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Angélique Vannel

1 AES Licence
Groupe 2
Séance 3

Pensez-vous que la séparation des pouvoirs est une notion dépassée ?

L’émergence de la séparation des pouvoirs s’inscrit dans la lutte séculaire entre la monarchie
et le Parlement de Grande-Bretagne. Les deux théoriciens de la philosophie des Lumières y sont
puisés leur inspiration en vue d’élaborer les conceptions destinées à ôter le pouvoir absolu du
monarque. A l’instar de la théorie classique, cette division tripartite de la puissance d’État forment
trois grands pouvoirs exercés par des organes distincts, égaux et juxtaposés les uns aux autres.
Chacun d’eux s’accapare d’une fraction spécifique de la puissance étatique au sein de laquelle il est
totalement indépendant. De plus, ces trois pouvoirs se cantonnent à une éventuelle faculté de
s’empêcher mutuellement. En effet, ils seront continûment forcés d’aller de concert afin d’assurer
un certain ordre social.

Or, cette théorie a connu des évolutions inéluctables. Le passage à une théorie dite moderne de la
séparation des pouvoirs sous-entend que le concept classique a été tombé en désuétude. Même si,
l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 stipule
que :«  Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Ainsi, la séparation des pouvoirs serait considérée
comme une pierre angulaire de la société démocratique . Malgré qu’elle ait été d’innombrable fois
remise en cause. De ce fait, sa caractéristique classique est probablement à nuancer, car petit à petit
elle a subi plusieurs modifications. Cela nous pousse à nous interroger si la séparation des
pouvoirs est-elle bel et bien une notion dépassée ?

D’emblée, il convient d’envisager successivement la question de la théorie classique de la


séparation des pouvoirs (I), et puis de la théorie moderne de la séparation des pouvoirs (II) pour
pouvoir discerner toutes les particularismes qui s’y posent.

I. La théorie classique de la séparation des pouvoirs

Le juriste et constitutionnaliste français, R. Carré de Malberg, considère que la séparation


des pouvoirs résulte de l’évolution historique de la société anglaise. Lentement, cette théorie
classique va s’enraciner pour ensuite constituer une grille de lecture pour les autres sociétés
démocratiques.

A. Les prémices et la nécessité

A priori, il faut revenir quelques siècles en arrière pour déceler les véritables origines de la
séparation des pouvoirs. A savoir, au cours de l’Antiquité grecque qui constitue entre-autre le
berceau de la démocratie moderne, le philosophe Aristote a déjà posé ce ledit principe dans son
livre : « La Politique ». Plus précisément, il a distingué trois branches du Gouvernement. Pourtant,
cette distinction n’a pas connu un grand écho par la suite.

En effet, c’était la singularité de l’histoire de Grande-Bretagne qui conduirait progressivement à la


séparation des pouvoirs. Tout d’abord, l’objectif a été de tempérer le pouvoir royal au profit du
Parlement. De la Grande Charte de 1215 jusqu’à l’instauration de la monarchie absolue des Tudors
en 1485, le pouvoir de Parlement s’accrut considérablement aux dépends de roi qui perdit de plus
en plus ses prérogatives royales. Le discord entre eux fut l’objet de deux Révolutions de 1640 et
celle de 1688 qui marqua la fin de l’absolutisme royal. A leur issue, par le biais de Bill of Right de
1689 et de l’Acte d’établissement de 1701, un certain partage des pouvoirs entre le Parlement et le
Roi se cristallise. Ce dernier fut néanmoins borné par les règles strictes lui interdisant notamment de
légiférer. Ceux-ci au nom de la nécessité de garantir, d’une part, une coexistence harmonieuse entre
le Parlement et le Roi, et d’autre part, une protection des droits naturelles et imprescriptibles de
l’Homme contre le despotisme royal.

A l’instar de cette pratique de la séparation des pouvoirs, les deux auteurs de Lumières
s’ingénient à la théoriser, l’un pour entériner et justifier lesdites révolutions, et l’autre pour
combattre la monarchie absolue du droit divin en France.

B. La théorisation et ses obscurités

Afin de prévenir le retour de la monarchie absolue et d’introniser une monarchie


constitutionnelle basée sur la séparation des pouvoirs, John Locke met en vedette la séparation des
pouvoirs dans son ouvrage écrit en 1690 : « Essai sur le gouvernement civil ». Son principal objectif
fut de justifier ce qui vint de se produire en Grande-Bretagne. Dans chaque État existe, selon lui,
trois pouvoirs dont le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir fédératif. Ce dernier
s’exerce au niveau de relations internationales. Cette séparation forme une hiérarchie. Au sommet
de l’édifice figure le pouvoir législatif, dit suprême alors que le pouvoir exécutif lui est subordonné.
Il s’agit a priori d’éviter le despotisme qui résulte de concentration de tous les pouvoirs dans les
mains d’un seul monarque.

