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LA MORT DE JOSIAS, ROI DE JUDA

OU LA CONJURATION DU SILENCE

Article publié dans les Cahiers du Cercle Ernest Renan n° 272, Paris, 4e trimestre 2015, p. 21-
46.
Les dates données sont encore actuellement sujettes à débats mais les désaccords ne portent en
général que sur fort peu de temps.

La mort de Josias, roi de Juda de ~640 à ~609, nous est contée par le Second Livre des
Rois (23, 29-30) et le Second Livre des Chroniques (35, 20-24), textes postexiliques écrits
à environ deux cents ans d’intervalle (respectivement VIe et IVe siècle) et qui laissent
apparaître entre eux de flagrantes contradictions. Le fait que le pharaon Nékao II (~610/
~595), mis en cause par ces écrits, soit le roi le moins documenté de la XXVIe dynastie
explique sans doute le mutisme des sources égyptiennes sur l’événement. Quant aux
chroniques assyriennes, elles s’interrompent vers la fin du règne d’Assurbanipal, une
bonne vingtaine d’années avant la mort de Josias. Enfin, pour ce qui est des auteurs grecs,
notamment Hérodote, ils sont, eux aussi, muets à ce propos, contrairement à ce
qu’affirme une certaine exégèse.
Pour tenter d’imaginer, ce qui aurait pu se passer à Megiddo – si toutefois cette locali-
sation est correcte –, il nous faut d’abord nous imprégner du climat politique du Proche-
Orient au ~VIIe siècle. L’Assyrie des Sargonides est alors la grande puissance du temps.
Son armée, au sein de laquelle fantassins et archers sont appuyés par la première vraie
cavalerie militaire, une charrerie redoutable et des engins remarquablement adaptés au
siège des villes fortes, est quasiment invincible. Précisons que la terreur qu’elle inspirait a
été fortement exagérée dans les siècles qui ont suivi sa chute. En réalité, tout le Proche-
Orient d’alors baigne dans cette férocité raffinée voulant que la peau des meneurs de
rébellions, écorchés vifs, vienne tapisser des piliers à l’intérieur desquels leurs complices
ont préalablement été emmurés vivants ou qu’on égorge les princes héritiers sous les yeux
du monarque insoumis avant de les lui crever, ou encore de le déporter, attaché derrière
un char par un crochet fixé dans la lèvre inférieure… Il suffit de se référer à la cruauté
ostentatoire qui se dégage du récit des campagnes du pharaon Amenhotep II1 ou à la
légende contant que le roi de Juda Manassé aurait fait mettre à mort le prophète Isaïe,
enfermé dans un arbre creux que ses bourreaux auraient scié en deux2, ou encore à ce qui
est raconté de la défenestration de Jézabel et du sort de son cadavre3, pour s’en rendre
compte.

~669 L’empereur d’Assyrie Assarhaddon vient de décéder et son fils Assurbanipal lui
succède. En principe le trône aurait dû échoir à son frère aîné Shamash-shum-ukîn
mais feu Assarhaddon en a décidé autrement de son vivant et sa volonté a été
respectée. Shamash-shum-ukîn est un être sans réelle envergure, alors que son
cadet a déjà l’étoffe d’un grand roi. Homme cultivé, profondément religieux, fin
stratège, pragmatique, impitoyable, Assurbanipal est capable — chose rare pour
un roi — de faire lui-même ce qu’il demande à ses troupes : monter à cheval, tirer
à l’arc et conduire un char de combat. Il sait aussi lire et écrire, au grand étonne-
ment de ses contemporains. Peut-être aurait-il préféré consacrer davantage de
temps à des occupations plus pacifiques, comme la constitution de sa gigantesque
bibliothèque, mais les événements vont en décider autrement. Il va, comme avant
lui ses aïeux, passer son règne à faire la guerre. Amadouant d’un côté, frappant de
l’autre, concluant ou renversant des alliances au gré des aléas politiques, ses
combats vont l’amener à repousser sans cesse ses frontières. Il finira par régner
1 Stèle du Caire CG 34026 ; URK IV, 1297-1298, 4.
2 Ascension d’Isaïe V, 1-16.
3 2 R 9, 33-37.
sur le plus vaste empire jamais constitué jusqu’alors, lequel englobera l’Égypte,
une partie de l’Arabie, la Babylonie, l’Élam, l’Assyrie, une partie de la Cappadoce
et la totalité de Levant. Un empire que l’on aurait pu croire établi pour des siècles
et qui, pourtant, se délitera comme un château de sable en quelques années après
la mort de son fondateur.

