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Paul and the Heritage of Israel. Paul’s Claim upon Israel’s Legacy in
Luke and Acts
in the Light of the Pauline Letters
collectif, T&T Clark, 2012
L’Aube du christianisme
Bayard/Labor et Fides, « Le Monde de la Bible », 60, 2008
Le Mystère apocryphe.
Introduction à une littérature méconnue
avec J.-D. Kaestli, Labor et Fides, coll. « Essais bibliques », 26,
2
2007
Mourir… et après ?
avec D. Müller, Labor et Fides, coll. « Religions en perspective »,
17, 2004
Parabole
Paris, Cerf, coll. « Cahiers Évangile », 75, 1991
ISBN 978-2-02-128036-4
www.seuil.com
Titre
Du même auteur
Copyright
Dédicace
Préface
Le deuil de la biographie
Un enfant illégitime ?
Troublante généalogie
Jésus le mamzer
Un père absent
Stigmates d'exclusion
Naissance virginale
Où est-il né ?
La date de sa naissance
Son nom
L'éducation de Jésus
Son métier
Le prophète du désert
Embarras chrétien
« Celui qui vient après moi est plus fort que moi »
Jésus et Jean
Sidérant baptême
Chapitre 4 - Le guérisseur
Profusion et diversité
Le miroir du Royaume
La parabole-évidence
La parabole événementielle
La Galilée de Jésus
« Rejudaïser » Jésus
Refuser la violence
Il incite à la créativité
Le pur et l'impur
Un judaïsme « outré » ?
Le Dieu de Jésus
Le Dieu du Jugement
Un Jésus populaire
Un appel à suivre
Disciples et sympathisants
Marie de Magdala
Les concurrents
Le guérisseur
Le maître
Le prophète
Jésus Messie ?
Le Fils de l'homme
L'effet de Pâques
Le Temple outragé
Dernier repas
Au sanhédrin
Le procès religieux
Le procès politique
Au Golgotha
La sépulture
Chapitre 10 - Ressuscité !
Un renversement
Le tombeau ouvert
Le « oui » de Dieu
Le coefficient pascal
Paranormalité
La sacralisation de la mère
L'enfance racontée
Jésus le juif
« Il a séduit Israël »
Le dégel
Un monothéisme radical
Naissance et enfance
Enseignement et miracles
Épilogue
Notes
Ouvrages de référence
Remerciements
Préface
Jamais, peut-être, Jésus de Nazareth n’a été aussi fascinant. Alors que le
christianisme du XXIe siècle se découvre fatigué, sa figure fondatrice attire
toujours plus l’attention des historiens, des écrivains, des cinéastes.
Pourquoi cet intérêt, vif et jamais rassasié, pour l’homme qui venait de
Nazareth ? Tout n’a-t-il pas été dit, écrit, discuté, prêché depuis deux
millénaires à son sujet ? Les recherches conduites pour retrouver le « vrai
Jésus » ont produit un Jésus révolutionnaire, un Jésus hippie, un Jésus rabbi,
un Jésus prophète, un Jésus médecin, un Jésus féministe, un Jésus
philosophe… À quel portrait se fier ? Deux mille ans après, l’énigme Jésus
résiste toujours.
Ce livre remet l’ouvrage sur le métier et propose au lecteur, à la lectrice,
un portrait du Jésus de l’histoire. Si elle se veut sérieuse, l’entreprise n’est
pas aisée. Le christianisme vit en effet d’une particularité unique dans le
monde des religions : le Seigneur dont il se réclame appartenait à une autre
religion, le judaïsme, qu’il n’a jamais eu l’intention de quitter. L’action de
Jésus visait à réformer la foi d’Israël, et c’est à l’échec de cette réforme que
le christianisme doit sa naissance. Le mouvement de Jésus, au
commencement une secte de juifs messianiques, fut progressivement poussé
à se muer en groupe religieux autonome. Nous savons aujourd’hui que ce
processus d’autonomisation fut long et douloureux, inégal selon les régions
de l’empire romain, qu’il dura au moins quatre siècles et que les liens
nourriciers avec la culture juive n’ont pas été rompus d’un coup. Les écrits
qui témoignent de Jésus portent les stigmates du conflit aigu qui opposa les
chrétiens à la religion mère.
Pourquoi remettre aujourd’hui l’ouvrage sur le métier ?
Une première raison : nous disposons de nouvelles ressources. Les
recherches archéologiques de ces trente dernières années en Israël ont
exhumé des constructions et des objets qui nous donnent une image plus
précise de la vie quotidienne au Ier siècle. L’étude des textes chrétiens extra-
canoniques s’est accélérée ; les évangiles apocryphes sortis de l’ombre
livrent des aspects méconnus de Jésus, non retenus dans le Nouveau
Testament. La lecture des historiens juifs anciens, en premier lieu Flavius
Josèphe, donne accès à des informations de première main sur le judaïsme
contemporain de Jésus. Finalement, nous en savons plus qu’avant sur le
monde de Jésus.
Une seconde raison : la recherche avance à l’aide de questions que ne
posaient pas les générations précédentes. Comment vivait-on dans la société
palestinienne au Ier siècle en ayant un père qui n’était, semble-t-il, pas son
père ? Jésus a-t-il eu un maître spirituel ? Ne fut-il pas autant poète que
prophète ? Pourquoi a-t-il accompli tant de guérisons et d’exorcismes à la
manière des chamans ? Quelle fut au juste son originalité face aux rabbis de
son temps ? Pourquoi est-il monté à Jérusalem à la fin de sa vie ?
Pour avancer avec ces questions, l’historien travaille sur indices, à la
manière d’une enquête policière. Reconstruire la vie du Nazaréen exige de
remonter en deçà des témoignages anciens pour scruter l’obscurité et
deviner qui il fut, comment il apparut à ses contemporains. Sans nul doute,
l’action de Jésus laissa une impression forte, dont la mémoire chrétienne a
conservé les traces. Dans l’analyse de ces traces, les réponses ne peuvent
être ni simples ni immédiates. Car il appartient à l’historien de libérer la
part d’histoire que les auteurs anciens nous livrent dans leurs témoignages,
qui souvent embellissent les faits et parfois se taisent. Il lui incombe aussi
de comparer des informations qui divergent et parfois se contredisent. La
plupart de ces témoignages émanent d’auteurs chrétiens et sont imbibés de
leur croyance. Le recul critique s’impose.
Ce livre ne prétend aucunement livrer à ses lecteurs le « vrai Jésus ».
Notre conception de l’histoire a évolué, en effet. Nous prenons conscience
des limites de toute enquête historique. L’objectivité en histoire doit être
considérée pour ce qu’elle est : un fantasme intellectuel. Nous savons
mieux qu’hier que toute description du passé est une reconstruction, et que
l’examen le plus objectif des sources à notre disposition demeure
conditionné par le regard de celui, de celle qui les examine. La prétention
de livrer le « vrai Jésus » doit être laissée aux historiens amateurs et à la
littérature de kiosque. Livrer un Jésus « possible », probable, vraisemblable
même, je le peux. Livrer un Jésus dont le portrait a été minutieusement
contrôlé par l’analyse rigoureuse des sources, je l’ambitionne. Conduire une
enquête qui ne recule pas devant les réponses non envisagées ou non
souhaitées, je le prétends. Mais pas plus.
L’historien honnête renonce aujourd’hui aux certitudes absolues.
L’honnêteté consiste aussi à dire que celui qui écrit ces lignes est un
croyant, et même un théologien chrétien. Mais il est juste d’ajouter que si la
croyance de l’auteur explique son intérêt pour la personne de Jésus, sa quête
historienne n’est pas captive de ce que la dogmatique chrétienne, depuis
deux millénaires, a échafaudé pour rendre compte du Christ de la foi.
On entend dire que la recherche sur le Jésus de l’histoire est dangereuse
pour la foi chrétienne. Que le travail des historiens sape inutilement les
bases d’une croyance bimillénaire. Est-ce vrai ? Il est incontestable que
certains résultats de la recherche historique peuvent dérouter. Quand il
apparaît que l’homme de Nazareth n’a jamais revendiqué des titres (Messie,
Fils de Dieu) que lui décernent les évangiles, il y a de quoi faire tousser.
Quand on apprend que Jésus a eu un mentor spirituel, une image
traditionnelle se fendille. Certes, le portrait que produisent mes recherches
ne correspond pas à l’imagerie d’Épinal. Mais la quête du Jésus de l’histoire
n’est pas néfaste par définition. Elle confère plutôt de l’épaisseur à
l’humanité du Nazaréen. Elle fait quitter un Jésus ressassé pour découvrir
une figure peu connue, plutôt intrigante. Ses résultats obligent à réviser la
mémoire des origines, mais ne la détruisent pas.
Le travail historien n’asphyxie pas la croyance ; il participe à son
intelligence et à sa structuration, et ce n’est pas un mince service qu’il lui
rend. Le savoir historique a toujours été l’antidote intellectuel des
fondamentalismes. Mon espoir est qu’au sortir de ce livre, le lecteur, la
lectrice comprenne mieux pourquoi la figure de Jésus de Nazareth continue
à fasciner l’humanité, croyante ou non.
L’ouvrage est divisé en trois parties. La première (« Les
commencements ») décrit les sources documentaires à disposition et
explique comment les exploiter. L’énigme de la naissance de Jésus est
abordée ensuite, puis l’influence de son maître spirituel, Jean le Baptiseur.
La deuxième partie (« La vie du Nazaréen ») considère Jésus comme
guérisseur, comme poète du Royaume et comme maître de sagesse ; on
apprend quels sont ses amis et ses concurrents, quelle conscience Jésus
avait de sa vocation et pourquoi il est mort à Jérusalem. L’enjeu, entre ces
diverses facettes du personnage, est de discerner où se trouve le cœur de sa
conviction (le noyau dur, pour ainsi dire) et ce qui donne cohérence à son
agir. À chaque fois, je m’attacherai à montrer en quoi Jésus est un homme
de son temps, immergé dans le judaïsme palestinien des années 20-30, et en
quoi il s’avère singulier et inimitable.
La troisième partie (« Jésus après Jésus ») examine comment la
croyance en la résurrection a conduit à relire la vie de Jésus après sa mort ;
s’interroger sur l’historicité des événements de Pâques réserve quelques
surprises. Puis, le destin de Jésus dans les trois grands monothéismes
(christianisme, judaïsme, islam) occupe la fin du livre.
Quelques indications pour la lecture.
Par souci de lisibilité, les notes ont été réduites au minimum et rangées
en fin de volume. J’ai renoncé à signaler au fur et à mesure à qui je me
ralliais et de qui je me séparais. Mes collègues chercheurs, à qui je dois tant,
me pardonneront. Une bibliographie générale puis une brève bibliographie
par chapitre signalent aux lecteurs des ouvrages de référence. J’ai renoncé à
étaler ma (trop longue) bibliographie de travail.
Les textes des évangiles dont je me sers pour établir l’image du Jésus de
l’histoire ont été évalués au préalable en fonction de leur fiabilité
historique, et jugés aptes à servir ma reconstruction. Il aurait été fastidieux
d’ouvrir à chaque fois le dossier complexe de la critique historique. Le
lecteur voudra bien me faire crédit de ce travail de filtrage en amont de la
rédaction.
J’ai cité les textes bibliques, le plus souvent, suivant la Traduction
Œcuménique de la Bible (TOB, Paris, 2010). Il m’arrive de m’en écarter.
C’est à elle aussi que j’ai emprunté le code de référence abrégée des textes
bibliques (Mt pour Matthieu, etc.). Lorsque je reprends telle quelle la
traduction du texte d’un auteur ancien, sauf pour de brefs extraits, le nom
du traducteur est indiqué.
LES COMMENCEMENTS
CHAPITRE 1
[Qu’a rapporté] aux juifs de [tuer] leur roi sage, puisque leur royaume a été
supprimé à ce moment-là ? Dieu a justement vengé la sagesse de ces trois
hommes : les Athéniens sont morts de famine, les gens de Samos ont été
complètement accablés par la mer, et les juifs, massacrés et expulsés de leur
royaume, sont dispersés dans le monde entier. Socrate n’est pas mort, grâce
à Platon ; Pythagore non plus, à cause de la statue de Junon ; et le roi sage
n’est pas mort, à cause des nouvelles lois qu’il a édictées. (trad. selon
W. Cureton)
Le « roi sage » n’est pas nommé, mais les indices convergent sur Jésus :
la fin du royaume juif évoque la prise de Jérusalem par les légions romaines
en l’an 70 et la déportation des combattants juifs survivants. Interpréter la
destruction du Temple de Jérusalem comme une sanction divine est une
croyance autant juive (2 Baruch 79,2 ; bTaanit 29a) que chrétienne
(Mt 22,7 ; 23,38). Mara n’est pas chrétien, sinon il aurait été plus explicite
sur Jésus. Il aligne néanmoins celui-ci sur les grands sages et considère
qu’il survit grâce à ses « nouvelles lois », l’Évangile.
Le second auteur du monde syrien, et le dernier à citer, est Lucien de
Samosate, un rhéteur né en Anatolie. Dans son traité De morte Peregrini,
écrit peu après 165, il raconte l’histoire de Peregrinus qui, banni de sa ville
natale pour avoir tué son père, se convertit au christianisme avant d’opter
pour la philosophie cynique et la révolution politique. Aux paragraphes 11-
13, il ironise en parlant des chrétiens de Palestine qui « adorent encore
aujourd’hui l’homme qui fut empalé en Palestine parce qu’il avait introduit
dans le monde [une] nouvelle forme d’initiation » ; ils « rendent un culte à
ce sophiste empalé et vivent de ses lois, méprisant toutes leurs possessions
sans distinction et les considérant comme un bien commun ». Le verbe
« empaler » (anaskolopizô) vaut pour la crucifixion, un supplice peu connu
et si cruel que les Anciens n’aimaient pas en parler.
Que conclure des propos de ces trois Romains et de ces deux Syriens ?
Aucun d’entre eux ne met en doute l’existence historique de Jésus de
Nazareth. Ils se prononcent plutôt sur les chrétiens, dont ils ont observé la
croyance, mais reconnaissent néanmoins à Jésus une sagesse et
l’enseignement d’un mode de vie que suivent ses adeptes ; dans leurs
catégories, Christ est la divinité de cette religion new age.
En résumé, « Jésus » n’a pas été un sujet pour les historiens gréco-
romains du Ier et du IIe siècle. Comme dit joliment John P. Meier, il ne fut
« qu’un bip sur [leur] écran radar 7 ». L’explication la plus évidente n’est pas
l’inexistence de Jésus (aucun rabbi juif palestinien n’est cité par ces
historiens), mais leur désintérêt pour la vie et l’exécution d’un obscur rabbi
dans une obscure province de l’Empire. Bien d’autres, à l’époque, ont
connu ce sort. L’historiographie gréco-romaine célèbre les généraux et leurs
batailles, les empereurs et leur politique. Il est justement significatif que le
mouvement de Jésus n’éveille leur intérêt (et leur mépris) qu’au moment où
il menace de perturber l’ordre social.
Flavius Josèphe ou la vertu de la trahison
er
Il existe pourtant un témoignage non chrétien du I siècle sur Jésus. Il
émane d’un historien juif de lignée sacerdotale, né à Jérusalem en 37 :
Flavius Josèphe. Son histoire est mouvementée. Affilié très jeune au
mouvement pharisien, il fut un meneur dans la révolte juive qui éclata en
l’an 66. Fait prisonnier par les Romains, il prédit que le général romain
Vespasien deviendrait empereur, et se retourna contre ses compatriotes en
leur enjoignant de se rendre. Une fois la prédiction réalisée, Vespasien,
devenu empereur, en fit son protégé et Josèphe adopta par reconnaissance le
nom de la nouvelle famille impériale, Flavius.
À Rome, Josèphe consacra sa vie à écrire. Parmi ses œuvres : la Guerre
des juifs (qui raconte l’insurrection de 66-73 contre les Romains et sa fin
désastreuse pour Israël) et les Antiquités juives (une histoire d’Israël depuis
la création du monde jusqu’au Ier siècle). Dans cette dernière œuvre,
imposante avec ses vingt livres, il essaie d’expliquer la foi juive au monde
latin. Mais la tradition juive ne lui a pas pardonné sa trahison ; elle ignora
ses écrits, qui furent préservés durant l’Antiquité et le Moyen Âge par les
copistes chrétiens, intéressés, eux, à cette fresque de l’histoire juive.
D’autant plus que les Antiquités juives, publiées en 93-94, contiennent deux
références à Jésus.
La première est incidente. Josèphe explique qu’avant le déclenchement
de la Guerre juive – nous sommes en 62 –, le grand prêtre Hanne et le
sanhédrin (haute autorité religieuse) condamnèrent à mort Jacques, le frère
de Jésus : Hanne « convoqua les juges du sanhédrin et amena devant eux le
frère de Jésus, celui qui est appelé Christ » (20, 200). Un chrétien aurait
plutôt parlé de Jacques « frère du Seigneur », tel qu’il est toujours
dénommé dans le Nouveau Testament. Cette mention de Jésus dans le style
de Josèphe, faite comme en passant, provient à coup sûr de sa main.
Il n’en va pas de même du second passage, nettement plus long, que
l’on a surnommé le Testimonium Flavianum (Témoignage Flavien). Ce
texte de quelques lignes présente un mini-portrait de Jésus (18, 63-64),
inséré dans un long récit des exactions de Pilate en Judée et avant une
présentation de « Jean surnommé Baptiseur » (18, 116-119). Depuis le
e
XVI siècle, des doutes se sont levés sur son authenticité : des copistes
chrétiens n’ont-ils pas voulu faire œuvre apologétique en composant ce
morceau ? Tel qu’il se présente, en effet, il arbore à coup sûr des traits
chrétiens. Mais la thèse d’une interpolation, autrefois défendue, est
aujourd’hui en voie d’abandon. Tous les manuscrits grecs en notre
possession, ainsi que sa traduction latine du VIe siècle, comportent en effet
ce passage ; l’historien chrétien Eusèbe de Césarée (260-339) le cite à deux
reprises dans son Histoire ecclésiastique (I, 11, 7-8) et dans sa
Démonstration évangélique (III, 3, 105-106). Son style est d’ailleurs
résolument « joséphien » : un faussaire chrétien n’aurait pas appelé Jésus
« homme sage ». Comment expliquer ce mélange de traits chrétiens et
joséphiens, sinon par le fait que le texte de l’auteur a été glosé, embelli par
le zèle des copistes ? Je reproduis ci-dessous ce passage, où ce qui est en
italique correspond aux gloses chrétiennes, tel que le propose John
P. Meier 8 :
Vers le même temps survient Jésus, homme sage, si toutefois il faut le dire
homme. Il était en effet faiseur de prodiges, le maître de ceux qui reçoivent
avec plaisir des vérités. Il se gagna beaucoup de juifs et aussi beaucoup du
monde grec. C’était le Messie (Christos). Et Pilate l’ayant condamné à la
croix, selon l’indication des premiers d’entre nous, ceux qui l’avaient
d’abord chéri ne cessèrent pas de le faire. Il leur apparut en effet le
troisième jour, vivant à nouveau, les divins prophètes ayant prédit ces
choses et dix mille merveilles à son sujet. Et jusqu’à présent la race des
chrétiens, dénommée d’après celui-ci, n’a pas disparu. (Antiquités juives,
18, 63-64)
Jésus a dit : « Celui qui est près de moi est près du feu, et celui qui est loin
de moi est loin du Royaume. » (logion 82)
Jésus a dit : « Le Royaume du Père est semblable à un homme qui voulait
tuer un grand personnage ; il dégaina l’épée dans sa maison et perça le mur,
pour voir si sa main serait ferme ; alors il tua le grand personnage. » (logion
98)
Jésus a dit : « Malheur aux pharisiens, car ils ressemblent à un chien couché
sur la mangeoire des bœufs ; il ne mange ni ne laisse les bœufs manger. »
(logion 102 ; trad. C. Gianotto)
D’où vient Jésus ? Le plus ancien évangile, Marc, le fait entrer en scène
dans la force de l’âge, à l’occasion du baptême au Jourdain par Jean le
Baptiseur (Mc 1,9-11). Matthieu et Luc, en revanche, sont plus bavards : ils
présentent chacun un Évangile de l’enfance, dont le cœur est la naissance
merveilleuse de Jésus (Mt 1–2 ; Lc 1–2). Ces récits d’enfance sont récents,
tant chez Matthieu que chez Luc : ils ne portent pas la marque d’une longue
transmission antérieure ; de plus, aucune allusion à ces récits ou à la
naissance virginale n’est perceptible dans le reste de l’Évangile. Chaque
évangéliste les a recueillis de la tradition qui circulait encore oralement de
son temps. Preuve en est que d’une part, leur mise par écrit arbore des traits
propres à chacun, mais que d’autre part, ils mettent en scène un drame
qu’aucun évangéliste ne se serait permis d’inventer de toutes pièces.
L’intérêt pour l’origine de Jésus s’est manifesté tardivement chez les
premiers chrétiens. Chez Marc, il s’est concentré sur son activité publique.
Vingt ans après, il fallait répondre à la question : d’où vient-il ? En général,
les biographes de l’Antiquité s’intéressaient peu aux premières années de
leur héros, sauf à raconter une naissance merveilleuse à la hauteur du
personnage. Il n’était pas rare qu’on accorde à un personnage illustre un
29
père humain et un père divin . Les récits d’engendrement divin fleurissent
dans la littérature ancienne, qu’il s’agisse des pharaons égyptiens,
d’Alexandre le Grand, du philosophe Platon, de l’empereur Auguste, de
30
l’ancêtre Melchisédek ou de Moïse . Les dire divinement engendrés n’était
pas ouvrir un chapitre de gynécologie, mais se prononcer sur leurs
éminentes qualités.
Des contes savants
Chez Matthieu, l’Évangile de l’enfance est imbibé d’histoire juive. Il
s’ouvre par la généalogie de Jésus, qui le fait remonter à Abraham ;
l’annonce de l’engendrement par l’Esprit saint parvient à Joseph, pour
l’exhorter à ne pas répudier Marie sa fiancée (Mt 1,18-25). La visite des
mages d’Orient déclenche la fuite en Égypte, afin de préserver l’enfant de la
fureur d’Hérode. Ce qui est raconté là est un exode à rebours : Hérode le roi
des juifs fait tuer les nouveau-nés de Bethléem comme Pharaon avait
exterminé les enfants mâles d’Israël (Ex 1), et l’Égypte, qui était le lieu de
la servitude des Hébreux, devient pour la petite famille le pays du refuge.
Tragique retournement de l’histoire, où la protection divine suit des voies
imprévisibles ! Dans ce conte théologique aux couleurs sombres, la
naissance de Jésus présage le drame du refus qui lui sera opposé.
Si l’histoire de Matthieu est dominée par les hommes, Luc met en scène
les femmes. Zacharie le prêtre reçoit l’annonce angélique qu’Élisabeth sa
femme, pourtant vieille et stérile, est enceinte ; Marie à son tour reçoit la
divine nouvelle qu’elle enfantera un fils qu’elle appellera Jésus, alors
qu’elle « ne connaît pas d’homme » (Lc 1,34). Luc suit son programme
théologique en entrelaçant les figures de Jean le Baptiseur et de Jésus :
annonce de la naissance de Jean (Lc 1,5-25), puis de Jésus (1,26-38) – visite
de Marie à Élisabeth (1,39-56) ; naissance de Jean (1,57-80), puis de Jésus
(2,1-21). Il fallait montrer que la naissance de Jésus s’inscrit dans la
continuité de l’histoire d’Israël. Luc brosse avec minutie le portrait d’une
famille israélite pieuse, où Marie loue Dieu dans son beau Magnificat aux
résonances psalmistes (1,46-55), et où les parents font circoncire l’enfant et
le présentent dans le cadre grandiose du Temple de Jérusalem (2,21-38).
Les témoins de la Nativité ne sont pas les mages, mais les bergers,
préfiguration du petit peuple auquel Jésus se vouera.
Ces deux histoires de naissance, bien différentes, sont moins des
émanations de la foi populaire que de savantes compositions théologiques.
Elles se rejoignent sur le lieu de naissance (Bethléem) et sur la paternité
divine du bébé : « Ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit saint »,
révèle l’ange à Joseph (Mt 1,20) ; « L’Esprit saint viendra sur toi et la
puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre », est-il annoncé à Marie
(Lc 1,35).
Est-ce le dernier mot ? Non.
Un enfant illégitime ?
Un texte nettement plus ancien que les Évangiles de l’enfance fait dire
aux habitants de Nazareth : « N’est-ce pas le charpentier, le fils de
Marie ? » (Mc 6,3). Identifier un enfant par la mère est incongru dans la
culture juive de l’époque. Pourquoi ne pas rattacher Jésus à son père ? C’est
manifestement ce qu’a pensé Luc, corrigeant ce qui lui semblait
inconvenant : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » (Lc 4,22). Mais il s’agit
là d’une recomposition. Jane Schaberg, une théologienne américaine, en a
déduit que Jésus était en réalité un enfant illégitime ; Matthieu et Luc
auraient travesti en conception surnaturelle ce qui était la suite d’un viol ou
d’une union hors mariage 31.
Aussi surprenante qu’elle paraisse, cette hypothèse n’est pas nouvelle.
Origène cite les propos de Celse, un philosophe païen, dont le Discours vrai
(écrit vers 178) a disparu. Celse dit avoir appris d’un juif l’histoire de la
naissance illégitime de Jésus : Marie aurait été chassée par son mari
charpentier parce qu’elle avait commis l’adultère avec un soldat romain
appelé Panthera (Contre Celse, 1, 32). Vingt ans plus tard, Tertullien, un
Père de l’Église africain, rapporte la rumeur juive traitant Jésus de
quaestuariae filius, « fils de prostituée » (Des spectacles, 30, 6).
La thèse de l’enfant illégitime est largement répercutée dans les Toledot
Yeshu : Marie aurait été violée par Ben Panthera, ou alors elle aurait eu une
relation cachée avec lui 32. Au fil des versions, le nom de l’amant/violeur de
Marie varie : Panthera ou Pendera, Panther, Pandera, Pantiri… On a
supposé que Pantheros pouvait être un anagramme du grec parthenos, qui
veut dire « vierge ». Il s’agirait alors d’un artifice créé par les rabbins pour
railler la virginité de Marie 33. Mais cette idée ne s’impose pas : Panthera est
un nom commun, fréquent dans l’armée romaine.
Voltaire, dans sa Lettre sur les juifs (1755), considérait les Toledot Yeshu
comme un écrit plus ancien que les évangiles et rapportant la version
authentique de la naissance de Jésus 34. Il se trompe. Ce recueil de traditions
populaires juives date du Moyen Âge, au plus tôt du IXe siècle, même si les
traditions qu’il exploite peuvent remonter au IIe siècle. Elles sont en tous cas
postérieures aux Évangiles chrétiens de l’enfance, dont elles présentent une
sorte de parodie. La théorie qui se déploie dans ce pamphlet, ce contre-
Évangile pourrait-on dire, émane de la polémique juive contre la foi
chrétienne en la naissance virginale : celle-ci ne serait qu’une imposture
visant à camoufler une sordide affaire de mœurs.
La version des Toledot Yeshu est assurément tardive, mais elle peut se
fonder sur des rumeurs bien plus anciennes. Preuve en est une tradition
rapportée par le Talmud de Babylone en deux versions quasi identiques
(bShabbat 104b ; bSanhedrin 47a 35). Un rabbi du IVe siècle y cite une parole
d’un sage du début du IIe siècle, Pappos ben Jehuda, selon laquelle Marie
s’est montrée infidèle à son mari et a conçu un fils avec son amant, Ben
Panthera. Marie était sota, c’est-à-dire adultère. Or, le seul fait que la
femme soit soupçonnée d’avoir un amant rendait suspect le statut juridique
de son enfant. Cette tradition rejoint celle invoquée par Celse, à ceci près
que Celse ajoute à l’adultère l’origine païenne du père de Jésus. Peter
Schäfer en conclut que les deux versions, celle du Talmud datant du
e e
IV siècle et celle de Celse du II siècle, se fondent sur une même tradition. Il
Hérode en effet avait tué [Jean] bien qu’il ait été un homme de bien, qui
exhortait les juifs à se comporter avec vertu et justice entre eux et à être
pieux à l’égard de Dieu, pour venir recevoir le baptême. Car c’est ainsi que
le baptême lui paraissait agréable à Dieu : s’il ne servait pas à se faire
pardonner les péchés mais à purifier le corps, après que l’âme eut été
purifiée auparavant par la justice. Comme les autres [juifs] étaient
nombreux à se rassembler autour de lui et à s’exalter à l’écoute de ses
paroles, Hérode avait craint qu’une influence trop puissante n’incite à une
émeute. (Antiquités juives, 18, 117-118)
Les foules demandaient à Jean : « Que nous faut-il donc faire ? » Il leur
répondait : « Si quelqu’un a deux tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en
a pas ; si quelqu’un a de quoi manger, qu’il fasse de même. » Des
collecteurs de taxes aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent : « Maître,
que nous faut-il faire ? » Il leur dit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous
a été fixé. » Des militaires lui demandaient : « Et nous, que nous faut-il
faire ? » Il leur dit : « Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-
vous de votre solde. » (Lc 3,10-14)
Partager ses biens avec les pauvres et lutter contre la corruption des
fonctionnaires : les recettes de Jean sont simples, mais impératives. On
remarquera en passant que l’inventaire des interlocuteurs confirme la
notoriété du prophète baptiseur, déjà relevée par l’historien juif. Collecteurs
de taxes, militaires : on retrouvera ces personnages, détestés par l’opinion
publique pour leur collusion avec l’occupant romain, dans la proximité de
Jésus.
De la mort tragique de Jean, nous possédons deux récits qui se
complètent : l’évangile de Marc (6,17-29) et Flavius Josèphe (Antiquités
juives, 18, 118-119). La dramatique du récit de Marc est gravée dans les
mémoires : ensorcelé par le charme de la fille d’Hérodiade qui danse pour
son anniversaire, Hérode Antipas promet de lui offrir ce qu’elle désire… et
doit s’exécuter lorsque celle-ci, conseillée par sa mère, lui demande la tête
de Jean le Baptiseur sur un plat. Cette version est un peu romancée 62. Un
recoupement avec les données de l’historien juif dévoile le volet politique
de l’affaire : les critiques proférées par Jean contre le remariage d’Hérode,
qui avait répudié sa première femme pour épouser la femme de son demi-
frère, Hérodiade, n’ont pas seulement exaspéré celle-ci ; elles ont inquiété
Antipas, qui se trouvait en conflit avec le royaume nabatéen voisin, dont
était issue sa première femme. La critique de l’illégitimité de son mariage
se greffait donc sur une guerre de frontières, et mettait en péril la réputation
du tétrarque auprès de son opinion publique.
Redoutant que son succès populaire ne dégénère en soulèvement,
Antipas a fait exécuter Jean dans la forteresse de Machéronte, à l’est de la
mer Morte, où il l’avait incarcéré. Flavius Josèphe note que l’opinion ne lui
a pas pardonné ce forfait, considérant la défaite de l’armée d’Hérode contre
les Nabatéens comme la sanction infligée par Dieu pour avoir fait mourir le
prophète du désert. Jean a payé de sa vie son intrusion téméraire dans les
affaires publiques.
« Celui qui vient après moi est plus fort
que moi »
La particularité de Jean est de se disqualifier lui-même en annonçant la
venue, après lui, d’un « plus fort que moi, et je ne suis pas digne, en me
courbant, de délier la lanière de ses sandales » (Mc 1,7). L’image est
cinglante : délacer les sandales était une corvée réservée aux esclaves non
juifs, et dont le disciple n’était pas redevable à l’égard de son maître 63. À
qui s’adresse ce sentiment de radicale indignité ? Pour les lecteurs
chrétiens, il s’applique sans nul doute à Jésus, mais pour le Baptiseur ? Il
est attendu de ce « plus fort » qu’il procède au Jugement dernier, en
rassemblant les élus et en exterminant les méchants (Mt 3,12). Jésus ne
répond pas à la définition.
À qui songeait Jean ? On a pensé à Dieu, puisque « le fort » est une
désignation de Dieu dans l’Ancien Testament et que le Jugement dernier lui
est couramment réservé. Mais l’anthropomorphisme de la métaphore se
prête mal à une désignation divine (des sandales pour Dieu ?). Il doit s’agir
plutôt d’une des innombrables figures célestes peuplant l’imaginaire
eschatologique d’Israël au Ier siècle : Messie, Fils de l’homme, fils de
David, nouvel Élie, nouveau Moïse, Melchisédek, etc. La question des
envoyés de Jean à Jésus : « Es-tu Celui qui doit venir ou devons-nous en
attendre un autre ? » (Mt 11,3) signale que le prophète attendait un
médiateur du divin plutôt que Dieu lui-même. Mais, rappelle Gerd
Theissen, ne durcissons pas l’alternative : c’est toujours l’intervention de
Dieu qu’Israël envisage au travers des figures supra-angéliques du futur 64.
Le plus intéressant est de noter que ce personnage demeure flou,
énigmatique, en tout cas dans le message du Baptiseur tel qu’il a été
préservé par les sources chrétiennes. Ou bien les sources n’ont pas retenu
plus de détails de sa vision eschatologique, ou bien – ce que je suis tenté de
croire – Jean laissait dans l’incertitude l’identité du médiateur céleste, parce
qu’il l’ignorait. Sa question à Jésus, que je viens de rappeler, va dans ce
sens.
L’une de ses activités retient d’ailleurs l’attention : « Moi, c’est d’eau
que je vous baptise […] Lui vous baptisera dans l’Esprit saint et le feu » (Lc
3,16). Marc écrit seulement : « Lui vous baptisera dans l’Esprit saint » (Mc
1,8). A-t-on préservé les dires du Baptiseur, ou la relecture chrétienne
infiltre-t-elle ici une référence au baptême chrétien pour suggérer qu’il
surpasse le baptême de Jean ? La mention du feu s’inscrit dans le message
eschatologique du Baptiseur ; elle est une métaphore biblique courante du
Jugement dernier. On ne peut imaginer qu’elle soit un ajout chrétien,
puisqu’elle brouille l’identification du « plus fort » avec le Christ. La
relecture chrétienne focalisée sur le baptême dans l’Esprit saint est aussi
apparente dans les Actes des apôtres (1,5 et 11,16), où le feu a disparu. La
version de Marc et des Actes est donc tardive.
Que Jean ait distingué son baptême d’eau du baptême eschatologique
par le feu purificateur est conforme à l’ensemble de son message. A-t-il dit
plus ? Espérait-il la venue de l’Esprit saint aux derniers jours, comme le
prophète Joël l’attendait (Jl 3,1-5) ? Si c’est le cas, son attente fut une
aubaine pour les chrétiens, qui ont vu là une prédiction de la venue de
l’Esprit à la Pentecôte (Ac 2 65). Jean envisageait pour l’avenir proche une
action en force, incluant pour les impies le feu destructeur, pour les justes
l’octroi de l’esprit de sainteté 66. L’avenir que le Baptiseur attendait
impatiemment évoquait l’accès des baptisés au salut, mais tout le poids de
sa prédication reposait sur l’extermination des pécheurs par le feu.
Jésus et Jean
Peut-on en savoir plus sur la relation entre les deux hommes ? Comment
Jean a-t-il considéré Jésus, et comment Jésus a-t-il considéré Jean ? Deux
textes, souvent taxés (mais à tort) de compositions chrétiennes, lèvent le
voile.
Nous avons déjà mentionné le premier : la démarche des envoyés du
Baptiseur, lorsque celui-ci, enfermé par Antipas dans la forteresse de
Machéronte, les délègue vers Jésus avec cette question : « Es-tu Celui qui
doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11,3). La réponse de
Jésus surprend, car elle déplace la question. Il ne répond nullement « c’est
moi », mais énumère une série d’événements étonnants : « Les aveugles
retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et
les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est
annoncée aux pauvres » (Mt 11,5). Les miracles cités par Jésus sont la
signature du salut eschatologique tel que le décrit le livre d’Esaïe 67 : voilà
les bienfaits attendus pour la restauration de la création lors de la venue
finale de Dieu. Un texte de Qumrân relie ces mêmes miracles à la venue du
Messie : « Alors il guérira les blessés et fera vivre les morts, il annoncera
une bonne nouvelle aux pauvres et rassasiera les humbles, il conduira les
égarés et enrichira les affamés » (4Q 521, frag. 2). Ce texte essénien
témoigne d’une attente messianique du salut en Israël au Ier siècle, attente
sur laquelle se greffe Jésus.
Sa réponse opère deux déplacements significatifs face à la question du
Baptiseur.
