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Histoire des conceptions philosophiques du vivant

C. Lefève

I. La philosophie aristotélicienne de la vie : Aristote (384 av. J. –C. – 322 av. J. –


C. )
1. Le vivant, modèle de la physique aristotélicienne
- Avec Aristote, la philosophie se définit d’abord comme science de la nature : elle
s’identifie avec la physique (phusis de phuein : pousser, croître).
- La physique est l’étude des êtres naturels : ceux-ci sont définis, d’une part, comme
changeants et, d’autre part, comme possédant en eux-mêmes le principe de leur
changement.
Les notions de matière, de forme :
- Le changement chez Aristote désigne : 1° la génération et la corruption ; 2°
l’accroissement et la diminution (changement de quantité) ; 3° l’altération (changement de
qualité) et 4° le transport (changement de lieu).
- L’être naturel possède en lui-même sa capacité de changement.
Le changement se définit comme une puissance qui tend vers une réalisation pleine et
entière, une actualisation, une perfection. Cette actualisation, c’est l’accomplissement
de la nature, de l’essence de l’être.i
Par conséquent, le changement ne peut être pensé que relativement à la nature des
corps mûs.
Par ex. une plante change, elle pousse jusqu’à ce qu’elle ait atteint son plein
développement.
Le mouvement naturel des corps terrestres est dirigé vers un lieu naturel où le corps
actualise sa nature.
Par ex. , pour le mouvement local : un corps terrestre ou grave abandonné à lui-même tend
naturellement vers le bas, tend à rejoindre le centre du monde vers lequel son essence de
grave le porte.
Un corps léger tend naturellement à rejoindre le haut, càd le Ciel.
Par ex. le feu va spontanément vers le haut et la pierre vers le bas jusqu’à ce qu’ils
aient trouvé leurs lieux naturels.
Ces tendances sont des qualités absolues des corps.

- Tout être naturel se trouve constitué d’une matière et d’une forme  : la matière est
une puissance presque totalement indéterminé. L’être naturel reçoit sa réalisation
pleine et entière et sa définition de la forme, de l’idée ou de l’essence (eidos).
Par ex. , la nature fait du bois un chêne en fonction de la forme, de l’idée ou de l’essence du
chêne que tous les chênes ont en partage. La forme ou l’idée de chêne est ce qui guide le
devenir de l’arbre.
Ce qui définit un être naturel, ce n’est pas sa matière mais la forme à laquelle tend son
devenir.

- C’est le devenir de l’être vivant, sa croissance, sa génération et son altération qui


constitue le principe d’intelligibilité de tous les êtres naturels ou physiques. Par
conséquent, chez Aristote, le vivant constitue le modèle de l’être naturel. Par
conséquent, la science des vivants constitue le modèle de la physique et elle en fait
partie.

2. L’animisme aristotélicien : l’âme principe de vie


a. Les fonctions de l’âme et les caractéristiques du vivant
- Ce qui distingue, le vivant de l’inanimé ou de l’inerte, c’est la possession d’une âme. Dans
le vivant, l’âme est le principe du mouvement, déplacement local, accroissement, altération.
L’âme est le principe de la vie : dans le vivant tout tend à la pleine réalisation d’une âme, càd
à la pleine actualisation de toutes les fonctions du vivant.
L’âme constitue la forme, la fin ou l’acte du vivant dans lequel s’actualise pleinement
sa puissance. L’âme est l’acte du corps vivant. L’âme est l’exercice même des
fonctions vitales.

- La vie consiste dans l’unité de l’âme et de du corps.


De même que la matière et la forme n’existent pas séparément, le vivant est composé
d’un corps et d’une âme qui sont inséparables.
Le corps n’est vivant que par l’âme : c’est l’âme qui définit le corps comme vivant. De fait,
d’une part, l’âme implique le corps en tant que celui-ci est vivant : il n’y a pas de sens
à penser l’âme séparément du corps qu’elle rend vivant et, d’autre part, le corps vivant
ne peut se concevoir sans l’âme qui lui donne la vie.
Chez Aristote, il n’y a donc pas d’union de l’âme et du corps, comme ce sera plus tard,
au XVIIème siècle, le cas chez Descartes, mais une unité de l’âme et du corps.
« Ce n’est pas le corps séparé de son âme qui est en puissance capable de vivre :
c’est celui qui la possède encore. » De l’Ame, II, 1, 412 b 25

- Les caractéristiques du vivant en général, communes au végétal et à l’animal, sont les


capacités de changer par soi-même, de croître et de se reproduire. Elles sont imputables à
l’âme végétative ou nutritive.ii
- Les caractéristiques propres à l’animal sont les facultés de sentir, de désirer et de se
mouvoir, imputables à l’âme sensitive ou animale. L’animal se distingue de la plante par sa
faculté de sentir. La sensation implique le désir, en effet, elle implique la perception du plaisir
et de la douleur et, par conséquent, l’appétit ou le désir pour l’agréable. C’est parce que
l’animal est sensible qu’il est désirant, qu’il cherche le plaisir et fuit la douleur et, finalement,
qu’il se meut. C’est le désir qui rend raison de la locomotion.
- L’âme raisonnable ou pensante (nous) constitue la faculté propre à l’humanité.
- Ce sont des facultés et non des parties de l’âme, puisque chaque faculté supérieure
implique l’inférieure.

b. La connaissance du vivant fondée sur les notions d’acte, de forme, de finalité


(cause finale) et de fonction.

