LES ACTEURS DE LA COMPLIANCE

Lydia Méziani, Nestlé

Au service de l’éthique

« On ne va pas passer par le périph’ pour arriver à La Madeleine ». Si vous avez déjà entendu cette phrase,
alors vous avez peut-être déjà croisé le chemin de Lydia Méziani, Directrice juridique de Nestlé en France.
Véritable touche-à-tout passée par le Sénat, la com’ de crise et la Fondation Nestlé, Lydia rédige une thèse
sur « les indicateurs de risque à l’épreuve de l’extraterritorialité » le soir et le week-end. Sinon, elle poursuit
ses engagements au service de l’éthique dans le milieu associatif, au sein des Entreprises pour la Cité ou
d’ON BOARD, l’association qu’elle a monté pour promouvoir l’accès à des personnalités de terrain, des
itinéraires bis, aux Conseils d’administration. Entre mille projets, elle nous a partagé – sans détour donc –
sa vision de l’engagement, de l’éthique et de la compliance.

Vous êtes Directrice juridique de Nestlé en France, en charge
de la compliance, des droits humains et de l’éthique de-
puis deux ans. Comment est née votre rencontre avec la
compliance ?
J’ai commencé ma carrière avec le profond désir de servir
la République pour rendre ce qu’elle m’avait offert enfant
et adolescente. J’ai donc débuté en tant qu’assistante parle-
mentaire dans la 8e circonscription du Val-d’Oise aux côtés
de Dominique Strauss-Kahn avec comme objectif de faire
en sorte que tous les citoyens aient accès aux mêmes droits.
Puis, j’ai eu envie de revenir en France, car il est très impor-
tant pour moi de lui rendre ce qu’elle m’a apporté, moi qui
suis un pur produit de l’école de la République. L’élection
d’Emmanuel Macron semblait en outre annoncer un chan-
gement. Je ne voulais plus faire de la communication et j’ai
donc opté pour un double retour aux sources – j’ai une forma-
tion initiale en droit et en sciences politiques – en prenant la
Direction juridique Compliance de Nestlé en France, incluant
également les droits humains et l’éthique. Deux sujets qui me
passionnent particulièrement.

Au lendemain de l’échec de la gauche en 2002, j’ai choisi de
me mettre au service d’une institution, plutôt que d’un homme
en rejoignant le Sénat. Mon ambition était claire : reconnecter
la République avec l’ensemble de ses territoires. En occupant
les fonctions de Conseiller du Président, j’ai porté des dossiers
sur les thématiques « affaires sociales, santé, citoyenneté et
emploi » avec beaucoup de passion et d’engagement. À l’issue
du 3e et dernier mandat de Christian Poncelet, j’ai eu envie
de me confronter au secteur privé.
C’est là que je suis tombée un peu par hasard sur une offre
d’emploi au sein de la Fondation Nestlé dans un numéro de
Stratégies. J’ai postulé pour le combo santé/engagement/
associatif, j’ai accepté l’offre car tout était à faire et à ap-
prendre. J’ai pendant cinq ans, un quinquennat, occupé les
postes de Déléguée générale du Pôle Agir de la Fondation,
Directrice des affaires publiques et de la communication cor-
porate, avant de rejoindre pour un autre quinquennat, le siège
mondial, en Suisse, à la suite de ma nomination en qualité
de porte-parole du Groupe pour les opérations de M&A,
restructurations et gestion de crises.
Nestlé travaille beaucoup autour de la notion de création
de valeur partagée. Comment s’articule-t-elle avec la
compliance ?
La Creating Shared Value (CSV) est un concept développé
par Michael Porter, que Peter Brabeck-Letmath, le PDG de
Nestlé à l’époque, a décidé de mettre en pratique dans ses
activités. L’idée est que plus l’entreprise renforce ses parties
prenantes, plus elle renforce ses activités, c’est un cercle ver-
tueux qui bénéficie à toutes et à tous de manière pérenne. À
titre de comparaison, je n’aime pas l’idée de philanthropie
d’entreprise, car en situation de crise, ce sont les premiers
budgets coupés. Alors qu’avec la création de valeur par-
tagée, l’engagement environnemental, social et sociétal est
nécessaire à ton entreprise quelle que soit la situation. Là, tu
crées véritablement de l’impact.
La CSV, c’est ton pourquoi, ton « Why ». Faire la bonne
chose pour la bonne raison. Elle implique un véritable devoir
d’exemplarité. La compliance, c’est ton « How ». Comment tu
t’organises pour que celles et ceux qui composent l’entreprise
soient toujours alignés avec ton Why.

