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pseudonyme de Georges Bayard

Le Secret de la Dune Bleue


Roman feuilleton pour la jeunesse

34 publications chez

Fripounet et Maricette
No 49 18e année Dimanche 7 Décembre 1958

Fripounet et Maricette
No 27 Dimanche 5 Juillet 1959

Jamais publié en livre


DOCUMENT RARISSIME

SCANNEUR
yannickjosesorin@gmail.com

PAGE 139
EDITION SCANNÉE PAR PLANCHE

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LE gris du crépuscule envahissait insensiblement le ciel pâle d’une barre qui s’étalait,
menaçante. Un tintamarre métallique précéda de peu 1'apparition d'une voiturette brimbalant
des canes (1) vides. Une servante de la ferme, la tête prise dans un mouchoir passé, semblait
suivre à regret, le corps penché en arrière, un seau à la saignée du coude, comme elle si elle se
retenait au timon. Entre les roues, un chien noir tirait sur une chaîne, dans un puissant
mouvement des pattes, oreilles couchées. Le bruit des grosses chaussures d'homme, largement
cloutées, que portait la servante, rythmait à son pas les sursauts de 1'attefage sur les pavés de
la route.

(1) Grand bidon à lait.

La voiture passa devant une maison basse et


trapue, imposante sous les tuiles verdies de mousse,
ceinte d'un cordon disparate de machines agricoles, qui
s'étalait jusqu'au bord d'un trottoir herbu. La rouille
dorée, récente, des socs lisses contrastait avec le brun
terne des herses abandonnées. Des poules grattaient
dans l'herbe, sans hâte, lançaient un coup de bec précis
sur leur découverte et recommençaient plus loin, pour
démarrer parfois dans une course inattendue, le cou
pointé, à la poursuite d'un moucheron.

Quelque part, à l'intérieur de la maison, une enclume sonnait clair derrière une grande
porte dont l'un des vantaux était ouvert. Au milieu de la façade, sur un panneau de bois peint
de vert sombre, se lisaient les mots : Estaminet des sportifs. Juste au-dessous, une vitrine
contenait un fouillis de roues de bicyclette, de guidons, de selles, entre lesquels le rouge des
boîtes d'ampoules ou des piles électriques attirait l'œil.

Au bruit de la voiturette, deux fillettes surgirent de derrière un tarare abandonné, lui


aussi, entre un rouleau et une moissonneuse dont le moulin grêle ressemblait à des pattes
d'araignée.

— Encore une journée qui se termine ! Nora va traire ses vaches ! s'exclama
une fillette au visage hâlé sous de courtes boucles brunes. Une de moins !

L'autre fillette agita la main dans la direction de la servante qui sourit.

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— Pourquoi une de moins ? répliqua-t-elle lorsque le tintamarre de la voiturette
décrut d'intensité. On est bien ici !

L'autre haussa les épaules, fourra rageusement les mains dans les poches de sa jupe et
se dirigea vers la vitrine. Sa compagne, très blonde, agita drôlement ses cheveux retenus par
un ruban en une « queue de cheval » digne d'un guerrier gaulois. Par contenance, elle tourna
la manivelle du tarare qui ronronna, puis elle rejoignit la brune.

— Ecoute, Lucette ! Marc et Pierre seront là après-demain, ce n'est plus si long !


Et en admettant que ma compagnie et celle de Jeannette ne te suffisent pas, tu pourrais
aussi bien cesser de grogner continuellement ! Comme si tu ne t'étais pas amusée
aussi bien que moi dans les dunes ou sur la route, à bicyclette, hein? Ce ne sont pas les
promenades qui manquent par ici, et...

— Je te dis que, si j'avais su, j'aurais attendu Marc et Pierre. On aurait eu une semaine
de vacances en moins, la belle affaire ! Au moins, on n'aurait pas eu à s'occuper de
cette idiote de Jeannette ! C'est toi qui lui as fait des avances ! Comme si on avait
besoin d'elle pour s'amuser ! Tu veux que je te dise, Yvonne ? Jeannette ne te montre tant
d'amitié que pour me faire enrager !

Yvonne sourit malicieusement :

— Je croyais que vous seriez une paire d'amies, toutes les deux ! Elle est
aussi sportive que toi, aussi casse-cou !

— C'est ce qu'elle prétend ! Et toi, tu fais exprès de croire tout ce qu'elle invente !
Tu es pourtant ma cousine ! On verra bien quand Marc et Pierre seront là !

— Ecoute, Lucette, ce n'est pas une raison parce que tu es vexée de ne pas avoir pu
les accompagner à leur camp... que...

— C'est stupide, si tu veux le savoir ! Je suis capable de faire les mêmes choses
qu'eux ! Je marche et je cours aussi bien et aussi vite qu'eux ! Je nage mieux que Marc,
même, et je ne crains personne à bicyclette ! Alors ?

Yvonne sourit devant l'emportement de sa cousine. Elle reprit doucement :

— Alors ? C'est exactement ce que prétend Jeannette...

Elle s'interrompit puis, avec un mouvement de la tête, ajouta aussitôt :

— Tiens, quand on parle du loup...

Elle s'amusa franchement de la mine dépitée de sa cousine en voyant apparaître


Jeannette, une solide fillette aux cheveux châtain clair, vêtue d'un blouson de toile claire sur
une jupe bleu marine.

— Hé, Lucette ! Qu'est-ce que vous fabriquez, toutes les deux ?

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— Mais nous t'attendions. Jeannette ! répondit avec une emphase comique
l'interpellée, sourcils froncés.

Yvonne pouffa. . Les deux «  sportives » avaient une façon de se parler qui ressemblait
étrangement aux défis ridicules que se lancent les garçons, en mal d'exploits impossibles.
Pourtant, elle ne put s'empêcher de noter le coup d'oeil en direction de la grand-porte lancé
par les deux rivales. Il y avait à ce regard furtif une bonne raison : le père Martial, le grand-
père de Jeannette et le propriétaire de l'Estaminet des sportifs, les avait traitées d'idiotes, un
jour ou il avait surpris une discussion envenimée à propos de leurs exploits supposés ou réels!
Et le qualificatif d'idiotes leur était resté sur le cœur !

Jeannette s'éloigna lentement comme si, ayant eu l'intention de proposer quelque


chose, l'attitude de Lucette l'en avait dissuadée.

— Tu as tort, Lucette, Jeannette est gentille, au fond !

Lucette haussa les épaules.

— Il n'y a pas qu'elle, heureusement, ici ! Les dunes sont étendues et demain j'irai à
bicyclette jusqu'à la frontière. C'est vraiment dommage que le père' Martial ne veuille pas
que nous allions nous baigner à la mer ! Je ne dis pas que je n'irai pas un joui- ! Après tout, il
n'est pas mon père ! De quel droit nous défend-il quelque chose ? Et puis, d'abord, il n'en
saura rien !

— Lucette, ce n'est pas raisonnable, il y a du danger ! Et c'est uniquement pour ça


que M. Martial nous défend...

— Oh ! toi, bien sûr, tu es toujours prête à obéir! On verra bien, quand les garçons
seront là, s'ils acceptent de rester à ne rien faire pendant leurs vacances !

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Hé Lucette ! Qu'est-ce que vous fabriquez toutes les deux ?

Le père Martial allait sans doute arranger les choses...

Elle soupira.

— Seulement, il aura fallu passer toute cette longue semaine à s'ennuyer !

— Merci pour moi, c'est "vraiment gentil de répéter que tu ne cesses de t'ennuyer en
ma compagnie !

Lucette se rapprocha de sa cousine et posa sa main sur son épaule.

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— Je suis désolée, Yvonne, je ne voulais pas te faire de la peine. Mais tu sais comme
je suis. Moi, je n'aime pas les jeux trop calmes, il me faut des exploits ! Il n'y a qu'avec Marc
et Pierre que je m'amuse vraiment ! Et comme je ne peux les voir que pendant les vacances, tu
avoueras que je n'ai pas de chance !

— Si seulement maman n'avait pas été malade, nous aurions pu passer les
vacances chez moi ! Mais, de toute façon, ça n'aurait pas empêché les garçons d'aller à
leur camp !

— Oui, mais il n'y aurait pas eu cette... Jeannette.

L'arrivée d'un cycliste, un jeune du village sans doute, les détourna de cette
conversation, n sauta à terre en voltige et déposa rudement sa monture contre la grand-porte.
Il s'engouffra dans l'atelier du père Martial. L'enclume cessa de tinter et, peu après, un homme
énorme, sanglé dans un tablier de cuir rapiécé, le torse puissant moulé dans une chemise de
flanelle grise, apparut, des lunettes cerclées de fer sur le nez. H tenait à la main un rectangle
de papier bleu.

— Mlle Yvonne Périn ? appela-t-il d'une voix rude. Un télégramme pour vous !

Le cœur battant tout à coup, Yvonne se précipita pour recevoir le « petit bleu » en
adressant un regard inquiet à sa cousine qui s'était renfrognée, elle aussi.

Le cycliste était déjà reparti et le père Martial remettait ses lunettes dans leur étui que
la fillette n'avait pas encore osé ouvrir son télégramme.

— Qu'est-ce que cela peut bien être? murmura-t-elle.

— Ouvre-le donc, tu le sauras ! maugréa Lucette.

Un peu inquiète en raison de là maladie de sa maman, Yvonne se décida. Elle déchira


la bande bleue et déplia la feuille.

— Oh ! ça, alors, c'est une bonne nouvelle ! Marc et Pierre arriveront demain au
premier train. Us sont libres un jour plus tôt ! C'est une veine, non ?

Le visage de Lucette s'éclaira.

—Ta l'as dit, ma petite Yvonne, c'est une veine !

Elle esquissa un entrechat dans lequel elles voulut entraîner sa cousine qui résista :

— Laisse-moi, Lucette ! Il faut que je prévienne M. Martial ! H faudrait aller les


chercher à la gare, ils vont être chargés avec leur sac et les tentes !

— Péuh ! Marc et Pierre ? Penses-tu ! Je les ferais facilement, moitiés sept


kilomètres, avec n'importe quel sac sur le dos ! Tu" vas les vexer, tu penses !

— Peut-être... En tout cas, il faut quand même que j'avertisse de .leur arrivée.

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Elle se dirigea d'un air décidé vers la grand-porte derrière laquelle les coups de
marteau résonnaient de nouveau sur l'enclume. Lucette la suivit à distance.

Yvonne aimait l'atmosphère de la forge malgré la fumée qui y régnait à peu près
continuellement et l'odeur de corne brûlée lorsqu'un cheval sortait du « travail » (1), ferré à
neuf. Elle était certaine, naïvement, que rien ne devait être impossible au géant débonnaire,
dont les cheveux blancs se mêlaient encore de mèches rousses, qui maniait la plus lourde
masse comme s'il se fût agi d'un jouet -d'enfant. Elle, aimait par-dessus tout voir jaillir la
gerbe- d'étincelles du fer au « rouge cerise » et, lorsque Martial la laissait se pendre à la
poignée du soufflet, elle rougissait bien plus de plaisir que de l'effort qu'il lui fallait fournir.

(1) Bâti en bols qui encadre le cheval et l'oblige à se tenir tranquille pendant
l'opération du ferrage (pluriel : des travails »).

Elle avait éprouvé quelque 'crainte, les premiers jours, à la vue de ce vieillard au
visage couleur de brique, barré d'une impressionnante moustache blanche, jaunie à l'endroit de
la pipe. Les sourcils formaient deux touffes qu'on eût dit postiches tant elles étaient fournies.

— Qu'est-ce que c'est donc, fillette ? demanda le forgeron lorsqu'il vit Yvonne
s'approcher, le télégramme à la main. Rien de grave, j'espère bien ?

— Mes frères arrivent demain ! Monsieur Martial, je suis bien contente !

— C'est normal, fillette, que tu sois contente ! Mais moi, je le suis un peu moins ! J'ai
tout juste la place pour vous deux : j'ai reçu tout un stock de pièces pour mes bicyclettes
et j'ai dû stocker tout ça dans une chambre. A moins de leur donner mon lit, je ne vois
guère où je vais pouvoir les coucher, tes frères, Yvonnette !

La fillette aimait le bon sourire des yeux que le brave homme lui adressait en l'appe-
lant ainsi. Il semblait vraiment contrarié de ne pouvoir accueillir dignement Marc et Pierre.

— Mais cela n'a pas d'importance, Monsieur Martial ! Us arrivent avec tout leur
matériel de camping et ils pourront très bien monter leur tente dans la prairie !

Le géant remonta ses lunettes, d'un modèle antique, sur son front où la poussière
de fer accusait les rides luisantes de sueur.

— Ah ! alors, ça change tout ! S'ils veulent bien camper dans la pâture, je n'ai
rien à y redire, moi ! C'est la bonne saison et je n'ai point de bêtes par ici pour l'heure, ça
pourra aller !

Yvonne le remercia et retourna vers Lucette.

—C'est arrangé! Us camperont dans la prairie... la pâture comme disent les gens d'ici !

— Si on leur donnait notre chambre ? Ça m'amuserait, moi, de camper à mon tour !


Pas toi?

Yvonne hocha là tête en riant :

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— Pas tellement, figure-toi ! Moi, je préfère un bon lit, comme celui de
l'auberge. Et une bonne porte qui ferme bien-: je me sens davantage en sécurité... la nuit
surtout !

Lucette haussa les épaules :

— Ce que tu peux être poltronne, quand même !


Elle fut interrompue dans la tirade qu'elle s'apprêtait à débiter à sa cousine par l'arrivée
d'un jeune garçon, de 8 ou 10 ans peut-être, dont l'accoutrement était cocasse. Il avançait à
l'aise malgré ses pieds nus dont la teinte les faisait se confondre avec la terre ocre terne du
sentier. Un invraisemblable pantalon d'homme coupé à la longueur de ses jambes lui donnait
l'aspect d'une caricature. Plusieurs tours de ficelle serraient le vêtement à la taille et faisaient
s'évaser le haut du pantalon.

— Regarde-le, pouffa Lucette; on dirait qu'il est planté dans un cache-pot !

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-Que fait ton frère ? demanda Yvonne à Zizi

Le garçonnet, en apparence indifférent aux regards curieux qui le fixaient, continua à


avancer. Une chemise à carreaux laissait encore deviner par place des taches de rouge et de
noir, et il traînait sur le sol, à bout de bras, une sorte de grosse manivelle. Une chevelure très
brune semblait jaillir de sa tête comme les poils d'un griffon. Deux yeux vifs, au ras des
mèches retombant sur le front, remuaient sans cesse, comme ceux d'un oiseau curieux.

Il affecta de regarder ailleurs en passant devant les deux fillettes, mais elles le virent
leur adresser un coup d'œil en coin, les sourcils froncés.

Il disparut dans l'atelier.

— Qu'est-ce que c'est que ce phénomène ? demanda Lucette. Tu as vu cette pièce


énorme qu'il traînait ? Je me demande d'où il venait avec ça !

— Allons voir, il doit s'expliquer avec le père Martial, ce doit être amusant \

Elles s'approchèrent de la grand-porte et risquèrent un regard. C'était vraiment un


tableau amusant de voir le petit homme en longue culotte redresser la tête pour parler au
grand forgeron.

— David et Goliath ! souffla Yvonne.

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— Avec la manivelle au lieu de la fronde, c'est presque ça, tu as raison, convint
Lucette.

Elles écoutèrent.

— Alfred m'a dit qu'il fallait faire ça tout de suite ! Il en a besoin !

Le père Martial maniait la lourde manivelle avec autant d'aisance qu'un marteau de
cordonnier.

— Qu'est-ce que c'est que cet engin ? Et qui est-ce Alfred ?

L'autre hésita, passa machinalement un revers de manche sous son nez et, finalement,
déclara :

— C'est mon frère, enfin... heu... c'est mon frère !

— D'abord, tu lui diras, à ton frère, qu'il aurait pu apporter ça lui-même ! D'où tu
viens, moustique ?

Le « moustique », qui ne semblait pas embarrassé pour autant, remonta pour la forme
son « pantalon » et tendit un bras dans la direction des dunes.

— De par là-bas !

— De la Dune Bleue ?

La tête embroussaillée s'agita de haut en bas énergiquement, dans un grand


mouvement de mèches brunes.

— Et qu'est-ce qu'il y fait, ton Alfred, à la Dune Bleue ? Ce n'est pas un endroit
pour un chrétien ! Et d'abord, comment t'appelles-tu ?

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— Zizi!

Le visage rude du père Martial s'éclaira d'un sourire furtif.

— Eh bien, Zizi, tu diras à ton frère qu'il revienne demain matin chercher sa
pièce ! Pas trop tôt ! Que j'aie le temps de la ressouder !

— Je ne peux pas, il m'a bien dit de la ramener tout de suite ! H va me donner des
coups si je reviens sans...

Le brave homme resta interloqué. H s'attendait sans doute assez peu à cette réplique. H
parut réfléchir. Puis il fit quelques pas vers une porte qui faisait communiquer la forge avec
l'auberge.

— Jeannette, cria-t-il, viens voir !

Il y eut un bruit de course et la fillette arriva, étonnée, à la vue de Zizi et de son invrai-
semblable accoutrement.

— Jeannette, tu vas aller avec ce moustique jusqu'à la Dune Bleue et tu vas


expliquer à son frère que Je ne peux pas lui souder sa pièce ce soir! Qu'il vienne demain
vers les 10 heures, elle sera prête !

— Tu veux que j'aille à la Dune Bleue à cette heure-ci ? demanda Jeannette d'un
ton peu rassuré.

— A la Dune Bleue, oui, je ne vois pas...

Le père Martial s'interrompit, puis il reprit :

— ... Non ? Pas possible ? Ce n'est pas que tu aurais peur de la Dune Bleue, toi aussi?

Jeannette hocha la tête affirmativement et ce fut seulement à ce moment-là qu'elle


aperçut Lucette et Yvonne qui la regardaient.

QU'EST-CE QUE LA DUNE BLEUE?

— Bien sûr que non, je n'ai pas peur ! Seulement de me perdre dans le noir !

Le père Martial, comprenant ce qui venait de se passer dans la tête de sa petite-fille, rit
à gorge déployée et, désignant Yvonne et Lucette, il déclara :

— Ces demoiselles se feront un plaisir de t'accompagner !

Jeannette rougit et finit par accepter. Encadrant Zizi visiblement peu rassuré sur le
succès de l'ambassade de trois filles auprès de son frère, Lucette, Yvonne et Jeannette par-
tirent en direction des dunes.

— Qu'est-ce qu'il fait, ton frère ? demanda Yvonne, décidée à rompre le silence
hostile qui régnait, entre sa cousine et Jeannette.

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Zizi renifla bruyamment et, comme s'il estimait que ce renseignement devait suffire :

— Il vend des paniers !

Il ponctua sa déclaration d'un nouveau reniflement et se tut.

— Qu'est-ce que c'est que la Dune Bleue ? demanda Yvonne à Jeannette.

— C'est une dune qui est bleue, c'est tout ! répliqua celle-ci de mauvaise grâce.

— On s'en douterait ! se moqua Lucette.

— M. le curé a dit un jour à grand-père que le sable était mélangé de cuivre ! C'est
pour cela qu'il est bleu...

— Du cuivre bleu ? Pas possible..., ironisa Lucette, bien décidée à se montrer


agressive.

Jeannette rougit de dépit et Yvonne intervint.

— Ce n'était pas plutôt du sulfate de cuivre, Jeannette ?

Yvonne se rendit compte trop tard qu'elle avait eu tort de souligner l'erreur de leur
compagne, ce qui rendait son effort de conciliation mutile. Jeannette, pourtant, fit l'effort de
répondre affirmativement d'un. signe de tête.

La pénible conversation tomba. La campagne changea rapidement. Le groupe dépassa


le dernier bouquet d'arbres et s'engagea dans un chemin sableux, maigrement planté de touffes
dures d'un vert sombre. La marche y était malaisée et fatigante.

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— Celles-là vont te dire, commença Zizi.

— Qu'est-ce qu'il peut bien faire, son frère, dans le sable ? finit par demander
Lucette, très bavarde et que le silence incommodait.

— Il fait des paniers, répliqua Zizi.

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— Ça, on le sait, mon vieux ! répondit en riant Lucette. Les clients doivent être plutôt
rares, par ici ! Je commence à comprendre pourquoi tu ne tenais pas à accompagner Zizi,
Jeannette !

L'interpellée jeta un regard rapide à Lucette, se demandant visiblement ce que


signifiait cette phrase. Etait-ce une tentative de rapprochement, une trêve proposée ? Yvonne
se le demanda aussi. Mais Jeannette fit la sourde oreille et la bonne intention fut perdue.

— C'est encore loin ? demanda Yvonne que la proximité de la nuit ne rassurait


pas. Dis, Zizi, est-ce que c'est encore loin?

Le petit bonhomme renifla d'abondance et tendit le bras du même geste qu'il avait eu
dans la forge.

— C'est par là-bas ! Yvonne écarquilla les yeux et finit par distinguer vaguement une
forme plus sombre, plus nette de lignes aussi que les dunes.

— Il y a un fort... un blockhaus en ciment...

— Un fort ? Comment ça ? Jeannette tenta d'expliquer :

— Un fort, construit avant 1940, m'a expliqué grand-père... Ça portait un nom... la


ligne... la ligne...

— Je sais, la coupa Lucette, j'ai lu ça quelque part dans un livre d'histoire : la ligne
Maginot !

Zizi leur lança un coup d'oeil où se lisait une surprise administrative. Pour des filles,
elles en savaient des choses !

Mais Yvonne avait des préoccupations plus immédiates :

— Et la... Dune Bleue est près de ce fortin ?

— Oui, souffla Jeannette. Sa voix parut étrangement basse, comme si elle avait
été effrayée que sa réponse soit entendue trop loin.

— Pourquoi ton grand-père disait-il que tu avais peur d'aller à la Dune Bleue?

Jeannette se ressaisit :

— Et puis d'abord, tu te trompes, je n'avais pas peur ! Seulement, je


n'aimerais pas passer la nuit dehors, dans les dunes, si je m'y perdais, c'est tout !

— Moi non plus, s'empressa de répondre Yvonne, conciliante et sincère. Je n'aimerais


même pas camper dans ta... pâture ! Je l'ai dit tout à l'heure à... Lucette... alors tu vois !

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— Ça c'est vrai ! dit Lucette en riant. Et au fond je la comprends, c'est bien agréable
un bon lit ! Et c'est vrai aussi que je n'aimerais pas non plus passer la nuit dans ces
parages ! Ça manque d'arbres !

Jeannette, surprise de voir Lucette abonder dans son sens, la regarda, parut sur le point
de dire quelque chose, mais finalement resta silencieuse.

— Tu ne trouves pas bizarre, toi, que son frère l'ait envoyé si loin avec une pièce à
réparer aussi lourde ? souffla Yvonne à Jeannette.

— Peut-être qu'il n'aura pas osé venir lui-même. Grand-père a la réputation de ne pas
être toujours commode... et pourtant c'est le meilleur des hommes !

— Et aussi, qu'est-ce qu'il voulait faire avec cette manivelle à cette heure-ci ?
Demain matin, il fera jour, comme dit ta grand-mère !

Jeannette ne répondit pas. Elle resta un moment silencieuse, ouvrit la bouche plusieurs
fois, sans prononcer un seul mot et finalement se décida.

— Grand-père avait raison, tout à l'heure... Ce n'est pas seulement pour la nuit
que je n'aimerais pas rester ici. n y a dans le pays une mauvaise renommée au sujet de la Dune
Bleue !

Yvonne frissonna. Lucette voulut réagir et montrer qu'elle, du moins, ne se laissait pas
impressionner. Elle protesta :

— Une légende, bien entendu, une histoire de fantôme ou de sables mouvants, non ?

Jeannette répliqua :

— Pais bien ta maligne, tiens ! On te verra, si tu y vas un jour... un jour qu'il ne


faut pas...

Elle avait prononcé ces derniers mots sur un ton si convaincu, un ton qui laissait
deviner une crainte si intense que les deux autres fillettes se sentirent beaucoup moins dis-
posées à plaisanter.

— Et comment sait-on que c'est un... jour... comme tu dis ?

— On ne le sait jamais d'avance... Seulement, ces nuits-là, il s'élève un brouillard


tellement épais et tellement rapide qu'il vaut mieux se coucher dans le sable et attendre...

— Et... il dure longtemps, le brouillard ?

— Ça dépend... quelquefois deux ou trois heures, et quelquefois deux ou trois


jours... Une semaine même une fois ! Et des gens qui s'y trouvaient à ce moment-là, eh bien !
on ne les a jamais retrouvés !

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Un silence suivit ces paroles.

Lucette, malgré son désir de paraître plus courageuse que les deux autres, se surprit à
surveiller l'horizon, en quête d'un indice sur l'arrivée éventuelle d'une nappe de brouillard.
Elle poussa brusquement une exclamation :

— Regardez, dit-elle, la voix rauque... Regardez là, droit devant !

LE MYSTERE DE ZIZI

L'exclamation de Lucette fut si soudaine, elle fut proférée d'une voix si pointue que les
trois autres, Zizi compris, sursautèrent, pris de panique. L'évocation du brouillard et des
mystérieuses disparitions n'était pas faite pour calmer les esprits.

Mais Zizi, après avoir reniflé d'émotion, se retourna et lança :

— C'est Alfred !

Les pensées des fillettes étaient encore trop troublées pour qu'elles comprennent tout
de suite de qui il s'agissait. Ce n'était, en effet, que le frère prétendu du jeune Zizi qui
s'avançait à leur rencontre, entre les dunes. Cette apparition fut jugée rassurante, en
comparaison avec la perspective du brouillard.

Un homme maigre, flottant dans une combinaison de mécanicien, s'approcha


rapidement du groupe. Lui aussi était affublé d'une chevelure noire bouclée que les ciseaux
d'un coiffeur n'avaient pas touchée depuis longtemps. Une fine moustache noire soulignait la
lèvre supérieure et des petits yeux vifs, très sombres, s'enfonçaient dans le visage basané.

— Tu as la pièce ?

Les trois fillettes se demandèrent comment un homme si maigre pouvait avoir une
voix aussi basse et sonore, comme un grondement menaçant. Elles en oubliaient pourquoi
elles étaient là, saisies d'une envie de retourner à- l'auberge le plus vite possible.
Mais la petite voix de Zizi leur rendit conscience de la raison de leur présence en ce
lieu.

— Celles-là vont te dire.., commença Zizi.

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L'inconnu repartit brusquement à grands pas.

— Monsieur..., intervint Jeannette, mon grand-père m'a dit de vous avertir qu'il ne
pourrait pas souder la pièce ce soir ! II faudra que vous reveniez demain matin, vers 10
heures.

L'homme se gratta le front en lançant à Zizi un regard sans douceur.

— Il me la faut ce soir, demain matin je ne serai plus là...

— C'est impossible, Monsieur ! insista Jeannette. Ou alors venez chercher


vous - même votre pièce, telle qu'elle est. Mais mon grand-père ne la soudera
certainement pas ce soir !

L'homme leur adressa le même regard farouche qu'à Zizi tout à l'heure. Il lança à
celui-ci une volée d'imprécations dans une langue inconnue et Zizi fila aussi vite que le lui
permettaient son vêtement trop ample et le sable mou.

— Bon, j'irai demain matin. Mais qu'elle soit prête, hein ?

Le ton menaçant de cette dernière question laissa les fillettes sans voix. L'inconnu re-
partit à grands pas, si brusquement que les trois fillettes restèrent sur place, désemparées,

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avant de faire demi-tour, un moment plus tard. L'événement avait fait oublier à Jeannette et à
Lucette leur dissentiment.

— Pauvre Zizi ! Il est gentil, pourtant. Il a l'air d'avoir peur de son frère ! dit l'une.

— Quelle drôle de tête il a, Alfred ! fit l'autre.

— Et qu'est-ce qu'il peut faire dans cette partie des dunes ? ajouta Jeannette.

Ce fut Yvonne qui dérida les autres en imitant la voix nasillarde de Zizi :

— Il fait des paniers !

Un éclat de rire accueillit ces paroles et les trois fillettes partirent en courant en
direction de l'auberge.