~666 Trois ans après l’avènement d’Assurbanipal, une armée assyrienne est envoyée
en Égypte à la suite d’une rébellion menée conjointement par l’ancien pharaon
Taharqa, déposé et chassé en Nubie par Assarhaddon six ans auparavant, et par
une poignée de principicules du Delta. Memphis est rapidement reprise et
Taharqa, se réfugie à nouveau en Nubie, où l’armée assyrienne n’ose le
poursuivre. Sur ordre d’Assurbanipal, les princes rebelles du Delta sont exécutés,
à l’exception de celui de Saïs, Nékao Ier, qui est placé à la tête du pays. Paral-
lèlement, l’empereur donne au fils de Nékao, Psammétique (le futur Psamméti-
que Ier), la « principauté » d’Athribis. Nékao Ier n’est pas pour autant un homme
lige du roi d’Assyrie ; s’il a accepté sa tutelle, c’est surtout parce qu’elle
avantage sa lignée, ce qu’Assurbanipal, qui manie aussi bien la carotte que le
bâton, a parfaitement compris.
Pendant ce temps, Manassé règne sur l’insignifiant royaume de Jérusalem.
Monté sur le trône en ~687, il a d’abord fait allégeance à Assarhaddon avant de
renouveler le serment à Assurbanipal. (Pour mémoire, le royaume de Samarie,
rival de Jérusalem, a disparu depuis 722, anéanti par l’empereur Sargon II,
arrière-grand-père d’Assurbanipal.) Manassé est donné à tort par la Bible pour
un roi renégat et impie simplement parce que sous son long règne de 45 ans, les
cultes syncrétistes ont fleuri dans le Temple. On y aurait même introduit celui du
dieu Assur, divinité de l’occupant, ce qui, vu les circonstances du temps,
relèverait plutôt d’une clairvoyante politique d’apaisement. Les iniquités
attribuées à Manassé par l’historiographie biblique sont des ajouts postérieurs :
toutes sont liées au non-respect des prescriptions du Deutéronome, livre qui ne
sera prétendument « découvert » que sous le règne de son petit-fils Josias. Au
contraire de ce qu’en dit le courant deutéronomique, Manassé fut un des rares
grands rois de Juda ; son règne assura, sinon la richesse, du moins la paix à son
peuple et sa fidélité de circonstance à Assurbanipal permit à Jérusalem d’étendre
quelque peu ses territoires vers la Shefelah et de devenir une ville d’importance.

~663 Une nouvelle révolte est suscitée en Égypte par le roi Tanoutamon, successeur
nubien de Taharqa. Après s’être fait reconnaître à Thèbes, il attaque Memphis et
l’enlève. Nékao Ier, qui a tenté de lui résister est tué dans les combats. Comme
bien l’on pense, les divisions assyriennes de Canaan ne tardent pas à rappliquer
et Memphis est aussitôt reprise. Cette action insensée de Tanoutamon, qui n’est
pas de taille à s’opposer à l’Assyrie alors au faîte de sa puissance, provoque le
sac de Thèbes, pillée pour la première fois de son histoire, et le rejet définitif des
« pharaons noirs » dans leur Nubie natale. À Memphis, Psammétique Ier succède
à son père. Il reprend rapidement le contrôle du Delta et de la Moyenne-Égypte
mais n’intervient pas en Haute-Égypte, où règne de manière quasi pharaonique le
gouverneur Montouemhat qu’Assurbanipal tolère comme shar ni’i, « dirigeant
de Thèbes », car il lui a fait allégeance après la prise de la ville.

~653 Le gros des armées assyriennes est envoyé aux provinces périphériques de
l’empire afin de mâter une rébellion fomentée par l'Élam et qui inclut la Lydie, le
sud de la Babylonie et de puissantes tribus nord arabes. Psammétique saisit
l’occasion pour conclure une alliance avec le roi de Lydie Gygès. (Ce dernier
avait d’abord été vassal de l’empereur d’Assyrie qui l’avait aidé à débarrasser
son pays de la menace cimmérienne. Ce danger écarté, il avait « retourné sa
veste » pour entrer dans la coalition anti-assyrienne.) Gygès envoie à
Psammétique des troupes avec lesquelles, aidé de mercenaires ioniens et cariens,
il réussit à expulser la garnison assyrienne du delta. Assurbanipal est très
mécontent mais il ne peut intervenir car tous ses efforts se portent sur l’Élam,
meneur de la coalition. Après avoir détruit Suse, la capitale élamite, il fait
décapiter son roi, Téumman, dont le macabre « trophée », ramené à Ninive,
viendra décorer le jardin impérial, ainsi que le décrit complaisamment le bas-
relief dit de la Garden Party conservé au British Museum, où l’on voit
Assurbanipal et sa reine Libbâli Sharrat, installés sous la treille, boire à la
victoire sur l’Élam au son mélodieux des harpes, cependant que la tête de
Téumman se balance, accrochée comme un lampion à une basse branche. Le
destin de Gygès sera à peine plus enviable : Assurbanipal laissera les
Cimmériens le passer au fil de l’épée lors de la prise de Sardes, sa capitale.
Heureusement pour la tête de Psammétique, Assurbanipal n’aura plus
l’occasion de revenir en Égypte tant les révoltes vont se succéder dans son
empire. Ce sont d’abord des tribus mèdes qui se soulèvent, obligeant l’armée
assyrienne à se remettre en branle vers l’est, épaulée par les Scythes.

~648 Le frère aîné d’Assurbanipal, Shamash-shum-ukîn, qui n’a toujours pas digéré
son éviction du pouvoir, se révolte à son tour. Et l’empereur repart en campagne.
Il reprend Babylone et Shamash-shum-ukîn y laisse la vie. Le prince assyrien
Kandalânu, fidèle d’Assurbanipal, est alors placé sur le trône de babylonien.
Ce serait à cette époque qu’à en croire 2 Ch 33, 11 :
Les chefs de l’armée du roi d’Assyrie […] saisirent Manassé et le mirent dans
les fers ; ils le lièrent avec des chaînes d’airain, et le menèrent à Babylone.
Pour peu que cette assertion relève de l’authenticité (elle n’est pas corroborée par
les chroniques assyriennes), l'affaire se serait passée vers ~648 car le roi de Juda
ne fut pas emmené à Ninive mais à Babylone. Cela signifie qu'Assurbanipal se
trouvait alors en cette ville, sans doute à l’occasion de l’intronisation de
Kandalânu. Selon Françoise Briquel-Chatonnet, Manassé aurait eu l'imprudence
de profiter de cette révolte pour ne pas payer le tribut et un détachement assyrien
serait venu le forcer à l'apporter lui-même a l'empereur. Celui-ci l'aurait juste
tancé mais lui aurait laissé la vie sauve car il aurait préféré garder sur son trône
un roi populaire en son pays mais qui avait, dès lors, une dette de reconnaissance
envers lui4. Il est cependant plus probable que, comme le pense Alberto Soggin,
il s’agisse d’une pure invention de l’auteur deutéronomiste des Chroniques. En
fait, Manassé aurait pris l’initiative de venir lui-même apporter son tribut à
Babylone à l’occasion des festivités consécutives à la victoire d’Assurbanipal et
l’évocation d’une mise aux fers n’aurait été introduite que pour justifier la
prétendue conversion ultérieure du roi mentionnée en 2 Ch 33, 12-195. Il existe
une troisième possibilité : celle que l’auteur des Chroniques ait déplacé
l’événement de Ninive à Babylone par confusion ou ignorance, comme plus loin
il déplacera à Jérusalem la destitution de Joachaz, située par 2 R 23, 33 à Riblah.