- La philosophie aristotélicienne du vivant propose une explication du vivant par sa


finalité ou par ses causes finales.

- Toute définition chez Aristote consiste dans une explication par les causes : définir une
chose consiste à en donner les causes.
Pour toute chose, Aristote distingue 4 causes : la cause matérielle, la cause
efficiente, la cause formelle et la cause finale. (Physique, II, ch. III et Métaphysique, )
On prend souvent l’exemple de la statue d’Apollon : 1° sa cause matérielle consiste
dans la matière, l’airain ou le bronze, dont elle est faite ; 2° sa cause formelle consiste dans
l’essence d’Apollon (la forme (eidos), le modèle, l’essence d’une chose) ; 3° la cause
efficiente de la statue consiste dans ce qui fait commencer le mouvement qui la produit : le
sculpteur et 4° sa cause finale, ce pourquoi la statue est faite est le Beau.

- Avec Aristote, se met en place l’opposition entre le mécanisme et le finalisme : cette


opposition est centrale pour la philosophie et pour les sciences du vivant.
- Le mécanisme est le principe d’explication des phénomènes qui privilégie la cause
efficiente : il explique ce qui suit par ce qui a immédiatement précédé.
- Le finalisme est le principe d’explication des phénomènes qui privilégie la cause
finale : il explique un processus par ce à quoi il tend.
Aristote défend une philosophie finaliste ou« téléologique » (du grec télos : fin) du
vivant.

Dans l’être vivant, la cause finale prime sur les 3 autres : les phénomènes du vivant
s’expliquent à partir de la fin, de la fonction ou du but auxquels ils concourent dans
l’organisme. Pour connaître et expliquer les phénomènes du vivant, il faut d’abord
connaître « ce en vue de quoi » ils existent.
Aristote critique l’explication du vivant par les causes efficientes.
Par exemple, la santé de l’organisme n’est pas une conséquence, le résultat mécanique d’un
antécédent, d’une cause efficiente, mais c’est la fin qui explique les phénomènes organiques
qui y concourent (cause finale). (cf. sur l’exemple de la santé texte du haut de la p. 40)iii
Cf. Parties des animaux, I: « Il semble que la première cause soit celle que nous
appelons « en vue de quoi » ; en effet, elle est « raison » et la raison est principe. »
Cf. Parties des animaux, I, 5, 645 b 19 : « Le corps tout entier existe en quelque sorte
pour l’âme et chacune des parties pour la fonction qui lui est naturelle. »

- De fait, la causalité dans le vivant ne réside pas dans l’agencement de ses éléments
matériels. Seules les notions de forme et de finalité peuvent rendre compte du vivant
comme totalité et comme fonctionnement.
« La nature formelle a plus d’importance que la nature matérielle. »

Cela correspond à la nécessité de rendre compte de la totalité, de l’unité indivisible du


vivant. En effet, une partie de l’organisme constitue un organe (organon = outil) dont la
fonction particulière est subordonnée au fonctionnement du tout. On ne peut
connaître les organes qu’à partir de leur fonction et de leur finalité dans l’organisme et
qu’en fonction du tout qu’ils constituent. L’organisation vivante est un tout irréductible à la
simple juxtaposition des parties qui le composent.

- En outre, l’explication mécaniste ne peut rendre compte de la permanence de la


forme de l’organisme au travers des générations : un gland donne un chêne, un petit
d’homme donne un homme. La forme est ce que les individus d’une même espèce ont
en partage et se maintient de génération en génération. La fixité de l’espère atteste de
la primauté de la forme et de la finalité dans l’explication du vivant.

 Pour faire comprendre que la nature du vivant réside dans sa finalité, Aristote le
compare à un objet fabriqué par l’homme.
NB : Aristote distingue cependant l’objet technique de l’être vivant : la finalité qui
préside à l’existence de l’objet technique lui est extérieure : elle réside dans l’esprit de celui
qui l’a produite et dans l’esprit de celui qui l’utilise. La finalité de l’être vivant qui est la cause
de son existence lui est au contraire intérieure.
Aristote prend l’exemple de la maison : la cause première de la maison qui en définit la
nature, c’est la finalité de la maison : l’habitat (cause finale) qui guide l’architecte
Cf. Les Parties des animaux, I, 38-39 : la première cause de la maison est ce en vue
de quoi la maison est faite, c’est cette finalité qui guide l’architecte.
De même, Aristote prend l’exemple d’un trou fait par un charpentier : la nature du trou
n’est pas définie par le contact de l’outil et du bois (cause efficiente), mais par l’intention et
par la visée du charpentier (cause finale).
Cf. Aristote, Les Parties des animaux, I, pp. 41-43 : « Le charpentier parlerait peut-
être de sa hâche et de sa tarière, comme eux font de l’air et de la terre ; seulement, il
parlerait mieux ; il ne lui suffirait pas de dire qu’au contact de son outil se produit tantôt
un trou, tantôt une surface plane, mais il dirait aussi pourquoi il a donné tel coup et en
vue de quoi – il dirait la cause qui fait que telle ou telle chose prend sa forme. Ce qui
manifeste que ces naturalistes ont tort et qu’il faut parler de la nature d’un animal, de
ce qu’il est, de ses qualités et de chacune de ses parties, comme on parle de la forme
d’un lit. »
Enfin, Aristote prend l’exemple d’outils comme la scie. L’essence de la scie, c’est l’action
de scier, c’est l’action en vue de quoi elle a été produite (cause finale) et non la matière de
bois et de fer dont elle est faite (cause matérielle), ni le geste par lequel l’artisan l’a produite
(cause efficiente).
« La fin, c’est l’action, il ressort que le corps tout entier est constitué en vue d’une
action totale. L’action de scier, en effet, n’est pas faite en vue de ce qui l’opère, mais
c’est ce qui l’opère qui est en vue de l’action de scier, car scier c’est précisément une
action. » Aristote, Les Parties des animaux, livre I, trad. J. – M. Leblond, Paris, GF,
1995, pp. 59-60.
De la même manière, la nature de l’œil, c’est la vue, c’est la fonction de voir, c’est l’acte
de voir, et non la matière de l’œil. Ainsi Aristote écrit que l’âme de l’œil est la vue.
Cf. Aristote, De l’Ame, II, 1, 412 b – 413 a, trad. E. Barbotin, Paris, Gallimard, TEL,
1989, pp. 40-41 : « Si l’œil était un animal indépendant, son âme serait la vision. L’œil
lui-même (considéré dans sa structure) est matière de la vision. Celle-ci disparue, il
n’est plus œil que de nom. »

