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CHAPITRE 19.

UNE DÉMARCHE DE FORMATION : CHANGER DE REGARD


SUR LES « DIFFICULTÉS DE MOTIVATION » DES ÉLÈVES

Patrick Picard
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in Benoît Galand et al., (Se) motiver à apprendre

Presses Universitaires de France | « Apprendre »

2006 | pages 217 à 232


ISBN 9782130558637
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/se-motiver-a-apprendre---page-217.htm
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Chapitre 19
Une démarche
de formation :
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changer de regard
sur les « difficultés de
motivation » des élèves
Patrick Picard

Introduction
n guise de conclusion, l’expérience présen-

E tée ci-après illustre comment un certain


nombre des principes théoriques et pédago-
giques développés dans les chapitres précé-
dents peuvent être intégrés et mis en œuvre sur le terrain.
Si l’expérience en question s’appuie explicitement sur les
travaux sociologiques de l’équipe de Paris VIII présentés
dans le chapitre de J. Bernardin ci-dessus, nous aurons
néanmoins l’occasion de constater qu’elle touche également
de très près à d’autres apports, davantage psychologiques,
présentés dans l’ouvrage. Elle propose des pistes concrètes,
pour l’accompagnement des élèves face à leurs « difficul-
tés » de motivation, mais également pour l’accompagnement
et la formation des enseignants confrontés à ces élèves et à
ces « difficultés ». Mais à présent, place aux acteurs.

Savoir lire les demandes de formation


pour les rendre opératoires
Suite au constat de difficultés récurrentes des élèves face
à l’écrit, un dispositif innovant a été mis en place dans
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(Se) Motiver à apprendre

l’Yonne (France) en 2005-2006 à l’adresse d’enseignants de


cycle 2 (5 à 7 ans) exerçant en zone d’éducation prioritaire
(ZEP). Visant à engager des transformations durables, cette
Malgré formation a été pensée en termes d’accompagnement, avec
les difficultés l’aide de formateurs du GFEN 1. Sollicitant l’engagement
de moyens, d’équipes de cycle, elle s’inscrivait dans la durée, faisant
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comment alterner six sessions de deux jours réparties dans l’année
faire de la avec le travail dans les classes. Fortement appuyée sur la
formation réalité du terrain vécue et perçue par les enseignants alors
continue des concernés, cette démarche de formation n’a eu de cesse,
enseignants d’une session à l’autre, de viser un retour à l’action
un « outillé » sur les plans théorique, stratégique et pratique, en
accompagnement utilisant les réussites (des élèves comme des enseignants)
aidant comme moteur de cette dynamique de transformation. Nous
les acteurs de n’évoquerons ici que quelques éléments stratégiques de ce
terrain à prendre processus de formation, les appuis théoriques qui les fon-
appui sur leurs dent, les incidences sur les pratiques enseignantes et leurs
connaissances ? effets auprès des élèves 2.

Lorsque nous les rencontrons en situation de formation


continue, nombre d’enseignants énoncent les difficultés de
motivation des élèves comme une de leurs préoccupations
essentielles : « Ils ne font pas attention », « certains
oublient régulièrement la consigne », « ils ne se sentent
pas concernés », « ils n’ont pas confiance en eux »… Cap-
ter l’attention par différents artifices, encadrer davantage
les décrocheurs, alterner plus rapidement les séances pour
contourner la dispersion sont des réponses pédagogiques
souvent citées, mais qui, engendrant un morcellement des
temps de classe, sont jugées fatigantes et peu efficaces par
les enseignants eux-mêmes.

Avant d’envisager quelques pistes alternatives, nous pro-


posons au groupe en formation de faire un détour par le rap-
port des élèves à l’activité scolaire, afin de mieux com-
prendre l’origine de ces comportements. Pour cela, nous
nous appuyons sur un matériau simple à recueillir : les
paroles des élèves. Quelques questions simples sont posées
aux élèves de chacun des degrés du cycle 2 (5-7 ans), dès
la rentrée : « Que penses-tu apprendre au CP ? Comment
fait-on pour apprendre ? Selon toi, à quoi ça sert de
lire ? »3
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Une démarche de formation


En dépouillant eux-mêmes les réponses de leurs élèves
lors d’une première session de formation, les enseignants Premier objectif,
sont interpellés par l’hétérogénéité des réponses. Beaucoup donner à lire aux
d’élèves pensent apprendre « en écoutant bien la maî- enseignants le
tresse » ou « en allant à l’école », alors que peu imaginent réel de la classe
que c’est « en essayant », « en s’entraînant », « en deman- en s’appuyant
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dant de l’aide ». Certains ont envie d’apprendre « pour faire sur les paroles
plaisir aux parents » ou « pour aller dans la classe des élèves, qui
suivante », quand d’autres pensent déjà apprendre « pour dévoilent leurs
pouvoir raconter des histoires », « pour grandir », « pour conceptions
savoir des choses ». de l’École.