~642 Manassé meurt à Jérusalem. On l’enterre en grande pompe et son fils Amon lui
succède. Il poursuit en tous points la politique de son père mais n’occupe le trône
que deux ans car il meurt assassiné dans le cadre d’une conjuration de palais.
Josias, un enfant de huit ans, fils du roi défunt, est alors installé sur le trône sous
la tutelle de puritains nationalistes qui vont profondément conditionner son esprit
et sa politique future. Assurbanipal n’en a cure tant la puissance militaire de
Jérusalem est dérisoire, voire inexistante.

4 Briquel-Chatonnet 1992, 208-210. Il est vrai qu’il avait déjà agi de même envers Nékao Ier, lequel,
au départ, avait participé à la révolte des douze « princes » du Delta contre l’Assyrie en ~666.
5 Soggin 2004, 300-301.
La relation des chroniques assyriennes s’interrompt brusquement vers cette
époque. On en ignore la cause. Ce manque de matériel épigraphique ne peut
nous conduire qu’à des suppositions sur les dernières années du règne
d’Assurbanipal. Il semble que la situation de l’empire ait commencé à se
détériorer à cause du non-versement du tribut annuel par les vassaux, impôt qu’il
était désormais devenu difficile d’aller encaisser manu militari, les troupes étant
perpétuellement occupées ailleurs. Cet embarras pécuniaire n’aurait pas été sans
influence sur la fidélité intéressée des mercenaires dont l’armée assyrienne était
en grande partie constituée.
Entre temps, en Égypte, Psammétique Ier a réussi à faire « adopter » sa fille
Nitocris par les Grandes Adoratrices d’Amon Shepenoupet II et Aménardis II,
s’attachant ainsi la Haute-Égypte, sans doute aussi au terme d’importantes
concessions au bénéfice de Montouemhat, ce Talleyrand local, qui, de courbettes
en compromissions, a réussi à se maintenir au pouvoir sous les gouvernements
nubien, assyrien et indigène, et dont le fils reprendra la charge6.

~631 Coup de tonnerre : Assurbanipal disparaît. La nouvelle de sa mort se répand


comme une traînée de poudre dans tout le Proche-Orient, lequel, loin de se
plonger dans l’affliction, s’embrase aussitôt. Des révoltes éclatent un peu partout
(mais elles étaient courantes à l’occasion de tout changement règne). À Ninive,
le trône échoit à l’héritier légitime Assur-etil-ilâni, fils aîné d’Assurbanipal, que
celui-ci aurait associé au pouvoir trois ans auparavant7. L’héritage, bien que
parfaitement conforme aux usages, aurait très fortement déplu au frère cadet
d’Assur-etil-ilâni, Sîn-shar-ishkun, censé devoir se soumettre à son aîné en
attendant de recevoir, comme à l’accoutumée, le royaume vassal de Babylone.
On ne possède cependant aucune preuve tangible de cette mésentente fraternelle.
C’est sur ces entrefaites qu’à Babylone, Kandalânu meurt à son tour. Alors,
plutôt que de soutenir le trône branlant de son aîné, Sîn-shar-ishkun aurait
fomenté une révolution et serait parti en campagne, ce dont aurait profité un
gouverneur local, Nabopolassar, pour se proclamer roi de Babylone à la place du
roi absent. Quoi qu’il en soit, l’empereur Assur-etil-ilâni, intervient pour rétablir
l’ordre (le fait est avéré) mais est vaincu et tué dans une bataille livrée du côté de
Nippur sans doute contre Nabopolassar. Dans la pagaille qui s’ensuit, le
généralissime des armées impériales, Sîn-shum-lishir, s’autoproclame empereur
d’Assyrie. Il ne régnera (sans doute assez localement) que quelques mois avant
d’être renversé par Sîn-shar-ishkun, héritier désormais légitime de la couronne
assyrienne.
Cette mort quasi simultanée d’Assurbanipal et de Kandalânu, ainsi que l’absence
de documentation quasi-totale sur le dernier, avaient donné à penser
qu’Assurbanipal et lui n’étaient qu’une seule et même personne. On évoquait les
précédents de Téglath-Phalazar III qui avait régné à Babylone sous le nom de
Pulû, et de Salmanazar V qui avait fait de même sous le nom d’Ulûlaiu. Cette
hypothèse n’est toutefois plus retenue aujourd’hui. La dernière date connue du
règne d’Assurbanipal est la 38e année (~631) ; pour Kandalânu, la 21e (~627).
Certains, comme Nadav Na’aman, nient une corégence entre Assurbanipal et son
fils aîné, dont le comput des années commencerait en ~631. Selon cet auteur, ce
serait Assur-etil-ilâni qui serait mort en ~627, la même année que Kandalânu8.
Sîn-shar-ishkun a souvent été présenté comme un personnage ambigu plus
intéressé par le luxe de la cour que par l’état de l’empire et dont l’incompétence

