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Lecture Nietzsche Le Gai Savoir MPSI 2

Questionnaire 1  à rendre par mail avant le Jeudi 30 Avril au soir…

Le cours à partir de ce questionnaire aura lieu le samedi matin entre 11h et 12h30. ( Je n’ose pas vous
convoquer les 1er et 8 Mai… )

Idem le samedi suivant 9 mai, je vous enverrai la semaine prochaine un autre questionnaire..)

Vous êtes fortement incités à écouter les émissions sur Nietzsche sur France culture, ainsi que la
réalisation pour la radio faite à partir de lecture de la supplication.

https://www.franceculture.fr/emissions/archives-des-fictions-de-france-culture/la-supplication-de-
svetlana-alexievitch

https://www.franceculture.fr/emissions/series/nietzsche-le-gai-savoir

https://www.franceculture.fr/emissions/le-gai-savoir/le-gai-savoir-nietzsche

Deux remarques pour commencer..

Sur Hugo/ Nietzsche/ Alexievitch, trois malheurs, qui font trois méditations sur la vie, trois
possibilités de résurrections ? sur ce qui amoindrit la force vitale, dans les trois cas, et sur les forces
nouvelles ou non qui en résultent.

Sur la lecture de Nietzsche… pourquoi des fragments, son élitisme, la provocation ( on comprend
mal ? et il faut interpréter ? ou on comprend trop bien et il faut discuter le discutable ? et en cas quel
éclairage donnent ces passages sur le reste de l’œuvre ? )

Par 1

1/ De quoi fait état le premier Fragment ?

/ D’un gai savoir, gaya scienza, référence aux chants des troubadours du moyen age.. la gaya scienza
étant une façon de dénommer en occitan l'art de composer des poésies lyriques.
Effet de

//D’une « guérison », guérison d’un esprit plus que d’un corps, en corps que..
Du récit de l’expérience vécue de cette guérison. Guérison qui explique l’unité du livre, qui n’est pas
tant dans le concept, dans la cohérence des idées, dans la systématicité, mais «  fait d’arrogance,
d’inquiétude de contradictions, … » venu de « l’espoir de la santé », qui n’est pas tant ici ce qui fait
vivre, que la vie elle-même car cet espoir est « ivresse ». Il va s’agir donc de lire ce livre comme
l’effet de cette guérison, plus que comme un exposé de philosophie, mais comme la philosophie du
guéri…

///Guérison de quoi ? « victoire sur l’hiver » «  d’un esprit qui a résisté patiemment à une terrible et
longue oppression- patiemment fermement, froidement, sans s’incliner, mais sans espoir-
Question de contexte, Question physiologique et philosophique. Le corps ici, a des effets sur l’esprit ,
comme il le dira plus loin, et cette état de santé qui est lié à ce séjour à Gênes ( importance du lieu, du
climat, du paysage…) révèle la maladie dont souffrait l’esprit : cette maladie est celle du sens, de
l’impossibilité à admettre que le monde n’a pas de sens. Nietzsche va mieux, corps et donc esprit..

Nietzsche commença à s’occuper du Gai Savoir immédiatement après que fut achevée l’impression
d’Aurore. En juillet et août 1881, il prit à Sils-Maria les premières notes dont sortit plus tard l’œuvre
tout entière. Les ébauches furent continuées jusqu’à la fin de la même année, puis la rédaction
définitive parachevée, en un seul mois, à Gênes, pendant « le plus beau de tous les mois de janvier »
(1882), c’est pourquoi Nietzsche appelle son volume « le présent de ce seul mois ». Les maximes en
vers du prologue Plaisanterie, ruse et vengeance, furent écrites en grande partie au cours de ce même
hiver à Gênes, puis en avril 1882 à Messine. Un complément d’environ 40 aphorismes fut joint au
manuscrit, le 4 juillet, à Tautenburg, près Dornburg. La préface avait été écrite à Ruta, près Gênes, en
octobre 1886, le cinquième livre à la fin de la même année à Nice. Les Chants du Prince
« Vogelfrei » datent de diverses époques, entre 1882 et 1884.

Cf Clément Rosset : La force majeure


Pour en venir maintenant au contenu du gai savoir nietzschéen on peut le définir sommairement en
disant qu’il est savoir du non-sens, de l’insignifiance, du caractère non signifiant de tout ce qui
existe. – On remarquera évidemment qu’un tel savoir implique un paradoxe, d’être plutôt non-
savoir que savoir : puisque sa science se résume à l’ensemble des faux savoirs qu’il récuse (soit
les innombrables versions ou variantes de la notion d’un sens inhérent à la réalité). Je reviendrai
plus loin sur cet apparent paradoxe, signalant seulement ici que, si le savoir nietzschéen se
confond à la limite avec une ignorance, il n’en constitue pas moins un savoir, - savoir de la
désillusion en quoi consiste d’ailleurs très classiquement le savoir philosophique, et ce dès
Socrate et Platon : « Je sais que je ne sais rien . » Quoiqu’il en soit, l’affirmation du caractère
insensé de quelque réalité que ce soit est le point central et invariant du savoir nietzschéen.

Qu’est-ce qui distingue la guérison à la consolation ?


La consolation n’est pas un remède, mais laisse le mal en nous détournant de lui, la consolation ne fait
que différer la guérison, et peut même être nuisible, en aggravant le mal..

