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Décisions Marketing n°76 Octobre-Décembre 2014, 93-106

Les séniors et les jeunes évaluent-ils


différemment les publicités ?
Prise en compte du contexte de programmation
télévisée et du vieillissement affectif
Faten Malek*, Norchene Ben Dahmane Mouelhi** et Olivier Droulers***
EXEMPLAIRE AUTEUR - DIFFUSION ET COMMERCIALISATION INTERDITES - © AFM

*EA 4251 IREA (Institut de Recherche sur les Entreprises et les Administrations)
Université de Bretagne Sud – Université Paris Est Créteil
**IHEC Carthage – Université de Carthage – NIMEC – IAE de Caen
Laboratoire de Recherche Marketing (LRM) – Université de Sfax
***Institut de Gestion de Rennes (IGR) – Université de Rennes I – CREM – UMR 6211

Résumé
Cet article a pour objectif d’analyser l’influence du contexte du programme télévisé, considéré comme source d’in-
duction émotionnelle (neutre versus triste versus joyeux), en prenant en compte l’effet du vieillissement ou l’âge
(adultes jeunes versus âgés) sur l’évaluation publicitaire. Une expérimentation a été réalisée auprès de 222 individus
(séniors et jeunes) exposés à un programme télévisé et un écran publicitaire. Leurs réactions affectives ainsi que leurs
attitudes envers les annonces insérées dans le programme ont été mesurées. Les résultats révèlent que les jeunes et
les séniors réagissent différemment face à un stimulus émotionnel : l’appréciation du programme représente le pilier
de l’évaluation publicitaire chez les personnes aînées alors que ce sont les réactions affectives qui occupent ce rôle
chez les jeunes. Les auteurs recommandent aux médias-planneurs une approche différenciée selon la cible visée.
Mots-clés : vieillissement émotionnel, régulation émotionnelle, contexte de programmation, attitude envers l’annonce.

Abstract
Do the elderly and the youth evaluate advertising differently? Taking into account TV programming contexts and
emotional aging
This article aims at analyzing the impact of television programming context viewed as an emotional trigger (neu-
tral /sad/happy), taking into account the age variable (young adults versus older people) on the assessment of ad-
vertising. An experiment has been conducted on 222 individuals (elderly and young people) exposed to a TV pro-
gram and an advertising slot. Their affective responses as well as their attitudes towards advertisements have been
measured. The results reveal that the young people and the seniors react differently to an emotional stimulus. In
this context, the authors recommend a differentiated approach to media planners according to the target audience.
Key words: seniors, emotional aging, emotional control, television programming context, attitude towards an
advertisement.

Remerciements
Les auteurs remercient vivement le rédacteur en chef invité, Bertrand Urien pour ses encouragements et recom-
mandations, les trois évaluateurs anonymes qui par leurs remarques et suggestions ont permis de faire évoluer
cet article. Les auteurs remercient aussi les collègues ayant accepté de relire le papier et de proposer des pistes
d’améliorations.

Pour contacter les auteurs : faten_malek@yahoo.fr ; norchenebdm@yahoo.fr et oliviers.droulers@univ-


rennes1.fr

DOI : 10.7193/DM.076.93.106 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.076.93.106