D’une part, elle se dégage de sa personne pour cibler ce qui se passe
autour de lui, que la prophétie esaïenne permet d’interpréter comme l’œuvre
de Dieu et de son Messie. D’autre part, elle se dégage du Messie destructeur
attendu par Jean pour focaliser sur les miracles bienfaisants de Dieu. Jésus
accepte donc la question de son maître spirituel, mais se dérobe face à la
question identitaire ; il reconfigure l’avenir espéré en n’entérinant pas
l’attente d’un avenir ténébreux, mais en dépeignant un horizon où
prédomine le bien-être humain. Il insiste donc sur le point où son message
s’écarte de celui de son maître spirituel. L’évangile ne livre aucune réaction
du Baptiseur à la réponse de Jésus ; on peut y voir un indice que ce morceau
n’est pas une création d’après coup. La christianisation du personnage, telle
qu’elle se déploie dans le quatrième évangile, prêtera à Jean une
conviction : Jésus est salué comme « l’agneau de Dieu » (Jn 1,29-30).
Le second texte où Jésus établit un lien entre Jean et lui est une
amusante parabole : les enfants joueurs.
À qui donc vais-je comparer les hommes de cette génération ? À qui sont-
ils comparables ? Ils sont comparables à des enfants assis sur la place et qui
s’interpellent les uns les autres en disant : « Nous vous avons joué de la
flûte, et vous n’avez pas dansé ; nous avons entonné un chant funèbre, et
vous n’avez pas pleuré. » En effet, Jean le Baptiseur est venu, il ne mange
pas de pain, il ne boit pas de vin, et vous dites : « Il a perdu la tête. » Le Fils
de l’homme est venu, il mange, il boit, et vous dites : « Voilà un glouton et
un ivrogne, un ami des collecteurs de taxes et des pécheurs. » Mais la
Sagesse a été reconnue juste par tous ses enfants. (Luc 7,31-35)
LA VIE DU NAZARÉEN
CHAPITRE 4
Le guérisseur
BÉELZÉBOUL : LE SOUPÇON
Voyant leurs réactions, il leur dit : « Tout royaume divisé contre lui-même
court à la ruine ; aucune ville, aucune famille, divisée contre elle-même, ne
se maintiendra. Si donc Satan expulse Satan, il est divisé contre lui-même :
comment alors son royaume se maintiendra-t-il ? Et si c’est par Béelzéboul
que moi, je chasse les démons, vos disciples, par qui les chassent-ils ? Ils
seront donc eux-mêmes vos juges. Mais si c’est par l’Esprit de Dieu que je
chasse les démons, alors le Règne de Dieu vient de vous atteindre. Ou
encore, comment quelqu’un pourrait-il entrer dans la maison de l’homme
fort et s’emparer de ses biens, s’il n’a d’abord ligoté l’homme fort ? Alors il
pillera sa maison. » (Mt 12,25-29)
Que répond Jésus ? D’abord, il recourt à l’ironie : comment peut-on
lutter contre le mal au nom du mal ? Lui reprocher de s’appuyer sur Satan
pour combattre le même Satan est absurde. Si l’exorcisme est efficace, c’est
qu’il vient de Dieu. Puis vient cette affirmation déterminante : « Mais si
c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, alors le Règne de Dieu
vient de vous atteindre. » Les chercheurs sont unanimes à détecter ici une
parole du Nazaréen, mais pas sous la forme où l’a retenue Matthieu. Car cet
évangéliste, contrairement à son habitude, en a modifié la teneur. Luc a
préservé un libellé plus ancien : « Mais si c’est par le doigt de Dieu que je
chasse les démons, alors le Règne de Dieu vient de vous atteindre » (Lc
11,20).
La curieuse formule « par le doigt de Dieu » est tout à fait intéressante.
Elle apparaît rarement dans la Bible hébraïque 92, mais on la lit en Exode
8,15, dans un contexte qui coïncide avec le débat ouvert sur les exorcismes
de Jésus. Nous sommes en Égypte. Aaron défie Pharaon par des signes
miraculeux (les fameuses « plaies »), pour qu’il autorise les Israélites à
quitter le pays. La troisième plaie consiste en une invasion de moustiques
sur les hommes et sur les animaux. Les magiciens d’Égypte essaient eux
aussi de produire des moustiques, mais ils n’y parviennent pas. Ils
s’exclament alors, stupéfaits, devant le succès d’Aaron : « “C’est le doigt de
Dieu.” Mais (poursuit le texte) le cœur de Pharaon resta endurci. »
Le doigt désigne une intervention efficace. Dans leur réponse à
Pharaon, les magiciens s’inclinent devant un pouvoir divin qu’ils ne
peuvent égaler. Exode 8 ne parle pas explicitement de démons, mais la
tradition rabbinique l’interprète ainsi : « Dès que les magiciens réalisèrent
qu’ils n’étaient pas capables de produire des moustiques, ils reconnurent
que ces actes provenaient de Dieu et non de démons 93. » Le recours à cette
tournure exodiale donne toute sa résonance à la déclaration de Jésus. Elle
atteste que son pouvoir exorciste est d’origine divine et non démoniaque,
tout en assignant du même coup à ses adversaires le rôle du Pharaon
incrédule. Douter que le doigt de Dieu agisse au travers de Jésus, c’est
rejoindre l’endurcissement du Pharaon. Acquiescer à l’origine divine des
exorcismes, c’est se ranger non seulement du côté de Jésus, mais du côté de
Dieu.
La fin de la déclaration mérite attention : « […] alors le Règne de Dieu
vient de vous atteindre ». Le verbe présent ici, phtanô signifie « atteindre »,
« arriver », « être là ». Le Règne de Dieu n’est plus seulement en approche,
comme le disait le résumé de la prédication de Jésus (Mc 1,15) ; il est
arrivé, il a « fondu sur nous » (telle est la traduction littérale de la tournure).
L’affirmation est, disons-le, énorme : Jésus déclare que ses exorcismes
font du Règne attendu une réalité présente. Nous rejoignons ici, en positif,
ce que Luc 10,18 affirmait en négatif. Dire que Satan est déchu du Ciel,
qu’il a été dépouillé de son pouvoir, c’est reconnaître que Dieu a par
conséquent instauré son Règne. Le droit de Dieu règne désormais là où le
mal avait établi ses quartiers. Dieu est présent là où des hommes sont
délivrés des puissances qui les aliènent. Nous touchons ici le point sur
lequel Jésus s’est séparé du Baptiseur.
Le Nazaréen n’a pas seulement ajouté au message de Jean un volet
miraculeux ; la réussite de ses miracles l’a conduit à transformer le
message. Sa réussite en tant qu’exorciste lui a dévoilé en effet que le Règne
divin, dont Jean attendait la venue fracassante, surgissait maintenant déjà.
Le présent du Règne de Dieu n’est pas pour lui le résultat d’une
argumentation théologique, mais le fruit d’une révélation visionnaire, liée à
sa capacité de libérer des individus de leurs démons. Le « Règne déjà-là »
survient entre les mains du Jésus guérisseur. À ce titre, Jésus n’est pas un
théologien spéculatif comme pouvaient l’être les apocalypticiens avec leurs
fantasmagories futuristes ; il est un théologien pragmatique. Il découvre
Dieu à l’œuvre plutôt qu’il n’en spécule la possible venue.
Jésus thérapeute (les guérisons)
À côté des exorcismes figurent, en grand nombre, les guérisons. Fièvre,
paralysie, cécité, surdité, mutisme, lèpre : les thérapies de Jésus sont
multiples. Les Anciens, en Israël aussi, attribuaient à la maladie deux
origines possibles : la présence d’un démon ou une carence de l’énergie
vitale. Dans ce dernier cas, la thérapie consistait en un transfert d’énergie du
thérapeute au malade. Un récit en a gardé la trace : la guérison de la femme
au flux de sang continu (Mc 5,25-34). Au moment même où elle touche
Jésus, elle ressent en son corps que sa perte de sang cesse, et Jésus perçoit
intérieurement qu’une force est sortie de lui.
L’évangile de Marc a préservé, plus que tout autre, la mémoire des
gestes thérapeutiques du Nazaréen : le toucher, l’usage de la salive. À un
sourd-muet, Jésus met les doigts dans ses oreilles, crache et lui touche la
langue (7,33). À un aveugle, il met de la salive sur ses yeux et lui impose
les mains (8,23). La vertu curative de la salive était connue des Anciens 94.
Mais alors, qu’est-ce qui différenciait Jésus des guérisseurs de son
temps ?
Leurs modus operandi paraissent identiques, vu que ces derniers aussi
pratiquaient le toucher thérapeutique et usaient de la salive. Ces
rapprochements ont conduit à se demander si le Nazaréen n’était pas
simplement un pratiquant de magie, dont les premiers chrétiens auraient,
par leurs récits, embelli et magnifié les actes thérapeutiques 95. Il est
indéniable que, vus de l’extérieur, les actes thérapeutiques de Jésus devaient
à peine se distinguer de la médecine populaire. Ils ont d’ailleurs été taxés
d’œuvre de Béelzéboul, comme on l’a vu, ce qui revient à porter une
accusation de magie noire. Cependant, une lecture attentive des textes fait
apparaître de nettes différences.
À la différence des magiciens, Jésus ne mobilise jamais son pouvoir de
manière néfaste ou en vue de nuire. La fameuse « malédiction du figuier »,
que l’on brandit parfois comme contre-exemple, n’est qu’un geste
symbolique à teneur prophétique pour annoncer l’inutilité à venir du
Temple (Mc 11,12-14.20). Ensuite, Jésus ne se fait jamais rétribuer pour ses
guérisons. Il ne recourt à aucune formule incantatoire. Il ne fait pas
exhibition de ses charmes magiques. Il ne prétend pas faire pression sur la
divinité pour obtenir ce qu’il veut. Ces caractéristiques, typiques de la
magie ancienne, font totalement défaut dans les évangiles. Même si le
Talmud et le philosophe Celse au IIe siècle prétendent qu’il s’est mis à
l’école des magiciens lors de son séjour en Égypte avec Marie et Joseph 96,
les évangiles ne lui prêtent ni formation secrète ni usage de formules
mystérieuses.
En revanche, deux traits singularisent la pratique thérapeutique du
Nazaréen.
En premier lieu, comme nous l’avons constaté à propos des exorcismes,
les guérisons de Jésus inscrivent au corps de l’homme l’irruption du Règne
de Dieu. Sa réponse aux envoyés du Baptiseur associe les guérisons à
l’émergence du Règne : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et
voyez : les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les
lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la
Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ; heureux celui qui ne tombera
pas à cause de moi ! » (Mt 11,4-6). Ces signes eschatologiques, annoncés
par les prophéties d’Esaïe 97, surgissent dans le présent entre les mains du
guérisseur Jésus. Pas un rabbi thaumaturge en Israël n’a eu cette ambition
de faire intervenir le Règne divin par son activité guérissante. Pour Jésus,
chaque miracle est une activation du Règne de Dieu dans le monde 98.
En second lieu, on lit à plusieurs reprises dans les récits de guérison une
affirmation que l’on ne trouve nulle part ailleurs chez les guérisseurs
anciens : « Ta foi t’a sauvé » (Mc 5,34 ; 10,52) ou « Qu’il advienne selon ta
foi » (Mt 8,13 ; 9,29 ; voir Mc 7,29). Lier si fortement l’efficacité
thérapeutique à la foi de la personne est inouï. Jésus accorde à l’individu un
rôle si déterminant dans sa guérison que l’on peut parler d’une synergie
entre le thaumaturge et le malade. La personne guérie se voit ainsi restituer,
par la parole du guérisseur, sa part décisive dans le miracle. La conviction
qui émerge ici se dépose dans plusieurs paroles de Jésus sur la foi. Au père
de l’enfant épileptique qui le supplie de venir à son secours, Jésus répond :
« Tout est possible à celui qui croit » (Mc 9,23). Le sens du datif (« à celui
qui croit ») demande à être respecté : il n’est pas dit que celui qui croit peut
tout faire, mais que Dieu rend tout possible en faveur de celui qui croit. La
même conviction a été formulée dans les termes de la foi qui déplace les
montagnes : « Ayez foi en Dieu […] Tout ce que vous demandez en priant,
croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé » (Mc 11,22.24).
Si l’on relie ces deux originalités des guérisons de Jésus (la dimension
du Règne et la part du malade), on se rend compte que les deux partenaires,
Jésus et le malade, participent ensemble à la foi en la puissance guérissante
de Dieu. Comme le dit si bien Annette Merz, « les miracles de Jésus sont le
résultat de la croyance partagée en un monde meilleur qui est en train de
naître en puissance, et la réalisation partielle de ce monde meilleur 99 ». Tout
comme chaque exorcisme élargit la souveraineté de Dieu dans un monde
soumis à Satan, chaque guérison rétablit la personne dans son juste rapport
à Dieu. La maladie était en effet considérée en Israël comme l’une des
concrétisations du péché dans le monde. Dans cette création défigurée par
la souffrance, le miracle vient installer comme un îlot de salut.
La formule « Ta foi t’a sauvé » doit être entendue dans son sens
plénier : ta confiance en Dieu a guéri ton corps, mais elle t’a réintroduit
aussi dans ce bien-être avec Dieu qu’on appelle le salut.
Les revivifications de morts
Les trois récits de revivifications de morts (un fils unique à Naïn, la fille
de Jaïros et Lazare) sont plus troublants. On les lit en Luc 7,11-17, Marc
5,21-24.35-43 et Jean 11,1-44. Pourquoi l’appellation « résurrection de
morts » est-elle trompeuse ? La résurrection n’est pas le prolongement
temporaire de la vie, mais l’introduction par Dieu dans une vie autre,
associée au monde céleste. Les trois personnes citées n’ont pas vécu cela,
mais une prolongation inattendue de leur existence dans le monde. Il s’agit
donc d’un supplément de vie, qui ne les prémunit nullement de mourir plus
tard. Leur trépas n’est que différé.
Une première observation s’impose : ces trois récits ne diffèrent en rien,
du point de vue de leur composition littéraire, des récits de guérison ; le seul
changement est la mention du décès préalable de la personne. Cette
similitude incline à penser que dans la conception des évangélistes, ils ne
constituent pas un genre à part, mais un cas particulier des thérapies de
Jésus.
Un deuxième constat vient renforcer cette idée : dans la seconde
étiologie que j’ai mentionnée, la maladie est considérée comme une carence
de l’énergie vitale ; en ce sens, l’état de mort représente un niveau d’énergie
zéro.
Troisième constat : à l’époque, la science médicale était indigente ; faire
la différence entre un coma, une absence des signes habituels de vie ou un
état de mort clinique dépassait nettement les possibilités de diagnostic.
Philostrate, dans son récit consacré au guérisseur hellénistique Apollonios
de Tyane (Ier siècle), relate la revivification d’une jeune fille réputée morte
lors de son mariage. Et il commente : « Découvrit-il en elle quelque
étincelle de vie qui avait échappé à ceux qui lui rendaient les derniers
devoirs […], ralluma-t-il et restaura-t-il la vie qui était éteinte, il est
impossible d’en décider » (Vie d’Apollonios, 4, 45). Ces trois observations
font comprendre que la réanimation d’un mourant ou d’un « mort » a pu
être considérée comme l’apogée, le cas ultime d’une guérison.
Notre hésitation aujourd’hui devant ce type d’intervention de Jésus est
analogue à celle de Philostrate. Il est avéré que des histoires de
revivifications de morts circulaient dans la littérature ancienne, tant du côté
gréco-romain (Diogène Laërce, Apulée, Philostrate) que du côté juif (Élie et
Élisée 100). Les premiers chrétiens ont-ils pensé que leur Seigneur ne pouvait
pas faire moins qu’Élie et Élisée ? Les rapprochements sont frappants, en
effet : le miracle de Naïn fait revivre le fils d’une veuve comme Élie l’a fait
à Sarepta (1 R 17,17-24) ; Jaïros se lamente sur sa fille comme la femme
shounamite sur son fils auprès d’Élisée (2 R 4,18-37). L’hypothèse que ces
récits ne disposent d’aucune base historique manque toutefois de solidité ;
ils fourmillent de détails (le lieu, les parents, les gestes de Jésus, ses
paroles) qui rendent peu vraisemblable une pure fiction. Dans le cas de la
fille de Jaïros en Marc 5, le nom du père, son dialogue avec Jésus, la
mention des douze ans, la parole araméenne de Jésus talitha qoum (« lève-
toi ») sont autant de précisions qui s’accordent mal avec l’idée d’une
invention chrétienne.
Le noyau historique de ces événements nous échappe, mais ils sont
ancrés dans la vie du Nazaréen. Il est certain qu’après Pâques, ces cas de
guérisons ultimes ont été compris à la lumière de la résurrection. Ils ont dû
néanmoins, déjà du temps de Jésus, frapper les esprits ; on n’imagine pas
qu’ils aient été gardés en mémoire si ce n’était pas le cas.
On retiendra toutefois que la lecture que font les évangélistes de ces
trois événements ne pointe pas sur leur aspect extrême, mais sur le fait que
des personnes apparemment perdues pour leurs proches leur sont
restituées : à Naïn un fils est rendu à sa mère veuve (Lc 7,15), la famille de
Jaïros réalimente la fillette (Mc 5,43), Lazare retrouve ses deux sœurs
Marthe et Marie (Jn 12,2-3). Plus qu’un corps ramené à la vie, ce sont des
relations d’amour qui sont reconstruites.
Les prodiges naturels
Cette quatrième catégorie de miracles regroupe des prodiges naturels :
Jésus qui apaise une tempête et qui marche sur les eaux (récits de
sauvetage), Jésus qui multiplie les pains, Jésus qui permet une pêche
abondante et change l’eau en vin (miracles de générosité). Ces récits ont en
commun deux caractéristiques : d’une part, ils prêtent au Nazaréen un
pouvoir de transformation non seulement des êtres humains, mais aussi des
éléments naturels ; d’autre part, ils recourent à des thèmes répandus dans
tout le monde religieux ancien. La part de fantastique qu’ils contiennent a
de tout temps excité l’imagination populaire, et il y a gros à parier que cette
même ferveur populaire a participé à leur élaboration au sein des premières
communautés chrétiennes. Le merveilleux n’a pas d’âge.
Ainsi le pouvoir d’apaiser la tempête (Mc 4,35-41) est fréquemment
évoqué. On dit des mages perses qu’ils sauvèrent la flotte de Xerxès en
calmant les vents, d’Orphée qu’il apaise les flots par son chant, de la déesse
égyptienne Isis qu’elle est maîtresse des flots, du philosophe Pythagore
qu’il a sauvé ses disciples en mer, du philosophe Empédocle que le surnom
de « calmeur des vents » lui convient, et d’autres encore 101. Le Dieu d’Israël
aussi est célébré comme le maître des eaux (Ps 89,8-9 ; 107,23-30). Dans
les récits juifs de tempête apaisée, l’auteur du miracle est toujours Dieu 102.
Marcher sur les eaux (Mc 6,45-52) est considéré par excellence comme la
performance impossible à un humain, mais accessible à un être divin ; les
Grecs l’attribuent à leurs héros (Xerxès, Alexandre le Grand), les Romains
à leurs empereurs (Caligula), les juifs à leurs rois (Antiochus IV 103).
La multiplication des pains (Mc 6,30-44 ; 8,1-10) éveille le souvenir
d’actes semblables entre les mains d’Élie (1 R 17,7-16) et d’Élisée (2 R 4,1-
7 ; 4,42-44). On attribue le pouvoir de multiplier la nourriture aux
magiciens égyptiens, au guérisseur juif Hanina ben Dosa et au roi romain
Numa 104. L’histoire du filet jeté et qui ramène une pêche abondante
appartient à la même veine (Lc 5,1-11). Quant au miracle de l’eau changée
en vin à Cana (Jn 2,1-11), il fait résonner un thème qui alimente autant
l’espérance juive du festin eschatologique que le culte grec de Dionysos.
Visiblement, les premiers chrétiens ont habillé leur Seigneur des
capacités prodigieuses que la culture de leur temps attribuait aux êtres
d’exception. Le cas de la pêche abondante est symptomatique : alors que
l’évangéliste Jean la situe à Pâques et l’attribue au Ressuscité (Jn 21,3-6),
Luc anticipe en la plaçant au moment de la vocation de Pierre. Il en va de
même pour les autres prodiges naturels : ils prêtent au charpentier de
Nazareth les traits du Christ de Pâques. On peut parler, à ce propos, d’une
rétroprojection pascale dans la biographie du Nazaréen.
Que reste-t-il alors de ces récits, une fois décapés de leur vernis pascal ?
Il reste des moments de la vie de Jésus avec ses disciples. Les
sauvetages en mer renvoient aux nombreuses traversées du lac de Tibériade
par Jésus et son groupe. La multiplication des pains fait écho aux repas de
Jésus et à leur généreuse offre de convivialité. Cana évoque la réponse de
Jésus aux reproches qui lui sont faits de ne pas jeûner avec ses disciples :
« Tant qu’ils ont l’époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner » (Mc 2,19).
Ces moments furent l’occasion pour les disciples d’expériences
mémorables ; leur forte charge symbolique les prêtait à être
métamorphosés, après Pâques, en prodiges.
Pourquoi avoir choisi ces souvenirs plutôt que d’autres, comme l’ont
fait les disciples de Rabbi Éliézer (vers 90), à qui l’on doit le récit de ce
prodige attribué à leur maître : pour prouver la justesse de son interprétation
d’un point de la Torah, Éliézer a ordonné à un caroubier de se détacher de la
terre avec ses racines et de se replanter plus loin (Baba Metsia 59b). La
raison me paraît être celle-ci : les disciples de Jésus n’ont pas retenu de leur
maître des miracles autojustifiants ; ils ont choisi ces prodiges-là parce
qu’ils émanaient du Jésus guérisseur. Au travers d’événements qu’il nous
est impossible de reconstituer dans le détail, ils ont fait l’expérience d’un
Jésus qui les guérissait de leurs peurs, de leur précarité, de leur sentiment
d’échec. Le récit est à la hauteur de leur expérience intense de libération.
Le récit de miracle, une protestation
contre le mal
Il se vérifie, au terme de notre analyse, que les miracles attribués à Jésus
doivent être évalués en fonction de la catégorie à laquelle ils appartiennent.
Exorcismes et guérisons rattachent Jésus à la pratique thérapeutique de son
temps, avec d’indéniables originalités : ils concrétisent dans le présent la
visibilité du Règne de Dieu et valorisent la foi de la personne dans le
processus de guérison (« Va, ta foi t’a sauvé »). Revivifier les morts est un
phénomène ultime de guérison. Quant aux prodiges naturels, ils magnifient
un événement de libération vécu avec le Nazaréen et l’habillent de traits
merveilleux.
Pourquoi a-t-on continué de raconter, et avec profusion, les miracles de
Jésus ? Parce qu’ils émettent une protestation contre les ravages du mal qui
défigurent l’humanité. Parce qu’ils proclament que la souffrance n’est pas
une fatalité, encore moins une sanction divine. Parce que le lien établi avec
le Règne de Dieu fait comprendre que la transformation du corps symbolise
une transformation du monde, où Dieu est reconnu dans sa volonté bonne
envers les humains.
Un récit apocryphe, les Actes de Pierre et des douze apôtres, met en
scène le Christ ressuscité sous l’apparence d’un médecin appelant les
apôtres à soigner eux aussi ; lorsque ceux-ci rétorquent qu’ils n’ont pas
appris l’art médical, Jésus répond que soigner les corps permet de soigner
aussi les âmes (11,6-26). Jésus, docteur des âmes ? Ce qu’a bien perçu cet
écrit du IIIe siècle, c’est la spécificité de l’action thérapeutique de Jésus
comparée à la pratique médicale de son temps. La médecine grecque
hippocratique part des symptômes pour identifier l’organe malade ; parce
qu’elle recherche la cause du dysfonctionnement organique, on peut la
nommer « pathogénétique », ce qui revient à dire qu’elle est orientée sur
l’origine de la souffrance. L’action thérapeutique de Jésus n’est pas
pathogénétique, mais (j’ose le terme) « salutogénétique 105 » : elle ne
recherche pas l’origine de la maladie, mais installe le malade dans un état
de pardon, de compassion éprouvée, de bien-être avec Dieu – en un mot de
salut, que Jésus conceptualise sous le label « Règne de Dieu ». Cette
pratique thérapeutique articule le corporel et le spirituel dans une vision
proprement holistique de la personne humaine.
Au point où nous sommes arrivés, une énigme se fait jour : comment
Jésus peut-il à la fois annoncer un Règne de Dieu encore à venir et
proclamer qu’avec ses exorcismes et ses guérisons, ce Règne est déjà
présent ? Cette énigme est à creuser, elle fait l’objet du prochain chapitre.
CHAPITRE 5
Le poète du Royaume
Alors sur toute la création son Règne sera manifesté. Alors c’en sera fait du
diable et de la tristesse avec lui […] Car de son trône royal se lèvera le
Céleste, et il sortira de sa demeure sainte, enflammé de colère en faveur de
ses fils. Et la terre tremblera, jusqu’à ses extrémités elle sera ébranlée […]
Car il se lèvera, le Dieu très-haut, seul éternel ; et il apparaîtra pour châtier
les nations, et détruira toutes leurs idoles. Alors, Israël, heureux seras-tu !
111
(10,1-4.7-8 ; trad. E.-M. Laperrousaz )
Rien ne dit mieux la popularité de cette attente que les prières récitées
quotidiennement par les fidèles. Le Qaddish, une prière dont s’inspirera
Jésus dans la formulation du Notre Père, fait dire au croyant : « Qu’il
établisse son Règne de votre vivant, et de vos jours et du vivant de toute la
maison d’Israël, bientôt et dans un temps proche. » Les dixième et onzième
demandes des Shemoné Esreh (Dix-Huit Bénédictions), qui étaient la prière
du soir, disent cette ardente aspiration à la restauration de la grandeur
passée d’Israël :
On peut dire, pour faire court, que tout le monde en Israël attend, avec
un degré variable de fébrilité, la fin de ce monde et la venue du Dieu-Roi ou
de son représentant. C’est la raison pour laquelle la notion de Règne de
Dieu a été employée par Jésus sans qu’aucune introduction ou explication
préalable ne soit nécessaire. Les évocations de ce tournant de l’histoire
comprennent, sans qu’il soit possible d’en dresser un tableau coordonné, la
fin de Satan, l’extermination des impies, le pèlerinage des nations à
Jérusalem, le Jugement dernier, la résurrection des morts, le renouvellement
de la création. Parallèlement, une minorité d’activistes s’arme pour préparer
l’avènement de la théocratie divine ; ils formeront, dans les années 50, le
mouvement zélote. Pour leur part, ainsi qu’en témoigne leur Rouleau de la
guerre (1QM), les sectaires de Qumrân se préparent à la guerre sainte contre
les armées de Bélial, le prince du mal.
Néanmoins, à côté de cette représentation futuriste du Règne de Dieu,
l’idée d’une royauté présente subsiste. On en perçoit deux traces. D’une
part, les écrits rabbiniques, certes tardifs mais perpétuant la piété
pharisienne, parlent de prendre sur soi « le joug du Royaume des Cieux » ;
il s’agit de réciter quotidiennement le shema Israël (confession de foi) et de
pratiquer une obéissance scrupuleuse de la Torah. D’autre part, les
célébrations cultuelles sont l’occasion d’exalter la royauté de YHWH. Une
acclamation responsoriale fait dire aux fidèles : « Loué soit le nom glorieux
de ton Règne pour toujours et éternellement 112. » À Qumrân, les liturgies du
sabbat célèbrent la gloire du Très-Haut comme Créateur, Seigneur et Roi.
La communauté est persuadée de participer, par sa liturgie, au culte céleste
où les anges exaltent la souveraineté suprême de Dieu (4Q 400-405). Le
livre des Jubilés (IIe siècle av. J.-C.) présente le sabbat comme « le jour de la
Royauté sainte pour tout Israël » (50,9).
Le miroir du Royaume
Le judaïsme contemporain de Jésus connaît donc une juxtaposition du
Royaume futur et du Royaume présent, le premier étant espéré, le second
célébré par le culte et la fidélité de vie. Cette même structure temporelle
gouverne la pensée de Jésus. Mais à une différence près – capitale, à dire
vrai. La foi juive fait coexister, sans les relier, la perspective futuriste et la
célébration de la royauté éternelle. Comme le dit David Flusser, un savant
juif : « Parmi tous les juifs connus de l’Antiquité, seul Jésus a enseigné que
non seulement la fin des temps était proche, mais que le nouvel éon de salut
était déjà commencé 113. » La différence gît là, précisément. Jésus n’invite
pas, à côté de l’espérance futuriste, à prendre conscience de la
souveraineté immanente et éternelle de Dieu ; c’est le Règne attendu pour
la fin des temps qui, affirme-t-il, fait irruption dans le présent.
Pour lui, la séculaire attente d’Israël touche à sa fin. Ou, pour le dire
avec les mots de l’évangéliste Marc quand il résume le message de Jésus :
« Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché » (1,15). Le
temps des verbes, même si l’araméen nous échappe, est révélateur en grec :
èggiken, « s’est approché », est au parfait, un temps qui désigne un
événement passé mais dont les effets se déploient dans le présent. Le Règne
attendu depuis des siècles ne s’approche pas ; il s’est approché. Jésus
exhorte ses contemporains à réaliser que la royauté de Dieu est devenue
proche comme elle ne l’a jamais été ; la conséquence doit être tirée de toute
urgence : « convertissez-vous » à cette inattendue présence du Dieu-Roi
(Mc 1,15). On dira que si le Règne est présent, il l’est ponctuellement, là où
Jésus intervient ; dans l’avenir, Dieu l’établira à l’échelle universelle.
Comment est-ce possible ? Comment le Règne de demain peut-il être à
la porte ?
Jésus a dû s’en expliquer. Il l’a fait, non par une argumentation logique,
non par un discours rationnel, mais par des images, des mots-images. Ce
Royaume de Dieu, que Jésus n’avait pas besoin de définir parce que la
notion était connue de ses auditeurs, il en a illustré la manifestation par des
paraboles dont il a fait le miroir du Royaume. Les paraboles de l’évangile
sont, pour ainsi dire, le commentaire de ce que Jésus entend par « Règne de
Dieu ».
On peut rétorquer à cela que seules trois paraboles étaient initialement
pourvues de l’introduction « Le Règne de Dieu est comme… ». Il s’agit de
la parabole de la semence qui pousse toute seule (Mc 4,26-29), du grain de
moutarde (Mc 4,30-32) et du levain (Mt 13,33 ; Lc 13,20). L’évangéliste
Matthieu a multiplié la formule pour l’appliquer à d’autres paraboles 114.
Jésus l’a-t-il fait plus fréquemment ? Ce ne serait pas étonnant. À
l’évidence, il a utilisé le mode de la parabole pour parler de Dieu et de la
condition humaine devant Dieu. James Dunn n’a pas tort de dire que Jésus
« a usé des paraboles pour illustrer ou éclairer ce qu’il avait à l’esprit quand
il parlait du Royaume 115 ».
Nous allons examiner ce que reflètent ces « miroirs du Royaume ».
Malheureusement, un persistant malentendu obscurcit leur compréhension.
C’est pourquoi un petit détour s’impose au préalable.
Une mèche d’un sou
Jésus a parlé en paraboles. Il emprunte cet outil pédagogique, qu’il n’a
pas inventé, à son milieu culturel. L’Ancien Testament 116 en présente fort
peu ; la plus connue est la parabole de la brebis du pauvre, adressée par
Nathan au roi David pour lui faire prendre conscience de son attitude
criminelle à l’égard d’Urie, le mari de Bethsabée (2 S 12,1-4). Le Talmud,
en revanche, fourmille de paraboles attribuées aux rabbis, ce qui a conduit à
penser qu’au temps de Jésus, ceux-ci en usaient abondamment. Mais c’est
faux : les paraboles rabbiniques sont le fait de rabbis bien plus tardifs ; nous
ne possédons pratiquement aucune parabole rabbinique datant d’avant
l’an 70 117 ! Ce qui frappe, à l’inverse, c’est le nombre attribué à Jésus dans
les évangiles : pas moins de quarante-trois paraboles différentes 118. C’est
énorme.
L’explication la plus vraisemblable de ce phénomène est que la parabole
était alors un mode d’enseignement populaire, mais que les rabbis n’en
généraliseront l’usage qu’à partir de la fin du Ier siècle, soit après Jésus. De
plus, ils mettront la parabole au service de leur exégèse de la Torah, pour
appuyer leur argumentation ou éclaircir un point difficile. Jésus, lui, a fait
un choix préférentiel de ce mode d’enseignement et l’a appliqué à sa
prédication du Règne de Dieu. Au sein du judaïsme palestinien, de son
temps, on ne connaît aucun équivalent. Ce choix est resté propre à Jésus ;
les disciples, qui guériront comme leur maître a guéri, ne poursuivront pas
sur cette voie didactique.
Qu’est-ce qu’une parabole ?
Définition : la parabole est un petit récit de fiction, qui a) emprunte une
réalité connue des auditeurs (le signifiant), mais b) comporte un signal de
transfert de sens sur un autre plan de réalité (le signifié 119). Premier
élément : à la différence de la fable, la parabole de Jésus n’use pas
d’anthropomorphismes (plantes ou animaux parlants) ; son choix du monde
réel est, nous le verrons, hautement signifiant. Second élément : la parabole
est un langage détourné, qui dit plus qu’il ne semble dire ; le signal de
transfert du sens sur le plan religieux peut être une introduction (« Le Règne
de Dieu est semblable à… »), une conclusion (« Ainsi en est-il… ») ou la
présence des codes métaphoriques de la culture juive. Ces codes
métaphoriques sont connus et inscrits dans l’Écriture : la vigne évoque le
peuple de Dieu, la moisson désigne le Jugement dernier, la relation roi-
serviteurs ou propriétaire-ouvriers illustre la relation Dieu-homme, etc.
Quand le paraboliste commence par « Un roi voulut régler ses comptes avec
ses serviteurs » (Mt 18,23), l’auditoire comprend qu’il va être question de la
fidélité des hommes à l’alliance. Jésus recourt aux codes de sa culture pour
faire passer un message nouveau.
On lit dans le Cantique Rabba cette jolie définition du mashal, qui est
autant une sentence qu’une parole-image, donc une parabole : « Nos
maîtres ont dit : “Que le mashal ne soit pas une petite chose à tes yeux,
parce que, grâce à lui, l’homme peut comprendre les paroles de la Torah.
Parabole d’un roi qui, dans sa maison, a perdu une pièce d’or ou une pierre
précieuse. Ne la cherche-t-il pas avec une mèche qui ne vaut pas plus d’un
sou ?” » (I, 7-8). Pourquoi Jésus, s’inspirant de la pratique de
l’enseignement populaire en son temps, a-t-il choisi ce type de récit « qui ne
vaut pas plus d’un sou » ? Il est tentant de répondre : parce qu’il s’adressait
à des gens simples.
Et c’est ici que réside le gros malentendu.
La parabole fait choc
Il paraît effectivement sensé de se dire : Jésus, prédicateur populaire, a
opté pour un mode de communication simple, afin de permettre à des gens
peu cultivés d’accéder à des réalités complexes. Telle était la définition
donnée par un exégète allemand à la fin du XIXe siècle, Adolf Jülicher. Cet
exégète, fin connaisseur de l’Antiquité, apparente la parabole à la fable.
Comme elle, la parabole illustrerait « une pensée importante, une loi
générale 120 ». Elle est ainsi considérée comme une histoire simple, choisie
pour illustrer une pensée religieuse ou morale abstraite et intemporelle. Et
comme la fable, la parabole répondrait aux règles posées par la rhétorique
antique : brièveté, clarté, vraisemblance (brevitas, luciditas,
probabilitas 121).
L’exégète allemand a révolutionné la compréhension des paraboles en
rompant avec dix-neuf siècles de lecture allégorique. Il insistait sur le fait
que la matière narrative de la parabole est empruntée à la vie quotidienne
des interlocuteurs de Jésus, et ne devait pas être aussitôt spiritualisée. C’est
ce qui arrive dans l’allégorie. Les évangiles présentent quelques allégories,
rares, par exemple Marc 4,14-20, où chacun des éléments de la parabole du
semeur est transféré sur un plan spirituel : les oiseaux qui picorent le grain
tombé sur le chemin représentent Satan retirant la Parole du cœur des
croyants, etc. Or, affirme Jülicher, il s’agit d’exceptions. La parabole du
semeur n’est pas une allégorie ; elle fait sens par l’ensemble de son scénario
narratif, qui est crédible et vraisemblable : toutes les semences qui tombent
en terre ne portent pas de fruit.
La parabole de Jésus n’est pas le message secret d’un autre monde, elle
est le message. Sur ce point, Jülicher avait raison. Mais il s’est trompé en
pensant que la parabole véhiculait une vérité générale et intemporelle. Il
s’appuyait pour cela sur les conclusions du genre : « Ainsi votre Père qui est
aux cieux veut qu’aucun de ces petits ne se perde » (Mt 18,14, après la
parabole du mouton perdu et retrouvé). Or, la critique littéraire a montré
que ces leçons morales ou religieuses étaient le plus souvent des pièces
rapportées, des ajouts postérieurs effectués au cours de la transmission
catéchétique des paraboles dans les communautés chrétiennes.
Originellement, elles en étaient dépourvues.