- NB : La forme de l’être vivant ne consiste pas dans sa figure spatiale, dans son aspect
extérieur (morphé), mais dans son essence, son idée (eidos).
Ex. : cf. Aristote, Les Parties des animaux, I, pp. 41-43 : De même, une main sculptée
présente la même forme qu’une main vivante ; cependant, elle ne remplit pas sa fonction de
préhension : elle n’est donc pas une main.
Le cadavre présente la même forme que l’homme vivant et pourtant, puisque l’âme et la vie
l’ont quitté, il n’est ni un vivant, ni, de fait, un homme. Il lui manque, l’activité, l’exercice des
fonctions de vivant.

Ainsi il existe une identité entre la forme, la fonction, la fin et l’acte du vivant  : la forme
ou l’essence du vivant est sa fonction, son activité accomplie, sa finalité.
II. Le mécanisme de Descartes (1596-1650) et le problème de la
connaissance du vivant :

1. La révolution scientifique de l’âge classique : La rupture avec la physique


aristotélicienne et la physique mathématique de Galilée (1564-1642)

- En 1543, paraît le De Revolutionibus orbium caelestium de l’astronome polonais


Copernic (1473-1543) qui ébranle la physique d’Aristote selon laquelle la terre est fixe, au
centre du monde, et qui formule l’hypothèse selon laquelle la terre tourne autour du soleil qui
est fixe et constitue le centre du monde.

- Aristote distinguait dans le cosmos deux mondes : le monde céleste ou monde des
astres dont le mouvement circulaire est éternel, et le monde terrestre ou monde du
devenir, du changement.
Le mouvement des astres est causé par Dieu, qui est le premier moteur, pure forme, acte
pur sans matière. Le Cosmos antique puis le Cosmos médiéval était conçu comme le corps
le plus parfait, doté d’une forme sphérique, clos, fini et centré sur la terre.
Les changements et mouvements terrestres, définis par le passage de la puissance à l’acte,
constituent des imitations nécessairement imparfaites du mouvement céleste et de la
perfection divine, parce qu’ils ont lieu dans le monde matériel qui est voué à
l’indétermination.
Par conséquent, le mouvement chez Aristote n’est indifférent à la nature du mobile et
le mouvement dans le ciel et sur la terre n’est pas soumis aux mêmes règles.

- C’est à l’astronome et physicien Galilée que l’on doit l’origine de la science


classique : il renouvelle la philosophie de la nature en en critiquant les fondements
hérités d’Aristote, à savoir la cosmologie géocentriste, d’une part, et, d’autre part, la
théorie du mouvement.

- Galilée pose la notion de mouvement inertiel qu’il substitue à la notion


aristotélicienne de mouvement naturel : Galilée pose le principe de conservation du
mouvement acquis : si un moteur est nécessaire pour provoquer un mouvement, la
continuation indéfinie du mouvement exige seulement qu’aucun obstacle ne survienne. Le
mobile est en mouvement uniforme, ni décéléré, ni accéléré. Le mouvement est un état
des choses qui se conserve indéfiniment.
Le mouvement et le repos sont des caractères extrinsèques à l’objet considéré : le
même corps peut être considéré en mouvement ou en repos selon les points de
référence que j’adopte, ces états sont indifférents au corps.
Conclusion :
1. Le mouvement est réduit au déplacement dans l’espace.
2. Il n’y a donc pas à chercher les causes du mouvement, mais les causes de la
variation du mouvement d’un corps.
3. Le mouvement n’est pas imputable à une qualité intérieure des corps. La
connaissance du mouvement n’est pas tributaire de la nature du corps mû.
Galilée s’affranchit de la représentation aristotélicienne du mouvement : il fait du
mouvement un état, et non plus un processus, une actualisation ou un
accomplissement.
4. Enfin, contre Aristote, la même physique s’applique sur la terre comme aux cieux
et, par conséquent, une théorie géométrique de la physique, formulée dans le langage
des mathématiques, ignorante de la nature des corps, est légitime.iv

- Galilée formule la première loi scientifique de la physique, loi qui porte son nom et
qui lie la durée de la chute d’un corps à l’espace parcouru. Galilée formule le premier
invariant scientifique d’expression mathématique.