Malek F., Ben Dahmane Mouelhi N. et Droulers O. (2014), Les séniors et les jeunes évaluent-ils différemment
les publicités ? Prise en compte du contexte de programmation télévisée et du vieillissement affectif, Décisions
Marketing, 76, 93-106.
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Véritable sujet de société, la question du d’une récente étude (Le Serre et Chevalier,
vieillissement de la population revient 2013) qui présente les critères de segmenta-
constamment dans l’actualité. La transition tion des voyageurs séniors sachant que les
démographique que subissent les économies professionnels leurs offrent un ample choix
développées entraîne des incidences sociales, de produits et services. Cependant, cette lit-
politiques et économiques fortes et inspire de térature en marketing ne s’est pas intéressée
nombreuses recherches portant sur le vieil- à la prise en compte du vieillissement affectif
lissement. L’essor qu’a connu l’étude des dans l’appréhension des séniors. Ce vide doit
séniors est incontestable même si Nielsen1 être comblé afin que les praticiens puissent
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révèle dans une récente étude (mars 2014) mieux cerner le profil des personnes âgées.
que les responsables marketing n’accordent Ce papier tente de pallier ces insuffisances, de
pas beaucoup d’importance à ce segment du mieux comprendre le processus d’évaluation
marché qui mérite toutefois un intérêt parti- publicitaire en tenant compte du programme
culier. télévisé afin de permettre aux annonceurs et
aux publicitaires d’optimiser leurs média –
Outre leur potentiel démographique et leur
plannings selon les attentes de la cible visée.
pouvoir d’achat, ce sont aussi leurs caracté-
Ainsi, la prise en compte de l’effet de l’âge
ristiques particulières qui justifient cet intérêt
se justifie par l’évolution progressive de l’être
croissant qui leur est consacré. Ils ont un fort
humain, de ses fonctions cognitives et émo-
pouvoir d’achat, du temps (en partie consacré
tionnelles susceptibles d’influencer les pro-
à leurs petits-enfants), ont pour la plupart li-
cessus de mémorisation et d’évaluation des
quidé leurs crédits et remboursé leurs dettes,
annonces. D’un autre côté, les résultats por-
et bénéficient souvent de retraites confor-
tant sur l’effet du contexte de programmation
tables ; (Saillant, 2011)2. Force est de consta-
sur les réponses du sujet divergent et poussent
ter ces dernières années un intérêt grandis-
sant auprès des chercheurs en marketing pour à se demander si l’âge chronologique per-
ce champ de recherche (Guiot, 2006 ; Urien mettrait d’expliquer ces divergences. Or, si
et Guiot, 2007 ; Safraou-Ouadrani et Guiot, la majorité des chercheurs traitant l’effet du
2010 ; Lacoste-Badie, Malek et Droulers, programme émotionnel stipule qu’il y a une
2013). contagion émotionnelle entre celui-ci et l’éva-
luation publicitaire, il faut rappeler que l’en-
Le processus de vieillissement entraîne semble de ces recherches ont traité de sujets
de multiples modifications auxquelles est jeunes, négligeant de ce fait les séniors qui ne
confronté le sénior. En ce sens, il ne doit pas présentent pas les mêmes caractéristiques et
être uniquement synonyme de perte. D’ail- qui se caractérisent par une meilleure régula-
leurs, une approche humaniste du vieillisse- tion émotionnelle. Il convient de voir ce qu’il
ment fait référence à l’acquisition de savoirs en est pour cette cible particulière (Chevalier
et d’expériences. La littérature portant sur et Lichtlé, 2012).
les séniors connait un développement rapide
illustrant que de plus en plus de praticiens et Ce travail est pertinent quand on observe
de chercheurs reconnaissent l’importance de l’intérêt porté par les grandes marques au
considérer cette cible. C’est le cas notamment segment des séniors (notamment Azzaro,
l’Oréal, Dove, Coca-Cola, Evian, ou des
1/ http://www.offremedia.com /voir-ar ticle / marques visant exclusivement les séniors
une-etude-mondiale-de-nielsen-fait-ressortir-le- comme Audika, Stannah)3. A titre d’illustra-
manque-dinteret-des-marques-et-des-distributeurs-
pour-les-seniors/newsletter_id=179301/ tion, certaines de ces marques, dans le cadre
2/ www.profils-seniors.com ; http://www.senio-
ractu.com ; http://www.eurasante.com/fileadmin/ 3/ http://www.vanksen.fr/blog/les-seniors-cette-
eurasante-medias/pdf/Guide%20final%20HD.pdf cible-meconnue/
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d’une communication intergénérationnelle, à une nouvelle stratégie pour mieux mémo-


