travaux, de fournitures et de ser-
vices, l'arrêté royal du 22 avril 1977 relatif (à ces marchés publics),
l'arrêté ministériel du lO août 1977 établissant le cahier général des
charges (de tels marchés) et la réglementation en matière d'agréa-
ti on des entrepreneurs >> (34). La région peut compléter le cadre nor-
matif déterminé par les autorités fédérales afin de mener des politi-
ques adaptées à ses besoins (C.E., L. 19.775/1, 3 mai 1990). De sur-
croît, le législateur fédéral ne saurait agir dans ce domaine que dans
le << seul objectif de garantir les principes énumérés au dernier alinéa
de (l' )article (6, § 1er, VI)>> - ce qui doit se comprendre, une fois
encore, comme une référence aux règles et principes qui gouvernent
l'union économique et l'unité monétaire - (35).

C. -L'union économique et l'unité monétaire


997. - Selon la Cour d'arbitrage, il ressort de l'ensemble des
textes qui découlent des révisions constitutionnelles de 1970, 1980,
1988 et 1993 et notamment des dispositions <~de l'article 6, § 1er, VI,
alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, insérées par l'article 4,
§ 8, de la loi spéciale du 8 août 1988, et de l'article 9, § pr, alinéa 3,
de la loi spéciale du 16 janvier 1989, que la structure de l'Etat belge
repose sur une union économique et monétaire caractérisée par un
marché intégré et l'unité de la monnaie>> (36). Ces dispositions tra-

(34) C.A., n" 6/96, 18 janvier 1996. M.-A. FLAMME, Droit administratif, t. II, Bruxelles, Bruy-
lant, 1989, n" 309bis; B. HAUBERT et P. VANDERNOOT, «La nouvelle loi de réformes institution-
nelles du 8 août 1988 », A.P.T., 1988, p. 239. Les références à la réglementation relative aux
marchés publics doivent aujourd'hui être remplacées par les nouvelles dispositions en vigueur, en
particulier la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de tra-
vaux, de fournitures et de services et l'arrêté royal du 26 septembre 1996 établissant les règles
générales d'exécution des marchés publics et des concessions de marché publics. Pour d'autres
références, voy. P. LEWALLE, «La loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à cer-
tains marchés de travaux, de fournitures et de services et les mesures d'exécution», in La nouvelle
réglementation des marchés publics, Collection scientifique de la Faculté de droit de Liège, 1997,
p. 13.
(35) C.A., n" 6f96, 18 janvier 1996.
(36) C.A., n" 55/96, 15 octobre 1996.
838 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

duisent << la volonté expresse ... de maintenir une réglementation de


base uniforme de l'organisation de l'économie dans un marché
intégré >> (37).

§ 3. - La politique sociale
998. - La région participe à la définition de la politique de
l'emploi (38). Certes, le législateur fédéral reste compétent pour la
sécurité sociale - ce qui comprend la réglementation du chô-
mage - . Mais la région détient, pour sa part, <<la compétence la
plus large >> pour le placement des travailleurs ou, plus exactement,
des demandeurs d'emploi - << cette appellation générique comprend
généralement les travailleurs (salariés ou même indépendants) qui
ont un emploi et qui en demandent un autre, les chômeurs indem-
nisés et non indemnisés à la recherche d'un emploi>> (39) - .
L'activité de placement <<peut être décomposée en deux séries
d'opérations; les unes sont tournées vers le travailleur que l'on aide
à trouver un emploi et les autres sont plutôt dirigées vers l'em-
ployeur auquel on rend le service de lui fournir une main d'œuvre >>
(C.E., L. 19.480/9, 12 mars 1990).
Dans cette perspective, la région peut élaborer et mettre en
œuvre des <<programmes de remise au travail des chômeurs com-
plets indemnisés ou des personnes assimilées, à l'exclusion des pro-
grammes de remise au travail dans les administrations et services de
l'autorité nationale ou placés sous sa tutelle>> (C.A., no 58/95,
12 juillet 1995). Elle veille également à <<l'occupation des travail-
leurs étrangers>> et assure <<l'application des normes>> internatio-
nales ou nationales qui régissent la matière.
La région ne saurait pour autant définir le régime des conditions
de travail, les délais de préavis ou les modalités de la recherche
d'emploi par les travailleurs <<même si ces conditions sont établies
dans le but d'aider le 'futur' travailleur et de favoriser l'em-
ploi>> (40).

(37) Ibidem.
(38) A. NAYER, <<Quelle est, juridiquement, la compétence régionale 'en ce qui concerne la
politique de J'emploi'>>, Journ. proc., 1985, p. 25.
(39) A. NAYER, op. cit., p. 27.
(40) C.E., L. 19.791/2, 10 mai 1990.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 839

§ 4. - L'équipement du territoire

A. - La politique de l'eau
999. - En ce qui concerne la politique de l'eau (art. 6, §1er), la
région se voit, pour l'essentiel, habilitée à régler la production et la
distribution d'eau. Ces compétences principielles se voient néan-
moins assorties d'exceptions importantes. Ainsi la création et la ges-
tion des grands travaux hydrauliques (barrages, bassins d'étiage,
prises d'eau dans les cours d'eau navigables, stations de traitement,
installations de dessalement) restent, pour autant que ces travaux
soient d'intérêt national - ce que précise un arrêté royal délibéré
en conseil des ministres - , de la responsabilité de l'Etat fédéral. La
région est en mesure de définir des règles sur le captage des eaux
(de surface ou souterraines), sur la gestion de sa production à partir
des barrages, sur le contrôle de l'étiage, sur le traitement des eaux
et sur leur distribution par voie de canalisations (41).

B. - La politique de l'énergie
1000. - La formule peut paraître tautologique mais elle est fon-
cièrement exacte. La politique de l'énergie est de compétence régio-
nale mais seulement pour ses <<aspects régionaux)) (42). Les autres
matières sont d'intérêt fédéral.
La loi spéciale de réformes institutionnelles (art. 6, § 1e', VII, al. 1"') en pro-
cure un certain nombre d'exemples : «a. la distribution et le transport local
d'électricité au moyen de réseaux dont la tension nominale est inférieure ou
égale à 70.000 volts, b. la distribution publique de gaz, c. l'utilisation du grisou
et du gaz de hauts fourneaux, d. les réseaux de distribution de chaleur à dis-
tance, e. la valorisation des terrils, j. les sources nouvelles d'énergie, à l'excep-
tion de celles liées à l'énergie nucléaire, g. la récupération d'énergie par les indus-
tries et autres utilisateurs, h. l'utilisation rationnelle de l'énergie>).
En instaurant le droit à la fourniture minimale d'électricité pour la consom-
mation domestique, la région inscrit, par exemple, ses compétences dans le
registre de «la distribution d'électricité au moyen de réseaux dont la tension
minimale est inférieure ou égale à 70.000 volts>) (C.A., n° 14/93, 18 février 1993).

(41) Par contre, noteR. SENELLE (La réforme de l'Etat belge, t. IV, p. 126), «la gestion des
ouvrages proprement dits (barrages, évacuateurs, appareillage hydrologique, etc.), c'est-à-dire la
surveillance, l'entretien et le contrôle technique de l'ouvrage, reste du ressort fédéral, tout
comme la conception, la réalisation et la construction de ces ouvrages, lorsqu'ils sont d'intérêt
national».
(42) B. HAUBERT, Politique énergétique et pouvoir régional, Bruxelles, Bruylant, 1987.
840 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

Même dans le domaine des intérêts spécifiquement regwnaux,


l'Etat fédéral reste compétent pour les matières <c dont l'indivisibi-
lité technique et économique requiert une mise en œuvre homogène
sur le plan national >> (43) : <c a. le plan d'équipement national du
secteur de l'électricité, b. le cycle du combustible nucléaire, c. les
grandes infrastructures de stockage, le transport et la production de
l'énergie, d. les tarifs>> - .
La région n'est, en tout cas, pas compétente pour les grandes infrastructures
en matière de transport d'énergie; en règle générale, elle ne l'est pas davantage
lorsque la matière - en l'occurrence, le transport de gaz - requiert une mise
en œuvre homogène sur le plan national en raison de son indivisibilité technique
et économique (C.E., L. 14.045/1, 27 mars 1981).

L'Etat fédéral <c conserve une compétence étendue dans la matière


de l'énergie>> (C.A., no 57/95, 12 juillet 1995). Il n'empêche que
<c dans la conduite de cette politique, l'Etat fédéral est, par la force

des choses, soumis aux prescriptions et obligations établies par les


régions >> sur la base d'autres compétences - par exemple celles qui
ont trait à l'urbanisme, l'aménagement du territoire ou l'environne-
ment - . La région peut notamment soumettre l'exploitation d'ins-
tallations pour la génération d'électricité d'origine non
nucléaire - à un permis d'environnement.

C. - Les travaux publics et les transports


1001. La région est habilitée à régler les matières suivantes
C< 1" les routes et leurs dépendances, 2" les voies hydrauliques et leurs compé-

tences, 2" bis le régime juridique de la voirie terrestre et des voies hydrauliques,
quel qu'en soit le gestionnaire, à l'exclusion des voies ferrées gérées par la
Société nationale des chemins de fer belges, 3" les ports et leurs dépendances,
4" les défenses côtières, 5" les digues, 6" les services des bacs, 7" l'équipement et
l'exploitation des aéroports et des aérodromes publics, à l'exception de l'aéro-
port de Bruxelles-National (44), 8" le transport en commun urbain et vicinal, en
ce compris les services réguliers spécialisés, les services de taxis et les services
de location de voitures avec chauffeur, 9" les services de pilotage et de balisage
de et vers les ports, ainsi que les services de sauvetage et de remorquage en mer>>
(1. sp., art. 6, §le', X, al. 1"').

<c La matière ... du transport est régionalisée. Cependant, comme le

relevait le ministre (F) des réformes institutionnelles lors des tra-

(43) C.E., 4 avril 1986, Ann. Dr. Liège, 1986, p. 327, note F. DEHOUSSE.
(44) Les avis L. 25.625/9, 16 décembre 1996 et L. 25.624/9, 27 janvier 1997 appliquent à tort
les dispositions de la loi spéciale de réformes institutionnelles à l'aéroport de Bruxelles-National.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 841

vaux préparatoires de la loi spéciale, la régionalisation du secteur


des transports est fondée sur une nette distinction entre la politique
générale, la réglementation normative et les prescriptions techni-
ques en matière de moyens de transport - matières demeurant
(fédérales) - , d'une part, et la politique économique sectorielle, qui
devient de compétence régionale, d'autre part.
L'autorité fédérale demeure donc compétente, notamment, pour édicter les
règles de police générales relatives à la navigation ... >> (45). Il en va de même
pour la réglementation de la circulation et du transport, au sens le plus large
de l'expression (C.E., L. 23.178/8, 7 juin 1994).

<~ Cette compétence porte essentiellement sur des tâches de gestion


et d'exécution, plutôt que sur l'élaboration de normes - ce que
confirme l'insertion par la loi spéciale du 16 juillet 1993 visant à
achever la structure fédérale de l'Etat d'un 2o bis dans l'article 6,
§ 1er, X, de la loi spéciale du 8 août 1980, lequel, en rendant les
régions compétentes pour fixer le régime juridique de la voirie ter-
restre et des voies hydrauliques, fait du même coup ressortir le
caractère limité du transfert de compétences>> - (46).
En matière de travaux publics, la région est compétente <~ pour
régler la gestion de la voirie terrestre et des voies hydrauliques -
au sens le plus large du terme - >>. Cette attribution ne comprend
pas néanmoins le pouvoir d'adopter les règles de police générale ou
la réglementation relatives aux communications et au transport.
Une telle compétence est <~demeurée fédérale>> (47).

§ 5. - Les autres compétences régionales


1002. - Selon l'article 6, § pr, VIII de la loi spéciale de
réformes institutionnelles, la région est compétente <~ en ce qui
concerne les pouvoirs subordonnés>> pour quatre matières distinctes.
~~ 1 o Les associations de provinces et de communes dans un but d'utilité publi-
que, à l'exception de la tutelle spécifique en matière de lutte contre l'incendie
organisée par la loi; 2° le financement général des communes, des aggloméra-
tions et des fédérations de communes et des provinces; 3° le financement des
missions à remplir par les communes, les agglomérations et fédérations de com-
munes, les provinces et par d'autres personnes morales de droit public dans les

(45) C.E., L. 24.106/9, 29 novembre 1995 et références citées; B. HAUBERT et P. VANDER-


NOOT, op. cit., p. 247.
(46) R. A:-.rDERSEN et P. NmouL, ''Le Conseil d'Etat - Chronique de jurisprudence 1994 •>,
R.B.D.C .. 1995. p. 179.
(47) C.A., n" 5/96, cité.
842 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

matières qui relèvent de la compétences des régions, sauf lorsque les missions se
rapportent à une matière qui est de la compétence de l'autorité nationale ou des
communautés; 4" les conditions et le mode suivant lesquels les organes territo-
riaux intracommunaux visés à l'article 41 de la Constituion peuvent être créés>).

L'énumération peut paraître lacunaire. L'explication est simple et


a déjà été fournie. Les collectivités locales sont placées sous le
contrôle des autorités régionales. Mais celles-ci ne sont pas en
mesure de déterminer leurs règles d'organisation et de fonctionne-
ment (n° 350) (C.A., no 69/99, 17 juin 1999).
Comme le précise, par exemple, le décret wallon du 1er avril 1999,
la tutelle ordinaire générale sur les communes et les provinces wal-
lonnes, mise à part la commune de Comines-Warneton, relève du
gouvernement wallon. Il en va de même pour les intercommunales,
pour autant que leur ressort se situe tout entier en Région wal-
lonne (48).
Dans son arrêt du 7 février 1995, la Cour d'arbitrage apporte une
précision importante quant à l'aménagement des contrôles de
tutelle : <<Une organisation efficace de la tutelle administrative sup-
pose que celle-ci puisse être réglée dans tous ses aspects. Ceci impli-
que notamment que la région est compétente, dans le cadre de cette
tutelle, pour organiser un recours administratif et pour déterminer
par qui ce recours peut être introduit)). Ce faisant, l'autorité régio-
nale ne s'immisce pas dans le règlement de compétences juridiction-
nelles (49).
La région dispose d'importantes compétences en ce qui concerne
le financement des pouvoirs subordonnés. Celui-ci s'entend, d'une
part, du financement général des communes, des agglomérations et
des fédérations de communes et des provinces et, d'autre part, du
financement des missions à remplir par ces collectivités locales ainsi

(48) Dans un arrêt no 56/92 du 9 juillet 1992, la Cour d'arbitrage s'interroge sur l'autorité
compétente lorsque l'intercommunale groupe des communes situées dans plusieurs régions. Elle
refuse d'admettre la compétence résiduelle de l'Etat fédéral en ce domaine. ''La question se pose
non parce qu'une partie de la matière n'aurait pas été attribuée mais parce que l'application de
la règle se heurte à des difficultés d'ordre territorial». Dès lors que la norme s'adresse aux com-
munes, chaque région est habilitée à régler la matière pour les communes qui sont localisées sur
son territoire. «Une réglementation différenciée n'est pas à ce point impraticable qu'il faille, pour
en éviter les inconvénients, enlever aux régions une compétence que la loi spéciale leur attribue».
Et la Cour d'arbitrage de préciser que, s'il y a lieu de combler un vide juridique, il ne faut pas
nécessairement opter pour la reconnaissance d'une compétence fédérale puisque la loi spéciale
permet la conclusion d'accords de coopération entre les régions.
(49) C.A., n" ll/95, 7 février 1995.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 843

que par d'autres personnes morales de droit public dans les matières
qui relèvent de la compétence de la région. La section de législation
du Conseil d'Etat a précisé- à propos des communes- que, dans
le premier cas, il s'agissait du financement de toutes les activités qui
relèvent de l'autonomie communale et, dans le second, du finance-
ment de missions qui leurs sont imposées par la région dans les
matières qui ne sont pas d'intérêt exclusivement communal (50).
L'exercice de pareille compétence << implique tout particulière-
ment la régionalisation complète du Fonds des communes, du
Fonds d'aide au redressement des commune et du Fonds des pro-
vinces>) (51). La région peut prendre des dispositions qui ont pour
objet de <<régir les moyens octroyés par le Fonds des com-
munes>) (52).
1003. - La regwn est investie d'une compétence générale en
matière de recherche appliquée. Elle connaît de toute question qui
s'inscrit dans le sillage de ses responsabilités principales.
1004. - Le projet est actuellement formulé de procéder à la régionalisation
de deux matières supplémentaires.
La première est celle de l'agriculture. Dans les lois de réformes institution-
nelles, l'agriculture reste, pour l'essentiel, de compétence fédérale. L'Etat fédéral
est seul habilité à procurer application aux mesures européennes qui concernent
la maîtrise de la production, les solutions de remplacement pour revenus de
l'agriculture, la définition des techniques et méthodes de production agricole ...
La région est, elle compétente, pour<< l'application, dans le cadre du Fonds agri-
cole, des mesures européennes en matière de structure agricole relative à l'aide
spécifique à l'agriculture dans les régions défavorisées et au développement
rural>> ou pour <<les aides complémentaires ou supplétives aux entreprises agri-
coles>> (l. sp., art. 6, §le', V, al. le'). L'intention est de régionaliser l'ensemble
de la matière, tout en confiant à un secrétaire d'Etat fédéral la tâche de repré-
senter les régions auprès des autorités européennes.
La seconde matière est celle du commerce extérieur. La politique économique
est régionale. Le commerce extérieur fait, par contre, l'objet d'interventions
parallèles, sinon concurrentes, de l'Etat fédéral et des régions. N'appartient-il
pas aux régions de donner, ici aussi, un prolongement externe à leurs missions
dans l'ordre interne 1 Un accord de coopération conclu entre l'Etat fédéral et les

(50) Avis L. 23.107/8, 8 février 1994 sur un avant-projet de décret« houdende instelling van
een Vlaamse Noodfonds voor de gemeenten en diverse bepalingen inzake de onderlinge solidari-
teit bij hun financiering >> (Gedr. St., VI. R., zitting 1993-1994, n" 535/1), cité parR. ANDERSEN
et P. NIHOUL, «Le Conseil d'Etat- Chronique de jurisprudence 1994 >>, R.B.D.C., 1995, p. 200.
(51) B. JADOT, op. cit., p. 180.
(52) C.A., n" 12/96, cité.
844 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

régions devrait aussi conduire à la création d'une Agence fédérale pour le com-
merce extérieur.

SECTION III. - LES COMPÉTENCES TRANSFÉRÉES

1005. - Les communautés, les régions et les commissions com-


munautaires disposent de compétences d'attribution (no 663). Elles
ne sauraient s'arroger des responsabilités que la Constitution ou les
lois de réformes institutionnelles ne leur ont pas conférées. Phéno-
mène original : elles sont néanmoins << habilitées à réaliser entre elles
des transferts de compétence •> (53).
Le phénomène peut déconcerter par la souplesse qu'il introduit
dans le jeu institutionnel. Mais le mécanisme est simple à souhait.
Pour autant qu'elle y soit habilitée par la Constitution, une collecti-
vité politique fédérée confie l'exercice de tout (§ 1er) ou partie (§ 2)
des responsabilités qui lui ont été attribuées par la Constitution ou
par une loi de réformes institutionnelles à une autre collectivité
fédérée.
Cette dernière est amenée à exercer, non seulement ses propres
responsabilités dans le ressort qui est le sien, mais - de surcroît -
elle assume de nouvelles responsabilités dans tout ou partie du res-
sort territorial de la collectivité transférante.
Le résultat est surprenant à souhait. Une collectivité, telle la Communauté
flamande, conçue originellement pour assumer les seules fonctions communau-
taires, se voit également confier l'exercice des compétences régionales. Une
autre, comme la Région wallonne, conçue à l'origine dans une perspective pure-
ment régionale prend désormais en charge des compétences communautaires, en
sus des compétences régionales (54). Une autre encore, telle la Commission com-
munautaire française, change carrément de statut à l'occasion de l'opération de
transfert et, de collectivité décentralisée qu'elle était, acquiert la qualité
conjointe de collectivité fédérée.

§ 1er. - un transfert global de compétences

A. - Un transfert effectif
1006. - Dès 1980, un transfert global de compétences s'opère
de la Région flamande vers la Communauté flamande. Les autorités

(53) V. BARTHOLOM~;g, «L'asymétrie>>, in La Belgique fédérale .. , p. 62.


(54) V. BARTHOLOMÉ~, op. cit., p. 65.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 845

communautaires flamandes assument non seulement leurs responsa-


bilités mais aussi celles qui reviennent à la région du même nom
(n° 608) (55).
La Constitution établit elle-même le principe du transfert. <<En
vue de l'application de l'article 39 )>, soit de la mise en place des ins-
titutions régionales, << le Conseil de la Communauté flamande ainsi
que (son) gouvernement peuvent exercer les compétences... de la
Région flamande, dans les conditions et selon les modalités fixées
par (une) loi)) spéciale (Const., art. 137).
La loi spéciale de réformes institutionnelles (art. 1er, § 1er, al. 2)
réalise, pour sa part, ce transfert. Pour tenir compte du caractère
global de la dévolution de compétences régionales qui s'opère ainsi,
elle prescrit des aménagements particuliers des institutions commu-
nautaires flamandes (1. sp., art. 19, 50 et 76).
Les décrets flamands conservent un champ d'application distinct
selon qu'ils touchent aux matières communautaires ou aux matières
régionales (no 608).

B. - Un transfert virtuel
1007. - La même formule est organisée, dans son principe, pour
le sud du pays. Un transfert global de compétences peut s'opérer de
la Région wallonne vers la Communauté française. Tel est égale-
ment le principe qu'établit l'article 137 de la Constitution : << En vue
de l'application de l'article 39, le (Parlement) de la Communauté
française ... ainsi que (son) gouvernement peuvent exercer les com-
pétences ... de la Région wallonne ... dans les conditions et selon les
modalités )) fixées par une loi spéciale.
La loi spéciale de réformes institutionnelles ne tire pas parti d'une
telle habilitation. Elle se contente de préciser, dans son article 52,
que <<le (Parlement) de la Communauté française et le (Parlement)
wallon peuvent régler leur coopération mutuelle et celle de leurs ser-
vices, tenir des assemblées communes et organiser des services com-
muns )). Il va sans dire que ces formes de coopération ne réalisent
ni en bloc, ni même pour une part, un transfert de responsabilités.

(55) Les moyens financiers de la Communauté et de la Région flamande sont confondus, ce


qui constitue« l'atout majeur de la fusion» (A. MouzoN,<< L'article 59quinquies de la Constitution
et la nouvelle solidarité francophone Wallonie-Bruxelles>>, Socialisme, 1993, n" 239, p. 21.
846 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

L'article 137 de la Constitution est ainsi privé d'une partie de son


effectivité.

§ 2. - Des transferts partiels

A. - Un transfert effectif
1008. - La Constitution prévoit également un transfert partiel.
Elle envisage la possibilité d'étendre les compétences de la Commu-
nauté germanophone à certaines matières régionales.
Selon l'article 139 de la Constitution, <<le Conseil de la Commu-
nauté germanophone et le (Parlement wallon) peuvent... décider
d'un commun accord que le Conseil et le gouvernement de la Com-
munauté germanophone exercent, dans la région de langue alle-
mande, en tout ou en partie, des compétences de la Région wal-
lonne)). Ils ne peuvent agir ainsi que << sur proposition de leurs gou-
vernements respectifs)). Deux décrets adoptés à la majorité ordi-
naire suffisent pour réaliser ce transfert d'attributions.
Le 22 décembre 1993, la Communauté germanophone et la
Région wallonne se sont mises d'accord pour transférer à la pre-
mière l'exercice des compétences régionales en matière de monu-
ments et de sites. Elles ont passé un accord similaire en matière
d'emploi.

B. - Un transfert distributif
1009. - A partir de 1993, un nouveau transfert - global ou
partiel - de compétences est aménagé. Il peut s'opérer à partir de
la Communauté française (56). Il se réalise concomitamment en direc-
tion de deux autres collectivités politiques : la Région wallonne et
la Commission communautaire française.
L'article 138, alinéa pr, de la Constitution instaure le principe de
ce transfert. Il permet que <<le (Parlement) et le gouvernement de
la Région wallonne, dans la région de langue française, et le groupe
linguistique français du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale

(56) L'on comprend aisément que le même transfert ne soit pas organisé de la Communauté
flamande vers la Région flamande. D'une part, un transfert global des compétences régionales
flamandes a été réalisé, depuis 1980 (n" 608). D'autre part, la Région flamande est désormais
dépourvue d'un appareil institutionnel ad hoc. La formule retenue conduit à instaurer un régime
plus asymétrique encore dans l'aménagement des collectivités fédérées.
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES 847

(soit l'assemblée de la Commission communautaire française) et son


collège, dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, exercent, en
tout ou en partie, des compétences de la Communauté française >>.
Mieux encore, l'article 138 de la Constitution prescrit, dans ses
alinéas 1er et 2, la procédure pour réaliser un tel transfert. Il
convient que <<le (Parlement) de la Communauté française, d'une
part, le (Parlement wallon) et le groupe linguistique français du
Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, d'autre part >>, ainsi que
leurs gouvernements respectifs, décident <<d'un commun accord et
chacun par décret>> d'un tel transfert.
L'article 138, alinéa 1er, de la Constitution n'instaure pas un
ordre de priorité entre les autorités délibérantes ou exécutives.
L'initiative peut émaner aussi bien des assemblées concernées que
de leurs gouvernements.
L'article 138, alinéa 2, de la Constitution formule néanmoins trois
exigences : il convient que la majorité des membres des deux Parle-
ments et de l'Assemblée soient présents pour le vote d'une telle déli-
bération; il faut qu'une majorité de deux tiers des votants soit réu-
nie au Parlement de la Communauté française; il faut encore que la
majorité absolue des votants soit réunie au Parlement wallon et à
l'Assemblée de la Commission communautaire française.
L'article 138, alinéas 2 et 3, de la Constitution précise que les
décrets de transfert <<peuvent régler le financement des compétences
qu'ils désignent, ainsi que le transfert du personnel, des biens, droits
et obligations qui les concernent >>. Voyez, par exemple, le décret
spécial (1) de la Communauté française du 5 juillet 1993 relatif au
transfert de l'exercice de certaines compétences de la Communauté
française à la Région wallonne et à la Commission communautaire
française.
Les compétences transférées << sont exercées, selon le cas, par voie
de décret, d'arrêté ou de règlement >>.

§ 3. - Les perspectives de transfert

1010. - En 1980, le nord du pays a opté pour une intégration


institutionnelle de caractère communautaire. En 1993, le sud du
pays a opté pour une conception régionale. Dans cette perspective,
l'article 1er' § 4 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du
8 août 1980 est abrogé, alors qu'il permettait le transfert de l'en-
848 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

semble des compétences de la Région wallonne à la Communauté


française. Cette faculté n'a pas été mise en œuvre. Elle ne peut plus
l'être.
1011. - Les réformes intervenues consacrent une inversion de
tendances (57) en ce qui concerne les institutions du sud du pays.
Alors qu'en 1980, l'article 137 de la Constitution et l'article pr, § 4,
de la loi spéciale du 8 août 1980, permettaient de transférer l'exer-
cice des compétences de la Région wallonne aux organes de la Com-
munauté française, c'est maintenant de transfert de compétences de
la Communauté française vers la Région wallonne, qu'il est ques-
tion.
Un accord politique semble exister entre les partis francophones
pour limiter une telle opération, pour ne pas organiser le transfert
de compétences culturelles ou éducatives au sens strict de l'expres-
sion et, en définitive, pour éviter le démantèlement de la Commu-
nauté française (58). Ces garde-fous n'auront de valeur juridique
que lorsqu'ils auront été traduits dans des textes.
Les arguments qui militent en faveur ou à l'encontre du système
prévu dans l'article 138 de la Constitution et qui, dans les faits,
détermineront l'ampleur du <( dépeçage >> de la Communauté fran-
çaise (59) sont essentiellement d'ordre financier et culturel (60).
<(Les difficultés financières de la Communauté française n'ont-elles
pas constitué le point de départ des discussions sur la réforme de
l'Etat?>> (61).

(57) E. CoLLA, ''Les Communautés», Le Soir, La Belgique fédérale, an 1993, supplément du


mardi 15 décembre 1992, p. 6.
(58) Voy. E. ARCQ, «Le transfert de l'exercice des compétences ... », cité, pp. 47 à 51.
(59) Voy. F. TULKENS, ''La Communauté française : recépage ou dépeçage>>, in La Constitu-
tion fédérale ... , pp. 109 à 117, spéc. pp. 109 et 115 à 117.
(60) Voy. H. DuMONT,« Quelle Communauté française demain?>>, p. 14. Sur les aspects finan-
ciers, plus particulièrement, voy. not. la contribution de B. BLÉRO et F. DELCOR sur'' Les trans-
ferts de compétence de la communanté à la région>>, in Les réformes institutionnelles de 1993 ~
Vers un fédéralisme achevé?, Bruxelles, Bruylant, 1984, pp. 21 à 116.
(61) Doc. parl., Chambre, s.o. 1992-1993, no 726/5, p. 3.
CHAPITRE II
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS

1012. - Comment les fonctions collectives - pour l'essentiel,


les fonctions de direction, d'administration et de contrôle politi-
que - sont-elles distribuées dans les communautés et les régions?
Le régime parlementaire qui prévaut au niveau fédéral s'applique-t-
il en l'occurrence? La Constitution impose-t-elle un régime politique
identique pour toutes les collectivités fédérées? Laisse-t-elle, au
besoin, à chaque collectivité fédérée la faculté de choisir le sien?

Des régimes diversifiés s'organisent. Non que l'Etat fédéral per-


mette aux communautés et aux régions d'établir elles-mêmes le
régime politique qui leur paraît le plus adéquat. Non qu'il leur
confère en ce domaine quelque liberté d'organisation. Mais parce
que la Constitution choisit de leur assigner un autre régime politi-
que que celui de l'Etat fédéral.

Les communautés et les régions sont pourvues d'un régime semi-


parlementaire.

Celui-ci se fonde sur la collaboration organique des autorités fédé-


rées (section 1). Il repose aussi sur leur collaboration fonctionnelle
(section 2). Si des procédures de contrôle sont mises en place, il ne
s'agit pas, cependant, de formes de surveillance mutuelle (Sec-
tion 3). Le gouvernement fédéré est responsable devant l'assemblée
fédérée. Celle-ci ne saurait, par contre, faire l'objet d'une mesure de
dissolution.

Pour les commissions communautaires, les solutions sont encore


plus nuancées. C'est un régime semi-parlementaire atténué qui est mis
en place. En effet, le contrôle politique que l'assemblée est en droit
d'exercer sur le collège n'est pas, en toutes circonstances, assorti de
sanctions.
850 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

SECTION pe, - LA COLLABORATION ORGANIQUE

1013. - Un régime parlementaire ou semi-parlementaire


repose - c'est l'un de ses traits essentiels - sur la collaboration
organique de plusieurs autorités publiques (no 897).
Cette collaboration s'instaure, par priorité, entre les autorités qui
œuvrent au sein de la collectivité fédérée.
Dans une fédération, elle peut aussi prendre d'autres dimensions.
Les phénomènes du cumul, obligatoire ou facultatif, des mandats
amène des personnes à remplir leurs fonctions dans des institutions
qui relèvent de différentes collectivités fédérées.
Dans des cas exceptionnels, elles peuvent même apporter leur
concours à l'organisation d'autorités fédérales.

§ 1er. - La collaboration entre autorités fédérées


1014. - Les autorités communautaires sont au nombre de deux.
Il y a un parlement et un gouvernement de communauté. Ces auto-
rités ne sont pas organisées de manière distincte. Si le gouverne-
ment n'est pas nécessairement issu de l'assemblée, il est néanmoins
composé par elle (Const., art. 122). L'un et l'autre constituent le
pouvoir législatif communautaire.
Les autorités régionales, elles aussi, sont au nombre de deux. Il y
a un parlement et un gouvernement de région (ibidem). Ces auto-
rités composent ensemble le pouvoir législatif régional.
En ce qui concerne les commissions communautaires, la formula-
tion des textes constitutionnels est plus alambiquée. Selon l'ar-
ticle 136, alinéa 1er, de la Constitution, <<il y a des groupes linguisti-
ques au Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, et des collèges,
compétents pour les matières communautaires )) ; selon l'article 136,
alinéa 2, <<les collèges forment ensemble le collège réuni)).
Ces dispositions sont à la fois énigmatiques et incomplètes. Leur
seul mérite est de souligner qu'au sein de chaque commission, en ce
compris la Commission communautaire commune- qui n'est pour-
tant évoquée que sous l'angle de son autorité exécutive - , il y a
place pour deux autorités distinctes. Il s'agit de l'assemblée et du
collège.
Si les membres du collège ne sont pas choisis dans l'assemblée et
s'ils ne sont même pas élus par elle, il n'en reste pas moins que ces
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 851

deux autorités sont appelées à collaborer aux fins de faire œuvre


décrétale - pour la commission communautaire française (Const.,
art. 138, al. 3) - ou ordonnancielle- pour la commission commu-
nautaire commune - . Assemblée et collège composent le pouvoir
législatif de la commission communautaire.

§ 2. - La collaboration entre collectivités fédérées

1015. - Les assemblées, dont on sait qu'elles sont composées de


mandataires élus - que ce soit dans les communautés, dans les
régions ou dans les commissions communautaires - , procurent un
autre exemple de collaboration organique.
Celle-ci s'instaure entre les parlements de communauté et de région.
Comme le veut l'article 116, § 2, de la Constitution, <<chaque (parle-
ment) de communauté est composé de membres élus directement)).
Ceux-ci sont choisis <<en qualité de membre du Conseil de commu-
nauté)) - c'est le cas dans la Communauté germanophone - . Ils
peuvent également avoir été élus << en qualité de membre d'un (par-
lement) de région)) (ibid.).
'C'est ainsi que les membres du Parlement wallon et dix-neuf
membres francophones du Conseil de la Région de Bruxelles-Capi-
tale détiennent un autre mandat politique au sein du Parlement de
la Communauté française. Six membres flamands du Conseil de la
Région de Bruxelles-Capitale sont également membres du Parle-
ment flamand.
La même collaboration organique s'établit entre le Conseil de la
Région de Bruxelles-Capitale et les assemblées des commissions com-
munautaires française et flamande. Sur ce point, la Constitution est
explicite. << Il y a des groupes linguistiques au Conseil de la Région
de Bruxelles-Capitale ... )) (Const., art. 136, al. 1er). Ils sont au
nombre de deux. Chacun d'eux sert à composer l'assemblée d'une
commission communautaire -française ou flamande-.
A ce niveau, la coopération est même poursuivie dans les équipes
exécutives. En fonction de leur appartenance linguistique, les
ministres et secrétaires d'Etat du gouvernement de la Région de
Bruxelles-Capitale sont, en effet, amenés à composer les collèges des
commissions, mais pas celui de la Commission communautaire com-
mune (n° 379).
852 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

La collaboration organique est encore aménagée entre les commis-


sions communautaires. Les assemblées des commissions communau-
taires française et flamande servent à composer l'assemblée réunie
de la Commission communautaire commune. De leur côté, << les col-
lèges (de ces mêmes commissions) forment ensemble le collège
réuni)) (Const., art. 136, al. 2).

§ 3. - La collaboration entre autorités fédérales


et fédérées

1016. - La collaboration organique peut aussi se concevoir de


manière transversale. Elle transcende le partage de responsabilités
fédérales et fédérées.
La Constitution en procure, dans l'article 67, § 1er, 3o à 5°, un
exemple saisissant. Les sénateurs communautaires sont élus par les
parlements de communauté.
De cette manière, une personne qui siège au Parlement wallon, et
donc au Parlement de la Communauté française, peut aussi exercer
un troisième mandat; elle siège à ce titre dans la haute assemblée.
Une autre personne siège au Parlement flamand. Elle peut être
choisie comme sénateur communautaire.
Un phénomène plus singulier encore ne peut être perdue de vue.
Une troisième personne a été choisie, par le biais d'élections
directes, pour faire partie du Conseil de la Région de Bruxelles-
Capitale. A ce titre, elle est membre de l'assemblée de la Commis-
sion communautaire - française ou flamande - ainsi que de l'as-
semblée de la Commission communautaire commune. Si elle est
choisie par le groupe linguistique français du Conseil ou si elle se
classe parmi les six premiers élus du groupe linguistique néerlandais,
elle disposera d'un quatrième mandat au Parlement de la Commu-
nauté française ou au Parlement flamand. Elle peut, à égalité de
titres avec les autres parlementaires, être choisie comme sénateur
communautaire, pour y exercer un cinquième mandat.
La collaboration interpersonnelle, voire unipersonnelle, se super-
pose ici à la collaboration organique. Elle peut contribuer au fonc-
tionnement harmonieux des institutions mais expose les titulaires
de ces mandats cumulés à se disperser entre des assemblées dis-
tinctes et distantes les unes des autres.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 853

SECTION II. - LA COLLABORATION


FONCTIONNELLE

1017. - Le régime parlementaire ou semi-parlementaire repose


également sur le principe de la collaboration fonctionnelle entre
autorités publiques. L'interdépendance des fonctions de gouverne-
ment, de législation et, d'administration le veut ainsi. Au sein de
chaque collectivité fédérée, le même phénomène est amené à se pré-
senter (n° 898).
Un phénomène singulier mérite d'être relevé. Dans une fédéra-
tion, des collaborations fonctionnelles peuvent aussi s'instaurer
entre autorités de collectivités fédérées distinctes. Elles peuvent
même s'établir entre l'Etat fédéral, les communautés et les régions.

§ 1er. - La collaboration entre autorités fédérées


1018. - La Constitution ne s'exprime guère sur la collaboration
fonctionnelle entre les autorités publiques d'une même collectivité
fédérée.
Obnubilée par l'exercice de la fonction législative telle qu'elle
s'exerce à ce niveau, elle se contente d'écrire, de manière inexacte
de surcroît, que les parlements de communauté <~ règlent par décret ))
les matières de leur compétence (art. 127, § pr, 128, § pr, 129, § pr
et 130, § PT Elle ajoute que les décrets ainsi élaborés <~ont force de
loi)) (ibidem, § 2), ce qui, dans son esprit, signifie qu'ils ont même
valeur juridique que la loi fédérale (1).
Préoccupée de ne pas s'exprimer outre mesure sur les contours de
l'autonomie régionale, la Constitution se contente d'écrire, dans l'ar-
ticle 39, que <~des organes régionaux)) non autrement identifiés ont
<~la compétence de régler les matières qu'(une loi spéciale) déter-
mine )). La formule a l'avantage d'être écrite au pluriel et renvoie
ainsi à plusieurs autorités publiques. Avec cette précision qu' ap-
porte l'article 134, alinéa 1er-(~ les lois (spéciales) prises en exécu-
tion de l'article 39 déterminent la force juridique des règles que les
organes qu'elles créent prennent dans les matières qu'elles détermi-
nent))- et alinéa 2 - <~elles peuvent conférer à ces organes le pou-

(!) Voy. 1. sp., art. 19, § 2 . «Le décret a force de loi. Tl peut abroger, compléter, modifier ou
remplacer les dispositions légales en vigueur». Ce qui signifie, dans une perspective de droit tran-
sitoire, que, dans les domaines de sa compétence, le législateur décrétai peut agir de la sorte à
l'encontre de lois fédérales existantes. Le même régime vaut pour l'ordonnance.
854 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

voir de prendre des décrets ayant force de loi dans le ressort et selon
le mode qu'elle établit f) - .
Toujours est-il que seule la fonction législative communautaire ou
régionale est évoquée de cette manière. Les autres tâches ne sont
qu'effleurées (2). A fortiori, les formes de collaboration fonctionnelle
sont rudimentaires. Les lois de réformes institutionnelles s'efforcent
de combler les lacunes du texte constitutionnel.
1019. - Le gouvernement fédéré participe à la fonction décré-
tale- celle-ci <<s'exerce collectivement par le (parlement) et le gou-
vernement f) (l. sp., art. 17) - . Ce qui signifie que l'initiative légis-
lative appartient aussi au gouvernement (Const., art. 132, en ce qui
concerne les communautés; l. sp., art. 18).
A l'occasion de l'élaboration d'un décret ou d'une ordonnance, le
même gouvernement dépose des amendements, prend part aux dis-
cussions parlementaires, sollicite une seconde lecture (l. sp., art. 38,
al. 2), sanctionne le décret ou l'ordonnance, en assure la promulga-
tion et la publication (l. sp., art. 21 et 22).
Le gouvernement prolonge également la fonction législative en
procurant exécution aux normes décrétales ou ordonnancielles - il
<< fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des
décrets f) et ordonnances (l. sp., art. 20) - . Au besoin, il agit en lieu
et place du législateur fédéré pour autant qu'il y ait été expressé-
ment habilité.
Le gouvernement règle également certaines modalités du travail
parlementaire. Il convoque le parlement en session extraordinaire (l.
sp., art. 32, § 2). Il lui revient de clore la session - ordinaire ou
extraordinaire- (l. sp., art. 32, § 3).
1020. - Agissant de manière collective, le pouvoir législatif
fédéré assure l'élaboration du décret ou de l'ordonnance. Telle est
sa mission essentielle. Il assume également d'autres tâches, telles la
confection annuelle du budget (l. sp., art. 13, §1er) ou l'approbation
des traités internationaux dans le domaine des matières communau-
taires ou régionales (Const., art. 167, § 3; l. sp., art. 16, § pr).

(2) L'article 134, alinéa 2, de la Constitution ne fait pas obstacle à l'exercice de la fonction
réglementaire. De son côté, l'article 140 précise, pour sa part, que« le Conseil et le gouvernement
de la Communauté germanophone exercent par voie d'arrêtés et de règlements toute autre com-
pétence qui leur est attribuée par la loi» fédérale.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 855

1021. ~ <<Chaque (parlement) se prononce sur la validité des


opérations électorales en ce qui concerne ses membres et ses sup-
pléants ... Chaque (parlement) vérifie les pouvoirs de ses membres et
juge les contestations qui s'élèvent à ce sujet)> (l. sp., art. 31, § 1er,
al. 1er, et § 3). Sur un point particulier, il contribue à l'exercice de
la fonction juridictionnelle.

§ 2. ~ La collaboration entre collectivités fédérées


1022. ~ Les phénomènes de transfert, qu'ils soient globaux ou
partiels (nos 1006 s.), conduisent les collectivités fédérées à collabo-
rer entre elles. Ils ménagent des concours d'autant plus efficaces
qu'ils amènent une collectivité fédérée à assumer, à l'intervention
de ses autorités propres, tout ou partie des compétences que la
Constitution attribuait originellement à une autre collectivité fédé-
rée.
1023. ~ Les accords de coopération qui doivent ou peuvent être
passés entre les collectivités fédérées (nos 717 s.) témoignent de la
même préoccupation. L'on n'a pas manqué de relever qu'ils ont une
incidence directe, pour ne pas dire : néfaste, sur la répartition des
fonctions au sein d'une collectivité fédérée.
Telle question doit être réglée par le législateur décrétai ou ordon-
nanciel. Peut-être même cette matière lui est-elle réservée (no 681 ).
Toujours est-il qu'aux fins de coopérer avec ses homologues fédérés,
le gouvernement de communauté ou de région s'en saisit. Il conclut
sur ce point un accord de coopération. Il le soumet ensuite, pour un
assentiment ne varietur, au pouvoir législatif fédéré (l. sp.,
art. 92bis, § P", al. 2). L'exécution de cet accord sera laissée à la dis-
crétion des équipes gouvernementales et de leurs services adminis-
tratifs, sous le contrôle éventuel de l'assemblée fédérée.

§ 3. ~ La collaboration
entre autorités fédérales et fédérées
1024. ~ L'Etat fédéral peut également être partie à un accord
de coopération avec une ou plusieurs collectivités fédérées. Un tel
accord~ cela va de soi~ doit s'inscrire dans le respect des disposi-
tions de la Constitution et de celles des lois de réformes institution-
nelles. Il doit tenir compte de leurs prescriptions matérielles tout
comme de la répartition des compétences qu'elles établissent. Corn-
856 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

ment ne pas observer que cet accord, qui porte notamment sur le
développement d'initiatives en commun, conduit l'une et l'autre
collectivités à partager certaines de leurs compétences et certains de
leurs moyens? Comment ne pas constater aussi qu'il conduit à
transférer dans l'ordre de la fonction gouvernementale ce qui, au
départ, figurait, fût-ce au titre des compétences résiduelles, dans le
domaine des responsabilités assignées aux législateurs - fédéral et
fédérés, confondus -?

SECTION III. - LES CONTRÔLES POLITIQUES

1025. - Les contrôles politiques vont de pair avec l'aménage-


ment des sociétés démocratiques. Dans l'Etat fédéral, ils prennent
la forme d'un contrôle mutuel de la Chambre des représentants et
du gouvernement fédéral. Ils organisent un régime de type parle-
mentaire rationalisé.
L'on ne saurait considérer que les mêmes réalités institutionnelles
président à l'aménagement des collectivités fédérées. En particulier,
la dissolution des parlements de communauté ou de région fait
défaut. C'est de régime semi-parlementaire qu'il est question en l'es-
pèce.
La situation est encore plus singulière dans les commissions com-
munautaires. A raison des modes de composition des collèges, leur
mise en cause par les assemblées respectives connaît des accommo-
dements sérieux. L'on parlera d'un régime semi-parlementaire atté-
nué.
Il y a plus. Dans un système fédératif, l'on a déjà relevé que
l'existence de contrôles politiques de l'Etat fédéral sur les collecti-
vités fédérées ou sur l'une d'elles n'était concevable qu'à titre
exceptionnel et de manière limitée. Le droit belge s'attache à pro hi-
ber de tels contrôles. Il ne peut, cependant, s'empêcher, de recourir
en quelques circonstances à de tels mécanismes de surveillance. Au
nom des intérêts généraux de l'Etat, il se réserve le droit d'interve-
nir dans la gestion de certaines compétences attribuées à la Région
bruxelloise ou dans l'exercice par les communautés et les régions de
leurs compétences internationales.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 857

§ 1er. - Le régime semi-parlementaire

1026. - Le parlement fédéré élit le gouvernement fédéré. Il


peut le contrôler - tant il est vrai que << le gouvernement, de même
que chacun de ses membres, est responsable devant (le parlement)>>
(l. sp., art. 70) - . Il peut aussi le renverser. Il convient, cependant,
qu'il fasse usage en la circonstance de la technique du vote de
méfiance constructif (l. sp., article 71). La loi spéciale de réformes
institutionnelles s'attache à préciser les conditions dans lesquelles la
responsabilité d'un gouvernement de communauté ou de région est
concrètement et utilement engagée.
L'adoption d'une motion de censure entraîne la démission du gou-
vernement ou de l'un de ses membres et l'installation de son succes-
seur (l. sp., art. 71, al. 4). La motion n'est toutefois recevable que
dans la mesure où elle est constructive, c'est-à-dire présente un suc-
cesseur au gouvernement ou, selon le cas, à l'un ou plusieurs de ses
membres (l. sp., art. 71, al. 2).
La question de confiance peut être posée à tout moment par le
gouvernement fédéré (l. sp., art. 72, al. 1er).
Tant qu'il n'est pas remplacé, le gouvernement démissionnaire
expédie les affaires courantes (l. sp., art. 73, al. 2).

1027. - Des règles spécifiques sont applicables dans la Région


bruxelloise. En principe, la responsabilité politique du gouvernement
de la Région de Bruxelles-Capitale est comparable à celle qui
incombe aux autres gouvernements de communauté et de région.
Quelques particularités méritent néanmoins d'être relevées ..
L'adoption d'une motion de méfiance constructive n'est acquise
à l'encontre du gouvernement régional que si elle recueille les suf-
frages de la majorité des membres du Conseil et, au surplus, ceux
de la majorité des membres de l'un et l'autre groupes linguistiques
(l. sp., 12 janvier 1989, art. 36, §1er, al. 5). Toutefois, si la motion
est dirigée uniquement contre le président du gouvernement, le vote
·de la majorité des membres du Conseil suffit (idem).
L'adoption d'une motion de méfiance constructive à l'encontre
d'un membre du gouvernement oblige celui-ci à démissionner pour
autant qu'elle émane de la majorité des membres du groupe linguis-
tique dont il relève.
858 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

L'adoption par le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale


d'une motion de méfiance constructive à l'encontre du ministre-pré-
sident oblige celui-ci à se retirer.

1028. - L'assemblée fédérée ne saurait, elle, faire l'objet d'une


mesure de dissolution. Comme le précise l'article 117 de la Constitu-
tion, <<les membres des (parlements de communauté et de région)
sont élus pour une période cinq ans )). Celle-ci ne saurait être rac-
courcie. Il en résulte que ces assemblées << sont intégralement renou-
velé(e)s tous les cinq ans)).
Le gouvernement fédéré est sans possibilité d'infléchir le cours de
l'existence du parlement correspondant. Il n'est pas en mesure de le
dissoudre ou- mesure plus légère- d'ajourner ses travaux.

1029. - Le régime semi-parlementaire est celui qui, présentant


les traits essentiels du régime parlementaire et organisant à cet effet
le contrôle politique de l'assemblée sur le gouvernement, ne ménage,
pas à ce dernier la faculté, même limitée, de dissoudre l'autorité
parlementaire. Les communautés et les régions répondent à ce
schéma institutionnel.

§ 2. - Le régime semi-parlementaire atténué


1030. - Une difficulté ne peut manquer d'apparaître dans les
commissions communautaires. Les membres des collèges sont aussi
ministres du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. Si
les assemblées des commissions française et flamande ou si l' assem-
blée réunie de la commission commune étaient en mesure de les ren-
verser, elles porteraient indirectement atteinte à des prérogatives
qui sont celles du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale.
Comment résoudre cette difficulté? Deux solutions sont retenues.

1031. - En ce qui concerne la Commission communautaire fran-


çaise, la solution s'inspire du modèle du régime semi-parlementaire.
Conformément à l'article 36, § 2 de la loi spéciale du 12 janvier
1989 relative aux institutions bruxelloises, l'Assemblée peut adopter
une motion de méfiance à l'égard du collège ou d'un ou de plusieurs
de ses membres, lorsque la Commission communautaire exerce le
pouvoir décrétai. Dans ce cas, le collège ou le ou les membres visés
doivent démissionner. En outre, l'adoption de la motion de
méfiance entraîne également la démission du ou des intéressés de
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 859

leur fonction de ministre bruxellois ou, le cas échéant, de l'ensemble


des ministres qui appartiennent au groupe linguistique français du
gouvernement bruxellois. En d'autres termes, une démission en
qualité de membre du collège de la Commission communautaire
française entraîne une démission corrélative en qualité de membre du
gouvernement bruxellois.
<<L'adoption de la motion emporte (encore) la désignation du nou-
veau collège, du nouveau membre ou des nouveaux membres et,
selon le cas, des membres du gouvernement de la Région de
Bruxelles-Capitale appartenant au groupe linguistique français ou
d'un ou de plusieurs de ses membres>> (l. sp., 12 janvier 1989,
art. 36, § 2).
De manière pour le moins surprenante, l'article 36, § 2 ne dit rien des condi-
tions d'adoption de la motion de méfiance. En particulier, il n'est pas expressé-
ment précisé que la motion n'est recevable qu'à la condition qu'elle présente un
successeur au collège ou au membre visé. Certes, le texte fait allusion à la dési-
gnation du nouveau collège ou du ou des nouveaux membres. Force est de
constater que la disposition manque de limpidité.
Faut-il procéder par analogie et transposer purement et simplement la procé-
dure telle qu'elle est organisée au niveau de la Région bruxelloise (3)? Cette
manière de faire paraît dangereuse lorsqu'il est question du fonctionnement des
institutions, d'autant que l'article 136 de la Constitution prescrit au législateur
spécial de régler les questions qui touchent à la composition, au fonctionnement,
aux compétences et au financement des commissions communautaires (4).
S'agissant de la mise en œuvre de la motion de méfiance par l'Assemblée de la
Commission communautaire française, le législateur spécial n'a pas utilisé l'habi-
litation que lui procurait la Constitution, de sorte que l'article 36, § 2, de la loi
spéciale du 12 janvier 1989 semble, en l'état, inapplicable.

En ce qui concerne la Commission communautaire commune, le


régime semi-parlementaire est lui-même atténué. Ni renvoi, ni disso-
lution ne sont concevables. Le Collège réuni n'est pas responsable
devant l'Assemblée - <<vraisemblablement en raison de l'inutilité
d'organiser un système de double responsabilité politique des
mêmes personnes devant les mêmes conseillers>> (5) - . On n'en
~éduit pas que la Commission jouirait d'un régime d'assemblée. Les

(3) R. WITMEUR, La Commission communautaire française : une copie à revoir pour un Etat
fédéral achevé?, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 88.
(4) S. DEPRÉ, <<A propos de la compétence décrétale de la Commission communautaire fran-
çaise>>, obs. sous C.A., n" 31/95, 4 avril 1995, J.L.M.B., 1995, p. 1277.
(5) Y. LEJEUNE, ''La réforme de l'Etat. VII. Les institutions bruxelloises>>, J. T., 1989,
p. 213.
860 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

membres du collège réuni restent fragiles. Ils peuvent être renversés


en tant que ministres régionaux ou en tant que membres d'une
comm1sswn communautaire- française ou flamande - .

§ 3. - Les contrôles politiques fédéraux


1032. - Des contrôles politiques assortissent l'élaboration de
l'ordonnance particulière, telle qu'elle est élaborée par les autorités
régionales bruxelloises.
L'ordonnance particulière est l'œuvre du Conseil et du gouverne-
ment de la Région de Bruxelles-Capitale. Elle intervient dans l'un
des quatre domaines visés à l'article 45 de la loi spéciale du 12 jan-
vier 1989. Elle règle donc l'une des matières suivantes : l'aménage-
ment du territoire, l'urbanisme, les travaux publics et le transport.
Un contrôle de type juridique s'exerce à l'encontre de cette ordon-
nance. C'est celui de la Cour d'arbitrage- en cas d'excès de compé-
tence - . C'est celui des cours et tribunaux - en cas de violation
des autres règles inscrites dans la Constitution et dans la loi spéciale
relative aux institutions bruxelloises - . C'est celui du Conseil
d'Etat- dans la même hypothèse-.
Un contrôle de type politique s'exerce aussi à l'encontre d'une telle
ordonnance Il est l'apanage du roi. Et ceci <<en vue de préserver le
rôle international et la fonction de capitale de Bruxelles >>, soit -
dans la meilleure acception du terme - dans une préoccupation qui
est celle de l'intérêt général (6). Il se manifeste par des procédés
comparables à ceux de la tutelle : la suspension (art. 45, al. 1er, 2 et
4), la substitution (art. 45, al. 3) et l'annulation (art. 45, al. 5 et 6).
Il traduit de ce point de vue une perspective nette qui est celle de
la décentralisation et non du fédéralisme.
En vertu de l'article 45 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, le roi
peut, par arrêté royal délibéré en conseil des ministres, suspendre
une ordonnance. La mesure de suspension - qui intervient dans les
soixante jours de la publication - emporte la saisine du comité dit

(6) L. sp., 12 janvier 1989 : ''Il est créé un comité de coopération qui délibère selon la procé-
dure du consensus, des initiatives que peuvent prendre en commun l'Etat et la Région de
Bruxelles-Capitale en vue de favoriser et de promouvoir le rôle international et la fonction de
capitale de Bruxelles. Les initiatives ... peuvent être financées en tout ou en partie par le budget
de l'Etat» (art. 43). Voy. l'accord de coopération du 15 septembre 1993 entre l'Etat fédéral et
la Région bruxelloise, relatif à certaines initiatives destinées à promouvoir le rôle international
et la fonction de capitale de Bruxelles (Mon. b., 30 novembre 1993), complété par les avenants
no 1 du 29 juillet 1997 et no 2 du 29 mai 1997.
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS 861

de coopération (7). Ce comité est composé paritairement de représen-


tants du gouvernement bruxellois et du gouvernement fédéral. Si,
dans les soixante jours, il ne peut aboutir à une solution négociée
par la voie consensuelle, le roi peut, par un nouvel arrêté pris dans
les mêmes conditions, proroger la mesure de suspension.
Par la même occasion, la Chambre des représentants est saisie de
la question controversée. Elle peut prononcer l'annulation de l'acte
incriminé. Elle statue, à ce moment, à la majorité dans chaque
groupe linguistique.
Le conseil des ministres est également habilité à agir en lieu et
place des autorités régionales si, à son estime, celle-ci n'assument
pas valablement leurs missions. Il soumet au comité de coopération
un ensemble de suggestions aux fins de développer le rôle de la capi-
tale. Si la procédure de concertation échoue, le conseil des ministres
s'adresse à la Chambre des représentants. Il lui demande d'approu-
ver - à la majorité de chacun des groupes linguistiques - les
mesures envisagées.
1033. - Des contrôles politiques peuvent également s'exercer à
l'encontre des communautés et des régions lorsqu'elles restent en
défaut de remplir leurs obligations internationales (no 678). Adde :
F. DELPÉRÉE, Le fédéralisme en Europe ... , p. 74.

(7) Sur cette appellation, voy. F. DELPÉRÉE, «Quelle coopération entre les communautés et
les régions?», Rev. pol., 1989, p. 16.
CHAPITRE III
L'EXERCICE DES FONCTIONS

1034. - C'est l'exercice des principales fonctions collectives -


gouverner, légiférer, contrôler - qui retient l'attention. Les règles
du régime se mi-parlementaire déterminent les modes d'accomplisse-
ment de ces fonctions.
Sur ce thème, la Constitution est particulièrement discrète. Elle
se contente de préciser comment les autorités communautaires et
régionales sont constituées. Les fonctions qui leur sont dévolues ne
sont évoquées qu'à mi-mot. Les lois spéciales ou ordinaires de
réformes institutionnelles ne contiennent pas non plus, sur ces sujets
essentiels, de nombreuses dispositions. De manière paradoxale, ce
sont des règlements d'assemblée ou des règlements d'ordre intérieur
qui comblent ces lacunes.
La situation n'est pas satisfaisante. Si la Constitution veut com-
mander tant le fonctionnement de l'Etat fédéral que celui des col-
lectivités fédérées, elles gagne à être plus explicite à ce propos.

SECTION !'6 • - LA FONCTION DE GOUVERNEMENT

1035. - Selon l'article 78 de la loi spéciale de réformes institu-


tionnelles, << le gouvernement (de communauté ou de région) n'a
d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la
Constitution et les lois et décrets portés en vertu de celle-ci >>. Cette
disposition - dont la rédaction est calquée sur celle de l'article 105
(anciennement : 78 ... ) de la Constitution - retient la distinction
entre fonctions propres et fonctions déléguées. Il convient de s'ins-
crire dans cette philosophie institutionnelle (no 910) tout en obser-
vant que, dans le silence des textes constitutionnels, elle est diffici-
lement praticable.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 863

§ 1er. - Les Jonctions propres


1036. - Les fonctions propres qui sont assumées dans les com-
munautés et les régions sont celles que la Constitution, voire les lois
de réformes institutionnelles, attribuent de manière expresse à un
gouvernement fédéré.
Que dit la Constitution à cet égard? Peu de choses, en somme,
sinon que <<le droit d'initiative décrétale appartient au gouverne-
ment de communauté>> (art. 132). Elle ne précise pas que la même
fonction revient aussi au gouvernement de région.
Que disent, pour leur part, les lois de réformes institutionnelles ?
Elles sont un peu plus explicites. Elles organisent le droit d'inter-
vention du gouvernement dans le processus d'élaboration des
décrets et ordonnances - et ce, depuis l'initiative (art. 18) jus-
qu'aux opérations de sanction, promulgation et de publication
(art. 21 et 22), en passant par le droit de procurer application aux
décrets et ordonnances (art. 20) - .
1037. - De manière implicite, le gouvernement régional est
compétent pour exercer la tutelle ordinaire sur les provinces, les
communes, les agglomérations et fédérations de communes ainsi que
sur les districts (l. sp., art. 7).
La tutelle ordinaire peut se subdiviser en deux branches.
- L'une est celle de la tutelle ordinaire générale. Dans les termes les plus
larges, elle se donne pour objet de veiller au respect de la légalité et de préserver
l'intérêt général. Elle est visée par l'article 162, alinéa 2, 6°, de la Constitution.
Elle affecte tous les actes qui sont accomplis par une autorité communale (voy.,
par exemple, NLC, art. 264 s.). Elle porte notamment sur «les budgets, les
comptes annuels, les cadres du personnel>> (ibid.).
- L'autre branche est celle de la tutelle ordinaire spéciale. Comme son nom
l'indique, elle poursuit des finalités plus précises. Dans les situations qu'il
revient à la région de déterminer et selon les procédures et les modalités qu'elle
fixe -par décret ou ordonnance - , des contrôles particuliers de légalité ou de
conformité à l'intérêt général sont aménagés (voy., par exemple, NLC, art. 266
et l'envoi d'un commissaire spécial<< à l'effet de recueillir les renseignements ou
observations demandés ou de mettre à exécution les mesures prescrites par les
lois, décrets, règlements et arrêtés de l'Etat, des régions, des communautés et
des institutions provinciales»).

1038. - Le gouvernement de communauté et de région exerce


la fonction réglementaire autonome.
<<Chaque (gouvernement) dispose d'une administration>> (1. sp., art. 87). Il
peut prendre toute mesure générale ou individuelle en ce domaine. Il peut, en
864 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

particulier, établir le statut du personnel de l'administration générale. Dans


l'exercice de ces compétences autonomes, il doit, cependant, respecter un certain
nombre de dispositions établies par le législateur fédéral. La préoccupation est
exprimée de ne pas créer des distorsions ou des concurrences entre les régimes
juridiques qui. sont établis par l'Etat fédéral, les communautés et les regwns
(Ann. parl., Sénat, 1979-1980, p. 2465, C.E., A. 29.360/VII-9-854, 23 janvier
1980) (1). Les règles de droit fédéral s'imposent dans quatre domaines.
- Le personnel de l'administration générale de la région est recruté par les
services de sélection et d'orientation (Selor).
- Le personnel bénéficie d'un statut administratif et pécuniaire qui est établi
par la région. Celle-ci doit respecter, en l'espèce, les principes généraux de la fonc-
tion publique - qui sont applicables << de plein droit>) à un ensemble de person-
nels relevant pourtant de services distincts de ceux de l'Etat fédéral - (2). Un
arrêté royal du 22 novembre 1991 a fixé les principes généraux du statut admi-
nistratif et pécuniaire des agents de l'Etat applicables au personnel des Exécu-
tifs et des personnes morales de droit public qui en dépendent. Cet arrêté, pris
en période d'affaires courantes, a été annulé (C.E., n" 47.689, 31 mai 1994,
Leclercq c. Etat belge). Un nouvel arrêté a été pris le 26 septembre 1994. Adde :
C.A., n" 31/95, 4 avril 1995; n" 45/95, 6 juin 1995; C.E., n" 62.922, 5 novembre
1996, Orfinger c. Etat belge. Voy. l'arrêté du gouvernement wallon du 23 janvier
1997 modifiant l'arrêté du gouvernement wallon du 17 novembre 1994 portant
le statut des fonctionnaires de la région.
- Le personnel bénéficie d'un régime de pensions qui est celui du personnel
définitif, temporaire et auxiliaire de l'Etat fédéral (!. sp., art. 87, § 3).
- «Les règles relatives aux relations entre les autorités publiques et les organi-
sations syndicales des agents relevant de ces autorités, ainsi qu'avec les membres
de ces organisations syndicales, relèvent, en ce qui concerne les communautés et
les régions et les personnes morales de droit public qui en dépendent, y compris
l'enseignement, de la compétence de l'autorité (fédérale) ... >)(!. sp., art. 87, § 5).

