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L'usage des sens

Author(s): Christophe Alsaleh


Source: Revue de Métaphysique et de Morale, No. 2, Usages d' Austin (AVRIL-JUIN 2004), pp. 193
-215
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40903989
Accessed: 19-01-2016 12:25 UTC

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L'usage des sens

RÉSUMÉ. - La thèseaustiniennedu « silencedes sens » et Vinterprétation


que Char-
les Travisen a donnéesontexaminéesafind'en évaluerensuitequelquesconséquences
de la perception.
pour la psychologieet Vepistemologie

Abstract. - Wefirstconsideran austinianidea - the « silenceof thesenses» -


witha construalof thisidea by Charles Travis.Thenwe proceedby urging
together
someconsequencesof thisidea on theepistemologyand psychologyofperception.

La thèsedu « silencedes sens» consisteà affirmer que riendansle « donné»


des sensait quoi que ce soità voir avec quelquechose êtrecomparé
qui pourrait
formellement avec une proposition. La parenté de cettethèse(présentéedans
la première partiede ce travail)avec les idées des partisansd'un contenunon
conceptuelde la perception est frappante.L'objet de la deuxièmepartiede ce
travailest d'évaluerl'actualitésurcettequestiond'un certainnombred'idées
d'Austin.

AUSTIN ET LE DONNÉ

La thèsedu « silencedes sens »

Austinformulecettethèseà troisreprises:

(SAD I). « Are ThereA PrioriConcepts? » (1939,p. 48)


à l'opinionde MacLagan,qui défendapparemment la théoriedes sense-data,
selonlequelun sensumainsiqu'une propositionnoussontdonnésdansl'expé-
étantréputée« incorrigible
rience,la proposition », Austinrépond:

... sensa are dumb,and nothingis moresurelyfatal thanto confusesensingwith


thinking.
... les sensa sontmuets,et rienn'est plus sûrement
fatalque de confondre
le sentir
et le penser.

et de Morale,N° 2/2004
Revuede Métaphysique

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Christophe

(SAD II). « OtherMinds» (1946,p. 90)

... sensaare dumb,and onlypreviousexperiencesenablesus to identify them.If we


choose to say thatthey« identify themselves » (and certainly« recognizing » is not
a highlyvoluntary activityof ours), thenit mustbe admittedthattheyshare the
birthright ofall speakers,thatofspeakingunclearlyand untruly.
... les sensa sontmuets,et seulenotreexpérience passéenouspermetde les identifier.
Si nous choisissonsde direqu'ils « s'identifient » (et « reconnaître
» n'est certaine-
mentpas une activitétrèsvolontairede notrepart),il fautalors admettrequ'ils
partagent un mêmedroitinnéavec quiconqueparle: celuide parlerde façonconfuse
ou inexacte.[Traduction françaiselégèrement modifiée.]

Soit les sensne disentrien,soitnousnousexprimons à leursujetcommes'ils


disaientquelque chose,mais alorsce n'est certainementpas un argument(au
contraire, même)pourdirequ'ils procurent une évidenceindétrônable
(qu'ils
sontincorrigibles).

(SAD III). Sense and Sensibilia(1962,p. 11)

Infact,ofcourse,oursensesare dumb- thoughDescartesand othersspeakof« the


testimony of thesenses», our sensesdo nottellus anything,
trueorfalse.
Il estévidentqu'enréaliténossenssontmuets.QuoiqueDescartesetd'autresparlent
du
« témoignage de nossens», nossensnenousdisentriendutoutnien vrainien faux.

Le problèmeavec la thèse (SAD) est qu'il est difficilede voir en quoi quelqu'un
pourraitsoutenirque les sens, au sens propre du mot « muets », ne sont pas
muets.Appelons (non-SAD), néanmoins,cettethèse que (SAD) est censée nier.
Austindonne, d'une part,un certainnombrede motifsqui amènentà croireque
(non-SAD) et, d'autre part,associe l'adoption de (non-SAD) à la confusionde
la pensée et de la connaissance {thinking,knowing)avec la perception{sensing),
exactementla confusion que Prichard(1936) reproche à la théoriedes sense-
data. D'ailleurs, c'est toujoursdans un contextede critiquedes sensa que Austin
avance la thèse (SAD).
Motifs qui amènentà adopter (non-SAD) :
- la croyance dans les « concepts ».

Jeperçoisce qui est décriten françaisau moyende deux pronomsdémonstratifs et


d'une phraseadverbiale[c'est-à-dire
que je ne perçoispas la «
relation se trouver
à

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la droitede »]. Chercher


uneentitéisolablecorrespondant
au dernier,
estunemauvaise
habitude parlefaitdeparlerde « concepts
encouragée ». [Austin
1939,p. 49 ; nous
soulignons.]

- l'usage transitif
de connaître/savoir

II se peutquela tendance à négligerlesproblèmes de reconnaissance


soitentretenue
parnotre propension à employer unobjetdirectaprèsconnaître/savoir.
[Austin 1946,
p. 96.]
Il se peutque l'emploinoncritique de l'objetdirect
aprèsconnaître/savoirsoitune
deschosesquiconduisent à l'idéeque (ou à parler
commesi) les sensa[...]parlent
ou sont(parlaientou étaient) parnature,
étiquetés de sortequeje peuxlittéralement
direce queje vois[...].Maisce n'estsansdoutequ'unefaçondeparler. [Austin 1946,
p. 97.]

Dans la dernièrecitation,(non-SAD) est définieplus précisément commela


croyanceque les choses sontétiquetées(labeled) par naturede sorteque je
peux « direce que je vois ». Or,d'aprèsAustin,je ne dis pas ce que je vois.
Les chosesse passentplutôtde la manièresuivante:

... au sensstrict,
nousne sentons pas « durouge» ou « dubleu» pasplusquenous
nesentons « uneressemblance » (pasplusdes« qualités»,pasplusdes« relations ») :
noussentons quelque chose dont nous pourrions si
dire, nous souhaitons
en parler,
que« c'estrouge» : etainsinoussentons quelquechosedontnouspourrions dire,si
noussouhaitons en parler, que « ceci est semblableà cela», ou que « ce rouge
ressemble à ce rouge». Si nouspersistons à essayer
de direce quenoussentons (ce
quiestimpossible), onpeuttoujours essayer« je sensA-ressemblant-à-B» : etvoir
si celadonnequelquechose.[Austin 1939,p. 49.]

Les problèmes de reconnaissancetiennent justement à la possibilitéd'identifier


des situations,au moyende motsque nousavonsemployésavec plusou moins
de succèsdansdes situations similaires.
Il estévidentque si nouspensonsqu'il
y a une seule sorted'identification
possible,et que la méthodede cetteidenti-
ficationest littéralementportéepar la chose même,alors les problèmesde
reconnaissance passentau secondplan.

... lessensasontmuets,
etseulenotre passéenouspermet
expérience de lesidentifier.
[SAD IL]

L'insistancesurle « nous» ne doitpas êtrepriseà la légère.Pourl'empirisme


classique, l'expériencen'est conçue que comme « subjective», comme ne
concernant que la personnequi faitl'expériencequ'elle faitau momentoù elle

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la fait(cela ne veutpas dire que les objets de l'expériencesontprivésou


L'article1 des Principesde la connaissancehumainede Berkeleyest
internes).
particulièrement «/ai les idées de la lumièreet des couleurs[...]
significatif:
je perçois...le duret le mou [...]. » Or,Austinparlebiende « notreexpérience
passée ». Il ne veutpas direbien sûrque l'expériencesensiblesoitcollective,
ce qui seraitun non-sens.Mais le non-sens, pourAustin,estde croire,avec ce
qu'il pense être une bonne partie de la philosophiede la connaissancetradi-
tionnelle, le
que problème de la connaissance humainepeutse posercorrecte-
mentcommeun problèmesubjectif.Quand il critiquele Mythedu Donné et
les sense-data,Austinconclut:

Cela me sembleerroné,et pourtantcetteidée a été,sous des formesplus ou moins


subtiles,à la base de nombreux
développements philosophiques.Peut-êtreest-cele
péchéoriginel(la pommede Berkeley,l'arbredansle jardin)parlequelle philosophe
se chasselui-mêmedu paradisdans lequel nousvivons.[Austin1946,p. 90.]