6 De Meulenaere 2008, 98.


7 Le conditionnel est ici employé car la date de la mort d’Assurbanipal, souvent fixée en ~631, reste incon-
nue. La corégence n’est pas établie, elle non plus. Vu la brièveté du règne d’Assur-etil-ilâni, il suffirait que
cette mort soit survenue deux ou trois ans plus tard pour que le déroulement des événements qui suivirent la
mort de l’empereur ait été différent, ruinant certaines hypothèses émises à leur sujet.
8 Na’aman 2005, 305-310, notamment le Tableau 1, p. 310.
aurait généré l’effondrement de l’Assyrie. Cette vue simpliste, qui inspira la
légende du débauché Sardanapale, est totalement fausse9. Les empires sont, du
fait de leur nature même, des entités complexes et les causes de leur dissolution
sont généralement multiples. D’éventuelles luttes picrocholines pour le pouvoir
suscitées par l’engeance d’Assurbanipal n’auraient pas été suffisantes pour faire
tomber un empire, finalement repris de main ferme, par Sîn-shar-ishkun. Ce fut
plus probablement l’incapacité de ce dernier (d’abord trop occupé à lutter contre
l’usurpateur Sîn-shum-lishir) à étouffer dans l’œuf la révolte babylonienne de
Nabopolassar qui déclencha le processus. Une fois Sîn-shum-lishir éliminé, Sîn-
shar-ishkun se trouva à nouveau dans l’impossibilité de contrer efficacement le
nouveau roi de Babylone car entre temps, non seulement ce dernier avait
conforté sa position, mais des révoltes continuaient à éclater de côté et d’autre.
Pour sa part, Nabopolassar n’aurait pas été capable de faire chuter l’Assyrie à lui
tout seul. Il lui fallait (et il lui fallut) des alliés. Deux éléments supplémentaires
vinrent successivement faire pencher la balance en défaveur de l’Assyrie : le
premier fut l’émergence d’un royaume mède unifié qui se dressa, lui aussi,
contre Sîn-shar-ishkun ; le second fut une volte-face des Scythes, anciens alliés
de l’Assyrie, qui, au plus fort des combats, changèrent de camp pour se rallier à
la coalition. En l’absence d’un seul de ces deux éléments, il n’est pas certain que
l’Assyrie, amoindrie mais à laquelle l’Égypte venait de s’allier par intérêt pour
contrer la montée en puissance de Babylone et des Mèdes, serait tombée si tôt.

~625 Cyaxare, fils (?) du roi mède Phraortès, a réussi à unifier pour la première fois
les tribus disparates de Médie. Il entre aussitôt en guerre contre son suzerain
assyrien et, chose inimaginable quelques années auparavant, va jusqu’à mettre le
siège devant Assur. La ville ne sera sauvée que par une arrivée des Scythes aux
frontières mèdes qui obligera Cyaxare à rebrousser chemin pour retourner
défendre son pays menacé d’invasion.

~614 Cyaxare, qui a mâté les Scythes, intervient à nouveau en Assyrie. Mais la
situation a inquiété Psammétique Ier qui, d’Égypte, envoie une armée au secours
de Sîn-shar-ishkun. Cyaxare conclut alors une alliance avec Nabopolassar. Les
coalisés, conscients de leur force, attaquent Assur, qui, cette fois, est prise et
détruite. L’armée assyrienne se replie à Ninive. Hélas pour elle, après la chute
d’Assur, les Scythes, toujours aussi opportunistes et qui ont senti le vent tourner,
font défection et se joignent à la coalition anti-assyrienne. Tous les éléments sont
réunis : l’Assyrie est bonne pour la curée.

~612 Ninive est attaquée à son tour. Après un siège de deux mois et demi, elle est
prise, pillée et détruite à un tel point que, deux cents ans plus tard, les Dix Mille,
passant devant ses ruines lors de leur retraite, s’ébahiront du gigantisme de ses
murailles mais seront incapables de l’identifier autrement qu’en se référant à des
légendes qui la nommaient Mespila (la future Mossoul), le nom de Ninive ayant
disparu de la mémoire des Grecs.
L’empire assyrien est rayé de la scène politique. Il n’en reste plus qu’un
lambeau, Harrân, gros bourg de la région du haut Euphrate, idéalement situé au
croisement des routes caravanières menant, depuis la Mésopotamie
septentrionale, en Syrie, en Égypte, en Asie Mineure et en Asie centrale. Les
débris de l’armée assyrienne s’y sont réfugiés sous la conduite d’un tartanu

