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philosophie religieuses
Kojevnikoff Alexandre. La métaphysique religieuse de Vladimir Soloviev. In: Revue d'histoire et de philosophie
religieuses, 14e année n°6, Novembre-décembre 1934. pp. 534-554 ;
doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1934.2921
https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1934_num_14_6_2921
(1) Nous n’avons pu consulter que les écrits imprimés, les manuscrits
inédits ne nous étant pas accessibles.
(2) Cf. vol. III, p. 29-32 de la lre édition des Œuvres complètes (Péters-
bourg, 1902, 8 + 1 vol.)*’
LA MÉTAPHYSIQUE RELIGIEUSE DE V. SOLOVIEV 539*
1911,
(1) 10
"Vol.vol.).
IX, p. 14 de la 2e édition des Œuvres complètes (Pétersbourg,
(2) Voir par exemple Russie (3e éd., Paris, 1923), p. 20S. Dans La Russie,
qui est avant tout un livre de propagande pour l’union des Églises, écrit par
un Soloviev catholisant pour des lecteurs catholiques, tout ceci n’est peut-être
qu’une concession à la tradition de la théologie catholique. Et ce n’est pas
là le seul point où la pensée de Soloviev paraît être quelque peu défigurée par
la tendance catholique de son livre français.
540 revue d’histoire et de philosophie religieuses
pas, non plus, lui reprocher d’avoir puisé dans la tradition théolo¬
gique et accepté les vérités admises par l’Église sans discussion et
critique préalables.
Cependant, nous verrons par la suite que les défauts philoso¬
phiques de la métaphysique de Soloviev ne proviennent pas seule¬
ment du fait qu’elle est, ou, du moins veut être, une métaphysique
strictement orthodoxe. C’est le philosophe lui-même qui est res¬
ponsable d’une grande partie des obscurités, des imprécisions, des
contradictions et du manque de critique profonde que l’on trouve
dans son œuvre. Nous verrons également que les sources utilisées
par lui sont loin d’appartenir toutes aux autorités reconnues par
son Église. Nous trouverons chez lui bien d’autres influences, et
c’est surtout aux Idéalistes allemands que ses doctrines nous feront
penser. On peut même dire que c’est presque exclusivement Schel-
ling qui lui sert de modèle, que c’est à Schelling que remontent
presque toutes ses idées métaphysiques. Et pourtant, chose remar¬
quable, on chercherait en vain ce nom dans les écrits de Soloviev ; il
ne l’évoque qu'en passant dans son livre consacré à l’histoire de
la philosophie.
A. La doctrine de Dieu
C’est ce qu’il ne faut pas perdre de vue lorsqu’on veut juger sa méta¬
physique à sa juste valeur, et éviter de n’y voir que des plagiats
vulgaires et du pur verbalisme. Car, les mots « plagiat » et « verba¬
lisme » viennent souvent à l’esprit lorsqu’on lit ses écrits méta¬
physiques.
Tout en étant un philosophe religieux, Soloviev est de toute
évidence beaucoup plus religieux que philosophe. Ainsi, dans sa
métaphysique, il part, sans aucun doute, d’intuitions profondes
et vivantes, et sa pensée est toujours sincère : il croit vraiment à
ce qu’il dit. Mais dès qu’il essaye de donner une forme rationnelle
au contenu de ses intuitions, de les « organiser en un système com¬
plet et harmonieux », c’est-à-dire dès qu’il entre dans le domaine
qu’il appelle lui-même le domaine proprement philosophique, il se
voit obligé de faire de fréquents emprunts à ses prédécesseurs. Et
ce qui est plus grave, il simplifie toujours, et, dans la majorité des cas,
défigure et appauvrit les doctrines empruntées. Sa pensée revêt ainsi,
en général, un caractère abstrait et superficiel, et souvent des déduc¬
tions purement verbales tiennent lieu d’analyses métaphysiques. —
Ces défauts de la métaphysique de Soloviev apparaissent
partout, dès le début, dans ses premiers énoncés relatifs à
l’Absolu.