D'après Austin,la théoriede la connaissancetraditionnelle


oublieque le pro-
blèmede la connaissancene peutpas se poserde manièresubjective, en par-
d'un motest un phénomènefortement
ticulierparceque la signification inter-
pourdireles chosesun peu brutalement.
subjectif,

comprendre [un mot]veutdire[...] faireusage commenous,ou la plupartdes gens


[...] en fontusage ; ou, pourdireles choses autrement,
les caractéristiques
de mon
expérience, à proposdesquelleson demandesi je les ai ou nonremarquées, exigent
d'êtredésignéespar référence à certainesexpériencesprécisesà' autrespersonnes.
[Austin1939,p. 42.]

Jene comprends doncpas le mot« rouge», par exemple,par référence à une


expérienceprivée faitedans un passé plus ou moinsproche,mais parrapport à
l'expérience d'autres personnes. Austin défend cetteconceptionpositivequi
sous-tendla thèsegénérale(SAD).
Deux typesde motifssemblent, pourAustin,empêcherun accès à la concep-
tioncorrecte des choses(le paradisdontle philosophetraditionnel
de la connais-
sance s'est lui-mêmechassé),d'une partle faitde parlerde « concepts», et,
d'autrepart,l'usage transitifnoncritiquedu verbe« connaître ».

... quandM. Wisdomparleen généralde « connaître ses sensations», il veutproba-


blementdireque c'est équivalentà « savoirce qu'il voit,sent,etc.», toutcomme
« connaître le gagnantdu Derby» signifie« savoirqui a gagné le Derby». Mais ici
encore,il sembleque l'on considèreque les expressions « savoirce que » ou « savoir
qui », etc.- inconsciemment et de façonerronée- corroborentla pratiquequi consiste

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à mettre un complément d'objetdirectaprèssavoir/connaître. « Ce que » est suscep-


tibled'êtrecompriscommele pronomrelatif, « cela que » [thatwhich].Or c'est une
fautede grammaire. « Ce que » et « qui » peuventbien entenduêtredes pronoms
mais dans « savoirce que tu sens» et « savoirqui a gagné» il s'agit du
relatifs,
pronominterrogatif (en latinquid,et nonquod). À cetégard,« je peuxsentirce qu'il
sent» est différent de «je peux savoirce qu'il sent». « Je sais ce qu'il ressent» ne
signifiepas « il existeunx telque je le connaiset qu'il le ressent», mais« je connais
la réponseà la question"que ressent-il ?" ». Il en va de mêmepour«je sais ce que
je ressens» qui ne veut pas direqu'il y ait quelque chose qu'à la foisje connaiset
ressens[thisdoes notmean thatthereis something whichI am bothknowingand
feeling].[Austin1946,p. 96.]

Austinreprendl'idée de Prichard, à savoirque les erreursdes théoriciens des


sense-dataou des affirmations de la perception immédiate viennent d'uneconfu-
sionentrela connaissance etla perception. MaisAustinditexactement le contraire
de ce que Prichardprétend. Alorsque Prichardaffirme que les théoriciens des
sense-dataonttortde voirdansla perception l'appréhension directed'unechose
(commec'est le cas dansla connaissance), Austinaffirme que le tortestde voir
dans la connaissancel'appréhension directed'un objet,le mêmeque celui qui
feraitl'objetd'uneperception. Prichard reproche aux théoriciens des sense-data
de prendre la perception pourune formede connaissance.Austinreprocheaux
théoriciens dessense-data(ou plutôtauxfondationnalistes) deprendre la connais-
sancepourunesortede perception. La fauten'estpas tantde chercher des objets
qui soient ceux de la perception ou de la connaissance, que de croirequ'il existe
quelque chose qui puisse être appréhendé à la foisdans une perception et dans
uneconnaissance. Le faitd'avoir,présentà soi,des choseset un environnement
nepréjugeenriende la manièredontnousallonspouvoir, avecnosidentifications
etnosassertions, rendre compte de ce qu'il y a dans cet environnement, selondes
objectifs et des intérêtsdéterminés. Et nos capacitésconceptuelles et les condi-
tionsde cetexercicen'entraînent pas une dépendance de la réalité
parrapport à
ces mêmescapacités.Autrement dit,le monde n'est pas faitde propositions, sur
lesquellesnousdevrionsadapternos attitudes mentales.Et quandnous disons
quelquechoseà proposdu monde,nousne nousappuyonspas nonplus surdes
représentations qui seraientstructurées commedes propositions. Ce sontà peu
près toutes les implications de la thèseaustinienne du « silencedes sens».

L'idée <T« expérienceaustinienne» (Charles Travis,2003)

L'expérienceconcernenotrerelationau monde,et,en particulier,


la manière
dontnous investissons
ce que nous savons (que ce soit sous la formede la

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manièredontnoussavonsutiliser des mots,ou dansla possessiond'unensemble


de concepts)dans ce que nous sentons.
CharlesTravisoppose deux idées de l'expérience,en se concentrant surle
problèmede l'expérienceperceptive, uneidée qu'il appelle« expériencestraw-
sonienne», etuneidéequ'il appelle« expérience austinienne ». D'après Charles
Travis,il fautfaireremonterl'oppositionentreles deuxconceptions de l'expé-
rienceà l'oppositionentredeuxconceptions de la vérité,celle d'Austinet celle
de Strawson.

La conceptionaustinienne
de la vérité
concerne la relation
desmotsau monde. C'est
parconséquent uneconception de notrerelationau monde, etde la façondontcette
relation
esteffectuée
parl'expérience.[...]Parconséquent,la conceptionopposéede
- cellereprésentée
la vérité parStrawson, parmid'autres - estuneconception de
notrerelationau monde,
etparlà, de la façondontl'expérience peutse rapporter
à
la pensée.[Travis
2003,p. 222.]

D'après Travis,la conceptionstrawsonienne de la véritéconcernedes concep-


tionsoù uneproposition peutêtrevraiedans la mesureoù elle saisitla structure
des faits.Cettestructure
seraitégalementpartagéeparla pensée.Cela voudrait
direque la manièredontune penséepeuten engendrer plusieursautresou se
trouverdans une relationde justification avec plusieursautrespenséesserait
doncsimilaireà la manièredontles faitsse trouvent enchaînésles unsavec les
autres,mais ce que nouspouvons dire se trouve égalementêtredéfinipar le
mêmeréseaude contraintes.

cettestructure
J'appellerai structure
partagée Ainsile langage,
conceptuelle. la pensée
etle mondesontalignésles unsderrière
les autres.
Ce que nousdisonsestrendule
cas pardes caractéristiques
du monde(de l'étatdes choses)qui sontelles-mêmes
essentiellementstructurées
avecexactement la mêmestructureque celleque nous
disons.[Ibid.,p. 224.]