( Sam Gour) Alors que la guérison, bien qu'elle ait pu être précédée d'une phase de consolation est
bien différente, elle ne cherche pas à accepter une douleur mais à affirmer sa volonté de vivre
pleinement. Ainsi, la force de vivre se trouve dans la guérison, cette force de vivre doit être
comprise comme l'accroissement de sa puissance personnelle, « la jubilation des forces
renaissantes » et la « fête après les privations et les faiblesses », c'est-à-dire, dans un
renouvellement constant de sa propre force vitale.
« Les conclusions sont des consolations ».. cf Flaubert ( « la bêtise, c’est de conclure ») La douleur
conduit à penser le monde d’une certaine façon qui lui fait du bien ( ce sont ses «  conclusions »),
auxquelles ne veut pas se soumettre la « fierté ».

Ces consolations auxquelles Nietzsche fait allusion tienne à tout ce qu’il désigne par « le romantisme »
qui se caractérise par une sorte de lucidité face au « douloureux de la connaissance » mais
« maladive » c’est-à-dire qui souffre de la souffrance, et augmente ainsi le « dégout » face à la vie. Il
s’agit de la philosophie, et de l’art romantique, qui mettent l’artiste, le penseur, dans une position
d’isolement, de solitude, de tristesse et de pessimisme. ( mieux que le nihilisme, qui consiste à nier
radicalement la vie.)

Par 2

2/ Quel rapport Nietzsche fait-il entre la pensée et la santé ?

La pensée est un effet/ un reflet de la santé. Comme le dira Proust «  nos idées sont des succédanés de
nos chagrins » bref, nous pensons ce qui nous arrange. Ainsi la souffrance conduit à une certaine
conception du monde, il s’agit alors de retourner les choses et de s’interroger sur la santé de celui qui
produit telle ou telle conception du monde. «  chez l’un ce sont les manques qui philosophent, chez
l’autre les richesses et les forces » (Platon ? Montaigne ?)
Ce qui est avantageux c’est le changement d’état, qui soudain fait apparaître comme un effet
physiologique ce que l’on prenait pour une « vérité ». La souffrance oblige à penser, mais surtout le
changement d’état permet de comprendre que nous ne pensons que par perspective, que du point de
vue de telle ou telle santé.

La vraie « santé » c’est la capacité de changer d’état et de perspective, d’avoir des déséquilibres,
d’être en mauvaise santé… le philosophe Canguilhem, philosophe et médecin, lecteur de Nietzsche,
l’a bien compris :

 "Nous ne pouvons pas dire que le concept de « pathologique » soit le contradictoire logique du
concept de « normal », car la vie à l'état pathologique n'est pas absence de normes mais présence
d'autres normes. En toute rigueur, « pathologique » est le contraire vital de « sain » et non le
contradictoire logique de normal. Dans le mot français « a-normal », le préfixe a est pris usuellement
dans un sens de privation alors qu'il devrait l'être dans un sens de distorsion…La maladie, l'état
pathologique, ne sont pas perte d'une norme mais allure de la vie réglée par des normes vitalement
inférieures ou dépréciées du fait qu'elles interdisent au vivant la participation active et aisée,
génératrice de confiance et d'assurance, à un genre de vie qui était antérieurement le sien et qui reste
permis à d'autres. ..

  Comme le dit Goldstein, les normes de vie pathologique sont celles qui obligent désormais
l'organisme à vivre dans un milieu « rétréci », différent qualitativement, dans sa structure, du milieu
antérieur de vie, et dans ce milieu rétréci exclusivement, par l'impossibilité où l'organisme se trouve
d'affronter les exigences de nouveaux milieux, sous forme de réactions ou d'entreprises dictées par des
situations nouvelles. Or, vivre pour l'animal déjà, et à plus forte raison pour l'homme, ce n'est pas
seulement végéter et se conserver, c'est affronter des risques et en triompher. La santé est
précisément, et principalement chez l'homme, une certaine latitude, un certain jeu des normes
de la vie et du comportement. Ce qui la caractérise c'est la capacité de tolérer des variations des
normes auxquelles seule la stabilité, apparemment garantie et en fait toujours nécessairement
précaire, des situations et du milieu confère une valeur trompeuse de normal définitif. L'homme
n'est vraiment sain que lorsqu'il est capable de plusieurs normes, lorsqu'il est plus que normal.
La mesure de la santé c'est une certaine capacité de surmonter des crises organiques pour instaurer un
nouvel ordre physiologique, différent de l'ancien. Sans intention de plaisanterie, la santé c'est le luxe
de pouvoir tomber malade et de s'en relever. Toute maladie est au contraire la réduction du pouvoir
d'en surmonter d'autres. Georges Canguilhem, "Le normal et le pathologique", 1951, in La
Connaissance de la vie, Vrin, 1992, p. 166-167

Le philosophe est celui qui sait d’une certaine façon voir ses états de santé comme une
« expérimentation » ( terme qu’on retrouve chez Alexievitch ) en vue de se trouver «  en flagrant délit
de faiblesse », c’est-à-dire de projeter sur le monde son propre état, autrement dit de ne pas pouvoir se
défaire de soi ( voilà pourquoi « qu’importe monsieur Nietzsche ») et il y aura une attitude semblable
de la part d’Hugo dans la préface( lire « est-ce donc la vie d’un homme ? oui, et la vie des autres
hommes aussi » )
On trouve alors la chose suivante : la philosophe est une « mécompréhension du corps » c’est à dire
de «  ce que peut le corps » pour reprendre une formule de Spinoza. C’est à dire de la vie.. ?