1039. - Le gouvernement exerce également la fonction régle-


mentaire dérivée. Il << fait les règlements et arrêtés nécessaires pour
l'exécution des décrets, sans pouvoir jamais ni suspendre les décrets
eux-mêmes, ni dispenser de leur exécution)) (1. sp., art. 20).
Comme le relève le Conseil d'Etat, <<pour concilier les principes
régissant la répartition des compétences entre les législateurs com-
munautaire et régional et le gouvernement (fédéré}, les éléments
essentiels de la réglementation envisagée doivent figurer dans le
texte même du décret. Les limites de la délégation consentie doivent
être définies par le décret aussi précisément que possible, de préfé-

(1) O. DAURMONT, <<Les principes généraux du droit de la fonction publique», in J. SAROT,


Précis de la fonction publique, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 86.
(2) Adde : F. LEURQUIN·DE VISSCHF.R, <• Heurs et malheurs de l'arrêté royal fixant les prin·
cipes généraux du droit de la fonction publique •>, obs. sous C.E., n" 47.689, 31 mai 1994, Leclercq
c. Etat belge, A.P.T., 1995, p. 79.
.------------------------------------ ------~~

L'EXERCICE DES FONCTIONS 865

renee en indiquant, de manière concrète, les circonstances dans les-


quelles il peut être fait usage de cette délégation et en définissant,
à tout le moins dans leurs grandes lignes les mesures à prendre >> (L.
29.980/2) (3).
1040. - Le gouvernement de communauté ou de regwn exerce
également la fonction de coopération internationale. Le système mis
en place par l'article 167, § 3, de la COnstitution attribue à huit
autorités distinctes le pouvoir de conclure des traités. Le roi, le gou-
vernement de la Communauté française, le gouvernement flamand,
le gouvernement de la Communauté germanophone, le gouverne-
ment wallon, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale,
le Collège de la Commission communautaire française et le Collège
réuni de la commission communautaire commune peuvent interve-
nir en ce sens. <~ Ils sont désignés par le droit belge en tant qu'inter-
locuteurs pour concourir à l'élaboration de règles internationales de
nature conventionnelle>> (4).
~~La combinaison des §§ 2 et 3 de l'article 167 (de la Constitution) fait claire-
ment ressortir le principe déjà énoncé par le § 1ec (de cet article) : il est interdit
au roi de conclure des traités portant sur les matières qui relèvent de la compé-
tence des communautés et des régions. Le constituant belge a voulu démembrer
l'exercice du treaty making power de l'Etat pour renforcer l'autonomie des
régions et des communautés et empêcher l'autorité fédérale de contrecarrer leur
politique par le biais de traités internationaux.
La situation est inédite en droit comparé. En effet, tous les Etats fédéraux qui
reconnaissent à leurs collectivités constitutives un jus tractati autonome ont opté
pour une compétence internationale concurrente de l'autorité centrale, que celle-
ci est parfois tenue d'exercer avec le consentement des autorités fédérées>>
(Y. LEJEUNE, ~~La conduite des relations internationales>>, in La Belgique fédé-
rale ... , p. 317).

§ 2. - Les fonctions déléguées


1041. - Selon l'article 78 de la loi spéciale de réformes institu-
tionnelles, le gouvernement de communauté ou de région dispose
également des pouvoirs que lui attribuent expressément les <~ décrets
portés en vertu>> de la Constitution. Un décret (ou une ordonnance)
peut donc habiliter un gouvernement fédéré à prendre des arrêtés
qui, pour une période limitée et dans des matières déterminées,

(3) R. ANDERSEN et P. NIHOUL, << Le Conseil d'Etat. Chronique de jurisprudence 1996 »,


R.B.D.C., 1997, P~ 179.
(4) F. LEURQUIN-DE VISSCHER, op. cit., p. 213.
866 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

seront en mesure de modifier les normes fédérées qui existent à ce


sujet.
Une procédure de confirmation décrétale ou ordonnancielle peut
être aménagée. A défaut, les arrêtés de pouvoirs spéciaux ont valeur
réglementaire et s'exposent aux contrôles des cours et tribunaux
ainsi que du Conseil d'Etat. Sinon, ils restent soumis au contrôle
partiel de la Cour d'arbitrage.

SECTION II. - LA FONCTION DE LÉGISLATION

1042. - Les règles qui concernent la fonction de législation au


niveau fédéral ne sauraient se comparer avec celles qui prévalent au
niveau fédéré. Certes, la législation communautaire et régionale est
l'œuvre du gouvernement et de l'assemblée. Mais le système mono-
caméra! conduit à introduire des dispositions sans commune mesure
avec celles qui touchent le roi et les chambres législatives.
En cette matière, la Constitution fait, une nouvelle fois, preuve
de laconisme. Elle se contente d'établir les règles qui président à la
composition des autorités communautaires et régionales. Sur trois
points essentiels, elle se montre néanmoins plus diserte.
Elle prescrit, d'abord, les règles sur l'exercice du droit d'initiative
au niveau communautaire : ce droit << appartient au gouvernement
de communauté et aux membres du (parlement) de communauté>>
(art. 132).
Ensuite, elle veut que <<l'interprétation des décrets par voie d'au-
torité n'appartien(ne) qu'au décret>> (art. 133). Elle n'entend pas
ôter au juge la faculté d'interpréter les textes normatifs de la com-
munauté ou de la région mais entend que le pouvoir législatif à ce
niveau se prononce de manière authentique sur le sens qu'il
convient de donner aux décrets.
Enfin, elle établit de manière incidente la règle selon laquelle la
fonction de législation au niveau de la communauté et de la région
s'exercera par la voie d'un décret (art. 127 et 142). Dans l'ar-
ticle 134, elle n'exclut pas, mais n'impose pas non plus, que les
autorités régionales prennent également des << décrets ayant force de
loi>>.
1043. - Les textes existants peuvent paraître lacunaires. Dans
ce contexte, la tentation est grande de se référer purement et sim-
L'EXERCICE DES FONCTIONS 867

plement aux textes qui sont en vigueur et qui commandent l' exer-
cice de la fonction législative fédérale. L'exercice doit être accompli
avec prudence.

§ 1er. - L'initiative du décret ou de l'ordonnance

1044. - L'initiative du décret ou de l'ordonnance revient au


gouvernement et aux membres du parlement, du conseil ou de l'as-
semblée concerné. Des projets ou des propositions de décret et d'or-
donnance sont déposés en ce sens.
Les projets sont obligatoirement soumis à la section de législation
du Conseil d'Etat, sans que l'urgence puisse dispenser de cette for-
malité. Il est rappelé que les avis de la section de législation du
Conseil d'Etat ne lient pas les autorités qui l'ont consultée. Si, selon
l'avis, l'avant-projet, la proposition ou l'amendement excède la
compétence des autorités fédérées, le texte est renvoyé au comité de
concertation qui, dans les quarante jours, rend sur le même point,
un avis motivé; <~ si le comité de concertation estime qu'il y a excès
de compétence, il demande ... au gouvernement communautaire ou
régional compétent, au Collège de la Commission communautaire
française ou au Collège réuni de la Commission communautaire
commune de corriger l'avant-projet ou de déposer devant l'assem-
blée saisie de l'avant-projet ou de la proposition, les amendements
qu'il détermine et qui font cesser cet excès de compétence>> (l.
coord., art. 3, § 4, al. 2).
Pour leur part, les propositions de décret, les amendements à des
projets ou propositions de décret peuvent être soumis au même
contrôle. Cette consultation facultative est mise en œuvre à l'initia-
tive des membres des gouvernements communautaires et régionaux
(l. coord., art. 4) ou des présidents des assemblées correspondantes
(l. coord., art. 2, §1er); ceux-ci sont, cependant, tenus de demander
l'avis du Conseil d'Etat <~lorsqu'un tiers au moins des membres ...
(de l'assemblée intéressée) en font la demande>> (l. coord., art. 2,
§ 2).

§ 2. - La discussion du décret ou de l'ordonnance

1045. - Il est renvoyé aux règles générales qui commandent


l'organisation des assemblées fédérées (nos 640 s.), et notamment à
la procédure de double lecture.
868 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

Pour le surplus, quelques dispositions particulières méritent


d'être rappelées.
L'une d'elles est inscrite dans la Constitution. L'article 131 charge
le législateur fédéral d'<< arrête( r) les mesures en vue de prévenir
toute discrimination pour des raisons idéologiques et philosophi-
ques>>. La loi du 3 juillet 1971 organise ce régime particulier de pro-
tection des minorités. Elle le conçoit à l'occasion de l'élaboration des
décrets communautaires (art. 4 à 6).
Pour prévenir << toute discrimination pour des raisons idéologiques
ou philosophiques, la loi fédérale prévoit qu"une motion motivée
signée par le quart au moins des membres d'un (parlement de com-
munauté) et introduite après le dépôt du rapport et avant le vote
final en séance publique, peut déclarer que les dispositions d'un pro-
jet ou d'une proposition de décret qu'elle désigne et dont ce (parle-
ment) se trouve saisi, contiennent une discrimination pour des rai-
sons idéologiques et philosophiques >>. Dans ces circonstances, un
collège est mis en place. Il comprend les présidents des deux
chambres législatives, celui du Parlement flamand et celui du Parle-
ment de la Communauté française.
Le << collège des présidents >> statue sur la recevabilité de la
motion. S'il considère qu'elle est recevable, la procédure d'examen
de la proposition ou du projet de décret est suspendue. Le texte et
la motion sont déférés aux chambres législatives. Ce n'est que si
chacune d'elles déclare la motion non fondée que l'œuvre d'élabora-
tion du décret peut être reprise.
D'autres dispositions sont inscrites dans les lois de réformes insti-
tutionnelles. Il est notamment rappelé que des règles de coopération
procédurale s'imposent lors de l'élaboration des décrets et des
ordonnances. Il s'indique que ces formalités substantielles soient
accomplies au stade de l'initiative. Si elles ne l'ont pas été ou si elles
n'ont pu l'être - notamment parce que l'initiative est d'origine
parlementaire - , une régularisation peut avoir lieu jusqu'au terme
de la discussion parlementaire.
Des dispositions particulières sont également prises pour régler
l'emploi des langues dans l'assemblée. <<Les projets et propositions
de décret, ainsi que les amendements, sont présentés et mis aux
voix dans la langue>> (du parlement) (l. sp., art. 43, al. PT Au Par-
lement wallon, << lorsqu'elle est demandée, la traduction en langue
allemande est de droit >>; à l'occasion des débats qui se poursuivent
L'EXERCICE DES FONCTIONS 869

dans la même assemblée, les membres qui résident dans une com-
mune germanophone peuvent également s'exprimer en langue alle-
mande (l. sp., art. 53, al. 4).
Dans son article 44, la loi spéciale de réformes institutionnelles prescrit la
constitution de commissions aux fins de préparer le débat au sein du parlement;
ces commissions sont composées « suivant le système de la représentation propor-
tionnelle >), en tenant compte de l'importance respective des groupes politiques.
Dans son article 39, elle reconnaît à chaque parlement<< le droit d'amender et
de diviser les articles et amendements proposés >).
Sur la technique de la seconde lecture, voy. n° 642.

§ 3. - L'adoption du décret ou de l'ordonnance


1046. - En ce qui concerne les règles de majorité et de publi-
cité, voy. n" 643 s et n" 646 s. <<Sur chaque décret dans son
ensemble, la décision est prise par un vote nominatif)) (l. sp.,
art. 36, al. l er).
<<Le gouvernement (fédéré) sanctionne et promulgue les décrets))
et les ordonnances (l. sp., art. 21). <<Aucun décret, (aucune ordon-
nance) ou arrêté d'exécution n'est obligatoire qu'après avoir été
publié dans la forme déterminée par la ... loi)) (spéciale) (l. sp.,
art. 22, 54, 55 et 56).

SECTION III. - LA FONCTION


DE CONTRÔLE POLITIQUE

1047. - Même s'il ne s'y exerce qu'à sens unique, le contrôle


politique est de l'essence du régime semi-parlementaire.
Il peut prendre des formes directes. Il est mis en œuvre à l'occa-
sion de procédures qui s'attachent à conforter le gouvernement ou,
au contraire, à contester à ce point son action qu'elles visent à le
renverser.
Il peut aussi prendre des formes diffuses. Il s'inscrit dans des pro-
cédures qui ne cherchent pas à se prononcer sur la poursuite ou l'in-
terruption de l'action gouvernementale mais à vérifier la manière
dont celle-ci est concrètement assumée.

§ l er. - Les formes directes de contrôle politique


1048. - Les ministres communautaires et régionaux sont en
droit d'expliquer leur politique devant l'assemblée qui les a élus.
870 LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

<<Ils ont leur entrée au (parlement) et doivent être entendus quand


ils le demandent>> (l. sp., art. 37, al. 2).
L'inverse est également vrai. Le parlement <<peut requérir la pré-.
sence des membres du gouvernement>> de communauté ou de région
(l. sp., art. 37, al. 3). Tant il est vrai que<< le gouvernement (fédéré),
de même que chacun de ses membres, est responsable >> devant le
parlement correspondant (l. sp., art. 70).
De manière originale, la loi spéciale distingue le régime de la res-
ponsabilité collective et celui de la responsabilité individuelle des
ministres fédérés.
Le gouvernement fédéré peut, dans son ensemble, <<décider de
poser la question de confiance sous forme d'une motion >>. Celle-ci
n'est adoptée que si la majorité des membres du parlement, et pas
seulement celle des membres présents, y souscrit. << Si la confiance
est refusée, le gouvernement (fédéré) est démissionnaire de plein
droit>> (l. sp., art. 72, al. 4). Un membre du gouvernement ne sau-
rait utiliser la même procédure.
Le gouvernement fédéré peut, de manière collective, être contesté.
Une motion de méfiance est déposée à son encontre. Elle n'est rece-
vable que si elle est constructive : elle doit présenter << un successeur
au gouvernement>> en place. Elle n'est adoptée que si la majorité
des membres du parlement s'expriment en ce sens. <<L'adoption de
la motion de méfiance emporte la démission du gouvernement
(fédéré) ... ainsi que l'installation>> de son successeur (l. sp., art. 71,
al. 4).
De manière individuelle, un ministre fédéré peut également faire
l'objet d'une motion de méfiance. L'adoption de cette motion
constructive emporte démission du ministre contesté et installation
de son successeur (l. sp., art. 71, al. 4).

§ 2. - Les formes diffuses de contrôle politique


1049. - Comme on l'a relevé, les procédures d'assentiment aux
traités internationaux mais aussi aux accords de coopération peu-
vent relever de la fonction de contrôle politique. Tant la Constitu-
tion (art., 167, § 3, in fine) que la loi spéciale de réformes institu-
tionnelles (art. 16, §1er, et 92bis, §1er, al. 2) prescrivent un tel
contrôle.
L'EXERCICE DES FONCTIONS 871

1050. - Parmi les formes diffuses de contrôle politique, il y a


lieu également de mentionner des procédures particulières qui sont
également d'usage dans les chambres fédérales.
<<Chaque (parlement fédéré) a le droit d'enquête>> (l. sp., art. 40).
Chacun d'eux <<a le droit de renvoyer au gouvernement les péti-
tions qui lui sont adressées >>. Dans ce cas, << le gouvernement est
tenu de donner des explications sur leur contenu, chaque fois que
(le parlement) l'exige>> (l. sp., art., 41).
Des procédures analogues aux interpellations et aux questions
parlementaires sont organisées par les règlements d'assemblée.

BIBLIOGRAPHIE

Outre les ouvrages généraux déjà cités, l'on prendra connaissance des travaux sui-
vants, tout en relevant que certains d'entre eux peuvent être désuets à raison des
réformes successives des lois de réformes institutionnelles:
M. BARBEAUX et M. BEUMIER, Administration, parastataux et réforme de l'Etat,
Namur, Faculté de droit, 1998; H. BRIBOSIA et J.-L. VAN BoxsTAEL, Le partage des
compétences dans la Belgique fédérale, Brugge, La Charte, 1994; F. DELPÉRÉE, <<La
santé et la réforme de l'Etat>>, lnfo-Nursing, 1997, p. 65; M. DoNY et B. BLERO, <<La
répartition des compétences en matière de politique de santé •>, CH CRISP, 1990,
n° 1300-1301; R. ERGEC, <<La réforme de l'Etat. V. Les compétences économiques>>,
J.T., 1989, p. 141; B. HAUBERT, Politique énergétique et pouvoir régional. Le cas de la
Wallonie, Bruxelles, Bruylant, 1987; Het federale België na de vierde Staatshervorming.
Een commentaar op de Nieuwe Grondwet en haar uitvoeringswetten (dir. A. ALEN et
L.P. SUETENS), Brugge, Die Keure, 1993; B. JADOT, <<La réforme de l'Etat. VI. Les
compétences régionales dans les matières autres que celles qui concernent l'écono-
mie>>, J.T., 1989, p. 178; Les compétences régionales et communautaires (dir. E. CE-
REXHE}, Namur, Faculté de droit, 1983; J.-M. VAN BoL,<< Les matières communau-
taires et régionales •>, J. T., 1981, p. 633.
LIVRE X

Les procédures de crise


1051. - Dans un dernier livre, on examme les procédures de
crise, tous niveaux de pouvoir confondus.
Il faut d'abord procéder à une définition des crises. Quelles en sont
les causes ? Quels sont les événements qui affectent l'organisation de
la société politique, le statut des titulaires du pouvoir ou l'exercice
de leurs fonctions? Dans quelle mesure perturbent-ils l'ordre consti-
tutionnel établi? De quelle manière infléchissent-ils le fonctionne-
ment du système constitutionnel?
Il convient ensuite d'analyser le déroulement des crises. Quels
effets peuvent-elles provoquer sur l'aménagement des pouvoirs et
des fonctions ? Comment les contrecarrer en attendant le règlement
de la crise ? Comment préserver la continuité de l'exercice des fonc-
tions étatiques et collectives? Comment sauvegarder les droits et
libertés des citoyens?
Il importe enfin d'indiquer comment peut intervenir la solution
des crises. Des procédures sont mises en place. La Constitution -
ses dispositions ou les pratiques qui s'en inspirent - , comme des
lois particulières, s'attachent à discipliner le jeu politique. Elles
n'imposent pas nécessairement les solutions qui seront retenues.
Mais elles indiquent les voies pour y parvenir.
CHAPITRE PREMIER
LA DÉFINITION DES CRISES

1052. - Une idée prévaut souvent. Une crise politique ne peut


avoir de cause que politique. La solution ne saurait être que politi-
que. Que peut apporter le droit constitutionnel dans ce secteur? Le
raisonnement a cours, est-il besoin de le préciser?, dans les milieux
politiques. Par le peu d'intérêt qu'ils portent aux phénomènes de
crise, les cercles constitutionnels semblent accréditer la même argu-
mentation (1). Soit qu'ils estiment que l'organisation des pouvoirs
et l'accomplissement des fonctions gagnent à être étudiés et pré-
sentés sous le bénéfice d'une présomption d'harmonie. Soit qu'ils
considèrent que le rôle du juriste gagne à être réduit dans le
domaine des crises : ne va-t-il pas se fourvoyer sur des terres qui ne
sont pas les siennes, être utilisé par les médias en quête de sensa-
tionnalisme, se faire récupérer par des personnes ou des groupes à
l'affût d'interprétations qui, tout en se donnant des allures scientifi-
ques, offrent le mérite de leur être favorables?
Cette attitude réservée des adeptes de la science constitutionnelle
mérite d'être combattue. Avec la prudence nécessaire et dans le res-
pect de règles élémentaires de déontologie, il doit être possible de
tenir un discours scientifique et juridique sur les crises politiques.
Mieux : il s'indique de développer pareilles analyses pour montrer
que la matière est informée, en profondeur, par le droit public -
par des textes, mais aussi par des principes généraux, parfois même
par la jurisprudence - ; les pratiques mises en œuvre ne le sont pas
sur terrain vierge, mais dans un domaine largement balisé par le
droit. Tout n'y est pas matière à improvisation - d'autant plus
hardie qu'elle va souvent de pair avec la précipitation-. Pour peu
que l'on soit attentif aux prescriptions du droit public, un domaine
important de la science constitutionnelle s'ouvre ici.

( 1) Le constitutionnaliste est trop souvent comme un médecin, brillant connaisseur des


planches d'anatomie, érudit des manuels de physiologie. mais qui ignorerait tout des maladies
et de leurs remèdes ... A côté d'un droit constitutionnel de la stabilité, il y a place pour un droit
constitutionnel de la crise.
876 LES PROCÉDURES DE CRISE

Le droit public concourt à la définition des crises. Il recense, en


effet, les circonstances de crise (section 1). Les unes n'affectent qu'un
individu; d'autres résultent d'une tension entre plusieurs autorités;
d'autres encore sont tributaires de facteurs extérieurs aux institu-
tions publiques.
Le droit public s'attache, en même temps, à mesurer l'intensité
des crises (section 2), à raison des répercussions qu'elles peuvent
avoir sur les éléments du système constitutionnel. Tantôt elles affec-
tent le choix des titulaires du pouvoir, tantôt elles perturbent
l'exercice des fonctions qui leur sont confiées, tantôt encore elles
compromettent l'existence même du régime.

SECTION Fe. -LES CIRCONSTANCES DE CRISE

1053. - Il faut s'attacher d'emblée à identifier les circonstances


de crise. Il faut s'efforcer de recenser et systématiser les hypo-
thèses - fort diverses au demeurant - dans lesquelles une crise
institutionnelle est amenée à se produire (2). L'actualité politique
est riche d'événements qui, sur le moment, peuvent paraître singu-
liers - ils n'ont pas de précédents et ne sont pas destinés à se répé-
ter - . Mais qui dit que, détachés du contexte immédiat, ces faits
ne puissent être rangés dans une catégorie constitutionnelle précise?
Une analyse correcte de la pratique constitutionnelle requiert
l'élaboration d'une typologie des crises. Elle seule fournit une<< grille
de lecture )) de la vie politique, dans ses événements les plus mouve-
mentés.
Comment ne pas observer que les circonstances de crise peuvent,
d'abord, tenir à des données individuelles (§ prp Au départ comme
à l'arrivée, seule une personne est à prendre en considération. Mais
la qualité d'autorité publique qui lui revient vaut à des faits de la
vie quotidienne d'être générateurs de crise. Il y a lieu d'être attentif
à des phénomènes comme ceux de la maladie (A) ou du décès (B);
il faut tenir compte surtout de la renonciation aux fonctions, et
notamment de la démission pour convenance personnelle (C).
Les circonstances de crise peuvent aussi être liées à des données
plus politiques (§ 2). L'état des relations entre autorités publiques

(2) Sur l'ensemble de la question, F. D!i:LPÉRÉE, Chroniques de crise 1977-1982, Bruxelles, Ed.
CRISP, 1983.
LA DÉFINITION DES CRISES 877

s'est dégradé, ou bien l'entente entre les membres d'une même auto-
rité s'est détériorée. Des initiatives peuvent être prises aux fins de
faire éclater la crise. Il faut mentionner à cet égard la révocation
individuelle (A) et collective (B), le renvoi individuel (C) et collectif
(D), la démission individuelle (E) et collective (F) ainsi que la disso-
lution (G).
Des données extrinsèques (§ 3) peuvent enfin être génératrices de
crises. La survenance de cas fortuits ou de circonstances de force
majeure (A), la guerre, l'insurrection (B), d'autres dangers publics
(C) perturbent à des degrés divers le fonctionnement du système
constitutionnel. Ces phénomènes échappent-ils à la maîtrise du
droit ? Le constitutionnaliste doit-il attendre le rétablissement de
l'ordre ou de la paix pour faire œuvre utile? Ici encore, le droit peut
contribuer à mieux définir les situations dans lesquelles l'organisa-
tion et le fonctionnement des pouvoirs sont supposés connaître des
altérations et des aménagements.

§ 1er. - Les données individuelles

A. - La maladie
1054. - Une personne est investie d'une fonction publique.
Celle-ci lui a été conférée à temps ou à vie. Mais, en cours de man-
dat, sa santé se détériore. Cette situation l'oblige-t-elle à se
démettre de ses fonctions? Des formes d'intérim sont-elles conce-
vables? Un régime de suppléance est-il à organiser? La Constitution
ou la loi fédérale ne sont pas, sinon sur des points précis, attentives
à ce type de situations.
Dans la Constitution, une seule hypothèse est évoquée : l'impossi-
bilité de régner qui peut affecter le chef de l'Etat (Const., art. 93).
Qu'est-ce à dire ? Le constituant a été préoccupé de régler l'exercice
des pouvoirs au cas où le roi se trouvait dans l'impossibilité physio-
logique de régner, à raison d'une maladie grave ou d'un accès de
démence. Les travaux du Congrès national (3), comme la rédaction
du texte - il est fait appel à un tuteur en même temps qu'à un
régent - , confirment cette interprétation. Elle laisse dans l'ombre
la situation du roi qui, alors même qu'il souffrirait d'affection

(3) Les auteurs de la Constitution n'ignoraient pas la situation d'aliénation mentale du roi
GEüRGER III.
878 LES PROCÉDURES DE CRISE

grave, ne se trouverait pas dans l'impossibilité absolue de remplir ses


fonctions (4).
<<Si le roi se trouve dans (pareille) impossibilité de régner, ... il est
pourvu ... à la régence ... >>.
Dans les règlements d'assemblée, il est prescrit d'établir des listes
de présence (en séance plénière et en commission). Le président les
arrête <<avec mention des motifs d'excuse qui auraient été portés
par écrit à sa connaissance>> (Règl. Ch., art. 19, al. 4). Il est à présu-
mer que la maladie est un motif valable d'excuse. Elle ne porte pas
autrement préjudice au développement des travaux de l'assemblée.
Dans les lois fédérales et les règlements, il n'est fait allusion que
de manière incidente à la maladie qui peut atteindre les titulaires
d'une charge publique (5). Voyez cependant la Nouvelle loi commu-
nale qui prescrit la suppléance du bourgmestre (art. 14), le Code
judiciaire qui organise le remplacement des magistrats qui sont
empêchés de remplir leurs fonctions (art. 319 à 330) (6) ou différents
textes relatifs aux congés pour cause de maladie (par exemple, l'ar-
rêté royal du 1er juin 1964 relatif à certains congés accordés à des
agents des administrations de l'Etat et aux absences pour conve-
nance personnelle, art. 14 à 19) ou à la réparation des maladies pro-
fessionnelles (par exemple, la loi du 3 juillet 1967 sur la réparation
des dommages résultant des accidents du travail, des accidents sur-
venus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans
le secteur public). La matière gagnerait sans doute à mieux être
informée tant par le droit public que par le droit social.
Il va de soi que la maladie peut aussi amener le titulaire d'une
fonction à démissionner (no 1059).

(4) Le système retenu n'est-il pas trop radical? L'article 7 de la Constitution française orga-
nise l'intérim du· Président, non seulement en cas de vacance, mais aussi pour quelque cause
d'empêchement que ce soit, pourvu qu'elle ait été dûment constatée par le Conseil constitution-
nel. Sur l'institution d'une lieutenance du Royaume, voy. P. WIGNY, op. cit., n" 75.
(5) A nouveau, le droit belge peut paraître excessivement lacunaire sur ce point. La Constitu-
tion française qui ne contient aucune règle fixant les conditions d'exercice des attributions du
Premier ministre, lorsqu'il est empêché ou provisoirement absent, lui permet cependant de délé-
guer certains de ses pouvoirs à des ministres (art. 21, al. 2). La loi fondamentale de la R.F.A.
précise, pour sa part, que << le Chancelier fédéral désigne un ministre comme son suppléant >>
(art. 69). Sur ce thème, voy« L'intérim du Premier ministre», Cahiers constitutionnels, 1983, n" l,
pp. 45 s.
(6) L'article 383, § 1"", du Code judiciaire précise, de son côté, que peut être admis à la
retraite le magistrat qui est atteint d'une «infirmité grave et permanente'' qui ne lui permet plus
de remplir convenablement ses fonctions.
LA DÉFINITION DES CRISES 879

B.- Le décès
1055. - Survient le décès d'une personne investie d'une fonction
publique. Qu'advient-il de cette fonction? Privée inopinément de
son titulaire, va-t-elle rester inoccupée - momentanément ou dura-
blement-?
A nouveau, la Constitution n'aborde cette question que sous un
angle particulier, celui de la mort du roi. Elle prend soin, à cette
occasion, de distinguer trois situations différentes.
Dans un cas, le roi meurt. Il a un ou plusieurs successibles - soit
qu'ils aient été désignés par l'hérédité, soit qu'à leur défaut, ils aient
fait l'objet, moyennant l'assentiment des chambres législatives,
d'une nomination royale (no 431) -. L'héritier est en mesure de
monter sur le trône (7). Une période s'ouvre, celle de l'interrègne.
Elle désigne l'espace de temps qui sépare la mort du roi (ou son
abdication) et la prestation de serment de son successeur.
Dans un autre cas, le roi meurt. Il a plusieurs successibles. Mais
une situation particulière apparaît. Le premier en titre est mineur.
Il ne saurait prêter le serment requis. Un régent va être désigné aux
fins d'exercer la fonction royale jusqu'à l'âge de la majorité du nou-
veau roi. Une période particulière d'interrègne va donc s'ouvrir; elle
court depuis la mort du roi qui laisse un héritier mineur jusqu'au
moment de la prestation de serment du régent. Si le régent venait
lui-même à décéder, un nouvel interrègne (8) s'instaurerait avant la
prestation de serment d'un nouveau régent.
Dernier cas. Le roi meurt, mais il est sans héritier. Il n'a ni succes-
sible, ni successeur désigné (ou, ce qui revient au même, celui qu'il
a choisi n'a pas été accepté par les chambres législatives). Il y a
vacance du trône, au sens de l'article 86, alinéa 2, de la Constitu-
tion. <<La conjoncture est grave; le pays doit se mettre en quête
d'une nouvelle dynastie)> (9). Des mesures provisoires doivent être
prises. Une nouvelle période d'interrègne va s'ouvrir - entre la
mort du roi et la prestation de serment d'un régent - . Dans le
même temps, en effet, il est pourvu provisoirement à la désignation
d'une personne qui assurera la suppléance du roi. Il conviendra

(7) <<A défaut de descendance masculine>) de LÉOPOLD l''', à défaut aussi de nomination par
le roi d'un successeur ou à défaut de l'assentiment des Chambres à pareille désignation, <<le trône
sera vacant», précise l'article 86 de la Constitution.
(8) Contra : P. WIGNY, op. cit., p. 587.
(9) P. WIGNY, op. cit., p. 588.
880 LES PROCÉDURES DE CRISE

ensuite de pourvoir définitivement à la vacance (art. 95) (voy.


n° 1136).
1056. - Le décès du titulaire d'autres fonctions que celles du roi
n'est pas réglé explicitement par la Constitution. Il faut présumer
que la personne décédée sera remplacée à bref délai, selon les pro-
cédés qui ont présidé à sa désignation. La désignation d'un nouveau
ministre se donne par exemple pour objet de compléter le cabinet et,
ce faisant, de restaurer au conseil des ministres la parité qui avait
été fortuitement compromise (10).
Pour sa part. le Code électoral envisage l'hypothèse du décès d'un
parlementaire. C'est pour préciser qu'il est aussitôt remplacé par le
premier suppléant élu sur la même liste (C. El., art. 235, al. 2);
celui-ci n'entrera en fonction qu'après vérification des pouvoirs et
prestation de serment. A défaut de suppléant, il est procédé à une
élection dans l'arrondissement concerné; celle-ci ne se déroulera,
cependant, que moyennant l'autorisation de la chambre intéressée
si l'élection partielle prend place dans les trois mois qui précèdent
des élections générales (C. El., art. 106, al. 2) (11).
Le décès d'un fonctionnaire ou d'un magistrat n'est pas non plus
réglé par la loi (sauf en ce qui concerne la pension de survie qui pro-
fite à son conjoint). Il y aura lieu de procéder à une nomination à
l'emploi devenu vacant, selon les normes et les procédures prescrites
pour une nouvelle désignation.

C. - La renonciation aux fonctions


1057. - Nul ne peut être contraint d'exercer la fonction pour
laquelle il a été désigné ou élu. Une fois choisi ( 12), le titulaire d'une
fonction publique peut renoncer à entrer en fonction; le refus de
prêter serment peut traduire, de manière explicite, cette intention.
Nul ne peut non plus être obligé d'exercer indéfiniment la fonction
qu'il a postulée et exercée. En cours de mandat, le titulaire d'une
fonction publique peut donc renoncer à l'exercer jusqu'à son terme.

(10) Le décès du secrétaire d'Etat F. TERWAGNE, le 15 juillet 1971, n'affecte pas la composi-
tion pantaire du cabinet; celui du ministre A. ÜLEFFE, le 18 août 1975, pose, au contraire, la
question d'une correcte application de l'article 99 de la Constitution.
(Il) Sur les règles particulières à l'élection d'un nouveau sénateur communautaire ou coopté,
voy. C. El., art. 218 à 221.
( 12) Encore convient-il que la procédure de choix soit achevée.
LA DÉFINITION DES CRISES 881

Les principes sont clairs. Il reste que ces manifestations indivi-


duelles de volonté - si légitimes soient-elles - peuvent perturber le
bon fonctionnement des institutions publiques. Il se peut aussi que
ces actes volontaires ne soient qu'apparences et masquent mal les
interventions de tiers qui ont fait pression sur les titulaires du pou-
voir. Il faut réglementer l'usage du droit de démission.
1058. - Durant l'interrègne, l'héritier de la couronne ou, plus
exactement, le nouveau roi peut reno~cer au trône. Pour ce faire,
il fait connaître aux chambres son intention de ne pas prêter ser-
ment dans le délai prescrit. Dans l'ordre prévu pour la succession
au trône, un autre héritier est appelé à remplir le même devoir. Un
nouveau délai de dix jours s'ouvre à dater de l'acte de renoncia-
tion (13).
En cours de règne, le roi peut -pour des motifs qui relèvent de
son seul jugement - abdiquer. Cet acte doit être contresigné par un
ministre responsable; même justifiée pour des raisons de caractère
personnel, pareille démission peut, en effet, avoir des conséquences
politiques particulièrement importantes (14).
'1059. - Un ministre aussi peut être amené à démissionner (15).
Il se retire. Pour ce faire, il adresse une lettre au roi, soit à l'autorité
qui lui a confié la charge ministérielle ( 16). Il y exprime - de
manière non équivoque - la volonté de ne plus assumer les tâches
qui lui avaient été initialement attribuées ( 17).

(13) Celui-ci doit-il être contresigné par un ministre? La réponse parait négative. Ne faut il
pas considérer que seuls les actes du roi investi régulièrement de sa fonction appellent contre-
seing?
(14) Sur les conditions dans lesquelles est passé l'acte d'abdication du 16 juin 1951 par lequel
LROPOLD III «met fin à son règne et renonce définitivement aux pouvoirs constitutionnels qu'il
détient en vertu de l'article (85) de la Constitution •>, voy. Pasin., 1951, p. 803. Sur ce thème,
adde : J. DUVIEUSART, La question royale. Crise et dénouement, juin-juillet août 1950, Bruxelles,
Ed. CRISP, 1975.
( 15) Un sort particulier est fait à la démission du Premier ministre. En principe, elle résulte
de données politiques plus que de données individuelles (n" 1072). Elle entraîne la démission de
tous les membres du gouvernement (Chroniques de crise ... , p. 16).
(16) Il peut aussi écrire au Premier ministre en lui demandant de présenter sa démission au
roi. Le procédé qui revient à téléphoner au Palais pour faire part de la démission d'un ministre
peut paraître inélégant; en outre, il ne répond pas aux impératifs de clarté et de sécurité juridi-
que.
(17) En ne prêtant pas le serment qui lui permettrait d'entrer en fonction, le ministre nouvel-
lement désigné est virtuellement démissionnaire (voy. Chroniques de crise ... , pp. 38 s.).
882 LES PROCÉDURES DE CRISE

Les circonstances dans lesquelles un ministre offre sa démission


au rm sont diverses. Seul est évoqué ici ( 18) le cas de la démission
spontanée, celle qui intervient à la seule initiative du ministre
concerné.
Dans cette catégorie, figure la démission qui intervient pour des
raisons de convenance personnelle. Pris par d'autres occupations ( 19),
confronté à des problèmes de santé (20), soucieux d'assumer à
d'autres niveaux des fonctions politiques (21) ou administra-
tives (22), un ministre demande à être déchargé d'une fonction qu'il
juge trop absorbante.
Il y a aussi la démission pour service accompli. Un ministre se voit
confier au sein du gouvernement la charge d'un dossier déterminé.
Arrivé au terme de la mission qui lui a été assignée, il démis-
sionne - au sens propre de l'expression - et renonce à la fonction
temporaire qu'il a remplie. C'est dans ces conditions que
W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, ministre sans portefeuille chargé
des Affaires générales en Afrique, remet, le 20 juillet 1960, sa démis-
siOn au roi (23).
Il y a encore la démission protestataire - dont les conséquences
politiques ne peuvent être sous-estimées - . Elle se réalise à l'initia-
tive d'un ministre qui entend publiquement se désolidariser de la
position prise par le gouvernement (Jean-Joseph MERLOT, le

( 18) A côté de la démission spontanée, il y a place pour la démission sollicitée, la démission


obligée, la démission d'office (n'" 575 s.).
(19) Le ministre des Affaires étrangères, Paul-Henri SPAAK, quitte le gouvernement, le 13 mai
1957, pour devenir secrétaire général de l'OTAN. De leur côté, les ministres Jean REY (Je 27 jan·
vier 1958) et Willy DE CLERCQ (le 6 janvier 1985) démissionnent pour exercer les fonctions de
commissaire européen.
(20) Le ministre Robert HENRJON invoque ce type de raison, Je 29 juin 1980, pour présenter
sa démission au roi. Dans ces circonstances, les observateurs se demandent néanmoins si de telles
démissions n'ont pas des motivations plus politiques. Voy. C.J. HOJER, Le régime parlementaire
belge de 1918 à 1940, Uppsala 1946, p. 261 <<Au lendemain du Il avril (1937), M. BovESSE
démissionna officiellement pour raison de santé, mais probablement aussi à cause de l'attitude
de son parti à l'égard de l'amnistie •>. Voy. égal. les démissions des ministres HUBERT, le
16 octobre 1922, et VAUTHIER, le 18 mai 1930.
(21) A l'issue des élections communales de 1976, P. DE PAEPE et L. D'HAESELEER démission-
nent et sont nommés bourgmestre de Gand et d'Alost; après les élections communales de 1982,
A. DEMUYTER agit de même, avant d'être nommé bourgmestre d'Ixelles.
(22) Maurice BRASSEUR démissionne. le 15 avril 1965, pour être nommé gouverneur de pro-
vince; il en va de même pour Michel TROMONT, le 9 juin 1983. De son côté, Antoine HuMBLET
est amené à démissionner, le 15 octobre 1979, pour présider la S.R.I.W. Voy., à ce propos, l'art. 5,
al. 1 '',de la loi du 6 août 1931 :«Les membres des chambres ne peuvent être nommés à des fonc-
tions salariées par l'Etat qu'une année au moins après la cessation de leur mandat».
(23) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, Congo mai-juin 1960. Rapport du Ministre chargé des
Affaires générales en Afrique, Bruxelles, 1960, p. 407.
LA DÉFINITION DES CRISES 883

5 novembre 1962, ou Victor LAROCK, le 31 juillet 1963) ou de l'atti-


tude adoptée par un collègue (Jean GoL, le 15 juillet 1985).
Avec une variante, la démission qui résulte d'une situation de dis-
sensus. L'adage est bien connu : << se soumettre ou se démettre )).
Faute d'avoir pu convaincre ses collègues du bien-fondé de sa posi-
tion ou, tout au moins, dégager un consensus minimum sur cette
question, un ministre (qui, le plus souvent, appartient au parti le
plus faible de la coalition gouvernementale) cède la place pour ne
pas être solidaire de décisions qu'il ne peut approuver.
1060. - L'acte unilatéral d'une autorité publique- la nomina-
tion par le roi - ne saurait être défait par l'acte unilatéral d'une
autre autorité - la démission du ministre - . Seule une nouvelle
intervention du chef de l'Etat peut autoriser une sortie de charge.
D'où l'idée souvent exprimée que la démission ne produit d'effet
qu'autant qu'elle ait été acceptée; elle peut aussi être refusée.
La terminologie employée en la circonstance est inadéquate.
Mieux vaudrait considérer que le ministre en fonctions se borne, en
démissionnant, à exprimer une intention- qui n'a, par elle-même,
aucune portée juridique - . Placé devant ce fait nouveau, le roi a,
lui, plusieurs possibilités d'agir (n° 1120).
Il diffère sa réponse, se donne le temps de la réflexion, ouvre si
nécessaire un temps de brèves consultations, bref manifeste par un
ensemble de comportements ou d'attitudes qu'il n'est pas lié par le
calendrier que d'autres auraient voulu lui imposer (no 1125).
Il << refuse )) la démission présentée, c'est-à-dire ne donne pas suite
à la suggestion qui lui a été adressée, estimant, par exemple, que
l'intérêt public l'emporte sur des préoccupations personnelles (24)
ou que le désaccord politique qui a suscité le geste de démission << ne
vaut pas une crise)); il maintient en fonction le ministre qui souhai-
tait sortir de charge.
Ou encore, il << accepte )) la démission présentée, c'est-à-dire se
rend aux raisons qui ont été invoquées pour justifier un retrait de
charge, et entreprend de remplacer le ministre démis.
1061. - La démission d'un ministre peut ne concerner qu'une
personne. L'un s'en va, un autre le remplace (en 1987, J. MICHEL

(24) Au cours de la première guerre mondiale, ALBERT r•·•· refuse, le 26 juillet 1915, <• la démis·
sion offerte pour motifs de santé par M. DA VIGNON, ... ministre des Affaires étrangères »; par la
même occasion~ un congé lui est accordé et l'intérim de ses fonctions est organisé.
884 LES PROCÉDURES DE CRISE

remplace Ch.-F. NoTHOMB comme ministre de l'Intérieur et de la


Fonction publique).
Si la démission individuelle se donne des causes politiques, elle
peut avoir des répercussions sur l'équilibre du gouvernement dans
son ensemble. La démission d'un ministre peut entraîner celle de ses
amis politiques (en juillet 1986, la démission de J. GoL provoque le
retrait des ministres libéraux francophones) et, en conséquence, la
chute du gouvernement. Elle peut aussi justifier un geste de solida-
rité de l'ensemble des ministres qui se retirent alors en même temps
que le démissionnaire (en novembre 1948, l'annonce de la démission
du ministre de la Justice P. STRUYE - dont les mesures de grâce
avaient suscité dans les rangs de la majorité de vives critiques -
provoque la démission collective du gouvernement SPAAK III).
1062. - Un parlementaire peut être amené à démissionner. Il
peut se désister dès l'instant où le bureau électoral l'a proclamé élu,
avant même qu'il ait été procédé à la vérification des pouvoirs. Il
peut aussi renoncer à exercer son mandat électif avant le terme de
la législature, soit - selon les articles 65 et 70 de la Constitution -
avant l'échéance de la période de quatre ans qui sépare normale-
ment deux élections générales (voy. O. El., art. 239) (25). <<Lorsque
les chambres sont réunies, elles seules ont le droit de recevoir la
démission de leurs membres >>; le président de la Chambre des repré-
sentants ou celui du Sénat recueille les communications à ce sujet.
Dans les autres cas - soit avant la constitution de l'assemblée ou
en période de vacance - , c'est le ministre de l'Intérieur qui reçoit
la démission des parlementaires; il la communique, en temps oppor-
tun, à la chambre concernée (0. El., art. 234).
Le droit belge reconnaît au parlementaire la faculté de démission-
ner et admet que cette décision produise d'elle-même ses effets. Il
prend ainsi ses distances vis-à-vis de la pratique britannique - qui
refuse aux membres des Communes le droit de renoncer à la fonc-
tion qui leur a été conférée par le suffrage populaire - et de la pra-
tique française - qui subordonne la démission à une autorisation
de l'Assemblée nationale ou du Sénat - .
Ici aussi, la démission peut se justifier pour des raisons de conve-
nance personnelle. Elle peut également se donner des motivations

(25) F. DELPÉRÉE et F. JoNGEN, «La législature>>, Cahiers constitutionnels, 1984, n°' 3-4.
Adde : M. LEROY, <<La date des élections législatives ordinaires>>, J.T., 1984, p. 541.
L'A DÉFINITION DES CRISES 885

plus politiques. Ainsi, le 26 mars 1980, François PERIN remet publi-


quement sa démission au président du Sénat, au motif qu'<< il est dif-
ficile de rester parlementaire d'un Etat auquel on ne croit plus ... et
représentant d'une nation, selon les termes de la Constitution, qui
n'existe plus •>.
La démission peut encore s'expliquer par l'obligation qui s'impose
au parlementaire de choisir entre son mandat et d'autres occupa-
tions : une situation d'incompatibilité peut l'amener à renoncer à la
fonction parlementaire.
Qu'en est-il du parlementaire qui vient à perdre l'une des condi-
tions qui sont mises à son élection ? Il change de nationalité, il n'a
plus de domicile en Belgique, il est privé de ses droits civils et politi-
ques... Doit-il remettre sa démission à la chambre dont il est
membre ou est-il déchu de plein droit? S'il n'y a pas de contestation
sur l'inéligibilité qui s'est révélée en cours de mandat, l'offre de
démission est superflue et la chambre concernée procède à l'installa-
tion du successeur. Dans le cas contraire, il appartient à l'assemblée
de juger les contestations qui s'élèvent à ce sujet et, au besoin, de
prononcer la déchéance du parlementaire de sa fonction.
Le législateur fédéral a entendu se prémunir contre les consé-
quences néfastes qui pourraient résulter de démissions ou de
départs, dont on sait qu'ils sont laissés, pour l'essentiel, à la discré-
tion du titulaire d'une fonction élective. Un régime de suppléance
est organisé. A défaut de parlementaires suppléants, il ne sera pas,
dans tous les cas, procédé - à un remplacement par élection (26)
(n" 1124).

1063. - D'autres démissions sont concevables : celles d'un


magistrat, d'un fonctionnaire, d'un bourgmestre, par exemple. Elles
produisent effet au moment où l'autorité investie de la prérogative
de nommer les a entérinées.
1064. - Qu'en est-il de la démission des élus locaux? La démis-
sion d'un conseiller et d'un échevin est donnée au conseil communal.
Le démissionnaire reste en fonction jusqu'à ce que les pouvoirs de
son remplaçant aient été vérifiés et que le nouvel élu ait été installé
(N.L.C., art. 4, al. 1er).

(26) F. D~LPÉRÉE et D. DELAHAUT, «Le remplacement d'un parlementaire •>, Cahiers constitu·
tionnels, 1985, ll 3.
0
886 LES PROCÉDURES DE CRISE

En ce qui concerne les conseillers provinciaux, la démission est


également donnée par écrit; elle est adressée au président du conseil
provincial (loi organique des élections provinciales, art. 35, modifié
par la loi du 6 janvier 1984, art. 5, 11 °).
1065. - La démission des membres des gouvernements de com-
munauté et de région fait l'objet de dispositions particulières de la
loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Trois
caractéristiques méritent, à cette occasion, d'être soulignées.
Alors que la Constitution et la loi sont particulièrement discrètes
sur le processus de retrait de charge d'un ministre fédéral, la loi spé-
ciale consacre quelques dispositions importantes aux phénomènes de
la démission. Comme si, après un siècle et demi d'existence, il
n'était plus permis de se contenter de solutions empiriques.
L'explication est d'ordre technique. La démission d'un ministre
communautaire ou régional ne peut se comparer adéquatement à
celle d'un ministre fédéral. Ceci pour une raison simple : le premier
est élu, le second est nommé. C'est dire que le membre d'un gouver-
nement de communauté ou de région ne présente pas sa démission
à une autre autorité publique et ne lui demande pas de prendre une
mesure de désinvestiture. Il informe le président du gouvernement
dont il fait partie et l'assemblée qui l'a élu de la décision qu'il a
prise; la démission prend immédiatement cours.
La loi spéciale du 8 août 1980 entreprend aussi de distinguer soi-
gneusement plusieurs formes de démission. Elle n'exclut pas, dans
son article 73, la démission spontanée (en 1985, A. DAMSEAUX
démissionne de ses fonctions de ministre régional pour être nommé
membre du gouvernement fédéral) (27). Elle s'attache surtout à pré-
ciser les cas de démission forcée, ceux dans lesquels <~ l'adoption de
la motion emporte la démission (du gouvernement) ou du ou des
membres contestés>> (art. 71, al. 4) ou ceux dans lesquels le gouver-
nement<~ est démissionnaire de plein droit>> (art. 72, al. 4) (no 1078).

Elle se préoccupe enfin de préciser quelques-unes des consé-


quences qui s'attachent à une mesure de démission. Il est pourvu
sans délai au remplacement du ministre communautaire ou régional
qui est démissionnaire (art. 73, al. 1er); dans l'intervalle, ce dernier
expédie les affaires courantes. De la même façon, <~ tant qu'il n'a pas

(27) En effet, selon l'art. 61, al. !''',de la loi spéciale,<< nul ne peut être à la fois membre d'un
Exécutif et membre du gouvernement national >>.
LA DÉFINITION DES CRISES 887

été remplacé, (le gouvernement) démissionnaire expédie les affaires


courantes~> (art. 73, al. 2).

§ 2. - Les données politiques

A. - La révocation individuelle
1066. - L'article 96 de la Constitution permet au roi, non seule-
ment de nommer, mais aussi de révoquer ses ministres.
Dans la terminologie du droit public, la révocation désigne la
mesure par laquelle une autorité publique met fin discrétionnaire-
ment et définitivement aux fonctions qu'elle a conférées par le pro-
cédé de la nomination à une personne qui dépend directement d'elle.
L'expression peut recevoir deux acceptions différentes. Dans un
cas, la révocation est conçue comme une sanction disciplinaire - la
plus grave de toutes - , celle qui tend à réprimer l'infraction du
même ordre qu'un ministre commet dans ou hors l'exercice de ses
fonctions. Un manquement caractérisé aux règles de la solidarité
gouvernementale justifie, par exemple, qu'un ministre soit rappelé
à l'ordre, voire - en cas d'infraction grave - révoqué. Dans un
autre cas, la révocation est conçue comme une mesure de pure
administration. Elle entraîne la destitution sans faute du ministre
qui, alors même qu'il n'est plus d'accord avec la politique arrêtée
par le gouvernement, refuse de se retirer. Elle apparaît comme le
procédé qui permet de rétablir l'unité de conception et d'action au
sein d'une équipe ministérielle que pourrait paralyser le mauvais
vouloir de l'un de ses membres (28).
Si la révocation qui intervient est une mesure disciplinaire, elle
est prise dans le respect des règles qui assortissent l'exercice de la
répression disciplinaire; le ministre concerné doit connaître les faits
qui lui sont reprochés et être entendu dans ses moyens de défense.
Si la révocation est une mesure d'administration, elle gagne à n'être
prise qu'après que le Premier ministre a tenté une dernière
démarche pour convaincre le << rebelle ~> et qu'il lui a fait connaître
son intention de proposer au roi la signature d'un arrêté qui le
décharge de ses fonctions (29).

(28) <<En utilisant de manière correcte cette procédure (celle de la révocation). le gouverne-
ment est en mesure d'écarter de ses rangs ceux qui se sont clairement désolidarisés de son action ·~
(Chroniques de crise ... , p. 83).
(29) Ibid., p. 84.
888 LES PROCÉDURES DE CRISE

On a longtemps considéré que le droit de révocation ne pouvait se concevoir


que dans un régime parlementaire dualiste et que l'article 96 de la Constitution
était frappé de désuétude.<< Si le roi, de nos jours- écrit en 1966 J. GoL - , ren-
voyait son Premier ministre, on crierait au complot de palais et l'institution
monarchique n'y survivrait probablement pas (30) ». Pourrait-il renvoyer un
ministre ou un secrétaire d'Etat 1 <• On ne peut pas considérer, écrit en 1971
B. WALEFFE, que le roi dispose d'un pouvoir de révocation, mais plutôt d'un
droit d'avertissement, dont il n'usera qu'en désespoir de cause (31) >>.
Les événements sont venus démentir ces prédictions. Il est peu vraisemblable
que le roi révoque son Premier ministre ou l'ensemble de son gouvernement
(n" 1069). On ne conçoit pas non plus qu'il renvoie de sa propre autorité un
ministre déterminé. On constate, cependant, que, avec le contreseing du Premier
ministre le roi a fait, usage à deux reprises des prérogatives que lui confère l'ar-
ticle 96 de la Constitution (32).
Sur la révocation des membres du gouvernement TINDEMANS appartenant au
Rassemblement wallon, le 4 mars 1977, voyez Chroniques de crise ... , p. 17. Sur
celle des membres du gouvernement MARTENS appartenant au Front des franco-
phones, le 16 janvier 1980, voyez Chroniques de crise ... , p. 83.

1067. - D'autres autorités publiques peuvent faire l'objet d'une


mesure de révocation. Celle-ci n'a pas, cependant, en toutes circons-
tances, la même signification. Un magistrat (Code judiciaire,
art. 405) ou un agent de l'Etat (A.R. du 2 octobre 1937, art. 77, pr,
7) sont révoqués pour avoir commis une infraction disciplinaire par-
ticulièrement grave. Un bourgmestre est révoqué pour motif disci-
plinaire, mais sa situation d'agent d'une collectivité autonome lui
vaut un régime particulier; il ne pourra être destitué de ses fonc-
tions par le roi que << pour inconduite notoire et négligence grave >>
(N.L.C., art. 82) (33) (sur l'interprétation restrictive de ces termes,
voy C.E., n° 5.791, Evrard, du 31 juillet 1957). Un gouverneur de
province est révoqué à la manière d'un ministre : soit il a commis
une infraction disciplinaire grave, soit il a perdu la confiance des
autorités provinciales, régionales ou nationales avec lesquelles il est
amené à collaborer (C.E., n° 11.868, Lamalle, 9 juin 1966).

(30) J. GoL, ''Naissance et mort des gouvernements belges au XIX'' siècle», Ann. Dr. Lg.,
1966, p. 513.
(31) B. WALEFFE, op. cit., p. 92.
(32) Sur les démissions sollicitées et obtenues par LÉOPOLD TI et par ALBERT re•, voy. Chroni-
ques de crise ... , p. 21 <<Soit un ensemble de démissions -- sollicitées, provoquées, forcées
certes- mais des démissions qui permettent toujours d'assurer que la démission donnée (en 1871
et en 1884), voire même offerte (en 1911) par tel ou tel ministre a simplement été acceptée par
lui)).
(33) Le gouverneur de province peut, dans les mêmes conditions, prendre une mesure identi-
que à l'encontre d'un échevin.
LA DÉFINITION DES CRISES 889

1068. - Les membres d'un gouvernement de communauté ou


de région- qui sont élus par le parlement correspondant- ne sau-
raient être révoqués.

B. - La révocation collective
1069. - Faut-il reconnaître au roi la faculté de provoquer le
renvoi du ministère, étant entendu que celui-ci aurait à se plier aux
injonctions qui lui seraient adressées?
La Chambre des représentants peut contraindre le gouvernement
à démissionner. Le roi peut-il faire de même? Ou, pour poser la
question en d'autres termes : le roi nomme ses ministres; il désigne
ceux qui bénéficient de sa confiance (no 439); peut-il se séparer
d'eux lorsqu'il n'approuve plus la politique qu'ils mènent?
L'article 96 de la Constitution ne confère-t-il au roi qu'un droit de
révocation individuelle ou lui assure-t-il par surcroît un droit de ren-
voi collectif?
Il ne fait pas de doute que les deux premiers rois comprirent leurs
prérogatives dans le sens le plus large de l'expression. Sans pronon-
cer de manière expresse la révocation du ministère, ils provoquent
la démission des gouvernements DE DECKER en octobre 1857,
n'ANETHAN en décembre 1871 et WoESTE en novembre 1884. Le roi
ALBERT pr fit de même en juin 1911 avec le cabinet SCHOLLAERT.
Mais ne s'agit-il pas là de réminiscences du parlementarisme orléa-
niste?
Une lettre du roi ALBERT pr au Premier ministre JASPAR est sou-
vent citée dans ce contexte : << A défaut d'une manifestation non
équivoque d'un manque de confiance des Chambres, qui m'aurait
tracé clairement mon devoir constitutionnel, l'acceptation de votre
démission n'aurait pu avoir d'autre raison qu'un refus de confiance
de ma part. Et je n'ai pas besoin de vous dire que vous avez gardé
toute ma confiance)) (14 novembre 1930) (34).

(34) Cette lettre appelle, semble-t-il, un triple commentaire. Tl convient d'abord de rappeler
l.'hypothèse. En 1930, le roi est saisi d'une offre de démission du cabinet. L'initiative ne vient pas
de lui. Le chef de l'Etat ne se demande pas s'il peut provoquer le retrait du gouvernement, mais
s'il y a des raisons d'accepter la démission qui lui est proposée. On n'est pas sûr que le raisonne-
ment soit identique dans d'autres circonstances. Il faut aussi indiquer la solution. En 1930, le roi
tire argument des relations de confiance qui doivent exister entre ses ministres et lui pour refuser
la démission du gouvernement. On n'est pas sûr qu'un raisonnement a contrario puisse être tenu
pour imposer la solution inverse. Il faut peut-être aussi se souvenir des circonstances de l'espèce.
En 1930, pour éviter une crise politique préjudiciable, le roi fait un bref rappel des justifications
d'un refus de démission. On n'est pas sûr que la liste de ces événements soit complète (n" 1120);
890 LES PROCÉDURES DE CRISE

Dans ce débat, deux réalités ne sauraient être perdues de vue.


D'une part, les interventions du roi, en ce domaine comme en
d'autres, requièrent le concours d'un ministre responsable. Un gou-
vernement solidaire et unanime peut donc, sans difficulté, réduire à
néant la prétention du roi d'obtenir un retrait collectif. Un gouver-
nement divisé aura, lui, une propension à démissionner et rendra
inutile, de ce fait, l'intervention du roi.
D'autre part, le roi témoigne, selon l'expression consacrée, d'une
confiance objective dans ses ministres et dans le cabinet qu'ils com-
posent. Il lui revient non d'exprimer ses propres souhaits mais d'in-
terpréter, avec le plus de fidélité possible, les préoccupations qui
sont, en ligne directe, celles des chambres et, de manière médiate,
celles de l'opinion publique. Si cette confiance fait défaut, il appar-
tient au chef de l'Etat de se séparer de ceux qui exercent la fonction
gouvernementale.
Mais c'est ici que la difficulté - technique et politique - appa-
raît. Au moment de la nomination des ministres, la confiance objec-
tive est aisément mesurable : des majorités politiques se dessinent,
les congrès de parti s'expriment, la Chambre des représentants est
sur le point de dire son adhésion au nouveau ministère. Comment
se livrer à ces vérifications, avec le même degré de certitude, au
cours de l'existence du ministère? Par hypothèse, le gouvernement
n'a pas été désavoué par la Chambre des représentants. Faut-il se
fier au ton de la presse, aux propos tenus par des dirigeants politi-
ques, aux résultats des sondages, à l'esprit d'une part de l'opinion
publique?
Le roi a pour fonction éminente d'interpréter cette volonté politi-
que. Moyennant le contreseing d'un ministre, il lui revient de ren-
voyer le cabinet qu'il a constitué si celui-ci ne tire pas, en démis-
sionnant, les leçons de ses divisions et s'accroche au pouvoir en se
prévalant de l'appui d'une majorité qui n'entend pas le désavouer.
Il va de soi qu'il n'utilisera cette prérogative qu'avec la prudence
requise et qu'après avoir tenté - mais en vain - d'obtenir la
démission collective du cabinet.

dix ans plus tard, le roi refusera, pour des circonstances tenant à la situation internationale, la
démission du gouvernement PIERLOT III.
LA DÉFINITION DES CRISES 891

1070. - La révocation collective des membres des gouverne-


ments de communauté et de région ne saurait pas plus se concevoir
que leur révocation individuelle.
Peut-on, autre hypothèse, imaginer la révocation collective du
collège des bourgmestre et échevins, par exemple en cas. de << négli-
gence grave~> de sa part? Ni la Constitution, ni la loi fédérale n'en-
visagent cette hypothèse. Dans la mesure où les articles 82 et sui-
vants de la Nouvelle loi communale conçoivent la révocation
comme une mesure disciplinaire et envisagent des procédures dis-
tinctes pour le bourgmestre et les échevins, il n'est pas permis de
procéder à une révocation du collège en tant que tel.

C. - Le renvoi individuel
1071. - Un ministre fédéral peut être révoqué. Il peut aussi
être renvoyé - ou renversé, selon la terminologie usuelle en la
matière (35) - . Le renvoi n'émane pas de l'autorité qui nomme, mais
de celle qui contrôle. Il est implicitement visé par l'article 101 de la
Constitution selon lequel les << ministres sont responsables ~> de l'ac-
tion gouvernementale dans ses différents secteurs.
Le renvoi entraîne la démission obligée. Celle-ci ne laisse aux
autorités qui relèvent du pouvoir exécutif- le roi et chacun de ses
ministres - aucune marge d'initiative. La Chambre met en cause,
d'une manière ou d'une autre (n° 951), l'action d'un membre du
gouvernement. Un vote intervient. Le ministre désavoué dans de
telles conditions ne peut rester au pouvoir. Telle est la logique du
régime parlementaire : il doit remettre sa démission au rm.
1072. - Depuis la première guerre mondiale, on ne connaît
guère de crise politique qui ait débuté de la sorte. La raison en est
simple : la responsabilité individuelle du ministre se fond dans la
responsabilité collective du gouvernement. Est-ce à dire que les

(35) On dira peut-être qu'en l'espèce, la démission relève moins de données individuelles que
de données politiques. L'observation n'est pas entièrement exacte. Le 5 novembre 1962, le
ministre des Travaux publics J.-J. MERLOT démissionne de sa charge ministérielle pour protester
contre l'attitude prise par la majorité dans la discussion des lois linguistiques. Son retrait n'en-
traîne cependant pas le départ de ses collègues socialistes wallons. Le même jour, il est remplacé
par G. BoHY.
892 LES PROCÉDURES DE CRISE

hypothèses de démission obligée d'un seul ministre sont à exclure?


Trois phénomènes au moins (36) doivent retenir l'attention.
Dans une première hypothèse, l'attitude ou la gestion d'un
ministre est contestée par l'une des chambres. Un vote intervient.
Il est de confiance, et non de méfiance. Mais, au décompte des voix,
il apparaît qu'une majorité alternative s'est dégagée et que le
ministre en cause, voire le gouvernement, a perdu l'assise parlemen-
taire qui était la sienne ...
Dans une deuxième hypothèse, le comportement d'un ministre est
mis en cause à l'occasion d'un débat parlementaire. Un vote de
confiance intervient. Ou le vote d'un ordre du jour pur et simple.
Ou encore aucun vote n'a lieu. La presse, cependant, prend le relais
des chambres. La discussion s'amplifie. Le ministre est amené à
démissionner ... (37)
Dans une troisième hypothèse, à mi-chemin entre les deux pre-
mières, l'action d'un ministre fait l'objet de vives critiques dans le
milieu parlementaire. Sans y être contraint formellement par un
vote, le ministre se retire. Mais soucieux d'affirmer leur solidarité
vis-à-vis d'un collègue, l'ensemble des membres du gouvernement
démissionnent. S'il s'avère par la suite que le roi refuse la démission
du cabinet et se préoccupe de remplacer le seul ministre qui s'était
retiré initialement, il faut convenir que - dans ces circonstances -
le renvoi individuel reste d'actualité (38).
1073. - Le renvoi individuel d'un ministre communautaire ou
régional est visé expressément par la loi spéciale de réformes institu-

(36) Une situation exceptionnelle se produit, en juillet 1921, lorsque le ministre THEUNIS pose
personnellement la question de confiance à propos de la discussion d'un projet portant création
de nouvelles réformes fiscales («Si la Chambre ... refusait de voter l'impôt, ... il ne me serait pas
possible d'assumer plus longtemps la responsabilité de diriger les finances de l'Etat ''• cité par
C.J. HüJER, op. cit., p. 117, note 9); le Premier ministre CARTON DE WlART considère, pour sa
part, que seul le vote sur l'ensemble du projet est« une question de vie ou de mort pour le cabi-
net» (ibid.).
(37) Faut-il interpréter autrement la démission de P. VAN ZEELAND, le 25 octobre 1937? L'af-
faire parait d'autant plus caractéristique qu'en l'espèce, c'était moins la fonction de chef de gou-
vernement que la personne du Premier ministre qui était visée. Le gouvernement JANSON qui lui
succède est, selon la formule de C.J. HilJER, <<un gouvernement VAN ZEELAND sans M. VAN ZEE-
LAND» (op. cit., p. 272).
(38) Le 13 juillet 1937, le Premier ministre P. VAN ZEELAND déclare à la presse : ''J'ai estimé
que dans les conditions générales où se présentait cette démission (celle de M. DE LAVELEYE), il
convenait d'y joindre la mienne ... J'ai demandé à Sa Majesté de pouvoir lui offrir la démission
collective du cabinet. Le roi, devant la décision absolue de M. DE LAVELEYE, a bien voulu accep-
ter cette démission. Mais il a estimé qu'il était contre-indiqué d'ouvrir une crise ministérielle dans
les circonstances présentes. Il m'a donc prié de ne pas insister» (cité par C.J. HôJER, op. cit.,
p. 264, note 3).
LA DÉFINITION DES CRISES 893

tionnelles. On a pu s'en étonner : dans une communauté ou une


région, les membres du gouvernement exercent leurs tâches collégia-
lement. Il reste que des attributions spécifiques leur sont confiées au
stade de la préparation et de l'exécution des décisions, que des délé-
gations peuvent leur être consenties et qu'en dehors même des déci-
sions qui prennent la forme d'actes de l'Exécutif, le comportement
ou l'activité de ses membres peut engager une responsabilité indivi-
duelle. Une censure individualisée doit être organisée à cette fin.
Le principe est simple. <<Le (parlement) peut, à tout moment,
adopter une motion de méfiance à l'égard (du gouvernement) ou d'un
ou de plusieurs de ses membres)) (art. 71). Avec cette double préci-
sion. D'une part, <<cette motion n'est recevable que si elle présente
un successeur (au gouvernement), à un ou plusieurs de ses membres,
selon le cas)) (art. 71, al. 2). D'autre part, <<l'adoption de la motion
emporte la démission (du gouvernement) ou du ou des membres
contestés ainsi que l'installation du nouve(au gouvernement) ou du
ou des nouveaux membres)) (art. 71, al. 4).
Le système mis en place présente une originalité. Si la majorité
des membres du parlement acceptent la motion de méfiance, le
ministre communautaire et régional est démissionnaire de plein
droit. Mieux même : il est démis de ses fonctions; sur le moment
même, il est remplacé par son successeur. Dans la mesure où la
démission qui intervient n'emporte nulle initiative du ministre
concerné, elle est assimilable à un renvoi pur et simple.