Mais surtout, est-il vrai – comme l’affirme Jülicher – que la parabole
répond toujours à la règle de vraisemblance ? Quand un Samaritain
(l’hérétique détesté) secourt le blessé plutôt que le prêtre ou le lévite, ou
quand un roi remet à son serviteur l’incroyable dette de dix mille talents (on
parlerait de milliards aujourd’hui), la parabole rejoint-elle le sens commun ?
Non, justement, elle fait choc. L’approche des paraboles ne s’appuie plus
aujourd’hui sur une théorie de la comparaison, comme le faisait Jülicher,
mais sur une théorie de la métaphore, formulée par Paul Ricœur 122. La
métaphore naît du télescopage entre deux plans de réalité : d’un côté le
Règne des cieux, d’un autre côté le grain de moutarde qui devient un grand
arbre (Mc 4,30-32). C’est le télescopage entre le plan théologique (signifié)
et le plan figuratif (signifiant) qui confère à la parabole sa force langagière.
La parabole est une métaphore narrative, en ce sens que le récit entier fait
métaphore.
Je m’explique. La comparaison dit : cet homme est comme un requin.
La métaphore télescope et dit : cet homme est un requin. Un écart surgit
entre ces deux plans de réalité (l’humain et le requin). La métaphore génère
aussi une surprise, car elle innove par le choix de son matériau narratif (j’y
reviendrai). Et un effet de choc imaginatif, parce qu’elle frappe
l’imagination par le choix inattendu de son histoire.
La parabole s’affilie de la sorte à la poésie, car elle ne dicte pas de
comportement ; elle ne déploie pas une logique par a + b ; elle construit un
nouveau regard sur la réalité. Elle s’adresse au cerveau droit plutôt qu’au
cerveau gauche et sollicite l’imaginaire, touchant l’affectif plutôt que le
réflexif. C’est pourquoi j’ai intitulé ce chapitre « Le poète du Royaume ».
Au sens étymologique, « poète » dérive du grec poiétès formé sur le verbe
poieô, « faire » : le poète est un créateur, un fabricant, un artisan. Il est celui
qui fait avec les mots. Mieux encore : le poète est celui dont les mots font,
dont les mots ont un effet, touchent, émeuvent, frappent, choquent,
surprennent l’auditeur. La question devient : comment les paraboles de
Jésus ont-elles produit de l’effet ? En quoi et comment Jésus le paraboliste
fut-il poète ?
En tant que métaphore narrative, la parabole peut être de deux types. Il
y a d’une part la parabole-évidence : elle est souvent agricole et s’appuie
sur l’observation et l’expérience des auditeurs-lecteurs (les semailles, la
germination de la graine, la moisson, l’action du levain dans la pâte, le
souci du berger pour son troupeau). Il y a d’autre part la parabole
événementielle ; elle relate un fait divers tiré de la vie quotidienne (un père
a des difficultés avec ses enfants, un patron embauche des ouvriers, un
propriétaire est en conflit avec ses métayers). Dans les deux cas, le matériau
narratif est issu de ce que les auditeurs de Jésus peuvent observer, et qui ne
relève pas du registre religieux ; la parabole est un discours non religieux
sur Dieu. Dans les deux cas également, un écart surgit entre les données de
l’expérience et le récit du paraboliste ; cet écart correspond à ce qu’on peut
appeler l’extravagance de la parabole.
La parabole-évidence
Prenons deux exemples de parabole-évidence, en commençant par
l’histoire de la semence qui pousse toute seule.
Le maître de sagesse
e
Le changement le plus spectaculaire intervenu au XX siècle dans notre
compréhension de Jésus concerne sa judaïté.
À l’origine de ce séisme se trouve la prise de conscience de l’horreur
que fut la shoah. La question s’est faite alors impérieuse : pourquoi la foi
chrétienne n’a-t-elle pas été un rempart suffisant contre la montée de
l’antisémitisme ? Les chercheurs se sont interrogés sur l’image du judaïsme
véhiculée par le Nouveau Testament. En désignant les juifs comme les
initiateurs de la mort de Jésus, en relatant leurs disputes théologiques avec
le Nazaréen, n’ont-ils pas contribué à construire une image négative et
haineuse du juif ?
Aussi extraordinaire que cela paraisse, il a fallu attendre les années
1980 pour que les chercheurs réalisent que Jésus était un juif à 100 %. Nul
n’ignorait auparavant que l’homme de Nazareth était né dans une famille
juive, qu’il lisait la Torah et fréquentait les synagogues. Mais les
conséquences de cette immersion n’avaient pas été tirées. Plus exactement,
on pensait que Jésus était venu rompre avec sa religion d’origine. Pour
saisir la radicalité du changement de perspective intervenu, mesurons le
chemin parcouru jusque-là.
Quête de Jésus : les débuts
La quête du Jésus de l’histoire s’est donné un père en la personne
d’Hermann Samuel Reimarus (1694-1768), un spécialiste allemand de
langues orientales. C’est oublier qu’il a eu des prédécesseurs parmi les
déistes anglais et français (Locke, Meslier, Toland 130). Tous soupçonnaient
que Jésus n’était pas ce que la dogmatique ecclésiastique, et déjà les
évangiles, avaient fait de lui. Plus pénétrant, le propos de Reimarus était
explosif au point qu’il ne fut publié qu’après sa mort en 1778 : Von dem
Zwecke Jesu und seiner Jünger (« Le dessein de Jésus et de ses disciples »).
Sa thèse : la prédication de Jésus, qui annonçait la venue imminente d’un
Royaume messianique, a été brutalement interrompue par son exécution ;
pour surmonter ce qu’ils considéraient comme un fiasco, ses disciples ont
inventé la théorie de sa mort expiatoire et la fable de sa résurrection. Pour la
première fois, de manière systématique, un savant comparait entre eux les
évangiles, mettait leurs divergences à l’épreuve de la critique historique et
appliquait la théorie du complot pour rétablir les faits dans leur « vérité ».
Les travaux de Reimarus ont inauguré ce qu’on appelle la première quête du
Jésus de l’histoire.
L’ambition de ces chercheurs était de reconstruire le « vrai Jésus »,
caché derrière les textes contaminés par la dogmatique ecclésiastique ; pour
autant, les motifs qui les animaient n’étaient pas les mêmes. Les uns,
comme Reimarus, voulaient démontrer que la foi chrétienne est une
imposture ; pour David Strauss, l’histoire de Jésus concrétise le mythe de
l’homme-Dieu (1835-1836) ; pour Heinrich Paulus, les miracles doivent
être expliqués rationnellement (1828). D’autres, comme l’Allemand
Heinrich Holtzmann (1863) ou le Français Ernest Renan (1863), font
confiance aux évangiles pour reconstruire la personnalité religieuse de
Jésus, qu’ils voient comme un maître spirituel fascinant 131. Le milieu juif
dont Jésus est originaire est alors peu connu ; il n’intéresse pas vraiment les
chercheurs, sinon pour fournir la toile de fond dont se détache le Nazaréen.
Dans son fameux cours de 1900 sur L’Essence du christianisme, Adolf von
Harnack oppose « la source pure de la sainteté » qu’est l’Évangile de Jésus
aux « gravats et [aux] décombres » amoncelés par les pharisiens qui avaient
« alourdi, opacifié, déformé, rendu inefficace et privé de son sérieux » la
religion d’Israël 132.
Cette première vague de recherche fut littéralement assommée, au début
du XXe siècle, par deux formidables objections. La première vint en 1906
d’Albert Schweitzer, le théologien, futur docteur de Lambaréné 133.
Schweitzer dresse un bilan dévastateur d’un siècle de recherche, montrant
que les auteurs interprètent les textes à leur guise pour façonner le Jésus qui
leur convient. La seconde objection vint, une décennie plus tard, de l’étude
des évangiles suivant l’histoire des formes littéraires (Formgeschichte).
Cette école, rattachée aux noms de Rudolf Bultmann et Martin Dibelius,
détecte que les évangiles sont le résultat d’une composition tardive et non la
compilation de témoignages oculaires, que les récits sur Jésus ont circulé
plusieurs décennies dans la tradition orale, et que le cadre biographique des
évangiles est une création narrative de leurs auteurs. Bref, la lecture
« immédiate » des textes qu’opérait la première quête est taxée de naïveté ;
il s’agit de trier entre textes anciens et textes tardifs et de ne conserver que
la version primitive comme source pour reconstruire la vie du Nazaréen.
Mise à mal par ces deux objections, la recherche reprend son souffle
vers 1950 pour une deuxième quête. L’investigation historique est
dorénavant mieux contrôlée. Des critères sont définis pour vérifier la
fiabilité historique des sources (ils ont été présentés au chapitre 1 de ce
livre). On renonce désormais à reconstruire dans son détail la vie de Jésus,
mais on reconstitue son enseignement et son activité. On reconnaît dans
l’annonce du Règne de Dieu le centre de sa prédication. On suspecte que les
titres christologiques (Fils de Dieu, Messie, Fils de l’homme) sont apparus
après Pâques plutôt que du vivant du Nazaréen. Joachim Jeremias s’illustre
en éclairant les paraboles de Jésus à partir du Talmud 134. Mais même si,
grâce à lui, la connaissance du judaïsme palestinien fait irruption dans le
travail des historiens, la reconstruction de la figure de Jésus est dominée par
l’idée d’un divorce entre lui et le judaïsme de son temps. Dans son beau
livre sur Jésus, Günther Bornkamm oppose la lecture juive de la Loi, qui
« ne suscite plus la rencontre avec Dieu [mais] la vide de son contenu » à
celle de Jésus, qui « libère la volonté divine de sa pétrification sur les tables
de la Loi et touche le cœur de l’homme qui s’était enfermé dans la
forteresse rassurante de la légalité 135 ».
L’homme de Nazareth apparaît ici comme le héros libre d’une religion
du cœur confronté à un judaïsme légaliste, tracassier, étriqué, et finalement
déshumanisé.
« Rejudaïser » Jésus
L’onde de choc déclenchée par la shoah a généré, je l’ai dit, la prise de
conscience d’une dimension antijuive dans la lecture des évangiles. La
parution en 1977 du livre d’Ed Sanders, Jesus and Judaism, est à l’origine
de la troisième quête du Jésus historique 136. Fort d’une connaissance
pointue de la littérature juive ancienne, Sanders dénonce une lecture
caricaturale du judaïsme du Ier siècle, enfermé dans l’image d’un rigorisme
monolithique alors qu’il constituait un ensemble chatoyant de diversité.
Entre pharisiens, sadducéens, esséniens et baptistes, le judaïsme du second
Temple, plaide Sanders, était un monde riche d’une multiplicité de courants
en discussion les uns avec les autres. Le débat (incontestable) de Jésus avec
ses contemporains n’a pas été un débat contre le judaïsme, mais à
l’intérieur du judaïsme.
La troisième quête n’est pas un mouvement homogène, mais plutôt une
nébuleuse. Les chercheurs qui l’animent défendent des conceptions
divergentes : Jésus est tantôt vu comme un mystique animé par l’Esprit
(Marcus Borg), un philosophe cynique itinérant (John Dominic Crossan),
un prophète millénariste (Ed Sanders), un réformateur social (Richard
Horsley), un charismatique itinérant (Gerd Theissen), un guérisseur à la
manière des hassidim juifs (Geza Vermes 137). Au sein de cette variété de
portraits, une constante demeure toutefois : la nécessité de revisiter le
judaïsme ancien pour situer la personne de Jésus. La troisième quête
entreprend une rejudaïsation conséquente du Jésus de l’histoire. Le
Nazaréen est compris comme un juif, marginal pour John P. Meier, central
pour André Lacocque 138, mais juif, et non plus comme un prototype de
chrétien.
Ce changement de paradigme a été appuyé par la reconnaissance d’un
fait : la séparation entre judaïsme et christianisme a été bien plus tardive
qu’on ne l’imaginait ; elle ne débuta pas avant la fin du Ier siècle et fut un
processus long, variable selon les régions (plus avancé en Asie mineure
qu’en Syro-Palestine). Imputer à Jésus la création d’une nouvelle religion
est tout simplement anachronique.
Mais si Jésus doit être désormais – et c’est un progrès de la recherche –
appréhendé à l’intérieur de l’orbite juive, comment prendre en compte sa
judaïté sans occulter sa singularité ? Dit autrement : comment tenir compte
à la fois de sa totale appartenance au judaïsme palestinien et du conflit qui
a conduit les autorités religieuses à proposer son élimination physique ? On
l’a vu : ni la prédication du Règne de Dieu (largement répandue) ni sa
renommée messianique (il ne fut pas le seul), ne suffisaient à le juger
insupportable. Le taxer de magie pour ses guérisons était une bagatelle. Il
faut donc chercher du côté de son enseignement pour trouver le nœud de la
crise. Et qui dit enseignement, pour un rabbi juif, dit interprétation de la
Torah. La tâche qui nous incombe maintenant est de sonder sa lecture de la
Torah à la recherche de ce qui le lie à ses contemporains et ce qui l’en
sépare.
Guérir un jour de sabbat
Dans les couches les plus anciennes de la tradition, on ne lit aucune
déclaration principielle de Jésus sur la Torah ou sur l’autorité de la Torah.
Les déclarations du Jésus de Matthieu défendant la validité éternelle de la
Torah proviennent de la chrétienté à laquelle appartient l’évangéliste
(« Avant que ne passent le ciel et la terre, pas un iota, pas un menu trait ne
passera de la Loi » Mt 5,18). Le Nazaréen s’est inscrit sous l’autorité
millénaire de la Loi, don de Dieu à son peuple Israël. Il ne la légitime pas, il
ne la problématise pas. Elle va de soi, pour lui comme pour tout croyant
juif. L’attachement à la Loi constitue en effet un des deux piliers identitaires
du judaïsme ancien, l’autre étant le Temple. Dans sa grande diversité, le
judaïsme du second Temple trouve sa cohérence dans son attachement à ces
deux piliers identitaires. Même la communauté de Qumrân, qui répudie le
Temple de Jérusalem considéré comme impur, s’est érigée elle-même en
Temple spirituel 139.
Jésus ne met pas en cause l’autorité de la Torah, mais il en discute
l’interprétation, comme on l’attendait de n’importe quel sage.
Pourtant, rétorquera-t-on, ses guérisons le jour du sabbat ne contestent-
elles pas la prescription divine ? Effectivement, et de manière assurément
provocatrice, Jésus a guéri le jour du sabbat. La fréquence des conflits
provoqués par cette transgression de la règle du repos est attestée par la
tradition (Mc 2,23-28 ; 3,1-6 ; Mt 12,9-14 ; Lc 13,10-17 ; Jn 9,13-16 ; etc.).
Or, a fait remarquer Sanders, la suspension occasionnelle du chômage
sabbatique prescrit par la Torah n’est pas un souci propre à Jésus ; c’est une
question largement débattue dans le judaïsme ancien. Lors des guerres
maccabéennes du IIe siècle av. J.-C., mille juifs se laissèrent décimer au
cours d’une attaque perpétrée un jour de sabbat (1 M 2,29-41). L’avis
prévalut depuis lors que même si c’était sabbat, il était licite de se défendre,
voire de tuer. Confronté à un homme à la main desséchée, Jésus pose la
question : « Qui d’entre vous, s’il n’a qu’un seul mouton et qu’il tombe
dans un trou un jour de sabbat, n’ira le prendre et le retirer ? » (Mt 12,11).
Sur la question de savoir s’il était permis de secourir ce jour-là un animal
tombé dans un puits ou un trou, on connaît la réponse des esséniens – c’était
non : si une bête « tombe dans une citerne ou dans une fosse, qu’on ne la
relève pas le sabbat » (Écrit de Damas 11,13-14). La position pharisienne
ne nous est pas connue ; un enseignement rabbinique ultérieur prescrit que
faire sortir l’animal n’est pas autorisé, mais qu’il est licite de lui procurer de
la nourriture ou de lui lancer quelque chose à quoi elle pourra s’accrocher
pour rester en vie (tShabbat 14,3). On peut supposer, mais sans garantie,
que cette posture plus permissive était partagée par les pharisiens du temps
de Jésus.
Jésus n’innove donc pas en posant cette question ; il entre dans une
discussion ouverte parmi ses contemporains. Mais ne manquons pas de
noter les deux originalités de sa position. Premièrement, il prend à témoin
celui qui n’a qu’un seul mouton et qui le voit en danger. Jésus rejoint
l’expérience des paysans palestiniens, pour qui aucune hésitation n’est
possible. Il n’ouvre pas le débat en érudit de la Loi, il ne dissèque pas la
prescription sabbatique, mais s’appuie sur l’expérience quotidienne de son
auditoire. En ajoutant « Or, un être humain vaut combien plus qu’un
mouton ! » (Mt 12,12), il transfère sur le handicapé à la main desséchée qui
se trouve en face de lui le réflexe spontané de compassion. Deuxièmement,
Jésus généralise à un cas de maladie ce qui constituait un cas d’urgence :
l’animal qui se noie un jour de sabbat. Or ici, nulle urgence, nul danger de
mort. Ou disons plutôt : Jésus fait entendre que la souffrance d’autrui est un
cas d’urgence. Ce faisant, il entre dans le débat interprétatif de la Torah,
mais en fait imploser la logique en conférant au cas limite une extension
illimitée : « Ainsi il est permis de faire le bien un jour de sabbat »
(Mt 12,12).
Aimer Dieu et le prochain
Ce qui autorise – mieux : ce qui commande – de suspendre le repos
sabbatique est la nécessité de venir au secours d’autrui. Établir une
hiérarchie entre deux prescriptions de la Loi était un souci pour tous les
enseignants de la Torah. Entre les deux cent quarante-huit commandements
et les trois cent soixante-cinq interdits auxquels étaient assignés les
croyants, comment choisir en cas de devoirs contradictoires ? Le débat était
ouvert parmi les rabbis, certains affirmant que toutes les prescriptions
réclamaient une égale observance, d’autres les hiérarchisant au nom d’un
principe supérieur qu’ils appelaient le kelal 140. Jésus opte pour la seconde
position en résumant la Torah au double commandement d’amour.
Un scribe s’avança. Il les avait entendus discuter et voyait que Jésus leur
avait bien répondu. Il lui demanda : « Quel est le premier de tous les
commandements ? » Jésus répondit : « Le premier, c’est : Écoute, Israël, le
Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur ; tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force
(Dt 6,4-5). Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même
(Lv 19,18). Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. »
(Mc 12,28-31)
Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent. Mais moi,
je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle
sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. À qui veut te mener devant le juge
pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau. Si quelqu’un te force à
faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui
veut t’emprunter, ne tourne pas le dos. (Mt 5,38-42)
« Œil pour œil et dent pour dent » : cette règle fondamentale est
formulée à plus d’une reprise dans les Écritures (Ex 21,23-25 ; Lv 24,19-
20 ; Dt 19,21). Les premières traces sont repérables dans le code babylonien
d’Hammourabi, qui légifère sur les réparations financières ou physiques
suite à un dommage subi. La loi du talion était d’une utilité sociale évidente
dans les sociétés antiques, où la justice était exercée par les individus ; elle
fonctionnait comme régulateur de l’agressivité, évitait la surenchère de la
vendetta et fondait la légitime défense. Le talion limitait la vengeance en
imposant une règle de proportionnalité entre le mal subi et le mal infligé :
œil pour œil, pas plus. Mais la règle est ambiguë : elle refuse le
débordement tout en acquiesçant à la violence. Or, à ce principe social
régulateur, Jésus substitue une règle négative : « Mais moi, je vous dis de ne
pas résister au méchant. » De fait, la non-résistance au méchant revient à
subir l’injustice. Quelques exemples sont fournis pour appliquer ce
renoncement à la vie quotidienne : ne pas répliquer à l’insulte de la gifle,
mais tendre l’autre joue, donner plus qu’il n’est exigé en situation de
procès, répondre au-delà de la demande d’autrui.
Les sociétés antiques sont régies par un code de l’honneur, qui oblige à
riposter pour obtenir réparation du tort subi. Jésus rompt avec cette logique
de la riposte et avance une autre posture : renoncer à répondre à la violence
par la violence. Telle est la concrétisation d’un amour qui va jusqu’à
accueillir le non-aimable, c’est-à-dire l’ennemi. Du coup, la loi du talion
s’en trouve totalement invalidée. Quittant l’idée d’une revanche mesurée,
Jésus enjoint de répondre démesurément aux demandes d’autrui.
Question : est-ce raisonnable ? Nous y viendrons plus loin. Car il
importe d’aiguiser encore le profil de la surprenante sagesse de Jésus. Les
injonctions à s’abstenir de se venger, à endurer la souffrance même injuste,
fourmillent dans l’Antiquité, tant du côté juif que du côté gréco-romain. Les
rabbis autant que les grands philosophes stoïciens (Épictète, Sénèque) ont
conseillé le pacifisme. Mais encore une fois, Jésus se singularise par un trait
qui lui est propre : l’absence de toute motivation dans son exhortation. S’il
faut subir l’injustice, pour les sages d’Israël, c’est parce que Dieu vengera
les siens, et dans l’espoir, aussi, de convertir ses ennemis 144. Pour Sénèque,
il est inutile de se venger des offenses des grands, car cela ne sert à rien
(« ils le feront encore »). Épictète voit dans la souffrance subie le privilège
du philosophe cynique, qui « doit être battu comme un âne » pour « aimer
ceux qui le battent 145 ». L’exhortation de Jésus se distingue par l’absence de
toute justification de ce type.
Jésus n’appelle, pour légitimer son propos, ni à la modération des
affects ni à la raison. Seul demeure l’aspect de la provocation : le refus de
riposter devient une démonstration de la violence subie, l’exhibition du tort
exercé contre soi. Cette attitude proteste symboliquement contre la
violence, mais précisément en s’y soumettant. On retrouve ici la dimension
dénonciatrice des gestes prophétiques. La parole de Jésus pointe
uniquement la nécessité de rompre la spirale de la violence qui domine le
monde. Pareille radicalité demeure inouïe dans le monde antique. Le
meilleur commentaire vient de Léon Tolstoï, l’écrivain, qui se convertit à la
lecture de cette parole : « Une fois la violence admise, écrit-il à Gandhi,
quelles que soient les circonstances, la loi de l’amour est reconnue comme
insuffisante, d’où la négation même de cette loi 146. » Autoriser la revanche
tue l’amour.
Il incite à la créativité
Le Sermon sur la montagne présente une série d’antithèses, appelées de
ce nom parce qu’à six reprises, Jésus oppose à la Loi lue par les rabbis
pharisiens sa propre compréhension de l’impératif divin : « Vous avez
appris qu’il a été dit aux anciens… mais moi, je vous dis » (Mt 5,21-48).
L’évangéliste Matthieu y a compilé des exhortations morales de Jésus à
l’enseigne de la réinterprétation de la Loi.
À regarder de près, on se rend compte que chacune de ces antithèses est
une dénonciation de la violence. Autrement dit : chaque fois qu’il
réinterprète l’impératif divin, Jésus récuse une manière de lire la Loi qui
tolère la violence faite à autrui. La première antithèse étend l’interdit du
meurtre à la colère et à l’injure ; Jésus réhausse le seuil de l’interdit pour
l’appliquer à la violence verbale : insulter autrui est déjà une façon
d’attenter à sa vie (5,21-26). La deuxième antithèse réprime le regard de
convoitise, considéré comme un acte prédateur de l’homme sur la femme au
même titre que l’adultère (5,27-30). Par la troisième antithèse, l’usage de la
lettre de divorce (privilège du mari) est récusé comme une insupportable
atteinte à la conjugalité (5,31-32). La quatrième antithèse traite du serment,
dénoncé comme une violence faite à autrui si l’on falsifie l’engagement pris
(5,31-37). La loi du talion est condamnée parce qu’elle participe à
l’engendrement de la violence par la violence (5,38-42). Enfin l’amour du
prochain, parce qu’il est détourné de son intention et brandi comme une
permission de haïr l’ennemi, est reconduit à son exigence extrême (5,43-
48). Les antithèses sont un appel à recomposer la Torah autour de deux
éléments : l’amour d’autrui et la dénonciation de l’agression qu’autorise la
lecture traditionnelle de la Loi.
Aucune référence explicite n’est faite, dans ce contexte, au Règne de
Dieu. Sauf peut-être la réponse de Jésus au scribe qui l’interrogeait pour
savoir quel était le premier commandement. Nous avons lu ce texte plus
haut. Or, après que le scribe a correctement reformulé le kelal du double
commandement d’aimer Dieu et le prochain, Jésus « voyant qu’il avait
répondu avec sagesse, lui dit : “Tu n’es pas loin du Règne de Dieu” » (Mc
12,34). Pourquoi n’est-il pas loin ? Qu’est-ce qui lui manque ? Ce qui lui
manque, c’est de comprendre que le Règne n’est pas un concept général,
mais une réalité à rendre présente – à visibiliser dans le monde. Que cette
réponse soit due à l’évangéliste ou non, elle vise juste. Tout comme les
paraboles rendent le Règne visible au sein du monde ordinaire, la
réinterprétation de la Loi par Jésus configure un monde où l’amour illimité
de Dieu pour ses créatures rend l’humain capable d’aimer jusqu’à son
adversaire.
C’est la raison pour laquelle l’homme de Nazareth ne remplace pas
l’ancienne Loi par une nouvelle ou l’ancien règlement par un autre plus
sévère. Les exemples qu’il donne sont à la fois provocateurs et incitatifs.
Dans le cas du talion, l’abrogation de la règle est suivie de quelques
exemples (tendre l’autre joue, donner son manteau, faire deux mille pas),
volontairement provocateurs : voilà jusqu’où doit aller l’amour d’autrui
pour extirper des rapports humains la violence mortifère – ce que la règle
du talion échouait à faire. Ils sont incitatifs, car ils veulent éveiller la
créativité de l’auditeur : invente à ton tour des gestes créateurs de vie et non
de mort. En acquiesçant à cette invitation, l’homme, la femme activent ce
monde nouveau que Jésus appelle le Règne.
Une fois de plus, est-ce raisonnable ? Attendons encore pour y
répondre, car il nous faut auparavant aborder une atteinte bien plus forte à
la morale : la contestation par Jésus du pur et de l’impur.
Le pur et l’impur
À distance, nous imaginons mal l’importance cruciale que revêtait, dans
la foi d’Israël, la maintenance de l’état de pureté. La frontière entre le pur et
l’impur y était extrêmement importante, car la pureté rituelle était condition
d’accès à Dieu ; l’impureté en excluait. La Torah de Moïse a été donnée à
Israël « pour être à même de distinguer le sacré du profane, ce qui est impur
de ce qui est pur » (Lv 10,10).
Pour se prémunir du risque de contamination, la secte de Qumrân triait
ses membres à l’entrée, écartant les individus soupçonnables d’impureté :
« Un insensé, un fou ou n’importe quel simplet, un faible de vue qui ne voit
rien, un estropié, un boiteux, un sourd, un petit garçon, aucun d’entre eux
ne peut entrer au sein de l’assemblée » (Écrit de Damas 15,15-17 147). Le
nombre de bassins rituels (mikvaot) retrouvés sur le site signale, de la part
de la communauté, une fixation extrême sur les contraintes de purification ;
le retrait au désert visait justement à se mettre à l’abri d’un monde jugé
impur. Or, l’archéologie a récemment mis au jour la présence en nombre de
mikvaot dans les synagogues et aux abords du Temple de Jérusalem. La
préoccupation de la pureté n’était donc pas confinée à l’essénisme. Les
pharisiens en étaient particulièrement soucieux ; ce mouvement laïc avait
transféré sur ses adeptes l’idéal de pureté imposé aux lévites pour le service
au Temple.
Les contacts interpersonnels, l’accomplissement des tâches
quotidiennes, l’alimentation étaient dominés par le souci de ne pas être
souillé par des matières ou des personnes impures. Le fidèle se trouvait en
effet exposé en permanence au risque d’être contaminé par son
environnement. Il se devait d’observer scrupuleusement les prescriptions
rituelles, dont le livre du Lévitique décline les procédures (Lv 11–16). Car il
faut savoir que pureté rimait avec sainteté : pour préserver son statut de
peuple saint, choisi par Dieu, Israël se devait de veiller à sa pureté. Le
même souci de pureté-sainteté guidait l’alimentation. Le code alimentaire
prescrit par le Lévitique énonce les critères désignant un aliment (animal ou
végétal) comme permis ou non à la consommation ; des règles étaient
établies pour le préparer et le rendre propre à la consommation. Ce souci de
kashrout a perduré au cours de l’histoire du judaïsme.
Sachant cela, on réalise qu’une parole de Jésus a éclaté comme un coup
de tonnerre : « Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre
impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend
l’homme impur » (Mc 7,15). Cette sentence figure dans une longue
controverse rapportée en Marc 7, où Jésus conteste les traditions
pharisiennes. Ses interlocuteurs étaient bien choisis, puisque la question de
la pureté leur tenait particulièrement à cœur.
Les exégètes se demandent si la position tranchée de Jésus reflète sa
position ou plutôt la situation des communautés chrétiennes confrontées à la
pression juive ; elles auraient justifié de la sorte leur abandon des codes
alimentaires. On sait en effet que cette question a déchiré les premières
Églises, composées de croyants d’origine juive (attachés à la kashrout) et de
croyants d’origine non juive (indifférents à la kashrout). Un passage de
l’épître aux Galates (2,11-21) retranscrit la violente altercation entre Paul et
Pierre à ce sujet. Mais si l’ensemble de la controverse de Marc 7 ne peut
être à coup sûr ramené à Jésus, la sentence du verset 15 doit l’être. On la
détecte en effet à l’arrière-plan d’une citation de Paul dans l’épître aux
Romains, où l’apôtre se réfère explicitement au Christ : « rien n’est impur
en soi » (14,14). Paul est confronté à ce moment-là à une crise entre judéo-
chrétiens et pagano-chrétiens au sujet des prescriptions alimentaires ;
s’appuyant sur la tradition de Jésus, il affirme qu’aucun aliment n’est en soi
pur ou impur.
Revenons à la sentence de Marc 7,15. Que dit-elle ? Affirmer que rien
d’extérieur à l’homme ne peut le rendre impur, c’est déclarer l’inutilité des
codes alimentaires et des craintes de souillure par contact personnel. Rien
de ce qu’il absorbe ou le touche ne menace sa pureté. Mais Jésus ne
témoigne pas d’une indifférence à l’égard des règles de pureté, puisqu’il
ajoute : « ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur ».
Autrement dit : le souci de pureté-sainteté n’est pas congédié, mais déplacé.
Jésus ne dit jamais que la différence entre pur et impur est sans importance.
Il affirme que la souillure ne réside pas dans ce qui vient à l’individu, mais
dans ce qui émane de lui. Jésus relativise le rituel alimentaire en déplaçant
le lieu de l’impureté : ce sont désormais les paroles et les gestes reliant
l’individu à son milieu qui décident de sa pureté ou de sa souillure.
Ce faisant, Jésus contredit la logique inhérente à la définition
pharisienne de la pureté. Car les pharisiens, avec le reste d’Israël, avaient
une conception défensive de la pureté : il faut se prémunir de toute souillure
externe. Cette conception défensive veut que l’élimination de la souillure
précède, comme un indispensable préalable, le rétablissement de la
communion. Parlant du déplacement qu’opère Jésus, l’exégète allemand
Klaus Berger a remarqué avec raison qu’il passe d’une conception
défensive à une conception offensive de la pureté 148. La pureté défensive est
« une qualité passive qu’il s’agit seulement de préserver, et qui toujours à
nouveau doit être défendue », tandis que la pureté offensive « est une pureté
qui se propage à partir de celui qui en est le porteur, qui est contaminante,
qui peut rendre l’impur pur, qui se répand et qui est expansive 149 ». Ce n’est
plus désormais l’impureté (de l’autre) qui est contagieuse, c’est la pureté
(de soi) qui le devient. On pourrait mieux dire en parlant du passage d’une
pureté exclusive à une pureté inclusive. Le Nazaréen procède en effet à un
complet retournement de définition : le rapport à autrui n’est plus stigmatisé
comme un risque potentiel de souillure, mais comme le lieu où le croyant
est appelé à concrétiser sa pureté-sainteté.
Les repas communautaires de Jésus et ses fréquentations choquantes
trouvent ici leur justification : Jésus « incarnait une pureté qui rayonnait
charismatiquement 150 ».
Les repas ou la sainteté partagée
Les repas de Jésus ne sont pas passés inaperçus, à tel point qu’il a été
traité de glouton et d’ivrogne (Lc 7,34). Mais ce n’est pas la consommation
de nourriture qui choquait, plutôt la compagnie dont il s’entourait. Jésus
mangeait avec des pécheurs, des prostituées, des collecteurs de taxes 151 –
ces groupes déclarés moralement impurs ou contaminés par leurs contacts
avec les païens. Selon l’évangéliste Marc, au début de son activité publique,
un repas chez Lévi fils d’Alphée, un collecteur de taxes qu’il vient
d’appeler à le suivre, déclenche l’hostilité des pharisiens : « Quoi, il mange
avec les collecteurs de taxes et les pécheurs ? » (Mc 2,16).
Pour mesurer l’impact de ces critiques, il faut se souvenir de la fonction
qu’exerçaient les repas dans l’Antiquité. Les repas antiques assurent le rôle
puissant de consolidation des liens à l’intérieur du groupe social,
philosophique ou religieux ; ils concrétisent l’appartenance à celui-ci et
confirment la loyauté à l’égard de ses valeurs. Symboles d’une vie partagée,
ils sont fermés aux personnes étrangères au groupe et à ses règles. Dans le
judaïsme, ils fonctionnent comme un vecteur puissant de séparatisme en
traçant les frontières du groupe religieux et en le protégeant de toute
contamination extérieure. « Converse avec les gens intelligents, que tous tes
discours portent sur la Loi du Très-Haut, que les justes soient tes
compagnons de table », lit-on dans le Siracide (9,15-16a). Les sectaires de
Qumrân « mangeront en commun et béniront en commun et délibéreront en
commun » (1QS 6,2-3). L’exclusion du « banquet des Nombreux », leur
repas communautaire, constituait la première mesure disciplinaire à
l’encontre des fautifs (1QS 7,20). Les pharisiens mangeaient en confréries.
Bref, dans l’Antiquité, on mange avec ceux qui nous ressemblent et qui
partagent les mêmes valeurs.
Et Jésus ? Il fait le contraire.
Il s’affiche avec ceux que la société juive (avec plus ou moins de
rigueur) tenait éloignés des justes et des pieux. Pour lui, le renouvellement
d’Israël ne passe pas par la fondation d’un peuple séparé, comme à
Qumrân, mais par la création d’une communauté inclusive, la communauté
des enfants de Dieu : « Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère,
ma sœur, ma mère » (Mc 3,35). L’évangile apocryphe de Thomas
confirme : « Ceux que voici, qui font la volonté de mon Père, ceux-là sont
mes frères et ma mère. Ce sont eux qui entreront dans le Royaume de mon
Père » (logion 99).
Les frontières communément admises du peuple de Dieu sont ainsi
brutalement transgressées. La commensalité que leur offre Jésus fait qu’on
lui affecte l’étiquette péjorative dont ils sont victimes, et qu’on le taxe de
« glouton et ivrogne, ami des collecteurs de taxes et des pécheurs » (Lc
7,34). Avec Jésus, l’irruption du Règne déclenche une pratique de
communion, qui prend le pas sur les séparations. Cet accueil des
marginalisés, exclus de la sainteté d’Israël, va de pair avec son approche des
malades : Jésus côtoie et touche les malades impurs, et jusqu’aux impurs
parmi les impurs qu’étaient les lépreux 152. Il se laisse toucher par une
femme que son hémorragie rendait impure en permanence, ce qui le
contaminait à son tour (Mc 5,25-34). La Mishna est catégorique à cet
égard : il faut se tenir à l’écart de toute femme en menstruation (mZabim
2,1 ; 5,1-11). Jésus rencontre des étrangers et des femmes, ceux que les
pieux évitaient en public. Ses fréquentations ont été jugées socialement et
religieusement choquantes, et les évangiles ont gardé trace des indignations
qu’elles soulevaient 153.
Les repas de Jésus ont fait date. Tous les évangiles en parlent, et à
plusieurs reprises. Plus qu’une marque de sympathie ou de tolérance
sociale, ils étaient en effet un lieu de sainteté partagée, démontrant l’accueil
que Dieu réserve à tous les membres du peuple, sans exclus. Les repas de
Jésus offrent l’image d’un Règne divin inclusif et accueillant, ou mieux
encore, ils symbolisent l’exclusion de l’exclusion. Le symbole n’a pas été
choisi au hasard : le festin avec Abraham, Isaac et Jacob est un motif fort de
l’espérance d’Israël pour la fin des temps. Fidèle à sa conception du Règne
de Dieu, Jésus anticipe : les repas assurent déjà dans le présent la visibilité
d’un Règne où la discrimination n’est plus. L’adage de Marc 7,15 s’en
trouve confirmé : la pureté de Jésus est contagieuse.
Un judaïsme « outré » ?