Dans le même sillon creusa Charles Louis de Secondant, baron de La Brède et de


Montesquieu. Il fut un philosophe et écrivain de XVIII. siècle qui dans l’ouvrage intitulé «  De
l’esprit des lois », chap. VI du livre XI «  De la constitution d’Angleterre » met en exergue le
principe de la séparation des pouvoirs. Cependant, ce principe a rencontré quelques objections sur
sa signification réelle. De surcroît, Montesquieu n’a employé nulle part l’expression de la
«  séparation des pouvoirs ». Il laisse donc une certaine ambiguïté dans la plupart de ces
formulations. Or, il considère qu’il est nécessaire que les trois pouvoirs distincts les uns aux autres
se contrebalancent pour que la liberté, la tranquillité et donc la sûreté des citoyens soit garantie.

Conformément à sa théorie, il existe, au sein des différentes régimes politiques, trois types de
pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses du droit des gens ou de l’État
et la puissance exécutrice des choses du droit civil ou du juger. En effet, il tient à l’écart la fonction
de juger, car elle n’a aucune importance sans qu’il y ait deux autres fonctions. Celles de légiférer et
d’exécuter. Ces dernières doivent trouver un moyen de collaboration et d’empêchement réciproque.
«  Par le mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d’aller, elles seront forcées d’aller
de concert» (Chapitre VI du livre XI). C'est un système de poids et de contre-poids afin d'inhiber
quelconque omnipotence. De fait, il condamna sans état d’âme l’absolutisme de Louis XIV en
précisant que : «  tout serait perdu, si le même homme, (…), exerçait ces trois pouvoirs : celui de
faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les
différents des particuliers ».

Le passage d’une société traditionnelle à une société moderne a conduit inévitablement au


changement de la conception initiale de la séparation des pouvoirs au profit d’une certaine
collaboration.
II. La théorie moderne de la séparation des pouvoirs

Désormais, on parle d’une séparation rigide ou souple des pouvoirs en fonction de leur degré
de collaboration qui diffère en effet d’un régime démocratique à l’autre.

A. Le modèle américain de la séparation strict des pouvoirs

Le 17 septembre 1787, la Convention de Philadelphie approuve la nouvelle Constitution des


États-Unis. Cependant, son caractère novateur devrait être nuancé, car les imitations de la
constitution anglaise y étaient apportées.

Son principe essentiel est la séparation stricte des trois pouvoirs inspirée par le « contrat social » de
Rousseau et le « Traité du gouvernement civil » de Locke. Cette séparation repose sur le système de
poids et de contrepoids, soit « checks and balances ». Comme Montesquieu l’avait déjà indiqué. Le
pouvoir exécutif exercé par le président est monocéphale. C’est-à-dire que le président est à la fois
le chef de gouvernement et d’État (art. 2 – section 1 de la Constitution fédérale des Etats-Unis,
CFEU). Le pouvoir législatif est attribué au Congrès composé de deux assemblées, le Sénat et la
Chambre des représentants (art. 1 – section 2 de CFEU). Et en fin, le pouvoir judiciaire est exercé
par le Cour suprême et les Cours inférieures (art. 3 – section 1 de CFEU).

Dans la Constitution, certaines dispositions institutionnelles apportent plusieurs atténuations à la


séparation stricte de pouvoirs. Dans le régime présidentiel, tel qu’aux États-Unis, le Président ne
peut pas par exemple dissoudre les Chambres de Congrès.

En plus, les hauts fonctionnaires, y compris le Président des États-Unis, peuvent être destitués par la
procédure d’«impeachment». En conformité avec l’article II, section 4, de la Constitution stipule
ainsi que : «le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront
destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou
autres crimes et délits majeurs». Il s’agit d’un contre-pied de pouvoir législatif.

Le Congrès (pouvoir législatif) et la Cour suprême (pouvoir judiciaire) peuvent entraver l’action du
pouvoir exécutif et annuler ses décisions. En matière de politique étrangère, ce n’est pas le
Président, mais le Congrès qui a le droit, d’après la Constitution, de déclarer la guerre, lever des
armées, pourvoir à leur entretient et les réglementer (art. 1, sect. 8, al. 11 et 14). Avec le Sénat, le
Président partage le choix des ambassadeurs américains et la négociation des traités.