- On dirait bien que voua avez le diable à vos trousses ! s'exclama le père Martial en
les voyant arriver tout essoufflées. Vous avez vu le frère de ce petit bonhomme ?

Yvonne raconta l'entrevue.

— J'ai déjà vu ce lascar par ici... au marché, peut-être bien, je crois qu'il vendait des
panières !

Il fallut expliquer au grand-père de Jeannette pourquoi sa supposition avait déclenché


le fou rire de son jeune auditoire.

Mme Martial, une bonne vieille dame toute ronde, rit avec elles.

Lorsque les fillettes furent montées dans leurs chambres, ce soir-là, elle confia à son mari :

— Je te donne en mille ce que Jeannette m'a demandé ce soir !

— Dis voir ?

— Une aiguille et du fil ! Elle qui ne veut jamais coudre ! Pour moi, l'arrivée
des garçons, demain, y est pour quelque chose : elle s'est mise à recoudre les
boutons de sa veste de velours et à mettre une pièce à son blouson qui était déchiré depuis
plus de huit jours!

***

Yvonne et Lucette s'éveillèrent, ce matin-là, assez précipitamment.

— Il aurait fallu demander hier l'heure de ce train ! Ils ont dit le « premier
train », ça ne veut rien dire...

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Vois-tu que nous les manquions ?

— Bah ! répliqua Lucette, ils ont de bonnes jambes... On les rencontrera en route !
Elles se hâtèrent de faire leur toilette et descendirent déjeuner. Elles embrassèrent
Mme Martial qui leur apporta aussitôt deux grands bols de lait fumant et des tartines de pain
très blanc, sur des raquettes de bois blanc qui tenaient lieu d'assiette pour le déjeuner et le
goûter.

QUI EST ALFRED, CE JEUNE HOMME AU REGARD FAROUCHE ?

— Est-ce que nous pourrons acheter une de ces planchettes avant de repartir ?
demanda Yvonne. Elles sont très pratiques !

— Bien entendu ! Vous en trouverez au marché vendredi prochain !

Lucette souffla à sa cousine :

— Une chance que Jeannette ne soit pas encore levée ! Nous allons pouvoir partir sans
elle ! C'est bien fait !

Elles partirent en effet avant que Jeannette soit apparue. Elles avancèrent d'un bon pas
sur la route pavée. Le ciel était encore gris mais une tache bleue, à l'horizon, laissait es-
pérer une belle journée.

— Nous n'arriverons certainement pas jusqu'à la gare ! Nous aurions dû


prendre une bicyclette ! énonça Lucette.

— Oui, bien sûr, mais tu sais bien que M. Martial n'aime pas que nous
empruntions trop souvent les bicyclettes qu'il loue le samedi et le dimanche aux
touristes.

— Dommage !

Elles continuèrent à avancer vers le village, aux maisons rassemblées autour du


clocher qui bordait l'horizon. La route disparaissait dans un bouquet d'arbres. Une voiture à
cheval en surgit, au trot sonore d'une forte bête grise.

— On dirait Alpin, le cheval de M. Martial ! s'exclama Yvonne.

— Oh ! ça, c'est trop fort ! Veux-tu parier que cette chipie de Jeannette nous a
coupé l'herbe sous le pied ? Mais oui, regarde... H y a trois silhouettes dans la voiture : c'est
Marc et Pierre, j'en suis sûre ! Elle me le paiera, si elle a osé faire ça !

A mesure que la voiture se rapprochait, en effet, il apparut que Jeannette avait osé !
Deux garçons commencèrent à agiter les bras en sémaphore et Jeannette fit claquer un fouet
inutile car le cheval n'en changea pas d'allure pour autant : le même trot placide de bête bien
nourrie.

20
La voiture s'arrêta au niveau des deux cousines :

— Salut, Lucette ! Bonjour, Yvonne ! crièrent ensemble les deux garçons en sautant à
terre.

Ils embrassèrent les deux fillettes, inconscients du drame qui se préparait !

On dirait Alpin, le cheval de M. Martial !

21
Vous pesez ma bicyclette, jeune homme ?

ALPIN, LE CHEVAL PLACIDE S’EMBALLE


ARRIVEE MOUVEMENTEE

22
Jeannette avait enjambé la ridelle de la voiture lorsque le cheval poussa un
hennissement étrange, fit un saut sur place avant de partir au galop. Jeannette, déséquilibrée,
se cramponna comme elle put à la voiture et finit par tomber sur la route.

— La roue lui a passé dessus ! s'écria Yvonne en se cachant les yeux des deux
mains.

— Mais non ! riposta Pierre. Elle est tombée sur le côté ! Mais elle doit avoir
mal, elle reste allongée ! Vite, courons !

Ils coururent de toutes leurs forces, Yvonne gémissant doucement, Lucette s'efforçant
de garder son sang-froid en imitant les deux garçons qui maintenant les devançaient large-
ment. Ils arrivèrent bientôt près de Jeannette, étendue sur le dos, respirant à peine, la bouche à
demi-ouverte dans un effort éperdu pour trouver de l'air. Ses yeux étaient fermés et son visage
si blanc qu'Yvonne jeta un cri :

— Mon Dieu ! Elle ne respire plus !

Lucette elle - même, malgré son attitude passée à l'égard de la pauvre fille,
s'agenouilla et souleva doucement la tête de la victime de ce stupide accident :

— Jeannette ! appela-t-elle. Jeannette, ouvre les yeux, nous sommes là ! Tu souffres?

Yvonne s'étonna d'entendre, la voix angoissée de sa cousine s'adressant à son ennemie


intime. Et ce qu'elle devina l'émut aux larmes au moins autant que l'émotion de l'accident.

Jeannette émit un faible gémissement qui s'acheva en grognement rauque et deux


larmes involontaires roulèrent sur ses joues.

— Doucement ! intima Pierre à Marc qui tentait de relever la fillette. On ne sait


jamais.

Il remua doucement les bras puis les jambes de Jeannette.

— Rien de cassé ! finit-il par dire.

Jeannette ouvrit les yeux, les referma, pour les rouvrir aussitôt. Ses paupières battirent
comme si elle était éblouie par la lumière du jour. Elle tâta d'une main hésitante un point dans
ses cheveux et un peu de sang apparut sur ses doigts.

— La voiture, murmura-t-elle, où est la voiture ? Alpin n'est pas blessé ? Grand-


père va être furieux !

— Comment te sens-tu, Jeannette ? demanda Yvonne.

Jeannette ouvrit la bouche pour répondre mais n'en eut pas le temps.

Un cycliste forcené venait d'apparaître, faisant tinter sans arrêt un avertisseur à deux
sons.

23
Jeannette fut la première à le reconnaître :

— Ça, c'est grand-père... Ça veut dire qu'Alpin est retourné à la maison ! H vient voir
ce qu'il en retourne ! Mon Dieu, comme Man Mélie doit se faire du mauvais sang !
Aidez-moi vite à me relever !

Elle grimaça de douleur lorsque les deux garçons l'aidèrent à se remettre sur pied.

— Quelle drôle de machine ! s'exclama Pierre lorsque le cycliste approcha et devint


plus nettement visible. Jamais vu sa pareille encore !

— Je crois bien ! s'écria Lucette. C'est un vélo de course qui a plus de quarante
ans ! Tu verras la photo du père Martial dans la salle de l'auberge ! Il a été champion de
quelque chose en 1900 et quelque... Il vous racontera tout ça ! C'est quelqu'un, le père
Martial! Il a près de 70 ans et regarde-le pédaler !

- Albin, piqué par un taon, s'emballe...


- Jeannette projetée sur la route vit-elle encore ?

L'aubergiste arrivait en effet à un train d'enfer, compte tenu de l'engin sur lequel il
était monté. Il descendit en voltige et Marc reçut en dépôt la machine pendant que le grand-
père palpait à son tour les membres de sa petite-fille et éclatait de rire :

— Imprudente Jeannette, va ! Tu peux te vanter de m'avoir donné une belle frousse !

Marc regardait avec des yeux effarés la lourde machine qui avait été une bicyclette de
course ; il la souleva difficilement. Elle était équipée de freins étranges, constitués de tiges
métalliques articulées appliquant, sur le dessus du pneu, un rectangle de métal garni de
caoutchouc.

— Vous pesez ma bicyclette ? 19 kilos, jeune homme ! Pignon fixe d'un bout à
l'autre, côte ou pas ! Ça, c'était du sport ! J'ai commencé avec une selle en tôle,
recouverte de drap ! J'ai fait le Bol d'Or, à Bruxelles : vingt-quatre heures sans descendre
de machine ! Autre chose que leurs Six Jours de maintenant ! Tenez, j'en prends six de
vos champions actuels, avec des machines comme celle-là, et je leur rends 100 mètres par
kilomètre ! Pfeuh !

Marc lança un regard amusé à Pierre. Le grand-père avait oublié bien vite ce qui
venait d'arriver à Jeannette, dans le feu de ses souvenirs ! Mais, malgré la malice de leurs re-
gards, ils n'étaient pas loin d'admettre que le pari du père Martial n'était peut-être pas aussi
ridicule qu'il le semblait à première vue. Il émanait une telle impression de force des épaules
larges et ils l'avaient vu pédaler avec une telle énergie sur les pavés de la route qu'ils étaient
remplis d'une admiration, rendue un peu craintive par l'aspect farouche des moustaches et des
yeux sous les épais sourcils.

— Comment te sens-tu, mauviette ? Capable de marcher ? Où faut-il que je te monte


sur mon « cheval » ?

24
— Je crois que ça ira, grand-père ! murmura Jeannette, s'efforçant de se montrer
très brave devant les cousins de Lucette.

Mais lorsqu'elle posa le pied par terre pour faire un pas, elle grimaça de douleur.

— Je crois... je crois que je me suis foulé le pied... C'est très douloureux !

Le grand-père rugit de sa voix de basse :

— Dix jours de lit, mauviette ! Ce sera toujours ça que nous gagnerons, nous
autres, en tranquillité ! dit-il en adressant un regard de connivence aux autres. Et comment
est-ce arrivé au fait, cette histoire-là ? Tu devais encore être en train de faire « le Jacques » ?
(1)

(1) Expression du Nord équivalente à « faire sottement le malin ».

— Pas du tout, Monsieur Martial, intervint Yvonne. C'est le cheval qui s'est
emballé tout seul.

— Emballé tout seul ? Mais alors, il a dû être piqué par un taon !

— Un quoi ? demanda Pierre.

— Un taon, mon garçon ! expliqua complaisamment le forgeron. C'est une


bestiole qui ressemble à une grosse mouche, mais quand ça pique, ça compte ! Les
chevaux n'y résistent pas ! On a vu des accidents graves à cause d'eux !

— Quelque chose comme la mouche... du coche, de La Fontaine, alors ? intervint


Marc.

Le père Martial se gratta le front, remit ses lunettes en place et avoua :

— Je ne sais pas de quelle fontaine il s'agit ni si c'est comme cela que s'appelle
cette bestiole, mais je vous assure qu'elle pique bien !

— Même les gens ?

— Et comment !

25
- Qui est celui-là ?

Zizi réapparait

26
Le père Martial avait installé, pendant ce temps, Jeannette sur la selle de son vélo et le
groupe repartit à pied en direction de l'auberge. Man Mélie les attendait sur le seuil de
l'Estaminet et, du plus loin qu'elle les aperçut, elle accourut à leur rencontre.

— J'ai bouchonné l'Alpin avec du vinaigre ! dit-elle aussitôt, il était « tout fou »!
Il a été piqué ! Ma pauvre Jeannette, tu as dû avoir peur ? Pas tant que moi, pour sûr !

Tu n'as rien, j'espère ?

— Mal au pied, Man Mélie !

— Je vais regarder ça tout de suite... Ah ! Constant, j'oubliais... il est arrivé un


homme pour toi !

— Un homme, qui ça ?

— Tiens, le voilà, dit Mme Martial en lui désignant la porte de la forge.

— Mais c'est Alfred ! le frère de Zizi, s'étonna Lucette, pendant que Mme Martial,
aidée d ' Yvonne, portait Jeannette dans sa chambre.

— Qui est-ce, celui-là ? demanda le forgeron. Jamais vu...

— C'est l'homme à la soudure ! Vous lui avez dit de venir à 10 heures...

— Mais il en est à peine neuf ! Bien pressé, à ce qu'il paraît ! Je n'aime pas
que des étrangers comme celui-ci farfouille dans ma forge quand je n'y suis pas ! En
a-t-il une allure, ce noirchon (1) ?

(1) Patois pour noiraud.

Le père Martial se dirigea vers son atelier. Marc s'écria :

— Dis donc, Lucette, si c'était un effet de ta bonté de rie pas rester plantée comme
une borne et de nous indiquer nos chambres ? Où est la voiture ? Nos sacs sont dedans !

Lucette éclata de rire.

—En fait de chambre, il faut que je vous dise... Venez à l'intérieur.

Elle expliqua aux deux garçons qu'il leur faudrait camper dans la prairie derrière la
maison.
— Bon... Il n'y a pas de bestioles, au moins ? De poules, je veux dire ?

— Non, pas par derrière...

— Dis, Marc, viens voir...

27
Marc rejoignit son frère devant un grand portrait en pied et en « roues » où il n'était
pas difficile de reconnaître, sous les traits et le costume d'époque d'un jeune coureur cycliste à
moustaches, le père Martial. Il s'appuyait glorieusement à la même bicyclette qu'ils avaient eu
l'occasion « d'admirer » un moment plus tôt.

— Pas étonnant que l'auberge s'appelle L'Estaminet des Sportifs ! C'est une
gloire locale, le père Martial.

— Bon, dis donc, intervint Pierre, si nous montions les tentes maintenant ?
On pourrait, après, faire un brin de toilette et jeter un coup d'œil au pays ! Quoi de
neuf, Lucette ? Toujours aussi décidée à battre des records ?

28
Zizi émergea de l'ombre, boudeur.

Lucette rougit de dépit sous la moquerie.. Puis, jugeant sans doute que cette attitude
était incompatible avec le caractère d'une vraie sportive, elle prit le parti de rire.

— Et j'ai une concurrente, ici, avec Jeannette. Mais, assez parlé. Vous feriez
mieux de venir avec moi, je vais vous montrer où sont vos sacs et les tentes !

29
Zizi réapparaît, mais pourquoi s'est-il caché ? Aurait-il peur de son frère ?

Ils sortirent tous les trois, et gagnèrent la remise. Une silhouette indistincte s'enfuit à
leur approche, et se réfugia dans l'ombre.

— Pas la peine, Zizi ! s'écria Lucette, je t'ai vu ! Arrive un peu ici..., sinon
j'appelle le père Martial.

Dans le silence qui suivit cette injonction, on entendit distinctement un reniflement


prolongé et, peu après, Zizi, cocasse dans son inénarrable pantalon, émergea de l'ombre et se
présenta, boudeur, tête baissée, ce qui ne laissait apercevoir qu'une touffe de cheveux noirs
qui étonna les garçons :

— Mais c'est une tête de loup, ton Zizi ! Comment as-tu fait connaissance de ce
phénomène ? demanda Marc.

— Approche, Zizi, n'aie pas peur, viens un peu me dire ce que tu fais là...

L'interpellé manifesta une timidité inhabituelle, en traînant les pieds sur la terre battue
de la remise.

— Alors, je t'ai demandé ce que tu fais ici ? Tu n'es pas devenu muet depuis hier,
non ?

Zizi hocha énergiquement son opulente chevelure. Il renifla encore une fois et déclara
sans regarder personne :

— Je suis venu avec Alfred, pour la pièce...

— Bon, ça on s'en doute, mais pourquoi n'es-tu pas resté avec lui dans la forge ?

— Alfred m'a dit de ne pas le dire..., s'obstina Zizi.

— C'est bien, dans ce cas, je vais te conduire au père Martial. Il le demandera à


ton frère !

— Ce n'est pas mon frère... et je ne veux pas que tu lui dises que tu m'as vu...

La petite voix avait faibli et il y eut comme un sanglot étouffé qui se confondit en un
reniflement sur les derniers mots.

— Mais il sait que tu es là ? La tignasse s'agita de bas en haut, énergiquement.

— Il t'a dit de te cacher ici ? Pourquoi ?

Cette fois pas de réponse.

— Bon. Pierre, va chercher M. Martial. Dis-lui due nous avons découvert un


voleur dans la remise, il téléphonera aux gendarmes...

30
Le pauvre Zizi frémit comme une bête prise au piège, et il releva vers Lùcette des yeux
mouillés de larmes.

— Ne fais pas ça, Mademoiselle ! ne fais pas ça, je vais te dire..., mais à toi «
toute seule »...

Peut-être flattée par le Mademoiselle, Lucette regarda ses cousins :

— Vos sacs sont là, au bout de la remise dans la voiture. Allez monter les tentes, je
vous rejoins dans dix minutes !

— A tout à l'heure, bourreau d'enfant ! ironisa Marc.

— A bientôt Sherlock Holmes ! appuya Pierre.

31
— Alors, raconte, je t'écoute.

Le secret de zizi

— Ne le torture pas trop quand même, ajouta Marc. Il a l'air d'un pauvre bougre !
Lucette se contenta de hausser les épaules. Lorsque les deux frères eurent quitté la
remise, elle s'accroupit à côté de Zizi de façon à toujours apercevoir son visage. Elle se
demanda s'il lui arrivait de se laver de temps en temps. Des larmes anciennes avaient laissé
des auréoles autour des paupières et, sous l'oreille, le cou était plus que douteux.

— Alors, raconte, je t'écoute...

32
Zizi s'assura d'un regard peureux que personne ne pouvait les entendre, puis il
murmura :
Que fait donc Alfred dans les dunes ?

— Alfred, il a dit qu'il ne fallait pas que je reste avec lui cette nuit. H faut que
je me cache ici... et que je reparte seulement demain matin ! Il m'a même donné
mon manger !

Zizi fouilla, avec un grand désir de prouver sa sincérité, dans une de ses vastes poches
et il en sortit un croûton de pain en piteux état.

— Bon, je te crois, mais est-ce que tu sais pourquoi tu ne dois pas rester avec lui
cette nuit ?

Zizi, pour prouver sans doute sa bonne volonté, réfléchit un moment puis, d'un air
désolé de ne pouvoir répondre, hocha la tête.

— Ça, non, je ne sais pas... Lucette se demanda ce qu'elle devait faire. La présence de
Zizi dans la remise ne pouvait gêner en rien le père Martial. Mais si elle l'avertissait, il se
chargerait d'éloigner le petit bonhomme. Et d'après ce qu'elle avait pu en juger la veille, Zizi
n'oserait pas retourner à la dune bleue, de crainte d'être battu. D'autre part, ce que venait de lui
dire l'enfant, visiblement sincère, laissait supposer que l'homme qu'il appelait Alfred — était-
ce seulement son vrai nom ? — tenait à écarter un témoin gênant, cette nuit-là...

« Je donnerais gros pour savoir ce qui se trame cette nuit dans les dunes, pensa-t-elle.
Est-ce que je vais avertir Pierre et Marc ? De toute façon, Jeannette est immobilisée... » Ce
serait peut-être une bonne façon de prouver que ses prétentions étaient justifiées? Si elle
parvenait, toute seule, à élucider le mystère de la présence d'Alfred dans les dunes, qui oserait
alors prétendre qu'elle n'était pas capable de faire un exploit ?

— Ton Alfred, il est tout seul dans les dunes ?

Zizi sursauta, surpris par la question après le silence qu'il avait respecté sans le
troubler autrement que par un ou deux reniflements.
— Ce que tu peux être agaçant Zizi avec ton nez! ,Mouche-toi une bonne
fois..., sinon je ne t'appellerai plus ,que « Niflette » ! Alors..., il est tout seul, Alfred ?

— Non..., il y a aussi Victor et la femme d'Alfred.

— Et qu'est-ce qu'ils font toute la journée ?

— Ils font des paniers !

Lucette estima qu'elle ne tirerait plus rien d’intéressant du garçon.

— Tu vas rester ici, bien tranquillement. Si tu es sage, je t'apporterai du


chocolat! C'est bon du chocolat à la crème, hein?

Mais brusquement, Lucette se frappa le front ! Elle venait de dire à Zizi de se tenir
tranquille, mais elle avait oublié l'essentiel !

33
CAMPEMENT DE MARC ET DE PIERRE

Pierre et Marc connaissaient la présence de Zizi..., s'ils allaient en parler à quelqu'un, à


Mme Martial pu à son mari ? Non seulement tous les projets qu'elle venait de faire tombe-
raient à l'eau ! mais encore Zizi n'aurait plus confiance en elle, il croirait que c'est elle qui
l'avait dénoncé. Elle courut aussitôt vers la « pâture ».

Les garçons avaient déjà étalé


la tente dans l'herbe et ils fixaient le
tapis de sol avec des piquets en
aluminium.

— Alors, il a parlé, ton prisonnier ? demanda Pierre.

Lucette évita de le regarder lorsqu'elle répondit :

— Il est parti !

Les deux garçons étaient trop préoccupés par le montage de la tente pour prêter
attention à l'incident de Zizi. Et Lucette se sentit soulagée de n'avoir pas à mentir davantage.
Elle aimait bien ses cousins ; mais ils l'avaient plaisantée en arrivant sur ce qu'ils appelaient sa
manie de vouloir à tout prix battre des records, dans tous les domaines, être leur égale!

- Alors il a parlé ton prisonnier ?

34
Elle se dit qu'elle ne leur mentait que pour pouvoir leur prouver que ses prétentions
n'étaient pas exagérées. Pourtant elle ne se sentait pas très à l'aise. Pour un peu, elle aurait fait
machine arrière et rétabli la vérité. Mais il était trop tard.

—Comment va Jeannette ? demanda Marc. Tu es allée la voir ?

— Non, pas encore, mais j'y vais tout de suite ! répliqua sa cousine, soulagée de
pouvoir faire quelque chose qui l'éloigné de ses cousins. Vous n'avez pas besoin de moi ? S'il
vous manque quelque chose, vous n'avez qu'à le demander, Mme Martial est excessivement
gentille ! Et c'est fou ce qu'on peut trouver dans ses placards.

— Si .tu crois qu'on peut lui demander un peu de paille..., ce serait avec
plaisir ! Mon matelas pneumatique est poreux, et j'en ai assez de dormir sur la « dure » !

— C'est facile ! Je vais lui en parler !

Lucette rentra dans la maison et se dirigea droit vers la chambre de Jeannette. Elle
trouva Yvonne assise près du lit et elle éprouva un sentiment de dépit de voir « sa » cousine
occupée à distraire l'autre fillette.

— Alors, Jeannette ! Comment va ce pied? Une entorse?

35
Elle éprouva un sentiment de dépit...

36
— Même pas, Lucette ! Une simple foulure. Dans trois jours je pourrai courir !
Peut-être avant, a dit Man Mélie.

Lucette renifla ostensiblement.

— Mais dis-moi, il faudrait ouvrir ta fenêtre ! Ça sent une drôle d'odeur,


ici?

Le visage de Jeannette s'empourpra et Yvonne adressa un regard de reproche à sa cou-


sine :
— C'est le baume que Mme Martial a appliqué sur la cheville de Jeannette !
dit-elle. Une merveille, paraît-il !

— Pouah, quelle horreur ! gémit Lucette avec une exagération visible. Un


remède de bonne femme !

— Pas du tout ! protesta Jeannette. C'est le pharmacien du bourg qui le fait !

— Où en sont Marc et Pierre ? demanda Yvonne pour créer une diversion.

37
Lucette sauta sur l'occasion :

— Justement, j'ai quelque chose à demander à Mme Martial de leur part. A tout à
l'heure !

« Je suis complètement idiote, moi, pensa-t-elle en quittant la chambre. Qu'est-ce que


j'ai à toujours attaquer cette pauvre Jeannette ? » Mais un mouvement d'humeur s'empara de
nouveau d'elle. « Après tout, elle est franchement insupportable avec ses prétentions ! »
Seulement, elle eut beau se répéter cette phrase, elle ne s'en sentit pas convaincue pour autant!
Elle s'en tira en estimant que c'était un tort d'être venue en vacances dans ce pays perdu : « Il
ne se passe rien ! » regretta-t-elle.

La matinée s'était écoulée rapidement. La tente des garçons se dressait maintenant


dans la pâture et une belle paille dorée dépassait de la porte. Mme Martial leur avait permis
d'en prendre suffisamment pour qu'ils puissent y coucher à deux.

— C'est meilleur que vos matelas, avait-elle dit. On s'enfonce jusqu'au cou dedans et
on étend une couverture sur la paille. Vous verrez que vous aurez trop chaud cette nuit !

Le déjeuner rassembla tout le monde dans la grande cuisine à carrelage rouge. Une
bande de papier à festons entourait la cheminée. Pierre contempla les patineurs hollandais qui
en constituaient le motif décoratif. Un crucifix de cuivre, entretenu avec piété par Mme
Martial, brillait doucement sur la hotte. L'âtre était bouché par une plaque de tôle peinte et un
poêle flamand, triangulaire, avançait son foyer rond, net sous la peinture argentée, presque
jusqu'au milieu de la salle. La plaque du dessus luisait comme un miroir. De chaque côté, une
porte de four émaillée s'ornait d'un bouquet de fleurs peintes.

— Pendant 1'été, expliqua Mme Martial, on n'allume pas dans la cuisine, je fais
cuire les repas sur le foyer de la buanderie. Comme ça, la cuisine reste fraîche.

Elle restait fraîche, en effet, de cette propreté méticuleuse des flamands qu'un climat
humide oblige constamment à nettoyer la boue ramenée aux semelles.

— Je vous ai fait un lapin aux pruneaux ! ajouta la brave femme, j'espère que vous
aimerez ça !

Marc et Pierre, un peu surpris par l'étrange association du lapin et d'un fruit sucré, se
réjouirent poliment, de confiance.

— J'ai préparé aussi une tarte au sucre, en l'honneur de votre arrivée !

Les deux frères se sourirent, heureux de se sentir accueillis avec autant de simple
gentillesse. La bonne figure de Mme Martial respirait la gaîté, la tranquillité des âmes
simples. Elle allait sans bruit, chaussée de pantoufles à semelles de feutre qu'elle glissait dans
des sabots de cuir verni lorsqu'elle avait à se rendre dans la cour. La cuisine donnait sur une
véranda, sur les murs de laquelle courait une treille peinte en jolis tons de vert et" de mauve.
Au-delà, les arbres d'un verger limitaient l'horizon immédiat.

38
Le déjeuner s'écoula joyeusement. Le père Martial fit à lui seul les frais d'une
conversation qui roula sur le sport cycliste.

— Il y a des vélos, ici ! expliqua finalement le forgeron. A la condition que vous


vous arrangiez pour les remettre propres et en bon état à leur place pour le samedi, vous
pouvez vous en servir.

— Alors, on va faire un tour dans le pays ? demanda Marc un peu plus tard.

— Est-ce qu'on peut rouler dans les dunes ? s'inquiéta Pierre.

— Par endroits, là où il y a un peu d'herbe, expliqua Yvonne. Mais ça n'est


peut-être pas intéressant ! Ce n'est que du sable !

— Possible, ma vieille, mais comme nous n'avons que l'après-midi, nous ne pouvons
pas aller bien loin. Un autre jour, nous irons faire un pique-nique ailleurs.

Une promenade explorative, pleine d'espoir et d'inquiétudes.

Lucette se demanda si cette décision n'allait pas gêner son plan. Mais à la réflexion,
elle estima qu'il valait mieux faire une sorte de reconnaissance de jour. Elle se reprocha de ne
pas avoir assez fait attention, la veille lorsqu'ils étaient allés reconduire Zizi. D'ailleurs, l'arri-
vée soudaine d'Alfred les avait empêchés de s'approcher de la Dune Bleue et du campement
qui devait s'y trouver. Peut-être qu'avec leurs bicyclettes, cette fois, l'homme n'aurait pas le
temps d'intervenir. Et puis, après tout, les dunes étaient à tout le monde.

De plus elle n'était pas fâchée que la foulure de Jeannette obligeât celle-ci à rester à
l'auberge. Elle n'aurait pas à supporter sa présence.