9 Cette légende provient d’une confusion des Grecs entre la prise de Babylone par Assur-banipal en ~648 (au
cours de laquelle périt Shamash-shum-ukîn) et la prise de Ninive en ~612 (au cours de laquelle périt Sîn-shar-
ishkun). Son auteur reste inconnu. Ctésias de Cnide, à qui on l’attribue souvent à tort, ne fait que la reprendre
puisque ses écrits sur l’Assyrie ne furent pas « publiés » avant son retour de Perse en ~398 et que l’on trouve
déjà dans Les Oiseaux d’Aristophane, pièce présentée seize ans auparavant, une allusion à Sardanapale lancée
de manière si vague qu’elle indique que le personnage devait déjà être connu des spectateurs.
(« généralissime », peut-être un membre de la famille impériale) autoproclamé
empereur sous le nom d’Assuruballit II. Les vainqueurs l’encerclent mais le
laissent momentanément se morfondre, occupés qu’ils sont à se partager les
possessions assyriennes. Les Scythes se contenteront de la région de Harrân et de
l’Urartu, les Mèdes recevront l’Élam et la majeure partie de l’Assyrie, et les
Babyloniens le reste de la Mésopotamie, l’Arabie du nord et le Levant.
Mais au Levant, il y a maintenant l’Égypte de Psammétique, qui s’est empressée
de réinvestir le couloir syro-palestinien dès les premiers signes annonciateurs de
la dissolution de l’empire assyrien. Le pharaon a même réussi à établir une gar-
nison à Karkemish sur le haut Euphrate, d’où il surveille l’évolution de la
situation. Mais, comme le dit l’adage, « après l’heure, ce n’est plus l’heure » :
c’est avec Assurbanipal vieillissant mais toujours lucide que l’Égypte aurait dû
pactiser – à la limite, avec Assur-etil-ilâni dont les armées étaient toujours
relativement puissantes. Maintenant, malgré l’appui de ses mercenaires cariens,
ioniens et libyens à la loyauté aléatoire, Psammétique n’est pas de taille à peser
bien lourd dans la balance face aux Babyloniens, aux Mèdes et aux Scythes
réunis. Il n’a d’ailleurs pas pu empêcher la chute de Ninive. Tout au plus peut-il
espérer arriver à soulever les petits royaumes levantins, plus enclins, par
habitude, à accepter une tutelle égyptienne que babylonienne, mais rien n’est
moins sûr : leurs rois, souvent aussi stupides que vindicatifs, incapables de vue à
long terme, sont indisciplinés et en mésentente constante avec leurs voisins
immédiats. Et la disparition des Assyriens, aussitôt remplacés par les Égyptiens,
n’a rien changé à leur situation : ils restent soumis au tribut, à la différence qu’ils
le versent maintenant à Saïs et non plus à Ninive.
Psammétique Ier n’aura pas l’occasion de se mesurer à la coalition. Il meurt deux
ans après la chute de Ninive, remettant le destin de l’Égypte à son fils Nékao II.
Pendant tout ce temps à Jérusalem, on ne sait qui avait exercé la régence pendant
la minorité de Josias. Sans doute le grand prêtre et son entourage, ce qui
expliquerait le puritanisme du roi. À la mort d’Assurbanipal, Josias avait environ
20 ans et régnait déjà seul. Comme tous ses voisins, il avait aussitôt proclamé
l’indépendance de son royaume.
Il a été longtemps admis qu’au cours de la vingtaine d’années séparant la mort
d’Assurbanipal de cette « bataille de Megiddo » au cours de laquelle Nékao II et
Josias se seraient affrontés, le petit roi judéen aurait grignoté patiemment, et dans
l’indifférence générale, une partie des territoires de l’ancien royaume de
Samarie, rêvant de rétablir ce qu’il croyait avoir été le glorieux empire de David
et de Salomon. Selon Jacques Briend, Béthel, Samarie et Megiddo auraient
marqué, du point de vue géographique, les principales conquêtes de Josias10. La
réalité du temps s’oppose à semblable supposition : il ne semble pas que
Jérusalem ait pu disposer de suffisamment de troupes pour mener la politique
expansionniste que la Bible (et elle seule) impute à Josias. Les réseaux de
renseignement assyriens étaient d’une redoutable efficacité. Même du temps de
Manassé, pourtant ami d’Assurbanipal, la moindre tentative de réarmement, de
conscription ou d’embauche de mercenaires aurait été interprétée comme un acte
d’insubordination. À cet égard, rien ne changea après le passage des possessions
levantines d’Assurbanipal sous tutelle égyptienne. En outre, Psammétique Ier
n’avait pas manqué de s’assurer les points d’intérêt stratégique et économique
constitués par les prospères cités côtières de Canaan et par le verrou de Megiddo,
et l’on voit mal son fils Nékao II tolérant sans réagir qu’un roitelet de seconde
zone vienne affirmer de quelconques prétentions à la frange des dominions
égyptiens. 2 R 23, 19 a beau décrire Josias détruisant « toutes les maisons des
hauts lieux, qui étaient dans les villes de Samarie » et 2 Ch 34, 6 affirmer que
son influence s’étendait jusque « dans les villes de Manassé, d'Éphraïm, de

10 Briend 2003, 919.


Siméon, et même de Nephtali », on ne trouve guère de traces archéologiques de
cette prétendue reconquête du royaume du Nord11. Au mieux Josias aurait-il pu
aller jusqu’à Béthel, repoussant sa frontière d’à peine sept kilomètres vers le
nord12. On notera cependant que 2 R 23, 8 donne plus raisonnablement comme
limite septentrionale au royaume de Josias la ville de Gibeah située en Benjamin,
à une dizaine de kilomètres au nord-est de Jérusalem.
Ceux qui persistent à croire en la véracité d’une reconquête du Nord avancent
sur un ton péremptoire que si Nékao II a rencontré Josias à Megiddo, c’est que le
roi de Jérusalem était au moins arrivé jusque-là. Cet argument est fallacieux car,
non seulement on ignore totalement ce qui s’est passé, mais aussi où cela s’est
passé. Aucune source contemporaine n’a survécu de cet événement. Il n’y a que
la Bible à situer l’action à Megiddo.