3/ Expliquez la phrase suivante : « toute philosophie qui place la paix plus haut que la guerre,
toute éthique présentant une version négative du bonheur, toute métaphysique et toute physique
qui connaissent un finale, un état ultime de quelque sorte que ce soit, toute aspiration principalement
esthétique ou religieuse à un en marge de, un au-delà de, un en dehors de, un au-dessus de
autorise à se demander si ce n’est pas la maladie qui a inspiré le philosophe.. »
La maladie d’un au-delà, qui n’accepte pas le non sens de la souffrance, et qui cherche à en éviter non
seulement les effets ( la douleur..) mais qui en fait le déni.. la vraie vie serait ailleurs… c’est le
romantisme, ce sont les sagesses de l’antiquité, auxquelles N oppose la morale du risque, et le
tragique, c’est-à-dire la contradiction, qu’il faut affronter, intégrer, métamorphoser en création.

4/ Qu’est-ce qu’un « médecin philosophe » selon Nietzsche ? Médecin ici n’est pas tant celui qui
soigne que celui qui est capable de faire des diagnostics.

Un philosophe médecin, qui s’occupe moins du vrai et du faux comme but et fin de la philosophie que
des valeurs : quelle valeur accorde à la vie cette pensée, cette oeuvre, cette façon de vivre, et à travers
cela diagnostique la santé du sujet. «  On est en droit de considérer toutes les téméraires folies de la
métaphysique, particulièrement ses réponses à la question de la valeur de la vie, d’abord et toujours
comme symptômes de corps déterminés … »

Comparez ce paragraphe avec l’interview de l’auteur par elle-même sur l’histoire manquée. Y a t-il
des points communs entre ces deux textes ?

Au moins 3 échos..

/ « Je m’intéressais aux sensations, aux sentiments des individus qui ont touché à l’inconnu. Au
mystère… reconstituer les sentiments et non les événements. »

//et l’idée d’expérimentation : « Tchernobyl.. ce n’est plus une terre, mais un laboratoire ».. « tenter
de placer T au niveau des catastrophes les plus connues nous empêche d’aoir une vraie réflexion sur le
phénomène qu’il représente. .. Dans ce cas précis, notre vieille expérience est visiblement
insuffisante »
«  j’ai cherché un homme bouleversé. Un homme qui serait confronté à cela, face à face, et se serait
mis à réfléchir »

/// Une réflexion sur la souffrance : «  Notre histoire est faite de souffrance. La souffrance est notre
abri. Notre culte. Elle nous hypnotise. Mais j’avais aussi envie de poser d’autres questions, sur le sens
de la vie humaine, de notre existence sur terre. » Ceux qui ont traversé la souffrance ou vivent dans la
maladie en sauraient plus ?( différent rédemption.la souffrance est révélation ici)

Mais… pas de rédemption ici ( pour S Alex.) , ni consolation, ni guérison.. Chez N :  « nous
connaissons un bonheur nouveau » «  le charme de ce qui est problématique »

Par 3
Pourquoi «  seule la grande douleur est l’ultime libératrice de l’esprit » ? Comparez ce paragraphe
avec les monologues de prologue et de conclusion de La supplication . Donnent-il tort à Nietzsche ?
/ Parce qu’elle nous «  approfondit ».. mais «  je doute qu’elle nous améliore »,
//Car elle est « professeur de grand soupçon ».. nous oblige à la désillusion ( « croyance née d’un
désir » selon Freud dans l’avenir d’une illusion ) ..
/// Deux attitudes possibles : « soit que nous apprenons lui opposer notre fierté » soit on se retire « 
dans ce néant oriental » . violence contre l’autre ou contre soi..
Mais on en sort avec la «  volonté d’interroger désormais davantage ».. » la vie est devenue
problème »

Par 4
Expliquez pourquoi Nietzsche écrit que « Ces grecs étaient superficiels.. par profondeur ! »

/ Les grecs sont ici opposés à « nos cultivés » qui goutent « le tumulte romantique et ce méli-mélo
des sens qu’aime la plèbe cultivée, avec ses aspirations aux sublime, à l’élevé, au biscornu » ( cf
Bayreuth et son style néogothique) qui cherche «  la vérité à tout prix » «  cette démence d’adolescent
pour la vérité »

// Donc célébrer l’apparence, « art espiègle, fugace, divinement serein, divinement artificiel » qui
permet de mieux « vivre ». Célébrer l’apparence, c’est aussi accepter sagement que la vérité n’a de
valeur que si on lui laisse ses apparences, si on ne cherche pas à la dévoiler ». Soit parce qu’il n’y a
pas de « fond » des choses, si ce n’est notre propre angoisse à vouloir la vérité ; soit parce que celle –
ci nous éloigne de la vie qui est formes, apparences changeantes, «  surface, pli, peau »…La force de
vivre est ici dans la légèreté, dans une certaine frivolité, il y a un courage du renoncement à la vérité
pour la vérité.. ;

Quels grecs ? avant Socrate ceux des temples, des fresques, d’Homère, des gymnases et des théâtres..
Bref la vie est belle, à condition que l’on sache en valoriser la beauté ( « un art pour artistes ») que ce
soit dans la création ou dans comme spectateurs.. et la beauté se suffit à elle-même. ??