Il estvraique la manièredontStrawsonenvisagele problèmede la perception,


de l'expérienceperceptive, supposecettestructure Mais c'est très
conceptuelle.
précisément ce
parceque que Strawson appellele scheme conceptuelestcensé
rapporter les conditionsde toutes nos penséesdu monde. D'après Strawson, les
énoncésles plusempiriques, les énoncésperceptifs,sontceux surlesquelsnous
nousappuyonsde manièreprivilégiée, parceque nouspensonsqu'ils sontcausés
par le monde. Le réalisme direct de Strawson (et de Grice)consisteni plus ni
moinsà direque ce que sontlesfaitsdans le mondenousest rapporté par les
énoncés-A(A comme« Avoirl'air »), c'est-à-diredes énoncésqui rapportent
Yimpression visuelleou apparencequ'un sujetd'expériencespeutavoirà un

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momentdonné.Il se peuttrèsbienêtrele cas que ce que rapportent les énon-


cés-A n'estpas le cas (pourcetteraison,Strawsonet Griceont,commele note
Snowdon,une interprétation notionnelledes énoncés-A),mais cela ne change
rienau faitque les énoncés-Aconstituent l'alpha et l'oméga de toutepensée
empirique.Strawsontrouvedans la causalitéexactement le typede contrainte
dontil a besoinpourque le monde,le langageet la penséesoientalignés(selon
une imageévoquéepar Wittgenstein, dans le § 96 des PhilosophischeUnter-
et
suchungen, rapportée par Travis[ibid.,p. 222]).

Je dois supposerque monexpérienceexercece typede contrôlesurmoi si je dois


véritablement penserles choses. Ce n'est pas dire qu'elle exerce toujoursun tel
contrôle.L'expériencepeut causer que je pense des choses. Mais elle peut aussi
échouersystématiquement à imposerdes exigencessurce que je dois rationnellement
penser.[Ibid.,p. 225.]

Le problèmede 1'« expériencestrawsonienne » est que ce typede contrainte


(causale) ne peutpas rendrecomptedu faitque j'arriveà avoirdes penséesà
proposdu mondeen m'appuyant surce queje perçois.En réalité,ce qui manque
à la conception strawsonienne estde parvenir à discipliner ce qui estperçu,non
pas en tantque cela faitpartiede l'expérience, maisen tantque cela faitpartiedu
monde.Cela n'estpas toutde pouvoirsystématiser, à l'aide des énoncés-A,la
manièredontles chosesnousapparaissent, il fautencorepouvoirdiscipliner la
manièredontles chosesnousapparaissent, en tantqu'elles fontpartiedu monde.
Sinon,il estimpossibled'expliquer,seloncetteconception, pourquoice qui est
le cas dansle mondeimposequeje penseque c'est exactement cela qui estle cas.
Le pas à franchirestfaitparGaretti Evans (1982, p. 100-104),sous la forme
de la « contraintede généralité ». Cettecontrainte estcenséedonnerla manière
dontles penséessontstructurées, de façonà comprendre commentle « niveau
fondamental » de la pensée peut s'articuler,ce niveau fondamental rendant
possible que nous en
ayons, général, des à
pensées propos du monde. La
contrainte de généralité dittrèsprécisément que :

si nous soutenonsque la compréhension qu'un sujet peut avoir de « Fa », et la


compréhension qu'un sujet peut avoir de « Gb » ont une structure, nous sommes
obligésd'admettre que le sujetpourraégalementcomprendre les phrases« Fb » et
« Ga ». Et nousdevons,en plus,admettre qu'il y a une explicationcommunepourla
compréhension qu'a le sujetde « Fa » et « Ga », et une explicationcommunepour
la compréhension qu'a le sujetde « Fa » et « Fb ». [Evans 1982,p. 101.]

C'est-à-dire que, pour un item donné (c'est-à-dire une chose avec une certaine
propriété),nous devons disposer de certainescapacités conceptuelles pour pou-

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voir l'appréhender,de manière à l'intégrerdans une pensée. C'est de la com-


binaison des concepts,et de cettebonne combinaison que dépend la possibilité
qu'il y ait des pensées à propos du monde. D'après Travis, cetteconceptionest
l'aboutissementde 1'« expérience strawsonienne».

L'idée estalorsque certainesdes chosesdontnousfaisonsl'expérience- et doncdes


partsde ce qui est en faitprésentdansnotreenvironnement - doiventêtredes items
En ce cas, cela demanderait
ainsiidentifiés. des capacitésconceptuelles particulières,
déployéesà travers certainesrelationsdes unesavec les autres,que d'enregistrerces
itemscommeceux qui se sontprésentésà une personne.Selon la généralisation de
l'idée d'Evans,c'est parces capacités,leursdéploiements ainsireliés,que l'itemest
identifiécommecelui qu'il est. Les itemsainsi différenciés, touten appartenant au
monde,seraientdes itemsavec une structure conceptuelledans le présentsens du
terme.Tel est ce que doitêtreun itemdu mondepourse tenirdans la relationdans
laquelleil doitse tenirs'il doitêtreune raisonde pensertelleou tellechose. [Travis
2003, p. 228.]

D'après Travis, la position « conceptuelle» (le contenu d'une perceptionest


conceptuellementstructuré)de McDowell, et la position « non conceptuelle »
(le contenud'une perceptionest organisé selon un mode propreà la perception,
et non conceptuel) d'Evans souffrentdu même défaut,à savoir supposer que
les pensées ont besoin d'avoir une structureconceptuelle afin de pouvoir être
à propos du monde. Le niveau fondamentalde la pensée, chez Evans, et l'espace
des raisons, chez McDowell, s'appuient sur cette idée de « structureconcep-
tuelle ». L'origine de cette conception est le genre de préoccupationque peut
entraînerle cohérentismede Davidson, selon lequel « rien ne peut contraindre
une croyance sinon une autre croyance». On peut toujours amender cette for-
mule, à la manièred'Evans, en disant que rien ne peut contraindreune pensée,
sinon une autre pensée, ou que rien ne peut contraindreune raison, sinon une
autreraison, comme McDowell.
D'après Evans, il fautcomprendrela pensée comme s'appliquant à des résul-
tats non conceptuels de la perception,mais il n'en demeure pas moins que la
formationdes pensées sur les résultatsde la perceptionest gouvernée par la
contraintede généralité,la meilleure formulationque l'on puisse trouverde
l'idée de structureconceptuelle. D'après McDowell, ce sont les capacités
conceptuelles du type de celles qui sont indiquées par Evans qui s'appliquent
dans la réceptivité.Mais c'est à cette même conceptionque s'oppose la notion
d'une « expérience austinienne». Et, si nous voulons adoptercette conception,
si nous jugeons qu'il s'agit de la bonne conception de l'expérience, alors,

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... nousne devonspas seulementamender


la maxime
de Davidson,
nousdevonsy
renoncer [Ibid.,
complètement. p. 233.]

D'après Travis,1'« expérienceaustinienne » peutmêmenous éviterd'avoirà


noustrouver dansles paragesdu Charybdedu « naturalisme » (ou du « fonda-
tionnalisme ») et du Scylla du « cohérentisme », et d'échapperà un certain
nombrede désagréments, notamment le faitd'êtreentraîné dansuneoscillation
philosophiquepermanente entre deux extrêmes, dont la sortie honorable
à
consiste,pourMcDowell, adopter le « second naturalisme ».
L'idée d'« expérienceaustinienne » va plus loin qu'une argumentation en
faveurdu non-conceptualisme (thèse selon la
laquelle perception a des formes
d'organisationautonomequi ne dépendentpas de nos capacités concep-
tuelles).À strictement parler,mêmesi la thèsedu silencedes sens est plus
du
proche non-conceptualisme que du conceptualisme, au moinsen ce qu'elle
supposeque ce que nous percevons n'est pas structuré par des concepts,il
Le
ne s'agit pas du non-conceptualisme. non-conceptualisme, par exemple
celui d'Evans, chercheà expliquercommentnos capacités conceptuelles
s'appliquentsur un donné de la perceptionqui n'est pas structuré concep-
tuellement, mais supposeque les penséesque nous avonsà proposde ce que
nous percevonssontstructurées conceptuellement, selon un mode de combi-
naisoncontrôlépar la contrainte de généralité.Or, surce dernierpoint,Aus-
tin, au moins en ce qu'il énonce la thèse du silence des sens, n'est pas
d'accord.D'une part,parcequ'il ne partagepas l'idée qu'il y a des concepts,
et, d'autrepart,parce qu'il ne partagepas l'idée que la justesse des des-
criptionsque nous pouvons faire,sur la base de ce que nous percevons,
dépendedu bon exercicede nos capacitésconceptuelles. La thèsedu silence
des sens et 1'« expérienceaustinienne », selon Travis,s'opposentà la fois au
conceptualisme et au non-conceptualisme. Qu'est-ceque 1'« expérienceausti-
nienne» ?