Au-delà des différences interindividuelles qui s’expri-


ment, ce sont des conceptions différentes de l’école et de
l’apprentissage qui se révèlent (voir les chapitres de J. Ber-
nardin et de J.-Y. Donnay dans cet ouvrage). Certains élèves
ont compris qu’apprendre s’inscrit dans la durée, est un pro-
cessus qui nécessite engagement personnel et persévérance,
est fait d’essais successifs et d’erreurs progressivement rec-
tifiées ; ils savent qu’un exercice n’est qu’un prétexte pour
apprendre, asseoir ou vérifier une acquisition. Si ces élèves
sont en phase avec les exigences scolaires, dans une conni-
vence culturelle implicite avec l’enseignant, tous ne sont pas
dans ce cas. D’autres, dans un rapport bipolaire au savoir
(« tu sais ou tu sais pas »), se centrent sur la tâche en
oubliant son but, vivent les activités successives sans en per-
cevoir la continuité, recherchent l’assistance de l’enseignant
considéré comme seul juge de la qualité du travail. Faute de
repères et de points d’appui, la relation pédagogique est
ainsi bien souvent minée par une quête affective parasitant
le travail intellectuel. Comment en sortir ?

Lever les malentendus


On s’étonne parfois de la résistance des élèves à tirer
parti des corrections, à réécrire un premier jet. Est-ce une
preuve de leur mauvaise volonté ou le symptôme d’un mal-
entendu sur le but de l’activité ? Si la consigne est enten-
due uniquement du côté du « faire », rien d’étonnant à ce
que l’enseignant doive lutter avec le « combien de lignes ? »
des élèves, n’arrivant pas à faire partager son objectif de
développement des compétences scripturales. Et si la
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(Se) Motiver à apprendre

LA PA R O L E A U X ACT E U R S

Faire En France, le ministère qu’on vient faire à défaut de


organise depuis l’école. raisonnement ? d’un
de l’évaluation plusieurs années une Après les passassions, oubli dans la
un outil pour passation d’évaluation les corrections sont démarche ?
changer nationale standardisée faites collectivement. Le La saisie informatique
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pour les élèves de CE2 codage des items et le permet l’édition d’un
le regard (8 ans) et de 6 e (11 report dans un logiciel graphique simplifié
des élèves ans) à l’entrée au sont faits par les anonymant les
sur l’École collège. Un récent élèves, afin qu’ils résultats. Une
rapport de l’Inspection prennent conscience exploitation collective
générale, constatant de toute la démarche de ce tableau est faite
les pratiques, d’évaluation. Ce temps avec les élèves,
recommande de de travail dure environ permettant de prendre
développer celles qui deux semaines (une conscience de
permettent aux élèves heure par jour). Les plusieurs résultats
d’expliciter leurs erreurs élèves ont été avertis observables :
et de mesurer leur que cette phase de – au sein d’un cours, la
progrès par rapport correction n’était pas dispersion des
aux objectifs du temps perdu, mais résultats est importante
d’enseignement, par au contraire un (on prend la mesure
exemple en gardant moment où chacun des différences de
trace de leurs allait pouvoir prendre performances entre
productions conscience de ce qu’il élèves), mais le
significatives ou en sait faire. Il faut chevauchement des
utilisant des outils s’entendre sur la bonne résultats entre élèves
informatiques (rapport réponse. Parfois, la de différents cours est
complet à quasi-unanimité se fait. tout à fait significatif. Il
ftp://trf.education.gouv.fr Mais, parfois, la va permettre d’engager
/pub/edutel/syst/igen/a controverse bat son avec les élèves une
cquis_des_eleves.pdf). plein. Et une fois la justification et une
L’expérience ci-dessous solution reconnue par théorisation du travail
tente de se situer dans tous, reste à savoir en cycle.
cet objectif. quoi faire de son – On lit facilement la
Partant du principe qu’il erreur : « Moi, j’ai fait progression d’un élève
est difficile aux enfants ça… Comment dois-je en un an. « Tu es peut-
de situer leur niveau coder ma réponse ? » être encore en
par rapport au groupe- C’est aussi l’occasion difficulté, mais regarde
cours et par rapport de premières combien tu as
aux compétences interrogations : « Si progressé. » On
attendues en fin de Alice a fait telle erreur, mesure même la
cycle, je fais passer que peut-on savoir de progression des
chaque année les sa difficulté ? » Les individus relativement
évaluations CE2 aux élèves commencent à au groupe (« On a
trois cours de ma discerner que le but de avancé tous ensemble,
classe (8 ans, 9 ans, l’évaluation n’est en et Damien et Kévin
10 ans). L’objectif est rien le classement des nous ont rattrapés ! »).
de faire changer la élèves ou la « bonne – Pour les plus grands,
représentation qu’ont note », mais d’aider à l’affichage de résultats
les élèves de ce qu’est comprendre ce qui fait supérieurs à 80 % de
l’évaluation : non plus souci : telle erreur de bonnes réponses est
un moyen de résultat vient-elle d’une rassurant, positif,
classement, mais une technique opératoire permet à chacun de se
aide pour savoir ce mal assurée ? d’un dire qu’il possède
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Une démarche de formation