font appel à des mannequins séniors (cas riser l’information. Cependant, lorsque les
par exemple des catalogues d’Hermès) ou ressources de l’individu ne suffisent plus à
à des stars âgées parfois de plus de 75 ans atteindre les buts initialement fixés, même
(cas par exemple de Sean Connery, alors âgé en appliquant les stratégies d’optimisation,
de 78 ans, pour les sacs de voyage de Louis surviennent alors les pertes. La réponse aux
Vuitton) 4. pertes s’effectue alors en recourant à diffé-
rentes formes de comportements compensa-
Cette cible serait composée de grands ache- toires.
teurs de différents types de produits (consom-
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mation courante, produits de luxe …). A ce La recherche de Carstensen et al. (2011) inté-
titre, Chevalier et Lichlté (2012) précisent grant la dimension affective dans l’étude du
que « le possesseur d’une Harley Davidson, vieillissement confirme ces propos. Selon ces
d’une Porsche, ou d’une chaine Hifi Bang & chercheurs, et de façon étonnante, les adultes
Olufsen a typiquement plus de 60 ans » et que âgés témoignaient d’un niveau de bien-être
« les séniors sont souvent oubliés des publi- supérieur à celui des adultes plus jeunes et
cités ». répondaient à une plus grande satisfaction
dans le domaine des interactions sociales.
Ces résultats sont expliqués par la théorie de
La prise en compte de l’effet du la sélectivité socio-émotionnelle (Socioemo-
vieillissement affectif tional Selectivity Theory) proposée par Cars-
tensen, Isaacowitz et Charles (1999). Selon
Dans le cadre de la psychologie développe-
la SST, le vieillissement s’accompagne d’une
mentale « life-span » (vie entière), Baltes
conscience aiguë de la fin de la vie, orientant
(1987) explique que le compromis entre gains
ainsi les buts de l’individu vers une optimisa-
(expérience, forger une personnalité, régula-
tion du bien-être (Vieillard et Pijoff, 2010).
tion émotionnelle…) et pertes (déficits cogni-
Maintenir un bien-être nécessite toutefois
tifs, physiques…) qui surviennent tout au
une capacité d’autorégulation des émotions.
long de la vie humaine est le cœur du modèle
A cet égard, une autre piste de recherche
Selective Optimization with Compensation
laisse entendre qu’il existe un lien positif
(SOC). Les processus de sélection, d’opti-
entre l’avancée en âge et la régulation des
misation et de compensation5 permettent à
émotions (Gross, 1998 ; Safraou-Ouadrani et
l’individu de définir les buts à atteindre pour Guiot, 2010).
achever le niveau de fonctionnement le plus
élevé dans les limites imposées par les res-
sources biologiques et environnementales La gestion émotionnelle chez
disponibles. Baltes (1987) stipule que les les personnes âgées
processus d’optimisation permettent ensuite
Les émotions ressenties, positives ou néga-
d’élaborer ou de perfectionner les moyens
tives, ne sont pas toujours désirables et expri-
à disposition pour atteindre les buts fixés.
mées. Les situations où une personne essaie
Ainsi, il s’agit de développer des stratégies
de ravaler sa colère, de refouler ses larmes
d’adaptation, comme par exemple le recours
ou de masquer sa peur ou au contraire d’exa-
gérer sa joie sont assez répandues. Il s’agit
4/ http://lapublicitedesseniors.blogspot.com
5/ La sélection a trait à la définition et au choix d’ob- d’agir (effectuer une action volontaire et
jectifs. L’optimisation est l’application des meilleurs consciente afin d’atteindre un objectif) et non
moyens permettant d’atteindre ces objectifs. La pas de réagir (être poussé, agir d’une manière
compensation se réfère à l’adaptation de moyens de
substitution lorsque les moyens initiaux ne sont plus inconsciente). Les tentatives de maîtrise et de
disponibles ou sont inefficaces. contrôle des réactions émotionnelles consti-
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Encadré 1 : La régulation émotionnelle


La notion de régulation émotionnelle est apparue en psychologie au début des années 90 mais reste
encore peu mobilisée en marketing (Safraou-Ouadrani et Guiot, 2010 ; Lacoste-Badie, Malek et Drou-
lers, 2013). Pour Gross, Richards et John (2006, p. 14), la régulation des émotions désigne « les ten-
tatives que nous accomplissons pour influencer la nature des émotions ressenties, le moment où elles
surviennent et la façon dont elles sont vécues et exprimées ». La régulation émotionnelle peut, en effet,
survenir soit au moment de l’évaluation de la situation (en amont), soit en modulant les réponses (en
aval). En se référant au modèle de Gross (1998), il convient d’admettre l’existence de deux types de
stratégies de régulation émotionnelle :
– La régulation centrée sur les antécédents émotionnels : consiste à modifier l’impact émotionnel
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d’une situation en adoptant une stratégie préventive (Krauth-Gruber, 2009). Dans ce cas, l’indi-
vidu n’agit pas sur les émotions mais sur les circonstances susceptibles de les déclencher.
– La régulation centrée sur les réponses émotionnelles : intervient plus tard dans le processus émo-
tionnel, c’est-à-dire une fois que le sujet a donné une signification émotionnelle à la situation.
Les stratégies de régulation émotionnelle visent la modification du ressenti en allongeant, intensifiant,
diminuant ou raccourcissant les réponses expressives, physiologiques ou subjectives. Dans cette pers-
pective, le sujet peut se concentrer soit sur les pensées accompagnant les émotions, soit sur la tentation
de les supprimer.

