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7.

2 Formes et figures de la négation : Freud, Hyppolite et Lacan

Le célèbre article de Freud Die Verneinung (La négation) de 1925 propose une approche
essentielle pour pouvoir introduire le négatif en psychanalyse. Or, on a constaté que la façon
d’aborder le négatif lui-même reste le plus souvent très indirecte. Ces sources nous ramènent
nécessairement au nom de Hegel. Certes, il est possible de parler d’une sorte d’échange, à
propos de la notion du négatif, entre la philosophie, dont l’autorité dans la spécificité de la
négativité elle-même, est exprimée par Hegel, et la psychanalyse, dont l’autorité est avant tout
celle de Freud.  C’est donc cette présence de Freud et Hyppolite, mais aussi celle de Hegel,
qui constituera l'objectif de notre commentaire par rapport à la mort logique inscrite dans la
dialectique du jugement affirmatif/négatif développé par Lacan à partir de la forclusion
[Verwerfung] et de la dénégation1 Hegel/Freud amène vers l’ouverture des reformulations
entre négativité et mort, déjà présentes chez Lacan mais à partir d’un domaine de logique-
discursive.

Notre lecture va se concentrer d’abord sur le texte de Freud « la négation » (Die Verneinung)
ainsi que sur les textes des « Ecrits » intitulés « Commentaire de Jean Hyppolite sur la
Verneinung » et «Réponse au commentaire de Jean Hyppolite ».

Dans ce contexte textuel, Freud octroie une place privilégiée à la signification de la négation,
liée au sujet de l’inconscient, pour essayer de démontrer le caractère du « non » en tant que
signe du refoulement inconscient, mais aussi parce que l’opération de la fonction du jugement
deviendrait possible à condition que se crée le « symbole de la négation ». Ce qui permettrait
à la pensée d’avoir un degré d'indépendance à l'égard des conséquences du refoulement.

1
Il très important de souligner la distinction entre dénégation et forclusion. La dénégation veut dire la même
chose que la notion de négation proposée par Freud. En fait, bien qu’il s’agisse d’un terme proposé par Freud
pour caractériser un mécanisme de défense à travers lequel le sujet exprime, d'une manière négative, un désir ou
une pensée, dont la présence ou l’existence nie, il constitue aussi un moyen pour prendre conscience de ce qui est
réprimé dans l'inconscient. Or, le plus important, d’après nous, est que la dénégation apparaît toujours dans le
discours sous la forme d’une proposition qui désigne le refoulement, c’est-à-dire, qui indique la négation. La
célèbre proposition analysée par Freud « ce n’est pas ma mère » exprime la façon dont le refoulement apparaît
sous la proposition négative, bien qu’il s’agisse d’une proposition affirmative. A cet égard le refoulement est
reconnu de façon négative sans être accepté. Par ailleurs, en France, la traduction de la Verneinung freudienne a
suscité de nombreuses polémiques, générées par une discussion entre Freud et René Laforgue à propos des
théories d'Édouard Pichon sur la négation grammaticale, et d’après le concept de forclusion créé par Jacques
Lacan. En 1956, dans son débat avec Lacan, Jean Hyppolite (1907-1968) a préféré dénégation et, en 1967, Jean
Laplanche y Jean-Bertrand Pontalis ont proposé négation pour la Verneinung et déni (renégation) pour la
Verleugnung.
Ici, Freud établit une distinction à l’intérieur de la fonction du jugement. D’un côté se trouve
le jugement d’attribution, qui représente ce qui est exprimé par le langage, et d’un autre, le
jugement d’existence, dont la signification est ce qui est simplement représenté. En fait, la
question que se pose Freud est celle de savoir si ce qui est dans le dedans, avec ses qualités,
existe aussi comme tel dans le dehors. Ces deux fonctions du jugement sont étroitement liées
entre elles : le non-réel, le simplement représenté, constitue le subjectif interne, alors que le
réel constitue le lieu du dehors. C’est qu’en fait, si l’existence de la représentation a dépendu
des perceptions déjà manifestées, alors sa présence « objective », c’est-à-dire, la garantie de sa
réalité, dépend du revenir de la réalité de ce qui est représenté. Nous pourrions dire qu’il
s’agit de l’exercice de rencontrer, de répéter ou refaire un contenu qui est aussi le dehors du
sujet.

La liaison entre l’intérieur subjectif et l’extérieur « objectif » dépendra donc de la fonction du


jugement intellectuel, car c’est l’activité du jugement qui rend possible l’exercice de
projection d’une idée, ou contenu de pensée, qui commence à émerger vers la conscience.

Or, en admettant que ledit contenu de représentation est une pensée refoulée, comme pour
Freud, elle ne peut pas s’ouvrir à la conscience 2, si ce n’est à travers sa négation. C’est à partir
de là que nous pouvons établir l'opération dialectique du jugement affirmatif 3, dans le sens où
il nécessite de sa négation4 pour apparaître dans la conscience. Alors, la manière de procéder,

2
Notons ici que l’expression «  ne pas s’ouvrir pas à la conscience » vient de l’allemand durchdringen qui est un
verbe intransitif dont l’accent est mis dans la particule séparable : durch. Alors la signification : arriver à quelque
chose par la force (dringen) et totalement (durch) de « ne pas s’ouvrir » signifie : ouvrir un chemin en tirant au
sort les obstacles. Un contenu de représentation ne peut donc pas s’ouvrir à la conscience (zum), et non plus
"jusqu'à la conscience" qui correspondrait à l'Allemand (bis zum). En fait, le verbe allemand met plus l’accent
sur le chemin (durch) que sur son résultat (zum). Dans cette analyse, nous pourrions faire la liaison avec le
chemin sceptique de désespoir, où la dialectique, en tant que méthode, possibilité (se concentre plus sur le durch
de la négativité, que (sur) son zum. Voici l’idée de mort radicale des processus de dissolution des catégories et
jugements fixes des contenus de représentation.
3
Ici la notion de jugement affirmatif présente, d’un côté, la connotation philosophique de donner un jugement
comme véritable, c’est-à-dire, trouver que quelque chose est conforme à sa conception. Et d’un autre côté, dire
oui, c’est-à-dire, donner une réponse affirmative à une question. Tout ceci est très important parce que le mot
« affirmer » quelque chose se traduit en allemand par : bejahen, qui présente ces deux acceptions.
4
Egalement la notion de l’allemand verneinen contient deux aspects qui sont intéressants à remarquer. D’un côté
elle signifie dire non, c’est-à-dire, donner une réponse négative à une question ou nier sur le mode d’un refus. Et
d’un autre côté, il signifie trouver quelque chose qui n’est pas conforme à sa conception, dans le sens de quelque
chose de faux. Nier au sens philosophique de donner un jugement comme faux, dans le sens logique des
propositions de l’entendement où se situe l’origine psychologique. Or, il est vrai que le terme verneinen est
compris par cette idée. Par contre, la Verneinung, qui est la catégorie analysée ici, existe et est examinée par
Hyppolite et Lacan à partir du texte de Freud. A cet égard, il est nécessaire de prendre de la distance
pourapprécier un autre rapprochement. Ainsi donc, si pour Freud il y a deux décisions qui sont liées entre elles-
mêmes, à savoir, l’affirmer [bejahen] et le nier [verneinen], ces décisions opèrent comme les valeurs de vérité
d’un contenu propositionnel, dont le jugement n’est que celui d’existence qui se situe toujours sur le langage de
la connaissance en général. Cependant, si nous nous arrêtons sur la Verneinung, cette notion permet de
comprendre la Aufhebung comme ce qui est contenu aussi dans l’acceptation, l’affirmation du refoulement à
dira Freud, est déjà l’exercice de surpassement et même de dépassement, propre au
Aufhebung5du refoulement.

Si Freud analyse le dispositif de la négation, c’est pour montrer la distinction entre la fonction
intellectuelle, propre au mode d’agir du jugement, et le processus affectif. Ainsi, le
mouvement du refoulement inscrit, en même temps, l'arrêt du contenu de représentation à la
conscience et le dépassement du cheminement, ce qui provoque une sorte d'acceptation
intellectuelle du refoulement. Mais là encore, avec la persistance du refoulement.6

Revenons à notre point de départ, à savoir l'idée de Lacan sur Die Verneinung [la négation] de
Freud exprimée dans « les Ecrits », à propos du commentaire qu'a fait Jean Hyppolite.
D’abord Lacan va faire une Introduction au commentaire de Jean Hyppolite sur la
Verneinung de Freud. Nous allons nous y arrêter ici pour comprendre ensuite ce que dit
Hyppolite, ainsi que pour faire une analyse de la réponse donnée par Lacan. En fait, pour être
plus spécifique, nous pourrons établir le rapport entre négativité et mort, et voir comment il
est possible d’articuler la liaison avec la notion de force chez Hegel.

Lacan, dans le chapitre intitulé Introduction au commentaire de Jean Hyppolite sur la


« Verneinung  », va prendre la notion de résistance proposée par Freud pour pouvoir rendre
compte de la limite du discours où elle se manifeste. Le sujet dans ses chaînes discursives sera
déroulé non seulement à partir du statut métaphorique, mais aussi dans le refoulement comme
phénomène structurant, qui permet à l'opposition divergente entre le signifié et le signifiant de
se réveler.

travers le retour du refoulé par le mécanisme de la négation. En fait, si l’Aufhebung représente en même temps
annuler ou supprimer et contenir ou retenir, alors le processus d’affirmation ou acceptation par le jugement, mais
avec le maintien de la négation, est un type de jugement intellectuel [Bejahung] dans la mesure où il rend
possible l’union ou l’incorporation. Or, cette union n’est pas langagière et par là-même n’est pas due au
jugement à proprement parler, puisqu’ elle est immédiate. Comme le jugement s’inscrit dans le mouvement de la
négation, il part nécessairement de l’expulsion. Nous pourrions donc parler d’une négation correctrice, d’une
négation de la négation, qui fait apparaître le jugement d’affirmation. Par conséquent, l’affirmation doit être
construite comme négation de la négation. Nous reviendrons sur ce sujet plus spécifiquement.
5
Le mot Aufhebung vient de l’allemand qui veut dire : annuler et conserver. Cette idée peut être considérée aussi
comme l’opération de l’inclusion et de l’exclusion. Un dualisme qui symbolise l’intérieur et l’extérieur, mais
avec l’analyse du jugement, ladite polarité a également été substituée par l’union-affirmation et la négation-
expulsion. La première se manifeste comme l’Eros et la deuxième comme pulsion de destruction.
6
bei Fortbestand des Wesentlichen an der Verdrängung. La préposition bei dans la phrase présentée en allemand
indique ici la simultanéité. [der] Fortbestand est composé de "fort" qui indique que l'action continue, et du
verbe "bestehen" qui signifie exister, durer, rester ou demeurer. Il s'agit donc ici de la persistance de l'essentiel
du refoulement, dans le sens d’une activité, d’une opération ou d’un mouvement dont la force permeten même
temps une permanence.
C’est ainsi que le sujet qui parle arrive à une certaine limite, à une certaine interruption dans
son discours, moment qui montre le point d'articulation de la résistance. Ce point se marque
dans le discours par une accentuation en suspens, souvent connotée par un instant d'angoisse.
L’interruption du discours peut être considérée comme limite de la résistance. Ce moment de
la résistance montre aussi la question de celui qui parle et à qui il le fait. Freud avait
évidemment déjà établi que la résistance était une fonction du Moi, Moi alors considéré
comme altérité ou aliénation du sujet. Dans cette perspective, si le Moi participe à cette
altérité à l'endroit du sujet, il est alors possible de comprendre la question de celui qui parle et
à qui il le fait, dans le sens où le vrai sujet, c'est-à-dire, le sujet de l'inconscient, est celui qui
parle, et qui parle au Moi.

Cependant, dans cette situation de parole du sujet de l'inconscient, des moments d'oubli, voire
de doute, existent. Ils peuvent être interprétés comme matériel signifiant qui a valeur de
signification refoulée. En fait, l'oubli n'est que l'impossible à dire, dont la manifestation est la
résistance.

