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LA SEPARATION DES POUVOIRS ET LA CLASSIFICATION

DES REGIMES POLITIQUES

Moyen de protection contre l’oppression des gouvernants, le principe de


séparation des pouvoirs est une condition fondamentale de la garantie des droits
et libertés des citoyens dans l’état. Il est aussi un critère classique de
classification des nombreux régimes politiques expérimentés en France et dans
le monde.

Fondement du libéralisme politique, il s’analyse comme principe général


d’organisation politique visant le partage du pouvoir entre plusieurs lieux,
niveaux, organes, afin d’assurer un équilibre, une balance des pouvoirs propre à
assurer la stabilité des gouvernements et la liberté des gouvernés.

Emergeant dans la philosophie politique grecque (Aristote), puis dans la Rome


antique, le principe sera théorisé par Locke et Montesquieu à l’époque des
Lumières, et recevra de nombreuses et diverses lectures et interprétations en
Grande Bretagne, en France, aux Etats-Unis, et à travers le monde.

Parmi les approches, on distingue la séparation horizontale des pouvoirs (entre


les organes étatiques de gouvernement), de la séparation verticale des pouvoirs
(répartition des compétences entre le niveau fédéral et le niveau des Etats
fédérés dans l’Etat fédéral, ou entre les instances locales (communes, régions,
provinces) et nationales dans l’Etat décentralisé, voire entre les Etats et l’Union
européenne…). Ainsi, par exemple, les pères fondateurs du régime américain
concevaient-ils précisément le fédéralisme comme un facteur de séparation des
pouvoirs ; de même que Tocqueville voyait dans les collectivités territoriales et
les corps intermédiaires de la société civile des instruments de limitation du
pouvoir dans l’Etat.

Surtout, l’affermissement du pouvoir du juge, le développement considérable du


contrôle de légalité, de constitutionnalité et de conventionalité, la
décentralisation, l’intégration européenne, ou encore le développement
d’autorités publiques indépendantes, constituent des formes de contre-pouvoir,
renouvelant la perception du principe classique de la séparation des pouvoirs.
Nous allons nous attacher ci-dessous à exposer les tenants de la théorie de Locke
et de Montesquieu, qui constituent une référence : si certains souhaitent la
dépasser ou s’en détacher, il est nécessaire, en premier lieu, de la maîtriser (1).
Nous verrons ensuite qu’une telle théorie soutient la typologie classique des
régimes politiques (conventionnel, présidentiel, parlementaire …), dont la
pertinence est aujourd’hui contestée (2).

1/ LA THEORIE CLASSIQUE DE LA SEPARATION DES POUVOIRS

A. L’origine du principe

Principe essentiel du libéralisme politique et marque de la volonté de rupture


avec la monarchie absolue, la séparation des pouvoirs fut d’abord expérimentée
en Grande-Bretagne, lorsque le souverain fut, à partir du XIII è siècle, amené à
partager ses pouvoirs avec des assemblées. Sur la base d’un principe imaginé
par John Locke au XVIIè siècle, Montesquieu développe au XVIIIè siècle la
théorie selon laquelle la dissolution des fonctions dans l’Etat permet d’éviter la
concentration du pouvoir et donc de protéger les citoyens.

La séparation des pouvoirs selon Locke et Montesquieu


John Locke Montesquieu
Œuvre-clef Traité du gouvernement civil De l’esprit des lois (1748)
(1690)
La distinction des Pouvoir législatif : faire les lois Puissance législative : faire la loi,
trois pouvoirs « nécessaires à la conservation de la l’abroger, la modifier ;
société et de ses membres » ; Puissance exécutrice : exécuter « les
Pouvoir exécutif : faire exécuter les résolutions publiques », faire la paix ou la
lois « au-dedans de la société » ; guerre, mener la politique diplomatique et
Pouvoir fédératif : faire la guerre ; de défense, et faire régner la sécurité ;
conclure les alliances et les Traités, Puissance de juger : justice civile (« juger
prendre en charge les intérêts de l’Etat les litiges des particuliers ») et pénale
« au regard des gens de dehors et des (« punir les crimes ».
autres sociétés ».
Citations « Dans les Etats bien réglés … [et] il « Lorsque dans la même personne ou dans
principales est nécessaire qu’il y ait toujours le même corps de magistrature, la
quelque puissance sur pied qui fasse puissance législative est réunie à la
exécuter ces lois… : et c’est ainsi que puissance exécutrice, il n’y a point de
le pouvoir législatif et le pouvoir liberté parce qu’on peut craindre que le
exécutif se trouvent souvent séparés ... même monarque ou…[la même
[concernant] le pouvoir exécutif et le assemblée]ne fasse des lois tyranniques
pouvoir fédératif, encore qu’ils soient pour les exécuter tyranniquement … il n’y
réellement distincts en eux-mêmes, ils a point encore de liberté si la puissance de
se séparent néanmoins juger n’est pas séparée de la puissance
malaisément ..l’un et l’autre législative et de l’exécution. Si elle était
requérant, pour être exercés, …[la jointe à la puissance législative, le pouvoir
force publique] »(chapitre Xii – « Du sur la vie et la liberté des citoyens serait
pouvoir législatif, exécutif et fédératif arbitraire ; car le juge serait législateur. Si
d’un Etat »). Le pouvoir législatif est elle était jointe à la puissance exécutrice, le
remis entre les mains de diverses juge pourrait avoir la force d’un
personnes …dûment assemblées » oppresseur » (Livre XI, chapitre VI – « De
la Constitution d’Angleterre »).

Partant du postulat selon lequel « tout homme qui a du pouvoir est porté à en
abuser », Montesquieu mène, à partir de l’étude du régime britannique, une
réflexion sur les techniques de limitation du pouvoir permettant de parvenir à un
gouvernement modéré. Selon sa thèse, le partage du pouvoir entre différents
organes, appelés à se faire mutuellement contrepoids, est une garantie efficace
contre la tyrannie d’un individu ou d’un groupe d’individus : « il faut que par la
disposition des choses, le pouvoir arrêt le pouvoir ».

B. Le contenu du principe

Fondé sur la différenciation des lieux de pouvoirs, la séparation des pouvoirs


implique le respect de deux règles cumulatives.

1) La différenciation des fonctions

Dans un premier temps, il convient d’identifier, au sein du pouvoir d’Etat,


différentes fonctions. Parmi les solutions proposées, celle inspirée par
Montesquieu s’est largement imposée. Elle distingue :

- La fonction législative : élaboration des lois, modification et abrogation des


lois existantes, élaboration des lois financières (vote du budget) ;
- La fonction exécutive : prise des mesures nécessaires à l’application des lois
(règlements), direction de l’administration, politique diplomatique et de
défense, maintien de l’ordre public ;
- La fonction judiciaire : règlement des litiges, sanction des crimes et délits,
garantie de la loi.

2) La différenciation des organes

Dans un second temps, le principe de séparation des pouvoirs repose sur la


différenciation des organes chargés d’exercer les différentes fonctions, selon le
principe « un organe, une fonction ». Cela suppose que chacun des organes soit
indépendant et composé différemment des autres. C’est bien ce qu’indique
Montesquieu lorsqu’il écrit « tout serait perdu si le même homme ou le même
corps… des nobles ou du peuple exerçait ces trois pouvoirs ».
Exemple

La séparation des pouvoirs n’est pas assurée dans le cas où la fonction exécutive
est confiée à un conseil composé de membres choisis et révoqués par le corps
législatif, et qui ne peut agir qu’en exécution de ses décisions. Tel était le cas du
comité exécutif de 24 membres prévu par la Constitution française de 1793 (non
appliquée).

Le pouvoir législatif, qui recouvre la fonction de délibération, d’examen et de


vote des lois et du budget, est naturellement exercé collectivement, par une ou
plusieurs assemblées parlementaires. Le parlement se charge également de
contrôler l’action du pouvoir exécutif. La théorie de la séparation des pouvoirs
privilégie le bicamérisme (ou bicaméralisme), qui conduit à partager le pouvoir
législatif entre deux chambres, de façon égalitaire ou inégalitaire, ce qui
constitue un mécanisme supplémentaire visant à éviter la concentration du
pouvoir.

Le pouvoir exécutif, qui implique la prise de décision au quotidien et parfois


dans l’urgence, est, pour plus d’efficacité, confié à un ou plusieurs individus. Le
chef de l’Etat peut en effet être assisté de collaborateurs, voire d’une véritable
équipe gouvernementale : dans ce cas, il coexiste avec un chef de gouvernement
dont le rôle est plus ou moins étendu, le pouvoir exécutif ayant ainsi « deux
têtes » (« bicéphalisme » de l’exécutif). Parfois, la fonction du chef de l’Etat est
exercée par plusieurs personnes formant un collège (conseil exécutif fédéral de
sept membres en Suisse, directoire de cinq membres sous la Constitution
française 1795).

Quant au pouvoir judiciaire, qui nécessite pour son exercice à la fois la rigueur
juridique, l’impartialité et la probité, il est assumé, au nom du peuple, par les
juges indépendants des deux autres pouvoirs.

Remarque : en France, dans la mesure où le juge judiciaire coexiste avec le juge


administratif et le juge constitutionnel, on parlera plus largement de « pouvoir
juridictionnel ».

3) La combinaison des deux règles

Chaque organe, doté de ses propres attributions, se trouve dans le même temps
protégé contre les empiétements des autres. Mais le fait que des organes
différents soient en charge des différentes fonctions n’empêche pas à priori
qu’ils disposent de moyens d’intervention réciproque. Le pouvoir exécutif peut
ainsi être doté de prérogatives de nature législative (exemple de la promulgation
des lois par le chef de l’Etat, correspondant au pouvoir de donner une existence
juridique à la loi, lui permettant de bloquer le processus législatif). A l’inverse,
l’organe en charge du pouvoir législatif peut contrôler l’action du pouvoir
exécutif (par exemple l’exécution des lois) et, parfois, mettre en jeu la
responsabilité pénale des gouvernants, intervenant ainsi dans le domaine
judiciaire.

Les organes se limitent ainsi mutuellement, chaque pouvoir constituant un frein


pour l’autre. En effet, en cas d’abus de pouvoir, la capacité de décision et
d’action de l’un peut se trouver neutralisée par le pouvoir d’opposition ou de
blocage des autres ou, comme l’écrit Montesquieu, la « faculté de statuer » d’un
pouvoir se heurte, en cas d’abus, à la « faculté d’empêcher » de l’autre.

Exemple

Un parlement qui élaborerait une loi injuste pourrait être contré par le pouvoir
exécutif lors de sa mise en application ou même de sa promulgation. A l’inverse,
face à un chef de l’Etat ou à un gouvernement auteur de mesures attentatoires
aux libertés, le parlement pourrait modifier la loi ou la Constitution afin de le
neutraliser. Quant au juge, il peut être amené à interpréter la loi (faculté de
statuer) à annuler un acte administratif illégal ou une loi inconstitutionnelle, ou
tout au moins à en écarter l’application (faculté d’empêcher), c’est-à-dire à faire
cesser les abus de pouvoir correspondants.

Le principe de séparation des pouvoirs, reposant sur une logique d’interaction,


aboutit à un régime d’équilibre de pouvoirs, ceux-ci se trouvant contraints
« d’aller de concert » (Montesquieu).

C. La portée du principe

1) Un principe fondateur du constitutionnalisme

Au même titre que la souveraineté, la séparation des pouvoirs est au cœur de la


réflexion politique des révolutionnaires français. Plus largement, ce principe est
essentiel au mouvement constitutionnaliste, qui vit l’émergence et le
développement des Constitutions, aux XVIIIème siècle. En effet, l’élaboration
d’une Constitution vise précisément à distinguer les pouvoirs et à en organiser
l’exercice de façon à concilier le pouvoir étatique et les libertés publiques. Il
revient donc à la Constitution de préciser le rôle de chaque organe et les
relations entre les pouvoirs.

Déjà mis en œuvre aux Etats-Unis dans la Constitution fédérale de 1787, le


principe de la séparation des pouvoirs a été consacré en France, comme la
théorie de la souveraineté nationale, par la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen de 1789, dont l’article 16 dispose que « toute Société dans laquelle la
garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée,
n’a point de Constitution ». Le principe de séparation des pouvoirs est donc
selon cette conception, à la fois une composante essentielle de la Constitution et
son principal objet.

Le principe, qui est au nombre des conditions nécessaires à la démocratie, est


conciliable avec un régime de type républicain ou de type monarchique
(monarchie constitutionnelle ou limité, dont les vertus furent vantées par
Montesquieu), selon l’organe chargé du pouvoir exécutif. Il est en revanche
inconciliable avec toute forme de concentration des pouvoirs.