manifestement les (en novembre) aux conduite individuelle,
« compétences de élèves de CM1 et CM2 de droits, de volume
base » et de sentir que les évaluations qui sonore ?…), mais aussi
les compétences seront exigées à d’outils (si j’ai besoin
exigées lui sont l’entrée en 6 e (collège). de travailler
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accessibles. Et que L’objectif affiché est spécifiquement telle
dire de Laurie, CM2 cette fois de faire sentir notion, où, quand et
(10 ans), paniquée à à chacun l’écart le comment vais-je
l’idée de subir les séparant du « niveau » pouvoir le faire ?). On
mêmes évaluations exigible d’un élève de va négocier des règles,
que tout le monde 6 e. Que cette des modalités de
(« Mais, maître, tu sais, évaluation soit trop travail individuel ou
moi, je suis difficile pour eux ne d’utilisation d’outils
dyslexique… »), pose alors aucun équitables (chacun a
subjuguée de voir des souci : le but est de droit de travailler ses
résultats lui indiquant pouvoir mesurer ce qui points faibles, quels
plus de 90 % de reste à chacun à que soient ses
bonnes réponses ! apprendre. résultats…) dont le
Un peu démagogique, Pour chaque enfant, un maître va se porter
opposera le lecteur… bilan individuel va être garant.
Mais est-il bien évident l’occasion de discuter Du côté des contenus
que chaque CM ait de ce qu’il pense de disciplinaires, une fois
clairement conscience ses résultats, de ses ces évaluations faites,
de ses progrès depuis points de force et de la décision est prise
le CE2 ? Ce n’est faiblesse… Le rendu d’essayer d’identifier, en
qu’après avoir effectué de l’évaluation aux maths et en français,
ce travail trois ans de parents en sera une pour chaque cours, les
suite avec des élèves occasion « solennelle » dix « compétences »
que j’ai pu enfin qui permettra à chacun évaluées les mieux
entendre régulièrement, (élèves, parents, maître) réussies, et les dix les
cette année, des de dire ce qu’il pense moins réussies. On va
« grands » sécuriser pouvoir faire pour la alors fabriquer des
des petits en leur suite… listes qui, affichées,
disant : « C(e n)’est Mais ce travail n’aurait deviendront les
rien… Moi aussi, au que peu de sens s’il ne objectifs partagés du
CE2, je ne savais permettait pas de groupe-classe. Très
pas… Regarde, poser publiquement la naturellement, le
maintenant, où j’en question : « que faire groupe va intégrer
suis… » de ces résultats ? » : l’idée que ces notions,
Évidemment, il ne s’agit comment « profiter au affichées au vu de
pas, en proposant aux mieux » du temps chacun, vont être le
CM une évaluation trop scolaire, compte tenu « programme
facile, d’en rester aux des contraintes (plus prioritaire » au cours
bons sentiments et de de 30 élèves…). C’est des mois à venir…
limiter les exigences l’occasion de donner Mais, du coup, on les
conceptuelles et sens à des règles de travaille avec un autre
disciplinaires à leur vie mises en place en regard… « C’est ce
égard. classe (si on veut que dont on a besoin pour
C’est pourquoi, cette tout le monde ne fasse aller en 6 e. » Tout un
étape de pas la même chose en défi…
« sécurisation- même temps, quelles
balisage » franchie, je contraintes en termes
décide de faire passer de déplacements, de Patrick P ICARD
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(Se) Motiver à apprendre

reprise est une nécessité d’abord pour mieux se faire com-


prendre, peut-on faire l’impasse sur la question du destina-
taire, du lecteur potentiel ?