Or, si la limite peut être trouvée dans l'acte de la parole retranchée, il est donc possible de voir
l'acte de négation dans le discours en tant que résistance qui nie ou supprime et, en plus,
refoule. Cela nous amène ainsi à la question de la mort, dans la mesure où, si l'inconscient est
le discours de l'Autre, il est vrai que dans l'inconscient se produit le phénomène de l'oubli, de
la limite, voire de ce qui n'est pas, mais qui apparaît comme acceptation du Aufhebung, du
refoulement. Voici la dialectique propre du discours : un discours qui peut seulement se
manifester par la mort, condition de possibilité de sa négativité, puisque elle y fait être ce qui
n'est pas, comme le dit Lacan:

« […] la mort nous apporte la question de ce qui nie le discours, mais aussi de savoir si c'est elle qui y introduit
la négation. Car la négativité du discours, en tant qu'elle y fait être ce qui n'est pas, nous renvoie à la question
de savoir ce que le non-être, qui se manifeste dans l'ordre symbolique, doit à la réalité de la mort »7

D'un autre côté, ce qu'a dit Lacan par rapport à la résistance en tant que refoulement n'est
autre que l'introduction au commentaire que formule Jean Hyppolite. Il est maintenant
nécessaire d'expliquer ledit commentaire, pour pouvoir faire une liaison entre les jugements,
la forclusion, la force, le refoulement et finalement la Verneinung de Freud.

7
LACAN, Jacques. Ecrits. Du Seuil. Paris, 1966. Pp. 379/380
L'interprétation qu'a donnée Hyppolite au mot Verneinung , dans le titre Die Verneinung,
permet de le traduire par dénégation, mais aussi de faire une différence entre les deux types de
négation : la première plutôt interne au jugement et plus proche d’une négation idéale, où se
constitue ce qui est intellectuel, à savoir, l'intelligence comme position même de la pensée,
selon Hyppolite, sous la figure de la négation de la négation. Et la deuxième plutôt comme
l'attitude de la négation.

Voilà notre point de départ pour faire une analyse du mot Aufhebunget et comprendre la façon
dont il s'introduit dans la fonction de la dénégation. Pour ce faire nous observerons
qu’Hyppolite emploie la figure dialectique de Hegel, dont la terminologie permet de
comprendre la notion d’Aufhebung comme liée au refoulement. Bien plus que le vocable
dialectique proprement dit, il contient en même temps la négation, la suppression et le fait de
conserver malgré tout, selon Hyppolite, chez Freud, l’Aufhebung comme un mode dialectique
du refoulement. Si une négation/suppression du refoulement existe, celui-ci ne manifeste alors
qu'une affirmation d'une négation. Et l'affirmation y serait l'expression de l'être, qui existe
comme refoulé, sur le mode de ne pas être. Voici la manifestation du fait de conserver.

Néanmoins, la phrase « Aufhebung du refoulement »8 n’inclut pas une validation du


refoulement, puisque le statut de l’acceptation du refoulé par rapport à son annulation, ou
même la non-acceptation, représente, nous y reviendrons, son être sur le mode de ne pas être.
C'est-à-dire que l'existence du refoulement, sa subsistance, n'a pas à voir avec le supprimer,
mais qu'elle est la forme de la dénégation, à savoir, la négation de la négation, dont la manière
d'apparaître part de l'affirmation intellectuelle, interne au jugement, où la pensée se situe.

En ce qui concerne l'expression de Freud « ici l'intellectuel se sépare de l'affectif », Hyppolite


pense que Freud veut dire que l'intellectuel lui-même est une sorte de hiatus, interruption ou
suppression du contenu, dans lequel on peut voir ce qui se manifeste en tant que pensée
comme telle. À cet égard, la fonction de la dénégation s'y inscrit précisément, comme celle
qui donne vie à la pensée elle-même et, par là-même, à l'intelligence : ce sont là la portée et la
genèse du jugement.

Nous sommes déjà en mesure de formuler une sorte d'origine du jugement. Suivant la
dialectique de l'affirmation et de la dénégation, Hyppolite démontre que, de manière sous-
jacente à ladite affirmation, se joue l'unification de l’Eros, dont l’activité part du Moi-plaisir.

Op.Cit. P. 881
8
L’enjeu de la dénégation n'est donc pas seulement de détruire, mais aussi de permettre une
« expulsion » [Ausstossung]. Du point de vue du jugement, l'affirmation serait donc le
jugement lié à Eros, dont la substitution est l'union. Et l'opération de la fonction du jugement
serait aussi la négation en tant qu’expulsion, rattachée à la pulsion de destruction, tout cela lié
au Moi-primitif, régi par le principe de plaisir.

Nous sommes face à deux forces : la force d'attraction et la force d'expulsion, toutes les deux
sous la domination du principe du plaisir. Mais nous pouvons y voir aussi la liaison entre
l'idée de force et d'entendement chez Hegel, comme nous l'avons déjà expliqué. En fait,
depuis la perspective du jugement et sa relation avec la force et l'entendement d’après Hegel,
nous pourrions ajouter que le jeu des forces implique l'unité de la multiplicité, dans la mesure
où la différence entre chaque unité est chacune de ces unités où l'Autre est. Le mouvement
des forces en tant qu'expansion des unités indépendantes en son être est donc son
extériorisation. Cependant, la force avec laquelle lesdites unités disparaissent est une force
visible de son extériorisation qui se replie encore vers soi-même. L'unité immédiate des deux
moments, se manifeste donc en tant que l'entendement, auquel appartiendrait le concept de
force.

En fait, il est possible, à partir de nos assomptions, d’établir l’idée proposée par Lacan sur le
rendement de la chaîne signifiante comme unité de différences. Chaque signifiant s’y trouve
comme unité différente par rapport à l’autre signifiant, ce qui exprime l’existence d’une sorte
de donation d’une différence minimale, qui se contracte sur le terme fixe de la différence elle-
même, qui n’est autre chose que le signifiant lui-même dans son état pur. Par conséquent,
nous pouvons dire que c’est un terme générique pour tout placement du signifiant vers l’autre
du signifiant : S1 vers S2, etc. Et c’est ainsi que se démontre l’exercice des forces dans le sens
hégélien.

Nous nous intéresserons par la suite à l’infini des places. S1 est le S  (signifiant) dans le
singulier-général et, même, dans l’universel du placement. Or, c’est ainsi que le S (signifiant)
se donne, alors que qu’il est toujours placé, et ensuite se refuse. Car, placé, il n’est plus
seulement lui, S, puisque sa place dit aussi sa différence : S1. Or, il faut ajouter autre chose de
très important : le statut de la mort. D’une certaine manière, la mort doit être considérée
comme la négation elle-même, c’est-à-dire, comme la scission constitutive de l’espace de
déplacement propre au S1 qu’a donné le S (signifiant), scindé sur lui-même en  son être pur :
S signifiant, et son être placé : S1, S2 etc. Cela serait l’effet sur S (signifiant) de la
contradiction et de la différence, entre son identité pure et l’espace structuré, en tant que
manque ou vide, auquel il appartient. Autrement dit, entre son être et le tout de la chaîne
signifiante.

La dialectique qui s’instaure scinde ainsi le S (signifiant) à partir de la contradiction entre S et


S1, à savoir, entre l’existence et son lieu. C’est cette contradiction qui, introjectée dans S,
fonde la mort effective comme scission. Tout ce qui existe dans les formations de la chaîne
signifiante est ainsi à la fois lui-même et lui-même-selon-sa-place, de sorte que le terme
scindé est déterminé, ce qui lui donne une singularité d’existence (à la scission). Ce n’est
naturellement pas (plus) S (signifiant) comme terme générique fermé sur soi, mais bien plutôt
S1, S2,… selon l’effet du tout dans lequel il s’inscrit.

D’ailleurs Hyppolite démontre l’hypothèse en rapport avec « la négation de la négation », en


considérant que, si chaque signifiant suit sa prescription singulière de ne pas être l’autre du
signifiant, c’est-à-dire, d’être sous le mode de ne pas être, cela veut dire que la détermination
qui s’y manifeste est l’unité des contraires des signifiants. La détermination répète ainsi
l’espace de placement, l’altérité ou la différence de soi à soi, propre de l’être dans le ne-pas-
être, à savoir, la différence entre S1 et S2, commandée par la contradiction de la « force » S
(signifiant) [qui est l’être lui-même analysé par Hyppolite] et de l’espace de placement S1,
S2, etc. D’un autre côté, il est aussi possible de voir la catégorie de la scission, dans la
négation de la négation, comme seule forme d’existence de la mort, dont la détermination, en
tant qu’unité de la scission, est seulement pensable à partir du signifiant indexé à l’autre
signifiant.

Si nous prenons le concept de fond de la « négation de la négation », nous pouvons remarquer


que la logique interne du passage d’une négation par rapport à l’autre n’est que cet « en-soi »
vers ce « pour-soi », dont le mouvement interne est, déjà en lui-même, son propre
autodépassement. De cette façon, ce passage permet de voir la reconnaissance d’une action
qui s’accomplit dans son devenir.

De la même manière, il existe une position dans chaque signifiant qui obéit à cet en-soi et ce
pour-soi, et peut être examinée sous un angle identitaire, c’est-à-dire en s’intéressant à la
façon dont l'identité de la propre position se manifeste, à partir de la médiation que l'autre
signifiant [ce pour-soi] rend possible. La « négation de la négation », comme vue par Hegel,
réclame donc un processus de passage de la position du signifiant 1 vers le signifiant 2
(l’Autre) : la première position, la négation immédiate du signifiant 1, nie sa propre position,
mais sans abandonner ses limites symboliques. C’est ainsi qu'elle doit suivre une autre
négation qui nie, en même temps, l'espace commun du signifiant 1 et sa négation immédiate.

Par conséquent, nous pourrions dire qu’à partir de cette opération, une brèche entre la mort
« réelle » niée du signifiant 1 et la mort symbolique du signifiant 2 voit le jour, rendant
possible l’essentiel de la « négation de la négation ». Finalement dans le processus du système
signifiant, le signifiant lui-même doit mourir deux fois étant donné que dans le passage de sa
première négation vers l'autre de soi-même, se produit une deuxième négation, c’est-à-dire, il
meurt deux fois en lui-même.

Conformément à tout ce qui a été dit, en reprenant l'analyse d’Hyppolite sur Freud, bien que
Freud aborde le problème de la négation sous le statut clinique, le type de jugement qu'il va
établir est en relation directe avec la formation d'une proposition ou jugement au sens logique
du terme. Le jugement propositionnel articule donc successivement deux spécifications :
d'abord, il attribue une propriété ou prédicat à un sujet grammatical, qui serait le jugement
d'attribution pour former un contenu propositionnel, dont la fonction n'est que cohésive; et
deuxièmement, il estime la valeur de vérité de ce contenu propositionnel comme affirmant ou
niant ce qui serait le jugement d'existence, dont la fonction n'est qu’assertive, car l'exigence
est que les choses fonctionnent. A vrai dire, ces types de jugements ont leur place dans le
langage de la connaissance établi par Fierens à propos des exemples de Lacan 9, ou dans le
sens hégélien, dans la fonction de l'entendement.

Le problème que suscite l’examen d’Hyppolite est précisément celui du rapport entre ces deux
jugements, le jugement attributif et le jugement d'existence, et le refoulement. D’abord, il
convient de dire que pour Hyppolite, il faut considérer la prescription de la négation dans ces
deux jugements comme étant au-delà de la négation elle-même. En d’autre termes, ce qui est
réellement important, c’est la « forme-en-soi » de la négation, qui devient le lieu de
l’énonciation, c’est-à-dire, cette « forme du pour-soi » qui représente celui « depuis dehors »

9
A cet égard voir dans Ecrits. Du Seuil, Paris, 1966, le chapitre intitulé: Subversion du sujet et dialectique du
désir et celui sur L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud. Il y est possible de voir, à
partir du schéma L [Ecrits. P. 53] comment Lacan aborde la différence synchronique entre deux signifiants et la
différence diachronique, située à l’intérieur d’un même signifiant et suppose la succession du temps. C’est à
partir de trois exemples (dans leur ordre d’apparition dans les Ecrits. P. 499, P. 621, P.805) que Lacan va
démontrer le surgissement progressif de la différence diachronique. Différence clé pour pouvoir rendre compte
du statut rationnel et spéculatif de la psychanalyse lacanienne. Nous reviendrons plus tard sur ce sujet.
où s’inscrit le jugement d’existence et qui permet la correspondance entre la « forme et le
contenu ».