- Enfin, la théorie galiléenne du mouvement fonde l’astronomie copernicienne et réfute


la cosmologie héritée d’Aristote. Galilée établit que l’hypothèse copernicienne de
l’héliocentrisme est une vérité physique.
Galilée observe à la lunette 1° les mouvements de quatre satellites autour de Jupiter, de là il
peut conclure que la Terre n’est pas le seul astre autour duquel se meuvent d’autres astres ;
2° il observe les montagnes, vallées et océans à la surface de la Lune et le caractère
changeant des tâches sur le Soleil : ainsi est remise en cause l’idée de l’hétérogénéité
entre la Terre d’une part et les astres célestes, la Lune et le Soleil, d’autre part. Ces derniers
sont aussi soumis aux changements.
3° il observe la multitude des étoiles de la Voie lactée qui, au lieu de se répartir sur une
surface sphérique, sont distribuées en profondeur sur le plan de la Voie lactée.
Ainsi sont remises en cause la sphéricité et la finitude du monde. Or, sans finitude,
plus de centre, la cosmologie aristotélicienne selon laquelle le monde était sphérique
et clos s’effondre.
4° il montre que seul le mouvement de la terre autour du Soleil et sur elle-même peut rendre
compte des marées : traitant la terre comme un contenant, Galilée établit d’abord qu’en vertu
du principe de conservation du mouvement acquis, les marées ne peuvent avoir d’autre
origine qu’une variation dans le mouvement de ce contenant ; se plaçant ensuite dans le
perspective de Copernic, il montre comment la rotation diurne, en inversant périodiquement
l’effet du mouvement annuel, entraîne les marées. Ainsi Galilée apporte une preuve
physique et mécanique du copernicianisme.
En 1632, l’ouvrage Dialogues sur les deux plus grands systèmes du monde qui
démontre la vérité physique de la thèse de Copernic est déféré devant l’Inquisition et
Galilée est condamné à abjurer en 1633.

Conclusion :
- La révolution scientifique de l’âge classique constitue un passage du monde clos à
l’univers infini. Toute différence ontologique est bannie entre les choses du ciel et les
choses de la terre, ce qui permet de fonder une physique unifiée et une science
mathématisée du mouvement.
- En conséquence, toute différence ontologique est également bannie entre les choses
inertes et les êtres vivants.
C’est sur le fondement de ce décentrement et de cet éclatement du Cosmos que le
mécanisme au XVIIème s. répudie toute considération relative à la finalité, parle du
vivant sans faire référence à « la vie », ni à l’âme, et en recourant seulement à la
physique et à la chimie.

2. Le mécanisme de Descartes :

- Au XVIIème s. , la philosophie de Descartes se situe dans la continuité de la physique


galiléenne et rompt avec la philosophie de la vie aristotélicienne, animiste et finaliste.
Elle prétend unifier les sciences de la nature : inerte et vivant sont régis par les mêmes lois :
les lois de la physique mécanique
- Le mécanisme réduit tous les changements inhérents au vivant à des mouvements
locaux, à des déplacements spatiaux de la matière. La distinction entre l’inerte et le vivant
tient seulement à la diversité des mouvements de la matière.
- Plus tard, au XIXème s. , le mécanisme désignera la conception philosophique qui
privilégie la cause efficiente : ou déterminisme. C’est le terme de déterminisme que l’on
trouve par exemple dans les textes du physiologiste français du XIXeme siècle C. Bernard.

a. La distinction cartésienne de l’âme pensante et du corps


- Contrairement à Aristote qui faisait de l’âme le principe de la vie, Descartes dénie toute
fonction biologique à l’âme qui est seulement le principe de la pensée. L’âme est la
substance ou la chose pensante (res cogitans) et elle est immatérielle.
- Descartes définit le corps comme une portion de l’étendue, délimitée en longueur,
largeur et profondeur.v L’essence des corps est la substance étendue. Contrairement
à Aristote, Descartes définit le corps par sa configuration spatiale, par sa figure, par
sa forme (morphe) et par son mouvement, strictement spatial.
- Par conséquent, la vie n’est pas définie par la présence de l’âme, ni par l’actualisation
d’une forme vitale.

- Le problème de l’union de l’âme et du corps  : Pour Descartes, l’âme et le corps sont


deux substances distinctes.vi Dès lors, deux questions se posent à la philosophie
cartésienne : comment penser la sensibilité, les sensations, les sentiments, les passions, le
pouvoir de pâtir, c’est-à-dire l’influence sur la pensée du corps, l’influence de la substance
matérielle sur la substance immatérielle ? Comment penser la volonté, le pouvoir de
mouvoir, c’est-à-dire l’influence de l’âme sur le corps, l’influence de la substance
immatérielle sur la substance matérielle ?
Descartes a proposé le modèle d’une interaction de l’âme et du corps au travers de la
glande pinéale qui est le siège de l’âme (qui anatomiquement correspond à l’épiphyse).
Par conséquent, de manière paradoxale, le dualisme cartésien est à l’origine du
matérialisme qui fait procéder, voire réduit les facultés de la pensée à des effets de la
matière cérébrale. (cf. sur ce point par exemple C. Jacquet, Le Corps, PUF, 2001, p.
123 et sqq)