tuent des situations fréquentes. Chacun de proactif et cherchent simplement à adapter


nous s’est trouvé un jour face à une injustice leurs réponses émotionnelles (régulation
qui a provoqué chez lui une colère si intense centrée sur les réponses) ; ceci en modifiant
au point d’envisager l’agression de la personne les composantes subjectives (par exemple,
à l’origine de ce malaise. Bien que les « tech- en réprimant une pensée négative), expres-
niques » pour apaiser les émotions étreignant sives (par exemple, en réprimant une moue
le sujet peuvent prendre différentes formes négative) et/ou physiologiques (cependant de
(compter jusqu’à dix, prendre une profonde façon assez limitée pour cette composante) 6.
respiration, penser à autre chose), le but est
identique : il s’agit de tentatives de régulation Bien qu’il soit admis que les séniors pré-
des émotions (Krauth-Gruber, 2009 ; Enca- sentent un biais de positivité et une meil-
dré 1). leure régulation des émotions par rapport
aux adultes jeunes, les travaux consacrés à
Les recherches réalisées sur le sujet offrent l’étude des personnes âgées ont presque igno-
de nombreuses illustrations d’une rela- ré la thématique du vieillissement affectif
tion positive entre vieillissement et régula- (Chevalier et Lichtlé, 2012). Or, ce sujet est
tion émotionnelle. Les adultes âgés, pour important puisque les chercheurs en marke-
qui le maintien d’un bien-être émotionnel
ting défendent le rôle prépondérant de l’affect
est prioritaire, adoptent un comportement
dans l’appréhension du comportement du
proactif en s’engageant dans des stratégies
consommateur et l’importance de prendre en
de régulation émotionnelle basées sur l’éva-
compte les spécificités de chaque cible étu-
luation de la situation inductrice d’émotions
diée. Ceci étant, il convient de considérer le
(régulation centrée sur les antécédents).
cas des recherches portant sur les effets du
Ils cherchent à anticiper et à contrôler les
réponses émotionnelles en sélectionnant 6/ Les individus essayent parfois d’agir sur cette
activement et en influençant les situations et composante par la prise de médicaments (exemple
les cognitions afin d’éviter des émotions non chez les musiciens par la consommation de médi-
désirées et de renforcer des émotions dési- caments bêtabloquants avant de donner un concert
pour éviter une crise de tachycardie et des tremble-
rées. Les jeunes, pour qui les priorités sont ments) ou par la pratique de techniques de gestion
différentes, n’adoptent pas un comportement du stress (exemple de la sophrologie).
Communication – 97

contexte de programme sur l’efficacité publi- programme est aujourd’hui développé, celui
citaire. concernant la prise en compte de l’effet du
vieillissement dans l’étude du contexte de
D’un point de vue théorique, ce travail programme sur l’efficacité publicitaire est
devrait permettre de clarifier un champ de très limité.
recherche mal exploré dans le domaine du
marketing des séniors. En effet, l’analyse de
l’interaction entre deux champs de recherche Influence d’un contexte
étudiés jusqu’à présent séparément – le émotionnel chez les adultes
contexte de programme et le vieillissement jeunes et âgés
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– apporte un éclairage supplémentaire aux