2) Un principe en rupture avec la confusion des pouvoirs

La séparation des pouvoirs implique le partage du pouvoir politique entre des


organes distincts, dotés de leur propre domaine d’intervention. Ce principe
d’organisation politique s’oppose donc à la confusion des pouvoirs, qui peut être
le résultat d’une pratique du pouvoir (monarchie absolue d’Ancien Régime) ou
d’une théorie constitutionnelle (confusion des pouvoirs aux mains d’une
assemblée populaire, selon la Constitution française de 1793, en application de
la théorie rousseauiste). La concentration des pouvoirs aux mains d’un seul
organe correspond soit au cas où un organe est doté de toutes les fonctions, soit
au cas où il est en situation de contrôler les organes chargés des autres fonctions.
Les pouvoirs peuvent ainsi être confondus aux mains d’un homme, d’un groupe
d’individus ou encore d’une assemblée.
Confusion aux mains d’un homme Confusion aux mains d’une assemblée
Un même individu (directement ou par Une assemblée fait la loi, contrôle les conditions
l’intermédiaire de son entourage) fait la loi, la de son exécution (en déléguant le pouvoir
fait exécuter et contrôle l’appareil judiciaire. Le exécutif à un organe, en général collégial, qui
régime s’apparente à une dictature, appuyée par émane d’elle et lui est subordonné), et influence
l’armée, le peuple ou la législation. les conditions d’exercice de la justice. Elle tire sa
Exemples français : légitimité de son élection par le peuple, et ne
- le Premier Empire (1804-1814), caractérisé par saurait, pour cela, voir son pouvoir limité et sa
la mainmise de l’Empereur Napoléon sur volonté contredite. On parle de régime
l’ensemble des institutions et par la légitimation d’assemblée (ou, en France, de « régime
populaire de son pouvoir personnel (technique conventionnel »).
des plébiscites). Exemples :
- le régime de Vichy (1940-1944), en application -la Convention élue en 1792 par le peuple
de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 souverain, qui fait la loi, délègue à un comité issu
conférant les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. de ses rangs la fonction exécutive et à des
tribunaux révolutionnaires la fonction judiciaire.
Ce pouvoir absolu, bien qu’émanant du peuple,
ne connaît ni limites, ni contre-pouvoirs et
s’avéra tyrannique (« Terreur »).
-la Constitution montagnarde de 1793
(Assemblée + conseil exécutif dépendant d’elle),
non appliquée.
-le régime suisse, au sein duquel l’Assemblée
fédérale (composée du Conseil national et du
Conseil des Etats) délègue à un conseil fédéral
l’exécution de ses décisions (même si celui-ci
bénéficie, en pratique, d’une stabilité qui lui
confère une relative indépendance).

2/ LA TYPOLOGIE CLASSIQUE DES REGIMES POLITIQUES SELON


LES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DU PRINCIPE DE
SEPARATION DES POUVOIRS

La nature et l’intensité des relations entretenues entre le pouvoir exécutif et le


parlement détermine le type de régime politique considéré, selon que le principe
de séparation des pouvoirs fait l’objet d’une interprétation stricte (rigide) ou
souple :

- Dans le premier cas, les pouvoirs sont séparés et indépendants et le régime


est dit « présidentiel » ;
- Dans le second, les pouvoirs sont séparés mais interdépendants, et le régime
est dit « parlementaire ».

NB : la séparation stricte, à proprement parler, n’existe pas : c’est seulement par


comparaison avec la dépendance réciproque des pouvoirs caractéristique du
régime parlementaire que la séparation des pouvoirs, en régime présidentiel, a
pu être qualifiée de « stricte » ou « rigide ».

A. Des pouvoirs séparés et indépendants : le régime présidentiel

1) La définition du régime présidentiel

L’expression « régime présidentiel » aurait été inventée par l’auteur anglais


Walter Bagehot, en 1867, pour rendre compte du rôle prédominant du président
aux Etats-Unis, dans le cadre d’un régime politique fondé sur une balance, un
équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif, confiés à des organes séparés et
indépendants. Ce régime se caractérise ainsi par une séparation plus stricte des
pouvoirs que celle qui pouvait être observée en Grande-Bretagne. Ses
caractéristiques se retrouvent également dans certains régimes politiques
français, tels la monarchie constitutionnelle de 1791, le Directoire de 1795 ou la
République de 1848, qui placent face à face deux pouvoirs séparés et
relativement indépendants. Ils reçoivent ainsi la dénomination de « régime
présidentiel » alors qu’il n’y existe pas de président !

Est donc qualifié de « régime présidentiel » le régime qui sépare et confronte


deux légitimités (un organe exécutif et un organe législatif), dont les rapports
sont conçus, sur le modèle américain, sur un mode plus rigide que celui
expérimenté par la monarchie britannique, car fondé sur l’indépendance de deux
pouvoirs qui se font contrepoids mais doivent aller de concert.

Pouvoir exécutif Pouvoir législatif


Chef d’Etat Parlement
+ Ministre (responsable individuellement
devant lui) Bicaméral ou monocaméral

Election Election
(si le chef d’Etat est un président)

Le régime présidentiel est donc un régime dans lequel les pouvoirs, séparés, sont
indépendants les uns des autres. Ils se font face et disposent chacun de leur
propre légitimité et de leur propre sphère d’action.
Ils n’entretiennent entre eux qu’un minimum de relations et ne peuvent se
renverser l’un l’autre (c’est en cela que leur séparation est parfois dite
« stricte »).

2) Les caractéristiques générales du régime présidentiel

a) Les données théoriques


Le chef de l’Etat, unique détenteur du pouvoir exécutif, peut être un président de
la République (exemple du régime des Etats-Unis ou de la Constitution française
de 1848), mais aussi un monarque (exemple de la Constitution française de
1791), voire un groupe d’individus exerçant collégialement l’autorité de l’Etat
(exemple du directoire français, en 1795). Il tire sa légitimité de l’hérédité ou de
l’élection, mais en aucun cas d’une nomination ou d’une élection par le
parlement, condition de son indépendance. Il n’est pas responsable
politiquement devant le parlement et seule sa responsabilité pénale peut être
mise en jeu (technique de l’ impeachment » aux Etats-Unis).
Les ministres (ou secrétaires) sont des collaborateurs personnels du chef d’Etat
qui les nomme et les révoque librement, et ne répondent de leurs actes que
devant lui, à titre individuel. Il n’existe donc pas, en régime présidentiel, de
gouvernement, défini comme une équipe de ministres solidairement
responsables d’une politique devant le parlement.
Les pouvoirs législatif et budgétaire sont confiés à un parlement élu,
monocaméral ou bicaméral, qui dispose du monopole de l’initiative législative
(le pouvoir exécutif étant, lui, dépourvu du pouvoir de proposer des lois).
Parmi les marques d’une relative « rigidité » de la séparation des pouvoirs,
l’incompatibilité entre la fonction ministérielle et l’exercice du mandat
parlementaire s’ajoute à l’absence de mécanisme permettant aux pouvoirs de se
renverser l’un l’autre : l’indépendance des pouvoirs exclut le droit de dissolution
ainsi que les mécanismes de responsabilité ministérielle devant le parlement.
La séparation des deux pouvoirs indépendants n’empêche pas des échanges
minimums entre eux : le chef de l’Etat est souvent doté d’un droit de veto, lui
permettant de mettre en œuvre sa « faculté d’empêcher », attachée à la théorie
de la séparation des pouvoirs : il peut neutraliser le parlement dans l’exercice de
sa fonction législative, ou tout au moins le ralentir (veto suspensif). A l’inverse,
le Parlement dispose d’un pouvoir de contrôle (« faculté d’empêcher » exercée
grâce aux auditions, aux commissions d’enquête, etc) lui permettant de jouer son
rôle de contre-pouvoir face à l’exécutif, sans pouvoir jamais le renverser
cependant (différence fondamentale avec le régime parlementaire, qui marque la
différence entre la séparation « souple » et la séparation plus « stricte » des
pouvoirs).

b) Les aspects pratiques


L’indépendance des pouvoirs emporte certains effets pervers, liés à l’absence de
mécanisme permettant, en cas de conflit entre eux, de résoudre la crise dans un
cadre institutionnel. Par conséquent, en de telles circonstances, la solution ne
peut qu’être négociée politiquement ou imposée par la force. Ainsi, en France, si
les tentatives d’instauration d’un régime de type présidentiel ont échoué, c’est
notamment parce que la séparation des pouvoirs a été appliquée de façon trop
stricte et dogmatique.

Exemple
Les expérimentations du régime présidentiel se sont achevées dans la violence,
qu’il s’agisse de la monarchie constitutionnelle de 1791 (destitution, puis
élimination physique du Roi), du Directoire en 1795 (coup d’Etat de Napoléon
Bonaparte), ou du régime de 1848 (finalement emporté par le coup d’Etat du
Prince-Président Louis Napoléon Bonaparte).

En réalité, le bon fonctionnement du régime présidentiel exclut l’isolement


complet des pouvoirs, qui s’avère vouer à l’échec. Montesquieu, lui-même,
précisait que les pouvoirs, séparés, devaient « aller de concert ». Un minimum
de relations et de dialogue entre les pouvoirs, permettant de passer des
compromis, apparaît en effet nécessaire à la viabilité du régime présidentiel,
comme le montre l’exemple des Etats-Unis d’Amérique.
Ce régime y fonctionne de façon satisfaisante car l’indépendance des pouvoirs
n’y exclut pas des mécanismes de collaboration minimale, appelés les « Checks
and Balances » (freins et contrepoids), de nature institutionnelle (fédéralisme,
partage de certains pouvoirs, discours annuel du président sur l’Etat de l’Union)
et politique (bipartisme, rôle des lobbys, dialogue officieux entre les pouvoirs).
Le régime américain est, actuellement, l’un des seuls régimes présidentiels
fonctionnant effectivement et de façon satisfaisante.

Pour aller plus loin : du « présidentialisme » au régime « semi-présidentiel »

Le « présidentialisme » est une dénaturation du régime présidentiel, constatée


dans certains Etats d’Amérique latine, puis d’Afrique ou de l’ex-bloc soviétique
(Géorgie, Ukraine). Le régime correspondant est caractérisé par un déséquilibre
des pouvoirs au profit du Président, qui bénéficie d’une légitimité populaire
issue de l’élection au suffrage universel, ce qui lui permet d’imposer son
autorité, au détriment du parlement. Dans les Etats dont la vie politique est
caractérisée par l’existence d’un parti dominant, voire unique, le président
bénéficie, en outre, du soutien de la majorité parlementaire. En l’absence de
contre-pouvoirs effectifs, ce régime a parfois pris un caractère dictatorial, en
particulier dans les Etats où le pouvoir présidentiel est appuyé par l’armée.
Par extension, cette expression est parfois utilisée pour qualifier la déviance
d’un régime parlementaire très déséquilibré au profit du chef de l’Etat doté
d’une forte légitimité populaire et exerçant de facto le rôle de chef de la majorité
parlementaire (Vè République française). Voir : P. Lauvaux, Destin du
présidentialisme, PUF, 2002, 137p.
Le régime « présidentialiste » doit être distingué du « régime semi-présidentiel »
(M. Duverger), désignant un régime mixte faisant appel à certaines
caractéristiques du régime présidentiel (président élu au suffrage universel et
doté d’importantes prérogatives) et à d’autres, propres au régime parlementaire
(existence d’un gouvernement responsable devant le parlement, droit de
dissolution). Le président domine alors les institutions et dirige le
gouvernement, face à un parlement affaibli (exemple de la Vè République
française, ou de la pratique du régime parlementaire dualiste dans certains Etats
africains).
Remarque : ces qualificatifs reflètent certaines variantes apparues en pratique et
mettent en évidence la relativité de la typologie classique des régimes politiques.
Ils sont cependant source de confusions : les régimes présidentiel et
parlementaire doivent, en première analyse, rester clairement distincts (selon
que le gouvernement est, ou non, responsable devant le parlement).
B. Des pouvoirs séparés mais interdépendants : le régime parlementaire

1) Les caractéristiques du régime parlementaire

a) La définition du régime parlementaire


Le régime parlementaire est un régime dans lequel le gouvernement (organe
exécutif) tire sa légitimité de la confiance que lui accorde la majorité du
parlement, en charge du pouvoir législatif. Pour que l’équilibre soit assuré entre
les pouvoirs, cette dépendance doit être réciproque (motion de censure contre
droit de dissolution).
En cela, par opposition au système présidentiel américain, on parle de séparation
souple des pouvoirs, puisque ceux-ci entretiennent d’étroites relations de
collaboration. Ils peuvent influer sur l’autre dans l’exercice de leurs fonctions et
peuvent se révoquer mutuellement. Les pouvoirs exécutif et législatif, bien que
séparés, sont donc interdépendants.
Apparu dans la pratique institutionnelle en Grande-Bretagne au XVIII è siècle, et
théorisé en France par des auteurs du XIX è siècle (Benjamin Constant,
Chateaubriand), le régime parlementaire est aujourd’hui pratiqué dans la quasi-
totalité des Etats européens. Il n’existe pas, cependant, de modèle type de
régime parlementaire, puisqu’il y a autant de régimes parlementaires qu’il y a
d’Etats qui le pratiquent.
Le régime parlementaire résulte d’un « ensemble d’éléments qui s’acclimatent
ou non en fonction des données économiques, sociales, psychologiques,
historiques d’un pays » (L. Michon). C’est pourquoi il fut parfois comparé à une
fragile « plante de terre » (Guizot). Cependant, ce régime est caractérisé par la
réunion de certaines conditions essentielles, des indices supplémentaires
permettant, le cas échéant, d’emporter la qualification.