Lorsque nous parlons de jugement négatif, en langage clinique, nous sous-entendons identité
entre négation et rejet. Dans ce sens, nous prendrons l'exemple que Freud donne à propos
d'une assertion faite au cours d'une analyse: « ce n'est pas ma mère »10. Cette affirmation doit
être comprise comme un jugement négatif, soit comme un rejet inacceptable pour le
conscient. Cependant, cette négation constituant une première acceptation du refoulé, elle
relève plutôt du refoulement, dans la mesure où le refoulement est déjà présent avant l'entrée
en scène de la négation. Ainsi nous pouvons également établir qu’après le jugement
d'attribution et le jugement d'existence, il y a un mythe du dehors et du dedans dont la portée
peut être pensée comme l'aliénation entre l’intérieur et l’extérieur par rapport au statut de la
réalité et la construction du jugement sur la réalité elle-même.

En fait, tout ceci se traduit, d’après le statut de l'attribution, par une sorte d’introjection et
d’expulsion, c’est-à-dire, une distinction qui apparaît de la même façon comme étrangère et à
soi-même, dont l'opération est précisément l'expulsion sans laquelle l'introjection n'aurait pas
de sens. C’est cela qui définit le processus dialectique et proche du mythe du dehors et du
dedans qui fonde l'aliénation et s’appuie sur le jugement d'attribution

Cependant, pour l'argument de Fierens, dans son livre Logique de l’inconscient : Lacan ou la
raison d’une clinique11, on peut affirmer qu’au début de l'affirmation d'un jugement négatif,
ou plutôt de l'acceptation affirmative du refoulé, se trouve le refoulement proprement dit. De
ce point de vue, le processus de la négation s'inscrirait dans une séquence ayant comme point
de départ le refoulement, suivi du retour du refoulé par le développement de la négation, où
apparaîtrait une première acceptation du refoulé par le jugement mais avec maintien de la
négation, et une deuxième acceptation du refoulé par le jugement, avec cette fois l’apparition
de la négation ou l'affirmation intellectuelle ou symbolique, et finalement l'effacement du
refoulement.

De même, dans le cas du retour du refoulé par le mécanisme de la négation, Fierens dira que
ledit processus de négation exprime la formation d'une proposition ou d'un jugement au sens

10
FREUD, Sigmund. Œuvres Complètes : Psychanalyse Tome XVII, 1923/1925. Chapitre : La négation. [Die
Verneinung] 1925, Puf. Paris, 1992. P. 167
11
FIERENS, Christian. Logique de l’inconscient : Lacan ou la raison d’une clinique. L’Harmattan, Paris,
2007.
logique du terme, car ce processus n'est que le dispositif propre du jugement qui existe entre
refoulement proprement dit et levée du refoulement.

Si le jugement se situe entre le refoulement à proprement parler et la suppression du


refoulement, c’est-à-dire, entre deux déterminations du jugement, l'attribution et l'existence
prennent alors un rôle important pour pouvoir rendre compte du principe de réalité et du
principe de plaisir. En fait, bien que le jugement d'attribution vienne de l'inconscient, soutenu
sur le refoulé lui-même, c'est-à-dire, sur le déplaisant, ce jugement émergent inscrit par la
trace de l'expulsion et du rejet s'oppose au plaisir du Moi, parce qu’en tant que dépendant du
principe du plaisir, son attribution est déterminée par sa négation. Nous reprenons
l’exemple : « ce n'est pas ma mère ».

D'autre part, et par rapport au jugement d'existence, Hyppolite dira que ce qui est à la genèse
de ce jugement est l'attache entre la représentation et la perception. Ce qu'il essaie d'expliquer
est le modus operandi du sujet, dans sa reproduction de la représentation de sa réalité, et
comment à partir de la perception primitive que le sujet lui-même a eue, les processus de
représentation conservent encore leur état dans la réalité.

La question est donc de savoir s’il est possible ou non de retrouver ladite représentation, et de
rendre compte de la possibilité de retrouver de nouveau son objet. Tout cet exercice n'est que
la dynamique de la répétition. Ainsi, dans le jugement d'existence, il s'agit d'attribuer au sujet
une représentation à laquelle ne correspond plus, mais a correspondu dans un retour en
arrière, son objet  » 12

En fait, en reprenant le mouvement de cet en-soi et ce pour-soi propre à la négation de la


négation, il apparait que ce passage implique la logique de la répétition. C’est-à-dire que, dans
ledit mouvement, il n’y a pas d’entité qui soit « pour-soi », rien ne change en réalité dans cette
entité : elle se limite à affirmer à plusieurs reprises ce qui était déjà en-soi-même, de sorte que
la « négation de la négation » n'est plus que la répétition dans son expression la plus pure.

D’abord, dans le premier mouvement, a lieu un certain geste qui échoue et qui est refoulé;
ensuite, dans le deuxième mouvement, ce geste se répète tout simplement. Par conséquent,
nous sommes en mesure d’affirmer que la raison de l’inconscient est la seule répétition de

12
LACAN, Jacques. Ecrits. Du Seuil. Paris, 1966. P. 885
l’entendement qui supprime, ou se débarrasse de la charge excessive de l’au-delà du
raisonnable vers le spéculatif.

Selon Hyppolite, l’enjeu à ce moment est le fondement du dehors et du dedans, le mouvement


d'expulsion et introjection. Ce mouvement est possible dans la mesure où il y a une
appropriation du Moi comme une expulsion hors du Moi, conséquences du principe du plaisir.
On retrouve à cet égard ce que dit Freud par rapport aux origines du jugement, jugement dont
l’expulsion vers l’extérieur se fait à partir des pulsions primaires. D'une certaine façon,
l'introjection est une sorte d'affirmation, dont l’égalité n'est pas seulement l'unification, mais
aussi l'identité de l'appropriation.

Cependant, l'expulsion est liée à l'instinct de destruction. Voilà, dira Hyppolite, ce qui devient
le plus mythique du sujet: l'un est celui de l'unification ou identité, lié à l'affirmation d’Éros et
l'autre, celui de la destruction ou contradiction, relative à la négation. Ainsi, l'affirmation ne
fait en quelque sorte que se substituer à l'unification, tandis que la négation résulte de
l'expulsion, alors qu’elle semble seulement expliquer l'idée de négativisme et d'instinct de
destruction. C'est qu'en fait tout cela déploie le plaisir de dénier, dont la conséquence est un
négativisme, un rejet auquel on résiste, et dont le procédé est le résultat de la suppression des
composantes libidinales.

Autrement dit, dans la procédure du négativisme, en tant que développement du plaisir de


dénier, il existe quelque chose qui disparaît dans le plaisir de nier dans le sens de reconnaitre
que la négation est le moment qui inscrit l’expulsion et par là-même la disparition. Cette
disparition est semblable au refoulement, ce qui disparaît n’étant autre que les composantes
libidinales.

En fin de compte, la question que se pose Hyppolite est : quel rapport y a-t-il entre l'instinct
de destruction et le principe de plaisir? Si Freud dit que ' « l'accomplissement de la fonction
du jugement n'est rendu possible que par la création du symbole de la négation  »13, Hyppolite
se demande pourquoi Freud ne dit pas que l’activité du jugement est rendue possible par
l'affirmation? C'est parce que la négation va jouer un rôle en tant que disposition essentielle
de symbolisation explicitée et non pas en tant que tendance à la destruction, non plus comme
l'intérieur de quelque forme de jugement.
13
LACAN, Jacques. Écrits. Du Seuil, Paris, 1966. Citation de Hyppolite, dans l'œuvre « La Verneinung » de
Freud. P. 886.
Donc l'idée d’Hyppolite est de réunir ou d’incorporer la pulsion de la destruction au principe
de plaisir. Néanmoins, pour lui, une tension se produit entre l'affirmation et la négation ; une
tension liée précisément à l'idée de suspension du refoulé, qui produit un interstice de la
pensée dont la manifestation est l'émergence de l'être sous la forme de ce ne pas être.
Évidement cette apparition est l’effet de la dénégation, c'est-à-dire, « où le symbole de la
négation est rattaché à l'attitude concrète de la dénégation »14

Par conséquent, la contradiction ou tension entre l'affirmation et la négation permet de


prendre de la distance par rapport à l'idée que le refoulé est encore sous la domination des
instincts d'unification et d'expulsion.

Hyppolite dira pour conclure: « Il faut absolument séparer l'instinct de destruction de la forme de destruction,
car on ne comprendrait pas ce que veut dire Freud. Il faut voir dans la dénégation une attitude concrète à
l'origine du symbole explicite de la négation, lequel symbole explicite rend seul possible quelque chose qui soit
comme l'utilisation de l'inconscient, tout en maintenant le refoulement »15

Pour résumer, dans l'analyse il n'existe aucun nom qui provienne de l'inconscient. La
reconnaissance de l'inconscient du côté du Moi démontre que le Moi lui-même est toujours
méconnaissant. Même dans la connaissance, nous trouvons du côté du Moi une formule
négative, trace qui conserve et maintient l'inconscient comme refoulement.

Dans la même perspective, il faudrait lire les idées de Lacan sur l'interprétation faite par
Hyppolite par rapport à la « Verneinung ». L'élaboration par Lacan de la négativité implique
la liaison avec une affirmation primordiale, dans la mesure où une telle création dénommée
symbolique de la négation, selon Hyppolite, entraîne un moment originaire qui concerne la
relation du sujet à l'être, et non pas du sujet au monde. La constatation de Lacan sera ainsi la
pertinence de l'origine du symbolique à partir de l'affirmation qui est supposée servir
d'introduction au dit symbolique. Ce qui s'en dégage est l'idée d'une origine affirmative pour
l'inconscient.

Pour rendre compte de cette hypothèse-là, Lacan commencera par une analyse de l'affectif en
tant qu’effet qui se conserve dans la symbolisation primordiale jusqu’à arriver à la

14
Ibidem.

15
Op. Cit. P. 887
constitution discursive. En fait, cette constitution a la fonction d'énoncer sous forme
d’ignorance ou oubli ce que cette symbolisation originaire engage dans la mort.

Dans cette voie le cours naturel des choses est de poursuivre la recherche par l’analyse du
dispositif de la mort inscrite dans la structure la plus profonde du signifiant. Pour commencer
l’analyse de la relation entre la mort et le signifiant, on dira que Lacan vise donc à
« introduire », dans le Séminaire VI, séance du 10 décembre 1958, l’idée de trace qui grave la
différence entre le Je de l’énonciation et le Je de l’énoncé et qui n’est qu’une sorte de
contradiction interne qui constitue le non-dit ou négation au degré de l’énonciation. C’est là,
dans le non-dit, qu’apparait la trace de la mort. Autrement dit, ce serait une « espèce de
contradiction interne qui est celle de tout non-dit au niveau de l’énonciation, je veux dire cette contradiction

interne qui structure le « je ne dis pas que »16

En fait, Lacan essaie, d’une certaine façon, d'y examiner le statut de la négation développé par
Freud, pour déterminer l'articulation qui se produit dans le rêve entre le désir et le langage, à
propos du fait de non-dit qui s’inscrit comme la trace refoulée en tant que ce non-dit est un
« texte » du récit du rêve .Il est à ce texte non-dit auquel l’analyse veut substituer par un autre
texte qui serait comme le mot primitif du désir. Car ce contenu en tant que mécanisme du « je
ne dis pas » permet de considérer non seulement le dynamisme de la phrase la plus primitive
qui entraîne la mort et qui constitue comme telle, pour Lacan, le sujet de l’inconscient et qui,
en même temps, met en place la négation, mais aussi la question sur comment vient le mot au
désir ? Comment frustre le désir au mot et à son tour échoue-t-il dans sa tentative de parler ?
C’est justement cette nouvelle ouverture à l’ensemble du fait de parler humain à ce que
l’individu désire qui octroie le droit à la psychanalyse de s’élever à participer au débat sur la
langage.17

Le rapport entre la Verneinung et la bejahung (affirmation) ne commence donc pas seulement


à se mettre en place , mais aussi démontre la qualité la plus constitutive du signifiant, cela

16
LACAN, Jacques. Le Séminaire livre VI Récupéré sur www.gaogoa.free.fr. P. 1
17
C’est Lacan qui va dire à la séance du 10 décembre du Séminaire VI la même chose : « je me trouve
prononcer précisément ce qu’il y a à ne pas dire et Freud lui-même a souligné amplement quand il nous montre
le mécanisme, l’articulation, le sens du rêve, combien fréquemment le rêve emprunte cette voie, c’est-à-dire que
ce qu’il articule comme ne devant pas être dit est justement ce qu’il a à dire, et ce par quoi passe ce qui dans le
rêve est effectivement dit » […] « Ceci nous porte à quelque chose qui est lié à la structure la plus profonde du
signifiant (…) car cet élément, ce ressort du ‘je ne dis pas’ comme tel, ce n’est pas pour rien que Freud dans
son article de la ‘verneinung’ le met à la racine même de la phrase la plus primitive dans laquelle le sujet se
constitue comme tel et se constitue spécialement comme inconscient » (P. 2)
illustre le « ne » du « je ne dis pas » alors que , tout en niant l'opposé, le « ne » prend appui là
où s’affirme quelque chose de refusé, ce qui permet de fonder la trace qui constitue le réel,
c'est-à-dire, la mort comme telle en comprenant la trace elle-même en tant qu’effacement.
Ainsi donc, la trace serait celle qui engendre l’effacement du signifiant, à savoir, ce qui
inaugure le signifiant comme nié de soi-même.