Vous pourrez aussi, pour répondre aux questions précédentes, ou pour mieux comprendre le texte de
N, vous référer à la page suivante de La recherche du temps perdu ( dernier tome : ) le temps
retrouvé :

Certes, nous sommes obligés de revivre notre souffrance particulière avec le courage du médecin qui
recommence sur lui-même la dangereuse piqûre. Mais en même temps il nous faut la penser sous une
forme générale qui nous fait dans une certaine mesure échapper à son étreinte, qui fait de tous les
copartageants de notre peine, et qui n'est même pas exempte d'une certaine joie. Là où la vie emmure,
l'intelligence perce une issue, car, s'il n'est pas de remède à un amour non partagé, on sort de la
constatation d'une souffrance, ne fût-ce qu'en en tirant les conséquences qu'elle comporte.
L'intelligence ne connaît pas ces situations fermées de la vie sans issue. Aussi fallait-il me résigner,
puisque rien ne peut durer qu'en devenant général et si l'esprit ment à soi-même, à l'idée que même les
êtres qui furent le plus chers à l'écrivain n'ont fait, en fin de compte, que poser pour lui comme chez
les peintres. Parfois, quand un morceau douloureux est resté à l'état d'ébauche, une nouvelle
tendresse, une nouvelle souffrance nous arrivent qui nous permettent de le finir, de l'étoffer.
Pour ces grands chagrins utiles on ne peut pas encore trop se plaindre, car ils ne manquent pas,
ils ne se font pas attendre bien longtemps. Tout de même il faut se dépêcher de profiter d'eux,
car ils ne durent pas très longtemps ; c'est qu'on se console, ou bien, quand ils sont trop forts, si
le coeur n'est plus très solide, on meurt. En amour, notre rival heureux, autant dire notre
ennemi, est notre bienfaiteur. À un être qui n'excitait en nous qu'un insignifiant désir physique il
ajoute aussitôt une valeur immense, étrangère, mais que nous confondons avec lui. Si nous
n'avions pas de rivaux le plaisir ne se transformerait pas en amour. Si nous n'en avions pas, ou si
nous ne croyions pas en avoir. Car il n'est pas nécessaire qu'ils existent réellement. Suffisante pour
notre bien est cette vie illusoire que donnent à des rivaux inexistants notre soupçon, notre jalousie. Le
bonheur est salutaire pour le corps, mais c'est le chagrin qui développe les forces de l'esprit.
D'ailleurs, ne nous découvrît-il pas à chaque fois une loi, qu'il n'en serait pas moins indispensable pour
nous remettre chaque fois dans la vérité, nous forcer à prendre les choses au sérieux, arrachant chaque
fois les mauvaises herbes de l'habitude, du scepticisme, de la légèreté, de l'indifférence. Il est vrai que
cette vérité, qui n'est pas compatible avec le bonheur, avec la santé, ne l'est pas toujours avec la vie. Le
chagrin finit par tuer. À chaque nouvelle peine trop forte, nous sentons une veine de plus qui saille et
développe sa sinuosité mortelle au long de notre tempe, sous nos yeux. Et c'est ainsi que peu à peu se
font ces terribles figures ravagées, du vieux Rembrandt, du vieux Beethoven de qui tout le monde se
moquait. Et ce ne serait rien que les poches des yeux et les rides du front s'il n'y avait la souffrance du
coeur. Mais puisque les forces peuvent se changer en d'autres forces, puisque l'ardeur qui dure
devient lumière et que l'électricité de la foudre peut photographier, puisque notre sourde
douleur au coeur peut élever au-dessus d'elle, comme un pavillon, la permanence visible d'une
image à chaque nouveau chagrin, acceptons le mal physique qu'il nous donne pour la
connaissance spirituelle qu'il nous apporte ; laissons se désagréger notre corps, puisque chaque
nouvelle parcelle qui s'en détache vient, cette fois lumineuse et lisible, pour la compléter au prix de
souffrances dont d'autres plus doués n'ont pas besoin, pour la rendre plus solide au fur et à mesure que
les émotions effritent notre vie, s'ajouter à notre oeuvre. Les idées sont des succédanés des
chagrins ; au moment où ceux-ci se changent en idées, ils perdent une partie de leur action
nocive sur notre coeur, et même, au premier instant, la transformation elle-même dégage
subitement de la joie. Succédanés dans l'ordre du temps seulement, d'ailleurs, car il semble que
l'élément premier ce soit l'idée, et le chagrin seulement le mode selon lequel certaines idées entrent
d'abord en nous. Mais il y a plusieurs familles dans le groupe des idées, certaines sont tout de suite des
joies. Ces réflexions me faisaient trouver un sens plus fort et plus exact à la vérité que j'avais souvent
pressentie, notamment quand Mme de Cambremer se demandait comment je pouvais délaisser pour
Albertine un homme remarquable comme Elstir. Même au point de vue intellectuel je sentais qu'elle
avait tort, mais je ne savais pas que ce qu'elle méconnaissait, c'était les leçons avec lesquelles on fait
son apprentissage d'homme de lettres. La valeur objective des arts est peu de chose en cela ; ce
qu'il s'agit de faire sortir, d'amener à la lumière, ce sont nos sentiments, nos passions, c'est-à-