Pour travailler le problème de la « motivation » avec les


enseignants en formation, nous tentons d’élucider ces dif-
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férents malentendus, sources de confusion entre normati-
vité (appropriation des normes inhérentes au contenu tra-
vaillé) et normalisation (imposition de normes formelles,
non fondées). Nous prenons l’exemple de l’attention récla-
Pour ne plus mée aux élèves : est-ce une demande d’allégeance, de sou-
confondre mission, ou un moyen au service d’un but précis ? Encore
normativité et faut-il expliquer que ce recours à la rigueur est indispen-
normalisation, sable à la réussite de chacun. Considérons sur ce point la
réinterroger pratique d’auto-dictée : un mot est écrit au tableau (par
les demandes exemple, « bibliothèque »). La consigne est énoncée, moins
de l’enseignant : injonction que conseil opératoire : « Regardez bien… » –
« faire attention », laisser le temps, travailler ensemble l’étymologie, justifier
est-ce se l’orthographe, insister sur l’impérative nécessité de ne faire
soumettre ou aucune erreur – « … et réécrivez ». Ainsi, l’enseignant aide
gagner le moyen à construire l’idée que chacun est en train d’apprendre, et
d’arriver que l’orthographe n’est pas donnée une fois pour toutes aux
à un but ? seules âmes bien nées.
Qu’entendent les élèves des consignes énoncées ? Quel
sens donnent-ils à l’activité ? Faute d’intégrer cette préoc-
cupation lors du lancement du travail, faute d’un souci per-
manent de clarté cognitive quant au but visé et à l’enjeu de
ce qu’on propose, bien des malentendus perdurent à l’insu
de l’enseignant, empêchant ou contrariant l’implication
de l’élève (voir aussi les chapitres de C. Dupeyrat et de
L. Filisetti dans cet ouvrage).

Transformer leur rapport


à l’apprentissage
Pour (re)mobiliser les élèves sur les apprentissages, outre
cette vigilance à l’égard des malentendus potentiels, il
importe de développer conjointement un étayage à la fois
identitaire, culturel et cognitif.
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Une démarche de formation


Sur le plan identitaire :
(re)conquérir l’estime de soi
Ceux qui ont accumulé les difficultés – qu’ils soient
enfants, adolescents ou adultes – sont généralement fragi-
lisés par ces expériences négatives cumulées et manquent
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de confiance en eux, ce qui amène à un désinvestissement
croissant (voir le chapitre de M. Vanlede dans cet ouvrage).
D’où l’importance de l’accueil bienveillant de leurs propo-
sitions, de la dédramatisation des erreurs et des encoura-
gements, facteurs de sécurité (voir le chapitre de J.-L. Gurt-
ner dans cet ouvrage). On connaît mieux l’effet des attentes,
les incidences du regard porté sur l’apprenti qui, se tradui-
sant en « traitement » verbal et non verbal différencié (à
divers niveaux : contenu, sollicitations, feed-back, climat
des échanges), contribue à modifier l’estime de soi et la
motivation. Si l’instituteur veut, comme l’étymologie du
terme y renvoie, « instituer de l’humain », son action ne peut
se réduire à une somme d’actes professionnels, elle exige
d’être guidée et soutenue par une posture éthique. Ainsi que
l’écrivait Henri Wallon : « Un regard qui scrute pour trou-
ver la marque du manque impose à l’enfant un statut Deuxième
péjoré. Un regard qui ne cherche en l’enfant qu’un devenir objectif,
instaure une dynamique de rencontre. » Le contenu et le se questionner
niveau des propositions d’activités contribuent à faire sur le simple et
dérailler les logiques d’échec. Contrairement à ce qu’on le complexe.
pourrait croire, ce n’est pas en étant confrontés à des tâches Simplifier,
faciles que les sujets se reconstruisent, mais en relevant des remédier,
défis. Quels que soient le domaine investi et le contenu d’ap- est-ce une aide
prentissage visé, la réussite face à une activité initialement ou une difficulté
appréhendée comme difficile est un tremplin potentiel pour supplémentaire ?
l’élargissement à d’autres réussites, dans le même champ ou Réponse pas
dans d’autres. toujours simple…

Sur le plan culturel :


étayer l’envie d’apprendre
Pour l’enfant confronté à l’écrit, l’envie d’apprendre peut
se nourrir de plusieurs choses :
– de ce que font les grands, d’où l’importance de réhabi-
liter les lectures « ordinaires », les usages multiformes de
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(Se) Motiver à apprendre