« Le signifiant spécifique est quelque chose qui se présente comme pouvant être effacé lui-même et qui
justement dans cette opération de l’effacement comme tel subsiste. Je veux dire que le signifiant effacé déjà se
présente comme tel avec ses propriétés propres au non-dit. En tant qu’avec la barre j’annule ce signifiant, je le
perpétue comme tel indéfiniment, j’inaugure la dimension du signifiant comme telle »18

D'ailleurs, et en revenant à Freud, la question qui doit être posée est : comment l'affectif
apparaît-il dans le parcours de la négation? Et pourquoi Freud établit-il une frontière entre
l'affectif et l'intellectuel? Si pour Freud la fonction originaire du jugement est psychologique,
nous pouvons affirmer, à notre avis que le statut qu'il est en train d'insérer n'est que la
fonction de l'entendement illustré par Hegel dans son livre L’Encyclopédie des Sciences
Philosophiques, notamment dans l’esprit subjectif. Nous avons déjà mentionné que toute
discipline liée à la psychologie est une science particulière de l'esprit subjectif. Cependant,
d'un autre côté, si l'entendement chez Hegel, d’une manière générale, est étroitement lié à la
constitution de l'expérience sensible, par définition et comme point de départ de
l’entendement, ce serait la pensée de l'objet; la question que l’on se pose est donc comment il
est lié à l'intellect, dans le sens étymologique de diriger et d'appliquer.

L’étude de la négation en ses différences multiples, comparée à l’affirmation orientée vers


l’unité du jugement, nous aura, d’ailleurs, guidés vers l’approche adoptée par François
Balmes, dans son livre  Lo que Lacan dice del ser [Ce que Lacan dit de l’être]. Approche qui
suit une perspective plutôt ontologique qui se veut dégagée autant que possible de toute
attache herméneutique ou de toute méthodologie spécifique. En fait, selon Balmes, la
réflexion sur l’article de Freud Die Verneinung [la négation] inscrit un point de rencontre
entre Lacan et la philosophie.

Pour signaler les aspects les plus importants extraits de la lecture de Balmes par rapport à
Lacan et, notamment, de la réflexion sur le texte de Freud « Die Verneinung », nous
constatons que Balmes commence à faire une analyse sur l’affirmation primordiale
[Bejahung] développée par Freud, à propos de la réponse que donnera Lacan à Hyppolite. En
18
Op. Cit. P. 2
fait,  si Balmes analyse la « symbolisation primordiale », décrite par Lacan pour définir une
« pensée réprimée »19, analysée par Freud à propos de la distinction entre l'affectif et la
fonction intellectuelle, c'est pour pouvoir décrire les rapports entre le symbolique et le réel et
pouvoir poser, d'une part, le concept de "forclusion" comme la base de la pensée lacanienne
et, par ailleurs, introduire le dualisme affirmation [Bejahung]/forclusion [Verwerfung].

Dans cette perspective, pour Balmes, Lacan mettra l'accent sur l'idée de la dimension d'une
réalité antérieure, plus radicale et qui précède le processus de la correspondance entre le
jugement d'attribution et de réalité. Et c’est précisément cette dimension d’une réalité
antérieure l'idée que développe Hyppolite par rapport au statut du non-être dans l’être, en ce
qui concerne l’articulation entre l’affirmation primordiale et la négation. Or dans le cas
d’Hyppolite, cela sera traduit comme dénégation pour pouvoir expliquer le mot dialectique de
Aufhebung. Néanmoins, ajoutons encore que le commentaire d’Hyppolite ne pose pas
seulement le domaine strict du refoulement, comme préalable à toute logique de l’inconscient,
mais il l'attribue aussi à une altitude affective externe au jugement lui-même qui, de plus,
serait à l'origine de la pensée.

Or, jusqu’à un certain point, Lacan et Hyppolite vont promouvoir une origine presque
archéologique de la pensée, qu’elle soit consciente ou inconsciente. Chez Lacan, ce sera une
notamment origine affirmative pour l'inconscient alors que dans le cas d’Hyppolite, c'est une
origine négative pour la pensée, c'est-à-dire pour la conscience.

L’interprétation que fait Balmes de Lacan par rapport à la définition de la Bejahung


(affirmation) permet de voir l’inscription établie par Lacan de ladite origine, dans la mesure
où il existe une idée « primitive », dont le cadre peut comparer l’affirmation primordiale avec
la symbolisation primordiale, déjà mentionnée. Balmes dira ainsi que Lacan parle de la
Bejahung, liée à un refoulement primordial, et aussi à l’idée d’unification propre à
l’affirmation, ce qui rend possible l’inscription symbolique originaire en donnant encore une
valeur symbolique à l’unification elle-même.

Il faudrait observer qu’à cette époque Lacan essaie de promouvoir l'aspect symbolique en tant
qu’affirmation inaugurale immobile. En fait, la place du signifiant y sera la mise en relief de
19
A cet égard voir Freud : «Un contenu de représentation ou de pensé refoulé peut donc pénétrer jusqu’à la
conscience à la condition de se faire nier. La négation est une manière de prendre connaissance du refoulé, à
vrai dire déjà une suppression du refoulement, mais certes pas une admission du refoulé. On voit comment la
fonction intellectuelle se démarque ici du processus affectif”. Œuvres complètes psychanalyse. XVII. 1923-
1925. Puf. Paris. 1992. Pp. 167-168
la dynamique de la chaîne signifiante dans le sens de l’effet du signifié qui établit l’ordre
symbolique. Par contre, pour Christian Fierens, la constatation de Lacan par rapport à cette
idée archéologique de la valeur symbolique de l’unification propre de l’affirmation
primordiale, sera plutôt une sorte de déviation de cet essentiel du texte de Freud.

Car Freud, au moment d’inscrire la négation dans les processus de l’inconscient et notamment
du discours, à travers le jugement d’attribution et le jugement d’existence, met en place
l’affirmation primitive qui est justement la contradiction de la négation, où le statut
d'immobilité établi par Lacan, à savoir, le recours à une origine obéit au fonctionnement d’une
certaine logique primaire.

« Nous constatons cependant qu’après le détournement du texte de Freud par Hyppolite, Lacan va, à son tour,
lui faire subir un deuxième dévoiement, qui, bien entendu, n’annule pas le premier. […]Par-là, il fait basculer
toute l’interprétation vers l’affirmation primitive, qui est justement contraire à la logique de l’inconscient telle
qu’elle apparaît dans le texte de Freud, centrée dès le jugement d’attribution sur l’expulsion « Ausstossung »
qui commande tout jugement et toute négation. […] La pratique logique de l’association, dont traite l’article de
Freud, commence plutôt là où le recours à l’origine cesse de retenir l’attention. L’introduction par Hyppolite de
la « symbolicité explicitée » organise un grand mythe cherchant à justifier l’origine de la pensée dans une
« négativité véritable ». Lacan profite de cette introduction du mythe originaire de la pensée conscient pour
introduire, en contrepoint, son mythe de l’origine du symbolique et de l’inconscient et c’est la « Bejahung
primaire »20

Par conséquent, selon Balmes, l’idée de la Benjahung primordiale chez Lacan entretient une
relation directe avec le refoulement primordial, où la batterie signifiante met en place
l’affirmation de ce refoulement, à travers la parole symbolique du discours, mais à partir de la
négation de la négation. La question que se pose Balmes donc, à notre avis, est comment
l’opération de l’affectif, en tant que motion pulsionnelle et même en tant qu’action du Moi-
plaisir, permet-elle l’action de partition entre l’intérieur et l’extérieur ? Selon Balmes, parler
de la double détermination est la même chose que parler, dans le sens Heideggérien,
d’ouverture et dissimulation de l’être. Voici la liaison des catégories lacaniennes du
Réel/symbolique par rapport à l’être, mais aussi par rapport à l’idée de Freud des pulsions
d’unification/destruction.

Selon Balmes et peut-être selon Fierens, la préoccupation de Lacan était la prééminence d'une
première symbolisation, plus originaire, où les déterminations dedans et dehors obéiraient à
une intersection immédiate entre le réel et le symbolique qui définirait cette symbolisation
originale et que Lacan va reconnaître comme Bejahung. Par conséquent, nous pouvons voir
FIERENS, Christian. Logique de l’inconscient : Lacan ou la raison d’une clinique. Paris, L’Harmattan. 2007.
20

Pp. 105-106.
également l’apparition de l’expulsion et de l’introjection que précise la Verwerfung
[dislocation, faille, condensation, refus].

Ce que Balmes analyse sur ce point est important. Il va préciser la place du Réel en tant que
l’envers de l’affirmation. Autrement dit, si la Verwerfung est définie comme l’expulsion et,
quand même, comme refus, la Bejahung, qui pour Lacan est primaire, par contre, garde
relation avec le symbolique dès que le symbolique accomplit le statut de la révélation de
l'être, dans un sens heideggérien. De ce fait, donc, la catégorie du Réel va mettre en place une
sorte de rupture ou faille dans et avec ce symbolique car, d’abord, selon Balmes, le Réel sera
préalable, mais aussi extérieur à la parole et par là-même au jugement. Ensuite, le Réel est ce
qui est refusé de la parole elle-même. C'est-à-dire, ce qui résiste à toute symbolisation. Et
enfin, c’est dans ce moment que le Réel se situe comme expulsion, à savoir, comme la
négation de l'affirmation.

En fait, si le Réel est absolument étranger à la parole, c’est-à-dire, à ce symbolique, en


revanche et paradoxalement, la réalité du monde externe, à savoir du symbolique, est édifiée
« sur » le Réel, mais (seulement) sous le régime du principe de réalité, par lequel le jugement
d’existence développé par Freud voit le jour. D’une certaine manière, l’instant où se produit la
première expulsion, la plus originaire et qui constitue le Réel, n’est que l’extérieur et
préalable au sujet qui parle. Cependant le sujet s’occupera de récupérer dans la réalité, déjà
représentée par certaines perceptions primaires qui forment la représentation imaginaire,
l’objet perdu, du fait du processus de la première expulsion. Or, nous pourrions affirmer que
si le Réel est situé dehors, ce qui implique qu’il sera cet expulsé, en s'inscrivant à la frontière
du symbolique, alors le Réel va en se constituant comme le reste irréductible ou la trace
« indéconstructible », dans le sens derridien.

D’ailleurs, dans l’analyse de Balmes, il est possible de comprendre une double implication
entre le Réel et la réalité. D’un côté, nous pouvons voir le Réel qui se postule comme
dehors/intérieur et, d’un autre côté, la réalité qui se définit également à partir de la dichotomie
dehors/dedans. Alors, si la réalité, selon Balmes, est « dedans de la représentation » inscrite en
tant qu’imaginaire, le Réel, en revanche, en tant qu’extérieur, est aussi présent dans la réalité,
mais sur le mode d’impossible ou d’échec. Par conséquent, la réalité « extérieure » se
construit sur le Réel, dans la mesure où le sujet trébuche sur un symbole, non pas sur un Réel
pur. Ainsi la Verwerfung [expulsion] se ramène au symbolique, déjà présent, mais qui n'est
toujours pas accepté.
Dans ces conditions la réflexion heideggérienne sur l’existence permet de comprendre ce
qu’essaie de démontrer Balmes, à propos du dualisme extérieur/intérieur inscrit dans le Réel
comme dans la réalité. Car si pour Heidegger l’existence veut dire l’ouverture de l’être, où le
Dasein se maintient dans une dimension extatique de cette ouverture, cette situation nous
amène à penser le rapport entre le langage et l’être telle que la décrit Heidegger et qui obéit à
l’idée que l’être du Dasein habite dans le langage.