b. La théorie de l’animal-machine
- La physiologie mécaniste de Descartes est exposée dans son Traité de l’homme, rédigée
probablement vers 1632 et publiée de manière posthume en latin 1662, en français 1664, et
dans le Discours de la méthode, 5ème partie, 1637.
- Par conséquent, le corps vivant est assimilé à une machine.
La théorie de l’animal-machine est une hypothèse qui a pour visée d’affranchir la
physiologie de l’animisme aristotélicien.
Descartes, Principes de philosophie, IV, art 203  : « Je ne reconnais aucune différence
entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule
compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l’agencement de
certains tuyaux ou ressorts ou autres instruments qui sont toujours si grands que leurs
figures ou mouvements se peuvent voir, - au lieu que les tuyaux ou ressorts qui
causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus
de nos sens. »
Cette hypothèse est présentée comme une fiction, pour échapper aux accusations de
matérialisme de la théologie qui défend l’immatérialité et l’immortalité de l’âme.
- Cette théorie du vivant prend pour modèle les automates inventés au XVIIème s. ex.
montres, horloges, fontaines artificielles des jardins royaux de Saint Germain en Laye.
- La théorie de l’animal-machine exclut tout recours aux causes finales et privilégie
l’explication par les causes efficientes et par les causes matérielles. Les fonctions du
vivant autrefois attribuées par Aristote aux âmes nutritive et sensitive, la digestion et la
respiration, d’une part, et, d’autre part, la sensibilité et la motricité, enfin l’imagination et la
mémoire ne s’expliquent que par des causes mécaniques : par les mouvements matériels et,
en particulier, par les mouvements du sang à l’intérieur du corps.
R. Descartes, L’Homme, in : Œuvres philosophiques, éd. F. Alquié, t. I, pp. 479-480 :
« Je désire, dis-je, que vous considériez que ces fonctions suivent toutes
naturellement, en cette machine, de la seule disposition de ses organes, ne plus ne
moins que font les mouvements d’une horloge, ou autre automate, de celle de ses
contrepoids et de ses roues ; en sorte qu’il ne faut point à leur occasion concevoir en
elle aucune âme végétative, ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de
vie, que son sang et ses esprits, agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement
dans son cœur, et qui n’est point d’autre nature que tous les feux qui sont dans les
corps inanimés. »

- Les principes mécaniques de la vie :


- La force motrice qui cause les mouvements dans l’organisme, c’est la chaleur du coeur,
équivalent du ressort de l’horloge.
Le feu est un mouvement local, un déplacement très rapide de particules matérielles.
Ce feu est entretenu par le sang et par les aliments.vii
La vie est une chaîne de mouvements matériels et locaux dus à la chaleur du cœur qui
est lui-même un phénomène matériel et mécanique.

c. Le problème de la finalité interne du vivant et le recours à Dieuviii


- Néanmoins, le mécanisme n’exclut pas le recours à la notion de finalité.
En effet, pour penser la formation du vivant, son unité, l’unité de ses fonctions, le mécanisme
recourt à l’existence de Dieu mécanicien ou ingénieur de la machine vivante.ix
- Par conséquent, le mécanisme recourt à une finalité extérieure au vivant. Alors qu’il
s’oppose au finalisme, mais il est hanté par lui et place la finalité en Dieu. x (cf. sur ce
point CANGUILHEM, G. , « Machine et organisme », La Connaissance de la vie (1952),
rééd. Paris, Vrin, 1965, pp. 101-127)
G. Canguilhem, « Machine et organisme », La Connaissance de la vie, p. 114 : « Si le
fonctionnement de la machine s’explique par des relations de pure causalité, la
construction de la machine ne se comprend ni sans la finalité, ni sans l’homme. »

d. La conception mécaniste du vivant


- Aux XVIIème et XVIIIème s. , de nombreux physiologistes s’engagent dans la mécanisation
du vivant : on les appelle les iatrophysiciens ou les iatromécaniciens. Ils trouvent dans la
philosophie cartésienne un modèle qui guide leur recherche expérimentale : étude de la
locomotion et calcul de la force des muscles (Borelli), naissance de l’anatomie
microscopique (Malpighi).
- Le mécanisme cartésien, la réduction de la biologie à la physique ont eu une valeur
de modèle théorique pour la connaissance du vivant. Le mécanisme marque le
passage de la physiologie d’une spéculation animiste à une ambition scientifique.
Ex. médecin iatromécanicien Baglivi Praxis medica (1696) : « Examinez avec quelque
attention l’économie physique de l’homme : qu’y trouvez-vous ? les mâchoires armées
de dents, qu’est-ce autre chose que des tenailles ? L’estomac n’est qu’une cornue ; les
veines, les artères, le système entier des vaisseaux, ce sont des tubes hydrauliques ;
le cœur est un ressort ; les viscères ne sont que des filtres, des cribles ; le poumon
n’est qu’un soufflet ; qu’est-ce que les muscles ? Sinon des cordes. Qu’est-ce que
l’angle oculaire ? Si e n’est une poulie et ainsi de suite. (…) (Ce n’est pas
contestable) que tous les phénomènes (de la nature) doivent se rapporter aux
lois de l’équilibre, (…) à celles de la corde, du ressort et autres éléments de la
mécanique. » (cité par Canguilhem « Machine et organisme » et par D. Lecourt, art.
« Vitalisme et mécanisme », Dictionnaire d’histoire et de philosophie des sciences,
PUF, 1999)
Néanmoins, le mécanisme cartésien pose problème car il est réductionniste  : il nie la
spécificité du vivant et de ses lois.