Résumons le chemin parcouru. La valorisation conséquente de la judaïté
de Jésus au sein de la troisième quête du Jésus historique est un acquis
irréversible ; l’image du Nazaréen en ovni protochrétien au sein du
judaïsme palestinien doit être congédiée. Ce juif à 100 % articule dans son
enseignement les thèmes centraux de la foi juive : l’espérance du Règne,
l’autorité de la Torah, la pureté-sainteté du peuple. Seul le rôle du Temple
de Jérusalem est effacé dans son message, pour des raisons qui apparaîtront
plus tard (voir ici).
Mais attention au retour de balancier : noyer Jésus dans la normalité
juive n’est pas plus sensé que d’occulter sa judaïté. James Charlesworth
propose de voir dans le Nazaréen « un juif dévôt et plutôt conservateur,
pouvant se montrer extrêmement libéral sur les questions sociales 154 ». Non.
J’ai mis en évidence la singularité des positions adoptées par Jésus, tant
dans sa conception du Règne de Dieu que dans son interprétation de la
Torah. Je les rappelle : la force de frappe accordée à l’impératif d’amour,
invalidant toute prescription qui ne s’y accorde pas ; l’abrogation d’un
principe socialement utilitaire comme la loi du talion ; la subversion de la
notion de pureté.
Revient la question : les exhortations de Jésus sont-elles raisonnables ?
Appeler à aimer ses ennemis, à tendre l’autre joue, à bannir toute insulte…
ce programme éthique est-il réaliste ? L’éthique de Jésus, que ce soit dans le
Sermon sur la montagne ou lorsqu’il enjoint de pardonner jusqu’à soixante-
dix fois sept fois, se singularise en effet par l’absence de toute réflexion sur
sa faisabilité. Les injonctions de Jésus sont d’un absolu sidérant. Le
compromis n’est plus une option. Comment expliquer cette morale en
excès ?
Son absence de pragmatisme constitue une différence cinglante avec la
sagesse israélite, toute empreinte de mesure et de modération. Joseph
Klausner, qui fut le premier grand historien juif des débuts du christianisme
et l’auteur d’une belle monographie, Jésus de Nazareth, parue en 1922, a
bien perçu le problème. Il commente ainsi le Sermon sur la montagne : « En
tout ceci, Jésus est le plus juif d’entre les juifs, plus juif que Shimeon ben
Shetah, plus juif même que Hillel. Pourtant, rien n’est plus dangereux pour
le judaïsme national que ce judaïsme outré ; c’est la ruine de la civilisation
nationale, de l’organisation nationale et de la vie nationale 155. » Selon
Klausner, l’éthique doit fonder une vie sociale dans le cadre d’une
communauté nationale. Or, en déclarant périmées l’observance du sabbat et
la ritualité alimentaire, en critiquant les accommodements de
l’interprétation pharisienne de la Loi pour y substituer des impératifs
radicaux, Jésus « manque complètement de ces grandes qualités politiques
qu’avaient montrées les prophètes qui, d’un regard d’aigle, savaient
embrasser les royaumes et les nations de l’univers entier 156 ». En un mot,
Klausner reproche à l’homme de Nazareth de n’avoir pas su demeurer un
sage, hanté qu’il était par ce qu’il appelle ses « chimères apocalyptiques » ;
il entend par là l’imaginaire du Règne de Dieu.
Klausner a raison de pointer le Règne de Dieu. C’est, pour Jésus, la
perspective d’un Règne futur, mais déjà visible dans le présent, qui confère
à la décision morale son caractère d’urgence. On retrouve ici sa différence
d’avec Jean le Baptiseur : pour Jean, l’imminence de la catastrophe à venir
ne laisse place à aucun atermoiement sous peine d’être exterminé ; pour
Jésus, l’homme dispose d’un délai. La parabole des deux plaideurs le dit
excellemment : « Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire, tant que tu es
encore en chemin avec lui, de peur que cet adversaire ne te livre au juge, le
juge au gendarme, et que tu ne sois jeté en prison. En vérité, je te le
déclare : tu n’en sortiras pas tant que tu n’auras pas payé jusqu’au dernier
centime » (Mt 5,25-26). L’ombre du Règne gagne déjà le présent, si bien
que l’heure n’est plus au calcul. L’injonction faite aux disciples : « Viens,
suis-moi » illustre cet état d’urgence.
Klausner s’est toutefois trompé sur l’origine de l’urgence. Elle n’est pas
d’abord affaire de temporalité comme chez Jean, car Jésus n’est pas un
apocalypticien axé sur l’imminence de la fin ; l’urgence s’origine dans son
image de Dieu. Dans la formule « Règne de Dieu », c’est à « Dieu » qu’il
faut s’intéresser. Quel Dieu ?
Le Dieu de Jésus
Quel est le Dieu de Jésus ? Les textes ne nous offrent pas le loisir de
faire la psychologie religieuse de Jésus ; ils nous permettent en revanche de
savoir comment il parle de Dieu. Le constat est vite fait : à la grande
différence des prières de ses contemporains, qui accumulaient les titres
majestueux autour du nom de Dieu, Jésus est d’une totale sobriété. Bien
qu’il parle du Règne de Dieu, il ne l’appelle jamais roi. Lorsqu’il parle de
Dieu et s’adresse à lui 157, Jésus use d’un seul titre : Père. Il emploie
d’ailleurs un terme araméen si caractéristique de son langage qu’il est passé
dans la langue des premiers chrétiens : abba, équivalent de « papa », une
épithète affectueuse que les enfants adressaient à leur père ou les disciples à
leur rabbi 158.
Et que dit Jésus de ce Dieu-père ? C’est le Père céleste qui pardonne les
fautes (Mt 6,14-15), qui nourrit les oiseaux (Mt 6,26), qui sait ce dont les
hommes ont besoin (Mt 6,32), qui donne de bonnes choses à ses enfants
(Mt 7,11), qui ne veut pas que se perde un seul petit (Mt 18,14). C’est le
Père (et non le roi) que Jésus invite ses disciples à prier (Lc 11,2 ; Mt 6,9).
Un verset de Matthieu est frappant : « Vous donc, vous serez [ou : soyez]
parfaits comme votre Père céleste est parfait » (5,48). Matthieu reformule
probablement une parole dont Luc a conservé une teneur plus ancienne :
« Soyez compatissants comme votre Père est compatissant » (Mt 6,36).
Jésus emprunte le motif biblique de l’imitation de Dieu ; mais alors que
l’Ancien Testament l’applique à la sainteté de Dieu (« Soyez saints, car je
suis saint » Lv 19,2), il l’applique à la compassion. C’est la miséricorde de
Dieu qui devient modèle de la sagesse de Jésus. Matthieu l’a compris ainsi,
car la « perfection » divine est définie juste auparavant : c’est la générosité
du Dieu qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber
la pluie sur les justes et les injustes » (5,45). Invoquer l’ordre de la nature
pour parler de la sagesse immanente au monde n’est pas rare chez les sages
d’Israël 159. Mais Jésus s’appuie sur la générosité sans réserve du Dieu-
providence pour en faire le modèle d’un amour non discriminant. « Si vous
aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir ? » (Mt
5,46). Ses repas illustrent cet adage.
Jésus, l’enfant mamzer, l’enfant sans père, accroche toute sa sagesse au
Dieu-père, dont la présence, la prévenance, l’infinie bonté autorisent un
comportement extravagant de pureté partagée.
Le réalisme de Jésus est là : faire radicalement confiance au Dieu-
providence, qui « sait bien que vous avez besoin de toutes ces choses » que
sont les besoins élémentaires (Mt 6,32). Ce thème de l’amour gratuit, sans
attente de réciprocité, revient dans ses exhortations. C’est l’amour qui quitte
le terrain du donnant-donnant pour se risquer à l’accueil sans
discrimination :
Une personne se révèle par ses relations. « Dis-moi qui sont tes amis,
dis-moi qui sont tes ennemis, je te dirai qui tu es. » Qui Jésus rencontre-t-
il ? Qui affronte-t-il ? Et où ? La provocation que représentait l’annonce du
Règne de Dieu, avec ses radicales conséquences, a créé autour de Jésus une
polarisation entre sympathisants et concurrents.
Une chose est sûre : Jésus a presque exclusivement rencontré des
femmes et des hommes juifs, sur la terre d’Israël. Ses rares incursions dans
les régions à majorité païenne, que ce soit la région côtière (Tyr et Sidon)
ou la Transjordanie, ont été l’occasion de rencontres occasionnelles de non-
juifs ; mais elles n’étaient pas inscrites à son programme, ce que confirme
l’étonnante rencontre avec une femme syro-phénicienne près de Tyr (Mc
7,24-30). Jésus commence par refuser d’exorciser sa fille : « Laisse les
enfants se rassasier, car ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour
le jeter aux petits chiens. » Mais l’obstination de cette femme le poussera à
lever exceptionnellement la barrière entre le peuple élu et les nations, en lui
accordant ce qu’elle demande. Exception, aussi, sa réponse positive à la
supplication du centurion de Capharnaüm en faveur de son serviteur malade
(Mt 8,5-13) ; on n’imagine pas, en effet, qu’un officier de la légion romaine
soit juif. Mais dans ces deux cas d’exception, c’est le guérisseur qui
intervient, pas le prédicateur.
Les premiers chrétiens ont trouvé intérêt à valoriser cette ouverture de
Jésus à l’égard des non-juifs ; l’homme de Nazareth, lui, envisageait sa
vocation en Israël et pour Israël. Le pas qu’il n’a pas franchi (proclamer le
salut hors du judaïsme), les chrétiens d’Antioche le franchiront après lui,
dans les années 35 selon le livre des Actes (11,19-20).
Un Jésus populaire
De l’avis unanime des évangélistes, Jésus et son groupe attiraient les
foules. On pourrait, certes, attribuer à leur désir d’embellissement ces
images d’affluence : la maison où « tant de monde se rassembla qu’il n’y
avait plus de place, pas même devant la porte » (Mc 2,2) ou bien la rive du
lac où « à pied, venant de toutes les villes », les gens couraient à la
rencontre de Jésus (Mc 6,32). L’emphase joue certainement un rôle. Mais
les mentions d’afflux de personnes sont si nombreuses, et présentes dans
toutes les sources à disposition 161, qu’elles ne peuvent être le pur produit
d’une sacralisation de la mémoire. Visiblement, Jésus a captivé par ses
miracles et par sa parole. Des mouvements de foule à sa recherche sont
fréquemment notés. Les gens se massent sur la rive au point qu’il doit
monter sur une barque pour leur parler (Mc 4,1). La foule afflue, si bien que
Jésus ne veut pas la renvoyer sans la nourrir (Jn 6,5). Les gens le pressent
de tous côtés, au point qu’il ne peut savoir qui l’a touché (Mc 5,31). Jésus
rencontre le même succès populaire que le Baptiseur 162, mais un succès
renforcé par son activité de guérisseur.
Le bain de foule qu’a représenté l’entrée de Jésus à Jérusalem, avec
cette incroyable scène des manteaux jetés sur la route et des rameaux agités
à son passage (Mc 11,8), prouve que sa popularité l’avait précédé en Judée.
Comme on le verra, la sympathie des foules basculera à la Passion. Mais,
jusque-là, le rayonnement charismatique de Jésus lui a conféré un
remarquable pouvoir d’attraction.
Deux indices historiques corroborent sa popularité. Le premier est le
témoignage de Flavius Josèphe ; l’historien juif crédite le Nazaréen d’avoir
attiré à lui « beaucoup de juifs et aussi beaucoup du monde grec »
(Antiquités juives, 18, 63 ; voir ici). La mention des Grecs attirés par Jésus
étonne, même si elle rejoint une notation de l’évangéliste Jean (Jn 12,20) ; il
doit s’agir de juifs hellénisés. Ce qui nous intéresse ici est le succès que lui
reconnaît Flavius Josèphe, car il n’avait aucun intérêt à l’inventer. Second
indice historique : le complot sadducéen pour arrêter et condamner Jésus.
Comme le fait remarquer John P. Meier, la menace que représentait le
Nazaréen pour les sadducéens n’aurait eu aucune consistance si celui-ci
n’avait pas attiré de public 163. C’est précisément son aura populaire qui le
rendait, à leurs yeux, dangereux au point qu’il était impératif de l’éliminer.
Le lien entre la notoriété de Jésus et sa fin violente paraît évident.
Si l’image d’un Jésus cerné par les foules est historique, celle d’un
groupe de disciples réduit aux « douze apôtres » tient par contre de
l’imagerie d’Épinal. C’est la représentation que les peintres anciens ont
gravée dans la mémoire chrétienne ; l’Église, qui voyait dans ce cercle sa
préfiguration, avait intérêt à le mettre en avant. Or, non seulement une
lecture attentive des textes évangéliques montre que la réalité était
beaucoup plus fluide ; mais, surtout, cette fixation sur le groupe des douze
intimes de Jésus a eu l’effet désastreux d’occulter la figure des femmes
disciples. Aléas de l’histoire pour les uns, gommage patriarcal de la
présence des femmes pour d’autres… Toujours est-il que l’historien est
assigné à reconstituer le tableau dans sa diversité. L’analyse des données
évangéliques montre que l’entourage de Jésus se composait de trois cercles
concentriques : les Douze, puis les disciples, et enfin les sympathisants.
Les deux termes dont les évangiles usent abondamment pour signaler
l’état de disciple sont le mot « disciple » (mathètès) et le verbe « suivre »
(akolouthein 164). Le passage en revue du vocabulaire permet de vérifier que
« disciple » n’est pas équivalent à « Douze » : le Nathanaël de Jean 1 ne fait
pas partie des Douze, pas plus que Joseph d’Arimathée, qui est désigné
comme « disciple de Jésus » (Jean 19,28 : il demandera de prendre soin du
corps de Jésus). Les deux disciples galiléens que nomment Actes 1,23
(Joseph Barsabbas et Matthias) sont aussi absents des Douze, de même que
Cléopas, le pèlerin d’Emmaüs (Lc 24,18). Bref, les évangélistes ne
confondent nullement le grand nombre des disciples et le cercle restreint
des Douze. Luc peut parler de la « grande foule de ses disciples » qui, avec
le peuple, écoute le Sermon dans la plaine (Lc 6,17). Marc mentionne la
présence au pied de la croix de trois femmes (Marie de Magdala, une autre
Marie et Salomé), qui « suivaient » Jésus depuis la Galilée et le servaient
(Mc 15,40).
On constate in fine que l’état de disciple recouvre une entité fluide, plus
large assurément que le cercle des douze intimes, et faite d’hommes et de
femmes.
Un appel à suivre
Les évangiles s’accordent à dire que Jésus a invité des hommes et des
femmes à partager ses convictions et son style de vie. En un mot, il les a
appelés à le suivre. Cette décision découle de son message fondamental :
l’annonce d’un Règne de Dieu qui vient, et dont l’avènement est déjà
visible dans le présent. Jésus a mobilisé autour de lui des personnes
décidées à visibiliser dans le présent l’espérance du Royaume et à vivre
conformément à cette espérance. Le message du Règne allait de pair avec
une militance partagée. Autour du leader qu’était Jésus se sont regroupés
ses adeptes, qui reconnaissaient son charisme et partageaient son
programme.
Tous, cependant, ne partageaient pas son ethos, c’est-à-dire son style de
vie, car il exigeait itinérance et séparation de la famille. Les adeptes de
Jésus se sont ainsi répartis entre itinérants et sédentaires, les premiers
accompagnant le Nazaréen dans son activité de prédication et de guérison,
les seconds restant insérés dans leur cadre de vie antérieur. Les premiers
étaient les disciples et parmi eux le cercle des Douze, les seconds étaient
des sympathisants.
La tradition a gardé la trace des appels à suivre Jésus ; ils sont de trois
types différents.
Le premier est le plus célèbre : au bord du lac de Tibériade, Jésus
aborde deux couples de frères, Simon et André, Jacques et Jean fils de
Zébédée, et leur dit de laisser là leurs filets pour le suivre (Mc 1,16-20). Il
en va de même pour Lévi, appelé à son bureau de taxes, qui « se leva et le
suivit » (Mc 2,14). Même si les scènes ont été stylisées en ne laissant
aucune place à l’hésitation des interpellés, elles manifestent les trois traits
distinctifs de la vocation à être disciple : 1) un appel impérieux du maître ;
2) la nécessité de quitter son milieu social et professionnel pour une
nouvelle existence ; 3) l’orientation donnée à cette nouvelle vie par la
suivance du maître, qui consiste à partager ses convictions et sa vie.
Dans les récits du deuxième type, rapportés par la Source des paroles de
Jésus, les individus se proposent parfois d’eux-mêmes (Lc 9,57-62 ; Mt
8,18-22). L’un, déclarant vouloir suivre Jésus, se voit prévenir : « Les
renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l’homme,
lui, n’a pas où poser la tête » (Lc 9,58). Un autre qui, à l’invitation de Jésus,
sollicite la permission d’aller d’abord enterrer son père, se voit répondre :
« Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de
Dieu » (Lc 9,60). Au troisième qui demande d’aller faire ses adieux à ceux
de sa maison, Jésus rétorque : « Quiconque met la main à la charrue, puis
regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu » (Lc 9,62).
Ces récits du deuxième type mettent en évidence la radicalité de
l’appel : toute autre considération doit s’effacer devant la nouvelle priorité
qu’est la suivance du maître. Cette radicalité a quelque chose d’effrayant :
même les liens les plus inviolables, même les devoirs les plus sacrés
doivent céder face à l’appel du Royaume. L’aphorisme « Laisse les morts
enterrer leurs morts » est le plus désacralisant qu’ait jamais prononcé Jésus
selon les évangiles ; il est sans équivalent dans l’Antiquité, sinon chez
quelques philosophes à la morale antisociale 165. Les devoirs funéraires
envers la famille, qui plus est envers le père, constituaient dans le judaïsme
un impératif sacré qui autorisait la suspension de toute autre prescription de
la Torah. Les rites funéraires familiaux étaient d’ailleurs étroitement
codifiés. Nul doute qu’une parole aussi provocatrice émanant d’un jeune
homme de trente ans, qui plus est non marié, n’ait été considérée comme
une insanité par bon nombre de ses auditeurs. Or tel est, selon lui, le prix à
payer pour entrer dans la communauté du Royaume. On comprend que ceux
que j’ai appelés les « sympathisants » aient reculé devant ce qui leur
apparaissait comme une monstruosité antisociale.
L’appel du troisième type se lit en Jean 1,35-51. Une réaction en chaîne
y est rapportée : Jean le Baptiseur enjoint à deux de ses disciples, dont
André, de suivre Jésus ; le dénommé André va trouver son frère Simon-
Pierre et l’amène à Jésus ; Jésus appelle Philippe à le suivre, et le même
Philippe décide Nathanaël à venir voir ce nouveau rabbi. La séquence
comme telle est une recomposition du quatrième évangéliste, mais elle a
gardé mémoire d’un autre type de vocation : le bouche à oreille. Que le
Baptiseur ait dirigé l’un ou l’autre de ses adeptes vers son disciple (le plus
doué ?) n’est pas du tout exclu.
En résumé, le recrutement des adeptes de Jésus a emprunté des
modalités variées : appel, engagement volontaire, effet de contagion. D’une
façon ou d’une autre, la relation personnelle au maître a été déterminante :
c’est Jésus qui décide, et c’est lui que l’on suit en devenant son disciple.
Non rabbi, mais prophète
Pour le connaisseur du judaïsme ancien, la première analogie à cette
relation maître-disciple qui vient à l’esprit est le modèle rabbinique. Les
rabbis, on le sait, rassemblaient leurs élèves dans une maison
d’enseignement et ceux-ci partageaient, au moins partiellement, sa vie.
Mais à regarder de près, l’analogie s’évanouit, tant les différences sont
grandes. Le rabbi est sédentaire alors que Jésus est un prédicateur itinérant.
Le rabbi n’explique la Torah qu’aux hommes alors que des femmes suivent
Jésus. L’élève du rabbi peut changer de maître et, au terme de
l’apprentissage, devient maître à son tour ; la suivance de Jésus n’est pas à
option et l’élève ne remplace jamais le maître. Le rabbi fait apprendre son
enseignement par voie de mémorisation ; Jésus n’a rien écrit et ne dicte pas
de doctrine à apprendre par cœur. Seule exception, peut-être : le « Notre
Père », prière distinctive communiquée par Jésus au groupe des disciples
(Lc 11,2-4).
Si le modèle n’est pas à chercher du côté rabbinique, où se trouve-t-il ?
Le premier type de récit de vocation nous indique la voie à emprunter
(Mc 1,16-20). Car l’appel impérieux à suivre, doublé de la séparation de la
famille et de l’obéissance immédiate du disciple, a un précédent bien connu
dans la Bible hébraïque : la vocation d’Élisée (1 R 19,19-21). Élisée,
comme Lévi, est surpris en plein travail par le prophète Élie ; il va prendre
congé de son père et de sa mère – ce que lui autorise la coutume 166 ; il
sacrifie ses bœufs, les offre à manger à sa famille et suit Élie. On
remarquera qu’en interdisant de dire adieu à la famille, Jésus bouscule les
mœurs. Néanmoins, la radicalité de la vocation des disciples trouve ici son
antécédent. C’est à la façon impérieuse d’un prophète, et non d’un rabbi,
que Jésus appelle à le suivre.
Un autre trait va dans le même sens : l’envoi des disciples en mission.
Non seulement Jésus invite ses adeptes à inscrire leur vie sous l’horizon du
Royaume, non seulement il les invite à en partager les valeurs et les
exigences, mais il les associe à la visibilité du Règne en leur demandant de
prêcher et en les dotant du pouvoir de guérir. L’évangile de Marc et la
Source des paroles sont d’accord sur ce point : Jésus envoie ses adeptes
proclamer le Règne de Dieu en leur donnant autorité sur les esprits impurs
(Mc 6,7 ; Lc 9,2). Proclamation et guérison vont de pair. Jésus dote ses
disciples de son message eschatologique et de son pouvoir thérapeutique.
Rien ne dit, comme le laisse entendre Marc, que cet envoi missionnaire
n’eut lieu qu’une seule fois et qu’il fut réservé aux Douze. En lançant leur
mission après la mort et la résurrection de leur Seigneur, les disciples n’ont
fait que poursuivre une entreprise initiée de son vivant par Jésus.
Le plus impressionnant à relever est l’extrême dénuement imposé par le
maître à ses disciples missionnaires : « Il leur ordonna de ne rien prendre
pour la route, sauf un bâton : pas de pain, pas de sac, pas de monnaie dans
la ceinture, mais pour chaussures des sandales, et ne mettez pas deux
tuniques » (Mc 6,8-9). Le texte parallèle de la Source exclut même le bâton,
pourtant indispensable pour se défendre en chemin : « Ne prenez rien pour
la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent ; n’ayez pas chacun deux
tuniques » (Lc 9,3). Aux yeux des contemporains, les messagers du
Royaume devaient ressembler à ces esséniens ou à ces philosophes
cyniques qui, eux aussi, parcouraient les chemins en prédicateurs
ambulants. Sauf que les esséniens, eux, avaient droit au bâton pour se
défendre 167.
Les envoyés de Jésus devaient conformer leur existence au message
qu’ils véhiculaient : ni richesse, ni réserves, ni moyen de défense. Démunis,
ils étaient livrés à l’accueil qui leur était réservé ou refusé. Leur seule
sécurité résidait en Dieu. Leur discours n’avait rien d’autoritaire, le seul
pouvoir à leur disposition étant leur pouvoir-guérir. Ce que dit Jésus d’une
vie libérée des soucis leur est directement destiné :
« Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour
votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la
nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » [Tirant à la manière des
sages les leçons de la nature, où Dieu prend soin des oiseaux du ciel et des
lys des champs, Jésus conclut :] « Ne cherchez pas ce que vous mangerez,
ni ce que vous boirez, et ne vous tourmentez pas. Tout cela, les païens de ce
monde le recherchent sans répit, mais vous, votre Père sait que vous en avez
besoin. Cherchez plutôt son Règne, et cela vous sera donné par surcroît. »
(Lc 12,22-33)
Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, et parmi elles Marie
de Magdala, Marie la mère de Jacques le Petit et de José, et Salomé, qui le
suivaient et le servaient quand il était en Galilée, et plusieurs autres qui
étaient montées avec lui à Jérusalem. (Mc 15,40-41)
Pierre dit à Marie : « Sœur, nous savons que le Sauveur t’aimait plus
qu’aucune autre femme. Dis-nous donc les paroles du Sauveur dont tu te
souviens, celles que tu connais, que nous ne connaissons pas et que nous
n’avons pas entendues. » Marie répondit et dit : « Ce qui vous est caché, je
vais vous l’annoncer » (10,1-6). [Cette place de choix soulève la
protestation de Pierre :] « Se peut-il qu’il se soit entretenu secrètement avec
une femme, à notre insu et non ouvertement, si bien que nous devrions faire
volte-face et tous lui obéir ? L’a-t-il choisie de préférence à nous ? » (17,18-
21 ; trad. F. Morard)
La Sagesse, qui est appelée « la stérile », est la Mère des anges. Et l’associé
[koinônos] du Fils est Marie-Madeleine. Le Seigneur aimait Marie plus que
les autres disciples et il l’embrassait sur [la bouche 180] souvent. Les autres
disciples le virent aimant Marie, ils lui dirent : « Pourquoi l’aimes-tu plus
que nous tous ? » Le Seigneur répondit, il leur dit : « Comment se fait-il que
je ne vous aime pas autant qu’elle ? » (55 ; trad. J. Ménard)
Il n’en fallait pas plus pour étayer la théorie de Marie épouse secrète du
Christ. C’est malheureusement ignorer le code de lecture des textes
gnostiques. La spiritualité ésotérique à laquelle appartiennent ces deux
évangiles use en effet d’un langage non sexuel (elle bannit au contraire le
sexe), mais symbolique. En s’embrassant à pleine bouche, Jésus et Marie
échangent leur haleine, ils unissent leur souffle spirituel. Le baiser illustre le
souffle de connaissance que Jésus transmet à Marie pour qu’elle devienne
l’inspiratrice de son message. Marie n’est pas l’amante de Jésus, mais son
« associé » (le mot est au masculin), son messager, son disciple préférentiel
– son alter ego, en quelque sorte.
Disons-le autrement. Pour appuyer sa lecture des évangiles, la
chrétienté gnostique a besoin d’une figure tutélaire. Pierre étant
réquisitionné par l’Église majoritaire, cette chrétienté érige Marie de
Magdala en garante d’une doctrine reçue à l’insu des autres disciples. On
peut même penser que plus l’Église majoritaire s’est faite patriarcale et a
verrouillé sa lecture autour des « douze apôtres », plus les chrétientés
marginales ont opté pour les figures féminines. Ce qui peut indiquer, mais
ce n’est pas obligatoire, que les femmes jouaient dans ces communautés un
rôle plus marqué qu’ailleurs.
Revenons à la Marie des évangiles. Fut-elle une femme disciple plus
proche de Jésus que d’autres ? Jésus a-t-il eu une affection plus marquée
pour elle ? Ce n’est pas impossible, et le rôle que lui reconnaît la tradition
autour de la mort-résurrection de Jésus en serait la confirmation. Cette
proximité expliquerait aussi pourquoi des chrétientés marginales ont pu,
brodant sur cette accointance, s’emparer de cette figure. Mais le manque
d’informations historiques à son propos a généré les spéculations les plus
débridées ; Thierry Murcia a récemment réhabilité l’interprétation
orthodoxe qui identifie Marie avec la mère de Jésus 181. Stoppons là, avant
que l’imagination n’engloutisse tout à fait la raison historique…
Les concurrents
Et les concurrents de Jésus ? À qui s’est-il frotté ? Qui a réagi
négativement à sa provocation ?
Il a été dit au chapitre précédent que le judaïsme de son temps était
extrêmement diversifié, éclaté en une multiplicité de familles spirituelles, si
bien que l’on parle volontiers des judaïsmes plutôt que du judaïsme ancien.
Ce n’est qu’après la catastrophe de 70, qui voit Jérusalem envahie par les
légions de Titus et le Temple incendié, que le judaïsme se recompose et
qu’émerge une orthodoxie sous l’égide des pharisiens. Auparavant, c’est la
pluralité qui fait loi. Nulle surprise qu’au sein de la grande famille juive, on
ait réagi diversement au message du Nazaréen.
Flavius Josèphe présente le judaïsme d’avant 70 sous la forme de trois
« écoles de philosophie » (c’est le terme qu’il utilise, à la grecque) : les
sadducéens, les pharisiens et les esséniens 182. Il en ajoute une quatrième,
nationaliste et contestataire, qui deviendra dans les années 50 le groupe
zélote et s’opposera militairement aux Romains ; il déteste ces gens 183.
Sadducéens et pharisiens sont nommés dans les évangiles, de même qu’un
zélote, l’un des Douze, « Simon le Zélote », mais les esséniens sont
absents ; les évangiles citent en outre les maîtres de la Loi (ou scribes) et les
Hérodiens.
S’agissant du judaïsme d’avant 70, notre information suit des modalités
surprenantes. La source juive la plus ancienne est la Mishna, dont la
compilation date d’environ 200 ; elle recueille des traditions anciennes,
mais triées et reformatées au long des deux premiers siècles. Du coup, les
informations historiquement les plus proches proviennent des évangiles et
des Actes des apôtres d’une part, de Flavius Josèphe d’autre part. Mais nous
ne devons pas ignorer non plus que les évangiles font preuve
d’anachronisme en projetant dans leur narration l’image du judaïsme qu’ils
ont sous les yeux et avec qui ils sont en conflit. Cette pression de l’image
du judaïsme contemporain est faible chez Marc, plus forte chez Matthieu et
écrasante chez Jean, pour qui « les juifs » sont une masse monolithique
hostile à Jésus. Luc, en revanche, respecte la pluralité des courants. Il nous
faut donc décaper soigneusement les informations évangéliques sur les
groupes concurrents de Jésus pour en retirer les traits tardifs et
anachroniques.
Maîtres de la Loi et pharisiens
Le terme « scribe » désigne en grec un individu capable de lire et
d’écrire. Dans le judaïsme, cette capacité s’applique au document écrit par
excellence, la Torah. Les scribes étaient les catéchètes du peuple ; ils
remplissaient cette fonction indispensable d’édicter comment les
prescriptions divines s’appliquaient à la vie courante. Certains appartenaient
au parti pharisien, d’autres pas. On comprend immédiatement pourquoi les
scribes, enseignants populaires, ont été les premiers à entrer en compétition
avec Jésus. Sa lecture radicale de la Loi devait les intriguer autant que les
libertés prises à l’égard du jeûne et du sabbat. L’interprétation de la Torah
était matière à débat au sein de la famille juive, mais la provocation du
Nazaréen était si forte que leur question première fut de savoir sur quelle
autorité il s’appuyait pour parler et agir ainsi. Normalement, un rabbi donne
ses sources et s’appuie sur une chaîne d’anciens pour légitimer son
opinion ; Jésus avait l’impertinence de ne pas le faire.
Les évangiles associent le plus souvent scribes et pharisiens. Les
pharisiens étaient aussi des concurrents naturels de Jésus, car ils se posaient
en experts pointus de l’observance de la Torah dans la vie quotidienne. Les
évangiles leur attribuent une hostilité croissante dans leur rapport au
Nazaréen, mais encore une fois, ce portrait est contaminé par la tension
entre les chrétiens et les rabbis, descendants des pharisiens, qui reprirent en
main le judaïsme après la catastrophe de 70. Selon Jacob Neusner, les
traditions recueillies par la Mishna, même tardives, permettent d’identifier
chez les pharisiens un intérêt marqué pour la pureté rituelle, des tabous
concernant l’agriculture et une fixation sur le sabbat et la dîme 184. Le
mouvement pharisien (leur nom perushîm veut dire : « séparés ») naît au
e 185
II siècle av. J.-C., en réaction à l’hellénisation de la cour hasmonéenne .
La réaction des hassidim, les pieux, aurait engendré à la même époque le
mouvement essénien, dont est issu le groupe de Qumrân. Après le IIe siècle,
les pharisiens ont quitté le terrain politique pour se concentrer sur la foi
vécue en conventicule ; leur influence sur le peuple tenait à l’ascendant
exercé par leur enseignement, où l’obéissance requise à l’égard de la Torah
confinait à la minutie. Lorsque Jésus les taxe d’hypocrisie, ce n’est pas pour
leur reprocher d’être faux, mais parce qu’ils se trompent sur l’essentiel de la
Loi en négligeant l’impératif de l’amour (Mc 7,6 ; Lc 13,15 ; Mt 23,13-15).
Dans la petite parabole du pharisien et du collecteur de taxes, il tourne en
dérision leur autosatisfaction (Lc 18,11-12).
L’enseignement pharisien, en militant pour une stricte obéissance à la
Torah, visait à préserver l’identité d’Israël ; au tournant de l’ère chrétienne,
il diffusait une propagande efficace pour la croyance en la résurrection des
morts, comme le reconnaît l’apôtre Paul (Ac 23,6). Qu’ils entrent en
compétition avec l’enseignement de Jésus était inévitable, non seulement
parce que le Nazaréen défendait une autre lecture de la Loi, mais parce
qu’il était porteur d’une autre vision de l’identité d’Israël, axée sur une
sainteté inclusive et non exclusive. Ce mouvement de laïcs ambitionnait en
effet d’observer les règles strictes de pureté imposées aux lévites.
Toutefois, l’intérêt des pharisiens pour le débat exégétique avec Jésus
nous a été préservé, surtout dans l’évangile de Luc 186. Ils n’avaient aucune
raison de nourrir une haine mortelle à l’égard de Jésus, ni de collaborer à un
complot contre lui. Preuve en est que ni Marc ni Luc ne mentionnent leur
présence lors de la Passion ; seuls Matthieu et Jean le font, mais on connaît
leur tendance à accentuer la connotation négative qu’ils leur affectent (Mt
27,62 ; Jn 18,3).
Zélotes, Hérodiens, sadducéens
Si le désaccord des pharisiens ne les poussait pas à la conspiration, qui
d’autre ?
Les zélotes, pour commencer. En 2013, Reza Aslan a publié un livre,
traduit l’année suivante en français sous le titre Le Zélote 187. Le scandale a
été immédiat aux États-Unis. Aslan déclarait révéler la « vraie vie » de
Jésus. Son idée : Jésus fut un révolutionnaire zélote, un insurgé illettré voué
à la seule cause des juifs, partisan d’une extermination des Romains. Les
évangéliques américains ont vertement reproché à l’auteur musulman,
converti un temps à la foi chrétienne puis revenu à sa religion d’origine, de
vouloir ruiner le christianisme en dénigrant son fondateur. Faire de Jésus un
agitateur politique revient, disaient-ils, à considérer les évangiles comme
une fumisterie, un camouflage religieux de la réalité. Assurément, le livre
de Reza Aslan va à l’encontre des données évangéliques et crée un
personnage qui n’a pas existé ; mais au-delà de l’outrance, il rappelle
qu’annoncer le Règne de Dieu n’était pas un acte politiquement anodin. Un
prophète galiléen prêchant le malkut YHWH (royaume de Dieu) ne pouvait
que retenir l’attention des zélotes.
Au temps de Jésus, ceux-ci n’étaient pas encore le mouvement
d’insurrection armée qu’ils deviendront dans les années 50 188. Initialement,
ils constituaient l’aile dure du pharisaïsme, ajoutant à la piété et à l’attente
du Royaume une dimension activiste et violente. Il s’agissait de débarrasser
la Terre sainte des occupants impies. Ces « zélés » pour Dieu se recrutaient
dans toutes les couches de la société, même chez les prêtres, et sans doute
particulièrement chez les jeunes. Si la prédication de Jésus sur le Règne de
Dieu a retenu leur attention, sa position non violente le discréditait à leurs
yeux. Flavius Josèphe leur reproche de s’être radicalisés (Guerre des juifs,
4, 161). Dans la population, ils devaient être ressentis à la manière dont le
sont aujourd’hui les intégristes religieux dans leur pays, c’est-à-dire avec un
mélange de respect et de crainte.
À l’autre extrême de l’échiquier politique, on trouve les Hérodiens,
mentionnés à deux reprises dans l’évangile de Marc. Il ne s’agit pas d’une
école de pensée, mais de partisans ou de courtisans d’Hérode Antipas, le
tétrarque de Galilée. Ils protestent contre une guérison effectuée un jour de
sabbat (Mc 3,6) et lui posent la question piège sur l’impôt (« Est-il permis
ou non de payer le tribut à César ? » Mc 12,14). On les imagine comme des
espions politiques, prompts à dénoncer toute rébellion au pouvoir établi.