Depuis ce point de vue, le langage comme lieu où l'être se manifeste aurait la même
dimension symbolique que chez Lacan, c’est-à-dire, la place extatique du Dasein n’est autre
chose que le mode d’apparition du symbolique dans l’extérieur du Réel, de sorte que si
l’existence est dehors, par extension, le symbolique pourrait donc tenir le même statut que
ladite existence, où l’arrivée du Réel n’est possible qu’à la seule condition de se révéler
comme forclusion de l’affirmation (Bejahung).

Par conséquent, définir le Réel comme forclusion permet de tracer une dialectique entre
l’existence et l’inexistence, car le Réel n’existe pas pour le sujet : c’est là que réside la nature
de son existence. Cependant, le binôme exister/ne pas exister est caractéristique du symbolisé,
ce qui engendre donc un paradoxe, puisque la non-existence peut être prise dans un sens
symbolique, alors que la symbolisation, à son origine, est une négation. Tandis que si le sujet
trébuche sur un symbole supprimé par l'affirmation (Bejahung), cela l’empêche d’entrer dans
l'imaginaire, ce symbole n'existe alors pas, c'est-à-dire son existence est son absence.

Ainsi, ce symbolisé existe seulement sur un fond d’inexistence en s’attribuant une sorte de
fondation de la réalité dans la mesure où la symbolisation est, à son origine, une négation.
Voici l’explication de ce que dit Lacan dans Ecrits, dans le chapitre intitulé : « Fonction et
champ de la parole et du langage »21. À propos du jugement d’existence, ce jugement seul
pourra déclarer si quelque chose existe ou pas, après avoir commis le meurtre, c'est-à-dire,
après avoir postulé sa non-existence.

Finalement, qu’en advient-il du Réel, s’il se soustrait aussi à la symbolisation pour être refusé
ou expulsé ? L’idée ici est, selon Balmes, que si l’existence a comme condition d’être sa
négation, à savoir, le non-exister, il n’y a donc pas d’être symbolisé, mais un être refusé qui,
chez Lacan, serait le statut de la forclusion.
21
A cet égard voir LACAN, Jacques. Écrits. Du seuil. Paris, 1966. P. 319 : « Ainsi le symbole se manifeste
d’abord comme meurtre de la chose, et cette mort constitue dans le sujet l’éternisation de son désir […].
Nous allons revenir au sujet de l'origine proposée par Lacan et analysée par Hyppolite, à
propos du texte de Freud. Nous pouvons remarquer que Balmes essaie de mettre en relation
les catégories de forclusion [Verwerfung] et expulsion [AuBtossung] en tant qu’opérations
préfigurant le jugement, avec la notion de signifiant.

Or, si Lacan parle d'une origine possible, la question est donc : à qui attribue-t-il la
constitution mythique ? À la figure du sujet (Ich freudien) ou au signifiant ? Déjà la célèbre
formule « le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant » démontre le caractère
identitaire entre les signifiants, dans la mesure où le sujet du signifiant, à travers une origine
mythique, se constitue comme l’effet dont la trace, en même temps, efface et inscrit le sujet
du signifiant comme marque à la suite la trace déjà effacée. L’effet de l’effacement fonde
ainsi la négation constitutive du sujet en sa disparition, ce qui consiste à mettre l’accent sur le
statut de la mort, alors que le signifiant est toujours nié et qu’est déjà présente, a priori, la
bejahung de sa constitution.

Dans cette perspective, la Bejahung/ Verwerfung appartiennent donc au symbolique


primordial dans le sens du signifiant pur, et non pas dans le sens d’une sorte de ex-nihilo
préalable. Autrement dit, dans l’origine, l’affirmation et le refus existent déjà et ils sont
identifiables de manière dialectique.

Cependant, pour Balmes, dans le texte « Réponse à Hippolyte » nous pouvons souligner
plusieurs imprécisions par rapport à l’idée de la « symbolisation primordiale » car il semble
difficile de parler d’une indistinction entre Verwerfung [refus, forclusion] et Aubtossung
[expulsion], dans la mesure où la négation met en jeu l'agissement (rôle) de constitution du
Réel, dans le sens de l'exclu ou refusé et non pas seulement du donné primitif comme
l’affirmation originaire. En fait, selon Balmes, la Verwerfung obéit au rejet du signifiant
primordial, par contre, l'Aubtossung est l'expulsion du réel.

On peut donc dire que la Aubtossung (expulsion du Réel), selon Balmes, marque la spécificité
du Réel propre à un sujet en tant que jouissance dans sa dimension de perte radicale, c’est-à-
dire, de mort. En considération du Séminaire VII « L’éthique de la psychanalyse », la
Aubtossung pourrait ainsi se comprendre comme symbolisation primordiale désignant la
séparation de l’Autre et de la Chose, où l’Autre se constitue en tant que place vide, le lieu du
manque, où sont possibles, d’un côté, l’ouverture de l’Autre, mais d’un autre côté, le mythe
fondateur de la séparation du Réel et du symbolique dans un sujet.
Par conséquent, nous pouvons constater dans l’analyse de Balmes, une critique dans l’examen
que fait Lacan d’Hyppolite, dans le sens du manque de précision par rapport à la Bejahung en
tant que symbolisation primordiale. Bien qu’assomption originaire du signifiant, liée à la
Verwerfung, la non-Bejahung d’un signifiant primordial est associée plutôt à l’indistinction
entre la Verwerfung et la Ausstossung. De ce point de vue, la dualité dehors/dedans permet
donc de comprendre le processus d’exclusion/inclusion dans le sens du jugement
d’attribution, où la Bejahung serait l’affirmation de deux négations, à savoir, la Ausstossung
et la Verwerfung.

En ce qui concerne la négation elle-même, Balmes se pose la question suivante : où se situe-t-


elle par rapport au signifiant, au sujet et à la Béjahung ? D’abord, Balmes commence par
analyser ce que Lacan a conclu de la contribution de Hyppolite et émet l’idée d’une
« différence de niveau » entre la Bejahung, l’affirmation et la négativité. En fait, au niveau le
moins originaire, se trouve la négativité, c’est-à-dire, à un niveau dérivé identique à la
définition que donne Freud du « symbole de la négation » comme substitut du refoulement.

« […] La négation est une manière de prendre connaissance du refoulé, à vrai dire déjà une suppression du
refoulement, mais certes pas une admission du refoulé. […] la tâche de la fonction de jugement intellectuelle
étant d’affirmer ou de nier des contenus de pensée, les remarques précédentes nous ont conduits à l’origine
psychologique de cette fonction. Nier quelque chose que je préférerais par-dessus tout refouler. […] Au moyen
du symbole de la négation, la pensée se libère des restrictions du refoulement et s’enrichit de contenus dont elle
ne peut se passer pour ses opérations »”22

Nous savons déjà ce que dit Hyppolite sur la négativité et la fonction symbolique de la
négation. Il est maintenant nécessaire de reprendre la même idée pour pouvoir établir ce
qu’analyse Balmes par rapport à la « différence de niveau » analysée par Lacan. Balmes
essaie de dire, d’une certaine façon, à propos de la distinction entre négativité et fonction
symbolique de la négation émise par Hyppolite, que dans les jugements freudiens il n’existe
pas encore de jugement, en raison du fait qu’il n’y a pas encore de négation symbolique. La
différence de niveau que remarque Lacan se situe donc à partir de ces deux significations de
négation, mais avec la Bejahung comme élément additionnel .Selon Balmes, si toute la lecture
d’Hyppolite tourne autour de l’éveil du caractère symbolique de la négation, dont le parcours
est plus proche du passage de la destruction à la négation que de l'unification propre de

FREUD, Sigmund. Œuvres Complètes : psychanalyse Tome XVII, 1923/1925. Chapitre : La négation. [Die
22

Verneinung] 1925. Puf. Paris 1992. Pp. 167/168.


l'affirmation, l’accent est donc mis sur un possible « pas encore » que Lacan déchiffrera sous
le statut originaire.

Certes il existe une symbolisation primordiale liée à la Bejahung, mais alors comment est-il
possible d’y inscrire la « création symbolique de la négation »  où se situe la Aubtossung ? Le
souci de Lacan est plus proche d’une négativité dont la place se consigne à un niveau plus
originaire, que de l’intervention du symbole de la négation dans le discours. C’est là que
réside le dialogue avec Hegel.

Si Balmes est extrêmement rigoureux pour différencier les types de négation, c’est parce que
la prescription qui ordonne les niveaux de négation permet de situer la place de la mort
comme manifestation de ladite négation. Ainsi si la fameuse Verneinung de Freud a été l’axe
de toute cette analyse, c’est parce que cette négation freudienne obéit au symbole verbal de la
négation inscrit dans le discours, qui se manifeste à travers le jugement d’existence, sans
toutefois omettre le fait que, de toute façon, Freud la concevait par rapport à quelque chose de
plus primitif.

D’ailleurs, il importe de souligner la question de fond qu’élabore Balmes, à propos du lieu de


la négation, c’est-à-dire, savoir s’il est originaire ou dérivé. Selon Balmes, le statut de la
négation, dans le sens dérivé, obéirait tout d’abord à la définition que Freud octroyait à la
négation elle-même, c'est-à-dire, au symbole qui substitue la répression et dont la fonction
n’est qu’intellectuelle. La constitution de la réalité aurait lieu dans le jugement d’existence.
Mais ce serait aussi, au sens lacanien, une structuration intellectuelle et discursive, due à la
méconnaissance. Tout ceci déboucherait sur l’idée que Freud émet sur l’émergence du
jugement. Ainsi le jugement attributif, comme d’existence, apparaissent à condition de la
fonction de la négation dans le sens symbolique.

Cependant, que se passe-t-il dans la fonction dérivée de la négation, entre la Bejahung, et


l’assomption du symbole dans le sens affirmatif ? Rappelons d’abord que l’hypothèse
qu’essaie de soutenir Balmes, à partir de la lecture qu’il fait de Lacan, tourne autour de la
négation située à un niveau plus originaire et encore sans l’intervention de son symbole dans
le discours. En fait, Balmes examine trois niveaux de négation. D’abord la Verneinung en tant
que symbole verbal (intellectuel) de la négation23. Deuxième niveau, la Verwerfung comme

BALMES, François. Lo que Lacan dice del Ser (Ce qui Lacan dit de l’être). Amorrortu/editores, Buenos Aires.
23

2002. P. 95
l’abolition symbolique sans symbole de la négation24 qui s’identifie au signifiant primordial
en tant qu’inscription en soi-même du signifiant, et qui qualifierait la négation primitive, que
la désignation de Lacan nomme anéantissement symbolique.

Ensuite, la Aubtobung [expulsion], lien avec la constitution du sujet dans le sens où sa


spécificité permet de comprendre, non seulement le lieu du manque d’un signifiant dans la
chaîne, mais aussi la constitution du sujet effacé à partir de la Verwerfung, Verdrängung et
Verneinung analysé dans le Séminaire VI Le Désir et son interprétation. Le caractère négatif
du signifiant sera attaché notamment à un Réel très singulier qui détermine la perte et sa
même répétition. Autrement dit, à partir d’expériences de la jouissance, soit traumatiques soit
de plaisir, il est possible de déchiffrer les marques qui soutiennent les pertes à récupérer où le
sujet s’inscrit comme effacement.

Or, si nous analysons chacun des niveaux de négation, nous pouvons dire que la Verneinung
au sens discursif, c’est-à-dire, au niveau symbolique, permet de voir la façon dont la question
de la réalité se manifeste dans le jugement d’existence, et que Lacan va la situer à un degré
secondaire. Cela revient à parler d’une sorte de trace dans le rang discursif qui provient de
l’inconscient refoulé. Ensuite, la Verwerfung comme annulation symbolique et par là-même
sans symbole de la négation, dans le sens dérivé du discours, appartient à un registre encore
plus primordial que le registre de l’inconscient qui est ce que Lacan nommera le signifiant
primordial.

En fait, le mode primitif de sa procédure devient possible précisément du fait de la


Verwerfung (forclusion), où son statut d’annulation symbolique se manifeste à partir de ce
niveau du signifiant primordial. Nous pouvons donc soutenir l’idée que dans la mesure où se
situe le signifiant primordial et où il est donné dans son registre original, la forclusion se met
en place en agissant comme négation sans symbole, c’est-à-dire, sans signifier ce qu’elle
indiquerait le point plus réprimé de l'inconscient.