3.Les limites du mécanisme : la vie comme organisation et le vivant comme


organisme. L’idée kantienne de « finalité sans fin »

- Le philosophe allemand du XVIIIème s. E. Kant, dans La Critique de la faculté de juger §


65, montre l’insuffisance du mécanisme et récuse l’assimilation de l’organisme à une
machine.

- Kant reprend l’exemple de la montre cher à Descartes.


La montre ne se construit pas elle-même. La cause productrice de la montre réside
dans l’idée de la machine et dans l’esprit de l’ingénieur qui lui est extérieure. Chaque
pièce de la machine existe pour les autres parties et pour le tout de la machine : mais
aucune n’est produite par une autre, ni par le tout.xixii
Dans la montre et la machine, les parties sont des instruments agencés en vue d’une
finalité préexistante et extérieure à la machine.
Au contraire, l'organisme vivant se définit par sa capacité d'auto-organisation ou
d'auto-formation.xiii Or le mécanisme ne permet pas de penser le processus d’auto-
formation, d’organisation du vivant.
Chaque organe du vivant existe pour les autres organes, mais il est aussi produit par eux.
Par ex. une cellule peut en former une autre par division. xiv Par ex. le milieu intérieur ou
milieu intercellulaire est produit par les organes vivants, ce que C. Bernard découvrira au
XIXème s.
Les parties de l’organisme se produisent les unes les autres. L'organisme vivant se
produit lui-même comme tout ; contrairement à la montre, il a sa finalité à l'intérieur de
lui-même.

- La reproduction distingue irréductiblement la machine du vivant. La montre ne


produit pas d’autres montres ; c'est la reproduction qui manifeste le mieux l'auto-
organisation de la matière et l’intériorisation de la finalité naturelle.

- En outre, la conservation, la régulation et la réparation de la machine exigent la


surveillance et l’action de l’ingénieur. La montre ne se répare pas elle-même.xv
Kant souligne l’auto-régénération, l’auto-réparation et l'auto-régulation de
l’organisme : la repousse d’un végétal abîmé, la cicatrisation des plaies, la compensation
d'un manque par le développement d'autres fonctions ou d'autres organes, la capacité de se
soigner soi-même.xvi

- Par conséquent, les mouvements de la matière ne peuvent expliquer à eux seuls


l’organisation propre au vivant.xvii
Kant réhabilite l’idée de finalité pour caractériser le vivant  : les organes se produisent
les uns les autres en vue d'une fin, en vue du fonctionnement du tout.
Le vivant se définit donc pour Kant comme « finalité naturelle ».
Dans le vivant, les phénomènes sont réciproquement causes et effets les uns des
autres et, par conséquent, du tout.
Autrement dit, les phénomènes du vivant sont finalisés, interdépendants : ils sont à la fois
des moyens et des fins les uns des autres, de sorte qu’ils forment un tout.
Ex. : les feuilles sont les produits de l’arbre mais elles le conservent à son tour, ce sont les
moyens dont l’arbre dans sa totalité est la fin.

- Par conséquent, Kant met en valeur l’organicité, la totalité, l’individualité du vivant.


L'organisme doit être considéré comme un tout, irréductible à la somme de ses
parties et soumis à une cause finale  : il peut donc être défini comme "fin naturelle".
III. Le vitalisme :

- Au XVIIIème s. en opposition au mécanisme, les physiologues tentent de penser la


spécificité du vivant, sa distinction avec l’inerte.

1. L’animisme de G. –E. Stahl (1660-1734) :


Un chimiste allemand Stahl ressuscite l’animisme : il admet l’existence d’une âme qui régule
les échanges à l’intérieur du corps et qui en constitue la force conservatrice. Stahl réintroduit,
par conséquent, la finalité à l’intérieur du vivant. Sa théorie connut un succès considérable
dans les pays du nord de l’Europe.xviii

2. La médecine vitaliste au XVIIIème siècle :

a. La question de la spécificité du vivant au XVIIIème s. La recherche des


propriétés vitales essentielles (irritabilité/sensibilité)
- Au XVIIIème s. , les physiologues cherchent à définir les propriétés fondamentales du
corps vivant : certains pensent que c’est l’irritabilité : le fait pour une partie du corps de se
raccourcir si elle est touchée, d’autres comme les vitalistes pensent que c’est la sensibilité.
- Les vitalistes affirment
1. que le vivant est un organisme, un tout solidaire, une unité : l’organisme est constitué
de l’influence des fonctions organiques les unes sur les autres et le tout ne se réduit
pas à la somme des parties ;
2. que les éléments de l’organisme sont sensibles : les vitalistes attribuent à chacun des
organes une sensibilité particulière qui concourt à la sensibilité générale de
l’organisme. L’organisme est une totalité sensible ;
3. que, de fait, les phénomènes vitaux sont irréductibles aux phénomènes matériels,
physiques et chimiques et que le vivant déroge aux lois qui régissent les corps inertes. Les
vitalistes s’opposent donc au mécanisme. Ils affirment la spécificité du vivant et
l’autonomie des sciences de la vie au sein des sciences de la nature.

b. Le vitalisme de X. Bichat (1771-1802)