D. - Le renvoi collectif
1074. - De son propre mouvement, et sans qu'une autre autorité
publique ne puisse faire obstacle à sa volonté autonome, une assemblée
est-elle en droit de renvoyer le ministère fédéral? Le roi ne peut-il, dans
ces conditions, qu'accepter la démission de ceux qui sont contraints de
se retirer (39)?
C'est une réponse nuancée qu'il convient d'apporter à cette ques-
tion.
D'une part, la Constitution aménage le principe de la responsabi-
lité politique des ministres fédéraux devant la Chambre des repré-
sentants. Elle ne manque pas de faire référence aux modes de

(39) Dans son principe, la règle constitutionnelle est sous-estimée, en période de crise, par
ceux qui souhaiteraient voir se maintenir en place le gouvernement au pouvoir.
894 LES PROCÉDURES DE CRISE

contrôle, en particulier au vote d'une motion de méfiance, qui peu-


vent être mises en œuvre à cette occasion.
D'autre part, elle énumère un certain nombre de circonstances
dans lesquelles· le gouvernement fédéral est tenu de remettre sa
démission au roi. Il faut que la Chambre des représentants, statuant
à la majorité absolue de ses membres - et pas seulement des
membres présents - , adopte une motion constructive, c'est-à-dire
propose au roi la nomination d'un successeur· au Premier ministre.
Il peut s'agir d'une motion de méfiance ou du rejet d'une motion
de confiance; dans ce cas, la Chambre dispose d'un délai de trois
jours pour faire une proposition utile (art. 96, al. 2).
L'article 96 de la Constitution donne à la Chambre des représen-
tants le droit de choisir un formateur. Il ne lui permet pas d'aller
au-delà. Le Premier ministre qui est renversé - et donc démis -
est toujours en place. Quant au Premier ministre pressenti, il n'est
pas sûr de réussir. S'il échoue, il faudra sortir de l'impasse. On se
trouve à ce moment dans une situation curieuse. Il y a un Premier
ministre toujours au poste, mais qui a été renversé. Il y a un nou-
veau Premier ministre in spe mais qui a échoué.
Selon le Premier ministre DEHAENE, la seule issue est la dissolu-
tion de la Chambre des représentants qui a cru pouvoir renverser le
gouvernement en place mais qui n'a pas réussi dans cette entreprise
et qui n'est pas parvenue à imposer son candidat.
1075. - En dehors de l'hypothèse spécifique de l'article 96 de la
Constitution, faut-il considérer que la Constitution offre à la
Chambre des représentants d'autres occasions de renvoyer le gou-
vernement fédéral ?
Un vote intervient dans l'assemblée - sur une motion ou un
ordre du jour, à l'occasion de l'adoption d'un article d'un projet de
loi, d'un budget, du contingent ... - . Il peut, pour autant que le
gouvernement ait entre-temps fait appel à la confiance de la majo-
rité, constituer une épreuve utile de vérification (40). Comme l'écrit
B. WALEFFE <<la méfiance des chambres peut s'exprimer à tout

(40) Comme le relève J. LEBEAU, à la tribune du Congrès national, «le ministère ... ne peut
survivre qu'à la condition d'administrer selon le vœu de la majorité de la Chambre, c'est-à-dire
selon le vœu du pays qu'elle est censée représenter>> (E. HUYTTENS, op. cit., t. I, p. 208, cité par
B. WALEFFE, op. cit., p. 13). Adviendrait-il que ce cabinet ne réponde plus, d'une manière ou
d'une autre, aux vœux de l'assemblée, il doit se retirer.
LA DÉFINITION DES CRISES 895

moment, au cours de la législature, à l'occasion des multiples


contacts entre la majorité et l'opposition>> (41).
Dans ce cas, le gouvernement fédéral n'est pas tenu, cependant,
de démissionner. Il lui appartient plutôt, au vu des événements,
d'apprécier de la conduite à suivre.
Le chef du gouvernement, en particulier, s'interrogera sur la
signification du vote négatif qui est intervenu à l'occasion de l'un
ou l'autre débat. Le plus souvent, les intentions exprimées en cours
de discussion ne laissent guère de doute sur le sens du désaveu. Mais
peut-être aussi le vote est-il équivoque; il est intervenu sur un point
de détail de la gestion gouvernementale et administrative; il ne
remet peut-être pas en cause la confiance de la majorité; il n'avait
pas pour objectif de <<faire mordre la poussière>> (42) au gouverne-
ment en place, mais plutôt d'exprimer une mauvaise humeur passa-
gère ou épidermique ... Deux événements offrent une illustration de
ce phénomène.
En novembre 1930, le gouvernement JASPAR remet sa démission
au roi. Il n'a pu, en effet, empêcher le retrait de l'un de ses
membres, P. HYMANS, et de ses collègues libéraux qui manifestent,
après un vote de la fédération libérale de Bruxelles, leur désappro-
bation sur les modalités de la flamandisation de l'Université de
Gand. ALBERT 1er rend alors publique la lettre qu'il adresse, le
14 novembre, au Premier ministre : <<Il importe ... de constater que
l'incident d'où provenaient les difficultés n'avait pas assez d 'impor-
tance pour mettre en jeu le sort du gouvernement. Le gouvernement
parlementaire est un gouvernement d'opinion et la vie parlemen-
taire doit se passer au grand jour de la publicité>>.
Un vote négatif sur une question d'intérêt secondaire ne devrait-il
pas être interprété de la même manière? La réponse est procurée à
brève échéance.
Trois ans plus tard, en effet, soit le 15 novembre 1933, le gouver-
nement DE BROQUEVILLE est renversé dans << l'affaire des élections
d'Hastière >>. Le ministre de l'Intérieur, M. PoULLET, a validé une
élection communale contestée; un ordre du jour, regrettant la déci-
sion ministérielle intervenue, est adopté avec l'appui parlementaire
de la majorité. Le roi refuse aussitôt la démission du gouverne-

(41) B. WALEFFE, op. cit., p. 92.


(42) P. WIGNY, op. cit., p. 530.
896 LES PROCÉDURES DE CRISE

ment : <<Le pays ne comprendrait pas que le sort d'un gouverne-


ment qui s'est donné la tâche de relever la situation financière et
économique de la nation puisse être lié à la question de la validation
d'une élection dans un village. Dans ces conditions, je ne puis pas
accepter la démission du ministère que vous présidez et je vous prie,
vos collègues et vous, de continuer sans désemparer l'œuvre que
vous avez entreprise )). Commentant l'incident, P. WIGNY écrit que
<< la nomination d'un bourgmestre à Hastière; petite commune du
Namurois, n'a pas suffisamment d'importance pour compromettre
l'existence d'une équipe gouvernementale. C'est ce que le roi a très
justement apprécié)) (43).
1076. - Dans l'histoire politique de l'après-guerre (44), trois
gouvernements sont amenés à se retirer sur injonction d'une assem-
blée parlementaire.
Dans un cas, le vote intervient à l'issue d'une procédure d'inter-
pellation. Le gouvernement VAN AcKER 1, cabinet d'union nationale
constitué au lendemain de la guerre, est amené, le 20 juillet 1945,
à répondre à des interpellations socialiste et communiste sur l' atti-
tude du roi depuis sa libération. Un ordre du jour de confiance est
adopté par 94 voix contre 62 et 2 abstentions (45). Mais les résultats
du vote témoignent sans conteste de l'éclatement de la très large
majorité sur laquelle le gouvernement entendait s'appuyer et de la
méfiance qu'une part importante de celle-ci lui témoigne. Le Pre-
mier ministre présente aussitôt sa démission au régent, qui l'ac-
cepte.
Dans un deuxième cas, le vote intervient à l'occasion de la discus-
sion de la déclaration gouvernementale. Tant il est vrai, comme le
souligne B. WALEFFE, que la méfiance parlementaire peut s'expri-
mer << dès le premier contact du gouvernement avec les

(43) P. WIGNY, op. cit., p. 531; «Droit constitutionnel, Démission du ministre. Lettre du roi
du 14 novembre 1930 », Rev. Adm., 1930, p. 5.
(44) Dans l'entre-deux-guerres, voy. la démission des gouvernements THEUNIS, le 14 juin
1923, V ANDE VYVF:RF:, le 22 mai 1925 et DE BROQUEVILLE, les 15 février 1933 et 6 juin 1934. A
ce propos, C.J. HôJF:R observe que les votes du 6 juin étaient <<en grande partie un prétexte que
M. DE BROQUEVILLE saisit pour procéder au remaniement de son équipe» (op. cit., p. 221). L'ob-
servation est sans doute exacte du point de vue de l'analyse politique. Le problème juridique se
pose autrement : le Premier ministre ne pouvait rester en fonction après avoir essuyé ce vote
négatif.
(45) Le 17 juillet 1945, le gouvernement VAN AcKER 1 avait déposé un projet destiné à procu-
rer exécution à l'article (93) de la Constitution et à préciser les modalités de l'exercice des pou-
voirs en cas d'impossibilité de régner. Ce projet fut adopté à la Chambre par 99 voix contre 6
et 32 abstentions et au Sénat par 78 voix contre 58 et 5 abstentions.
LA DÉFINITION DES CRISES 897

chambres f) (46). Le gouvernement SPAAK II est constitué le 13 mars


1946; le 19 mars, il se présente devant la Chambre comme <<un gou-
vernement de minorité, mais aussi de nécessité f>. La confiance lui
est refusée, à parité de voix (90 voix contre 90 et 15 abstentions).
Le Premier ministre présente, le jour même, la démission de son
gouvernement au régent, qui l'accepte.
Dans un troisième cas, le vote intervient à l'occasion de l'élabora-
tion d'une loi spéciale dont on sait qu'elle requiert, entre autres, la
réunion d'une majorité des deux tiers des votants. Le 2 avril 1980,
le gouvernement MARTENS II tente d'obtenir le vote d'un projet de
loi spéciale des régions et des communautés. L'article 5 recueille
117 voix contre 61 et 2 abstentions. Le quorum n'est pas atteint. Le
rejet de la disposition implique un désaveu non équivoque de la
politique suivie, en matière de réformes institutionnelles, par le
ministère. Celui-ci se retire (47).
1077. - Dans la même perspective, il faut admettre que, de son
propre mouvement, le corps électoral peut priver le ministère de son
assise parlementaire; ici aussi, le roi ne peut qu'accepter la démission
de ceux qui sont tenus de la lui présenter.
Qu'il le souhaite ou non, les élections législatives conduisent le
gouvernement à poser la question de confiance à l'opinion publique.
Le peuple, plus encore que ses représentants, marque alors son
approbation ou sa désapprobation à l'encontre du ministère.
Sans doute les résultats d'élections générales prêtent-ils toujours
à interprétation. L'opinion publique n'est pas d'un seul tenant, les
partis de la coalition peuvent connaître des sorts différents, les
préoccupations des électeurs peuvent se révéler contradictoires. Une

(46) B. WALEFFE, op. cit., p. 102.


(47) ''Pour la première fois, depuis plus de 30 ans, un gouvernement vient d'engager sa res-
ponsabilité devant les chambres et n'a pas été suivi par la majorité qui le soutient. Au vu et au
su du monde parlementaire et de l'opinion publique. il est défait à l'occasion d'un débat - et
d'un vote - qui ne se déroule pas en coulisses, mais au cœur même de l'hémicycle parlementaire.
Qui plus est, ce n'est pas dans l'équivoque ou à l'occasion d'un débat accessoire qui cacherait
l'essentiel que l'incident survient. C'est à l'occasion de la discussion de l'un des projets priori-
taires du gouvernement que celui-ci est amené à enregistrer son échec. Comme le Premier
ministre n'a pu s'empêcher de le relever, les règles du jeu parlementaire, dans ce qu'elles ont de
plus classique et de plus fondamental, se trouvent ainsi respectées. En ce sens, la crise du prin-
temps 1980 sera citée en exemple dans les manuels de droit constitutionnel. Ne rompt-elle pas
avec une tradition qui semblait s'être instaurée de voir sombrer les gouvernements sans qu'ils
aient eu l'occasion de s'expliquer sur les causes de cet échec, sans que l'opposition n'ait eu la pos-
sibilité de faire entendre sa voix, sans que l'opinion publique ne comprenne ni les circonstances,
ni les conséquences de la crise qui s'ouvre alors dans l'équivoque?>> (Chroniques de crise ... , op. cit.,
p. 98).
898 LES PROCÉDURES DE CRISE

règle simple demeure : si, à la faveur du scrutin, le corps électoral


ôte au gouvernement en place les sièges qui lui procurent un appui
suffisant au sein de la Chambre des représentants, il le contraint à
démissionner (48).
Peut-être la proposition ainsi exprimée - sous la forme d'une loi
du régime parlementaire - est-elle superflue? La tradition (49) ne
veut-elle pas qu'à l'issue d'élections législatives - gagnées ou per-
dues, peu importe - , le gouvernement en place présente sa démis-
sion au roi pour lui permettre, dit-on, d'exercer pleinement ses pou-
voirs constitutionnels (50)? Tel est l'usage, mais non la règle (51).
Rien n'empêche un gouvernement fédéral, dont l'existence n'a
pas été affectée par la mesure de dissolution et qui s'estime conforté
dans son action par le verdict électoral, de se maintenir au pouvoir
sans solution de continuité. Mais les leçons du scrutin peuvent être
incertaines. Les marques d'approbation peuvent être inégalement
réparties entre les partenaires de la coalition gouvernementale. Les
résultats prêtent peut-être à interprétations contradictoires selon les
circonscriptions où ils ont été obtenus. Dans cette hypothèse, le
mieux est sans doute de démissionner pour permettre au roi d' exer-
cer la fonction que la Constitution lui assigne.
1078. - Le renvoi collectif d'un gouvernement de communauté
et de région est organisé par la loi spéciale.
Le parlement peut, en effet, adopter une motion de méfiance à
l'égard du gouvernement. Il est habilité, précise l'article 71 de la loi
spéciale, à le faire << à tout moment )). Ce qui signifie que le gouverne-
ment de communauté ou de région peut être renversé dès l'instant

(48) F. DELPÉRÉE, ''Avec mon boulier compteur •>, Journal des procès, 24 décembre 1987, p. 4.
Dans le même sens, C.J. HOJER, op. cit., p. 339. «En régime parlementaire, le gouvernement
démissionne, soit parce qu'il est mis en minorité au Parlement dans un vote à l'occasion duquel
la confiance a été posée ou sous-entendue, soit à cause d'un échec électoral qui transforme l'an-
cienne opposition en majorité». Voy., par exemple, les élections du 5 avril 1925 qui marquent
un échec notoire du gouvernement THEUNIS; celles du 13 décembre 1988 qui expriment un désa-
veu à la reconduction pure et simple du gouvernement MARTENS VII.
(49) Voy. le communiqué du palais du 18 décembre 1978, cité in Chroniques de crise ... , p. 52.
(50) Chroniques de crise ... , p. 35.
(51) Dans un sens différent, B. WALEFFE, op. cit., pp. 120 et 131. Dans le même sens,
C.J. HOJER, op. cit., pp. 187 et 271, qui montre que la tradition n'est pas aussi bien établie qu'il
ne paraît à première vue; ainsi, à l'issue des élections du 26 mai 1929, le gouvernement JASPAR Il
fit savoir qu'il restait au pouvoir et qu'il n'était donc pas dans ses intentions de démissionner.
En 1932, le gouvernement DE BROQUEVILLE ne démissionne pas non plus au lendemain des élec-
tions du 27 novembre, il ne le fait que le 13 décembre. Un cabinet légèrement remanié est désigné
le 17 décembre.
LA DÉFINITION DES CRISES 899

où il demande la confiance de l'assemblée qui l'a élu. Il peut l'être


jusqu'à la fin de la législature.
Est-ce à dire qu'un gouvernement démissionnaire pourrait être
renvoyé selon la procédure du même article 71? Non, sans doute. Il
n'appartient pas au parlement de maintenir en vie un gouverne-
ment qui entend abandonner ses fonctions, à prétexte de le censurer
et de lui donner un successeur. Il lui suffit de choisir une équipe de
remplacement.

E. - La démission individuelle
1079. - La démission est à distinguer du renvoi. Comme lui,
elle emporte sortie de charge du titulaire de la fonction ministérielle.
A sa différence, elle se réalise sinon à la demande, du moins à l'initia-
tive de la personne qui s'apprête à quitter la charge qui lui a été
confiée. Outre les cas de démission spontanée (no 1059), il y a lieu
de relever deux hypothèses distinctes : la démission sollicitée et la
démission d'office.
1080. - Au niveau fédéral, la démission sollicitée intervient à
l'invitation du Premier ministre (52).
Elle peut prendre la forme d'une démission-sanction. Un échec
politique caractérisé conduit le ministre qui n'a pu mener sa politi-
que à bonne fin à se retirer. Le gouvernement fédéral fait sa propre
police. Tenant compte des critiques qui ont été émises dans les
rangs de la majorité et des controverses rapportées par la presse, il
se sépare d'un collègue dont l'échec peut compromettre sa crédibi-
lité, voire sa stabilité. Ainsi, le 18 octobre 1986, le ministre de l'In-
térieur Ch.-F. NoTHOMB quitte le gouvernement pour n'avoir pu
mener à bien l'opération qui consistait à faire nommer un bourg-
mestre à Fourons, en dehors du conseil communal (53).
La démission sollicitée peut prendre aussi la forme d'une démis-
sion-désaccord. L'attitude prise par un ministre, les propos qu'il a
tenus, les projets qu'il a formés peuvent être révélateurs d'une
atteinte aux règles de la déontologie ministérielle ou de la solidarité
gouvernementale. Dans ce cas, il revient au Premier ministre de
demander des explications à l'un de ses collègues. Si le désaccord

(52) Sur la démission collective sollicitée par le roi, voy. n" 1083.
(53) Voy. égal. la démission du ministre de l'Education nationale André DAMSEAUX, le 9 mars
1987.
900 LES PROCÉDURES DE CRISE

persiste, le chef du gouvernement fait connaître au ministre sa


divergence d'opinion et lui réclame sa démission. Ainsi, le
24 octobre 1921, le ministre des Travaux publics E. ANSEELE quitte
le gouvernement CARTON DE WIART; il est désavoué par le Premier
ministre pour avoir participé à une cérémonie sous le signe du << fusil
brisé)).
Il y a encore la démission stratégique. << Il y a eu les démissions de S. DE
CLERCK et J. V ANDE LANOTTE, dans l'affaire Dutroux (1998). Il y a eu la démis-
sion deL. TüBBACK, dans l'affaire Sémira Adamou (1998). Il y a eu la démission
de K. PINXTEN et M. CoLLA, dans l'affaire de la dioxine (1999). Dans tous ces
cas, le même scénario se présente. Les ministres ne sont pas coupables. Ils ne
sont même pas responsables, comme l'affirmera plus tard le Premier ministre
DEHAENE. S'ils démissionnent, c'est parce qu'ils sont devenus 'vulnérables'. Ils
sont vulnérables aux yeux de l'opinion publique et des médias, enclins à
condamner des lenteurs, des silences ou des négligences. Ils sont vulnérables aux
yeux de l'opposition, toujours prête à chercher des points de chute. Ils sont vul-
nérables surtout dans les rangs de la majorité>) (F. DELPÉRÉE, «La gestion de
la crise par le gouvernement. Aspects juridiques et institutionnels >), colloque du
5 juin 2000).
Si le ministre fédéral dont le départ de charge est sollicité refuse
de céder à l'invitation, l'épreuve de force est engagée. Elle ne peut
se résoudre qu'à la faveur d'une procédure de révocation (n° 1066).
1081. - La même procédure se conçoit au sein des commu-
nautés et des régions. Il revient au président du gouvernement
d'exercer une primauté sur ses collègues. Il a été choisi par eux pour
assumer les fonctions de direction et de représentation de l'Exécutif.
Encore convient-il de relever qu'en cas de désaccord entre le pré-
sident et l'un des membres du gouvernement sur l'opportunité
d'une mesure de démission, un arrêté de révocation n'est pas conce-
vable. Seule une démission collective permet d'aplanir le différend;
elle laisse au parlement communautaire ou régional le soin de dési-
gner les membres d'un nouveau gouvernement
1082. - Y a-t-il place, en droit public belge, pour la démission
d'office?
Le terme, emprunté à la langue administrative, désigne un mode
particulier de cessation des fonctions; celle-ci intervient automati-
quement dans l'une des hypothèses déterminées au préalable par
l'autorité, par exemple en cas d'abandon de poste.
On devine que cette hypothèse est appelée à demeurer exception-
nelle. Un arrêté des ministres, réunis en conseil, du 24 juin 1940
LA DÉFINITION DES CRISES 901

constate néanmoins que <<M. Marcel-Henri JASPAR, ministre de la


Santé publique, a abandonné son poste et la haute direction de son
département>> et prend acte de la démission d'office de M. JASPAR.

F. - La démission collective
1083. - Les causes de démission collective du gouvernement
fédéral sont nombreuses. Les circonstances de crise sont diverses. Il
est permis de recenser ici quelques cas de figure.
1. Le gouvernement est renvoyé par la Chambre des représentants
(no 1074); il démissionne.
2. Le gouvernement constate, à l'occasion d'élections législatives,
qu'il a perdu son assise parlementaire (n° 1077); il en tire les mêmes
conséquences.
3. Un nouveau roi est appelé à monter sur le trône. Une pratique
constitutionnelle veut qu'après la prestation de serment du roi (54)
(ou du régent), le gouvernement en place présente sa démission. Le
nouveau chef de l'Etat la refuse aussitôt. Il s'agit plus d'un geste
de courtoisie que de l'accomplissement d'une réelle obligation juridi-
que.
4. Dans la même perspective, on admet qu'au lendemain d'événe-
ments exceptionnels - tels ceux qui résultent d'une guerre qui sous-
trait le gouvernement au contrôle politique des chambres - , le
cabinet se retire (voy. la démission de M. CooREMAN, le
17 novembre 1918 et celle de M. PIERLOT, le 26 septembre 1944). A
ce moment, il n'y a ni conflit entre les ministres, ni méfiance des
chambres vis-à-vis du gouvernement : les ministres jugent simple-
ment << qu'il convenait qu'un gouvernement qui avait joui de pou-
voirs si exceptionnels démissionnât à la veille du jour où le régime
parlementaire allait reprendre son fonctionnement normal>> (55).
5. La démission d'un gouvernement résulte le plus souvent d'une
mésentente grave au sein de l'équipe au pouvoir, soit d'un phéno-
mène de dislocation et de désagrégation de la majorité. Le gouver-
nement, miné de l'intérieur, s'effondre. Souvent, il n'a même plus la
force de se présenter devant la Chambre, ni la cohésion suffisante

(54) Le 16 juillet 1951, le roi BAUDOUIN prête serment. Le gouvernement PHOLIRN présente
aussitôt sa démission. Le roi la refuse sans délai (sur les conséquences du changement de titulaire
du pouvoir exécutif entre 1944 et 1950, voy. B. WALEFFE, op. cit., pp. 96 s.).
(55) Cité par C.H. H6JER, op. cit., p. 84.
902 LES PROCÉDURES DE CRISE

pour répondre à ses demandes d'explication (56). A la sauvette, il


présente sa démission au roi. Celui-ci ne peut que constater l'état de
profond dissensus qui règne au sein de la majorité sortante.
On doute qu'il soit possible de revenir à plus d'orthodoxie.
Durant la crise de 1966 qui aboutit à la chute du gouvernement
HARMEL, le roi refuse d'abord la démission de ses ministres et
demande instamment au gouvernement de tenter un dernier effort
pour résoudre les difficultés politiques qui étaient apparues. Il l'in-
vite surtout à engager si nécessaire sa responsabilité devant les
chambres législatives et devant elles seules. L'avertissement ne fut
pas entendu. Le gouvernement présenta, quelques jours plus tard,
une nouvelle fois sa démission au roi. Cette fois-ci, elle fut acceptée.
Faut-il s'étonner outre mesure de ces comportements? Faut-il y
voir les marques évidentes d'un déviationnisme institutionnel?
Dans les sociétés contemporaines, les relations de pouvoir et de
contrôle s'instaurent moins entre le gouvernement et les assemblées
législatives qu'entre une majorité politique- tout à la fois gouver-
nementale et parlementaire - et une ou plusieurs oppositions -
présente dans les seules assemblées - . Cette majorité politique
composite peut se désunir, se fractionner, se déchirer. Les discus-
sions sont étalées sur la place publique, contées dans le détail par
la presse écrite, amplifiées par la radio et la télévision. A quoi bon
le simulacre de la mise à mort dans un hémicycle parlementaire?
Certes, les nouvelles pratiques - plus informelles - ne présen-
tent pas que des avantages. La démission du gouvernement inter-
vient parfois dans l'équivoque : quelles sont les causes exactes de la
crise, quelle est l'ampleur du dissensus, quel a été le rôle - faste ou
néfaste - joué par telle individualité? La crise peut naître aussi
dans la précipitation - tout occupés que sont déjà certains parte-
naires à chercher des points de chute rentables ou à concevoir des
formules de rechange - . La rupture peut être à ce point brutale et
décisive que le gouvernement sortant ne se préoccupe pas de gérer
à suffisance les affaires publiques en attendant son remplacement.
On ne saurait, cependant, l'oublier. Dans l'hypothèse d'un dissen-
sus, la démission collective du gouvernement (ou celle du Premier

(56) Comment ne pas observer que le schéma constitutionnel - qui veut que le gouvernement
et chacun de ses membres n'engagent leur responsabilité que devant la Chambre et ne se retirent
que lorsqu'ils perdent sa confiance - est aujourd'hui largement battu en brèche?
LA DÉFINITION DES CRISES 903

ministre, qui entraîne les mêmes conséquences) peut avmr une


double signification politique.
D'un côté, elle révèle une dissension grave au sein du gouverne-
ment et de la majorité qui le soutient (57); il ne sera pas possible
d'y passer outre à brève échéance; elle est constat d'échec (58).
Ainsi, en 1947, le Premier ministre HuYSMANS doit constater <<un
différend au sujet de la fixation des prix du charbon et des mesures
concernant l'assainissement de l'industrie des mines>> (Ann. parl.,
Chambre, 12 mars 1947, p. 1); <<dans ces conditions, le gouverne-
ment ne dispose plus d'une majorité pour continuer la gestion des
affaires >> (ibid.); il présente donc sa démission au régent.
D'un autre côté, la démission collective peut révéler une dissen-
sion passagère au sein du ministère; il devrait être possible de la
résorber à bref délai. La démission du gouvernement opère à la
façon de l'électrochoc. A la majorité de se ressaisir, si elle le peut
et si elle le veut (59). Ainsi, le 2 juillet 1963, le Premier ministre
Th. LEFÈVRE présente inopinément la démission d'un gouvernement
qui est incapable de faire aboutir ses projets linguistiques. Les
consultations qui sont menées à cette occasion donnent à penser
qu'une solution est encore concevable. Le roi refuse donc la démis-
sion du gouvernement.
6. Un gouvernement est amené à démissionner aux fins d'assurer
un renforcement de ses assises parlementaires. Tel sera notamment
le cas du gouvernement minoritaire (n° 441), constitué à titre tran-
sitoire et appelé à céder la place à brève échéance à une coalition
qui dispose d'un appui plus large (60). Tel sera aussi le cas du gou-
vernement majoritaire qui se préoccupe d'étendre sa base parlemen-
taire pour constituer, par exemple, un cabinet d'union natio-
nale (61).
Plus simplement aussi, un gouvernement, ou une partie de ses
membres, peut être enclin à démissionner pour provoquer une crise

(57) «Un gouvernement qui ne se sent plus soutenu disparaît '· écrit avec à-propos P. WIGNY
(op. cit., p. 370).
(58) Selon E. VANDERVELDE, la démission du gouvernement JARPAR, le 21 novembre 1927,
procède d'un • divorce par consentement mutuel" (cité par C.J. HôJER, op. cit., p. 178).
(59) <<En un sens, on peut dire que la démission des ministres (du gouvernement THEUNIS,
le 6 juin 1923) était un coup monté contre les partis gouvernementaux>> (C.J. HôJER, op. cit.,
p. 137).
(60) C'est ainsi qu'un gouvernement homogène EYSKENS remet, le 4 novembre 1958, sa
démission au roi pour composer un gouvernement élargi.
(61) Voy. la composition du gouvernement PIERLOT, le 3 septembre 1939.
904 LES PROCÉDURES DE CRISE

qui ne pourra se résoudre qu'à la faveur d'élections qu'il estime


devoir lui être favorables; il choisira, à ce moment, un <~ point de
chute)) adéquat (62).
7. Phénomène de plus en plus fréquent, et particulièrement criti-
quable : un gouvernement présente sa démission pour ne pas
répondre à une interpellation; s'il advient que, quelques jours plus
tard, le roi refuse cette sortie de charge, le procédé utilisé par le
gouvernement s'apparente à un détournement de procédure.
8. Un gouvernement peut aussi être conduit à se retirer, alors
même qu'il a obtenu la confiance des chambres, dans la mesure où
le vote qui intervient témoigne d'un changement profond dans les
attitudes des groupes politiques, et donc des partis, qui sont censés
soutenir le gouvernement. Ainsi, le 11 mai 1938, le gouvernement
JANSON obtient un vote favorable par 101 voix contre 76 (et 8 abs-
tentions). Il apparaît aussitôt que la majorité s'est divisée à cette
occasion : 32 catholiques (contre 21) et 6 libéraux (contre 16) ont
voté contre le gouvernement. Comment celui-ci se maintiendrait-il
au pouvoir? Le 13 mai, M. JANSON présente au roi sa démission. Le
gouvernement avait obtenu formellement la confiance, il se retire
néanmoins à raison de défections importantes dans la majorité.
1084. - Les modalités de la démission collective doivent aussi
être précisées. Elles diffèrent de celles de la démission individuelle.
En règle générale, lorsqu'un ministre démissionne, il est remplacé
sans délai. Une personnalité nouvelle est appelée à faire partie du
ministère ou un membre du cabinet est amené à changer de poste.
Deux arrêtés royaux concomitants réalisent l'opération.
Lorsque tous les ministres, ou plusieurs d'entre eux, démission-
nent, la situation politique est autre. Une crise politique est
ouverte. Il ne sera pas possible de la résoudre le jour même. Une
nouvelle coalition doit être composée, un programme est à renégo-
cier, les affectations ministérielles vont être modifiées. Bref, plu-
sieurs semaines, voire plusieurs mois, sont nécessaires pour per-
mettre le déroulement et le dénouement de la crise. Quelle est l'inci-
dence de cette situation sur la procédure de démission collective?
Le roi qui a reçu la demande de démission peut temporiser
(no 1125). Il peut aussi refuser la démission collective (n° 1120). Il

(62) Ces supputations entraînent notamment, en octobre 1932 la chute du gouvernement


RENKIN.
LA DÉFINITION DES CRISES 905

peut encore accepter la démission qui lui a été offerte. Ceci se fait
en deux étapes.
Dans un premier moment, le roi procède à une acceptation offi-
cieuse et provisoire de la démission collective. Un communiqué du
palais en garde la trace. Il témoigne de l'unité de vues du chef de
l'Etat et de son gouvernement sur l'interprétation à donner aux
événements politiques et indique la suite qu'il conviendra normale-
ment de leur réserver. L'acceptation officieuse marque le début pré-
cis de la crise ministérielle (63). Dès cet instant, le gouvernement est
démissionnaire (no 1144).
Dans un deuxième moment, soit au terme de la crise, le roi pro-
cède à une acceptation officielle et définitive de la démission collec-
tive. Un arrêté royal concrétise cette opération. Il intervient conco-
mitamment avec un autre arrêté royal qui procède à la désignation
de la nouvelle équipe ministérielle. Il marque le moment où les
ministres en place sont désinvestis de leur charge. A ce moment, le
gouvernement est démis de ses fonctions.
Le roi peut encore accepter officieusement l'offre de démission
collective, puis la refuser. Au terme de la crise, une solution peut
paraître s'imposer : la reconduction pure et simple de l'équipe au
pouvoir.
1085. - Reste à préciser la procédure selon laquelle cette opéra-
tion peut se réaliser. Deux hypothèses peuvent être dégagées de
manière abstraite.
Dans l'une, les ministres qui ont demandé à être déchargés de
leurs fonctions retirent leur démission : moyennant << l'agrément du
roi f>, précise un collège de juristes réuni en février 1974, ils repren-
nent l'exercice normal et complet de leurs fonctions (64). Dans
l'autre hypothèse, le roi revient sur une première décision et refuse
la démission qu'il avait au préalable acceptée de manière officieuse;
il invite alors ses ministres à assumer les prérogatives normales de
leur charge (65). Retrait et refus ... Dans la pratique, les deux hypo-
thèses tendent à se confondre. Mais, en tout cas, le concours du roi

(63) Cette acceptation, dit-on, est officieuse. Ce n'est pas à dire qu'elle soit sans incidences
juridiques. Dès cet instant, le gouvernement n'est plus habilité à expédier que les affaires cou-
rantes. Encore faut-il, pour ce faire, que l'offre de démission ait fait l'objet d'une première accep-
tation par le roi (Chroniques de crise .... p. 53) (no 1143).
(64) Chroniques de crise ... , p. 195.
(65) C'est ainsi qu'au terme de la crise de 1977, le roi refuse la démission que lui avait présen-
tée le Premier ministre L. TINDEMANS et qu'il avait officieusement acceptée.
906 LES PROCÉDURES DE CRISE

et de ses ministres est indispensable pour défaire ce que l'offre et


l'acceptation officieuse de la démission avaient pu réaliser.

1086. - Au sein des communautés et des régions, des procé-


dures de démission collective sont mises en place. Elles sont réglées,
au moins pour l'essentiel, par les articles 71 et suivants de la loi spé-
ciale de réformes institutionnelles.
1. Si le gouvernement communautaire ou régional est renvoyé
suite à l'adoption d'une motion de méfiance, il est démis de plein
droit de ses fonctions (no 1078).
2. Le même gouvernement peut, à l'issue d'élections communau-
taires ou régionales, constater qu'il ne bénéficie plus d'un appui suf-
fisant au sein du nouveau parlement; il doit se retirer (no 1077).
3. En cas de désaccord grave au sein du gouvernement, celui-ci
peut, de sa propre initiative, démissionner. On ne saurait lui contes-
ter cette faculté de retrait. La loi spéciale de réformes institution-
nelles (qui, implicitement au moins, n'exclut pas cette possibilité
dans l'art. 73, al. pr) se borne à préciser qu'<< il est pourvu sans
délai )) au remplacement du gouvernement démissionnaire.
4. Le gouvernement << peut décider à tout moment de poser la
question de confiance sous forme de motion... Si la confiance est
refusée, (le gouvernement communautaire ou régional) est démis-
sionnaire de plein droit)) (l. sp., art. 72, al. 1er et 4).
Dans cette hypothèse, le gouvernement prend l'initiative de véri-
fier s'il bénéficie d'un appui suffisant au sein du parlement. Soit
qu'il veuille se rassurer sur la cohésion de la majorité qui l'a porté
au pouvoir, soit qu'il cherche à serrer les rangs d'une majorité dis-
parate. A cet instant, le refus de la confiance est générateur de crise.
Le vote de la motion n'emporte pas, en effet, désignation d'une
équipe de remplacement. Le parlement s'attache à constituer, sans
délai, un nouveau gouvernement.

1087. - Dans les collectivités locales, aucune procédure de ren-


voi n'est organisée à l'encontre des autorités qui, pour le compte des
assemblées, assurent la gestion des affaires publiques. C'est l'un des
traits les plus caractéristiques du régime d'assemblée qui prévaut à
ce niveau (n° 350).
LA DÉFINITION DES CRISES 907

G. - La dissolution
1088. - La dissolution s'entend de la mesure qui procède au ren-
voi collectif des membres d'une assemblée, qui met fin à leurs activités
et qui entraîne le renouvellement, avant l'échéance normale (66), de l'as-
semblée concernée.
La dissolution se distingue de la démission, puisqu'elle n'inter-
vient pas à l'initiative de l'autorité dont les fonctions prennent fin.
Une assemblée ne se dissout pas elle-même. Comme l'indiquent clai-
rement les articles 65 et 70 de la Constitution, les membres des
chambres sont élus <~pour quatre ans>> et les assemblées sont renou-
velées <~ tous les quatre ans >>. S'il est permis à la loi fédérale de pré-
ciser comment pareil délai sera calculé, il ne lui revient pas d' autori-
ser une assemblée à déterminer quand elle entend mettre fin à ses
activités (67).
La dissolution se différencie aussi de la révocation, puisqu'elle
n'est pas l'œuvre de l'autorité qui <~ désigne >> les titulaires d'une
fonction publique.
Elle s'apparente plus au renvoi. Elle émane, comme lui, d'une
autorité distincte de celle qui a conféré l'investiture. En ce sens, elle
apparaît même, dans la théorie des checks and balances, comme le
contrepoids de la mesure de renvoi. <~On a l'habitude, écrit P. WI-
GNY, de dire que celle-ci (la dissolution) établit l'équilibre entre le
pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Le premier accorde ou
refuse la confiance; le second peut dissoudre les chambres récalci-
trantes>> (68).
Des différences techniques subsistent néanmoins. Le renvoi peut
n'affecter qu'une personne. La dissolution, elle, produit nécessaire-
ment des effets collectifs. Le renvoi fait, pour l'essentiel, œuvre
négative. La dissolution, pour sa part, produit des effets destruc-
teurs mais, en même temps, déclenche la mise en œuvre de procé-
dures qui visent à constituer de nouvelles assemblées.
1089. - Quelles sont les causes de la dissolution des Chambres
législatives ?

(66) Il est incorrect de parler de dissolution des chambres lorsqu'au terme normal de la légis-
lature, celles-ci sont renouvelées intégralement.
(67) Comp. M. SEIGNEUR, <<L'Assemblée nationale peut-elle faire varier la durée de son man-
dat?>>, Droit et Economie, 1987, n" 55, p. 19.
(68) P. WIGNY, op. cil., p. 236.
908 LES PROCÉDURES DE CRISE

La dissolution peut être automatique. Elle intervient lorsque sur-


gissent des événements que prévoit explicitement la Constitution :
l'adoption, par les trois branches du pouvoir législatif, d'une décla-
ration de révision de la Constitution (art. 195, al. 2) (no 58) ou la
survenance de la vacance du trône (art. 95) (no 1055). Nul arrêté
royal n'est requis pour prononcer cette dissolution qui opère << de
plein droit >>. Il appartient cependant au roi de prendre, par arrêté
royal, les mesures que requiert, par exemple, l'organisation des élec-
tions qui s'ensuivent (n" 1093).
La dissolution facultative, pour sa part, résulte de l'exercice
d'une prérogative limitée que l'article 46 de la Constitution confère
au roi. Il n'a le droit de dissoudre les chambres que dans quatre
hypothèses :
la Chambre des représentants rejette une motion de confiance au
gouvernement fédéral mais ne propose pas au roi, dans un délai
de trois jours, la nomination d'un formateur;
la Chambre des représentants adopte une motion de méfiance à
l'égard du gouvernement fédéral mais ne propose pas simultané-
ment au roi la désignation d'un formateur;
la Chambre des représentants rejette une motion de confiance au
gouvernement ou adopte une motion de méfiance à l'égard du
gouvernement; elle propose au roi la désignation d'un forma-
teur, mais celui-ci ne réussit pas dans sa tâche (69);
la Chambre des représentants marque, à la majorité absolue de
ses membres, son accord sur sa propre dissolution, et ce après
que le gouvernement a démissionné.
Le relevé de ces quatre hypothèses montre que l'initiative ne sau-
rait en la matière revenir au roi. Elle appartient, dans chaque cas,
à la Chambre des représentants.
1090. - L'exercice du droit de dissolution est une garantie
essentielle d'un régime d'opinion. Il assure la modération du pou-
voir en permettant de remédier aux erreurs et aux abus des assem-
blées. Il organise une forme d'arbitrage populaire dans les conflits
entre les assemblées ou entre celles-ci et le gouvernement (70).

(69) Cette hypothèse n'est pas inscrite dans le texte de l'article 46 de la Constitution mais a
été évoquée, à plusieurs reprises, par le Premier ministre DEHAEN,~.
(70) Selon A. MAST (op. cit., p. 136), les dissolutions prononcées par LÉOPOLD r·· les 28 avril
1833, 4 septembre 1851 et 16 juillet 1864 reposent sur ces principes. Sur les circonstances de ces
dissolutions, voy. ,J. VELU, La dissolution du Parlement, Bruxelles, Bruylant, 1966, pp. 135 s.
LA DÉFINITION DES CRISES 909

Encore n'y a-t-il pas lieu de célébrer outre mesure les mérites des
procédures de dissolution. Si l'on tient compte du fait que le pou-
voir exécutif fédéral est un et que les ministres sont l'émanation
d'une majorité parlementaire de coalition, on comprend aisément
que la dissolution a aussi pour objet de vérifier ou de rétablir la
cohésion de la majorité parlementaire et gouvernementale, ainsi que
sa représentativité. La dissolution des chambres devient de cette
manière une technique pour résoudre les conflits nés au sein de la
majorité.

1091. - Y a-t-il un point commun entre les hypothèses visées


aux articles 46, 95 et 195 de la Constitution ou l'énumération est-
elle vouée à demeurer hétéroclite? Deux réponses - l'une, plus fon-
damentale, l'autre, plus circonstancielle - sont apportées à cette
question.
D'une manière générale, la procédure de dissolution peut ou doit
être utilisée à quelques moments décisifs de l'histoire politique d'un
pays : la Constitution est sur le point d'être révisée, la dynastie est
éteinte et un nouveau monarque doit être choisi, la volonté de l'as-
semblée se différencie de celle des autorités exécutives ... A cet ins-
tant, comment ne pas interroger le corps des électeurs? Sans doute
ceux-ci ne dictent-ils pas de décision, mais ils s'attacheront - s'ils
veulent saisir cette opportunité - à faire connaître leurs préoccupa-
tions ou à désigner les personnes qui les prendront en compte. Toute
élection qui intervient à la suite d'une dissolution des chambres
apparaît comme un succédané de référendum ou - au moins - de
consultation populaire.
De manière plus particulière, la dissolution automatique ne s'op-
pose pas à la dissolution facultative. Dans la pratique, les deux pro-
cédures tendent parfois à se chevaucher. Voici un gouvernement et
sa majorité parlementaire divisés sur la politique à mener. L'im-
passe est totale. Le cabinet est amené à démissionner. Mais il appa-
raît rapidement qu'aucun remaniement ministériel n'est possible et
qu'aucune solution de rechange n'est concevable. Il faut aller aux
urnes, en espérant que des faits politiques nouveaux sortiront du
débat électoral. Pourquoi ne pas profiter de la situation pour enga-
ger une procédure de révision de la Constitution, avec l'adoption de
déclarations conjointes en ce sens? Si l'opération aboutit, la dissolu-
tion qui intervient sera rangée au titre des dissolutions automati-
910 LES PROCÉDURES DE CRISE

ques alors que, dans la réalité, c'est plutôt une dissolution faculta-
tive qui eût pu s'imposer (71).
1092. - Le roi a <~le droit>> limité de dissoudre les chambres.
N'a-t-il pas aussi, en certaines circonstances, <~le devoir>> de dis-
soudre les chambres? Existe-t-il un droit éventuel de ne pas dis-
soudre les chambres?
Le droit de dissoudre les chambres n'est pas absolu. Il ne traduit
pas une prérogative discrétionnaire du chef de l'Etat. Il s'agit d'une
attribution fonctionnelle. Le roi peut dissoudre, mais c'est aux fins
de contribuer au fonctionnement harmonieux des institutions publi-
ques. Il ne saurait utiliser cette prérogative pour obtenir de<~ bonnes
chambres>>, celles qui correspondraient à ses préoccupations person-
nelles (72). Il ne saurait céder aux sollicitations d'un gouvernement
qui l'inviterait à multiplier les dissolutions jusqu'à obtenir <~une
majorité parlementaire résignée et docile>>. <~Les textes ne l'interdi-
sent pas >>, concède Pierre WIGNY qui souligne, cependant, que cette
pratique relèverait d'un <~véritable abus de droit>> (73). Les disposi-
tions de l'article 46 de la Constitution limitent considérablement le
danger qui pourrait s'attacher à de telles pratiques.
Le devoir de dissoudre les chambres n'est pas non plus inscrit dans
les textes. On admettra pourtant qu'un gouvernement ne peut res-
ter indifférent à l'attitude de la Chambre qui, de manière systémati-
que, refuserait la confiance à quelque coalition que ce soit. Il peut
être tenté de passer outre à cette forme de paralysie. Peut-il utiliser
à cet effet les prérogatives que l'article 46 de la Constitution confère
au roi pour vaincre cette obstruction? Ici encore, le cas est destiné
à demeurer exceptionnel. Mais, dès lors qu'il est impossible de
constituer un ministère assuré d'une stabilité suffisante, la dissolu-
tion peut s'avérer<~ nécessaire>> pour assurer l'équilibre des pouvoirs,

(71) Les dissolutions des 22 octobre 1919, 12 mars 1954,29 avril 1958, 16 avrill965, 1"' mars
1968, 14 novembre 1978, 5 octobre 1981 et 8 novembre 1987 sont organisées en exécution de l'ar-
ticle 131 de la Constitution.
(72) En ce sens, la dissolution royale- l'expression est particulièrement équivoque, puisque
l'acte de dissolution émane du roi- ou dissolution forcée (sur ce thème, Ph. LAUVAUX, «Le droit
de dissolution>>, A.P. T., 1979-1980, p. 246) ne se concilie pas avec les données actuelles du régime
parlementaire.
(73) P. WIGNY, op. cit., p. 613.
LA DÉFINITION DES CRISES 911

note W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH (74). Il conviendra, cepen-


dant, qu'un tel gouvernement se place dans les conditions de l'ar-
ticle 46 de la Constitution - par exemple dans ses 1o et 2° - pour
être en mesure d'utiliser une telle prérogative.
Le droit de ne pas dissoudre les chambres est-il, par ailleurs,
consacré? Le roi a-t-il la possibilité de refuser la proposition du
ministère de procéder à une dissolution? En 1949, la commission
SoENENS ne manque pas d'examiner cette question. Selon elle, le roi
pourrait refuser une proposition de dissolution émanant d'un gou-
vernement unanime. Même les membres de la commission qui n'ac-
ceptent pas la thèse générale du rapport reconnaissent qu'<< une
décision du chef de l'Etat lui-même>> s'impose au moment de signer
l'arrêté de dissolution ou, au contraire, de le refuser.
Le propos est trop absolu. Si le ministère est divisé sur l'opportu-
nité d'une mesure de dissolution, on comprend que le roi garde une
liberté d'action (ou de non -action) qui n'est pas négligeable et dont
il fera usage avec le concours d'un membre de la coalition en place.
Si le ministère est unanime, on ne comprend pas, par contre, que le
roi puisse agir à découvert et prenne sur lui de renvoyer des
chambres qui, par ailleurs, apportent leur appui au gouvernement.
Il faut considérer avec W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, que la
dissolution ou le refus de dissolution ne peut jamais être <<un acte
de pouvoir personnel du roi>> (75).
1093. - A moins d'être automatique, la dissolution est une
compétence qui est attribuée au roi. Il l'exerce avec le contreseing
d'un ministre responsable. Traditionnellement, la dissolution est
décidée par arrêté royal contresigné par le Premier ministre et par
le ministre de l'Intérieur, après délibération du conseil des
ministres. La délibération du conseil des ministres n'est pas une for-

(74) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, <<Rapports entre le chef de l'Etat et le gouverne-
ment<>, Rev. dr. comparé, 1950, p. 197. A. EsMEIN (op. cit., p. 564) écrit, dans le même sens, que
le droit de dissolution <<peut fournir le moyen de mettre fin à l'impuissance inévitable d'une
Chambre ... dans laquelle la majorité nécessaire pour produire et soutenir le cabinet ne se serait
pas formée, ou ne se serait pas maintenue ».
(75) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH,« Préface» de J. VELU, La dissolution du Parlement,
p. XII. Comp. J. VELU, op. cit., p. 80 : <<On peut reconnaître à la Couronne le droit en matière
(de dissolution) de ne pas se conformer à l'avis des ministres et en même temps de ne pas sous-
estimer les risques que l'exercice d'un tel droit comporte<>. Adde : In., p. 82 : ''Les ministres en
fonction n'entendent pas s'incliner. Dans ce cas, le roi ne peut maintenir son refus (de dissoudre)
que s'il a la certitude d'obtenir le concours d'une personnalité disposée à succéder aux ministres
en fonction et à assumer la responsabilité de l'acte de refus<>. Mais pourquoi les ministres en fonc-
tion se retireraient-ils ?
912 LES PROCÉDURES DE CRISE

malité substantielle (76). D'autres contreseings sont également


concevables.
Le contreseing peut être fourni par un ministre qui appartient à
un gouvernement jouissant de la plénitude de ses attributions (77).
Il peut aussi être procuré par un ministre qui est membre d'un cabi-
net démissionnaire (78). Soit que l'opération relève des mesures
urgentes qu'un gouvernement s'apprêtant déjà à quitter ses fonc-
tions doit être en mesure de prendre (79). Soit, plus simplement,
qu'elle ressortisse aux affaires courantes, dans la mesure où les
chambres, dissoutes entre-temps, ne sauraient jamais en contester
l'opportunité politique (80).
L'arrêté royal de dissolution doit, à peine de nullité, contenir
convocation <<des électeurs dans les quarante jours •> (81) et <<des
chambres dans les deux mois •> (art. 46, al. 5).
1094. - La dissolution de la Chambre des représentants
entraîne la dissolution du Sénat (art. 46, al. 4). Compte tenu de la

(76) L'arrêté du 29 avril 1950 fournit l'exemple d'une dissolution prononcée sans que le
conseil des ministres n'en ait au préalable délibéré (B. WALEFFE, op. cit., p. 125). En 1950, le for-
mateur conseille au régent de procéder à la dissolution des chambres et le Premier ministre
contresigne la mesure «En conséquence du rapport de M. VAN ZEELAND, le Prince régent a
refusé la démission du gouvernement de M. EYSKENS et chargé le Premier ministre de prendre
les mesures nécessaires pour assurer la dissolution immédiate du Parlement. M. EYSKENS a
accompli cette mission» (A. Rgt du 29 avril 1950, Mon. b. du 30 avril).
(77) <<Un gouvernement qui contresigne un arrêté de dissolution n'est pas tenu d'offrir sa
démission. Aucune des dissolutions antérieures à 1919, ni la plupart de celles qui eurent lieu
depuis lors, ne furent accompagnées de la démission du gouvernement» (Avis d'un collège de
juristes, le Il mars 1977, in Chroniques de crise ... , p. 198).
(78) «Un gouvernement démissionnaire peut proposer au roi de dissoudre les chambres. De
telles dissolutions eurent lieu en 1939 et en 1950; dans le second de ces cas, le régent refusa
d'abord la démission du gouvernement» (Avis d'un collège de juristes en janvier 1974, cité in
Chroniques de crise ... , p. 196).
<< La dissolution peut être proposée et contresignée même par un gouvernement qui a perdu
la confiance des chambres, qui n'est plus certain de l'avoir ou qui ne s'est pas encore présenté
devant elles. C'est ainsi que les dissolutions de 1857 de 1870 et de 1932 furent l'œuvre de gouver-
nements qui ne s'étaient pas présentés devant les chambres. Dans le premier cas, il s'agissait d'un
gouvernement qui· ne pouvait présumer avoir l'appui d'une majorité à la Chambre des représen-
tants. Dans le deuxième. cet appui était incertain. Dans le troisième cas, le gouvernement pou-
vait présumer disposer d'une majorité. De même, la dissolution de la Chambre des représentants
en 1833 et celle du Sénat en 1851 eurent lieu, l'une et l'autre, après que le gouvernement eût
été mis en minorité par la chambre dont il s'agissait •• (Avis d'un collège de juristes, le 11 mars
1977, ibid., p. 198).
(79) <<Il va de soi que jamais un ministre ne prendra cette responsabilité s'il n'est d'accord
avec la majorité parlementaire», écrit P. WIGNY (op. cit., p. 614). Mais il est vrai aussi qu'une
fois dissoutes, les assemblées ne sont pas en mesure de contester le bien-fondé de pareille inter-
vention.
(80) Dans cette perspective, on dira que l'arrêté de dissolution est typiquement un acte d'af-
faires courantes (n" 1152).
(81) Sur la computation de ce délai, voy. <<Une crise en trois temps», J.T., 1986, p. 122.
LA DÉFINITION DES CRISES 913

composition politique identique des deux chambres, l'hypothèse de


la dissolution d'une seule assemblée semble exclue. Si elle devait se
produire, elle pourrait paraître résulter de jeux ou de stratégies poli-
tiques, plutôt que de desseins plus élaborés.
Dans J'histoire constitutionnelle de la Belgique, il n'y a eu que cinq cas de dis-
solution distincte. La Chambre a été dissoute en 1833, 1857 et 1864; le Sénat
J'a été en 1851 et 1884.

1095. - On se gardera d'accorder aux dissolutions automati-


ques ou facultatives la même signification politique. Selon les
opportunités, il y a place pour une dissolution-consultation, pour
une dissolution-sanction et pour une dissolution-remède.
Il y a place, d'abord, pour la dissolution-consultation. Telle est
l'opinion la plus répandue : la dissolution est un substitut du réfé-
rendum. L'explication saute aux yeux. Elle conduit à l'organisation
d'élections générales; on peut présumer que celles-ci auront lieu sur
des thèmes précis, par exemple, les matières sujettes à révision ou
le choix de la nouvelle dynastie; le choix des élus suffira à indiquer
l'état des préoccupations de l'opinion publique.
Comme l'écrit R. CARRÉ DE MALBERG, <~la dissolution est un pro-
cédé servant à contrôler et à constater la persistance d'une confor-
mité réelle entre la volonté du peuple et celle de ses élus>> (82); le
référendum, sous quelque forme qu'on l'organise, se donne les
mêmes préoccupations. Ces traits sont particulièrement accusés
dans le régime de la dissolution automatique. Ils peuvent se retrou-
ver dans l'exercice du droit de dissolution (83).
Il y a place aussi pour la dissolution-sanction. Elle est souvent
présentée comme s'inscrivant dans la logique d'un régime parlemen-
taire équilibré. La Chambre des représentants peut renvoyer le
ministère fédéral. Mais celui-ci dispose d'une arme défensive redou-
table : la dissolution. Il s'en servira le plus communément au titre
de la dissuasion. Mais, au besoin, il en fera usage comme d'une arme
de rétorsion. La Chambre aurait manié, sans s'en rendre compte, un
<~ boomerang >>. En d'autres termes, un conflit est apparu entre la
représentation parlementaire et le gouvernement en exercice. Qui

(82) R. CARRÉ DE MALBimG, op. cit., t. Il, p. 376.


(83) ~<Le pouvoir de dissolution, écrit W.J. GANSHOF VA:--1 DER MEERSCH (op. cil., p. X), a
conservé, en droit constitutionnel belge, son caractère d'origine. Réalisé ou latent, il reste pleine-
ment la voie de l'arbitrage de la nation et l'expression de la souveraineté nationale, même s'il
n'est plus que dans une faible mesure le moyen de résoudre un conflit permanent entre les
chambres et le gouvernement. tlamais il ne sera un instrument de pouvoir personnel>).
914 LES PROCÉDURES DE CRISE

peut le trancher, sinon l'opinion publique qui exerce, en ce domaine,


une fonction d'arbitrage (84)?
Il y a place encore pour la dissolution-remède. Elle s'attache à
résoudre un conflit grave et permanent entre les chambres légis-
latives et l'Exécutif fédéral. Peut-être même s'efforce-t-elle d'appor-
ter une issue à un conflit au sein même du ministère et de sa majo-
rité. Les parlementaires de la coalition au pouvoir se disputent sur
les objectifs à atteindre ou sur les moyens à mettre en œuvre. Si les
conciliations échouent, il faut admettre que le pays est devenu
<<ingouvernable>> (85). Seule la consultation des électeurs est suscep-
tible d'apporter des faits politiques nouveaux. Elle calme, comme
on dit, le jeu politique. Elle rééquilibre les forces en présence. Au
besoin, elle révèle de nouveaux partenaires. Elle rend possible la
conclusion d'alliances inédites. Elle donne à la crise un tour nou-
veau (86).
1096. - A titre de curiosité, il faut citer l'hypothèse qu'évoque
P. ERRERA (87) et que rappelle P. WIGNY. Elle fait suite à une
modification profonde du régime électoral : << si la loi reconnaît à
d'autres citoyens le droit de vote ou si elle exige des garanties nou-
velles de sincérité dans le mode de votation ou enfin, si elle établit
un mode plus parfait de représentation, cette loi disqualifie ipso
facto les chambres issues du régime antérieur>> (88). Il en a été ainsi
en 1949, quand le droit de suffrage fut étendu aux femmes (89).
Le propos ne doit pas, cependant, être pris à la lettre : ainsi
l'abaissement de l'âge de l'électorat à 18 ans n'a pas provoqué le
renvoi collectif des chambres désignées par les électeurs de 21 ans et
plus.

(84) Cette hypothèse est destinée à demeurer exceptionnelle puisque comme on l'a souligné
les chambres ne procèdent plus à un renvoi formel du ministère. Mieux encore, dans les seuls cas
cités après guerre (n" 1076), la crise se résout sans recours aux procédures de dissolution.
(85) P. WIGNY, op. cit., ibid.
(86) Les dissolutions qui interviennent les 22 octobre 1921, 6 mars 1925, 28 octobre 1932,
6 mars 1939, 9 janvier 1946, 19 mai 1949, 29 avril 1950, 29 septembre 1971, 30 janvier 1974 et
9 mars 1977 s'inscrivent notamment dans cette perspective. Voy. aussi n" 1090, note 70.
(87) P. EltRERA, Traité de droit public belge. Droit constitutionnel et administratif, Paris, Giard
et Brière, § 110.
(88) P. WIGNY, op. cit., p. 613.
(89) Contra : A. MAST. op. cit., p. 137.
LA DÉFINITION DES CRISES 915

1097. - La dissolution prive les membres de l'assemblée de leur


mandat (90). Elle prive l'assemblée de ses fonctions. Nulle activité
n'est concevable durant cette période (n° 1147) (91).
La dissolution emporte convocation des électeurs dans les qua-
rante jours. Elle prescrit la réunion des chambres dans les deux
mois.
La dissolution emporte-t-elle des effets secondaires? La dissolu-
tion est sans effet sur l'existence du gouvernement : il y a des cas
de<< dissolution sans démission>>. Ainsi,·en septembre 1971, un gou-
vernement EYSKENS-CooLs, plutôt que de démissionner, propose au
roi la dissolution des chambres (92). Par contre, la dissolution
affecte l'activité de ce même gouvernement : durant la période qui
précède les élections, il se borne à expédier les affaires courantes
(n° 1144).
1098. - La mesure de dissolution produit-elle des effets après le
renouvellement des chambres législatives?
Deux phénomènes importants ne peuvent être perdus de vue.
Le premier affecte l'exercice dans le temps du droit de dissolu-
tion. Des dissolutions en chaîne sont-elles concevables ou faut-il
souscrire à l'adage << dissolution sur dissolution ne vaut >> ? Repre-
nant l'enseignement de DI CEY, la doctrine française considère, sous
la IIP République, que << quel que soit le résultat des élections nou-
velles qui interviennent, la dissolution qui les a amenées ne saurait
être suivie d'une nouvelle dissolution>> (93). En un mot, <<le droit est
épuisé quand il en a été usé une fois>> (94). Le corps électoral a
rendu son arbitrage, et nulle autorité publique ne peut remettre en
cause ces résultats (95). La leçon paraît encore bien fondée.

(90) Dès que la dissolution est intervenue, les membres de l'assemblée perdent leurs qualité
et avantages; ils redeviennent de simples particuliers. L'article 239 du Code électoral, qui dispose
que le mandat des membres des chambres expire <<normalement>> à la date fixée pour la réunion
ordinaire des collèges électoraux appelés à pourvoir à leur remplacement, ne peut être appliqué
en la circonstance.
(91) Une exception est aménagée par l'article 90 de la Constitution. Si le roi vient à décéder
alors que les chambres sont dissoutes, elles «ressuscitent» dans l'attente de leur remplacement
et reçoivent notamment le serment du nouveau roi.
(92) A l'inverse, il y a évidemment des cas de «démission sans dissolution» le gouvernement
voit réformer sa composition à la suite de démissions individuelles; il peut aussi être remplacé
en bloc par une autre équipe ministérielle.
(93) A. EsMEIN, op. cit., p. 118.
(94) A. EsMEIN, op. cit., ibid. et p. 559.
(95) <<Stratégies de crise'' ... , p. 533 : ''Lorsque le peuple a parlé, fût-ce en plusieurs langues
et en termes compliqués, il n'appartient pas à une autorité publique d'en ignorer le message,
moins encore d'en contester la légitimité en provoquant un retour aux urnes».
916 LES PROCÉDURES DE CRISE

Le deuxième phénomène a trait aux travaux des assemblées dis-


soutes. La loi du 5 mai 1999 précise <<les effets de la dissolution des
chambres législatives à l'égard des projets et propositions de loi))
qui ont été déposés antérieurement. En principe, ils sont non ave-
nus. Le travail parlementaire recommence à zéro.
<<Une loi peut, cependant, désigner, parmi les projets de loi qui
ont été adoptés au cours de la législature précédente par une des
deux chambres législatives fédérales, ceux dont l'autre chambre
législative fédérale est saisie, sans nouveau renvoi ... )) (art. 2). Sur
les modalités d'examen du texte ainsi relevé de caducité, voy. les
articles 3 et 4 de la même loi.
1099. - L'ajournement est une procédure tombée en désuétude. Cette
mesure était considérée, au siècle dernier, comme le préalable à une dissolution,
puisqu'elle se bornait à suspendre le déroulement d'une session parlemen-
taire (96). L'ajournement qui est prononcé par le roi ne peut avoir pour effet de
réduire à moins de quarante jours la durée annuelle du travail des chambres
(Const., art. 44, al. 2). Il ne peut excéder un mois, ni être renouvelé dans la
même session sans l'assentiment des chambres. Il doit toujours viser les deux
assemblées à la fois (Const., art. 45).

1100. - En tant que tel, un parlement de communauté ou de région ne peut


être dissous. Il est en mesure de contraindre le gouvernement qu'il a élu à démis-
sionner. Ce même gouvernement ne dispose pas à son égard d'<< armes de rétor-
sion>).
Il n'appartient pas non plus à une autorité fédérale, telle le roi, de dissoudre
une autorité fédérée, à savoir un parlement de communauté et de région.

1101. - Un conseil communal ne peut être dissous. Ni par une autorité com-
munale, ni régionale, ni fédérale : tel est le signe de son autonomie organique.
<<La réunion ordinaire des électeurs à l'effet de procéder au renouvellement des
conseils communaux a lieu de plein droit tous les six ans, le deuxième dimanche
d'octobre>) (L. él. corn., art. 79, al. l ec); des élections extraordinaires peuvent
avoir lieu, mais c'est uniquement à l'effet de pourvoir aux places devenues
vacantes et aux places nouvellement créées (art. 7, al. 2).