8
 COMPLIANCES // NUMÉRO 12 // JUILLET 2021

"Quand vous mangez un Kit Kat à Singapour,

vous souhaitez qu’il ait le même goût qu'à Paris
ou à Genève. C’est exactement la même chose
pour la culture compliance."

Notre priorité au sein de Nestlé, c’est de n’être qu’un seul
Nestlé, One Nestlé, partout dans le monde. Quand vous man-
gez un Kit Kat à Singapour, vous souhaitez qu’il ait le même
goût qu'à Paris ou à Genève. C’est exactement la même chose
pour la culture compliance. Nos consommateurs, nos clients,
nos collaborateurs ne comprendraient pas qu’il y ait plusieurs
Nestlé en termes d’éthique. À nous de mettre en place, les
outils et les process pour que les femmes et les hommes de
Nestlé adoptent les mêmes comportements partout dans le
monde. Pour ce faire, le premier enjeu c’est de redonner du
sens à ce que nous faisons, pour que chacun puisse s’emparer
du sujet. C’est là qu’on retombe sur l’importance de la CSV.

9
LES ACTEURS DE LA COMPLIANCE
Justement, toujours sur ces sujets d’articulation, comment
la compliance en France s’articule avec la compliance au
niveau du siège ?
Je suis Directrice juridique Compliance de Nestlé en France,
et pas uniquement de Nestlé France. Cela veut dire que notre
périmètre d’intervention concerne sans distinction toutes les
entités juridiques de Nestlé dans le pays, qu’il s’agisse de
Nescafé, de Nespresso, de Waters avec Perrier et Vittel ou
des produits pour animaux de compagnie avec Purina.
C’est d’ailleurs toujours surprenant pour moi lorsqu’on met
Nestlé dans la catégorie entreprise étrangère. Nous avons
un problème avec les sujets d’identité en France et c’est va-
lable également pour les entreprises. Qu’est-ce qu’une en-
treprise française ? Comment la définit-on ? Est-ce seulement
en fonction de l’emplacement de son siège social mondial ?
De la répartition géographique de
son chiffre d’affaires ? De ses ef-
fectifs ? Ce que j’aime chez Nestlé
c’est la capacité à s’intégrer dans le
pays dans lequel nous sommes. Ici,
en France, où nous sommes installés
depuis 1868 soit deux ans après la La compliance est un
création par Henri Nestlé de la fa-
rine lactée, Nestlé emploie près de
combat pour gagner
10 000 personnes et fait tourner 19 l'adhésion, un combat
usines pour un chiffre d’affaires de
près de 5 milliards d'euros. Si cela
pour donner envie
n’est pas contribuer à l’attractivité d’avoir envie, un
et à la productivité de la France…
En fait, en slogan, Nestlé pourrait
combat contre soi-
piquer cette excellente déclaration même et contre ses
de Romain Gary « Je n’ai pas une
seule goutte de sang français, c’est la
combats militants.
France qui coule dans mes veines »…
Cela étant dit, comme évoqué plus
tôt, l’intérêt d’un Groupe présent
dans 186 pays c’est de bénéficier
de ce qui se fait de meilleur dans le
monde. Et cela est valable pour la compliance. Ainsi, comme
pour nos Kit Kat, c’est le cadre normatif le plus élevé qui de-
vient la règle pour tous les autres. C’est le cas par exemple
pour les sujets de droits humains avec l’approche française sur