~609 Harrân est encerclée. Les Mèdes sont à sa gauche, les Assyriens à sa droite et les
Scythes dans son dos. L’assaut final est imminent. Nékao envoie sa garnison de
Karkemish au secours d’Assuruballit, de même qu’une armée partie du delta
qu’il commande personnellement. La version « officielle » est que Josias, à la
tête de son armée, se serait avancé jusqu’à Megiddo pour s’opposer au passage
des troupes du pharaon, conduite dictée à la fois par ses sentiments anti-assyriens
et par la volonté de protéger les territoires récupérés. Mais peut-on imaginer
Josias, devenu quadragénaire, assez naïf pour croire que ses maigres bataillons
vont pouvoir obliger l’armée égyptienne à se dérouter ? Aurait-il été assez
crédule pour prêter foi en l’oracle de Yahvé que lui avait révélé la prophétesse
Hulda, à savoir qu’il n’avait rien à craindre de l’avenir et s’éteindrait en paix
dans son lit, de sa belle mort (2 R 22, 19-20) ? La suite des événements a montré
que ce jour-là, cette vieille radoteuse aurait mieux fait d’attraper une extinction
de voix.
C’est ici que certains partisans fidéistes de la version officielle sortent Hérodote
comme un lapin blanc de leur chapeau. En effet, selon le « père de l’Histoire »
(qui écrit 150 ans après les faits) :
Nékos [Nékao II] livra aussi sur terre une bataille contre les Syriens à Magdolo
et, après avoir remporté la victoire, prit Kadytis, ville considérable de Syrie13.
Le fait qu’Hérodote ne parle ni de Josias ni des Judéens mais de « Syriens »
(Σύριοι), terme plutôt imprécis, n’intrigue pas le moins du monde nos
traditionalistes. Ils voient ensuite dans la première des deux villes évoquées,
Magdolo (Μαγδώλῳ), la seule mention extrabiblique de cette fameuse bataille de
Megiddo au cours de laquelle le roi Josias aurait perdu la vie. Or relier la
Magdolo d’Hérodote à la Megiddo syrienne sur base d’une vague ressemblance
consonantique, c’est oublier un peu vite que le grec de la LXX translittère à
plusieurs reprises le nom Megiddo par Μαγεδδω et non par Μαγδώλῳ. La
liaison Magdolo-Megiddo est indubitablement forcée, ce qu’avait déjà remarqué
Théodore Reinach il y a plus d’un siècle14. En réalité la Magdolo d’Hérodote est
la Migdol égyptienne, transcrite également Magdolo dans la version grecque de
Jr 46, 14. Quant à Kadytis, on y voit de manière unanime l’hellénisation du nom
égyptien de Gaza, Kadjata15, identification confirmée par Hérodote lui-même qui
décrit ailleurs cette ville comme étant « le seul endroit par où il soit possible de
pénétrer en Égypte car la Syrie de la Palestine s'étend depuis la Phénicie
jusqu'aux confins de la ville de Kadytis »16. Selon Reinach, cité plus haut,

11 Finkelstein et Silberman 2002, 327 et 393-400.


12 Briquel-Chatonnet 1992, 214 ; Finkelstein et Silberman 2006, 179.
13 Histoires II, 159.
14 Reinach 1895, 361.
15 Quaegebeur 1995, 245-270.
16 Histoires III, 5.
Hérodote ne savait pas trop de quoi il parlait, ayant tiré ce renseignement
d’Hécatée de Milet, qui évoque, lui aussi, une Magdolos et qualifie également
Kadytis de « ville considérable ». En réalité, cette fameuse bataille de Nékao
contre les Syriens n’a rien à voir avec les événements de ~609 : on n’imagine pas
Nékao, après avoir remporté une victoire à Megiddo sur Josias, faire demi-tour et
redescendre vers le sud sur près de 200 km pour aller assiéger Gaza, alors qu’il
doit impérativement se hâter vers le nord afin d’aller soutenir Assuruballit.
D’autant que venant d’Égypte, il faut d’abord passer par Gaza pour aller à
Megiddo et que Gaza était déjà fermement tenue par l’Égypte en ~609.
La mention d’Hérodote doit être mise en parallèle avec Jr 47, 1 qui évoque la
prise de Gaza par un pharaon qui n’est autre que Nékao, mais huit ans après la
mort de Josias. (Dans l’intervalle, le Babylonien Nabuchodonosor II avait repris
Gaza aux Égyptiens en ~605, année de son avènement.) Quatre ans plus tard,
« en la quatrième année du roi d’Akkad »17, Nékao II repoussa une attaque de
Babylone contre l’Égypte de manière si éclatante qu’il fallut deux ans à
Nabuchodonosor pour reconstituer sa cavalerie et sa charrerie18. Les Syriens
d’Hérodote ne sont autres que les mercenaires levantins des Babyloniens et
arrêtés et défaits aux portes de l’Égypte, à Migdol. Profitant ensuite de ce que le
roi de Babylone était rentré chez lui réorganiser son armée, Nékao partit de
Migdol pour aller assiéger Gaza, ville d’importance stratégique par sa situation à
proximité de la frontière égyptienne. La garnison babylonienne qui s’y trouvait
depuis ~605 ayant, soit quitté les lieux, soit été facilement vaincue, Nékao aurait
repris la ville.