Elle s'irrita de voir ses cousins et sa cousine se diriger vers la chambre de la fillette.
«Je parie qu'ils vont lui dire qu'ils regrettent de ne pas l'avoir avec eux ! »

Sur les indications du père Martial, ils roulèrent sur la route assez longtemps et ne
s'engagèrent dans les dunes qu'à la hauteur d'un ancien fossé antichar plus qu'à moitié comblé
par le sable, mais encore visible par les claies et les fascines qui avaient servi à en retenir les
parois. Quelques barbelés enroulaient leurs spirales entre des piquets couchés.

— Il n'y a qu'à suivre le fossé, nous arriverons droit au fortin, a dit le père Martial.

Leur bicyclette à la main, ils s'engagèrent à la queue leu leu le long de "ce qui avait été
un fossé.

39
- Peut-on rouler dans les dunes s'inquiéta Pierre.

40
Qu’y a-t-il ? demanda Yvonne

A travers les fortins de la Dune Bleue.

Une sorte de glaise grise s'écaillait le long d'un chemin incertain. Une végétation rare,
assez semblable à de la mousse, formait deux bandes, parallèles comme des ornières, qui
cahotaient entre les replis mous du terrain,

— C'est bizarre de trouver un chemin à peu près praticable dans les dunes !...

— A mon avis, c'est de la glaise qui vient du fond du fossé quand on l'a
creusé. Tu sais bien que toutes les grévières (1) que nous avons vues, dans la forêt de

41
Compiègne par exemple, étaient dans l'eau. C'est donc que sous le sable il y a une
couche imperméable... Ici, c'est peut-être la même chose.

(1) Sortes de carrières d'où l'on extrait le sable.

— Mais qu'est-ce qu'ils peuvent bien discuter ces deux-là? grommela Lucette
à Yvonne.

Les deux fillettes suivaient difficilement.

— Ils pourraient nous attendre quand même ! admit Yvonne.

Comme si les deux frères l'avaient entendue, ils s'arrêtèrent pile peu après et, avec de
grands gestes, leur firent signe d'accourir.

DANS LES FORTINS DE LA DUNE BLEUE.

Péniblement, en dérapant dans le sable, Yvonne et Lucette arrivèrent à la hauteur


des deux garçons.

LES PROJETS DE LUCETTE VONT-ILS ETRE MIS A JOUR ?

— Quoi ? qu'y a-t-il ? demanda Yvonne tout essoufflée.

— Je crois que nous arrivons, regardez cette fumée, dit Marc en tendant le bras,

— Je peux même dire que c'est un feu de bois et que l'on vient juste d'allumer!
Après, avec du bois sec, il ne ferait plus de fumée !

— Tu crois que c'est Alfred ? demanda Yvonne.

— Bien sur, regarde un peu plus loin, la masse bleuâtre, n'est-ce pas ce que les
gens du pays appellent la Dune Bleue ?

— Euh, si, je crois !

— Alors, le fortin ne doit pas être loin ! Comment cela se fait-il qu'on ne le voit
pas davantage ?

— C'est tout simple, intervint Pierre. Ces blockhaus étaient enterrés jusqu'au ras
des ouvertures de tir et généralement camouflés aux couleurs du sol environnant.

— Dites donc, vous deux, s'écria Lucette, le soir tombera vite, vous savez ! Vous
pourrez continuer cette discussion guerrière ce soir, à l'auberge ! Pour l'instant, si nous allions
à la Dune Bleue ?

— Tu es bien pressée ! On se promène, non ?

42
Lucette se mordit les lèvres. Elle craignit en effet de s'être montré trop pressée.
Comme elle se sentait mauvaise conscience à l'égard de ses cousins, pour leur avoir travesti la
vérité le matin, au sujet de Zizi, elle n'insista pas pour ne pas risquer de se dévoiler davantage.

Ils repartirent en direction de la Dune Bleue. Et, brusquement, ils découvrirent le


fortin. C'était une masse cubique aux arêtes arrondies, percée sur les côtés d'ouvertures que le
sable avait envahies.

Et au-delà du fortin, de derrière une dune, un mince filet de fumée s'élevait. Les en-
fants posèrent leur bicyclette sur le toit du fortin facilement accessible à cause de la rampe de
sable que le vent y avait accumulée. Ils sautèrent dans le creux qui était resté à l'arrière et se
trouvèrent devant une porte métallique où de la peinture grise était encore visible.

— Une porte blindée ! fit remarquer Pierre.

— C'est bizarre qu'elle ne soit pas bloquée par le sable ! fit remarquer Yvonne,
toujours pratique.

— C'est qu'elle est abritée du vent par l'avancée du fortin sans doute, expliqua
Marc.

Pierre s'était approché de la porte et il s'exclama :

— Penses-tu ! Elle était bloquée il n'y a pas longtemps, il y a encore des traces de
sable qui sont restées collées dans les renforts et sur les rivets !

Il frotta avec son doigt la surface de la porte et, tout à coup, il s'écria :

— Il y a mieux ! Il y a des traces d'huile fraîche, à l'endroit des gonds, sans doute-
On ne les voit pas, ils sont à l'intérieur t Mais il n'y a aucun doute, celui qui a huilé cette
porte n'a pas ménagé la marchandise !

Yvonne regardait, préoccupée :

— Mais enfin, il y a longtemps que ces fortins ne servent plus à rien ? Qui veux-tu
qui ait huilé cette porte pour habiter à l'intérieur ?

Pierre haussa les épaules :

— Tu peux dire ce que tu veux ! Moi, je te dis que l'on a huilé cette porte il n'y a
pas longtemps ! Et, 'à moins d'être fou, quand on huile une porte, c'est qu'on a l'intention
de l'ouvrir, soit que l'on veuille l'empêcher de grincer, ce qui ne semble pas être le cas ici
— je me demande bien qui pourrait' l'entendre- soit que l'on veuille rendre son ouverture plus
facile. Parce qu'elle doit être lourde..., tu penses, une porte blindée !

— Bon, je n'ai rien dit d'autre ! J'ai seulement demandé si c'était pour y habiter ?

— Ça, ma petite, tu le demanderas à celui qui a pris ces précautions !

43
Ils restèrent un instant indécis, vaguement déçus et intrigués aussi, incapables de
décider ce qu'ils allaient faire ensuite.

— Si nous retournions ? proposa Lucette, qui avait profité de la halte pour prendre

des repères.
— Je ne vois pas ce qu'il y aurait d'autre à faire. Le mystère de la Dune Bleue a fait
long feu... En fait de mystère, nous sommes servis !

— Moi, je crois que nous devrions pousser jusqu'à la Dune quand même, il y a du
feu, donc il y a quelqu'un. Comme ce quelqu'un ne peut être que l'individu prénommé Alfred,
je suis curieux de voir ce qu'il fabrique dans ces parages...

— Tu le sais bien, des paniers, voyons, comme dit Zizi ! ironisa Marc.

— Au fait, c'est vrai, il doit y avoir Zizi ! s'exclama Yvonne. C'est ça allons-y !

— Je ne vois pas ce que vous allez faire là-bas, tenta de s'interposer Lucette, sans oser
trop insister.
— Regardez cette fumée...

— Est-ce que notre chère Lucette aurait peur, pour une fois ? questionna Marc en
prenant le large.

Il n'avait nullement l'envie de recevoir la bourrade que le regard de sa cousine


semblait présager.

44
Lucette, tu me paieras çà !

ON A VOLER LA BICYCLETTE

45
— Mais c'est vrai, au fait, reprit Pierre, cette chère Lucette n'a fait que nous
conseiller la voie de la raison ! Nous l'aurait-on changée ? Voyons, Yvonne..., nous t'avions
confié Lucette en rébellion constante contre l'autorité, c'était quelqu'un, cette chère
Lucette, pleine d'audace, que dis-je, de témérité même, et tu nous restitues une poule
mouillée qui ne songe qu'aux joies paisibles que semble lui procurer le clos de
l'Estaminet, des Sportifs"? Tu as manqué à tous tes devoirs, ma sœur !

Cette tirade et le ton grandiloquent sur lequel elle fut débitée amena sur le visage de
Lucette, après une première grimace de fureur, un sourire de franche gaîté. Yvonne, elle, rit
franchement. Quant à Marc, il abonda dans le sens de son frère :

— Je suis inquiet, Pierre. Si ce changement s'avérait définitif, il conviendrait


désormais que nous nous fendions d'une carte enrubannée à la sainte Catherine, pour
cette chère Lucette !

— Que nous nous fendassions, mon vieux, fendassions!

— Mais non, vénérable philologue, conviendra étant au futur...


— Pitié ! gémit Yvonne qui sentait venir une discussion sur la concordance des
temps. Parlons plutôt à l'indicatif, et plus particulièrement au présent ! Que faisons-nous ?

— Aucun doute en ce qui me concerne : je veux voir Alfred ! s'exclama Pierre.

— Moi itou ! renchérit Marc.

— Ma foi, allons-y ! agréa Lucette.

— Lucette, je te reconnais là... commença Pierre.

Mais il n'eut pas le temps d'achever : une poignée de sable manqua de peu de l'aveu-
gler et il crachota pendant quelques minutes les grains qui s'étaient engouffrés dans sa bouche.

— C'est ce que tes artilleurs appellent « du poivre dans la soupe », si mes lectures sont
exactes ! commenta Marc.

— Lucette, tu me paieras ça ! rugit Pierre. Et pas plus tard que tout de suite !

Il se mit en devoir de poursuivre sa cousine qui ne l'avait pas attendu. Les deux autres
suivirent en riant. La ' bataille ainsi déclenchée les entraîna vers la Dune Bleue où le filet de
fumée était moins visible maintenant. Lorsqu'ils débouchèrent à la crête, ils poussèrent une
exclamation de dépit : un feu de planches achevait de se consumer, quelques papiers, des
détritus révélaient que quelqu'u avait campé là, peu de temps auparavant sans doute, mais la
place était vide.

46
- Une auto est venue jusque là !

— Pouce ! gémit Lucette, pour empêcher Pierre d'exercer de justes représailles.

Marc s'était avancé jusqu'à l'emplacement du campement :

— Il y EP des taches d'huile dans le sable, dit-il aussitôt. Une auto est venue
jusque-là, et elle y a séjourné !

Pierre, cette fois, abandonna Lucette :

— Une auto ? ici ? par où serait-elle venue?

Ils cherchèrent et découvrir rapidement que le chemin de glaise sèche passait à


quelques mètres de là.

— Ce n'est pas impossible après tout. Avec quelques planches, on peut fort bien garer
une voiture à l'abri de la Dune.

Ils examinèrent encore l'endroit, mais en vain. Rien de particulier, hormis des brins
d'osier coupés, ne se révéla à leurs yeux.

Qu’allaient-ils découvrirent à la Dune Bleue ?

— Tu vois, Lucette, expliqua Yvonne, Alfred faisait des paniers !

— Quelle scie ! Change de disques, Yvonne ! répliqua Lucette. Retournons


maintenant, nous en avons assez vu pour aujourd'hui !

47
Us regagnèrent le fortin et récupérèrent leurs bicyclettes. Mais Lucette poussa un cri
de détresse !

ON A VOLÉ LA BICYCLETTE

— Ma bicyclette ! La bicyclette du père Martial ! Elle a disparu !

Cette découverte jeta la consternation parmi les quatre jeunes gens.

— C'est impossible, voyons, tenta d'affirmer Pierre. Tu es sûre de l'avoir laissée


avec les nôtres ?

Lucette lui adressa un regard à la fois courroucé et consterné ! Elle était désolée
d'avoir montré aussi peu de sang-froid et fâchée de ce que l'on put mettre en doute une chose
aussi évidente.

— Tiens, qu'est-ce que je te disais ! reprit Pierre, au bout d'un instant. Elle est dans
le fossé antichar, ta bécane ! Tu perds la mémoire, ma vieille !

— Dans le...

Mais Lucette ne put en dire davantage.

La fureur et la confusion firent s'étrangler les mots dans sa gorge.

— C'est bien ce que je disais, Yvonne ! ajouta Pierre. H est arrivé quelque chose
à cette chère Lucette. Le climat des Flandres ne lui a rien valu ! Pour la mémoire
surtout !

— Tu peux bien rire, va ! riposta sa cousine d'un ton rageur. N'empêche que je
me souviens très bien de l'avoir déposée en même temps que les autres sur le toit du
blockhaus !

— Mais bien sûr, voyons, Pierre ! plaisanta Marc à son tour. Tu sais bien
que les Flandres sont le pays des champions cyclistes ! Pourquoi n'y aurait-il pas un «
cycliste fantôme » dans les dunes, comme il y a un « cavalier fantôme » ailleurs !

— Je croirais plutôt à un phénomène d'automation ! renchérit Pierre. Le


modèle de l'avenir, la bécane qui se déplace toute seule !

— Riez bien tous les deux ! riposta Lucette qui venait de se souvenir de
l'expédition nocturne qu'elle avait projetée dans les dunes. Nous verrons bien qui rira le
dernier !

— Si nous retournions ? demanda Yvonne toujours conciliante. Nous serons en


retard pour le goûter.

L'incident avait fait oublier aux garçons le mystère de la porte blindée, dégagée du
sable et huilée.

48
— Ce qui serait intéressant, affirma Marc quelques instants plus tard alors qu'ils
repartaient le long du fossé, ce serait de venir camper ici une nuit pu deux. La mer n'est
pas loin, nous pourrions nous baigner.

— M. Martial dit qu'il y a du danger à cause des sables ! intervint Yvonne.

— H doit bien y avoir; une plage ?

— Pas ici, en tout cas. La plage n'est pas sûre.

- La discussion continua jusqu'à l'auberge. Mme Martial les attendait.

— Alors, on a fait une bonne promenade ? J'espère que vous avez faim, donc ? J'ai
cuit des spécules, ce matin, vous allez les goûter !

Ma bicyclette a disparu !

49
— Si vous voulez en apprendre plus long...

A L’ESTAMINET DES SPORTIFS

Marc et Pierre regardèrent Yvonne pendant que la brave femme allait chercher dans
l'arrière-cuisine une boîte métallique.

— Qu'est-ce que c'est que ça, des... spéculos 1 finit par demander l'aîné.

50
— Des gâteaux ! Un peu comme du pain d'épices, mais croustillant. On moule
la pâte en forme de petits bonshommes, c'est amusant. H faut de la cassonade, à la place
du sucre. C'est ce qui leur donne une belle couleur.

Mme Martial déposa sur la table la boîte carrée, souleva le couvercle et les « petits
bonshommes » apparurent, empilés, bien en ordre sur du papier blanc.

Madame Martial va-t-elle dévoiler


le secret de la DUNE BLEUE ?

— Hum ! quelle odeur ! s'exclama Pierre.

— Je n'ai jamais rien senti de meilleur ! renchérit Marc qui vit le visage
rougeaud de Mme Martial s'éclairer d'une fierté légitime de bonne ménagère.

— Ne mangez pas toute la boîte quand même ! protesta-t-elle pour la forme.


Ce sont des gâteaux très sucrés !

Les biscuits étaient encore un peu tièdes et fondaient sur la langue. Seule la bonne
éducation empêcha les enfants de faire une brèche considérable dans les piles de spéculos.

— Quand vous aurez un moment de liberté, je vous demanderai de me dicter la


recette ! demanda Yvonne qui s'acquit aussitôt des droits tout spéciaux à l'affection de
la bonne Mme Martial.

— Avez-vous bien profité de votre après-midi, au moins ? demanda-t-elle.

Lucette tressaillit. C'était justement à l'incident de la bicyclette déplacée qu'elle


pensait. Car elle continuait à être certaine d'avoir déposé le véhicule sur le toit du fortin, avec
les trois autres. Seulement, à moins de supposer l'intervention d'un mystérieux individu,
comment comprendre ce qui s'était produit ?... Et pourquoi, celui-ci s'était-il contenté de
déplacer la bicyclette ? Peut-être escomptait-il qu'ils resteraient plus longtemps éloignés ?
Peut-être songeait-il à s'en emparer pour de bon, mais n'avait pas eu le temps de mettre son
projet à exécution?...

Cela faisait beaucoup de questions auxquelles Lucette se trouvait incapable de


répondre et l'effort de réflexion plissait son front.

— Nous sommes allés Jusqu'au fortin..., répondit Marc. C'est vraiment curieux.
C'était la première fois que je voyais de près une construction de ce genre. Personne ne s'en
sert maintenant ?

— Non, pas celui-là. Pendant un certain temps, quelques réfugiés, sans abri, ont
logé dans un ouvrage qui se trouve plus à l'intérieur des terres. Mais c'était juste après la
Libération. Il y en a que l'on a fait sauter pour rendre la terre à son propriétaire. Mais ici,
dans le sable...

— Et la Dune Bleue, est-ce qu'il s'est vraiment passé des choses mystérieuses
dans les parages ? demanda Pierre.

51
Le visage avenant de Mme Martial se rembrunit.

— Ce ne sont peut-être que des on-dit ! D'autant plus que les choses que
racontent les vieux du village se sont passées bien avant que Martial et moi nous ne soyons
dans le pays. Mais n'empêche. Je ne connais pas beaucoup d'habitants de cette région qui
aimeraient s'y aventurer la nuit. C'est tout comme une superstition, si vous voulez..., il y en a
dans tous les pays, vous savez !

— Bien sûr, s'empressa d'affirmer Marc.

— D'ailleurs, ajouta Mme Martial, si vous voulez en apprendre plus long sur la
Dune Bleue, vous n'aurez qu'à aller au village. C'est bien rare si vous ne trouvez
pas le père Ephrem sur sa porte, à fumer sa pipe. H est très vieux, maintenant, dans une
paire d'années, si le bon Dieu le veut, ça fera un centenaire au pays. Mais il a bonne mémoire
et lui peut vous raconter ce qui s'est passé. Moi, je ne saurais pas vous en faire un bon conte.

52
— Ne mangez pas toute la boite !

— C'est ça, s'écria Yvonne. Nous irons voir le père Ephrem. N'est-ce pas
Lucette?...

L'interpellée sursauta. Elle s'empourpra, sans motif apparent. C'est qu'elle pensait que
si personne n'osait se risquer près de la Dune, elle retirerait de son exploit une plus grande
considération ; mais en même temps elle commençait à se demander si elle ne ferait pas
mieux, avant de s'y risquer, d'attendre leur visite au père Ephrem. Ainsi, du moins, saurait-elle
à quel genre de danger elle risquait d'avoir à faire face.

53
— Bien sûr ! affirma-t-elle vivement, sans trop savoir ce que sa cousine lui
avait demandé.

En même temps, elle se souvint que Zizi avait parlé de cette nuit même, de cette nuit
où il ne fallait pas qu'il reste avec Alfred...

— Tu viens, Marc ? demanda Pierre. J'ai envie d'aller voir la forge d'un peu plus près.
Ensuite nous enverrons un mot à maman pour lui annoncer que nous avons trouvé sa fille
en parfaite santé et que nous-mêmes, nous sommes bien arrivés.

— Moi, je vais voir Jeannette ! déclara Yvonne. Elle doit

— s'ennuyer la pauvre ! Tu viens avec moi, Lucette ?

— Euh..., non, pas tout de suite. Je vais faire un petit tour dans la
pâture. Ça me donnera l'illusion de camper, moi aussi. Je te rejoindrai plus tard !

Yvonne crut que c'était pour ne pas aller voir Jeannette que sa cousine invoquait ce
prétexte. Elle ne pouvait évidemment pas se douter que Lucette venait de se souvenir tout à
coup de la présence de l'infortuné Zizi dans le foin de la grange... et qu'elle venait de décider
d'aller lui faire une petite visite. « Qui sait, pensait-elle, avec un peu d'adresse, peut-être
parviendrai-je à tirer de lui quelques renseignements utiles !... »

54
Elle découvrit son protégé dans une attitude abandonnée...

Zizi, le phénomène,
va-t-il aider Lucette dans ses projets ?

Lucette laissa les garçons disparaître dans la forge, où le père Martial, décidément
inlassable, battait du fer. Elle se glissa dans la grange, où régnait l'odeur chaude — une odeur
de vieux thé, pensa-t-elle — du foin entassé.

La grange ne prenait jour que par une lucarne, haut placée dans le toit et à demi
tapissée d'épaisses toiles d'araignées. La poussière accumulée sur les toiles leur donnait
l'aspect et la couleur d'une peau de souris. Elle laissa ses yeux s'accoutumer à la pénombre qui
régnait.

— Zizi ? appela-t-elle doucement. N'aie pas peur, c'est moi !

Elle avança jusqu'au milieu de l'aire restée libre et renouvela son appel, auquel la
masse de foin ôtait toute résonance. Mais Zizi ne répondit pas.

— Où est-il bien passé ce phénomène ? se demanda-t-elle. Il n'est tout de même


pas reparti dans les dunes ? Puisque le dénommé Alfred le lui a interdit, il le craint trop pour
désobéir ! Mais alors, où est-il ?

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Elle s'avança jusqu'à l'extrémité de la grange, légèrement inquiète de la disparition du
garçonnet. Et, tout à coup, elle entendit un léger bruit, une sorte de bourdonnement discret qui
tenait à la fois du vol irrité de la mouche et du soupir. Elle faillit éclater de rire, soulagée. Zizi
dormait, quelque part, dans le foin. Elle avisa une échelle, dressée contre un des piliers qui
maintenaient le foin et elle se mit en devoir d'atteindre le sommet du tas. Elle éprouva
quelques difficultés à se rétablir sur le foin glissant mais elle n'eut pas fait trois pas sur la
masse élastique qu'elle découvrit son protégé dans l'attitude abandonnée, touchante malgré
son accoutrement, d'un enfant endormi.

Elle hésita à le réveiller ; mais sans doute ne dormait^il que d'un œil, car elle le vit se
redresser brusquement, la mine hébétée de sommeil, mais visiblement effrayé. Lorsqu'il
reconnut Lucette, son visage brun s'éclaira d'un sourire.

Lucette décide de faire une expédition nocturne à la Dune Bleue.

— Bien dormi ! finit-il par dire.

— Je le vois ! Paresseux ! plaisanta Lucette.

Zizi lui adressa un regard en coin en penchant la tête comme un oiseau curieux, pour
juger de l'importance qu'il convenait d'accorder à cette remarque, puis, rassuré sans doute, il
exécuta une cabriole, tête en avant, ce qui eut le don de dérider complètement la fillette.

— Bon, viens ici, Zizi, j'ai à te parler !

Zizi renifla et passa une manche preste sous son nez. Lucette pensa que ce n'était pas
le moment de lui faire une leçon de propreté.

— Tu m'as bien dit qu'Alfred ne voulait pas de toi cette nuit, n'est-ce pas ? Et aussi
que tu ne savais pas pourquoi ?

Zizi, les yeux écarquillés, agita énergiquement sa chevelure brune pour approuver.
Puis, se souvenant de la promesse qui lui avait été faite, il allongea une petite main crasseuse,
où, par contraste, un petit rond de paume paraissait plus rosé :

— Chocolat ? demanda -1 - il, l'air soudain sérieux.

Lucette se gourmanda de l'avoir oublié.

— Tout à l'heure, dit-elle, je reviendrai t'en apporter.

Zizi se renfrogna, fit la moue, et s'intéressa beaucoup en apparence à une poutre du


toit qui ne comportait pourtant rien d'extraordinaire. Lucette faillit s'emporter mais, malgré
l'impétuosité habituelle de son caractère, elle ne put s'empêcher de sourire. Le petit
bonhomme était à la fois cocasse et touchant dans sa tentative pour montrer sa déconvenue
boudeuse.

— J'ai été voir Alfred, cet après-midi, lui dit-elle.

56
L'autre fit celui qui n'a pas entendu et fronça les sourcils comme s'il venait de faire, sur
la poutre, une soudaine découverte d'un puissant intérêt.

— Il n'était pas là, ni la voiture non plus !

Les paupières de Zizi battirent et il ne put retenir un regard filtré par ses cils bruns en
direction de Lucette. Sa poitrine se gonfla, il soupira et finit par dire, avec une hargne
tranquille :

— Pas vrai !

Lucette, encore une fois, se demanda ce qui pouvait la rendre si indulgente pour ce
petit bout d'homme inconnu.

— Pourquoi dis-tu ça, Zizi ?... Tu crois que je mens ?

La tignasse s'agita de nouveau avec une conviction véhémente.

— C'est pourtant très vilain de mentir ! reprit Lucette. Tu mens, toi, de temps en
temps?

Zizi pencha la tête, les sourcils froncés, naïve image de la réflexion et finit par avouer:

— Oui..., pour qu'Alfred ne me batte pas !

Il était redevenu le petit bonhomme de huit ans, rendu à son âge par le souvenir de ses
craintes et, sans doute, de quelques cuisantes corrections.

— Eh bien, moi, j'irai ce soir voir Alfred... Je veux voir ce qu'il fait dans la Dune !

Lucette ne quittait pas des yeux le visage de Zizi. Elle y vit se refléter une succession
d'émotions diverses. Il y eut d'abord une lueur d'admiration dans le regard sombre, puis un
sursaut de crainte qui fit battre deux ou trois fois les paupières.

-Chocolat? demanda-t-il.

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— Il ne faut pas, Mademoiselle ! finit-il par dire, d'une voix tremblante... Il ne faut
pas!

Le garçonnet avait mis tant de conviction dans son objurgation que la résolution de
Lucette en fut entamée. Quelle était donc la mystérieuse occupation qui attirait Alfred dans les
dunes ? Etait-elle donc si importante ? Sa curiosité en fut excitée et elle retrouva aussitôt le
désir impérieux de découvrir par elle-même ce qui se passait près du fortin.

58
Pas cette fois !

ZIZI VA-T-IL AIDER LUCETTE?

— Je crois que j'irai quand même ! finit-elle par affirmer. Est-ce que tu
viendrais avec moi ?

Cette fois ce fut un affolement intense dans la frimousse barbouillée.

— Il ne faut pas, Mademoiselle ! bredouilla encore une fois la voix étranglée.

— Mais, pourquoi ? Tu sais quelque chose alors, puisque tu as si peur ?

— Je ne sais pas...

— Mais moi, je sais que j'ai beaucoup de chocolat, de bon chocolat au lait... et
je n'irai pas jusqu'à la Dune Bleue... seulement faire un petit tour dans les dunes, pour voir...,
et ceux qui viendraient avec moi, eh bien, je partagerais bien mon chocolat avec eux !

— Un petit tour ?...

Zizi s'était empourpré tant la lutte intérieure qu'il soutenait contre sa peur d'Alfred en
faveur de sa gourmandise était vive. Avec un nouveau soupir, suivi d'un reniflement décidé, il
capitula presque en s'informant du bénéfice qu'il pouvait tirer de son acceptation :

— Combien tu en as « du chocolat » ?

59
— Grand comme ça ! affirma Lucette en indiquant entre ses mains étendues la taille
d'une plaquette de chocolat de bonne taille.

Zizi apprécia, renifla une fois encore, puis, de l'air détaché de celui qui prend une
décision désintéressée, il déclara :

— Je vais avec toi...

Puis sans attendre, d'un air très petit garçon câlin, il ajouta :

— Tu me le donneras quand, le chocolat, Mademoiselle ?

Il n'avait plus été question de la Dune Bleue, le soir, au « souper », comme disait Mme
Martial. Les garçons, un peu par? politesse et beaucoup par curiosité, avaient lancé M. Martial
sur le chapitre de ses souvenirs sportifs. Lucette y avait trouvé un avantage : en faisant
semblant d'écouter, elle pouvait réfléchir sans crainte aux détails de son expédition en
compagnie de Zizi.

Lucette, en expédition nocturne à la Dune Bleue.

— Une fois donc.... je casse ma .fourche ! disait le forgeron. Le règlement de la


course était formel : défense de recevoir de l'aide, défense de changer de machine,
comme on le fait maintenant ! Un commissaire de course est resté avec moi. J'ai réussi à
trouver une forge et j'ai brasé ma fourche moi-même ! Je suis reparti aussitôt.

— Et vous avez gagné ? demanda Yvonne.

— Pas cette fois-là ! Une heure un quart, ça ne se rat trape pas comme ça ! A
cette époque-là, un coureur était un homme complet ! Us me font bien rire, vos
champions, avec leurs boyaux en soie, leur aluminium (1) et leurs changements de
vitesses ! Et maintenant les routes de montagnes sont bonnes ! Si vous aviez vu ces trous,
ces cailloux, dans les Alpes et les Pyrénées, de mon temps !