Les conditions essentielles les indices supplémentaires


- Un chef d’Etat irresponsable politiquement ; - Droit d’accès et de parole des ministres
- Un gouvernement (ou cabinet ministériel) doté dans les chambres du parlement ;
d’un chef ; - Partage de l’initiative législative entre le
- Un transfert de la responsabilité politique du parlement et le gouvernement ;
chef de l’Etat par le mécanisme du contreseing ; - Possibilité de cumuler le mandat
- Une responsabilité politique (ou ministérielle) parlementaire et la fonction ministérielle ;
du gouvernement (cabinet ministériel) qui - Bicamérisme ;
répond collégialement de sa politique devant le - structuration des partis politiques et de
parlement ; l’opposition parlementaire, face à la
- Un droit de dissolution de la chambre basse ou majorité de soutien au gouvernement
des deux chambres composant le parlement,
confié au pouvoir exécutif

La principale caractéristique du régime parlementaire réside donc dans


l’exercice de mécanismes de collaboration et de pression réciproque qui sont
autant de moyens de résoudre d’éventuels conflits entre les pouvoirs.

b) Le schéma commenté du régime parlementaire


En régime parlementaire, les pouvoirs exécutif et législatif, séparés, peuvent
interférer mutuellement, jusqu’à se mettre en cause dans leur existence même :
ils disposent ainsi d’un « pouvoir de vie et de mort » l’un sur l’autre. Le
gouvernement peut être renversé par le parlement et, en contrepartie, le
parlement peut être dissout sur décision du pouvoir exécutif. Le régime
parlementaire est donc fondamentalement, lui aussi, un régime d’équilibre des
pouvoirs.

Le régime parlementaire

Chef d’Etat irresponsable


Contreseing Droit de
dissolution
Gouvernement
et son chef
Parlement bicaméral

Responsabilité ministérielle

Ce schéma permet d’illustrer le caractère bicéphale de l’exécutif en régime


parlementaire

Le chef de l’Etat Le gouvernement et son chef


Tirant sa légitimité de l’élection (président de la Sous la direction de son chef (dénommé
République) ou de son hérédité (monarque, il premier ministre, président du conseil des
incarne la continuité de l’Etat et constitue l’élément ministres, ou encore chancelier), le
stable, permanent, et politiquement neutre du gouvernement est plus impliqué dans la vie
pouvoir exécutif. politique et joue un rôle de « courroie de
C’est pourquoi il est irresponsable politiquement, transmission » entre le parlement et le pouvoir
ce qui signifie qu’il n’a pas à répondre de ses actes exécutif.
devant le parlement, qui ne peut le révoquer. Les membres du gouvernement sont
la responsabilité de ses actes est en réalité solidairement responsables devant le parlement
transférée au gouvernement, par le mécanisme du de la politique menée : en cas de crise
contreseing, qui correspond à une deuxième institutionnelle, c’est le gouvernement,
signature que les membres du gouvernement collégialement, qui assume la responsabilité
apposent sur les actes du chef de l’Etat, manifestant des échecs et peut voir son existence mise en
ainsi le fait qu’ils en endossent la responsabilité. cause par une ou les deux chambres. Le
gouvernement fait donc figure de « fusible »,
puisqu’en cas de difficulté, c’est lui qui
« saute »

Quant au parlement, outre ses attributions classiques d’élaboration de la loi et de


vote du budget, il joue un rôle fondamental de contrôle du gouvernement. Celui-
ci se traduit par divers mécanismes (questions, commissions d’enquête, missions
d’information, auditions, contrôle budgétaire). Ce contrôle peut conduire à des
demandes d’explications, à des critiques et même à la remise en cause du
gouvernement et de sa politique, dans le cadre de la mise en jeu de la
responsabilité ministérielle selon différentes techniques (adresse, interpellation,
ordre du jour de défiance, motion de censure, vote négatif en réponse à une
question de confiance). Le parlement doit cependant faire un usage prudent et
raisonné de ses prérogatives, car ses membres agissent sous la menace d’une
éventuelle dissolution.

La responsabilité ministérielle La dissolution


Définition La responsabilité ministérielle (ou La dissolution permet au pouvoir exécutif
politique) signifie que le gouvernement, de démettre collectivement les membres
composé de ministres solidaires, assume d’une assemblée de leur mandat avant le
collégialement la responsabilité de sa terme normal de la législature, en
politique devant le parlement qui peut le provoquant de nouvelles élections.
renverser.
Modalités La révocation du gouvernement peut Selon les Etats, la dissolution est décidée
résulter d’une initiative du parlement par le chef de l’Etat (Vè République
(vote d’une motion de censure ou de française) ou par le chef du gouvernement
défiance) ou d’une initiative du (Grande-Bretagne), éventuellement après
gouvernement (question de confiance délibération du conseil des ministres ; elle
posée au parlement, suivie d’un vote frappe les parlementaires de la chambre
négatif). basse (France, Allemagne) ou, plus
rarement, ceux des deux chambres (Italie,
Belgique, Espagne).
Mise en Le droit de mettre en cause la Il y a plusieurs types de dissolutions. La
œuvre responsabilité du gouvernement est dissolution parlementaire correspond à
souvent le fait de la seule chambre basse l’objectif initial de la dissolution en
(Vè République française, Espagne, régime parlementaire, puisqu’elle permet
Allemagne), mais est parfois confié aux de faire trancher un conflit entre les
deux chambres (Italie, Constitution de la pouvoirs par le peuple, appelé à
IIIè République française). Le renouveler la majorité parlementaire.
déclenchement du mécanisme conduit à Exemples :
un vote qui, s’il est négatif, a pour - La dissolution prononcée en 1962 par
sanction obligatoire la démission le Général De Gaule pour sortir du
collective du gouvernement. conflit qui l’opposait au parlement,
Selon le degré de protection que le - La technique allemande permettant de
constituant entend accorder au dissoudre le Bundestag pour sortir de
gouvernement, les conditions encadrant le la crise ouverte par le rejet d’une
mécanisme peuvent être plus ou moins motion de confiance ;
rigoureuses. La majorité exigée pour un - Le mécanisme espagnol permettant de
vote de défiance peut être plus ou moins dissoudre les chambres si elles ne
exigeante (majorité des suffrages savent pas s’accorder sur le choix
exprimés, majorité absolue des membres d’un gouvernement.
composant l’assemblée). La dissolution par anticipation vise à
Dans certains cas, afin de préserver prévenir une crise entre le pouvoir
l’équilibre des pouvoirs, le renversement exécutif et la majorité parlementaire.
du gouvernement peut être la conséquence Exemple : les dissolutions décidées par F.
automatique de la dissolution de Mitterrand en 1981 et 1988, celui-ci
l’assemblée (Constitution française de souhaitant doter son futur gouvernement
1946). d’une majorité parlementaire conforme à
ses vues politiques.
La dissolution de convenance est utilisée
par le chef d’Etat pour avancer les
élections législatives et en choisir la date.
Exemple : la pratique britannique
(dissolution de la chambre des
Communes en 2005 ou en 2010) jusqu’ç
son interdiction par le « Fixed-term
Parliaments Act » de 2011.
La dissolution autoritaire, quant à elle,
ne correspond pas au régime
parlementaire, puisqu’elle sert au chef de
l’Etat à sanctionner les parlementaires
rétifs à sa politique.
Exemple : la pratique de Charles X, en
France, sous la Restauration.

Le régime parlementaire est donc principalement fondé sur le contrat de


confiance qu’il implique entre le parlement et le gouvernement. En effet, le
gouvernement ne peut entrer en fonction et s’y maintenir que s’il est soutenu par
la majorité parlementaire. Sa responsabilité politique se manifeste par le fait
qu’il gouverne sous le contrôle du parlement, qu’il répond de sa politique devant
lui, et qu’il peut être renversé par lui. En outre, la relative « souplesse » de la
séparation transparaît souvent, également, dans la comptabilité des fonctions
ministérielles et parlementaire, dans le droit d’accès des ministres aux
chambres, enfin dans l’octroi aux membres du pouvoir exécutif de prérogatives
en matière législative et budgétaire (initiative des lois, élaboration des projets de
loi de finances, droit d’amendement).

2) La mise en œuvre du régime parlementaire

a) Les deux variantes du régime parlementaire


Si le régime parlementaire dualiste est apparu le premier, dans l’histoire (en
Grande-Bretagne comme en France), c’est le régime parlementaire moniste,
conférant une moindre influence au chef de l’Etat, qui est aujourd’hui le plus
répandu.
Les deux variantes : monisme ou dualisme

Régime parlementaire moniste Régime parlementaire dualiste


(ou classique) (ou orléaniste)
Dissolution Dissolution
Chef de l’Etat Chef de l’Etat

Parlement
Parlement

Gouvernement Gouvernement

responsabilité ministérielle
responsabilité ministérielle

Il existe une seule relation de confiance, celle qui Coexistent deux relations de confiance, le
unit le parlement au gouvernement. gouvernement étant responsable à la fois
en conséquence : devant le parlement et devant le chef de l’Etat.
- Le parlement peut révoquer le gouvernement, En conséquence :
celui-ci n’ayant besoin que de la confiance de la - Le gouvernement peut être renversé par la
majorité parlementaire pour gouverner (et non majorité parlementaire ou être révoqué par
de celle du chef de l’Etat) ; le chef de l’Etat et a donc besoin de la
- La politique est celle du gouvernement, le chef confiance des deux institutions pour
de l’Etat (qu’il s’agisse d’un monarque ou d’un gouverner ;
président) étant réduit à un rôle de - Le chef de l’Etat joue un rôle actif dans la
« magistrature morale », c’est-à-dire à une vie politique et détermine les grandes
fonction essentiellement symbolique et orientations de la politique
honorifique, comportant cependant l’incarnation gouvernementale, le chef du gouvernement
de la continuité de l’Etat. voyant son rôle réduit à celui d’exécutant.
Exemples : Exemples :
- En France, cette conception a été défendue au - En France, ce régime a été expérimenté
XIXè siècle par Adolphe Thiers : « le roi règne pour la première fois par Louis-Philippe
mais ne gouverne pas ». Elle a été mise en d’Orléans (1830-1848), d’où son
oeuvre sous la IIIè Republique, après la crise du appellation d’ « orléaniste », conformément
16 mai 1877, et l’est encore, sous la Vè à la conception défendue par son chef de
République, en périeode de cohabitaition ; gouvernement Guizot : « le trône n’est pas
- Le régime parlementaire britannique, au sein un fauteuil vide ». Il a ensuite été pratiqué
duquel le cabinet ministériel gouverne en liaison sous la IIIè République par le Maréchal de
étroite avec la Chambre des communes, tandis Mac Mahon avant la crise du 16 mai 1877.
que la Reine ne participe à l’exercice du pouvoir Il l’est, aujourd’hui encore, dans la pratique
que de façon honorifique ; de la Vè République, en période de
- Le régime parlementaire moniste est également concordance des majorités parlementaire et
pratiqué en Allemagne et en Espagne. présidentielle ;
- Le régime parlementaire dualiste est
actuellement pratiqué au Portugal.

Remarque : monisme et dualisme, variantes du régime parlementaire, ne doivent


pas être confondus avec la distinction des théories moniste et dualiste sous
l’angle des rapports entre droit interne et droit international (cf. Chapitre 4).
Le monisme, caractéristique du régime parlementaire, ne doit pas être confondu
non plus avec le monocamérisme (parlement composé d’une seule chambre) ni
avec le monocéphalisme (pouvoir exécutif composé d’une seule tête, celle du
chef de l’Etat, comme en régime présidentiel). De la même façon, le dualisme,
qui renvoie à l’existence d’une double responsabilité (cf. illustrations ci-
dessous) doit être clairement distingué du bicamérisme et du bicéphalisme

Le régime parlementaire dualiste : illustrations Constitution du Portugal de 1976

Article 111 : Les pouvoirs publics constitutionnels observent entre eux les principes de la
séparation et de l’interdépendance établis par la Constitution

Article 133 : A l’égard des autres organes, le Président de la République exerce les pouvoirs
suivants : (…) mettre fin au Gouvernement, conformément à l’article 195-2 et révoquer le
Premier ministre.