Ce que nous recueillonsdans l'expérience[...] est ce qui peutcolleravec une des-


criptiondonnée[...] plus ou moinslâchement, de différentes
façons,pourdifférents
objectifs,et qui peut ainsi êtreconsidérécommecollantavec une telle structure
donnéepourcertainsobjectifs, en certainesoccasions,et nonpourd'autresobjectifs,
en d'autresoccasions[...] ce qui est ainsi appréhendé, quand nos sens sontdirigés
versle monde,n'estpas quelquechose dotécommetel d'une structure conceptuelle
particulière: pourtoutechosedonnéequi nousestdonnée,il n'existepas de structure
particulièrequi estla siennepropre, ou de façonpropredontelle estprésentéecomme
structurée.Les résultats de Yexpérience- de nos sens- ne sontpas des itemsconcep-
tuellement structurés. [Ibid.,p. 229.]

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Christophe

Qu'est-cequ'un Donné austinien?

Qu'est-cequela sensibilité
nousprésente, surlequelnouspouvons alorsexercernos
de reconnaissance,
capacités et,quandellessontrequises, noscapacitésconceptuel-
les? Uneréponse simpleest: c'estce qu'ily a enréalité
autourde nous; ce qu'ily
a quiestsusceptible
de nousêtreprésenté (ou unepartiede ceci,dansles limitesde
ce quenotresensibilité
peutdétecter).[Ibid.,p. 231.]

Si nous abandonnonsla maximede Davidson,alors cela veutdireque nous


pensonsqu'une pensée peut trèsbien recevoirune contrainte d'autrechose
qu'une pensée, une croyance êtrecontrainte par autre chose qu'une croyance,
sans que cettecontrainte soit, par ailleurs,nécessairement causale. Ce qui
contraint la penséeà êtrece qu'elle estest la manièredontle mondeest.Mais
il n'estpas nécessaireque les chosesdansle mondeaientunestructure concep-
tuellepourêtrecapablesde contraindre la pensée.Il n'est pas nécessairenon
plusqu'il y aitune seulechosequi doiveêtrepensée,pourpenserque quelque
chose est le cas.

quec'estle cas enconsidérant


Ce dontje considère qu'uncochonestdevant moiest
quelquechosedonton pourrait direque c'estle cas dansdifférentesdescriptions,
différemment C'estquelquechosede structurable
structurées. d'unnombre indéfini
defaçons De plus,différentes
différentes. occasions dedirequ'ilestle casrequerront
de direqu'ileststructuré
de différentes
façons.[Ibid.,p. 232.]

Le problème, cependant, est qu'il ne s'agitpas simplement,


avec l'expérience,
de pouvoirdireque c'est le cas. Mais il s'agitégalementd'avoirdes raisonsde
penserquelquechose.Par exemple,je peuxpenserqu'il va pleuvoir.Comment
l'expérience,si elle est austinienneet non pas strawsonienne, peut-elleme
fournirdes raisonsde penserqu'il va pleuvoir,si elle ne me fournit pas des
itemsconceptuellement structurés, déjà bien enchaînéspar ailleursdans un
réseaude relationsnormatives ?

Ce quicontribue n'estrienenrapport
ici à la signification avecla structure
concep-
tuelle,maisplutôtdes chosesse rapportantà la façondontle mondeest,d'autres
façons, [Ibid.,p. 233.]
organisé.

Que les gensprennent leurparapluie,ou bienque le ciel se couvrede nuages


est une « indicationfiablede la venueimminente de la pluie» (ibid.,p. 234).
Mais il n'estpas nécessaireque le ciel et ses nuages,ainsique les gensprenant
leurparapluie,soientdes itemsconceptuellement structuréspourconstituer des

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L'usage des sens 203

ou biendes raisonsde prendre


raisonsde croirequ'il va pleuvoir, monparapluie
à montour.

Comment,selon la conceptionaustiniennede l'expérience,puis-je avoir de telles


raisons? Commecela, parexemple: mes sens me présentent un étatdes choses; je
le comprends (le reconnaît)commece qu'il est ; je suis conscient(d'une partie)de
la signification
qu'il signifie.[Ibid.]

La thèsedu silencedes sens intervient à ce point.Mes sens me présentent un


étatde choses Je
perçu. peux très bien appliquerdifférentesdescriptions,qui
pourront êtretrèsdifférentes,et se trouvertoutesvraies.Cela dépendessentiel-
lementdesobjectifs etdes circonstances. Cetétatde chosespeutêtrel'indication
de nombreuses chosesdifférentes, qui dépendentégalementdes circonstances
et des objectifs.
Mais l'important estd'aborderla questionde l'objectivité.N'est-cepas parce
que les nuagessontporteurs de pluie,et nonpas signede pluie,que j'ai raison
de prendremonparapluie,quandje vois des nuages? Et, s'il pleut,n'est-ce
pas la meilleurepreuvequ'il s'agissaitbien de nuages,et non pas de brumes
dans mon cerveau? Reprenonsla situation.Dans le ciel se trouvent de gros
nuagesnoirs.

Cela faitpartiede ce que je vois quandje regardeautourde moi. Cela faitpartiede


ce que je vois, que je le sache ou non. Heureusement,cependant, je le sais bel et
bien. [Ibid.]

un nuagequandj'en vois un,je peux voirquand il y a de


Jepeux distinguer
grosnuagesdans le ciel.

À cetégard, leschosespource qu'ellessont.Jen'ai pasmanquécet


alors,je prends
aspectde l'étatdes Et
choses. pas nonplusquelquechoseici présent
je ne prends
pourquelquechosed'autre. [Ibid.]

Il n'estdoncpas nécessaireque l'expérienceme présentedes itemsconceptuel-


lementstructuréspourquej'aie des raisonsde penserquelquechose,en l'occur-
rence,dans l'exempleque nous avonspris,qu'il va pleuvoir.

de l'idéeque les raisonsdoivent


Unefoisque nousnousdébarrassons êtreconcep-
tuellement toutcelan'estenrienproblématique.
structurées, [Ibid.]