dire les passions, les sentiments de tous. Une femme dont nous avons besoin nous fait souffrir, tire
de nous des séries de sentiments autrement profonds, autrement vitaux qu'un homme supérieur qui
nous intéresse. Il reste à savoir, selon le plan où nous vivons, si nous trouvons que telle trahison par
laquelle nous a fait souffrir une femme est peu de chose auprès des vérités que cette trahison nous a
découvertes et que la femme, heureuse d'avoir fait souffrir, n'aurait guère pu comprendre. En tout cas,
ces trahisons ne manquent pas. Un écrivain peut se mettre sans crainte à un long travail. Que
l'intelligence commence son ouvrage, en cours de route surviendront bien assez de chagrins qui se
chargeront de le finir. Quant au bonheur, il n'a presque qu'une seule utilité, rendre le malheur possible.
Il faut que dans le bonheur nous formions des liens bien doux et bien forts de confiance et
d'attachement pour que leur rupture nous cause le déchirement si précieux qui s'appelle le malheur. Si
l'on n'avait été heureux, ne fût-ce que par l'espérance, les malheurs seraient sans cruauté et par
conséquent sans fruit. Et plus qu'au peintre, à l'écrivain, pour obtenir du volume, de la consistance, de
la généralité, de la réalité littéraire, comme il lui faut beaucoup d'églises vues pour en peindre une
seule, il lui faut aussi beaucoup d'êtres pour un seul sentiment, car si l'art est long et la vie courte, on
peut dire, en revanche, que si l'inspiration est courte les sentiments qu'elle doit peindre ne sont pas
beaucoup plus longs. Ce sont nos passions qui esquissent nos livres, le repos d'intervalle qui les écrit.
Quand l'inspiration renaît, quand nous pouvons reprendre le travail, la femme qui posait devant nous
pour un sentiment ne nous le fait déjà plus éprouver. Il faut continuer à la peindre d'après une autre, et
si c'est une trahison pour l'autre, littérairement, grâce à la similitude de nos sentiments qui fait qu'une
oeuvre est à la fois le souvenir de nos amours passées et la péripétie de nos amours nouvelles, il n'y a
pas grand inconvénient à ces substitutions. C'est une des causes de la vanité des études où on essaye de
deviner de qui parle un auteur. Car une oeuvre, même de confession directe, est pour le moins
intercalée entre plusieurs épisodes de la vie de l'auteur, ceux antérieurs qui l'ont inspirée, ceux
postérieurs qui ne lui ressemblent pas moins, des amours suivantes les particularités étant calquées sur
les précédentes. Car à l'être que nous avons le plus aimé nous ne sommes pas si fidèles qu'à nous-
même, et nous l'oublions tôt ou tard pour pouvoir – puisque c'est un des traits de nous-même –
recommencer d'aimer. Tout au plus, à cet amour celle que nous avons tant aimée a-t-elle ajouté une
forme particulière, qui nous fera lui être fidèle même dans l'infidélité. Nous aurons besoin, avec la
femme suivante, des mêmes promenades du matin ou de la reconduire de même le soir, ou de lui
donner cent fois trop d'argent. (Une chose curieuse que cette circulation de l'argent que nous donnons
à des femmes qui, à cause de cela, nous rendent malheureux, c'est-à-dire nous permettent d'écrire des
livres – on peut presque dire que les oeuvres, comme dans les puits artésiens, montent d'autant plus
haut que la souffrance a plus profondément creusé le coeur.) Ces substitutions ajoutent à l'oeuvre
quelque chose de désintéressé, de plus général, qui est aussi une leçon austère que ce n'est pas aux
êtres que nous devons nous attacher, que ce ne sont pas les êtres qui existent réellement et sont, par
conséquent, susceptibles d'expression, mais les idées. Encore faut-il se hâter et ne pas perdre de temps
pendant qu'on a à sa disposition ces modèles. Car ceux qui posent pour le bonheur n'ont généralement
pas beaucoup de séances à nous donner. Mais les êtres qui posent pour nous la douleur nous accordent
des séances bien fréquentes, dans cet atelier où nous n'allons que dans ces périodes-là et qui est à
l'intérieur de nous-même. Ces périodes-là sont comme une image de notre vie avec ses diverses
douleurs. Car elles aussi en contiennent de différentes, et au moment où on croyait que c'était calmé,
une nouvelle, une nouvelle, dans tous les sens du mot ; peut-être parce que ces situations imprévues
nous forcent à entrer plus profondément en contact avec nous-même ; ces dilemmes douloureux que
l'amour nous pose à tout instant nous instruisent, nous découvrent successivement la matière dont nous
sommes faits.

Comparer avec le monologue du psychologue sur le retour de la souffrance chez A


Et eternel retour..

Quatrième livre.

276 : Pour la nouvelle année

Quel sens Nietzsche donne-t-il à la formule stoïcienne Amor fati ? Que suppose de ce point de vue la
force de vivre ? ( vous pouvez répondre en citant le texte et en comparant ce passage aux paragraphes
338 et 341 )

Chez les stoïciens, il s’agit de l’acceptation de la nécessité, non passive, mais de ce que je ne peux
changer. En tachant de se soustraire à la souffrance. Chez Nietzsche, il ne s’agit pas de ne « désirer
que ce qui dépend de nous »..