(96) Sur la pratique de l'ajournement en France : <<Le but poursuivi est facile à saisir. Un
conflit a éclaté entre le gouvernement et le parlement; en suspendant la session, le président (de
la République) peut espérer ramener le calme dans l'esprit des représentants qui, nécessairement,
se mettront, dans l'intervalle, en rapport avec leurs électeurs. On peut se demander s'il n'y a pas
là une illusion et si l'ajournement, comme l'indiquait M. LABOULAYE, ne se présenterait pas tou-
jours comme le préambule d'une dissolution de la Chambre des députés. C'est ainsi qu'il s'est pré-
senté en fait la seule fois qu'il en ait été fait usage, au mois de mai 1877 » (A. ESMEIN, op. cil.,
p. 552).
LA DÉFINITION DES CRISES 917

Un conseil provincial ne peut non plus être dissous. Ni par le gouverneur, ni


par le gouvernement régional, ni par le roi.
En conséquence, <<la réunion ordinaire des colléges électoraux à l'effet de
pourvoir au renouvellement des conseils provinciaux a lieu le même jour que
celui fixé pour le renouvellement des conseils communaux (loi organique des
élections provinciales, art. 29).

§ 3. - Les données extrinsèques

A. - Le cas fortuit et la force majeure


1102. - A la différence du droit privé, le droit constitutionnel
ne se préoccupe pas d'indiquer quelles conséquences juridiques s'at-
tachent à la survenance d'un cas fortuit ou d'une situation de force
majeure dans l'activité des pouvoirs publics. A fortiori, il reste en
défaut de préciser comment l'existence et le fonctionnement des
autorités publiques sont affectés par ces circonstances (97). Com-
ment expliquer ce silence? Suffit-il d'observer que<< gouverner, c'est
prévoir >> et que le droit public ne saurait, par surcroît, prémunir les
institutions contre l'imprévu, voire l'imprévisible?
La science constitutionnelle est, par nature, rebelle au cas fortuit,
et surtout à la force majeure. Elle a vocation d'établir les règles
d'organisation et de fonctionnement des pouvoirs publics. Elle se
donne pour mission de consacrer le statut des citoyens. Elle vise à
placer ces principes et ces normes en dehors, non seulement de toute
intervention anarchique, mais aussi de toute révision impromptu.
Comment tolérer que cet assemblage institutionnel puisse être remis
en cause par la force majeure qui traduit l'irruption dans la sphère
juridique du fait brut, non programmable et non maîtrisable? Com-
ment accepter le bouleversement par la force des institutions éta-
blies? Il y a antinomie entre l'ordre juridique démocratique et l'im-
provisation que secrète la reconnaissance de données extrinsèques
au système constitutionnel.
Des efforts sont néanmoins accomplis, sinon pour prévoir l'impré-
visible, du moins pour en ménager l'éventualité et pour en détermi-
ner, autant que faire se peut, les conséquences. La maladie ou le
décès du titulaire d'une fonction publique ont été envisagés, au

(97) Sur ce thème, voy. G. CAMLJH, L'état de nécessité en démocratie, Paris, L.G.D.J., 1965;
R. EIWEC, <<L'état de nécessité en droit constitutionnel belge>>, in Le nouveau droit constitut·ionnel,
Bruxelles, Bruylant et Louvain-la-Neuve, Academia, 1987, p. 149.
918 LES PROCÉDURES DE CRISE

moins pour partie (n" 1054). Il faut aller plus loin. Il y a d'autres
cas d'impossibilité d'agir. Il y a aussi des périls plus vastes, liés à
la guerre et à ses développements. Il faut encore tenir compte des
dangers graves qui peuvent assaillir une nation et compromettre ses
intérêts vitaux. Sur tous ces terrains, le droit public construit à pas
mesurés une doctrine.
1103. - Une hypothèse est envisagée par la Constitution.
Qu'advient-il << si le roi se trouve dans l'impossibilité de régner ... >>?
L'article 82 de la Constitution a été compris, pendant plus d'un
siècle, comme signifiant que le chef de l'Etat ne peut, s'il est grave-
ment atteint par la maladie, exercer les pouvoirs qui lui reviennent
(n" 1054). Au lendemain de la première guerre mondiale, où
ALBERT 1er s'est engagé personnellement et avec succès dans la
conduite de l'armée, Maurice VAUTHIER ne peut s'empêcher de
poser cette question. Comment l'Etat aurait-il été gouverné si, à
l'occasion de ces opérations militaires, le roi eût été fait prisonnier?
La doctrine répond. Le chef de l'Etat aurait été mis momentané-
ment dans l'impossibilité de remplir la fonction que la Constitution
lui assigne. Devant cette impossibilité << matérielle >> de régner, il eût
été logique d'appliquer << par analogie >> les procédures prescrites à
l'article 93 de la Constitution et d'organiser en conséquence la sup-
pléance (98).
Ce qui n'était qu'hypothèse d'école en 1919 se trouva établi en
1940. Voyez l'arrêté du 28 mai 1940 : <<Au nom du peuple belge, vu
l'article (93) de la Constitution, considérant que le roi est sous le
pouvoir de l'envahisseur, les ministres réunis en conseil, constatent
que le roi se trouve dans l'impossibilité de régner>> (Mon. b. des 18
au 30 mai 1940) (99).

(98) M. VAUTHIER. obs. sous Cass., 11 février 1919, Rev. Adm., 1919, p. 201. Adde : Cass.,
30 décembre 1918, Pas., 1919, p. 47. <<La captivité du roi, écrit Marcel VAUTHIER (Rev. Adm.,
1943-1944, p. 204), mettait une entrave matérielle à l'exercice des prérogatives de la Couronne,
au moins aussi grave que l'incapacité intellectuelle >>.
(99) L'application de l'art. 93 n'a pu cependant être littérale : l'impossibilité de régner est
constatée par les ministres, et non par des experts; la désignation d'un régent est différée jus-
qu'au 20 septembre 1944; la nomination d'un tuteur n'est évidemment pas envisagée; la réunion
des chambres ne peut avoir lieu ..
LA DÉFINITION DES CRISES 919

Au-delà des données de l'espèce (100), c'est le raisonnement tenu


qui importe. La crise suscitée par le développement d'un conflit
armé sur le territoire de la Belgique et par la paralysie qu'il a
entraînée de certaines autorités publiques ne peut être résolue si l'on
s'en tient à une interprétation rigoriste des dispositions de la Consti-
tution : l'hypothèse n'a même pas été envisagée ... Elle ne peut non
plus trouver de solution satisfaisante d'un point de vue juridique si
l'une ou l'autre autorité, et pourquoi l'une plutôt que l'autre ?,
s'empare de la fonction vacante et l'exerce, il faut le supposer, aux
fins de préserver les intérêts généraux de la nation.
Puisqu'il n'est possible de supprimer ni les causes, ni les effets de
la crise, il faut à tout le moins mettre en place des procédures qui
permettent à des autorités investies d'un titre régulier de compé-
tence d'exercer, outre leurs fonctions habituelles, celles qui revien-
nent à d'autres, momentanément dans l'incapacité d'agir.
D'où tireront-elles cette investiture temporaire, sinon de la
Constitution? Ces dispositions, interprétées grâce aux différentes
ressources du raisonnement juridique - l'analogie, par exemple - ,
contribuent à donner une réponse sûre et satisfaisante à la question
de savoir qui peut agir valablement en période de crise. La pratica-
bilité du droit constitutionnel ne requerrait-elle pas, malgré tout,
que les solutions soient mieux explicitées et les formes de sup-
pléance mieux définies ?

B. - La guerre et l'insurrection
1104. - Comme l'écrit A. BuTTGENBACH, la Constitution belge
est <<une Constitution de temps de paix>> (101).
Non qu'elle ignore l'agression ou la guerre, voire même les périls
internes (voy. l'art. 196 de la Constitution). Mais, d'une certaine
manière, elle entend en exorciser les effets les plus néfastes, en pro-
clamant que << la Constitution ne peut être suspendue en tout, ni en

(lOO) La Constitution laisse dans l'ombre un ensemble de situations dans lesquelles le titulaire
de l'autorité publique peut être empêché de remplir effectivement ses fonctions. Un ministre
retenu à l'étranger ne peut participer au conseil des ministres du vendredi, un parlementaire vic-
time d'un accident de la route ne peut rejoindre à temps le palais de laN ation pour prendre part
au vote, un magistrat ne peut, pour des raisons de force majeure, tenir audience ou concourir
à un délibéré ... Ce faisant, la Constitution reste aussi en défaut de préciser toutes les consé-
quences juridiques qui s'attachent à ces situations imprévues.
(101) A. BUTTGENBACH, i< L'extension des pouvoirs de l'exécutif en temps de guerre et la révi-
sion de la Constitution belge», B.J., 1935, col. 393 (cité par R. ERGEC, op. cit., p. 145).
920 LES PROCÉDURES DE CRISE

partie >> ( 102). Le système constitutionnel doit fonctionner coûte que


coûte; quelle que soit la gravité des événements de politique inté-
rieure ou étrangère qui peuvent l'affecter, il doit se comporter tel
que la Constitution l'a établi et aménagé.
Ces fières affirmations n'ont pas prévalu sur les situations pertur-
bées que la Belgique a connues à l'occasion des deux guerres mon-
diales (103).
Dès 1914, le territoire de la Belgique est envahi par les troupes
allemandes qui occupent la plus grande part de celui-ci. Si le roi et
ses ministres sont libres de leurs mouvements, à La Panne ou au
Havre, les chambres législatives, elles, se trouvent empêchées de se
réunir; de leur côté, les tribunaux poursuivent l'exercice de leurs
missions et les administrations pourvoient à la satisfaction des inté-
rêts publics les plus essentiels. En somme, seul le pouvoir législatif
est pour des raisons qui tiennent à son organisation collégiale dans
l'impossibilité d'assumer tout ou partie des fonctions qui lui revien-
nent : les fonctions de législation, d'administration des moyens et de
contrôle politique, en particulier, sont paralysées.
En 1940, la situation militaire est plus dégradée encore. L'armée
belge capitule le 28 mai 1940. Le roi, resté à la tête de ses troupes
contre l'avis de ses ministres, est fait prisonnier. Les ministres se
trouvent à l'étranger à Bordeaux, puis à Londres. L'administration
passe sous le contrôle de l'ennemi. Quant aux chambres, elles sont
à nouveau mises dans l'impossibilité de se réunir. Cette fois, la
situation est plus préoccupante encore : la plupart des autorités
publiques sont mises hors d'état de fonctionner; l'activité de l'Etat,
en ce qui concerne la fonction gouvernementale, la fonction légis-
lative, la fonction de contrôle politique, est gravement compromise.

(102) Une interprétation littérale de la Constitution permettra peut-être de soutenir que J'ar-
ticle 187 fait obstacle à ce qu'une autorité belge entreprenne de décider la suspension de la
Constitution, mais n'entend pas exclure que la Constitution se trouve. pour des circonstances
indépendantes de la volonté même des autorités, suspendue de facto.
(103) R. ERGEC relève que, dès l'indépendance, Je gouvernement belge s'est trouvé confronté
à l'état de guerre. <<En 1831, après avoir dénoncé J'armistice, les Hollandais envahirent le jeune
Etat. LÉOPOLD I'' demanda et obtint de la France l'intervention de son armée pour repousser
l'ennemi hors du territoire national. Le roi ne pouvait se prévaloir d'aucun acte du pouvoir légis-
latif autorisant une telle intervention conformément à l'article (185) de la Constitution. Le
Congrès national qui exerçait Je pouvoir législatif n'était pas assemblé et le temps manquait pour
le réunir. Entre deux valeurs en conflit, Je respect des prescriptions constitutionnelles et la sauve-
garde de l'Etat, le roi opta pour la seconde. Dans une adresse ultérieure au roi, la Chambre des
représentants approuva implicitement cette brèche nécessaire au prescrit constitutionnel» (op.
cit., p. 146).
LA DÉFINITION DES CRISES 921

Ce bref rappel suffit à indiquer que le droit public ne peut ignorer


la guerre et doit intégrer les hostilités parmi les circonstances de
crise qui perturbent l'aménagement constitutionnel.
1105. - Encore convient-il de préciser ce qu'est la guerre, au
sens du droit public (104).
Aux termes de l'article 58 du Code de procédure pénale militaire
(du 15 juin 1899), le temps de guerre commence au jour fixé par
arrêté royal pour la mobilisation de l'armée; il prend fin au jour
fixé par arrêté royal pour la remise de l'armée sur pied de paix.
Cette période ne coïncide pas nécessairement avec celle d'hostilités
armées, sur le territoire ou à proximité du territoire belge; ainsi, au
moment de la seconde guerre mondiale, le temps de guerre a duré
près de dix ans, soit du 26 août 1939 au 1er juin 1949.
Durant le temps de guerre, l'état de siège, qui apparaît comme un
temps de guerre renforcé, peut être proclamé par le roi, sur avis
conforme du conseil des ministres; il s'applique à tout ou partie du
territoire (arrêté-loi du 11 octobre 1916, art. 2).
1106. - Il est communément affirmé que la Constitution ne
connaît pas l'insurrection, soit cette forme de guerre civile qui
conduit un ensemble de citoyens à se dresser contre les autorités
établies et à tenter de conquérir le pouvoir par la force. L'ar-
ticle 196 de la Constitution laisse néanmoins entendre qu'en dehors
du temps de guerre, il est des hypothèses où l'exercice du pouvoir
peut être gravement perturbé. C'est le cas <<lorsque les chambres se
trouvent empêchées de se réunir librement sur le territoire natio-
nal >>. Dans cette situation, << aucune révision de la Constitution ne
peut être engagée, ni poursuivie >>.
En déduira-t-on, dans une interprétation a contrario quelque peu
étroite, que l'exercice des autres fonctions collectives n'est guère
affecté par ces circonstances troublées et que les assemblées parle-
mentaires, pour ne prendre que cet exemple, qui ne peuvent assurer
la fonction constituante pourraient, sous la contrainte, faire la loi,
voter le budget et donner leur assentiment à un traité internatio-
. nal ? Ou verra-t-on plutôt dans l'article 196 une sorte de verrou
constitutionnel qui aurait pour vertu de déclarer par anticipation
que toute révision entamée ou réalisée dans un tel contexte institu-

(104) Sur ce thème, voy. W.J. GANRHOF VAN DER MEERSCH et M. DIDERICH, ''Les états d'ex-
ception et la Constitution belge •>, Ann. dr. sc. pol., 1953, pp. 49 s.
922 LES PROCÉDURES DE CRISE

tionnel serait nulle et non avenue? Ce qui laisse entière la question


de l'exercice d'autres responsabilités politiques.
<<L'état de siege politique>>, pour utiliser l'expression de
W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH et M. DIDERICH, n'est pas ignoré
du droit public. La Constitution reste en défaut, néanmoins, de pré-
ciser qui constate qu'il y a insurrection civile, à partir de quand et
jusqu'où elle existe, quelles conséquences juridiques précises s'y
attachent. Il est à présumer que les autorités chargées de maintenir
l'ordre public sont tenues de le préserver ou de le restaurer en fai-
sant usage des pouvoirs de police qui leur reviennent. Si leurs
efforts ne sont pas victorieux, un gouvernement insurrectionnel
prend le pouvoir et anéantit tout ou partie de l'ordre constitution-
nel ancien. Prévoir l'insurrection ne garantit pas de la mater ...

C. -Le danger public


1107. - En dehors de la guerre et de l'insurrection, est-il des
événements qui puissent affecter profondément le fonctionnement
du système constitutionnel ? L'article 15 de la convention euro-
péenne des droits de l'homme et l'article 4 du pacte international
relatif aux droits civils et politiques permettent aux Etats contrac-
tants de déroger aux dispositions de ces instruments internationaux
en cas de guerre, mais aussi <<d'autre danger public menaçant la vie
de la nation>>. Qu'est-ce à dire?
La menace qui pèse sur l'Etat peut avoir une origine naturelle,
relève G. CAMUS (105). Il s'agit de faire face à un fléau, à une cala-
mité, à une épidémie. Toutes les prescriptions de la Constitution
pourront-elles être respectées à l'occasion des opérations de lutte
contre ces dangers ?
La menace peut aussi être de nature économique ou sociale. Une
crise financière grave, l'atteinte portée à un secteur économique
d'importance stratégique, des désordres sociaux persistants peuvent
avoir pour conséquence de perturber profondément la vie de l'Etat.
Pas seulement sous l'angle économique et social, mais aussi d'un
point de vue institutionnel. Sur le moment même, le fonctionne-
ment de plusieurs autorités peut être entravé. Comment respecter,
en l'occurrence, une stricte constitutionnalité?

(105) G. CAMUS, op. cit., p. 246.


LA DÉFINITION DES CRISES 923

<< Y a-t-il une commune mesure entre, d'une part, des crises localisées dans le

temps et l'espace, pour lesquelles il est possible de définir de manière précise les
risques encourus ainsi que les remèdes envisageables et, d'autre part, la pertur-
bation de la chaîne alimentaire - 'de la fourche à la fourchette', comme disent
certains- qui, par définition, s'étale dans le temps, ne connaît pas de frontières
dans l'espace, touche tant les circuits de production que les filières de distribu-
tion et même les habitudes de consommation, ce qui appelle éviaemment des
réponses multiples s'inscrivant dans le court, le moyen et le long terme 1 >> («La
gestion de la crise par le gouvernement ... >>, cité).

Des événements politiques d'ordre intérieur peuvent encore inter-


venir. Ils ne débouchent pas sur une insurrection, mais s'inscrivent
cependant en opposition avérée au fonctionnement des autorités
constituées. Un coup de force pourrait, si l'on n'y prend garde, être
déclenché. Comment lutter efficacement contre << les ennemis de la
liberté>>?
Une difficulté qui n'est pas seulement d'ordre procédural ( l 06) ne
saurait être ignorée. Qui peut décider de l'état d'urgence? Qui peut
constater qu'un danger réel est présent? Qui peut prendre les
mesures de sauvegarde qu'impose la situation? Le droit belge est
particulièrement lacunaire à ce propos.

SECTION II. -L'INTENSITÉ DES CRISES

1108. - Comment ne pas observer que, sous le vocable généri-


que de << crise>>, se cachent un ensemble de situations fort diffé-
rentes? La dissolution des chambres ne saurait se comparer avec
l'indisponibilité d'un échevin, l'invasion du territoire avec la démis-
sion d'un fonctionnaire ...
Plus encore que les circonstances de la crise, ce sont ses répercus-
sions qui sont ici à prendre en compte. Toutes n'affectent pas de la
même manière le fonctionnement du système constitutionnel. Peut-
être une typologie est-elle ici aussi à concevoir?
Il y a, d'abord, les crises politiques qui affectent le choix des titu-
laires du pouvoir (§ l er). Ce choix est remis en cause à raison de cir-
.constances nouvelles. Ou il est contesté pour des raisons d'ordre
politique. Quoi qu'il en soit, il y a lieu de sélectionner de nouvelles

(106) "La première garantie, écrit J. LAMARQUE, c'est qne ce n'est pas un seul homme qui
décide discrétionnairement du caractère anormal de la situation et soit investi des pouvoirs de
crise>>(<< La théorie de l'état de nécessité et l'article 16 de la Constitution de 1958 >>, R.D.P., 1961,
p. 595).
924 LES PROCÉDURES DE CRISE

autorités publiques. Mais, en l'occurrence, la compétence est-elle liée


(A), mesurée (B) ou largement discrétionnaire (C)? Des scénarios
plus ou moins complexes se construisent au départ des réponses pré-
cises qui peuvent être apportées à ces questions.
Il y a aussi les crises politiques qui perturbent l'exercice des fonc-
tions attribuées (§ 2). Une question ne peut manquer d'apparaître.
La perturbation sera-t-elle de courte (A) ou de longue durée (B)?
Est-elle localisée ou de nature à affecter l'exercice d'autres fonctions
(C)? Sans doute pareille appréciation relève-t-elle, pour une part, de
l'analyse politique. Il n'en reste pas moins que le droit constitution-
nel peut également fournir des indications utiles en ce domaine.
Il est enfin des crises politiques qui sont susceptibles d'affecter
moins l'une ou l'autre autorité, dans son organisation ou dans son
fonctionnement, que le système constitutionnel dans son ensemble
(§ 3). Le caractère radical de ce type de crises interpelle le constitu-
tionnaliste : est-il concevable de tenir un discours juridique sur des
activités qui paraissent s'inscrire, par définition, en réaction contre
un régime établi? Ici encore, la question de l'intensité de la crise ne
peut être éludée. S'agit-il de porter atteinte à un élément de l'Etat
(A) ou de son régime constitutionnel (B) ou, plus fondamentalement
encore, d'attenter à l'Etat belge in globo (C)? Les issues de la crise
dépendront de ce premier diagnostic.

§ l er. - Le renouvellement des titulaires


du pouvoir

A. - Les compétences liées

1109. - La crise qui surgit peut ne laisser aux autorités publi-


ques aucune marge d'initiative. Les procédures à suivre et les choix
à opérer sont dictés d'avance. La Constitution ou la loi ont prévu
la crise, elles en ont programmé le déroulement et, pour autant que
leurs dispositions soient correctement appliquées, elles en prévoient
concrètement l'issue.
Il est permis d'en donner quelques exemples significatifs. Le roi
meurt ou renonce à ses fonctions : pour autant qu'il prête le ser-
ment constitutionnel, son successeur, désigné selon les modalités de
l'article 85 de la Constitution, est appelé, dans les dix jours, à occu-
per le trône; son nom est inscrit en filigrane du texte constitution-
LA DÉFINITION DES CRISES 925

nel (no 427). Un parlementaire meurt ou renonce à ses fonctions :


après vérification des pouvoirs, un suppléant qui a été élu en même
temps que lui lors du scrutin législatif est amené à le remplacer; son
nom figure déjà dans les dossiers tenus par les services de l' assem-
blée concernée.
De cette manière, la crise se résout sans heurts, sans retard exces-
sif, sans tergiversations inutiles. La permanence de la fonction
royale est préservée, l'exercice sans. à coup de la fonction parlemen-
taire est garanti. Ces solutions simples sont concevables là où le
remplacement d'une seule personne est en cause; elles sont plus dif-
ficilement praticables là où il s'agit de substituer un collège ou une
assemblée à un autre.
Ces solutions sont mises en œuvre lorsque les causes de la crise
sont aisément identifiables, mais ne se prêtent pas à application
commode lorsque la crise repose sur des motivations diverses et
complexes et ne pourra être résolue qu'au prix de négociations dont
nul ne connaît l'issue. En ce sens, les compétences liées restent l'ex-
ception. En principe, une crise ne se résout pas d'elle-même. Le
concours qu'apportent à sa solution les autorités qu'elle affecte ne
peut être passé sous silence.

B. - Les compétences mesurées

1110. - La crise qui s'ouvre peut se révéler complexe et pro-


fonde. Cette fois, la Constitution ou la loi ne fournissent guère de
données quant à l'identité des nouveaux titulaires du pouvoir. L'au-
torité qui nomme ou celle qui élit retrouve, dès ce moment, sa
liberté d'agir; elle confie un nouveau mandat à celui qui y a
renoncé, elle refuse sa démission, elle choisit de ne pas le remplacer
ou, au contraire, fait appel à de nouveaux personnages selon les cri-
tères de choix qui lui sont spécifiques ...
Dans l'impossibilité de commander ces choix, la Constitution ou
la loi se préoccupent néanmoins d'en discipliner la procédure. Elle
établit selon quelles modalités les nouvelles autorités devront être
choisies. Chacun ignore qui exercera, en définitive, la fonction
vacante, mais chacun doit savoir comment celui-là sera sélectionné.
Deux exemples illustrent le raisonnement. Le roi meurt sans héri-
tier. Il y a lieu de choisir une nouvelle dynastie. La Constitution
926 LES PROCÉDURES DE CRISE

reste muette sur ce point, ou se contente d'exclure la famille de


NASSAU. Elle organise un régime de suppléance, sous forme de
régence, et prescrit que des chambres renouvelées pourvoient défini-
tivement au trône, en choisissant la nouvelle dynastie.
Les chambres sont dissoutes. Nul ne sait, cela va sans dire, com-
ment les nouvelles assemblées seront composées. La Constitution
prescrit néanmoins que le scrutin ait lieu dans les quarante jours,
et la réunion des nouvelles chambres dans lés deux mois. De son
côté, le Code électoral détaille l'ensemble des opérations qui sont à
réaliser avant, pendant et après le scrutin.
Il n'y a pas place, en l'occurrence, pour l'exercice de compétences
liées - qui dicterait le choix des électeurs? - mais il n'y a pas non
plus mise en œuvre de compétences proprement discrétionnaires. Le
choix qui s'opère pour mettre fin à la crise s'effectue dans des condi-
tions de forme et de fond qui ont été au préalable arrêtées et qui
permettent de décrire ce qu'il est convenu d'appeler un << scénario de
crise 1>. La démarche est esquissée par le droit constitutionnel. Il suf-
fit aux autorités désignées pour ce faire d'inscrire leur action dans
le schéma préétabli.
L'aménagement de compétences mesurées correspond bien à la
finalité de la règle constitutionnelle. Dans un ensemble d'hypothèses
qui touchent au statut du roi ou à celui des assemblées, de telles
compétences sont organisées.

C. - Les compétences discrétionnaires

1111. - Restent les autres hypothèses ... La Constitution ou la


loi n'indiquent pas qui est amené à prendre la relève. Elles ne défi-
nissent guère les procédures selon lesquelles les nouveaux choix
devront être opérés. Elles se bornent à désigner de manière expresse
ou implicite l'autorité qui est habilitée à sélectionner les nouveaux
titulaires du pouvoir. La formule a l'avantage de la souplesse : elle
permet d'adapter le choix aux circonstances politiques et sociales du
moment. Elle offre aussi des inconvénients : la diversité des choix
possibles, la complexité des solutions envisageables, la difficulté de
supputer les chances de succès des différentes formules, sans comp-
ter les pressions de tous ordres qui peuvent s'exercer sur l'autorité
qui est habilitée à choisir, peuvent perturber et retarder les opéra-
tions de sélection.
LA DÉFINITION DES CRISES 927

Le pouvoir de nommer s'exerce normalement dans ces conditions.


L'on a déjà souligné que la part d'appréciation discrétionnaire qui
est inhérente à cette opération était peut-être moins importante
qu'il ne pouvait paraître à première vue. Le roi nomme les
ministres, mais en tenant compte des données complexes de l'arith-
métique constitutionnelle et parlementaire, c'est-à-dire des règles de
parité et de majorité. Le roi nomme les bourgmestres, mais en choi-
sissant, en principe au sein du conseil communal, l'élu qui est sus-
ceptible de recueillir l'appui d'une majorité politique. Le roi nomme
les magistrats de la Cour de cassation, de la Cour d'arbitrage, du
Conseil d'Etat, mais en tirant parti des présentations qui lui sont
adressées. Le parlement de communauté ou de région désigne un
gouvernement, mais en ayant égard aux règles de majorité.

§ 2. ~ La perturbation des fonctions

A. ~ Les crises de courte durée


1112. ~ L'exercice des fonctions publiques peut ne pas être
affecté par une crise politique, pourvu que celle-ci soit localisée dans
le temps et qu'elle soit résolue à brève échéance. Le remplacement
de l'autorité publique défaillante va de pair avec la reprise de ses
activités normales.
Dans ces conditions, la crise ouvre une brève parenthèse dans la
vie de l'Etat ou dans celle d'autres collectivités politiques. Elle n'af-
fecte pas le fonctionnement de l'ensemble des institutions, mais ne
concerne que les modes d'agir d'une seule autorité publique.
Une crise peut être brève parce que la Constitution le veut ainsi.
Elle ne prescrit pas seulement la procédure. Elle fixe aussi les délais.
L'interrègne, pour citer cet exemple, ne peut durer plus de 10 jours;
si, à l'échéance du terme, l'héritier présomptif n'est pas monté sur
le trône, il est censé renoncer à ses droits à la couronne.
Une crise peut aussi être courte parce que les autorités publiques
s'arrangent pour qu'il en soit ainsi (107). Les résultats des élections
sont clairs, pourquoi discuter à l'infini des formules de coalition?
Les préoccupations de quelques formations politiques se rejoignent

(107) Voy., par ex., Chroniques de crise ... , p. ll4 : 'Lorsque le chef de l'Etat s'estime suffi-
samment informé de l'état de la situation et du rapport des forces politiques, lorsqu'il entend que
la crise connaisse un rapide dénouement, il procède à la désignation immédiate d'un formateur >>.
928 LES PROCÉDURES DE CRISE

sur l'essentiel, pourquoi prolonger à l'infini les négociations qui pré-


parent leur accord ?

B. - Les crises de longue durée

1113. - La crise qui s'ouvre peut aussi s'avérer longue. Peut-


être même la Constitution l'a-t-elle voulu ainsi. En cas de vacance
du trône, il y a lieu à renouvellement des· chambres et donc à
absence de pouvoir législatif pendant près de deux mois; en cas de
dissolution des chambres, la campagne électorale dure près de qua-
rante jours; en vue d'une révision de la Constitution, il faut adopter
une déclaration en ce sens, renouveler les chambres et, deux mois
après seulement, procéder aux amendements requis (pour autant
que des majorités qualifiées aient été réunies entre-temps). Toutes
situations où la Constitution prescrit l'écoulement d'une période de
temps pour ménager une discussion suffisante dans l'opinion publi-
que et dans la classe politique. La précipitation est mauvaise
conseillère. La maturation des esprits est de nature à préparer des
solutions démocratiques, aussi sensées que possible.
Indépendamment des délais qu'elle fixe, la Constitution ou la loi
a pu instaurer des procédures de consultation et de décision qui
vont inévitablement retarder l'issue de la crise. Le roi nomme les
bourgmestres (N.L.C., art. 13); mais, pour ce faire, il doit prendre
en considération les résultats des élections communales, il doit rece-
voir les propositions qui lui sont adressées par les majorités qui se
sont révélées au sein des nouveaux conseils, il doit statuer sur les
candidatures qui lui sont soumises, il doit attendre que le juge
administratif tranche les contestations de droit électoral. Toutes
opérations qui peuvent s'échelonner sur plusieurs semaines, sinon
plusieurs mois.
Peut-être aussi les circonstances politiques veulent-elles que la
crise ne puisse se dénouer qu'au prix de négociations laborieuses. Il
se peut, par exemple, que les données de l'arithmétique parlemen-
taire ne permettent que la composition d'une seule coalition gouver-
nementale. Or, les partenaires de l'équipe ministérielle se sont pro-
fondément divisés sur les options à prendre dans des dossiers épi-
neux, ils cultivent une méfiance réciproque, ils se refusent à passer
le moindre compromis. Tout donne à penser que la crise politique
ne pourra être résolue qu'à la longue : il faut restaurer la confiance,
LA DÉFINITION DES CRISES 929

dissiper les malentendus, susciter des consensus, bref, prendre le


temps de jeter les bases d'une action gouvernementale durable.
Il se peut aussi qu'aucune formule précise de coalition ne se des-
sine. La désignation d'un informateur, voire d'un négociateur, aura
notamment pour objet de rapprocher les points de vue, d'engager
de premières discussions, d'ébaucher des équipes et des pro-
grammes ( 108).
La durée même de la crise suscite de profondes perturbations
dans le fonctionnement du système constitutionnel. Une autorité
fait défaut. Elle ne sera pas promptement remplacée. Mais qu'en
est-il de l'exercice de la fonction qui est la sienne (109)? Quel est le
sort des autorités avec lesquelles elle est amenée à collaborer?
Qu'advient-il de leurs responsabilités? La crise cesse d'être ponc-
tuelle. Dans la mesure où elle ne peut être rapidement close, elle
affecte tout le système de gouvernement.

C. - Les crises en chaîne


1114. - Le développement en chaîne des crises constitution-
nelles peut avoir une signification institutionnelle.
Voici une crise qui affecte une autorité déterminée, et donc les
responsabilités qu'elle assume. Elle va avoir des répercussions qui
portent atteinte à l'existence d'autres autorités et à l'accomplisse-
ment d'autres fonctions. Parfois même, par un effet << boule de
neige >>, elle porte préjudice à l'activité d'autorités qui relèvent de
collectivités distinctes.
L'exemple de la dissolution est explicite. Elle affecte les chambres
législatives et le gouvernement fédéral. Elle révoque les assemblées
et limite le champ d'intervention des appareils gouvernementaux à
l'expédition des affaires courantes. Elle appelle les électeurs aux
urnes. Elle mobilise les énergies des formations politiques en fonc-
tion des affrontements électoraux et des débats qui risquent de s'ou-
vrir à l'issue de ceux-ci. Bref une seule et même crise ouverte par
la mesure de dissolution provoque un bouleversement en profondeur
de l'organisation et du fonctionnement des pouvoirs.

(108) Sur le rôle du négociateur, voy. «Stratégies de crise», J.T., 1988, p ..530.
(109) L'autorité gouvernementale est contestée; quelles fonctions va-t-elle remplir en atten-
dant d'être remplacée? Les chambres sont dissoutes; qu'en est-il, en attendant la réunion des
nouvelles chambres, de la fonction de délibération ou de contrôle?
930 LES PROCÉDURES DE CRISE

La réaction en chaîne peut aussi être de nature plus politique.


L'état de tension entre les partis de la majorité ou la pugnacité des
formations de l'opposition peut créer une situation perturbée où les
équipes gouvernementales sont fragiles et les législatures éphémères.
La crise succède à la crise. Trois périodes de l'histoire politique de
la Belgique témoignent, en particulier, de ce phénomène : de 1931
à 1939, huit gouvernements sont appelés à se succéder, de 1945 à
1950, neuf, de 1977 à 1981, sept. Les conditions d'une action exécu-
tive efficace, parce que continue, ne sont pas remplies.

§ 3. - La mise en cause du système constitutionnel

A. - Les atteintes aux autorités constituées


1115. - L'obéissance aux règles et aux injonctions des autorités
publiques est une exigence de vie sociale. << S'il dépend des sujets,
écrit J. DABIN, de commencer par refuser l'obéissance aux mesures
qui ne leur plaisent pas, toute autorité est abolie, l'arbitraire des
gouvernés se substitue à l'arbitraire des gouvernants, et l'on aboutit
à l'anarchie>> (110). C'est dire que les autorités constituées sont pré-
sumées avoir raison, au moins jusqu'à preuve du contraire ( 111). Il
revient aux citoyens de contester la mesure qui leur paraît irrégu-
lière, voire inopportune.
Pour ce faire, il convient qu'ils recourent aux institutions qui sont
chargées des tâches du contrôle juridique et du contrôle politique.
Un recours en annulation sera, selon le cas, introduit auprès de la
Cour d'arbitrage ou du Conseil d'Etat, une action en réparation sera
engagée auprès des tribunaux civils, une plainte sera déposée aux
fins de saisir le juge répressif... Ou bien, une interpellation, relayée
par une campagne de presse, forcera l'autorité à s'expliquer et à se
justifier. Toutes procédures qui s'inscrivent parfaitement dans
l'aménagement d'un système constitutionnel ordonné.
Où la crise surgit, c'est lorsque les citoyens veulent s'en prendre
aux autorités elles-mêmes en dehors des procédures prescrites. La

(llO) J. DABIN, Doctrine générale de l'Etat. Eléments de philosophie politique, Bruxelles, Bruy-
lant et Paris, Sirey, 1939, p. 150.
(111) Le principe d'obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge est rappelé, pour
les autorités constituées, par l'article 91 de la Constitution. Il vaut a fortiori pour les individus.
Sur <• la fidélité que les citoyens doivent à l'Etat et aux institutions du peuple belge>>, voy. égale-
ment l'art. 135bis du Code pénal.
LA DÉFINITION DES CRISES 931

loi pénale s'attache à réprimer les infractions commises à cette occa-


sion. Le Code pénal érige en infractions les attentats et complots
<< contre le roi, contre la famille royale et contre la forme du gouver-
nement>> (art. 101 à 112), ainsi que les outrages et violences<< envers
les ministres, les membres des chambres législatives, les dépositaires
de l'autorité ou de la force publique>> (art. 275 à 282). La loi du
2 mars 1954 se préoccupe, pour sa part, de réprimer <<les atteintes
au libre exercice des pouvoirs souverains établis par la Constitu-
tion>>.

B. - Les atteintes au régime constitutionnel


1116. - Une société démocratique, un système parlementaire,
des structures fédérales ... Chacun des éléments du système constitu-
tionnel de la Belgique peut prêter à discussion, voire à contestation.
Dans une démocratie d'opinion, le débat politique est la règle. La
perspective même de changements profonds dans l'aménagement du
système est inscrite dans la Constitution, avec l'instauration de pro-
cédures de révision. Nul ne saurait s'en formaliser.
Des réserves, cependant, s'imposent d'elles-mêmes. Les citoyens
peuvent contester, en usant des libertés que la Constitution leur
reconnaît, les modes d'organisation du pouvoir ou la manière dont
les autorités publiques exercent leurs responsabilités. Ils ne sau-
raient, cependant, entreprendre de renverser par la force les institu-
tions établies. La règle est formulée, sous la forme d'une disposition
pénale, par la loi du 19 juillet 1934 sur les milices privées. Elle
gagne à être généralisée. Nul ne peut recourir à la force pour expri-
mer ou pour imposer ses idées si légitimes fussent-elles. Dans le
débat politique, l'usage de la violence est générateur d'une crise qui
atteint le régime dans son ensemble. Il convient donc qu'elle soit
proscrite (112).
Les autorités publiques, de leur côté, peuvent se contrôler
mutuellement en mettant en œuvre les techniques que la Constitu-
tion organise à cet effet. Les procédés d'action réciproque qui leur
reviennent leur permettent au besoin de se détruire : une assemblée
renvoie le ministère, le roi dissout les chambres ... Le système peut
paraître équilibré. Il aménagerait un combat à << armes égales >>. Si

(ll2) Voy. aussi l'art. 124, al. 1''', du Code pénal : <<L'attentat dont le but sera d'exciter la
guerre civile, en armant ou en portant les citoyens ou habitants à s'armer les uns contre les
autres, sera puni de la détention extraordinaire>>. Adde : C. Pén., art. 104.
932 LES PROCÉDURES DE CRISE

l'on sait que les mêmes formations politiques sont présentes au gou-
vernement et dans les chambres législatives, il faut admettre, cepen-
dant, qu'un usage abusif des techniques de crise et qu'un prolonge-
ment excessif de leur durée peuvent conduire à un singulier gauchis-
sement des règles constitutionnelles. Celles-ci ne sont plus utilisées
pour résoudre des tensions nées entre les pouvoirs publics. Elles
peuvent contribuer à ébranler la confiance des citoyens dans la
capacité du système constitutionnel de réduire le nombre des crises,
d'en discipliner le cours et d'en contrôler les effets. Selon l' expres-
sion consacrée, le régime de crises endémiques génère la crise de
régime.

C. -Les atteintes à l'existence de l'Etat


1117. - Il va sans dire que la guerre ou l'insurrection peut viser
à porter atteinte, non seulement à la forme ou au statut constitu-
tionnel de l'Etat, mais aussi à son existence. Violant son indépen-
dance, méconnaissant l'intégrité de son territoire, contestant sa sou-
veraineté, l'ennemi extérieur peut préparer une annexion et l'en-
nemi intérieur, une sécession (113). L'une et l'autre opérations por-
tent atteinte à des éléments qui sont de l'essence même de l'Etat.

BIBLIOGRAPHIE

Sur la nomination et la révocation des ministres, on consultera en particulier :


L. DE LICHTERVELDE, «Coutumes de la monarchie constitutionnelle >>, Bulletin de
l'Académie royale de Belgique, 1948, p. 154 et 1949, p. 38; F. DELPÉRÉE, Chroniques
de crise 1977-1982, Bruxelles, Ed. CRlSP, 1983 (et la bibliographie citée, p. 229);
F. DuMoN, << Over enkele grondwettelijke problemen, gerezen tijdens de tweede
wereldoorlog •>, Mededelingen van de Royale Academie, 1983, no 2, p. 1 ; J. GoL,
«Naissance et mort des gouvernements belges au XIXe siècle>>, Ann. Dr. Liège, 1966,
p. 463; C.J. HüJER, Le régime parlementaire belge de 1918 à 1940, Uppsala, 1946;
H. LEMAITRE, Les gouvernements belges de 1968 à 1980, Stavelot, 1982; A. MAST,« La
nomination et la révocation des ministres >>, J. T., 1949, p. 649 ; J. MERTENS, << La
nomination et la démission des ministres>>, Rev. générale belge, 1947, p. 371; Rapport
de la commission chargée d'émettre un avis motivé sur l'application des principes
constitutionnels relatifs à l'exercice des prérogatives du roi et aux rapports des
grands pouvoirs constitutionnels entre eux (10 mars 1949-27 juillet 1949), Mon. b.,
6 août 1949; F. SPAAK, <<La nomination et la révocation des ministres. Le rôle du

(113) Voy. C. Pén., art. 113 s. sur les crimes et délits contre la sûreté extérieure de l'Etat, et
spécialement l'art. 135bis qui s'attache à réprimer « une activité ou une propagande de nature à
porter atteinte à l'intégrité, à la souveraineté ou à l'indépendance du royaume».
LA DÉFINITION DES CRISES 933

Premier ministre», Rev. U.L.B., 1949-1950, p. 70; B. WALEFFE, Le roi nomme et


révoque ses ministres. La formation et la démission des gouvernements en Belgique
depuis 1944, Bruxelles, Bruylant, 1971.

Sur la dissolution des chambres, les études fondamentales sont celles de


J. VELU, La dissolution du Parlement, Bruxelles, Bruylant, 1966; Ph. LAUVAUX,
La dissolution des assemblées parlementaires, Paris, Economica, 1983.

On lira aussi avec profit :


P. ALBERTINI, Le droit de dissolution et les systèmes constitutionnels français, Paris,
P. U.F, 1977 ; J. DE MEYER, << Constitutionele aspecten van de parlementaire ontbin-
ding >>, Res Publica, 1972, p. 183; Ph. LAUVAUX, <<Le droit de dissolution>>, A.P. T.,
1979-1980, p. 246; H. VAN IMPE, <<De huidige betekenis van een parlementsontbin-
ding in het Belgisch Staatsrecht >>, T.B. W., 1964, p. 22.

Sur les situations de guerre, voy. L'administration et la gestion de la crise : le cas


de la guerre, Cahiers d'histoire de l'administration, n" 6, I.I.S.Adm., 2000.
CHAPITRE II
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE

1118. - La crise est sur le point de s'ouvrir. Sans doute même


est-elle, en bien des cas, inéluctable. Elle n'est pas à attribuer à l'in-
tervention d'une autorité publique et aucune d'elles ne saurait en
contrecarrer sur-le-champ les effets : la maladie, le décès, la guerre,
les calamités publiques autant de circonstances où le constat de
crise s'impose, sans commentaire. Ou bien, autre scénario, la crise
qui apparaît dans les relations entre les autorités publiques révèle
un profond désaccord qui ne pourra être dissipé qu'au prix de lon-
gues et prudentes négociations : la crise ne pourra se résoudre qui
si elle se développe dans toute son ampleur.
Mais, troisième cas de figure, pourquoi ne pas chercher à enrayer
le développement de la crise? Des efforts ne peuvent-ils encore être
accomplis pour éviter qu'elle suive son cours, avec des conséquences
préjudiciables pour la gestion des affaires publiques (1)?
L'appréciation discrétionnaire qui revient à l'autorité de choisir
les nouveaux titulaires du pouvoir lui réserve la possibilité de diffé-
rer sa réponse, d'opposer son refus, voire de susciter les concerta-
tions nécessaires aux fins de restaurer l'unité compromise. De
manière plus ambitieuse, le droit constitutionnel peut s'attacher à
rationaliser ses procédures aux fins d'assurer une prévention des
crises (section 1).
Que faire cependant si les efforts accomplis pour éviter la crise
s'avèrent vains? La crise est désormais ouverte.
Elle va se développer jusqu'à complet dénouement. Un impératif
majeur apparaît alors. Il faut assurer la gestion des crises (sec-
tion 2). Il ne faut pas les laisser se développer selon des procédures
anarchiques. Il ne faut pas que leur déroulement compromette inu-
tilement la gestion des affaires publiques. Il faut éviter, en particu-
lier, qu'elles ne créent, pour un temps, de larges brèches dans le sys-

(l) Ces tentatives sont vaines là où la Constitution et la loi ont dicté des solutions toutes
faites ou la marche à suivre pour sortir rapidement de la crise.
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 935

tème constitutionnel qu'il ne sera pas possible de colmater avant


longtemps.
Si crise il doit y avoir, qu'elle ait lieu, mais qu'elle n'emporte pas
avec elle des effets qui seraient disproportionnés par rapport à ses
causes! Des formules s'esquissent ici pour discipliner autant que
faire se peut le cours de la crise.
Chacune de ces matières est peu informée par le droit constitu-
tionnel. Des pratiques, pourtant, se développent << au fil des crises>>.
Toutes n'ont pas encore le niveau de précision qui leur donnerait
rang de règles coutumières. Le droit public est ici en chantier.

SECTION pe_ - LA PRÉVENTION DES CRISES

1119. - Dès l'ouverture d'une crise, diverses autorités peuvent


s'employer à en éviter le développement.
Des procédures de résorption peuvent être mises en œuvre (§ l er).
Un refus précis est opposé à l'ouverture même de la crise. C'est ainsi
que le roi est habilité à refuser la démission d'un ministre (A) ou
d'autres personnes investies d'une fonction publique (B). D'autres
refus, plus exceptionnels, sont concevables (C).
Des procédures de temporisation (§ 2) permettent, de leur côté,
d'éviter un déclenchement brutal de la crise. Saisi d'une demande
de démission, le roi peut différer sa réponse et, par là, retarder l'ou-
verture de la crise (A). Il peut s'interroger, et interroger d'autres,
sur les conditions dans lesquelles la crise pourrait se développer (B).
Des consultations peuvent être organisées à cet effet; le conseil des
ministres ou le conseil de gouvernement peuvent délibérer de la
question; d'autres avis encore, notamment d'ordre juridique, peu-
vent être sollicités (C). Toutes démarches qui peuvent aider à res-
taurer la stabilité gouvernementale.
Ces tentatives peuvent paraître désordonnées et laissent peut-être
trop de place à l'improvisation, à l'imagination, mais aussi à l'inac-
tion des partenaires constitutionnels. Ne convient-il pas, en ce
domaine, d'établir des solutions plus institutionnelles? Des procé-
dures de rationalisation (§ 3) sont souvent citées en exemple : les
perspectives du gouvernement (A) ou du parlement de législature
(B) sont évoquées; peut-être même gagneraient-elles à être combi-
nées (C)?
936 LES PROCÉDURES DE CRISE

§ l er. - Les procédures de résorption

A. - Le refus de la démission d'un ministre


1120. - Lorsqu'un ministre envisage de quitter ses fonctions, il
présente sa démission au roi. Celui-ci peut l'accepter. Il est même
des cas où il doit l'accueillir, sans autre forme de procès. Mais, en
dehors des cas de démission obligée, le roi garde la faculté de refuser
la proposition de retrait de charge. Il appartient au ministre démis-
sionnaire de poursuivre sans désemparer l'exercice de ses fonc-
tions (2).
On ne saurait se méprendre sur la portée de l'opération. Une fois
de plus, la décision royale ne peut exprimer une préoccupation per-
sonnelle, en particulier l'estime dans laquelle il tiendrait l'un de ses
ministres. Ici comme ailleurs, le roi n'agit qu'avec le concours d'un
ministre et se préoccupe de trouver des solutions qui correspondant,
non à ses desiderata, mais aux préoccupations de l'opinion publique
et donc de la majorité parlementaire.
Plusieurs hypothèses méritent d'être distinguées.
Un ministre fédéral est amené à démissionner, pour des raisons
qui lui sont propres ou pour des motifs politiques. Il se peut que le
roi refuse, avec l'assentiment du Premier ministre, pareille démis-
sion. Sa décision exprime alors la volonté du gouvernement de ne
pas modifier ses équilibres internes et de ne pas provoquer, fût-ce
à l'occasion d'un seul départ, une renégociation des affectations
ministérielles.
Plusieurs ministres présentent au roi leur démission. Le plus sou-
vent, ce geste de mauvaise humeur politique témoigne du souci d'un
groupe de ministres de se distinguer vis-à-vis de leurs collègues.
Conçoit-on que le roi se borne à refuser cette démission, assuré qu'il
est de l'appui du reste du gouvernement? Cette attitude serait irréa-
liste, puisqu'elle ignorerait l'éclatement de la coalition et, selon
toute vraisemblance, de la majorité. Dans ce contexte, le refus de
démission ne peut se concevoir que si l'ensemble des membres du
gouvernement sortant acceptent de siéger dans un gouvernement
transitoire à <<programme et durée limités >>, aux fins par exemple de

(2) Comme le souligne B. WALEFFE (op. cit., p. 141), <<formellement, le refus de la démission
d'un gouvernement dans son intégralité ne fait l'objet d'aucun acte officiel, en dehors d'un com-
muniqué du palais. Malgré l'absence de contreseing écrit, le Premier ministre doit assumer la res-
ponsabilité de cet acte politique du Souverain ».
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 937

préparer une déclaration de révision de la Constitution dont on sait


qu'elle entraînera la dissolution des chambres et, à terme, la compo-
sition d'un nouveau gouvernement (3).
Le gouvernement, dans son ensemble, propose sa démission au
roi, mais ce dernier la refuse avec l'assentiment du Premier
ministre, quelques heures ou quelques jours plus tard. L'opération
se résume en une fausse sortie. Il faut présumer que, dans cette
hypothèse, le Premier ministre ou plusieurs membres du gouverne-
ment, qui avaient pourtant présenté leur démission, ont conseillé au
roi de ne pas l'accepter. Le répit qui leur a été procuré était néces-
saire pour colmater les brèches qui étaient apparues dans l'équipe
gouvernementale.
1121. - Le refus de démission d'un ministre fédéral peut se manifester dès
la présentation de celle-ci. Il peut aussi être opposé après une première accepta-
tion (ou acceptation officieuse) (n° 1142) de la démission.
Une hypothèse particulière doit être rappelée. C'est celle où le Premier
ministre << sortant>>, à l'issue d'une crise ministérielle, est aussi le Premier
ministre <<entrant>>. Comment assurer, en la circonstance, la passation des pou-
voirs? Comment couvrir le roi en chacune des opérations? La difficulté est tour-
née de la manière suivante.
Un premier arrêté royal refuse la démission du Premier ministre démission-
naire; il est contresigné par un ministre du gouvernement sortant. Par un second
arrêté, est acceptée la démission offerte par les autres membres du gouverne-
ment; cet acte est contresigné par le Premier ministre dont les fonctions vien-
nent d'être prorogées. Un troisième arrêté royal, lui aussi contresigné par le Pre-
mier ministre entrant, procède à la nomination des ministres et des secrétaires
d'Etat.

1122. - Une hypothèse particulière doit être mentionnée. En 1940, le roi


refuse la démission du gouvernement PIERLOT. On peut présumer qu'en d'autres
circonstances, l'offre de démission eût été acceptée; elle traduisait la désunion
du cabinet et résultait d'un désaveu des chambres. Des circonstances de politi-
que étrangère, liées à l'imminence d'un conflit armé, conduisent à refuser la
démission du gouvernement.

B. - Le refus de la démission
d'autres autorités publiques
1123. - L'autorité désignée par le procédé de l'hérédité, soit le
roi, peut démissionner. Il abdique. Conçoit-on qu'une autre autorité

(3) Voy. <<Stratégies de erise >> .... p. 526.


938 LES PROCÉDURES DE CRISE

publique intervienne à ce moment, fasse valoir l'inopportunité de


cette décision, voire refuse qu'elle produise ses effets? Aucune règle
constitutionnelle n'existe en ce sens. On présume que le roi ne
démissionnera pas inconsidérément. Sa décision requiert, comme il
se doit, le contreseing d'un ministre.
Les autorités nommées les ministres, les secrétaires d'Etat, les
fonctionnaires, les magistrats, les bourgmestres... peuvent égale-
ment renoncer à leurs fonctions. Leur démission ne produit cepen-
dant aucun effet de plein droit. L'acte unilatéral de nomination ne
peut être défait que par un autre acte unilatéral émanant de la
même autorité. La démission ne manifeste qu'une intention. La
décision appartient à l'autorité qui confère l'investiture, qui pro-
nonce la désinvestiture et qui se voit reconnaître également la
faculté de ne pas accéder à la demande de désinvestiture.
Les autorités élues - les parlementaires, les élus locaux, les
membres des gouvernements de communauté et de région, les éche-
vins, les députés permanents ... - sont, eux aussi, libres de quitter
la charge qui leur a été conférée. On ne conçoit guère qu'ils deman-
dent à leurs mandants une autorisation pour ce faire ou que ceux-ci
leur refusent le droit de démissionner. La loi peut, cependant, préci-
ser à quel moment leur démission produira ses effets (voy. N.L.C.,
art. 4, al. 1 "T

C. -D'autres refus

1124. - Un parlementaire peut démissionner. Un suppléant


prend aussitôt sa place et poursuit l'exercice de la fonction. S'il n'y
a plus de suppléants, ou si ceux-ci démissionnent à leur tour, il est
procédé à une élection partielle pour choisir un nouveau parlemen-
taire.
L'article 106 du Code électoral donne à l'assemblée concernée le
droit de refuser l'organisation de pareil scrutin : c'est à la condition
que la sortie de charge du parlementaire traduise un départ volon-
taire (lorsque la vacance a pour cause soit la démission d'un titu-
laire ou le désistement des suppléants) (art. 106, al. 2) ou ait lieu
dans les trois mois qui précèdent le renouvellement des deux
chambres (n" 1062).
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 939

§ l er_ - Les procédures de temporisation

A. - La démission différée
1125. - A l'ouverture de la crise, un ou plusieurs ministres,
voire l'ensemble des membres du gouvernement, présentent leur
démission au roi. Au lieu de l'accepter aussitôt, celui-ci tient sa déci-
sion en suspens. Un communiqué du palais fait connaître cette
façon de voir. A quoi bon ce délai de réflexion supplémentaire?
Lorsque le roi n'apporte pas immédiatement réponse au gouverne-
ment qui lui présente sa démission, son attitude peut avoir au mini-
mum trois significations.
Dans une première hypothèse, le roi réserve sa réponse pour
exprimer un doute. La crise est-elle réelle, est-elle si profonde qu'on
le dit, une mauvaise humeur passagère ne pourra-t-elle être dissipée
moyennant des éclaircissements circonstanciés sur un point ou sur
un autre? Bref, la situation justifie-t-elle l'ouverture d'une crise?
Une seconde hypothèse est mentionnée. Le roi tient sa décision en
suspens, parce qu'il considère, selon l'expression du langage cou-
rant, que la situation est << grave mais pas désespérée >>. Le temps
qu'il se réserve pour la réflexion et pour la consultation est aussi
celui qu'il offre aux partenaires de la coalition gouvernementale
pour engager, de manière formelle ou informelle, des conversations,
voire des négociations approfondies. A eux de profiter de ces quel-
ques journées supplémentaires pour concevoir les solutions qu'ils
n'ont pas été à même d'élaborer durant les dernières semaines.
Peut-être même l'imminence de la crise incitera-t-elle certains à la
modération et à la conciliation (4)?
Une troisième hypothèse ne peut être négligée. Le roi reçoit la
démission de son gouvernement. Il sait que cette offre ne pourra
être refusée. Mais, pour ne pas instaurer de vacance inutile du pou-
voir gouvernemental, il se préoccupe de précéder l'événement. Il se
donne quelques jours pour recueillir tous avis utiles et pour prépa-
rer la sortie de la crise. De cette manière, s'il doit accepter la démis-
sion du gouvernement en place, il aura à portée de main la solution

(4) Dans cette perspective, le délai de réflexion annonce un refus de l'offre de démission. Les
statistiques sont claires à ce sujet. Depuis 1945. quatre offres de démission ont été tenues en sus-
pens par le roi (le 19 mars 1960, le 8 février 1968, le 16 juillet 1985 et le 14 octobre 1986). Chaque
fois, le roi a refusé que le gouvernement se retire.
940 LES PROCÉDURES DE CRISE

toute faite que peut représenter la désignation d'un nouveau gou-


vernement fédéral.

B. ~ Les consultations
1126. ~ Une crise ministérielle est sur le point de s'ouvrir.
N'est-il pas temps pour le roi d'ouvrir une procédure de consulta-
tion? Il ne s'agit pas pour lui de recueillir, comme à l'occasion de
la formation d'un gouvernement, les premiers avis des milieux poli-
tiques concernés. Mais il lui revient d'apprécier l'ampleur de la crise
qui pourrait s'ouvrir et de contribuer, si possible, avec les moyens
qui sont les siens, à consolider le gouvernement en place. De brèves
consultations permettent de faire le point.
Deux démarches distinctes peuvent ici être engagées.
Le roi peut recevoir une à une (selon la technique du <<confession-
nal ~>) des personnalités du monde politique, économique et social,
en particulier le Premier ministre, les vice-premiers ministres, les
présidents d'assemblée ... Il recueille leur sentiment, leur fait part de
ses préoccupations, juge des possibilités de préserver la stabilité
gouvernementale.
Le roi peut aussi réunir ceux qui, à son point de vue, représentent
au plus haut niveau << les pouvoirs de droit et les pouvoirs de
fait~> (5). L'audience du 31 mars 1981 s'inscrit notamment dans
cette perspective. L'initiative prise à ce moment par le chef de
l'Exécutif est originale à plus d'un titre. D'une part, le roi agit alors
que la crise n'est encore que virtuellement ouverte et à un instant
où la démission du gouvernement n'a pas encore été officieusement
acceptée. Une solution à la crise est esquissée : maintenir en place
la coalition existante et, en cas d'échec de cette tentative, chercher
sans délai une formule de rechange.
D'autre part, le roi donne à sa démarche une solennité et une
publicité particulières. Alors que les consultations sont marquées
d'ordinaire du sceau de la confidentialité (6), l'audience que le roi
accorde à ses interlocuteurs fait l'objet d'une large publicité; la

(5) Le roi reçoit ainsi les présidents des chambres législatives, le Premier ministre, les prési-
dents de dix formations politiques, les représentants d'organisations d'employeurs et de travail-
leurs, les présidents du conseil supérieur des classes moyennes et du conseil national de l' agricul-
ture. Voy. Chroniques de crise ... , p. 130.
(6) A. MoLITOR indique combien la mise en œuvre de pareille procédure de consultation col-
lective peut s'avérer délicate. Elle est susceptible d'affecter la règle de stricte confidentialité qui
commande les rapports du roi avec ceux quïl consulte (op. cit., p. 38).
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 941

presse notamment reproduit, en encadré, l'intégralité du bref mes-


sage que le chef de l'Etat leur adresse. Le roi ne s'attache pas, à ce
moment, à connaître les points de vue que ses interlocuteurs
seraient en droit d'exprimer. Il ne prend pas leur avis. Il donne le
sien. Utilisant les prérogatives constitutionnelles qui lui reviennent
au titre du<~ droit d'avertir)>, il met en garde les responsables politi-
ques, économiques et sociaux - et, au-delà d'eux, l'opinion publi-
que - contre les dangers d'une crise longue qui plongerait une fois
de plus le gouvernement du pays dans les affres de l'instabilité poli-
tique (7).
1127. Au sein du gouvernement lui-même, de nouvelles dis-
cussions peuvent être engagées; peut-être susciteront-elles des
consensus suffisants ? Deux pratiques méritent d'être distinguées à
ce propos.
Dans une prem1ere hypothèse, le Premier ministre d'ordinaire
démissionnaire s'attache à vérifier si la majorité politique qui sou-
tient le gouvernement peut rapidement trouver un terrain d'en-
tente. Il entend mesurer la volonté des partenaires de la coalition
d'encore travailler ensemble. A cette fin, il ouvre une brève négocia-
tion à laquelle il associe quelques-uns de ses ministres, par exemple
ceux qui composent le cabinet de politique générale; il peut égale-
ment convoquer à la table de négociation les présidents des forma-
tions qui appuient la coalition gouvernementale (8).
Dans une deuxième hypothèse, le Premier ministre constate
l'échec de cette ultime négociation. Il reste au gouvernement à se
retirer. Mais dans quelles conditions? Un conseil des ministres, voire
un conseil de gouvernement, est réuni par le chef de la coalition. Il
délibère, de manière brève, des conditions de sa démission. Il s'agit
là d'une pratique récente. Dépourvue de caractère obligatoire, elle
relève de ces mesures de bonne conduite que les formations politi-
ques s'appliquent à respecter au titre des usages. Cette ultime déli-

(7) • Je ne vous demande pas, précise le roi à ses interlocuteurs, de réagir immédiatement sur
ce que je vous dis, mais d'y réfléchir, avec la conscience aiguë du fait que, quelles que soient les
divergences de conception et d'intérêts, le malheur nous rend plus que jamais fondamentalement
solidaires. Prenons tous nos responsabilités >).
(8) Certains y ont vu une manifestation éclatante des phénomènes de particratie. Mieux vaut
inscrire le phénomène dans l'ordre de ceux qui marquent le début de toute crise politique. C'est
un fait : les partis politiques et leurs présidents sont appelés, à l'heure actuelle, à jouer un rôle
essentiel dans l'évolution et dans le dénouement des crises. Face à une crise imminente qu'ouvre
la démission du gouvernement, conçoit-on qu'ils restent silencieux et inactifs?
942 LES PROCÉDURES DE CRISE

bération n'a pas pour objet de réconcilier des formations devenues


antagonistes (9); elle vise surtout à empêcher le Premier ministre de
mettre ses collègues devant le fait accompli en proposant, d'initia-
tive et sans consultation préalable, la démission de son gouverne-
ment au roi.

C. -D'autres avis

1128. - D'autres avis encore peuvent être sollicités. Ils le sont


généralement à l'initiative du gouvernement. Ils visent notamment
à préciser les conditions juridiques dans lesquelles la crise qui est
sur le point d'être déclenchée va se dérouler.
Les problèmes ne manquent pas : quelles sont les attributions
d'un gouvernement démissionnaire, quelle autorité peut engager
une procédure de révision de la Constitution, quelles circonstances
justifient une dissolution des chambres, de quelle manière préserver
la continuité des fonctions de direction et d'administration ... ?
Pour résoudre ces difficultés que les tensions politiques du
moment ne permettent pas toujours d'examiner avec la sérénité
nécessaire, le gouvernement peut recueillir des avis circonstanciés en
droit.
Il s'adresse, via l'un des ministres, à la section d'administration
du Conseil d'Etat et l'invite à répondre à une question administra-
tive non litigieuse (voy. not. les avis du 24 janvier 1978 et du 3 avril
1980 sur la parité gouvernementale en cas de démission, cités in
Chroniques de crise ... , p. 199). Encore faut-il que la question posée
ne risque pas de prêter sur le moment à contestation (l. coord.,
art. 8 et 9).
Il constitue, pour la circonstance, un collège de juristes - des
hauts magistrats ou des professeurs d'université - et sollicite, sur
des points précis ou sur des questions d'ordre général, leur avis.
Voyez en particulier :

(9) Il ne sert à rien, à ce moment, de prolonger les délibérations. Les ministres divisés, hier,
sur les options ou sur les méthodes de l'action gouvernementale risquent de poursuivre, aujour-
d'hui, leurs querelles de procédure en évaluant différemment les opportunités d'une démission.
Pour leur part, les partis politiques auxquels ils appartiennent pressentent des élections immi-
nentes; ils cherchent à profiter de l'opération de démission pour asseoir leur position et pour choi-
sir ce qu'il est convenu d'appeler «un point de chute rentable». Voy. Chroniques de crise ... ,
p. 152.
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 943

l'avis donné, en janvier 1974, par W.J. GANSHOF VAN DER


MEERSCH, M. SoMERHAUSEN, P. WIGNY et J. DE MEYER (Chro-
niques de crise ... , p. 195);
l'avis donné, en mars 1977, par J. DE MEYER, W.J. GANSHOF
VAN DER MEERSCH, w. LAMBRECHTS, M. SüMERHAUSEN, A. VAN-
WELKENHUYZEN et P. WIGNY (ibid., p. 197);
l'avis donné, en mai 1981, par F. DELPÉRÉE, R. DILLEMANS,
R. SENELLE et A. VANWELKENHUYZEN (ibid., p. 210).