De ce point de vue, la négation primitive n’est donc pas la forclusion, abolition symbolique,
manque de signifiant, etc. mais l’instauration elle-même du signifiant, qui n’est autre que
l’anéantissement symbolique où d’une part, s’articulent la Bejahung et la Verwerfung, c’est-à-
dire, la part assumée du sujet et la part de refus, et d’un autre côté, ce qui constitue
l’apparition primitive du signifiant.

24
Ibidem
Si Lacan a déjà dit dans le Séminaire Les psychoses25 que la réalité est marquée par
l’anéantissement symbolique, nous pouvons remarquer que Lacan lui-même reprend la
formule de Hegel « la parole est assassinat de la chose » légitimant non seulement le
caractère de la négativité engagé dans le symbolique, mais aussi au moment de l’assomption
de la Bejahung, le propre du signifiant qui est de supposer déjà son propre anéantissement, à
savoir, sa mort. Dans ces conditions, il est donc possible d’y voir le même parcours sceptique
de dissolution des catégories proposé par Hegel.

Or, à partir de toute cette analyse de la constitution dérivée de la négation, il importe


d’examiner ce que Balmes dit par rapport au caractère originaire de la négation.
Conformément au niveau de la symbolisation primordiale, l’on peut dire que c’est dans ce
caractère originaire que s’enracine la mort. Si nous constatons une différence entre la
Aubtossung (expulsion) et la Verwerfung (forclusion) établie par Balmes, nous pouvons
affirmer que le statut de la Verneinung primordiale est lié à l’instauration signifiante, en tant
que symbolisation première, dont la spécificité n’est que son opération négative. En fait,
ladite symbolisation originaire comme relation négative du signifiant n’est que
l’anéantissement du signifiant lui-même, qui permet de comprendre la Bejahung comme la
formation du signifiant un, originaire et que Lacan identifiera comme ex-nihilo.

En fait, déjà au début de l’Introduction au Commentaire de Hyppolite, Lacan a écrit sur la


relation entre la négativité et la mort, en se posant la question de la dette du non-être, dans
l’ordre symbolique, avec la mort.

« Ainsi la mort nous apporte la question de ce qui nie le discours, mais aussi de savoir si c’est elle qui y
introduit le négation. Car la négativité du discours, en tant qu’elle y fait être ce qui n’est pas, nous renvoie à la
question de savoir ce que le non-être, qui se manifeste dans l’ordre symbolique, doit à la réalité de la mort »26

Finalement, nous pourrions brièvement faire une sorte de systématicité de la négation, selon
un ordre très précis. Ce que Balmes essaie de dire par rapport à l’analyse de la négation et sa
place, à partir de la Aubtossung (expulsion), la Verwerfung (forclusion) et la Bejahung
(affirmation) est qu’il existe trois niveaux où la Verneinung (négation) apparaît, ou plus
précisément, où la négation se met en mouvement dans l’inconscient. Tout d’abord, le
caractère d’anéantissement ou destruction propre au rapport négatif du signifiant lui-même
avec le Réel, dont la particularité permet de comprendre l’idée de symbolisation originaire qui
a déjà été proposée. Cette spécificité de la négation comme destruction ne serait donc que
25
LACAN, Jacques. Le Séminaire, livre III : Les psychoses Du Seuil. Paris, 1981. P. 168
26
LACAN, Jacques. Ecrits, Du Seuil, Paris. 1966. P. 379/380.
l’instauration elle-même du signifiant, dont la procédure incarnerait la perte de jouissance
dans la mesure où la Aubtossung (expulsion) devient Bejahung (affirmation) en tant que
première formation signifiante, ou plus spécifique, la formation du signifiant Un. Nous
pouvons y voir l’inscription de la mort en tant que l’anéantissement pur du signifiant.

Ensuite, Balmes examine la façon qui rend possible l’apparition de différentes figures de la
négation, dont le rapport se fait selon la présence de différentes formes du signifiant. Balmes
dit donc que, selon l’analyse faite par Lacan sur le signifiant primordial et son rapport négatif
avec le Réel, ce qui prédomine dans le lieu de la Verneinung c’est la forme de l’élision. C’est-
à-dire, selon l’examen établi par Lacan sur l’interaction de l’organisme, à partir du système
perceptif et du passage de l’organisation des idées ou concepts, il est possible de soutenir que
la fonction dans le système perceptif permet un mode d’action qui a lieu grâce à la
configuration élidée d’un certain concept. Or, que veut dire l’élision ? Elle veut dire
l’effacement. Nous y trouvons non seulement ce qui constitue le lieu privilégié de la
Verneinung, mais encore la formation du signifiant comme effacement de sa propre trace.

De plus, il nous faut préciser un aspect de l’effacement inscrit dans la naissance du signifiant.
Balmes y donnera l’exemple de Lacan sur les traces que laisse Vendredi sur le sable à propos
de l’histoire de Robinson Crusoé. Ce faisant, Lacan illustre et, en même temps, considère
l’essence négative du signifiant comme l’effacement de la trace et aussi l’inscription dans le
sujet lui-même du signifiant en manque. Par conséquent, il est vrai que nous trouvons un
deuxième moment d’apparition de la mort, en tant qu’abolition et absence du signifiant S1 au
moment de passer au signifiant S2. Autrement dit, nous parlons de l’effacement propre du
signifiant dans son essence différentielle.

Finalement, nous considérons le troisième niveau de la négation comme ce qui constitue l’être
du sujet. Il est vrai que Balmes a accordé une place importante à l’être heideggérien. Par
contre il nous semble pourtant que quelque chose est déjà sous-jacent chez Balmes : l’idée de
soutenir une base de la doctrine signifiante, mais à partir de la mort en tant que l’être-étant.
Ainsi, l’être-étant est vu sous le statut d’anéantissement, d’effacement de la trace et de
manque dans le sujet, mais aussi comme la mort qui deviendra le signifiant et comme
signifiant, dans le sens d’un procès, se révélant à elle-même dans l’exercice de son
mouvement dialectique dans l’inconscient et même dans l’exercice du discours en tant que
résultat de la chaîne signifiante.
Pour conclure, si le sujet se définit, de façon originaire, comme manque d’un signifiant dans
la chaîne, alors le propre du sujet est la béance, mais aussi la privation. En fait, il importe de
remarquer cela pour pouvoir comprendre le statut de la castration comme figure de la mort ;
c’est dans la mesure où la castration représente la figure des menaces que l’on peut instaurer
le mode particulier, dans le sujet, de rapport entre la castration et la disparition. En effet,
l’accès à la symbolique de la castration confirme une menace première qui désigne, d’un côté
le pénis et d’un autre côté la dialectique présence-absence, de sorte que dans cette dialectique
existe un non-lieu de la castration au plan symbolique : ce dont il s’agit là appartient à l’ordre
de l’indicible, d’un vécu ineffable, résultant d’un rejet de la dimension symbolique.

Ce qui reste essentiel ici, c’est que l’activité de la mort est le lieu d’une non-liaison (un non-
jugement) qui se raccorde directement à la question de l’accès et de l’utilisation de la fonction
symbolique : c’est au travers de la prise en compte de la castration, et de l’accomplissement
d’un certain deuil œdipien, que le sujet parvient à une pensée constitutive d’un certain
manque, où il peut jouer mentalement de cette absence même et qui représenterait un au-delà
inévitable. Alors pour en tenir compte, apparaissent deux moments essentiels de l’opération
symbolique fondatrice du sujet humain où intervient la mort : le fort-da en tant
qu’introduction de la mort dans la vie, et la Verneinung comme destruction de la force
unifiant de l’affirmation où la mort surgit avec le langage.

Si la mort apparait avec la sexualité, selon Freud, c’est avec le langage que surgissent la
fonction symbolique, la pulsion de mort et l’homme, à travers la parole qui se déploie,
l’insistance de la mort y demeure inaperçue pour l’homme, son œuvre est pourtant essentielle,
permettant la fonction du jugement grâce au symbole de la négation. Cependant la négation
elle-même ne pourra donc pas se révéler par rapport à ce symbolique dans son ensemble, avec
le Réel dans son ensemble, mais avec ce Réel très spécifique du sujet, à savoir, le Réel du
manque, qui condamne la perte et, par là-même, sa répétition, dont la manifestation n’est que
la disparition.
7.3 Freud et Hegel  : sur les traces du négatif

Nous l’avons compris, notre insistance à analyser le travail du négatif ne cesse de nous
rapprocher d’un point susceptible d’être la question névralgique de la recherche sur le statut
de la mort, et son attache à une sorte de mouvement qui affecterait le caractère tragique de la
séparation. Nous nous sommes donc attardés à examiner ce « centre » dont Freud et Lacan
affirmaient la force attractive, pour nous rendre à l’évidence que sa force est aussi disséminant
que mobile. Cependant c’est dans cette perspective, en opérant le glissement nécessaire pour
mettre en accord la démarche critique avec cette force du négatif, que nous avons situé notre
recherche.

D’ailleurs, si Jacques Lacan s’interroge sur le statut de la mort en tant qu’expérience non
seulement scripturaire du mouvement de la chaîne signifiante mais aussi comme une
expérience-limite de la jouissance, c’est parce qu’elle s’engage précisément sur la trace de
cette limite, celle de la différence « inaccessible » propre à une négativité implicite en tant que
négation de la négation.

Ainsi, une telle conception rendrait compte de la possibilité de mettre en parallèle les projets
de Hegel et de Freud. En effet, l’un comme l’autre fondent leurs constructions théoriques sur
des principes de fonctionnement envisagés dans une perspective de développement. Cela
pourrait être aussi le même principe avancé par Lacan.
Nous avions convenu d’analyser la notion de la négation chez Freud par rapport à la fonction
du jugement, en disant qu’il existe une double détermination. Cette double détermination, qui
permet chez Freud la fonction du jugement, a une origine psychologique dans le sens où elle
affirme ou nie un contenu de pensée. Depuis ce point de vue, les travaux d’André Green nous
sont de grande utilité pour pouvoir rendre compte de la liaison établie entre Freud et Hegel.

Dans son livre Le Travail du négatif, de 1993, André Green développe une idée très
intéressante sur la démarche de Hegel par rapport à l’accomplissement de l’esprit dans son
parcours, non seulement historique, mais surtout dans celui, rétrospectif, de la conscience.
L’auteur y établit une comparaison avec le projet qui anime la pensée de Freud. Ainsi, une
telle proximité montre, selon Green, que chez Freud et chez Hegel, se révèlerait une position
face au concept d'esprit, position qui donnerait les marques du déploiement de la conscience,
à partir du processus du Moi singulier, alors que l’expérience individuelle est manifestée dans
l'universel de l'esprit. Ensuite, dans le cas de Freud, il s’agirait de l'extériorisation de ce qui a
été internalisé, dont le résultat permettrait de reconnaître une sorte de négativation dans ledit
processus. En effet, l’idée d’internalisation permet de comprendre pourquoi Freud lui-même a
considéré plutôt les mythes que l’histoire afin d’examiner les fantasmes originaires propres au
processus civilisateur, et ce que ce processus est devenu par la médiation d’une réactivation
de l’expérience commune, qui n’est autre que la manifestation de l’esprit.27

Nous pourrions cependant avancer une petite objection à ce que dit Green par rapport à son
analyse des travaux de Hegel car bien qu’il s’appuie sur la Phénoménologie de l’Esprit pour
rendre possible un certain rapprochement avec Freud, il dit que le chemin que suit la
conscience est l’histoire détachée de sa formation28. Cette histoire n’est que l’expérience de la
conscience dans son parcours vers l’esprit absolu. Mais ceci n’est pas nécessairement le
chemin du Moi singulier à la culture ; c’est le rapprochement avec Freud dans sa démarche de
sublimation, qui trouve, en ces termes, un destin de pulsion. D’un autre côté, le destin de
pulsion ne signifie ni chez Freud ni chez Hegel un chemin vers la perfection, étant donné que
le parcours de la conscience en tant qu’expérience du particulier dans l’universel possède une
connotation, non pas causaliste, mais dialectique29. Si Freud s’appuie davantage sur le mythe
que sur l’histoire, c’est parce qu’il existe une sorte d’histoire refoulée qui apparait à partir de
27
A cet égard, Green écrit : « En psychanalyse, la consigne n’est pas : ‘remontez dans le plus lointain passé,
ramenez à votre conscience le souvenir de ce que vous vous rappelez de plus ancien’, mais ‘dites tout ce qui
vous passe par l’esprit, sans rien omettre’. Une telle position montre, à mon avis, quelque correspondance avec
la démarche de Hegel, si toutefois on accepte de s’affranchir de l’exigence historique de la temporalité
consciente » Les éditions de minuit. Paris, 1993/2011. P. 46
28
Op. Cit. P. 47
l’effectivité par l’extériorisation d’une structure interne, elle-même mise en mouvement par
des événements singuliers et se trouvant dotée d’une capacité de déclencheur symbolique,
susceptible d’actualiser, de mettre en acte, ce qui jusque-là restait à l’état latent, pris dans la
trame de l’intériorité.