- Dans l’ouvrage du médecin, anatomiste et histologiste français Xavier Bichat, les
Recherches physiologiques sur la vie et la mort, paru en 1800, la vie est définie comme un
principe de résistance aux forces physiques qui tendent à la détruire. (R, I, art. I, § 1).
La vie est une force spéciale en lutte contre la nature matérielle qui, à l’extérieur de
l’organisme et à l’intérieur de l’organisme, tend à décomposer, à détruire l’organisme
et le mène à la mort.
La vie est définie par un conflit entre des propriétés spécifiques dites vitales (la contractilité
et la sensibilité des tissus pour Bichat) et la matière de l’organisme qui tend à se
décomposer.
La vie est définie comme lutte contre la mort et comme habitée par la mort.
- Les lois des corps inertes sont toujours identiques, elles sont constantes.
Les lois des corps vivants sont variables. En effet, la force vitale, la réaction du vivant contre
les forces physiques extérieures s’amoindrit avec l’âge, tandis que les forces physiques
demeurent identiques.
C’est cette variabilité des lois du vivant qui fait la difficulté et la spécificité de la connaissance
du vivant.
- Bichat distingue les lois de la physique et de la chimie, d’une part, et les lois de la vie
organisée, d’autre part. Son ambition est de fonder une science autonome et spécifique
du vivant.

Conclusion : Finalisme et vitalisme dans la philosophie biologique


contemporaine

- Ce sont des conceptions mécanistes qui animent les biologistes de la molécule dans les
années 1970 ; ainsi Jacques Monod écrivait que « la cellule est une machinerie chimique. »
(Le Hasard et la nécessité, p. 87)
Cependant le mécanisme implique le réductionnisme selon lequel le vivant se compose
d’éléments inertes et selon lequel le fonctionnement du vivant s’explique par les lois physico-
chimiques. Le mécanisme implique la réduction de la biologie à la chimie et à la physique.
- Cependant, la téléologie, fondée par Aristote, et les concepts de finalité et de
fonction, repris par Kant, sont aujourd’hui encore sollicités pour penser l’organisme
vivant, pour en rendre compte comme tout finalisé et pour faire reconnaître la
spécificité du vivant et de la biologie.
Comme le préconisait Kant, il apparaît nécessaire d’expliquer le mécanisme, les
causes efficientes des phénomènes organiques mais aussi de comprendre leur
finalité, leur fonction. Le mécanisme est nécessaire mais insuffisant.
Sur ce point, texte de G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, Essai sur quelques
problèmes concernant le normal et le pathologique (1943), Paris, P. U. F. , Quadrige,
1966, pp. 146-147 : « Mais à supposer qu’une explication complète des fonctions de la
surrénale soit possible, le jugement téléologique qui reconnaît la nécessité vitale de la
capsule surrénale garderait encore sa valeur indépendante, eu égard précisément à
son application pratique. L’analyse et la synthèse font un tout, sans se substituer l’une
à l’autre. Il est nécessaire que nous soyons conscients de la différence des deux
conceptions. »
- Il n’est plus aujourd’hui question d’affirmer l’existence d’une force vitale immatérielle.
Cependant, le vitalisme, qui affirme la spécificité du vivant et son irréductibilité par rapport à
ses structures et propriétés physico-chimiques, a trouvé une continuation notamment dans
les philosophies de la vie de Nietzsche, de Bergson et de G. Canguilhem (1904-1995).
- Le philosophe et médecin français Georges Canguilhem a fondé sa philosophie sur une
réflexion sur la maladie et la santé – Le Normal et le pathologique, titre de sa thèse de
médecine de 1943 – et il a dégagé des concepts spécifiques au vivant : les concepts de
norme et de normativité.
- Il a montré qu’un vivant se rapporte à son milieu en instaurant, en préférant ou, au
contraire, en répugnant à certaines relations au milieu, à certains comportements
biologiques (comportements alimentaires, de prédation, de migration, de reproduction, etc.).
Autrement dit, le vivant attribue une valeur positive ou négative, attractive ou répulsive, à sa
relation au milieu. La vie, c’est le contraire d’une relation d’indifférence au milieu. On
peut donc dire que le vivant instaure des normes dans sa relation au milieu. La santé et
la maladie, le normal et le pathologique peuvent donc être définis comme des relations
respectivement valorisée et dévalorisée de l’individu vivant à son milieu de vie habituel.
Elles sont valorisées ou dévalorisées en fonction de l’adaptabilité au milieu qu’elles
permettent (ou interdisent) et par conséquent en fonction de la conservation et de
l’expansion du vivant dans son milieu qu’elles permettent (ou interdisent).
Le Normal et le pathologique : « la vie est activité polarisée de débat avec le milieu qui
se sent ou non normale, selon qu’elle se sent ou non en position normative. »
Précisément, Canguilhem définit cette capacité au vivant de valoriser ou de
dévaloriser sa relation au milieu, qu’il appelle « normativité », comme une capacité
propre, spécifique au vivant qui le distingue irréductiblement de l’inerte et qui, en
conséquence, fonde l’autonomie de la biologie par rapport à la physique et à la
chimie. Canguilhem hérite du vitalisme ainsi cette affirmation de la spécificité du
vivant et de l’autonomie de la biologie qui doit se poser des questions spécifiques et
élaborer des méthodes scientifiques spécifiques.
- Canguilhem a également souligné qu’un état pathologique n’affecte jamais une cellule
ou un organe pris isolément mais le tout de l’organisme ainsi que la qualité (ou la
valeur) de la relation du vivant à son milieu. La conception holiste (du grec : holos  :
totalité) du vivant s’oppose au mécanisme et au réductionnisme.
De fait, comme l’avait déjà affirmé X. Bichat, seul le vivant peut tomber malade :
l’expérience de la norme négative, de l’anormal, du pathologique fait la spécificité du
vivant.
- A partir de sa réflexion sur la spécificité de la normativité et sur la santé et la maladie,
Canguilhem établit que la biologie est irréductible à la physique et à la chimie.
Cf. G. Canguilhem, « Aspects du vitalisme » dans La Connaissance de la vie : « La physique et
la chimie en cherchant à réduire la spécificité du vivant ne faisaient en somme que rester fidèles
à leur intention profonde qui est de déterminer les lois entre objets valables hors de toute
référence à un centre absolu de référence. »1