§ 3. - Les tentatives de rationalisation


1129. - Les initiatives qu'on rapporte peuvent paraître limi-
tées, et même désordonnées. Le plus souvent, elles ne s'inscrivent
pas dans des règles juridiques précises. Leur mise en œuvre est tri-
butaire de la bonne volonté des autorités publiques. Pour juguler les
crises, ne faut-il pas recourir à des procédures plus institutionnali-
sées? Pour éviter que les conflits entre autorités publiques ne dégé-
nèrent ou ne s'éternisent, ne convient-il pas d'instaurer des méca-
nismes perfectionnés qui commandent et, dans certaines circons-
tances, empêchent le déclenchement des crises?
L'entre-deux-guerres a été marqué par un effort important de
réflexion à ce propos. Il a donné naissance à ce qu'il est convenu
d'appeler avec B. MIRKINE-GUETZEVITCH la doctrine du << parlemen-
tarisme rationalisé >> (lü).
Des expériences constitutionnelles ont été bâties sur cette base.
Comme le relève Ph. LAUVAUX, <<de nouveaux régimes, pour la plu-
part issus de la défaite des Empires centraux, ont tenté de traduire,
par des règles juridiques écrites et des mécanismes formels, les
modes de fonctionnement des systèmes parlementaires et de les
aménager dans une perspective rationnelle>> (11).
Quels sont les traits essentiels du parlementarisme rationalisé ? Ils
sont au nombre de deux. Il s'agit, d'une part, d'éviter l'ouverture
anarchique de crises qui affectent l'existence du gouvernement ou
des chambres. Il s'agit, d'autre part -si la crise n'a pu être évi-
tée - , de lui donner un dénouement rapide en ne laissant pas aux
autorités publiques ou aux formations politiques l'initiative de la

(10) B. MIRKINE-GUETZEVITCH, <<L'échec du parlementarisme rationalisé>>, Revue internatio-


nale d'histoire politique et constitutionnelle, 1954, p. 102.
( 11 ) Ph. LA uv AUX, Parlementarisme rationalisé et stabilité du pouvoir exécutif. Quelques aspects
de la réforme de l'Etat confrontés aux expériences étrangères, Bruxelles, Bruylant, 1988, p. 7.
944 LES PROCÉDURES DE CRISE

manœuvre, mais en prévoyant l'ensemble des opérations qui doi-


vent être accomplies pour procurer une issue à la crise.
Ces préoccupations ont-elles reçu quelque écho en Belgique?

A. - Un gouvernement de législature
1130. - L'attention se porte, par priorité, sur les crises endémi-
ques qui affectent l'existence du gouvernement et qui compromet-
tent la poursuite d'une gestion efficace des affaires publiques. Des
techniques particulières ne pourraient-elles remédier à cet état de
choses, restaurer la stabilité gouvernementale et assurer la pleine
efficacité de l'action des autorités exécutives? Des suggestions (12)
sont avancées pour instaurer le gouvernement de législature.
Il faut, disent les uns, modaliser le droit de la Chambre de ren-
voyer le ministère. Cette faculté ne saurait être utilisée à la sau-
vette. Le renvoi ne pourra être prononcé qu'à la suite du dépôt
d'une motion expresse de censure. Eventuellement, celle-ci devra,
pour être adoptée, recueillir un quorum particulier de suffrages
exprimés (ou, variante, une majorité qualifiée des membres de l'as-
semblée). Un délai de réflexion sera laissé aux parlementaires afin
d'éviter un <<vote d'humeur>>. Peut-être même un second vote,
confirmant le premier, sera-t-il requis pour signifier au ministère le
renvoi collectif dont il est l'objet.
Il faut, ajoutent d'autres, modaliser le droit du gouvernement de
démissionner. Il ne peut se retirer quand il veut et comme il veut.
Il faut préciser les conditions de fond auxquelles doit répondre
l'offre de la démission. Il convient aussi d'indiquer les conditions de
forme qu'elle doit respecter pour être valable. On souhaite, par
exemple, que le conseil des ministres puisse, à chaque crise, délibé-
rer du point de savoir s'il convient, et dans quel délai, de remettre
au roi la démission du gouvernement; ou l'on exprime le vœu
qu'une communication aux chambres officialise le souhait exprimé
par les ministres de se retirer.
Il faut, précisent encore d'autres, amender le pouvoir du roi de
nommer les ministres et d'accepter leur démission. Il faut associer
les chambres ou l'une d'elles à l'opération de composition du gou-
vernement. Il faut donc corriger la prérogative qu'a la Chambre

(12) Voy. not. C. DAUBIE, <<Parlement et gouvernement de législature ou les perspectives


d'une révision de l'article 71 de la Constitution belge>>, A. D. Lv., 1980, p. 37.
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 945

de renvoyer ce dernier, par l'obligation qui lui serait faite de dési-


gner concomitamment un nouveau ministère. On reconnaît là une
procédure calquée sur l'article 67 de la Loi fondamentale allemande
de 1949. La défiance doit être constructive : le Bundestag ne peut
contraindre le Chancelier à démissionner que s'il se révèle capable
de lui désigner un successeur (13).
Il faut, indiquent les plus interventionnistes, renverser<< la charge
de la preuve~>. Un gouvernement est censé jouir de l'appui d'une
majorité parlementaire. Il ne convient pas, dans ces conditions,
qu'il s'expose au risque de ne pas voir accepter une motion de
confiance. Il lui suffit d'attendre qu'une motion de censure soit
déposée à son encontre. Celle-ci ne recueille-t-elle pas les majorités
requises? Il faut présumer que le programme général du gouverne-
ment, et même des projets précis, reçoivent l'aval des assemblées
parlementaires. L'équipe au pouvoir se trouve consolidée. On recon-
naît ici une procédure calquée sur l'article 49, alinéa 3, de la Consti-
tution de la ye République : << Le seul moyen de pression assorti de
sanctions dont dispose le Parlement à l'égard du gouvernement se
ramène à la motion de censure~> (14).
Les articles 46 et 96 de la Constitution s'efforcent d'apporter
réponse, sur des points particuliers, à ces questions. Ils n'instaurent
pas un véritable gouvernement de législature mais combattent l'ins-
tabilité gouvernementale.

B. - Un parlement de législature
1131. - D'autres préoccupations sont souvent exprimées dans
le débat politique. Ne convient-il pas d'instaurer un parlement de
législature ( 15)?
L'expression surprend à plus d'un titre. La notion même de parle-
ment n'est pas reçue en droit public belge; celui-ci tend à privilégier
l'autonomie organique et fonctionnelle de chacune des chambres-
d'où l'idée que les assemblées peuvent être dissoutes, soit simultané-
ment, soit séparément - . La notion de législature renvoie par ail-

(13) Ph. LAUVAUX, op. cit., p. 56.


(14) J.L. QUERMONNE, Le gouvernement de la France sous la v· République, Paris, 1983,
p. 234, cité par Ph. LAUVAUX, op. cit., p. 52.
( 15) La proposition paraît singulière. La stabilité parlementaire est inscrite dans les faits. Sur
une période de trente ans, seules neuf dissolutions ont été prononcées. La plupart d'entre elles
étaient décidées pour amorcer le processus constitutionnel. ~~n moyenne, la législature se poursuit
jusqu'aux 3/4 de sa durée.
946 LES PROCÉDURES DE CRISE

leurs à la période de quatre ans pour laquelle les parlementaires


sont en principe élus; mais la législature peut être écourtée par une
mesure de dissolution. Il faut sans doute comprendre la proposition
de la manière suivante : en cours de législature, les deux chambres
ne pourraient être dissoutes. Ou - variante - elles ne le seraient
que selon des modalités restrictives.
La formule la plus radicale revient à priver le roi du droit de dis-
solution (16). Elle laisse sans réponse la question des dissolutions
automatiques, notamment celles qui ont pour objet de préparer la
révision de la Constitution. Elle prive surtout les autorités gouver-
nementales du droit de répliquer, par une menace ou une mesure de
révocation collective, à des interventions parlementaires intempes-
tives.
Une formule plus nuancée conduit à ne pas toucher aux préroga-
tives du roi en matière de dissolution, mais à en assortir l'exercice
de conditions strictes. <<Ainsi, note le sénateur VAN DER ELST, on
pourrait prévoir que l'impossibilité de maintenir le gouvernement
en place, ou de constituer un nouveau gouvernement ... devra appa-
raître à la suite d'un débat au Parlement ... Il y aurait lieu de pré-
voir un délai de réflexion >> ( l 7).
La stabilité parlementaire pourrait aussi être renforcée si d'autres
conditions de forme et de fond étaient mises à l'exercice du droit de
dissolution. Sur le plan de la forme, le pouvoir exécutif dans son
ensemble pourrait être associé plus étroitement à la procédure : une
délibération en conseil des ministres pourrait avoir cet objet. Sur le
plan du fond, on peut se demander s'il est opportun de maintenir
le gouvernement en fonction lorsque les chambres sont dissoutes à
son initiative et s'il ne faut pas, en droit ou en fait, lier plus étroite-
ment leurs sorts. Seul un gouvernement démissionnaire pourrait
alors proposer au roi de procéder à la dissolution des chambres légis-
latives.
L'article 46 de la Constitution n'instaure pas le parlement de
législature mais s'attache à indiquer de manière limitative les cir-
constances dans lesquelles une dissolution facultative pourra inter-
venir à l'initiative du roi (n° 1089).

(16) Il s'agit, note Ph. LAUVAUX, d'instaurer<< une quasi-intangibilité des mandats parlemen-
taires'' (op. cit., p. 176).
(17) Doc. parl., Sénat, lOO (S.E. 1979), n" 68.
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 947

C. - Un gouvernement et un parlement
de législature
1132. - L'une et l'autre suggestions peuvent aussi être rete-
nues. Pourquoi ne pas instaurer un régime où, en même temps, le
gouvernement et les assemblées seraient assurés de la stabilité, à
concurrence de quatre ans ?
A la limite, le ministère ne peut être renvoyé en cours de légis-
lature; les chambres ne peuvent être d~ssoutes moins de quatre ans
après des élections législatives; la démission du gouvernement n'est
guère envisageable, puisque c'est la même majorité parlementaire
qui doit lui apporter son appui. Bref, tout est figé pendant quatre
ans. Mais retenir l'une et l'autre propositions et leur conférer cette
portée absolue aboutit à modifier fondamentalement les données du
système constitutionnel. Un régime d'assemblée se substitue au
régime parlementaire.
De manière plus restreinte, on peut s'efforcer de ménager l'inter-
vention obligatoire d'interlocuteurs d'ordinaire absents en début de
crise : les chambres législatives, le conseil des ministres, le conseil de
gouvernement ... L'opération peut contribuer à officialiser la crise.
Elle ne saurait pour autant l'exorciser. On devine, par ailleurs, la
difficulté de l'entreprise. Le gouvernement et les partis politiques de
la majorité vont-ils étaler au grand jour leurs divisions? Vont-ils
plutôt tirer profit du débat public pour ouvrir la campagne électo-
rale? La propagande ne va-t-elle pas prendre le pas sur l'explica-
tion?
1133. - Il convient de rappeler ici que la formule du gouverne-
ment et du parlement de législature est de règle au niveau commu-
nal et provincial, et ce pour une période de six ans. Elle est appli-
quée de manière nuancée dans les communautés et les régions. Les
parlements ne peuvent être dissous par les gouvernements respec-
tifs. Ceux-ci ne peuvent être renversés que dans les conditions pres-
crites par l'article 71 de la loi spéciale de réformes institutionnelles
(n° 1078).

SECTION Il. - LA GESTION DES CRISES

1134. - Si elles ne peuvent être résorbées, les crises qui inter-


viennent dans la vie des sociétés politiques appellent des solutions
948 LES PROCÉDURES DE CRISE

urgentes. Dans l'intervalle, comment organiser l'aménagement des


pouvoirs? Des formules de transition doivent être imaginées. Elles
n'ont pas pour objet de procurer une issue à la crise, mais plutôt
d'établir les conditions de stabilité institutionnelle qui permettront
de trouver, à tête reposée, les meilleures réponses à la crise.

Ces régimes transitoires ne s'imposent pas d'eux-mêmes. La conti-


nuité de l'Etat et des services publics ne justifient pas n'importe
quelle improvisation. C'est la Constitution ou la loi qui organisent
ces régences. Ou c'est le juge qui accrédite l'existence de règles cou-
tumières qui se donnent le même objet. Tant il est vrai qu'en l'es-
pèce, les pouvoirs sont exercés de la manière établie par la Constitu-
tion dans ses dispositions écrites et dans ses pratiques formalisées.

Des personnes investies de fonctions publiques disparaissent ou se


trouvent empêchées de remplir effectivement leurs fonctions. Il y a
lieu d'organiser leur suppléance (§ PT Elle s'impose en cas d'inter-
règne (A) et de régence (B). D'autres cas de suppléance et d'intérim
(C) méritent d'être répertoriés.

Des autorités publiques restent en place et continuent, de ce fait,


à exercer les responsabilités qui leurs reviennent (§ 2). Mais la dété-
rioration des relations entre pouvoirs publics les amène à concevoir
leurs missions sous un jour particulier. Il en va, notamment des
autorités exécutives qui se limiteront, en cas de crise, à expédier les
affaires courantes (A) et les affaires urgentes (B). Pour d'autres
autorités, au contraire, aucune forme de continuité ne prévaut :
l'absence de permanence (C) est la règle.

D'autres autorités publiques voient plus fondamentalement


contester leur existence, spécialement en temps de guerre. Elles sont
mises hors d'état d'agir. Pour préserver un tant soit peu la perma-
nence de l'Etat, des solutions de fortune doivent être imaginées.
Elles sont d'autant plus circonstancielles que, selon la Constitution
elle-même, les règles d'organisation et de fonctionnement de l'Etat
ne peuvent être suspendues <<en tout ou en partie>> (art. 187). Pour
assurer les fonctions qui reviennent au pouvoir exécutif (A) et au
pouvoir législatif (B), des expédients ont été imaginés; le statut des
citoyens (C) est également affecté par ces mesures.
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 949

§ 1er. - La suppléance des autorités publiques

A. - L'interrègne
1135. - L'interrègne dure dix jours maximum : il va de la mort
du roi à la prestation de serment de son successeur (18). Dès que
s'ouvre l'interrègne, tel que l'organise l'article 90 de la Constitution,
il appartient au conseil des ministres d'exercer << au nom du peuple
belge ~> les fonctions qui sont dévolues au roi. Dans cette perspec-
tive, l'application de la règle du contreseing ministériel se trouve
paralysée. Puisqu'il revient à un collège d'agir en lieu et place du
roi, les ministres ne sauraient être rendus responsables des actes
accomplis par ce dernier; en l'occurrence, il agissent collégialement
sous leur responsabilité propre.
Encore convient-il que, durant ce qu'Henri PIRENNE appelait à
juste titre << l'entracte républicain ~>, les contrôles politiques puissent
s'exercer sans entraves. Or, la session parlementaire a peut-être été
close antérieurement; des mesures d'ajournement ou de dissolution
sont au besoin intervenues. Chacune des chambres est appelée
immédiatement à se réunir sans convocation; la réunion a lieu au
plus tard le dixième jour après le décès du roi.
A supposer que les chambres aient été dissoutes avant le décès et que les nou-
velles assemblées soient convoquées, selon les modalités de l'article 46 de la
Constitution, pour une date postérieure au dixième jour, les anciennes chambres
ressuscitent; elles reprennent leurs fonctions normales, elles recueillent le ser-
ment du nouveau roi et poursuivent l'ensemble de leurs activités jusqu'à la réu-
nion des chambres renouvelées à la date fixée par le roi défunt.

L'interrègne prend fin par la prestation de serment du nouveau


roi, au sein du Congrès (art. 91). Cette cérémonie a lieu 10 jours au
plus tard après le décès du précédent monarque. Selon l'usage, le
gouvernement en place présente aussitôt sa démission au nouveau
chef de l'Etat qui, selon la même tradition, la refuse et demande à
l'équipe ministérielle en place de poursuivre ses activités.

(18) En 1940, note A. MAsT (op. cit., n" 239), une application par analogie a été procurée à
l'article 90 de la Constitution : les ministres réunis en conseil exercèrent les fonctions dévolues
au roi, dès l'instant où LÉOPOLD III se trouva prisonnier de l'ennemi (28 mai 1940) et jusqu'au
moment où le prince CHARLES prêta le serment constitutionnel (20 septembre 1944). Voy. aussi
Cass., Il décembre 1944, Pas., 1945, 1, p. 65. Plus précisément, il y eut, en l'espèce, application
combinée des articles 90 et 93 de la Constitution.
950 LES PROCÉDURES DE CRISE

B. - La régence
1136. - On sait que la régence s'ouvre dès que se présente un
des cas prévus par la Constitution : la minorité du roi (art. 92), la
vacance du trône (art. 95) et l'impossibilité de régner (art. 93). Des
scénarios différents s'organisent en fonction de ces trois hypothèses.
Si, à la mort du roi, son successeur est mineur, il convient de don-
ner au nouveau roi un tuteur (qui assurera, selon les dispositions du
Code civil, la conduite de sa personne et de ses biens). Il importe
aussi de désigner un régent (qui sera investi des tâches constitution-
nelles qui reviennent au roi). Les chambres réunies en congrès pour-
voient à ces désignations. Elles sont appelées à le faire dans un délai
de 10 jours, à dater de la mort du roi.
Si, à la mort du roi, le trône est vacant, il y a lieu de reconstituer
une dynastie. Mais, pour cela, et compte tenu des difficultés, voire
des lenteurs inhérentes à cette entreprise, il y a lieu de pourvoir
préalablement et provisoirement à la régence. Les chambres délibé-
rant en commun procèdent à cette désignation. Ce n'est qu'après
avoir organisé de cette manière la suppléance de l'institution royale
que les chambres sont dissoutes de plein droit et intégralement
renouvelées aux fins de pourvoir définitivement à la vacance.
Si le roi se trouve dans l'impossibilité de régner, la situation se
rapproche de celle du roi mineur. Il doit être procédé tout à la fois
à la désignation d'un tuteur et d'un régent. Mais une difficulté se
présente ici. L'impossibilité de régner, à la différence de la minorité,
requiert des appréciations scientifiques. Qui va les solliciter? Qui va
les donner? C'est le conseil des ministres qui est désigné pour les
requérir. Un expert ou un collège d'experts est désigné et amené à
se prononcer sur l'impossibilité de régner. Si le rapport conclut en
ce sens, le conseil des ministres << convoque >> immédiatement les
chambres et les invite à tirer les conséquences institutionnelles de la
nouvelle situation. Le Congrès pourvoit à la régence.
1137. - Quelles que soient les circonstances dans lesquelles il a
été désigné, le régent dispose d'un statut dont la Constitution défi-
nit sommairement les grandes lignes (19).

(19) L"art. 197 s'oppose également à la prise en considération de propositions de révision


durant cette même période (J. MASQUELIN, op. cit., p. 122).
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 951

Le régent est nommé - à la majorité ordinaire - par les


chambres réunies en congrès. Il est choisi parmi les citoyens
majeurs- à l'exception des membres de la famille d'ORANGE NAs-
SAU-. Il est seul, dans la mesure où la régence ne peut être confiée
qu'à une seule personne (Const., art. 94, al. Pr). Il n'entre en fonc-
tion qu'après avoir prêté", dans les dix jours, le serment que la
Constitution prescrit au roi de prononcer avant de monter sur le
trône (Const., art. 94, al. 2 et 91). Les responsabilités du régent
sont, par définition même, celles du roi dont il assure une sup-
pléance générale. Avec une seule exception : <<aucun changement 1> à
la Constitution qui affecterait le statut ou les responsabilités du roi
ne peut être fait pendant une régence (Const., art. 197) (20). Le sta-
tut personnel qui revient au roi lui est également transposable
(n° 8 557 et 558).
1138. - Quand s'achève la régence? A la différence de l'inter-
règne, cette période de suppléance ne s'inscrit pas de manière pré-
cise dans le temps et ne peut être caractérisée par une durée maxi-
mum. Tout est fonction des circonstances.
Si la régence a été organisée pour cause de minorité, il va de soi
que l'accession du roi à la majorité civile met fin à cette forme de
suppléance. Encore convient-il d'observer, avec l'article 91, ali-
néa 1er, que <<le roi est majeur à l'âge de 18 ans accomplis 1>. <<On
pourrait à première vue douter de la sagesse de cette disposition,
note Pierre WIGNY; la direction des affaires publiques requiert de
la maturité, mais la stabilité des institutions monarchiques postule
que le titulaire du trône soit mis aussi rapidement que possible en
état d'exercer juridiquement ses fonctions 1> (21). La régence prend
fin avec la prestation de serment du nouveau roi; celle-ci doit inter-
venir dès sa majorité.
Si la régence est due à la vacance du trône, elle prend fin avec le
choix d'une nouvelle dynastie et avec la prestation de serment du
nouveau monarque.

(20) La Belgique a connu trois situations de régence. Le 27 février 1831, le baron SuRLET DE
CHOKIER - membre du Congrès national - est désigné comme régent, en attendant le choix
d'une dynastie. Il exerce ses fonctions jusqu'à l'installation sur le trône de LÉOPOLD l"". Le
20 septembre 1944, le prince CHARLES - frère du Roi - est chargé des mêmes fonctions; il les
exerce jusqu'au 20 juillet 1950, moment où les chambres réunies constatent que l'impossibilité
de régner qui affectait LÉOPOLD III a pris fin. Le 20 août 1950, le prince BAUDOUIN, fils du roi
et héritier de la couronne, est chargé, avec le titre de " prince royal >>, des mêmes attributions.
(21) P. WIGNY, op. cit., p. 589.
952 LES PROCÉDURES DE CRISE

Jusque-là, tout est simple. Mais, si la régence a été provoquée par


une situation d'impossibilité de régner, des problèmes peuvent appa-
raître. Qui doit prouver que l'impossibilité de régner n'a plus cours?
Comment l'attester ? Selon quelle procédure ?
Une réponse simple peut paraître s'imposer. Pour déterminer,
dans le silence du texte constitutionnel, quand prend fin l'impossibi-
lité de régner, il y a lieu, dira-t-on, d'appliquer la règle de l'acte ou
du fait << contraire >>. Il suffit au conseil des ministres de faire consta-
ter par des experts que le roi est à nouveau sain de corps ou d'esprit
pour qu'il reprenne aussitôt l'exercice de ses fonctions; il lui revient
aussi de faire constater que le roi est libre de ses mouvements pour
mettre fin à la régence. Dès lors qu'un décret du Congrès du 20 sep-
tembre 1944 confiait au prince CHARLES la régence parce que<< le roi
se trouv(ait) dans l'impossibilité de régner>>, il appartenait au
conseil des ministres de faire constater, dès le 7 mai 1945, que LÉo-
POLD III avait été libéré par les troupes américaines.
Dans l'immédiat après-guerre, la mise en œuvre de ces procédures
se heurte à des difficultés considérables. Une impossibilité politique
semble avoir pris le pas sur l'impossibilité matérielle de régner (22).
Pour résoudre cette difficulté, la loi du 19 juillet 1945 établit une
nouvelle procédure : <<Lorsqu'il a été fait application de l'article (93)
de la Constitution, le roi ne reprend l'exercice de ses pouvoirs
constitutionnels qu'après une délibération des chambres réunies
constatant que l'impossibilité de régner a pris fin>> (23).
Une majorité de gauche croyait faire échec, avec le vote de la loi, au retour
du roi. La loi du 19 juillet 1945 a cependant été mise en œuvre par une majorité
de droite (à la suite de la consultation populaire du 12 mars 1950 et des élections
du 4 juin de la même année); le 20 juillet 1950, les chambres législatives consta-
tent que l'impossibilité de régner a pris fin. En conséquence, LÉOPOLD III rentre
en Belgique, le 22 juillet 1950.
Devant les troubles que provoque ce retour, le roi consent à s'effacer tempo-
rairement. Sans que soit rapportée la loi du 20 juillet 1950, les chambres légis-
latives confient la fonction royale au prince héritier avec le titre de prince royal
(loi du 10 août et décret des Chambres réunies du 11 août 1950). Cette <<régence

(22) Dans une lettre adressée au Prince régent, le 14 juillet 1945, LÉOPOLD III écrit : «J'ai
constaté que, pour des raisons politiques, il ne m'était pas possible de régner pour le moment
parce que je ne pouvais constituer un gouvernement qui aurait eu la majorité des Chambres. »
(23) Il faut regretter que cette loi de circonstance, dont il est vain de discuter la constitution-
nalité, puisqu'elle se rapportait à une situation qui échappait aux prescriptions de la Constitu-
tion, ait été édictée dans la forme d'une loi permanente qui s'applique à tous les cas d'impossibi-
lité de régner (maladie, démence, disparition ... ). Voy égal. M. VAUTHIER, «Comment déterminer
la fin de l'impossibilité de régner?>>, R.A .. 1945, p. 177.
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 953

innomée» prend fin par l'abdication de LÉOPOLD III, le 16 juillet 1951, et la


prestation de serment de BAUDOUIN le', le 17 juillet 1951.

C. - Autres formes de suppléance et intérim


1139. - La suppléance s'entend du remplacement d'une per-
sonne selon les procédures prescrites par un texte. Ce d~rnier indi-
que avec précision celui qui, de plein droit, exercera les responsabi-
lités de l'autorité empêchée ou défaillante. Ou, formule atténuée, il
prévoit les modalités (notamment les délais et les procédures) selon
lesquelles l'autorité suppléante sera désignée. On l'a souligné : le
conseil des ministres assure, en cas d'interrègne, la suppléance du
roi; le régent, désigné selon les modalités de l'article 94 de la Consti-
tution, remplit le même office dans les cas qu'elle prévoit.
Des suppléances sont, de manière implicite, organisées par la
Constitution. Il en est ainsi pour les ministres. Tout acte du roi est
juridiquement valide dès qu'il est contresigné par n'importe quel
ministre (art. 106). Ceci est tellement vrai que, lorsqu'un ministre
est momentanément empêché, c'est par un simple accord, même
verbal, qu'il confie son département à un collègue (24).
D'autres formes de suppléance sont prévues par la loi. Le Code
électoral organise notamment le remplacement - sans élection -
d'un parlementaire défaillant en ayant recours à une personne qui
a été élue en même temps que lui, et qui peut donc se prévaloir
d'une légitimité démocratique comparable (25). La défection d'un
effectif est comblée par l'appel à un suppléant (26). Encore
convient-il d'observer qu'en l'occurrence, la suppléance n'est pas

(24) P. W!GNY, op. cit., p. 16l. Voy. également la circulaire du Premier ministre du
28 novembre 1985 : ''Le ministre qui est amené à délaisser momentanément la direction de son
département pour quelque motif que ce soit ~ mission à l'étranger, vacances, maladie ~ doit
veiller à ce que son remplacement soit assuré par un collègue de son choix, dont le nom me sera
communiqué en temps voulu ... C'est seulement si l'absence devait se prolonger qu'il pourrait y
avoir remplacement proprement dit et, dans ce cas, moyennant désignation par arrêté royal. "
(25) L'idée de la suppléance parlementaire ne s'est pas imposée d'emblée. Avant la révision
constitutionnelle de 1893, et le vote de la loi du 29 décembre 1899 instaurant la représentation
proportionnelle, lorsqu'un parlementaire venait à perdre son mandat~ qu'il décède, qu'il démis-
'sionne, qu'il fasse l'objet d'une déchéance ou encore qu'il appartienne désormais à l'autre assem-
blée ~, il y avait lieu de procéder à élection partielle pour pourvoir à son remplacement. L'insti-
tution de la suppléance voit le jour avec l'art. 5 de la loi du 29 décembre 1899, qui offre la possi-
bilité de déposer deux listes distinctes de candidats : celle des effectifs et celle des suppléants.
Le système de la double liste sera vraisemblablement supprimé, les premières candidats non élus
faisant office de suppléants.
(26) Contrairement à une idée reçue, le titulaire d'un mandat parlementaire n'a pas un sup-
pléant qui lui serait propre. C'est la liste qui bénéficie de parlementaires suppléants.
954 LES PROCÉDURES DE CRISE

conçue à titre transitoire; il y a remplacement définitif du parle-


mentaire défaillant.
Sur la pratique du pairage, voyez n" 544. Le parlementaire empêché de siéger
obtient qu'un collègue de l'opposition lui fasse la politesse de s'abstenir et neu-
tralise ainsi les effets d'une absence. <<Comme, au surplus, toute abstention doit
être publiquement justifiée, conformément au règlement des chambres, l'assem-
blée peut apprécier à la fois la validité de l'excuse de l'absent et la courtoisie
de celui qui s'était entendu avec lui>> (27).

1140. - L'intérim s'entend du remplacement provisoire d'une


personne qui se trouve, pour un temps, empêchée d'exercer ses fonc-
tions. L'autorité qui a désigné cette personne tire de sa prérogative
de nommer un titulaire celle de choisir un intérimaire. Il lui revient,
même sans texte, de désigner celui qui assumera l'intérim et de
déterminer la durée du remplacement (28); pour ce faire, il n'aura
pas à respecter l'ensemble des procédures que requiert une investi-
ture normale. Des formes simplifiées sont concevables. En principe,
l'intérimaire exerce la plénitude des attributions qui reviennent au
titulaire de la fonction (C.E., 12 juillet 1952, Flamme) (29).
Ainsi le roi qui nomme les ministres, les magistrats ou les fonc-
tionnaires est également habilité à conférer l'intérim de fonctions
ministérielles, juridictionnelles ou administratives.

§ 2. - La permanence des fonctions


1141. - Il est parfois soutenu que l'Etat et les collectivités poli-
tiques qui sont organisées en son sein doivent exercer leurs fonc-
tions de manière continue. Ce principe impliquerait que toute auto-
rité investie d'une fonction publique serait, de plein droit, habilitée
à l'exercer, fût-ce en mode mineur, en période de crise. La réalité
constitutionnelle est, à vrai dire, plus nuancée.
Il y a des cas où la continuité prévaut. Le gouvernement, pour
ne prendre que cet exemple, assume ses fonctions jusqu'au jour où
il est officiellement remplacé. Il y a aussi des cas où la discontinuité
s'impose. Les chambres législatives, pour se référer à une autre

(27) P. WIGNY, op. cit., p. 162.


(28) Il n'y a pas lieu de distinguer à ce titre l'autorité intérimaire de celle qui est appelée à
faire fonction. Toutes deux bénéficient des prérogatives complètes qui reviennent au titulaire de
la fonction. Il reste que les hypothèses sont distinctes.
(29) Sur ce thème, voy. <<L'intérim du Premier ministre>> ... , p. 37.
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 955

hypothèse, sont privées d'existence, et a fortiori de responsabilités,


dès l'instant où elles sont dissoutes; elles ne peuvent, sauf disposi-
tion spéciale comme celle de l'article 90, al. 1er, être invitées à en
exercer, ni autorisées à en assumer d'initiative.
Là même où la permanence des fonctions est organisée, il y a lieu
de mesurer la part qui peut être faite à la rupture et celle qui est
réservée à la continuité. Des formules transactionnelles peuvent être
préconisées pour tenir compte des divers intérêts en cause (30). La
théorie des affaires courantes et des affaires urgentes s'inscrit dans
cette perspective.

A. - Les affaires courantes


1142. - Une première hypothèse est prise en considération. Les
relations au sein du gouvernement ou au sein de la majorité parle-
mentaire se sont détériorées. La poursuite d'une action commune
devient chaque jour plus difficile. Le gouvernement présente sa
démission au roi (31). Cette initiative a-t-elle quelque incidence sur
le cours des affaires publiques? En principe, aucune. Tant que le
chef de l'Etat n'a pas accepté- de manière officieuse- la démis-
sion de ses ministres, ceux-ci conservent la plénitude de leurs attri-
butions. Prétendre qu'ils seraient conduits, en la circonstance, à ne
plus expédier que des affaires << quasi courantes f) ne repose sur
aucun fondement juridique (32).
Il reste que - dans l'attente d'une première réaction royale -
des aménagements peuvent être apportés au cours des travaux poli-
tiques. A quoi bon développer une interpellation à l'encontre d'un
ministère dont la vie ne tient plus qu'à un fil? La Chambre et le
Sénat s'ajournent jusqu'à convocation ultérieure ... (33). Les assem-
blées parlementaires et le gouvernement conservent leurs attribu-
tions ordinaires et peuvent, si nécessaire, les exercer; les formations
politiques qui sont présentes dans leurs enceintes ne jugent, cepen-

(30) Dans une perspective proprement juridique, on se demandera aussi si ces règles peuvent
faire l'objet de contrôles juridictionnels, et lesquels.
· (31) Pour éviter les confusions de vocabulaire, il convient sans doute d'éviter de parler en
l'occurrence d'un gouvernement démissionnaire. Mieux vaut évoquer la situation d'un <1 gouver-
nement en voie de démission >>.
(32) Chroniques de crise ... , pp. 53 et 100.
(33) Dans l'hypothèse où la démission du gouvernement est refusée, il appartient aux
chambres de vérifier si la procédure mise en mouvement par le gouvernement n'a pas été un sub-
terfuge imaginé pour mettre, pendant quelques jours, l'exécutif à l'abri des contrôles politiques
(«Stratégies de crise» ... , p. 526).
956 LES PROCÉDURES DE CRISE

dant, pas indispensable de poursuivre sans désemparer des travaux


qui risquent de s'avérer inutiles.
1143. - Il n'en va pas de même pour les gouvernements de
communauté et de région ou pour leurs membres. S'ils présentent
leur démission, s'ils sont démissionnaires comme le prévoit l'ar-
ticle 73, alinéa l er de la loi spéciale de réformes institutionnelles, le
parlement a mission de pourvoir sans délai à leur remplacement.
Dans l'intervalle, ils doivent réduire leurs activités : le gouverne-
ment<< démissionnaire expédie les affaires courantes>> (art. 73, al. 2);
par analogie, le membre démissionnaire fait de même.
1144. - Une deuxième hypothèse est prise en considération. La
démission proposée par le gouvernement est acceptée par le roi. Le
ministère est démissionnaire. Il n'est pas encore démis de ses fonc-
tions- il ne le sera qu'au terme d'une crise qui peut être longue-.
Le gouvernement démissionnaire doit, en période de crise, expédier
les affaires courantes et ne doit expédier que les seules affaires cou-
rantes (34). Ces prescriptions valent aussi pour les gouvernements de
communauté et de région (no 1086); en ce cas, la solution retenue
est même formulée en termes de loi (spéciale).
Dès l'instant où le gouvernement est démissionnaire, les activités
de ses partenaires législatifs peuvent être, sinon paralysées, du
moins amputées dans certains secteurs. Le droit d'initiative, lors-
qu'il est exercé par le gouvernement, et le droit de sanction, qui est
l'apanage du roi, connaissent des tempéraments importants : la
fonction législative, comme la fonction constituante, s'en trouvent
perturbées (35). Quant à la fonction de contrôle politique, elle perd

(34) Sur !"ensemble de la question, voy H. CoREMANS, « Het regeringsontslag en zijn staats-
rechtelijke en administratiefrechtelijke gevolgen », R. W., 1967-1968, col. 2193 s.; G. CRAENEN,
<<De positie van een demissionair ka binet in België >>, T.B.P., 1977, p. 105; F. DELPÉRÉE, «Quel-
ques aspects constitutionnels d'une crise politique», Ann. Fac. Dr. Lg., 1974, n" spécial, pp. 31
s.; A. MASCARENHAS GoMES MoNTEIRO, « Réflexions sur les compétences d'un gouvernement
démissionnaire •>, A.P. T., 1976-1977, p. 233; du même auteur, <<L'expédition des affaires cou-
rantes>>, Res Publica, 1978, p. 433; A. MAST, << Regeringsontslag, lopende zaken en ministeriële
verantwoordelijkheid naar Belgisch recht», in Politiek, parlement en demokratie (Opstellen voor
Prof DUYNSTEE), 1975, p. 147; H. VAN IMPE, «De jongste regeringscrisis in staatsrechtelijk
opzicht », T.B.P., 1968, p. 82; J. SALMON,<< A propos des affaires courantes: état de la question»,
J.T., 1978, p. 661.
(35) Comme !"indique, en 1974, un collège de juristes, «en !"absence de gouvernement ayant
le plein exercice de ses pouvoirs, les membres du Parlement ne peuvent déposer utilement une
proposition de déclaration de révision, ni discuter pareille proposition ou projet : la déclaration
est, en effet, un acte du 'pouvoir législatif' tout entier auquel doivent pouvoir collaborer ses trois
branches (Const., art. 195, al. 1"' et 36) » (Chroniques de crise ... , p. 195).
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 957

le plus clair de ses vertus; le gouvernement a déjà tiré les leçons de


son échec ou de sa désunion ou, plus simplement, il a décidé de se
retirer pour permettre la constitution d'une nouvelle coalition.

1145. - Une troisième hypothèse est envisagée, même si ce


n'est pas la plus fréquente. Le gouvernement perd l'appui de sa
majorité. Il essuie un vote de méfiance. Il est renversé par la
Chambre de représentants. Il ne peut ignorer la leçon du désaveu
qui lui a été infligé. Il ne peut s'exposer à une sanction plus grave.
Dès l'instant où il a été défait dans l'enceinte parlementaire, il est
tenu de présenter sa démission et le roi est tenu de l'accepter. Dès
ce moment, il est réduit à ne plus expédier que les affaires cou-
rantes.
La même solution vaut pour les gouvernements de communauté
et de région qui se voient refuser la confiance qu'ils sollicitent. Dès
l'instant où << la confiance est refusée >> et jusqu'au remplacement du
gouvernement, celui-ci expédie les affaires courantes (l. sp., art. 72,
al. 4 et 73, al. 2).

1146. - Jusqu'à présent, les hypothèses se situent toutes dans


une perspective précise : de son propre mouvement ou forcé et
contraint, le gouvernement (fédéral ou fédéré) se retire. Mais
d'autres hypothèses ne méritent-elles pas d'être envisagées ? Au
niveau fédéral, les relations complexes qui s'établissent, dans un
régime parlementaire, entre le gouvernement et les chambres légis-
latives, les collaborations nécessaires, mais aussi les contrôles réci-
proques qui s'y établissent, permettent d'envisager d'autres scéna-
rios. La technique de la dissolution est à portée de main. Elle per-
turbe l'organisation et le fonctionnement du pouvoir législatif, mais
aussi ceux du pouvoir exécutif fédéral. Comment, dans ces condi-
tions et en tenant compte des différents types de dissolution conce-
vables, assurer les transitions nécessaires?
Une quatrième hypothèse ne peut être ignorée. Les Chambres
sont dissoutes. Le roi en a décidé ainsi. Son gouvernement estime,
en effet, dans une perspective britannique, que le moment est pro-
pice pour provoquer un retour aux urnes. Ou bien, il considère, dans
une logique institutionnelle plus proche des lois de la IIP Républi-
que, que l'équilibre entre pouvoirs publics requiert qu'à une mesure
de renvoi du gouvernement puisse répondre une mesure de révoca-
tion des chambres. Ou bien encore, pour tenir compte des réalités
958 LES PROCÉDURES DE CRISE

politiques de la Belgique, il constate que la crise aboutit à une


impasse et que seules des élections générales permettront peut-être
de fournir de nouveaux éléments d'appréciation politique.
Durant la pé"riode de rupture qu'ouvre la mesure de dissolution,
le gouvernement fédéral est tenu de n'expédier que les affaires cou-
rantes.
1147. - Les chambres législatives ne pour~aient-elles à leur tour
expédier les affaires courantes ? Plusieurs périodes méritent d'être
distinguées.
La première va du jour de la dissolution, inscrite dans un arrêté
royal, au jour fixé par le même arrêté pour la convocation des élec-
teurs. Durant cette période qui ne peut excéder quarante jours, les
assemblées dissoutes ne sauraient se réunir. Elles ont cessé d'exister.
Elles ne peuvent en conséquence exercer aucune des fonctions que
la Constitution leur attribue (36).
Une deuxième période, dont la durée est indéterminée, va du jour
des élections générales à celui de la constitution des assemblées. Il
va de soi que les chambres renouvelées ne peuvent se mettre au tra-
vail dès le lendemain des élections. La Constitution prescrit, dans
ses articles 46 et 195, qu'elles ne pourront se réunir qu'à partir de
la date fixée par le roi, environ vingt jours après le scrutin. Dans
son article 48, la Constitution fait aussi à chaque chambre le devoir
de vérifier au préalable les pouvoirs de ses membres. Dans son
article 67, elle requiert encore que le Sénat soit complété par l' élec-
tion des sénateurs communautaires et celle des sénateurs cooptés.
Enfin, l'article 52 exige que << chacune des Chambres nomme son
président, ses vice-présidents, et compose son bureau>>. Ce n'est qu'à
ce moment que l'assemblée est constituée et peut effectivement
remplir ses fonctions. Pendant plusieurs mois, l'assemblée est dans
l'impossibilité pratique d'agir.
En l'absence d'un bureau définitif, les assemblées sont-elles vouées à l'inac-
tion? En l'absence d'un président élu qui puisse juger de la recevabilité des
questions parlementaires ou des propositions de loi, sont-elles paralysées dans
l'exercice de leurs fonctions 1 En l'absence de commissions parlementaires
dûment constituées, sont-elles hors d'état de fonctionner? En 1979, les prési-
dents provisoires des assemblées s'attachent, en concertation avec les chefs de
groupe politique, à instaurer un début d'activité parlementaire. Rien n'empêche
de transmettre aux ministres concernés les questions écrites que leur adressent

(36) Voy. cependant n" 1055.


LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 959

les parlementaires. Rien n'empêche non plus de réunir des groupes de travail
officieux, constitués selon les règles de la représentation proportionnelle, pour
entendre un exposé du gouvernement sur une question déterminée et pour lui
consacrer un premier examen (37).

Une troisième période, de durée tout aussi indéterminée, peut


aller du jour où l'assemblée est constituée à celui où le gouverne-
ment nouveau est composé. La question ici est plus politique que
juridique. Les chambres législatives ont besoin d'un interlocuteur.
Comment ne seraient-elles pas perturbées dans l'exercice de leurs
fonctions quand un gouvernement fédéral de plein exercice fait
défaut? D'initiative, elles réduisent leurs activités habituelles.
A l'occasion de la crise gouvernementale de 1987-1988, qui dure six mois jour
pour jour, des idées nouvelles se font jour. Une activité parlementaire réduite
est concevable. Pourquoi, par exemple, ne pas constituer les commissions parle-
mentaires et les mettre au travail? Pourquoi ne pas poursuivre la publication
des questions parlementaires et de leurs réponses 1 Pourquoi ne pas examiner, et
voter, les lois ouvrant des crédits provisoires 1 Pourquoi ne pas décider de la
constitution de commissions d'enquête 1 Pourquoi ne pas procéder à l'élabora-
tion des lois 1
Cette dernière question est peut-être la plus délicate. Selon Robert HENRION,
un gouvernement démissionnaire peut, dans le cadre des affaires courantes,
contribuer à la discussion, puis à la sanction de dispositions législatives. Selon
Roger LALLEMAND, les chambres peuvent examiner et voter un projet de loi
<<lorsque tout retard à légiférer serait de nature à faire subir à l'Etat un préju-
dice irréparable >>.
Il reste que le gouvernement démissionnaire garde la maîtrise des initiatives
que les chambres pourraient prendre en la circonstance. S'il est divisé, s'il
entend ménager l'avenir, s'il hésite sur l'attitude à adopter, il a la possibilité de
ne pas sanctionner les projets qui lui sont soumis. Cette réalité peut inciter les
assemblées à faire preuve de réserve tant que leur interlocuteur normal n'est pas
investi de la plénitude de ses attributions.

1148. ~ Une cinqmeme hypothèse mérite attention. Les


chambres sont dissoutes. Mais cette opération ne résulte pas d'une
intervention royale et ne se réalise pas en exécution de l'article 46
de la Constitution. Les chambres sont dissoutes de plein droit. Le
pouvoir législatif a engagé, en exécution de l'article 195, alinéa l er,
la procédure de révision de la Constitution; les chambres ont mis en
œuvre, en exécution de l'article 95, la procédure de désignation
d'une nouvelle dynastie.

(37) Faut-il s'accommoder de pareils expédients? ''Dans quelques Etats démocratiques de


type classique, note à l'époque le président du Sénat, R. VANDEKERCKHOVE, les assemblées légis-
latives poursuivent leurs travaux sans interruption» (Ann. parl., Sénat, 5 avril 1979).
960 LES PROCÉDURES DE CRISE

Dans ces deux cas, les chambres législatives disparaissent pen-


dant près de deux mois. Elles ne retrouveront leurs attributions
qu'une fois les nouvelles chambres constituées. La responsabilité
politique que 1e gouvernement engage normalement devant la
Chambre des représentants est oblitérée pendant la même période.
A moins d'admettre que la dissolution va lui permettre de poser
directement la question de confiance à l'opinion publique, force est
de constater que le gouvernement est pour un temps amené à agir
sans contrôle politique. Ne convient-il pas qu'il limite son action à
l'expédition des affaires courantes ?
La question fait l'objet d'amples controverses.
Selon une première thèse, le gouvernement doit, dès la dissolution, s'abstenir
de prendre toute décision qui, en période normale, aurait pu susciter l'interven-
tion des chambres législatives dans l'exercice de leur fonction de contrôle (38).
Comme le fait remarquer la section de législation du Conseil d'Etat, c'est<< l'ab-
sence du contrôle qu'il appartient au Parlement d'exercer en vertu de la Consti-
tution>> qui<< a pour conséquence que le gouvernement ne dispose pas de la pléni-
tude de ses compétences» (39). Celles-ci sont limitées. Le gouvernement ne doit
agir que dans les seuls domaines d'attribution où la nécessité de son action est
démontrée (40).
Selon une deuxième thèse, le gouvernement conserve, pendant la période de
dissolution, la plénitude de ses attributions. Il a en charge toutes les responsabi-
lités du pouvoir exécutif. Il n'a pas été désavoué par la Chambre des représen-
tants, il est donc présumé garder sa confiance. Il convient cependant que ce gou-
vernement de plein exercice n'use qu'avec une particulière circonspection des
attributions qui lui reviennent (41). C'est le régime des affaires prudentes.
Selon une troisième thèse, il y aurait lieu de faire le départ entre les cas de
dissolution. Celle-ci peut intervenir à la suite de dissensions au sein de la majo-
rité parlementaire; elles auraient dû provoquer la démission du cabinet, mais
celui-ci s'est momentanément tiré d'affaire en provoquant le renvoi des assem-
blées. Va-t-il conserver la plénitude de ses attributions alors qu'il se maintient
artificiellement au pouvoir? Tout autre est la situation en cas de dissolution de
plein droit. En parfaite harmonie, l'exécutif et les chambres engagent la procé-

(38) Voy. Chroniques de crise ... , p. 48 :<<La Constitution aurait-elle engendré ce curieux sys-
tème parlementaire où, à intervalles plus ou moins réguliers, les deux chambres pourraient, pour
deux mois, être mises sur la touche et où le gouvernement et son administration pourraient, pour
le même laps de temps, agir à leur guise sans avoir à se soucier de quelque forme de contrôle
politique? Ce régime de responsabilité à éclipses n'est pas le nôtre. >>
(39) Voy. ''Une crise en trois temps>>, J. T., 1986, p. 183 et les références citées.
(40) Sur ce thème, voy. également A. MASCARENHAS GoMES MONTEIRO, op. cit., p. 233;
J. SALMON, op. cit., pp. 661-663.
(41) Sur ce thème, voy. A. VAN SoLINGE, <<De l'expédition des affaires courantes», J.T., 1979,
p. 214; Ph. LAUVAUX, La dissolution des assemblées parlementaires, Paris, Economica, 1983,
p. 336; du même auteur, «Le renforcement de l'exécutif dans le système constitutionnel belge
contemporain», in Le nouveau droit constitutionnel, p. 85, ici p. 107.
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 961

dure de révision de la Constitution. Ph. LAUVAUX observe qu'<< il y aurait moins


de raisons encore de contraindre, dans un telle hypothèse, le gouvernement à
limiter son action à l'expédition des affaires courantes>> (42).

<<La solution vers laquelle s'oriente le Conseil d'Etat, appuyé par


une partie de la doctrine, tend à une réduction des pouvoirs >> de
l'exécutif (43) et à une extension des périodes d'affaires courantes.
1149. - La même solution vaut pour chacun des gouverne-
ments de communauté et de région. <<(Le gouvernement), de même
que chacun de ses membres, précise l'article 70 de la loi spéciale de
réformes institutionnelles, est responsable devant le conseil >>. Si
cette responsabilité ne peut plus être engagée, parce que le parle-
ment fait défaut, il convient que le gouvernement limite ses acti-
vités et ses interventions au strict nécessaire.
1150. - Il ne suffit pas de recenser les cas dans lesquels un gou-
vernement - fédéral ou fédéré - est tenu d'expédier les affaires
courantes et de n'expédier que les affaires courantes. Il faut encore
préciser la nature et la portée de la règle qui est ainsi énoncée.
S'agit-il d'une règle juridique? Le Conseil d'Etat peut-il annuler,
au nom de l'incompétence ratione temporis, l'acte pris, en temps de
crise, par le roi (44) et contresigné par un ministre mais qui, à l'es-
time du juge administratif, ne pourrait entrer dans la catégorie des
affaires courantes? S'agit-il plus simplement d'une règle de déonto-
logie politique qui voudrait qu'en période critique, un ministre n'en-
gage pas outre mesure l'action de son successeur (45)?
La règle juridique de l'expédition des affaires courantes a plu-
sieurs sources.

(42) Ph. LAUVAUX, op. cit., p. 213. D'une certaine manière, l'arrêt Berckx rendu par le Conseil
d'Etat, le 9 juillet 1875, traduit la même préoccupation. Il relève que la décision incriminée a
été prise «dans la période critique où un gouvernement va perdre sa base parlementaire».
(43) Ph. LAUVAUX, op. cit., ibid.
(44) En cas de démission, la difficulté naît du fait que le roi n'accepte officiellement le retrait
du gouvernement qu'au moment de la désignation de son successeur. La crise naît d'une offre
de démission et celle-ci peut être refusée. Mais elle peut aussi être acceptée officieusement : c'est
à ce moment que le gouvernement est chargé d'expédier les affaires courantes. Dira-t-on que
cette acceptation officieuse n'a que des conséquences politiques et qu'elle s'accompagne tout au
plus d'un conseil à la modération, à la prudence ou à la sagesse 1 Ou, au contraire, faut-il prêter
une valeur juridique à l'offre gouvernementale de démission et à la décision royale de l'accepter!
La seconde solution s'impose.
(45) Tl n'est pas sans intérêt de relever que l'art. 201 TUC précise de son côté que «si la
motion de censure est adoptée (par le Parlement européen) à la majorité des deux tiers des voix
exprimées et à la majorité des membres qui composent le Parlement européen, les membres de
la Commission doivent abandonner collectivement leurs fonctions. Ils continuent à expédier les
affaires courantes jusqu'à leur remplacement, conformément à l'article 214 »
962 LES PROCÉDURES DE CRISE

Une règle écrite résout, de manière partielle, la difficulté. Pour les


communautés et les régions, en effet, une loi (spéciale, par surcroît)
fait obligation au gouvernement d'expédier les affaires courantes,
tant qu'il n'a pas été remplacé (l. sp. art. 73, al. 2).
Pour les situations de crise qui peuvent survenir dans l'Etat fédé-
ral, une règle juridique non écrite remplit cette office. Celle-ci pro-
cède, comme le souligne le Conseil d'Etat, le 9 juillet 1975, de
<<l'économie générale de la Constitution>>, soit des dispositions qui
sont inscrites dans les articles lOO et 101 de la Constitution et qui
jettent les fondements du régime de contrôle politique (46). Ce prin-
cipe général de droit public s'énonce comme suit : le gouvernement
fédéral se borne à expédier les affaires courantes lorsqu 'il n'est plus
soumis au contrôle de la Chambre des représentants (47).
1151. - Quelle justification donner à ce principe?
Dans l'hypothèse de la démission, un raisonnement en trois temps
se développe.
Un. Le gouvernement démissionnaire est dessaisi de ses attribu-
tions. Contesté de l'intérieur ou de l'extérieur, il ne peut ignorer le
désaveu qui frappe tout ou partie de son action. Sans qu'il ait à
s'interroger plus avant sur les motivations des opposants, le gouver-
nement doit tirer sans délai et sans faux-fuyant les conséquences de
son échec politique, en se retirant et en renonçant à poursuivre les
tâches entreprises. Le gouvernement démissionnaire se trouve ainsi
sans responsabilités effectives.
Deux. Il n'est pas concevable que les affaires publiques restent à
l'abandon tout au long d'une crise qui peut s'avérer laborieuse a
dénouer. Pour éviter l'éclosion d'une situation anarchique, il est
précisé pour autant que de besoin que la crise qui affecte les auto-
rités investies de la fonction gouvernementale est sans incidence sur
le statut d'autres autorités publiques : les assemblées parlementaires
continuent à siéger, les magistrats à rendre la justice, les collecti-
vités locales à gérer les intérêts qui leur sont propres, les commu-
nautés et régions à exercer leurs compétences autonomes ... Il est

(46) Tel est le mot d'ordre : responsabilité en tout, pour tous et toujours. Sur ce thème, voy.
«Les affaires courantes en Belgique. Observations sur la loi de continuité des services publics»,
in Mélanges R.E. Charlier, Paris, Ed. Université, 1981, pp. 51 s.
(47) Il faut relever un devoir positif : celui d'agir dans le domaine résiduel de compétences
que constituent les affaires courantes. Il faut aussi rappeler un devoir négatif : celui de s'abstenir
d'agir dans les matières qui pourraient mettre en cause la responsabilité du gouvernement. C'est
de contraintes et non de facultés qu'il est question en l'occurrence.
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 963

surtout indiqué que le cabinet démissionnaire est tenu d'expédier les


affaires courantes.
Trois. Il convient d'indiquer dans quelle mesure les affaires cou-
rantes sont à prendre en charge. Il peut s'imposer de préserver la ·
continuité de la fonction gouvernementale, mais l'on ne saurait, par
ailleurs, laisser le gouvernement agir comme si de rien n'était et lui
conserver de ce fait la plénitude de ses attributions.
En particulier, un élément ne peut être perdu de vue. Un gouvernement pré-
sente sa démission s'il n'a plus la confiance de la Chambre ou ce qui revient au
même s'il craint qu'un vote formel n'établisse de manière crue la perte d'autorité
ou de cohésion qu'il subit. Il est sanctionné par la Chambre des représentants
ou, anticipant sur l'événement, il se soustrait à sa sanction. Si certaines formes
atténuées de contrôle restent concevables, il reste que la sanction suprême, à
savoir le renvoi du ministère, n'est plus concevable : comme l'écrit de manière
imagée Marcel W ALINE, <<on ne tue pas les morts>>. A quoi bon renverser un gou-
vernement démissionnaire 1

Le gouvernement échappe en fait, sinon en droit, au contrôle


effectif des assemblées parlementaires et, en tout cas, à cette forme
de surveillance qui peut entraîner le retrait de l'équipe ministérielle.
Si l'on convient que tout acte du gouvernement et de son adminis-
tration est susceptible de faire l'objet d'une mesure de contrôle poli-
tique par la Chambre des représentants, qu'en cas de désaccord, la
volonté de l'assemblée doit l'emporter sur celle du ministère et que
la sanction de ce désaccord est le retrait de celui-ci, l'on admettra
dans la foulée que ce même gouvernement doit s'abstenir de poser
les actes qui, dans les circonstances du moment, pourraient lui
valoir une censure parlementaire.
Le principe de continuité de la fonction gouvernementale est donc
corrigé à la lumière du principe de responsabilité qui affecte les actes
des autorités qui en sont investies. Là où il y a action gouvernemen-
tale, il y a responsabilité. Là où la responsabilité fait défaut, il y a
nécessité de s'abstenir d'agir.
Dans l'hypothèse de la dissolution, le raisonnement peut paraître
plus ramassé. Il repose tout entier sur le principe général de la res-
ponsabilité politique du gouvernement devant la Chambre des
représentants. En l'absence de la Chambre qui puisse efficacement
contrôler l'action du gouvernement, ce dernier doit se borner à
expédier les affaires courantes.
Dans l'arrêt Berckx du 9 juillet 1975, le Conseil d'Etat fait observer que<< dans
la période critique où un gouvernement a perdu sa base parlementaire et, en
964 LES PROCÉDURES DE CRISE

attendant que la politique générale ait été redéfinie», un ministre ne peut plus
expédier que les affaires courantes:(< n'étant plus politiquement responsable, (il)
agit en dehors des conditions constitutionnelles normales>> et doit, durant cette
période critique, se contenter de gérer les affaires qu'il est (<possible d'inscrire
dans les schémas fixes de l'action quotidienne d'un département>> (48).

1152. - Que sont les affaires courantes? Comment opérer


concrètement la différence entre les activités qui, pour entrer dans
cette catégorie, demandent à être prises en charge et celles qui, pour
en être exclues, constituent des domaines où le gouvernement ne
peut intervenir sans méconnaître les exigences de la légalité ?
Il y a des affaires courantes par nature. Pour une raison simple.
Elles ne sauraient ni en fait, ni en droit, susciter un débat parlemen-
taire. Tel est le cas de la dissolution : les assemblées qui viennent
de disparaître ne sont pas en mesure de contester l'opportunité
d'une mesure qui, prononçant leur renvoi collectif, produit ses effets
de plein droit.
Il y a des affaires courantes par habitude. Elles sont courantes au
sens du dictionnaire, c'est-à-dire habituelles, ordinaires, banales.
Elles relèvent de la gestion quotidienne des affaires publiques. En
règle générale, elles ne suscitent guère de discussion politique
devant les chambres, et il faut présumer qu'il en ira à nouveau
ainsi. Cette présomption est évidemment réfragable (49).
Il y a des affaires courantes par entraînement. Elles ont fait, avant
l'ouverture de la crise, l'objet d'un débat parlementaire. L'exercice
de la fonction législative, ou l'utilisation des procédés du contrôle
politique a permis à la représentation nationale de s'exprimer, de
décider, d'approuver ou de censurer. La survenance d'une crise
ministérielle ou la dissolution des chambres législatives n'empêchent
pas de poursuivre l'examen du dossier. Dans cette perspective, une
affaire est courante parce qu'elle est (( en cours >> et qu'elle n'appelle
plus de la part des chambres d'initiative nouvelle.
On illustre cet effet d'entraînement par trois exemples.
En 1968, le gouvernement Vanden Boeynants démissionne. Il propose aux
chambres, qui étaient constituantes, d'adopter une déclaration de révision de la
Constitution. (<Le projet de déclaration, reprenant exactement celle de 1965, à

(48) C.E., 9 juillet 1975, Berckx, no 17.128, Rec., p. 671.


(49) A raison des circonstances, à raison du peu d'importance de l'enjeu politique, à raison
du contexte de l'affaire, un ensemble de questions ne sont pas susceptibles de mettre réellement
en cause la responsabilité du gouvernement. Les identifier est affaire d'appréciations concrètes
et non de considérations abstraites.
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 965

la seule exception de deux articles déjà promulgués, a été considéré comme se


bornant à prolonger la période pendant laquelle le pouvoir législatif examinerait
l'utilité d'une révision et, éventuellement, la déciderait» (50). Il appartenait au
gouvernement de rédiger ce projet au titre des affaires courantes.
En 1971, le gouvernement reste au pouvoir, mais les chambres sont dissoutes
(par l'arrêté royal du 24 septembre). Le roi procède à la nomination d'un agent.
Une telle désignation, estime le juge administratif, peut intervenir si« la décision
apparaît comme le résultat d'une opération administrative qui a été entamée,
réglée et conclue normalement, et non pas comme la suite surprenante d'une
opération rapidement mise sur pied et exécutée de manière forcée, émanant d'un
ministre qui, n'étant plus politiquement responsable, agit en dehors des condi-
tions constitutionnelles normales>> (C.E., 9 juillet 1975, Berckx, Bec., p. 671).
En 1978, les chambres sont dissoutes, une nouvelle fois, après que le pouvoir
législatif a déclaré qu'il y avait lieu à révision de la Constitution. Auparavant,
l'une et l'autre chambres avaient adopté le projet de loi relative aux élections
du Parlement européen. Malgré la crise, le roi sanctionne la loi. Il poursuit
l'œuvre entreprise par les deux autres branches du pouvoir législatif.

Il y a aussi, estiment certains, des affaires courantes à raison de


l'urgence. Des rapprochements s'indiquent. Il paraît cependant
approprié de distinguer les affaires urgentes des affaires courantes
{n° 1153).
Comment ne pas le reconnaître ? Les contours de la catégorie juridique des
affaires courantes restent imprécis. Les conditions de la négociation politique, la
répétition et l'ampleur des crises concourent à donner aux affaires de gestion
quotidienne une signification extensive. Les nécessités de la continuité adminis-
trative conduisent à considérer que toute affaire est toujours engagée pour une
part et qu'il suffit donc d'en poursuivre la procédure en période de crise. Les exi-
gences d'une action prompte et efficace donneront encore à penser que, spéciale-
ment en période de crise, toute affaire devient urgente (51).
Si le juge administratif n'apporte pas, à la faveur des litiges qui lui sont sou-
mis, une définition plus nette de la notion, les affaires courantes ne représente-
ront qu'une protection illusoire contre l'action d'un gouvernement qui n'entend
pas limiter l'exercice de ses compétences au moment où il échappe pourtant au
contrôle de la Chambre.

(50) Voy. Chroniques de crise ... , p. 195.


(51) Un exemple emprunté aux développements de la crise de l'hiver 1978-1979 illustre le pro-
pos. L'envoi de troupes belges au Zaïre relevait-il ou non des affaires courantes 1 La réponse ne
saurait faire de doute, précise-t-on à bonne source : l'opération relève plus de l'intendance mili-
taire que de la politique étrangère; l'affaire est de pure routine. D'ailleurs, ajoute-t-on après un
moment de réflexion, le principe de l'envoi de troupes au Zaïre a été arrêté de longue date : les
autorités militaires se sont bornées, en l'occurrence, à pourvoir à l'exécution d'une décision qui
a été prise in tempore non suspecto. Et puis, précise-t-on encore, qui pourrait s'insurger contre
une opération dont nul ne sait si elle n'aura pas aussi pour objet de venir d'urgence au secours
de compatriotes menacés dans leur vie et dans leurs biens 1 Au fond, voici une affaire qui est cou-
rante à un triple titre ..
966 LES PROCÉDURES DE CRISE

B. - Les affaires urgentes


1153. - Y a-t-il une commune mesure entre <<les affaires
urgentes >> et << les affaires courantes >>? La jurisprudence est en ce·
sens. Elle a tendance à amalgamer les deux notions. Avant de
reconnaître qu'un acte ne sort pas du domaine des affaires cou-
rantes, le juge administratif prend soin de relever que le règlement
de la question réclamait, de toute façon, l'urgence (52) et qu'il ne
saurait y avoir matière à illégalité.
Les affaires urgentes ne seraient qu'une variété d'affaires cou-
rantes (53). Tel était déjà le propos de l'humoriste : les affaires cou-
rantes courent; elles courent tellement vite qu'il y a lieu de les rat-
traper au plus tôt pour préserver les intérêts généraux de
l'Etat (54).
Les << affaires urgentes>> sont, cependant, le contraire des affaires
courantes. Elles échappent aux procédures du contrôle politique.
Non qu'elles portent sur des actes qui échappent au contrôle politi-
que - au contraire, il s'agit d'interventions d'une portée politique
ou administrative indiscutable qui mériteraient une discussion par-
lementaire approfondie - mais parce que la responsabilité du gou-
vernement ne saurait être engagée en temps utile. L'absence de res-
ponsabilité effective du cabinet devrait être un motif particulier
d'abstention.
Avec les affaires courantes, le principe de continuité s'est trouvé
corrigé par la règle de la responsabilité effective. Mais, en cas d'ur-
gence, la règle de responsabilité effective est, elle-même, corrigée
par le principe de la continuité. Le gouvernement va prendre toutes
les mesures qu'impose une prompte conduite des affaires publiques.
Echappant à tout contrôle, il va, dans ces matières, disposer des
compétences d'un gouvernement de plein exercice. Si les motifs de
l'urgence sont assimilables aux circonstances exceptionnelles, il ris-
que même de disposer de plus d'attributions encore qu'un gouverne-
ment en période normale.