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204 Alsaleh
Christophe

L'USAGE DES SENS

L'exercice de la discrimination
: acuité et attention

L'un des principaux reproches qui ontpu êtrefaitsaux partisansde la thèse


non conceptualiste (selon laquelle la perceptiona des formesd'organisation
autonomequi lui permettent une présentation de contenusn'impliquant pas la
miseen œuvrede concepts)estde mettre en avantqu'il y a certainescapacités,
essentiellesà l'exercicede la perception, qui ne peuventpas êtredes capacités
conceptuelles. Si nouspercevonsun item,nous sommescapablesde le discri-
miner,d'y accorderune attention particulière,et nous sommescapablesde le
faireavec plus ou moinsd'acuité.D'après un partisande la thèsenonconcep-
tuelle (et c'est apparemment égalementce qui est impliquépar la notion
d'« expérienceaustinienne »), l'exercicede la discrimination précède(en un
sensnonnécessairement strictement temporel d'ailleurs)l'exercicede la recon-
naissance(qui supposel'emploide mots,ou l'exercicede capacitésproprement
conceptuelles), et il n'est pas possibled'exercerla reconnaissance sans qu'au
préalablela discrimination ne se soitexercée.Les conceptualistes soutiennent
que l'on ne pourrait pas discriminer quelquechose sans concepts.
Evansdonnepourargument en faveurde cetaspectessentielde la thèsenon
conceptuelle l'idée que le contenude la perception est plus subtil,plus discri-
miné,que ce que le systèmede différences qui estcelui de nos conceptspermet
d'atteindre. L'exemple favori est celui des couleurs. On sait que l'œil peut
discriminer des dizainesde milliersde nuances.Le cerveaupeutdoncconnaître,
pourreprendre la terminologie d'Evans,untrèsgrandnombre, relativement aux
couleurs,de typesd'étatsinformationnels différents. Notresystèmeconceptuel
de couleursest loin d'êtreaussi différencié. McDowell répondqu'il ne s'agit
pas du genred'arguments que l'on peutopposerà la thèseconceptuelle, dans
la mesureoù, d'après lui, c'est toujourssous un conceptqu'une couleurse
présenteà notreattention, conceptqui procèdeavec suffisamment d'acuité,ce
qui peut être exprimélinguistiquement à l'aide d'un démonstratif : « ce rouge-
ci », « ce bleu-là». D'aprèsEvans,le cas des couleursconstitue unbonexemple,
où nous ne disposonspas de suffisamment de conceptspourque le contenu
perceptif (qui existe, puisque nous sommes capablesde discriminer des dizaines
de milliersde nuances)soitconceptuel. McDowellrétorquealorsqu'il estfaux
que le contenune puissepas êtreconceptuel. Pourtant, l'argument de McDowell
ne consistepas tantà direque « cettenuance» est un conceptcomparableà
« rouge» qu'à rappelerque la capacitéqui correspond à l'applicationde « cette

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L'usage des sens 205

nuance», « ce rouge», est une dispositionà appliquerun conceptdans telles


c'est-à-direque « ce rouge» ne faitpas référence
ou tellescirconstances, à un
contenu nonconceptuel,
perceptif maisà unecapacitétypiquement conceptuelle.
En ce sens « êtrede cettenuance(où nous ne disposonspas forcément d'un
nom)» ne se comportepas différemment de « êtrerouge».

Prenons, parexemple, l'exemplede quelqu'unqui se rappelle


la couleurd'unerose
devue,etquipense: « J'aimerais
qu'iln'a plusà portée quelesmursdemachambre
» Le genrede penséeauquelje faisallusionici doit
soientpeintsde cettecouleur.
êtredistinguédecellequipeutêtreexpriméeparexemple decettefaçon: « J'aimerais
quelesmursde machambre soientpeintsavecla nuancede rosequej'ai vueà telle
ou telleoccasion.» [McDowell1994,p. 172.]

La deuxièmemanièrede s'exprimerse résumeà une penséede secondordre,


indirecte, où je n'ai pas nécessairement à l'espritla nuanceen question.Mais
la première manièrede s'exprimer correspond bienà l'exerciced'une capacité
conceptuelle parrapport à un échantillonde couleur.L'essentielde l'argument
à
de McDowell, emprunté Wittgenstein {PhilosophischeUntersuchungen,
§ 604), estque ce qui comptedanscettecapacitéconceptuelle estqu'elle puisse
également, et essentiellement, s'exercerpar rapportà un échantillon qui n'est
pas seulement rapporté par la mémoire,mais qui est présent,devantles yeux.
Direque la penséeen questionestunevraiepenséene revient pas à direqu'elle
se rapporteà un mécanismepsychologiqueinterne, mais à dire qu'il y a de
forteschancespour que, confrontée à un échantillonde la nuance dont la
personnepenseque cela seraitunebonnecouleurpoursa chambre, la personne
dirait: « C'est cettecouleur.» Nous disposonsdoncd'un moyend'appréhender
conceptuellement autantde couleursqu'il est nécessaireselon nos objectifs.
McDowellrépondainsià la questionqu'Evans pose en ces termes:

Onnepeutpasrendre comptede ce quec'estqued'êtredansunétatinformationnel


nonconceptuel en termesde dispositions
à exercerdes concepts à moinsque ces
conceptsne soient être
supposés infinimentramifiés[to be endlessly
fine-grained];
et pouvons-nous ? Est-ceque nouscomprenons
le supposer vraimentl'idée selon
laquellenousavonsautantde conceptsde couleursqu'ily a de nuancesde couleurs
quenouspouvons parla sensibilité
discriminer ? [Evans1982,p. 229.]

Pourautant, l'idée que l'on puisseformer un concepten adjoignantun démons-


tratifà un termequi n'est pas démonstratif est intrigante, En
voireirritante.
on
effet, peuttoujours admettre que de nouveaux être
conceptspuissent formés
en combinant d'autresconcepts.La contrainte de généralité
nousexpliqued'ail-
leursque la formation des penséesse passe pourl'essentielde cettemanière.

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206 Alsaleh
Christophe

Mais forme-t-on un conceptà l'aide d'une ressourcetelleque le démonstratif ?


Dans le cas des couleurs,la ressourcequi nousvientà l'espritpourrépondre à
la questionposée par Evans est naturellement l'usage sur lequel McDowell
s'appuie.McDowell a raisond'insistersurle faitque, une foisqu'on a admis
qu'il s'agissaitalors de concepts,il n'y a pas tellement de raisonspourque
« être-de-cettenuance» se comporte différemment d'« êtrerouge», c'est-à-dire
que la maîtrisede ces expressionsest davantagerévélatriced'une capacité
conceptuelle(de reconnaissance)qu'expressived'une discrimination pré-
conceptuelle. Mais c'est une foisqu'on a admisque « cettenuance» étaitun
concept.La manièredontMcDowellprendpositionsurcettequestionest soli-
dairede l'idée que McDowell se fait,commele suggèreTravis,d'une raison,
à savoirquelquechosequi doitêtreconceptuellement structuré.La positionde
McDowell amèneà direque les capacitésdiscriminateset les capacitésde
reconnaissance sontà peuprèsle mêmegenrede capacités,à savoirdes capacités
conceptuelles.
Pourtant, nousutilisonsparfoiscertainsmots,d'aprèsunesuggestion d'Austin
(1946, p. 84), pourindiquerque nous avonsdiscriminé quelque chose,ce qui
nouspermetd'appliquercertainescapacitésconceptuelles (de reconnaissance),
sans pour autantêtrecapables de préciserce qui a été discriminé, qui nous
permet de reconnaître quelque chose comme étant d'un certaintype.
Dans ce passage,Austinremarqueque, mêmesi l'activitéde reconnaissance
engageà la foisla perception, le repéraged'un élémentcaractéristique, et la
mémoire, il n'estpas nécessaireque ce qui estrepéréou notépuisseêtredécrit
avec des mots.

Maisce quenousvoyons, ouencorepercevons,n'estpasnécessairement


descriptible
par des et
mots, encoremoins en
descriptible pardesmotsqui n'engagent
détail, à
rien,etparn'importe 1946,p. 85.]
qui.[Austin

Reconnaître ne consistedoncpas à êtrecapablede décrire.Cetteidée,cepen-


dant,n'engagetoujourspas surl'existenced'unecapacitéde discrimination
qui
se feraitdistinctementde l'exerciced'une capacitéconceptuelle.L'argument
de l'expérienceparrapportau nombrede motsdont
de l'excès de ramification
nousdisposons(puisqueAustinse refuseà parlerde concepts)est néanmoins
présentchez Austin.

Étantdonnéle nombre limitéet l'imprécision


des motsqui,dansn'importequelle
langue,
permettent de classifier,
parcomparaison avecle nombre infini
descaracté-
que nousreconnaissons,
ristiques et reconnaître,
ou pouvonsidentifier dansnotre
il
expérience, n'estpas trèsétonnant que nousayons très souvent
recoursà des

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L'usage des sens 207

expressionscommençant par « d'après» et « à », et que nous soyonsincapablesde


dire,de façondétailléeet précise,comment nouspouvonsreconnaître quelquechose.
[Ibid.]