(1) En réalité le duralumin.

« Au fond, je n'ai pas besoin d'emporter ma lampe électrique, pensait au même


moment Lucette. Alfred et sa bande pourraient apercevoir la lumière. Je me demande s'il y
aura clair de lune... Il vaudrait peut-être mieux que je coupe directement à travers les dunes,
au lieu de faire le tour par le chemin..., on ne sait jamais, je risque de rencontrer quelqu'un... »

... 10 heures sonnaient à la grosse horloge flamande de la salle lorsqu'elle se glissa, par
l'arrière-cuisine, jusqu'à la remise où l'attendait Zizi. La nuit était sombre et des nuées basses,
très noires, couraient sur le ciel sans étoiles.

Elle aperçut la masse jaune, lumineuse, de la tente où ses cousins n'étaient pas encore
endormis.

60
« Ils vont en faire une tête, demain, pensa-t-elle, lorsque je leur raconterai... >

Pourtant, malgré cette agréable perspective, son cœur battait très fort lorsqu'elle
poussa la porte de la grange...

L’EXPEDITION NOCTURNE

Elle faillit se heurter à Zizi, dans le noir. Le jeune garçon l'attendait à proximité de la
porte, impatient sans doute de recevoir le chocolat promis plutôt que de faire une promenade
dans les dunes.

— J'ai faim ! déclara-t-il aussitôt.

— Sortons d'abord ! J'ai pensé à toi... Je t'ai apporté mon dessert !

L'attention que ses cousins avaient accordée aux récits du père Martial lui avait permis
de mettre dans sa poche les spécules et la poire de son dessert.

Ils sortirent dans la cour. Une brise de mer, à saveur de sel, agitait doucement l'ombre
indistincte des arbres. Lucette remarqua que la lumière était enfin éteinte dans la tente des
garçons. Zizi sur ses talons, elle se glissa dans le verger, ce qui lui parut la meilleure manière
de s'orienter. En continuant à avancer tout droit, elle ne pouvait pas se tromper : la Dune
Bleue se trouvait sensiblement dans le prolongement de la ligne des pommiers de gauche. Un
instant, au moment de quitter le verger et la présence rassurante des arbres aux branches
basses, elle se demanda si elle parviendrait à retrouver aisément l'auberge. « Bah, pensa-t-elle,
la lune finira bien par se lever, d'ici là. »

Elle accorda un répit à Zizi pour lui permettre de dévorer les gâteaux et la poire, ce
qu'il fit dans un grand bruit de mâchoires et de reniflements. Elle lui donna ensuite deux
barres de chocolat au lait, de sa réserve personnelle, et dut lui apprendre à dire merci.

— Ton éducation est bien mal faite, mon pauvre Zizi ! soupira-t-elle.

Mais elle se souvint que ce n'était pas tout à fait le moment de songer à y remédier.

— J'ai fini ! annonça Zizi. J'aurai encore du chocolat ?

— Oui, plus tard, en revenant !

Sans manifester autrement ses sentiments, Zizi suivit Lucette. Elle retourna à l'avant-
dernier pommier et continua ensuite sa route vers les dunes en suivant l'alignement obtenu
grâce aux deux derniers.

Ils avancèrent ainsi pendant presque un quart d'heure. Ce fut du moins ce que supposa
la fillette qui déplora de n'avoir pas, comme les garçons, un cadran lumineux à sa montre.
Puis, tout à coup, un bruit de moteur, qu'elle situa dans la direction du fort, lui parvint,
assourdi.

61
Ils avancèrent ainsi pendant presque un quart d'heure.

62
D'instinct, elle s'allongea sur le sable...

DANS LE SILENCE,
MARCHE SUR LA DUNE

— Ton Alfred a une bicyclette à moteur, peut-être ? demanda-t-elle à son compagnon.

— Bicyclette? répéta Zizi, comme si le mot lui-même lui semblait inconnu.

— Un vélo... une bécane... tenta Lucette.

— Un vélo ! Oui ! répliqua le garçon tout heureux d'avoir compris. Un vélo qui
fait teuf-teuf-teuf...

Il aurait continué par jeu l'imitation du bruit d'un moteur si la fillette ne l'avait
interrompu.

— Tu crois que c'est lui qui fait ce bruit ?

Zizi réfléchit un moment, puis sans se compromettre, il déclara :

— Peut-être...

Ils continuèrent à avancer. Le moteur s'était arrêté ou l'engin s'était éloigné. Seul, le
murmure de la brise était perceptible, ponctué des reniflements agaçants de Zizi. Lucette se

63
demandait maintenant si elle découvrirait quelque chose d'intéressant. Le fort lui paraissait si
loin dans l'immensité de la nuit qu'elle ressentit un léger découragement.

Elle évoqua un instant le bon lit tiède dans lequel Yvonne devait dormir, et même la
paille fraîche où devaient reposer ses cousins. Elle jeta un coup d'oeil au ciel pour tenter d'y
déceler un signe précurseur de l'apparition de la lune, mais en vain. L'avance dans le sable
mou n'était pas facile et elle avait l'impression que les glissades que lui imposaient parfois les
ondulations des dunes, lorsqu'elle arrivait à un sommet pour retomber dans un creux,
risquaient de la faire dévier de sa route.

Elle était presque décidée à faire brusquement demi - tour lorsqu'une lueur se promena
dans le lointain et, d'instinct, elle s'allongea sur le sable, comme si, malgré la distance, elle
risquait d'être aperçue.

La lueur flotta, indécise, s'éteignit un instant pour reprendre aussitôt, un peu plus loin.
Elle se stabilisa ensuite quelques minutes, avant de disparaître complètement, cette fois.
L'obscurité parut plus dense, après cette faible lumière rougeâtre que Lucette ne parvint pas à
identifier. Ce pouvait aussi bien être la flamme d’une allumette, quoique, à la réflexion, elle
estima qu'une allumette n'aurait pas duré aussi longtemps.

Que va-t-il arriver à Lucette,


la nuit, dans les Dunes ?

— Viens, dépêchons-nous, on va voir !

Zizi ne protesta pas, trop alléché par la perspective du chocolat pour oser rappeler à sa
compagne qu'il avait été dit que l'on n'irait pas jusqu'au fortin. Ou peut-être avait-il sim-
plement oublié.

Lucette était en sueur, maintenant, très échauffée par ses efforts pour avancer le plus
vite possible dans le sol croulant.

La lueur reparut, décrivit un arc de cercle en éclairant ce que Lucette crut reconnaître
pour une silhouette vague.

Elle tenta d'évaluer la distance, mais y renonça bientôt. La nuit, tout est trompeur. Elle
avait lu que les aviateurs avaient à leur disposition, pour un vol de nuit, des cartes spéciales
établies en fonction, non des formes exactes des agglomérations, bois, routes et champs, mais
en fonction de leurs ombres déformées.

Tout à coup, elle poussa un cri de douleur. Son pied droit venait de rencontrer une
pierre, sans doute, car elle ressentit une vive souffrance. Après s'être presque retourné le gros
orteil et avoir failli tomber, elle se retrouva à quatre pattes dans le sable et, en tâtonnant pour
se relever, elle constata qu'il ne s'agissait pas d'une pierre, mais bien d'une barre métallique
qui dépassait du sable.

Zizi, inquiet, s'approcha :

— Qu'est-ce que tu as ? demanda-t-il dans son langage personnel.

64
— Un morceau de fer... dans le sable. Je me suis cognée ! expliqua Lucette. Tiens,
regarde !

Elle voulut soulever la barre qui résista. Mieux, lorsqu'elle tenta d'en découvrir
l'extrémité, elle eut beau écarter le sable de ses deux mains, elle constata que la barre
continuait sur plusieurs mètres et, bientôt, elle se rendit compte qu'il s'agissait, non pas d'une
barre, mais bien d'un rail !

— Des rails... murmura-t-elle... mais pourquoi n'y en a-t-il qu'un ?

Elle fouilla davantage encore le sable et découvrit qu'elle se trompait. Des traverses
métalliques étaient fixées au rail et rejoignaient sans doute le second, enterré plus profondé-
ment.

Cette découverte occupa son esprit un moment, bien qu'elle ne parvint pas à
s'expliquer la présence d ' une voix ferrée étroite au milieu des dunes.

Lorsqu'elle regarda de nouveau dans la direction de la lueur, celle-ci avait disparu en-
core une fois.

Sur sa droite, très loin à l'horizon, elle crut apercevoir une nouvelle lueur, bizarrement
dessinée, très blanche cette fois, et ce ne fut qu'après un moment -d'observation qu'elle se
rendit compte qu'il ne s'agissait que du lever de la lune derrière un nuage qu'elle auréolait d'un
liséré d'argent.

Pour ses yeux accoutumés à l'obscurité, cette lumière lui permit de distinguer le
paysage environnant, ou du moins de voir plus loin au milieu des ondulations inégales des
dunes.

Il lui sembla tout à coup entendre comme un murmure de voix, puis un grognement
étouffé... le grognement d'un chien inquiet qui n'a pas encore identifié un danger possible.
Mais le chien se tut et Lucette se demanda si elle avait bien entendu quelque chose ou si
c'étaient ses oreilles qui bourdonnaient.

65
Une lampe électrique venait de s'allumer...

Elle décida d'abandonner sa découverte pour repartir droit en direction de l'endroit où


la lueur avait disparu la seconde fois.

Mais elle n'avait pas fait 20 mètres qu'elle se sentit agrippée par les deux menottes de
Zizi, soudain effrayé. Une lampe électrique venait de s'allumer brutalement à quelques mètres
d'eux et une voix terrible venait de crier un mot qui résonna, tant elle fut surprise, comme une
détonation :

- Halte

Mais ce sont des gosses !

LE RETOUR A L’AUBERGE

Le cœur de Lucette avait fait un tel bond, au cri poussé par une ombre qui se dressait
maintenant devant elle, qu'elle crut qu'il avait heurté sa poitrine. Ce fut comme si un tam-tam
sourd s'était mis à résonner à ses oreilles et elle sentit ses jambes trembler nerveusement. Zizi,
lui, toujours agrippé à elle, claquait des dents et en oubliait de- renifler.

HALTE EN PLEINE NUIT

66
— Halte à la douane ! reprit la voix. Avancez un peu, qu'on vous voie !

— Mais ce sont deux gosses ! s'exclama une seconde voix, en même temps qu'une
autre silhouette émergeait d'un creux de dune.

Dans la lueur projetée par le faisceau de la lampe, Lucette vit briller les yeux et la
truffe d'un chien. Les oreilles pointues et la taille ne laissaient aucun doute : «c'était un chien
policier, du type berger allemand. Elle ne s'était donc pas trompée, quelques instants plus tôt,
en entendant un grognement. La bête, bien dressée, n'aboyait pas, elle se contentait d'avertir
son maître par un simple grognement que, seul, le silence de la nuit lui avait permis de
percevoir.

— Qu'est-ce que vous fabriquez, tous les deux, à une heure pareille, dans les dunes?
reprit le premier douanier. Vous allez aux fraises, peut-être ?

Lucette se détendit un peu. La voix qui venait de lancer cette plaisanterie avait frémi
comme lorsque l'on a envie de sourire en grondant. Elle reconnut l'intonation qui lui permet-
tait de deviner si son père était réellement en colère ou non lorsqu'il la grondait.

— Allons, parlez ! intima le second douanier. On vous a posé une question ?

— Je... nous... faisions une promenade, balbutia Lucette.

— Par cette nuit noire ! Au milieu des dunes ! Drôle d'idée !

— Ils n'ont pas l'air de porter quelque chose de suspect ! grommela ' l'autre douanier.
Je ne connais pas ces bougres-là...

— Vous êtes en vacances, au village, peut-être?

— Ou... oui, admit Lucette, en imaginant aussitôt la réaction du père Martial s'il
venait à apprendre son escapade, ce qui ne saurait manquer de se produire à la première
occasion.

— Allez, filez ! retournez vous coucher, garnements ! Et vite, sinon je lâche


Troc à vos trousses.

En entendant son nom, le chien grogna légèrement et Lucette ne put


réprimer un 'mouvement de recul.

— Vous avez compris..., filez... et qu'on ne vous y reprenne plus !

— Une minute ! Où êtes-vous en vacances ? Chez qui ?

Avant que Lucette ait eu le temps de réfléchir, elle répondit :

— Chez M. Martial...

67
— C'est bon, on lui dira deux mots, au père Martial. Qu'il ferme mieux ses portes
le soir... Filez !

Comment Lucette va-t-elle terminer sa nuit d'aventures ?

— Bonsoir, Messieurs, balbutia Lucette, brusquement soulagée de s'en tirer à si bon


compte.

Elle fit demi - tour, encore éblouie par la lumière de la lampe, et, machinalement, elle
prit Zizi par la main. Elle trébucha plusieurs fois avant de retrouver un rythme de marche
normal.

— Alfred n'aime pas... les douaniers ! affirma le petit garçon d'une voix qui
tremblait encore.

Lucette enregistra cet aveu et demanda :

— Pourquoi, Zizi ?

— Je ne sais pas..., mais il ne les aime pas..., sûr de sûr !

La lune, avait définitivement percé les nuages bas qui continuaient à courir, frangés
d'argent lumineux à chaque fois qu'ils masquaient la lune.

Zizi, maintenant qu'ils se dirigeaient vers l'auberge, semblait de plus en plus confiant.
Lucette, par contre, envisageait avec moins d'optimisme la journée du lendemain, lorsque les
douaniers auraient vu M. Martial et l'auraient mis au courant de la promenade nocturne de
deux de ses pensionnaires au beau milieu des dunes. « Comment vais-je bien lui expliquer la
présence de Zizi ? » pensa-t-elle. Mais ce qui lui était beaucoup plus pénible encore, c'était de
n'avoir rien découvert qui lui permette de triompher aux yeux de ses cousins, le lendemain
matin. « Tout ce mal pour rien, s'irrita-t-elle ; encore heureux que Jeannette ne soit pas sur
pied ! Elle en ferait des gorges chaudes ! » Elle conclut qu'il fallait qu'elle découvre un moyen
de parer aux conséquences de sa rencontre avec les douaniers.

« Je sais au moins une chose, réfléchit-elle pour se consoler un peu. Alfred n'aime pas
les douaniers, ce doit être un fraudeur. »

— Qu'est-ce qu'il transporte, ton Alfred, dans sa voiture ? demanda-t-elle.

Zizi, comme toujours, ne répondit pas immédiatement. Elle se demanda si c'était par
besoin de réfléchir ou simplement parce qu'il cherchait ses mots. Il affirma, un peu plus tard,
le ton aussi véhément que s'il eût réclamé du chocolat :

— Des paniers !

Et ce ne fut qu'en considérant l'âge du garçon que Lucette parvint à se convaincre qu'il
ne se moquait pas d'elle. Après tout, si Alfred éloignait Zizi chaque fois qu'il avait à se livrer à
son mystérieux trafic, il était normal que le garçon ne connaisse que son activité avouée :
fabricant et marchand des trop fameux paniers.

68
La lune leur permit de retrouver sans peine l'auberge. Lucette reconduisit Zizi à son
foin et au moment de le quitter une idée lui vint :

— Est - ce que tu fais ta prière, le soir, avant de t'endormir ? demanda-t-elle.

Cette fois Zizi ne répondit que par un reniflement accentué. La question n'avait aucun
sens, visiblement, pour lui. Après un silence embarrassé, il nriit par répondre :

— Je ne sais pas !

Après avoir pensé un instant à lui faire répéter un Pater avec elle, Lucette estima que
l'heure était bien avancée déjà et qu'elle s'occuperait de Zizi plus tard. Elle n'avait aucune idée
de ce que représenterait exactement ce futur ; mais elle était trop fatiguée par la marche dans
le sable et les émotions de cette soirée pour posséder l'énergie nécessaire à cet effort supplé-
mentaire.

Elle abandonna le garçonnet dans son lit de foui et regagna sa chambre sans bruit,
après avoir franchi toutes les portes du parcours avec des précautions infinies et des
battements de coeur. Elle s'endormit presque aussitôt d'un sommeil de plomb.

Des paniers !

69
- J’ai là un citoyen qui sortait de la Grange !

LE REVEIL DE LUCETTE

— Hé ! Lucette, il y a quelqu'un qui te demande ! Mais réveille-toi donc !


Quelle marmotte !

Lucette était en train de rêver qu’un tam tam gigantesque scandait une danse guerrière
dont les acteurs étaient pour moitié des douaniers en uniforme et des forgerons à moustache,
et d'autre part des individus très bruns qui ressemblaient à Alfred ou à Zizi.

Elle ne comprit pas tout de suite que c'était à sa porte que quelqu ' un tambourinait.
Elle commença par reconnaître la voix d'Yvonne. Puis elle constata qu'à travers les fentes des
volets une lumière dorée filtrait...

— Mon Dieu, mais c'est vrai ! Quelle heure est-il ?

70
Elle allongea la main pour atteindre sa montre, sur la table de chevet, et ne réussit qu'à
la faire tomber.

— Mais réponds, paresseuse ! C'est l'heure du déjeuner, les garçons sont déjà à
table ! Qu'est-ce qui t'arrive ?

— Voilà... Je viens !

Elle versa si rapidement l'eau de son broc dans la cuvette de faïence à fleurs qu'elle en
renversa une bonne part sur sa chemise de nuit et sur le parquet. Dans sa précipitation, elle se
mit une bonne quantité de savon dans les yeux et grimaça.

— Pouah ! j'en ai plein la bouche aussi ! gémit-elle.

— Tu as entendu ce que je t'ai dit ? Il y a quelqu'un qui t'attends !

— Qui ça ?

— C'est une surprise! M. Martial dit que tu te dépêches..., ton visiteur est pressé !

Lucette comprit tout à coup qui devait être le visiteur ! Elle pâlit, avant de rougir
violemment. Elle s'empêtra dans ses vêtements tant ses mains tremblaient. Le moment qu'elle
avait redouté la veille, en revenant des dunes, était arrivé... L'un des douaniers venait de
raconter au forgeron la rencontre qu'il avait faite, au cours de sa tournée.

— Pourvu que les « autres » n'assistent pas à la réprimande que va me faire le père
Martial ! pensa-t-elle en ouvrant sa porte pour descendre.

— Dépêche-toi, les garçons nous attendent.

71
Lucette descendit l'escalier en trois bonds. Elle faillit heurter Mme Martial qui
traversait le couloir.

— Bien ne sert de courir ! cria Pierre qui sortait de la cuisine. Bonjour quand même.

Lucette répondit à peine et fila vers la forge, le cœur battant, la bouche sèche, l'esprit
en déroute. Elle ralentit avant d'entrer, cherchant à reprendre un peu de contrôle sur elle-
même. Elle inspira profondément et entra.

Elle s'arrêta net, si soudainement soulagée qu'elle faillit éclater de rire. M. Martial était
assis sur son enclume, ses lunettes cerclées de fer relevées sur son front, et il bavardait... avec
Zizi !
— Approche, Lucette ! a p -proche ! J'ai là un citoyen qui sortait de la grange, tout à
l'heure ! Il n'a pas l'air d'un mauvais bougre, mais ce qui m'étonne c'est qu'il te connaît ! Il
prétend que tu lui as promis du chocolat au lait..., je me demande un peu pourquoi ? Et
pourquoi était-il dans la grange, d'abord ? Il me semble bien qu'il y a dormi cette nuit !

L'escapade nocturne de Lucette est-elle découverte ?

Lucette s'empourpra. Son embarras prit un autre cours. Que fallait-il répondre ? La
vérité ? C'était bien compliqué ! N'allait-il pas falloir qu'elle avoue aussi son escapade de ?a
nuit précédente? Sa rencontre avec les douaniers aussi... D'autre part, elle répugnait au
mensonge. Sa nature impulsive acceptait bien de garder secrète ses intentions pour en tirer
toute la gloire, si elle parvenait à percer le mystère de la Dune Bleue, mais pas jusqu'à mentir.
Mais le brave homme de forgeron la tira d'embarras.

— Allez, débrouillez-vous ensemble ! Moi, j'ai du travail. Donne-lui son


chocolat et qu'il décampe d'ici ! Que je ne te revois pas dans ma grange, tu m'entends ?

Zizi, ainsi apostrophé, agita vigoureusement la tête d'avant en arrière et vint retrouver
Lucette en tendant une petite « patte » crasseuse. La fillette s'empressa de l'entraîner au
dehors.
— Je te l'ai donné ton chocolat, vilain ! Pourquoi-Mais Zizi l'interrompit :

— C'était seulement pour le monsieur... j'avais peur !

Le pauvre Zizi mettait une telle ardeur dans sa protestation que Lucette se détendit.

— Je vais te le donner quand même ton chocolat, va ! Mais n'y reviens plus !

— Qu'est-ce qu'il te voulait, ton visiteur ? demanda un moment plus tard


Yvonne, alors que Lucette s'empressait de terminer son petit déjeuner.

— Du chocolat ! répondit celle-ci, sans insister.

— Dépêche-toi ! Les garçons nous attendent- déjà. Tu sais bien que nous allons
au village !

72
— Au village ? Mais ce n'est pas jour de marché \

— Bien sûr que non ! Nous allons simplement demander au père Ephrem de nous
raconter les histoires qu'il connaît, sur les dunes... tu sais bien, Mme Martial nous en a parlé
hier !

Lucette termina son déjeuner et rejoignit ses cousins.

— On va à pied, aujourd'hui ! la taquina Marc. Comme Lucette ne sait jamais ce


qu'elle fait de sa bicyclette, c'est plus prudent !

— Non mais ! Tu as fini, oui ? D'abord ce n'est pas vrai ! Je suis bien sûre que je
l'avais mise à côté des vôtres et que quelqu'un l'a déplacée !

— Bien sûr, bébé ! C'est le lutin des dunes ! Tout le monde sait ça ! Le père Ephrem va
nous en parler !

Lucette ne répondit pas. Les garçons pouvaient bien se moquer d'elle ! Elle savait qu'elle
aurait le dernier mot ! Seulement, il y avait les douaniers... Lucette se demanda s'ils pa-
trouillaient toutes les nuits dans cette partie des dunes ou si c'était seulement par hasard
qu'elle les avait rencontrés la nuit précédente.

A l'entrée du village, elle frémit en découvrant ce qu'elle • avait oublié : le poste de


douane et sa barrière rouge et blanche. « Si les douaniers de cette nuit venaient à me
reconnaître ! pensa-t-elle, Pierre et Marc sauront tout de suite que je suis sortie ! »

73
L'effarement des enfants à la vue d'un personnage si étrange...

Visite chez le père Ephrem,


le plus vieil habitant du pays.

Mais aucun des douaniers de service n'eut l'air de remarquer Lucette. Les quatre
enfants franchirent la barrière sans être autrement inquiétés.

Le village n'était guère qu'une longue rue, une route plutôt, tout au long de laquelle les
maisons étaient disposées, les une de plain-pied, les autres au fond d'un clos ceinturé d'une
haie vive. Quelques granges de pisé faisaient tache à côté du rosé soutenu des briques plus
généralement employées dans les constructions récentes.

— La deuxième maison après le charron, répéta Pierre. C'est ce que m'a dit Mme
Martial. Mais il faudrait au moins savoir où il perche, ce charron !

Comme une réponse à sa question, le ronflement aigu d'une machine-outil se déclen-


cha à quelque distance de l'endroit où ils étaient arrivés.

— C'est une raboteuse ! s'exclama Marc. Je reconnais le son !

Pour ses cousines sceptiques, il expliqua le son grave à l'engagement de la planche, la


montée lente à mesure que le mouvement s'accélérait, pour finir sur le mode aigu. Ils virent,

74
en passant, des copeaux voler à l'extérieur de l'atelier et s'accumuler en un tas dont l'odeur de
sapin chaud leur parvint jusqu'à la route.
Ils arrivèrent en vue de la maison d'Ephrem.

— Regardez, s'écria Yvonne, toujours impétueuse. Même si nous n'avions pas trouvé
la maison du charron, nous aurions deviné que c'était la maison du père Ephrem ! Il est bien
devant la porte !

Un très vieil homme, en effet, était assis devant le seuil d'une maisonnette basse, aux
murs fraîchement crépis à la chaux.

Les douaniers vont-ils reconnaître Lucette ?

Un trottoir de briques inégales e n bordait la façade. Des touffes d'iris, en lames de


sabre, ponctuaient d'un vert bleuté une barrière de bois branlante qui avait été blanche.
Engoncé dans une grosse veste de drap brun, le vieil homme ne bougeait pas plus qu'une
statue. Seule la pipe de terre rouge, au fourneau culotté de noir, émettait à intervalles réguliers
une bouffée de fumée. Pourtant, lorsque les enfants eurent ouvert la petite porte et qu'ils
s'engagèrent dans l'allée du jardinet, ils virent briller le regard vif des yeux noirs, étonnants de
jeunesse sous la touffe impressionnante des sourcils blancs. Une casquette d'un modèle dé-
suet, à oreillettes boutonnées sur le dessus, était plantée droit au-dessus du visage tout en lon-
gueur du père Ephrem. L'effarement des enfants à la vue d'un personnage aussi" étrange, à
l'immobilité si surprenante, s'accentua encore lorsque, d'une main hésitante, le quasi-cente-
naire ôta sa pipe de sa bouche et leur demanda d'une bizarre voix de tête un peu éraillée :

— Qu'est-ce que vous me voulez, la jeunesse ? C'est point souvent qu'il en vient autant
d'un coup, des visiteurs, chez moi. L'Estelle, donne donc voir un blanc à ces blancs-becs !

La bouche ouverte pour un bonjour qu'ils n'avaient pas eu le temps de prononcer, ils
virent surgir de la maison une femme encore jeune, quoique grisonnante, qui portait avec une
énergie tranquille un banc de bois.

— Vous êtes des pensionnaires de chez Martial, pas vrai ? demanda


Estelle. Vous venez pour que le père vous raconte ses histoires ? C'est l'habitude. « Mettez-
vous ! » (1)

(1) Asseyez-vous.

Pierre, en sa qualité d'aîné, crut devoir prendre la parole.

— Merci, Madame. En effet, nous sommes en vacances chez M. Martial. Il nous


a dit que vous voudriez bien nous raconter l'histoire de la Dune Bleue...

— Un fier gaillard, Martial... A 20 ans, je l'ai vu faire un tour de valse avec son
enclume dans les bras ! Quel gaillard ! Quel âge peut-il avoir pour l'heure, l'Estelle ? L'a
dû tirer au sort (2) vers les 1908 ou 7, par là !

75
(2) Mode de conscription en usage à l'époque qui permettait, lorsque l'on
tirait un « bon numéro », d'être exempté de service militaire.

Les enfants se demandèrent si le père Ephrem avait bien entendu leur question. Il sem-
blait parti pour égrener des souvenirs personnels à propos de M. Martial. Mais le vieillard
changea brusquement de sujet.

— La Dune Bleue ! J'étais encore tout petit, pour ça oui !

C'était..., voyons voir..., quelques années avant l'inauguration du canal de Suez...


c'était en quelle année donc, l'Estelle ?

Mais Estelle avait sans doute autre chose à faire que d'écouter des histoires qu'elle
devait connaître par cœur. Elle était rentrée dans la maison, et le père Ephrem dut reprendre
ses calculs tout seul :

— En tout cas, c'était après l'Exposition Universelle, la première...

— En 1867, alors, suggéra Pierre, dont le programme d'his toire portait sur
l'époque dite contemporaine.

Le vieil Ephrem lui jeta un regard où il y avait de la surprise. Il devait mal imaginer
comment un « blanc-bec » pouvait connaître cette date.

— Va pour 1867, garçon ! Après tout, c'est du passé et ça n'est pas à une année
près...

Les quatre enfants s'étaient assis sur le banc et ils ne regrettaient pas d'être venus.

— Donc, cette année-là, commença le vieillard, il avait plu pendant trois mois d'hiver,
autant dire sans arrêt. Il y avait au village une famille que ça arrangeait bien, à cause des
osiers. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais, dans l'autre bout du village, y a
bien encore un couple de saules qui restent... A l'époque, ils étaient une bonne vingtaine, au
moins, qui se dressaient au bord du ruisseau...

76
— Donc, cette année-là...

