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Cyril Pattegay
MUSIQUE
LE JAZZ,
UNE DÉMARCHE MAÇONNIQUE
Cyril PATTEGAY
En 1778, une première loge noire est ainsi fondée, appelée African Lodge n°1, mais
cette nouvelle loge ne sera alors reconnue ni aux États-Unis, ni par la Grande Loge
Unifiée d’Angleterre auprès de laquelle plusieurs patentes seront pourtant
demandées. Les esclavagistes, hélas présents aussi parmi les frères de l’époque,
pèseront de tout leur poids, en soulignant notamment que « la franc-maçonnerie
accueillant des hommes libres et de bonnes mœurs, exclue de fait les esclaves, les
femmes et les handicapés ». Il faudra finalement attendre 1990 pour que la Grande
Loge de Washington reconnaisse enfin la Prince Hall Masonry.
Ainsi, le mouvement musical va-t-il épouser les mêmes évolutions que la franc-
maçonnerie afro-américaine qui possède cette particularité supplémentaire d’être
doublement secrète au monde profane et aux loges dites caucasiennes, c’est-à-dire les
loges blanches de l’époque. L’idéal maçonnique et le jazz, nous allons le voir, ont
ainsi construit à leur manière le nouveau monde.
Les premiers esclaves arrivés en 1619, en Virginie, sont dépouillés de tout repère. La
musique est alors un des rares liens qui leur permette de transcender leur réalité et
d’honorer leur histoire. Ils recréent clandestinement les banias, qui deviendront
banjos, ou encore les balafons qui donneront naissance au xylophone.
Les esclavagistes tolèrent alors la présence des noirs aux cultes protestants, dans
laquelle ils voient un moyen de soumission et d’intégration. Découvrant le principe
des cantiques et des textes bibliques évoquant l’oppression du peuple juif, les noirs
américains s’approprient le lieu, les textes, comme transcendance spirituelle leur
permettant d’échapper à leur condition misérable.
Ils y créent alors une forme de syncrétisme spirituel à partir de leurs propres racines
africaines, fondées sur les échanges entre griot et assistance, et vont venir nourrir les
scall and responses, ce qui leur permet de donner naissance à une musique codée,
secrète, évoquant leur propre condition, compréhensible d’eux seuls alors, une
première source majeure du jazz : le Negro Spiritual qui deviendra par la suite
Gospel Song. Louis Armstrong en sera le plus illustre représentant.
très appréciée des blancs américains en ce début de XXe siècle, le ragtime. Scott
Joplin, chef d’orchestre et compositeur majeur de l’époque, en est le plus illustre
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mélodique, appelé aussi thème. Ce sont principalement les instruments à vent qui
sont alors chargés de le faire vivre.
Autour de ce thème qui est permanent, que l’on appellera plus tard « standard »,
viennent se greffer des interprétations spécifiques, individuelles, qui le nourrissent
tout en respectant son équilibre. À ce titre les orchestrations de King Oliver sont
parmi les plus éminentes.
Le jazz de la Nouvelle Orléans s’appuie majoritairement sur un rythme qui lui
donne ce balancement – appelé swing, un rythme ternaire. Le thème est donc joué
sur un swing, qui s’enrichit des interprétations de ses musiciens, proposant
successivement, voire simultanément – propre au New Orleans Jazz Bands – des
interprétations et des variations individuelles.
Le parallèle avec les rituels rythmant nos travaux, les outils nous permettant de
travailler et les planches individuelles nourrissant nos loges peut être ainsi dressé, et
nourrit le lien que nous pouvons créer entre les deux univers.
Les jazz bands se défient dans la ville, sous forme de joutes musicales, appelées
cutting contests. Cette musique, née dans une ville multiculturelle, issue du secret et
des codes des esclaves émancipés, va connaître un essor majeur. Les musiciens blancs
commencent également à s’approprier cette musique, consacrée sous le nom de
Dixieland. À Chicago, dans le South Side, Louis Armstrong régale les amateurs,
pendant qu’à New York, Errol Gardner, Fats Weller ou Sidney Bechet animent
Harlem.
Ces groupes s’émancipent vers le nord et se regroupent en big bands, en raison
notamment de la crise économique des années 30, qui ne permet plus aux musiciens
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