Les sadducéens, en revanche, sont mieux organisés. Ils représentent
l’élite sacerdotale et laïque d’Israël ; les familles de grands prêtres jouaient
un rôle déterminant en leur sein. Bien qu’ils n’aient laissé aucun écrit
derrière eux, on sait qu’ils considéraient le seul Pentateuque comme la base
scripturaire de la foi d’Israël. Ils pratiquaient une sorte de fondamentalisme
en s’opposant à la tradition orale, cette tradition interprétative chère aux
pharisiens. C’est essentiellement à Jérusalem que se concentraient les
sadducéens, ce qui explique que les évangélistes les font peu intervenir en
Galilée. Le seul débat doctrinal qu’ils engagent avec Jésus a lieu justement
à Jérusalem ; il concerne la foi résurrectionnelle qui, en vertu de son
absence dans le Pentateuque, constituait à leurs yeux une incongruité (Mc
12,18-27). Mais l’objection théologique est marginale face au soupçon que
nourrissent ces gardiens de l’ordre public à l’égard du trublion qu’était
Jésus.
Pratiquement absents durant l’activité galiléenne de Jésus, les
sadducéens montent en puissance lors de son bref séjour à Jérusalem. Ce
sont eux qui, comme on le verra, portent la responsabilité du projet
d’éliminer Jésus. La faction sadducéenne du sanhédrin autour du grand
prêtre, à laquelle se sont joints les scribes d’obédience sadducéenne et les
anciens (notables laïcs), a joué un rôle déterminant dans les événements qui
précipitèrent la fin du Nazaréen. C’est de ces trois instances qu’émane la
question indignée lancée à Jésus : « En vertu de quelle autorité fais-tu cela ?
Ou qui t’a donné autorité pour le faire ? » (Mc 11,28). La réprobation de
l’élite devant ce qui lui apparaissait comme une dangereuse arrogance s’y
exprime on ne peut mieux.
Leur question est aussi la nôtre : au nom de quelle autorité Jésus agit-
il ? Sur quoi se fonde-t-il pour bousculer à ce point ses contemporains ?
Quelle conscience avait-il de son rôle ? Voilà le thème de notre prochain
chapitre.
CHAPITRE 8
Jésus et sa vocation
Tout homme qui vient à moi, qui entend mes paroles et les met en pratique,
je vais vous montrer à qui il est comparable. Il est comparable à un homme
qui bâtit une maison : il a creusé, il est allé profond et a posé les fondations
sur le roc. Une crue survenant, le torrent s’est jeté contre cette maison mais
n’a pu l’ébranler, parce qu’elle était bien bâtie. Mais celui qui entend et ne
met pas en pratique est comparable à un homme qui a bâti une maison sur le
sol, sans fondations : le torrent s’est jeté contre elle et aussitôt elle s’est
effondrée, et la destruction de cette maison a été totale. (Lc 6,47-49)
Comme il en fut aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il aux jours du Fils de
l’homme : on mangeait, on buvait, on prenait femme, on prenait mari,
jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, alors le déluge vint et les fit tous
périr. Ou aussi, comme il en fut aux jours de Loth : on mangeait, on buvait,
on achetait, on vendait, on plantait, on bâtissait ; mais, le jour où Loth sortit
de Sodome, Dieu fit tomber du ciel une pluie de feu et de soufre et les fit
tous périr. Il en ira de la même manière le jour où le Fils de l’homme se
révélera. (Lc 17,26-30)
L’image oscille : tantôt le Fils de l’homme (comme ici) paraît présider
le Jugement du monde, tantôt il est défenseur ou accusateur devant le Juge
suprême (comme en Luc 12,8-9). Mais peu importe. La question majeure
est : Jésus parle-t-il de lui-même ou d’un autre ? Les paroles sur le Fils de
l’homme présent, ainsi que l’interprétation chrétienne des paroles sur le Fils
de l’homme souffrant, feraient pencher vers le premier sens. Mais les
paroles les plus anciennes, comme celles que nous avons citées en Marc
8,38 et Luc 12,8-9, ne préservent-elles pas le mode de parler de Jésus, que
le télescopage ultérieur avec son « je » n’a pas fait disparaître ? À cette
question âprement discutée, je réponds ainsi : l’ancienneté de la dissociation
entre le « je » de Jésus et la figure eschatologique du Fils de l’homme est un
roc fondateur que l’historien ne peut ignorer. Si Jésus n’a pas déclaré
ouvertement qu’il était le Fils de l’homme à venir, c’est que, pour la
tradition juive, cet être est élu par Dieu et vient de lui.
Je m’explique. Il est bien plus logique que la dissociation entre Jésus et
le Fils de l’homme soit historiquement première, la fusion intervenant dans
la foi des premiers chrétiens. L’inverse n’est pas concevable. Jésus est
convaincu, et il l’énonce de façon réitérée, qu’au jour du Jugement, le Fils
de l’homme entérinera la position prise par les hommes à son égard et à
l’égard de son enseignement 213. Il affirme donc sans ambages le caractère
ultime, eschatologique, de ce qu’il vient apporter. Mais il ne déclare pas
« Je serai ce Juge dernier », car s’autodésigner reviendrait à anticiper le
choix de Dieu.
Un homme pouvait aspirer à devenir maître dans le judaïsme. Pour
devenir prophète, il fallait être appelé. Pour être reconnu Messie, il fallait
que les hommes valident cette consécration. Mais l’on ne pouvait être Fils
de l’homme que si l’on était élevé par Dieu à cette fonction. Dieu seul
pouvait investir Jésus dans ce rôle et en faire la révélation. Si Jésus avait la
ferme espérance que Dieu allait prochainement révéler son statut de Fils de
l’homme, les disciples après Pâques ont considéré que Dieu avait révélé ce
statut 214. Ayant reçu la révélation que Dieu avait élevé à lui le Crucifié, ils
ont procédé à la fusion dont le Nazaréen s’était gardé : Jésus est le Fils de
l’homme qu’on attendait… mais autrement !
L’effet de Pâques
L’effet de Pâques ne s’est pas limité là. Alors que Jésus avait
essentiellement manifesté la conscience qu’il avait de lui-même par son dire
et son faire, avec une incontestable répugnance à revendiquer des titres au
contenu trompeur, les titres vont monter en force dans la réflexion
postrésurrectionnelle des croyants. Le titre de Messie, que lui avaient accolé
amis et ennemis, a été réinvesti par la dimension de la souffrance et
réorienté vers l’universalisme ; il pâlit jusqu’à devenir un nom propre.
L’énigmatique figure du Fils de l’homme a pu être identifiée avec Jésus
parce que, dans la foi de ses amis, Dieu a élevé celui-ci au ciel ; le correctif
de la souffrance lui a également été apposé. D’une christologie évoquée, ou
même implicite, on est passé à une christologie explicite.
D’autres titres ont suivi. Passant outre le refus opposé par Jésus d’être
assimilé à Dieu, les premiers chrétiens lui ont accolé le titre de Seigneur
(Kyrios), qui le dotait d’une autorité divine. Kyrios allait rapidement
devenir le titre christologique majeur. Celui de Fils de Dieu, dont je rappelle
que du vivant de Jésus, il n’est prononcé dans les évangiles que par Dieu et
par les démons, va de même lui être accordé après Pâques. Mais les
évangélistes synoptiques respecteront le calendrier : seul le narrateur (Mc
1,1) et l’officier romain après la mort de Jésus (Mc 15,39) le prononcent.
L’évangile de Jean n’aura pas la même retenue. La filialité divine, qui va de
pair avec l’onction du Messie royal – le roi en Israël est sacré fils de Dieu –,
n’a initialement aucune connotation biologique ; le fils est institué en
représentant autorisé du père, comme sa présence in absentia. Le Crucifié
ressuscité n’est donc pas seulement attiré dans l’orbite divine par le titre de
Kyrios ; par celui de Fils de Dieu, il est vu dans une proximité unique et
exclusive avec la divinité.
En rester là amènerait à conclure : les disciples ont finalement trahi le
maître en l’affublant de titres dont il ne voulait pas. Il y a certes un
décalage, et je l’ai abondamment montré, entre le titre et la manière dont
Jésus habite le rôle. Et le décalage s’est démesurément agrandi dans la
définition (non plus fonctionnelle mais ontologique) de ces titres au sein de
la dogmatique chrétienne, avec ses spéculations sur la nature divine du
Christ. Mais, pour ce qui concerne la proximité avec Dieu, il n’est pas
possible d’ignorer l’intimité que Jésus revendique. Non seulement il appelle
toujours Dieu « père » et jamais autrement, mais, quand il s’adresse aux
disciples, il différencie entre « votre père » et « mon père 215 ». Sur le fond,
Jean n’a pas tort de faire dire au Ressuscité : « Je monte vers mon Père qui
est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu » (Jn 20,17). Traduisons :
l’expérience unique de Dieu, qui fut celle de Jésus, voilà ce qu’il a partagé
avec les siens. En définitive, ce n’est pas ce que Jésus pensait de lui-même
qui est décisif, mais plutôt sa conscience d’une exceptionnelle intimité avec
Dieu, dont il s’est voulu le témoin.
CHAPITRE 9
Mourir à Jérusalem
« C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais
qu’il soit déjà allumé ! C’est un baptême que j’ai à recevoir, et comme cela
me pèse jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » (Lc 12,49-50)
Cette action (le seul geste violent rapporté de Jésus) a de tout temps
dérouté les lecteurs. L’embarras des évangélistes devant ce geste sacrilège
est patent : Marc le justifie en recourant à Esaïe 56,7 (la maison de prière
pour toutes les nations) et Jérémie 7,11 (la caverne de bandits) ; Matthieu
l’adoucit en introduisant des miracles de guérison (Mt 21,14) ; Luc résume
à l’extrême l’épisode (Lc 19,45-48) et Jean l’affiche au début de son
évangile en dénonçant la marchandisation du sanctuaire (Jn 2,13-17).
Aujourd’hui encore, ce geste demeure énigmatique, car Jésus n’en a laissé
aucune interprétation autorisée. Les historiens hésitent sur le sens à lui
conférer. Soupesons les hypothèses.
L’évangéliste Marc, le premier, avance une explication en dénonçant un
commerce illicite (« Vous en avez fait une caverne de bandits ») ; Jean
confirme : « […] ne faites pas de la maison de mon Père une maison de
trafic ». Cette lecture s’est imposée dans le titre traditionnellement conféré
à cet épisode : la purification du Temple. Mais s’agit-il seulement de
protester contre le commerce religieux ? Certains, comme Jacob Neusner,
pensent à une réforme cultuelle : Jésus bloque la pratique sacrificielle qui
impliquait l’activité des marchands, dans le but de promouvoir un culte
purement spirituel 223. Joachim Jeremias voit dans l’acte de Jésus une
protestation sociale contre les profits que l’aristocratie du Temple tirait de
ce commerce 224. Pour Ed Sanders, ce geste signifie bien plus
fondamentalement une destruction symbolique du Temple. Sanders s’appuie
sur l’attente, qui traverse toute l’eschatologie juive depuis Michée, que
l’ancien Temple sera détruit et qu’un nouveau apparaîtra quand sonnera la
venue de la fin des temps ; Jésus aurait voulu, par son geste provocateur,
précipiter cette issue 225.
Il y a aussi, comme toujours, ceux qui contestent l’historicité de
l’événement 226 ; mais qui aurait inventé chose pareille, parmi les premiers
chrétiens qui, soit dit en passant, continuaient à prier au Temple (Ac 2,46) ?
Qu’on le catalogue sur le plan moral, religieux, social ou eschatologique, le
sens de l’événement échappe.
Tentons de cerner l’acte de plus près.
Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’un acte symbolique à la manière des
prophètes. Il a été d’envergure limitée, car sinon il aurait déclenché
l’intervention de la police du Temple. Comme tous les actes prophétiques, il
symbolise une réforme à opérer, mais laquelle ? L’événement se déroule sur
le parvis des païens, la première cour du Temple, ouverte à tous. C’est là
que s’opèrent les achats d’animaux sacrificiels et que les fidèles s’adressent
aux changeurs pour troquer leur monnaie impure contre la drachme d’argent
frappée à Tyr, seule devise acceptée pour les offrandes sacrées. Barrer la
route à ceux qui traversent l’esplanade en portant un fardeau devait viser,
dans ce contexte, ceux qui approvisionnent les changeurs et les vendeurs
d’animaux. Bref, le parvis des païens fonctionnait comme un sas protecteur
de la sainteté du Temple, donnant accès au parvis des femmes, puis au
parvis d’Israël (réservé aux hommes).
Cette barrière protectrice était signalée par des écriteaux punissant de
mort les non-juifs qui l’outrepasseraient pour pénétrer dans les parvis
internes ; on connaît leur existence par Philon et Flavius Josèphe, et l’un
des panneaux a été retrouvé par hasard en 1871 227. L’action de Jésus tente
donc de bloquer, en tout cas symboliquement, la procédure par laquelle les
croyants juifs s’affranchissaient d’un monde impur pour accéder à la pureté
du Temple.
Bousculer les marchands, c’est assurément s’attaquer à un système
économique puissant et rentable dont profitait l’aristocratie sacerdotale.
Mais je doute que l’objectif premier de Jésus ait été celui-là. Je ne peux
m’empêcher de rapprocher ce geste de son combat sur la question de la
pureté : ce n’est pas de l’impureté d’autrui qu’il faut se prémunir, selon lui,
c’est la pureté qu’il s’agit de rendre contagieuse (voir ici). La conviction de
la proximité du Règne implique à ses yeux une immédiateté fulgurante de la
présence de Dieu au monde. C’est pourquoi il n’a pas fui ceux que la Torah
déclarait impurs (malades, femmes, possédés, païens), mais leur a annoncé
la grâce inclusive de Dieu. Cette inclusivité s’applique aussi au Temple : la
présence de Dieu à son peuple ne s’embarrasse pas des barrières
protectrices qui filtrent les uns et retiennent les autres. Dieu est présent à
tous et à toutes, sans discrimination.
C’est pourquoi il s’est avéré impérieux pour Jésus d’enrayer cette
procédure de blanchiment par laquelle les croyants s’achètent une pureté
pour accéder à Dieu. Toute médiation, fût-elle millénaire, qui obstrue la
relation à Dieu doit être écartée. À Jérusalem, l’homme de Nazareth
proclame la grâce inclusive de Dieu au lieu le plus saint de la foi d’Israël 228.
Qu’à la suite de cet éclat, le milieu du grand prêtre et les scribes
« cherchaient comment ils le feraient périr » n’étonne pas (Mc 11,18). À
leurs yeux, l’outrage au Temple et à leur pouvoir était patent. La
protestation prophétique du Nazaréen les dénonçait comme des receleurs de
la sainteté de Dieu (« une caverne de bandits »). Leur délit n’était pas de
faire du commerce, mais d’outrager la sainteté divine en la confisquant à
leur profit.
Dernier repas
Pressentant que l’hostilité déclenchée va l’emporter, Jésus prend un
dernier repas avec les Douze. Là aussi, les évangiles attribuent à Jésus
l’organisation de ce moment : deux disciples doivent se rendre à Jérusalem,
suivre un homme portant une cruche d’eau et s’enquérir auprès du maître de
maison du lieu où se tiendra le repas (Mc 14,12-16). En l’occurrence, Jésus
s’invite chez un sympathisant du groupe appartenant à ce que j’ai appelé le
« troisième cercle » des adhérents (voir ici et là). En revanche Marc, et à sa
suite Matthieu et Luc, se trompent en parlant d’un repas pascal.
En effet, le repas de la Pâque se consomme en famille ; il est présidé par
le père. Il comprend les herbes amères, l’agneau, le pain azyme, le vin. Son
déroulement prévoit l’explication, en référence à la sortie d’Égypte, du
pourquoi des aliments consommés, ainsi que la récitation du grand hallel
(les Psaumes 113-116). Or, le récit du dernier repas ne mentionne ni herbes
ni agneau. Le hallel n’est pas mentionné non plus. Jésus n’interprète que
deux éléments : le pain et la coupe de vin. De plus, il fait circuler une seule
coupe, à laquelle tous boivent, au lieu des coupes individuelles prescrites
pour l’occasion. Sauf cas improbable où les textes évangéliques auraient
passé sous silence les éléments constitutifs du repas pascal et sa liturgie,
parce qu’ils le jugeaient évident, le dernier repas de Jésus avec les Douze
ne fut pas pascal.
La chronologie du quatrième évangile nous vient en aide, car elle situe
ce repas à la veille de la Pâque (Jn 13,1). Très exactement, elle le date du
soir précédent, le jeudi soir (le jour, en tradition juive, débute au coucher du
soleil). D’après ce calendrier, Jésus a été mis à mort le vendredi, qui est le
jour dit « de la préparation », où les agneaux étaient égorgés au Temple en
prévision du repas pascal qui aurait lieu au soir (Jn 19,31). Cette datation
s’accorde avec la déclaration de Paul : « […] le Christ, notre Pâque, a été
immolé » (1 Co 5,7). La coïncidence temporelle de la crucifixion avec le
sacrifice des agneaux au Temple a favorisé chez les premiers chrétiens la
désignation du Christ comme agneau pascal. Mais pourquoi les évangiles
synoptiques font-ils dire à Jésus : « Où est ma salle, où je vais manger la
Pâque avec mes disciples ? » (Mc 14,14 ; Mt 28,18 ; Lc 22,11) ? La réponse
la plus naturelle est que ce fut effectivement le cas. Jésus est monté à
Jérusalem dans l’intention de fêter la Pâque avec sa « famille » élective, les
Douze. Mais les événements se sont précipités pour causer sa perte et il n’a
pas eu le temps de partager ce repas festif.
Lors de ce repas d’adieu, quelles paroles furent-elles prononcées ? Le
récit de ce que la tradition chrétienne a très tôt appelé l’institution de la
cène (ou de l’eucharistie) est à ce point poli par l’usage liturgique qu’il nous
faut renoncer à reconstituer sa formulation originelle. Qu’il y ait eu
référence à sa mort prochaine s’impose de soi-même. Que Jésus se soit
prononcé sur le pain rompu et partagé, et non pas sur le petit pain rond
entier prévu par la liturgie pascale, fait penser qu’il a insisté sur la
symbolique de la brisure, du corps brisé. Faire circuler une seule coupe
institue un rite de communion. Une référence eschatologique se lit chez
Marc et Luc : « En vérité, je vous le déclare, jamais plus je ne boirai du fruit
de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de
Dieu » (Mc 14,25 ; voir Lc 22,18). Elle est appuyée par la tradition que cite
Paul : « Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette
coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co
11,26). Cette référence eschatologique signale que Jésus inscrit ce rite
d’adieu dans la perspective à la fois de sa mort imminente et de la venue
proche du Règne à laquelle il aspire. Du coup, la mort qui l’attend n’est pas
conçue comme un échec de sa venue, mais comme le prélude à des
retrouvailles dans le Règne de Dieu.
La tradition a retenu aussi que lors de ce repas, Jésus annonçait que ses
disciples fuiraient dans l’épreuve, que Simon-Pierre le renierait, et qu’un
des leurs le trahirait. Lucidité et amour de ses amis se conjuguent dans ce
moment dramatique.
L’arrestation a été juive. Elle a eu lieu dans l’oliveraie hors les murs où
Jésus s’est retiré après le repas avec ses disciples, un lieu appelé
Gethsémani, qui signifie « pressoir à huile ». La connivence imaginée par
l’évangéliste Jean entre le grand prêtre et Ponce Pilate, chacun envoyant
une escorte, n’a rien d’historique (Jn 18,1-9). Ce récit répond à une
nécessité théologique : montrer que le monde entier se ligue pour capturer
le Fils de Dieu. Et encore, Jésus devait-il donner son accord, puisque devant
lui la troupe armée recule et tombe à terre. Il n’en alla pas ainsi, bien
entendu. Jésus a été surpris par l’arrivée d’un groupe armé d’épées et de
bâtons, délégué par l’entourage des grands prêtres et des anciens. L’épisode
(réel ou symbolique) du baiser de Judas, rite de respect du disciple à son
rabbi, est dans toutes les mémoires.
Judas : entre perversion et héroïsme
Pourquoi Judas a-t-il trahi son maître ? Voilà encore une question à
laquelle les textes ne répondent pas.
Un voile de mystère entoure les motivations de Judas Iscariote (le
surnom indique son village d’origine : Keriot). En revanche, les évangiles
noircissent progressivement son image. Chez Matthieu, Judas demande aux
grands prêtres ce qu’ils sont prêts à donner pour qu’il leur livre Jésus, et la
réponse est : trente pièces d’argent (Mt 26,15). La somme est dérisoire ; elle
correspond à la valeur d’un esclave étranger selon Exode 21,32. Malgré la
modicité du montant, l’idée est que Judas a agi par intérêt, ajoutant la
cupidité à la déloyauté. L’évangéliste Luc développe une autre dimension.
Avant le dernier repas à Jérusalem, « Satan entra en Judas appelé Iscariote,
qui était du nombre des Douze » (Lc 22,3). Du coup, le geste de traîtrise est
expliqué par une intrusion du mal, à laquelle Judas a cédé. Et puisque Judas
a participé au dernier repas, il devient l’exemple d’une défection au cœur
même de l’attachement au Christ, d’un consentement au mal au cœur de la
foi.
Le noircissement s’accélère dans le quatrième évangile : Judas devient
une canaille sans scrupule. Il est démasqué très tôt, lors de l’événement
qu’on appelle l’onction à Béthanie (Jn 12,1-8). Marie use d’une quantité de
parfum très coûteux pour baigner les pieds de Jésus et les essuyer de ses
cheveux. Alors que chez Matthieu le geste étonne les disciples,
l’indignation est ici le fait d’un seul, Judas : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu
ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres ? » Et
l’évangéliste de commenter : « Il parla ainsi, non qu’il eût souci des pauvres
mais parce qu’il était voleur et que, chargé de la bourse, il dérobait ce qu’on
y déposait. » Titulaire de la caisse du groupe, Judas est un homme
corrompu. L’évangéliste fait ainsi remonter avant la Passion la dépravation
de Judas, menteur et cupide. La scène du dernier repas (Jn 13) est centrée
sur la figure de Pierre, mais Judas y joue son rôle. « Déjà le diable avait jeté
au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, la pensée de le [Jésus] livrer »
(13,2). Les choses, toutefois, vont se dérouler étrangement. À Pierre qui
demande à Jésus de désigner le traître, Jésus répond que c’est celui à qui il
donnera la bouchée de pain ; et il donne la bouchée à Judas. « Et après la
bouchée, Satan entra en lui » (13,27).
Comment comprendre ce « sacrement satanique », comme l’ont appelé
des commentateurs ? La théologie propre au quatrième évangile façonne ici
le récit. D’un côté, la mort de Jésus est l’œuvre du mal, l’œuvre des
ténèbres : Satan cherche un complice et l’a trouvé en Judas. D’un autre
côté, Jésus n’est pas le jouet du destin ; il domine les événements, consent à
sa mort, et en gouverne même les modalités. Judas est à la fois le médiateur
du mal et l’instrument d’un dessein divin qui transformera la croix en lieu
de salut. « Ce que tu as à faire, fais-le vite », conclut Jésus (Jn 13,27). On
trouve ici les prémices de ce qu’on lira dans l’Évangile de Judas.
Un pas supplémentaire est franchi avec la description de la mort, ou
plutôt des morts de Judas. Le Nouveau Testament en présente deux
versions. Selon Matthieu 27,3-19, Judas se repent (« J’ai péché en livrant un
sang innocent ») ; mais il succombe sous le poids de la culpabilité et se
pend. Selon les Actes des apôtres, Judas meurt accidentellement : il tombe
en avant, son corps éclate et ses entrailles se répandent à terre (Ac 1,17-20).
Cette mort répugnante est le lot des grands impies châtiés par Dieu.
Au-delà du Nouveau Testament, des écrits apocryphes accentuent la
dimension répulsive du personnage, devenu la quintessence de la
perversion attribuée aux juifs 229. Le mal remonte : c’est l’enfant Judas, non
seulement l’adulte, qui est vecteur de l’hostilité à Dieu. Dans l’Évangile
arabe de l’enfance (VIe siècle), Judas est un bébé possédé par Satan qui
« voulut mordre le Seigneur Jésus, mais il n’y parvint pas ». Il frappe
néanmoins le flanc droit de l’enfant Jésus, qui se met à pleurer ; c’est à cet
endroit précis que le côté de Jésus sera transpercé d’une lance à la Passion.
Dans un fragment copte de l’Évangile de Barthélémy (Ve siècle), la femme
de Judas le pousse à trahir et empoche l’argent que son mari détourne de la
caisse des pauvres. Le geste de Judas devient la réduplication du péché
originel, dont l’exégèse ancienne attribuait l’initiative à Ève.
L’Évangile de Judas, un écrit copte daté de 150 environ, est l’exception
qui confirme la règle. Judas a le statut d’un disciple privilégié par Jésus,
bénéficiaire d’un enseignement ésotérique dont les Douze sont privés. Lui
seul sera promu au rang d’« étoile ». Jésus le charge de « sacrifier l’homme
qui me porte ». En clair, cela signifie que le Sauveur spirituel demande à
Judas d’aider à faire mourir sa dimension corporelle, afin de libérer
l’essence divine en lui qui rejoindra le ciel. La lecture gnostique qui
s’exprime là émane d’une communauté qui s’oppose à l’idée de
l’incarnation, défendue par l’orthodoxie chrétienne. Cherchant une caution
à sa doctrine, elle répudie et ridiculise les Douze, choisissant celui que le
christianisme majoritaire noircit 230. Élire Judas comme figure prioritaire et
réceptacle de la « vraie » doctrine confirme, paradoxalement, ce qui se
passait du côté du christianisme majoritaire : le maudit du christianisme
orthodoxe est érigé en idole des minoritaires. Modèle ou contre-modèle,
héros ou pervers, Judas est devenu l’otage de théologies opposées.
Revenons au Judas historique. La légende chrétienne a brodé sur un
blanc du récit. Ses motivations doivent être cherchées en dehors du
dénigrement auquel se livrent les textes. Comme le dit Hans-Josef Klauck
au terme d’une longue étude du personnage, « on devrait reconnaître à
Judas, comme à tout être humain, le droit de se décider contre Jésus 231 ».
Hyam Maccoby a défendu une thèse qui connut un succès éphémère : Judas
serait un personnage fictif, produit d’un antijudaïsme désireux de faire
porter au peuple juif la responsabilité du meurtre de Jésus 232. Mais ce
raisonnement est à rebours du bon sens. Le scandale n’est pas que Judas
soit juif (qui ne l’était pas parmi les amis de Jésus ?), mais qu’il soit l’un
des Douze, choisi par le maître lui-même. Et ce scandale, aucun des textes
chrétiens ne l’occulte !
Conclusion : ou bien on laisse le geste de Judas enrobé de mystère, ou
bien on risque une explication. Si l’on opte pour l’explication, il faut
chercher du côté du message eschatologique de Jésus. L’ovation
messianique à l’entrée de Jérusalem pouvait confirmer l’idée que Jésus se
prétendait Messie. Judas a-t-il pensé que l’arrestation de Jésus déclencherait
l’entrée en force de son pouvoir céleste, auquel il participerait ? Ou alors,
déçu de l’absence de puissance de ce candidat au messianisme, l’a-t-il trahi
par dépit ? D’une façon ou d’une autre, c’est respecter son geste que ne pas
s’arrêter au dénigrement moral des sources évangéliques, mais lui prêter
une motivation liée au messianisme de Jésus. Affilié ou non au courant
zélote, Judas s’inscrit en tout cas dans cette mouvance.
Au sanhédrin
Que s’est-il passé ensuite ? Jésus a-t-il subi un procès devant le
sanhédrin ? Quels griefs ont été avancés contre lui ? Le sanhédrin avait-il la
compétence de le condamner à mort ? Sur ces questions, le débat juridique
et historique est ardu. L’exposer dans ses détails serait trop long. Je résume.
Ce que nous savons du fonctionnement du sanhédrin, cette assemblée de
soixante et onze membres composée des grands prêtres (appartenant aux
hautes familles sacerdotales), des anciens et des scribes, provient d’un traité
de la Mishna : Sanhedrin. Or, entre ce traité et les récits évangéliques,
jusqu’à vingt-sept contradictions ont été relevées 233. J’énumère les plus
flagrantes à partir du récit de Marc.
Ils emmenèrent Jésus chez le grand prêtre. Ils s’assemblent tous, les grands
prêtres, les anciens et les scribes. Pierre, de loin, l’avait suivi jusqu’à
l’intérieur du palais du grand prêtre. Il était assis avec les serviteurs et se
chauffait près du feu. Or les grands prêtres et tout le sanhédrin cherchaient
contre Jésus un témoignage pour le faire condamner à mort et ils n’en
trouvaient pas. Car beaucoup portaient de faux témoignages contre lui, mais
les témoignages ne concordaient pas. Quelques-uns se levaient pour donner
un faux témoignage contre lui en disant : « Nous l’avons entendu dire :
“Moi, je détruirai ce sanctuaire fait de main d’homme et, en trois jours, j’en
bâtirai un autre, qui ne sera pas fait de main d’homme.” » Mais, même de
cette façon, ils n’étaient pas d’accord dans leur témoignage.
Le grand prêtre, se levant au milieu de l’assemblée, interrogea Jésus : « Tu
ne réponds rien aux témoignages que ceux-ci portent contre toi ? » Mais lui
gardait le silence ; il ne répondit rien. De nouveau le grand prêtre
l’interrogeait ; il lui dit : « Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni ? » Jésus
dit : « Je le suis, et vous verrez le Fils de l’homme siégeant à la droite du
Tout-Puissant et venant avec les nuées du ciel. » Le grand prêtre déchira ses
habits et dit : « Qu’avons-nous encore besoin de témoins ! Vous avez
entendu le blasphème. Qu’en pensez-vous ? » Et tous le condamnèrent
comme méritant la mort. (Mc 14,53-64)
Ressuscité !
Ils virent les cieux s’ouvrir et deux hommes, brillant d’un éclat intense, en
descendre et s’approcher du tombeau. […] Du tombeau sortirent trois
hommes, et les deux soutenaient l’autre, et une croix les suivait. Et la tête
des deux atteignait jusqu’au ciel, alors que celle de celui qu’ils conduisaient
par la main dépassait les cieux. Et ils entendirent une voix venue des cieux
qui dit : « As-tu prêché à ceux qui dorment ? » Et on entendit une réponse
venant de la croix : « Oui. » (36.39-42 ; trad. E. Junod)
Jésus apocryphe
Deux jours après leur départ, il advint que Marie, dans le désert, souffrit de
l’excessive chaleur du soleil, et, voyant un palmier, elle désira se reposer un
peu à son ombre. Joseph s’empressa de la conduire près du palmier et la fit
descendre de sa monture. Et, après que Marie se fut assise, levant les yeux
vers le feuillage du palmier, elle vit qu’il était chargé de fruits, et elle dit :
« Oh, s’il était possible que je puisse goûter des fruits de ce palmier. » Et
Joseph lui dit : « Je m’étonne que tu dises cela, alors que tu vois combien ce
palmier est haut […] » Alors, le petit enfant Jésus, assis sur les genoux de
sa mère la vierge, s’écria et dit au palmier : « Arbre, incline-toi, et restaure
ma mère de tes fruits. » Et aussitôt, à cette parole, le palmier inclina sa tête
jusqu’aux pieds de Marie, et, après avoir cueilli les fruits qu’il portait, tous
se restaurèrent. (Évangile du Pseudo-Matthieu 20,1-2 ; trad. J. Gijsel)
[Jésus dit] aux légistes : « [Condamnez] celui, quel qu’il soit, qui
contrevient à la Loi, mais non pas moi ! Car ce qu’il fait, [il ne sait pas]
pourquoi il le fait. » Il se tourna vers les chefs du peuple et dit cette parole :
« Vous scrutez les Écritures dans lesquelles vous imaginez avoir la vie ; ce
sont elles qui rendent témoignage à mon sujet. Ne pensez pas que je suis
venu vous accuser devant mon Père : celui qui vous accuse, c’est Moïse en
qui vous mettez vos espoirs. » (lignes 2-14 ; trad. D. A. Bertrand)
Pour les gnostiques, penser que le Sauveur a été mis à mort sur la croix
est typique de l’ignorance et de l’erreur des chrétiens de l’Église
majoritaire. On admire le jeu subtil par lequel, s’appuyant sur un épisode
évangélique, la gnose en retourne la signification. Une même subversion de
sens touche le fameux reniement de Pierre. L’Apocalypse de Pierre, dont
nous venons de parler, rappelle le triple reniement de l’apôtre (72,3-4) pour
en faire une lecture inversée : c’est la figure de Jésus crucifié qu’il s’agit de
renier pour connaître le Sauveur véritable. Irénée de Lyon résume : « Si
quelqu’un confesse le Crucifié, dit Basilide, il est encore esclave et sous la
domination de ceux qui ont fait les corps ; mais celui qui le renie est libéré
de leur emprise et connaît l’“économie” du Père inengendré » (Contre les
hérésies, I, 24, 4).
On est ici aux antipodes de la théologie de Paul, centrée sur la
confession du Crucifié. Il n’est pas difficile d’en conclure que le conflit a
été sanglant entre la Grande Église, dont Irénée est le porte-parole, et les
chrétiens gnostiques, qui se targuent d’un savoir refusé à la chrétienté
ordinaire. Chacun, sur le sens à donner à la croix, traite l’autre d’hérétique.
Écoutons encore une fois Irénée : « Peu d’hommes sont capables d’un tel
savoir : il n’y en a qu’un sur mille, deux sur dix mille. Les juifs, disent-ils,
n’existent plus, et les chrétiens n’existent pas encore. Leurs mystères ne
doivent absolument pas être divulgués, mais tenus secrets par le moyen du
silence » (Contre les hérésies, I, 24, 6). Leur rejet du Dieu biblique entraîne,
de fait, une posture antijuive. Face à eux, l’Église ancienne a maintenu
l’autorité de l’Ancien Testament, le fait de l’incarnation et la fonction
salutaire de la croix.
Entre Vendredi saint et Pâques
Le cinquième centre d’intérêt des écrits apocryphes s’est greffé autour
de la croyance en la visite des enfers par le Christ entre sa mort et sa
résurrection. La source de cette croyance est présente dans le Nouveau
Testament : la première épître de Pierre déclare que Jésus « est allé prêcher
même aux esprits en prison » (1 P 3,19). Les esprits emprisonnés sont les
âmes captives des enfers. Du coup, l’espace qui sépare Vendredi saint de
Pâques a été exploré par toute une littérature extra-canonique, que des
spécialistes regroupent sous le vocable « cycle de Pilate 280 ». Elle est
accrochée à la figure du préfet de Judée, dont la décision fut déterminante
pour la condamnation de Jésus ; la place éminente que lui accorde
l’évangile de Jean (Jn 18,28–19,16) est le signe avant-coureur de la
prolifération des légendes chrétiennes à son sujet dans les siècles suivants.
La chrétienté d’Orient a développé des légendes favorables à ce
personnage, reportant sur les juifs la responsabilité de la mort de Jésus. Le
Rapport de Pilate, amplifiant un motif de l’évangile de Matthieu (Mt 27,51-
53 281), décrit les manifestations surnaturelles qui ont annoncé la
résurrection : apparition d’anges, tremblement de terre, résurrection de
morts et destruction des « synagogues qui avaient pris parti contre Jésus ».
Dans la Lettre d’Hérode à Pilate, Hérode supplie un Pilate devenu chrétien
de prier pour le repos de son âme. La Comparution de Pilate fait de lui
l’équivalent d’un martyr chrétien : il est jugé par l’empereur et décapité,
mais un ange recueille sa tête. Dans le Martyre de Pilate, il subit deux fois
la crucifixion, une première fois par les juifs, une seconde fois par
l’empereur Tibère.
La chrétienté occidentale, elle, a nuancé le portrait de Pilate. Dans la
Lettre de Pilate à l’empereur Claude, celui-ci se justifie en accablant les
juifs. Ses propos brodent sur ce qu’on lit déjà en Matthieu 28, 12-15,
déroulant une sorte de midrash chrétien :
Ils [les chefs des prêtres] le crucifièrent et, lorsqu’il fut enseveli, ils
placèrent des gardes. Mais il ressuscita le troisième jour pendant que mes
soldats étaient de garde. La malice des juifs s’enflamma alors, à tel point
qu’ils leur donnèrent de l’argent avec ces mots : « Dites que ses disciples
ont dérobé son corps. » (Lettre 3 [21] ; trad. J.-D. Dubois et R. Gounelle)
À nouveau une voix survint qui disait : « Levez les portes ! » Lorsqu’il
entendit cette voix pour la deuxième fois, l’Hadès [l’enfer] répondit comme
s’il ne comprenait pas et dit : « Qui est-il, ce roi de gloire ? » Les anges du
Maître dirent : « Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant au
combat. » Et sur-le-champ, à cette parole, les portes de bronze furent
brisées et les verrous de fer furent broyés, et tous les morts enchaînés furent
délivrés de leurs chaînes et nous avec eux. Le roi de gloire entra comme un
homme et tous les lieux ténébreux de l’Hadès furent illuminés. (Actes de
Pilate 21,3 ; trad. C. Furrer)
Voici les paroles secrètes que Jésus le Vivant a dites et que Didyme Jude
Thomas a écrites. Et il a dit : « Celui qui trouvera l’interprétation de ces
paroles ne goûtera pas la mort. » Jésus a dit : « Que celui qui cherche ne
cesse pas de chercher, jusqu’à ce qu’il trouve. Et quand il aura trouvé, il
sera troublé ; quand il sera troublé, il sera émerveillé, et il régnera sur le
Tout. » (Évangile de Thomas 1-2 ; trad. C. Gianotto)
Son petit-fils [de R. Yehoshuah ben Lévi] avait avalé quelque chose. Un
homme vint et lui murmura quelque chose au nom de Yeshu ben Panthera
[Jésus] et il reprit son souffle. Tandis qu’il sortait, il [Yehoshuah] lui dit :
« Que lui as-tu murmuré ? » Il lui dit : « Selon le mot d’“Untel”. » Il
[Yehoshuah] lui dit : « Il eût mieux valu pour lui qu’il meure plutôt que
ça ! » Et c’est ce qui lui arriva, « comme une méprise échappée du
Souverain » (Qo 10,5). (jShabbat 14,4, lignes 34-37)
Alors que Rabbi Yehoshuah attendait que le guérisseur lui indique quel
verset de la Torah il avait prononcé pour guérir, le « mot d’Untel » désigne
anonymement une parole de Jésus. La morale de l’histoire tirée de Qohélet
(« comme une méprise échappée du Souverain ») est obscure : la méprise
porte-t-elle sur le pouvoir thaumaturgique que Dieu a accordé par
inadvertance au guérisseur ou sur le souhait de la mort du petit-fils 302 ?