l’écrit dans l’espace familial et dans l’environnement en les


dévoilant (exploration à laquelle les parents peuvent être
associés) ;
– de ce qui s’impose parce que cela apparaît indispensable
pour réaliser ce qu’on a projeté (lire pour faire un jeu, bri-
coler, jardiner, cuisiner… ; voir le chapitre de S. Neuville
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dans cet ouvrage) ;
– de ce qui préoccupe, émeut, étonne, amuse, surprend,
interroge… (voir le chapitre de S. Govaerts dans cet
ouvrage).
Ce qui amène à choisir avec un soin tout particulier les
objets à lire. Dans le champ littéraire, l’expérience de Serge
Boimare avec des élèves en grande difficulté nous invite à
proposer des œuvres ambitieuses, au contenu humainement
dense 4. La littérature enfantine est désormais riche de récits
pouvant capter l’intérêt des élèves, susceptibles de facili-
ter des phénomènes d’identification aux personnages. De
façon complémentaire, tout ce qui est de nature à dévelop-
per des questionnements sur le monde peut fournir l’occa-
sion d’une découverte majeure pour certains : les réponses
se trouvent souvent dans les livres (qu’ils soient documen-
taires, atlas, encyclopédies enfantines ou dictionnaires).
L’exploration de la revue ou du journal auquel on est abonné
En formation, peut également initier de nouveaux centres d’intérêt.
les enseignants Toutes les expériences ouvrant les yeux sur le monde
confrontent peuvent potentiellement développer la curiosité : les sorties,
les situations qui les spectacles, l’accès aux multimédias, la visite à la biblio-
leur permettent thèque, l’écoute du conteur… sans oublier la parole des
de développer adultes évoquant les écrits qui les ont intéressés, amusés,
l’expérience touchés, émus ou indignés. L’éducateur est, qu’il le veuille
culturelle de ou non, parfois substitut des figures parentales dans l’es-
l’écrit par pace qui est le sien : pourquoi se priverait-il de parler des
les élèves. lectures qu’il a aimées ?

Sur le plan cognitif : modifier leur posture


et les aider à agir seuls
Nous l’avons déjà largement évoqué : les élèves en diffi-
culté ont tendance à être passifs, attendent plus la réponse
qu’ils ne la cherchent eux-mêmes, dans une relation de
dépendance excessive à l’adulte « qui sait ». Peut-être sont-
ils induits en erreur par respect excessif du conseil paren-
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Une démarche de formation


tal classique à l’aube de la grande école : « Sois sage, écoute
bien le maître, il va t’apprendre à lire. » Toujours est-il
qu’ils s’arrêtent dès qu’une difficulté surgit, à l’affût de la
solution toute faite (qu’elle soit proposée par l’adulte ou
soufflée par le voisin), ce qui n’est pas très opératoire pour
progresser.
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À cet égard, une des difficultés pour l’enseignant est de
s’astreindre à la neutralité, voire au silence. Ceux qui ont
observé les interactions du fond de la classe savent que les
échanges s’instaurent souvent entre chacun des élèves et
l’enseignant. Celui-ci a tendance à valider lui-même la
réponse (par la voix, le regard ou le geste), ce qui amène
certains élèves non pas à chercher la résolution du problème
mais à « deviner la réponse » attendue. Rien d’étonnant à ce
que des élèves se réfugient dans une prudente réserve, voire
s’occupent à autre chose en attendant que l’échange se ter-
mine (voir aussi le chapitre de L. Pelletier dans cet ouvrage).
L’enseignant peut au contraire reformuler l’énoncé peu intel-
ligible, renvoyer le débat vers la classe et, quand l’impasse
subsiste, convoquer le groupe de pairs. Favoriser l’entraide
et la coopération permet de croiser les diverses façons de
faire, de mettre à jour les procédures les plus efficaces (par La neutralité
exemple, de dévoiler peu à peu des stratégies de lecture plus et le silence,
fiables) tout en différant la validation par l’adulte (voir le une des plus
chapitre de C. Darnon dans cet ouvrage). Outre le sentiment grandes
de sécurité que procure le groupe, chacun y est poussé à jus- difficultés
tifier ses propositions. Il s’agit de favoriser la réflexion indi- professionnelles
viduelle et collective afin de développer l’autonomie intel- pour
lectuelle. l’enseignant…
Pour les impliquer, mieux vaut éviter de donner la solu-
tion et inciter les élèves à chercher, à explorer. Comme de
surcroît ils ont tendance à imaginer que la réponse ne peut-
être que juste ou fausse, il importe d’encourager les essais
et les reprises : dédramatiser, valoriser, stimuler, relancer,
pousser à aller plus loin… autant d’autorisations à chemi-
ner intellectuellement sans risque d’être stigmatisé. Autre-
ment dit, si l’on veut que chacun progresse, c’est moins la
« bonne » réponse qu’il importe de favoriser dans la
conduite de la classe que le chemin pour y arriver (voir les
chapitres de B. Galand et de D. Martinot dans cet ouvrage).
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(Se) Motiver à apprendre