Par la pratique, les trois pouvoirs ont parvenus à établir une moindre collaboration en assurant
l’équilibre entre eux et également en atténuant leur séparation rigide. Cela permet donc de rendre
leur fonctionnement et relation réciproque plus fructueuse et harmonieuse.

Dans l’autre côté de l’Atlantique, le régime semi-présidentiel de la France s’inscrit dans la


recherche continue d’un régime pertinent dès la Révolution française de 1789. La séparation des
pouvoirs y est cependant caractérisée par une souplesse qui nécessite la collaboration accrue entre
eux. Mais est-ce qu’on peut ainsi constater que la séparation des pouvoir y est véritablement
appliquée  ?
B. Le modèle français de la séparation souple des pouvoirs

Hormis des cas de la cohabitation, l’expansion particulière de la société française dès 1789 a
permit enfin de parvenir à un stade de l’équilibre relatif des pouvoirs cristallisé par la Constitution
de la V.ième République de 1958. Cette dernière a mis en place un régime semi-présidentiel dont la
particularité se trouve dans le cumul des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et législatif. Le pouvoir
exécutif contrairement au régime présidentiel, est bicéphale. Il s’agit d’un trait significatif de
régime parlementaire. Ce ledit régime assure une répartition souple des pouvoirs entre le
Gouvernement et le Parlement qui se freinent mutuellement. Ainsi, la conception original de
Montesquieu est préservé, car les organes, d’une part, se distinguent les uns aux autres, et d’autre
part, ont la faculté de s’empêcher.

Il existe également des sphères mixtes, tel est le cas pour l’initiative des lois par exemple. La
puissance législative se trouve, dans la plupart des États de régime parlementaire, appartenir
concurremment au Corps législatif et au Gouvernement. Ce dernier possède alors de l’initiative des
lois, de droit de participer à leur discussion, de pouvoir d’opposer à leur formation ou à leur
exécution. En plus, c’est le pouvoir exécutif qui règle le temps et la durée des assemblées
législatives.

Quant à la puissance législative, celle-ci peut appliquer la motion de censure (art. 49, al. 2 de la
Constitution française du 4 octobre 1958) et de forcer ainsi à démissionner le Gouvernement qui ne
tient pas sa légitimer du peuple. En outre, le Président a le droit de dissoudre le Parlement, ce qui
n’est pas le cas dans les régimes présidentiels comme aux États-Unis. De plus, le pouvoir exécutif
doit rendre compte de sa administration et justifier sa conduite devant le Parlement. Ces
particularités étaient déjà prévu par Montesquieu.

De surcroît, le pouvoir juridique est indépendant bien du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif.
Le ministère de la justice ne peut pas adresser des injonctions aux magistrats. Et de l’autre côté, le
juge ne peut pas légiférer. En plus, les lois de 16 et 24 août 1790, art. 13 stipulent que : «Les
fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions
administratives». Petit à petit, l’organisation judiciaire en France a mis en œuvre une double
séparation des pouvoirs au sein même de pouvoirs judiciaire. Il s’agit bel et bel de l’ordre judiciaire
et de l’ordre administratif. Ainsi, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
dont la valeur constitutionnel a été reconnu par la loi Marcellin de 16 juillet 1971, imposent que
seule juridiction administrative peut annuler des prérogatives de la puissance publique.

En guise de conclusion, la séparation des pouvoirs se présente ipso facto comme une
conséquence nécessaire et indispensable pour la protection des droits naturels et imprescriptibles de
l’homme comme l’indique l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et de citoyen de
1789. A priori, elle servent comme un véritable entrave à toute tentation d’instaurer un pouvoir
absolu. Au fil du temps, elle a pris des proportionnes diamétralement différentes de celles élaborées
par Locke ou Montesquieu. Or, que se soit dans le modèle américain ou français, le principe initial
est toujours préservé. Les organes sont exercées par trois pouvoirs se distinguant les uns aux autres
qui se font l’obstacle de manière mutuelle.

Pourtant, les compétences respectives et le degré de collaboration se distinguent d’une société à


l’autre en fonction de régime politique adopté. De ce fait, la séparation de pouvoirs s’adapte à la
société donnée. Cette dernière pourrait la faire conduire à un certain éloignement de la vision
classique. Cela ne demeure pas moins que la séparation des pouvoirs constitue toujours la charpente
de l’ordre social des régimes démocratiques.

Angélique Vannel

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