Revenons maintenant aux événements de ~609. Comme dit plus haut, la relation des
faits est différente selon qu’elle est restituée par les Rois ou les Chroniques.
2 R 23, 29-30 est très concis :
De son temps, Pharaon Néco, roi d’Égypte, monta vers le roi d’Assyrie, vers le fleuve
Euphrate. Le roi Josias marcha à sa rencontre et Pharaon le tua à Megiddo quand il le vit.
Ses serviteurs l’emportèrent mort sur un char. Ils l’amenèrent de Megiddo à Jérusalem et
l’enterrèrent dans son sépulcre.
La brièveté de ce compte-rendu contraste avec la richesse des chapitres précédents qui
avaient narré le règne du roi. On ne peut y voir qu’une volonté du rédacteur de jeter le
flou sur le déroulement des événements.
2 Ch 35, 20-24 donne davantage de détails, ce qui ne rend pas son récit plus crédible
pour autant :
Néco, roi d’Égypte, monta pour combattre à Carkemisch sur l’Euphrate. Josias marcha à
sa rencontre. Néco lui envoya des messagers pour dire : Qu’y a-t-il entre moi et toi, roi de
Juda ? Ce n’est pas contre toi que je viens aujourd’hui, c’est contre une maison avec
laquelle je suis en guerre. Et Élohim m’a dit de me hâter. Ne t’oppose pas à Élohim, qui
est avec moi, de peur qu’il ne te détruise. Mais Josias ne se détourna point de lui, et il se
déguisa pour l’attaquer, sans écouter les paroles de Néco qui venaient de la bouche
d’Élohim. Il s’avança pour combattre dans la vallée de Megiddo. Les archers tirèrent sur
le roi Josias et le roi dit à ses serviteurs : Emportez-moi, car je suis gravement blessé. Ses
serviteurs l’emportèrent du char […] et l’amenèrent à Jérusalem. Il mourut et fut enterré
dans le sépulcre de ses pères.
Passons sur le fait que l’on voit mal Nékao invoquer Élohim, divinité hébraïque ici
présentée comme alliée du pharaon et susceptible de nuire à Josias. On relèvera plutôt
qu’aucun des deux textes ne nous éclaire sur le lieu précis de la confrontation (selon 2 R :
« à Megiddo » ; selon 2 Ch : « dans la vallée de Megiddo » – est-ce à dire à l'entrée de la
plaine de Yizréel ?) 2 Ch, indique que des pourparlers auraient été engagés, ce qui est
conforme aux usages du temps. On trouve ensuite cette phrase ambiguë : « Il [Josias] se
17 Chronique babylonienne B.M. 21946, verso 5-8, qui parle d’Akkad pour Babylone.
18 Id. ibid.
déguisa pour l’attaquer [Nékao] ». Le rédacteur deutéronomiste emploie le verbe ḥappəś
qui signifie « déguiser ou se déguiser » mais aussi « rechercher, méditer, former un plan
». On a donc pensé que, selon cette autre interprétation, Josias aurait simplement cherché
à attaquer Nékao. Cette explication bancale donnant la mort de Josias pour la consé-
quence d’une tentative d’agression de sa part n’est en réalité que la copie d’un épisode
relaté en 1 R 22, 30-37 mais qui se déroule deux siècles et demi auparavant, à l’époque où
Achab, roi d'Israël, et Josaphat, roi de Juda, s’allièrent pour aller combattre Ben Haddad
II, roi d’Aram-Damas, à Ramoth de Galaad :
[Achab] dit à Josaphat : Je veux me déguiser pour aller au combat ; mais toi, revêts-toi de
tes habits [royaux]. Et le roi d’Israël se déguisa [en simple combattant] et alla au combat.
Le roi d’Aram [Ben Haddad II] avait donné cet ordre aux chefs de ses chars : Vous n'at-
taquerez ni petits ni grands, mais vous attaquerez seulement le roi d'Israël. Quand les
chefs des chars aperçurent Josaphat [dans ses habits royaux], ils dirent : Certainement,
c'est le roi d'Israël. Et ils s'approchèrent de lui pour l'attaquer. Mais Josaphat poussa un cri
[celui de Juda]. Les chefs des chars, voyant que ce n'était pas le roi d'Israël, s'éloignèrent
de lui. Alors un homme tira de son arc au hasard, et frappa le roi d'Israël au défaut de la
cuirasse. Le roi dit à celui qui dirigeait son char : Tourne, et fais-moi sortir du champ de
bataille, car je suis blessé. […] Il mourut le soir. Ainsi mourut le roi, qui fut ramené à
Samarie. Et on enterra le roi à Samarie.
Ce « plagiat » par Juda d’un texte d’origine israélite indique que l’auteur de 2 Ch 35,
20-24, ne pouvant accepter le résumé de l’exécution de Josias donné par son prédécesseur
des Rois et a, lui aussi, voulu cacher ce qui s’était réellement passé. Il serait en effet éton-
nant que la mort d’un monarque ceint d’une aura théologique telle que celle de Josias
n’ait pas été relatée de manière scrupuleuse par les Annales des rois de Juda, ouvrage
hélas perdu mais qui servit de modèle aux deux Livres des Rois.
Cette « conjuration du silence » découle de la prosopographie royale deutéronomique :
Josias est le seul souverain de sa lignée à être comparé à David et à être présenté comme
le messie tant attendu qui va racheter l’impiété de Juda et replacer le royaume dans le
giron de Yahvé. Or voici qu’en pleine gloire, alors que les cultes syncrétistes ont été éra-
diqués et que le soi-disant prestigieux royaume de David et de Salomon va enfin être
reconstitué, l’oint de Yahvé, le protégé par excellence, passe brutalement de vie à trépas
en plein milieu de l’histoire. C’est aussi navrant que si dans Mort sur le Nil, Hercule Poi-
rot était tombé du pont du S.S. Karnak en glissant sur une peau de banane et s’était noyé
dans le fleuve alors qu’il s’apprêtait à révéler qui était l’auteur de l’assassinat de Linnet
Ridgeway.
Nékao profita certainement de sa montée en Palestine pour tenter d’opérer un maxi-
mum de recrutements de mercenaires. Le pharaon ne souhaitant pas faire le détour par
Jérusalem, Josias aurait été convoqué à Megiddo ou ailleurs. Devant son peu
d’empressement ou son refus de fournir un contingent aux Égyptiens, il aurait été exécuté
sur place sans qu’il y ait eu bataille, comme semble l’indiquer la relation des faits livrée
par les Rois, qui n’évoque ni combat ni complot19. Nékao aurait laissé les serviteurs du roi
ramener son cadavre à Jérusalem en guise d’avertissement donné aux Judéens. Mais ce
n’est là qu’une hypothèse.
Trois semaines plus tard environ, le temps que les Égyptiens arrivent à Karkemish20,
les Assyriens ont été battus à Harrân mais Assuruballit et les survivants ont réussi à se
replier sur une position égyptienne. Aidé par les troupes du pharaon, Assuruballit repasse-
ra l’Euphrate et tentera vainement de reprendre Harrân21. On ignore ce qu’il advint de lui
après cet assaut manqué ; sans fut-il tué dans ce dernier combat ou fait prisonnier et exé-
cuté. Ironie de l’Histoire, cet ultime empereur assyrien avait repris le nom du fondateur