Bientôt, j'eus l'impression de tourner en rond...

Comment un jeune homme disparut


autrefois dans les dunes.

77
Le vieillard aspira quelques bouffées à sa pipe, au tuyau curieusement garni à son
extrémité d'une boule de fil destinée à assurer la prise des dents.

— Tout le monde faisait ses paniers, bien sûr. Mais les Rouquier, eux, battaient tout le
monde, ils en vendaient bien dans tout le canton et même ailleurs ! Des drôles de « corps »,
ces Rouquier. Je me souviens... j'étais tout jeune… les gens du village fermaient leur porte
quand un Rouquier se «pointait» à l'horizon ; et si nous, les mioches, nous faisions « endêver»
(1) nos pauvres mères, c'était aux Rouquier qu'on nous promettait bien plus qu'à
Croquemitaine ! Si un arbre était vidé de ses pommes une nuit, ou si une poule disparaissait
d'un courtil, tout le monde disait : « Encore un coup des Rouquier !» et ça en restait là, parce
que personne n'aurait osé, en face, leur dire ce que tout un chacun pensait. Et puis...
(1) Enrager.

Le vieil Ephrem, en conteur conscient de l'intérêt qu'il suscite, fit une pause pour
tapoter sa pipe doucement dans le creux de sa main ! Il jeta la cendre derrière lui, sortit de la
poche de sa veste une blague de caoutchouc rouge et bourra le fourneau. Les gestes
méticuleux des doigts secs et gonflés aux phalanges étonnèrent les enfants, les ongles, surtout,
semblables à de véritables blocs de corne.

Que se passait-il autrefois dans la Dune bleue ?

— J'ai oublié de vous dire que les Rouquier vivaient dans les dunes, près de la
Dune Bleue, dans une bicoque qui a disparu depuis, quand on a construit les forts, quelques
années avant 1940. Et personne au village n'aurait osé traverser les dunes, la nuit
tombée, à cause de ces Rouquier ! Il y en a eu un, tout de même, un garçon qui n'était pas du
pays, qui était venu travailler dans une ferme. Un fort du bec, qui n'avait peur de rien, à
l’entendre, et qui était fort aussi, il faut le dire, grand et large et tout. Si bien qu'un beau
dimanche — c'était la ducasse (2) — il s'est trouvé une bande à exciter notre homme, à
l'amener à parier qu'il irait dormir à côté de la cabane aux Rouquier, malgré leurs chiens et
leur mauvaise réputation. Il faut dire aussi qu'il était nouveau dans le pays, et, à ce que
disait mon père, après, qu'il n'aurait pas cassé trois pattes à un canard !

(2) Fête locale.

— Trois pattes à un canard ? s'inquiéta Yvonne.

— Mais oui, il n'était pas malin, c'est ça que ça veut dire ! intervint Lucette.

— Non, il n'était pas malin ! Pas assez pour les Rouquier sans doute. Parce
que, cette nuit-là, il y a eu ce fameux brouillard et il a duré trois jours de rang !
L'homme est parti dans les dunes, il devait laisser un signe dans le sable, son mouchoir, je
crois, que les autres iraient contrôler le lendemain dans la journée, pour preuve qu'il était
bien allé de nuit jusque chez les Rouquier. Mais le brouillard est arrivé et pendant les trois
jours on n'a plus vu personne ! Après non plus, d'ailleurs. Lorsque le quatrième jour les
parieurs ont cherché après leur homme, il avait disparu ! On crut d'abord qu'il s'était égaré
dans le brouillard, mais ils trouvèrent le mouchoir enterré dans le sable, tout contre la baraque
des Rouquier... Mais pas plus l'homme que les Rouquier, qui étaient bien une dizaine avec lès
enfants, on ne trouva plus personne dans la baraque... et personne ne les a plus jamais vus!

78
— Plus jamais vus ? fit écho Lucette.

— Envolés ! Pfuitt !... Disparus... fondus dans le brouillard !

Pierre et Marc se regardèrent. Pourtant le bonhomme semblait avoir gardé toute sa


tête, malgré son grand âge. Comment expliquer une aussi complète disparition ?

— Mais la baraque ? demanda Pierre. On n'a rien découvert de suspect dedans ?

— Mais non ! Et c'est le plus bizarre ! Tout était resté intact; mon père racontait
toujours qu'il restait même la vaisselle d'un repas et la moitié d'un lapin dans un
plat. C'était comme si les Rouquier étaient partis brusquement, sans rien emporter, sans
toucher à rien. Même les paniers, les bottes d'osier, tout était à sa place. Les
gendarmes sont venus, on a lâché les chiens, mais ça n'a rien donné !

Il y eut un silence. Le père Ephrem, un peu essoufflé par son long récit, reprenait ha-
leine. Ses jeunes auditeurs, impressionnés, s'efforçaient de comprendre ce que signifiait cette
disparition.

— Il est si terrible que ça, votre brouillard ? demanda Yvonne, d'une voix
un peu tremblante.

— Tu ne peux pas te figurer ce que c'est, fillette ! s'exclama le vieillard de sa voix


aiguë. J'ai été pris une fois dans les dunes... C'était en 1878, l'année de mon tirage au
sort ! Je m'en souviens comme d'hier ! Le brouillard est arrivé si vite que c'est comme si il
sortait du sol ! Ça tourbillonnait autour de moi comme si 'c'était une chose vivante qui
m'aurait touché avec des doigts froids et tout mouillés !

— Brr..., fit Yvonne en frissonnant.

— Et comment vous en êtes-vous sorti. Monsieur Ephrem ? demanda Pierre.

— Hum... j'ai encore un peu honte de le dire. J'avais 20 ans pourtant, eh bien ! je me
suis mis à courir comme un dératé ! Ce que j'ai pu tomber d'un trou dans l'autre, au
milieu des dunes ! Et c'était comme si le brouillard essayait de m'aspirer en arrière, de me
retenir, pour m'absorber ! Alors, je me suis allongé au fond d'un trou et j'ai attendu...

— Vous avez attendu ? Moi, j'aurais continué à courir, je crois ! s ' exclama
étourdiraient Lucette, pour revenir au village le plus vite possible !

Le vieil Ephrem sourit et tout son visage ne fut plus qu'une ride.

— Bien sûr, bien sûr... c'est ce que j'ai commencé par faire, comme tu dis ! Pour
revenir au village ! Seulement, je me suis bien vite rendu compte que j'étais perdu et que je
courais aussi bien dans un autre sens, vers la frontière ou vers la mer ! Bientôt, j'ai eu
l'impression de tourner en rond, de revenir à mon point de départ ! Et le découragement m'a
saisi… Les forces m'ont manqué brusquement et, après une dernière chute, je suis resté où
j'étais...

— Pendant longtemps ? Il paraît qu'elle dure toute une semaine cette brume ?

79
— J'ai eu de la chance ! Trois heures plus tard, elle était levée. Et j'ai
regagné le village, sans me vanter de ma belle frousse !

— C'est en hiver, n'est-ce pas, qu'il y a de la brume sur les dunes ? demanda Yvonne,
qui cherchait visiblement à se rassurer.

Toute une famille disparue...

UN NOUVEAU PROJET DE LA BANDE

80
— Non, c'est plutôt à l'automne, quelquefois au printemps. Mais c'est déjà
arrivé en plein été, à la fin d'une belle journée ! Si vous allez vous promener du côté de la
Dune Bleue, ouvrez l'œil ! conclut le père Ephrem.

Les enfants prirent poliment congé du brave homme.

— Hum, pas très réjouissant le récit du père Ephrem, opina Marc lorsqu'ils se
retrouvèrent sur la route.

— Remarque qu'il a dit que c'était arrivé... seulement quelquefois, et que c'était
surtout en automne, objecta Lucette, autant pour se rassurer elle-même que pour
convaincre les autres.

— Bien sûr ! d'ailleurs, avec nos bicyclettes, ce ne serait pas la même chose si ça
nous arrivait par hasard ! En suivant le fossé antichars jusqu'à la piste, on pourrait retrouver
facilement son chemin !

— Quelle mémoire il a, le père Ephrem ! Il se souvient même des années! reprit


Yvonne. Qu'est-ce que c'était ce tirage au sort dont il a parlé deux ou trois fois 1

— Je suppose que ça a quelque chose à voir avec le service militaire à cette


époque-là, on demandera au père Martial. Il nous le dira bien, lui !
Lucette ne pouvait s'empêcher de frémir, rétrospectivement, en imaginant ce qui serait
arrivé si elle avait été prise, la nuit précédente, par une nappe de brouillard : « Le père
Ephrem, qui était pourtant du pays, lui, n'a pas pu retrouver son chemin ! Alors, moi... »

— Plus j'y pense, déclaraYvonne, et moins l'histoire du père Ephrem me donne


envie de retourner dans les dunes ! Toute une famille disparue, avec le jeune homme, comme
ça... Brr...

Partir camper sur la Dune Bleue et voir ce qui se passe


là-bas ? C'est une idée, mais...

— Personne ne t'oblige à y retourner ! répliqua Lucette, dont la mauvaise humeur


provenait de ce qu'elle venait de découvrir, elle aussi, que, malgré ses prétentions, elle se sen-
tait un peu ébranlée dans son ardeur à percer le mystère de la Dune Bleue !

— Au fait... moi j'ai une idée ! Une idée épatante, même ! s'écria Pierre, un
instant plus tard. Ecoutez !...

Les trois autres s'arrêtèrent autour de Pierre dont les yeux brillaient de plaisir.

— Dis-la vite ton idée ! Ne nous fais pas languir ! gémit Marc.

— Voilà : au fond, le seul danger que présentent les dunes maintenant, c'est ce
fameux brouillard surprise ! Vous êtes bien d'accord ?

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— Comment ça !

— Bien sûr, l'histoire de la disparition des Rouquier c'est de l'histoire


ancienne, ça se passait au siècle dernieij et il doit y avoir une explication naturelle ! Avec
la police de maintenant, je suis bien certain qu'on aurait vite trouvé le mot de l'énigme !

— Bon, entendu... mais ta fameuse idée?

— J'y arrive. Donc le seul danger...

— ... c'est le brouillard ! Tu te répètes, mon vieux !

— Si tu me coupes tout le temps, Lucette, moi, je ne dis plus rien aux filles, je
réserverai ça à Marc !

Lucette, vexée de s'entendre rappeler à l'ordre, faillit éclater, mais elle se contint. La
curiosité fut la plus forte.

— Ce brouillard, reprit Pierre, ne présente .de danger que pour ceux qui doivent
revenir au village ! Alors que si nous allions camper dans les dunes, avec du ravitaillement, de
l'eau, et tout, il pourrait bien durer trois ou quatre jours, ça n'aurait aucune importance !

— Chic, alors ! Ça c'est une idée ! s'exclama Lucette, désireuse de rattraper un


peu l'impatience dont elle avait fait preuve quelques instants plus tôt.

— Pourvu que M. Martial veuille bien nous laisser y aller ! intervint Yvonne.

— Et Jeannette qui est au lit ! Elle va en être malade, cette fois, de savoir que nous
allons camper ! s'exclama Lucette.

— Ce n'est peut-être pas les meilleures paroles que tu auras prononcées aujourd'hui,
Lucette ! estima Pierre, dont l'intervention fit rougir sa cousine. Après tout, elle n'est pas au
lit pour longtemps, nous pourrions aussi bien attendre qu'elle soit sur pied !

Ce n'était qu'une taquinerie, mais ces paroles achevèrent d’incliner Lucette à la


bouderie, ce qu’elle manifesta en quittant le groupe pour cueillir, le long du talus de la route ,
un bouquet de centaurées.

Ils arrivèrent bientôt à l'Estaminet des Sportifs où retentissaient les bruits familiers de
la forge.

Mme Martial fronça les sourcils lorsque Pierre exposa 'à la fin du déjeuner leur projet
de camper dans les dunes.

—Je ne vois pas ce qui vous attire par là, dit-elle. Vous n'êtes donc pas bien ici ?

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Pierre comprit qu'elle venait de livrer la vraie raison de son inquiétude. Pour elle,
puisque les quatre enfants voulaient camper en dehors de la ferme, ce ne pouvait être que
parce qu'ils s'ennuyaient chez elle !

— Nous sommes merveilleusement bien, Madame Martial ! s'empressa de dire


Pierre. Grâce à vous et à M. Martial. C'est simplement parce que ma sœur et ma cousine
aimeraient camper aussi un peu. Elles adorent ça !

Cet argument ne parvint pas à convaincre entièrement la brave femme.

— Mais elles pourraient tout aussi bien camper où vous êtes ! Vous prendriez leurs
chambres pendant ce temps-là, et elles dormiraient sous la tente, si elles en ont
tellement envie !

Pierre comprit qu'il fallait réussir à convaincre Mme Martial. Il avait l'impression, en
regardant le visage plein de malice du forgeron, qui se gardait bien d'intervenir dans la
conversation, que son consentement leur était acquis.

— Ce n'est pas la même chose, Madame ! intervint Lucette. Camper à côté d'une
maison, ce n'est pas vraiment camper.

— Je ne sais pas si je dois vous donner la permission, soupira Mme Martial. C'est
une grosse responsabilité !

— Mais, Madame, intervint Marc, nos parents nous le permettraient, puisque nous ve-
nons justement de faire un camp,..

83
Mme Martial chercha en vain, du regard, une aide conjugale. M. Martial fixait son
assiette avec un sourire qui incita son épouse à céder.

— Dans ce cas, dit-elle, allez camper... mais pas plus de deux jours. Et il
faudra vous arranger pour que je sache où vous êtes. Si vos parents écrivaient...

— Bien entendu, Madame Martial !

Les enfants ne réalisèrent pas sur le moment que cette promesse était plus facile à faire
qu'à réaliser. Mais dans l'enthousiasme qui suivit la capitulation des scrupules de leur hôtesse,
tout semblait facile.

— Quand partez-vous ?

— Mais demain matin, Madame !

— Alors, vous préparerez vos affaires vous-mêmes, c'est mon jour de lessive et je
n'aurai pas le temps !...

— Ce ne sont peut-être pas les meilleures paroles...

84
Il fallait huiler l'essieu.

LE REGRET DE JEANNETTE.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à ^Estaminet


des Sportifs, sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune Bleue. Les
garçons décident d'aller camper près de la Dune.

— Nous avons 1 ' habitude ! expliqua Pierre.

—Si vous voulez des couvertures, il y en a dans le placard ! Lucette et Yvonne savent
où en prendre.

L'après-midi s'écoula en préparatifs. Yvonne, sur les indications de ses frères,


confectionna avec la machine à coudre de Mme Martial des petits sacs de toile à- coulisse,
destinés à suppléer les piquets, qui, dans le sable, seraient sans doute insuffisants à maintenir
les tentes. Emplis de sable et enterrés, ils serviraient à maintenir les haubans des deux tentes.
Pierre se procura aussi deux planchettes pour recevoir la base des mâts. Les coupelles
d'aluminium auraient été insuffisantes pour les empêcher de s'enfoncer dans le sable.

85
Le problème de l'eau, pour la boisson et la toilette, fut plus délicat à résoudre. Ce fut
M. Martial qui trouva la solution.

— Vous n'aurez qu'à prendre un chariot à lait et une canne de 30 litres. Les chariots
qui sont devant la porte ne sont plus fameux, mais il y en a bien un qui tiendra pour une fois
encore !

Il y en avait bien un, en effet, dont les roues tenaient ferme. Trop ferme, même, car
elles étaient bloquées par la rouille ! H fallut huiler l'essieu, brosser les planches vermoulues
du fond, mais tout le chargement des campeurs y trouva place. Pierre et Marc démonteraient
leurs tentes seulement le lendemain matin.

Avant le départ, toute la bande vint dire au revoir à Jeannette, toujours allongée, le
pied bandé. Elle essaya de montrer une mine courageuse, mais elle était visiblement navrée de
devoir laisser partir ses amis dans les dunes sans les accompagner.

— Vous allez du côté de la Dune Bleue ? demanda-t-elle. J'irai peut-être vous


retrouver, si mon pied va mieux.

— Oh ! tu sais, après-demain nous serons de retour ! la consola Yvonne. Je viendrai te


raconter tout !

Mais Jeannette fit la moue.

— Je me demande ce que vous pourrez bien faire toute la journée dans le sable !
Pour une promenade, c 'est amusant !... Mais pour y vivre deux jours !

— Cette pauvre Jeannette ! s'exclama un instant plus tard Lucette qui avait assisté à
l'entretien. Elle meurt d'envie de venir avec nous, mais c'est plus fort qu'elle, il faut qu'elle
essaie de nous gâcher le plaisir d'avance !

— Elle n'est pas si méchante que tu le dis, Lucette ! reprit sa cousine. C'est normal
qu'elle nous envie un peu, mets-toi à sa place. Qui sait si elle n'a pas raison ? C'est peut-être
ennuyeux toute une journée dans le sable, après tout !

Lucette ne voulut pas laisser le dernier mot à sa cousine. Elle la regarda bien en face et
avec un regard légèrement ironique elle demanda :

— Tu as peut - être peur, Yvonne, et tu n'oses pas le dire ? C'est le


récit du père Ephrem qui t'impressionne ?

Yvonne haussa les épaules :

— Crois ce que tu veux ! Mais je sais bien que ce que le père

Ephrem raconte, ça se passait il y a longtemps ! 'Maintenant, des gens ne pourraient


pas disparaître ainsi sans que la police les retrouve !

Pierre et Marc marchaient devant en tirant le chariot. Ils s'arrêtèrent tout à coup et, les
sourcils froncés, Pierre appela les deux fillettes :

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— Venez donc ici, vous deux ! J'ai quelque chose à vous dire !

ENFIN !... ON CAMPE

Les deux fillettes se hâtèrent de rejoindre les garçons, tout de suite très curieuses de
savoir ce que Pierre avait à leur dire.

— Les garçons sont épatants, murmura Lucette à sa cousine. Ils ont toujours des idées!
On ne s'ennuie pas avec eux !

Yvonne ne répondit rien. Elle avait à peu près deviné ce que Pierre avait à leur dire.

— Dites donc, les filles ! s'exclama celui-ci, vous aurez le temps de bavarder plus
tard, quand nous serons arrivés !

Vous pourriez bien aussi pousser un peu le chariot !

Yvonne éclata de rire, cependant que Lucette rougissait, moins de mécontentement


que de dépit au souvenir de ses paroles d'un instant plus tôt. Lorsque son hilarité fut un peu
calmée, Yvonne glissa à sa cousine :

— Tu avais raison, ils en ont des idées, ces garçons !

Lucette grimaça un sourire, ce qui parut à Yvonne un effort louable sur son caractère
plus emporté d'ordinaire.

Allaient-ils pouvoir camper ?

— Pierre a raison ! En camping, tout le monde doit y mettre du sien ! déclara-t-elle


avec conviction.

L'aide des fillettes était d'ailleurs nécessaire ; les roues à bandage métallique étroit
enfonçaient dans le sable mou et les deux garçons peinaient.

— Nous aurions dû passer par la foute, au lieu de couper à travers les dunes !
estima Pierre.

— Mais c'est beaucoup plus long, on fait un détour ! répondit Marc. -

Yvonne fut sur le point de faire remarquer qu'à l'allure à laquelle ils avançaient, le dé-
tour aurait été largement compensé ! Mais elle estima que ce genre de discussion pouvait s'é-
terniser sans autre résultat que de nuire à leur souffle.

Ils continuèrent à avancer tant bien que mal, en prenant avec bonne humeur les efforts
qu'ils devaient accomplir.

— C'est la fuite dans le désert ! constata Marc.

87
Ils se trouvaient maintenant en effet environnés de sable, le village n'était plus qu'un
clocher pointu qui se dressait à l'horizon.

Tout à coup, Pierre buta contre un objet dur, dissimulé dans le sable.
— Ouïe ! s'exclama-t-il. Qu'est-ce que c'est que ça ? Ça fait mal !

— On dirait une barre de fer ! constata Marc qui s'était baissé.

— Je sais, ce sont des rails ! s'exclama à son tour Lucette.

Elle se rendit compte aussitôt de son étourderie. Elle n'avait rien dit à ses cousins de
son escapade et, par conséquent, elle n'était pas censée savoir qu'il y avait des rails dans les
dunes ! Elle rougit, mais les deux garçons étaient trop absorbés par leur découverte pour faire
attention à ses paroles. Seule Yvonne regarda sa cousine avec une surprise qui fit se détourner
celle-ci.

— En effet, ce sont des rails ! constata Marc. Je me demande ce qu'elles font ici ?

88
Poussant le chariot, ils allaient vers la Dune.

EN ROUTE
POUR ECLAIRCIR LE MYSTERE DE LA DUNE.

— Ce sont des rails tout petits ! Tu sais, de ces rails qui servent aux entreprises de
construction ! Je me demande bien qui a pu...

— Mais ceux qui ont construit la ligne Maginot, tiens ! répliqua Marc. C'est
dommage que Jeannette ne soit pas là, elle doit le savoir, elle ! Dans la pays, tu penses !

Le dégagement des rails du sable qui les recouvrait les occupa pendant un bon
moment. Puis Pierre intervint :

— C'est peut-être passionnant de jouer au petit train avec une voie de


Decauville ! Mais ce n'est peut-être pas pour ça que nous sommes ici ! A l'allure où
nous allons, nous ne serons jamais arrivés à la Dune Bleue avant la fin des vacances!

— Qu'est-ce que c'est un... Decauville ? demanda Yvonne.

Pierre haussa les épaules, comme pour dire que ce n'était pas le moment de se lancer
dans des explications oiseuses, mais il avait une grande indulgence pour sa sœur et surtout
beaucoup d'affection. Son visage se détendit et il sourit.

— J'ai vu le nom de Decauville dans ces revues de la guerre de 1914-1918


que nous avions trouvées dans le grenier de grand-mère, vous vous souvenez ? C'est un
chemin de fer en réduction dont les wagons ne sont que des bennes basculantes. Il devait
servir, je crois, à transporter la terre des tranchées creusées à l'arrière du front, et aussi des
munitions pour l'artillerie, dans certains endroits. Du moins je me souviens avoir vu des
photos.

89
— Ta conférence est terminée ? demanda Marc en souriant.

— Un blockhaus ! Des rails !


Quel secret cache cette Dune Bleue ?

— Oh ! toi, tu te moques toujours ! s'exclama Yvonne. Et après tu diras encore que


je ne sais jamais rien !

— Marc a raison ! intervint Lucette. Allons à la Dune Bleue. Une fois installés,
nous aurons tout le temps de discuter !

Ils reprirent leur avance, sans plus attendre.

Ils arrivèrent plus tard à proximité de la dune bleue pour trouver la même trace du feu
éteint, mais il n'y avait personne.

Ni Alfred ni Zizi n'étaient là.

Avant de s'installer, ils poussèrent une reconnaissance jusqu'au fortin. Rien n'avait
changé. Les gonds gardaient la trace d'un graissage abondant, mais rien ne prouvait que la
porte eût été ouverte récemment.

— Où nous installons-nous ? demanda Lucette impatiente, à son habitude.

— Je propose que nous restions à proximité du camp possible de... cet homme
qui est avec Zizi ! déclara Pierre. Si nos suppositions sont exactes, et s'il se passe
quelque chose au fortin, la présence de tentes risque de gêner ces messieurs et rien ne se
produira. Ils attendront que nous soyons repartis et le tour sera joué !

— Parce que tu crois qu'il se produira quelque chose ?

— Je ne crois rien, mais je trouve bizarre que... mais comment a-t-il dit qu'il
s'appelait son frère, Zizi ?

— Alfred, je crois...

— Bon, va pour Alfred. Moi, je dis que c'est étrange que cet Alfred, justement,
éprouve le besoin de camper à proximité du fortin, dans des conditions qui sont loin
d'être les meilleures. Le terrain ne manque pas à proximité du village ! Qu'est-ce
qu'il peut bien faire par ici ?

— Mais... des paniers ! s'exclama Lucette. C'est ce que répète toujours Zizi !

Les trois autres éclatèrent de rire.

— Quel phénomène ce Zizi ! s'exclama Pierre ! Moi, je croirais volontiers qu'il est
plus intelligent qu'il veut bien le paraître !

90
— Ce n'est pas pour ça que nous sommes ici.

Ils restèrent silencieux un moment. Puis, Yvonne, toujours pratique, remit la question
sur son vrai plan.

— Tout cela ne nous dit pas où nous allons planter notre tente ! Comme disait si bien
cette chère Lucette, nous aurons bien le temps de parler une fois installés !

Ils dirigèrent leur chariot à travers les dunes, vers un endroit éloigné du fortin de
quelques centaines de mètres.

— Comme ça, nous ne serons pas obligés de parler à voix basse si les autres
reviennent ! expliqua Marc.

— De toute façon, j'espère bien dormir tranquillement toute la nuit ! affirma


Yvonne, qui ne posait jamais à l'aventurière éprouvée, ce qui lui valut un petit regard
ironique de la part de Lucette.

Les garçons déchargeaient déjà le chariot et ils réclamèrent l'aide des fillettes.

— Emplissez donc les petits sacs avec du sable, pendant que nous étendrons les
tapis de sol. Tu as bien pris les planchettes pour poser les mâts ? demanda Pierre.

91
Marc sortit les planchettes et les disposa sur les tapis de sol. Il fallut enfoncer
profondément les sacs bourrés de sable pour que les haubans des deux tentes puissent y être
attachés.

Les tentes s'élevèrent bientôt au centre d'un petit cirque naturel avec lequel elles se
confondaient par la couleur de leur toile. C'était du camouflage, involontaire sans doute, mais
bien réussi.

Lorsque le montage fut terminé, Pierre estima qu'il était temps de préparer le déjeuner.

— Seulement, faites attention de bien soulever les pieds, lorsque vous vous
déplacerez à proximité des tentes, sinon gare au poivre dans la soupe !

Il fallut expliquer aux deux fillettes que cette expression venait des militaires, qu'elle
était en honneur dans l'artillerie, arme dans laquelle leur grand-père avait servi, et qu'elle
visait les nuages de poussière soulevés par les obus.

— Et maintenant, qu'allons-nous faire ? demanda Lucette, lorsque le repas fut en


train de cuire doucement sur le réchaud à alcool de ses cousins.

— Si tu essayais d'avoir une idée, à ton tour ? demanda ironiquement Marc.

92
— Je propose que nous allions jusque-là.

EN ROUTE
POUR ECLAICIR LE MYSTERE DE LA ROUTE

Justement, c'est parce que j'en ai une que je pose la question, répliqua sa cousine, sans
_ sourire, avec la véhémence offensée qu'elle apportait à tout e ce qu'elle disait à la moindre
anicroche.

— Bon, alors, nous écoutons cette chère Lucette ironisa Pierre en affectant un respect
exagéré qui réussit à faire rire tout le monde, la victime comprise.

— Eh bien voilà, dit-elle, les yeux brillants de plaisir... si vous acceptez, nous allons
bien nous amuser !

Quel est ce feu abandonné sur la dune ?

Les trois enfants entourèrent leur cousine et prirent des airs comiquement attentifs.

— Oyez, bonnes gens ! s'exclama Pierre. Notre bonne cousine a une idée !

Lucette ignora l'ironie et elle déclara :

— Je propose que nous allions jusqu'à la plage et que nous prenions un bon
bain. Bien de tel pour nous ouvrir l'appétit !

93
— Un bain ? s'écria aussitôt Yvonne. Mais tu sais bien que Mme Martial ne le veut
pas ! Elle dit qu'il y a du danger !

Mais Lucette ne se laissa pas influencer par ce rappel à la sagesse.

— Du . danger ! Qu ' est - ce qu'elle peut en savoir s'il y a du danger ou non ? Et


puis d'ailleurs, elle ne le saura pas !

Yvonne regarda sa cousine d'un air de reproche :

— Comment peux-tu parler ainsi, Lucette? Moi, en tout cas, je ne veux pas
désobéir à Mme Martial. D'ailleurs, je n'ai pas de maillot de bain !

Lucette, indifférente aux reproches déguisés de sa cousine, triompha :

— J'ai le mien, moi, et je parie que les garçons ont le leur aussi !

— Bien sûr, puisque nous avons toutes nos affaires ici Yvonne regarda ses frères
et elle comprit qu'ils étaient tentés, eux aussi, par la proposition de Lucette.