Dans certainscas, je suis capable d'appliquerun nomà une chose ou, plutôt,
je suiscapablede faireunecertaineassertionà proposd'une situation. Jepeux
« reconnaître un airmaussade,ou l'odeurdu goudron» (ibid.,p. 85), maissans
êtrepourautantcapablede décrirede façonprécisece que je reconnais.Mais,
par ailleurs,il y a un autrecas : je suis capable d'entrerdans les détails,de
distinguer « les nuancesdu vert,les marquesde voitured'après l'arrièredu
véhicule» (ibid.) sans pourautantêtrecapable de direcomment je reconnais
qu'il s'agit de tel ou tel vert,de telleou tellemarquede voiture.Dans ce cas,
d'aprèsAustin,j'ai recours à des locutions comme « à son odeur «
», d'après
sa forme». Le pas décisifest faitpar Austinde la manièresuivante:

Ainsi,quandj'affirme queje peuxreconnaîtrel'oiseau« à sa têterouge», ou unami


« à sonnez»,je laisseentendrequ'ily a quelquechosedeparticulier danscettetête
rougeou ce nez,quelquechosede particulierchezleschardonnerets ou chezcetami
quipermet (toujours)de les,ou le,reconnaître.
[Ibid.]

Tandisque, si j'emploie « parceque », je laisse entendre


que...

... toutce quej'ai remarqué [noted]ou besoinde remarquer,c'estque sa têteest


rouge(riende particulier surla nuance,
ou de bizarre la forme,
etc.,de cettecolora-
tion); je laissedoncentendrequ'aucunautrepetitoiseauanglaisquele chardonneret
n'a unetêterouge.[Ibid.]

L'idée, semble-t-il,est la suivante.Nous recouronsà des outilslinguistiques


disposant d'une certaineimprécision pourlimiter notreengagement, parrapport
à la manièredontnousexpliquonscomment nousreconnaissons quelquechose.
Austinaffirme en mêmetempsque,dansuncas, nousindiquonsque nousavons
su discriminer quelquechose,avecundegréd'acuitéetde précisionqui dépasse
la précisionque nous pouvonsatteindre au moyend'une description. C'est là
ce qui faittoutela différence avec l'emploid'un démonstratif. Si, alorsque j'ai
rapporté avec précisionde quel vinil s'agit,je ne suispas capablede direavec
précisioncommentje le reconnais(puisqu'il s'agit alors d'une capacité de
reconnaissance: je metsun nomsurla chose),le faitde répondre néanmoins,
en disant« à causede ce goût», ne revient pas du toutau mêmeque de répondre
« d'aprèssongoût». Les deuxexpressions semblent néanmoins pallierla même
insuffisance,à savoirque je ne suis pas capable de mettreun nom surce qui
mepermetde reconnaître le vin.Mais si, dansle cas de la première expression,

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208 Alsaleh
Christophe

il s'agitde construire
uneexpression
qui puisse(trèsapproximativement, cepen-
dant)jouer le rôled'un nompropre(avec un démonstratif),il ne s'agitpas du
toutde la mêmechose avec la deuxièmeexpression.
Il seraitfaux de vouloirfaireun cas général,à partirde ces remarques
d'Austin.Il s'agit d'un exempleparticulier.
C'est du moinsce que la lecture
du passage sembleincliner.

... reconnaître,
au moins
dansce typedecas,consiste
à voir,ouencore une
percevoir,
descaractéristiques...
[Ibid.; noussoulignons.]

Mais, néanmoins, il n'estpas anodinde reconnaître que, pourcertainscas, nos


ressourceslinguistiques nous serventà indiquerque nous avons repérédes
chosesque nousne pouvonspas décrireau moyende ces mêmesressources.Il
l'est encoremoinsde reconnaître que nos motspeuventseulement nousservir,
dansce cas, à indiquerqu'un élément(nousne savonspas lequel)nousa permis
de mettreun nom sur une chose, ou de faireune assertionà proposd'une
situation.Nous pouvonstoutjuste indiquerqu'il y a « quelquechose de parti-
culierou de bizarre,dansla forme, la couleur...» (ibid.).C'est du moinsce que
nous laissonsentendrepar ces formulesimprécises.Il n'est pas possiblede
soutenir ce genred'explicationsansen appelerà unecapacitéde discrimination '
qui est distincte
d'une capacitéde reconnaissance. Cettecapacitéde discrimi-
nationpeuts'exercerselonplusieursdimensions : la forme,la couleur,etc.On
peutrepérerqu'il y a quelque chose de particulier dans la formeou dans la
couleur.Si on arrivepar la suiteà donnerun nomà cetteparticularité, alorsil
se peutqu'une nouvellecapacitéde reconnaissance soitmiseen œuvre,mais,
tantque nous avons recoursau genrede formulations imprécisesauxquelles
Austinfaitallusion,il s'agitde mettre en œuvreunecapacitéde discrimination
qui concernela perception. Cela ne veutpas direque, dans tousles cas, nous
devonsnous appuyersurcettecapacitéde discrimination pourjustifierle fait
que nous avonsreconnuet identifié quelque chose; aprèstout,il y a biendes
cas où je metsd'embléeun nomsurla chose,où ce nomcorrespond parfaite-
ment,etoùje suiscapablede donnerunedescription, etde parfaire
l'explication
de mon assertion,sans avoir recoursaux expressionsimprécises.Mais j'ai
toujoursla possibilitéde recourirà ce genred'expressions.Et savoirque j'ai
toujourscettepossibilitééquivautà savoirque je disposede capacitésde dis-
crimination distinctesdes capacitésde reconnaissance.
Austin(1946) faitallusionà ce genrede capacités,à troisreprises:

(3) [je doisavoirapprisà reconnaître les butors]


ou distinguer et (4) [je doisavoir
réussià reconnaître
ou direqu'ils'agitd'unbutor], queje doisavoirfait
[signifient]

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L'usage des sens 209

preuveà la fois d'un certaintype,et d'un certaindegréde perspicacité[acumen].


[Ibid.,p. 80.]
... peut-être n'ai-je jamais été amené à appliqueravec précisionma capacité de
discernement [discernment], et,par conséquent, à ces domaines,et
de classification,
je ne sais donc pas très
bien distinguerles espèces petitsoiseauxanglais.
différentes de
[Ibid.,p. 83.]
[Dans un cas où je ne sais pas ce que c'est] il y a dans ce que nous percevons
réellement une manqued'acuité [sharpness]auquel il ne fautpas remédier, ou pas
seulement, la
par pensée, mais un
par plus grand discernement, par une plus grande
discrimination sensorielle[byacuîerdiscernement, bysensorydiscrimination] (il est
vraitoutefois que faireappel à d'autresexemples,plus nets[morepronounced], de
notreexpériencepassée, peutveniren aide et aide effectivement notrepouvoirde
discrimination). [Ibid.,p. 93.]

La perspicacité et le discernement, ainsique l'acuité,ne sontpas des capacités


conceptuelles ni des capacités reconnaissance.
de Ce sontdes capacitésqui
la
guident reconnaissance, laquellecapacitéprocèdeselonles quatremodesde
l'assertiondécritsdans Austin(1952). Il ne s'agit pas de capacitésnaturelles,
en toutcas ni plusni moinsque la capacitéà identifier à appeler,
et à classifier,
ou à exemplifier de Il de
(au moyen mots). s'agit capacitésqui sontsusceptibles
d'êtreamendéesou confirmées de la mêmemanièreque notreusage des mots.
Mais nousne sommespas obligéspourautantd'en fairedes capacitésconcep-
tuelles,ou bien des capacitésqui s'exercentau moyende mots.La frontière
entrele naturelet ce qu'il y a de proprement humainn'estpas la mêmeque la
frontièreentrele non-conceptuel et le conceptuel,et nous pouvonstrèsbien
admettre qu'il y a une manièrenon conceptuellede s'engagerdans le monde,
qui restecependanttypiquement humaine.

