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CHAPITRE 3 • LA POÉSIE DU MOYEN ÂGE AU XVIIIe SIÈCLE

SÉQUENCE 1  « Je suis comme la licorne... »


poésie médiévale et fin’amor Manuel p. 354-361
I. Problématique et éclairages de la séquence
→→ Au Moyen Âge, quel idéal amoureux la poésie lyrique invente-t-elle ?
Il s’agit dans cette séquence d’étudier des chants de troubadours et de trouvères pour dégager de leurs
œuvres une sensibilité et une éthique amoureuse communes et analyser en quoi cette poésie a fondé de
nouvelles relations entre l’homme et la femme dans l’univers chevaleresque du Moyen Âge. Cette poésie qui
fait l’éloge du raffinement des manières et des sentiments est avant tout une poésie de cour (d’où l’adjectif
«  courtois  » qui lui est adjoint) portée par des seigneurs comme Guillaume  IX d’Aquitaine, dit «  Le Trou-
badour » (1071-1127). À travers l’analyse de quelques poèmes, on pourra dégager les grandes lignes d’un
idéal amoureux et d’un nouvel art d’aimer qui définissent en même temps un nouvel art de vivre. Ce sont en
effet les règles exigeantes de cet idéal amoureux qui amèneront un changement radical dans les mœurs du
Moyen Âge, accordant à la femme une place essentielle (centrale). On insistera sur la dimension musicale de
cette poésie qui est lyrique au sens premier du terme, c’est-à-dire toujours chantée et dont le poète compose
à la fois les paroles et la musique de sa canso. Il peut dès lors être intéressant de faire écouter aux élèves des
interprétations contemporaines comme celles de l’ensemble médiéval Alla Francesca qui, en se fondant sur
le Chansonnier ou Manuscrit du Roy conservé à la BnF, a réalisé en 2011 un album qui propose de nombreuses
chansons de Thibaut de Champagne ainsi que quelques pièces instrumentales et danses de la même période,
demeurées anonymes (http://allafrancesca.fr/fr/menu-programmes/thibaut-de-champagne).

BIBLIOGRAPHIE
-- Michel Zink, Littérature française du Moyen Âge, chap. 5 « Troubadours et trouvères », PUF, 1992.
-- Michel Zink, Poésie et conversion au Moyen Âge, « Perspectives littéraires », PUF, 2003.
-- Martha Rowe Dolly et Raymond J. Cormier, « Aimer, souvenir, souffrir : les chansons d’amour de Thibaut
de Champagne », dans Romania, tome 99, no 395, 1978. Accessible en ligne : https://www.persee.fr/doc/
roma_0035-8029_1978_num_99_395_1931
-- Frédérique Le Nan, « Formes et figures de la supplication amoureuse dans la chanson d’Oc et d’Oïl
(1130-1200) » dans Marchal-Albert, Luce, et al.. La supplication : Discours et représentation, PUR, 2015.
Accessible en ligne : https://books.openedition.org/pur/53195
-- Claire-Marie Schertz, « Autour de Christine de Pizan : entre lyrisme courtois et engagement politique »,
COnTEXTES, no 13, 2013. Accessible en ligne : https://journals.openedition.org/contextes/5798?lang=en

II. Extraits (p. 356-361) célèbre le retour du printemps dans une allégo-
rie symbolisant l’éveil du sentiment amoureux. Il
s’ouvre en effet sur une évocation du printemps qui
TEXTE 1 : est associé à la renaissance de la nature, comme
Guillaume d’Aquitaine, « À la douceur le souligne la répétition « saison nouvelle » (v. 1) et
de la saison nouvelle » (xie s.) p. 356 «  chant nouveau  » (v.  4). Le printemps est égale-
ment caractérisé dans ces premiers vers par «  la
douceur » (v. 1) et la joie générale, symbolisée par
Objectifs et enjeux
le chant des oiseaux avec le contre-rejet du vers 3
qui met en évidence le verbe « chanter », repris au
→→ Analyser les procédés qui permettent
vers suivant par le mot « chant ». Dès le vers 5, l’ar-
d’exprimer l’amour
ticulation logique « il est donc juste que » introduit
→→ Comprendre en quoi la tension du désir le lien entre le printemps et le sentiment amoureux
participe de la création poétique explicité à la troisième strophe (ou «  couplet  » ici
puisqu’il s’agit d’une chanson) par la comparaison
Lecture analytique avec «  la branche d’aubépine  » développée tout
au long de la strophe et qui donne de l’amour une
1. Le printemps, image de l’amour image à la fois fragile (« tremble » v. 15 ; « exposée
Le poème commence comme une « reverdie » qui à la pluie et au gel » v. 16) mais résistante (v. 17-18).