1
Cependant, bien entendu, d’autres concepts montrent la spécificité du vivant : la reproduction,
l’hérédité, l’évolution, etc.
i
« La nature est une impulsion innée au changement » (Aristote, Physique, II, 1, 192 b 13)
ii
« La vie telle que je l’entends consiste à se nourrir soi-même, à croître et à dépérir. » (Aristote, De l’Ame,
livre II, 1, 412 a – 412 b, trad. E. Barbotin, Paris, Gallimard, TEL, 1989, pp. 39-40)
iii
Cf. Aristote, Parties des animaux, I, 1, 640 a, p. 39 : « Ainsi, c’est parce que la santé ou l’homme sont telle
chose qu’il est nécessaire que telle chose existe ou se produise, et ce n’est pas parce que telle chose existe
ou s’est produite que nécessairement la santé existe ou s’ensuivra. »
iv
« La philosophie est écrite dans ce vaste livre qui constamment se tient ouvert devant nos yeux (je veux
dire l’Univers), et on ne peut le comprendre si d’abord on n’apprend pas à connaître la langue et les
caractères dans lesquels il est écrit or il est écrit en langue mathématique » (Galilée, L’Essayeur, 1632)
v
« L’étendue en longueur, largeur et profondeur constitue la nature de la substance corporelle. »
(Descartes, Principes de philosophie, I, 53)
vi
Précision : néanmoins, la distinction entre les substances est seconde, elle a une visée de connaissance :
elle vise à attribuer à l’âme et au corps les attributs qui leur conviennent : la pensée et l’étendue.
L’expérience première vécue par l’homme est celle de l’union. Le sujet n’est pas dans son corps comme un
pilote en son navire : il ne possède pas son corps, mais il est son corps. Descartes pense la distinction des
substances dans leur union.
vii
Principes, IV, LXXX.
viii
Le vivant est une machine construite par Dieu et, pour cette raison, infiniment plus sophistiquée que
celles construites par les hommes. (cf. Descartes, Discours de la méthode, 5ème partie : « ce corps, comme
une machine qui ayant été faite des mains de Dieux, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des
mouvements plus admirables qu’aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes. »)
ix
Descartes ne parvient pas à penser la formation du vivant selon la mécanique, mais il pense le vivant déjà
formé sur le modèle de la machine : c’est pourquoi stricto sensu il faudra dire que sa philosophie est
machinique et non mécanique.
x
G. Canguilhem, « Machine et organisme », La Connaissance de la vie, p. 114 : « Si le fonctionnement de la
machine s’explique par des relations de pure causalité, la construction de la machine ne se comprend ni
sans la finalité, ni sans l’homme. »
xi
Kant, Critique de la faculté de juger, § 65 : « certes une partie existe pour une autre, ce n'est pas par cette
autre partie qu'elle existe. (…) un rouage ne peut en produire un autre (…). »
xii
Kant, Critique de la faculté de juger, § 65. Dans la machine, il y a extériorité de la forme ou de la fin et de
la matière. cf. 5ème § : "la cause productrice (des parties de la montre) et de leur forme n'est pas contenue
dans la nature (de cette matière), mais en dehors d'elle (…)."
xiii
Kant, Critique de la faculté de juger, § 65. "ce n'est qu'alors et pour cette raison seulement qu'un tel
produit, en tant qu'être organisé et s'organisant lui-même, peut être appelé une fin naturelle."
xiv
Kant, Critique de la faculté de juger, § 65. "(toute partie) n'existe que par toutes les autres (…) on la
conçoit donc comme un organe produisant les autres parties (…)." Cf. aussi 3ème § : "les parties (…) se
produisent l'une l'autre dans leur ensemble"
xv
Kant, Critique de la faculté de juger, § 65. ("elle ne remplace pas d'elle-même les parties", je souligne).
xvi
Ce sont autant d'exemples de l'auto-régulation qui définit une chose comme fin naturelle. (cf. "corrige
leurs défauts (…) ou se répare elle-même, lorsqu'elle est déréglée (…).")
xvii
La "force motrice" est la propriété de la machine, la "force formatrice" définit le vivant et elle « ne peut être
expliquée par la seule faculté de mouvoir (le mécanisme)."
xviii
La critique du mécanisme : « Ce qui me choquait par-dessus de tout, c’est que dans cette théorie
physique du corps humain, la vie (…) était passée sous silence, et que je n’en voyais nulle part une
définition logique. J’eus beau chercher en effet, ce fut en vain : car aucun des propagateurs de ces
prétendus doctrines n’a jamais dit et démontré ce que c’est, en quoi en consiste, d’où provient, par quels
modes, par quels moyens se maintient et subsiste ce que nous appelons la vie ; par quoi, enfin, et sous quel
point de vue le corps est dit vivant. » G. – E. Stahl, De la nécessité d’éloigner de la doctrine médicale tout ce
qui lui est étranger, cité par P. Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris, Gallimard, 1993, p. 455.

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