(52) Dans un arrêt du 21 juin 1975 (ASBL Fédération des industries chimiques de Belgique,
n" 16.490), le Conseil d'Etat relève notamment que les questions relatives à la fixation des prix
sont, par nature, des questions dont la solution doit être rapide et ne souffre aucun retard.
(53) Bull. Q.R., Chambre, du 6 mars 1973, n" 14.
(54) Robert EsCARPIT, <<Affaires courantes» in Le Monde de juillet 1978, à propos d'une crise
gouvernementale au Portugal : <<Les affaires courent toujours tellement vite que personne n'a
jamais pu les rattraper ».
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 967

C. -L'absence de permanence
1154. - Les chambres nouvellement élues ne succèdent pas aux
anciennes sans solution de continuité : deux mois environ séparent
les législatures. Il en va de même pour les parlements de commu-
nauté et de région.
<<Après chaque renouvellement, le (Parlement) wallon se réunit de
plein droit le troisième mardi qui suit le renouvellement ... Le (Parle-
ment) flamand et le (Parlement) de la Communauté française se
réunissent de plein droit le quatrième mardi qui suit le renouvelle-
ment>> (l. sp., art. 32, §1er, al. 4). Le Conseil de la Région de
Bruxelles-Capitale se réunit le troisième mardi suivant le jour
auquel le renouvellement a eu lieu (l. sp. 12 janvier 1989, art. 26,
§ 1er, al. 2) et le Conseil de la Communauté germanophone, le
deuxième mardi qui suit le mois du renouvellement (l. 31 décembre
1983, art. 42, al. 2)

§ 3. - La continuité de l'Etat

A. - La fonction exécutive
1155. - En temps de guerre, les fonctions qui reviennent au
pouvoir exécutif fédéral sont appelées à prendre plus d'importance
encore qu'en temps de paix. La conduite de l'armée, le constat de
l'état de guerre, la négociation de traités, la représentation de l'Etat
belge constituent des fonctions qui doivent être assurées sans retard
par le roi et ses ministres, et sous leurs ordres, par la force publique
et l'administration.
Une première difficulté apparaît si le roi est dans l'impossibilité
d'agir : le pouvoir exécutif fédéral est décapité (55) (no 1104).
Un autre problème surgit si le gouvernement fédéral est séparé
physiquement de l'armée et de l'administration, sans parler des
citoyens. Comment peut-il faire exécuter ses instructions? La ques-
tion de la transmission et de la publication de ses décisions se pose
avec une particulière acuité en cas de guerre (J. DE JoNGHE, De
staatsrechtelijke verplichting tot bekendmaking van normen, Antwer-
pen, Kluwer, 1985). Voyez aussi la loi du 10 mai 1940 qui règle la

(55) P. WIGNY, op. cit., p. 202.


968 LES PROCÉDURES DE CRISE

question de l'administration des territoires qui, par le fait d'opéra-


tions militaires, échappent au contrôle des autorités légales (56).
Il faut encore tenir compte des situations de désordre qui privent
une collectivité politique de toute autorité exécutive. Dans une
commune, par exemple, le bourgmestre, les échevins et les conseil-
lers sont mis, à raison des hostilités, dans l'impossibilité d'agir. Le
recours à la théorie du fonctionnaire de fait permet à une personne,
dépourvue d'une investiture quelconque, d'assurer les fonctions qui
leur reviennent : maintenir l'ordre, enregistrer les naissances, diriger
les services administratifs... En l'occurrence, le souci d'assurer la
continuité de la fonction prime la nécessité de ne conférer des tâches
de service public qu'à des autorités attitrées.
Une restriction s'impose. Les <<autorités~> de fait qui acceptent
d'assurer l'exercice de fonctions publiques doivent se borner à
prendre les mesures qui sont à la fois nécessaires et urgentes. << Non
seulement les gouvernants ne choisissent pas à leur gré les procé-
dures nouvelles, mais, de plus, ils ne peuvent pas utiliser celles-ci
pour prendre n'importe quelle mesure~> (57). La continuité de l'Etat
est à la fois un titre et une limite pour agir.

B. - La fonction législative
1156. - Durant la première guerre mondiale, le roi et ses
ministres se trouvent en territoire libre (La Panne) ou à l'étranger
(Le Havre). La plupart des parlementaires sont, eux, en territoire
occupé et mis dans l'impossibilité de se réunir L'exercice normal de
la fonction législative, de la fonction budgétaire ou de la fonction
de contrôle politique n'est plus concevable. Or, la loi doit être
votée : il faut établir le contingent de l'armée, fixer le budget des
voies et moyens, assurer le ravitaillement du pays, prendre des
mesures particulières de police et de sûreté ... (58) En accord avec
ses ministres, le roi exerce la fonction législative en édictant des
textes qualifiés d'arrêtés-lois (voy., par ex., l'arrêté-loi du

(56) ''Lorsque, par l'effet des opérations militaires, un magistrat ou un fonctionnaire, un


corps de magistrats ou de fonctionnaires ... est privé de toute communication avec l'autorité supé-
rieure dont il dépend, ou si cette autorité a cessé ses fonctions ».
(57) P. WIGNY, op. cit., p. 200.
(58) «Il faut un gouvernement, des lois, un budget», écrit laconiquement P. WIGNY (op. cit.,
p. 199).
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 969

ll octobre 1916 relatif à l'état de guerre et à l'état de siège, Mon.


b. des 15 et 21 octobre) (59).
Au lendemain de la guerre, la Cour de cassation admet la licéité
du procédé. Elle reconnaît aux arrêtés-lois << valeur de loi )). Elle les
fait ainsi échapper au contrôle de légalité que les cours et tribunaux
exercent sur la base de l'article 159 de la Constitution.
En ce sens, l'arrêté-loi ne peut guère se comparer utilement avec
l'arrêté de pouvoirs spéciaux (no 919) ou avec cette autre norme qui
porte pourtant le même nom que lui, l'arrêté-loi pris en vertu d'une
loi de pouvoirs extraordinaires (no 920). Comme eux, il traduit
l'exercice de la fonction législative. Mais, en plus, il émane ici du
pouvoir législatif ou, en tout cas, de l'une de ses branches à savoir
le roi (60). Œuvre du pouvoir législatif, comment n'aurait-il pas
valeur législative?
Préoccupée de ne pas consacrer << le principe dangereux du droit
de nécessité)) (61), la Cour de cassation considère que la pratique des
arrêtés-lois s'est établie<< par application des principes constitution-
nels)). Lesquels? La Cour raisonne par analogie, en se servant des
articles 93, 94 et 95 de la Constitution qui règlent la suppléance du
roi et permettent d'assurer la continuité du fonctionnement des
pouvoirs nonobstant la mort, la minorité ou l'impossibilité de
régner du roi (Cass., ll février 1919, cité; 4 juin 1919, Pas., I, p. 97;
18 février 1920, Pas., I, p. 62; 27 avril 1920, Pas., I, p. 124).
Elle met ainsi en relief l'existence d'un principe général de droit
public : lorsqu'une autorité publique n'est pas, pour une cause indé-
pendante de sa volonté (62), en mesure d'agir, il revient soit à une
autre autorité désignée par la Constitution, soit aux autorités qui,

(59) Le rapport au Roi précédant l'arrêté-loi du 26 décembre 1919 est particulièrement expli-
cite : ''La Constitution est, de par la force des circonstances, non point suspendue mais inexécu-
table dans certaines de ses dispositions. Le pouvoir législatif notamment ne peut fonctionner
selon les règles constitutionnelles. Dans l'impossibilité où l'on se trouve de réunir la Chambre des
représentants ou le Sénat, une seule des trois branches de ce pouvoir peut agir, le roi, pour les
matières où l'intervention du pouvoir législatif est exigée, telle l'autorisation annuelle de perce-
voir des impôts et la fixation du budget des dépenses de l'Etat. Il n'y a dès lors d'autre solution
que de laisser au roi seul le soin de disposer '·
(60) Dans ses conclusions précédant l'arrêt de la Cour de cassation du 11 février 1919 (Pas.,
1919, I, p. 9; Rev. Adm., 1919, 193), le procureur général TERLINDEN énonce trois<< axiomes de
droit public>> : l. La souveraineté de la Belgique n'a jamais été suspendue; 2. Une nation ne
peut se passer d'un gouvernement; 3. Pas de gouvernement sans lois, c'est-à-dire sans pouvoir
législatif (cité par R. ERGEC, op. cit., p. 148).
(61) P. DE VISSCHER, op. cit., t. II, p. 185.
(62) Autre serait évidemment la situation d'une autorité publique qui serait mise dans l'im-
possibilité d'agir par décision d'une autre autorité publique (les chambres sont dissoutes ... ).
970 LES PROCÉDURES DE CRISE

avec elle, concourent à l'organisation du même pouvoir, d'agir en


ses lieu et place.
1157. - Durant la seconde guerre mondiale, seul le gouverne-
ment PIERLOT est libre d'agir (en France, puis en Grande-Bre-
tagne); pour sa part, le roi est prisonnier et la majorité des parle-
mentaires sont en territoire occupé.
Les ministres, réunis en conseil, édictent à nouveau des arrêtés-
lois en se fondant sur l'article 93 de la Constitution (63) ainsi que
sur la jurisprudence précitée de la Cour de cassation. Celle-ci a éga-
lement admis la régularité du procédé : Cass., 6, 13 et 27 novembre
1944, Pas., 1945, 1, 23, 33 et 54; Cass., 11 décembre 1944, Pas.,
1945, 1, 65.
1158. - La fonction de législation peut être exercée, à titre
exceptionnel, par arrêté-loi. Encore faut-il observer que la solution
retenue, si elle ne s'autorise pas de textes constitutionnels exprès,
prend appui sur eux. Elle n'a été rendue possible que parce que l'ar-
ticle 36 de la Constitution prévoit que la fonction de faire la loi est
l'œuvre commune des trois branches du pouvoir législatif fédéral;
des régimes de suppléance sont concevables si l'un ou l'autre des
partenaires fait défaut. Pareille solution n'est pas concevable là où
la Constitution confère de manière exclusive au roi, à la Chambre
des représentants ou au Sénat une fonction particulière. Elle ne l'est
pas non plus là où elle donne à une assemblée une mission spécifi-
que : la Chambre des représentants est appelée, par exemple, à
contrôler l'action du gouvernement. On n'imagine pas, dans ce
contexte, de régime de substitution.

C. - Le statut des citoyens


1159. - Le fonctionnement de l'Etat est profondément per-
turbé ... Le statut que la Constitution et les lois font aux citoyens
se trouve, par la force des choses, bouleversé : les élections ne sont
pas organisées, les recrutements dans la fonction publique s'opèrent
en dehors des règles normales; d'où l'adoption, à l'issue de la guerre,

(63) Les arrêtés-lois de Londres étaient, en effet, introduits par le préambule suivant : <<Au
nom du peuple belge, Nous, ministres réunis en conseil, vu les articles (36) et (93) de la Constitu-
tion, vu l'arrêté du 28 mai 1940, vu l'impossibilité de réunir les Chambres législatives, avons
arrêté et arrêtons ... )).
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE 971

de lois de priorité pour restaurer l'égalité des chances entre les can-
didats à un emploi public.
Qu'en est-il des droits de l'homme? En principe, selon l'ar-
ticle 187 de la Constitution, les principes et garanties inscrits au
titre II de la Constitution sont préservés. Un arrêté-loi du
l l octobre 1916 affecte, cependant, ce principe d'exceptions impor-
tantes.
En temps de guerre, la liberté de presse est restreinte. La censure
peut être établie. Il est interdit, en effet, de publier des journaux,
des écrits ou des brochures quelconques ou de répandre, de quelque
façon que ce soit, des informations ou des renseignements de nature
à favoriser l'ennemi ou à nuire à l'esprit des troupes et de la popula-
tion (voy. égal. l'arrêté royal. du 25 août 1939, les arrêtés-lois du
18 novembre et du 27 décembre 1939). La liberté d'aller et de venir
est également compromise. Des déplacements de population peu-
vent être organisés. Sur l'avis conforme du conseil des ministres, le
roi peut, en effet, attribuer aux autorités civiles et militaires qu'il
désigne le pouvoir d'éloigner des lieux où elles pourraient nuire les
personnes suspectes d'entretenir des relations avec l'ennemi ou
celles dont la présence est de nature à entraver les opérations mili-
taires.
L'inviolabilité du domicile, la liberté d'organiser des réunions pai-
sibles et sans armes, la liberté de manifester sont affectées, dans les
mêmes conditions, en temps de guerre.
Comme le souligne à bon escient A. MAST, l'arrêté-loi du
l l octobre 1916 s'expose à des critiques de constitutionnalité dans
la mesure où, malgré les prescriptions de l'article 187 de la Constitu-
tion, il permet de porter atteinte sur des points importants à des
libertés publiques.
La Constitution mériterait d'être amendée pour prévoir, dans ses
dispositions mêmes, la possibilité de déroger, en temps de guerre ou
dans d'autres situations de danger public, au régime de protection
des droits de l'homme (ou de certains d'entre eux) (64).
L'article 187 de la Constitution mériterait d'être corrigé. Peut-être une nou-
velle disposition mériterait-elle d'être rédigée de la sorte : «A moins que l'état
de crise intérieure n'ait été décrété par le pouvoir législatif selon la procédure

(64) A. MAST, op. cit., n" 42l.


972 LES PROCÉDURES DE CRISE

de l'article 74, la Constitution ne peut être suspendue ni en tout ni en partie>>


(<<La gestion de la crise par le gouvernement ... >>, cité).

BIBLIOGRAPHIE

Au sujet des crises politiques les plus récentes, on se permet de renvoyer aux com-
mentaires particuliers qui ont été procurés à l'occasion de chacune d'elles. Voyez à
ce propos :
<<Quelques aspects constitutionnels d'une crise politique (18 janvier-10 mars
1974) », Ann. Fac. dr. Lg., 1974, p. 27; Chroniques de crise 1977-1982. L'ouvrage réu-
nit un ensemble d'articles qui ont été publiés durant la période envisagée au Journal
des tribunaux. Adde: <<Une crise en trois temps>>, J.T., 1986, p. 125; <<Avec mon bou-
lier compteur>>, Journal des procès, 1987, p. 4; <<Stratégies de crise>>, J.T., 1988,
p. 525; <<Crises, réalités et artifices>>, J. T., 1992, p. 561; «Les pouvoirs du Parlement
en période de crise», J. T., 1992, p. 665; <<Crise sans crise>>, J. T., 1995, p. 657;
<< Courtes crises •>, J. T. , 1999, p. 629.

Pour une étude d'ensemble, on consultera :


F. DELPÉRÉE, <<Le droit constitutionnel et les crises ministérielles>>, Bulletin de
l'Académie Royale de Belgique, 1988, no 5, p. 160.

Sur l'application des règles de droit public en temps de guerre et pendant l'état
de siège, voyez :
F. DUMON, << Over enkele grondwettelijke problemen gerezen tijdens de tweede
wereldoorlog >>, Mededelingen van de Koninklijke Academie van België, 1983, n° 2;
R. ERGEC, Les droits de l'homme à l'épreuve des circonstances exceptionnelles. Etude sur
l'article 15 de la Convention européenne des droits de l'homme, préface J. VELU, Bruy-
lant, Ed. Université de Bruxelles, 1987; ID., <<L'état de nécessité en droit constitu-
tionnel belge», in Le nouveau droit constitutionnel, Bruxelles, Académia-Bruylant,
1987; Ch. HUBERLANT, «Etat de siège et légalité d'exception en Belgique», in Licéité
en droit positif et références légales aux valeurs, Bruxelles, Bruylant, 1982, p. 406;
W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH,<< Enkele juridische aspecten van de actie der rege-
ring tijdens de oorlog 1940-1944 >>, in Liber amicorum A. De Schrijver, Gand, 1962,
p. 393; W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH et M. DIDERICH, <<Les états d'exception et
la Constitution belge>>, A.D.S.P., 1953, p. 49.
CHAPITRE III
LA SOLUTION DES CRISES

1160. - <<Les crises politiques s'arrangent toujours, écrit avec


ironie Julien GREEN, parce qu'il faut qu'elles s'arrangent.)) Le pro-
pos est exact et réconfortant, pour autant que la crise ne soit pas
de celles qui s'attaquent aux fondements même d'un système
constitutionnel.

Encore faut-il preciser comment s'arrangent les crises. A beau-


coup, la réponse paraîtra politique pour l'essentiel et constitution-
nelle pour sa plus faible part. Il est vrai que les forces politiques
l'opinion, les partis, les mandataires publics jouent ici un rôle essen-
tiel. Elles sont à même de donner à la crise une solution rapide ou
de la postposer, de lui procurer une issue classique ou de recourir
à des solutions originales, d'apporter leur appui à des formules
transactionnelles ou de refuser tout compromis ...

Il reste que les acteurs du système constitutionnel sont amenés à


recourir à un ensemble de procédures pour formaliser, voire pour
officialiser la volonté politique qui se serait exprimée à cette occa-
sion.

Les procédures officieuses retiennent d'abord l'attention (sec-


tion 1). Elles ne sont pas prescrites par un texte, mais elles sont
entrées dans l'usage. Mieux : elles préparent l'issue de la crise. Elles
permettent à une solution de voir le jour. Des négociations quasi
institutionnalisées peuvent se développer à cette occasion.

Les procédures officielles prennent le relais (section 2). Là spécia-


lement où l'existence d'autorités publiques a été contestée, il
importe de donner libre cours à des procédures de désignation et
d'élection. Une question essentielle surgit à ce propos. Va-t-on, à
l'issue d'une crise, mettre en œuvre ces procédures de la même
manière qu'en période normale ou des aménagements sont-ils requis
par la situation perturbée dans laquelle l'opération se réalise?
974 LES PROCÉDURES DE CRISE

SECTION Ire. - LES PROCÉDURES OFFICIEUSES

1161. - Pendant vingt ans, soit de 1970 à 1990, la vie politique


a été marquée par des crises de plus en plus fréquentes, de plus en
plus longues, de plus en plus fertiles en rebondissements. Dans le
silence des textes constitutionnels, il a fallu, pour trouver une solu-
tion à ces crises, concevoir et mettre en œuvre un ensemble de pra-
tiques. On ne saurait y voir des coutumes constitutionnelles, mais
plutôt les usages que le milieu politique s'accorde à respecter en
temps de crise. Ces pratiques n'échappent pas tout à fait à l'emprise
du droit. Et ceci pour trois raisons.
D'abord, parce que la plupart des procédures officieuses sont
mises en œuvre à l'entremise d'autorités officielles : le roi, les
ministres, les représentants de la nation ... Se pose donc au mini-
mum la question de savoir si l'autorité publique qui a recours à ces
pratiques agit dans le cadre constitutionnel de ses fonctions.
Ensuite, parce que les procédures officieuses ne s'inscrivent pas
en marge des procédures constitutionnelles, mais en amont de celles-
ci. Elles préparent la décision que requiert la Constitution. Elles la
rendent possible. Elles donnent à l'acte juridique son substrat poli-
tique. Se pose ici la question de savoir si les usages accrédités par
l'autorité publique n'entreprennent pas trop sur la part de décision
qu'elle doit conserver.
Enfin, parce que les procédures officieuses permettent aussi à des
autorités non constituées - les partis, les groupes de pression, les
associations - de prendre part au processus de sélection des auto-
rités publiques. Elles peuvent consacrer la revanche des pouvoirs de
fait sur les pouvoirs de droit. Dans un Etat constitutionnel, cette
démarche est-elle justifiée? Se pose donc la question de savoir à
quel titre certains, plutôt que d'autres, s'estiment autorisés à
mettre en œuvre ces procédures.
Le droit constitutionnel se doit d'être attentif aux procédures
officieuses de crise. On tient compte, en particulier, des procédures
de consultation (§ Pr) - des avis sont recueillis, d'autres sont
donnés spontanément - , des procédures d'incitation (§ 2) - le
droit d'avertir (A) et celui de stimuler (B) s'inscrivent dans cette
perspective - et surtout des procédures de négociation (§ 3) - il
s'agit, pour les partenaires (A) d'une coalition, de débattre d'un
programme (B) et d'arrêter un projet d'équipe (C) - .
LA SOLUTION DES CRISES 975

§ l er. - Les procédures de consultation

A. - Les consultations politiques


1162. - Aux fins de composer un gouvernement, le roi procède
d'emblée à des consultations dans le monde politique, économique
et social. Celles-ci peuvent avoir lieu en début de crise ou au cœur
de celle-ci.
Les consultations préliminaires ont une portée générale (no 447);
elles permettent au roi de se faire une idée du rapport des forces
politiques et des préoccupations de leurs leaders. Au besoin, elles
doivent permettre d'éviter la crise (n° 1119). Les consultations ulté-
rieures se donnent un autre objet : elles donnent au roi la possibilité
de recueillir un avis précis sur un ou plusieurs problèmes de fond ou
de procédure dont la solution paraît conditionner le déroulement de
la crise; peut-être aussi lui offrent-elles la faculté d'inciter ses inter-
locuteurs à mettre en œuvre divers moyens pour favoriser l'éclosion
de pareilles solutions (1).
Le roi - mais aussi l'informateur, le négociateur, le forma-
teur ... - peuvent également recueillir l'avis d'experts sur tel ou tel
point qui pose problème (2).

B. - Les autres avis


1163. - D'autres avis sont procurés d'initiative. La crise est
propice aux déclarations, aux analyses, aux commentaires, aux pré-
dictions. Les éditorialistes de la presse écrite, les journalistes de
radio et de télévision, les observateurs de la <<chose politique>>, les
caricaturistes ... ne manquent pas de s'exprimer.
Des sondages peuvent être organisés, fût-ce quelques semaines
après les élections pour << prendre le pouls >> de l'opinion publique,
pour mesurer ses réactions face aux développements de la crise,
pour évaluer la popularité des << ministrables >>.
Des groupes de pression aussi se manifestent pour faire connaître
leurs desiderata et pour attirer l'attention sur des questions particu-
lières que les négociations prégouvernementales ne sauraient éluder.

(l) «Stratégies de crise» ... , p. 533.


(2) Chroniques de crise ... , p. 24. note 28.
976 LES PROCÉDURES DE CRISE

Le phénomène est significatif à souhait. En période de crise


ministérielle, le lieu essentiel, pour ne pas dire exclusif, de la déci-
sion politique se situe dans le cercle des négociateurs. C'est là que
se traitent anticipativement tous les problèmes de gouvernement.
Nul ne s'y trompe. Les mémorandums les plus divers sont adressés
au formateur ou aux négociateurs dans l'espoir d'infléchir sur un
point ou sur un autre les options politiques du gouvernement en
gestation.
1164. - D'aucuns se prononcent, en particulier, sur les dévelop-
pements de la crise et sur les stratégies qu'elle suscite. C'est l' occa-
sion pour les leaders politiques d'exprimer les préoccupations de
leur parti. Les ministres d'Etat (3) ou des <<sages>> de la vie politi-
que sont interrogés. Des groupes n'hésitent pas à lancer un << appel
aux citoyens>> ou aux mandataires publics (4) et donnent ainsi un
avis sur les moyens à mettre en œuvre pour sortir de la crise.
Faut-il s'offusquer de ce déferlement d'avis plus ou moins circons-
tanciés? Ou faut-il y voir le souci d'une participation plus effective
à l'une des opérations essentielles dans la vie politique du pays, à
savoir la formation d'un gouvernement?

§ 2. - Les procédures d'incitation

A. - Le droit d'avertir
1165. - En cours de crise, appartient-il au roi de faire connaître
son avis? Convient-il qu'il l'exprime publiquement? Ne risque-t-il
pas d'agir ainsi à découvert? Les événements ne vont-ils pas lui
donner tort, et ruiner le crédit moral de la couronne? Des réponses
nuancées gagnent à être apportées à ces questions.
Le roi peut faire connaître avec la prudence nécessaire et avec
l'appui de l'un de ses ministres, même démissionnaire, son senti-
ment, voire sa préoccupation, sur les développements de la crise. Il
s'en ouvre à ses interlocuteurs ou il donne à ses propos un plus large
écho. Un message de Noël (5), un discours aux corps constitués (6),

(3) «Stratégies de crise>> ... , p. 531.


(4) Chroniques de crise ... , p. 170.
(5) Voy. «Stratégies de crise» .... p. 530.
(6) Voy. Chroniques de crise ... , pp. 65 et 184.
LA SOLUTION DES CRISES 977

une allocution officielle (7), une lettre au Premier ministre (8) sont,
pour le roi, autant d'occasions d'user du <~ droit d'avertir f) que lui
reconnaissait déjà au XIXe siècle Walter BAGEHOT.
<~Réserve et discrétion ... , observait BAUDOUIN pr le 20 juillet 1981,
n'ont jamais empêché mes prédécesseurs d'assumer pleinement la
mission de conseil, même public, que personne ne leur a contestée. Je
n'ai jamais failli à mon devoir d'avertir, affirmait LÉOPOLD II ... f) (9).
La même préoccupation s'exprime dans les multiples démarches que
le roi accomplit pour contribuer à une solution de la crise ( 10).

B. - Le droit de stimuler
1166. - La fonction incitatrice prend d'autres formes.
La tâche assignée au roi - composer un gouvernement - lui
donne la faculté d'infléchir, sur des points particuliers, le cours des
événements. Les instructions précises et détaillées en certaines cir-
constances qui sont données à un informateur, un négociateur ou un
formateur, traduisent notamment cette préoccupation.
Le calendrier qui leur est fixé aux fins, soit de temporiser (nos 1125
s.),_ soit de trouver rapidement (11) une solution, s'inscrit aussi dans
cette perspective. Le souci du roi d'être tenu au courant, à la faveur
de rapports circonstanciés, de l'avancement des négociations suffit
encore à indiquer qu'il entend exercer à cette occasion les tâches
constitutionnelles qui lui reviennent et conserver, autant que faire
se peut, une certaine maîtrise sur la conduite des événements (12).
A cette occasion, le roi peut notamment exprimer le souci de voir
examiner certains dossiers plus que d'autres, de voir régler à titre
préalable certaines questions ou, au contraire, de les reporter à plus
tard.
Peut-être aussi le roi est-il amené à inciter l'une ou l'autre person-
nalité à accepter d'entrer au gouvernement, voire de le prési-

(7) Voy. Chroniques de cri8e ... , p. 105.


(8) Voy. Chroniques de crise ... , p. 165.
(9) Voy. Chroniques de crise ... , p. 132.
(10) «Sans doute (le roi) parle-t-il de temps en temps en public : des discours assez brefs, que
l'on sent soigneusement pesés, et dont le contenu porte souvent sur des problèmes importants
pour le pays. Mais le roi ne donne pas d'interviews. il ne discute pas publiquement la politique
du moment, il n'entre pas en débat avec d'autres hommes publics >f (A. MoLITOR,<> Réflexions sur
la fonction royale >f, in Nous, Roi des Belge8 ... 150 ans de monarchie constitutionnelle, Bruxelles,
Crédit communal, 1981, p. 14.
(11) Voy. en particulier~< Stratégies de crise» .. , p. 530.
(12) «Stratégies de crise>> ... , p. 530.
978 LES PROCÉDURES DE CRISE

der (13). On ne saurait contester au roi l'exercice du droit de stimu-


ler. C'est même en période de crise, soit à un moment où les
ministres qui sont appelés à couvrir son action se trouvent eux-
mêmes contestés (ou, ce qui revient au même, sont profondément
divisés) que le chef de l'Etat va, par excellence, faire usage de cette
prérogative. Il ne saurait pourtant en user qu'en exprimant à ce
moment ce qu'il estime être la préoccupation de la majorité des diri-
geants politiques et en rappelant à chaque instant les exigences de
l'intérêt général.

§ 3. - Les procédures de négociation

A. - Les partenaires à la négociation


1167. - Pour composer un gouvernement, la première
démarche à accomplir revient sans doute à choisir une formule de
coalition.
Dans une phase exploratoire, le formateur éprouve la crédibilité
des partenaires qu'il a choisis. Sont-ils prêts à négocier? Sont-ils
d'accord pour former seuls le futur gouvernement ou faut-il cher-
cher d'autres alliés? Sont-ils susceptibles d'accepter les principes
généraux d'un accord global ou faut-il mener à ce sujet des conver-
sations plus approfondies? Dans une phase ultérieure, le formateur
engage ses partenaires à mener des négociations sur le fond
(no 447). Il assume personnellement la conduite de ces discussions.
Ces choix initiaux sont déterminants pour l'issue des procédures de
négociation et donc pour la formation du gouvernement. Se tromper
de formule de coalition, c'est s'exposer à ne pas aboutir.
Ces choix initiaux, qui peuvent paraître purement politiques, sont
tributaires de dispositions constitutionnelles contraignantes. Une
esquisse de gouvernement s'ébauche dès cet instant. Il convient
d'être attentif aux règles de majorité et de parité qui commande-
ront, pour l'essentiel, la désignation du nouveau ministère.

B. -La négociation d'un programme


1168. - A supposer qu'une formule stable de coalition ait pu
être trouvée, il faut engager des discussions approfondies sur le pro-

(13) «Stratégies de crise>> ... , p. 509.


LA SOLUTION DES CRISES 979

gramme du futur gouvernement, sur ses orientations générales, sur


ses implications budgétaires, sur ses applications concrètes. Com-
ment ne pas souligner que ces négociations prégouvernementales
sortent de plus en plus des chemins de l'improvisation pour obéir à
de strictes consignes de procédure ?
Des négociateurs attitrés sont désignés (14). Un nombre limité
d'experts participent aux travaux. Des groupes de travail spécia-
lisés sont constitués et fonctionnent dans l'orbite d'un << groupe cen-
tral de négociations f) ( 15). Un calendrier détaillé des phases de la
discussion est établi. La liste des dossiers qui méritent un examen
particulier est arrêtée de commun accord. Un lieu unique de négo-
ciation (le palais d'Egmont, Val Duchesse, le château de Stuyven-
berg ... ) est choisi.
Cette négociation peut se développer à huis clos, << en conclave f>.
Elle peut aussi être plus ouverte : les délégués effectifs font appel à
leurs suppléants; les ministres démissionnaires font rapport sur des
sujets particuliers; des experts sont consultés sur des questions pré-
cises; les états-majors des formations pressenties pour former le
g~uvernement sont tenus au courant de l'avancement des tra-
vaux ... (16).
Il faut souligner le rôle du formateur, omniprésent tout au long
des négociations qui doivent présider à la formation de <<son f> gou-
vernement. Son intervention, celle aussi de son entourage, parais-
sent décisives à chacun des moments importants des discussions en
cours. Le formateur se dépense sans compter : il fait connaître ses
propositions, il cherche à harmoniser les points de vue, il rédige des
formules de pré-accord, il informe sur les prévisions budgétaires, il
établit la liste des dispositions constitutionnelles à réviser, il com-
pose la déclaration gouvernementale, il en constitue les
annexes ... (17).

(14) Ces négociations présentent une originalité lorsque le formateur est aussi le Premier
ministre démissionnaire. Plusieurs délégués sont des ministres de l'équipe sortante. Les discus·
sions ne peuvent se nouer sur une table rase entre des partenaires qui s'ignorent. Il s'agit moins
de composer un gouvernement ab nihilo que de restaurer et de rééquilibrer une équipe ministé·
rielle. Il s'agit moins de concevoir un programme que d'adapter des projets compte tenu de la
nouvelle conjoncture politique (Chroniques de crise ... , p. 116).
(15) Chroniques de crise ... , p. 104.
(16) <<Une crise en trois temps >f ... , p. 126.
(17) Chroniques de crise ... , p. 105.
980 LES PROCÉDURES DE CRISE

1169. Ce programme est présenté aux congrès des partis poli-


tiques de la majorité qui se compose. Pour officialiser un tant soit
peu les résultats de la négociation politique qui s'est développée, le
formateur, les présidents des partis pressentis pour composer le gou-
vernement et les négociateurs peuvent signer l'accord du gouverne-
ment qui est appelé à régir les travaux de la nouvelle coalition
(Adde : <<Courtes crises)), J. T., 1999, p. 638).
1170. - Des négociations systématiques et ordonnées condui-
sent à la rédaction d'accords gouvernementaux toujours plus expli-
cites et plus précis. Ceux-ci ne ménagent peut-être pas aux ministres
du gouvernement en formation toute la liberté d'action souhaitable.
La mise en œuvre d'une stratégie complète de crise contraste,
cependant, heureusement avec l'improvisation qui a parfois caracté-
risé l'ouverture de négociations politiques.
On ne peut à cet égard que se féliciter du développement des pro-
cédures officieuses qui préparent l'avènement d'un nouveau gouver-
nement.

C. -Le choix d'une équipe

1171. - La coalition est définie. Le programme est établi ... Il


reste à déterminer les grandes lignes de l'architecture gouvernemen-
tale : combien de vice-premiers ministres, combien de ministres par
rapport aux secrétaires d'Etat, combien de membres du cabinet de
politique générale ... ? Il faut aussi déterminer selon quels équilibres
répartir les postes entre les formations appelées à composer le gou-
vernement - le système D'HoNDT, une représentation proportion-
nelle corrigée ... -? Il convient encore de choisir les hommes et les
femmes qui exerceront la fonction exécutive. Le roi les désigne, sans
doute. Mais il revient au formateur de lui présenter un ensemble de
noms de personnalités qui accepteraient une charge ministérielle.
L'établissement de la liste est affaire de négociations et de
contacts aux dernières heures de la crise. Ici encore, des << règles )) de
plus en plus précises tendent à s'imposer pour doser les influences
et les responsabilités. Comme le rapporte la presse, << un système de
points est établi et chacun s'accorde à le respecter : le Premier
ministre vaut trois points, un ministre, deux, un secrétaire d'Etat,
LA SOLUTION DES CRISES 981

un seul (18) ... )). D'autres postes peuvent être mis en balance: le pré-
sident de la Chambre ou celui du Sénat vaut, par exemple, un
ministre (19). Peut-être même sera-t-il procédé à une répartition
plus vaste encore des responsabilités, puisqu'en 1988, on y ajoute
un poste de commissaire européen (20). Le tout fait l'objet d'arbi-
trages sous la conduite du formateur.

SECTION Il. - LES PROCÉDURES OFFICIELLES

1172. - Il faut mettre fin à la crise. Il faut, à l'occasion de pro-


cédures formalisées, indiquer le moment précis où le système consti-
tutionnel retrouve ses règles normales de fonctionnement. Selon la
nature et l'ampleur de la crise, les procédures mises en place vont
différer.
Elles peuvent se ramener au remplacement des autorités défail-
lantes (§ pr), que celles-ci relèvent de l'exécutif (A) ou d'assemblées
délibérantes (B). La procédure revient à substituer une personne à
une autre, en respectant les règles qui commandent le choix des
autorités publiques.
Les procédures officielles peuvent impliquer des opérations plus
complexes de régularisation (§ 2). L'autorité publique avalise les
actes accomplis en temps de crise (A); elle restaure des personnes
dans les charges et fonctions qu'elles exerçaient avant la crise (B);
elle les réintègre dans les fonctions dont elles ont été privées de
force (C).
Les procédures officielles peuvent encore s'inscrire dans le
domaine des contrôles (§ 3). Ils peuvent, d'un point de vue juridi-
que, porter sur des personnes (A) ou sur des actes (B). Ils peuvent,
d'un point de vue plus politique, embrasser l'ensemble des opéra-
tions accomplies en période de crise (C).

(18) Chroniques de crise .... p. 117, note 16.


(19) «Une crise en trois temps» ... , p. 126, note 124.
(20) ''Stratégies de crise>) .... p. 534.
982 LES PROCÉDURES DE CRISE

§ 1er. ~ Les procédures de remplacement

A. ~ Les autorités exécutives


1173. ~ << A la mort du roi, les chambres s'assemblent sans
convocation au plus tard le dixième jour après celui du décès>>
(Const., art. 90, al. 1er, 1re phrase). Elles entendent <<la prestation de
serment>> du successeur au trône (art. 91, al. 3), tel qu'il se trouve
désigné en application de l'article 85 de la Constitution. Dès cet ins-
tant, le roi peut exercer les fonctions qui lui sont dévolues; selon
l'expression imagée de l'article 91 de la Constitution, il prend<< pos-
session du trône >>.
117 4. ~ En cas de vacance du trône (c'est-à-dire lorsque la
dynastie est éteinte et que le roi n'a pas désigné de successeur ou
que celui-ci n'a pas été accepté par les chambres) (n° 1055), le
conseil des ministres assume, dès le décès du roi, la suppléance des
fonctions qui lui reviennent. Mais les chambres, réunies en congrès
dans les dix jours, transfèrent l'exercice des mêmes fonctions à un
régent (Const., art. 95) (21). Par la même occasion, les chambres
sont automatiquement dissoutes; il est procédé à de nouvelles élec-
tions.
Il appartient aux chambres nouvelles de pourvoir définitivement
à la vacance, en tenant compte des préférences exprimées par l'opi-
nion publique à l'occasion des élections. Pour ce faire, elles délibè-
rent en commun et se mettent d'accord sur le nom du nouveau chef
d'Etat. Elles choisissent ainsi un nouveau roi ou plus exactement
une nouvelle dynastie.
1175. ~ Si le roi est amené à renoncer définitivement à ses fonc-
tions. il lui revient de mettre en œuvre, avec ses ministres, les pro-
cédures qui dans le respect des règles sur le statut personnel du roi
et des successibles permettent d'assurer la continuité de la fonction
royale (22). Le premier dans l'ordre de succession au trône est

(21) Voy. le décret du Congrès national du 28 janvier 1831 sur le mode d'élection du chef de
l'Etat (Pasin .. 1830-1831, n" 34, p. 170). appliqué mutatis mutandis à l'élection du prince
CHARLES comme régent, le 20 septembre 1944 (Ann. parl .. Chambres réunies, 20 septembre 1944,
p. 33)
(22) Acte d'abdication de LÉOPOLD rn. le 16 juillet 1951 (Pasin . p. 803). par lequel le roi
«met fin à son règne et renonce définitivement aux pouvoirs constitutionnels qu'il détient en
vertu de l'article (85) de la Constitution>>.
LA SOLUTION DES CRISES 983

appelé à prêter serment. Dès ce moment, le nouveau roi exerce l'in-


tégralité des fonctions qui lui reviennent.
1176. - Au décès d'un ministre, un successeur doit, en principe,
lui être désigné. Peut-être la règle de la parité sera-t-elle battue en
brèche pendant quelques jours. Il n'y a pas lieu de s'en formaliser.
Placé devant une situation imprévue, le roi, après quelques consul-
tations, nomme un nouveau ministre; celui-ci prête serment et entre
aussitôt en fonctions.
1177. - S'il advient qu'un ministre soit révoqué, il faut qu'en
même temps un autre ministre soit désigné pour le remplacer. Seuls
des arrêtés royaux concomitants permettront, en la circonstance, de
respecter les dispositions de l'article 99, alinéa 2, de la Constitution.
Le gouvernement ne peut invoquer ici l'effet de surprise pour diffé-
rer l'opération de nomination : l'initiative de la mesure lui revient;
il lui appartient d'en apprécier les conséquences.
1178. - Si un ministre démissionne pour des raisons qui lui sont
personnelles, il peut ne pas être remplacé si son absence ne fausse
pas les équilibres gouvernementaux et ne porte pas atteinte à la
règle de la parité ministérielle. Dans les autres cas, sa démission ne
sera officiellement acceptée qu'au moment où un successeur lui aura
été désigné. La prestation de serment du nouveau ministre marque
le moment de la passation des fonctions.
1179. - Si le Premier ministre présente au roi sa démission, ou
si tout ou partie des membres du gouvernement agissent de même,
la crise s'ouvre par un communiqué du palais acceptant de manière
officieuse les démissions intervenues et chargeant le cabinet en place
de l'expédition des affaires courantes. Au terme de la crise, il
convient d'accepter officiellement cette même démission et de pro-
céder à la désignation du nouveau gouvernement.
Trois arrêtés royaux concrétisent cette opération (n" 448). Il en
va de même si le gouvernement est renversé par une assemblée.
1180. - Si un gouvernement de communauté ou de région,
voire l'un de ses membres, est démis de ses fonctions par le parle-
ment qui l'a élu, il peut l'être suite à l'adoption d'une motion de
méfiance (art. 71, al. 1er); << cette motion n'est recevable que si elle
présente un successeur au gouvernement, à un ou à plusieurs de ses
membres, selon le cas~> (art. 71, al. 2). Il en résulte que l'adoption
984 LES PROCÉDURES DE CRISE

de la motion emporte tout à la fois <<la démission (du gouverne-


ment) ou du ou des membres contestés, ainsi que l'installation (du
gouvernement) et du ou des nouveaux membres)) (art. 71, al. 4).
Le gouvernement peut aussi être démissionnaire << de plein droit ))
pour n'avoir pas obtenu la confiance qu'il demandait au conseil de
communauté ou de région (art. 72, al. 4). Dans ce cas, il expédie les
affaires courantes jusqu'à ce que le conseil ait procédé à l'élection
d'un nouveau gouvernement. Le remplacement doit s'opérer << sans
délai)) (art. 73, al. pr).

B. - Les assemblées et leurs membres


1181. - Le mandat parlementaire prend fin, en principe, à
l'échéance de la législature de quatre ans (Const., art. 65 et 70). Il
peut être prématurément interrompu à la suite d'une dissolution des
chambres législatives (n° 1097).
On distingue, en ce sens, le renouvellement ordinaire des
chambres législatives (ou de l'une d'elles seulement) qui intervient
au terme normal de la législature et le renouvellement extraordi-
naire qui se réalise dans les mêmes conditions à la suite d'une disso-
lution.
Dans ces deux cas, il y a lieu à renouvellement des chambres Les
élections générales - qui doivent avoir lieu dans les quarante
jours - y pourvoient pour l'essentiel (23). Les nouveaux élus
entrent en fonctions après avoir prêté le serment d'observer la
Constitution (24).
1182. - Quand les élections auront-elles lieu? Quatre hypo-
thèses sont envisagées par le Code électoral. Elles méritent d'être
distinguées.
Un renouvellement ordinaire suit un autre renouvellement ordinaire.
L'article 105 du Code s'applique à cette situation : les élections ont
lieu <<le premier dimanche qui suit l'expiration d'un délai de quatre
années prenant cours à la date à laquelle il a été procédé à la dési-
gnation des sénateurs cooptés lors de l'élection précédente)).

(23) Voy. no 1097.


(24) Auparavant, les députés et sénateurs proclamés élus procèdent néanmoins à la vérifica-
tion des pouvoirs de leurs collègues et prennent part au vote sur cet objet avant même d'avoir
prêté serment (C. El., art. 236, al. 2).
LA SOLUTION DES CRISES 985

L'hypothèse peut paraître exceptionnelle - depuis l'entrée en


vigueur du Code électoral en 1920, elle n'a jamais trouvé à se réali-
ser ... - . La disposition inscrite dans l'article 105 acquiert cepen-
dant valeur de règle générale; les autres hypothèses apparaissent
comme autant d'exceptions à ses prescriptions.
Un renouvellement extraordinaire suit un renouvellement ordinaire :
ce fut le cas pour les élections de 1932.
Un renouvellement extraordinaire suit un autre renouvellement
extraordinaire, ce qui est de loin le cas le plus fréquent (voy. les élec-
tions successives des 8 novembre 1981, 13 octobre 1985,
13 décembre 1987 ... ). Il y a lieu, à nouveau, de se référer aux pres-
criptions des articles 46 et 195 de la Constitution.
Dernier cas de figure : un renouvellement ordinaire suit un renou-
vellement extraordinaire : la situation se présenta le 26 mai 1929 (25).
L'article 105 du Code électoral règle la matière : ici aussi, l'intention
est de donner aux nouvelles chambres l'occasion de siéger pendant
quatre années pleines, le point de départ étant l'élection des séna-
teurs cooptés au début de la législature précédente.
Les élections de 1936 interviennent sans doute le quatrième dimanche de mai.
Ces élections constituent néanmoins des élections anticipées, comme en témoigne
l'arrêté de dissolution du 13 avril 1936 (Mon. b. du 13 avril, p. 3103). La loi du
3 mars 1936 avait, en effet, reporté au mois de juin les élections ordinaires (Mon.
b. du 6 mars, p. 1258). Celles qui se déroulent au mois de mai ne peuvent être
qualifiées d'ordinaires au sens de l'article 240 du Code électoral. Les dernières
élections ordinaires remontent au 26 mai 1929.

Si le dimanche ainsi déterminé coïncide avec un jour férié légal,


<<l'élection est remise au dimanche suivant>> (art. 105, § pr, al. 2).
1183. - Le renouvellement intégral des chambres législatives ne
se réalise qu'après élection des sénateurs communautaires et des
sénateurs cooptés, selon les principes inscrits dans l'article 67 de la
Constitution.
1184. - Un parlementaire peut décéder (no 1056). Il peut
démissionner (no 1062). Il peut être déchu de ses fonctions s'il vient
à perdre l'une des conditions d'éligibilité prescrites par la Constitu-

(25) Dans son avis du 11 avril 1984, la section d'administration du Conseil d'Etat (VI' ch.)
(Doc. parl., Sénat, sess. 19831984, 645/2) précise qu'il 'n'a pas été tenu d'élections ordinaires
depuis 1936 ''(p. 12). De son côté, Michel LEROY (<• La date des élections législatives ordinaires»,
J. T., 1984, pp. 541-547) présente les élections du 24 mai 1936 comme un renouvellement ordi-
naire faisant suite à la dissolution d'octobre 1932.
986 LES PROCÉDURES DE CRISE

tion (nos 162 s.) ou s'il se trouve placé dans l'un des cas d'incompa-
tibilité prévus par la loi (no 572) (26); la déchéance joue de plein
droit mais, en cas de contestation, il y a lieu à nouvelle vérification
des pouvoirs.
Lorsque le titulaire d'un mandat parlementaire est défaillant, il
est remplacé par un suppléant. Si ce dernier fait défaut, il y a lieu
de procéder à une élection partielle pour pourvoir le siège vacant de
député ou de sénateur élu direct. Toutefois, pour éviter la répétition
des manœuvres engagées par L. DEGRELLE en 1937, pareille élection
n'a lieu qu'avec l'accord de la chambre intéressée dans les cas sui-
vants : lorsque la vacance se produit dans les trois mois qui précè-
dent les élections générales, lorsqu'elle est la conséquence de la
démission d'un titulaire ou lorsqu'elle résulte du désistement de
suppléants (C. El., art. 106, modifié par la loi du 12 mars 1937).
Le remplacement d'un sénateur communautaire et d'un sénateur
coopté ne peut évidemment s'opérer de cette manière. Ils n'ont pas
de suppléant. Il convient donc que l'assemblée concernée - le par-
lement de communauté ou le Sénat lui-même- procède à une nou-
velle élection.
1185. - Les membres des parlements de communauté et de
région sont soumis à un statut analogue.
1186. - Il convient de souligner la particularité du statut des
conseillers communaux. On sait que les élections communales ont
lieu tous les six ans, le deuxième dimanche d'octobre. Il est cepen-
dant précisé que les conseillers sont <<élus pour un terme de six ans,
à compter du 1er janvier qui suit leur élection>> (NLC, art. 2, al. 1er);
il en résulte que <<les membres du corps communal sortant ... restent
en fonction jusqu'à ce que les pouvoirs de leurs successeurs aient été
vérifiés et que leur installation ait eu lieu>> (art. 4, al. 1er). De cette
façon, il n'y a pas vacance du pouvoir.

§ 2. - Les procédures de régularisation


1187. - Jusqu'à présent, la crise s'est résolue de manière
simple, en tout cas d'un point de vue juridique.

(26) Quelle que soit l'opinion que J'on puisse avoir au sujet de la<< moralité» du parlementaire
qui change de parti en cours de législature, pareille attitude ne peut entraîner ni déchéance, ni
révocation du parlementaire en cause.
LA SOLUTION DES CRISES 987

Une autorité publique fait défaut? Une autre s'y substitue. Les
règles à suivre pour le remplacement sont à peu de chose près les
mêmes que celles qui président à la désignation ou à l'élection ini-
tiale. Un quasi-parallélisme des compétences, des formes et des pro-
cédures s'applique en la circonstance.
Des situations plus complexes peuvent néanmoins se présenter.
D'où cela vient-il?
Un remplacement s'opère au terme d'une crise qui a duré plu-
sieurs semaines, voire plusieurs mois. Ne convient-il pas d'avaliser
ce qui a été accompli (A) pour gérer la crise? Comment s'organise,
en particulier, la succession d'un gouvernement d'affaires cou-
rantes?
Autre situation. Il n'y a pas lieu de procéder à une substitution
de personnes, mais de permettre à l'une d'elles d'être restaurée (B)
dans les droits et charges qu'elle avait momentanément aban-
donnés. Comment aménager cette reprise de fonctions et marquer le
retour à une situation normale?
Situation plus préoccupante encore. Une autorité a été déchargée
peut-être à raison de circonstances extérieures, et notamment par la
force, des responsabilités qu'elle était en droit d'exercer. Au
moment où prend fin ce cas de crise, comment la réintégrer (C) dans
les fonctions qu'elle n'aurait pas dû abandonner?
Le droit public met ici encore en place des procédures officielles
qui s'inscrivent toutes sous le signe de la continuité. Celle-ci revêt
cependant des tonalités différentes en fonction des situations de
cnse.

A. - Les procédures d'aval


1188. - L'ordre constitutionnel une fois rétabli, convient-il de
ratifier officiellement les actes et décisions qui ont été accomplis en
période de crise? Sur cette question importante, les constitutionna-
listes sont divisés. Au nom de la sécurité juridique, certains récla-
U}ent la mise en œuvre de procédures d'aval; au nom de la conti-
nuité juridique, d'autres s'inquiètent du recours à des techniques
dont l'utilisation semble à elle seule démontrer que la Constitution,
ou certaines de ses prescriptions, ont été mises entre parenthèses
pendant la crise.
La pratique est hésitante.
988 LES PROCÉDURES DE CRISE

Dans le sens de l'aval, on relève le contreseing apporté par le Pre-


mier ministre sortant à l'arrêté royal désignant son successeur
(no 448). Il sert, souligne-t-on, à couvrir l'ensemble des interven-
tions du roi en cours de crise. La responsabilité du Premier ministre
peut, en l'occurrence, paraître relever de la fiction : les actes du roi
sont déjà accomplis; quant au chef du ministère, il va, dans l'ins-
tant, être déchargé de ses fonctions si bien qu'il ne pourra se justi-
fier en personne devant la Chambre des représentants.
En sens inverse, on souligne qu'à l'issue des deux guerres mon-
diales, la doctrine s'est refusée à prôner le recours aux techniques
de ratification. Telle aurait été la solution normale, écrit P. WIGNY :
<(Lorsque la force majeure a pris fin, les organes compétents
approuveraient, selon la procédure régulière, les actes accomplis ...
Pareille formule, qui satisfait les juristes, n'est cependant pas politi-
quement suffisante~> (27). A ses yeux, elle est même dangereuse :
<(Jusqu'à ce qu'ils aient été ratifiés, les actes du pouvoir sont d'une
validité douteuse~> (28).
L'officialisation des actes accomplis est l'œuvre du juge plutôt
que du législateur (no 1157).

B. - Les procédures de restauration


1189. - Au terme de la crise, il peut s'agir, non de désigner une
autre personne pour remplir une fonction publique, mais de restau-
rer dans sa charge celui qui en a été privé pour un temps. Là où
des suppléances et des intérims ont été organisés, il convient, dès
que la cause d'empêchement disparaît, que le titulaire reprenne
l'exercice de ses fonctions. En principe, la restauration opère de
plein droit et sans formalités. Exceptionnellement, la Constitution
prévoit soit de manière expresse, soit de manière implicite qu'une
procédure marque la fin de la crise et, pour que nul n'en ignore,
indique le moment précis où l'autorité régulière est à nouveau inves-
tie de ses fonctions. Deux exemples illustrent cette idée.
Le premier est inscrit en toutes lettres dans l'article 93 de la
Constitution. Le roi se trouve dans l'impossibilité de régner. Les
ministres réunis en conseil font constater que cette impossibilité a

(27) P. WIGNY, op. cit., p. 199.


(28) P. WwNY, op. cit., ibid.
LA SOLUTION DES CRISES 989

pris fin. Il est mis un terme à la régence et à la tutelle. Le roi


reprend l'exercice de ses pouvoirs constitutionnels.
Le second exemple s'est imposé en pratique. Un ministre (ou un
ministère) présente sa démission au roi. Celui-ci l'accepte, mais ne
remplace pas sur-le-champ le membre du gouvernement. Ce dernier
est donc réputé démissionnaire et se limite à l'expédition des
affaires courantes. S'il advient que le roi refuse en fin de compte la
démission qu'il avait initialement acceptée, il fait connaître publi-
quement sa décision. A cet instant, le ministre retrouve la plénitude
de ses attributions.

§ 3. - Les procédures de contrôle


1190. - Les solutions apportées à la crise, grâce à la mise en
œuvre de procédures officieuses ou officielles, peuvent-elles faire
l'objet de vérifications? D'autres issues n'étaient-elles pas conce-
vables ? D'autres techniques n'auraient-elles pas dû être utilisées ?
Les exigences de la Constitution, de la loi ou des règles coutumières
ont-elles été respectées à suffisance? Toutes questions qui apparais-
sent soit au moment où la crise s'achève, soit après qu'elle a été
résolue.
Les contrôles peuvent, dès l'abord, paraître limités. Un ensemble
d'interventions ressortissent au domaine de l'action politique et
échappent à ce titre à toute vérification de caractère juridique; par
contre, elles peuvent susciter des appréciations du point de vue de
leur opportunité.
D'autres prennent la forme d'actes juridiques mais, ne s'inscri-
vant pas exactement dans le moule de l'acte administratif justi-
ciable du Conseil d'Etat, ne sauraient être contestées devant le juge
administratif. Des vérifications sont, cependant, concevables. Elles
portent tantôt sur les personnes, tantôt sur leurs actes.

A. - Les contrôles juridiques. Les personnes


1191. - Des contrôles juridictionnels sont organisés de manière
systématique en matière électorale. Ils ont pour objet de vérifier
l'éligibilité des mandataires élus et la régularité des procédures élec-
torales. En ce qui concerne les membres des deux chambres, voy.
no 171; les membres des parlements de communauté et de région,
990 LES PROCÉDURES DE CRISE

no 1021; les membres des conseils communaux et provinciaux,


no 171 (29).
1192. ~ De~ contrôles portent également sur la désignation des
autorités nommées : magistrats, fonctionnaires, bourgmestres ... Le
juge administratif vérifie, en particulier, la régularité des procédures
qui ont été suivies à cette occasion (30).
1193. ~ Le Conseil d'Etat peut-il connaître de la nomination
d'un ministre (ou d'un gouvernement)? La question est posée en
1980 (31). Des recours en annulation sont introduits contre les
arrêtés royaux des 22 et 23 octobre 1980 qui procèdent à la désigna-
tion des membres du gouvernement MARTENS IV.
Deux problèmes sont ainsi posés au Conseil d'Etat. Les requé-
rants justifient-ils d'un intérêt suffisant pour agir (32)? L'acte dont
ils contestent la légalité est-il de ceux que le Conseil d'Etat est
appelé valablement à connaître ?
Le Conseil d'Etat doit, d'abord, se demander qui a intérêt à
introduire un recours contre les actes pris par le roi en application
de l'article 96 de la Constitution. Pareil recours est ouvert au
ministre évincé. Il appartenait au gouvernement sortant, mais il n'a
pas été reconduit dans ses fonctions : il a intérêt à agir, encore que
sa démission, offerte en début de crise, semble démontrer qu'il est
consentant ... Pareil recours est également ouvert au ministre révo-
qué. Il ne met pas en cause le bien-fondé d'une mesure très large-
ment discrétionnaire mais prétend critiquer les conditions, de forme
notamment, dans lesquelles la décision a été prise.
Au-delà de ce cercle restreint de personnes intéressées, à qui reconnaître la
possibilité d'agir en justice 1 Aux parlementaires de la majorité qui pouvaient
peut-être escompter une désignation dans la nouvelle équipe et qui justifieront
donc d'un intérêt individualisé, mais n'est-il pas purement éventuel! Aux parle-
mentaires de l'opposition qui exciperont sans doute d'un intérêt fonctionnel et
réclameront le respect des prérogatives des chambres législatives mais, en l'ab-
sence de procédure d'investiture, le lien entre l'acte de nommer et les possibilités
du contrôle parlementaire n'est-il pas trop distendu 1 A tout citoyen qui pourvu
qu'il soit belge, qu'il ait 21 ans et qu'il jouisse des droits politiques -peut être

(29) Adde. M. VERDUSSEN, Le droit des élections communales, préface F. DELPÉRÉE, Bruxelles,
Ed. Némésis, 1988.
(30) J. SAROT, J. LIGOT, S. GHELEN, <<Le statut des agents de l'Etat devant le juge adminis-
tratif''· A.P. T., 1977-1978, p. 81.
(31) Chroniques de crise ... , p. 122.
(32) Les requérants étaient, en l'occurrence, des parlementaires appartenant à une formation
politique de l'opposition.
LA SOLUTION DES CRISES 991

nommé ministre (Const., art. 97), mais n'est-ce pas la voie ouverte à l'action
populaire!
La notion d'intérêt fonctionnel ne devrait pas, en l'occurrence, être comprise
de manière trop étroite. Pareil intérêt doit permettre à des requérants de
défendre l'institution à laquelle ils appartiennent mais aussi «les intérêts géné-
raux auxquels leurs fonctions les obligent à veiller>> (33). Des parlementaires de
la majorité comme de l'opposition peuvent sans doute justifier d'un intérêt suffi-
samment précis pour agir devant le juge administratif.

Le Conseil d'Etat doit, ensuite, se demander si l'arrêté royal por-


tant la désignation de membres du gouvernement peut voir sa vali-
dité contestée devant lui.
Deux thèses se sont exprimées sur la question. La première récuse <<un quel-
conque contrôle d'une autorité administrative ou judiciaire>>. L'acte accompli
échappe, par nature, au contrôle du juge administratif Son caractère éminem-
ment politique le fait entrer dans la catégorie de ces « actes de gouvernement >>
que le Conseil d'Etat de France a pu contribuer à édifier aux fins de restreindre
les prérogatives du juge administratif (34).
La seconde thèse récuse la théorie de l'<< acte de gouvernement>> et considère
que tout acte accompli par le chef de l'Etat, spécialement dans l'exercice de la
fonction gouvernementale, peut être assujetti à des contrôles de constitutionna-
lité ou de légalité. S'il ne paraît guère opportun de multiplier ce type de
contrôles - car, sur le fond, ces décisions laissent au chef de l'Etat une marge
considérable de pouvoir discrétionnaire-~, il n'en reste pas moins qu'ils existent
(n° 436).

1194. - Le Conseil d'Etat ou d'autres juridictions ne sauraient


connaître de l'élection des membres d'un gouvernement de commu-
nauté ou de région.
La Cour d'arbitrage est amenée à connaître incidemment de cette question, le
19 février 1987 Elle se prononce sur la pertinence d'une exception d'irrecevabi-
lité adressée à l'encontre d'une demande qui aurait été introduite <<par un col-
lège qui se nomme Exécutif régional wallon, mais qui n'a pas été régulièrement
désigné ... >>. La Cour observe prudemment qu'elle ne saurait juger du bien-fondé
de l'exception qu'en examinant des questions relatives à<< la composition et (au)
fonctionnement du conseil >>, appréciation qui relève « du conseil et uniquement
de celui-ci>>.
Dans son arrêt du 4 mars 1987 le Conseil d'Etat prend une position plus nette.
L'acte par lequel un conseil élit les membres d'un gouvernement de communauté
ou de région est celui <<d'une autorité parlementaire élue et souveraine dans la

(33) C.E., no 998, 6 juillet 1951, Gothot et Clemens, R.J.D.A., 1952, p. 27, note P. DE VISS-
CHER.
(34) <• Ce contrôle, dira le sénateur DE STEXHE, relève du Parlement et de lui seul, c'est-à-dire
que le vote de confiance des chambres doit clore le débat... Nous défendons la séparation des pou-
voirs et la primauté du Parlement et vous iriez soumettre notre vote de confiance au contrôle
des tribunaux!>> (Ann. parl., Sénat, 31 octobre 1980, p. 109).
992 LES PROCÉDURES DE CRISE

sphère de ses compétences>). A ce titre, il échappe à la compétence du juge admi-


nistratif<< A défaut de contrôle juridictionnel organisé par la Constitution ou par
la loi >), il revient au parlement de procéder lui-même au contrôle de régularité
juridique (35) de pareille décision.

1195. - Le Conseil d'Etat connaît encore des recours introduits


contre l'élection des échevins par les conseils communaux. Des vices
de forme peuvent notamment entacher les délibérations de ceux-ci.
S'ils sont établis, le juge administratif est en ~esure de les censurer
(voy. C.E., 1er décembre 1966, Bassleer, R.J.D.A., 1967, p. 72, rap-
port M. DUMONT).

B. - Les contrôles juridiques. Les actes


1196. - D'autres actes que ceux qui emportent désignation ou
élection d'une autorité publique doivent être pris en compte. Le roi
désigne un négociateur, il consulte des personnalités politiques, il
dissout les Chambres ...
Peut-on imaginer que ces actes soient assujettis à contrôle, que le
juge judiciaire ou administratif censure, avec les moyens qui sont
les siens, ces décisions essentielles pour la solution des crises ? A la
limite, peut-on admettre qu'une juridiction prolonge ou ressuscite la
crise en mettant à néant les mesures prises ?
Un ensemble d'actes accomplis par le roi en temps de crise échap-
pent au contrôle du juge parce qu'ils constituent ce que la doctrine
administrative appelle des actes préparatoires ce sont les
démarches accomplies en vue de poser l'acte décisoire que repré-
sente, par exemple, la désignation du nouveau ministère.
D'autres actes sont pris par le roi, au début ou à l'issue de la
crise. Ils échappent eux aussi à la vérification du juge, parce qu'ils
traduisent l'exercice d'une compétence discrétionnaire que la
Constitution entend réserver à une autorité publique. Pour autant
que la session parlementaire ait duré quarante jours, il appartient
au roi de la clore; s'il a été mis fin à la session parlementaire, le roi
peut convoquer une session extraordinaire des chambres. Il accom-
plit là des << actes parlementaires )) plus que des actes administratifs.
Il ne revient pas au juge de les contrôler.

(35) C.E., 4 mars 1987, J. T., 1987, p. 487. Voy. aussi, F. DELPÉRÉE, <<Une crise en trois
temps»..., p. 130. En sens contraire : F. DEHOUSSE, <<Le feuilleton constitutionnel de l'hiver : la
désignation de l'Exécutif régional wallon», J. T., 1986, p. 152.
LA SOLUTION DES CRISES 993

D'autres actes encore émanent du roi, mais ne peuvent être sou-


mis au contrôle du juge parce qu'ils ne traduisent pas à proprement
parler l'exercice de la fonction gouvernementale ou administrative.
Le roi n'accomplit pas ce que les lois coordonnées sur le Conseil
d'Etat appellent des actes administratifs, en tout cas à l'état pur.
Le roi dissout les chambres, selon l'article 46 de la Constitution.
L'arrêté royal qu'il prend à cette occasion marque une intervention
dans l'organisation et le fonctionnement des assemblées délibé-
rantes. S'il s'agit, en la forme, d'un procédé qui relève de l'autorité
exécutive, il s'agit aussi, quant au fond, d'une activité qui touche
pour l'essentiel deux branches du pouvoir législatif. Nul contrôle
n'est concevable à cette occasion (36).
1197. - Il faut le rappeler. La vérification des actes accomplis
en temps de guerre par le roi et son gouvernement, ou par le gou-
vernement seul, a permis aux cours et tribunaux de donner un fon-
dement constitutionnel aux arrêtés-lois pris en période de cnse
extrême (n° 1156).
De même, la vérification d'actes accomplis sans titre par des
fonctionnaires de fait ~> aboutit à procurer à l'action administrative
<<

une ba.se juridique suffisante (37), même si les procédures suivies


sortent à bien des égards du domaine des procédures officielles.

C. - Les contrôles politiques


1198. - En période de crise, un ensemble de démarches, de
déclarations, d'interventions échappent au contrôle juridictionnel
dans la mesure où elles ne s'inscrivent pas dans la forme d'un acte
administratif. D'autres sont soumises à vérifications juridiques,
mais celles-ci sont limitées, puisqu'elles ne sauraient entreprendre
sur les aspects politiques de ces mesures. Dans ces cas, le contrôle
politique peut paraître plus effectif.
Les milieux politiques n'hésitent pas à critiquer ceux qui remplis-
sent un rôle de premier plan en temps de crise : le roi, le Premier

(36) Contra : J. VELU, La dissolution du Parlement ... , p. 34.