Dans le premier cas, le pouvoir thaumaturgique du guérisseur judéo-
chrétien procède d’une erreur divine, dans le second cas c’est le désir du
grand-père qui a tué son petit-fils. D’une façon ou d’une autre, le texte
témoigne d’une cohabitation entre juifs rabbiniques et juifs chrétiens, grâce
à laquelle les premiers font appel aux seconds en cas de nécessité. Mais le
propos rabbinique est une mise en garde : le recours au nom maudit de
Yeshu doit être prohibé. Dans une autre version du même épisode, Rabbi
Éléazar a été mordu par un serpent, mais Rabbi Ishmael lui interdit de se
faire guérir au nom de Yeshu ben Panthera. Éléazar enfreint l’ordre et en
meurt (tHullin 2,22-23).
« Il a séduit Israël »
Le passage le plus fréquemment cité concernant l’image de Jésus dans
le Talmud est celui du traité bSanhedrin 43a, que j’ai déjà mentionné au
chapitre 1. Je le reproduis ici en version complète :
« Rabbi, peut-être qu’un des minim [hérétiques, chrétiens] a dit devant toi
une parole qui t’a agréé. » Il [R. Éliézer] lui dit : « Oui, par les cieux ! Tu
me le rappelles. Une fois, je suis monté sur la place de Sepphoris et un
homme est venu vers moi du nom de Jacob de Kephar Sikhnaya. Et il m’a
dit une parole au nom de Yeshu ben Pandera [Jésus fils de Pandera] et cette
parole me plut. Cette parole est écrite dans votre Torah : “Tu n’apporteras
pas à la maison du Seigneur le salaire d’une prostituée ni le paiement d’un
chien” (Dt 23,19). Qu’en faire ? » Je lui ai dit : « Ces dons sont interdits. »
Il m’a dit : « Pour l’offrande, ils sont interdits, mais pour les détruire, ils
sont autorisés. » Je lui ai dit : « En ce cas qu’en fera-t-on ? » Il m’a dit :
« Qu’on en fasse des bains et des lieux d’aisance. […] Ainsi parle Ben
Pandera : Ils sont venus de l’excrément, ils retourneront à l’excrément.
Ainsi qu’il est dit (Mi 1,7) : “Car c’est du salaire d’une prostituée qu’elle
les a amassés, ils redeviendront un salaire de prostituée.” On en fera des
latrines pour le public. » (Qohélet Rabba 1,8,3 306)
Pour Joachim Jeremias, il est évident que cette controverse « a été
inventée pour jeter le discrédit sur Jésus 307 ». Est-ce si sûr ?
La thèse de l’authenticité a de bons arguments pour elles. L’anecdote
met en scène un rabbi connu, Éliézer, dont les sympathies pour les chrétiens
sont connues, et qui, en l’an 95, fut mis au ban pour hérésie. Il est
historiquement plausible qu’il ait rencontré un disciple de Jésus, et que
l’objet de leur discussion recouvre les intérêts des sages. Le principe est
biblique : l’argent provenant de la prostitution n’est pas recevable pour un
sacrifice. D’un autre côté, l’argument prêté à Jésus relève de la casuistique :
que l’argent de la prostitution ne soit pas totalement banni comme le
prescrit le Deutéronome, mais autorisé par Dieu pour un usage à ce point
restrictif (des latrines !), est tiré par les cheveux. La rhétorique de Jésus en
matière d’interprétation de la Loi, telle que nous l’avons perçue, est bien
plus radicale ; elle s’appuie rarement sur l’Écriture, comme ici un verset de
Michée, pour se légitimer ; c’est dans les couches les plus tardives de la
tradition, matthéenne en particulier, que son interprétation emprunte le style
de la halakah propre aux rabbis 308.
Une fois de plus, l’histoire séculaire du développement de la tradition
rabbinique nous échappe et nous laisse dans l’incertitude. Ce récit nous
transmet-il une authentique parole de Jésus, inconnue des évangiles ? Si
oui, il s’agirait de l’unique parole de Jésus transmise par le Talmud hors de
la tradition chrétienne… L’hypothèse est hautement improbable. À partir de
là, de deux choses l’une. Ou bien la controverse est authentique, et nous
rapporte ce que les rabbins ont entendu de la prédication judéo-chrétienne.
Ou bien il s’agit d’une controverse déguisée, visant à ironiser sur une parole
de Jésus. Laquelle ? « En vérité, je vous le déclare, collecteurs de taxes et
prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu » (Mt 21,31). Dans ce
cas de figure, cette parole choquante du Nazaréen aurait été détournée par
les sages pour finir dans un propos scabreux de soutien aux prostituées.
L’appellation « fils de Pandera [ou : Pantera] » se réfère à la réputation
de bâtard, mamzer, affectée à Jésus. Elle se lit dans le Talmud, mais fleurit
dans les Toledot Yeshu. C’est là que nous la retrouverons. Sa récurrence
vient de son effet : fils de Marie et de son amant, donc né en état
d’impureté, Yeshu ne peut être le Messie fils de David, encore moins le fils
de Dieu.
Les siècles de plomb
La période qui court du IXe au XIXe siècle, et même jusqu’au milieu du
e
XX , peut être considérée comme une période de plomb. C’est le temps de la
chrétienté triomphante, le lancement des croisades, le confinement des juifs
en ghettos. Des siècles de culture juive florissante (en Espagne sous
domination arabe ou dans l’empire ottoman) alternent avec des mesures de
répression ; parmi elles, l’expulsion des juifs d’Espagne (1492). Dès 1242
sont organisés des autodafés de Talmuds. Dès 1263, les éditions du Talmud
sont expurgées du nom de Jésus ou des passages jugés choquants pour la
doctrine chrétienne. Si le Talmud (désormais caviardé) documente l’attitude
du judaïsme rabbinique à l’égard de Jésus jusqu’au VIIIe siècle, où se clôt le
Talmud de Babylone, un autre écrit nous renseigne sur la perception juive
de Jésus à partir du IXe siècle : le Sefer Toledot Yeshu (« Livre des histoires
de Jésus ») appelé aussi « Histoire de la mère et de son fils ».
L’existence de cette littérature populaire, rédigée en hébreu et en
yiddish dans l’Europe occidentale, est attestée pour la première fois par
Agobard, évêque de Lyon, en 830. Elle a donc connu une première fixation
littéraire au IXe siècle, mais les traditions qu’elle exploite remontent, pour
certaines, jusqu’au IIe siècle, sous forme orale. Pour la tradition du Jésus
mamzer, on peut même remonter au Ier siècle, comme nous l’avons vu (voir
ici). Il s’agit d’une parodie des évangiles, visant à réinterpréter les épisodes
de la vie de Jésus dans un sens favorable à la cause juive. Les cibles
principales de la relecture polémique sont l’histoire de la naissance de Jésus
et la Passion 309. Se mêlent dans ce contre-évangile des récits évangéliques
relus dans une optique polémique, des dialogues talmudiques et des
légendes populaires inspirées des apocryphes chrétiens. L’intention est, à
l’évidence, de fournir une réplique à la propagande chrétienne.
Joseph Klausner commente ainsi : « Les juifs, dans l’impuissance de
tirer vengeance, par des actes, de leurs puissants ennemis, eurent recours à
la parole et à l’écriture. Aussi, les fables et les légendes pleines de haine, et
plus souvent encore de raillerie mordante et incisive, contre le
christianisme, son fondateur et les chrétiens, allèrent-elles en se
multipliant 310. »
Parfois interdite, semi-clandestine, cette littérature de résistance nous
est parvenue sous plusieurs variantes 311. « Nos mères, écrit encore Klausner
en 1922, connaissaient le contenu par tradition orale – naturellement avec
toutes sortes de corruptions, omissions et additions, fruits de l’imagination
populaire – et le transmettaient à leurs enfants 312. » Elle n’a éveillé que
tardivement, au début du XXe siècle, l’attention des érudits 313. Ses diverses
versions manuscrites se rallient à un scénario commun, qui peut être résumé
de la façon qui suit.
Les Toledot ne sont pas une fiction à proprement parler, mais un contre-
évangile qui subvertit les données du récit chrétien sans les rejeter. Les
épisodes connus de la vie de Jésus sont en effet aisément identifiables : la
naissance irrégulière (mais non virginale), le nom donné à Jésus (mais ne
venant pas de Dieu), le débat avec les sages raconté en Luc 2 (mais qualifié
d’effronterie), l’accusation de sorcellerie (mais confirmée), le séjour en
Égypte (mais pour y apprendre la magie), la découverte du tombeau vide
(mais le corps a été volé), etc. À la différence des passages du Talmud, les
Toledot Yeshu présupposent une connaissance pointue des évangiles. Ils
contiennent, à l’usage des populations juives, un véritable manuel de
déconstruction de la prédication chrétienne.
Je cite un extrait des Toledot dans le manuscrit Huldreich, afin de faire
saisir le degré de subtilité du récit parodique. Jésus et ses disciples se sont
rendus dans une auberge pour y manger et passer la nuit, puis ils continuent
leur chemin.
Ils s’en furent de là et trouvèrent une femme, la cruche d’eau sur l’épaule.
« Donne-nous à boire, lui dit Yeshu, et je te bénirai de telle sorte que l’eau
ne manquera plus à ta ville. » « Sot ! si tu es thaumaturge, lui dit la femme,
pourquoi ne te favorises-tu pas d’un miracle en te trouvant de l’eau ? » « On
a dit : “à ma boisson je mêle mes larmes” (Ps 102,10). » Ils s’en allèrent
sans force, dans le jeûne et l’affliction. « “Je m’affligeais par le jeûne”
(Ps 35,13), a-t-on dit de moi », déclara Yeshu. Sur ce, des hommes de
Kiriathaïm vinrent à leur rencontre et Yeshu leur demanda du pain. L’un
deux répondit : « Si tu danses devant moi, je te donnerai mon âne en plus du
pain et l’ânon que voici ! » Yeshu dansa devant lui et on lui donna l’âne, le
pain et l’ânon. « Sur moi, dit-il, on a dit : “Alors la vierge prendra du plaisir
à la danse” (Jr 31,13), ma mère était vierge quand je naquis et maintenant
me voici, prenant plaisir à la danse ; maintenant j’ai un âne car on a dit sur
moi : “humble et monté sur un âne” (Za 9,9). » (trad. J.-P. Osier)
Jésus en islam
Les anges dirent : « Ô Marie ! Dieu t’annonce la bonne nouvelle d’un Verbe
émanant de lui.
Son nom est : le Messie, Jésus, fils de Marie, illustre en ce monde et dans la
vie future ;
il est au nombre de ceux qui sont proches de Dieu.
Dès le berceau, il parlera aux hommes comme un vieillard ; il sera au
nombre des justes. »
Elle dit : « Mon Seigneur ! Comment aurais-je un fils ? Nul homme ne m’a
jamais touchée. »
Il dit : « Dieu crée ainsi ce qu’il veut. Lorsqu’il a décrété une chose, il lui
dit : “Sois !”… et elle est. » (3,45-47)
Il fut révélé à Jésus : « Une terre est maudite si elle est gouvernée par de
jeunes garçons. » (no 24 334)
Jésus dit : « Celui qui est miséricordieux en ce monde est celui à qui sera
manifestée de la miséricorde dans l’autre monde. » (no 155)
Jésus a dit : « Si c’est jour de jeûne pour l’un d’entre vous, qu’il oigne sa
tête et sa barbe et qu’il essuie ses lèvres, afin que les gens ne sachent pas
qu’il jeûne. S’il donne de la main droite, qu’il le cache à sa main gauche.
S’il prie, qu’il rabatte le rideau de sa porte, car Dieu prodigue la louange
comme il prodigue les moyens d’existence. » (no 4)
Jésus a dit : « Pourquoi venez-vous à moi habillés comme des ânes, alors
que vos cœurs sont les cœurs de loups et de prédateurs ? Portez les
vêtements des rois mais mortifiez vos cœurs par la crainte de Dieu. »
(no 216)
Jésus a dit : « Placez vos trésors au paradis, car le cœur de l’homme est là
où est son trésor. » (no 33 335)
Dieu révéla à Jésus : « Quand les fainéants rient, peins tes yeux avec le khôl
de la tristesse. » (no 261)
Jésus a dit : « Ô Israélites, ne mangez pas trop, car celui qui mange trop
dort trop, et celui qui dort trop prie peu, et celui qui prie peu est inscrit au
nombre des négligents. » (no 266)
Le Christ a dit : « De la viande mangeant de la viande ? Quel acte
choquant ! » (no 176 336)
Au final, la morale qui ressort d’un grand nombre de hadîths est une
morale d’ascèse et de privation. Les prescriptions alimentaires y sont
nombreuses. La tradition musulmane emprunte aux évangiles ce qui lui
convient et ajoute ce qui correspond à ses besoins.
S’agissant des miracles, ils sont brièvement évoqués par le Coran. Les
guérisons d’aveugles et de lépreux, les résurrections de morts ont été
accomplies « avec la permission d’Allah », est-il précisé (3,49 ; 5,110). On
y trouve aussi le miracle des oiseaux façonnés avec de l’argile et dotés de
vie par l’enfant Jésus (3,49 ; 5,110), un épisode de l’Évangile de l’enfance
selon Thomas 2,1-4. À l’instar du récit apocryphe, ce prodige est interprété
comme la duplication par Jésus de l’agir créateur de Dieu ; ailleurs, le verbe
arabe khalaqa, « créer », n’est utilisé que pour Dieu. L’incrédulité juive face
aux miracles de Jésus est soulignée : « J’ai éloigné de toi les fils d’Israël.
Quand tu es venu à eux avec des preuves irréfutables, ceux d’entre eux qui
étaient incrédules dirent : “Ce n’est évidemment que de la magie” » (5,110).
Le Jésus coranique et sa mission
Nous avons déjà esquissé la position du Coran sur la fonction de Jésus,
son statut face à Dieu, sa place parmi les prophètes. Le Jésus coranique est
honoré comme Messie (masîh), envoyé de Dieu (rasûl), prophète (nabî),
serviteur de Dieu (‘abd 337). Mais toute autre désignation qui pourrait
l’associer à Dieu est dénoncée comme un mensonge. « Il n’est pas exagéré,
écrit Tarif Khalidi dans son livre Un musulman nommé Jésus, de dire que le
Coran est obsédé par le spectre du polythéisme 338. » Son propos nous fait
retrouver l’ambivalence relevée au début de ce chapitre : Jésus est un
maillon indispensable dans la chaîne des envoyés de Dieu, mais son statut
est recadré pour en faire le précurseur de Mahomet. Pour le dire en une
formule, Jésus est reformaté en prophète de l’islam. On pourrait parler
d’une christologie minimaliste, requalifiée à partir de la venue d’un
Prophète qui surplombe, et conduit à sa plénitude, la révélation de Dieu.
Curieusement, le Coran procède avec Jésus de la même manière que les
chrétiens avec Jean le Baptiseur. Ce dernier, maître spirituel du Nazaréen, a
été métamorphosé par la tradition évangélique en précurseur de « celui qui
vient après moi [et qui] est plus fort que moi » (Mt 3,11). Or, voici ce que
déclare le Jésus coranique : « Ô fils d’Israël ! Je suis, en vérité, le prophète
de Dieu envoyé vers vous pour confirmer ce qui, de la Torah, existait avant
moi, pour vous annoncer la bonne nouvelle d’un prophète qui viendra après
moi et dont le nom sera Ahmad » (61,6). Le nom d’Ahmad ne se lit qu’ici
dans le Coran ; il signifie « le très glorieux », et la tradition musulmane
unanime y voit une désignation de Mahomet. Des chercheurs islamiques ont
rapproché cette prédiction de la déclaration de Jésus en Jean 14,16-17 :
« Moi, je prierai le Père : il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec
vous pour toujours. C’est lui l’Esprit de vérité […] » Le « Paraclet »
(Consolateur), désignation de l’Esprit saint que le Ressuscité enverra à son
Église, est interprété comme une référence masquée à la venue de
Mahomet ; le grec paraklètos est alors lu comme periklutos, « le célèbre ».
Jésus est le prophète que Dieu envoie aux « gens du Livre ». Le Coran
désigne par là les juifs et les chrétiens, qui se trouvent régulièrement
apostrophés et enjoints à se soumettre à la vraie révélation. Mahomet n’a en
effet nullement l’intention d’instaurer une nouvelle religion ; ce n’est pas
une nouvelle religion, mais la vraie religion, qu’Allah lui a transmise.
L’islam représente la vraie révélation, dont les juifs, et surtout les chrétiens,
n’auraient jamais dû dévier. L’islam suit « la religion d’Abraham, un vrai
croyant, qui n’était pas du nombre des polythéistes » (2,135). Car
« Abraham n’était ni juif ni chrétien, mais il était un vrai croyant soumis à
Dieu ; il n’était pas au nombre des polythéistes » (3,67). C’est pourquoi
l’islam peut réclamer à la fois l’héritage d’Israël et l’héritage du
christianisme, mais sous réserve d’en sélectionner ce que Dieu a toujours
dit. Contre les « gens du Livre », l’islam se présente comme détenteur d’une
révélation non contaminée.
Jésus est en effet une figure clivante pour les « gens du Livre » : les
juifs la refusent, les chrétiens s’en font une image erronée. Les juifs sont
critiqués pour avoir falsifié la Torah, d’une part ; pour ne pas avoir accordé
foi à Jésus et avoir calomnié sa mère, d’autre part. Les chrétiens sont
sommés d’abandonner leurs « extravagances », qui consistent à imputer à
Jésus une nature divine en croyant à la trinité. L’impiété chrétienne consiste
à se fourvoyer sur Jésus en l’absorbant dans la sphère divine.
En résumé, pour le Coran, Jésus est Messie (en accord avec les
chrétiens et contre les juifs) ; mais il n’est ni divin ni ressuscité (avec les
juifs et contre les chrétiens).
Délaissée par le Coran, la voie gnostique sera en revanche développée
dans la mystique soufie. Étroitement associée à la figure de Marie qui s’est
ouverte au souffle divin, la figure de Jésus typifie la naissance spirituelle
destinée à s’accomplir en chaque être. Elle occupe une place centrale dans
l’œuvre d’Ibn’Arabî (XIIe- XIIIe siècles), où Jésus est considéré comme « le
sceau de la sainteté ». Le motif (apocryphe chrétien) de la croix de lumière
est repris dans la gnose ismaélienne, pour laquelle le vrai Messie n’est pas à
chercher dans ce monde, mais dans les profondeurs de la conscience. Il faut
savoir en effet que, contrairement au christianisme où une orthodoxie a
progressivement marginalisé la gnose, l’absence d’un magistère dogmatique
central dans l’islam a favorisé un foisonnement de spiritualités gnostiques.
Elles se sont particulièrement épanouies dans la mystique iranienne 339.
« Tu l’aurais su, si je l’avais dit »
Revenons au Coran. Le triomphe de la vraie religion, comprenez le
triomphe de l’islam, sera proclamé à la fin du monde, qui coïncidera avec la
seconde venue de Jésus. Les textes sont laconiques à ce sujet. « Jésus est, en
vérité, l’annonce de l’Heure. N’en doutez pas et suivez-moi. Voilà un
chemin droit ! » (43,61). Conformément aux évangiles synoptiques,
l’« heure » est celle de la parousie, du retour du Christ sur la terre 340. En
revanche, les hadîths sont beaucoup plus explicites. Jésus reviendra juger
les vivants et les morts, tuer l’Antéchrist (Dajjâl) et établir l’islam comme
religion universelle 341. Mahomet semble ne jouer aucun rôle, sinon
d’assister au triomphe de Jésus.
Jésus est le seul prophète à prendre distance des croyances que ses
disciples sont censés tenir de lui. Cela est vrai, au premier chef, de sa nature
divine. J’ai déjà cité sa réponse à Dieu qui lui demande : « Est-ce toi qui as
dit aux hommes : “Prenez-moi et ma mère pour deux divinités, en dessous
de Dieu” ? » Réponse de Jésus : « Tu l’aurais su, si je l’avais dit » (5,116).
Le Coran, pourrait-on dire, ne déploie pas Jésus après Jésus. Il corrige
l’Évangile et pose Jésus contre Jésus. La prédication du Règne est occultée,
la mort en croix niée, la résurrection renvoyée à la fin des temps, la filialité
divine récusée plutôt qu’interprétée. Sur ce dernier point, à dire vrai, ce
n’est pas tant du Jésus de l’histoire qu’il corrige l’image, mais plutôt d’un
Jésus que Mahomet considère exagérément déifié par la chrétienté orientale
du VIIe siècle.
Épilogue
16. Bart D. EHRMAN, Les christianismes disparus, Paris, Bayard, 2003 ; Enrico NORELLI, La
Naissance du christianisme. Comment tout a commencé, Paris, Bayard, 2015.
17. La gnose sera présentée plus bas, p. 290-294.
18. Helmut KOESTER, Ancient Christian Gospels, London/Philadelphia, SCM Press/Trinity
Press International, 1990 ; HELMUT KOESTER, François BOVON, Genèse de l’écriture chrétienne,
Turnhout, Brepols, 1991.
19. Les textes extra-canoniques sont cités suivant François BOVON, Pierre GEOLTRAIN (éds),
Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1997.
Présentation commentée des fragments évangéliques extra-canoniques sur papyrus : Christoph
MARKSCHIES, Jens SCHRÖTER (éds), Antike christliche Apokryphen in deutscher Uebersetzung,
I/1, Evangelien und Verwandtes, Tübingen, Mohr Siebeck, 2012, p. 357-399.
20. John Dominic CROSSAN, The Cross that Spoke. The Origins of the Passion Narrative, San
Francisco, Harper and Row, 1988.
21. Enrico NORELLI, « Le Papyrus Egerton 2 et sa localisation dans la tradition sur Jésus.
Nouvel examen du fragment 1 », in Daniel MARGUERAT, Enrico NORELLI, Jean-Michel POFFET
(éds), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, Genève, Labor et Fides, coll. « Le
2
Monde de la Bible », 38, 2003, p. 397-435.
22. François BOVON, Pierre GEOLTRAIN (éds), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1997, p. 63-69, 409-410, 419.
23. Les fragments sont présentés et analysés par Simon Claude MIMOUNI, Les Fragments
évangéliques judéo-chrétiens « apocryphisés ». Recherches et perspectives, Paris, Gabalda, coll.
« Cahiers de la Revue biblique », 66, 2006.
24. James H. CHARLESWORTH (éd.), Jesus and Archeology, Grand Rapids, Eerdmans, 2006.
Voir aussi James H. CHARLESWORTH, J. Keith ELLIOTT, Sean FREYNE, John REUMANN, Jésus et
les nouvelles découvertes de l’archéologie, Paris, Bayard, 2006 ; Carsten CLAUSSEN, Jörg FREY
(éds), Jesus und die Archäologie Galiläas, Neukirchen, Neukirchener Verlag, coll. « Biblisch-
Theologische Studien », 87, 2008.
25. Voir Gerd THEISSEN, Dagmar WINTER, The Quest for the Plausible Jesus. The Question of
Criteria, Louisville, Westminster Press, 2002 ; Gerd THEISSEN, Annette MERZ, Der historische
4
Jesus. Ein Lehrbuch, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2011, p. 96-124 ; Stanley
E. PORTER, The Criteria for Authenticity in Historical Jesus Research : Discussion and New
Proposals, Sheffield, Sheffield Academic Press, 2000.
2
26. Jacques SCHLOSSER, Jésus de Nazareth, Paris, Agnès Viénot, 2002, p. 89.
27. Ernst KÄSEMANN, « Le problème du Jésus historique » (1954), in ID., Essais exégétiques,
Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, coll. « Le Monde de la Bible », 3, 1972, p. 164.
28. Daniel MARGUERAT, « Jésus et la Loi dans la mémoire des premiers chrétiens », in Daniel
MARGUERAT, Jean ZUMSTEIN (éds), La Mémoire et le Temps. Mélanges offerts à Pierre Bonnard,
Genève, Labor et Fides, coll. « Le Monde de la Bible », 23, 1991, p. 55-74.
Chapitre 2
29. Andrew T. LINCOLN, Born of A Virgin ? Reconceiving Jesus in Bible. Tradition and
Theology, Grand Rapids, Eerdmans, 2013.
30. Christian CANNUYER, Catherine VIALLE (éds), Les Naissances merveilleuses en Orient.
Jacques Vermeylen (1942-2014) : in memoriam, Bruxelles, Acta orientalia belgica, 28, 2015.
31. Jane SCHABERG, The Illegitimacy of Jesus. A Feminist Theological Interpretation of the
Infancy Narratives, San Francisco, Harper and Row, 1987.
32. Les diverses versions des Toledot Yeshu sont présentées et traduites par Michael MEERSON
et Peter SCHÄFER, Toledot Yeshu : The Life Story of Jesus, 2 vol., Tübingen, Mohr Siebeck, coll.
« Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament », 159, 2014.
33. La thèse a été défendue initialement par F. NITZSCH, « Ueber eine Reihe talmudischer und
patristischer Täuschungen, welche sich an den missverstandenen Spottnamen Ben-Pandira
geknüpft », Theologische Studien und Kritiken, 13, 1840, p. 115-120. Inventaire des
étymologies du nom dans l’article de Dan JAFFÉ, « Une ancienne dénomination talmudique de
Jésus : Ben Pantera », Theologische Zeitschrift, 64, 2008, p. 258-270.
34. VOLTAIRE, Œuvres de 1767, II, O. FERRET et al. (éds.) (Œuvres complètes 63B), Oxford,
Voltaire Foundation, 2008, p. 470 : « Elle paraît être du premier siècle, et même écrite avant
eux. » Cité par Daniel BARBU, « L’Évangile selon les Juifs : à propos de quelques témoignages
anciens », Anabases, 28, 2018, p. 157-180, citation p. 157.
3
35. Peter SCHÄFER, Jesus im Talmud, Tübingen, Mohr Siebeck, 2017, p. 29-46.
36. Peter SCHÄFER, Jesus im Talmud, p. 41.
37. Bruce CHILTON, Rabbi Jesus. An Intimate Biography, New York, Doubleday, 2000, p. 3-22 ;
du même auteur : « Jésus, le mamzer (Mt 1,18) », New Testament Studies, 47, 2001, p. 222-227.
38. Joachim JEREMIAS, Jérusalem au temps de Jésus, Paris, Cerf, 1976, p. 442-448, citation
p. 448.
39. Bruce CHILTON, Rabbi Jesus, p. 13.
40. Bruce CHILTON, « Jésus, le mamzer (Mt 1,18) », p. 225.
41. Bruce CHILTON, Rabbi Jesus, p. 9.
42. Trois recensements (census populi) ont été ordonnés par Auguste en 28 et 8 av. J.-C., puis
en 14 ap. J.-C. (Res gestae Divi Augusti, 8).
2
43. Raymond E. BROWN, The Birth of the Messiah, London, Chapman, 1993, p. 412-414. Les
diverses hypothèses sur l’identification du recensement sous Quirinius sont énumérées aux
p. 547-556.
44. Armand PUIG I TÀRRECH, Jésus. Une biographie historique, Paris, Desclée de Brouwer,
2016, p. 216.
45. Joseph A. FITZMYER, The Gospel according to Luke I-XI, New York, Doubleday, coll.
« Anchor Bible », 28, 1983, p. 347.
46. John P. MEIER, Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire, I, Les sources, les origines,
les dates, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 2004, p. 196.
47. Joachim JEREMIAS, Théologie du Nouveau Testament : la prédication de Jésus, Paris, Cerf,
1996, p. 11-13.
48. John Dominic CROSSAN, Jesus. A Revolutionary Biography, New York, HarperCollins,
1994, p. 25-26.
49. Shmuel SAFRAI, « Education and the Study of the Torah », in Shmuel SAFRAI, M. STERN
(éds), The Jewish People in the First Century, II, Assen-Maastricht, Van Gorcum, coll.
2
« Compendia Rerum Iudaicarum ad Novum Testamentum », 1987, p. 945-970.
50. James H. CHARLESWORTH, The Historical Jesus. An Essential Guide, Nashville, Abingdon
Press, 2008, p. 69.
51. Simon Claude MIMOUNI, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth, Paris, Bayard, 2015,
p. 165.
52. John P. MEIER, Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire, I, Les sources, les origines,
les dates, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 2004, p. 182.
53. On lit ces récits extra-canoniques sur l’enfance de Jésus in François BOVON, Pierre
GEOLTRAIN (éds), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, Gallimard, 1997, coll. « Bibliothèque de
la Pléiade », p. 105-161, 189-238.
Chapitre 3
54. Jean 4,2 (« À vrai dire, Jésus lui-même ne baptisait pas, mais ses disciples ») est une
tentative tardive de neutraliser la réalité historique. Voir Jean ZUMSTEIN, L’Évangile selon saint
Jean, Genève, Labor et Fides, coll. « Commentaire du Nouveau Testament », 4a, 2014, p. 138.
55. Albert SCHWEITZER, La Mystique de l’apôtre Paul, Paris, Albin Michel, 1962, p. 204.
56. « Celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a, pour nous, identifié au péché, afin que par lui
nous devenions justice de Dieu » (2 Co 5,21). Voir aussi Jn 7,18 ; 1 Jn 3,5 ; He 4,15 et 7,26 ; etc.
57. Déjà dans les évangiles, Jean est appelé « rabbi » par ses disciples (Lc 3,12 ; Jn 3,26).
58. Voir Évangile des Ébionites, frag. 4, « Jean lui dit : “Je te prie, Seigneur, toi aussi, baptise-
moi” », et Évangile des Nazaréens, frag. 2, « Quel péché ai-je commis pour que j’aille me faire
baptiser par lui ? » (texte cité plus haut, p. 41).
59. Les sources de Salim se situent à 12 km au nord-est de Naplouse.
60. Une légère hésitation demeure entre les ans 27, 28 ou 29, mais la période la plus probable
er
selon le comput syrien se situe entre le 1 octobre 27 et le 30 septembre 28. Calcul chez Charles
2
PERROT, Jésus et l’histoire, Paris, Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », 11, 1993, p. 83-85.
61. 1 R 19,13.19 ; 2 R 8,13-14 ; Za 13,4 : tel est l’habillement des prophètes d’Israël.
62. Nous savons par Flavius Josèphe (Antiquités juives, 18, 136) que Marc fait erreur en faisant
d’Hérodiade la femme de Philippe, demi-frère d’Antipas, alors qu’elle fut en premières noces la
femme d’un autre demi-frère, connu simplement sous le nom d’Hérode ; Hérodiade eut une
fille, Salomé, qui, elle, épousa Philippe.
63. Attestations chez Hermann L. STRACK, Paul BILLERBECK, Kommentar zum Neuen
5
Testament aus Talmud und Midrasch, I, München, Beck, 1969, p. 121.
64. Gerd THEISSEN, Annette MERZ, Der historische Jesus. Ein Lehrbuch, Göttingen,
4
Vandenhoeck und Ruprecht, 2011, p. 188-190.
65. Le discours de Pierre à la Pentecôte interprète la venue de l’Esprit saint comme
l’accomplissement de la prophétie de Joël 3,1-5 : « Alors […] je répandrai de mon Esprit sur
toute chair […] ».
66. L’octroi eschatologique de l’esprit de sainteté est espéré en Joël 3,1-5 et Jubilés 1,23.
Qumrân l’attend en même temps que la destruction de l’esprit de perversité (1QS 4,20-21). Voir
Robert L. WEBB, John the Baptizer and Prophet, Sheffield, Sheffield Academic Press, coll.
« Journal for the Study of the New Testament. Supplement Series », 62, 1991, p. 262-278, 289-
295.
67. Es 26,19 ; 29,18-19 ; 35,5-6 ; 42,18 ; voir 61,1. Voir aussi Jubilés 23,26-31 ; 1 Hénoch 25,5-
6 ; 4 Esdras 8,53-54 ; 2 Baruch 73,2-3 ; etc.
68. Il s’agit de 1 R 11,29-39 (le manteau déchiré) ; Os 3,1-5 (la femme adultère) ; Jr 13,1-11 (la
ceinture abîmée), 19,1-2.10-15 (le vase brisé), 32,6-15 (l’achat du champ), etc. Voir Samuel
AMSLER, Les Actes des prophètes, Genève, Labor et Fides, coll. « Essais bibliques », 9, 1985.
69. Simon LÉGASSE, Naissance du baptême, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 153, 1993,
p. 43.
70. Josèphe lui attribue « trente mille dupes ».
71. Tacite, Histoires, V, 9, 2.
72. Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 2, 169-174 ; Antiquités juives, 18, 38 et 18, 55-59 ;
Philon d’Alexandrie, Legatio ad Caium, 299-305. Voir Jean-Pierre LÉMONON, Ponce Pilate,
2
Ivry, Éditions de l’Atelier, 2007.
73. Flavius Josèphe, Antiquités juives, 18, 36-38 ; Autobiographie, 65. Tibériade fut construite,
en remplacement de Sepphoris, en 19 ap. J.-C.
74. Gerd THEISSEN, « Jésus et la crise sociale de son temps », in Daniel MARGUERAT, Enrico
NORELLI, Jean-Michel POFFET (éds), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme,
2
Genève, Labor et Fides, coll. « Le Monde de la Bible », 38, 2003, p. 125-155 ; du même
auteur : Le Mouvement de Jésus. Histoire sociale d’une révolution des valeurs, Paris, Cerf,
2006, p. 145-272. Enquête sociologique : Richard A. HORSLEY, Bandits, prophets and Messiahs.
2
Popular Movements in the Time of Jesus, Harrisburg, Trinity Press International, 1999.
75. Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 2, 117-118 ; Antiquités juives, 18, 4-10. L’historien juif
note que le recrutement de ces bandes armées se faisait auprès des paysans ruinés par les taxes
(Antiquités juives, 18, 274), des personnes endettées (Guerre des juifs, 2, 426-427) et appauvries
(ibid., 4, 241). Certains voient en Judas le Galiléen le fondateur du zélotisme.
76. Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 2, 161.
77. Première opinion : John P. MEIER, Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire, II, La
parole et les gestes, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 2005, p. 97-103. Seconde opinion :
Armand PUIG I TÀRRECH, Jésus. Une biographie historique, Paris, Desclée de Brouwer, 2016,
p. 290-291. La foi chrétienne en l’impeccabilité de Jésus se lit en 2 Co 5,21 ; Jn 7,18 ; 1 Jn 3,5 ;
He 4,15 ; 7,26 ; etc.
78. William D. DAVIES, Dale C. ALLISON, The Gospel according to Saint Matthew, I, A Critical
and Exegetical Commentary, Edinburgh, Clark, 1988, p. 331-334.
79. John P. MEIER (Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire, II, La parole et les gestes,
p. 112) reprend ici les résultats de l’étude de Jürgen BECKER, Johannes der Täufer und Jesus
von Nazareth, Neukirchen, Neukirchener Verlag, coll. « Biblische Studien », 63, 1972.
80. James D. G. DUNN, Jesus Remembered (Christianity in the Making, I), Grand Rapids,
Eerdmans, 2003, p. 455.
Chapitre 4
81. James H. CHARLESWORTH, The Historical Jesus. An Essential Guide, Nashville, Abingdon
Press, 2008, p. 72.
82. Ernest RENAN, Vie de Jésus (1863), Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 618, 1974,
p. 37-38 ; Œuvres complètes, II, Paris, Calmann-Lévy, 1948, p. 1163.
83. Jürgen BECKER, Jesus von Nazaret, Berlin, De Gruyter, 1996, p. 211-233 ; John P. MEIER,
Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire, II, La parole et les gestes, Paris, Cerf, coll.
« Lectio divina », 2005, p. 457-474.