Soloviev commence par constater qu’il est faux de définir l’Absolu
comme « l’être en général ». L’être n’est qu’un prédicat apparte¬
nant à un sujet qu’il présuppose, mais non ce sujet lui-même. Or,
l’Absolu est le sujet et la source de tout être. Il doit donc être dis¬
tingué de tout être, sans pour cela être identifié avec le néant.
Mais « si l’Absolu n’est ni être, ni néant, il est ce qui a l'être ou pos¬
sède l'être ». Et puisque « le possédant est antérieur (pervee) et supé¬
rieur au possédé », l’Absolu « doit être plus exactement désigné
comme le super-être (sverksusàee) ».
Ainsi conçu, l’Absolu ne peut être qu’unique et un en soi. Car
toute multiplicité présuppose une relation, qui est toujours un
mode déterminé de l’être, tandis que l’Absolu est par définition
supérieur à tout être. Mais l’Absolu possède l’être. Il doit donc pos¬
séder toute la multiplicité de l’être : il est l’unité parfaite qui
englobe la multiplicité. Inversement, l’Absolu est contenu dans
tout, car tout reçoit son être de lui et n’en est ainsi que la mani¬
festation. « Mais en étant en tout, il n’est pas identique à tout ;
il est en soi et par soi (samo po sebe) comme différent de tout »,
LA MÉTAPHYSIQUE RELIGIEUSE DE V. SOLOVIEV 543
p. 287-293
(1) Voir de
pour
la ce
lrequi
édition
précède
des: vol.
Œuvres.
I, p. Tout
332-348
cecide n’est
la 2e certes
édition,rien
et vol.
moins
II,
qu’original. Mais il serait oiseux de vouloir rechercher les sources immédiates
de Soloviev, étant donné qu’il s’agit ici d’un bien commun de la philosophie
chrétienne.
544 revue d’histoire et de philosophie religieuses
aspiration vers l’être, une soif de l’être y>, c’est-à-dire « quelque chose
d’intime et de psychique ». Ainsi, la materia prima, caractérisée
par cette « soif », n’est pas seulement Matière, puissance négative
de l’être, mais encore Âme. Elle est ce que Soloviev appellera plus
tard, dans la doctrine du Monde, Y anima mundi, principe dernier
et unité transcendante de l’univers matériel et des âmes indi¬
viduelles (1).
Inutile d’insister davantage sur cette dialectique de l’Autre,
partie la plus obscure et la plus abstraite de la métaphysique de
Soloviev. Tout ce qu’il y dit de l’Absolu et de son « Autre » n’est,
en somme, qu’une paraphrase très simplifiée et appauvrie de cer¬
taines spéculations de Schelling (2), qui, sur ce point, ne fait d’ail¬
leurs que suivre et développer la pensée de Jacob Boehme. Il faut
donc se reporter à ces penseurs allemands si l’on veut comprendre
la signification véritable et le sens profond de cette dialectique, qui,
sous la plume de Soloviev, est presque un simple jeu de mots.
Cependant même chez lui elle est plus que cela. Telle qu’elle est,
c’est-à-dire empruntée de toute pièce et extrêmement abstraite,
pour ne pas dire purement verbale, elle correspond néanmoins à
une intuition personnelle, à une pensée vivante et concrète. Tout
d’abord, et Soloviev le dit lui-même de concert avec Schelling, la
notion de l’Unitotalitée t la dialectique de Γ « Autre » ne sont qu’une
traduction en termes abstraits du mot du grand Apôtre : « Dieu
est Amour. » Or, c’est surtout comme Amour absolu que Dieu appa¬
raît dans l’expérience religieuse personnelle de Soloviev. De plus,
sa dialectique abstraite n’est empruntée que pour résoudre un pro¬
blème concret et vivant, le même que celui des penseurs qui furent
ses modèles. Ce problème consiste à trouver un moyen terme entre
le dualisme et le panthéisme (ou l’acosmisme), qui sont le Cha-
rybde et la Scylla de la pensée chrétienne en général, et de celle
de Soloviev en particulier. D’une part, en voyant Dieu partout,
en ayant une expérience vivante de la richesse infinie de l’essence
divine, il ne voulait rien exclure de l’idée de Dieu, et il se rappro¬
chait ainsi de la conception panthéiste. D’autre part, en ressentant
p. 293-298
(1) Voirde
pour
la lre
ce qui
édition
précède
des : Œuvres.
vol, I, p. 348-354 de la 2 e édition et vol. II,
(2) Voir par exemple : Schellings sämtliche Werke (Stuttgart, 1860), lre sec¬
tion, vol. VII, p. 358, 359, 368, 373, 375, 390 et 399.