La thèsed'adéquation revisitéeet le problèmedu contenu

II est possiblede manquerd'acuité ou de perspicacité, ou de fairepreuve


d'inattention. Tantque l'on conçoitles senscommeunensemblede dispositions
naturelles, et purement naturelles,l'idée d'une erreurdes sens,l'idée que les
sens puissentnous direquelque chose de vraiou de fauxnous paraîtprofon-
démentabsurde,dans la mesureoù le vrai et le fauxsupposentau moinsla
liaisond'un sujetet d'un prédicat, et doncune penséequi soitau moinsstruc-
turéede façonà êtreexpriméedansunephrase.Si on conçoit,cependant, d'une
part,que la thèsedu silence des sens ditquelque chose de vraisurnotre rapport
au monde(au moyende notresystème perceptif); d'autrepart,que des capacités
de discrimination guidentnos capacitésconceptuelles et de reconnaissance; si

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210 Alsaleh
Christophe

on admet,enfin,que ce genrede capacitésestsusceptible de correction,


d'amé-
lioration, alorson peuttrèsbienconcevoirque les penséesque nousavonssur
le mondeavec l'appuide ces capacitéspuissentsouffrir de défautsqui affectent
leurprécision, voireleurvérité,nonpas en tantque les capacitésengagéesdans
la reconnaissancesont en cause, mais bien les capacitésde discrimination
elles-mêmes, et, commeces capacitésconditionnent égalementl'exercicede
nos sens,alors nous pouvonspenserque les sens sont,en quelque sorte,en
faute.Mais il ne s'agitpas d'une« disculpation». Il s'agitsimplement de placer
la responsabilité humainey comprisdans l'exercicede nos sens, sans pour
autantavoirà admettre que, pourêtreà la portéede l'appréhension humaine,
quelquechose doitse trouver êtreconceptuel.
Il est, par exemple,possible de se tromperdans une affirmation ou une
identification simple,de faireuneaffirmationfausse,parceque nouspercevons
mal l'échantillon que nousdevonsnommer.

L'affirmationfausse montreque nous n'évaluonspas correctement le typede l'élé-


ment; c'est dû, pourrions-nous dire dans notresituationsimple,à une mauvaise
perception[misperception] de l'échantillon.
Mal identifier
(= mal distribuer)révèleaussiunemauvaiseperception [misperception]
du typede l'élément.[Austin1952,p. 145.]

On peutéchouerà bienpercevoir quelquechose.Mais l'erreurseraitégalement


de penserque, si on peutéchouerà bien percevoirquelque chose,alorscela
constitueune preuvequ'il y a une façonde spécifierce qu'est bienpercevoir
quelquechose,qu'il y a unemanièreuniquede rendrecomptede la façondont
uncontenuperceptif doitêtrepourêtrecorrect,ou de la disposition
danslaquelle
doitêtreun sujet(notamment eu égardà l'exercicede ses diversescapacités)
pourpouvoirappréhender correctementle contenuqui est à appréhender.

Austinfaitpartiedescritiques
de ce que Peacockeappellela thèsed'adéquation:

La thèsed'adéquationaffirme que l'on peutcaractériserintrinsèquement et complè-


tementune expérienceen mettant à la suitede l'opérateur« il apparaîtvisuellement
au sujetque... » quelque conditioncomplexequi concernel'objet. [Peacocke 1983,
p. 8.]

En effet,la thèsedu silencedes sens a justementpourconséquencequ'on ne


peutpas caractériser et
intrinsèquementcomplètement une expériencepercep-
tivede cettemanière.Peacockefaitunedistinctionentrele contenusensationnel
d'une expérienceperceptive et le contenureprésentationneld'une telleexpé-

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L'usage des sens 211

rience.C'est par rapportà cettedistinction qu'il introduit ce qu'il appelle la


méthodedes scenarii.
D'après une telle suggestion, il est nécessaire,pour rendrecompted'une
expérienceperceptive, de rendre comptede la différence que cela faitpourun
sujet d'avoir une certaine expérienceperceptive. Le faitque les choses lui
apparaissent de telle ou telle façon (contenusensationnel)ne peut pas être
rapporté par des énoncés qui suivent la thèsed'adéquation.Ou plutôt,on ne
peutpas comprendre la correction d'une expérience,étantdonnéla positiondu
sujet,etce dontil estpossibleque cela apparaisseau sujetcommeétantde telle
ou telle manière,si on se borneuniquementaux énoncésqui respectent le
principed'adéquation.La correction ne peutêtredéfinieque par rapportà la
notiond'un sujetqui est engagédans le monded'une certainefaçon.
En proposant la méthodedes scenarii,Peacockesystématise une idée straw-
sonienne,à savoirque la consciencede soi (laquelle est présentedans la per-
ception)correspond à la positionque le corpsparticulier que je suis occupe et
tientparmiles autrescorpsqui environnent ce corps,et qui, donc,m'environ-
nent.Peacockeenvisageune méthodede description systématique et de mise
en sériede ce qu'il appelle des « scenarii» : l'idée est d'êtreen mesurede
décrirele contenufondamental de l'expériencevisuelle,ce contenurendant
correctou nonle contenureprésentationnel de l'expérienceperceptive du sujet.
En effet,à chaque fois qu'il est questionde contenu,il est questionde la
correctionou nonde ce contenu.Mais commentarriver à une conditiond'adé-
quationsansqu'il y aitcircularité, sans,notamment, employer les mêmestermes
quandje décrisce qui estla condition? Peacockeproposela solutionsuivante:

...je suggère
qu'uneformebasiquede contenu peutêtreindividuée
représentationnel
en spécifiant
quellesmanièresde remplirl'espaceautourdu sujetpercevantsont
avecla correction
consistantes ducontenu [1992,
représentationnel. p. 61.]

On peutainsidéfiniruntypespatial.Pourcaractériser ce type,Peacockepropose
d'utiliserun systèmeavec uneorigineet des axes,fixéesselonle corpsdu sujet
percevant. Peacocke soulignequ'on peut ainsi rendrecomptede différences
phénoménologiques, que cela n'estpas purement arbitraire.
C'est d'ailleurspour
cetteraisonqu'il donnel'exemplede Buckingham Palace. Peacocke est alors
en mesurede définir ce qu'il entendpar un « scénario» :

Jesuismaintenantenposition de dire,aveclégèrement plusdeprécision, ce quel'un


destypesspatiaux est.C'estunemanière de localiserdes surfaces,
des traits,
et le
en relation
reste, avecuneorigine étiquetée et unefamille d'axes.J'appelleun tel
typespatialun« scénario». [Ibid.,p. 64.]