Concevoir l’activité comme tremplin


pour la (re)mobilisation
Encore faut-il avoir des raisons d’intervenir dans le
débat : un thème qui « parle », la possibilité de convoquer
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sa propre expérience et ses connaissances, le besoin
d’échanger, mais aussi le plaisir de réussir, de comprendre
ou le sentiment d’y arriver de mieux en mieux sont autant
de motifs de jubilation et de fierté, alimentant en boucle la
mobilisation. Quand l’effort est récompensé, les gratifica-
tions symboliques et culturelles viennent contrebalancer
l’âpreté initiale des premiers pas.
C’est dire l’importance de l’activité qui, selon Leontiev,
n’est pas seulement la conséquence de la « motivation » ini-
tiale, mais peut aussi remanier les motifs initiaux, passant
ainsi de conséquence à cause. Non seulement « tant qu’il
n’a pas été satisfait une première fois, le besoin “ne
connaît pas” son objet », mais « le besoin en tant que force
intérieure ne peut se réaliser que dans l’activité » 5. Arrê-
tons-nous un instant sur la dynamique alors à l’œuvre, qu’on
ne peut appréhender sans redéfinir préalablement les com-
posantes de l’activité humaine.

L’activité ne peut être réduite à ses aspects visibles : les


moyens utilisés et le résultat. Toute activité est pilotée par
Il est souhaitable un but, qui oriente l’activité, et est soutenue par une raison
d’aider d’agir, un mobile (voire plusieurs). Qu’est-ce qui me pousse
les enseignants à agir ? Cette dimension invisible constitue la face subjec-
à différencier tive de l’activité, en est le moteur. Loin d’être figée, l’acti-
tâche et activité vité évolue grâce à plusieurs niveaux de régulation. La situa-
intellectuelle tion d’apprentissage est appréhendée par chacun sous
de l’élève, divers angles :
à interroger – quel est le résultat de mon action ? En le comparant
le sens des avec le but visé, j’en juge l’efficacité (si je m’aperçois que
activités je n’arrive pas là où je souhaitais, je change de façon de
scolaires. faire) ;
– si l’éclaircissement du but peut réorienter l’activité (je
vois mieux « où je vais »), le rapport entre les moyens utili-
sés et le but visé en estime l’efficience (chacun cherche la
solution la plus économique pour parvenir à ses fins) ;
– enfin, le rapport entre le mobile et le but est constitu-
tif du sens de l’activité. Si le sens peut être préalable (« j’ai
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Une démarche de formation


très envie de savoir ce que raconte ce livre », « je veux
apprendre pour grandir »), le sentiment de réussite (d’ef-
ficacité personnelle : « j’y arrive ! ») ou de maîtrise (« … de
mieux en mieux, de plus en plus vite ») peut enrichir ou
renouveler le mobile initial : donner envie d’aller plus loin,
de viser plus haut (lire des livres plus complexes sur le
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même sujet ou sur d’autres : « elle a rangé ses jouets de
bébé » ; « il prend les livres de son grand frère »6…).
D’où l’importance de ne pas laisser chacun seul face à la
tâche, et d’organiser – en cours d’activité ou à son terme –
des échanges sur les diverses façons de procéder. Ces
échanges permettent la sélection progressive des modali-
tés opératoires, favorisent l’utilisation de procédures de
plus en plus expertes.

Aider les enseignants,


pour aider les élèves
Avec les enseignants en formation, l’exposition de ces
concepts ne suffit pas à en permettre l’appropriation. Cela
pourrait même renforcer leur résistance classique à la Théo-
rie, jugée parfois bien éloignée de la dure réalité du métier.
C’est pourquoi nous leur demandons de retrouver une situa-
tion concrète de « réussite » déjà vécue en classe, au cours
de laquelle ils ont vu un ou plusieurs élèves adopter une
autre conduite, se mobiliser. En plongeant dans son expé- Pour une fois,
rience personnelle, chacun doit raconter la scène à un faux si on demandait
naïf chargé de lui faire préciser les détails, de lever les (aussi)
implicites, de saisir l’essence des choses derrière l’exposi- aux enseignants
tion des faits, avant de porter l’expérience devant le reste de s’appuyer sur
du groupe en répondant à la triple interrogation : quelle acti- leurs réussites
vité de l’enseignant ? Pour quelle activité des élèves ? Et, de plutôt que
son point de vue, qu’est-ce qui a été la source de telles trans- sur leurs
formations ? difficultés ?

Au fil des comptes-rendus successifs, le groupe recense


un certain nombre d’attitudes et de pratiques pédagogiques
opératoires. Nous les présentons ici succinctement, à titre
de simple illustration de ce qui peut émerger d’un travail col-
lectif d’enseignants en formation (cf. ci-après, p. 228). Le
lecteur rompu aux habituelles controverses pédagogiques
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(Se) Motiver à apprendre

sera sensible au fait que les débats classiques sur les styles
pédagogiques (pédagogie moderne contre pédagogie tradi-
tionnelle) s’effacent au bénéfice d’un déplacement du regard
des enseignants sur leur propre activité professionnelle,
dans ce qu’elle a de plus quotidien.
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Loin de toute injonction, nous faisons le pari que c’est ce
qui peut engager chacun à tenter, de retour dans sa classe,
des déplacements de regard et des changements « à sa
mesure » (voir aussi le chapitre de K. Bentein dans cet
ouvrage).