— Eh bien ! si vous êtes d'accord, allez-y ! Moi, je garderai les tentes et nos
affaires. Je surveillerai le déjeuner. Mais je ne vous approuve pas !

— Ce n'est tout de même pas la première fois que nous nous baignons, non ?

— J'en ai envie depuis que je suis arrivée ici, ajouta Lucette.

Yvonne se résigna.

— Eh bien ! si vous devez aller vous baigner, partez tout de suite. Le déjeuner
sera bientôt prêt !

— Nous ne serons pas longtemps partis, affirma Pierre, soucieux de rassurer sa


sœur.
Ils partirent tous les trois, après que les garçons eussent revêtu leur maillot de bain
dans leur tente. Lucette elle, avait tout prévu et elle le portait déjà sous sa robe.

Restée seule, Yvonne régla au minimum la flamme du réchaud où cuisaient des


pommes de terre et elle s'allongea un peu plus loin, à plat ventre le long de la paroi de
l'entonnoir de sable au centre duquel se trouvait leurs tentes.

« Jeannette avait raison pensa-t-elle. Je me demande ce que nous allons pouvoir faire
pendant ces deux jours ! »

Elle contempla l'étendue désolée de sable gris, que le soleil faisait paraître plus pâle.
Le blockhaus émergeait à peine, à quelque distance de là, et tout a coup elle crut que ses yeux,
fatigués par la réverbération du soleil sur le sable, se brouillaient. Mais elle dut se rendre à
l'évidence, ce n'était pas une erreur. En un point précis, situé un peu à droite du blockhaus,
une légère fumée à peine bleuâtre montait et l'air chaud vibrait, déformait sa vision.

94
« Mais pensa aussitôt la fillette, c'est dans la direction du feu abandonné que nous
avons aperçu ! »

Elle mit un certain temps à réaliser cette vérité première qui veut qu'il n'y a pas de fu-
mée sans feu... et pas de feu sans être humain pour l'allumer !

« Si je n'étais pas certaine que Pierre et Marc viennent de partir dans la direction
opposée, je pourrais croire que c'est eux qui l'ont rallumé, pour s'amuser... encore que je ne
crois pas qu'ils allumeraient ainsi un feu uniquement pour s'amuser... Mais alors, peut-être que
Zizi et Alfred sont revenus ! »

Yvonne n'avait rien de l'esprit aventureux de sa cousine Lucette. Mais la curiosité fut
trop forte. Elle résolut de se rendre compte elle-même de ce qui se passait :

« Après tout, pensa-t-elle, les autres s'imaginent toujours que je ne sais pas agir tout
comme eux ! Je vais le leur montrer ! »

Elle sortit de l'entonnoir et gagna la direction du feu. Il devait être bien pris maintenant
car il n'émettait presque plus de fumée.

Elle arriva bientôt au bord de la cuvette de sable qui bordait le blockhaus. Un feu- de
planches y flambait joyeusement, sous une marmite supportée par trois bâtons en faisceau,
mais il n'y avait personne pour le surveiller.

Yvonne fut stupéfaite de sa découverte.

« Mais enfin, il y a bien quelqu'un pour s'occuper çle ce îeu? Est-ce que mon arrivée
l'aurait fait fuir ? »

Elle se demanda quelle conduite il fallait tenir. Rester et attendre que le mystérieux
occupant de cette partie de la dune veuille bien se manifester ou repartir surveiller son propre
déjeuner ?

— Ce, n'était pas une erreur…

95
Une vieille guimbarde était arrêtée.

A LA VAISSELLE !
L'EQUIPE PASSE A L'ACTION.

Mais son incertitude ne dura pas. Elle était trop raisonnable pour s'obstiner à essayer
de rencontrer le cuisinier dont la marmite bouillait à gros bouillons. Le couvercle soulevé au
rythme de la vapeur révéla des pommes de terre en robe des champs dont quelques-unes
étaient déjà craquées.

« Si l'autre se cache encore longtemps ! pensa la fillette, c'est de la purée qu'il mangera
à midi ! »

Considérant la taille de la marmite, elle en conclut qu'il ne pouvait s'agir seulement


d'Alfred et du seul Zizi. Il fallait au moins quatre personnes pour venir à bout d'un tel plat.

« Mais c'est vrai... comment vivent-ils ? Ils n'ont ni tente ni roulotte... Pierre parlait de
taches d'huile sur le sable l'autre jour. Peut-être que la voiture est de l'autre côté du
blockhaus?»

Elle fit le tour pour aboutir près du fossé antichars plus qu'à'demi comblé. Sur le che-
min de glaise qu'ils avaient suivi à bicyclette, une vieille guimbarde était arrêtée, haute sur
roues, et des paniers, des corbeilles d'osier brun ou blanc, étaient attachés tout autour. Les
pneus de la voiture montraient la corde et l'aile droite menaçait de quitter la carrosserie.

96
« Pourquoi donc s'encombrent-ils d'une pareille machine dans un endroit où il doit être
si difficile de l'amener ? se demanda-t-elle. H serait aussi simple de la laisser sur la route. »

Dans la voiture il n'y avait rien d'autre que des bouquets d'osier, matière première
nécessaire à la fabrication des paniers.

« Où sont-ils donc partis ? On ne laisse pas un repas en préparation pour s'en écarter
bien loin » réfléchit-elle.

Elle jeta un coup d'œil autour d'elle et tout à coup elle tressaillit. Elle crut tout d'abord
que ses yeux la trompait. Mais elle se rendit compte qu'elle avait bien vu. La porte du
blockhaus venait de se refermer sans bruit... Quelqu'un avait dû l'ouvrir, quelqu'un l'avait sur-
veillée pendant qu'elle se croyait seule. Un instant, son cœur battit très fort et elle resta clouée
sur place, les jambes plus lourdes que du plomb. Puis une réaction "brusque la jeta vers les
dunes, courant de toutes ses forces pour s'éloigner au plus vite.

Elle était en sueur lorsqu'elle arriva au camp, après sa course dans le sable mou.

— D'où sors-tu ? demanda Lucette qui émergea de leur tente où elle venait de se rha-
biller.
— Conseil de guerre, ma vieille plaisanta Pierre. Abandon de poste devant l'ennemi.
Fusillé à l'aube !

— Brr ! gémit plaisamment Yvonne. C'est dommage, vous me laisserez peut-


être le temps de vous raconter une chose intéressante ?

Les trois autres l'entourèrent brusquement :

— Une chose intéressante ? Dis vite, alors !

Elle leur narra simplement son expédition et sa certitude que le blockhaus était occupé
par Alfred et ceux qui l'accompagnaient.

— Intéressant ça, en effet ! commenta Pierre. Ça prouve du moins une chose,


c'est que je n'avais pas eu la berlue en disant que les gonds avaient été graisses récemment !

Où sont-ils partis ceux qui ont allumé le feu ?

— Hum ! que faisons-nous alors ? demanda Marc.

— On ne peut pas laisser les choses comme ça ! estima Pierre revenu de -sa
surprise. Puisque notre chère petite sœur s'est donné tout ce mal, il faut continuer !

Lucette, un peu piquée au jeu de voir, l'importance accordée par les garçons à sa
cousine, répliqua :

— Tant de mal, c'est beaucoup dire !

Yvonne sourit. Elle ne mettait aucune vaine gloriole à ce qui lui était arrivé.

97
— Tu as raison, Lucette ! je me suis seulement bien amusée !

— Mieux que nous à la plage, reconnut sa cousine, soudain rassérénée par la


gentillesse d'Yvonne et sa modestie. La mer était au moins à 10 kilomètres !

— Disons, un kilomètre ! rectifia Pierre. Lucette doit avoir des jumelles de


marine à la place des yeux et... elles sont à l'envers !

Lucette haussa les épaules, mais elle ne répliqua rien. Lorsqu'elle avait conscience
d'avoir exagéré, elle ne s'acharnait jamais à prouver le contraire.

— Si nous mangions ? proposa-t-elle. La prochaine marée haute aura lieu


dans trois heures, alors là nous pourrons nous baigner ! Et pour la digestion, ce sera juste ce
qu'il faut !

Le déjeuner les occupa un bon moment.

— Tout le monde à la vaisselle ! décréta Pierre qui, en sa qualité d'aine, faisait


fonction de chef de camp.

— Ne gaspillez pas l'eau ! recommanda Lucette, toujours prodigue de conseils.

— De l'eau ? Pourquoi faire ? demanda sérieusement Marc.

Lucette et Yvonne le regardèrent. Mais le garçon avait un air sincèrement étonné.


Choqué, même.

— Tu te rends compte, Pierre ? Au xx e siècle, de futures ménagères qui parlent en-


core de faire la vaisselle en camping, avec de l'eau !

Pierre haussa les épaules et leva les yeux au ciel d'un air de commisération
parfaitement joué. Si bien que les deux cousines ne surent plus s'il fallait rire ou donner leur
langue au chat en s'enquérant de ce mystérieux moyen de faire la vaisselle sans eau.

Les deux frères se regardèrent.

— On leur dit ? demanda Marc.

— Peut-être comprendront -elles ? estima Pierre d'un air douloureusement incrédule.

Cette exagération fit comprendre aux fillettes que les garçons plaisantaient. Yvonne
entra dans le jeu.

—Vous plairait-il, mes frères d'instruire vos servantes en l'art de cette vaisselle
moderne ?

— Voilà qui est bien parlé, avec le respect dû aux savants aines. Que t'en semble,
Marc ?

98
— Lucette n'a rien dit de semblable ! H convient qu'à son tour elle trouve une
formule qui incline notre science à l'indulgence afin que nous versions dans son oreille
sourde le fruit mûr de notre savoir !

Lucette, prise d'un fou rire, fut incapable de trouver une formule. Elle finit par
balbutier entre deux rires :

— Ma sourde oreille est prête à t'écouter, ô mon cousin !

Le déjeuner l'occupa un bon moment.

99
NOUVELLE RENCONTRE DANS LA DUNE.

Satisfaits, les deux frères changèrent de ton. Adoptant celui du camelot démonstrateur,
ils se mirent en devoir d'éclairer les fillettes :

— La méthode est simple, Mesdemoiselles ! commença Pierre.

— Excessivement simp1e ! renchérit Marc.

— Elle porte le nom évocateur de « méthode berbère » !

— Ainsi appelée parce que très en honneur parmi les nomades d'un désert bien
connu pour l'abondance de la matière première, j'ai dit le sable !

— En effet, le sable n'est pas ce qu'un vain peuple pense, ce n'est pas qu'un
obstacle à la végétation et à la promenade. C'est aussi une merveilleuse éponge
naturelle qui sous forme de poignées renouvelées, dûment frottées contre l'ustensile à qui vous
désirez, bien légitimement, redonner l'éclat du neuf, absorbe les reliefs de votre repas pour
finir par sécher au point qu'il suffit de souffler sur les derniers grains qui se trouvent
encore dans votre assiette, par exemple, pour obtenir une vaisselle absolument propre !

— Nous allons démontrer sur l'heure !

100
En effet, les deux frères s'emparèrent de la « popote » qui •avait servi à cuire le
déjeuner et en un clin d'oeil le sable la rendit aussi brillante que si elle était neuve. Les
assiettes subirent le même sort ; quant aux couverts ils furent plus simplement plantés dans le
sable à plusieurs reprises et retirés, dans un mouvement de va et vient qui eut pour effet de les
nettoyer parfaitement.

— Et voilà ! Ceci doit vous convaincre, gentes damoiselles, et nous avons eu


l'honneur de VQUS démontrer comment il conviendra à l'avenir que vous procédiez.

— C'est épatant, et ça s'appelle la méthode berbère ? demanda Lucette. En tout cas,


elle nous aura au moins évité de faire la vaisselle ce midi !

Lorsque leurs affaires furent en ordre, ils cherchèrent ce qu'ils pourraient faire pour
s'occuper.

— Rien ne nous empêche d'aller voir ce qui se passe du côté de la Dune Bleue !
déclara Lucette.

— Pour qu'Alfred et sa bande sachent que nous sommes là et se méfient ? Pas très
indiqué !

— Nous pourrions être seulement en promenade, après tout, la dune est à tout le
monde !

— Bien sûr ! Seulement ça risque de mettre Alfred en éveil.

— Je ne crois pas, au contraire. En nous voyant nous éloigner, il se rassurera !

Ils se dirigèrent vers le fortin. Cette fois, ils eurent beau écarquiller les yeux, ils ne
découvrirent plus trace de fumée ni d'air chaud. Ils n'étaient plus qu'à une dizaine de mètres
du fortin et un dernier bourrelet de sable le dissimulait encore à leur vue lorsqu'un roquet jau-
nâtre, maigre à faire peur, jaillit d'un trou en aboyant nerveusement.

Les promeneurs s'arrêtèrent sur place, moins inquiets qu'étonnés par la soudaineté de
l'apparition du chien que rien n'avait révélé jusque-là.

— Qu'est-ce que c'est que ce roquet ? demanda Lucette.

— Je suppose que c'est le gardien actuel du secret de la Dune Bleue ! répliqua


Marc à mi-voix. Si ce que je pense est exact, nous n'allons pas tarder à le savoir !

Pourront-ils visiter la Dune Bleue ?

Ils attendirent encore un peu avant de faire mine d'avancer. Le chien, la queue droite,
raidi sur ses quatre pattes, grognait dans leur direction mais ne quittait pas le bord du trou d'où
il venait de surgir comme un diable d'une boîte. Au mouvement esquissé par les enfants, il eut
comme un élan en avant, mais une voix grave, une voix de basse qui ne leur était pas
inconnue, l'arrêta net, dans une langue qu'ils ne connaissaient pas.

101
— Ce doit être du flamand ! expliqua Pierre.

— Et la voix est celle d'Alfred ! intervint Yvonne qui se souvenait de la scène à


la porte de la forge; lorsque Zizi avait apporté sa pièce à souder.

Elle ne s'était pas trompée ; à peine avait-elle proféré ces paroles qu'une tête noire, tant
de cheveux que de peau, surgit à son tous du trou. Les sourcils froncés, le regard brillant de
mécontentement n'incitèrent pas les enfants à se réjouir de cette apparition.

— Qu'est-ce que vous voulez ? Allez jouer plus loin ! grommela Alfred, car c'était
bien lui.

— Mais... nous nous promenons et... les dunes sont à tout le monde ! voulut dire
Pierre.

— Peut-être, mon jeune monsieur ! reprit Alfred. Mais les dunes sont assez
grandes, justement, pour que ceux qui n'ont rien à faire de la journée ne viennent pas gêner
ceux qui travaillent !

— Justement, c'est votre travail qui nous intéresse ! s'exclama avec une fausse
cordialité Marc. Qu'est-ce que vous faites au juste ?

Alfred, mécontent de la tournure prise par l'incident et conscient qui ses froncements
de sourcils et son regard flamboyant n'intimidaient pas les visiteurs, se gratta vigoureusement
la tignasse épaisse et presque crépue qui s'enflait sur son crâne comme une crinière.

— Des paniers ! répliqua-t-il. Il ne comprit pas l'hilarité contenue qui agita les
jeunes gens. Ils s'entre-regardèrent et retinrent à grand peine une forte envie de rire. C'était la
phrase leitmotiv que Zizi utilisait pour toute réponse oui avait déclenché leur gaieté Mais
l'homme ne pouvait comprendre ce motif. Il crut que les autres se moquaient de lui.

— Qu'est-ce que vous avez à rire ? Faut bien des gens pour en faire des paniers ?
Non ? Faites-moi le plaisir de déguerpir, sinon...

— Sinon ? demanda Pierre, que l'attitude de l'homme n'effrayait pas.

Mais un bruit métallique les fit sursauter. Alfred tourna la tête...

Le bruit qui venait de les interrompre avait ressemblé à un claquement sourd, comme
une détonation, et pourtant les enfants furent certains qu'il s'agissait d'autre chose que d'un
coup de feu. Alfred s'était retourné et il gronda quelque chose dans la même langue inconnue,
légèrement gutturale, à l'adresse de quelqu'un que les enfants ne purent apercevoir. Ils
entendirent une petite voix qui s'excusait :

— C'est la porte ! s'est reclaquée... pas de ma faute !

— Zizi ! s'écria Lucette qui avait reconnu la voix de son protégé.

Malgré un geste impérieux d'Alfred, Zizi apparut à quatre pattes au bord du trou,
toujours revêtu de son invraisemblable pantalon trop large pour lui. Il s'arrêta net, stoppé dans

102
son élan par la surprise bien plus que par la colère d'Alfred. Son visage, dont la propreté était
loin de s'être améliorée, s'éclaira d'un sourire en apercevant Lucette et il s'écria, plus comme
s'il prononçait un signe de reconnaissance qu'une demande réelle :

— Chocolat ? Lucette éclata de rire.

103
D'un revers de main, il l'envoya rouler au fond du trou.

LES « DETECTIVES » S'ORGANISENT.

Mais la scène changea brusquement. D'un bond, Alfred fut sur Zizi et d'un revers de
main il l'envoya rouler au fond du trou en criant ce qui devait être une injure.

Bien que la chute ait été amortie par le sable, les enfants ne purent réprimer un mur-
mure de désapprobation.

— Qu'est ce que c'est ? gronda Alfred dans leur direction. Filez, ou il vous en cuira!

Lucette s'enflamma de colère. Le traitement dont venait d'être victime son petit
protégé l'avait décidée à intervenir, mais Pierre, plus sage, la calma.

— N'insiste pas, Lucette. Monsieur est une brute... Il faut lui laisser faire ses paniers
tranquillement ! Au revoir, Monsieur !

Médusé par la froide politesse de Pierre, Alfred ouvrit la bouche comme une carpe
privée d'eau mais aucun son n'en sortit. Les jeunes gens firent demi-tour et repartirent en
direction du village. Ce ne fut que lorsqu'ils furent suffisamment éloignés, et qu'ils purent se
rendre compte que la tête d'Alfred avait disparu, qu'ils obliquèrent en direction de la tente.

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— Tu as entendu ? demanda Marc. Tu avais raison. La porte du blockhaus s'ouvre
bien et ce garnement de Zizi nous a renseignés sans le vouloir !

— Bien sûr, seulement j'ai bien peur qu'avec les dispositions d'esprit
manifestées par Alfred cette imprudence ne lui coûte un peu cher ! Il pourrait très bien
prendre une raclée, le pauvre !

Lucette n'avait rien dit. Elle ruminait de sombres pensées car son visage était plissé
par la réflexion.

Que va-t-il se passer prés du blockhaus ?

— Moi, je trouve que ça devrait être interdit qu'un enfant comme Zizi puisse vivre
avec une telle brute ! J'en parlerai à papa. Je crois que nous devrions faire quelque chose !

Les trois autres la regardèrent. Lucette ne les avait pas habitués à tant de mansuétude.
Yvonne sourit. Elle ne s'était pas trompée en prétendant que, sous ses dehors garçonniers et
un peu rudes volontairement, sa cousine cachait un cœur d'or.

— D'autant plus que Zizi n'est pas le frère d'Alfred, je crois ? dit-elle pour bien mon -
trer qu'elle était avec Lucette.

Pierre réfléchit.

— Je crois que ce serait difficile. Il n'y a guère que contre les mauvais traitements
caractérisés que l'on puisse intervenir...

— Mais si le fameux travail d'Alfred... ce n'était pas les paniers..., tu ne crois pas que
Zizi pourrait lui être retiré ?

— Je le crois, en effet ! Seulement, rien n'est moins sûr. Ce n'est pas parce que cet
homme se montre chatouilleux sur sa solitude qu'il se livre, à une activité répréhensible, tu
comprends. Il ne faudrait -pas prendre nos désirs pour des réalités !»

Ils retrouvèrent les tentes et 's'allongèrent sur le sable. L'incident semblait leur avoir
enlevé le goût d'aller se baigner à la plage. Yvonne en fut soulagée, car elle ne tenait pas
tellement à rester seule de nouveau en sachant qu'Alfred et sa mauvaise humeur étaient à
proximité.

— S'il n'y avait pas ce chien, encore ! dit pensivement Marc. On pourrait
s'approcher sans faire de bruit ! Mais même cette nuit il nous éventera et nous ne pourrons
pas nous approcher !

Cette éventualité fit réfléchir les autres. Leur joie de camper dans les dunes était
tombée. Marc résuma leur pensée commune :

— C'est bien la première fois et la dernière fois que je campe dans un désert de sable !

105
Ils s'affairèrent ensemble à la préparation d'un repas léger, qui consista surtout en
fruits remis par Mme Martial. Après leur dîner, les garçons préparèrent, à tout hasard, leurs
lampes électriques.

— On reste habillés, on ne sait jamais ! décida Pierre.

— On ne sait jamais... quoi ? demanda Yvonne, pas très rassurée.

— Vous, les filles, couchez-vous sous votre tente. Marc et moi nous allons veiller
au grain. Si nous entendons quelque chose de suspect cette nuit, nous essaierons d'aller voir !

— Je veux y aller aussi ! affirma Lucette sur un ton qui n'admettait pas de réplique.

— Il faut bien que quelqu'un reste ici ! dit pourtant Pierre qui se rendait compte de
l'état d'esprit de sa sœur.

Mais ce n'était pas une raison suffisante pour décider Lucette. Marc s'en rendit
compte et il vint à la rescousse :

— Il faut surtout que quelqu'un puisse aller prévenir M. Martial, en cas de


besoin. Les gens de l'espèce d'Alfred n'aiment généralement pas que l'on mette le nez
dans leurs affaires et s'il nous- tombait dessus, on ne sait pas ce qui pourrait arriver ! Il
faudrait bien quelqu'un qui assure ce que les militaires appellent la contre-attaque.

Lucette parut mal convaincue.

— Yvonne pourrait le faire toute seule !

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— Mais non répliqua à son tour Pierre qui avait compris où son frère voulait en
venir. Il ne faut pas que nous partions tous ensemble, ce qu'on appelle mettre tous ses
œufs dans le même panier !

— Comme ça nous aurons bien plus de chance d'élucider le mystère de la Dune


Bleue ! renchérit Marc.

Lucette accepta de rester avec Yvonne, d'assez mauvais gré, mais l'essentiel était
obtenu.

— Yvonne pourrait le faire...

— D'ailleurs, nous allons convenir d'un code ! continua Marc. Nous avons nos sifflets.
Si nous avons besoin d'aller jusqu'au fortin, nous les garderons à la bouche, et si quelque
chose se produisait, s'il devenait nécessaire d'aller prévenir M. Martial nous sifflerions, l'un
ou l'autre, trois coups longs. C'est, compris ?

— Et si vous ne sifflez pas, c'est que tout ira bien ?

— Oui...

— D'ailleurs, pour être plus certains de voir quelque chose nous allons partir tout
de suite. En rampant, nous devons pouvoir nous approcher d'assez près, sans être vus...

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Lucette les vit partir avec regret.

L'OUBLI DE LUCETTE.

— D'où vient le vent ? demanda Pierre. Il faut que nous soyons toujours à contre-
vent, pour que le chien ne nous évente pas ! ,

Marc tendit la main après avoir mouillé un doigt.

108
— Il souffle de la mer ! dit-il un instant plus tard. C'est donc par la droite que nous
devons partir.

Ils embrassèrent leur sœur en lui souhaitant « bonne nuit ».

— Tu sais, il y a de grandes chances pour qu'il ne se produise rien ! dit Pierre en ré-
ponse à un regard un peu craintif de sa sœur.

— Nous ne sommes pas des douaniers ou des policiers..., seulement un peu curieux
de ce fameux mystère de la Dune Bleue..., c'est tout !

Lucette les vit partir à regret et elle ne put réprimer un soupir. Elle finit par déclarer,
en se préparant à aller se coucher sous la tente :

— C'est dommage que Jeannette ne soit pas là ! Elle aurait pu rester ici, elle, avec toi.
Je serais allée avec eux !

Yvonne paraissait soucieuse, plus encore qu'elle n'avait voulu le laisser voir à ses
frères.

— Ne crois-tu pas qu'ils aient tort de se mêler de cette chose-là ? Si les gens du
village ne s'en sont jamais souciés, ils avaient sûrement une raison, tu ne penses pas ?

L'expédition des garçons va-t-elle réussir ?

— Bah, ce n'est qu'une question d'heure... Mais j'y songe-Elle se mordit les lèvres,
parce qu'elle venait de se rendre compte qu'elle avait oublié de prévenir ses cousins d'une
chose, d'une chose très importante...

— De quoi parlais-tu ? demanda Yvonne en constatant que sa cousine s'était


interrompue, l'air très embarrassée.

Lucette parut hésiter, puis elle se décida : puis elle se décida

— Il y a une ronde de douaniers par ici, au cours de la nuit. Si Pierre et Marc


tombent sur eux, ils les ramèneront à la maison de M. - Martial, ça c'est sûr!

— Comment en es-tu si sûre ? Qui t'a dit ça au sujet des douaniers et comment sais-
tu qu'ils les ramèneront, comme tu dis, à l'Estaminet ?

Lucette rougit. Elle s'était « coupée » une fois de plus. Et devant le clair regard surpris
de sa cousine, elle ne put qu'avouer Elle raconta sa sortie en compagnie de Zizi, au cours de la
nuit, et sa rencontre avec les deux douaniers. Elle ajouta, que ceux-ci n'avaient rien dit à M.
Martial.
— Alors, tu vois bien ! S'ils n'ont rien dit pour foi, il n'y a aucune raison pour
qu'ils agissent autrement pour mes frères?

109
— Si, justement. Moi, c'était la première fois, en quelque sorte..., alors que pour
Marc et Pierre ils trouveront bizarre que tous les pensionnaires de M. Martial se promènent
dans les dunes chacun son tour t

Yvonne réfléchit :

— Tu as peut-être raison ! Mais, enfin, il est trop tard maintenant ! Si tu


ne faisais pas toujours des cachotteries, tu vois !...

Lucette baissa la tête et ne répliqua rien. Elle avait eu tort, et si ses cousins échouaient,
ce serait de sa faute. Pourtant, au bout d'un moment, elle releva la tête.

— Je crois qu'il n'y aura pas de ronde cette nuit, dit-elle.

— Comment ça ?

— C'est tout simple. La nuit où je suis sortie avec Zizi, Alfred n'était pas
dans les dunes. Il doit être au courant des rondes de douaniers. Et comme il est là
aujourd'hui, c'est sans doute que les douaniers ne viendront pas !

Ce raisonnement ne parut pas évident à Yvonne, mais elle préféra ne pas continuer la
discussion.

Les deux fillettes firent leur prière, comme chaque soir, mais avec une ferveur
particulière, ils ne découvrirent rien. Alfred était-il entré dans le blockhaus, ou en était-il
sorti?

Ils s'attendaient à tout moment à voir surgir devant eux une ombre menaçante. Ils
avaient déjà fait des promenades la nuit, bien sûr, mais jamais encore dans ces conditions.
C'était vraiment très différent. Le sable étouffait tous les bruits qui auraient pu être des
indices: bruits de pas surtout et seule la vue pouvait les renseigner. Mais dans la nuit noire, ils
avaient beau écarquiller les yeux, ils ne distinguaient rien. Mieux, à force d'être tendus par
l'effort, des formes surgissaient parfois
devant eux qui s'évanouissaient
aussitôt : simples créations de leur
esprit. Malgré leur courage habituel, les
deux garçons n'étaient pas très rassurés.
Ils continuèrent à avancer pourtant de
plus en plus lentement, avec de plus en
plus de précautions, très près l'un de
l'autre pour ne pas risquer de se perdre.

110
La brise tiède qui venait de la mer leur apportait des effluves salés. Ce détail les
rassura un peu quant à leur direction : cela prouvait du moins qu'ils étaient toujours face au
vent.

Lucette n'avait pu s'endormir.

Lucette n'avait pas pu s'endormir. Elle n'avait pu supporter non plus de rester sous la
tente. Sans éveiller Yvonne, elle était sortie aussi doucement que possible et elle s'était
allongée au bord du trou dans lequel était dressé le camp. La tête appuyée sur les mains, elle
était restée à rêver un moment, impatiente de savoir, de découvrir quelque chose. Elle aussi
avait aperçu la lueur et son cœur avait bondi. Elle avait cru qu'enfin il allait se produire
quelque chose. Mais le silence qui avait suivi la déçut.