84. Exorcismes : Mc 1,23-28 et parallèle (par.) Lc 4,33-37 (synagogue de Capharnaüm) ; 5,1-20
par. Mt 8,28-34, Lc 8,26-39 (démoniaque de Gérasa) ; Mc 7,24-30 par. Mt 15,21-28 (fille de la
Cananéenne) ; Mc 9,14-29 par. Mt 17,14-21, Lc 9,37-43 (fils épileptique) ; Mt 9,32-34 par. Lc
11,14 (muet). Guérisons : Mc 1,29-31 par. Mt 8,14-15, Lc 4,38-39 (belle-mère de Pierre) ; Mc
1,40-45 par. Mt 8,1-4, Lc 5,12-16 (lépreux) ; Mc 2,1-12 par. Mt 9,1-8, Lc 5,17-26 (paralysé) ;
Mc 3,1-6 par. Mt 12,9-14, Lc 6,6-11 (homme à la main sèche) ; Mc 5,25-34 par. Mt 9,20-22, Lc
8,43-48 (femme à la perte de sang) ; Mc 7,31-37 par. Mt 15,29-31 (sourd-muet) ; Mc 8,22-26
(aveugle) ; Mc 10,46-52 par. Mt 20,29-34, Lc 18,35-43 (aveugle) ; Lc 7,1-10 (serviteur du
centurion) ; Lc 13,10-17 (femme courbée) ; Lc 14,1-6 (hydropique) ; Lc 17,11-19 (lépreux) ;
Jn 5,1-9 (paralysé) ; Jn 9,1-8 (aveugle-né). Revivifications de morts : Mc 5,21-24.35-43 par. Mt
9,18-19.23-26, Lc 8,40-42.49-56 (fille de Jaïros) ; Lc 7,11-17 (fils d’une veuve) ; Jn 11,1-44
(Lazare). Prodiges naturels : Mc 4,35-41 par. Mt 8,23-27, Lc 8,22-25 (tempête apaisée) ; Mc
6,45-52 par. Mt 14,22-32, Jn 6,16-21 (Jésus marche sur les eaux) ; Mc 6,30-44 par. Mt 14,13-21,
Lc 9,10-17, Jn 6,1-15 et Mc 8,1-10 par. Mt 15,32-39 (multiplication des pains) ; Lc 5,1-11 par.
Jn 21,3-7 (pêche abondante) ; Jn 2,1-11 (Cana).
85. Jn 2,11.18.23 ; 3,2 ; 4,48.54 ; 6,2.14.26.30 ; 7,31 ; 9,16 ; 10,41 ; 11,47 ; 12,18.37 ; 20.
86. Tobie NATHAN, Isabelle STENGERS, Médecins et sorciers, Paris, La Découverte, éd. revue
2012. Voir aussi Tobie NATHAN, La Folie des autres, Paris, Dunod (1986), 2001.
87. Brèves mentions de l’activité exorciste de Jésus : Mc 1,34.39 ; 3,11-12 ; Lc 7,21 ; 8,2 ;
13,32 ; voir aussi Mc 3,22-23.
88. John Dominic CROSSAN, The Historical Jesus. The Life of a Mediterranean Peasant, San
Francisco, HarperSanFrancisco, 1991, p. 313-318.
89. Mc 1,35 ; 6,46 ; 14,32-42. Lc 3,21 ; 5,16 ; 6,12 ; 9,18.28-29 ; 11,1 (Luc pourrait avoir
multiplié ces mentions).
90. Vie d’Adam et Ève 12 ; Testament de Salomon 20,14-17 ; Hénoch slave 29,4-5 ; Testament
de Lévi 18,12-14 ; Rouleau de la Guerre 1QM 6,5-6 et 15,12–16,1 ; Assomption de Moïse 10,1-
2 ; Oracles sybillins 3,797-808. Voir Christian GRAPPE, « Jésus exorciste à la lumière des
pratiques et des attentes de son temps », Revue biblique, 110, 2003, p. 178-196 ; Craig
A. EVANS, « Exorcisms and the Kingdom : Inaugurating the Kingdom of God and Defeating
Satan », in Darrell L. BOCK, Robert L. WEBB (éds), Key Events in the Life of the Historical
Jesus, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen
Testament », 247, 2009, p. 151-179.
91. Johannes WEISS, Die Predigt Jesu vom Reiche Gottes (1892), Göttingen, Vandenhoeck und
3
Ruprecht, 1964, p. 92-96.
92. Ex 8,15 et 31,18. Dt 9,10. Au pluriel : Ps 8,4.
93. Midrash Rabba sur Ex 10,7 (ad Ex 8,15).
94. Aristote, Histoire des animaux, 8, 206-209 ; Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VII, 2, 13-
15 ; Claude Élien, De la nature des animaux, 9, 4 ; tSanhedrin 12,10 ; bSanhedrin 101a ; Avot de
Rabbi Nathan A 36.
95. Morton SMITH, Jesus the Magician, San Francisco, HarperCollins, 1978 ; John Dominic
CROSSAN, The Historical Jesus. The Life of a Mediterranean Peasant, San Francisco,
HarperSanFrancisco, 1991, p 402-468.
96. Talmud : bShabbat 104b ; Celse : Origène, Contre Celse, 1, 28. La plus ancienne attestation
de l’application à Jésus du terme de « magicien » date de 150-160 et se lit chez Justin Martyr,
Apologie, I, 30, 1 et Dialogue avec Tryphon, 69, 7 (propos attribué aux juifs).
97. Es 26,19 ; 29,18-19 ; 35,5-6 ; 42,18 ; 61,1. Voir aussi Jubilés 23,26-31 ; 1 Hénoch 25,5-6 ; 4
Esdras 8,53-54 ; 2 Baruch 73,2-3 ; etc.
98. Gerd THEISSEN formule différemment la même idée : « Jedes Wunder kann als Epiphanie
verstanden werden », in ID., Urchristliche Wundergeschichten, Gütersloh, Gerd Mohn, coll.
6
« Studien zum Neuen Testament », 8, 1990, p. 102.
99. Annette MERZ, « Les miracles de Jésus et leur signification », in Andreas DETTWILER (éd.),
Jésus de Nazareth. Études contemporaines, Genève, Labor et Fides, coll. « Le Monde de la
Bible », 72, 2017, p. 173-194, citation p. 193.
100. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, 8, 69 (Empédocle sauve
Panthea) ; Apulée, Florilège, 19 (Asclépiade sauve un homme que l’on enterre) ; Philostrate, Vie
d’Apollonios, 4, 45 (Apollonios sauve une jeune fille) ; 1 R 17,17-24 (Élie sauve le fils d’une
veuve à Sarepta) ; 2 R 4,18-37 (Élisée sauve le fils de la Shounamite) ; voir aussi 2 R 13,20-21.
Et dans les Actes des apôtres : 9,36-43 (Pierre sauve Tabitha) ; 20,7-12 (Paul sauve Eutyche).
101. Hérodote, Histoires, 7, 191 ; Philostrate de Lemnos, La galerie de tableaux, II, 15, 1 ;
Isidore, Hymne 1, 1,39.43.49,50 ; Jamblique, Vie de Pythagore, 28, 135 ; Clément d’Alexandrie,
Stromates, VI, 30, 1. Autres références : Wendy COTTER, Miracles in Greco-Roman Antiquity,
London, Routledge, 1999, p. 131-160.
102. Jon 1 ; Testament de Nephtali 6,1-10 ; bBaba Metsia 59b ; jBerakot 9,1.12c-13c.
103. Dion Chrysostome, Discours, 3, 31 ; Ménandre, Fragment 924K ; Suétone, Vie des
Césars, IV, 22, 2-3 ; 2 M 5,21.
104. bTaanit 24b-25a ; Origène, Contre Celse, 1, 68 ; Plutarque, Numa, 15, 2-3.
105. Reinhard VON BENDEMANN, « Die Heilungen Jesu und die antike Medizin », Early
Christianity, 5, 2014, p. 273-312, surtout p. 299-302.
Chapitre 5
106. Mc et parallèles : 12 occurrences ; Source des paroles de Jésus (Mt/Lc) : 11 ; Lc : 14
occurrences qui lui sont propres ; Mt : 26 occurrences qui lui sont propres ; Jn : 2. En adoptant
la formule « Royaume des cieux », Matthieu substitue l’usage rabbinique à celui de Jésus.
107. On appelle de ce nom le judaïsme de la période qui s’étend du retour de l’Exil babylonien
e
(milieu du VI siècle av. J.-C.) à la destruction du Temple de Jérusalem par les légions romaines
(70 ap. J.-C.).
108. Les occurrences sont peu nombreuses : Ps 103,19 ; Dn 4,36 ; 6,26 ; 1 Ch 17,14 ; 28,5 ; 2
Ch 13,8 ; Sagesse 6,4 ; 10,10 ; Tobit 13,1 ; Psaumes de Salomon 5,18 ; 17,3 ; etc. Inventaire
chez Odo CAMPONOVO, Königtum, Königsherrschaft und Reich Gottes in den frühchristlichen
Schriften, Freiburg, Universitätsverlag, coll. « Orbis biblicus et orientalis », 58, 1984.
109. Les références explicites ou allusives au Jugement eschatologique sont innombrables, tant
dans les déclarations de Jésus (Mc 4,25 ; 9,43-47 ; 10,30-31 ; Lc 6,20-25 ; 10,13-15 ; 12,8-9 ;
13,23-29 ; 17,34-35 ; Mt 7,19.22-23 ; 18,3-4 ; etc.) que dans ses paraboles (Mc 4,26-29.30-32 ;
Lc 6,46-49 ; 12,42-46.57-59 ; 14,15-24 ; 16,1-8 ; Mt 13,24-30.44-46.47-50 ; 25,1-13.24-30.31-
46 ; etc.).
110. Ps 5 ; 9 ; 10 ; 11,4 ; 22,28-30 ; 24 ; 29,9-10 ; 44,5 ; 47 ; 48,2-4 ; 68,25-36 ; 74,12-14.22-
23 ; 89,15 ; 93. Les psaumes royaux : 95–99 ; 102,12-23 ; 103,19-22 ; 145,10-21 ; 146,9-10 ;
149. Outre les Psaumes : Es 6,5 ; 24,21-23 ; 25,6-8 ; 33,17.22 ; 37,16 ; 52,7 ; Mi 4,7 ; So 3,15 ;
Abd 21 ; Za 14,9.16-17 ; 1 Ch 29,11.19-20 ; Dn 2,37.44.47 ; 7,14.18-22.27 ; etc. Inventaire des
textes chez Christian GRAPPE, Le Royaume de Dieu. Avant, avec et après Jésus, Genève, Labor
et Fides, coll. « Le Monde de la Bible », 42, 2001.
111. L’attente du Royaume eschatologique imprègne la plupart des écrits de la période
intertestamentaire : Psaumes de Salomon, 1 Hénoch, Jubilés, Testaments des douze patriarches,
Oracles sibyllins, Apocalypse de Baruch (2 Baruch). On lit ces textes in André DUPONT-
SOMMER, Marc PHILONENKO (éds), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1987.
112. mYoma 3,8 ; 4,1 ; 4,2 ; 6,2. Aussi mBerakot 1,2.
113. David FLUSSER, Jésus, Paris-Tel Aviv, Éditions de l’Éclat, 2005, p. 101.
114. Mt 13,24.31.44.45.47 ; 18,23 ; 20,1 ; 22,2 ; 25,1.
115. James D. G. DUNN, Jesus Remembered (Christianity in the Making, I), Grand Rapids,
Eerdmans, 2003, p. 385.
116. On en dénombre fort peu : le chant de la vigne (Es 5,1-7), les fables de Yotam (Jg 9,7-15)
et Joas (2 R 14,9-10) ainsi que la fable de l’aigle (Ez 17,3-10).
117. Voir par exemple le matériel rassemblé par Dominique de LA MAISONNEUVE, Paraboles
rabbiniques, Paris, Cerf, Supplément Cahiers Évangile, 50, 1984.
118. Mc 2,21 par. (vêtement rapiécé) ; 2,22 par. (vin nouveau) ; 4,3-8 par. (semeur) ; 4,30-32
par. (grain de moutarde) ; 12,1-11 par. (métayers) ; 13,28-29 par. (figuier) ; 4,26-29 (semence) ;
13,34-36 (portier). Mt 5,25-26 par. (procès) ; 7,24-27 par. (deux constructeurs) ; 11,16-19 par.
(enfants sur la place) ; 12,43-45 par. (esprit impur) ; 13,33 par. (levain) ; 18,12-14 par. (mouton
perdu) ; 22,2-14 par. (festin) ; 24,43-44 par. (cambrioleur) ; 24,45-51 par. (serviteur fidèle ou
infidèle) ; 25,14-30 par. (talents) ; 13,24-30 (ivraie) ; 13,44 (trésor) ; 13,45-46 (perle) ; 13,47-50
(filet) ; 18,23-35 (serviteur impitoyable) ; 20,1-16 (salaire égal) ; 21,28-32 (deux fils) ; 25,1-13
(vierges). Lc 7,41-43 (débiteurs) ; 10,30-37 (Samaritain) ; 11,5-8 (ami) ; 12,16-21 (riche) ;
12,36-38 (serviteurs vigilants) ; 13,6-9 (figuier) ; 13,24-30 (porte fermée) ; 14,8-11 (première
place à table) ; 14,28-30 (tour) ; 14,31-32 (roi guerrier) ; 15,8-10 (drachme) ; 15,11-32 (fils
perdu) ; 16,1-8 (gérant avisé) ; 16,19-31 (riche et Lazare) ; 17,7-10 (serviteur inutile) ; 18,2-8
(juge et veuve) ; 18,10-14 (pharisien et collecteur de taxes). Inventaire sous réserve des
paraboles de l’Évangile de Thomas.
119. C’est la définition retenue par un collectif de chercheurs in Ruben ZIMMERMANN (éd.),
2
Kompendium der Gleichnisse Jesu, Güterloh, Gütersloher Verlagshaus, 2015, p. 25-28.
2
120. Adolf JÜLICHER, Die Gleichnisreden Jesu, I (1886, 1910), Darmstadt, Wissenschaftliche
Buchgesellschaft, repr. 1976, p. 107.
121. Quintilien, Institution oratoire, IV, 2, 31.
122. Paul RICŒUR, La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975. Sur l’application à la parabole : Hans
WEDER, Die Gleichnisse Jesu als Metaphern, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, coll.
2
« Forschungen zur Religion des Alten und Neuen Testaments », 120, 1980 ; Wolgang
HARNISCH, Die Gleichniserzählungen Jesu (Uni-Tachenbücher 1343), Göttingen, Vandenhoeck
und Ruprecht, 1985, p. 109-176 ; Eckhard RAU, Reden in Vollmacht, Göttingen, Vandenhoeck
und Ruprecht, coll. « Forschungen zur Religion des Alten und Neuen Testaments », 129, 1990,
p. 53-73.
123. Attestations chez Petra VON GEMÜNDEN, Vegetationsmetaphorik im Neuen Testament und
seiner Umwelt, Freiburg/Göttingen, Universitätsverlag/Vandenhoeck und Ruprecht, coll.
« Novum Testamentum et Orbis Antiquus », 18, 1993, p. 189-192 ; aussi Eckhard RAU, Reden
in Vollmacht, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, coll. « Forschungen zur Religion des
Alten und Neuen Testaments », 129, 1990, p. 124-129.
124. Georg GÄBEL, in Ruben ZIMMERMANN (éd.), Kompendium der Gleichnisse Jesu,
2
Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus, 2015, p. 330-332.
125. Paul KLEE, Credo du créateur, Conférence, 1920, p. 34. Ce slogan est largement
argumenté dans son livre : Théorie de l’art moderne, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais »,
322, 2007.
126. Traduction empruntée à Dominique de LA MAISONNEUVE, Paraboles rabbiniques, Paris,
Cerf, Supplément Cahiers Évangile, 50, 1984, p. 23.
127. Le Midrash Tanchuma 19b présente une variante : sans avoir convenu préalablement du
salaire, un roi distribue une pièce d’or à chacun des ouvriers qui a planté au moins un arbre dans
la journée. La pointe porte sur le secret : Dieu n’a pas révélé le salaire attaché à chaque
commandement de la Torah, de peur que l’obéissance ne soit motivée par la recherche de la
récompense. Voir Daniel MARGUERAT, Le Jugement dans l’Évangile de Matthieu, Genève,
2
Labor et Fides, coll. « Le Monde de la Bible », 6, 1995, p. 448-475.
128. Voir Sean FREYNE, Jesus. A Jewish Galilean, London, Clark, 2004 ; James
H. CHARLESWORTH, J. Keith ELLIOTT, et al., Jésus et les nouvelles découvertes de l’archéologie,
Paris, Bayard, 2007.
129. Mc 1,29 ; 2,1 ; 3,20 ; 7,17 ; 9,28.33 ; 10,10.
Chapitre 6
130. Inventaire des prédécesseurs : MAURO PESCE, « The Beginning of the Historical Research
on Jesus in Modern Age », in Caroline JOHNSON HODGE, Saul M. OLYAN, et al. (éds), The One
Who Sows Bountfully. Essays in Honor of Stanley K. Stowers, Atlanta, Society of Biblical
Literature, 2013, p. 77-88.
131. David F. STRAUSS, Das Leben Jesu, kritisch bearbeitet, 2 vol., Tübingen, Osiander, 1835-
1836 ; Heinrich E.G. PAULUS, Das Leben Jesu als Grundlage einer reinen Geschichte des
Urchristentums, Heidelberg, Winter, 1828 ; Heinrich J. HOLTZMANN, Die synoptischen
Evangelien, Leipzig, Engelmann, 1863 ; Ernest RENAN, Vie de Jésus (1863), Paris, Gallimard,
coll. « Folio classique », 618, 1974.
132. Adolf VON HARNACK, L’Essence du christianisme, Genève, Labor et Fides, 2015, p. 116-
117 (original allemand 1900).
133. Albert SCHWEITZER, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung (1906), 2 vol., München,
Siebenstern, coll. « Siebenstern-Taschenbuch », 77-78, 79-80, 1966.
134. Joachim JEREMIAS, Les Paraboles de Jésus, Le Puy, Xavier Mappus, 1962 (original
allemand 1947).
135. Günther BORNKAMM, Qui est Jésus de Nazareth ?, Paris, Seuil, 1973, p. 121 (original
allemand 1956).
136. Ed P. SANDERS, Jesus and Palestinian Judaism, London, SCM Press, 1977.
137. Marcus J. BORG, Jesus. A New Vision. Spirit, Culture, and the Life of Discipleship, San
Francisco, HarperSanFrancisco, 1987 ; du même auteur : Meeting Jesus for the First Time, San
Francisco, HarperSanFrancisco, 1994 ; John Dominic CROSSAN, The Historical Jesus. The Life
of a Mediterranean Peasant, San Francisco, HarperSanFrancisco, 1991 ; du même auteur :
Jesus. A Revolutionary Biography, New York, HarperCollins, 1994 ; Ed P. SANDERS, Jesus and
Palestinian Judaism, London, SCM Press, 1977 ; Gerd THEISSEN, Le Christianisme de Jésus.
Ses origines sociales en Palestine, Paris, Desclée, coll. « Relais Desclée », 6, 1978 (original
allemand 1977) ; Richard HORSLEY, Sociology and the Jesus Movement, New York, Continuum,
1989 ; du même auteur : Jesus and the Spiral of Violence : Popular Jewish Resistance in Roman
Palestine, San Francisco, Harper and Row, 1987 ; Geza VERMES, Jésus le juif, Paris, Desclée,
coll. « Jésus et Jésus-Christ », 4, 1978 (original anglais 1973) ; du même auteur : Enquête sur
l’identité de Jésus, Paris, Bayard, 2003 (original anglais 2000).
138. L’ouvrage monumental de John P. MEIER, Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire
(5 vol., Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 2004-2018) a pour titre original anglais A Marginal
Jew (« Un juif marginal »). André LACOCQUE a publié récemment, en réponse : Jésus, le juif
central, Paris, Cerf, coll. « Lire la Bible », 194, 2018 (original anglais 2015).
139. 1QS 8,4-10 ; 4Q174 3,6.
140. Pirqé Avot 2,1 (« Sois attentif à un commandement facile comme à un commandement
difficile, car tu ne connais pas la rétribution des commandements ») ; Pirqé Avot 1,18 (« Rabban
Siméon ben Gamaliel disait : “Le monde tient par trois choses : la justice, la vérité et la paix” »).
141. Dossier chez John P. MEIER, Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire, IV, La Loi et
l’amour, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 2009, p. 300-317.
142. Lettre d’Aristée, 131 ; Philon d’Alexandrie, De specialibus legibus, 2, 63 ; De virtutibus,
51 ; 95 ; Flavius Josèphe, Antiquités juives, 6, 265 ; 8, 121 ; 10, 215 ; 15, 376 ; etc. Autres
références : Klaus Berger, Die Gesetzesauslegung Jesu, I, Markus und Parallelen, Neukirchen,
Neukirchener Verlag, coll. « Wissenschaftliche Monographien zum Alten und Neuen
Testament », 40, 1972, p. 151-165.
143. Démonstration chez John PIPER, « Love your enemies », Cambridge, Cambridge
University Press, coll. « Society for New Testament Studies. Monograph Series », 38, 1979,
p. 20-49. Aussi John P. MEIER, Un certain Juif, Jésus, IV, Enquête sur l’authenticité des paroles,
p. 335-356.
144. Dieu vengera les siens : Hénoch slave 50,4 ; Pirqé Avot 4,19 ; 1QS 10,17-18 ; Siracide
28,1. Réprimer la colère évite la querelle : Prov 15,18 ; 16,32 ; 24,29 ; 29,11 ; 30,33 ; Es 50,6 ;
Siracide 1,22-24 ; jShabbat 88b.
145. Sénèque, De la colère, II, 33, 1-2 ; Épictète, Entretiens, III, 22, 54. Autres références :
Petra VON GEMÜNDEN, « La gestion de la colère et de l’agression dans l’Antiquité et dans le
Sermon sur la montagne », Hénoch, 25, 2003, p. 19-45.
146. Léon TOLSTOÏ, Lettre à Gandhi du 7 septembre 1910.
147. Le texte est corrompu. Je suis la reconstitution de Johann MAIER, Die Qumran-Essener :
Die Texte vom Toten Meer, I, München, Reinhardt, coll. « Uni-Taschenbücher », 1862, 1995,
p. 31 ; ma traduction.
148. Klaus BERGER, « Jesus als Pharisaër und frühe Christen als Pharisaër », Novum
Testamentum, 30, 1988, p. 231-262.
149. Klaus BERGER, « Jesus als Pharisaër und frühe Christen als Pharisaër », p. 240.
150. Gerd THEISSEN, Annette MERZ, Der historische Jesus. Ein Lehrbuch, Göttingen,
4
Vandenhoeck und Ruprecht, 2011, p. 211.
151. Mc 2,14.15-17. Mt 11,19. Lc 5,8.30 ; 7,34.36-50 ; 15,1-2 ; 18,11-13 ; 19,7.
152. Mc 1,40-45 ; 14,3. Mt 10,8 ; 11,5. Lc 17,11-19.
153. Lc 5,30 ; 7,34 ; 15,1-2.25-32 ; 19,10 ; le narrateur les fait fonctionner comme contre-
modèles des « justes » (18,9-14). Les pécheurs sont également mis à distance et marginalisés par
les pieux, mais pour des raisons d’impureté (Lc 5,8.32 ; 7,37.39 ; 18,13 ; 19,7).
154. James H. CHARLESWORTH, The Historical Jesus. An Essential Guide, Nashville,
Abingdon, 2008, p. 60 ; voir p. 45-61.
155. Joseph KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris, Payot, coll.
« Bibliothèque historique », 1933, p. 538-539 (original hébreu 1922).
156. Joseph KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, p. 535.
157. Lc 11,2 par. Mt 6,9 ; Mt 11,25 par. Lc 10,21 ; Mc 14,36 par.
158. Mc 14,36 par. ; Ga 4,6 ; Rm 8,15.
159. Gerhard VON RAD, Israël et la sagesse, Genève, Labor et Fides, 1971, p. 170-185.
160. Ces paraboles de crise remontent vraisemblablement à Jésus : Mc 13,33-37 (le portier) ;
Mt 25,1-13 (les dix jeunes filles) ; 25,14-30 (les talents) ; Lc 12,16-21 (le riche paysan) ; 12,39-
40 (le cambrioleur) ; 12,42-46 (les deux serviteurs) ; 12,57-59 (les deux plaideurs) ; 16,1-8
(l’intendant avisé) ; 16,19-31 (le riche et Lazare). Peut-être aussi Mt 22,11-13 (l’invité sans
habit de noces) ; 25,31-46 (le grand jugement).
Chapitre 7
161. Marc insiste sur la popularité de Jésus (Mc 2,2.13 ; 3,7-12 ; 3,20 ; 4,1-2 ; 5,21 ; 6,34 ; 8,1 ;
etc.). Voir aussi Mt 9,33 ; 12,23 ; Lc 6,20 ; 7,24 ; 11,31-32 ; Jn 6,5.14-15 ; 7,49 ; etc.
162. Mc 1,5 ; Lc 3,7 ; Flavius Josèphe, Antiquités juives, 18, 118.
163. John P. MEIER, Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire, III, Attachements,
affrontements, ruptures, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 2005, p. 32-34.
164. mathètès (« disciple ») s’applique 70 fois aux disciples de Jésus chez Matthieu, 43 chez
Marc, 35 chez Luc, 74 chez Jean. akolouthein (« suivre ») connaît 25 occurrences chez
Matthieu, 19 chez Marc, 17 chez Luc, 19 chez Jean.
165. Les parallèles sont rarissimes. Voir par exemple Jamblique, Vie de Pythagore, 17, 73 : les
membres qui étaient exclus du groupe de Pythagore « recevaient le double de leurs biens et,
comme s’ils étaient morts, un tombeau leur était élevé » ; de ceux qui n’avaient pas été admis,
les disciples « disaient que ceux qu’ils avaient tenté de “modeler” étaient morts ».
166. Ni le récit de 1 Rois 19 ni Flavius Josèphe (Antiquités juives, 8, 354) ne font reproche à
Élisée d’accomplir les rites d’adieu.
167. Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 2, 125.
168. Thomas SCHMELLER, « Réflexions socio-historiques sur les porteurs de la tradition et les
destinataires de Q », in Andreas DETTWILER, Daniel MARGUERAT (éds), La Source des paroles
de Jésus (Q). Aux origines du christianisme, Genève, Labor et Fides, coll. « Le Monde de la
Bible », 62, 2008, p. 149-171. Au sujet de la Source, voir plus haut, p. 29-31.
169. Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 2, 120-161. « Ils ne sont pas les habitants d’une seule
cité ; en revanche, ils sont nombreux dans chacune de celles où ils s’établissent. Ils mettent tous
leurs biens à la disposition des membres venus d’ailleurs, pour qu’ils en usent comme si c’était
à eux. » (Ibid., 2, 124 ; trad. A. Pelletier.)
170. Gerd THEISSEN, Le Mouvement de Jésus. Histoire sociale d’une révolution des valeurs,
Paris, Cerf, 2006, p. 37-109.
171. Enrico NORELLI, « Jésus en relation – des adeptes, des alliés et des adversaires », in
Andreas DETTWILER (éd.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines, Genève, Labor et Fides,
coll. « Le Monde de la Bible », 72, 2017, p. 100-101.
172. Gerd THEISSEN, Annette MERZ, Der historische Jesus. Ein Lehrbuch, Göttingen,
4
Vandenhoeck und Ruprecht, 2011, p. 199.
173. Günter KLEIN, Die zwölf Apostel. Ursprung und Gehalt einer Idee, Göttingen,
Vandenhoeck und Ruprecht, coll. « Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und
Neuen Testaments », 59, 1961.
174. Même John P. MEIER, aux thèses plutôt conservatrices, reconnaît que la clause « mon
Église » ne peut avoir été prononcée par le Jésus historique (Un certain juif, Jésus. Les données
de l’histoire, III, Attachements, affrontements, ruptures, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina »,
2005, p. 164-169).
175. Gerd THEISSEN, « Gruppenmessianismus. Überlegungen zum Ursprung der Kirche im
Jüngerkreis Jesu », Jahrbuch für biblische Théologie, 7, 1992, p. 101-123.
176. Le féminin de mathètès, à savoir mathètria, n’apparaît qu’une fois dans le Nouveau
Testament sous la plume de Luc en Ac 9,36 pour qualifier Tabitha. En araméen, le vocable
« disciple » (talmid) ne se décline qu’au masculin.
177. De façon générale, rien ne permet d’exclure les femmes des foules auditrices de Jésus ou
des malades affluant vers lui pour une guérison. Voir en particulier Lc 8,1-3 ; Mc 14,40-41 ;
1,29-31 ; 5,25-40 ; Lc 7,36-50 ; 13,10-17 ; 10,38-42 ; 11,27-28 ; Jn 4,4-42 ; etc. Des paraboles
ou des sentences de Jésus respectent la polarité masculin/féminin : Lc 4,25-27 ; 13,18-21 ; 15,3-
10 ; 11,5-8 et 18,1-8 ; 12,41-42 ; Mt 2,21 ; 6,26.28 ; 24,40-41 ; etc.
178. Hippolyte de Rome, Commentaire du Cantique des Cantiques, 25, 6-10 : « Ô mise en
garde nouvelle : Ève est devenue apôtre ! »
179. La fabrication de « sainte Marie-Madeleine » résulte de l’amalgame entre Marie de
Magdala, la pécheresse de Luc 7, et Marie de Béthanie, sœur de Lazare. Cet amalgame, qui ne
e
fut levé qu’au XVII siècle par Lefèvre d’Étaples, semble avoir été l’œuvre du pape Grégoire le
Grand, mort en 604, désireux d’offrir à la piété populaire une figure de pénitence et
d’absolution. Voir à ce sujet l’étude de Régis BURNET, Marie-Madeleine. De la pécheresse
repentie à l’épouse de Jésus, Paris, Cerf, 2004, p. 31-37.
180. Vu le mauvais état du manuscrit, la reconstitution du texte est incertaine. J’emprunte la
traduction de Jacques E. MÉNARD (L’Évangile selon Philippe, Paris, Letouzey et Ané, 1967). La
clause [la bouche] est une conjecture de lecture, le manuscrit présentant à cet endroit une lacune.
Justification de la conjecture par Louis PAINCHAUD in Jean-Pierre MAHÉ, Paul-Hubert POIRIER
(éds), Écrits gnostiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, p. 357.
er
181. Thierry MURCIA, Marie appelée la Magdaléenne. Entre traditions et histoire, I -
e
VIII siècles, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2017.
182. Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 2, 119-166. Aussi Antiquités juives, 13, 171-173 ; 13,
297-298 ; 18, 11-25.
183. Flavius Josèphe, Antiquités juives, 18, 23-24. La fondation de ce mouvement est attribuée
à Judas le Galiléen, qui lors de la déposition d’Archelaüs (an 6 ap. J.-C.) lança une campagne de
refus de l’impôt.
184. Jacob NEUSNER, Le Judaïsme à l’aube du christianisme, Paris, Cerf, coll. « Lire la Bible »,
71, 1986, p. 86-91 ; du même auteur : « Pharisaic Law in New Testament Times », Union
Seminary Quaterly Review, 26, 1971, p. 331-340.
185. Les souverains hasmonéens s’inscrivent dans le trend hellénisant à la suite des conquêtes
e
orientales d’Alexandre le Grand. Voir Simon Claude MIMOUNI, Le judaïsme ancien du VI siècle
e
avant notre ère au III siècle de notre ère : des prêtres aux rabbins, Paris, PUF, coll. « Nouvelle
Clio », 2012, p. 234-236. L’auteur signale une autre étymologie de perushîm : « ceux qui
expliquent » ; elle se référerait à leur tradition interprétative de la Torah.
186. Lc 5,17.21 ; 6,2 ; 7,36.43 ; 11,37-38 ; 11,53-54 ; 13,31 ; 14,1 ; 16,14 ; 17,20 ; 19,39.
187. Reza ASLAN, Le Zélote, Paris, Les Arènes, 2014.
188. Christophe MÉZANGE raconte l’histoire du zélotisme, depuis sa fondation attribuée à Judas
le Galiléen en 6 ap. J.-C., in Les Sicaires et les Zélotes. La révolte juive au tournant de notre
ère, Paris, Geuthner, 2003.
Chapitre 8
189. Mc 1,41.43 ; 6,34 ; 8,2. Lc 7,13 ; 19,41. Jn 11,35.
190. Brève histoire de la recherche chez Gerd THEISSEN, Annette MERZ, Der historische Jesus.
4
Ein Lehrbuch, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2011, p. 449-455.
191. Gerd THEISSEN, Annette MERZ, Der historische Jesus, p. 454.
192. Mc 4,38 ; 9,17.38 ; 10,17.35 ; etc. Mt 19,16 ; 22,16. Lc 7,40 ; 11,45 ; etc. En Mc 5,35 ; Mt
9,11 ; 17,24, on parle de lui comme d’un maître. L’appellation didaskalos (maître) n’apparaît
pas sur les lèvres des disciples, sauf Judas à Gethsémani (Mt 26,49).
193. Mc 2,1-12 ; 11,25. Mt 6,12.14-15 ; 18,23-35. Lc 7,41-43 ; 15,11-32 ; 18,9-14.
194. Gerd THEISSEN et Annette MERZ signalent une exception possible à Qumrân : la
déclaration du pardon des péchés du roi de Babylone par un juif anonyme, citée dans la prière
de Nabonide en 4Q242, frag. 3 (Der historische Jesus. Ein Lehrbuch, Göttingen, Vandenhoeck
4
und Ruprecht, 2011, p. 459) ; mais la traduction n’est pas assurée : « un exorciste a pardonné
mon péché. Il était un juif […] ».
195. Amen se lit sur les lèvres de Jésus à 13 reprises chez Marc, à 21 reprises dans la tradition
propre à Matthieu, 3 fois sous la plume de Luc et 25 fois chez Jean. L’expression semble
absente de la Source des paroles (seule exception éventuelle : Q 12,37).
196. Joachim JEREMIAS, Théologie du Nouveau Testament. La prédication de Jésus, Paris, Cerf,
coll. « Lectio divina », 76, 1973, p. 47-48.
197. Pour Takashi ONUKI, le discours en « je » de Jésus vise à développer chez ses auditeurs
une éthique de la responsabilité, in Jesus. Geschichte und Gegenwart, Neukirchen,
Neukirchener Verlag, coll. « Biblisch-Theologische Studien », 82, 2006, p. 167-170.
198. On consultera Annalisa GUIDA et Marco VITELLI (éds), Gesù e i messia di Israele, Trapani,
Il Pozzo di Giacobbe, coll. « Oi christianoi », 4, 2006 et l’excellente Encyclopédie des
messianismes juifs dans l’Antiquité, David HAMIDOVIC, Xavier LEVIEILS, Christophe MÉZANGE
(éds), Leuven, Peeters, coll. « Biblical Tools and Studies », 33, 2017.
199. Le roi : 1 Sam 12,3.5 ; 1 R 19,16 ; Ps 2,2 ; 18,51 ; 1 Ch 29,22 ; etc. Le grand prêtre : Lv
4,3.5.16 ; Ex 29,4-37 ; 1 Ch 29,22 ; Si 45,15 ; Dn 9,25-26 ; 2 M 1,10. Le prophète : 1 R 19,16 ;
Ps 105,15 ; voir Es 61,1.
200. Psaumes de Salomon 17–18. 1 Hénoch 48,10 ; 52,4. 4 Esdras 7,28. 2 Baruch 29,3 ; 30,1 ;
etc.
201. 1QS 9,9-11. CD 12,22 ; 14,18-19 ; 19,10-11 ; 20,1. La formule « Messie d’Aaron et
d’Israël » paraît indiquer la prééminence du Messie sacerdotal sur le Messie royal dans
l’eschatologie qumrânienne (1QS 9,11 ; CD 12,23–13,1 ; 14,19 ; 19,10-11 ; 20,1 ; etc.). Voir
David HAMIDOVIC, « Peut-on penser une histoire intellectuelle du premier messianisme juif à
partir des manuscrits de Qumrân ? », in ID. (éd.), Aux origines des messianismes juifs, Leiden,
Brill, coll. « Supplements to Vetus Testamentum », 158, 2013, p. 101-120.
202. Les noms et les attributs varient : Dn 7,13-14 et 1 Hénoch 37–71 (Fils de l’homme) ; 1
Hénoch 90,9-27.37-38 (homme) ; Testament de Lévi 18 (prêtre nouveau) ; Testament de Judas
24 (germe du Très-Haut) ; Oracles Sibyllins 3,49-50.286-287.652-653 (roi) ; Philon, De
praemiis et poenis, 95 (homme) ; 11Q13 (Melchisédek) ; 4Q174 frag. 3,10-13 (rejeton de
David) ; etc.
203. Gerd THEISSEN, « Du Jésus de l’histoire au Fils de Dieu du kérygme. L’apport de l’analyse
sociologique des rôles à la compréhension de la christologie du Nouveau Testament », Études
théologiques et religieuses, 83, 2008, p. 594.