Constitution du Sénégal de 2001

Article 52 : Le Gouvernement conduit et coordonne la politique de la nation sous l’autorité du


Président de la République. Il est responsable devant le Président de la République et devant
l’Assemblée nationale (…).

En pratique, le dualisme est source de conflits dans le cas où le chef de l’Etat et


la majorité parlementaire dont émane le gouvernement ne sont pas de la même
tendance politique (situation dite, en France, de « cohabitation »).

b) Les dérives du régime parlementaire

Alors qu’il est théoriquement fondé sur la balance des pouvoirs réciproquement
dépendants, le régime parlementaire a parfois été déséquilibré, en pratique, au
profit de l’un ou de l’autre.

1) Le déséquilibre au profit du parlement

En France par exemple, en raison de la disparition de facto de la menace d’une


dissolution après la crise du 16 Mai 1877 (voir infra, chapitre 10), la montée en
puissance des chambres, sous la IIIè République, a conduit à déséquilibrer le
régime au profit du parlement (« souveraineté parlementaire »). Cette dérive
s’est soldée par la transformation du régime parlementaire en un quasi-régime
d’assemblée et par une grande instabilité gouvernementale, le parlement usant et
abusant de son pouvoir de contrôle et de pression sur le gouvernement. Ce
phénomène s’est poursuivi sous la IVe République, l’amplification des luttes
partisanes au sein du parlement ayant conduit à la dérive des instituions
(« régime des partis »). Un phénomène comparable a longtemps caractérisé le
régime politique italien.
En Italie, le parlement s’est longtemps trouvé favorisé par rapport au pouvoir
exécutif à l’époque où, en liaison avec le multipartisme et le scrutin
proportionnel (jusque 1993), la vie politique était le théâtre de jeux de coalition
et de la confrontation des intérêts partisans, au détriment de la stabilité
gouvernementale.

2) Le déséquilibre au profit de l’exécutif

L’accroissement de l’influence du pouvoir exécutif, au détriment du parlement,


est un phénomène commun à plusieurs régimes parlementaires européens
(Grande-Bretagne, Espagne, Allemagne, France, etc).
La fonction législative parlementaire est, en effet, amoindrie, du fait de
l’intégration européenne, de la décentralisation ou encore du recours croissant
aux experts face à des problématiques complexes et techniques. Son exercice est
soumis à un contrôle toujours plus poussé des juges, nationaux et
supranationaux.
Surtout, l’on constate le développement du « parlementarisme majoritaire »,
phénomène politique caractérisé par la stabilité et la cohérence des majorités
parlementaires de soutien aux gouvernements. Du fait de l’identité de vue et de
destin entre le gouvernement et sa majorité parlementaire, la séparation
classique entre gouvernement et parlement, ou entre pouvoir exécutif et pouvoir
législatif, n’a plus de sens.
Cela ne signifie pas que le parlement n’a pas à exercer un rôle de contre-
pouvoir ; la contrepartie de son soutien sans faille au gouvernement doit être
trouvée dans le développement de la fonction de contrôle et d’évaluation et dans
le renforcement du statut de l’opposition.

Exemple

En Grande-Bretagne, les qualificatifs de « gouvernement de législature » voire de « dictature du


cabinet » désignent traditionnellement la pratique politique qui conduit le gouvernent, soutenu
3)
pendant toute la durée de la législature par la majorité parlementaire, à jouer le rôle principal sur
la scène politique, sans craindre les pressions du parlement. Dans i. le cadre du bipartisme, le
Premier ministre est officiellement le chef de la majorité parlementaire, le rôle de contre-pouvoir
étant attribué à l’opposition, dotée à ce titre d’un statut relativement structuré.
Sous la Vè République française particulièrement, le régime parlementaire se
trouve déséquilibré au profit du pouvoir exécutif, le « fait majoritaire »1
s’ajoutant aux effets du « parlementarisme rationalisé » en 1958, le Constituant
ayant rigoureusement encadré les rapports entre pouvoirs au profit du
gouvernement.

c) La « rationalisation » du parlementarisme
Pour limiter les dérives de la pratique politique, le régime parlementaire peut
être plus ou moins rationalisé. Cette expression, proposée au début du XXè siècle
par le constitutionnaliste Boris Mirkine-Guetzévitch, renvoie à une technique
consistant à encadrer juridiquement la vie politique afin d’atténuer les effets de
certaines pratiques. En effet, si le fonctionnement des institutions, tel que prévu
par la Constitution, fait nécessairement l’objet, à l’usage, d’adaptations, il
convient d’en limiter l’ampleur, afin d’assurer le respect de « l’esprit » des
instituions. Expérimentée pendant la période de l’entre-deux-guerres, en Europe
de l’Est notamment, la rationalisation du parlementarisme consiste dans la
réglementation précise des mécanismes de collaboration des pouvoirs.
Aujourd’hui pratiquée dans différents régimes parlementaires européens
(Allemagne, Espagne, France), elle se traduit notamment par l’encadrement
strict des conditions d’engagement de la responsabilité ministérielle et de la
dissolution, afin d’assurer la pérennité de l’équilibre des pouvoirs, et notamment
de favoriser la stabilité gouvernementale.

Exemple

S S2 zzé é SA ù
En Espagne, également, la réglementation de la motion de censure (dite
« constructive » car elle implique la proposition d’une solution alternative)
illustre ce souci de rationalisation. Au terme de l’Article 113 de la Constitution
espagnole de 1978. 1. Le Congrès des députés peut mettre en jeu la
responsabilité politique du Gouvernement en adoptant à la majorité absolue une
motion de censure. 2. La motion de censure devra être proposée au moins par le
dixième des députés et elle devra inclure le nom d’un candidat à la Présidence
du Gouvernement. 3. La motion de censure ne pourra être votée avant
l’expiration d’un délai de cinq jours à partir de la date de son dépôt. Des motions
alternatives pourront être présentées pendant les deux premiers jours. 4. Si la
1
Expression désignant le lien étroit existant entre le gouvernement et sa majorité parlementaire, lorsqu’elle est
stable et homogène.
motion de censure n’est pas adoptée par le Congrès, ses signataires ne pourront
pas en présenter une autre pendant la même session.
En Allemagne, voir également la « motion de défiance constructive » à l’article
67 de la LF de 1949.

d) La reconfiguration du régime parlementaire


Comme le régime présidentiel, le régime parlementaire fait l’objet d’une
définition théorique qui ne recouvre pas toutes ses potentialités et déclinaisons
pratiques.
En tous les cas, la conception classique de la séparation « souple » des pouvoirs,
plaçant face à face le pouvoir exécutif et le parlement, est remise en cause par la
pratique politique. En effet, la majorité parlementaire soutenant davantage le
gouvernement qu’elle ne le contrôle (en liaison avec le « fait majoritaire »), la
censure d’un gouvernement devient purement théorique. Face au gouvernement
appuyé sur sa majorité, le véritable contre-pouvoir se trouve en réalité au sein de
l’opposition. C’est pourquoi celle-ci doit bénéficier d’un statut lui permettant de
jouer pleinement son rôle de critique et de contre-proposition, afin de constituer
une alternative crédible au pouvoir en place.
Ainsi, dans le parlementarisme moderne, la séparation n’oppose plus le
parlement au pouvoir exécutif, mais la majorité parlementaire et son
gouvernement, d’une part, à l’opposition, d’autre part.
Les conditions de l’équilibre de ce type de régime doivent être repensées.
Face à la diversité des visages du régime parlementaire, et devant les effets du
« parlementarisme majoritaire », force est de constater que, à différents égards,
la théorie classique de la séparation des pouvoirs, et surtout la typologie des
régimes politiques qui en résulte, apparaît quelque peu dépassée.

3) La remise en cause de la typologie classique des régimes politiques

La distinction régime parlementaire/régime présidentiel, si elle garde tout son


intérêt pédagogique, est parfois remise en cause, devant les rapprochements et
interférences entre des « modèles » qui n’en sont plus. En effet, le modèle du
régime présidentiel se résume en fait à celui, très spécifique, des Etats-Unis, qui
repose, en pratique, sur une collaboration constante et régulée des pouvoirs. Il
n’existe pas non plus, à proprement parler, de « modèle type » du régime
parlementaire, dont les conditions de mise en œuvre sont, selon les Etats, très
variables. Surtout, cette typologie rend assez peu compte de la diversité des
expériences « intermédiaires », qualifiées pour à tour de régimes « mixtes » ou
encore « présidentialistes ».

BIBLIOGRAPHIE
Association française de droit constitutionnel, La séparation des pouvoirs : théorie contestée et pratique
renouvelée, Dalloz, 2007, 153 p.
BASTID (P.), Le gouvernement d’assemblée, Ed. Cujas, 1956, 404 p.
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MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Garnier-Flammarion, 1979.
TROPER (M.), La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, LGDJ, 1980, 251 p.
TURPIN (D.), Le régime parlementaire, Dalloz, 1997, 110 p.
1ère partie

LES MODELES CONSTITUTIONNELS ETRANGERS

L’étude des régimes politiques de quelques-unes des démocraties occidentales


permet d’illustrer la mise en œuvre des notions abordées dans les chapitres
précédents et d’en nuancer certains aspects théoriques.
Les Etats-Unis, en premier lieu, se caractérisent par la structure fédérale de
l’Etat et par le caractère présidentiel du régime politique.
Quant au régime parlementaire, son fonctionnement peut être illustré par
l’analyse des régimes politiques britannique et allemand, en tenant compte de
leurs caractéristiques spécifiques, liées notamment à la forme de l’Etat (unitaire
ou fédéral), à l’essence du pouvoir d’Etat (monarchique ou républicain), et à
l’histoire (origines du libéralisme britannique, conséquences de la rupture avec
le nazisme en Allemagne).
LE REGIME PRESIDENTIEL AMERICAIN

La formation de l’Etat fédéral et l’élaboration de la Constitution des Etats-Unis


de 1787 sont le fruit des réflexions et travaux de ceux que l’on appelle les pères
fondateurs (Georges Washington, Benjamin Franklin, Thomas Jefferson ou John
Adams…). Soucieux de bâtir un régime fondé sur l’équilibre des pouvoirs, ils
ont proposé leur propre lecture de la théorie de la séparation des pouvoirs.

La lecture américaine du principe de la séparation des pouvoirs

Si « l’axiome politique d’après lequel les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être séparés
et distincts », excluant « toute symétrie exposant quelques-unes des parties essentielles de l’édifice au
danger d’être écrasées sous le poids disproportionné de quelques autres est « une précaution
essentielle en faveur de la liberté », cet axiome « n’exige pas une séparation absolue des départements
législatif, exécutif et judiciaire », « la liaison et l’union entre eux, donnant à chacun un contrôle
constitutionnel sur les autres » paraissant au contraire nécessaire au maintien d’un gouvernement .
J. Madison, Le fédéraliste n° XLVII et XLVIII du 1er février 1788.

Il en ressort un régime présidentiel fondé sur l’indépendance des pouvoirs


séparés mais appelés à collaborer pour assurer le gouvernement stable et
équilibré de l’entité fédérale constituée par les Etats-Unis d’Amérique.

1) La séparation verticale des pouvoirs dans le cadre de l’Etat fédéral

Comme l’on démontré Hamilton ou Tocqueville, la structure fédérale de l’Etat


et l’existence de collectivités locales au sein des Etats fédérés induisent la
superposition des lieux de pouvoirs, qui constitue une modalité de la séparation
des pouvoirs.

A) La formation de l’Etat fédéral : des colonies aux Etats-Unis


d’Amérique

A la suite de leur révolte contre la monarchie britannique, les treize colonies,


situées au Sud et le long de la côte Est de l’Amérique du Nord, déclarent leur
indépendance, le 4 juillet 1776.
Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776 (extraits)

« L’histoire du roi actuel de Grande-Bretagne est l’histoire d’une série d’injustices et d’usurpations
répétées, qui toutes avaient pour but direct l’établissement d’une tyrannie absolue sur [les colonies].
Pour le prouver, soumettons les faits au monde impérial… En conséquence, nous, les représentants
des Etats-Unis d’Amérique, assemblés en Congrès général …déclarons solennellement au nom et par
l’autorité du bon peuple de ces Colonies, que ces Colonies unies sont et ont le droit d’être des Etats
libres et indépendants ; qu’elles sont dégagées de toute obéissance envers la Couronne de la Grande-
Bretagne… ; que, comme les Etats libres et indépendants, elles ont pleine autorité de faire la guerre,
de conclure la paix, de contracter des alliances, de réglementer le commerce et de faire tous autres
actes ou choses que les Etats indépendants ont droit de faire ».