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L’évocation du printemps permet d’insister sur Lecture analytique
la force et la suprématie du sentiment amoureux,
appelé à toujours renaître avec la même vigueur 1. Une joie inaccessible
que les éléments naturels.
Dès le premier couplet, le poète chante la joie de
2. Les tourments du désir l’épanouissement d’un désir naturel et en même
Dans le deuxième couplet le poète exprime sa souf- temps son impossibilité à atteindre une telle joie.
france de ne pas pouvoir vivre son amour en accord La structure symétrique de la strophe renforce le
caractère inaccessible de cette joie pourtant si
avec la nature printanière, et les marques répé-
naturelle. Dans les quatre premiers vers est déve-
tées de la négation insistent sur les tourments de
loppée l’image de l’alouette dans la chaleur et
son désir inassouvi  : «  Ne vois venir ni messager
dans la lumière du soleil, qui fait «  battre de joie
ni lettre scellée,/ C’est pourquoi mon cœur ne dort
ses ailes » (v. 1-2) avant de « s’abandonner » (v. 3)
ni ne rit » (v. 8-9). Le poète est éloigné de celle qu’il
à «  la douceur qui lui vient au cœur  » (v.  4). Cette
aime (« De là-bas où est toute ma joie », v. 7) et il image reflète l’émoi intérieur du poète et renvoie
se trouve dans l’attente impatiente d’une réconci- au joï, extase, volupté indicible, dont le poète amou-
liation à la hauteur de son désir : « Jusqu’à ce que reux ne peut que rêver. Les quatre derniers vers
je sache si notre réconciliation/ Est telle que je la du premier couplet rompent avec le sentiment de
désire  » (v.  11-12). On comprend en effet au qua- la joie symbolisé par l’alouette et insistent sur le
trième couplet qu’entre la femme aimée et le poète, sentiment d’exclusion du poète face à la célébration
il y a eu une dispute puis un gage de réconciliation : universelle de l’amour : « hélas ! j’envie tous ceux/
« Encore me souvient du matin/ Où nous mîmes fin que je vois joyeux » (v. 5-6) ; l’opposition entre « je »
à la guerre, /Et où elle me donna un don si grand,/ et « tous » est renforcée par l’interjection « hélas »
Son amour et son anneau  »(v.  19-21). Le poète dont la force est amplifiée par la forme exclamative.
chante ici l’absence de la femme aimée et le sou-
2. Le désespoir du poète
hait d’un assouvissement de son amour dont l’em-
ploi du subjonctif et la forme exclamative traduisent Le poète qui ne se sent pas exister dans le joï
l’ardeur  : «  Que Dieu me laisse vivre assez/ Pour exprime son profond tourment sous la forme d’une
que j’aie un jour mes mains sous son manteau ! » plainte de plus en plus désespérée. Dès les pre-
(v. 23-24). L’écriture poétique naît ainsi du désir qui miers vers du second couplet, la reprise de l’in-
terjection «  hélas  » et de la forme exclamative
semble partagé avec la dame qui en est l’objet, et
marquent l’intensité de sa déception envers la
dont l’expression masquée par des périphrases et
dame à la toute-puissance de laquelle son amour
selon des codes secrets comme le «  senhal  » ou
l’assujettit comme le marque l’emploi des pronoms
« Beau-Voisin » (v. 26) renforce la forte tension.
personnels des vers 13 à 16 et dont l’ingratitude et
la cruauté sont symbolisées par l’emploi des verbes
Activité complémentaire «  ôter  », «  dérober  » et «  prendre  ». Le deuxième
couplet se clôt sur l’intensité du désespoir qui pro-
∙ On pourra proposer aux élèves l’activité suivante : vient de la force du désir condamné à être inassouvi.
Rendez-vous sur le site http://www.ipoesie.org/ Dans les trois premiers vers de la dernière strophe,
nousvoyonsdenouveaufleurir et lisez d’autres les marques de négation sont nombreuses et
poèmes de Guillaume d’Aquitaine. Recopiez celui que insistent sur la violence du refus de la dame : « rien
vous préférez : quels points communs pouvez-vous ne peut me servir » (v. 17) ; « ni prières ni merci ni les
établir entre ce poème et le poème étudié ? droits qui sont miens », (v. 18) ; « il ne lui plaît pas »,
(v.  19). La lamentation prend une dimension quasi
religieuse : « ni prières, ni merci » (v. 18) et s’inten-
TEXTE 2 : sifie avec le renoncement du poète à un amour dont
Bernard de Ventadour, la seule image de réciprocité ne peut plus être que la
« Quand je vois l’alouette » (xiie s.) p. 357 mort : « elle m’a fait mourir et je lui réponds par la
mort » (v. 22). Le lyrisme est ici empreint d’une pro-
fonde mélancolie, le moi existe dans sa souffrance,
Objectifs et enjeux
dans l’exaltation de sa souffrance.