LA MÉTAPHYSIQUE RELIGIEUSE DE V. SOLOVIEV 545
étant
article
métaphysique.
(1) assez
On
La réalité
voit
simplistes
Les
que
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etpensée
peuextérieur
qu’on
originaux.
de Soloviev
y(1875),
trouveest
ilsont
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nettement
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réaliste.
dénuésleDans
d’intérêt,
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son
34*
546 revue d’histoire et de philosophie religieuses
d*
pred-stavliat-placer
( sich)
aspiration
(1) -stellen).
En russe
; le verbe
le mot
devant
predstavliat-se
stremlenie
(Cf. les amots
le
représenter,
double
allemands
sens
peut
Streben
de être
tendance
interprété
et vorstellcn=vor-
dynamique
comme
et
LA MÉTAPHYSIQUE RELIGIEUSE DE V. SOLOVIEV 547
(1) Voir vol. II, p. 298 sq. de la lre édition des Œuvres.
LA MÉTAPHYSIQUE RELIGIEUSE DE V. SOLOVIEV 549
ainsi à affirmer que Dieu est, non pas un Absolu abstrait, mais une
Personne concrète et réelle.
La doctrine des idées de Soloviev a donc un double but. D’une
part, elle complète et achève la doctrine de l’Absolu, en montrant
que le contenu de l’Absolu est un cosmos idéel, un ensemble d’idées
actives et personnelles, qui constituent dans et par leurs interac¬
tions un organisme unitotal, ayant une structure analogue à celle
de l’univers des concepts généraux. D’autre part, la dialectique
immanante de la doctrine des idées montre qu’en partant de la
notion abstraite de l’Absolu on arrive nécessairement à l’idée d’un
Dieu personnel (1).
Œuvres.
(1) Voir
Pour
pour
sa doctrine
la doctrine
des des
idées,
idées
Soloviev
vol. III,
se réclame
p. 44-64 de
dePlaton
la 1»· et
édition
de Leib¬
des
niz ; avec encore plus de droit il aurait pu se réclamer des doctrines néoplato¬
niciennes. Mais on n'est pas forcé de remonter si haut pour trouver ses sources,
les écrits de Schelling pouvant lui offrir tout le nécessaire. (Voir par exemple
le dialogue de Schelling : Bruno.)
550 revue d’histoire et de philosophie religieuses
p.
des
« Philosophie
77-88
(1)
(2)
Sämtliche
Voir
La
dedoctrine
la
poor
Positive
Werke
lre ceédition
)de
qui
diffère
»,laprécède
de
des
Trinité
Schelling
essentiellement
Œuvres,
: vol.
proprement
(Voir
ainsi
Γ, p. vol.
357
que
de dite,
sq.
IV,
celle
Russie,
de
p.que
de
la
65p,Soloviev.
2*sqq.
Ton
205-215
édition
trouve
de laPar
et2e218-221.
vol.
dans
section
contre,
Ill,
la
de Soloviev,
côté,
(1)Hegel
(2) Voir
Comparer
prolonge
Russie,
et vol.
parXII,
p.ici
exemple
215-218.
la
p. tradition
184vol.
sq. des
I, dep. Werke
la369mystique
sq.
de de
Hegel
laallemande.
2e
(Berlin,
édition1832;.
des Œuvres
De son»
LA METAPHYSIQUE RELIGIEUSE DE V. SOLOVIEV 553
Soloviev.
(1) Nous
(Voir
retrouvons
p. 546, note.)
de nouveau le jeu de mots si souvent utilisé par
554 revu E d’histoire et de philosophie religieuses
(1) Voir vol. III, p. 94-102 de la lre éd. des Œuvres. Voir aussi vol. I,
p. 360 sqq. de la 2e éd., où cette partie de la doctrine des idées est développée
sous une forme légèrement différente.