Depuis cette perspective alors, l’idée d’une négativation, et son activation comme négation de
la négation, veut dire que l’on passe d’une potentialité muette à une potentialité active qui, en
devenant effective, va devenir le résultat d’un processus à l’état présent, et qui puise peu à peu
ses différents moments de la vie psychique - tant dans le cas de Freud comme dans le cas de
Hegel - dans le mouvement de l’expérience de la conscience, comme le savoir absolu dont la
médiation n’est autre que l’idée absolue propre à sa logique dialectique.

« […] Celle-ci rendrait compte du mouvement par lequel la conscience a prétendu, d’une part, instaurer sa
suprématie sur l’inconscient par le refoulement, mais aussi d’autre part, montrer comment se préserve, dans
l’inconscient, ce répertoire déposé par les générations, voué à sortir de sa latence pour œuvrer en pleine
effectivité. Une telle internalisation assurerait la conservation d’un patrimoine de génération en génération,
sous la forme, non de ces acquisitions mais de ce qui organise la possibilité d’acquérir et selon le sens du
développement acquisitif » 30

Ainsi, dans la lignée des postulats signalés, on peut dire que les constructions théoriques de
chacun des deux auteurs démontrent la place du mouvement de l’esprit qui est, dans le cas de
Hegel, une forme d’opération de la conscience faisant l’expérience du monde dans son savoir.
Il en ressort également que la transformation dialectique de ce mouvement n’est possible que
si elle suit une logique interne. Nous pouvons ajouter que, dans le cas de Freud, les
manifestations de l’esprit relèvent de la métapsychologie, puisqu’elles s’ancrent dans les
pulsions inaccessibles à une psychologie de la conscience.

La conception de la spiritualité, chez Hegel comme chez Freud, permet de voir des processus
civilisateurs. Premièrement, selon Freud, la manière de procéder ne s’effectue qu’à partir de la
mort en tant qu’acte fondateur de la culture. La mort, car Freud envisage l’idée de spiritualité
dans une relation avec la mort primitive du père, qui engendre un travail négatif qui dépasse
les incidences individuelles. Deuxièmement, selon Hegel, l’esprit est considéré comme

29
A ce sujet voir La Fenomenología del Espíritu, Edición Fondo de Cultura Económica, Colombia, 1977. P. 8,
où Hegel écrit : « En efecto, la cosa no se reduce a su fin, sino que se halla en su desarrollo, ni el resultado es
todo lo real, sino que lo es en unión con su devenir; el fin para sí es lo universal carente de vida, del mismo
modo que la tendencia es el simple impulso privado todavía de su realidad, y el resultado escueto simplemente
el cadáver que la tendencia deja tras sí.”
30
Op. Cit. P. 48/49
l’accomplissement le plus élevé de l’expérience de la conscience dans le parcours du savoir et
dont la matérialisation n’est que l’expression de sa vérité.
Toutefois, André Green partant, quant à lui, de l’analyse de la triade « conscience –
conscience de soi –inconscient » affirme que, chez Hegel, le moment de la conscience
correspond à la certitude de soi-même. Mais il ajoute également que, dans le processus du
devenir de la certitude de soi-même, la conscience elle-même survient lorsqu’il se produit une
sorte de séparation entre son contenu - qui est l’Autre - et l’âme. Autrement dit, pour que
l’âme puisse devenir l’esprit, ou l’auto-conscience, dans laquelle s’inscrit la subjectivité, il est
nécessaire de passer par l’expérience de la séparation. Alors, l’expérience est la conscience
dont les figures, selon Hegel, sont comme les états de l’âme. 31 Hegel fait là un usage
métaphorique à propos du statut de l’âme, en ce qu’il ne dit pas que les figures de la
conscience sont les états de l’âme, mais que « depuis ce point de vue, [elles] peuvent être
considérées en tant qu’états de l’âme ». Hegel emploie le terme de l’âme pour clarifier que
dans ce moment de sa pensée la conscience est contemplative, comme l’âme. Bref, à ce stade-
là de sa pensée, il ne fait pas encore la distinction entre âme, conscience et raison. 32

En effet, toute l’analyse développée par Green sur Hegel est faite à partir de la
Phénoménologie de l’Esprit mais aussi de L’encyclopédie des sciences philosophiques,
notamment la troisième partie de la Philosophie de l’esprit, sur la section consacrée à l’esprit
subjectif, qui traite de l'âme dans ses trois moments, dont l'objet n’est que l'anthropologie.

Cette situation permet de comprendre l’idée de séparation telle qu’elle est analysée par
l’auteur, comme la découverte de la subjectivité, puisque l’objet de l’anthropologie est l’âme,
qui serait elle-même l’esprit subjectif naturel, et qui deviendrait ensuite conscience, puis
psychologie dans l’esprit subjectif. Ainsi, d’une certaine manière, en utilisant l'âme comme

31
„ Weil nun diese Darstellung nur das erscheinende Wissen zum Gegenstande hat, so scheint sie selbst nicht
die freie, in ihrer eigentümlichen Gestalt sich bewegende Wissenschaft zu sein, sondern sie kann von diesem
Standpunkte aus als der Weg des natürlichen Bewußtseins, das zum wahren Wis|sen dringt, genommen werden,
oder als der Weg der Seele, welche die Reihe ihrer Gestaltungen, als durch ihre Natur ihr vorgesteckter
Stationen, durchwandert, daß sie sich zum Geiste läutere, indem sie durch die vollständige Erfahrung ihrer
selbst zur Kenntnis desjenigen gelangt, was sie an sich selbst ist.“ [GW 9, 55. Edition de l’Alemagne]
Traduction de l’espagnol: „Ahora bien, puesto que esta exposición versa solamente sobre el saber que se
manifiesta, no parece ser por ella misma la ciencia libre, que se mueve bajo su figura peculiar, sino que puede
considerarse, desde este punto de vista, como el camino de la conciencia natural que pugna por llegar al
verdadero saber o como el camino del alma que recorre la serie de sus configuraciones como otras tantas
estaciones de tránsito que su naturaleza le traza, depurándose así hasta elevarse al espíritu y llegando, a través
de la experiencia completa de sí misma al conocimiento de lo que en sí misma es”. [Ph. Esprit. FCE. Colombia,
1966. P. 54]

A cet égard, voir HEGEL. L’Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé : Philosophie de l’esprit.
32

Gallimard. Paris, 1959.


synonyme de la conscience, la certitude de la conscience elle-même serait conditionnée par la
sortie de soi-même vers l'objet. De fait, l’expérience qu’il existe une chose en-soi à partir de
ce qui retourne à soi-même, démontrerait l’idée que la vie est déployée dans une auto-
conscience et dans quelque objet de son appétence, c’est-à-dire qu’elle reproduirait à un autre
niveau la relation sujet/objet.

Enfin, la notion de figures de la conscience a pour but de manifester les états de l’âme en tant
que lutte pour arriver à son destin, à savoir, comme une lutte pour être ignoré comme si
l’esprit se manifestait comme une pré-conscience ou une conscience sauvage et plus
immédiate.

Or, en reprenant l’idée de subjectivité développée par Green, on pourrait remarquer à propos
de la notion de « séparation » le risque de néantisation propre que constitue la subjectivité au
moment de se séparer du monde, ou plus, de l’Autre. La menace de destruction permet donc
de comprendre l’idée de la reconnaissance propre à la subjectivité en tant qu’auto-conscience
ou conscience de soi-même.

Bien que la séparation ne soit que l’opposition même de la conscience et de la conscience de


soi dans le sens où la conscience croit connaître l’objet du monde comme sa vérité, il se crée
aussi dans cette rupture un certain interstice dans lequel, à notre avis et dans le sens hégélien,
l’inconscient se laisse exister. En effet, il est ici possible d’admettre deux états de façon
phénoménologique, à savoir, la conscience et la conscience de soi, dont le temps logique voire
conceptuel entre ces deux états suffit pour devenir auto-conscience, soit la conscience d’elle-
même. On voit ici le temps presque imperceptible de la naissance de la figure de
l’inconscient, comme l’ombre de la conscience, où le mouvement du retour de la conscience
de soi vers la conscience - en tant qu’état qui ne ferait référence ni à un soi (moi) ni à une
réflexivité mais qui serait une forme d’investissement - voire la conscience naturelle, devient
impossible.

Voilà la proposition d’André Green : faire une sorte d’échange à l’intérieur des trois figures
de la conscience travaillée par Hegel. Ainsi, si l’expérience de la conscience, dans la
Phénoménologie de l’Esprit, exprime la formation du sujet en tant qu’unité du soi-même, la
figure de la certitude sensible se substitue d’abord par le couple besoin (interne)-sensibilité
(externe). En effet, à la certitude sensible externe répondrait une résonance interne comme
force du ressentir, à partir du besoin interne ou, depuis le point de vue de Freud, à partir de la
pulsion. Dans un deuxième temps, il faudrait remplacer la perception par le binôme
représentation-perception en tant que dialectique extérieur-intérieur. Finalement, Green ajoute
à l’entendement la construction fantasmatique.

Or, dans cette perspective, au moment de l’apparition de la conscience séparée de la


conscience de soi et qui a transformé l’Autre, jusque-là identifié à un monde, cette conscience
conserve un manque qui est le manque du soi de la conscience comme conscience de soi, dans
la mesure où ce manque n’est que le désir de l’Autre qui engagerait la connaissance de soi. Le
statut de la séparation, où la conscience est prise comme objet séparé et perdu, pourrait se
concevoir par rapport au désir, étant donné que l’objet signifie ici la capture de son existence
à l’état séparé. Par conséquent, il s’agit du désir né du manque de l’objet.

Par ailleurs, le rapport entre conscience et raison, selon André Green, qui n’est que le
développement de l’apparition du désir et qui se manifeste dans la relation à l’Autre, ne
débouche chez Hegel, que sur la lutte des consciences pour la reconnaissance. N’oublions pas
que l’interprétation elle-même de Kojève sur la dialectique du maître et l’esclave chez Hegel,
se réfère à une lutte à mort où il est possible d’établir une pensée du conflit ou une pensée du
sacrifice.

Chez Freud, cette lutte est avant tout intrapsychique, entre les exigences de la pulsion et de
l’organisation du Moi. En poursuivant à partir de ces mêmes idées et notions de Freud et
Hegel, Green considère alors que l’idée d’un travail du négatif n’est que le rapport entre
l’amour et la force de la séparation, dans la mesure où le négatif concerne le caractère
tragique de ladite séparation et dont le symptôme n’est en réalité que le manque.

Pour pouvoir développer un peu plus cette idée, il faudrait alors parcourir les moments de la
conscience chez Hegel, et faire une possible liaison avec les postulats établis par Freud sur les
topiques psychiques. En effet, André Green dira, à propos de cette connexion, que le fait de
penser la notion d’unité - soit entre la conscience et la conscience de soi-même dont la
matérialisation n’est que la figure de la raison, soit entre le ça et le Moi en psychanalyse -
permet de comprendre le concept de l’unité elle-même comme ce qui mène vers une
conception de relation.

Depuis ce point de vue, on peut donc concevoir les trois étapes de la conscience, c’est-à-dire,
la conscience, la conscience de soi et la raison, comme les trois moments qui désignent un
enchainement vers l’accomplissement d’une totalité indivisible dont la manifestation n’est
que la « séparation individuante 33». A partir de cette notion, il est alors possible de penser
l’unité entre le Moi et le ça, ou plutôt, l’unité entre le Moi et l’objet, comme la réalisation de
l’individualisme dans laquelle la raison est ce qui inaugure ce mouvement.