S’affirmant en tant qu’Etats souverains, elles se dotent de leurs propres


Constitutions (New Hampshire, puis New Jersey et Virginie dès 1776). Dès
1777, engagées dans la guerre d’indépendance et conscientes que l’ « union fait
la force », elles cherchent le moyen de s’associer tout en préservant leur
autonomie. Cela se traduit par la conclusion d’un traité d’alliance, instituant une
Confédération, qui prend le nom d’Etats-Unis d’Amérique ». Les décisions sont
prises à l’unanimité par un organe unique, le Congrès composé des délégués des
Etats. Mais après quelques années, la nécessité de remédier aux défaillances de
la structure confédérale conduit à l’organisation de la Convention de
Philadelphie, au sein de laquelle la plupart des Etats confédérés sont représentés.
Celle-ci aboutit à la création de l’Etat fédéral du 17 septembre 1787.
L’entrée en vigueur de cette Constitution exigeant la ratification d’au moins
neuf des treize Etats, une campagne de presse est lancée pour les y encourager,
ponctuée par la publication d’articles visant à expliquer les principes essentiels
du droit constitutionnel américain et à répondre aux critiques des anti-
fédéralistes. Ces articles ont été, par la suite, regroupés dans un ouvrage
fondamental intitulé « Le Fédéraliste » (A. Hamilton, J. Madison, J. Jay).
Finalement ratifiée, la Constitution qui entre en vigueur le 1 er janvier 1789 est
écrite et rigide (contrairement à la Constitution coutumière britannique dont il
s’agissait de se distinguer). Toujours en vigueur à ce jour, elle a fait l’objet
depuis lors de 27 amendements : les 10 premiers, datant de 1791, constituent le
Bill of rights ; et le dernier, ratifié en 1992, est relatif à la rémunération des
parlementaires. Si la Constitution a pu s’adapter à l’évolution de la société, c’est
également grâce au pouvoir d’interprétation de la Cour suprême. Elle s’applique
aujourd’hui dans l’ensemble des 50 Etats qui ont rejoint la Fédération. A noter
que, après l’intégration de l’Alaska et de Hawaï en 1959, Porto Rico, qui a
actuellement le statut d’ « Etat libre associé aux Etats-Unis », pourrait devenir le
51è Etat de l’Union.

B) Les principes de fonctionnement de la Fédération des Etats-Unis

Le fonctionnement de l’Etat fédéral, dès sa création, a fait l’objet de débats


opposant les fédéralistes, partisans d’un pouvoir fédéral fort, aux défenseurs des
droits des Etats fédérés (anti-fédéralistes ou décentralisateurs). Ces débats ont
parfois dégénéré en conflits, dont le plus grave aboutit à la guerre de Sécession,
déclenchée en 1861 par la volonté de onze Etats du sud (les « Etats
confédérés ») de reprendre leur autonomie afin de préserver leurs intérêts et leur
mode de vie fondé sur l’esclavage. Finalement, la victoire de la Fédération, en
1865, aboutit à la confirmation du lien indéfectible unissant les Etats membres
de l’Union, fondement de l’identité de la nation américaine, et à l’abolition de
l’esclavage par le Président Lincoln.

1) La participation des Etats fédérés à l’exercice du pouvoir fédéral

En vertu du principe de participation (ou d’association), les droits de chacun des


cinquante Etats sont préservés dans le cadre de l’exercice :
- Du pouvoir législatif fédéral, chaque Etat se trouvant également et
spécifiquement représenté au sein du Sénat par deux sénateurs élus au
suffrage universel ;
- Du pouvoir d’élire le président des Etats-Unis, selon un processus en
plusieurs étapes qui garantit l’association des Etats membres de la
Fédération ;
- Du pouvoir de révision de la Constitution fédérale (voir procédure ci-
dessous).

Constitution des Etats-Unis d’Amérique de 1787, art. V (extraits) :

« Le Congrès, toutes les fois que les deux tiers des deux chambres l’estimeront nécessaire,
proposera des amendements à la présente constitution ou, sur la demande des législatures des
deux tiers des divers Etats, convoquera une convention pour proposer des amendements qui …
seront valides …lorsqu’ils auront été ratifiés par les législatures des trois quarts des Etats, ou par
des conventions dans les trois quarts d’entre eux …à condition …qu’aucun Etat ne soit, sans son
consentement, privé de son suffrage égal au Sénat ».
2) L’autonomie des Etats fédérés

Conformément au principe d’autonomie qui caractérise l’Etat fédéral, les Etats


fédérés conservent, sur le plan interne, leur souveraineté, leurs propres organes
de gouvernement et de justice, et disposent de leur propre ordre juridique, dans
le respect du principe de primauté du droit de l’Union.
Les Constitutions des Etats fédérés organisent, à leur niveau, la séparation des
pouvoirs entre un parlement élu (législature), le plus souvent bicaméral, un
gouverneur, généralement élu au suffrage universel pour 4 ans, et un système
judiciaire chapeauté par une Cour suprême.
Dans la plupart des Etats, le gouverneur est doté de l’essentiel du pouvoir. Outre
ses attributions exécutives, il exerce une influence en matière législative (au
stade de l’initiative des lois comme au stade de la promulgation, puisqu’il
dispose souvent d’un droit de veto) et se charge d’élaborer le projet de budget.
Néanmoins, selon les Etats, il peut faire l’objet d’une procédure de révocation
populaire (recall, par exemple en Californie ou dans certains Etats de la côte Est,
tels le New-Jersey ou le Massachusetts) et, au même titre que les agents
administratifs et les juges de l’Etat, il peut être destitué par les chambres, dans le
cadre d’une procédure d’impeachment (voir infra).
Sur le plan administratif, les Etats sont eux-mêmes divisés en collectivités
(comtés, districts, villes), et une vie politique autonome s’y développe, animée
par des partis politiques locaux plus actifs et plus structurés qu’au niveau
fédéral, et par des lobbys dont l’influence varie selon les Etats (lobby du pétrole
au Texas, lobby de défense des intérêts des latino-américains à Los Angeles, ou
lobby de l’urbanisme à New York).

Exemple

Situé sur la côte est des Etats-Unis, l’Etat du Connecticut est régi par la Constitution de 1965,
amendée à 30 reprises, dont l’article 2 prévoit que « le pouvoir sera divisé en trois secteurs distincts,
et chacun confié à une magistrature séparée ». Le pouvoir législatif est ainsi exercé par un Congrès
bicaméral (Chambre des représentants et Sénat) et le pouvoir judiciaire par des tribunaux et cours
d’appel sous l’autorité d’une Cour suprême (8 juges). Quant au pouvoir exécutif, il est confié à un
gouverneur, doté du droit de véto et élu pour 4 ans, en même temps que ses collaborateurs
(Gouverneur adjoint, Secrétaire d’Etat, Procureur, trésorier et commissaire aux comptes). La vie
politique en 2014 par une domination du parti démocrate, en la personne du Gouverneur et au sein de
la législature (Congrès). Dans le cadre du principe de participation, l’Etat élit 2 sénateurs et 5
représentants pour siéger au Congrès fédéral.
3) La répartition des compétences entre la Fédération et les Etats
membres

Dans le cadre de la répartition des compétences, les Etats conservent la


compétence générale de droit commun, c’est-à-dire « les pouvoirs non délégués
aux Etats-Unis… réservés aux Etats » (10è amendement, 1791). Il leur revient
notamment de légiférer dans les domaines suivants : justice, éducation, droit
pénal, droit social, urbanisme, finances, droit civil, contrôle des armes, des jeux
et de la drogue, banque et assurance …

Exemple

Les Etats conservent la compétence en matière de droit civil des personnes et de droit pénal, ils
peuvent adopter, selon leurs caractéristiques sociologiques et politiques, des positions différentes,
voire radicalement opposées sur certaines questions de société. Ainsi, par exemple, contrairement au
Texas, le Massachussetts et le Vermont autorisent le mariage homosexuel et ont aboli la peine de
mort.

La Fédération dispose d’une compétence d’attribution, qui recouvre les


domaines suivants, expressément attribués au Congrès fédéral et même, pour
certains, expressément refusés au Etats : la fiscalité, la nationalité, les postes, la
défense et l’armée, la monnaie, les douanes, la diplomatie, la guerre ou encore le
commerce.

Exemple de la « clause de commerce » :

Article 1er, Section 8 de la Constitution des Etats-Unis : « Le Congrès aura le pouvoir : (…) De
réglementer le commerce avec les nations étrangères, entre les divers Etats, et avec les tribus
indiennes ».

Malgré quelques à-coups périodiques, caractérisés par des périodes de


désengagement de l’Etat fédéral, la tendance générale est à l’extension des
compétences fédérales. Cette évolution résulte de plusieurs facteurs, tels :
- Les effets de la crise économique de 1929 et du New Deal sur
l’interventionnisme économique et social du pouvoir fédéral ;
- Les interprétations délivrées par la Cour suprême fédérale à propos du
partage des compétences et de la théorie des « pouvoirs implicites »
(extension des pouvoirs du président des Etats-Unis visant à lui permettre
d’exercer pleinement ses missions).
Le partage des compétences apparaît ainsi comme une forme de séparation
verticale des pouvoirs. Cette séparation est cependant atténuée par la
coopération entretenue par les Etats entre eux, et par les Etats avec l’Etat
fédéral, qui se traduit par des mécanismes de dialogue aux programmes d’action
communs, dans le cadre d’un « fédéralisme coopératif ».
Le principe de séparation des pouvoirs est également appliqué, dans sa
conception classique (parfois dite « horizontale ») au niveau des institutions
fédérales.

2) L’indépendance des pouvoirs exécutif et législatif au niveau fédéral

Comme les Constitutions des Etats fédérés, qui organisent la séparation


horizontale entre pouvoir (parlement et gouverneur), la Constitution de 1787 est
le produit de la relecture, par les « pères fondateurs », des théories de Locke et
de Montesquieu. Ils en adoptent, par contraste avec le modèle de l’ancien
colonisateur britannique, une interprétation plus stricte, en ce qu’elle ne prévoit
pas les mécanismes caractéristiques de l’interdépendance des pouvoirs
(responsabilité ministérielle, droit de dissolution). En effet, le régime repose sur
des organes indépendants, entre lesquels les pouvoirs sont partagés, et dont les
rapports de collaboration conservent à chacun une réelle indépendance d’action.

A) Des organes fédéraux indépendants

La démocratie américaine est fondée sur la souveraineté du peuple, exprimée par


le suffrage universel, et a pris, dès l’origine, la forme républicaine (en rupture, là
encore, avec la monarchie britannique). Les gouvernants y sont donc élus par le
peuple à intervalles réguliers, qu’il s’agisse du Président ou des membres du
Congrès. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, également dotés d’une
légitimité populaire, sont donc indépendants l’un de l’autre.

1) Le président des Etats-Unis

Le Président est, en tant que chef de l’Etat, le seul chef de l’exécutif, en


l’absence de gouvernement et donc de premier ministre (exécutif
« monocéphale »). Son statut et ses pouvoirs, taillés sur mesure pour celui qui
allait devenir, en 1789, le premier Président (G. Washington), font de lui
l’homme fort du régime, qualifié par certains observateurs de « monarque
républicain ».

a) Le mode d’élection du président


Le Président est élu pour un mandat de 4 ans, renouvelable une seule fois (en
vertu du XXIIè amendement, ratifié en 1951 à la suite de la réélection de F. D.
Roosevelt pour un quatrième mandat). Seuls sont éligibles les citoyens
américains de naissance, âgés de 35 ans et résidant depuis 14 ans sur le territoire
des Etats-Unis.
L’élection se déroule au suffrage universel indirect, selon un processus électoral
qui confie le choix du président à la population de l’Union, tout en préservant
les droits des Etats, en application du principe fédéraliste de participation (droit
de participer à la désignation de l’exécutif fédéral).
Ce processus s’étend sur une année et se déroule en deux phases, l’une partisane
et l’autre institutionnelle :
- Dès le mois de janvier, dans chaque Etat, les partis organisent des
« primaires » ou des « caucus » afin de désigner des délégués qui auront à
choisir le candidat du parti lors des conventions nationales. Après le Caucus
de l’lowa, qui marque le début du processus, les primaires se succèdent, un
certain nombre d’entre elles étant organisées lors du « super Tuesday » (1er
mardi de février) ;
- Au mois de novembre débute le processus électoral proprement dit, avec
l’élection au sein des Etats de 538 grands électeurs au scrutin majoritaire à un
tour : la liste arrivée en tête obtient la totalité des sièges de grands électeurs
alloués à l’Etat (« the winner takes all »). Ces grands électeurs sont chargés
de procéder formellement à l’élection du président au mois de décembre.
Mais en réalité, le nom du président est connu dès l’élection des grands
électeurs, puisque ceux-ci sont élus pour apporter leur voix à un candidat
bien identifié (mandat quasi-impératif). L’élection du Président est acquise à
la majorité absolue des grands électeurs (c’est-à-dire 270 voix sur un total de
538).
Remarque : L’élection se joue entre les candidats des deux partis dominants,
même si les candidats des tiers partis peuvent leur ravir un certain nombre de
grands électeurs.