Le contexte de programme constitue un fac-
connaissances relatives à l’attitude publici-
teur très important à considérer pour une
taire. L’étude de cette interaction permet de
meilleure appréhension des réponses du
savoir si les adultes jeunes et âgés traitent de
consommateur aux annonces publicitaires
manière identique les émotions suscitées par
(Encadré 2). Les travaux antérieurs confir-
un contexte de programme télévisé.
ment l’intérêt accordé depuis des années à ce
Les retombées managériales de ce travail sujet (Goldberg et Gorn, 1987). En revanche,
sont évidentes dans la mesure où ce dernier ils ne permettent pas de déceler des positions
se rapproche des conditions dans lesquelles le consensuelles quant à l’influence du contexte
consommateur reçoit le message publicitaire. de programmes télévisés sur les publicités
Par ailleurs, et compte tenu des budgets mé- insérées. Bien qu’une majorité de chercheurs
dias importants qui constituent par exemple atteste que les réactions affectives induites
un réel frein au lancement de nouveaux pro- par le programme télévisé sont à l’origine
duits/marques, il semble important d’essayer de la nature des réponses du téléspectateur
de mieux comprendre la nature de l’influence envers les annonces interrompant le vision-
du contexte de programme sur les publicités nage du programme (Goldberg et Gorn,
insérées. Enfin, l’intérêt porté à ce thème est 1987), d’autres avancent l’idée que l’effet du
également justifié par l’absence de recherche contexte de programme sur les publicités in-
visant à comprendre les effets du contexte sérées est principalement lié à l’appréciation
de programme chez les personnes âgées. Si du programme (Murry, Lastovicka et Singh,
le corpus des recherches sur le contexte de 1992).

Encadré 2 : Les variables considérées lors de l’étude


L’affect induit par le programme (feeling) et son appréciation (liking) sont deux construits distincts
(Murry et Dacin, 1996). L’analyse de la littérature sur le contexte d’insertion des annonces montre que
l’environnement de programme a fréquemment été appréhendé selon sa dimension émotionnelle mais
qu’en revanche sa dimension évaluative (son appréciation) a rarement été prise en considération. L’ap-
préciation du programme (liking) est définie comme l’évaluation portée à un programme (Schumann,
1986), tandis que l’état émotionnel (feeling) se rattache aux émotions ressenties par le sujet lors de
l’exposition à ce programme. Murry, Lastovicka et Signh (1992) ont défini l’impact des émotions géné-
rées par un programme télévisé comme «des états affectifs temporaires qui sont subjectivement perçues
par un individu ». Les émotions générées par un programme sont donc, l’ensemble des états affectifs
ressenties par le téléspectateur lors de son exposition à ce programme. Ces réactions sont mesurées
soit par une approche discrète d’émotions ou une approche continue. Toutes les deux partagent l’idée
que les émotions ont une valence et une intensité. Dans ce travail, seule la valence émotionnelle sera
considérée. Elle se définit comme l’ensemble des états subjectivement perçus plaisants ou agréables par
rapport à ceux qui sont déplaisants ou désagréables.
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La littérature sur le contexte de programme processus persuasif. Ainsi, il semble que les
permet d’identifier plusieurs travaux traitant enfants et les adultes n’accordent pas la même
de l’influence de la tonalité émotionnelle d’un sensibilité aux variables du contexte télévisé.
programme (généralement programme triste Ceci apparaît logique dans la mesure où l’âge
versus gai) sur l’attitude7 publicitaire. En caractérise l’être humain par des différences
manipulant la valence émotionnelle d’un pro- au niveau physique, affectif et cognitif.
gramme télévisé (programme gai ou triste),