— Mais qu'est-ce qu'ils font ? se demanda-t-elle, tout en se rendant compte que cette
question était stupide.

Pierre et Marc ne pouvaient faire que ce qu'elle faisait elle-même : attendre !

111
Elle continua à avancer en dégageant à la main.

LUCETTE, SEULE DANS LE BROUILLARD

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à V « Estaminet


des Sportifs », sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune Bleue. Ils
campent près de la Dune. Tandis que les garçons font une exploration nocturne, Lucette et
Yvonne sont restées sous la tente.

Dans son excitation, elle avait été sur le point de réveiller Yvonne. Lorsqu'elle se
rendit compte qu'il ne se passerait vraisemblablement plus rien, elle se félicita de ne pas
l'avoir fait.

Elle aussi tentait de percer l'obscurité, en vain. Et brusquement, elle ressentit un sen-
timent d'angoisse intolérable. Sans qu'elle puisse parvenir à deviner la raison de cette an-
goisse, elle regarda autour d'elle avec un affolement grandissant. Il lui sembla que la nuit se
mouvait, que l'obscurité était devenue mobile, que des ombres blanchâtres s'agitaient molle-
ment dans les dunes. L'air devint oppressant, plus chargé en sel.

Par un réflexe apeuré, elle se glissa dans la tente et elle prit côté de son duvet la lampe
électrique que les garçons lui avaient laissée.

De nouveau à l'air libre, elle entoura la lentille de ses doigts, pour ne pas risquer de
révéler trop loin là lumière et elle appuya sur le bouton. Elle retint difficilement un cri de sur-
prise. Bien que sa main ne fût qu'à moins de quelques décimètres de ses yeux, la lueur rosé
qui filtrait à travers ses doigts lui parut voilée par une gaze épaisse et c'est à peine si elle
distingua le contour de sa main.

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Son affolement paralysait son cerveau,, et elle ne parvint pas tout de suite à
comprendre ce qui se produisait. Ce ne fut qu'en apercevant, dans le rayon de lumière qu'elle
avait laissé filtrer entre ses doigts desserrés, la légère ondulation d'une vapeur blanche, qu'elle
comprit : le brouillard ! Les dunes étaient envahies par le fameux brouillard !
Son cœur se serra en pensant à ses cousins qui étaient maintenant isolés dans la brume,
sans possibilité de retrouver leur chemin. Tout ce qu'elle avait entendu dire sur les dangers de
cette situation lui revint à l'esprit et elle fut sur le point d'éclater en sanglots.

Pourquoi Lucette s'inquiète-t-elle au milieu de la nuit ?

« Heureusement que personne ne peut me voir ! pensa-t-elle, honteuse de sa faiblesse.


Elle évoqua Jeannette, restée à l'auberge. Elle, du moins, elle n'aura pas à regretter sa foulure !
Sans elle, elle aurait été là avec nous ! »

Elle s'étonna de penser à la fillette des Martial avec une certaine sympathie.

« C'est complètement stupide ! Si tout se passe bien, jamais plus je ne me vanterai de


mes exploits ! Même avec Jeannette ! »

Elle revint à la situation présente. Il fallait faire quelque chose pour aider ses cousins.
Elle pensa tout d'abord à des signaux avec la lampe, mais elle estima que cela pouvait aussi
bien attirer Alfred et ses compagnons, s'il en avait, que Pierre et Marc. D'autre part, si la
brume était suffisamment épaisse pour lui masquer sa main, il y avait peu de chance pour que
ses cousins aperçoivent la lueur. Elle éteignit précipitamment la lampe électrique.

« Il faut que je ménage la pile, pensa-t-elle. Elle n'était déjà pas neuve et c'est notre
seul moyen de voir clair. »

Elle en était là de ses réflexions lorsque, brusquement, un coup de sifflet déchira l'air.
Un seul. Lucette frémit. Pierre avait bien dit : trois coups de sifflet, en cas de danger... Pour-
quoi n'avait-il sifflé qu'un coup ?

Restée seule près de la tente, Lucette attendit en vain que son cousin siffle encore deux
fois, le signal convenu en cas de danger. Mais la brume étouffait tout bruit et sa perplexité
augmenta. Pierre avait bien dit qu'en cas de besoin il sifflerait trois fois, ce qui signifiait pour
elle et pour Yvonne d'avoir à aller à l'auberge alerter M. Martial, le plus vite possible. Mais là.
un seul coup... qu'est-ce que cela pouvait signifier ?

Lucette envisagea différentes hypothèses sans parvenir à écarter celle qui l'angoissait
le plus : Pierre et Marc, surpris par Alfred, n'avaient pas eu le temps d'envoyer le signal con-
venu. Fallait-il considérer quand même le coup de sifflet isolé comme le signal et retourner à
l'auberge ?

La fillette estima qu'elle perdait un temps précieux et que, de toute façon, la présence
du brouillard sur les dunes constituait déjà un danger suffisant pour justifier sa démarche. Elle
réfléchit encore, sur le point de savoir si elle devait réveiller Yvonne. Elle estima qu'il valait
mieux la laisser dormir : Yvonne était impressionnable et le danger que couraient ses frères
lui serait trop pénible.

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Lucette sortit du trou et se dirigea droit devant elle vers les rails qu'ils avaient décou-
verts dans la journée. Pendant un certain temps, du moins, ils pourraient la guider. Après, elle
n'aurait peut - être plus de grandes difficultés à trouver l'Estaminet. D'ailleurs, il ne semblait
pas, d'après les récits qu'elle avait entendus, que la brume s'étendît au village. Il devait y avoir
un endroit, en bordure des dunes, où elle cesserait pour de bon.

Lentement, avec une appréhension qui lui faisait battre son cœur douloureusement,
Lucette avança en tâtonnant du pied pour trouver les rails. Elle laissa échapper la torche
qu'elle tenait à là main et elle connut un moment d'angoisse, en ne la trouvant pas tout de
suite. Elle dut s'accroupir et décrire autour d'elle des cercles de ses mains étendues avant de
sentir enfin le boîtier métallique avec un soulagement évident. Presque en même temps, elle
sentit ECUS son pied la barre métallique d'un rail. Elle le suivit aussitôt sur la partie qu'ils
avaient dégagée l'après-midi. Elle continua à avancer en dégageant à la main le rail au fur et à
mesure. Cette marche lui parut très fatigante et surtout essoufflante. Elle avait l'impression de
ne pas avancer. Parfois, les rails s'interrompaient : ils s'étaient enfoncés dans le sable plus pro-
fondément à certains endroits que dans d'autres. Il lui fallut alors avancer à l'aveuglette, re-
trouver le rail avant' de poursuivre son chemin. Elle découvrit tout à coup que, malgré la
fraîcheur relative de la nuit, elle transpirait à grosses gouttes !

« C'est bien long, pensa-t-elle après un moment. Je ne me croyais pas si loin de l'au-
berge... »

114
Je vais t'apprendre à être trop curieuse !

LUCETTE PRES DU BLOCKHAUS

Elle continua à avancer et tout à coup un grognement sourd la fit tressaillir et, aussitôt
après, frissonner... Il n'y avait qu'un chien qu'elle avait entendu récemment grogner de la sorte
et ce chien était l'affreux roquet jaune d'Alfred !

Stoppée net par le grognement, elle resta un moment complètement immobile,


pétrifiée par une découverte qui l'emplit d'un désespoir voisin de l'affolement : elle s'était
trompée de direction ! Au lieu de suivre la voie dans la direction de l'auberge et du village,
elle était partie en direction du fortin.

— Comment ai-je pu faire une erreur pareille ? gémit-elle.

115
Et tout à coup, elle se souvint de l'incident de la lampe : elle l'avait laissée tomber dans
le sable et elle avait dû la chercher un moment ! C'était à ce moment - là qu'elle avait dû
tourner le dos à sa première direction et, dans la brume, elle n'avait eu aucun point de repère
pour s'orienter !

« Que faut-il que je fasse ? pensa-t-elle, que faut-il que je fasse ? »

Elle en était là de ses réflexions lorsqu'elle sentit tout à coup deux mains qui
emprisonnaient, ses bras, cependant qu'une voix grave, teintée d'un accent guttural, murmurait
derrière elle :

— Pas un mot, pas un cri ! Je vais t'apprendre à être trop curieuse, moi ! Avance !

Lucette, qui avait ouvert la bouche d'instinct pour crier, la referma sans avoir prononcé
un mot. Elle venait de penser que son cri, inutile, risquait tout au plus d'alerter Pierre et Marc,
s'ils avaient eu la chance de ne pas tomber entre les mains (3e l'homme. En même temps, elle
ressentit, malgré sa frayeur, un curieux sentiment de soulagement en constatant qu'ils ne
s'étaient pas trompés. Ce n'est pas lorsqu'on fabrique seulement d'innocents paniers que l'on se
montre si jaloux du secret de ses affaires. Alfred, qui avait éloigné Zizi déjà urie fois, avait
une bonne raison de se cacher. Et elle allait sans doute être la première à savoir de quoi il
s'agissait. Ce n'était pas tant sa captivité qui l'inquiétait que cette découverte qui l'intéressait.

« Et Zizi, pensa-t-elle, où se trouve-t-il en ce moment ? »

Mais déjà elle comprit qu'elle était arrivée devant le blockhaus. Elle entendit le
grondement sourd des gonds lorsque la porte s'ouvrit et elle fut poussée sans ménagement à
l'intérieur...

Pierre et Marc, pendant tout ce temps-là, avaient été eux aussi environnés par la
brume. Sans point de repère fixe, comme celui que Lucette avait employé, bien à contretemps
d'ailleurs, ils n'avaient pas osé bouger tout d'abord. Puis, conscients de la gravité de leur
situation, ils avaient continué à faire face au fortin. Pierre demanda à Marc :

Marc et Pierre se sont-ils égarés ?

— Je suppose que maintenant nous pouvons nous approcher encore un peu. La


brume doit empêcher le chien de sentir, elle doit brouiller les odeurs, et, comme elle
étouffe aussi les bruits, nous ne serons même pas trahis par le crissement du sable.

— Oui, mais il faut bien nous garder de changer de direction ! J'ai entendu dire que
l'on tourne en rond dans la brume et que l'on revient facilement .à son point de départ !

— C'est un risque à courir, mon vieux ! Nous ne pouvons pas être venus
jusque-là pour renoncer. D'ailleurs, le fortin est le seul endroit que nous puissions trouver,
avec un peu de chance !

— Ça, c'est vrai ! Je serais incapable de dire dans quelle direction se trouve la
tente !

116
— Je me demande ce que vont faire' les filles ! J'espère qu'elles dorment et
qu'elles ne se seront pas encore rendu compte de 1 ' arrivée de la brume !

Ils commençaient à regretter, sans oser l'avouer, d'avoir laissé les deux fillettes toutes
seules.

Ils avancèrent l'un derrière l'autre, sans prendre la peine de ramper. La brume les
protégeait plus sûrement que n'importe quelle précaution.

Il y avait bien dix minutes qu'ils avançaient ainsi, sans se parler, lorsqu'un coup de
sifflet, le même qu'avait entendu Lucette, retentit à quelque distance de là, très étouffé, ils
s'arrêtèrent, et Pierre, qui était en tête, revint vers son frère.

— Tu as entendu ? souffla-t-il.

— Oui, bien sûr ! Qu'est-ce que ça veut dire ?

— Lucette n'avait pas de sifflet, Yvonne non plus... Alors ?

— Alors c'est un quatrième larron ! tenta de plaisanter Marc, sans grand succès.
Dans la brume étouffante qui les environnait, leur situation prenait un caractère
exagérément dramatique, alors que rien, en fait, hormis un coup de sifflet dont ils ignoraient
la cause, ne le justifiait encore.

Il n'y avait pourtant aucun doute, il s'agissait d'un coup de sifflet émis avec un
instrument et non avec la bouche.

— Est-ce qu'Alfred aurait besoin de prévenir quelqu'un pour sa mystérieuse besogne ?


reprit Pierre.

— Ecoute, vieux, continuons à avancer, nous verrons bien !

Ils reprirent leur progression en avant, sans vouloir s'avouer qu'ils n'étaient plus très
sûrs de leur direction !

Ils marchèrent pendant un temps qui leur parut interminable et tout à coup Pierre
s'arrêta :

— Ecoute, dit-il en posant la main sur l'épaule de son frère, j'ai bien l'impression que
nous devrions être arrivés depuis longtemps» au moins au fossé antichars !

— Tu crois ? Alors..., tu crois que nous nous sommes perdus ?

Pierre hésita avant de répondre, puis se décida :

— J'ai bien peur que oui. C'était à peu près sûr, dans cette purée de pois !
On raconte qu'à Londres, les jours de brouillard, il y a des gens qui ne retrouvent même
plus leur maison, et ils ont les rues pour les guider, eux ! Alors tu comprends que dans ces
dunes qui se ressemblent toutes...

117
Us connurent un moment d'abattement : celui qui suit inéluctablement la constatation
qu'un effort pénible a été inutile que les éléments sont plus forts que la volonté.

Mais ils se souvinrent de leur responsabilité de garçons à l'égard des fillettes.

— On doit tout de même pouvoir faire quelque chose ! murmura Marc comme pour
lui-même.

— Tu as raison, frangin ! Réfléchissons. Il doit y avoir un moyen d'en sortir !

Us réfléchirent un long moment, sans trouver.

— Voyons, reprit Pierre. Nous sommes forcément assez peu éloignés du fossé
antichar.

— Ça alors, tu m'étonnes, ce n'est pas prouvé du tout ! Nous avons fort bien pu le
longer ou nous en éloigner, pour autant que nous sachions.

— Je ne suis pas de ton avis, parce que nous n'avons pas rencontré les rails de cet
après-midi ! Si nous nous étions éloignés, comme tu le dis, nous les aurions forcément
rencontrés !

— Pas si nous avions tourné en rond !

Cette réplique laissa Pierre rêveur.

— Tu as raison, finit-il par dire. Alors, tu as une idée, toi ?

— Peut-être...

— Tu as entendu ?

118
— Dans cette direction en tout cas...

LUCETTE ESSAIE DE PERCER LE SECRET D'ALFRED.

Pierre attendit impatiemment que son frère voulût bien s'expliquer.

— Voilà..., commença Marc. Mais un faible grognement, assez lointain leur parvint à
cet instant précis.

— On dirait le roquet jaune d'Alfred ! estima Pierre.

— Dans cette direction, en tout cas ! s'empressa de dire Marc en tendant le


bras.
— Hum..., enfin, je veux bien ! Moi j'aurais plutôt cru que c'était par là ! répliqua
Pierre en désignant une direction à peu près à angle droit avec celle qu'indiquait son frère.

— Bon, disons au milieu, alors !


— Seulement, cela me paraît bien loin !

119
— Bah, au point où nous en sommes ! Un peu plus ou un peu moins, l'essentiel, c'est
de faire quelque chose !

Ils partirent dans la direction qu'ils croyaient être la bonne.

— C'est tout de même étrange ce coup de sifflet, tu ne trouves pas ?

— S'il n'y avait que cela d'étrange, je trouve que nous pourrions nous estimer
heureux !

— Tu crois qu’il pourrait durer longtemps, ce brouillard ? Le père Ephrem a dit


deux ou trois jours parfois !

— Je suis désolé mon vieux, mais mes connaissances en la matière sont égales aux
tiennes, c'est-à-dire à peu près nulles, j'imagine. Nous verrons bien.

Ils poursuivirent leur route incertaine, harassante, dans le sable qui croulait sous leurs
pas. Et tout à coup, Marc, qui marchait en tête, s'arrêta.

Pierre le rejoignit et souffla :

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Chut..., écoute !

Pierre tendit l'oreille à son tour, retenant sa respiration pour mieux entendre. Un halè-
tement lui parvint ! Comme celui d'un chien qui tire sur sa , laisse pour entraîner un maître
trop lent à son gré.

— Un chien ! Alfred nous cherche... Je ne sais pas com ment c'est possible,
mais il a eu vent de notre présence...

— Pourvu que Marc n'acheva pas. Pierre eut la même idée que lui :

— Tu crois que Lucette a fait l'idiote ?

— J'en ai peur..., sinon, je ne vois pas pourquoi l'autre nous chercherait.

Cette conversation menée à voix basse s'interrompit une nouvelle fois. Le chien venait
de grogner doucement et une voix qu'ils reconnurent aussitôt lui intima de se taire.

Lucette se demanda tout d'abord si elle ne rêvait pas. L'intérieur du blockhaus, dont la
porte venait de se refermer sur elle, était à peu près obscur. Pourtant une faible lueur semblait
sourdre au ras du sol, dans le fond, et cette lueur silhouettait étrangement une ouverture
fermée pour l'instant.

Elle cligna des yeux, cherchant à comprendre de quoi il pouvait bien s'agir. Mais
presque aussitôt un bandeau s'abattit sur ses yeux et elle sentit qu'on lui immobilisait les bras
avec un lien très large ; elle pensa à un cache-nez ou à une bande d'étoffe.

120
— Maintenant, tu peux crier ma colombe ! grommela la même voix grave.

On la guida contre le mur sans doute, car elle fu, obligée de s'asseoir sur le ciment, le
dos appuyé à la paroi. Contrairement à ce qu'elle attendait, on ne lui posa aucune question.
Elle s'étonna d'avoir retrouvé aussi vite un calme relatif. Pourtant, malgré ses efforts, une
sourde angoisse étreignait sa gorge.

« Et moi qui croyais que j'allais enfin savoir à quel genre de trafic se livre Alfred,
pensa-t-elle. Du moins, je peux essayer de le deviner, en écoutant ! »

Mais elle eut beau prêter l'oreille, elle n'entendit que le glissement de pas furtifs sur le
ciment, sans pouvoir déterminer si Alfred était seul ou non.

« S'ils sont plusieurs, il se taisent; pour ne pas se trahir », pensa-t-elle.

Elle entendit des grincements, des bruits qu'elle compara à celui d'un sac traîné sur le
sol et parfois, aussi, une sorte d'écho étrange, comme si ces bruits se répercutaient dans une
grande salle sonore.

La fatigue de sa marche à travers le sable l'engourdissait et elle résistait le plus


possible contre le sommeil qu'elle sentait l'envahir.

« II ne faut pas que je dorme ! se disait-elle. Sinon je n'entendrai rien ! Je ne décou-


vrirai rien ! Il ne faut pas... »

Mais en même temps, sous le bandeau qui lui emprisonnait le visage, elle sentait ses
paupières s'alourdir irrésistiblement. Et bientôt elle glissa dans un profond sommeil.

Pierre et Marc éprouvèrent à la fois un soulagement intense et une surprise


extraordinaire en reconnaissant la voix de Jeannette et un peu plus tard celle d'Yvonne.

— Cette brave Yvonne ! déclara Pierre. Elle est retournée à l'auberge chercher du
secours.

— Je croirais plutôt que c'est Lucette ! estima Marc plus conscient des possibilités de
sa sœur.

— Ce qui est bizarre, c'est que justement nous n'entendions pas la voix de
Lucette !

— Hélo ! cria Marc, assez doucement. C'est nous !

— Où êtes-vous ? demanda la voix de Jeannette.

— Par ici !

Pierre alluma un court instant sa lampe électrique et bientôt, ils virent surgir trois
silhouettes dont l'une continuait à tirer sur la laisse qui freinait son élan.

— Lucette est avec vous ? demanda aussitôt Yvonne.

121
— Lucette, pourquoi ? Elle n'est pas avec toi ?

Il y eut entre les enfants un moment de stupeur, chacun des deux groupes ayant cru
jusqu'à cet instant que Lucette était avec l'autre. Yvonne expliqua comment elle avait été
réveillée par l'arrivée de Jeannette guidée par le chien.

— Mais alors, Jeannette, pourquoi es-tu venue dans les dunes justement maintenant ?
Ton pied va mieux ?

Il ne faut pas que je dorme...

122
Des aboiements farouches retentirent…

LUCETTE PRISONNIERE

Jeannette répondit aussitôt.

— Je ne pouvais pas dormir... Le chien n'arrêtait pas de tirer sur sa chaîne. J'ai compris
qu'il se passait quelque chose de bizarre ; je me suis levée et j'ai vu la brume !

— Pourquoi, la brume recouvrait aussi l'auberge ?

123
— Non, justement! On voyait très bien la limite, juste en bordure des arbres.

— Et ton pied ? Jeannette éclata de rire.

— Mais c'est vrai, je n'y ai pas pensé jusqu'à maintenant, il faut croire que je suis
guérie !

Mais Pierre, Marc et Yvonne avaient un autre sujet de préoccupation plus grave.

— Et Lucette, où a-t-elle bien pu aller ? Pourquoi a-t-elle quitté le camp sans


prévenir Yvonne ? demanda Marc.

— Ça, c'est bien d'elle ! Elle ne pouvait pas supporter l'idée que nous partions seuls !
affirma Pierre.

— Je ne vous ai pas dit ! s'exclama tout à coup Yvonne.

Elle leur conta rapidement ce que Lucette lui avait avoué sur son escapade de la nuit
précédente.

— Dans ce cas-là, expliqua Pierre, c'est vers le fortin qu'elle est allée !

— Qu'elle a dû vouloir aller ! rectifia Marc. Parce que tu as vu toi-même comme nous
nous sommes bel et bien,perclus. Elle a dû se perdre, aussi bien, va !
— Alors, elle est dans les dunes. Peut-être que ton chien pourrait la retrouver ?
opina Pierre.

— Peut-être..., répondit prudemment Jeannette.

— Allons, partons tout de suite,.., dit Yvonne.

—Si cette aventure pouvait la guérir de sa témérité !...

Ils partirent, en suivant le chien. Ils n'espéraient pas trop que la brave bête les condui-
rait à Lucette. Ils n'avaient aucun objet ayant appartenu à la fillette à lui faire sentir. Mais
Yvonne ne cessait de l'encourager de la voix :

— Cherche, mon beau, cherche...

Et le chien tirait avec une évidente bonne volonté sur sa laisse.

— Si tu le détachais ? proposa Pierre. Il irait plus vite. Et sans doute


reviendrait-il nous chercher dès qu'il aurait trouvé quelque chose ?

Jeannette hésita, puis finit par accepter.

Le chien, libéré, tourna plusieurs fois autour du groupe et fila au grand trot dans la
brume qui l'absorba.

Son départ accabla les enfants d'une brusque sensation d'isolement.

124
— Nous avons eu tort, je crois ! estima Marc. Où allons-nous aller
maintenant ? Le chien nous aurait guidés !

Maintenant nous allons nous perdre de plus belle ! Jeannette fut de cet avis.

— Je crois que nous devrions surtout rester ici, pour que Tom nous retrouve plus
facilement.
— C'est ça, mettons-nous à l'abri dans un creux de dune et attendons !

Tom va-t-il retrouver Lucette ?

Ils s'abritèrent de leur mieux et attendirent. Tout à coup, des aboiements farouches,
suivis d'un bruit caractéristique de bataille entre chiens, leur parvint et les firent se dresser
d'un bond !

— Tom est en train de se battre avec le roquet d'Alfred, déclara Pierre.

— Ou un chien de douanier ! estima Yvonne qui se souvenait de ce que Lucette lui


avait dit sur les rondes.

— Non ! trancha Jeannette. Les chiens douaniers n'aboient pas, ne grognent pas !

— Même si on les attaque ?

— Même si on les attaque, ils sont dressés pour ça !

— Qu'est-ce que nous faisons ?

— On court jusque-là ! Guidés par le bruit rageur des abois et des grognements, ils se
précipitèrent ensemble.

Mais un hurlement plus vif retentit et bientôt la bataille cessa. Quelques instants plus
tard, Tom était près d'eux. Il gémissait doucement et il se frotta contre les jambes de

Jeannette comme pour se faire plaindre.

— Il a reçu un coup, sinon jamais il n'aurait abandonné la bataille ! estima Jeannette


d'une voix indignée. «Ce doit être cet

Alfred ! Il est venu au secours de son sale chien !

Tom cessa de gémir lorsqu'il se rendit compte que sa jeune maîtresse 'prenait
compassion de lui.

— Tout cela est bel et bon ! déclara Pierre. Mais nous sommes Gros-Jean comme
devant ! Tom n'a pas retrouvé Lucette.

125
Ces paroles semèrent la consternation dans la bande. Au bout d'un instant de réflexion,
Yvonne avança timidement :

— Pourtant, je crois tout de même que la bataille que Tom vient de livrer nous donne
une indication !

— Une indication ? Laquelle ? demanda Pierre, peu accoutumé à voir la gentille


Yvonne participer à la discussion, avec autant d'initiative.

— Je peux me tromper, continua Yvonne, mais il me semble que Tom s'est


dirigé vers le fortin puisqu'il a rencontré le roquet. Et s'il a reçu un coup, c'est qu'Alfred n'était
pas loin non plus !

— Mais alors..., tu veux dire que Lucette serait au fortin..., avec Alfred ?...

— Prisonnière alors ? intervint Marc.

— Peut-être, en tout cas c'est bien vers le fortin que Tom est allé !

Cette interprétation de la bataille entre les chiens laissa les .quatre enfants un peu
désorientés. L'idée de Lucette, prisonnière dans le fortin, leur était insupportable, mais ils ne
voyaient pas bien comment ils pourraient lui venir en aide, ignorant exactement ce qui se
passait.

— Il n'y a qu'une solution, je crois ! C'est trop grave maintenant, nous ne pouvons
plus agir seuls ! Il faut avertir M. Martial, lui, il saura ce qu'il faut faire !

— Il faudrait que Jeannette retourne avec Tom. Tout de suite intervint Marc.

— Mais..., vous autres ? Qu'est-ce que vous allez faire ? interrogea Jeannette.

— Nous..., nous sommes à proximité du fortin, nous allons essayer de voir si


vraiment Lucette n'est pas par là ! Emmène Yvonne, Jeannette, ça vaut mieux !

— Et les tentes ? demanda la fillette. Qui gardera nos affaires ?

— J'ai l'impression que dans cette brume elles se garderont bien toutes seules !

A regret Yvonne consentit à suivre Jeannette.

Pierre et Marc, restés seuls, se dirigèrent lentement vers le point d'où il leur avait
semblé entendre la bataille des chiens un moment plus tôt.

— Le père Martial ne pourra guère être là avant une heure ou deux ! En mettant les
choses au mieux !

— Il faut absolument que nous tentions quelque chose avant ce temps-là! Il aurait
peut-être fallu dire à Jeannette de prévenir les gendarmes ou les douaniers !

— Je crois que ce n'est pas la peine. M. Martial y pensera de lui-même.

126
A regret, Yvonne consentit à suivre Jeannette.

127
Zizi as-tu vu Lucette ?

ZIZI REAPPARAIT.

Ils décidèrent de ramper, maintenant qu'ils devaient se trouver très près du fortin. Ils
avançaient à quatre pattes depuis un moment, lorsqu'ils aperçurent une silhouette bizarre. Un
grognement retentit et ils se crurent découverts. Pourtant la silhouette se décomposa en deux
éléments : un chien et un petit bonhomme à pantalons longs qu'ils reconnurent aussitôt. Ils
n'étaient qu'à un mètre à peine et le chien, le roquet jaune, continuait à grogner sourdement
malgré les efforts de Zizi pour l'en empêcher. Car l'arrivant n'était autre que Zizi...

— Zizi..., as-tu vu Lucette ?

— Oui..., répondit-il, après un effort de réflexion courant chez ,ui. Mademoiselle


Lucette, oui, je l'ai vue !

Malgré la situation, les deux frères faillirent éclater de rire. Le langage de Zizi et le «
Mademoiselle » étaient drôles.

— Bon, et où as-tu vu Lucette ?

Le bonhomme pointa .un pouce par-dessus son épaule :

128
— Par là' !

— Veux-tu nous y conduire ?

— Heu..., non ! répondit Zizi.

— Pourquoi ? Je 'te donnerai ce que tu voudras !

— Heu..., tu me donneras du chocolat ?

— Oui, une grosse plaque...

— Donne tout de suite, alors Pierre s'irrita.

— Je n'ai pas de chocolat sur moi ! Mais demain, à r auberge, je t'en donnerai !

— Demain ?...