→→ Analyser l’expression et la tonalité du lyrisme


Langue
→→ Comprendre la représentation de la Dame dans
la fin’amor Dans les vers 13 à 16, la dame est désignée par le
→→ Analyser le rapport entre joie et souffrance pronom sujet « elle » renforcé par la forme prono-
dans l’expression de l’amour minale du verbe « se dérober » répété aux vers 13 et

208 Chapitre 3 • La poésie du Moyen Âge au xviiie siècle


15. Quant au poète, il est désigné par les pronoms vitable, comme le souligne la subordonnée circons-
compléments d’objet : « me » et « moi ». tancielle de conséquence des vers 4 et 5 (« si […] /
qu’elle tombe pâmée »). « La trahison » subie est
Carnet de lecture clairement exprimée et d’autant plus mise en évi-
dence que le piège longuement préparé se referme
brutalement au vers  6  : «  alors on la tue par tra-
Après l’étude du poème, l’écoute de la canso, outre
hison  ». Annoncé par cette comparaison, l’amant
le fait qu’elle fera découvrir la musicalité et la force
apparaît dès lors comme une victime d’« Amour et
poétique de sa langue d’origine, permettra éga- [de s]a dame » (v. 8).
lement d’analyser comment l’accompagnement
musical en renforce la tonalité mélancolique. Cette première comparaison est reprise par la
métaphore du cœur captif développée dans la
deuxième strophe à travers le champ lexical de
Activité complémentaire la prison : « sans rançon » (v. 14) ; « prisonnier »,
«  geôle  » (v.  15)  ; «  piliers  » (v.  16)  ; «  chaînes  »
On pourra proposer aux élèves l’activité suivante : (v.  18). Toutefois, les oxymores soulignent aussi
Rendez-vous sur ce site https://www.limousin-me- le plaisir paradoxalement associé à la captivité  :
dieval.com/bernard-de-ventadour. Après vous être « douce geôle » (v. 15) ; « les piliers sont de désir »
documenté plus amplement sur Bernard de  Ven- (v. 16) ; « les chaînes de tendre espoir » (v. 18).
tadour et avoir écouté d’autres cansos, rédigez la Cette représentation paradoxale du sentiment
présentation d’un récital de ses chansons. Vous amoureux qui allie plaisir et souffrance se retrouve
insisterez sur l’intérêt de l’organisation d’un tel dans les allégories de la troisième strophe où
récital aujourd’hui. «  Beau Semblant  » (v.  21) et «  Beauté  » (v.  22)
s’opposent à « Refus » (v. 23) dont les qualificatifs
TEXTE 3 : développés sur deux vers symbolisent la force des-
tructrice : « traître répugnant, vil et puant/ malfai-
Thibaut de Champagne, « Je suis sant et scélérat » (v. 24-25).
comme la licorne » (xiiie s.) p. 358
Considérant le grand pouvoir d’Amour et de la
dame qui sont à la fois doux et cruels, il n’est pas
Objectifs et enjeux surprenant que le poète se soumette à leur piège
délicieux et admette être leur serviteur.
→→ Comprendre la figure de l’amant
2. La supplication du poète
« prisonnier » de sa dame
La joie que ressent l’amant n’est joyeuse que par
→→ Analyser les procédés qui font de la souffrance
rapport à ses plus pénibles tourments et ne peut
du poète amoureux un outil de séduction
se concevoir que dans l’évocation du souvenir des
→→ Déterminer les composantes de la émois de la première rencontre : « Madame, quand
supplication de l’amant désespéré je me trouvais devant vous/ et vous vis pour la pre-
mière fois,/ mon cœur battait si fort  » (v.  10-13),
Lecture analytique vertu du souvenir qui est rappelée au vers 43. Mais
c’est dans le chant du poète qui devient supplica-
tion que l’intensité de la souffrance amoureuse va
1. L’amour, un piège délicieux trouver son assouvissement. La quatrième strophe
L’amour est d’emblée présenté comme un piège exprime l’apogée de la souffrance subie par l’amant
puisque le poème s’ouvre sur la comparaison du à travers la question rhétorique des vers 28 et 29 et
poète-amant avec la licorne lâchement capturée. la référence à Roland et Olivier, héros épiques de La
L’image de cette capture revêt une importance Chanson de Roland. Le poète prend le contrepied de
évidente car non seulement elle ouvre le poème, cette référence en opposant de façon symétrique la
le comparant précédant le comparé, mais elle nature de son combat «  en s’humiliant  » (v.  33) à
est aussi très longuement développée (v.  1-6). Le celle des preux chevaliers « en combattant » (v. 32).
lexique et la forme passive du vers 2, « fascinée en Dès lors, la situation de détresse du poète est telle
sa contemplation  », insistent sur la force de l’at- qu’elle ne peut que laisser la place à sa supplica-
tirance subie par l’animal et l’idée est reprise au tion  : «  En ce combat dont je vous parle/ il n’est
vers 4 avec la répétition du mot « contemplation » de salut qu’en la pitié  ». Dans les deux dernières
et l’expression du sentiment de joie ressenti par strophes la requête devient pressante, la dame
l’animal. La fascination est d’autant plus forte que apostrophée par deux fois en début de strophe
le piège est tendu par une « jeune fille » (v. 3) ce qui («  Dame  », v.  37 et 46) reste très énigmatique et
met en confiance la licorne dont l’abandon est iné- c’est le « je » implorant qui est au cœur d’une prière