la loi sur le devoir de vigilance. L’enjeu pour nous est bien de
promouvoir la compliance et les droits humains, partout où nous
sommes présents, et non pas de promouvoir le cadre législatif
de la compliance et des droits humains. C’est important parce
que c’est là qu’on entre véritablement dans le sujet de notre
responsabilité en tant qu’entreprise. Nous avons un Code de
conduite depuis 1998 chez Nestlé, avec une ligne d’alerte
depuis 2002 dans tous les pays et une protection des lanceurs
d’alerte depuis 2007. Avec un programme droits humains
depuis 2011, dont la gouvernance est désormais confiée au
10
board. L’ensemble des collaborateurs doivent agir dans le
respect de ce Code, où qu’ils soient. C’est le « What » pour
faire le lien avec ce que nous avons évoqué plus tôt.
Comment avez-vous fait pour vous approprier, de manière
très concrète, les enjeux de votre nouveau poste, alors que
vous veniez d’une fonction différente ?
Être directeur de la conformité des droits humains et de
l’éthique, c’est d’abord pour moi un job de rêve. Ça me per-
met de travailler sur mes sujets d’intérêt et d’expertise, le
droit, tout en permettant à mon entreprise d’avancer et d'être
pionnière sur des sujets qui me tiennent à cœur. Ça concilie
véritablement tous les rôles de ma vie et fait le lien entre
mes engagements personnels, notamment au sein du milieu
associatif, et ma conviction que l’entreprise dispose d’une
vraie puissance de transformation positive. La compliance ce
n’est pas juste une branche du droit,
c’est une vision d’avenir, une façon
de se conduire.
Une fois qu’on a dit ça, j’ai entamé
mes nouvelles fonctions en adoptant
une posture d’écoute et d’humilité. Il
s’agissait d’une création de poste et
j’ai d’abord commencé par dresser
un état des lieux, le plus approfondi
possible. J’ai beaucoup lu et beau-
coup échangé avec mes pairs. Nous
avons la chance de ne pas être sur
des fonctions concurrentielles. Nous
pouvons nous entraider et nous faire
avancer plus vite en partageant nos
expériences, nos questionnements et
nos solutions.
Dans la compliance, il y a non seule-
ment la nécessité d'être très concret
et pratique, mais aussi la difficulté de
faire venir les autres sur le sujet. Seul,
on ne peut pas faire la différence.
Il est donc vraiment nécessaire de faire preuve d’humilité,
en toute circonstance. Un autre enjeu, selon moi, est de bien
hiérarchiser et choisir ses thématiques. Ce n’est pas facile,
car lorsqu’on est sur des sujets de conviction, on peut avoir
l’impression que choisir c’est renoncer ou abandonner. Pour
autant, c’est le seul moyen pour mettre toute l’énergie dont
nous disposons au service de ces missions et véritablement
faire la différence.
Qu’avez-vous trouvé le plus difficile dans ce rôle ?
Ce que j’ai trouvé difficile, c’est ma propre angoisse et mes
propres fantasmes : dépasser ce fameux syndrome de l’im-
posteur et apprivoiser ma quête d’excellence. Finalement, la
compliance telle que je la vois après deux ans d’exercice, c’est