Le retour du même chez les Stoïciens est cosmologique et non moral. Il permet de lire ce qui va se
passer ( cela s’est déjà passé ) et permet la divination.

Chez Nietzsche, le monde n’a pas non plus l’harmonie stoïcienne, ( Pour les Stoïciens, Nature = le
divin, l’harmonieux, la perfection, le sage doit se conformer à la nature ) il est chaos, mais chaos
inéluctable..
Cf Clément Rosset, La force majeure note sur Nietzsche..

« le caractère de l’ensemble du monde et celui de toute éternité celui du chaos, en raison non pas
de l’absence de nécessité mais de l’absence d’ordre » Présence inéluctable du réel, qui suffit à en
faire une nécessité, encore que celle-ci ne repose sur aucun fondement de nécessité compris en terme
d’ordre ou de loi. C’est un peu ce qu’exprime Nietzsche à la fin de l’aphorisme 9 de La naissance de la
tragédie : « Voici ton monde ! c’est là ce qui s’appelle un monde!... » Il s’agit, on le sait, d’une citation
de Goethe, dans la première scène de Faust. Mais l’usage qu’en fait Nietzsche prend l’exact contre-
pied du sens qu’elle a dans Goethe. Chez Goethe, Faust vieillissant, confronté à ses livres et à ses
cornues, se plaint du silence et de l’inintelligibilité du monde : « Et c’est là ton monde, et cela
s’appelle un monde ! » - autrement dit, cela ne suffit pas, au gré de Faust à faire un monde : le sens y
manque trop. Chez Nietzsche, il en va à l’inverse : « Voici ton monde ! C’est là ce qui s’appelle un
monde !... », - cela suffit à faire un monde : on se passera de sens.
Donc
« être un homme qui dit oui »
voir aussi par 341

Sens de l’ »éternel retour : être capable de vivre cette vie » encore une fois et d’innombrables fois ».
C’est-à-dire affirmer : non aimer, ni accepter comme un moindre mal mais faire face et surmonter..
c’est-à-dire « un de ceux qui embellissent les choses ». ( on passe du médecin à l’architecte )
Mais aussi qui »regarde ailleurs » là où il pourrait éprouver le ressentiment, la pitié, moraliser…La
pitié est un double mal, pour celui à qui elle s’adresse, pour celui qui

277 Quelle est la place donnée au hasard dans la nature par Nietzsche ? Quelles sont les
caractéristiques de la force de la vie selon N ?
Le « cher hasard » est la matière de ce philosophe artiste qui métamorphose, et embellit. La vie est
hasard, et sans lois nécessaires ( il y a bien les lois et le déterminisme scientifique, mais qui ne donne
pas de sens au monde.) Il n’y a donc pas de providence, même si ma réussite peut m’inciter à voir ne
pas voir dans l’existence le « beau chaos » et me donne l’illusion d’un sens. La vie est une force
gratuite, sans sens, ni direction, ni valeur..

278 Quel rôle donner à la « pensée de la mort » selon Nietzsche ? Faites une recherche sur le thème
« philosopher c’est apprendre à mourir » pour situer Nietzsche par rapport à d’autres philosophes
( Platon, Stoïciens, Montaigne, Spinoza )
Platon : la mort est la vie de l’âme…
Stoïciens et Montaigne, se préparer pour éviter la peur, connaître pour dédramatiser, et bien vivre..

Montaigne, Essais (1580- 1595), Livre I, chapitre XX « Que philosopher, c’est apprendre à mourir » :
Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent, de mort nulles nouvelles. Tout cela est beau : mais aussi
quand elle arrive, ou à eux ou à leurs femmes, enfants et amis, les surprenant en dessoude (1) et à
découvert, quels tourments, quels cris, quelle rage et quel désespoir les accable ? Vîtes-vous jamais
rien si rabaissé, si changé, si confus ? Il y faut pourvoir de meilleure heure : Et cette nonchalance
bestiale, quand elle pourrait loger en la tête d'un homme d'entendement (ce que je trouve entièrement
impossible) nous vend trop cher ses denrées. Si c'était ennemi qui se pût éviter, je conseillerais
d'emprunter les armes de la couardise : mais puisqu'il ne se peut ; puisqu'il vous attrape fuyant et
poltron aussi bien qu'honnête homme et que nulle trempe de cuirasse vous couvre , apprenons à le
soutenir de pied ferme, et à le combattre : Et pour commencer à lui ôter son plus grand avantage contre
nous, prenons voie toute contraire à la commune. Ôtons-lui l'étrangeté, pratiquons-le, accoutumons-le,
n'ayons rien si souvent en la tête que la mort : à tous instants représentons-la à notre imagination et en
tous visages. Au broncher d'un cheval, à la chute d'une tuile, à la moindre piqûre d'épingle, remâchons
soudain : « Et bien quand ce serait la mort même ? » et là-dessus, raidissons-nous, et efforçons-nous.
Parmi les fêtes et la joie, ayons toujours ce refrain de la souvenance de notre condition, et ne nous
laissons pas si fort emporter au plaisir, que parfois il ne nous repasse en la mémoire, en combien de
sortes cette nôtre allégresse est en butte à la mort, et de combien de princes elle la menace. Ainsi
faisaient les Egyptiens, qui au milieu de leurs festins et parmi leur meilleure chère, faisaient apporter
l'Anatomie sèche (4) d'un homme, pour servir d'avertissement aux conviés.