19 Finkelstein – Silberman 2002, 328-330 ; Finkelstein – Silberman 2006, 195-196 ; Briend 2003, 919-920.
20 La distance de Megiddo à Karkemish est d’environ 550 km. Or, à l’époque, une armée en campagne
accompagnée de son intendance, vu le temps nécessaire pour établir son campement en fin de journée et le
lever le lendemain, ne pouvait effectuer au maximum et à marche forcée qu’une trentaine de kilomètres par
jour, pour peu qu’elle n’eût pas combattre en route.
21 Chronique babylonienne B.M. 21901.
de sa « lignée ». Un millénaire plus tard, un empereur romain d’Occident, Romulus
Augustus fera de même et cela ne lui portera pas bonheur non plus…
Nékao, déçu, laisse la garnison de Karkemish en place et redescend en Égypte. Au pas-
sage il fait une halte à Riblah car il a un compte à régler avec Jérusalem. Joachaz, fils
cadet de Josias, est censé y régner depuis trois mois. Nékao aurait envoyé un contingent
égyptien « cueillir » le roi dans sa capi-tale pour l’amener devant lui.
Pharaon Néco l'enchaîna à Riblah, dans le pays de Hamath, pour qu'il ne régnât plus à
Jérusalem. Et il mit sur le pays une contribution de cent talents d'argent et d'un talent d'or.
Et Pharaon Néco établit roi Éliakim, fils de Josias, à la place de Josias, son père, et il
changea son nom en celui de Joiakim. Il prit Joachaz, qui alla en Égypte et y mourut. (2 R
23, 33-34)
On remarquera la phrase ambiguë : « Et Pharaon Néco établit roi Éliakim, fils de
Josias, à la place de Josias, son père ». Normalement, le scribe aurait dû écrire : « à la
place de Joachaz son frère ». On pourrait se demander si l’on ne tiendrait pas là une autre
version – la vraie – de la mort de Josias, qui aurait été déporté et emprisonné à Saïs
jusqu’à la fin de ses jours. Il n’y a pas spécialement de raison de croire que l’auteur de Jr
22, 10-12 évoque Joachaz (sous le nom de Schallum) quand il donne le conseil suivant :
Ne pleurez point celui qui est mort, et ne vous lamentez pas sur lui ; pleurez, pleurez celui
qui s'en va, car il ne reviendra plus. Il ne reverra plus le pays de sa naissance. […] mais il
mourra dans le lieu où on l'emmène captif, et il ne verra plus ce pays.
Les innombrables hypothèses émises à propos des auteurs du Livre de Jérémie, de
même que les nombreuses incohérences de l’ouvrage incitent à attribuer ces versets à un
auteur deutéronomique plus tardif.
La vassalité de Juda vis-à-vis de l’Égypte durera jusqu’en ~605, date à laquelle Nabu-
chodonosor, encore héritier présomptif du trône de Babylone, battra les Égyptiens à Kar-
kemish puis à Hamath et les obligera à se retirer du Levant. Selon la Chronique baby-
lonienne BM 21946, en ~605 :
Nabu-kudurri-utsur [le futur Nabuchodonosor II] prit la tête de ses troupes et marcha vers
Galgamesh [Karkémish] qui est au bord de l’Euphrate. Il franchit le fleuve contre les
troupes de Mitsir [l’Égypte] qui étaient établies à Galgamesh et ils combattirent l’un
contre l’autre. Les troupes de Mitsir firent volte-face. Il leur infligea une défaite et il les
réduisit à néant22.
Nékao II mourra dix ans après cette cuisante défaite. Bien qu’il ait réussi entre temps à
empêcher Nabuchodonosor d’envahir l’Égypte, on ne lui pardonnera jamais d’avoir perdu
les dominions d’Asie. La défaite de Karkemish lui vaudra de subir une sorte de damnatio
memoriæ dès l’accession au trône de son fils Psammétique II. Malheur aux vaincus…

BIBLIOGRAPHIE

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