L’ensemble du processus électoral est retracé dans le schéma ci-après :


L’élection du Président des Etats-Unis : l’exemple de 2012

1ère phase : l’investiture des candidats par les partis


Déclarations des candidatures à l’investiture du parti

A partir de janvier et notamment lors du « super Tuesday » de février :


désignation par les partis, dans chaque Etat, des délégués envoyés à la
Convention nationale, selon l’une des deux techniques suivantes :
PRIMAIRES CAUCUS
Procédure d’élection des délégués : ouverte Choix des délégués par des comités
aux électeurs de l’Etat ou, le plus souvent, électoraux des partis (réunions de militants
réservée aux sympathisants du parti dans divers lieux publics) : caucus démocrate
(primaires fermées) et caucus républicain

Cette phase permet aux candidats déclarés de tester leur popularité et de faire le
compte de leurs soutiens

A l’été : les délégués des partis se choisissent un candidat et un programme lors


des Conventions

CONVENTIONS NATIONALES
Septembre 2012 : Convention démocrate Août 2012 : Convention républicaine
(Environ 4000 délégués) (Environ 2400 délégués)
Candidat investi : Barak Obama Candidat investi : Mitt Romey
Ticket avec Joseph Biden Ticket avec Paul Ryan

2ème phase : L’élection du président au suffrage universel indirect


1er lundi de septembre : ouverture de la campagne électorale

Mardi suivant le 1er lundi de novembre (Election day) : les citoyens américains,
Etat par Etat, choisissent leurs grands électeurs.

6 novembre 2012 : Election des 538 grands électeurs


Ceux-ci ont préalablement annoncé leur soutien à l’un des candidats
Lundi suivant le 2ème mercredi de décembre : élection formelle du président par
les grands électeurs

Dépouillement des votes le 6 janvier :

20 janvier 2013 : Proclamation de l’élection du 44ème


président des Etats-Unis : Barack Obama (51,07 % des voix,
332 grands électeurs contre 206 à Mitt Romney (47,21 %).
Prise de fonction le 20 janvier (inauguration day) : cérémonie
d’investiture comportant la prestation de serment sur la
Constitution devant le président de la Cour suprême

Le nombre total de 538 grands électeurs correspond au nombre de membres du


Congrès, auxquels s’ajoutent 3 représentants du district de Columbia, siège du
gouvernement des Etats-Unis à Washington. Chaque Etat dispose d’un nombre
de grands électeurs correspondant au nombre de sénateurs et de représentants
que sa population élit au sein du Congrès fédéral. Par exemple, suite au
recensement de 2010, la Floride (qui élit 27 représentants et 2 sénateurs au
Congrès fédéral) dispose de 29 grands électeurs (contre 55 pour la Californie ou
3 pour l’Alaska ou le Dakota du Sud).
Les partis politiques ont donc intérêt à développer une stratégie visant à
concentrer leurs efforts en direction des plus grands Etats, pourvoyeurs du plus
grand nombre de grands électeurs, et des « swing states » (qui ne sont acquis
d’avance à aucun camp et peuvent faire « pencher la balance »). Le système
électoral présente une faille dans la mesure où un candidat ayant obtenu moins
de suffrages populaires que son concurrent peut sortir vainqueur de l’élection,
dès lors que son parti est parvenu à faire élire, Etat par Etat, davantage de grands
électeurs. C’est ce qu’illustrent les conditions de l’élection du Président des
Etats-Unis en 2000.

Election présidentielle de 2000

Candidats Suffrages exprimés par les Grands électeur*


citoyens américains
G.W. Bush (républicain) 50 456 002 (47,87 %) 271
Al Gore (démocrate) 50 999 897 (48,38 %) 266
Ralph Nader (écologiste) 2 882 955 (2,74 %) 0
*A noter une abstention (district de Columbia)

L’élection s’est jouée de peu, finalement déterminée par l’attribution des 27


grands électeurs de la Floride : compte tenu des résultats serrés et des suspicions
de fraude, la bataille électorale puis juridique s’est terminée par un refus de la
Cour suprême de poursuivre le recomptage des votes, au bénéfice du candidat
républicain.
On le constate, alors qu’Al Gore a globalement obtenu plus de voix, et a donc
été préféré par le peuple des Etats-Unis, c’est G. Bush qui est élu, parce qu’il a
emporté plus de grands électeurs. Quant à R. Nader, compte tenu du mode de
scrutin, il n’obtient aucun grand électeur, n’étant parvenu en tête dans aucun
Etat, alors qu’il a obtenu près de 3 millions de voix. Cette distorsion s’explique
par le poids du fédéralisme : le poids de la population des Etats-Unis s’équilibre
avec celui des 50 Etats dans le processus électoral (principe de participation).
Remarque : si aucun candidat ne parvient à obtenir la majorité absolue des
grands électeurs, le président sera choisi par la Chambre des représentants et le
vice-président par le Sénat.

b) Les collaborateurs du président


Lors de son élection, le président est associé à un vice-président, qui forme avec
lui le « ticket présidentiel ». Ce vice-président a pour fonction de remplacer le
président en cas de défaillance de celui-ci (décès, démission, destitution,
incapacité …), mission qui n’est pas seulement théorique, puisque la situation
s’est produite à neuf reprises dans l’histoire américaine. Pour le reste, le vice-
président garde un rôle effacé, se contentant d’assurer formellement la
présidence du Sénat, avec voix prépondérante en cas de partage des voix. En
aucune façon le vice-président ne peut être comparé à un chef de gouvernement.
Remarque : le choix par le candidat à la présidentielle de son potentiel vice-
président, au moment de la Convention nationale du parti, est stratégique,
puisqu’il s’agit de miser sur la complémentarité du « ticket », d’infléchir l’image
du candidat ou d’améliorer sa représentativité, afin d’élargir son potentiel
électoral.
Une fois élu, le président choisit une quinzaine de « secrétaires » chargés des
différents départements ministériels (défense, commerce, éducation, énergie …),
parmi lesquels un « secrétaire d’Etat » chargé des affaires étrangères, domaine
particulièrement sensible compte tenu de l’influence des Etats-Unis sur la scène
internationale. Ces ministres ne forment pas un gouvernement, puisqu’ils ne sont
que des collaborateurs personnels du président, qui les nomme et les révoque,
à titre individuel. Ils sont consultés par le président, qui décide en dernier
ressort.
Le président est à la tête d’une lourde administration fédérale, et dont il
choisit, dans une certaine mesure, le personnel :
- Il s’adjoint les services du « bureau de la maison blanche » (White house
office), composé de plusieurs centaines de conseillers politiques ;
- Sous la direction d’un « bureau exécutif » (Exécutive Office),
l’administration fédérale est constituée de plusieurs milliers d’agents
techniques répartis dans divers organismes (Agence de renseignement (CIA),
Conseil de Sécurité nationale (NCS), Bureau des sciences et technologies,
Bureau de la gestion et du budget …) ;
- Au sein de l’administration, de nombreuses agences fédérales et
commissions, plus ou moins indépendantes, sont chargées de fonctions de
contrôle et de régulation dans divers domaines (économie, commerce, santé,
défense …).
Cette administration fédérale reste partiellement soumise au « système des
dépouilles » (spoil system), permettant au vainqueur de l’élection présidentielle
de se débarrasser de quelques milliers de fonctionnaires ayant servi sous son
prédécesseur, pour s’assurer la collaboration loyale des principaux responsables
des services administratifs.

2) Le Congrès des Etats-Unis

La Constitution fédérale confie au Congrès l’essentiel des compétences, ce qui a


conduit Woodrow Wilson (juriste et futur président des Etats-Unis), à qualifier
le régime politique américain de « gouvernement congressionnel ». Le Congrès
siège à partir de janvier pendant une période de 10 mois, chaque chambre
organisant ses travaux librement, en élaborant son propre règlement. Les
membres du Congrès (congressmen), élus au suffrage universel direct et au
scrutin majoritaire à un tour, sont renouvelés fréquemment mais bénéficient
d’un fort taux de réélection.

a) La Chambre des représentants


La chambre basse, composée de 435 membres, représente la population de la
Fédération. Les représentants, âgés d’au moins vingt-cinq ans, sont élus dans
les Etats. Leur nombre varie en proportion de la densité démographique de
chaque Etat (53 représentants pour la Californie, 1 seul pour le Wyoming ou
l’Alaska). La répartition des représentants entre Etats évolue en fonction des
variations démographiques.

Amendement XIV (1868) à la Constitution de 1787

SECTION 2 : Les représentants seront répartis entre les divers Etats proportionnellement à
leurs populations respectives, en comptant la totalité des habitants de chaque Etat, à
l’exclusion des indiens non imposés.

Ils sont élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, dans le cadre de


circonscription (district) dont la délimitation demeure une question politique
sensible : Elbridge Gerry, gouverneur du Massachusetts en 1810, passé maître
dans le découpage électoral « à la carte », a laissé son nom à la pratique
politicienne correspondante, le Gerry-mandering (certaines de ses
circonscriptions ayant pris la forme curieuse d’une salamandre …).

Les représentants étant renouvelés tous les deux ans, leur élection tombe
soit en même temps que l’élection du président, soit au cours de son mandat
(mid-term élections), occasion pour lui de vérifier la popularité de sa politique.
Bénéficiant généralement d’une forte assise locale, les représentants sont
souvent réélus, ce qui leur donne une meilleure continuité dans leur fonction.
La chambre est présidée par le Speaker, leader de la majorité parlementaire,
assisté des responsables des partis (floor leaders et whips, chargés de la
discipline). Pour mener efficacement ses travaux, la chambre constitue en son
sein 20 commissions permanentes (standing committees), spécialisées par
matières, ainsi que des commissions spéciales.

b) Le Sénat
Le Sénat fédéral est composé de 100 membres, qui représentent les Etats,
chacun d’entre eux élisant, en vertu du principe d’égalité, deux sénateurs, quelle
que soit leur importance territoriale ou démographique. Agés d’au moins 30 ans,
les sénateurs sont élus pour six ans au scrutin majoritaire à un tour dans le cadre
de l’Etat. Le Sénat étant renouvelé par tiers tous les deux ans, les élections
sénatoriales coïncident ainsi, à intervalles réguliers, avec les élections des
représentants et du président.
Le Sénat est présidé par le vice-président des Etats-Unis (qui, en pratique, cède
la place au leader de la majorité). Il se constitue en 16 commissions permanentes
spécialisées et en commissions spéciales. En matière législative, une
commission de conciliation fait le lien avec les membres de la Chambre des
représentants.
Remarque : les temps de parole des sénateurs ne sont pas limités et les orateurs
abusent de la pratique dite du « filibustering », technique d’obstruction par
laquelle certains sénateurs abusent de leur droit d’expression afin de retarder les
travaux (par exemple, en lisant la Bible ou l’annuaire plusieurs heures durant
pour bloquer l’adoption d’un texte …), comme dans le film de Capra « M. Smith
au Sénat ». Cependant, une décision de novembre 2013 est venue limiter cette
pratique en ce qui concerne les nominations aux postes de juges fédéraux ou de
membres de l’exécutif, en modifiant le seuil de la minorité de blocage.

3) La Cour suprême

Au sommet du système judiciaire (appareils judiciaires des Etats, cours de


district et cours d’appel fédérales), la Cour suprême joue un rôle essentiel dans
le système juridique, politique et même, dans une certaine mesure, économique
des Etats-Unis. Disposant de moyens de contrôle et de blocage à l’égard des
pouvoirs exécutif et législatif, elle est un instrument fondamental de la
séparation des pouvoirs.
Interprète de la Constitution, elle s’est attribuée, en 1803, sous la présidence de
John Marshall, le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois fédérales
(arrêt Marbury contre Madison).

Pour aller plus loin


L’affaire Marbury/Madison

Elle intervient dans le contexte politiquement sensible de la succession à la présidence des Etats-
Unis de deux personnalités de tendances politiques opposées, le fédéraliste sortant (J. Adams)
ayant cherché, par une vague de nominations de dernière minute, à contrebalancer par avance
l’influence de son successeur républicain-démocrate et anti-fédéraliste (T. Jefferson).