Goldberg et Gorn (1987) ont observé que Bien que la revue de la littérature montre un in-
les publicités étaient évaluées comme moins térêt croissant pour l’étude des consommateurs
efficaces dans la condition triste versus gaie. appartenant à différentes catégories d’âge et plus
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Dans ce cas, il s’agit de l’approche positive précisément à l’étude des séniors, rares sont les
selon laquelle une contagion émotionnelle se recherches en marketing étudiant l’impact du
fait dans le même sens de l’émotion véhiculée contexte de programme auprès d’une cible de
par le stimulus. Ainsi les réactions affectives personnes âgées. Pourtant, cette dernière pré-
générées par un premier stimulus (le pro- sente des spécificités pouvant intervenir lors du
gramme) peuvent être transférées à un se- processus de persuasion publicitaire. C’est ainsi
cond stimulus (la publicité), influençant ainsi que ce travail teste l’influence du contexte de
son évaluation. Pour Coulter (1998, p.41) «la programme sur l’attitude envers les annonces
recherche a démontré que l’affect positif ou auprès des adultes (jeunes versus âgés).
négatif induit par le programme peut être
Récemment, Lacoste-Badie, Malek et Drou-
transféré à Aad, et par la suite à Ab».
lers (2013) ont étudié l’impact d’un pro-
En dépit d’un nombre relativement important gramme triste sur la persuasion publicitaire.
de recherches traitant des effets du contexte Les résultats montrent qu’à l’issue de l’expo-
de programme sur l’efficacité publicitaire, sition à un contexte de programme triste, le
rares sont les travaux qui ont pris en consi- niveau de tristesse déclaré par les adultes
dération l’impact de l’âge et plus précisément âgés est moins fort que le niveau de tristesse
l’effet du vieillissement sur la persuasion pu- déclaré par les adultes jeunes. De plus, l’in-
blicitaire. Certains chercheurs ont toutefois fluence négative d’un contexte de programme
étudié le contexte d’insertion auprès des en- triste sur l’attitude envers les annonces (Aad)
fants (Pecheux, Derbaix et Poncin, 2006). Ils est moins prononcée chez les adultes âgés
se sont concentrés sur l’impact du contexte que chez les adultes jeunes. La mise en évi-
média sur la persuasion publicitaire en insis- dence de l’importance de la prise en compte
tant sur le rôle prépondérant de l’apprécia- de l’effet de l’âge lors de l’étude de l’impact
tion du programme dans la formation des du contexte de programmation sur l’efficacité
attitudes à l’égard des annonces diffusées. Ce publicitaire revêt des retombées managériales
résultat conforte les écrits qui appellent à une pertinentes dans la mesure où les annonceurs,
prise en compte de l’âge lors de l’étude du média-planneurs ou agences publicitaires
peuvent envisager d’adopter une approche
7/ Dans ce travail l’effet de la valence émotionnelle différenciée en fonction de la cible visée lors
induit par le programme télévisé sur Aad est me-
suré. Selon Lutz (1985) l’attitude est définie comme de l’achat d’écrans télévisés publicitaires.
une prédisposition à répondre d’une manière favo- En se référant à ces propos et à la littéra-
rable ou défavorable à un stimulus particulier durant ture portant sur la régulation émotionnelle et
une exposition particulière. Elle semble selon Cohen
et Areni (1991) comme un jugement évaluatif. Ain- plus précisément au modèle de Gross (1998),
si, les termes Aad et évaluation publicitaire seront il convient de tester l’effet de la deuxième
employés de manière interchangeable. Il est aussi à variable du contexte de programmation à
noter que Aad est considérée comme un bon indi-
cateur de persuasion publicitaire (Coulter, 1998 ; savoir « les réactions affectives » ; tout en
Spears et Singh, 2004). supposant qu’elles n’affectent pas l’évaluation
Communication – 99