On peut dire que le statut de la notion de « relation », dans un mouvement qui nous semble
être dialectique voire tragique dans le sens de la « séparation individuante », permet de
concevoir le processus de l’analyse à partir de la pensée sceptique ; puisqu’à travers la figure
de la « relation », les formations inconscientes octroieraient une place importante à
l’association libre comme le processus qui dépasse les figures de la conscience jusqu’à
parvenir à l’unité de la conscience de soi, où le Moi devient l’objet. Voici ce que dit Green :

«On peut concevoir les trois étapes conscience – conscience de soi – raison comme trois moments  désignant
successivement la totalité insécable – la séparation individuante- la relation. Dans le premier temps, il y a
conscience d’un objet sans que cette conscience ne soit séparée comme telle, l’objet est l’Autre en général ;
dans le deuxième, l’objet est le moi lui-même : le moi « se prend » pour l’objet, il est aussi bien moi
qu’objet ».34

Dans la figure de la conscience, dans la Phénoménologie de l’Esprit chez Hegel, et selon


Green, l’œuvre est structurée comme le passage d’une phénoménologie de la conscience vers
la phénoménologie de l’esprit. On peut voir alors que tout le processus qui va de la certitude
sensible voire de l’objet inséparable de la conscience elle-même, jusqu’à la force et
l’entendement, aurait pour but de transcender - à partir de la force propre de la négation et
dont la « relation » peut être pensée comme l’antagonisme pulsionnel - le Moi découvert
comme objet, pour s’accomplir comme conscience de soi.

Or, et c’est là l’hypothèse que nous soutenons, pour que la conscience de soi puisse
s’accomplir il est nécessaire de passer par un processus sceptique, dans la mesure où la figure
tragique qui existe permet au Moi de se rendre compte, dans l’analyse et la cure
psychanalytique, de son statut d’être pour soi qui consacrerait la structure conflictuelle et des
antagonismes pulsionnels, et qui commémorerait ainsi la mort en tant qu’aspect-clé du
négatif.

Malgré tout, les arguments de André Green sur la place du négatif en psychanalyse
démontrent qu’il est possible de penser la mort non pas en tant que pulsion de destruction,
dont le mode de fonctionnement serait la compulsion de répétition, ni comme association libre
dont l’expression serait la plus typique du négatif, mais plutôt dans la mesure où il existe une

33
GREEN, André. Le travail du négatif. De Minuit. Paris, 1993/2011. P. 56
34
Ibidem.
phénoménologie de la conscience qui distingue des figures qui sont autant de moments,
chacune d’entre elles impliquant la négation de celle qui la précède. Et de même, on pourrait
observer que ce qui est au terme du changement est déjà présent dès ses origines sous une
forme invisible ou inconsciente.

Par conséquent, il s’agirait de ce qui n’est pas appréhendable directement par la conscience ou
traduisible dans son langage mais qui se conserve cependant dans la parole, où le positif et le
négatif dialoguent. Autrement dit, il existe un processus où les moments positifs et négatifs
deviennent à travers le négatif lui-même, et ce qui résulte du caractère négatif n’est que
l’aufhebung ou le « conserver en dépassant ». De cette manière, la négativité apparait comme
le temps intermédiaire nécessaire à l’avènement de la conscience, du processus et des
relations qui s’entrecroisent dans la positivité de ses connexions. Il s’agirait d’une négation
déterminée telle que l’entend Hegel.

On peut sans doute soutenir que la négation est constitutive du processus dont le mouvement
est le déplacement même du savoir de soi ou de la conscience de ce savoir. Or, dans ce
déplacement, la conscience fait l’expérience de son savoir, se révélant à elle-même dans
l’exercice de son parcours vers l’effectivité, à travers toutefois le chemin tragique de
l’ignorance, c’est-à-dire, constitué d’angoisse et de douleur et qui peut aller jusqu’à
l’effacement ou la néantisation de toute trace. Il s’agit là du statut sceptique du désespoir et de
la mort dans le sens de la disparition.

A cet égard, la figure du déplacement ainsi que de la négation inscrite dans la conscience,
permet de soutenir l’idée de différence ou, tel que le dit Green, d’une sorte d’altérité qui
marque profondément le rétablissement du discours. En effet, le statut de la différence
découvrirait son aliénation, paradoxalement, en ouvrant la route vers l’altérité dans le sens du
devenir des figures de la conscience, qui engendre la mise en question et le doute de l’unité
discursive.

Ainsi, c’est à partir de cette remise en question qu’une rencontre avec l’inconscient devient
nécessaire. Car ladite rencontre aurait lieu à la seule condition, non seulement de prendre
comme source la négation de la négation hégélienne pour pouvoir examiner la pensée de
Freud, mais aussi de mettre à l’épreuve de façon effective, une expérience d’altérité radicale,
celle du transfert. C’est donc à partir de l’expérience de la différence ou de l’altérité dont la
matérialisation est le transfert, que l’on peut voir la « nature » conflictuelle propre à chaque
individu.

Enfin, rendre compte de l’altérité et même du transfert, s’avère possible à condition de


considérer la figure de l’Autre chez Lacan. Car, d’un côté cet Autre se représente à travers la
pulsion où il n’y a pas de langage à proprement parler, et d’un autre côté il se rapporte à celui
de la revendication pulsionnelle dont la place est la parole.

Penser la question de l’altérité, établie par Green, permet de voir l’altérité comme quelque
chose d’interne à l’altérité elle-même et qui, selon Green, est intrapsychique et intersubjectif.
Comment inscrire alors cette idée d’altérité interne à l’altérité dans une place consubstantielle
à la négativation du négatif ? L’altérité y prend sens lorsqu’elle se constitue comme l’envers
ou l’Autre du sujet. C’est-à-dire, lorsque se produit une double étrangeté, d’un côté une
étrangeté de soi à soi qui n’est pas consciente, mais qui constitue le statut d’une certaine
causalité originale, et d’un autre côté, une étrangeté de soi à l’autre en tant que discursive qui
règle le rapport entre désir et objet séparé de l’ordre du discours.

C’est cette double étrangeté qui compose, non seulement l’intrapsychique et l’intra-subjectif,
mais aussi l’essence du travail du négatif, ce qui permet de comprendre la mort en tant que
négativité absolue qui dépasse sa relation à l’existence et qui, dans le même temps, devient
néantisation. Autrement dit, on peut dire que l’affirmation ou le jugement affirmatif d’une
certaine altérité interne à l’altérité propre à la subjectivité et qui constitue l’« intra » subjectif
et le psychique, n’est que la négativité de la négation en tant qu’affirmation de la néantisation.

Par conséquent, on peut voir ce « intra » non seulement comme un mouvement qui affirme la
négativité du négatif ou la négation de la négation, mais aussi comme l’affirmation d’un
débordement inconscient qui se nie jusqu’à la disparition de toute trace d’excitation
pulsionnelle.

Chez Hegel, au contraire, cette fonction est liée à l'aspect subjectif, dans le sens où ledit
jugement a une portée qui inclut sa propre structure. Ainsi, l'opération de l'activité du
jugement qui affirme ladite négativité de la négation permet, par la voie d'une création
symbolique de la négation, d’autoriser la pensée à prendre une distance à l’égard des
conséquences de la répression et de la compulsion du principe de plaisir. Jusqu'à un certain
point, cette création peut alors être prise comme une détermination de l'expérience en tant
qu’horizon phénoménologique, c’est-à-dire que l'expérience serait ce qui « paraît-à ». Ces
pensées reflèteraient celles de Platon35, ainsi que celle de Lacan. Nous le verrons dans la
section suivante.

35
Platon, La République. Livre X. Éditions GF Flammarion, Deuxième édition corrigée, [2004] Paris, 2002. Ce
texte nous semble fondamental, non seulement pour le traitement de grands concepts, mais surtout, pour la
procédure de la connexion étroite qui existe entre les notions d'apparence et de réflexion; à propos de la
condamnation de l'art mimétique (de la poésie tragique en particulier) en ce qui concerne la politique et la vérité
(ou la politique de la vérité). Dans un passage du livre où Platon conçoit la possibilité qu'une classe propre
d'artisan soit capable de tout faire, l’auteur illustre telle possibilité en recourant - et c'est l’aspect central du sujet
qui nous intéresse - à l'image d'un objet propre, le miroir: « Si seulement tu consens à prendre un miroir et à le
retourner de tous côtés, très vite; tu produiras le soleil [596 e] et les astres du ciel, et aussi rapidement la terre,
rapidement toujours toi-même et les autres animaux, et les meubles et les plantes, et tout ce dont on parlait à
l'instant - oui, dit-il des apparences, mais certainement pas des êtres qui existent véritablement ».
Concrètement : qu'est-ce que le propre de cet objet? Et quel est le danger qu'il supporte ? Le propre du miroir
consiste en ce qu'il reflète les choses, il les réfléchit vers soi-même. Celui-ci est constitué d’images que Platon
conçoit comme des fantasmes, des apparences, et qu’il oppose à l'ordre du en-soi (eidos). Si l'apparence n'est
rien qui ne soit tout à fait en-soi, mais qu'elle peut seulement être évaluée en fonction de sa référence à la vérité
(il est un être pour l'autre inconsistant), alors, celle qui se trouve dans un manque de référence directe à ce en-soi,
représente un danger pour tel ordre, parce qu’il peut être n'importe quelle chose sans en être réellement aucune.
Or, par le fait d'être une "réflexion du deuxième degré", Platon voit dans le miroir la radicalisation de tous les
dangers qui menacent aujourd’hui dans le monde du devenir (une sorte de vrai dans le mensonge qui constitue le
monde sensible, parce qu'il le prend comme modèle et l’amplifie avec ce qu’il a de propre ou de "défectueux") :
la présence du non-être, du changement et de la finitude qui nous révèle que, depuis ses premières figures, la
philosophie s’est vue obligée à penser sa relation avec l'apparence, avec l’"opposé" à ce que seraient ses objets
dans un sens propre : le malheur, la fausseté, l'erreur, etc., et seulement à partir d'une réflexion telle qu'elle
puisse déterminer ses objets avec justesse. En avançant au-delà de soi-même, Platon lui-même, dans ses
Dialogues comme le Sophiste et le Parménide, met en évidence le problème de ce qui est différent, en montrant
expressément le caractère irréductible et, dans une certaine mesure, constitutif du logos. Il arriverait alors que, à
un certain niveau de connaissance dénommé dialectique, l'existence du non-être (et avec celui-ci tout l'univers de
concepts qui lui sont associés) doive être affirmée comme un facteur élémentaire de la connaissance du vrai,
étant donné l'impossibilité de définir quelque chose sans l'activité du négatif. Platon a mis en relief certains
concepts élémentaires pour la construction de tout jugement de portée cognitive (la même structure du jugement,
S est P, est diairesis et synthèse, autrement dit, une unité d'opposés), et tous possèdent la caractéristique d'être
réfléchissants : chacun est rapporté à soi-même par le moyen de son opposé. Avec celui-ci, Platon a pris cette
opération du miroir (l'apparence fait toujours référence à ce qui apparaît en elle, ou à partir de ce qui est
réfléchit) et l’a situé dans la plus haute position de sa hiérarchie épistémologique, même si la réalité du en-soi se
trouve toujours dans une position ontologiquement plus élevée (puisque le jugement n'est pas constitutif, il se
dirige vers quelque chose d'indépendant). Ceci impliquerait, au moins, que le miroir de Platon est non seulement
entré à l'intérieur - c'est donc l'âme dans sa puissance productive - mais qu’il est en même temps capable de se
donner à soi-même celui qu’il reçoit, en tant qu'entendement représentatif (celui-ci apparaît comme un
interlocuteur crucial, comme Kant et son concept d'imagination transcendante), c'est-à-dire, qui réfléchit depuis
quelque chose que lui-même a soumis à une réflexion "préalable" de caractère non-représentationnel.

« Un lit, si tu le regardes sous un certain angle, ou si tu le regardes de face, ou de quelque autre façon,
est-il différent en quoi que ce soit de ce qu'il est lui-même, ou bien paraît-il différent tout en ne l'étant
aucunement? » [Pages : 486. 598a – 598d]. « Les mêmes choses apparaissent simultanément contraires, l'une à
l'autre pour ce principe qui a mesuré et qui a indiqué que certaines choses sont plus grandes ou plus petites les
unes que les autres, ou égales entre elles (…)  or, n'avons-nous pas dit qu'il était impossible que le même
principe porte simultanément deux jugements (formation doxa) contraires sur les mêmes choses?» [Pages : 494.
602e – 603b] « L'art d'imiter est donc bien éloigné du vrai, et s'il peut tout exécuter, c'est semble-t-il, qu'il ne
touche chose, et cette partie n'est qu'un fantôme » [p: 339. 598c] « Le créateur de fantômes, l'imitateur, disons-
nous, n'entend rien à la réalité, il ne connaît que l'apparence, n'est-ce pas? »[p: 339. 601c]

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