Un recours fut formé par l’un des bénéficiaires de ces nominations, William Marbury, à
l’encontre du nouveau ministre James Madison qui refusait de lui remettre son ordre
d’affectation en tant que juge de paix. La Cour suprême décida de refuser d’exercer le pouvoir
d’injonction à l’égard du pouvoir exécutif que semblait lui attribuer une loi fédérale, en
déclarant celle-ci inconstitutionnelle. Ce faisant, elle s’attribuait en réalité un pouvoir plus
grand : celui de contrôler la conformité des lois et des règlements à la Constitution fédérale
(judicial review). Se faisant ainsi l’interprète des lois et du texte fondamental, elle érigeait
également le juge ordinaire au rang de garant du respect de la loi suprême, chargé d’écarter
l’application des actes inconstitutionnels. Depuis lors, aux Etas-Unis, it is « the province and
duty of the judicial department to say what law is ».
Saisie de la constitutionnalité des lois fédérales ou des lois des Etats (depuis
l’arrêt Fletcher/Peck de 1810), le plus souvent dans le cadre d’une procédure
d’exception d’inconstitutionnalité (voir supra, chapitre 4), la Cour suprême rend
des arrêts motivés (éventuellement accompagnés des opinions concourantes ou
dissidentes des juges minoritaires) qui s’imposent aux juridictions inférieures,
acquérant valeur de précédent.
Arbitre des litiges institutionnels et des conflits d’attribution entre Etats ou entre
niveaux (fédéré et fédéral) dans le cadre de l’Etat fédéral, la Cour suprême
dispose également d’attributions en matière électorale, et, par ses interprétations,
joue un rôle politique majeur.
Exemple

Le 12 décembre 2000, c’est la Cour suprême qui, en décidant de renoncer, faute de temps, au
recomptage manuel des voix, a validé l’attribution des sièges de grands électeurs de l’Etat de Floride
au candidat Bush malgré la fraude électorale, lui accordant la victoire (arrêt Bush V. Gore, rendu à
une courte majorité de 5 voix contre 4).
Et le 28 juin 2012, c’est elle qui met fin au conflit politique en validant la réforme controversée du
système de santéde
L’évolution et desal’assurance maladie portée
jurisprudence, par le Président
libérale ou plus B. Obama.
conservatrice selon les
périodes, a accompagné les évolutions de la société américaine (abolition de
l’esclavage, universalisation du suffrage, discrimination positive), son influence
restant aujourd’hui déterminante concernant les choix de société (avortement,
homosexualité, place de la religion dans les institutions publiques, peine de mort
…)
Exemple

La Cour suprême conservatrice a ainsi justifié l’exclusion des noirs américains de la citoyenneté
(1857 Dred Scott/John Sandford) et la doctrine du « separate but equal » (arrêt Plessy/Ferguson de
1896).
Devenue l’heureusement plus libérale, elle a mis fin à la ségrégation raciale (1954, Brow/Borard of
education of topeka), autorisé sous conditions l’avortement (1973 Roe/Wade) ou encore interdit
l’application aux mineurs de la peine de mort (2005 Roper/Simmons).

C’est pourquoi la composition de la Cour est une question politiquement


sensible, d’autant que les neuf juges y sont nommés à vie par le pouvoir
politique. Si les critères tenant, en pratique, à leur compétence juridique, à leur
expérience et à leurs qualités personnelles (sagesse, moralité, probité) ne
suscitent pas de difficulté, celui de leur impartialité est davantage sujet à débat,
chaque nomination étant l’occasion de modifier l’équilibre des forces (libérale et
conservatrice) au sein de la Cour. En particulier, la nomination du président de
la Cour suprême (Chief Justice) constitue un enjeu politique majeur. Selon la
composition de la Cour, sa jurisprudence penchera vers le conservatisme ou le
libéralisme, et sera plus ou moins ouverte aux théories de l’original intent (on
doit faire prévaloir le texte et l’intention de ses auteurs) ou de la living
constitution (la Constitution doit être interprétée en fonction du contexte).

Exemple

La nomination par G. W. Bush, en 2005, de John G. Roberts à la présidence de la Cour suprême,


comme celle par Barak Obama en janvier 2009 de Sonia Sotomayor, bien que nécessairement
confirmées par le Sénat, ne manquèrent pas d’alimenter la polémique sur le caractère politique du
processus de nomination. A noter que, depuis la nomination d’Elena Kagan en 2010, trois femmes
siègent à la Cour suprême, ce qui est sans précédent.

Le pouvoir judiciaire exerce une telle influence sur la vie politique qu’il a
suscité des inquiétudes relatives au risque d’un « gouvernement des juges »,
c’est-à-dire de constituant (notamment pendant les périodes d’ »activisme
judiciaire »), poussant la Cour, en d’autres occasions, à rassurer en faisant
preuve de self-restraint.
B) La répartition des pouvoirs entre les organes fédéraux

1) Les pouvoirs du président

Le président joue un rôle politique déterminant :


- Il incarne l’unité de l’Etat fédéral ;
- Il négocie les traités ;
- Il est le commandant en chef des armées et de la marine et peut décider de
l’envoi de la force armée sur des zones de conflit (sous certaines conditions
fixées par le War Powers Act de 1973 lui imposant d’associer le Congrès) ;
- Il exerce le droit de grâce ;
- Il dirige l’administration fédérale, dont il nomme et révoque les agents ;
- Il élabore le projet de budget ;
- Il veille à la bonne exécution des lois et du budget voté par le Congrès ;
- Il dispose du pouvoir réglementaire d’application des lois (exécutive orders),
et peut recevoir des délégations du Congrès ;
- Il peut recommander au Congrès les mesures qu’il estime « nécessaires et
opportunes » ;
- Il peut décider de signer, dans les 10 jours de leur transmission, les
propositions de loi adoptées par le Congrès, ou leur refuser son approbation,
faisant ainsi usage de son droit de veto.

2) Les pouvoirs du Congrès

Le Congrès dispose, selon l’article premier de la Constitution, de « tous les


pouvoirs législatifs », comprenant l’initiative, l’examen, l’amendement et
l’adoption, en termes identiques par les deux chambres, des propositions de lois
(bills). Dans le cadre de la répartition des compétences au sein de l’Etat fédéral,
le Congrès est chargé de légiférer dans divers domaines comme le commerce, la
naturalisation, les faillites, la poste, les brevets…
Doté d’importants pouvoirs budgétaires, le Congrès détient les « clefs du
coffre » et peut ainsi influencer la politique déterminée par le Président, en
l’amenant à des compromis.
Il exerce enfin une mission d’information, d’enquête et de contrôle sur la
politique conduite par le pouvoir exécutif, le fonctionnement de l’administration
fédérale et l’exécution du budget. Pour l’exercice de ses missions, le Congrès
recourt à des commissions d’enquête et multiplie les auditions (hearings).
Il est également chargé :
- Du droit de prévoir et de percevoir les impôts et les droits de douane ;
- De battre monnaie et de lutter contre les faux monnayeurs ;
- De déclarer la guerre, de former et d’entretenir l’armée et la marine ;
- De constituer des tribunaux placés sous l’autorité de la Cour suprême.
Le bicamérisme peut être considéré comme égalitaire, les deux chambres
disposant des pouvoirs équivalents, bien qu’à certains égards différents. Ainsi, si
la Chambre des représentants peut mettre en accusation les agents publics et
notamment le Président (impeachment), le Sénat est doté du pouvoir exclusif de
juger ces mises en accusation. De même, si les représentants peuvent proposer la
création d’un impôt tandis que les sénateurs ne peuvent qu’exercer un droit
d’amendement en la matière, ces derniers disposent en contrepartie de pouvoirs
spécifiques, partagés avec le président.

3) Les pouvoirs partagés entre le président et le Sénat


Dans le cadre de l’Etat fédéral, certains pouvoirs sont partagés entre le président
(incarnation de l’Union) et le Sénat (représentant des Etats) : il s’agit du pouvoir
de ratification des traités et du pouvoir de nomination, exercés par le président
après obtention de l’avis conforme du Sénat.
L’approbation du Sénat, votée à la majorité des 2/3 des sénateurs présents, est en
effet nécessaire pour conclure les traités, à l’exception des accords en forme
simplifiée (exécutive agreements), relativement nombreux en pratique, pour
lesquels le président est dispensé de cette obligation.

Exemple

Le Sénat a ainsi refusé, en octobre 1999 d’approuver la ratification du Traité d’interdiction


totale des essais nucléaires signé en 1996 par le Président Clinton, lequel s’était pourtant
illustré en tant que principal animateur des négociations.

Le Président doit également recueillir l’accord du Sénat pour procéder à la


nomination de plusieurs milliers d’agents publics, parmi lesquels les ministres
(secrétaires), ambassadeurs, consuls, hauts fonctionnaires fédéraux, ou encore
les juges à la Cour suprême, qui doivent se soumettre, devant les commissions
sénatoriales, à des auditions de confirmation. La minorité peut allonger son
temps de parole à sa guise et demander un vote à la majorité des 3/5è (60
sénateurs pour approuver la décision. Or, du fait du durcissement des tensions
entre démocrates et républicains sous la présidence de B. Obama, ce droit de
blocage de la minorité est devenue une source de paralysie préoccupante : sur
les 168 nominations bloquées par le Sénat, la moitié l’ont été sous Obama. En
conséquence, la majorité démocrate au Sénat a décidé, en novembre 2013,
qu’une majorité simple de sénateurs suffirait désormais pour approuver les
nominations du président aux postes de juges fédéraux ou de membres de
l’exécutif. Les règles antérieures, permettant la pratique du « filibustering »,
demeurent cependant en vigueur en ce qui concerne les projets de loi et les
nominations à la Cour suprême des Etats-Unis, processus très délicat et politisé
(cf. la nomination de deux juges, dont le président Roberts, en 2005 par G.
Bush).

C) Des rapports limités entre organes fédéraux


La nature des rapports entre les pouvoirs législatif et exécutif caractérise le
régime présidentiel.
Les organes élus séparément et indépendamment les uns des autres, ne peuvent
se révoquer mutuellement en cas de conflit politique. Les mécanismes de
dialogue et de collaboration entre pouvoirs sont, sous cet angle, limités en
comparaison du régime parlementaire, où existe un gouvernement responsable
devant le parlement, un droit de dissolution du Congrès par le pouvoir exécutif,
un partage de l’initiative des lois, ou encore un droit d’accès des ministres dans
les chambres…
En cela, on parle parfois d’une séparation « stricte » des pouvoirs, terme sans
doute inadéquat car il peut laisser croire à l’absence de rapports entre pouvoirs,
alors qu’au contraire, le système politique américain repose sur leur
collaboration permanente. Le point crucial réside ici dans l’absence de
responsabilité ministérielle : l’exécutif ne tient pas son pouvoir du parlement,
pas plus qu’il n’est responsable devant lui de ses décisions politiques.
En aucun cas on ne devra confondre un tel mécanisme, propre au régime
parlementaire, avec la destitution en cas d’impeachment prévue par la
Constitution des Etats-Unis.
L’impeachment est en effet un mécanisme particulier, prévu au niveau fédéral
comme d’ailleurs au niveau des Etats fédérés, qui se présente comme une
procédure exceptionnelle de mise en cause pénale des agents publics.
Au niveau fédéral, l’impeachment permet au Congrès de mettre en jeu la
responsabilité pénale (et non politique, comme en régime parlementaire) du
président des Etats-Unis et du Vice-président, mais aussi de tout agent public, y
compris les juges de la Cour suprême.
La condamnation pour « trahison, corruption ou autres hauts crimes et délits »
entraîne la destitution.
Il revient aux membres de la Chambre des représentants, par un vote à la
majorité simple, de déclencher la procédure en décidant la mise en accusation, et
au Sénat de juger, par un vote à la majorité des deux tiers des membres présents.
Lorsque l’impeachment vise le président des Etats-Unis, le Sénat est alors
présidé par le président de la Cour suprême.

Exemple

La procédure d’impeachment, menée à terme 7 fois, ne l’a jamais été à l’encontre d’un
président des Etats-Unis. Déclenchée en 1868 à l’encontre du président Andrew Johnson en
raison de son usage du pouvoir de révocation (et surtout de son indulgence à l’égard des
vaincus de la Guerre de Sécession), la procédure échoua d’une voix devant le Sénat. Par la
suite, l’affaire du Watergate conduisit, en 1974, à la mise en accusation du président
Richard Nixon, qui préféra démissionner devant la menace d’une probable destitution, sans
attendre le vote du Sénat. Enfin, le scandale impliquant la stagiaire Monica Lewinski aboutit
à la mise en accusation président Bill Clinton pour parjure et obstruction à la justice, mais
L’impeachment
(Art. 1 section 2 et 3 de la Constitution de 1787)

Mise en accusation Jugement par le Sénat


Chambre des représentants (Condamnation votée à la majorité
(Majorité simple) des 2/3 des présents)

Eventuel procès
Devant
Destitution Le juge judiciaire
R

Remarque : contrairement au processus qui conduisit à l’émergence du régime


parlementaire britannique, la procédure de mise en jeu de la responsabilité
pénale, aux Etats-Unis, n’a pas évolué vers l’instauration de mécanismes de
responsabilité politique du pouvoir exécutif.
Si les Etats-Unis se caractérisent par une indépendance des pouvoirs, ceux-ci ne
sont pas totalement isolés et entretiennent des relations de collaboration
indispensables à la conduite de la politique. Celles-ci, ajoutées à certaines
caractéristiques propres à l’Etat américain, permettent d’assurer la viabilité du
système politique.