(37) «La théorie du fonctionnaire de fait, écrit Cyr GAMBIER, (op. cit., p. 255), trouve à s'ap-
pliquer qui s'autorise de besoins de sécurité et de permanence. Elle permet de justifier l'interven-
tion, en cas de carence absolue des autorités qualifiées, d'un citoyen assumant d'office les respon-
sabilités de la charge publique délaissée; elle permet de couvrir, aussi, les actes accomplis par un
agent dont l'investiture fait ultérieurement l'objet d'une annulation». Voy. not. Cass., 12 juin
1953, J. T., 1954, p. 711.
994 LES PROCÉDURES DE CRISE

ministre démissionnaire, l'informateur, le formateur ... Comment en


irait-il autrement?
Deux difficultés doivent être mentionnées.
D'une part, les critiques ne peuvent que malaisément s'exprimer
selon les procédures du contrôle parlementaire. En période de crise
ministérielle, en particulier, la Chambre est privée de son interlocu-
teur gouvernemental. Si reproches il y a, ils seront plus volontiers
exposés dans les médias que dans l'hémicycle parlementaire.
D'autre part, les critiques ne peuvent le plus souvent qu'être for-
mulées a posteriori. De ce fait, elles s'adressent, non au cabinet qui
vient d'être démis de ses fonctions, mais au gouvernement qui vient
d'être désigné et qui, par surcroît, a obtenu la confiance de la
Chambre. Le vote qui est intervenu ne marque-t-il pas l'acquiesce-
ment des assemblées aux procédures qui ont conduit à la formation
de la coalition ?
1199. ~ L'acte de dissolution échappe, par nature, à tout
contrôle politique (no 1152 s.).

BIBLIOGRAPHIE

Plus encore que d'autres questions liées aux crises politiques, la matière du
<<dénouement des crises>) ne fait guère l'objet d'études scientifiques. La doctrine se
contente de renvoyer aux propos qui ont été tenus sur les procédures de désignation
ou de sélection. Ce qui est une manière de minimiser la spécificité de la question.
Voyez cependant :
F. DELPÉRÉE et D. DELAHAUT, <<Le remplacement d'un parlementaire>), Cahiers
constitutionnels, 1985, n" 3; W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH,<< Propos sur le texte
de la loi et les principes généraux du droit», J.T., 1970, pp. 557 à 572 et 581 à 596,
spécialement p. 581 (à propos de la permanence de l'Etat); B. WALEFFE, Le Roi
nomme et révoque ses ministres. La formation et la démission des gouvernements en Bel-
gique depuis 1944, Bruxelles, Bruylant, 1972; A. VANWELKENHUYZEN, V 0 <<Chef
d'Etat>), in Répertoire pratique de droit belge, 1977, Complément, t. V.
CONCLUSION

1200. - Au terme du périple constitutionnel, une question vient


à l'esprit. A quoi bon la Constitution, à quoi bon le droit constitu-
tionnel, à quoi bon les constitutionnalistes?
Les plus sceptiques souriront. La vie politique d'un Etat, notam-
ment en période de crise, offre le spectacle d'un <<jeu>> où les coups
de force et les coups de bluff sont payants et où le respect de la
règle de droit ne paraît pas toujours au premier rang des préoccupa-
tions des gouvernants et des gouvernés.
Les plus impatients s'indigneront. La vie politique, mais aussi la
vie économique, sociale et culturelle d'un Etat n'a que faire des
limitations qu'une Constitution anachronique et les autorités qu'elle
organise prétendent - au nom de quelle légitimité? - apporter au
libre développement des personnes et des groupes.
Si telle est la conviction à la dernière page de l'ouvrage, force est
d'admettre que le propos liminaire - au commencement du droit
est la Constitution... - n'a pas convaincu. Pis encore : à l' expé-
rience, il se trouve infirmé. Mais ce sentiment est-il fondé?
On persiste à croire que, comme toute discipline juridique, le
droit constitutionnel a besoin de ces définitions qui, abstraites du
contingent, permettent l'édification d'une discipline scientifique
digne de ce nom.
On persiste à penser que, comme toute discipline juridique, le
droit constitutionnel ne peut empêcher les excès de pouvoir mais
peut, en revanche, contribuer à mettre en place les autorités qui
censureront ces violations.
On persiste encore à soutenir que, comme toute discipline juridi-
que, le droit constitutionnel n'a pas pour seule fonction d'instaurer
des garde-fous mais aussi de canaliser les forces créatrices qui sont
à l'œuvre dans une société pour que leur essor soit assorti à l'intérêt
général.
Ce n'est pas croire abusivement aux vertus de la règle constitu-
tionnelle que de penser que la vie dans l'Etat serait plus simple,
996 CONCLUSION

plus sereine, plus harmonieuse si chacun acceptait de se plier à ses


prescriptions.
Au commencement, comme à la fin du droit, est la Constitution.

Louvain-la-Neuve, le 26 juillet 2000.


TABLE ALPHABÉTIQUE
Les chiffres renvoient aux numéros de l'ouvrage.
Les chiffres gras donnent ceux où les matières sont principalement traitées.
Les mots de renvoi indiquent des synonymes ou des sujets particuliers,
compris dans le terme générique sous lequel ils se trouvent.

A Acte collectif : 438


Acte de gouvernement : 436, ll93
Abandon de poste : Agent public, Démis- Acte de l'autorité publique : Emploi des
sion d'office, Ministre. langues.
Abattoir : 365 Acte du Roi : Contreseing ministériel,
Abdication : 427, 1054, 1055, 1058, Roi.
ll08, ll22 Acte préparatoire : 352
Abrogation : 38, 56 Actes et documents des entreprises :
Absence : 139, 544, ll38 Emploi des langues.
Absence de décision : 772 Adjonction de territoire : Traité de fron-
Abstention : 58, 441, 545, ll38 tières.
Abus d'autorité : 286 Adjudication : Marchés publics.

Acceptation de la démission : Démission. Administration : 26, 155, 389, 390, 403,


485, 826
Accès à la profession : 223, 682, 995
Administration générale : 12, 345, 455,
Accès au territoire : 123, 127, 128, 129,
537, 845, 846, 1038
130, 131, 209, 3ll
Administration intérieure : 356, 842
Accès aux emplois publics : Administra-
tion publique, Agent public, Emploi Administration publique : 136, 160, 264,
public. 966. Voy. aussi Emploi des langues.

Accord : 729, 735, 748, 772 Administration spéciale : 845

Accord culturel : Coopération internatio- Adoption de la loi : Elaboration de la loi.


nale, Traité international Aéroport et aérodrome : 365
Accord de coopération : 400, 713, 714, Affaire judiciaire : Emploi des langues .
718, 719, 720, 721, 722, 723, 724, 725, Affaire royale : 498
726, 727, 739, 764, 772, 776, 788, 843, Affaires courantes : 37, 57, 521, 631,
1023, 1024 1026, 1038, 1064, 1092, 1096, 1113,
Accord de gouvernement : 1170 ll33, 1142 à 1153, 1179, 1180, 1189
Accord international : 63, 670, 834, 983. Affaires judiciaires : Emploi des langues.
Voy. aussi Traité international. Affaires urgentes : 1092, ll33, 1140,
Acquisition de nationalité : 106, 108, 1153
113, ll4, ll5, ll6, ll8 Age : 146, 161, 162, 163, 164, 457, 469,
Acte administratif : 76, 436, 443, 875 481, 527, 546, 593, 1095
998 TABLE ALPHABÉTIQUE

Agent de l'Etat : 304, 461, 846, 927, Approbation : 736


951, 1066. Voy. Agent public. Approche du droit : 25, 26
Agent public : 25, 455, 598, 677, 1061 Archives : 520
Agglomération bruxelloise : 365, 366, Armée : 249, 498, 589, 831, 866, 898,
367, 368, 374, 487 1102, 1155
Agglomération et fédération de com- Armes: 304
munes : 314, 336, 363, 364, 365, 366,
Arrestation : 213, 561, 578, 579
367, 368, 409, 462
Arrêt d'annulation : Annulation, Conseil
Agrément : 333
d'Etat, Cour d'arbitrage.
Agression : 310, 1103, 1107, 1116
Arrêt de non-conformité : 97
Aide à la presse : Presse.
Arrêt de suspension : 97
Aide aux cultes : Cultes.
Arrêté-loi de guerre : 1156, 1157, 1158,
Aide aux personnes : 977, 978
1197
Aide médicale urgente : 365, 366
Arrêté-loi de pouvoirs extraordinaires :
Aide sociale : 977, 978 Pouvoirs extraordinaires.
Air : Espace atmosphérique. Arrêté royal 436, 440, 448, 500, 927,
Aire de compétence : 312, 323, 700, 711, 1083, 1177, 1179
712, 767 Arrêté royal de pouvoirs spéciaux : Pou-
Ajournement : 541, 1099, 1134 voirs spéciaux.
Albert II : 431, 433, 947 Arrêté royal réglementaire : 453
Allocation de chômage : Chômage. Arrondissement : 471, 475, 477, 624
Ambassade : 826, 860 Arrondissement administratif : 341
Aménagement du territoire : 242, 345, Arrondissement électoral : Collège électo-
412, 659, 633, 673, 708, 985, 987, 988, ral.
1000, 1032
Art de guérir : 976
Amendement : 646, 769, 898, 917, 925,
Arts : Beaux-Arts.
930, 934, 935, 936, 939, 945, 946,
1019, 1036 Asile politique : 11, 129

Amérique latine : 17 Assemblée de Commission communau-


taire : 379, 597, 601
Annales parlementaires : 548, 577
Assemblée de la Commission communau-
Annualité du budget : 848
taire flamande : 1016
Annulation: 77, 289, 290, 395, 779, 786,
Assemblée de la Commission communau-
805, 886, 1032. Voy. aussi Tutelle.
taire française : 599, 618, 671, 1016
Anonymat : 203, 207 à 212
Assemblée de législature : 605
Apatride : 120, 121, 123
Assemblée délibérante : Chambres fédé-
Apparentement : 476, 477 rales, Conseil communal, Conseil pro-
Appartenance : 331, 761 vincial, Parlement de communauté ou
Appartenance communautaire : 322, 328 de région.
à 335, 380, 381, 382, 443, 615, 691 à Assemblée des Communautés euro-
702 péennes : Parlement européen.
Appartenance régionale : 707 Assemblée réunie : 379, 599, 619, 643,
Appel nominal : 545, 941 670
TABLE ALPHABÉTIQUE 999

Assentiment à un accord' de coopéra- Autonomie organisationnelle 420, 606,


tion : 78, 724, 725, 776, 1023 626, 627, 630, 631, 632, 643, 656, 757,
Assentiment à un traité : 68, 78, 100, 1012
310, 669, 733, 753, 800, 864, 865, 867, Autorisation : 275, 279, 282, 561, 580,
868, 869, 898, 930, 944, 956, 1020, 581, 729, 867
1048, 1105. Voy. Traité international. Autorité publique : 93, 269, 270, 421,
Assentiment des chambres : 436, 1098 424, 425, 426, 492, 493, 753
Assentiment ministériel Contreseing Autriche : 529
ministériel. Avion: 309
Assise de l'Etat 12, 13, 26, 27, 28, 29 Avis: 732, 772, 1118, 1161, 1165
Assistance sociale : Aide sociale. Avis conforme : 490, 729, 736, 772
Avis motivé : 368, 768
Association (Liberté d'-): 125, 246, 249,
259, 264, 266, 284 Avocat : 589
Association (procédure d'-) : 733, 772 Avortement : 202, 502, 975

Association d'Etats Confédération


d'Etats. B
Association de pouvoirs publics : 353,
363, 396, 843, 1002 Ballotage : 429, 470, 471
Association des gouvernements de com- Baudouin le" : 498, 1137
munauté ou de région : 682 Beaux-Arts : 972
Asymétrie : 317, 418, 630, 659 Belgique : 2
Attribution (Pouvoirs d'-) : 10, 38, 71, Bénédiction nuptiale : 218
72 Bibliothèque : 182, 255, 972
Attribution : voy. Principe d'attribution. Bicaméral : Loi bicamérale.
Attribution de nationalité : 106, 107, Bicaméralisme: 76, 414, 523 à 529, 537,
108, 109 540, 551, 574, 634, 802, 930, 943, 945
Audience : 554 Bicommunautaire : 334
Auditeur au Conseil d'Etat : 459 Biculturel : 334
Aumônier militaire : 216 Biéducatif : 334
Auteur d'un écrit : 231, 232 Bien public : 5

Autonomie : 387, 392, 398, 401, 403, Biens : 125, 241


405, 408, 410, 412, 415, 417, 418, 460, Bipersonnalisable : 334, 382
667, 669, 670, 712, 717, 718, 740, 758, Bonnes mœurs : 217, 271. Voy. aussi
760, 762, 960, 982, 1018 Moralité et dignité.
Autonomie constitutive : voy. Autono- Bourgmestre : 348, 350, 490, 574, 898,
mie organisationnelle. 1053, 1061, 1066, 1074, 1079, 1110,
Autonomie fiscale : 740, 742. Voy. aussi 1112, 1122
Impôt. Branche du droit : 9
Autonomie locale: 16, 76, 759, 898. Voy. Bruxelles : 311, 363, 364
aussi Collectivité locale, Subordination, Budget : 304, 315, 344, 355, 356, 514,
Tutelle. 527, 528, 529, 537, 567, 699, 719, 740,
1000 TABLE ALPHABÉTIQUE

847, 848, 849, 850, 854, 871, 932, 939, Cession de territoire : voy. Traité de
943, 1020, ll05, ll68 frontières.
Bulletin des questions et réponses : 954 Chambre des représentants : 88, 171.
Bureau d'assemblée : 488, 531, 532, 533, 425, 437, 440, 441, 442, 443, 444, 451.'
535, 631, 926, 927, 957, 1146 458, 462, 464, 468, 469 à 478, 481,
481, 489, 492, 501, 524, 528, 532, 533,
Bureau électoral: 171, 476, 584, 1061
534, 535, 536, 537, 541, 559, 560, 561,
563, 570, 670, 769, 775, 849, 851, 852,
869, 870, 871, 880, 927, 942, 943, 951,
c 952, 956, 1025, 1068, 1073, 1074, 1076,
1088, 1093, ll47, ll50. Voy. aussi
Cabinet : Gouvernement. Assentiment (à un traité), Chambres
Cabinet du Premier ministre : 500 fédérales, Confiance, Dissolution,
Groupe linguistique, Groupe politique,
Cabinet du Roi : 500
Responsabilité politique.
Cabinet ministériel : 927
Chambres constituantes : Révision de la
Caducité : 1097 Constitution.
Calamité : ll17 Chambres fédérales : 61, 464, 466, 467,
Campagne électorale : 58 753, ll40
Canada : 391, 407, 529 Chambres réunies : Congrès.
Canal : Voirie .. Charte : 49, 52, 187, 806
Candidat : 475, 489 Chasse : 990
Candidat à une élection: 142. Voy. aussi Chef de l'Etat : 128, 301, 407, 428, 429,
Eligibilité. 435, 443, 545, 659, 667, 827, 860, 889,
956. Voy. Roi.
Candidat à une fonction publique : 198
Chercheur : Recherche scientifique.
Canton : 329, 341, 404, 881
Chiffre d'éligibilité : 475
Capacité civile : 138, 169
Chiffre électoral : 476, 477
Capitale : 312, 1032. Voy. Bruxelles.
Chômage : 251, 345, 734, 998
Carte d'identité : 194, 330, 482, 607
Cimetière : 353
Carte d'identité pour étrangers : 133
Cinéma: 217. Voy. aussi Spectacle.
Carte professionnelle : 127
Circonscription administrative : 337 à
Cas fortuit : 1052, llOl 340
Case de tête : 475 Circonscription électorale : 341, 466,
Caserne : 333 470, 473, 474, 477, 631. Voy. aussi
Cassation : Cour de cassation. Collège électoral.
Cautionnement : 232, 279 Citoyen : 6, 10, 61, 101, 102, 104, 105,
128, 135, 136, 423, 427, 462, 463, 469,
Censure : 232, 235, 278
852, 889
Centimes additionnels : 743, 744, 750 Citoyen européen : 105, 135, 143, 158,
Centre Harmel : 324 159, 160, 343. Voy. aussi Droits du
Centre public d'aide sociale : 722. Voy. citoyen.
Aide sociale. Clôture de la session : 541
Centre sportif : 332 Coalition : Gouvernement.
TABLE ALPHABÉTIQUE 1001

Code électoral : 462 Commissaire du gouvernement : 427,


Codification : 60 454, 519
Cohérence juridique : 823 Commissaire du Roi : 519
Collaboration des pouvoirs : 426, 890, Commissaire européen : 1171
891, 958 Commissaire royal : 519
Collaboration entre collectivités : 393, Commission communautaire : 336, 374 à
397' 414, 491 382, 607, 631, 633, 703, 1012, 1014,
Collaboration fonctionnelle : 400, 773, 1015, 1016
779, 897, 898, 1012, 1017, 1018, 1019, Commission communautaire commune
1020, 1021, 1022 80, 412, 607, 619, 703, 739, 761, 1014
Collaboration organique : 400, 773, 774, Commission communautaire flamande
775, 897, 1012, 1013, 1014, 1015, 1016 703, 1014
Collectivité étatique : Voy. Etat. Commission communautaire française
Collectivité fédérée : 383, 405, 421, 460, 80, 323, 412, 413, 618, 703, 707, 1005,
484, 660, 663, 868 1009, 1014
Collectivité locale : 300, 342, 354, 383, Commission d'enquête : Enquête.
395, 460, 461, 467, 468, 487, 757, 842, Commission des Communautés euro-
1002, 1086 péennes : Europe.
Collectivité politique : 13, 302, 303, 314, Commission de vérification des pou-
321, 322, 343, 376, 383, 387, 423 voirs : Vérification des pouvoirs.
Collège : 149, 350, 487 Commission mixte : 537
Collège administratif : 489 Commission nationale permanente du
Collège de la Commission communau- pacte culturel : 255, 284, 488
taire : 379, 624, 628, 1014, 1030 Commission parlementaire : 433, 456,
Collège de la Commission communau- 532, 535, 537, 544, 931, 932, 1146
taire flamande : 629 Commission parlementaire de concerta-
Collège de la Commission communau- tion : 78, 538, 945
taire française : 83, 599, 629 Commission permanente de contrôle lin-
Collège des bourgmestre et échevins : guistique : 284, 330, 488
170, 621, 1069 Commission spéciale : 537
Collège électoral : 341, 466, 472, 473, Commissions réunies de coopération
474, 483, 484, 485, 536, 628 981
Collège réuni : 83, 379, 599, 624 Communauté : 80, 221, 300, 314, 321,
Collégialité : 635, 636, 857, 883, 923, 322, 323, 324, 325, 326, 328, 330, 331,
927, 942, 1072, 1134 374, 410, 412, 413, 414, 418, 419, 443,
467, 551, 596, 626, 630, 631, 632, 667,
Colonie : 306
692, 739, 742, 769, 775, 879
Comité de concertation : 79, 733, 764,
Communauté flamande : 326, 329, 330,
766, 768, 770, 771, 772, 775, 776
602, 608, 624, 631, 692, 693, 1005,
Comité de coopération : 1032 1006
Comité ministériel : 504, 512, 517 Communauté française : 326, 329, 330,
Commandement de l'armée voy. 602, 615, 631, 691, 693, 939, 1007,
Armée. 1009, lOlO
1002 TABLE ALPHABÉTIQUE

Communauté germanophone : 318, 326, Comptes : 356, 532, 740, 850, 854, 871,
329, 600, 627, 634, 635, 692, 707, 740, 943
778, 1008, 1015 Concertation 712, 734, 750, 764, 770,
Communautés européennes voy. 772, 802, 1032. Voy. aussi Commission
Europe. parlementaire de concertation, Comité
Commune: 13, 221, 267, 336, 341, 343, de concertation.
344, 354, 356, 363, 365, 368, 404, 408, Conciliation : 756, 764, 765, 766
409, 425, 462, 467, 740, 909, 1155 Conclave : 511
Commune à facilités : 226 Conclusion d'un traité : Traité internatio-
Commune à statut spécial : 266, 330, nal.
663, 699, 966, 968 Concordance : 60
Commune de la frontière linguistique Concours de compétences : 660, 712 à
330, 362 739.
Commune malmédienne : 330 Condition d'éligibilité : Eligibilité.
Commune périphérique : 227, 330, 695, Confédération d'Etats : 388, 407, 415,
699 420, 757, 829
Communications : 412, 682 Conférence des présidents : 531, 535,
Communiqué du Palais : 521 537, 538, 926, 933
Compétences accessoires : 661, 687, 688 Conférence interministérielle : 671, 764

Compétences ancillaires : 688 Confiance : Motion de confiance, Respon-


sabilité politique.
Compétences communautaires 326,
958, 959, 960 à 981, 1006 Confidentialité : 1125
Confirmation législative : 750, 917, 919,
Compétences concurrentes 666, 676,
1041
711, 746
Confiscation : 241
Compétences exclusives Principe d'ex-
clusivité. Conflit armé : Guerre.
Compétences implicites : 661, 684, 685, Conflit d'intérêts : 761, 778
686 Conflit de compétence : 83, 91, 661, 772,
Compétences parallèles : 672, 992 776
Compétences transférées : Transfert de Conformité à la Constitution : Contrôle
compétences. de constitutionnalité.
Compétences régionales : 958, 959, 984, Congrès: 429, 957, 1136, 1137, 1174
985 à 1004, 1006 Congrès national :51, 55, 407, 426, 429,
Compétences réservées : 661, 667, 681, 559, 560
682, 683, 685, 917, 922, 1023 Conseil communal : 134, 152, 482, 483,
Compétences résiduelles : 663, 664, 665, 1100, 1110, 1132, 1195
684, 685, 718, 1024 Conseil d'Etat : 58, 77, 78, 79, 80, 81,
82, 83, 88, 96, 171, 173, 290, 320, 436,
Composantes de l'Etat fédéral: 107, 300,
322, 325, 336, 344, 423, 467, 529 458, 492, 546, 552, 553, 589, 590, 591,
670, 694, 739, 756, 759, 764, 767, 768,
Composition du gouvernement : Gouver- 773, 776, 780, 781, 783, 787, 873, 875,
nement. 878, 879, 880, 884, 885, 917,927, 928,
Compte rendu analytique: 548, 577, 941 930, 935, 1032, 1041, 1110, 1114, 1127
TABLE ALPHABÉTIQUE 1003

Conseil de cabinet: 512. Voy. Conseil des Constitution : 2, 3, 632, 662, 801, 806,
ministres. 823. Voy. aussi Révision de la Consti-
Conseil de communauté ou de région : tution.
Parlement de communauté ou de région. Constitution ~ caractère : 3, 31
Conseil de gouvernement : 504, 515, Constitution ~ mythe : 14, 16
lll8, ll26, ll3l Constitution ~ objet : 3, 4, 5, 7, 179
Conseil de l'agglomération bruxelloise Constitution~ programme : 14, 15
482 Constitution -· projet de développe-
Conseil de la Communauté française : ment: 14, 17
voy. Parlement de la Communauté Constitution ~ règle fondamentale : 3,
française. 7, 632
Conseil de la Communauté germano- Constitution ~ règle solennelle : 41
phone : 327, 599, 602, 609, 654. Voy. Constitution ~ utilité : voy. Révision de
aussi Communauté germanophone. la Constitution, Suspension de la
Conseil de la Couronne : 516 Constitution.
Conseil de la Région de Bruxelles-Capi- Constitution écrite : 32, 33, 35, 38, 40,
tale : 379, 599, 601, 602, 604, 606, 43, 65
607, 609, 614, 617, 618, 619, 624, 670, Constitution européenne : 187, 806, 8ll
1015, 1016
Constitution originelle : 36, 47, 49, 50,
Conseil des ministres : 39, 93, 134, 352, 51, 52
362, 410, 414, 436, 438, 443, 445, 454, Consul : 131, 145, 147, 526, 833
505, 506, 512, 513, 514, 516, 518, 520,
Consultation : 39, 437, 447, 1059, 1080,
636, 637, 732, 736, 750, 764, 766, 769,
lll2, lll8, ll24, ll25, 1126, ll6l,
802, 927, 939, 956, 957, 1032, 1092,
ll76, ll95
1102, 1104, 1118, 1126, 1129, 1131,
ll34, ll37, ll57, ll74, ll76, ll78 Consultation communale : 152

Conseil flamand : Parlement flamand. Consultation populaire : 149, 150, 151,


152, 153, 154, 955, 1090, ll37
Conseil provincial : 482, 574, llOO, ll32
Contentieux administratif : 876
Conseil régional wallon : Parlement wal-
Contentieux électoral 170, 171, 172,
lon.
173, 883, 1112
Conseil supérieur de la justice : 458, 488,
Contingent : 527, 846, 871, 898, 943,
489
ll56
Conseiller à la Cour de cassation : 458
Continuité de l'Etat : ll53, ll88
Conseiller communal : 490, ll86 Contrat : 8, 272, 434, 499, 843, 903, 963
Conseiller d'Etat : 458, 489 Contreseing ministériel : 428, 433, 446,
Conseiller laïc : 219 448, 449, 452, 453, 493, 494, 498, 499,
Conseiller provincial : 483, 1063 500, 501, 521, 635, 863, 927, 947,
1055, 1065, 1068, 1092, 1120, 1122,
Consensus : 505, 506, 507, 508, 514, 520, ll34, ll38, 1148, ll49, ll88
637, 766, 768, 770, 771, 776, 941,
Contrôle de constitutionnalité : 75, 76,
1032, 1058
77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 399, 402,
Consentement à l'impôt : 848 436, 684, 711, 768, 815, 820, 821, 874,
Conservation de la nature : 633, 990 875, 929
1004 TABLE ALPHABÉTIQUE

Contrôle de conventionnalité : 820, 821 Coopération verticale : 714, 715, 716,


Contrôle de légalité : 436 728, 729
Contrôle d'européanité : 820, 822 Cooptation : Sénateur coopté.
Contrôle financier : 854 Coordination de l'action gouvernemen-
Contrôle hiérarchique : Hiérarchie. tale : 455, 511, 518

Contrôle juridictionnel : 853, 855. Voy. Coordination de la Constitution : 60


Cours et tribunaux, Juridiction admi- Corps communal : 350
nistrative. Corps électoral : Electorat.
Contrôle politique : 284, 524, 528, 529, Correspondance : 203, 204, 206, 963
530, 852, 856, 863, 898, 951, 952, 955,
Corruption : 562
1025, 1046, 1047, 1048, 1143, 1147,
1149, 1153, 1156, 1198 Cortège : Manifestation.
Contrôle sanitaire : 976 Coup d'Etat : 21
Convention : voy. Contrat. Cour constitutionnelle : Cour d'arbitrage.
Convention collective du travail : 8, 183, Cour d'appel : 169, 489, 561, 562, 563,
724 581, 650, 881
Convention européenne des droits de Cour d'arbitrage : 9, 20, 45, 64, 75, 87,
l'homme : 56, 84, 100, 116, 124, 125, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97,
178, 180, 186, 208, 227' 260, 267' 283, 98, 99, 188, 198, 229, 289, 413, 414,
296, 297' 298, 299, 821 458, 489, 492, 514, 553, 573, 589, 590,
Convention internationale : Traité inter- 591, 666, 670, 694, 725, 739, 753, 758,
national. 761, 763, 767, 772, 773, 776, 780, 782,
786, 787, 803, 804, 823, 873, 874, 880,
Convention nationale : 53
884, 886, 917, 1032, 1041, 1110, 1114
Convictions morales et religieuses :
Cour d'assises : 423, 881
Cultes, Eglise.
Cour de cassation: 88, 96, 457, 458, 489,
Coopération : 333, 410, 712, 981, 1007.
492, 553, 554, 559, 561, 563, 873, 878,
Voy. aussi Accord de coopération,
881,1110
Comité de coopération.
Cour de justice des Communautés euro-
Coopération conventionnelle : 714, 717,
péennes : 95, 187, 678, 795, 798, 806,
718. Voy. Accord de coopération.
823
Coopération culturelle internationale :
Cour des comptes : 446, 488, 514, 573,
326, 702
783, 854, 873, 879, 880
Coopération culturelle nationale 326,
Cour européenne des droits de l'homme:
702, 981
86, 175, 694, 695, 696, 786
Coopération dans l'Etat fédéral : voy.
Couronne : Succession au trône, Vacance
Fédéralisme coopératif.
du trône.
Coopération horizontale : 713, 714, 717
Cours de religion ou de morale : 217, 225
Coopération internationale : 415, 710,
791, 792, 829, 1040. Voy. aussi Organi- Cours et tribunaux : 77, 173, 200, 492,
sation internationale, Traité internatio- 873, 876, 877, 878, 919, 930, 1032,
nal. 1041, 1103
Coopération procédurale : 717, 728 à Courtoisie linguistique : 443
739, 1020 Coutume : 8, 33 à 39, 1161
TABLE ALPHABÉTIQUE 1005

Couverture des actes du Roi : Contre- Déclaration gouvernementale : 440, 451,


seing ministériel. 838, 1075, 1168
Crédit : Politique du crédit. Déclaration préalable : 282
Crise : 39, 478, 900, 915, 1050, 1051, Déclaration universelle des droits de
1052, 1059, 1117, 1160 l'homme : 135, 138, 185, 294, 295
Cultes: 140, 197, 215, 218, 219 Déclenchement de la crise : Crise.
Culture : 181, 303, 374, 378, 618, 687, Déconcentration : 338, 357, 365, 415
699, 702, 970, 971. Voy. aussi Matières Décoration : 572
culturelles. Découvrir la couronne : 521
Cumul de candidatures : 491 Décret : 45, 46, 69, 77, 181, 238, 330,
Cumul de fonctions : 486, 571, 575, 590, 375, 413, 608, 618, 642, 664, 684, 707,
613, 623, 649, 654, 656, 892, 1013 729, 923, 1006, 1018, 1019, 1042
Cumul de mandats : 446, 484 Décret du Congrès national : 431
Cure : 219 Décret spécial : 46, 69, 484, 610, 620,
623, 624, 625, 626, 631, 632, 636, 643,
649, 656, 1009
D
Décret supraconstitutionnel : 55, 429,
431, 785
Danemark : 529
Dédoublement fonctionnel: 43, 484, 491,
Danger public : 295, 1052, 1101, 1106, 612, 613, 616, 647
1107, 1159
Défense : 659, 826, 845, 869, 905
Date des élections : Election.
Défense et illustration de la langue : 702,
Débat contradictoire : 552, 588, 953, 954 971
Débat parlementaire : 523, 937, 938, Défense nationale : Armée.
1151
Déficit budgétaire : Budget, Finances
Décentralisation : 374, 382, 383, 386, publiques.
387, 388, 389, 390, 393, 401, 402, 403,
Délégation : 71, 73, 80, 85, 378, 396, 636,
404, 408, 409, 410, 415, 420, 696, 703,
896, 908, 910, 911, 912, 913, 914, 915,
767, 1005, 10032
916, 917, 918, 919, 920, 921, 922
Décès : 438, 1052, 1055, 1101, 1117,
Délibération de la loi : voy. Elaboration
1173, 1174, 1176, 1184
de la loi.
Déchéance de la nationalité : Destitution. Délimitation de l'Etat : voy. Frontière,
Déchéance des droits à la couronne Traité de frontières.
433, 956 Délit politique et de presse : 231, 554
Déchets : 742, 743, 745, 989 Démission: 438, 440, 441, 447, 450, 451,
Décision négociée : Consensus. 509, 519, 521, 888, 892, 952, 1031,
Déclaration de droits : 6 1052, 1053, 1058, 1059, 1060, 1061,
Déclaration de guerre : Guerre. 1062, 1063, 1064, 1065, 1068, 1070,
1071, 1072, 1073, 1074, 1076, 1078,
Déclaration de nationalité : 112, 116
1079, 1080, 1081, 1082, 1083, 1984,
Déclaration de révision : 57, 58, 442, 1085, 1086, 1087, 1088, 1098, 1099,
905, 1088, 1119 1107, 1122, 1129, 1131, 1134, 1141,
Déclaration des droits de l'homme et du 1142, 1143, 1150, 1151, 1152, 1168,
citoyen : 34, 136, 145 1178, 1179, 1180, 1184
1006 TABLE ALPHABÉTIQUE

Démission différée : 1124 Dissolution : 34, 39, 53, 57, 58, 62, 63,
Démission d'office : 1081 76, 428, 437, 441, 449, 451, 462, 488,
509, 605, 892, 895, 897, 898, 1025,
Démission du Premier ministre : 512
1028, 1029, 1031, 1052, 1073, 1087,
Démission du Roi : voy. Abdication. 1088, 1089, 1090, 1091, 1092, 1093,
Démocratie: 17, 22, 138, 149, 154, 176, 1094, 1095, 1096, 1097, 1098, 1099,
187, 296, 463, 469, 799, 800, 852, ll15 1100, 1107, 1109, 1113, 1115, 1119,
Démocratie directe : voy. Référendum. 1127, 1130, 1131, 1132, 1134, 1135,
1140, 1144, 1145, 1146, 1147, 1150,
Déontologie : 512, 522, 1051, 1079, ll49
1151, ll54, 1174, 1181, ll82, 1196,
Département ministériel : 451, 512, 513, ll99
518, 845, 927
Dissolution automatique 1088, 1090,
Dépense : 84 7, 848, 854 1094
Députation permanente : 171, 358, 440, Dissolution facultative 1088, 1091,
488, 490, 574, 621, ll22 1095
Député : voy. Chambre des représentants, Distinction : Egalité.
Représentant de la Nation.
District : 336, 369 à 373, 462
Dernière lecture : Seconde lecture.
Diviseur électoral : 4 76, 4 77
Descendance : Hérédité.
Diviseur fédéral : 474
Désignation : 426, 427, 486, 493, 523
Division d'un article : Droit de division.
Destitution de la nationalité : 121
Division de l'Etat : 300, 336, 423
Désuétude : 38
Domicile : 126, 161, 165, 166, 167, 168,
Détention : 206, 213, 232, 252, 578, 580, 205, 235, 343, 481, 1061, 1159
977
Domicile (Inviolabilité du-) : 203, 204,
Dévolution de la couronne : 427, 431 205, 206, 283, ll59
Différenciation : 194, 195 Domicile civil : 166, 168
Dignité : 127, 138, 169, 265, 274, 481 Domicile électoral : 166
Diplomate : 128, 131, 831, 833, 863, 870 Dommage : Réparation, Responsabilité
Diplôme : 224 civile.
Discipline : 458, 846 Dotation : 260, 433, 535, 740
Discipline des parlementaires : 535 Douane : 338
Discours du Roi : 839, 1165 Double délibération : Bicaméralisme.
Discrétion : 216, 493 Double lecture : Elaboration du décret
Discrimination. 87, 91, 128, 134, 191, Double majorité : 379, 607, 643
192, 193, 194, 196, 274, 631, 696, 740,
Drapeau : 6, 304, 333
821, 956, 1044. Voy. aussi Egalité.
Drittwirkung : 272
Discussion article par article : 934, 938
Droit administratif : 26, 180, 901
Discussion de la loi : Elaboration de la
loi. Droit à la culture : 255

Discussion du décret : Elaboration du Droit à la santé : 251


décret. Droit à la vie : 67. Voy. aussi Vie.
Dissensus : 509, 1080 Droit à l'information : 254
TABLE ALPHABÉTIQUE 1007

Droit à l'instruction : 256. Voy. aussi Droits de l'homme : 67, 101, 124, 163,
Enseignement. 175 à 299, 758, 816, 841
Droit à une pension de retraite : Retraite. Droits de la défense : 188, 200, 552
Droit au chômage : voy. Chômage. Droits du citoyen : 101, 135, 136, 662
Droit au salaire : 127 Droits économiques, sociaux et cultu-
Droit au travail : 127, 249, 250 rels: 11, 127, 134, 274, 295, 780
Droit budgétaire : Budget. Droits fondamentaux : 51, 800
Droit commercial : 995 Droits sociaux : Chômage, Droit au
Droit communautaire: 817, 818, 819 salaire, Emploi, Travail (Droit au -).
Droit comparé : 27 Dynastie: 407,428, 431,488, 1174. Voy.
Droit culturel : voy. Enseignement. aussi Monarchie, Roi, Vacance du
trône.
Droit d'avertir : 1065, 1161, 1165
Droit de division : 937
Droit de grâce : 497, 561 E
Droit de la comptabilité publique : 847,
850
Eau : 633, 667, 733, 742, 743, 985, 989,
Droit de la procédure pénale : 560 999
Droit de pétition : 425 Echevin : 350, 483, 490, 621, 1062,1122,
Droit de propriété : 241 1195
Droit de réponse : 236 Ecole: 224, 225, 227, 256, 332, 333, 347,
Droit de stimuler :1161, 1166 378, 708, 721
Droit de veto : Veto. Economie: 31, 485, 929, 992 à 997. Voy.
Droit de vote : Election, Suffrage, Vote. Politique économique.

Droit des affaires : ll Ecotaxe : 749

Droit des finances publiques : 84 7, 854, Ecrivain : Auteur d'un écrit.


901 Editeur : 231, 233, 236
Droit économique : 180 Education permanente : 972
Droit fiscal : 847 Education physique : 972
Droit international : 20, 63, 68, 84, 85, Education sanitaire : 976
794, 795, 805, 886, 901
Effectifs de l'Armée : Contingent.
Droit judiciaire : 684, 876, 979
Effet direct dans l'ordre interne: 84, 798
Droit pénal : 202, 559, 560, 684
Effets de la dissolution : Dissolution.
Droit privé : 25, 202, 242, 271, 1101
Egalité : 40, 87, 91, 125, 144, 146, 181,
Droit processuel : 684, 901
190, 191 à 199, 210, 225, 228, 229,
Droit public : 25 264, 399, 413, 466, 630, 636, 659, 712,
Droit social : 180 740, 743, 757, 758, 814, 829, 888, 890
Droit-fonction : 136 à 174 Egalité entre collectivités politiques :
Droits civils et politiques : 294, 876, 885, 413
1061 Egalité politique : 471
Droits culturels : Enseignement. Eglise : 220, 222
1008 TABLE ALPHABÉTIQUE

Elaboration de la loi : 524, 528, 537, Empêchement : 588, 591, 1189


923, 924, 925, 926, 927, 931, 934, 935, Emploi : 452, 453, 916, 964, 973, 998,
940, 941, 942 lOOS
Elaboration du décret : 641, 642, 643, Emploi : voy. Politique de l'emploi.
644, 645, 646, 1019, 1043, 1044, 1045 Emploi des langues : 180, 181, 198, 213,
Electeur : 462, 470, 490, 498, 607 227, 230, 237 à 240, 330, 340, 425,
Election : 28, 53, 76, 148, 327, 330, 341, 443, 663, 690, 692, 698, 700, 961, 962,
343, 350, 390, 426, 429, 447, 457, 462 963, 964, 965, 966, 967, 968, 969, 971,
à 486, 523, 546, 549, 571, 572, 584, 974, 1020
596, 600, 608, 631, 640, 646, 696, 775, Emploi des langues dans l'enseigne-
852, 955, 1064, 1075, 1076, 1080, 1082, ment : 238, 326, 330, 692, 695, 965
1085, 1087, 1090, 1092, 1097, 1100, Emploi des langues en matière adminis-
1146, 1159, 1160, 1180, 1181, 1183, trative : 238, 326, 966
1184, 1191. Voy. aussi Candidat (à
Emploi des langues en matière judi-
une élection), Collège électoral, Electo-
ciaire : 238, 690, 962, 967
rat, Eligibilité, Registre des électeurs,
Suffrage. Emploi des langues en matière légis-
lative : 967
Election au second degré : 468, 484
Emploi public: 104, 144, 145, 146, 147,
Election communale : 135, 357, 818,
155, 174, 198, 211, 250, 846
1074
Emprunt : 349, 355, 356, 731, 736, 740,
Election du gouvernement : 599, 621,
741, 747
623, 624, 1026, 1194
Energie : Politique de l'énergie.
Election directe : 358, 366, 372, 464,
468, 469, 482, 599, 600, 601, 602, 611, Enfant : 163, 209, 227, 257, 433
617 Enquête : 151, 284, 851, 869, 930, 952,
Election européenne : 481, 600 954, 955, 1049, 1146

Election législative : 53, 600 Enseignement : 87, 91, 179, 180, 181,
220 à 229, 256, 267, 326, 333, 345,
Election médiate : 468, 483, 599, 603,
374, 378, 412, 590, 618, 643, 659, 633,
614
687, 697, 708, 751, 843, 961, 969, 995,
Election partielle : 1122 1011
Election provinciale : 135 Enseignement universitaire : 147
Elections (en général) : 16, 947. Voy. Entracte républicain : voy. Interrègne,
aussi Candidat (à une élection), Collège République.
électoral, Electorat, Eligibilité, Registre
Entreprise : 266, 687, 964
des électeurs,. Suffrage. :
Environnement : 175, 242, 633, 674, 708,
Electorat : 125, 135, 136, 137, 138, 139,
733, 989, 1000
140, 141, 142, 163, 164, 264, 469, 481,
Epouse du Roi : Reine.
797, 817, 876
Equilibre budgétaire : 850. Voy. Budget.
Electricité : 211, 733, 1000
Equipe gouvernementale : Gouvernement.
Eligibilité : 125, 135, 136, 142, 143, 168,
171, 172, 264, 481, 527, 623, 798, 876, Equipements collectifs : 412
1061, 1184, 1191 Equivalence des normes : 413
Emeute: 348 Espace atmosphérique : 309
Emission télévisée : Radiodiffusion. Espagne : 52
TABLE ALPHABÉTIQUE 1009

Etablissement d'enseignement : 333 Expansion économique : 735, 738


Etablissement public : 355, 356, 688, 722 Expédition des affaires courantes
Etat : 2, 6, 7, 301, 659, 824. Voy. aussi Affaires courantes.
Division de l'Etat, Finalité de l'Etat, Exportation : 708, 719, 992
Forme de l'Etat, Indépendance de Exposé des motifs : 929
l'Etat, Souveraineté, Structures d l'Etat.
Expropriation : 181, 241 à 245
Etat civil : 345
Expulsion : 125, 133, 514
Etat composé : 525
Extraprovincialisation : 362
Etat d'urgence : 1106
Etat de droit : 7, 75, 187, 190, 790, 801
Etat de guerre : voy. Guerre. F
Etat de nécessité : 915, 1156
Etat de siège : 1104, 1105, 1156 Fabrique d'église : 219
Etat fédéral : 46, 86, 301, 302, 311, 322, Facilités : Commune à facilités.
336, 341, 344, 383, 384, 386, 387, 389, Famille : Politique familiale.
391, 392, 397 à 400, 401, 402, 403,
Famille royale : 431, 433, 446, 479
404, 406, 407, 411, 413, 415, 417, 418,
420, 421, 423, 426, 434, 484, 529, 605, Fédéralisme: 69, 83, 87, 142, 237, 383 à
660, 663, 719, 739, 742, 753, 757, 812, 392, 404, 407, 410, 411 à 414, 415,
868, 895 420, 1032. Voy. aussi Etat fédéral.

Etat régional : 402. Voy. aussi Régions. Fédéralisme asymétrique : Asymétrie


Etat unitaire : 300, 384, 386, 387, 389, Fédéralisme coopératif : 400, 415, 713,
391, 392, 393, 394, 395, 401, 402, 403, 727
407, 408, 411, 415, 420 Fédéralisme de confrontation : 419, 661
Etats Belgiques-Unis : 407 Fédéralisme de dissociation : 417, 664,
Etats-Unis d'Amérique: 32, 49, 52, 387, 719, 756, 959
399, 400, 407, 440, 529, 887, 888 Fédéralisme de superposition : 418
Etranger : 102, 103, 104, 123 à 136, 263, Fédéralisme dualiste : 419
264, 311, 980 Fédéralisme financier : 742
Etudiant - Liberté de l'étudiant : 227,
Fédération de communes : Agglomération
267
et fédération de communes.
Europe: 21, 100, 129, 135, 186, 734, 755,
Fédération périphérique : 367, 368. Voy.
789, 791, 792, 796, 797, 798, 801, 806,
aussi Agglomération et fédération de
807, 813, 817, 818, 824, 836. Voy.
communes.
aussi Election européenne, Parlement
européen. Femme : 138, 143, 198, 258, 1095
Evêché : 219 Fidélité au Roi : 450
Examen article par article : Elaboration Filiation et nationalité : 109, 110, 111
de la loi. Financement des collectivités locales :
Exception fédérale : 743 1002
Exécution de la loi : 842, 898, 908, 948, Financement des communautés et
959 régions : 729, 731, 734, 740
Exécution du budget : Budget. Financement des partis politiques : 475
1010 TABLE ALPHABÉTIQUE

Financement des réseaux d'enseigne- Fonction législative : 284, 389, 390, 398,
ment : 224, 225 410, 838, 840, 841, 842, 855, 862, 887,
Finances publiques : 759, 916 896, 898, 901, 902, 911, 912, 913, 916,
917,923 à 950,956,1017,1018,1034,
Finlande : 529
1042, 1103, 1143, 1156. Voy. aussi
Flagrant délit : 578, 580 Elaboration de la loi, Loi fédérale.
Flore : Protection de la faune et de la Fonction modératrice : 503
flore.
Fonction propre : 904, 905, 906, 1035,
Fonction (Notion de~) : 752, 753, 754, 1036
755
Fonction publique : 40, 144, 198, 210,
Fonction arbitrale : 503 572, 586, 589, 846, 1159. Voy. aussi
Fonction budgétaire : 1156 Agent public.
Fonction collective : 826, 836, 860, 887, Fonction publique internationale : 157
1012, 1034, 1105 Fonction réglementaire : 636, 728, 842,
Fonction congressionnelle : Congrès. 898, 908, 912
Fonction constituante : Révision de la Fonction réglementaire autonome : 909,
Constitution. 1038

Fonction d'administration : 284, 659, Fonction réglementaire dérivée : 908,


838, 843, 844, 845, 846, 847, 851, 853, 1039
855, 860, 871, 884, 898, 1012, 1017 Fonction symbolique : 503
Fonction de contrôle : 838, 850, 872, Fonctionnaire : Agent public.
901, 902, 1012, 1034, 1103 Fonctionnaire de fait : 1155, 1197
Fonction de contrôle politique : Contrôle Force majeure : 449, 950, 1052, 1102
politique. Force obligatoire : 840
Fonction de coopération : 838, 843, 898 Force publique : 663, 831. Voy. aussi
Fonction de direction : 838, 839, 844, Armée.
851, 871, 1012 Forces armées : Armée.
Fonction de gouverner : 389, 390, 659, Forêt : 709, 734, 990
820, 838, 839, 844, 845, 855, 860, 894, Formalisme : 31, 32, 65
898, 901, 902, 903, 1017, 1034, 1035,
Formalité substantielle : 739
1133, 1154
Formateur : 437, 447, 451, 1073, 1088,
Fonction de juger : 389, 659, 838, 855,
1162, 1166, 1167, 1168, 1169, 1171,
880, 886, 898, 1021
1198
Fonction déléguée : 910 à 922, 1035, Formation professionnelle : 708, 973
1041
Forme de gouvernement : 887. Voy.
Fonction de régner : Règne. Régime politique.
Fonction de souveraineté : 827, 862 Fourons : 361, 362
Fonction étatique : 826, 827, 860, 862, Fraction locale : 4 77
898, 905
France: 19, 20, 32, 34, 40, 47, 52, 336,
Fonction fédérale : 305, 421, 754, 825 387, 436, 440, 471, 526, 529, 830, 922,
Fonction fédérative : 301, 421, 752, 753, 933, 936, 1061, 1097, 1129, 1145
754, 755, 757, 790 Franchise postale : 587
Fonction fédérée : 316, 326, 421, 754 Frontière: 302, 308, 310, 311, 717
TABLE ALPHABÉTIQUE lûll

Frontière linguistique : 329, 330 Gouvernement minoritaire : 437, 441,


Fusion de communes : 314, 351, 352, 1080
362, 363, 368, 736 Gouvernement provisoire : 52
Gouvernement wallon : 599, 623
G Gouverneur : 134, 357, 359, 461, 1066
Grâce : 213, 497, 898, 1060
Garantie administrative : 287 Grade : 846
Garantie juridictionnelle : 262, 285 à
Grande-Bretagne : Royaume-Uni.
290
Garantie politique : 262, 283, 284 Grande chambre : 297, 299

Gaz : 1000 Grèce : 52


Géographie : 20, 308 Groupe de pression : 1161, 1163
Gouvernement : 37, 437, 438, 443, 444, Groupe linguistique : 44, 63, 81, 88 89,
446, 447, 452, 471, 498, 504, 505, 507, 90, 414, 419, 433, 443, 444, 467, 482,
572, 851, 897, 927, 951, 1073, 1166, 485, 536, 607, 614, 617, 618, 619, 623,
1167, 1168. Voy. aussi Conseil des 629, 644, 769, 775, 776, 778, 936, 938,
ministres, Ministre, Gouvernement d'as- 1015, 1016, 1027, 1031, 1032
semblée.
Groupe politique : 88, 260, 485, 487,
Gouvernement bruxellois 379, 599, 535, 537, 539
624, 1032
Groupement de listes : Apparentement.
G~uvernement d'assemblée : 440, 621
Guerre: 57, 283, 296, 498, 826, 830, 831,
Gouvernement de coalition : 507
860, 1052, 1080, 1101, 1103, 1104,
Gouvernement de communauté ou de 1105, 1106, 1116, 1117, 1121, 1133,
région : 93, 327, 505, 599, 621, 624, 1155. Voy. aussi Etat de guerre.
626, 635, 636, 637, 638, 639, 649, 753,
771, 772, 776, 802, 875, 1014, 1041,
1132, 1142, 1143, 1144, 1145, 1148
Gouvernement de la Communauté fran- H
çaise : 623, 626
Gouvernement de la Communauté ger- Habilitation : 341, 352, 841
manophone : 627
Hearing : 537
Gouvernement de législature : 1118,
1129, 1130, 1131, 1132 Hérédité : 164, 426, 427, 428, 429, 431,
463, 488, 493, 597, 897, 1054, 1122
Gouvernement démissionnaire : 57. Voy.
aussi Affaires courantes, Démission. Hiérarchie : 183, 357, 853
Gouvernement fédéral : 61, 400, 427, Hiérarchie des règles de droit : 4, 65, 66,
434, 455, 478, 512, 516, 623, 649, 772, 67, 68, 69, 809, 811, 813, 816
776, 944, 947, 962, 1060, 1145, 1146
Histoire: 18, 19, 22, 29, 51, 303, 407
Gouvernement flamand : 599, 610, 625,
Hôpital : 332, 333, 677, 976
638
Gouvernement germanophone : 599 Huis clos : 232, 520, 554, 639, 955, 1168
Gouvernement homogène : 511 Hypothèque : 674
1012 TABLE ALPHABÉTIQUE

1 Initiative décrétale : 642, 1019, 1036,


1042, 1043, 1044
Idéologie : Finalité de l'Etat. Initiative de la loi : 891, 896, 898, 905,
Immigration : Accès au territoire, Etran- 923, 924, 925, 926, 927, 930, 933, 936,
ger 943, 944, 1143
Immondices : 365 Initiative de la révision : 57
Immunité : 556, 570, 576 à 582, 584, 657 Initiative des poursuites : 559, 563
Impossibilité de régner : 502, 514, 541, Inspection sanitaire : 976
957, 1053, 1101, 1102, 1103, 1135, Instabilité gouvernementale : Confiance,
1137, 1155, 1156, 1189 Crise.
Impôt : 12, 199, 304, 329, 356, 740, 741, Institution culturelle : 333
742, 743, 744, 745, 746, 750, 751, 847, Institutions internationales : 20, 21, 74,
848, 917 290, 791, 792, 831, 835
Impôt conjoint : 750
Insurrection : 1052, 1103, 1105, 1106,
Impôt communautaire dérivé : 748 1116
Impôt partagé : 750 Intégrité du territoire : 498, 1116. Voy.
Impôt régional dérivé : 734, 735 aussi Armée, Indépendance de l'Etat.
Imprimeur : 231, 234 Intégrité physique : 202. Voy. aussi
Inamovibilité : 200, 457 Sécurité personnelle.

Incendie : 365, 366, 991 Intendant de la liste civile : 558, 566

Incivisme : 121 Intercommunale : Association de pou-


voirs publics.
Incompatibilités : 143, 443, 440, 446,
452, 570, 571, 572, 573, 574, 575, 588, Interdiction : 282, 588, 589, 590
589, 590, 591, 595, 623, 631, 643, 649, Intérêt communal : 345, 407
652, 653, 654, 655, 656, 1061, 1084 Intérêt de l'Etat : 305
Incrimination : 213 Intérêt général : 395, 402, 408
Inde : 391 Intérêt provincial : 356, 407
Indemnité parlementaire : 570, 585, 641 Intérim : 73, 513, 1053, 1133, 1138,
Indépendance: 51, 55, 75, 135, 407, 428, 1139, 1189
570, 571, 577, 578, 585, 829, 1116 Interpellation : 851, 869, 953, 954, 955,
Indépendance de la justice : 55, 284, 1049, 1075, 1080, 1114, 1141
551, 588, 773, 856, 860, 872, 873, 880, Interprétation : 23, 38, 200, 672, 685,
885 764, 790, 805, 824, 1042, 1051
Inéligibilité : 572 Interrègne: 514, 1054, 1055, 1111, 1133,
Infirmité grave : Maladie. 1135, 1138
Informateur: 447, 451, 1162, 1166, 1198 Intimité : 203, 204
Information 729, 731, 772. Voy. aussi Investiture : 436, 440
Presse. Inviolabilité : 428, 433, 551, 556, 557,
Informatique : 365 558, 570, 576, 578, 579, 580, 581, 657
Infraction : 278, 287, 564, 867 Inviolabilité du domicile : Domicile.
Infrastructure : 988 Irlande : 471
TABLE ALPHABÉTIQUE 1013

Irresponsabilité: 457, 570, 576, 577, 579, L


580, 650, 657
Israël : 473 Langue : 303, 329, 926. Voy. aussi
Défense et illustration de la langue,
Issue des crises ministérielles : Crise.
Emploi des langues.
Italie : 19, 49, 336, 388, 822, 932 Langue nationale : 237, 963, 965
Langue officielle : 340, 965
Langue usitée : 237
J
Lecteur : 231, 235
Lecture unique : Elaboration de la loi.
Jeunesse : Politique de la jeunesse, Pro- Légalité : 402, 450. Voy. aussi Contrôle
tection de la jeunesse. de légalité.
Jeux et paris : 749 Législateur : Chambres fédérales, Loi
fédérale, Pouvoir législatif fédéral.
Joséphine-Charlotte : 431
Législateur fédéral : 330
Jouissance des droits civils et politi-
Législateur spécial : Loi spéciale
ques : voy. Capacité, Droits civils et
politiques. Législature : 53, 59, 540, 914, 1061,
1077, 1130, 1154, 1181
Journal : Droit de réponse, Presse.
Légitimité : 528
Juge : 426, 801
Léopold l'" : 428, 431, 432, 433
Juge à la Cour d'arbitrage : 88
Léopold III : 150, 431, 432, 498, 1137
Juge consulaire : 589 Lettres : 206
Juge social : 589 Levée de l'immunité parlementaire
Jugement : 558 582, 657
Liberté académique : 225
Juridiction administrative : 200, 357,
436, 492, 553, 554, 761, 873, 876, 880, Liberté d'aller et de venir : 1159
884, 1192 Liberté d'association : Association.
Juridiction de coopération : 726, 788 Liberté d'expression : 230, 255

Juridiction internationale : 678 Liberté de circulation des personnes, des


biens, des capitaux et des services
Jury : 232, 457, 881 128
Justice : 200, 213, 285, 338, 663, 681, Liberté de l'électeur : Suffrage, Vote.
759, 805, 884, 886, 967 Liberté de l'emploi des langues : Emploi
Justice constitutionnelle : 86, 87 à 99, des langues.
755, 756, 758, 764, 775, 782, 789, 790, Liberté de l'enseignement : Enseigne-
823 ment.
Liberté de manifestation: Manifestation.
Liberté de presse : Presse.
K Liberté de rassemblement : 279
Liberté de réunion : Réunion.
Knesseth : 4 73 Liberté des cultes : Cultes.
1014 TABLE ALPHABÉTIQUE

Liberté du commerce et de l'industrie : Loisirs : Politique des loisirs et du tou-


257, 674, 994 nsme.
Liberté individuelle : 202, 266, 283, 434, Loyauté communautaire : 810
450 Loyauté fédérale : 414, 733, 756, 761,
Liberté publique : 11, 16, 124, 348 762, 763, 775
Liberté syndicale : Syndicat. Luxembourg : 52, 145, 529
Lieu clos et couvert : 247
Lieu public : 24 7, 281
M
Liste : 466, 475, 476, 477, 478, 482
Liste civile : 433, 556, 565, 566, 567 Magistrat: 164, 200, 489, 589, 590, 1061,
Liste de candidats : 470, 472 1066, 1122, 1139
Liste double : 458, 459 Maison communale : 333
Liste électorale : 139, 211. Voy. aussi Majorité : 429, 487, 1045, 1110
Registre des électeurs. Majorité absolue : 471, 643, 802, 941
Liste triple : 458 Majorité parlementaire : 62, 441, 442,
Locaux parlementaires : Palais législatif. 929, 936, 1075, 1080, 1089 1091, 1131
Logement : 708, 980, 991 Majorité qualifiée : 62, 442, 545, 643,
Loi bicamérale : 78, 310, 524, 923, 944, 802
945 Majorité relative : 471, 546
Loi bicamérale intégrale : 45, 944 Majorité spéciale : 46, 419, 529, 545.
Loi-cadre : 921 Voy. aussi Loi spéciale.
Loi de confirmation : Confirmation légis- Maladie : 251, 438, 1052, 1053, 1054,
lative. 1055, 1101, 1102, 1117
Loi de délégation : Délégation. Mandat impératif : 465
Loi de police : 248, 279, 280, 281, 282, Manifestation : 246, 248, 264, 266, 1159.
311 Marché : 365
Loi de pouvoirs extraordinaires : Pou- Marchés publics : 996
vairs extraordinaires. Mariage : 106, 117, 209, 218, 266, 432,
Loi de pouvoirs spéciaux : Pouvoirs spé- 433, 499
ciaux. Matière administrative : 962. Voy. aussi
Loi fédérale : 41, 42, 43, 63, 66, 68, 69, Emploi des langues.
77, 180, 238, 592, 729, 816, 898 Matières bipersonnalisables : 412
Loi formelle : 78, 930, 943 Matières culturelles : 326, 331, 333, 412,
Loi monocamérale : 78, 564, 849, 923, 633, 687, 688, 697, 843, 961, 969, 970,
943 971, 972, 973, 1011
Loi ordinaire : 44, 45, 46, 69. Voy. aussi Matières communautaires : Compétences
Loi fédérale, Loi spéciale. communautaires.
Loi spéciale : 43, 44, 45, 46, 66, 69, 100, Matières personnalisables: 326, 331, 374,
318, 320, 326, 329, 330, 333, 361, 362, 378, 412, 633, 697, 843, 961, 974, 975,
442, 631, 635, 664, 740, 778, 785, 841, 976, 977, 978, 979, 980
930, 939, 961, 986, 1006, 1007, 1075, Matières réservées voy. Compétences
1149 réservées.
TABLE ALPHABÉTIQUE 1015

Médecine : 976 Ministre-président 597, 622, 624, 626,


Médecine préventive : 378, 976 629, 1027, 1080
Média : Presse, Radiodiffusion. Ministre sans portefeuille : 1055
Médiateur : 44 7, 451 Ministre technicien : 443
Meeting : Manifestation. Minorité : 508, 699, 971, 1044
Méfiance : Motion de méfiance. Minorité idéologique et philosophique
Membre de la famille royale : Prince. 210, 255, 267, 1045
Mer: 309 Mobilisation : 498. Voy. aussi Armée,
Message de Noël : 1165 Guerre.
Messe : 218 Mode dévolutif: 475
Mesure administrative : 213 Monaco : 336
Mesure d'internement : 213 Monarchie : 55, 407, 427, 428, 429, 430,
Mesure de sûreté : 213 494
Mesure disciplinaire : 213, 280, 281 Moniteur belge : 521, 950
Mesure préventive : 217, 236, 249, 278, Monnaie : 907, 997
279 Monocaméral : Loi monocamérale.
Mesure répressive: 217, 249
Monocaméralisme : 529, 642, 1042
Milice privée : 249, 1115. Voy. aussi
Monoculture! : 334
Association.
Monoéducatif : 334
Militaire : 846, 869, 906
Ministère : Département ministériel. Monopersonnalisable : 334

Ministère public : 459, 581, 589, 898 Monuments et sites : 708, 988, 1008
Ministre: 414, 427, 433, 434 à 451, 452, Moralité et dignité : 143, 146, 169
454, 455, 461, 492, 493, 494, 497, 500, Mort civile : 55
501, 502, 504, 507, 514, 515, 516, 517,
Mort du Roi : 514, 1055, 1108, 1109,
519, 522, 551, 556, 558, 571, 597, 634,
1156. Voy. Décès
648, 650, 653, 852, 853, 864, 865, 906,
908, 925, 928, 929, 930, 951, 1054, Motion : 953, 955
1058, 1059,1060, 1065 1083, 1084, Motion de censure : 451, 1129
1119, 1122, 1134, 1138, 1139, 1155,
Motion de confiance 441, 953, 1047,
1156, 1160, 1171, 1175, 1176, 1177,
1085, 1088
1178, 1193
Motion de méfiance : 441, 952, 953,
Ministre communautaire ou régional :
1031, 1047, 1072, 1073, 1077, 1085,
621, 629, 631, 648, 649, 650, 651,
1088, 1180
1064, 1122, 1180, 1194
Motion de méfiance constructive : 437,
Ministre démissionnaire : 449
895, 953, 1026, 1027, 1072, 1077, 1088
Ministre d'Etat : 446, 516, 1164
Motion de recommandation : 953
Ministre de l'intérieur : 561, 562, 563,
564 Motion motivée : 443, 467
Ministre de la justice : 12, 949 Motivation des décisions de justice : 188,
Ministre du culte : 219. Voy. auss1 200, 366, 553, 588
Cultes. Musée : 378, 708, 972
1016 TABLE ALPHABÉTIQUE

N Opportunité (Contrôle d'-) : Tutelle.