Exemples de pratiques opératoires


identifiées par les enseignants
Pour le maître
Préparation de la séance
– anticiper, en « se mettant à la place » des élèves les plus
en difficulté
– avoir le souci de clarifier le but de l’activité pour les
Anticiper, clarifier élèves
le but de – imaginer des situations exploratoires, ouvertes, ame-
l’activité, autant nant des réponses plurielles, qui vont elles-mêmes imposer
de contraintes la confrontation, la justification et le raisonnement collec-
exigeantes de tif (se substituant alors à la simple validation par l’ensei-
la préparation gnant)
de la séance – prendre appui sur ce qui a déjà été fait, faire appel à
de classe. l’expérience des élèves

Dans la séance : aspects matériels et rapport aux


élèves
– être attentif à l’organisation matérielle, aux formes de
travail, à la disposition (grand groupe, petit groupe, indivi-
duel), à la posture physique de l’enseignant (changer de
place, montrer où on en est…)
– expliquer avant ce qu’on va faire, reformuler les
consignes, préciser la tâche, le contexte, le but…
– alléger une tâche complexe (par exemple, en produc-
tion d’écrit, demander que des élèves racontent oralement
ce qu’ils vont écrire afin d’engager ceux qui seraient bloqués
devant la feuille blanche)
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Une démarche de formation


– différer le moment du faire pour prendre de la dis-
tance : demander aux élèves de se représenter mentalement
le schéma à dessiner, obliger à observer les cartes qu’on va
trier avant de s’en saisir…
– après la tâche, prendre un temps collectif sur les procé-
dures utilisées, aider à faire comprendre comment la manière
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de faire d’un autre élève peut être différente sans être fausse…
– gérer le temps : ritualiser, faire régulièrement, sécuri-
ser, autoriser à…, créer des habitudes de travail stables,
montrer aux élèves l’importance des essais, des erreurs, de
l’entraînement : « rien ne se passe si je ne retrousse pas les
manches, je suis autorisé/invité à coopérer, à réfléchir sur
ce que j’ai mis en œuvre ».
– entraîner les habiletés de base qui sont utilisées par les
élèves dans des activités plus complexes (calcul mental,
copie…). Soulager de ces préoccupations, c’est aider à déga-
ger des ressources pour autre chose. Ainsi, apprendre à
copier n’est pas qu’apprendre à copier : passer du « lettre à
lettre » au « mot à mot », puis au « petit bout de phrase qui
veut dire quelque chose », c’est apprendre de nouvelles
façons de procéder, comprendre ce qu’on écrit (et non reco-
pier mécaniquement), progresser vers l’auto-dictée et mieux
s’approprier la leçon : « quand je l’ai copiée, je la sais »
– se décentrer pour regarder, observer la diversité, faire
rebondir, tenir compte de toutes les propositions, favoriser
les échanges entre élèves… et organiser les conditions de
sa propre disparition.

Pour l’élève
– verbaliser, redire, reformuler ce qu’un autre a dit
– argumenter, justifier, expliquer ses choix
– classer, ranger, catégoriser
– se décentrer de ce qu’on a fait pour entendre ce que les
autres ont fait, expliquer la raison supposée d’une erreur
commise par un autre élève.

Vers les parents


– la nécessaire information sur « comment aider votre
enfant » pour ne pas les retrouver en difficulté avec ce qui
se passe à l’école : clarifier leur rôle et le nôtre…
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(Se) Motiver à apprendre

– rendre visible ce qui se passe en classe, pour qu’ils ne


projettent pas leur vécu de l’école sur ce que vivent leurs
enfants.

Quelles évolutions constatées


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Après quelques par les enseignants ?
semaines,
les enseignants Forts de cette mise à plat de l’activité de l’enseignant et
constatent de l’élève, les enseignants recentrent leurs préoccupations.
des évolutions Au cours d’une session ultérieure de formation, quelques
importantes semaines plus tard, ils sont invités à formuler des indices de
de la capacité modification du comportement des élèves dans la classe.
de travail Nombre d’entre eux font état de la difficulté d’avoir des élé-
et de mobilisation ments précis dans un contexte de classe qui n’a rien à voir
des élèves avec un laboratoire. Cependant, plusieurs font état d’évo-
les plus en lutions tangibles de comportements d’élèves initialement
difficulté. « peu motivés » :