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2 12 Alsaleh
Christophe

Toutcela a principalement pourbutde trouver les conditions pourqu'uncontenu


représentationnel soitcorrect: « avec cetappareil,nouspouvonsdirece qui est
requispourla correction d'un contenureprésentationnel, du genrede celuique
j'examine» {ibid.).
Le problèmeestsimplement qu'on n'estpas suffisamment armépourjugerde
la correctiond'un contenureprésentationnel si on n'estpas en mesurede rendre
comptede l'expérienced'un sujeten dehorsde ce qui lui apparaîtvisuellement.
Dans le cas de meublesobservéstantôt avecunœilclos,tantôt avecles deuxyeux,
la représentation avecunœilclos estcorrecte en soi. Il estnormalque le sujetait
la représentation qu'il a, parcontre, il auraittorts'il faisaitle jugementque,par
exemple,les deux chaiseset la table sontalignées.Pour parvenirà faireces
distinctions,pourparvenir à jugerde la correction d'uncontenureprésentationnel
en dépassantla thèsed'adéquation,il fautêtreen mesurede décrirele contenu
nonconceptuelde l'expérience,et de le faireselonune méthodeet des termes
appropriés. Et il estmêmenécessairede supposerque les conceptsmisen œuvre
pourdécrirel'expériencedu sujetn'ontpas besoind'êtrepossédésparle sujet
lui-même, etqu'il peutdoncs'agird'uneexpérience nonconceptuelle. Peacocke
exprimecetteidée de la manièresuivante:

II estcruciald'observerque le faitque Tonutiliseunconcept le scénario


en fixant
n'impliquepasquele concept lui-même estplusou moinsuncomposant ducontenu
représentationnelde l'expérience, doitposséderle
ni que le sujetd'expériences
concept.[Ibid.,p. 68.]

Ces scenariiontpourobjetde schématiser nonpas simplement la positiond'un


sujetdansle monde,maissonengagement en tantque sujetd'expériences. Cette
méthodeestcenséecernerle domainedes expériences qu'il estcorrectd'avoir,
étantdonnéce qui peutapparaître au sujetcommeétantde telleou tellemanière,
en ne se limitant pas au seul contenureprésentationnel. Le problèmeest de
savoirsi nous acceptonsla possibilitéde rendrecomptede cetteconditionde
correctionsanssavoiroù en estle sujet,parrapport à l'exercicede ses capacités
de discrimination.Il estfortementpossibleque,étantdonnéunesériede scenarii
(et, pourquoipas, une méthodepourdéduireles scenariiles uns des autres
d'aprèsles mouvements d'un sujetet des corpsprésentsdans son envi-
relatifs
ronnement), il n'en résulteriend'autrequ'une indétermination, dansla mesure
où les conditions de correctionpeuventvarierselonle degréde précisionexigé
(degréqui se répercutesur la manièredonton va évaluerl'exercicede la
discrimination).
Nous interprétons deuxpassagesde Senseand Sensibiliaselonce problème.

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L'usage des sens 213

... quandl'hommede la ruevoitsurune scènede music-hall« la femmesans tête»,


ce qu'il voit(etceci estvraiment ce qu'il voit,qu'il le sacheou non)n'estpas quelque
chosed'« irréel» ou d'« immatériel », maisune femmevue surun fondnoir,avec la
têtedansun sac noir.[Austin1962,p. 14.]
dans la manièrede décrirece qui est vu proviennent
... les différences trèssouvent,
nonpas simplement de différences dans notresavoir,dans la finessede la discrimi-
nation,dans notrepropensionà nous exposer,ou dans notreintérêtpourtel ou tel
aspectde la situation totale,elles peuventaussi provenir du faitque ce qui est vu est
vu différemment, vu commececi plutôtque commecela. Et parfoisil n'y aura pas
qu'une seule manièrecorrectede décrirece qu'on voit,pourla raisonqu'il peutne
pas existerde manièrecorrectede la voir. [Op. cit.,p. 101 ; traduction française
légèrement modifiée.]

Ces deuxpassagessontapparemment contradictoires.Dans le premier, Austin


prétendqu'il y a une manière de trancher sur ce que l'homme de la rue voit,
quand il assisteau numéro de « la femme sans tête» ; dans le second, Austin
affirme qu'il n'y a pas qu'une seule manièrede décrire,« pourla raisonqu'il
ne peutpas existerde manièrecorrectede la voir». Ces passagesne sonten
réalitépas contradictoires. Dans le cas de la « femmesans tête», nous savons
ce que doitvoirquelqu'un,s'il regardebience qu'il en est,s'il ne se laisse pas
prendrepar les trucsdu prestidigitateur. Il n'y a pas de raisonqu'il ne puisse
pas se rendre compte de ce qu'il a réellement devantles yeux(qu'il le sache
ou non).Il y a toujoursun moyende lui montrer que ce qu'il a devantles yeux
n'estque ça, et qu'en définitive ce qu'il voyaitn'étaitque ça. Mais le direne
préjugeen riende la conditionde correction de ce que l'homme(sous le coup
de l'illusion,qui se laisse guiderpar le prestidigitateur, qui ne voitfinalement
ce le veut
que que prestidigitateur qu'il voie) voit.Dans ce cas, il diraqu'il voit
« une femmesans tête». Il ne fautcependantpas supposerune scène S' sup-
plémentaire, provoquéepar la scène S réelle,dans la mesureoù l'on devrait
encoresupposerla possibilitéd'une scèneS", etc.Le faitestque celui qui est
sous le coup de l'illusionet celui qui ne l'est pas, qui connaîtles trucsdu
prestidigitateur, voientlittéralement la mêmechose.

Il n'estpas sansintérêt
de noter d'entre
que plusieurs les exemples
que nousavons
rencontrés dans d'autrescontextesnous donnentl'occasion d'employerla formule
« voir...comme». Au lieu de direque, à l'œil nu, une étoile éloignéea le même
aspectqu'une tacheminuscule, ou apparaîtcommeune tacheminuscule,nouspour-
rionsdirequ'elle est vuecommeune tacheminuscule; au lieu de direque, vue de la
la femmedontla têteest dans un sac noirparaîtêtredécapitée
salle de music-hall,
ou qu'elle a le mêmeaspectqu'une femmedécapitée,nouspourrions direqu'elle est
vue commeune femmedécapitée.[Ibid,]

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214 Alsaleh
Christophe

Mais s'il y a un sensoù nouspouvonsdireque deuxpersonnesvoientla même


chose,qui obéità la thèsed'adéquation,ceci ne rendpas comptecorrectement
de ce qui est vu. Peacockeproposela méthodedes scenarii,et Austinsuggère
de s'accordersur l'utilisationde l'expression« voir...comme». Nous avons
expliquépourquoila conceptionde Peacockene nous paraîtpas satisfaisante.
Austin,cependant,suggèreque l'utilisationde l'expression« voir...comme»
permetde rendrecomptedes différences dansla manièrede décrirece que nous
percevons(là où nous percevonscependantla mêmechose),là où cettediffé-
rencene provientde riend'autreque du faitque, parfois,ce qui est vu est
vu-comme.
Il n'est pas sûrque cettesuggestionsoitjudicieuse.Il n'est pas nécessaire
de supposerune sortede deuxièmevoir,le voir-comme, justement. Il suffit
de
mettre en avantles capacitésde discrimination.Les différences d'exercicede
la discrimination (et égalementde la reconnaissance)peuventtrèsbienrendre
comptede la manièredontnousdevonsévaluerla correction des contenus, sans
pourautantavoirà nousplierà la thèsed'adéquation.La suggestion d'employer
l'expression« voir...comme» peutêtresuivie,en ce qui concernela distinction
entrela donnéede ce qui est vu (qu'on le sache ou non) et ce qui est vu, sur
la base de quoi un sujetva pouvoirexercersa capacitéde reconnaissance plus
ou moinsjudicieusement. Mais elle ne peutpas servirà rendrecomptede la
correction du contenului-même.Ce n'estpas parceque nous voyonsun item
commeunefemmesanstêtequ'il estcorrectde voirunefemmesanstêtelà où
il n'y a pas de femmesanstête,maisunefemmesurun fondnoir,avec un sac
noirsurla tête.

Alsaleh
Christophe
Paris I

RÉFÉRENCES

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telianSociety,reprisdans Austin1979,p. 32-54.
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Society,reprisdans Austin1979,p. 134-153.
- (1962), Sense and Sensibilia,reconstructedfromthemanuscript notesby Warnock
G. J.,Oxford,OxfordUniversity Press; trad.Paul Gochet,Le Langagede la percep-
tion,Paris,ArmandColin, 1972.

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L'usage des sens 215

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