204. Définition sociologique de Henri DESROCHE : « Le messianisme représente le fonds
commun des doctrines qui promettent le bonheur parfait sur terre, sous la direction d’une
personne, d’un peuple, d’un parti, de mouvements collectifs […] », in Dieux d’hommes :
er
dictionnaire des messianismes et millénarismes du I siècle à nos jours, Paris, Berg
2
International, 2010, p. 21.
205. L’exhortation à soutenir les disciples parce qu’ils appartiennent « au Christ » (Mc 9,41) est
postpascale et caractérise la période postpascale. Les deux références au Christ en Lc 24,26.46
sont placées sur les lèvres du Ressuscité. En outre, quand Jésus parle du Messie et de son
origine davidique (Mc 12,35-37), il ne s’applique pas le titre.
206. Ac 11,26 situe la première apparition de l’appellation christianoi à Antioche ; nous
sommes au début des années 40. Christos est une désignation déjà traditionnelle en Rm 5,8 ;
14,9.15 ; 1 Co 8,11-12 ; 15,3 ; 2 Co 5,15 ; Ga 2,21 ; 1 Th 5,10. Paul use à 270 reprises du nom
Christos, alors qu’il use 109 fois du nom double Ièsous Christos ou Christos Ièsous.
207. André LACOCQUE, Jésus, le juif central, Paris, Cerf, coll. « Lire la Bible », 194, 2018,
p. 400.
208. Exception : Jn 12,34 (mais la foule cite Jésus !).
209. Joachim JEREMIAS a inventorié 25 cas où « Fils de l’homme » a été remplacé par le « je »
de Jésus dans les évangiles synoptiques ; s’y ajoutent 12 cas où l’évangile de Jean offre deux
versions d’une parole de Jésus, l’une contenant le titre, l’autre le « je » ; exemples : Jn 3,13 et
20,17 ; 3,14 et 12,32 ; 5,27 et 5,22 ; 6,27 et 6,51 ; etc., in « Die älteste Schicht der
Menschensohn-Logien », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft, 58, 1967, p. 159-
172, surtout p. 159-164.
210. La négation de toute utilisation par Jésus du titre « Fils de l’homme » émane de Philipp
VIELHAUER, « Gottesreich und Menschensohn in der Verkündigung Jesu » et « Jesus und der
Menschensohn », in ID., Aufsätze zum Neuen Testament, München, Kaiser, coll. « Theologische
Bücherei », 31, 1965, p. 92-140. L’attribution à Jésus du titre dans ses trois catégories a été
défendue par Carsten COLPE, art. ho huios tou anthrôpou, in Gerhard FRIEDRICH (éd.),
Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, 8, Stuttgart, Kohlhammer, 1969, p 403-482,
surtout p. 433-444.
211. La thèse selon laquelle « Fils de l’homme » est employé par Jésus comme une
circonlocution à teneur générique et non comme un titre a été défendue par Geza VERMES, Jésus
le juif, Paris, Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », 4, 1978, p. 211-251 ; aussi Maurice CASEY,
The Solution of the « Son of Man » Problem, London, Clark, 2009.
212. Avec Jens SCHRÖTER, Jesus von Nazaret. Jude aus Galiläa – Retter der Welt, Leipzig,
5
Evangelische Verlagsanstalt, coll. « Biblische Gestalten », 15, 2013, p. 255.
213. Mc 8,38 ; 9,37 ; 10,17-22. Mt 5,11-12 ; 5,21-48 ; 11,20-24. Lc 6,47-49 ; 12,8-9.
214. Gerd THEISSEN, « Du Jésus de l’histoire au Fils de Dieu du kérygme. L’apport de l’analyse
sociologique des rôles à la compréhension de la christologie du Nouveau Testament », Études
théologiques et religieuses, 83, 2008, p. 604. Une promesse de Jésus aux disciples peut
confirmer son attente : « En vérité, je vous le déclare : lors du renouvellement de toutes choses,
quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous qui m’avez suivi, vous siégerez
vous aussi sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël » (Mt 19,28).
215. L’évangéliste Matthieu a multiplié sur les lèvres de Jésus l’expression « mon père », mais
il n’a pas inventé cette idiosyncrasie du Jésus historique (Mt 7,21 ; 10,32-33 ; 11,27 ; 12,50 ;
15,13 ; 16,17 ; 18,10.19.35 ; 20,23 ; 25,34.41 ; 26,29.39.42.53). Voir en effet Lc 10,22 ; 22,29 ;
24,49. Lire Joachim JEREMIAS, Théologie du Nouveau Testament. La prédication de Jésus, Paris,
Cerf, coll. « Lectio divina », 76, 1973, p. 225-231.
Chapitre 9
216. Lire par exemple Geza VERMES, Les Énigmes de la Passion. Une histoire qui a changé le
monde, Paris, Bayard, 2007. Pour le reste, voir plus bas, p. 324-326.
217. J’adopte la datation johannique, qui fixe l’exécution de Jésus la veille de la Pâque, laquelle
cette année-là tombait sur un jour de sabbat (Jn 19,14.31). La datation synoptique fait coïncider
la mort de Jésus avec la fête de la Pâque, ce qui est invraisemblable (Mc 14,12). La coïncidence
d’un sabbat avec la fête de la Pâque se produit en 30 et en 33, mais l’an 33 est moins probable,
l’activité publique de Jésus ne paraissant pas avoir été aussi longue. Analyse détaillée chez John
P. MEIER, Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire, I, Les sources, les origines, les dates,
Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 2004, p. 239-255.
218. Étienne TROCMÉ, The Passion as Liturgy, London, SCM Press, 1983.
219. Jn 2,13 ; 5,1 ; 12,12.
220. Albert SCHWEITZER : « Jesus bricht also gegen Ostern nach Jerusalem auf, einzig um dort
zu sterben », Geschichte der Leben-Jesu-Forschung (1906), II, München, Siebenstern, coll.
« Siebenstern-Tachenbuch », 79-80, 1966, p. 444-445. Selon Schweitzer, Jésus voulait par sa
souffrance déclencher la grande détresse de la fin des temps (Mc 13,5-27). Sa thèse a été remise
partiellement en valeur par Ulrich LUZ, « Warum zog Jesus nach Jerusalem ? », in ID.,
Exegetische Aufsätze, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum
Neuen Testament », 357, 2016, p. 115-131.
221. Luc (Ac 21,38) et Flavius Josèphe (Guerre des juifs, 2, 261-263 ; Antiquités juives, 20,
169-172) se réfèrent au même prophète illuminé ; son aventure, qui fut écrasée par les légions
du procurateur Félix, peut être datée de l’an 54 ap. J.-C.
222. Issu de la vision deutéronomiste de l’histoire, ce motif trouve son enracinement
vétérotestamentaire en Ne 9,26. Odil Hannes Steck a identifié sa trace dans la littérature du
second Temple et le judaïsme postérieur. Le schéma est invariable : malgré les continuelles
exhortations de son Dieu, Israël est demeuré endurci, rejetant ses envoyés, si bien qu’il attire sur
lui le jugement punitif de Dieu. Cette vision simplificatrice de l’histoire sainte animait le
message de prédicateurs de conversion qui sillonnèrent le pays durant les siècles précédant l’ère
chrétienne, afin de susciter un mouvement de pénitence. Après Jésus, les chrétiens l’ont repris à
leur compte dans la Source des paroles (Mt 5,11-12 par. Lc 6,22 ; Mt 23,29-39 par. Lc 11,47-51
et 13,34-35 ; voir Ac 7,52) et chez Paul (Rm 11,3 ; 1 Th 2,15). Voir Odil Hannes STECK, Israel
und das gewaltsame Geschick der Propheten, Neukirchen, Neukirchener Verlag, coll.
« Wissenschaftliche Monographien zum Alten und Neuen Testament », 23, 1967.
223. Jacob NEUSNER, « Money Changers in the Temple : The Mishna’s Explanation », New
Testament Studies, 35, 1989, p. 287-290.
224. Joachim JEREMIAS, Théologie du Nouveau Testament. La prédication de Jésus, Paris, Cerf,
coll. « Lectio divina », 76, 1973, p. 185.
225. Ed P. SANDERS, Jesus and Judaism, London, SCM Press, 1985, p. 61-90.
226. Ainsi Jürgen BECKER, Jesus von Nazaret, Berlin, De Gruyter, 1996, p. 407-410.
227. Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 5, 194 ; Antiquités juives, 15, 417 ; Philon d’Alexandrie,
Legatio ad Caium, 212. L’archéologue découvreur, Charles CLERMONT-GANNEAU, traduit ainsi
l’inscription grecque : « Que nul étranger ne pénètre à l’intérieur de la balustrade et de
l’enceinte qui sont autour du Temple ; celui donc qui serait pris serait cause que la mort
s’ensuivrait pour lui », in « Une stèle du temple de Jérusalem », Comptes-rendus des séances de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 16, 1872, p. 170-196, citation p. 178.
228. Sur le rôle religieux, politique, social, économique du Temple de Jérusalem, voir les
études rassemblées par James H. CHARLESWORTH, Jesus and Temple. Textual and Archeological
Explorations, Minneapolis, Fortress Press, 2014.
e e
229. La construction de la figure de Judas dans la chrétienté du II au V siècle est exposée par
Hans-Josef KLAUCK, Judas, un disciple de Jésus. Exégèse et répercussions historiques, Paris,
Cerf, coll. « Lectio divina », 212, 2006, p. 139-163 et par Régis BURNET, Les Douze Apôtres.
Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien, Turnhout,
Brepols, 2014, p. 107-130.
230. L’interprétation du texte et l’évaluation de la figure de Judas est encore discutée, certains
chercheurs discernant une dépréciation du personnage manipulé par les puissances du mal. Cette
hypothèse de lecture est cependant improbable. Voir l’analyse de Jean-Daniel DUBOIS, Jésus
apocryphe, Paris, Mame/Desclée, 2011, coll. « Jésus et Jésus-Christ », 99, p. 243-257.
231. Hans-Josef KLAUCK, Judas, un disciple de Jésus. Exégèse et répercussions historiques,
p. 165.
232. Hyam MACCOBY, Judas Iscariot and the Myth of Jewish Evil, New York, Free Press, 1992.
233. Raymond E. BROWN, La Mort du Messie, Paris, Bayard, 2005, p. 400-417 ; Joseph
BLINZLER, Le Procès de Jésus, Paris, Mame, 1962, p. 184-238.
234. Voir jSanhedrin 4,1 ; 5,2 ; 7,5.
235. Joseph BLINZLER, Le Procès de Jésus, p. 219-238. Sa thèse a été retenue par André
LACOCQUE, Jésus, le juif central, Paris, Cerf, coll. « Lire la Bible », 194, 2018, p. 446-448.
236. Mc 10,33 et 14,64. Mt 26,66. Comparer avec Lc 22,71 et Jn 18,19-24.
237. Ma reconstitution est proche de celle que présente François BOVON, Les Derniers Jours de
2
Jésus, Genève, Labor et Fides, coll. « Essais bibliques », 34, 2004, p. 43-48. Une hypothèse
alternative suppose deux sessions du sanhédrin, l’une précédemment (session préliminaire selon
Jean 11,47-53), l’autre au matin ; voir par ex. Armand PUIG I TÀRRECH, Jésus. Une biographie
historique, Paris, Desclée de Brouwer, 2016, p. 696-704, 710-712.
238. Richard A. HORSLEY, Bandits, Prophets and Messiahs. Popular Movements in the Time of
2
Jesus, Harrisburg, Trinity Press International, 1999.
239. Matthieu 26,64 (su eipas, « C’est toi qui l’as dit ») attribue au grand prêtre la
responsabilité de son affirmation. Luc 22,70 (hymeis legete hoti egô eimi, « C’est vous qui dites
que je suis ») l’attribue encore plus clairement aux sanhédrites, mais la question posée est : « Toi
donc, es-tu le fils de Dieu ? »
240. Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 6, 300-305.
241. Philon d’Alexandrie, Legatio ad Caium, 299-305 ; Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 2,
169-177 ; Antiquités juives, 18,55-62 ; 18,85-89. Jean-Pierre LÉMONON analyse ces textes in
2
Ponce Pilate, Paris, Éditions de l’Atelier, 2007, p. 127-159, 189-227.
242. DAVID FLUSSER, Jésus, Paris-Tel Aviv, Éditions de l’Éclat, 2005, p. 144.
243. Cet épisode est narré par Flavius Josèphe sous deux versions : Guerre des juifs, 2, 175-177
et Antiquités juives, 18, 60-62.
244. Examen détaillé chez Raymond E. BROWN, La Mort du Messie, Paris, Bayard, 2005,
p. 904-910. L’auteur conclut à la synchronie de la condamnation de Jésus et de la relaxe de
Barrabas ; le lien aurait été établi par la tradition chrétienne.
245. Helen K. BOND juge les critiques de Philon et de Flavius Josèphe peu crédibles, in Pontius
Pilatus in History and Interpretation, Cambridge, Cambridge University Press, coll. « Society
for New Testament Studies. Monograph Series », 100, 1998, p. 25-93. Selon Gordon THOMAS,
les Romains disposaient de deux sortes de relaxe : l’amnistie (abolitio) et la remise de peine
(indulgentia), in The Trial. The Life and Inevitable Crucifixion of Jesus, New York, Bantam,
1987, p. 218-219.
246. Sur la peine de mort par crucifixion : Joseph BLINZLER, Le Procès de Jésus, Paris, Mame,
1962, p. 404-407, 423-429 ; Martin HENGEL, La crucifixion dans l’Antiquité et la folie du
message de la croix, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 105, 1981, p. 13-113 ; John Granger
COOK, Crucifixion in the Mediterranean World, Tübingen, Mohr Siebeck, coll.
« Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament », 327, 2014.
247. Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 2,2 52 ; 2,306-308 ; 5, 451.
248. Martin HENGEL, La crucifixion dans l’Antiquité et la folie du message de la croix, p. 39.
249. Description dans l’article de Vassilios TZAFERIS, « Jewish Tombs at and near Giv’at ha-
Mivtar », Israel Exploration Journal, 20, 1970, p. 18-32.
250. Mc 15,34 par. Mt 27,46. Lc 23,34 ; 23,43 ; 23,46. Jn 19,26-27 ; 19,28 ; 19,30.
251. Heinz SCHÜRMANN, Comment Jésus a-t-il vécu sa propre mort ?, Paris, Cerf, coll. « Lectio
divina », 93, 1977, en particulier p. 57-78.
Chapitre 10
252. Ernst TROELTSCH, « Über historische und dogmatische Methode in der Theologie », in ID.,
Zur religiösen Lage, Religionsphilosophie und Ethik. Gesammelte Schriften, II, Tübingen,
Mohr, 21922, p. 729-753, surtout p. 729-734.
2
253. Jacques SCHLOSSER, Jésus de Nazareth, Paris, Agnès Viénot, 2002, p. 329.
254. Jean ZUMSTEIN, « Jésus après Jésus – l’événement pascal et les débuts de la christologie »,
in Andreas DETTWILER (éd.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines, Genève, Labor et
Fides, coll. « Le Monde de la Bible », 72, 2017, p. 238.
255. Lc 24,23.34. Jn 18,18.25.29 ; voir 1 Co 15,5.6.7.8.
256. 1 Th 4,14. 1 Co 6,14 ; 15,4. Ga 1,1. Rm 1,4 ; 4,24 ; 6,4 ; 8,11 ; 10,9. Ac 2,24 ; 3,15 ; 4,10 ;
5,30. Ep 1,20 ; etc.
257. Sagesse 3,1-9 ; 5,15-23. 1 Hénoch 22. 2 M 7,11.28.
258. Daniel MARGUERAT, Résurrection. Une histoire de vie, Bière, Cabédita, coll. « Parole en
4
liberté », 2015, p. 13-16.
259. La finale dite longue (Mc 16,9-20) émane de la chrétienté syrienne et date du milieu du
e
II siècle ; elle consiste en une compilation des récits résurrectionnels de Matthieu, Luc, Jean et
des Actes. Voir Joseph HUG, La Finale de l’évangile de Marc (Mc 16,9-20), Paris, Gabalda, coll.
« Études bibliques », 1978.
260. Mt 28,1-8. Lc 24,1-12. Jn 20,1-10.
261. Les Anciens rapportent la montée au ciel de héros grecs aussi bien que d’empereurs
romains ou de grands hommes d’Israël. Les formes varient : ravissement de l’âme (Abraham,
Moïse), enlèvement céleste (Hénoch, Élie, Esdras, Baruch ; Romulus, Héraclès, Alexandre le
Grand), retour au ciel après une apparition (anges ou dieux). Les Romains usent du motif pour
appuyer la divinisation de leurs empereurs, tandis que la foi juive y voit la réhabilitation du juste
par Dieu. Les modèles prototypiques sont, du côté juif, l’enlèvement d’Élie (2 R 2) ; du côté
romain, le ravissement au ciel de Romulus premier roi de Rome (Tite-Live, Histoire romaine, I,
16,3-6). Dans la Rome antique, c’est avec la dynastie des Juliens qu’apparaît l’apothéose de
l’empereur ou consecratio (passage de l’espace profane à l’espace sacré). Références littéraires :
Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres (1-12), Genève, Labor et Fides, coll. « Commentaire
2
du Nouveau Testament », 5a, 2015, p. 45-46.
262. Gerd THEISSEN, Annette MERZ, Der historische Jesus. Ein Lehrbuch, Göttingen,
4
Vandenhoeck und Ruprecht, 2011, p. 439 ; Jens SCHRÖTER, Christine JACOBI (éds), Jesus
Handbuch, Tübingen, Mohr Siebeck, 2017, p. 496 (Christine Jacobi).
263. Cet extrait attribué à l’évangile des Hébreux est cité par Jérôme dans Les Hommes
illustres, 2 : « Quand le Seigneur eut donné le linceul au serviteur du prêtre, il alla vers Jacques
et lui apparut […] Il prit le pain, le bénit, le rompit et le donna à Jacques le Juste en disant :
“Mon frère, mange ton pain, puisque le Fils de l’homme est ressuscité de ceux qui dorment” »
(trad. D. A. Bertrand).
264. Jean ZUMSTEIN, « Jésus après Jésus – l’événement pascal et les débuts de la christologie »,
in Andreas DETTWILER (éd.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines, Genève, Labor et
Fides, coll. « Le Monde de la Bible », 72, 2017, p. 239.
3
265. Alfred LOISY, L’Évangile et l’Église (1902), Bellevue, chez l’auteur, 1904, p. 155. Notons
que, contrairement à l’usage qui a été fait de ce slogan, Loisy justifiait l’institutionnalisation du
christianisme après Jésus : l’Église « est venue en élargissant la forme de l’Évangile, qui était
impossible à garder telle quelle, dès que le ministère de Jésus eut été clos par la passion »
(ibid.).
266. Jens SCHRÖTER, Jesus von Nazareth. Jude aus Galiläa – Retter der Welt, Leipzig,
5
Evangelische Verlagsanstalt, coll. « Biblische Gestalten », 15, 2013, p. 301.
267. James D. G. DUNN, Jesus Remembered (Christianity in the Making, I), Grand Rapids,
Eerdmans, 2003, p. 825.
268. Ces mots prêtés à Ramuz ne sont pas tout à fait exacts. Dans son roman Adam et Eve,
l’auteur fait dire à l’un de ses personnages : « Qu’est-ce que tu veux ? C’est une explication,
c’est même la seule explication » (Charles-Ferdinand RAMUZ, Romans, II, Paris, Gallimard,
coll. « La Pléiade », 2005, p. 872). Je dois cette précision à Doris Jakubec, de l’Université de
Lausanne.
Chapitre 11
269. Un grand nombre de textes apocryphes est maintenant accessible dans : François BOVON,
Pierre GEOLTRAIN (éds), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de
la Pléiade », 1997 ; Pierre GEOLTRAIN, Jean-Daniel KAESTLI (éds), Écrits apocryphes II, Paris,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2005. Pour les textes gnostiques : Écrits
gnostiques, Jean-Pierre MAHÉ, Paul-Hubert POIRIER (éds), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque
de la Pléiade », 2007. Les textes cités proviennent de ces volumes.
e
270. 2 traité du Grand Seth 56,4-19 ; Protévangile de Jacques 4 ; Évangile de l’enfance selon
Thomas 2 ; Psaume des Errants 9 et Psaumes à Jésus ; Actes de Jean 94-96 ; Actes de Pilate
(dits aussi Évangile de Nicodème) 21-25 ; Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, I, 13, 10.
271. Régis BURNET, Les Apocryphes. Témoins pluriels d’une Église plurielle, Bière, Cabédita,
coll. « Parole en liberté », 2016, p. 12.
272. Édouard COTHENET, « Le Protévangile de Jacques, origine, genre et signification d’un
premier midrash chrétien sur la Nativité de Marie », in Wolfgang HAASE (éd.), Aufstieg und
Niedergang der römischen Welt, II 25.6, Religion. Vorkonstantinisches Christentum : Leben und
Umwelt Jesu ; Neues Testament. Schluss, Berlin, De Gruyter, 1988, p. 4252-4269, surtout 4259-
4263.
273. Évangile arabe de l’enfance 10-21 ; Évangile de l’enfance selon Thomas 9-16.
274. Antonini Placentini Itinerarium est la chronique de voyage d’un pèlerin de Piacenza,
effectué en Terre sainte vers 570.
275. Lire à ce sujet la recherche historique de Simon Claude MIMOUNI, Le Judéo-Christianisme
ancien. Essais historiques, Paris, Cerf, 1998.
276. La thèse de deux évangiles est soutenue par Simon Claude MIMOUNI, Les Fragments
évangéliques judéo-chrétiens « apocryphisés ». Recherches et perspectives, Paris, Gabalda, coll.
« Cahiers de la Revue biblique », 66, 2006 ; état de la recherche aux p. 13-19.
277. Fragment 6, cité par Jérôme, De viris illustribus, 2.
278. Mc 8,31. Mt 26,39. Lc 2,34-35 ; 24,25-27. Jn 19,28-30. Ac 2,22-24 ; 13,27-31. Rm 2,25-
26 ; 5,6-8. 1 Co 1,18-25. Ga 4,4-5, etc.
279. Jean-Pierre MAHÉ, Paul-Hubert POIRIER (éds), Écrits gnostiques, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 2007, p. XV-XVI.
280. L’appellation est discutée, dans la mesure où elle regroupe des écrits hétérogènes du point
de vue littéraire et dont l’écriture s’étale sur un millénaire. Voir les considérations de Jean-
Daniel DUBOIS, in Pierre GEOLTRAIN, Jean-Daniel KAESTLI (éds), Écrits apocryphes chrétiens,
II, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2005, p. 243-245.
281. Matthieu 27,51-53 situait ces manifestations à la mort de Jésus et pour en souligner la
dramatique ; elles sont ici mises au service de la résurrection.
282. Examen des variantes dans : Pierre GEOLTRAIN, Jean-Daniel KAESTLI (éds), Écrits
apocryphes chrétiens, II, p. 413.
283. L’Évangile de Nicodème ou les Actes faits sous Ponce Pilate, introduction et notes par
Rémi GOUNELLE et Zbigniew IZYDORCZYK, Turnhout, Brepols, coll. « Apocryphes », 9, 1997,
p. 19-20.
284. Cette partie est jugée, en fonction de sa langue, plus tardive que le reste du livre et datée
e
plutôt du VI siècle. Voir L’Évangile de Nicodème ou les Actes faits sous Ponce Pilate, p. 113-
118.
285. Je suis la datation proposée par Jean-Daniel Kaestli, même si l’écrit lui-même date plutôt
e
du IV siècle. Voir Jean-Daniel KAESTLI, Pierre CHERIX, L’Évangile de Barthélemy, Turnhout,
Brepols, coll. « Apocryphes », 1993, p. 60-65 ; sur l’histoire de la croyance en la descente du
Christ aux enfers : p. 135-142.
286. Ainsi John Dominic CROSSAN, The Cross that Spoke. The Origins of the Passion
Narrative, San Francisco, Harper and Row, 1988 ; Helmut KOESTER, Ancient Christian Gospels.
Their History and Development, Philadelphia, Trinity Press International, 1990, p. 216-239.
287. Jean-Daniel KAESTLI, Daniel MARGUERAT (éds), Le Mystère apocryphe. Introduction à une
2
littérature méconnue, Genève, Labor et Fides, coll. « Essais bibliques », 26, 2007, p. 83.
288. Après d’autres, John P. MEIER (Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire, I, Les
sources, les origines, les dates, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 2004, p. 83-99) a défendu la
thèse d’une dépendance des évangiles canoniques. La thèse de l’autonomie a été argumentée par
Helmut KOESTER, « Apocryphal and Canonical Gospels », Harvard Theological Revue, 7, 1980,
p. 105-130, surtout p. 112-119.
289. Françoise MORARD a retracé l’histoire du terme depuis les papyri grecs d’Égypte via la
e
Septante et la littérature copte jusqu’à sa reprise par les ascètes chrétiens au IV siècle :
e
« Monachos, moine. Histoire du terme grec jusqu’au IV siècle », Freiburger Zeitschrift für
Philosophie und Theologie, 20, 1973, p. 332-410.
290. Le débat est ouvert parmi les gnosticisants au sujet de l’appréciation de la personne de
Judas dans cet évangile : disciple privilégié et auxiliaire de Jésus ou fantoche manipulé par les
puissances du mal ? Voir l’analyse de Jean-Daniel DUBOIS, Jésus apocryphe, Paris,
Mame/Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », 99, 2011, p. 243-257.
Chapitre 12
291. Voir par ex. Hermann L. STRACK, Günter STEMBERGER, Introduction au Talmud et au
Midrash, Paris, Cerf, 1986, p. 241-244.
292. Pinchas LAPIDE, Der Jude Jesus : Thesen eines Juden, Antworten eines Christen, Zürich,
Benziger, 1979.
293. Pour un inventaire des nominations directes ou indirectes de Jésus dans le Talmud, on
3
consultera Peter SCHÄFER, Jesus im Talmud, Tübingen, Mohr Siebeck, 2017, p. 264-276.
294. Thierry MURCIA, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne, Turnhout,
Brepols, 2014, passim (p. 319-664).
295. Sauf indication contraire, les passages du Talmud sont cités suivant la traduction de
Thierry MURCIA, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne. Les références aux
traités sont précédées de la lettre j pour le Talmud de Jérusalem, b pour le Talmud de Babylone.
296. Daniel BOYARIN, Mourir pour Dieu. L’invention du martyre aux origines du judaïsme et
du christianisme, Paris, Bayard, 2004, p. 153 note 10.
e
297. Sentence rapportée de Rabbi Abahou, de la période amoraïte, mort au début du IV siècle.
298. La finale est présente dans le manuscrit d’Oxford, mais grattée dans les manuscrits de
Paris, Florence, Munich, Soncino et Wilna. Voir Peter SCHÄFER, Jesus im Talmud, Tübingen,
3
Mohr Siebeck, 2017, p. 267-268.
299. La lecture sexuelle est défendue par Peter SCHÄFER, Jesus im Talmud, p. 66. La référence à
l’enseignement est défendue, après d’autres, par Thierry MURCIA, Jésus dans le Talmud et la
littérature rabbinique ancienne, Turnhout, Brepols, 2014, p. 554-564.
300. Nb 31,8.16. Dt 23,5-6. Jos 13,22 ; 24,9-10. Ne 13,2. 2 P 2,15. Jude 11. Ap 2,14.
301. Peter SCHÄFER, Jesus im Talmud, p. 167-189.
302. Première lecture : Peter SCHÄFER, Jesus im Talmud, p. 126. Seconde lecture : Richard
KALMIN, « Christians and Heretics in Rabbinic Literature of Late Antiquity », Harvard
Theological Review, 87, 1994, p. 155-169, ici p. 161.
303. Ga 3,13. Ac 5,30 ; 10,39. 4Q169 3-4, col. 1,7-8. 11Q19 64,8-12.
304. Raymond E. BROWN, La Mort du Messie, Paris, Bayard, 2005, p. 432-433.
305. Dan JAFFÉ, Le judaïsme et l’avènement du christianisme. Orthodoxie et hétérodoxie dans
er e
la littérature talmudique I -II siècles, Paris, Cerf, 2005, p. 321.
306. Variantes : tHullin 2,24 ; bAboda Zara 16b-17a. Comparaison des textes chez Simon
Claude MIMOUNI, Les Chrétiens d’origine juive dans l’Antiquité, Paris, Albin Michel, 2004,
p. 111-118.
307. Joachim JEREMIAS, Les Paroles inconnues de Jésus, Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », 62,
1970, p. 34.
308. La halakah est l’exégèse des parties prescriptives de l’Écriture. Pour percevoir la halakah
matthéenne, comparer Mt 12,1-8 et Mc 2,23-28 ; Mt 12,9-14 et Mc 3,1-6 ; Mt 19,1-9.16-26 et
Mc 10,1-12.17-27.
309. Sur l’histoire de la tradition des Toledot, on lira : Peter SCHÄFER, Jüdische Polemik gegen
Jesus und das Christentum, München, Carl Friedrich von Siemens Stiftung, 2017 ; Philip
S. ALEXANDER, « Narrative and Counternarrative : The Jewish Antigospel (The Toledot Yeshu)
and the Christian Gospels », in Lori BARON, Jill HICKS-KEETON, Matthew THIESSEN (éds), The
Ways that often Parted. Essays in Honor of Joel Marcus, Atlanta, SBL Press, coll. « Early
Christianity and its Literature », 24, 2018, p. 377-401.
310. Joseph KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris, Payot, 1933,
p. 64 (original hébreu 1922).
311. Traduction française de cinq versions manuscrites (Vienne, Strasbourg, Wagenseil,
Huldreich, Geniza du Caire) chez Jean-Pierre OSIER, L’Évangile du ghetto, Paris, Berg
International, 1984.
312. Joseph KLAUSNER, Jésus de Nazareth, p. 56.
313. Première analyse scientifique des Toledot : Samuel KRAUSS, Das Leben Jesu nach
jüdischen Quellen, Berlin, Calvary, 1902. État de la question : Peter SCHÄFER, Michael
MEERSON, Yaacov DEUTSCH (éds), Toledot Yeshu (« The Life Story of Jesus ») Revisited,
Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Texts and Studies in Ancient Judaism », 143, 2011.
314. Je m’inspire ici, en la résumant, d’une présentation des Toledot par Joseph KLAUSNER,
Jésus de Nazareth, p. 57-60.
315. Cité par Matt GOLDISH, « The Salvation of Jesus and Jewish Messiahs », in Neta STAHL
(éd.), Jesus among the Jews, London, Routledge, 2012, p. 106. Dans le même sens : John
G. GAGER, Daniel STÖKL BEN EZRA, « L’éthique et/de l’autre : le christianisme à travers le
regard polémique des Toledot Yeshu », in Katell BERTHELOT, Ron NAIWELD, Daniel STÖKL BEN
Ezra (éds), L’Identité à travers l’éthique, Turnhout, Brepols, coll. « Bibliothèque de l’École des
Hautes Études. Sciences religieuses », 168, 2015, p. 73-90.
316. Joseph SALVADOR, Jésus-Christ et sa doctrine, Paris, A. Guyot et Scribe, 1838 ; Heinrich
GRAETZ, Sinaï et Golgotha ou les origines du judaïsme et du christianisme suivi d’un examen
critique des évangiles anciens et modernes, Paris, Michel Lévy, 1867, p. 283. Cités par Michael
e
GRAETZ, « Les lectures juives de Jésus au XIX siècle », in Daniel MARGUERAT, Enrico NORELLI,
Jean-Michel POFFET (éds), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, Genève,
2
Labor et Fides, coll. « Le Monde de la Bible », 38, 2003, p. 490-493.
317. Joseph KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris, Payot, 1933,
p. 10 (original hébreu 1922).
318. Joseph KLAUSNER, Jésus de Nazareth, p. 594.
319. Joseph KLAUSNER, Jésus de Nazareth, p. 541-542.
320. Schalom BEN-CHORIN, Mon frère Jésus. Perspectives juives sur le Nazaréen, Paris, Seuil,
1983 (original allemand 1967) ; David FLUSSER, Jésus, Paris, Seuil, 1970 (original allemand
1968) ; Shmuel SAFRAI, « Jésus et le mouvement des hassidim », in Proceedings of the 10th
World Congress of Jewish Studies, August 16-24, 1989, Jérusalem, 1990, p. 1-8 ; Geza VERMES,
Jésus le Juif, Paris, Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », 4, 1978 (original anglais 1973) ;
Israël KNOHL, L’autre messie, Paris, Albin Michel, 2001 (original hébreu 2000) ; Jacob
NEUSNER, Un rabbin parle avec Jésus, Paris, Cerf, 2008 (original anglais 1993) ; Guy
STROUMSA, La Fin du sacrifice. Les mutations religieuses de l’Antiquité tardive, Paris, Odile
e
Jacob, 2005. Voir Dan JAFFÉ, Jésus sous la plume des historiens juifs du XX siècle, Paris, Cerf,
2009.
321. Cité par Warren Zev HARVEY, « Harry Austryn Wolfson on the Jew’s Reclamation of
Jesus » in Neta STAHL (éd.), Jesus among the Jews, London, Routledge, 2012, p. 156.
Chapitre 13
322. Dispersés dans tout le Coran, ces versets se concentrent dans les sourates 3, 5 et 19.
323. Je cite le Coran dans la traduction de Denise Masson (Le Coran, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1967), en substituant toutefois « Allah » à « Dieu » lorsque le
texte s’y prête. Sa traduction a été agréée par plusieurs autorités musulmanes, dont la mosquée
du Caire. Dans la suite, les références coraniques sont indiquées par le numéro de la sourate
suivi du verset.
324. Theodor NÖLDEKE, Geschichte des Qorans, 1860 ; trad. anglaise : The History of the
Qur’ân, Leiden, Brill, 2013.
325. Tarif KHALIDI a rassemblé et traduit plus de 300 hadîths, in Un musulman nommé Jésus.
Dits et récits dans la littérature islamique, Paris, Albin Michel, 2003, format poche 2014. Voir
aussi Christoph MARKSCHIES, Jens SCHRÖTER (éds), Antike christliche Apokryphen in deutscher
Uebersetzung, I/1, Evangelien und Verwandtes, Tübingen, Mohr Siebeck, 2012, p. 193-208
(Friedmann Eissler).
326. Guillaume DYE, « La figure de Jésus dans le Coran », in Jésus. Une encyclopédie
contemporaine, Paris, Bayard, 2017, p. 350.
327. Voir le site : www.maison-islam.com/articles/?p=371
328. TABARÎ, Chronique, I, traduite par H. Zotenberg, Paris, Imprimerie impériale, 1867,
p. 539-540. Je dois cette référence à Gérard MORDILLAT, Jérôme PRIEUR, Jésus selon Mahomet,
Paris, Seuil/ARTE éditions, 2015, p. 103.
329. Le Coran, I, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », 40, 1958, p. 140.
330. Cité selon la trad. de R. Le Coz : Jean Damascène, Écrits sur l’islam, Paris, Cerf, coll.
« Sources chrétiennes », 383, 1992.
331. Roger ARNALDEZ collationne quelques commentaires sur ce verset, in Jésus. Fils de
Marie, prophète de l’Islam, Paris, Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », 13, 1980, p. 191-204.
332. Guillaume DYE, « La figure de Jésus dans le Coran », in Jésus. Une encyclopédie
contemporaine, Paris, Bayard, 2017, p. 354.
333. Nous reproduisons dans la suite les hadîths recueillis par Tarif KHALIDI, Un musulman
nommé Jésus. Dits et récits dans la littérature islamique, Paris, Albin Michel, 2003, format
poche 2014, en indiquant sa numérotation entre parenthèses.
o e
334. Le hadîth n 24 est rapporté par Muhammad ibn Sa’ad (IX siècle).
o e o
335. Le hadîth n 155 est rapporté par Abu al-Hasan al-‘Amiri (X siècle) ; le n 4 par Abdallah
e o e o
ibn al-Mubarak (VIII siècle) ; le n 216 par Abu Hamid al-Ghazali (XII siècle) ; le n 33 par
e
Ahmad ibn Hanbal (IX siècle).
o e o
336. Le hadîth n 261 est rapporté par Abu al-Qasim ibn ‘Asakir (XII siècle) ; le n 266 par
e o
Abu al-Husayn Warram ibn Abi Firas (XIII siècle) ; le n 176 par Al-Rahgib al-Isfahani
e
(XI siècle).
337. Voir 19,30 ; 4,171 ; 3,48 ; 4,172 ; 5,72 ; 114,117.
338. Tarif KHALIDI, Un musulman nommé Jésus. Dits et récits dans la littérature islamique,
Paris, Albin Michel, 2003, format poche 2014, p. 23.
339. Henry CORBIN, En islam iranien. Aspects spirituels et philosophiques, 3 vol., Paris,
Gallimard, 1991.
340. Mc 13,32. Mt 24,44, 50 ; 25,13. Lc 12,39.
341. SUYÛTÎ IMAN, Le Retour de Jésus, Paris, IQRA, 2000.
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