« Un enfant en très grande difficulté (CP), qui ne sol-


licitait pas d’aide, a compris que je peux lui apporter de
l’aide, aussi bien matérielle que conceptuelle. Il a franchi
le pas de demander, par exemple du matériel supplémen-
taire pour manipuler en maths. »
« En production d’écrit, les enfants se levaient systé-
matiquement pour aller chercher les indices, maintenant
ils restent à leur place pour réfléchir. Et ils écrivent tous
au moins une petite phrase, alors que l’an dernier ils arri-
vaient seulement au premier mot de la phrase (milieu de
CP). »
« J’avais des enfants qui ne se servaient pas du tout des
repères, maintenant ils vont vite chercher dans les
affiches, ils savent où chercher, où trouver. J’essaie vrai-
ment de construire l’affichage avec eux, de voir ce qu’on
enlève (devenu inutile), ce qu’il faut laisser… »
« J’ai une petite fille qui dit régulièrement “J’y arrive”.
Elle s’étonne elle-même… »
« Dans le rythme de travail (CE1), ça va beaucoup plus
vite. Ils ne s’arrêtent plus sans pouvoir repartir comme
avant : ils s’organisent, laissent ce qui leur fait souci pour
passer à la suite... En prenant confiance en eux, ils tra-
vaillent plus vite… C’est plus facile à gérer pour moi. »
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Une démarche de formation


« On voit des élèves qui osent prendre la parole, qui
s’engagent dans la production d’écrit, qui ont “quelque
chose à écrire”, qui osent avoir des idées alors qu’ils pen-
saient ne pas en avoir, qui se mettent à utiliser les outils
construits dans la classe au service de leur projet d’écri-
ture. Ça fait deux ruptures. Mais certains ne bougent pas
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beaucoup. »
« K… était toujours les sourcils froncés, inquiet, en
larmes au moindre obstacle. À présent, il entre en classe
avec le regard en prise avec celui de la maîtresse. Plus que
de l’implication, il montre de l’enthousiasme. Il prend la
parole, il a compris ce que c’est que réfléchir, chercher…
Il a compris que l’apprentissage est un processus, et non
un “tout ou rien”. La lecture n’est plus une torture, mais
un jeu de piste qui l’intéresse. »

Recentrer ses
En conclusion préoccupations,
regarder un peu
Dans un système scolaire qui demande de plus en plus différemment
aux enseignants de « remédier » aux difficultés scolaires des ce qu’on fait de
élèves, une telle démarche de formation vise à un accom- plus ordinaire,
pagnement des enseignants au plus près de leurs difficul- plutôt que de
tés professionnelles quotidiennes. Accompagner, ce n’est culpabiliser
pas prescrire ni faire à la place, mais se mettre au service de ne pas être
des équipes à qui revient l’initiative du changement, sur la capable
base des apports de la formation, de leur expérience et de d’ingénierie
leur propre volonté de transformation. En partant de la pra- pédagogique
tique (des apprenants comme des enseignants) pour la for- extraordinaire…
maliser, avec l’aide d’outils théoriques élaborés par les Re-médier, plutôt
sciences de l’éducation, la psychologie (de l’enfant, des que remédier…

NOTES

1. Groupe français actes concrètement 3. Cf. J. Bernardin, personnalité, Éditions


d’éducation nouvelle, avec différents types Comment les enfants du Progrès (1975),
voir de groupes entrent dans la trad. française, 1984,
http://www.gfen.asso.fr/ (enseignants, culture écrite, Retz, p. 211-212.
2. De nombreux travailleurs sociaux, 1997. 6. Témoignages
éléments de cette élèves en échec de 4. S. Boimare, parentaux de
contribution doivent toutes sortes) L’enfant et la peur déplacements
beaucoup à Jean et leurs théorisations d’apprendre, Dunod, constatés chez leurs
Jacques Bernardin, pédagogiques et 1999. enfants entrant dans
capables du tour de leurs ambitions 5. A. Leontiev, l’écrit.
force de mettre en éthiques. Activité, conscience,
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(Se) Motiver à apprendre

apprentissages) et la didactique (français, mathématiques),


on peut permettre l’élaboration de pratiques nouvelles.

« On sort enfin de l’opposition théorie/pratique, pour


être dans une théorisation de nos pratiques qui, de ce fait,
a de réels effets sur ce que nous mettons en œuvre dans
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nos classes », expliquent les enseignants à l’occasion du
bilan de la formation. En anticipant sur les difficultés des
élèves, en clarifiant les buts et les mobiles de l’activité sco-
laire, ils revisitent le concept fourre-tout de « remédiation »
en lui donnant un nouveau sens : une re-médiation du rap-
port de l’élève au savoir scolaire et au monde qui l’entoure.

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