Séquence 1 • « Je suis comme la licorne… » 209


qui ressasse tant le caractère insupportable de sa vers 1270-1275) peut notamment être un choix inté-
souffrance que la nécessité de celle-ci : « J’ai tant ressant car elle offre une interprétation beaucoup
appris à souffrir/ que je suis vôtre par habitude. » La plus réaliste du mythe. Pour voir l’iconographie  :
tornada apporte une conclusion à cette complainte http://expositions.bnf.fr/bestiaire/grand/n_02_dou.
en invoquant pour la deuxième fois «  la pitié  » de htm.
la dame qui permettrait d’abolir la douleur symbo- – Consultez cette page sur Thibaut de Champagne
lisée par la métaphore finale du « lourd fardeau ». et découvrez l’interprétation de «  Chanson ferai  »
Cette imploration de « pitié » est emblématique de par l’ensemble médiéval Diabolus in Musica. Rédigez
la douce douleur, cette douleur aimée, fondatrice du ensuite un article qui pourrait trouver sa place dans
lyrisme de la fin’amor. un magazine musical pour donner votre avis sur ce
type de musique et les émotions qu’elle vous ins-
Lecture d’image pire. Pour écouter le canso et en découvrir le texte :
https://www.moyenagepassion.com/index.php/
L’observation de la reproduction de la page du moyen-age/musique-medieval-historique-fantai-
Chansonnier Cangé dédiée au poème analysé dans sie-celtique/thibaut-de-champagne/.
ces deux pages permettra aux élèves de mesurer
l’importance de la musique dans la poésie de la TEXTE 4 :
fin’amor. En effet, dans ce manuscrit, on trouve sur Christine de Pizan, Cent ballades d’amant
une première colonne, sur la moitié gauche de la et de dame (xive s.) p. 360
page, le texte de la première strophe retranscrit
en dessous de portées contenant les notes de la
musique qui doit l’accompagner. Sur le reste de la
Objectifs et enjeux
page figure le texte des strophes suivantes (délimi-
tées par une lettrine colorée qui marque le début de →→ Analyser la voix d’une femme qui s’engage
chacune) pour lesquelles il conviendra de se repor- librement dans une relation amoureuse
ter à l’écriture musicale de la première strophe. →→ Comprendre l’évolution de la fin’amor et des
L’enluminure qui orne la première lettre du poème relations entre les hommes et les femmes
met en valeur la comparaison du poète avec la dans une ballade du xive siècle
licorne telle qu’elle est développée dans la pre-
mière strophe. Lecture analytique