Il est incertain où la mort nous attende, attendons-la partout. La préméditation de la mort, est
préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir, il a désappris à servir. Il n'y a rien de mal en la vie,
pour celui qui a bien compris, que la privation de la vie n'est pas mal. Le savoir mourir nous affranchit
de toute sujétion et contrainte.

Et pour  Spinoza, la philosophie est réflexion sur la vie, et sur la vie libre, et non sur la mort. Dans
l’Ethique, à la proposition 67, il déclare : « L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa
sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie ». Ici intuitivement proche du peuple décrit
par Nietzsche «  cela me rend heureux de voir que les hommes ne veulent absolument pas penser la
pensée de la mort ! j’aimerais leur rendre la pensée de la vie encore cent fgois plus digne d’être
pensée »

281à 291 : les « hommes préparatoires » : thème du surhomme.. capable de dire Oui

Cf https://books.openedition.org/psn/8160?lang=fr
Le surhomme est l’homme qui vainc le nihilisme en approuvant le monde tel qu’il est, dans sa
dimension absurde, aléatoire et tragique, et en laissant s’exprimer à plein sa volonté de puissance,
c’est-à-dire sa capacité de création par-delà bien et mal. La croyance en l’Éternel Retour est ici
décisive. Elle est sélective : seuls en effet des hommes forts peuvent l’assumer joyeusement. Elle
pourrait porter au désespoir à cause du déterminisme qu’elle implique (c’est pour cette raison que
Zarathoustra la garde longtemps secrète), mais elle incite les forts à l’action créatrice. Car si je sais
que l’instant que je vis revient et va revenir, je ne sais pas ce qu’il était dans le passé, mais je sais que
je dois me conduire de telle sorte que je puisse souhaiter que cet instant revienne éternellement. La
croyance en l’éternel retour me pousse à agir sub specie aeterni comme les Grecs anciens le faisaient
sous l’influence du mythe2, et à imprimer ainsi ma marque originale au temps3. Le surhomme
nietzschéen : un être singulier ou un exemple pour tous ?
Gilbert Merlio : le surhomme Nietzschéen, un être singulier ou un exemple pour tous ?

Qu’est-ce qui justifie le fait que pour N « le secret pour retirer de l’existence la plus grande fécondité
et la plus grande jouissance, c’est : vivre dangereusement ! »(283)
En quoi la force du « renoncement » est-elle nécessaire ? ( 285)(répondez en utilisant l’analogie
présente dans le fragment .. our une force plus grande..
Cette force est-elle contradictoire avec l’incitation à devenir « maître et possesseurs » ?( 283) (un
exemple de ce qu’il entend par « appropriation » est donné dans le fragment 291)

Expliquez : « une seule chose est nécessaire : « donner du style » à son caractère. » (290).
MALADIE DU SENS ET GAI SAVOIR, CHEZ NIETZSCHE (extraits)
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1996-v52-n2-ltp2155/401001ar.pdf

Paul VALADIEr (1933/2020) prêtre jésuite, prof de philosophie

Chacun sait à quel point la maladie occupe dans l'univers nietzschéen une place centrale ; Nietzsche
lui-même fut un perpétuel malade et il n'a jamais caché les liens existants entre son expérience
philosophique et son expérience existentielle d'homme brisé par toutes sortes de maux, maux tels qu'ils
finiront par l'engloutir dans la folie. — Mais nous savons aussi que la maladie a constitué pour lui
comme une sorte de principe herméneutique permettant de lire l'histoire de la philosophie et
d'interpréter les systèmes philosophiques ; à cet égard, l'avant-propos du Gai savoir (1886) pose un
lien tout à fait net entre rapport au corps malade et systématisation philosophique au point d'affirmer
que les philosophes n'ont jamais fait que penser leur propre ma- ladie, mais sans le dire ni toujours le
savoir ; en vertu de ce lien, l'histoire de la philo- sophie ne serait qu'une longue histoire de la maladie
ou d'un rapport faussé au corps. — Poussant encore plus loin dans cette même ligne, Nietzsche
définira même l'hom- me dans La Généalogie de la morale comme « /'animal malade » par excellence
(das kranke Tier), celui de tous les animaux que « la blessure elle-même contraint à vi- vre », au point
donc que la maladie lui est si essentielle qu'elle devient part constitu- tive de son être : il a besoin de
souffrir pour exister ou pour éprouver le sentiment de son existence. La seconde dissertation de ce
même livre raconte l'histoire proprement infernale que les hommes se sont infligée à eux-mêmes par le
moyen de leurs institu- tions sociales, politiques ou religieuses, comme si les civilisations n'étaient au
fond que d'immenses systèmes carcéraux ou des espaces de tortures subtiles et raffinées...