3. Un régime politique équilibré fondé sur le système des « freins et


contrepoids »

Si le régime présidentiel a pu s’acclimater aux Etats-Unis, c’est sans doute en


raison des spécificités du contexte institutionnel et politique américain, où la
séparation des pouvoirs indépendants n’empêche pas leur dialogue.
En effet, un certain nombre de mécanismes, de nature et d’envergures
différentes, permettent de rompre l’isolement des pouvoirs, en les encourageant
à « aller de concert » même dans le cas où le président des Etats-Unis et la
majorité du Congrès ne sont pas du même bord politique. Ces mécanismes,
permettant aux pouvoirs de dialoguer, d’influer les uns sur les autres et de
confronter leurs facultés mutuelles de statuer et d’empêcher, sont dénommés les
« Checks and banlances » (freins de contrepoids).
Doit être également souligné le poids du fédéralisme : cette caractéristique
structurelle essentielle des Etats-Unis constitue un instrument de séparation des
pouvoirs mais aussi de collaboration et d’échanges entre lieux et niveaux de
pouvoir. Les autres mécanismes permettant le dialogue sont prévus par la
Constitution ou résultent des particularités de la vie politique américaine.

A) Les mécanismes constitutionnels

1) Les techniques de dialogue politique

Certains mécanismes prévus par la Constitution fédérale permettent des


échanges entre les pouvoirs :
- La présidence du Sénat par le vice-président ;
- Le droit attribué au président de convoquer les chambres en session
extraordinaire et, dans certaines circonstances, de les ajourner ;
- L’obligation pour le président « d’informer périodiquement le Congrès de
l’état de l’Union », par des messages et, en particulier un discours prononcé
chaque année en janvier, lors de l’ouverture de la session parlementaire,
devant les chambres réunies. Ce « discours sur l’état de l’Union » est
l’occasion pour le président de faire le bilan des réalisations de
l’administration pour l’année écoulée, et d’annoncer les grandes orientations
de sa politique pour l’avenir, en suggérant au Congrès les mesures
législatives adaptées ;
- Le partage entre le président et le Sénat de certains pouvoirs (ratification des
traités, nomination des fonctionnaires et des juges de la Cour suprême). La
pratique politique conduit également, dans une certaine mesure, à un partage
des pouvoirs budgétaire et législatif (le Président récupérant de facto un
pouvoir d’initiative en parvenant à faire reprendre ses propositions de loi par
la majorité parlementaire ;
- Le droit de veto confié au président qui peut refuser de signer une loi adoptée
par les deux chambres du Congrès. Bloquant sa promulgation, il la renvoie au
Congrès, assortie de ses objections, pour réexamen. Ce veto, motivé et visant
nécessairement l’intégralité de la loi, est suspensif et surmontable, puisque
les chambres peuvent confirmer leur soutien au texte par un vote au scrutin
public et à la majorité des 2/3 de leurs membres respectifs, lui donnant force
de loi malgré la désapprobation du président. En pratique, le droit de veto est
un outil politique régulièrement utilisé par le président, lui permettant de
peser sur le processus législatif. Les vetos du Président sont, en outre,
rarement surmontés par le Congrès.
Remarque : déclinaison du droit de veto constitutionnel, le « pocket veto »
permet au président de neutraliser les lois adoptées en toute fin de session par le
Congrès. Compte tenu du délai de 10 jours qui lui est laissé pour apposer sa
signature sur les propositions de loi (Bills), leur permettant de devenir des lois
(Acts), le président n’a qu’à s’abstenir de les signer (et donc les « garder dans sa
poche ») jusqu’à l’ajournement du Congrès. Dans ce cas, il condamne la
proposition de loi à la caducité, sans possibilité pour le Congrès de réagir.

Exemple

Certains présidents des Etats-Unis sont connus pour avoir usé, voire abusé, de leur droit de
veto. Ainsi, le président Grover Cleveland, lors de son premier mandat (1885-1889) y eut
recours à 413 reprises, ce qui lui valut le surnom de « Monsieur veto ». Par la suite, le
président F.D. Roosevelt en fit usage 635 fois au cours de ses 3 mandas (1933-1945), le
Congrès n’ayant surmonté sa désapprobation qu’à neuf occasions, soit qu’il n’ait pu réunir
les majorités nécessaires, soit qu’il n’ait pas souhaité durcir le conflit institutionnel.

B) L’influence de la vie politique

Certaines caractéristiques de la vie politique contribuent à l’entretien d’une


collaboration minimale entre pouvoirs :
- Le bipartisme, qui conduit au partage du pouvoir entre les partis démocrate et
républicain, au sein des différents lieux de pouvoir. En particulier, les
renouvellements partiels, à intervalles fréquents et réguliers, des deux
chambres du Congrès imposent aux forces politiques de s’adapter
continuellement à la nouvelle donne institutionnelle et empêchent une réelle
alternance de la majorité au pouvoir. Se développe traditionnellement une
culture du compromis, rendue nécessaire par la faible discipline partisane et
par la cohabitation fréquente entre des majorités présidentielle et
parlementaire divergentes. Cependant, depuis 2010 et la cohabitation du
président démocrate Barack Obama avec une majorité républicaine à la
chambre des représentants, les tensions grandissent entre les deux partis, dont
les positions divergent de plus en plus, sur fond de crise économique.

Concordance ou « cohabitation » entre le président et le Congrès aux Etats-Unis

Président Congrès Majorité au Sénat Majorité


à la Chambre
des représentants
G. W. Bush (républicain) 110è (2006 – 2008) démocrate démocrate

B. Obama (démocrate) 111è (2008 – 2010) démocrate démocrate

B. Obama (démocrate) 112è (2010 – 2012) démocrate républicaine

B. Obama (démocrate) 113è (2012 – 2014) démocrate républicaine

Le bipartisme est le résultat d’une extrême bipolarisation de la vie politique favorisée par le
mode de scrutin majoritaire à un tout, largement pratiqué dans les Etats. Ce mode de scrutin
encourage au vote utile et fait du candidat (ou de la liste) arrivé en tête le seul vainqueur de
l’élection. Il laisse cependant percer, épisodiquement, des tiers partis, extrêmement
minoritaires, manquant de stabilité, qui cristallisent certaines tendances ou mouvement
d’humeur de la population et trouvent périodiquement le jeu bipartisan.

Exemple

Ainsi, le milliardaire texan et candidat indépendant Ross Perot est parvenu à faire une
percée remarquée lors des élections présidentielles de 1992 (19 % des voix). Il a réitéré
l’expérience en 1996 en 1996 (8 % des voix) en se présentant au nom du « parti
réformateur », créé l’année précédente pour ouvrir une troisième voie, alternative aux deux
partis traditionnels. Cependant, compte tenu du mode de scrutin, ii n’est parvenu à obtenir
aucun
2) grand électeur. En 2000, le parti écologiste (Geen Party) a également présenté un
candidat aux élections présidentielles (Ralph Nader), ce qui a contribué à l’échec d’Al Gore,
privé d’une victoire en Floride qui lui aurait permis de l’emporter.

Remarque : les partis républicains (conservateur) et démocrate (libéral) sont


apparus au XIXè siècle, sur les ruines du clivage qui avait opposé les fédéralistes
aux anti-fédéralistes au XVIIIè siècle. Relativement peu structurés au niveau
fédéral, hormis au moment de l’élection présidentielle, ils partagent, pour
d’essentiel, un même socle idéologique, ils se distinguent, par exemple, par la
place du curseur entre libéralisme et interventionnisme étatique en matière
économique, ou par l’importance reconnue aux valeurs familiales et religieuses,
chacun étant parcouru, selon les questions envisagées et surtout selon les Etats,
de courants conservateurs ou plus libéraux ;
- Le « parlementarisme de couloirs », expression désignant les échanges
informels entre organes et pouvoirs politiques, permettant d’assouplir les
relations entre les pouvoirs séparés et indépendants. Les acteurs du monde
politique sont, en effet, appelés à dialoguer et négocier en permanence, dans
des instances officielles ou plus officieuses, dans les bureaux ou les couloirs
de la Maison blanche et du Capitole.
Cette caractéristique de la vie politique américaine est à rapprocher du
phénomène bipartisan, mais aussi de l’importance des lobbys qui
gravitent autour des lieux de pouvoirs, au niveau fédéral comme au niveau
des Etats fédérés. Ce terme, traduit littéralement par « couloir » ou
« vestibule », est apparu au XIXè siècle pour désigner à la fois les groupes
de pression et d’intérêts eux-mêmes et le lieu de leur incessante activité.
Leur objectif est d’influencer les pouvoirs publics dans la prise de
décision, la conduite de la politique et l’élaboration des normes
législatives et réglementaires. Acteurs à part entière du processus normatif
aux Etats-Unis, ces lobbys constituent une force de proposition,
d’information, d’argumentation, de financement et de médiatisation dans
de nombreux domaines.

Exemple

Plus ou moins structurés, les lobbys interviennent dans divers domaines (religion, industrie,
bâtiment, santé, énergie, recherche, banque, nouvelles technologies…). Parmi les dizaines
de milliers d’agences de lobbying recensées dans le district de Washington, on peut citer les
lobbys de la lutte contre l’avortement, du pétrole ou de l’armement (tels la « National Rifle
association », ceux créés par les télévangélistes, les firmes, les entreprises, les syndicats, les
corps professionnels ou les associations. Les lobbys jouent un rôle déterminant en matière
de législation sur l’alcool, la vente d’armes, la politique familiale ou agricole…

Remarque : compte tenu de l’importance et de la progression constante des


moyens humains et financiers engagés dans ce type d’activité, des
réglementations sont à l’étude et visant à juguler les risques de développement
de la corruption, d’opacification des mécanismes décisionnels et de
multiplication des scandales politico-financiers.
- Le rôle de l’opinion publique, le peuple souverain étant le fondement de la
République, comme le consacre, parmi d’autres textes fondamentaux, la
Déclaration des droits de l’Etat de Virginie de 1776 : « tout pouvoir est
dévolu au Peuple et dérive de lui, les magistrats sont ses mandataires et ses
serviteurs, responsables envers lui en tout temps ». En découle le recours à
des procédés de démocratie semi-directe, au niveau de nombreux Etats
fédérés (référendum, initiative populaire, droit de pétition, révocation
populaire). Pour entretenir le lien avec la population entre les périodes
d’élection, certains présidents ont pris l’habitude de massages et
d’allocutions régulières, telles les « causeries au coin du feu » de Théodore
Roosevelt ou les communications de Ronald Reagan ;
- Le rôle des médias, qualifiés de « 4è pouvoir » (selon l’expression du
parlementaire britannique edmund Burke, 1787) en raison de leur influence
sur la vie politique. Vecteur essentiel de l’information pendant et entre les
campagnes électorales, les médias jouent également un rôle de contre-
pouvoir, comme ce fut le cas, par exemples, pendant l’affaire du Watergate
en 1974 ;
- L’influence de la Cour suprême dans la vie politique, ses attributions
électorales et ses interprétations de la Constitution fédérale lui permettent
d’accompagner ou de faire échec aux réformes portées par les deux autres
pouvoirs. Plus généralement, la place du juge aux Etats-Unis permet de
parler d’un véritable pouvoir judiciaire, contre-pouvoir effectif et efficace
face aux organes de gouvernement.
Ainsi, ces différents facteurs contribuent à favoriser la négociation constante des
pouvoirs séparés et indépendants, appelés à développer la culture du compromis
dans l’intérêt de la nation, dans le cadre d’un consensus général sur « l’american
way of life ».
On a cependant pu noter récemment une montée des tensions entre démocrates
et républicains, entretenue par les divergences de vue sur des questions
essentielles (réforme de santé, guerre en Irak ou en Afghanistan, accès libre aux
armes) et par les difficultés économiques du pays (fiscalité, menace du « mur
budgétaire » lors de la discussion du budget pour 2013).
L’objectif des pères fondateurs semble cependant globalement atteint : parvenir
à un régime modéré, fondé sur l’équilibre autorégulé des forces et des pouvoirs
fragmentés entre le peuple, les représentants et les juges, entre le Président, le
Congrès fédéral et la Cour suprême, entre les différents niveaux étatiques, et
entre les partis politiques, conformément à la théorie de la balance des pouvoirs
qui valorise autant la dynamique d’interaction entre les pouvoirs que leur
séparation.
BIBLIOGRAPHIE
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