Langue 1. Les épreuves de l’amant


Dans cette ballade, forme caractéristique de la poé-
Dans la première strophe, le mot « dame » précédé sie médiévale avec ses trois couplets et sa demi-
du déterminant «  ma  » apparaît dans le récit que strophe appelée « envoi », chacune étant terminée
fait le poète au passé composé, en souvenir de sa par un vers refrain, c’est la Dame qui s’adresse à
rencontre avec elle. L’énoncé est alors coupé de la son amant, « noble seigneur », dont elle reconnaît
situation d’énonciation. En revanche, dans les deux les mérites. La ballade s’ouvre sur le mot «  mar-
dernières strophes, le mot « Dame » sans détermi- tyre » pour évoquer les épreuves de l’amant ; ce mot
nant et avec une majuscule initiale, s’apparente à (qui, dans son premier sens, désigne une personne
un nom propre. Il s’agit d’une apostrophe et cette à qui on a infligé des supplices et/ou la mort parce
fois la dame est destinataire de la prière que lui qu’elle a refusé d’abjurer sa foi) confère d’entrée
adresse le poète au présent de l’indicatif : l’énoncé de jeu une dimension religieuse au lien qui unit
est alors ancré dans la situation d’énonciation. l’amant à sa dame et met en même temps l’accent
sur l’intensité des souffrances que celui-ci a dû
Activités complémentaires endurer. Cela lui vaut, de la part de sa dame, une
récompense d’un degré équivalent, comme le sou-
ligne la répétition symétrique de l’adverbe « plus » :
On pourra proposer aux élèves les activités suivantes.
« plus vous avez souffert, noble seigneur, /plus vous
– Documentez-vous sur le mythe de la licorne au devez de moi des biens recevoir » (v. 3-4). Dans la
Moyen  Âge  : rédigez un paragraphe qui servira de deuxième strophe, la dame satisfaite de son amant
présentation à l’iconographie de la page 358 et qui en brosse un portrait élogieux. La forme superlative
justifiera la comparaison de l’amant à la licorne. du vers 9, « je ne pouvais mieux choisir », est pré-
– On peut également inviter les élèves à propo- cisée par une énumération de qualités au vers  10
ser une autre illustration qu’ils présenteront de (« de valeur, de grâce, de connaissance ») et résu-
la même manière. La Chasse à la licorne (réalisée mée au vers suivant par une forme de superlatif