la possibilité de se dire que l’essentiel c’est d’avancer, c’est
de prendre ce sujet et d’y apporter une solution et de ne pas
hésiter à aller voir d’autres experts pour poser des questions.  Les deux thématiques se croisent nécessairement. La lutte
La rapidité des évolutions législatives sur l’ensemble des sujets
de la compliance est évidemment une autre difficulté. Tout
va très vite, ce qui nous ramène précisément à la nécessité
de faire preuve d’humilité. Lors de ma prise de poste, j’ai pu
pécher par excès de naïveté et d’enthousiasme vis-à-vis de
ces sujets, néanmoins, il n’est pas possible de tous les traiter à
la fois. Il faut être très pragmatique et accepter que, parfois,
faire marche arrière, contourner les obstacles ou passer par
des chemins de traverse est ce qui nous fera avancer. La route
est longue et c’est normal, car il ne s’agit pas d’équiper les
entreprises pour les enjeux d'aujourd'hui, ni de demain, mais
pour ceux d'après-demain et encore plus loin. 
Quelles sont vos priorités pour les mois et années à ve-
nir au sein de Nestlé, notamment sur le sujet du plan de
vigilance ?
Mes trois principales priorités sont claires. D’abord, il s’agit
pour moi d’instaurer une véritable culture de la compliance :
faire la bonne chose pour la bonne raison. Aujourd’hui, chez
Nestlé, nous bénéficions du soutien fort de l’instance dirigeante,
ce qui est l’élément indispensable de la diffusion d’une telle
culture. Si nous n’arrivons pas à embarquer l’instance diri-
geante, alors il n’y a pas de volonté politique. Sans volonté
politique et en dépit des meilleurs plans d’action, il ne se
passera rien. Ensuite, et c’est extrêmement lié, ma priorité est
d’instaurer un droit d’alerte connu et utilisé par toutes et tous.
Enfin, bien sûr, nous allons continuer à former et à sensibiliser
les équipes sur les enjeux essentiels que sont l’éthique, les
droits humains ou les droits environnementaux pour continuer
– ensemble – à faire la différence.
En ce qui concerne plus particulièrement notre plan de vigi-
lance, notre priorité au sein de Nestlé en France pour 2021,
c’est l’évaluation des risques de notre cartographie des risques
tout en gardant à l’esprit que nous réalisons cet exercice pour
développer notre impact. L’idée c’est vraiment de regarder
quels sont les risques principaux et de définir les priorités pour
que la compliance soit véritablement le bras armé du business.
Publier notre plan de vigilance a été très utile, car cela nous
a permis de valoriser les initiatives exemplaires de terrain.
C’est ça que j’aime dans la compliance, ce ne sont pas tant
les règles et les procédures, que les moyens d’en faire une
réalité partagée. Travailler sur le plan de vigilance m'a permis
d’aller rencontrer mes collègues, d’observer notre manière de
travailler avec les agriculteurs, nos clients, etc. Tant d’initiatives
menées sur le terrain que nombre de collègues trouvent juste
normales de faire. Cette démarche nous permet d’appréhen-
der le caractère transversal de la compliance et de valoriser
ses apports en termes de transparence et de partage.
11
COMPLIANCES // NUMÉRO 12 // JUILLET 2021
Enfin, comment faites-vous converger les thématiques de
la lutte contre la corruption et le devoir de vigilance ?
contre la corruption pour elle-même n’a que peu de sens.
Quelle est sa finalité ? Il s’agit de construire une entreprise plus
vertueuse, plus respectueuse des droits humains et des droits
environnementaux. Lutter contre la corruption, c’est avant tout
un plaidoyer pour les droits humains et environnementaux. //
ON BOARD :
Diversifier les Conseils
d'administration
En 2020, Lydia Méziani créé l’association
ON BOARD avec Stéphane Roussel, membre du
Directoire du groupe Vivendi, afin de contribuer
à la performance durable des entreprises fran-
çaises en leur donnant accès à des talents aux
parcours de vie remarquable, des itinéraires bis.
ON BOARD, « c’est le Waze du Board », selon sa
Présidente. Concrètement, il s’agit de « créer des
rencontres entre des personnalités aux parcours de
vie riches, qui pourraient être considérés comme
des itinéraires bis à des chefs d’entreprises qui
doivent se réinventer afin d’ensemble relancer la
machine à rêve français en conjuguant la diver-
sité des regards ». En effet, si de nombreuses
études ont valorisé le rôle de la diversité des
Conseils d’administration sur la performance des
entreprises, 44 % des administrateurs nommés
lors des AG 2021 sont issus d’écoles d’élite et
les moins de 41 ans ne représentent que 4 %
des nouveaux élus, selon le Baromètre de la
Diversité dans les Conseils d’administration de
la Burgundy School of Business.
www.onboard-asso.fr