Opposition : 929
Nation: 71, 150, 193,303, 306, 341, 407, Option de nationalité : 113, 115, 118
426, 428, 462, 464, 466, 467, 470, 484,
Orange-Nassau : 55, 431, 1109, 1136
529
Ordonnance : 45, 46, 69, 77, 80, 181,
Nationalité : 26, 102, 103, 104, 105, 106,
366, 375, 413, 642, 664, 707, 729, 923,
107 à 122, 138, 143, 144, 263, 264,
1019, 1032
481, 846, 1061
Ordonnance de police : 348, 356
Nations Unies : Organisation des Nations
Unies. Ordre civil et militaire : 572, 907

Naturalisation : 113, 114, 537, 753, 943 Ordre de présentation des candidats
475
Navette parlementaire : 944
Ordre de quitter le territoire : 132, 133
Négociateur : 44 7, 1162, 1166
Ordre de succession au trône : Succession
Négociation : 451, 508, 764, 898, 1124,
au trône.
1126, 1160, 1166, 1167, 1196
Ordre du jour : 631, 926, 931, 932, 953
Neutralité : 216, 225, 255, 347, 433, 441
Ordre professionnel : 249
Nigéria : 529
Ordre public : 131, 132, 133, 182, 261,
Noblesse : 527, 907
269, 271, 283, 909
Nomination : 427, 434, 438, 440, 456,
Ordre utile : 480, 623
457, 458, 460, 463, 489, 490, 493, 514,
550, 571, 596, 846, 1054, 1110, 1119, Organe intracommunal : District.
1160, 1192, 1193 Organisation des Nations Unies : 6, 157,
Nomination à vie : 200, 426 791, 836
Nomination d'un ministre : 434, 435, Organisation internationale : Institutions
436, 438, 439, 44 7' 448, 450, 496 internationales.
Nomination d'un secrétaire d'Etat : 452
Nomination du bourgmestre : 461, 490 p
Nomination du Premier ministre : 449
Non-discrimination : Discrimination. Pacte fédératif: 87, 662, 712, 758, 803,
Norvège : 18, 529 813
Notion de Constitution : 3, 4, 34 Pacte scolaire : Enseignement.
Numéro d'ordre : 260, 475 Pactes onusiens: 107, 145, 178, 186,211,
295, 821
Pairage : 544, 1138
0
Paix : 175, 826, 860
Palais législatif : 533
Obéissance : 183
Parallélisme (Principe de -) : 661, 672,
Officier du ministère public : Ministère
679
public.
Parité : 88 90, 143, 410, 414, 436, 443,
O.N.U. : Organisation des Nations Unies.
452, 454, 514, 529, 776, 778, 1032,
Opinion: 215, 216, 217, 255. Voy. aussi 1054, 1110, 1127, 1167, 1176, 1178.
Convictions morales et religieuses. Voy. aussi Conseil des ministres, Cour
Opinion publique : 470, 1163 d'arbitrage.
TABLE ALPHABÉTIQUE 1017

Parlement de communauté ou de Patrimoine : 241, 566


regwn : 88, 462, 481, 484, 488, 527, Patrimoine communal : 349
597, 600, 601, 602, 603, 604, 605, 606,
Patrimoine culturel : 972
608, 612, 696, 1014, 1018, 1098, 1184,
1185 Pays-Bas : 51, 52, 123, 145
Peine : 213. Voy. aussi Exécution des
Parlement de la Communauté française :
327, 491, 599, 602, 606, 611, 614, 654,
peines.
657' 670, 1015, 1016 Pension : 304, 345, 569, 586, 588, 592,
594, 846, 1038
Parlement de législature : 1118, 1130,
1131, 1132 Permis d'établissement : 133
Parlement européen : 158, 574 Permis de conduire : 345
Parlement fédéral : Chambres fédérales Permis de travail : 127
Parlement flamand : 327, 599, 602, 603, Perquisition : 205, 581, 955
604, 609, 610, 617, 631, 644, 654, 656, Personnalité juridique : 249, 262, 263,
670, 696, 1015, 1016 265, 303, 304, 315, 325, 344, 355, 364,
Parlement wallon : 491, 599, 602, 604, 370, 377
605, 606, 611, 614, 623, 642, 644, 657, Personnel : 344
670, 1008, 1015, 1016 Pétition: 154, 179, 264, 537, 631, 1049
Parlementaire Député, Représentant de Peuple : 149
la Nation, Sénateur.
Philosophie : 22, 30, 175, 303, 424
Parlementaire européen : 419
Philosophie politique : 30
Parlementaire régional : 652
Plateau continental : 309
Parlementarisme dualiste : 899, 900, Plébiscite : 149
1065
Pluralisme : 39, 321, 813, 859
Parlementarisme moniste : 899, 900
Pluralisme idéologique : 471
Parlementarisme orléaniste : 899, 1068
P.O.B. : 471
Parlementarisme rationalisé : 895, 953,
Police : 348, 842, 909, 1156. Voy. aussi
1025, 1118, 1129, 1130, 1131, 1132
Loi de police, Ordre public.
Paroisse : 219
Police communale : 348
Parquet : voy. Ministère public.
Police de l'assemblée : 533
Partage des compétences : 8, 69, 72, 74,
Police des spectacles : 217, 348. Voy.
238, 274, 305, 392, 421, 658, 661, 662
aussi Spectacle.
à 688, 696, 718, 754, 756, 761, 767,
772, 776, 804, 811, 868, 886, 928, 958, Police du roulage : 345
1024 Politique agricole : 734
Partage des moyens : 740 Politique de l'emploi : 985
Partage des pouvoirs : 8, 86, 305 Politique de l'énergie : 985, 1000
Parti politique: 197, 260, 261, 438, 451, Politique de la jeunesse : 972
471, 475, 478, 487, 535, 927, 1080, Politique des loisirs et du tourisme : 722,
1160, 1161, 1164, 1169 973
Participation : 136, 148, 154 414, 415, Politique du crédit : 992
718, 758 Politique économique 412, 708, 985,
Passeport : 131 992
1018 TABLE ALPHABÉTIQUE

Politique familiale : 209, 258, 975, 977 Pouvoirs spéciaux : 85, 514, 888, 911,
Politique générale du gouvernement 912, 913, 914, 915, 916, 917, 918, 919,
514 920, 1041, 1156. Voy. aussi Arrêté
royal de pouvoirs spéciaux.
Politique sociale : 293, 974, 998
Pratique : Usage.
Politiques croisées : 721
Prééminence de la Constitution : 42
Poli : 475
Prééminence du droit international : 20
Portugal : 894
Précompte immobilier : 734, 735, 749
Postes (Service des-) : 206
Prééminence fédérale : 743
Poursuite : 558, 577, 578, 579, 580, 582
Préfédéralisme : 410
Pouvoir constituant : 31, 43, 53 à 58,
Premier ministre : 414, 437, 438, 440,
413, 424, 426, 427, 486
443, 447, 449, 451, 452, 493, 496, 508,
Pouvoir constituant originel : 6, 48, 49, 512, 513, 514, 515, 520, 598, 895, 933,
50, 466 1065, 1073, 1079, 1092, 1119, 1120,
Pouvoir d'attribution : 21, 65 1125, 1126, 1165, 1171, 1179, 1188,
Pouvoir exécutif fédéral : 301, 362, 424, 1198
425, 427, 435, 436, 439, 455, 457, 460, Présentation : 88, 486, 487, 489, 490,
486, 492, 493, 501, 523, 555, 556, 560, 546, 550, 646, 1110
588, 592, 857, 858, 867, 875, 898, 904, Président : 488
905, 911, 928, 929, 948, 1089, 1145.
Président d'assemblée : 80, 447, 456,
Voy. aussi Conseil des ministres, Gou-
531, 532, 537, 549, 558, 581, 583, 626,
vernement, Roi.
631, 926, 1061, 1125, 1146, 1171
Pouvoir judiciaire : 84, 424, 427, 753,
Président d'un gouvernement de com-
838, 873, 875, 876, 885, 948
munauté ou de région : Ministre-Pré-
Pouvoir juridictionnel : 457, 492, 551, sident
593, 857, 858, 872, 873, 884, 885
Président d'un parlement de commu-
Pouvoir législatif fédéral : 31, 46, 53, 54, nauté ou de région : 623
56, 114, 117' 424, 425, 427, 456, 464,
Président de la Cour d'arbitrage : 89
466, 492, 523, 524, 527, 528, 529, 570,
Présomption de connaissance de la loi
585, 753, 776, 842, 857, 858, 867, 883,
voy. Publication.
897, 898, 908, 911, 913, 923, 928, 929,
940, 942, 946, 947, 1103, 1158. Voy. Presse : 197, 230, 231 à 236, 255, 276,
aussi Chambres fédérales, Loi fédérale. 284, 972, 1051, 1159, 1198
Pouvoir organisateur : 221, 224. Voy. Primauté du droit international : 20, 84,
aussi Enseignement. 85, 795, 796, 797, 798, 809, 814
Pouvoirs : 421, 492 Primauté fédérale : 466
Pouvoirs extraorclinaires : 514, 920, Prince : 428, 431, 432, 433
1156 Prince Alexandre : 432
Pouvoirs fédéraux : 301, 306, 422 Prince Baudouin : 1137
Pouvoirs implicites : Compétences impli- Prince Laurent : 431, 433
cites. Prince Philippe : 431, 433
Pouvoirs locaux : 858, 985 Princesse Astrid : 431, 433
Pouvoirs publics : 334, 355, 425, 426, Principe d'attribution : 661, 663, 664,
466 666, 1005
TABLE ALPHABÉTIQUE 1019

Principe d'exclusivité : 329, 413, 661, Profession : 973. Voy. aussi Organisation
666, 667, 676, 685, 711, 743, 863 des professions.
Principe d'externalité : 661, 669 à 671, Programme gouvernemental : 509, 512,
710, 982 1083, 1161, 1168, 1169
Principe de discrétion : Discrétion. Projet de loi : 453, 733, 923, 927, 930,
Principe de proportionnalité : Propor- 931, 932, 944, 945, 948, ~55, 956
tionnalité. Promulgation 58, 453, 642, 898, 905,
Principe de publicité : Publicité (Prin- 948, 1036, 1045
cipe de ~) Proportionnalité : 197, 198, 280, 348,
Principe de territorialité : 691, 692, 693, 661, 672, 673, 674, 675
694, 695, 696, 697, 698, 699 Proposition : 729, 738
Principe général de droit public : 40, Proposition de loi : 537, 733, 923, 926,
187, 188, 438, 552, 553, 636, 1051, 931, 944, 948, 955, 956
1156 Propreté : 348, 366
Principe représentatif : Représentant de Propriété : 125, 242 à 245, 256
la nation. Protection de la jeunesse 700, 979.
Principes généraux de la fonction publi- Voy. aussi Politique de la jeunesse.
que : 677, 716, 732, 1038 Protection de la langue : Défense et illus-
Prise en considération : 926, 939 tration de la langue.
Prison : 333 Protection diplomatique : 291
Privation de liberté : 213 Protection sanitaire : 976
Privilège : 191, 199, 555, 907 Province : 314, 319, 320, 329, 336, 341,
Prix : 686 352, 354, 360, 378, 404, 407, 408, 409,
425, 462, 477, 483
Procédure d'aval : 1188
Publication : 58, 93, 842, 898, 905, 948,
Procédure d'incitation 1161, 1165,
950, 1036, 1045, 1155
1166, 1167
Publicité (Principe de ~) : 547 à 550,
Procédure de consultation : 1161, 1162,
840, 1045, 1125
1163, 1164
Publicité des décisions de justice : 367,
Procédure de crise : 421
588
Procédure de nomination : Nomination.
Publicité des séances : 548, 631, 646
Procédure de régularisation: 1187, 1188,
Publicité des votes : 549, 646
1189
Procédure de remplacement : 1173,
1174, 1175, 1176, 1177, 1178, 1179, Q
1180, 1181, 1182, 1183, 1184, 1185,
1186 Quartier général suprême des forces
'Procès-verbal : 532, 534, 544 alliées en Europe : 311
Procès-verbal du conseil des ministres Question parlementaire 869, 952, 954,
512, 520 1049, 1146
Processus législatif : Elaboration de la loi, Question préjudicielle : 95, 96, 97, 98,
Loi fédérale lOO, 786
Produit d'impôt : 750 Questure : 532, 533, 534
1020 TABLE ALPHABÉTIQUE

Quorum de présence : 58, 60, 523, 544, Régence : 57, 488, 514, 541, 957, 1053,
643, 1053 1054, 1075, 1109, 1133, 1135, 1136,
Quorum de vote : 58, 60, 62, 63, 523, 1137, 1138, 1174, 1189
545, 643 Régime d'assemblée : 773, 887, 888, 889,
Quotient d'éligibilité : 475 890, 891, 892, 893, 894, 1031, 1086,
Quotient électoral : 4 76, 482 1131
Quotient utile : 4 77 Régime parlementaire : 39, 55, 350, 429,
439, 441, 448, 449, 494, 501, 525, 542,
634, 773, 774, 779, 784, 887, 888, 889,
R 890, 891, 892, 894, 895, 896, 897, 898,
899, 900, 951, 1012, 1013, 1017, 1025,
1074, 1075, 1076, 1094, 1115, 1131,
Race : 231, 303
1145
Radiodiffusion : 197, 255, 283, 475, 520,
548, 667, 702, 744, 972 Régime politique : 773, 861, 887 à 900

Ratification : 352, 368, 622, 865, 898, Régime présidentiel : 440, 773, 887, 888,
1189 889, 890, 891, 892, 894, 922
Ratification législative : 341, 352, 436 Régime semi-parlementaire : 634, 773,
Recensement de la population : 470, 474 958, 1012, 1013, 1017, 1025, 1026,
1027, 1028, 1029, 1034, 1046
Recette : 304
Régime semi-parlementaire atténué :
Recherche scientifique : 738, 969, 983,
1012, 1025, 1030, 1031
985, 1003
Reconversion professionnelle : 973 Région : 80, 300, 313, 314, 318, 322,
354, 388, 404, 412, 413, 414, 418, 420,
Recours à la Cour d'arbitrage : 92, 93,
551, 596, 604, 626, 628, 630, 631, 632,
229, 265
667, 695, 739, 742, 879
Recours en annulation : 92, 93, 289, 290,
Région bilingue de Bruxelles-Capitale :
786
227, 320, 330, 331, 332, 333, 334, 335,
Recouvrement de nationalité : 106, 122 340, 362, 374, 412, 443, 485, 607, 608,
Récusation : 591 619, 624, 691, 697, 701, 704, 968, 971.
Rédaction de la Constitution : 20. Voy. Voy. aussi Bruxelles.
aussi Constitution écrite. Région bruxelloise : 312, 316, 319, 320,
Redevance : 744, 745, 746, 748 360, 364, 365, 366, 380, 413, 480, 596,
Référendum : 53, 149, 463, 923, 1090, WO,U6,U8,6M,W3,W4,W7,W9,
1094 719, 748, 1027, 1030
Refoulement : Accès au territoire. Région de langue allemande : 329, 330,
340, 602, 608, 627, 691, 692, 959, 1008
Réfugié: 128, 129. Voy. aussi Asile poli-
tique. Région de langue française : 330, 333,
Refus d'appliquer : 76, 77, 84, 85, 286, 340, 692, 697, 705, 748
805 Région de langue néerlandaise : 330,
Refus de démission : 1071, 1074, 1080, 340, 610, 692, 697, 699, 705, 748, 966
1083, 1084, 1109, 1118, 1119, 1120, Région flamande : 316, 319, 596, 602,
1121, 1122, 1123, 1134 608, 610, 624, 631, 705, 707, 719,
Refus de sanctionner : Veto. 1005, 1006
TABLE ALPHABÉTIQUE 1021

Région linguistique : 44, 227, 329, 331, Renvoi du gouvernement de commu-


340, 536, 693, 694, 695, 697, 698, 701, nauté ou de région : 1026, 1031
966 Renvoi individuel (de l'étranger) : 125,
Région wallonne : 316, 319, 360, 596, 132
605, 615, 626, 631, 705, 707, 719, 751, Réparation du dommage : 287, 856,
959, 1005, 1007, 1009, lOlO lll4
Registre de la population : 132 Répartition des compétences : 398
Registre des électeurs : 138, 345, 167, Répartition des fonctions : 773, 857
170
. Répartition des sièges : 472, 476, 482,
Règle de l'unanimité : 463, 507 600, 607
Règle de la majorité : 463, 523, 643, Représentant de la Nation 440, 462,
ll67 478, 523, 591, 690, 1061
Règle de la majorité absolue : 507, 543 Représentation de l'Etat 426, 862,
Règle de la minorité : 463 863,ll55
Règle de la publicité : 523, 547, 554 Représentation nationale 429, 464,
Règlement : 67, 68, 69, 70, 76, 77, 80, 465, 473
85, 182, 729, 908, 909, 919 Représentation proportionnelle : 469,
Règlement autonome : 909, 1038 470, 471, 472, 475, 476, 482, 484, 487,
529, 535, 537, 600, 605, 610, 778, 900,
Règlement communal : 70, 875
ll7l
Règlement d'assemblée : 378, 485, 530,
Répression pénale : 286, 867
531, 532, 533, 534, 535, 646, 733, 852,
932, 948, 953, 954, 955, 1034 République : 43, 336, 407, 429. Voy.
aussi Monarchie.
Règne : 567. Voy. aussi Interrègne.
République fédérale d'Allemagne : 399,
Reine : 433
471, 529, 758, 761, 894, 934, 948, 1129
Relations internationales : 415, 667, 729,
Résidence (dans une commune) : ll5,
734, 826, 830, 832, 833, 834, 835, 846,
166
862, 863, 865, 866, 867, 905, 929
Résidence (en Belgique) : 343
Religion : 347. Voy. aussi Convictions
morales et religieuses, Cours de religion Responsabilité (d'un ministre) : 449,
ou de morale. 556, 559, 560, 561, 562, 563, 650, 943,
956
Renonciation à la nationalité : 120
Responsabilité civile : 288, 564, 577, 943
Renonciation au trône : 428, 1054, 1055,
llll, ll22. Voy. aussi Abdication. Responsabilité d'un ancien ministre :
563
Renonciation aux fonctions : 434, 1052,
1054 Responsabilité des agents publics : 288.
Voy. aussi Garantie administrative.
Renouvellement des chambres : voy.
Dissolution, Election. Responsabilité en cascade : 235
Renvoi (d'un ministre ou du gouverne- Responsabilité ministérielle : 34, 493
ment) : 895, 1052, 1070, 1071, 1072, Responsabilité politique : 34, 452, 493,
1073, 1074, 1075, 1076, 1077, 1078, 501, 514, 516, 521, 562, 563, 624, 631,
1079, 1082, 1085, 1087, 1115, 1129, 867, 892, 898, 927, 952, 953, 954,
ll3l, ll44, ll45, ll79. Voy. Respon- 1012, 1026, 1027, 1031, 1071, 1073,
sabilité politique. 1080, ll34, ll48, ll50
1022 TABLE ALPHABÉTIQUE

Responsabilité sans faute : 213 Rue: 365


Ressort territorial (de la région) : 318,
706, 707, 708, 709, 710, 712, 767
Ressources dérivées : 740, 748, 749, 750
s
Ressources propres : 740, 741 à 747
Saisie : 232, 581, 955
Retraite : 457, 458, 593
Sanction de la Constitution : 58
Réunion (Liberté de -) : 125, 246, 247,
Sanction des décrets et ordonnances
266, 275, 1159
642, 1019, 1036, 1045
Révision de la Constitution : 7, 18, 31,
Sanction des lois : 453, 500, 502, 850,
43, 44, 45, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
898, 905, 943, 944, 945, 947, 1143
60, 61, 63, 98, 100, 145, 179, 320, 442,
528, 537, 560, 633, 755, 756, 757, 758, Sanction disciplinaire : 188, 1065, 1066
775, 780, 785, 789, 790, 802, 840, 905, Sanction pénale : 277
916, 930, 1088, 1090, 1101, 1105, 1112, Santé : 140, 164, 252, 296, 618, 678, 708,
1127, 1130, 1136, 1143, 1147, 1168 731, 976. Voy. Politique de la santé.
Révocation : 438, 450, 451, 519, 1052, Sceau de l'Etat : 949. Voy. Elaboration
1065, 1066, 1067, 1068, 1069, 1070, de la loi.
1079, 1080, 1087, 1177
Science : 485
Révolution : 36, 51, 54, 56
Science administrative : 26
Rigidité : 7, 48, 53, 54, 55, 62. Voy.
Science politique : 28, 175, 424
Révision de la Constitution
Scrutin : Election, Vote.
Roi 88, 301, 423, 425, 426, 427, 431,
Scrutin d'arrondissement : 474
436, 439, 441, 442, 444, 446, 447, 448,
450, 452, 455, 457, 458, 460, 461, 464, Scrutin de liste : 142, 260, 470, 478
489, 490, 492, 493, 494, 495, 496, 497, Scrutin majoritaire : 470, 471
499, 500, 501, 502, 503, 504, 512, 516, Scrutin public : 941
522, 524, 529, 541, 551, 556, 557, 558,
Scrutin secret : 546
565, 571, 622, 626, 634, 753, 833, 834,
836, 851, 862, 864, 865, 866, 897, 904, Scrutin uninominal : 470, 475
905, 908, 927, 942, 943, 945, 947, 948, Séance des chambres : 433, 541, 544,
950, 951, 1032, 1052, 1054, 1073, 1080, 641, 933, 938
1091, 1102, 1104, 1110, 1119, 1124, Sécession : 1116
1125, 1134, 1135, 1136, 1137, 1138,
Seconde lecture : Elaboration de la loi,
1155, 1156, 1157, 1158, 1162, 1165,
Elaboration du décret.
1166, 1173, 1174, 1175, 1176, 1177,
1178, 1179, 1188, 1189, 1196, 1197, Secrétaire : 532, 549
Voy. aussi Albert II, Hérédité, Inter- Secrétaire d'Etat : 427, 433, 443, 445,
règne, M art du roi, Règne, Succession 447, 452 à 454, 455, 492, 493, 494,
au trône, Suppléance du -, Vacance 511, 514, 517' 518, 568, 625, 653, 906,
du trône. 1171
Roumanie : 52 Secrétaire d'Etat régional : 379, 624,
Routes et dépendances :720, 734 629, 656, 1015
Royaume-Uni : 34, 41, 52, 525, 526, 529, Sectionnement électoral : 4 73
887, 932, 934, 947, 1061, 1145 Sécurité : 131, 132, 133, 296, 828, 829
R.T.B.F. : 173 Sécurité extérieure : 12
TABLE ALPHABÉTIQUE 1023

Sécurité juridique : 144, 190, 191, 200, Siège: 470, 471, 474, 475, 476, 591
201, 249, 277, 840, 908, 917, 960, 1188 Sigle électoral : 259
Sécurité personnelle : 190, 201 Signature : 494, 947
Sécurité sociale: 127, 253, 259, 663, 751, Sociologie : 22, 303
916, 973, 975, 995, 998
Solidarité: 175, 493, 505, 635, 740, 751,
Séjour des étrangers : 132 1058, 1060, 1065, 1071, 1079
Sénat: 88, 163, 400, 414, 417, 425, 426, Solidarité ministérielle : 504, 511, 514
458, 462, 464, 468, 473, 479 à 485,
Solution des crises : Crise.
489, 492, 501, 526, 527, 528, 529, 531,
531, 532, 533, 534, 535, 536, 537, 541, · Sondage : 1163
570, 657, 670, 764, 769, 770, 775, 778, Sonnette d'alarme : 467, 514, 769, 939
852, 869, 880, 927, 930, 942, 943, 945, Sous-sol : 309
946, 952, 1061, 1093, 1184
Souveraineté : 139, 661, 753, 780, 785,
Sénateur : 423, 653 791, 800, 1116
Sénateur associé : 620, 643, 645 Spectacle : 217, 24 7
Sénateur communautaire : 414, 419, 464, Sport : 333, 972
479, 480, 484, 485, 609, 616, 653, 657,
Stabilité de la Constitution : 31, 47
1016, 1146, 1183, 1184
Sénateur coopté : 457, 464, 468, 479, Stage : 433
481, 485, 527, 536, 609, 1146, 1182, Standstill : 271
1183, 1184 Statut des agents de l'Etat : voy. Agent
Sénateur de droit : 433, 462, 464, 467, de l'Etat, Agent public.
479, 527, 536, 778 Statut du magistrat : 555, 588
Sénateur élu direct : 479, 480, 481, 485 Statut du parlementaire : 555, 570, 588,
Sénateur provincial : 484, 527 591
Séparation de l'Eglise et de l'Etat : 218, Statut spécial : voy. Commune à statut
424 spécial.
Séparation des fonctions : 658, 659, 859, Structures de l'Etat : 300, 383, 384, 423
958 Subdivision de province : 341.
Séparation des pouvoirs : 7, 76, 86, 283, Subordination : 395, 399. Voy. aussi
426, 757, 857, 858, 859, 860, 861, 958 Décentralisation, Tutelle.
Serment : 428, 431, 436, 450, 536, 541, Subsidiarité (Principe de -) : 159, 299,
584, 609, 622, 623, 624, 626, 641, 645, 661, 672, 676, 677, 678
654, 829, 955, 957, 1054, 1080, 1134,
Succession au trône: 427, 431, 432, 433,
1136, 1137, 1173, 1175, 1176, 1178,
479, 544, 1054, 1055, 1173, 1175
1181
Services administratifs : 488, 534 Suède : 529, 800

Session parlementaire : 523, 540, 541, Suffrage : 463, 545, 1095


542, 580, 585, 631, 641, 897, 898, 926, Suffrage plural : 471
957, 1019, 1098, 1134, 1196 Suffrage universel : 42, 43, 138, 471, 484,
Seuil d'éligibilité : 475 488, 490, 900
Seuil électoral : 4 76 Suisse : 56, 400, 529
Sexe (Condition de -) : 138. Voy. aussi Suppléance : 73, 440, 571, 623, 626,
Femme. 1053, 1054, 1061, 1102, 1108, 1122,
1024 TABLE ALPHABÉTIQUE

1123, 1133, 1134, 1138, 1139, 1158, Théâtre: 217, 256, 332. Voy. aussi Spec-
1174, 1184, 1189 tacle.
Suppléance du Roi : Régence. Tolérance intellectuelle : 216
Supra-constitutionnalité : 55 Tolérance religieuse : 218
Suprématie de la Constitution 64, 65, Tourisme : 667, 972, 995. Voy. Politique
66, 67, 68, 75, 179, 273, 757 des loisirs et du tourisme.
Sûreté personnelle: 213, 348. Voy. Sécu- Traité de frontières : 310, 867, 898, 956
rité personnelle. Traité de l'At.lantique Nord: 311, 830
Sûreté de l'Etat : 296, 301, 830, 860
Traité de Rome : 793
Suspension (Arrêt de-) : 739
Traité international : 8, 20, 63, 68, 84,
Suspension (Tutelle de -) : 1032 128, 180, 310, 412, 415, 669, 733, 792,
Suspension de la Constitution 282, 793, 797, 800, 801, 803, 821, 806, 813,
ll03, ll33 816, 834, 863, 864, 864, 867, 869,
Suspension d'une décision : 772 1020, 1040, 1155
Syndicat : 259 Traité mixte : 671, 724, 731
Système d'Hondt : voy. Représentation Traitement : 304, 556, 567, 568, 588,
proportionnelle. 592, 593, 846
Système électoral : voy. Election. Traitement d'un ministre : 568
Système parlementaire voy. Régime Traitement inhumain et dégradant : 179,
parlementaire. 251
Système préventif : 278 Tranquillité publique : 348
Système répressif : 276, 277, 278 Transfert de compétences : 74, 660, 663,
707, 757, 959, 1005, 1006, 1007, 1008,
1009, 1010, 1011, 1022
T
Transparence administrative : 176, 212,
264
Taxe : voy. Impôt.
Transport : 365, 412, 720, 733, 1001,
Taxi : 719, 720, 1001 1032. Voy. aussi Taxi,
Télégraphe : 206 Transport scolaire : 226, 722, 969
Téléphone : 206 Travail (Droit du -) : 995
Télévision : Radiodiffusion, Redevance, Travail forcé : 251
R.T.B.F,
Travailleur : 716. Voy. aussi Politique de
Temps de guerre : 920, 1104, 1139. Voy. l'emploi
aussi Guerre.
Travaux parlementaires : Elaboration de
Tendance philosophique et idéologique :
la loi.
210, 254, 266
Travaux publics : 412, 1001, 1032
Tendance politique : 198
Trésor public : 304, 592
Territoire: llO, 111, 112, 301, 302, 307,
308, 309, 310, 311, 312, 321, 328, 428, Tribunal militaire : 492
466, 498, 660, 690, 701, 710, 829, 830, Troisième âge : 667, 977
956, 1103, 1104, 1105, 1156. Voy. Trône : voy. Abdication, Discours du
aussi Frontière. Roi, Vacance du trône, Succession au
Testament : 499 trône, Vacance du trône.
TABLE ALPHABÉTIQUE 1025

Troupe étrangère : 311 Vice-président d'assemblée : 488, 532,


Tutelle: 77, 284, 343, 357, 374, 393, 395, 542, 631, 1146
399, 402, 408, 409, 410, 666, 709, 715, Vie : 164, 201, 202, 213, 252, 267
722, 736, 767, 898, 1002, 1032, 1037 Vie familiale : 125, 179, 208, 209, 258,
Tutelle répressive : Annulation, Suspen- 265, 267, 274, 283
swn. Vie privée : 125, 179, 198, 201, 203 à
Tuteur : 488, 1058, 1135, 1189 212, 225, 252, 265, 272, 274, 283, 560
Ville de Bruxelles : voy. Bruxelles.
Visa de la Cour des comptes : 854
u
Visa (de travail ou de voyage) : 131
Unanimité : 637, 776, 941 Voie de recours : 200, 457
Union économique Bénélux : 128, 836 Voirie : 248, 278, 365, 708, 720, 988,
1001
Union économique et unité monétaire
683, 750, 996, 997 Voix: 470

Unité du pouvoir' exécutif: 493 Vote : 139, 140, 141, 338, 523, 934, 937,
938, 941, 952, 953, 954, 955. Voy.
Université : 330, 443
aussi Suffrage.
Urbanisme : 242, 345, 412, 673, 708,
Vote article par article : Elaboration de
1000, 1032
la loi.
Urgence : Affaires urgentes. Vote de confiance : 451
Urgence spécialement motivée : 78, 80 Vote de méfiance : 437, 892, 895
Usage : 39, 447, 1076, 1160 Vote de préférence : 475
Utilité publique : 243. Voy. Intérêt géné- Vote nominatif: 545, 549, 1045
ral.
Vote obligatoire : 139
Vote par appel nominal : 549
v Vote par assis et levé : 549
Vote par correspondance : 140, 167
Vacance du trône : 957, 1055, 1088, Vote par procuration : 140, 167
1112, 1135, 1137, 1174 Vote personnel : 140
Vacances parlementaires : 540 Vote secret : 550, 141
Vaccination : 976 Vote sur l'ensemble de la loi : Elabora-
Vérification des pouvoirs: 171, 172,584, tion de la loi.
607, 641, 654, 883, 1021, 1054, 1108,
1146, 1184, 1186
Veto : 507, 790. Voy. aussi Elaboration z
de la loi.
Vice-premier ministre : 37, 513, 517, Zone contiguë : 309 ,
1125, 1171 Zone neutre : 248, 583
TABLE DES MATIÈRES

PAGES
AVANT-PROPOS 5

INTRODUCTION 7

LIVRE PREMIER
LA CONSTITUTION

CHAPITRE PREMIER

LA NOTION DE CONSTITUTION

SECTION l"'. - L'OBJET ll


§ 1"'. - L'assise de l'Etat 12
A. La création de l'Etat 12
B. L'organisation de l'Etat 14
C. Le développement du droit. 15
§ 2. - L'explication de l'Etat 17
A. Une doctrine politique. 17
B. Les finalités de l'action 19
C. Les moyens de l'action. 20
SECTION II. - L'UTILITÉ. 22
§ 1 ec. - La Constitution, règle certaine 24
A. La Constitution et les programmes politiques. 24
B. La Constitution et les mythes institutionnels . 25
C. La Constitution et les projets de développement 27
§ 2. - La Constitution, règle actuelle 29
A. Le cadre temporel. 29
B. Le cadre géographique. 31
C. Le cadre politique. 32
SECTION III. - LA MÉTHODE . 34
§ 1e'. - La Constitution, règle de droit de l'Etat 35
A. L'interprétation de la Constitution 35
B. Le droit constitutionnel et le droit public 37
C. Le droit constitutionnel de la Belgique 40
§ 2. - La Constitution, aspect de la vie de l'Etat 41
A. La Constitution et la science politique 41
1028 TABLE DES MATIÈRES

PAGES

B. La Constitution et l'histoire des institutions publiques. 43


C. La Constitution et la philosophie politique 43
Bibliographie 45

CHAPITRE II
LES CARACTÈRES DE LA CONSTITUTION
SECTION 1". - LE FORMALISME 47
§le'. - La Constitution, règle écrite 48
A. La Constitution et la coutume 48
B. La Constitution et les usages 54
C. La Constitution et les principes généraux du droit public 55
§ 2. - La Constitution, règle solennelle 56
A. La Constitution et la loi fédérale 56
B. La Constitution et la loi spéciale 61
C. La Constitution et les autres règles législatives 63
SECTION II. - LA STABILITÉ . 63
§ 1e'. - La Constitution, règle fondamentale 65
A. Les fondements théoriques . 65
B. Les fondements historiques. 70
C. Les fondements idéologiques 72
§ 2. - La Constitution, règle rigide 75
A. L'auteur de la révision. 75
B. L'objet de la révision . 76
C. La procédure de révision 79
Bibliographie 86

CHAPITRE III
LE RESPECT DÛ À LA CONSTITUTION

SECTION re. - LA SUPRÉMATIE DE LA CoNSTITUTION 87


§ 1"'. - La hiérarchie des règles de droit 88
A. Le partage initial des responsabilités 88
B. Le partage subséquent des responsabilités 90
C. Le partage complémentaire des responsabilités 91
§ 2. - L'exercice des responsabilités . 91
A. L'attribution des responsabilités 91
B. Des délégations limitées de responsabilités 93
C. Des transferts limités de responsabilités . 94

SECTION II. - LES CONTRÔLES DE CONSTITUTIONNALITÉ 95


§ 1 "'. - Le refus d'un contrôle juridictionnel des lois 96
A. L'absence de contrôle des lois 96
B. Le contrôle des règlements . 97
TABLE DES MATIÈRES 1029

PAGES
C. Le contrôle des projets de loi, de décret et d'ordonnance 98
D. Le contrôle des propositions de loi, de décret et d'ordonnance 102
E. Le contrôle des projets de règlement. 102
§ 2. - Les perspectives d'un contrôle juridictionnel des lois 103
A. Les évolutions constitutionnelles 103
B. Les évolutions jurisprudentielles 103
C. Les évolutions doctrinales . 106
§ 3. - L'instauration du contrôle juridictionnel des lois 107
A. La justice constitutionnelle. 107
B. La jurisprudence constitutionnelle 116
C. Les perspectives constitutionnelles 117
Bibliographie 120

LIVRE II
LES CITOYENS

CHAPITRE PREMIER
LA QUALITÉ DE CITOYEN
SECTION re. - LES BELGES . 125
§ 1"'. - La qualité de Belge . 128
A. L'attribution de la nationalité 129
B. L'acquisition de la nationalité 132
C. Le mariage et la nationalité 135
§ 2. - Les limitations 136
A. Les conditions 136
B. La destitution 137
C. Le recouvrement 139
SECTION II. - LES ÉTRANGERS 139
§ 1"'. - Le statut des étrangers 140
A. Les libertés publiques . 140
B. Les libertés économiques, sociales et culturelles 142
C. Les protections particulières 143
§ 2. - Les limitations 145
A. Les conditions 145
B. Les exceptions 147
C. Les interdictions 149
Bibliographie 150

CHAPITRE II
LES DROITS DU CITOYEN
SECTION re. - LES DROITS-FONCTIONS. 152
1030 TABLE DES MATIÈRES

PAGES

§ 1ec. - La définition des droits-fonctions 153


A. L'électorat 153
B. L'éligibilité .. 158
C. L'accès aux emplois publics 160
§ 2. - L'extension des droits-Jonctions 162
A. Le citoyen et la société politique 162
B. Le citoyen et l'administration . 167
C. Le citoyen et la communauté internationale 168
SECTION Il. - LA PROTECTION DES DROITS-FONCTIONS 171
§ 1"'. -- Les conditions d'exercice des droits-fonctions 172
A. L'âge 172
B. Le domicile . 176
C. La jouissance des droits civils et politiques 180
§ 2. - Les garanties des droits-fonctions 181
A. Le contentieux de l'électorat 181
B. Le contentieux de l'éligibilité 182
C. Le contentieux de l'accès aux emplois publics. 185
Bibliographie 185

CHAPITRE III
LES DROITS DE L'HOMME
SECTION l'e. - LES LIBERTÉS. 187
§ 1 ec. - La reconnaissance des libertés 191
A. Les sources de droit interne 191
B. Les sources internationales. 197
C. Les sources non formelles 200
§ 2. - L'affirmation des libertés . 201
A. Les conditions de la liberté. 201
B. Les usages de la liberté 227
C. Les instruments de la liberté 253
§ 2. - L'évolution des libertés 257
A. Les exigences de la liberté . 258
B. Les perspectives de la liberté 261
C. Les dimensions de la liberté 265
SECTION Il. - LA PROTECTION DES LIBERTÉS 270
§ 1ec_ - Les conditions d'exercice des libertés 271
A. Le statut des libertés . 271
B. La limitation des libertés 282
C. Les risques des libertés. 284
§ 2. - La garantie des libertés 290
A. Les garanties politiques 290
B. Les garanties juridictionnelles 292
TABLE DES MATIÈRES 1031

PAGES

C. Les garanties internationales 294


Bibliographie 299

LIVRE III
LES COLLECTIVITÉS POLITIQUES

CHAPITRE PREMIER
L'ÉTAT FÉDÉRAL ET SES COMPOSANTES

SECTION I'e. - L'ETAT FÉDÉRAL 305


§ 1ec. - La collectivité politique 306
A. La personnalité juridique 307
B. Les attributions fédérales 308
C. Les institutions fédérales 309
§ 2. - Le territoire de l'Etat fédéral 309
A. La détermination des frontières. 309
B. La modification de frontières 312
C. La signification des frontières 313
SECTION II. - LES RÉGIONS . 315
§ 1e'. - Les collectivités politiques 315
A. Les personnes juridiques 316
B. Les attributions régionales . 317
C. Les autorités régionales 317
§ 2. - Les ressorts territoriaux 317
A. Les principes constitutionnels 317
B. La Région wallonne et la Région flamande 318
C. La Région bruxelloise . 318
SECTION III. - LES COMMUNAUTÉS 320
§ 1e'. - Les collectivités politiques 321
A. Les personnes juridiques 322
B. Les matières communautaires 323
C. Les autorités communautaires 323
§ 2. - Les appartenances communautaires. 323
A. Les données territoriales 324
B. Les données linguistiques . 325
C. Les données socio-culturelles 327
Bibliographie 331

CHAPITRE Il
L'ÉTAT ET SES DIVISIONS

SECTION I"'. - LA COMMUNE . 336


1032 TABLE DES MATIÈRES

PAGES
§ 1., . - La collectivité politique 336
A. La personne juridique . 336
B. Les intérêts communaux 337
C. Les autorités communales 340
§ 2. - Le ressort territorial de la commune. 341
A. Les données historiques 341
B. Les données juridiques 342
C. Le ressort de la commune 343

SECTION IJ. - LA PROVINCE . 343


§ 1., . - La collectivité politique 343
A. La personne juridique . 344
B. Les intérêts provinciaux 344
C. Les autorités provinciales 346
§ 2. - Le ressort territorial de la province 347
A. Le nombre des provinces 347
B. Les limites des provinces 348
C. L'extraprovincialisation 348

SECTION III. - L'AGGLOMÉRATION ET LA FÉDÉRATION DE COMMUNES 349


§ 1.,. - La collectivité politique . 349
A. La personne juridique . 350
B. Les matières d'agglomération ou de fédération 350
C. Les institutions d'agglomération ou de fédération 352
§ 2. - Le ressort territorial 352

SECTION IV. - LE DISTRICT 354


§ 1.,. - La collectivité politique 354
A. La personne juridique . 354
B. Les intérêts intracommunaux 355
C. Les autorités intracommunales 355
§ 2. - Le ressort territorial . 355

SECTION V. -LES COMMISSIONS COMMUNAUTAIRES 356


§ 1.,. - Les collectivités politiques 357
A. La personne juridique . 357
B. Les intérêts communautaires 357
C. Les autorités communautaires 358
§ 2. - Les appartenances communautaires. 359
A. Les données territoriales 359
B. Les données institutionnelles 360
C. Les données institutionnelles 360
Bibliographie 360
TABLE DES MATIÈRES 1033

PAGES

CHAPITRE III
L'ÉTAT ET SES STRUCTURES

SECTION I'e. - LES FORMES D'ETAT 362


§ 1e'. - Les formes classiques d'organisation de l'Etat 364
A. L'origine des collectivités politiques. 365
B. Les attributions des collectivités politiques 367
C. Les relations entre collectivités politiques 369
§ 2. - Les formes complexes d'organisation de l'Etat 374
A. Les structures de compromis 374
B. Les structures inachevées 376
C. Les structures hybrides 377

SECTION Il. - LES FORMES D'ORGANISATION DE L'ETAT BELGE 378


§ 1e'. - Les perspectives historiques . 379
A. La perspective unitaire 379
B. La perspective décentralisatrice. 380
C. La perspective décentralisatrice (suite) 381
§ 2. - Les perspectives contemporaines 382
A. L'ouverture au fédéralisme. 382
B. L'approfondissement du fédéralisme. 383
C. Le dépassement du fédéralisme 386
§ 3. - Les données comparatives . 388
A. Le fédéralisme de dissociation 388
B. Le fédéralisme de superposition. 389
C. Le fédéralisme de confrontation. 390
Bibliographie 392

LIVRE IV
LES POUVOIRS FÉDÉRAUX

CHAPITRE PREMIER
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR

SECTION I'e. - LES TECHNIQUES DE DÉSIGNATION 400


§ !"'. - L'hérédité. 401
A. L'institution monarchique . 401
B. Les modalités de dévolution de la couronne 405
C. Le statut des successibles 407
§ 2. - La composition du gouvernement fédéral. 409
A. La nomination des ministres 409
B. La nomination des secrétaires d'Etat 428
C. La nomination de commissaires du gouvernement . 431
1034 TABLE DES MATIÈRES

PAGES

§ 3. - La nomination d'autres autorités publiques . 432


A. La nomination et l'organisation du pouvoir exécutif 432
B. La nomination et l'organisation du pouvoir législatif 432
C. La nomination et l'organisation du pouvoir juridictionnel 433
D. La nomination et l'organisation des collectivités locales 435
SECTION II. - LES TECHNIQUES D'ÉLECTION 436
§ 1"'. - L'élection . 436
A. Le principe de l'élection 437
B. La portée de l'élection. 438
C. Les procédés de l'élection 443
§ 2. - L'élection directe 444
A. La Chambre des représentants 444
B. Le Sénat. 456
C. Les assemblées des collectivités locales 458
§ 3. - L'élection médiate 458
A. L'élection des collèges exécutifs. 458
B. L'élection« au second degré» 459
C. La cooptation 460
SECTION III. - LES PROCÉDURES MIXTES 461
§ 1"'. - L'aménagement des techniques de désignation 463
A. Les désignations opérées par des élus 463
B. Les désignations opérées par des assemblées 464
C. Les désignations sur présentation 465
§ 2. - L'aménagement des techniques d'élection. 466
A. La désignation d'élus 466
B. L'utilisation des élus 467
Bibliographie 467

CHAPITRE II
L'ORGANISATION DES POUVOIRS
SECTION Ire. - LES PROCÉDURES DE GoUVERNEMENT 469
§ l"'. - La règle du contreseing ministériel 470
A. Le principe 470
B. La mise en œuvre. 471
C. Les effets 474
§ 2. - La règle de la solidarité ministérielle 477
A. Le principe 477
B. Les limites 481
C. Les instruments 481
§ 3. - La règle de la discrétion ministérielle 487
A. Le principe 487
B. Les relations entre le roi et les ministres 488
TABLE DES MATIÈRES 1035

PAGES

C. Les effets 489

SECTION II. - LES PROCÉDURES DE DÉLIBÉRATION 490


§ 1e'. - La règle de la double discussion 490
A. Le bicaméralisme . 491
B. L'indépendance organique des Chambres. 496
C. Les sessions parlementaires. 503
§ 2. - La règle de la majorité 505
A. Les quorums de présence 505
B. Les quorums de vote . 506
C. Les quorums particuliers 507
§ 3. - La règle de la publicité 507
A. La publicité des séances 507
B. La publicité des votes . 508
C. Les exceptions 509

SECTION III. - LES PROCÉDURES JURIDICTIONNELLES 510


§ 1"'. - La règle du débat contradictoire 511
§ 2. - La règle de la motivation 512
§ 3. - La règle de la publicité 513
Bibliographie 514

CHAPITRE III
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR
SECTION l'e. - LE STATUT DES MEMBRES DU POUVOIR EXÉCUTIF FÉDÉRAL 515
§ 1e'. - Les immunités. 516
A. L'inviolabilité du roi . 516
B. La responsabilité pénale des ministres 517
C. La responsabilité civile des ministres 521
§ 2. - Les avantages économiques 521
A. La liste civile du roi 521
B. Le traitement des ministres 524
C. Autres avantages . 524

SECTION II. - LE STATUT DES MEMBRES DU POUVOIR LÉGISLATIF FÉDÉRAL 525


§ 1"'. - Les incompatibilités 526
A. Le régime constitutionnel . 526
B. Le régime légal 526
C. Les règlements des partis politiques 528
§ 2. -- Les immunités . 529
A. L'irresponsabilité . 529
B. L'inviolabilité 530
C. Autres formes de protection 533
§ 3. - Les avantages économiques 534
1036 TABLE DES MATIÈRES

PAGES
A. L'indemnité parlementaire . 534
B. Les avantages accessoires 535
C. Autres avantages . 535
SECTION III. - LE STATUT DES MAGISTRATS 536
§ 1e'. - Les incompatibilités 537
A. Les interdictions absolues 537
B. Les interdictions relatives 537
C. Les empêchements 538
§ 2. - Les avantages économiques 539
A. Le traitement 539
B. La pension d'éméritat . 540
C. La pension de retraite . 540
Bibliographie 541

LIVRE V
LES POUVOIRS FÉDÉRÉS

CHAPITRE PREMIER
LE CHOIX DES TITULAIRES DU POUVOIR
SECTION 1'". - LES TECHNIQUES DE DÉSIGNATION 545
SECTION II. - LES TECHNIQUES D'ÉLECTION 546
§ 1"'. - L'élection directe 547
A. Les parlements régionaux . 550
B. Les parlements communautaires 553
§ 2. - L'élection médiate 554
A. L'utilisation des élus . 554
B. L'élection des ministres 557
C. L'utilisation des ministres 563
SECTION III. - LES TECHNIQUES D'AUTO-ORGANISATION 564

CHAPITRE II
L'ORGANISATION DES POUVOIRS
SECTION J'e. - LES PROCÉDURES DE GOUVERNEMENT 568
§ 1ec. - La règle de la collégialité. 568
§ 2. - La règle du consensus 569
§ 3. - La règle de la discrétion ministérielle 570
SECTION Il. - LES PROCÉDURES DE DÉLIBÉRATION 570
§ 1e'. - La règle de la délibération unique . 571
TABLE DES MATIÈRES 1037

PAGES
§ 2. - La règle de la majorité 572
§ 3. - La règle de la publicité 573

CHAPITRE III
LE STATUT DES TITULAIRES DU POUVOIR
SECTION I'e. - LE STATUT DES MINISTRES COMMUNAUTAIRES ET RÉGIONAUX. 574
§ 1e'. - Les incompatibilités 574
§ 2. - La responsabilité pénale des ministres 576
SECTION II. - LES STATUTS DES PARLEMENTAIRES COMMUNAUTAIRES ET
RÉGIONAUX . 577
§ l "'. - Les incompatibilités 577
§ 2. - Les immunités 579
Bibliographie 579

LIVRE VI
LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

CHAPITRE PREMIER
LE SYSTÈME DE PARTAGE
SECTION I'e. - LES PRINCIPES DU PARTAGE. 584
§ 1e'. - Le principe d'attribution 584
A. Les compétences attribuées 584
B. Les compétences résiduelles 586
C. Un renversement de perspectives 586
§ 2. - Le principe d'exclusivité . 588
A. Les compétences exclusives 588
B. Les interprétations larges . 589
C. Les interprétations strictes . 590
§ 3. - Le principe d'externalité . 590
A. Les compétences internationales 590
B. Les compétences partagées. 591
C. Les compétences mixtes 591
SECTION II. - LA MISE EN ŒUVRE DU PARTAGE . 592
§le'. - Le principe de proportionnalité 592
A. Les compétences mesurées . 592
B. Les compétences limitées . 593
C. Les compétences adaptées . 594
§ 2. - Le principe de subsidiarité 594
A. Des compétences concurrentes?. 594
1038 TABLE DES MATIÈRES

PAGES
B. Des compétences complémentaires 594
C. Des compétences supplétives 595
§ 3. - Le principe de parallélisme 596
SECTION III. - LES DIFFICULTÉS DU PARTAGE 597
§ 1e'. - Les compétences réservées 597
A. Les compétences réservées par la Constitution 597
B. Les compétences réservées par la loi spéciale . 598
C. Les compétences réservées de manière implicite 599
§ 2. - Les compétences implicites 599
A. Les compétences implicites, selon les textes 599
B. Les interprétations jurisprudentielles 600
C. Les commentaires doctrinaux 601
§ 3. - Les compétences accessoires 602

CHAPITRE II
LA DISTRIBUTION DES COMPÉTENCES
SECTION I'e. - L'EXERCICE DES COMPÉTENCES FÉDÉRALES 604
SECTION II. - L'EXERCICE DES COMPÉTENCES COMMUNAUTAIRES 605
§ 1e'. - Les appartenances communautaires 605
A. Le principe de territorialité 606
B. Le principe de non-territorialité. 608
C. Les effets externes 613
§ 2. - Les régimes juridiques particuliers 613
A. Les Commissions communautaires française et flamande 613
B. La Commission communautaire commune 614
C. Les compétences transférées 614

SECTION III. - L'EXERCICE DES COMPÉTENCES RÉGIONALES 614


§ 1"'. - Les ressorts régionaux 614
§ 2. - Les difficultés d'application 616
A. Le critère de localisation 616
B. Le critère de localisation (suite). 616
C. Les situations mixtes . 618

CHAPITRE III
LES CONCOURS DE COMPÉTENCE

SECTION I"'. - LA COOPÉRATION VERTICALE 620

SECTION Il. - LA COOPÉRATION HORIZONTALE 621


§ 1 n. La coopération conventionnelle
- 621
A. L'objet de l'accord 624
B. L'élaboration de l'accord 625
TABLE DES MATIÈRES 1039

PAGES
C. L'autorité de l'accord . 626
§ 2. - La coopération procédurale 627
A. Le régime juridique des procédures 627
B. Les formes et procédures 628
C. Les formes substantielles 634

CHAPITRE IV
LA DISTRIBUTION DES MOYENS
SECTION 1' 0
• - LES RESSOURCES PROPRES 637
§ 1,.,.. - Les impôts 637
A. Le pouvoir de lever l'impôt 637
B. La prééminence fédérale 639
C. Les additionnels et soustractionnels . 641
§ 2. - Les taxes et redevances 641
§ 3. - Les emprunts 642
SECTION II. - LES RESSOURCES DÉRIVÉES 643
§ 1e'. - Les impôts communautaires dérivés 643
§ 2. - Les impôts régionaux dérivés 643
§ 3. - Le produit d'impôts fédéraux 644
SECTION III. - LA SOLIDARITÉ FINANCIÈRE 645
Bibliographie 646

LIVRE VII
LES FONCTIONS FÉDÉRATIVES

CHAPITRE PREMIER
LA DÉFINITION DES FONCTIONS
SECTION l"c. - LES FONCTIONS INTÉGRATRICES 652
§ l c'. -·-- La jonction constituante . 652
§ 2. - La fonction de justice constitutionnelle 653
§ 3. - La fonction de consultation constitutionnelle 655
SECTION II. - LES MÉTHODES INTÉGRATRICES 656
§ l ". - L'attitude de loyauté 656
A. Le principe politique de loyauté 656
B. Le principe juridique de loyauté 658
C. Les pratiques déloyales 659
§ 2. - Les méthodes de conciliation 659
A. Le principe de conciliation . 659
1040 TABLE DES MATIÈRES

PAGES

B. La portée de la conciliation 660


C. Les instruments de conciliation . 661
§ 3. - Le règlement des conflits 662
A. La prévention politique des conflits . 662
B. La prévention politique des conflits (suite) 663
C. La répression politique des conflits . 664

CHAPITRE II

LA RÉPARTITION DES FONCTIONS

SECTION I'". - LA COLLABORATION ORGANIQUE 667


§ 1"'. - Les structures de collaboration 667
§ 2. Des ébauches de collaboration 668
§ 3. Des échecs de collaboration 670
SECTION II. - LA COLLABORATION FONCTIONNELLE 671
§ 1.,. - Les collaborations normatives. 671
§ 2. - Les collaborations juridictionnelles 672
§ 3. - Les collaborations instrumentales 673
SECTION III. - LES CONTRÔLES 673
§ 1e'. - Le contrôle de ~a fonction constituante 674
§ 2. - Le contrôle de la fonction juridictionnelle 674
§ 3. - Le contrôle de la fonction consultative 675

CHAPITRE III

L'EXERCICE DES FONCTIONS

SECTION l'e. LES FONCTIONS D'INTÉGRATION DANS L'ORDRE INTERNE. 677

SECTION II. - LES FONCTIONS D'INTÉGRATION DANS L'ORDRE INTERNATIO-


NAL 678
§ 1"'·. - L'œuvre constitutionnelle 679
A. Le texte. 679
B. Le silence du texte 680
C. Les compléments au texte 680
§ 2. - L'œuvre jurisprudentielle . 681
A. Le principe de primauté 681
B. Les limites de la primauté . 682
C. Les limites de la primauté (suite) 682
§ 3. - L'œuvre communautaire . 683
A. La jurisprudence communautaire 683
B. Les limites de la primauté . 684
C. Les résistances à la primauté 684
TABLE DES MATIÈRES 1041

PAGES

SECTION III. - LES FONCTIONS D'INTÉGRATION DANS LES ORDRES JURIDI-


QUES NATIONAL ET INTERNATIONAL. 686
§ 1e•. - La Constitution et le droit international 686
A. Les principes . 686
B. Les contrôles . 687
C. Les réactions . 688
§ 2. - Le juge et le droit international 688
A. Le juge belge. 688
B. Le juge communautaire 690
C. Le dialogue de juge à juge 690
§ 3. - Le système fédératif et le droit international 691
A. Le refus des méthodes unitaires. 691
B. La promotion de méthodes fédératives 692
C. Les contrôles . 693
Bibliographie 698

LIVRE VIII
LES FONCTIONS FÉDÉRALES

CHAPITRE PREMIER
LA DÉFINITION DES FONCTIONS
SECTION l'e. - L'IDENTIFICATION DES FONCTIONS ÉTATIQUES 701
§ 1e•. -Les fonctions de sécurité nationale. 702
A. L'objectif 703
B. Les conceptions 704
C. Les techniques 705
§ 2. - Les fonctions de relations extérieures 706
A. Les relations diplomatiques 706
B. Les relations conventionnelles . 707
C. Les organisations internationales 707
SECTION II. - L'IDENTIFICATION DES FONCTIONS COLLECTIVES 708
§ 1e•. - Les fonctions de direction 709
A. La fonction de gouvernement 709
B. La fonction de législation et de réglementation 710
C. La fonction de coopération . 713
§ 2. - Les fonctions d'administration. 714
A. L'administration des services 714
B. L'administration des personnels 715
C. L'administration des moyens financiers 716
§ 3. - Les fonctions de contrôle 720
A. Les contrôles politiques 721
1042 TABLE DES MATIÈRES

PAGES
B. Les contrôles financiers 722
C. Les contrôles juridictionnels 724
Bibliographie 725

CHAPITRE. II
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS
SECTION l'e. - L'ATTRIBUTION DES FONCTIONS ÉTATIQUES 732
§ 1"'. - Le principe d'exclusivité. 732
A. La représentation de l'Etat 732
B. La défense du territoire de l'Etat 734
§ 2. - Les tempéraments 734
A. L'intervention des chambres 734
B. L'intervention des autorités fédérées 735
§ 3. - Les limitations . 736
A. Le contrôle des politiques . 736
B. Le contrôle des moyens humains 736
C. Le contrôle des moyens financiers 737

SECTION II. - L'ATTRIBUTION DES FONCTIONS DE CONTRÔLE JURIDIQUE 737


§ 1"'. - Le principe d'indépendance . 738
A. La fonction juridictionnelle 738
B. Les fonctions de contrôle d'autres autorités indépendantes . 741
§ 2. - Les tempéraments 742
A. Les responsabilités de chaque juridiction. 742
B. Les responsabilités de chaque chambre 744
§ 3. - Les applications . 745
A. Le caractère fédéral de la justice 745
B. Le caractère indépendant de la justice 746
C. Le caractère relationnel de la justice. 746

SECTION III. - L'ATTRIBUTION DES FONCTIONS COLLECTIVES (OU LA THÉO-


RIE DES RÉGIMES POLITIQUES) . 747
§ 1"'. - Les modèles 748
A. Le statut des autorités publiques 748
B. Le statut des citoyens . 750
C. Les rapports entre autorités publiques 751
§ 2. - Les réalités . 754
A. La prééminence de la fonction gouvernementale 754
B. La prééminence de l'autorité gouvernementale 755
C. Le déclin de la fonction législative 755
§ 3. - Les régimes politiques en Belgique 756
A. Le régime parlementaire 756
B. La collaboration fonctionnelle . 758
C. Les évolutions du régime parlementaire 760
TABLE DES MATIÈRES 1043

PAGES

Bibliographie 762

CHAPITRE III
L'EXERCICE DES FONCTIONS

SECTION I'e. - LA FONCTION DE GOUVERNEMENT 765


§ 1e'. - Les fonctions propres 766
A. Les fonctions étatiques 766
B. Les fonctions organisationnelles. 767
C. La fonction réglementaire 767
§ 2. - Les fonctions déléguées 770
A. Les lois dites de pouvoirs spéciaux 770
B. Les lois dites de pouvoirs extraordinaires 777
C. Les autres lois de délégation 779

SECTION II. - LA FONCTION DE LÉGISLATION 780


§ !"'. - L'initiative de la loi 781
A. Le droit d'initiative 781
B. Les formes de l'initiative 783
C. L'initiative, en pratique 786
§ 2. - La discussion de la loi 788
A. La préparation du débat 789
B. L'organisation du débat 790
C. Le développement du débat 791
§ 3. - L'adoption de la loi 795
A. Les types de loi 796
B. La sanction de la loi 801
C. La promulgation et la publication de la loi 802

SECTION III. - LA FONCTION DE CONTRÔLE POLITIQUE 804


§ 1e'. - L'interpellation parlementaire 806
§ 2. - La question parlementaire. 808
§ 3. - L'enquête parlementaire . 809

SECTION IV. - LES FONCTIONS PARTICULIÈRES 811


§ 1e'. - La fonction habilitante . 811
§ 2. - La fonction congressionnelle 812
Bibliographie 813
1044 TABLE DES MATIÈRES

PAGES

LIVRE IX
LES FONCTIONS FÉDÉRÉES

CHAPITRE PREMIER
LA DÉFINITION DES COMPÉTENCES
COMMUNAUTAIRES ET RÉGIONALES
SECTION J'•. - LES COMPÉTENCES COMMUNAUTAIRES. 817
§ 1"'. - L'emploi des langues 818
A. Les personnes privées . 819
B. Les administrations publiques 820
C. La justice et les autres compétences fédérales . 821
§ 2. - Les matières éducatives 822
§ 3. - Les matières culturelles 822
A. La défense et l'illustration de la langue 823
B. Les activités et institutions culturelles 823
C. Les activités liées à un changement de profession 824
§ 4. - Les matières personnalisables 825
A. La politique familiale 826
B. La politique de santé . 826
C. L'aide aux personnes . 827
§ 5. - Les autres compétences communautaires. 830
SECTION II. - LES COMPÉTENCES RÉGIONALES 831
§ 1"'. - L'organisation du territoire 832
A. L'aménagement du territoire 832
B. L'environnement . 833
C. La conservation de la nature 834
D. Le logement . 835
§ 2. - L'économie . 835
A. La politique économique régionale 835
B. La politique économique fédérale 836
C. L'union économique et l'unité monétaire . 837
§ 3. - La politique sociale . 838
§ 4. - L'équipement du territoire. 839
A. La politique de l'eau . 839
B. La politique de l'énergie 839
C. Les travaux publics et les transports. 840
§ 5. - Les autres compétences régionales . 841
SECTION III. - LES COMPÉTENCES TRANSFÉRÉES 844
§ 1•'. - Un transfert global de compétences 844
A. Un transfert effectif 844
B. Un transfert virtuel 845
TABLE DES MATIÈRES 1045

PAGES

§ 2. -- Des transferts partiels 846


A. Un transfert effectif 846
B. Un transfert distributif 846
§ 3. - Les perspectives de transfert 847

CHAPITRE II
LA RÉPARTITION DES FONCTIONS

SECTION I'e. - LA COLLABORATION ORGANIQUE . 850


§ le'. - La collaboration entre autorités fédérées 850
§ 2. - La collaboration entre collectivités fédérées 851
§ 3. - La collaboration entre autorités fédérales et fédérées 852

SECTION II. - LA COLLABORATION FONCTIONNELLE 853


§ le'. - La collaboration entre autorités fédérées 853
§ 2. - La collaboration entre collectivités fédérées 855
§ 3. - La collaboration entre autorités fédérales et fédérées 855

SECTION III. - LES CONTRÔLES POLITIQUES 856


§ le'. - Le régime semi-parlementaire 857
§ 2. - Le régime semi-parlementaire atténué 858
§ 3. - Les contrôles politiques fédéraux 860

CHAPITRE III
L'EXERCICE DES FONCTIONS

SECTION I'e. - LA FONCTION DE GOUVERNEMENT 862


§ 1ec. - Les fonctions propres 863
§ 2. - Les fonctions déléguées 865

SECTION Il. - LA FONCTION DE LÉGISLATION 866


§ le'. - L'initiative du décret ou de l'ordonnance 867
§ 2. - La discussion du décret ou de l'ordonnance 867
§ 3. - L'adoption du décret ou de l'ordonnance. 869

SECTION III. - LA FONCTION DE CONTRÔLE POLITIQUE 869


§ 1e'. - Les formes directes de contrôle politique 869
§ 2. - Les formes diffuses de contrôle politique . 870
Bibliographie 871
1046 TABLE DES MATIÈRES

PAGES

LIVRE X
LES PROCÉDURES DE CRISE

CHAPITRE PREMIER
LA DÉFINITION DES CRISES
SECTION l'c. - LES CIRCONSTANCES DE CRISE 876
§ 1ec. - Les données individuelles 877
A. La maladie 877
B. Le décès. 879
C. La renonciation aux fonctions 880
§ 2. - Les données politiques 887
A. La révocation individuelle 887
B. La révocation collective 889
C. Le renvoi individuel 891
D. Le renvoi collectif. 893
E. La démission individuelle 899
F. La démission collective 901
G. La dissolution 907
§ 3. - Les données extrinsèques 917
A. Le cas fortuit et la force majeure 917
B. La guerre et l'insurrection 919
C. Le danger public . 922
SECTION II. - L'INTENSITÉ DES CRISES 923
§ 1ec. - Le renouvellement des titulaires du pouvoir . 924
A. Les compétences liées . 924
B. Les compétences mesurées . 925
C. Les compétences discrétionnaires 926
§ 2. - La perturbation des fonctions 927
A. Les crises de courte durée 927
B. Les crises de longue durée . 928
C. Les crises en chaîne 929
§ 3. - La mise en cause du système constitutionnel 930
A. Les atteintes aux autorités constituées 930
B. Les atteintes au régime constitutionnel 931
C. Les atteintes à l'existence de l'Etat 932
Bibliographie 932

CHAPITRE II
LE DÉROULEMENT DE LA CRISE
SECTION l'e. - LA PRÉVENTION DES CRISES. 935
§ 1e'. - Les procédures de résorption . 936
TABLE DES MATIÈRES 1047

PAGES
A. Le refus de la démission d'un ministre 936
B. Le refus de la démission d'autres autorités publiques 937
C. D'autres refus 938
§ le'. - Les procédures de temporisation 939
A. La démission différée 939
B. Les consultations . 940
C. D'autres avis. 942
§ 3. - Les tentatives de rationalisation 943
A. Un gouvernement de législature 944
B. Un parlement de législature 945
C. Un gouvernement et un parlement de législature 947
SECTION II. - LA GESTION DES CRISES. 947
§ le'. - La suppléance des autorités publiques 949
A. L'interrègne . 949
B. La régence 950
C. Autres formes de suppléance et intérim 953
§ 2. - La permanence des fonctions 954
A. Les affaires courantes . 955
B. Les affaires urgentes 966
C. L'absence de permanence 967
§ 3. - La continuité de l'Etat 967
A. La fonction exécutive 967
B. La fonction législative. 968
C. Le statut des citoyens 970
Bibliographie 972

CHAPITRE III
LA SOLUTION DES CRISES
SECTION I'e. - LES PROCÉDURES OFFICIEUSES 974
§ l ". - Les procédures de consultation 975
A. Les consultations politiques 975
B. Les autres avis 975
§ 2. - Les procédures d'incitation 976
A. Le droit d'avertir. 976
B. Le droit de stimuler 977
§ 3. - Les procédures de négociation 978
A. Les partenaires à la négociation. 978
B. La négociation d'un programme 978
C. Le choix d'une équipe . 980
SECTION II. - LES PROCÉDURES OFFICIELLES 981
§ le'. - Les procédures de remplacement 982
A. Les autorités exécutives 982
1048 TABLE DES MATIÈRES

PAGES
B. Les assemblées et leurs membres 984
§ 2. - Les procédures de régularisation 986
A. Les procédures d'aval . 987
B. Les procédures de restauration . 988
§ 3. - Les procédures de contrôle. 989
A. Les contrôles juridiques. Les personnes 989
B. Les contrôles juridiques. Les actes 992
C. Les contrôles politiques 993
Bibliographie 994

CoNCLUSION. 995

TABLE ALPHABÉTIQUE 997

TABLE DES MATIÈRES. 1027

IMPRIMÉ EN BELGIQUE

ETABLISSEMENTS EMILE BRUYLANT, société anonyme, Bruxelles


Prés.-Dir. gén. :JEAN VANDEVELD, av. W. Churchill, 221, 1180 Bruxelles

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