210 Chapitre 3 • La poésie du Moyen Âge au xviiie siècle


absolu  : «  Et de tout ce que l’on pourrait qualifier subjonctif : « veuillez sans tromperie /toujours m’ai-
de bon  » (v.  11). Enfin, la structure grammaticale, mer, que votre cœur ne diminue pas /De loyauté qui
avec l’antéposition des compléments dont le sujet vaut mieux que tout. » (v. 18-20) ; « veuillez toujours
et le verbe n’apparaissent qu’au vers 12, « vous êtes me garder /Loyauté » (v. 25-26). En effet le don total
plein », met en évidence la perfection dont l’amant et définitif que fait la dame à son amant légitime
a su faire preuve. le rôle de suzeraine conféré à l’amante dans les
règles de l’amour courtois. Avec Christine de Pizan,
2. Un don libre et justifié
en cette fin du Moyen Âge, la femme n’est plus un
La reprise du vers «  Je vous donne tout mon seul objet de désir ni un idéal inaccessible mais une
amour. » à la fin de chaque strophe de la ballade, personne qui peut prétendre à une certaine autono-
en guise de refrain, insiste sur la détermination de mie dans l’univers privilégié qu’est la cour.
la dame qui décide de donner son amour en toute
liberté, comme le souligne l’adverbe « librement »
au vers  7. Elle informe son amant de sa décision Langue
dans un discours dont les arguments s’enchaînent
parfaitement ce qui montre qu’elle a longuement L’intensité de l’engagement amoureux est marqué
réfléchi. La présence de nombreux connecteurs notamment par l’emploi de nombreux adverbes
met ainsi en évidence la rigueur de l’enchaînement comme « bien » (v. 1) ; « plus » (v. 3-4) ; « mieux »
logique du propos. Au vers  10, la conjonction de (v. 9 et v. 20) ; « toujours » (v. 19 et v. 25).
coordination « car » ouvre l’énumération des vertus
de l’amant et l’accent est mis, à ce moment, sur la Activité complémentaire
raison de la décision de la dame dont la réponse, est,
en toute logique présentée comme la conséquence On pourra proposer aux élèves l’activité suivante :
du comportement de l’amant ; conséquence souli-
Faites des recherches sur Christine de Pizan et/
gnée par « donc » dont la place à la fin du vers 14
ou sur les trobairitz (femmes poètes issues de la
montre l’importance. Une fois les arguments déve-
noblesse et dotées d’une bonne instruction litté-
loppés dans la deuxième strophe, la cause de son
raire, à l’exemple de Marie de Ventadour ou de la
engagement est réitérée, «  Pour augmenter votre
comtesse de Die) et réalisez un exposé dont le titre
valeur, /Je vous donne tout mon amour » (v. 15-16),
sera « De la femme chantée à la femme auteure »
et soulignée par la conjonction de subordination
ou « Quand les femmes chantent la fin’amor ».
« puisque » (v. 17). L’affirmation du refrain est ainsi
encadrée par un lien de conséquence et de cause
qui justifient le don de la dame. Ainsi légitimé, ce TEXTE ÉCHO :
don peut être total : « Et quant à moi, cœur, corps et Christine de Pizan, Cent ballades d’amant
pouvoir,/ En gardant mon honneur, je vous les aban- et de dame (xive s.) p. 361
donne » (v. 21-22).
3. La fin’amor, un art d’aimer Objectifs et enjeux
Cette ballade où la dame déclare son amour à son
amant en expliquant très précisément sa décision →→ Comparer deux ballades de Christine de Pizan
définit, en même temps, les règles de l’art d’aimer illustrant la position des femmes dans la
selon la fin’amor. L’accent est mis sur la réciprocité relation amoureuse
du don : aux épreuves dans lesquelles l’amant s’est →→ Découvrir l’écriture d’une femme poétesse
engagé totalement pour montrer la force de son de la fin du Moyen Âge qui revendique une
amour, la dame a le devoir de répondre en s’enga- autonomie intellectuelle et sociale
geant tout autant : « Pour augmenter votre valeur/
je vous donne tout mon amour » (v. 15-16). Chacun
des deux est grandi par le sentiment amoureux Lectures comparées
et l’objectif n’est plus ici de maintenir la tension
d’un désir inassouvi, mais au contraire de jouir de La ballade  26 a défini nettement les codes et les
tous les plaisirs de l’amour ensemble, comme en conditions d’une relation amoureuse parfaitement
atteste l’apparition dans l’envoi du pronom person- réciproque et totale. La réalité n’a sans doute pas
nel « nous » : « en abondance nous aurons de doux souvent offert d’exemple de cet idéal de l’amour,
plaisirs » (v. 26-27). Toutefois, cet objectif ne pourra très exigeant pour les amants. C’est le propos de
être atteint que si l’amant demeure loyal dans son Christine de Pizan dans la fin de la ballade 12.
engagement et c’est la condition que pose ferme- Des vers 1 à 7, la poétesse reprend les conditions
ment la dame par des injonctions dont la force est à un amour réciproque où la dame « serait folle de
marquée par l’emploi de verbes à l’impératif et au refuser » un amour loyal. Toutefois, le refrain et la

Séquence 1 • « Je suis comme la licorne… » 211


fin du poème soulignent le déséquilibre dans les Carnet de lecture
relations amoureuses car la femme peut y perdre sa
réputation et dès lors « être diffamée/ Ou couverte La forme de la ballade, et ses contraintes, offre un
de honte par tromperie  » (v.  9-10). La loyauté de cadre propice à l’expression du lyrisme dont les
l’amant, condition essentielle à la réalisation de cet codes et thèmes ont été définis dans la séquence.
idéal, n’est jamais assurée à la dame qui peut tou- Les élèves seront invités à développer des images
jours craindre « qu’honneur soit entamé » (v. 15). En personnelles pour inscrire une sensibilité contem-
développant le point de vue d’une femme, Christine poraine dans une forme ancienne dont ils pourront
de Pizan donne aux règles de la fin’amor une réalité aussi exploiter la dimension rythmique et musicale
qui rend compte de la condition des femmes d’alors sans s’imposer un langage versifié.
et souligne les entraves à leur liberté.

212 Chapitre 3 • La poésie du Moyen Âge au xviiie siècle

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