On devine sans peine que la maladie dont il s'agit ici n'a guère à voir avec une simple douleur
physique ou avec des maux de nature essentiellement corporelle ; il s'agit bien plutôt de tourments que
l'homme s'inflige, dans une sorte de retournement de la vie contre elle-même, un déchirement de soi
qui dresse l'homme contre lui- même, une contradiction qui retourne la vie contre soi et noue ainsi une
tension pro- prement mortelle. En réalité la souffrance où s'exprime la maladie humaine trouve sa
source dans l'incapacité où est l'homme de se supporter lui-même, ou de porter la vie telle qu'elle est
en ce qu'elle a en effet d'insupportable, de problématique, de mysté- rieux et finalement d'insaisissable.
C'est justement cette souffrance à vivre qui con- duit à chercher le pourquoi de cet état de choses, et
porte donc à une volonté de dé- chiffrement et de sens de ce qui est (la souffrance) et qui, pense-t-on,
ne devrait pas être. Les « idéaux ascétiques », comme Nietzsche les dénomme dans La Généalogie de
la morale, trouvent audience et crédit auprès de l'animal malade, parce qu'ils of- frent à la fois un sens
à la souffrance et un remède à ce qu'elle a d'insupportable. Ils proposent une explication ou une raison,
bref un sens, à ce qui de soi n'en a pas (pourquoi souffrir, pourquoi la violence, pourquoi la mort ?), et
par là même ils ap- portent une thérapeutique, car ils rassurent, ils confortent, ils écartent la souffrance
la plus insupportable de toutes : ne pas comprendre, rester livré sans prise à ce qui ar- rive sans qu'on
puisse le dominer, même illusoirement par une réponse quelconque apportée à un événement dépourvu
de signification.

Au terme, nous retrouvons notre point de départ. Nietzsche ne promet pas un ac- cès facile à « la
grande santé » ; il se sait lui-même trop bien atteint par la maladie de l'anthropocentrisme pour
supposer qu'on puisse jamais échapper totalement à ses sortilèges ; il connaît assez aussi la complexité
de la volonté humaine pour imaginer qu'elle puisse jamais échapper au jeu subtil et contradictoire des
pulsions ; tout au moins peut-elle se vouloir plus affirmatrice que négative, plus noble que servile, plus
portée au dire-oui et au chant qu'au refus et au ressentiment. Rien n'assure d'une totale victoire, car
tout est affaire de degrés et de nuances (termes éminemment nietzschéens). Mais l'homme peut désirer
le sens, et découvrir qu'il y a plus de sens à dire-oui et à accueillir qu'à s'enfermer dans le non et dans
la dénonciation perma- nente. Certes le dire-oui ne va pas sans repousser tout ce qui s'oppose à lui, y
compris dans la volonté faible ou dans les pièges d'une raison dévoyée. Mais c'est une autre façon de
dire que la métamorphose de soi n'est jamais achevée, parce qu'on n'en a jamais fini de bénir ce qui est
tel que ce qui s'offre à nos sens, à notre volonté, à notre raison. Encore faut-il avoir fait, comme
Nietzsche à Sils-Maria, la découverte bouleversante de la surabondance de la vie et de l'exubérante
richesse des choses pour être alors provoqué à sortir de sa pauvreté de regard et à son avarice intellec-
tuelle. La raison restaurée peut alors chanter et bénir plutôt que de se replier dans la peur et le refus
nihiliste.

(…)Rien n'assure d'une totale victoire, car tout est affaire de degrés et de nuances (termes
éminemment nietzschéens). Mais l'homme peut désirer le sens, et découvrir qu'il y a plus de sens à
dire-oui et à accueillir qu'à s'enfermer dans le non et dans la dénonciation perma- nente. Certes le dire-
oui ne va pas sans repousser tout ce qui s'oppose à lui, y compris dans la volonté faible ou dans les
pièges d'une raison dévoyée. Mais c'est une autre façon de dire que la métamorphose de soi n'est
jamais achevée, parce qu'on n'en a jamais fini de bénir ce qui est tel que ce qui s'offre à nos sens, à
notre volonté, à notre raison. Encore faut-il avoir fait, comme Nietzsche à Sils-Maria, la découverte
bouleversante de la surabondance de la vie et de l'exubérante richesse des choses pour être alors
provoqué à sortir de sa pauvreté de regard et à son avarice intellec- tuelle. La raison restaurée peut
alors chanter et bénir plutôt que de se replier dans la peur et le refus nihiliste

Faut-il insister ? Le diagnostic nietzschéen porte à plein contre un style de rationalisme qui a marqué
la modernité dans certains présupposés des sciences, dans l'approche des rapports sociaux, dans
l'attente d'une politique porteuse d'un univers de réconciliation où l'homme serait pleinement
réconcilié avec lui-même et avec la na- ture. Nietzsche a eu la prémonition de la folie dévastatrice de
ces ambitions ; il a entrevu qu'elles étaient porteuses de mort, ce que bien des aspects de l'actualité in-
ternationale confirmeraient. Il a voulu par contre indiquer que l'exercice authentique de la raison passe
par une acceptation de la finitude humaine, de ce qu'il appelle le « perspectivisme », sans prétendre se
faire centre et se prononcer souverainement sur le tout des choses. Il ne s'agit pas de donner congé à la
quête de sens, mais de désirer le sens en sachant qu'il faut toujours le vouloir encore et que l'homme
n'en a jamais fini de transmuer ce qui est, à moins que par fatigue, lassitude et peur, il ne s'aban- donne
aux folies des sens préétablis et mortifères...

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