Le ton sur lequel Zizi posa cette question exprimait plus qu'un doute, mais il soupira et
parut se décider :

Zizi sait-il où est Lucette ?

— Bon..., demain !

Il entraîna ses deux compagnons dans une direction opposée à celle qu'ils avaient
suivie, croyant s'approcher du blockhaus.

— Je me demande comment il fait pour s'orienter dans cette brume ! Tu as vu, ce n'est
pas le chien qui le guide !

— Je me demande surtout où il nous emmène...

Es continuèrent à avancer ainsi, pendant quelques instants, puis Pierre se décida à


demander :

— Mais où nous conduis-tu, Zizi ?

— Voir Mademoiselle Lucette !

— Tu es sûr de la direction ?

— Oui !

— Tu crois vraiment qu'on va au blockhaus par-là ?

— Blockhaus ? demanda Zizi.

— Au fortin, si tu veux ! Un blockhaus c'est un fortin, un fort...

129
— Mademoiselle Lucette pas au fortin ! Alfred et les autres au fortin avec
beaucoup de tabac belge !

Du tabac belge ! C'était donc cela l'activité clandestine d'Alfred et des autres. Alfred
n'était pas seul !

— Mais alors, si Lucette n'est pas au fortin..., où nous emmènes-tu ?

— Voir Mademoiselle Lucette ! fut la réponse invariable du petit bonhomme.

— Il n'y a rien à faire. Il n'y a qu'à le laisser nous con duire. On n'en tirera rien de
plus. Il mettrait en colère un saint.

Il y avait bien dix minutes qu'ils avançaient à la suite de Zizi, aussi sûr de lui que s'il
s'était agi de circuler sur une route nationale, lorsque Pierre poussa une exclamation : , — On
dirait que la brume se lève !

La brume paraissait moins dense peut-être, mais surtout ils crurent apercevoir une
lueur, celle d'une lampe électrique, ou peut-être d'une fenêtre. Mais était-il possible qu'ils
soient déjà revenus $i près du village ?

Lucette s'était donc endormie. Lorsqu'elle s'éveilla, elle éprouva l'impression étrange
d'être complètement paralysée. Elle se trouvait dans l'obscurité la plus complète et, en
respirant, elle aspirait une odeur forte de laine.

Elle essaya de se frotter l'es yeux, mais en vain.- Ses bras refusèrent de remuer. Peu à
peu, la conscience de sa situation lui revint. Elle était ligotée et c'était sans doute le bâillon
qu'elle avait sur la figure qui sentait ainsi la laine. Elle se souvint d'avoir pensé qu'il s'agissait
d'un cache-nez.

Cette fois, le silence était complet dans le fortin. Elle ne percevait même plus le frotte-
ment des sacs sur le ciment du sol.

Une pensée affolée traversa son -esprit :

« Mon Dieu ! Pourvu que cet Alfred ne m'ait pas abandonnée ici ! »

Mais elle se rassura. Ce n'était pas possible qu'Alfred agît ainsi. En l'abandonnant, il
laissait derrière lui un témoin gênant. Mais presque aussitôt elle se rendit compte de ce que
signifiait ce qu'elle venait de dire. De toute façon... elle était un témoin gênant !

Elle ne voulut pas réfléchir trop longtemps à ce que cela pouvait vouloir dire si Alfred
avait intérêt à ce que son trafic restât secret !

— Mon Dieu, aidez-moi, je vous en prie, murmura-t-elle, en renouvelant sa prière du


soir. J'ai eu tort, je suis trop téméraire, je n'aurais pas dû..., je vais attirer mes cousins dans de
graves difficultés s'ils me recherchent !

130
Elle s'efforça de rassembler toute son énergie. Mais le lien qui lui emprisonnait les
bras tint bon. Epuisée par ses efforts, elle resta immobile, si lasse qu'elle sentit les larmes lui
monter aux yeux.

Tout à coup, il lui sembla entendre de nouveau un frôlement contre le ciment. Mais ce
n'était plus le bruit de sacs traînés rapidement. Le frôlement était plus léger et bientôt elle
sentit une main qui s'activait derrière sa tête à dénouer le bandeau.

Un reniflement caractéristique l'avertit que son sauveur n'était autre que Zizi...

— Une main dénouait le bandeau...

131
— Fartez, mademoiselle Lucette.

DE NOUVEAUX COUPS DE SIFFLET !

Lorsque le bandeau tomba, elle découvrit en effet, dans la pénombre jetée par une
bougie nichée dans un creux de mur, la bonne figure de Zizi, apparemment toujours aussi bar-
bouillée. Les dents blanches éclairaient d'un sourire satisfait le visage du garnement.

Il continua à dénouer les liens et bientôt Lucette retrouva l'usage de ses bras. Ce ne fut
d'ailleurs que théorique. En fait, ses bras engourdis par leur longue immobilité refusèrent un
bon moment tout service.

— Pourquoi fais-tu ça, Zizi? demanda-t-elle. Tu n'as pas peur d'Alfred ?

132
— Alfred est parti ! répliqua Zizi. Reviendra... tout à l'heure !

— Mais..., voulut dire Lucette.

Zizi lui fit signe de se taire. Il lui prit la main et l'obligea à se relever et à le suivre. Il
la conduisit vers la porte et s'efforça de manipuler la lourde poignée qui manœuvrait un dis-
positif compliqué. Lucette dut intervenir et la lourde porte tourna sur ses gonds.

Zizi risquera-t-il sa vie pour Lucette ?

— Partez, Mademoiselle Lucette ! dit Zizi.

— Je vais me perdre dans cette brume, mon pauvre Zizi ! Viens avec moi !

— Il faut que je reste là, fermer la porte de l'intérieur et" ouvrir, quand Alfred
reviendra.

Lucette réfléchit un moment, puis Zizi déclara :

— Vite alors, j'aurai le temps de revenir avant..., peut-être.

Lucette fut sur le point de refuser. Le petit bonhomme devait risquer gros, sans doute,
si Alfred s'apercevait qu'il s'était absenté.

— Mais si tu reviens..., il saura que c'est toi qui m'as libérée ? Il te battra, peut-être...

Zizi se gratta énergiquement l'épaisse tignasse brune qui recouvrait presque tout son
front. Puis il haussa les épaules.

— Tant pis...

Et il entraîna Lucette.

Le chien de Zizi les conduisit tout droit aux tentes, en flairant une piste qui était sans
doute celle des deux garçons, à moins que ce ne fût plus simplement celle laissée par Lucette.
Us marchaient trop vite pour parler, aussi vite que le leur permettait le sable. Et lorsqu'ils
arrivèrent au camp, Lucette découvrit qu'il était désert. Yvonne n'était plus dans leur tenté. La
tente des garçons était vide aussi.

Zizi, sans s'attarder, repartit avec Zag, son chien, et la brume l'absorba de nouveau.

« Quel brave petit bonhomme ! pensa-t-elle. Quel dommage qu'il soit en de si


mauvaises mains... »

La disparition d'Yvonne lui fit oublier cette pensée.

« C'est de ma faute, s'avoua-t-elle. » Si je n'étais pas partie avant le retour de Pierre et


de Marc, elle serait restée bien sagement ici. Qui sait où elle est maintenant ? »

133
Elle résolut de se reposer un moment. La fatigue de sa nouvelle course, ajoutée aux
émotions qu'elle avait subies depuis la tombée de la nuit, lui donnait l'impression d%voir été
battue violemment sur tout le corps.

« Ce n'est pas pour rien que l'on appelle ça des courbatures ! » pensa-t-elle.

Elle alluma sa lampe électrique et s'étendit un instant sur son duvet.

« Dix minutes, pensa-t-elle, dix minutes seulement et après je repars à la recherche


d'Yvonne... »

Mais ses yeux se fermèrent malgré elle et elle s'endormit de nouveau. Elle n'avait
pas éteint sa lampe...

— Mais c'est la tente d'Yvonne et de Lucette ! s'exclama Pierre en découvrant la


pyramide lumineuse qu'il avait prise pour une fenêtre, dans la brume.

— C'est ici que se trouve Lucette ? demanda Marc au petit Zizi.

— Oui..., c'est ici...

Lucette se réveilla en sursaut lorsqu'un jet de lumière balaya son visage.

— Pierre, elle est bien là ! s'écria Marc.

— Pierre et Marc, c'est vous ? Lucette se dressa d'un bond si vif, dans sa joie, qu'elle
faillit renverser le piquet central et jeter bas la tente.

— Et Yvonne... où est-elle ? demanda-t-elle, lorsqu'elle eut rejoint les garçons au


dehors.

— Elle est partie avec Jeannette ! Avertir M. Martial de ta disparition !

— Avec Jeannette ? Ma... disparition..., c'est vrai...

Mais leurs explications furent interrompues par un concert de coups de sifflet,


cependant que des projecteurs perçaient la brume dans le lointain.

— Les douaniers ! s'écria Pierre. Ce ne peut être que les douaniers !

Zizi claqua des dents si fortement que le bruit attira l'attention des garçons sur lui.

— C'est grâce à ce petit bougre-là que je suis ici ! re connut Lucette. Il va


falloir faire quelque chose pour lui.

Zizi sourit et murmura :

134
— Donner du chocolat !

— Oui, ça aussi ! Tu en auras !

Il y eut quelques coups de feu dans le lointain, puis le silence retomba.

— Est-ce que ton chien pourrait retrouver l'auberge ? demanda Pierre au petit Zizi.

— L'auberge ? Je ne veux pas..., je ne veux pas voir les douaniers..., sont méchants !

135
LA FIN DU SECRET !

— Mais non, grosse bête, il n'y a pas de douaniers à l'au berge ! Montre-nous le
chemin et tu auras beaucoup de chocolat.

Pris entre sa crainte des douaniers et son amour du chocolat, Zizi n'hésita pas long-
temps : le chocolat l'emporta !

Ils atteignirent sans encombre la zone où la brume s'effilochait avant de céder


complètement la place à un ciel étincelant d'étoiles. Malgré l'heure tardive, toutes les fenêtres
de l'Estaminet des Sportifs étaient éclairées.

Mme Martial, pâle encore d'inquiétude, accueillit les enfants avec des transports
maternels. Dans sa joie, Zizi eut sa part de baisers et son petit visage barbouillé s'éclaira d'un
sourire. Il eut un geste charmant pour s'agripper aux jupes de Mme Martial, qui prouvait qu'il
n'avait sans doute jamais eu l'occasion de goûter un peu de tendresse familiale.

— Venez à la cuisine, il y a un bon bol de lait chaud pour tout le monde ! Et au lit !
Demain il fera jour !

Au moment où Lucette chercha Zizi pour lui donner une tablette de chocolat, elle ne le
trouva pas : il avait tout simplement disparu avec son chien...

136
On le retrouva le lendemain matin, très tard, encore endormi dans la grange vers
laquelle

Tom, le chien des Martial, donnait de la voix.

— Qu'allons-nous faire de ce petit bonhomme ? demanda Mme Martial qui avait


jugé urgent de débarbouiller son protégé et de lui donner des vêtements plus conformes à
son âge.

M. Martial promena un regard sévère, sourcils froncés, sur toute la tablée. Mais
pourtant les enfants ne furent pas dupe de sa mauvaise humeur prétendue.' La lueur
malicieuse de son regard n'échappa à personne.

— Nous pourrions en faire un contrebandier..., grogna-t-il. A moins... qu'il ne


veuille devenir forgeron, dans quelques années. Un large sourire détendit le visage de Mme
Martial. Les enfants crièrent de joie. Seul, l'intéressé, inconscient de ce qui se décidait à son
sujet, trempait avec délice d'énormes tartines beurrées dans un bol de... chocolat au lait,
confectionné tout spécialement par Lucette.

Tous en oubliaient de parler des événements de la nuit précédente et de la capture, par


les douaniers, de la bande de contrebandiers dirigée par Alfred, vannier d'occasion, et de la
prise d'un stock considérable de tabac belge, entassé dans le fortin.

Quelques instants plus tard, une scène étrange se déroula dans la cour de
l'Estaminet.

A une extrémité, Tom et Zag, le chien de Zizi, après une approche hargneuse et
grondante, en vinrent assez vite, exhortés aux bons sentiments par Jeannette, Lucette et Zizi, à
une fraternité sans excès, mais qui pouvait laisser prévoir des relations plus cordiales dans un
proche avenir.

— Mademoiselle, commença Zizi, qui manifestait une joie extraordinaire.

Mais Lucette l'interrompit :

— Il n'y a plus de « Mademoiselle », Zizi, dit-elle doucement. Il faut m'appeler


Lucette, simplement.

— Et moi, il faut me dire Jeannette ! intervint, avec le même sourire, la


petite fille des Martial.

Zizi se gratta la tête, de nouveau, mais il eut l'air prodigieusement étonné de rencontrer
sous ses doigts des cheveux propres et bien peignés.

Cette unanimité dans l'affection amena les deux fillettes à se sourire, telle se
rapprochèrent cordialement :

— Tu ne trouves pas que nous..., que j'étais ridicule ? demanda Lucette.

— Pas plus que moi, en tout cas ! admit de bon coeur Jeannette.

137
— Le goût des exploits aurait dû nous rapprocher au lieu de nous dresser l'une contre
l'autre ! Nous avons gâché de bonnes heures de vacances avec nos taquineries
stupides...

— Ça c'est bien vrai, reconnut avec force Jeannette. Et nous avons ennuyé aussi
cette pauvre Yvonne, par-dessus le marché ! C'est elle la plus gentille ! Mais c'est fini,
n'est-ce pas ? Maintenant, nous sommes deux amies, nous aussi !

— Tu es ma deuxième cousine, comme Yvonne, si tu veux, Jeannette, proposa


Lucette, sincère.

Elles tombèrent dans les bras l'une de l'autre, et Mme Martial, qui avait suivi la scène
de loin, sans en avoir ï'air, rentra dans sa cuisine, un taon sourire aux lèvres.

Dans la forge, l'enclume du père Martial sonnait clair, exactement comme si rien ne
s'était passé.

La dune bleue n'avait pas livré le secret des disparitions d'autrefois..., mais il y avait
maintenant de fortes chances pour que plus rien de suspect ne se produisît avant longtemps,
dans ses parages.

Zizi se glissa dans la forge, et, un doigt dans Ja bouche, une expression sérieuse sur
son visage brun, et une flamme sérieuse dans ses yeux noirs, il commença, silencieusement,
son apprentissage.

138
RESUME. — A « L'estaminet des sportifs », Jeannette passe ses vacances chez son
grand-père. Deux citadines, Lucette et Yvonne, sont pensionnaires pour l'été.

RESUME. — A l'Estaminet des Sportifs, Jeannette passe ses vacances chez son
grand-père. Deux citadines, Lucette et Yvonne, y sont pensionnaires pour l'été. Un jeune
garçon vient d'arriver.

RESUME. — A l'Estaminet des Sportifs, Jeannette passe ses vacances chez son
grand-père. Deux citadines, Lucette et Yvonne, y sont pensionnaires pour l'été. Toutes trois
raccompagnent Zizi, un jeune garçon sauvage, dans la Dune Bleue.

RESUME. — Jeannette, Lucette et Yvonne ont accompagné Zizi, un jeune garçon


sauvage, dans la Dune Bleue. Les voici devant Alfred, le frère de Zizi.

RESUME. — Jeannette, Lucette et Yvonne sont en vacances à l'Estaminet des


Sportifs tenu par les grands-parents de Jeannette. Les trois fillettes sont venues accueillir les
frères d'Yvonne, en vacances eux aussi.

RESUME. — Jeannette, Lucette et Yvonne sont en vacances à l'Estaminet des


Sportifs tenu par les grands-parents de Jeannette. En allant accueillir les frères d'Yvonne,
Alpin, le cheval, s'est emballé.

RESUME. — Jeannette, Lucette, Yvonne, Marc et Pierre sont en vacances chez les
grands-parents de Jeannette, Alfred, personnage louche, vient avec Zizi à la forge.,., mais Zizi
s'est caché et Lucette l'a découvert.

RESUME. — Jeannette, Lucette et Yvonne sont en vacances chez les grands-


parents de Jeannette. Marc et Pierre viennent les y rejoindre. Les vacances sont troublées par
un accident survenu à Jeannette et par la venue à la forge d'un petit garçon mystérieux, Zizi.

RESUME. — Jeannette, Lucette et Yvonne sont en vacances chez les grands-


parents de Jeannette. Marc et Pierre viennent les rejoindre. Tous, sauf Jeannette qui s'est foulé
le pied, décident d'aller visiter les dunes, domaine d'un mystérieux garçon nommé Zizi.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre et Marc, en vacances à l'Estaminet des


Sportifs, tenu par les grands-parents de Jeannette, visitent la Dune Bleue. Ils espèrent
rencontrer Alfred, le frère de Zizi.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Marc et Pierre, en vacances à l'Estaminet des


Sportifs tenu par les grands-parents de Jeannette, sont allés visiter la Dune Bleue, espérant en
vain y rencontrer Alfred, le frère de Zizi. Les voici de retour à l'auberge.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette passent leurs vacances à


l'Estaminet des Sportifs. Ils sont intrigués par Alfred et Zizi. Lucette voudrait percer à elle
seule le mystère de la Dune Bleue. Elle héberge Zizi dans la grange.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette passent leurs vacances à


l'Estaminet des Sportifs. Ils sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune

139
Bleue. Lucette voudrait percer le mystère à elle seule. Elle héberge Zizi dans la grange, avec
l'espoir de le faire parler.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette passent leurs vacances à


«l'Estaminet des Sportifs». Ils sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la
Dune Bleue. Lucette, voulant percer à elle seule le mystère, part dans la nuit avec Zizi.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette passent leurs vacances à


«L'Estaminet des Sportifs». Ils sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la
Dune Bleue. Lucette, voulant percer, à elle seule, le mystère, part dans la nuit avec Zizi.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette passent leurs vacances à


«l'Estaminet des Sportifs ». Ils sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la
Dune Bleue. Lucette, voulant percer à elle seule le secret, a fait avec Zizi une expédition
nocturne. Le réveil est pénible.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette passent leurs vacances à


«l'Estaminet des Sportifs ». Ils sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la
Dune Bleue. Lucette, voulant percer à elle seule le secret, a fait avec Zizi une expédition
nocturne, au cours de laquelle elle a été surprise avec les douaniers.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette passent leurs vacances à


«l'Estaminet des Sportifs ». Ils sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la
Dune Bleue, et interrogent le père Ephrem, le plus vieil habitant du pays.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette passent leurs vacances à


«l'Estaminet des Sportifs ». Ils sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la
Dune Bleue, près de la frontière. Le père Ephrem, aïeul du pays, leur raconte une très vieille
histoire.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à «l'Es-


taminet des Sportifs » sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune
Bleue. Les garçons décident d'aller camper près de la Dune.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc, en vacances à «l'Estaminet des


Sportifs», sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune Bleue. Ils
campent près de la dune. Que vont-ils faire ? Lucette semble avoir une idée.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc, en vacances à «l'Estaminet des


Sportifs», sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune Bleue. Ils vont
camper près de la Dune. Yvonne trouve un feu sur lequel bout une marmite.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc, en vacances à «l'Estaminet des


Sportifs», sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune Bleue. Ils
décident d'aller camper près de la dune.

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RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc, en vacances à «l'Estaminet des
Sportifs», sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune Bleue. Ils
décident d'aller camper près de la dune et surprennent Alfred près d'un blockhaus.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à


l'«Estaminet des Sportifs », sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune
Bleue. Ils décident d'aller camper près de la Dune Bleue. Les garçons partent en expédition
nocturne.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à


l'«Estaminet des Sportifs », sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune
Bleue. Ils décident d'aller camper près de la Dune Bleue. Ils campent près de la Dune. Tandis
que les garçons font une exploration nocturne, Lucette et Yvonne sont restées sous la tente.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à


l'«Estaminet des Sportifs », sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune
Bleue. Ils décident d'aller camper près de la Dune Bleue. Ils campent près de la Dune, mais
les garçons décident une exploration nocturne. Lucette part seule de son côté.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à


l'«Estaminet des Sportifs », sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune
Bleue. Ils décident d'aller camper près de la Dune Bleue. Ils campent près de la Dune mais
les garçons décident une exploration nocturne. Lucette est enlevée par Alfred.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à


l'«Estaminet des Sportifs », sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune
Bleue. Ils décident d'aller camper près de la Dune Bleue. Au cours d'une exploration nocturne,
Lucette est enlevée par Alfred.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à


l'«Estaminet des Sportifs », sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune
Bleue Au cours d'une exploration nocturne, Lucette est enlevée par Alfred.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à


l'«Estaminet des Sportifs », sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune
Bleue Au cours d'une expédition nocturne, Lucette est enlevée par Alfred.

RESUME. — Lucette, Yvonne, Pierre, Marc et Jeannette, en vacances à


l'«Estaminet des Sportifs », sont intrigués par Alfred et Zizi, mystérieux habitants de la Dune
Bleue Au cours d'une expédition nocturne, Lucette est enlevée par Alfred. Au cours d'une
expédition nocturne, Lucette est enlevée par Alfred, mais Zizi la délivre. Il s'inquiète des
douaniers.

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pseudonyme de Georges Bayard

Le Secret de la Dune Bleue


Roman feuilleton pour la jeunesse

34 publications chez

Fripounet et Maricette
No 49 18e année Dimanche 7 Décembre 1958

Fripounet et Maricette
No 27 Dimanche 5 Juillet 1959

Jamais publié en livre


DOCUMENT RARISSIME

SCANNEUR
lisadexburry@gmail.com

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Travelier Georges
pseudonyme de Georges Bayard

Le Secret de la Dune Bleue


Roman feuilleton pour la jeunesse

34 publications chez

Fripounet et Maricette
No 49 18e année Dimanche 7 Décembre 1958

Fripounet et Maricette
No 27 Dimanche 5 Juillet 1959

Jamais publié en livre


DOCUMENT RARISSIME

178
Bayard Georges

Michel − Hachette 1958-1985, 39 volumes.

1. Michel Mène l'Enquête (1958)


2. Michel et la Falaise Mystérieuse (1958)
3. Les Étranges Vacances de Michel (1959)
4. Michel Fait Mouche (1959)
5. Michel au Val d'Enfer (1960)
6. Michel et les Routiers (1960)
7. Michel Poursuit des Ombres (1961)
8. Michel et le Brocanteur (1961)
9. Michel et Monsieur X (1962)
10. Michel Fait du Cinéma (1962)
11. Michel au Refuge Interdit (1963)
12. Michel et la Soucoupe Flottante (1963)
13. Michel Maître à Bord (1964)
14. Michel en Plongée (1964)
15. Michel chez les Gardians (1965)
16. Michel à Rome (1965)
17. Michel et le Complot (1966)
18. Michel Mousquetaire (1967)
19. Michel et le Trésor Perdu (1971)
20. Michel et la Voiture-Fantôme (1971)
21. Michel fait du Vol à Voile (1973)
22. Michel dans l'Avalanche (1974)
23. Michel fait un Rallye (1975)
24. Michel et les Castors du Rhône (1975)
25. Michel Connait la Musique (1976)
26. Michel et les Deux Larrons (1977)
27. Michel et le Rapport Secret (1977)
28. Michel Entre Deux Feux (1978)
29. Michel et la Super-Maquette (1978)
30. Michel et les Maléfices (1979)
31. Michel à la Fontaine du Diable (1979)
32. Michel et la preuve par sept (1980)
33. Michel et les Faussaires (1980)
34. Michel chez les Trotters (1981)
35. Michel et le Vase de Soissons (1981)
36. Michel fait de la Planche à Voile (1982)
37. Michel Aux Antilles (1983)
38. Michel et les Casseurs (1984)
39. Michel Fait Surface (1985) 

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Cécile − Hachette 1982-1987, 9 volumes.

40. Cécile et la panthère noire (1982)


41. Cécile et la villa du prince (1982)
42. Cécile et le taxi des neiges (1982)
43. Cécile et les bas-rouges (1983)
44. Cécile et la tapisserie volée (1983)
45. Cécile et les rockers (1984)
46. Cécile prend le mors aux dents (1984)
47. Un casse-tête pour Cécile (1985)
48. Cécile et la boîte à musique 

César − Hachette 1964-1980, 6 volumes.

49. César fait du karting (1964)


50. César suit le tour de France (1964)
51. César marin d'eau douce (1965) maison Bernard
52. César fait du ski (1978)
53. César et la clef du mystère (1979)
54. César au royaume de la chine (1980) (l'intrigue de ce dernier titre a été reprise
dans  Cécile et la boîte à musique, du même auteur) 

Romans hors série


55. L’École des détectives, Hachette, Paris, coll. « Bibliothèque verte ». 1959
56. Les 5000 francs d'Alain Cloche-Dur, Hachette, 1959
57. Les Fidji chantent à minuit, Delagrave, Paris. 1960
58. Les Pionniers du déluge, Delagrave, Paris. 1962
59. Le Mystère de l'Anita, Delagrave, Paris. 1966
60. Moi, Eric le Rouge  1988

Sous le pseudonyme de Georges Travelier


61. La Chanson du cabestan  éditions Fleurus, Paris, collection « Caravelles ». 1957
62. Amérique an mille   Fleurus/Gautier-Languereau, Paris, coll. « Jean-François » 1959
63. Le mystère de la rose 1959
64. Le Secret de la Dune Bleue 1959
65. Enquête à Hambourg − Illustrations de Noël Gloesner ; Fleurus, Paris. 1961
66. S.O.S. Pikkolo − Illustrations de Noël Gloesner ; Fleurus, Paris. 1961
67. L'Urganda, yacht fantôme  ; Fleurus, Paris, coll. « Monique ». 1962

Sous le pseudonyme de Jean-Pierre Decrest


68. À manipuler avec précaution Hachette, Paris, coll. 1979
69. Le Réseau Pluton Hachette 1979 

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Georges Bayard (1918-2004) né à Amiens le 20/0/1918 et décédé le 08/10/2004 est un
écrivain français, auteur de romans pour la jeunesse. Il mena cette activité parallèlement à sa
carrière d'enseignant de 1952 à 1988. On lui doit notamment la série des Michel, publiée à
partir de 1958 chez Hachette dans la collection Bibliothèque verte. S'y sont ajoutées, par la
suite, celles des César et des Cécile chez le même éditeur. Il a publié quelques romans sous
les pseudonymes de Georges Travelier et Jean-Pierre Decrest.

Issu d'une famille modeste, Georges Bayard passe son enfance dans
la Somme à Corbie. Il étudie ensuite à l'École Normale d'Instituteurs d'Amiens dont il sort
diplômé en 1937.Lors de la Seconde Guerre mondiale, il est mobilisé en 1939 comme officier
de réserve. Après l'armistice, il rejoint la Résistance et réintègre l'armée régulière en 1944.
Ses faits d'armes lui vaudront la Croix de guerre 1939-1945 et la Médaille de la Résistance.

Il quitte l'armée en 1952 avec un diplôme d'interprétariat anglais en poche, pour


exercer le métier d'enseignant auquel sa formation le destinait. Il est d'abord nommé dans le
Nord, puis à Antony (Hauts-de-Seine) où il accomplira le reste de sa carrière. Son épouse,
Louise Marandet, par ailleurs artiste-peintre, y enseigne également.

Il rencontre le monde de la littérature pour la jeunesse quand il se voit confier la


traduction de cinq aventures de Simon Black, héros créé par l'auteur australien Yvan Southall.
Il publie ensuite de sa plume de nombreux récits et contes pour des périodiques pour enfants
et adolescents tels que Benjamin, Le Journal de Tintin, Le Journal de Mickey, etc. Après deux
premiers romans historiques (La Chanson du cabestan et Amérique an mille), il publie en
1958 chez Hachette Michel mène l'enquête puis Michel et la falaise Mystérieuse. L'un et
l'autre séduisent rapidement le public adolescent et ouvrent la voie à une longue série de
succès.

Georges Bayard prend sa retraite en 1988 et se retire à Soyans (Drôme) où il possède


une résidence secondaire depuis 1959.

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Il fut notamment au collège des Rabats à Antony un excellent professeur de Français
qui donna le goût à bien des élèves de faire du théâtre. Il avait coutume d'enregistrer sur
cassette les élèves qui déclamaient du Molière entre autres.

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