des annonces de manière identique chez les L’effet d’un programme télévisé
séniors. Etant dotés de plus grandes capaci- émotionnel sur l’évaluation
tés de régulation émotionnelle, ces derniers
publicitaire
peuvent réévaluer la situation émotionnelle
générée par l’exposition au programme et in-
hiber l’effet attendu du transfert de l’humeur
Afin de vérifier l’effet de la tristesse (ou de
sur l’évaluation des annonces. Dans ce travail,
la joie) ressentie lors de l’exposition au pro-
il sera question de tester auprès des adultes
(âgés versus jeunes) l’effet de la tristesse (ou gramme sur l’attitude envers les annonces,
de la joie) ressentie lors de l’exposition au pro- une expérimentation a été mise en place (En-
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gramme sur l’attitude envers les annonces. cadré 3).

Encadré 3 : Méthodologie de l’expérimentation


L’expérimentation est fondée sur un plan factoriel complet.
Les participants de l’échantillon de convenance ont été affectés aléatoirement à l’une des six conditions
expérimentales (37 participants par condition) : 2 catégories d’âge (jeunes versus séniors) x 3 contextes
de programme (joyeux versus triste versus neutre).
L’échantillon : 111 jeunes (19 à 30 ans) / 111 séniors (60 ans et plus).
Les participants ont visionné un programme comprenant un film véhiculant des émotions, interrompu
par un écran publicitaire.
Condition triste : un extrait de 16 minutes du film « Légendes d’automne » (film qui a généré de la
tristesse lors d’un pré-test mené auprès d’adultes (jeunes et âgés).
Condition joyeuse : Le film, sélectionné parmi la liste des films cités comme drôle c’est « Johny En-
glish » (Une parodie des films de James Bond, mettant en scène Rowan Atkinson connu comme le
personnage « Mister Bean »).
Condition neutre : Un extrait de 16 minutes d’un documentaire.
Les Publicités diffusées :
3 publicités pour des marques inconnues (Aquarius, Soubry, Aktifit)
2 publicités pour des marques connues (Colgate, Garnier)
Les publicités étaient présentées dans l’ordre suivant : [jingle, Aquarius, Colgate, Soubry,Garnier, Akti-
fit, jingle]. Au sein de cet écran publicitaire, le choix d’une alternance de publicités pour des marques
inconnues (par la cible) et de publicités pour des marques connues a été fait pour éviter que les partici-
pants puissent deviner l’objectif de l’expérimentation).
Dans les trois conditions expérimentales (programme neutre, drôle, et triste) l’écran publicitaire a été
inséré à la 6e minute*.
Procédure expérimentale
Les participants à l’expérimentation (séniors ou adultes jeunes) ont été exposés à un programme de
télévision d’une durée de 18 minutes. Un groupe de chaque catégorie d’âge a été invité à regarder un
programme présentant un documentaire neutre sur le plan émotionnel, un film drôle ou un film triste
(between subject design). Les sujets n’ont pas été avertis de l’objectif réel de l’expérimentation afin de
ne pas biaiser les résultats.
Le choix des marques retenues pour l’expérimentation respecte l’absence d’une structure affective et
cognitive préexistante (Derbaix, 1995). Afin d’assurer cette condition, des marques inconnues1 ont été
choisies permettant de contrôler un nombre conséquent de variables externes qui auraient pu contami-
ner les résultats : la notoriété de la marque, l’attitude antérieure vis-à-vis de la marque et l’implication
vis-à-vis de la marque… etc.
Les variables considérées ont été mesurées grâce à des échelles de mesures (Annexe 1).
*Le choix de marques inconnues permet de s’assurer que les réponses des consommateurs aux annonces sont seule-
ment le résultat de l’exposition au cours de l’expérimentation et non d’une forme d’apprentissage préalable concer-
nant la marque.
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Résultats préliminaires Effets de la joie et de la tristesse sur


Aad chez les séniors
L’humeur des participants (jeunes et âgés) a
été mesurée avant le début de l’expérimen- Le tableau 2 présente les résultats des ana-
tation. Les résultats n’indiquent pas de dif- lyses de régression testant les effets des
férence entre les différents groupes. On peut réactions affectives déclenchées par les pro-
donc considérer, et comme cela était sou- grammes sur Aad. Les résultats n’indiquent
haité, qu’avant l’expérimentation, les partici- pas d’effet significatif des réactions affectives
pants avaient une humeur identique. déclenchées par les programmes sur Aad
pour les séniors.
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A la suite du visionnage du film et des pu-


blicités insérées, l’humeur des participants
Effets de la joie et de la tristesse sur
adultes jeunes et âgés a été de nouveau me- Aad chez les jeunes
surée. Les résultats indiquent que l’humeur
des participants n’est pas modifiée après le Le tableau 3 présente les résultats des ana-
contexte de programme neutre. En revanche, lyses de régression testant les effets des
après le visionnage du programme triste, réactions affectives déclenchées par les pro-
l’humeur des participants est modifiée : le grammes sur Aad.
niveau du Plaisir diminue chez les adultes Les résultats indiquent pour les jeunes un
jeunes et chez les adultes âgés. Après le vi- effet significatif des réactions affectives (tris-
sionnage du programme drôle, le niveau du tesse et joie) déclenchées par les programmes
Plaisir augmente significativement chez les sur l’attitude envers la publicité (Aad). L’effet
adultes jeunes et les séniors, alors que les est négatif pour la tristesse alors qu’il est po-
niveaux d’Activation ou de Dominance ne sitif pour la joie.
sont pas modifiés dans toutes les conditions
de visionnage.
L’apport de la régulation
Ces résultats montrent que seul le plaisir émotionnelle dans la
a varié et que les autres dimensions ont été détermination de l’évaluation
contrôlées, et que le processus d’induction publicitaire
émotionnelle par le contexte de programme
(drôle versus triste) a fonctionné pour les Les analyses de données effectuées ont
deux groupes d’âge étudiés (jeunes adultes / permis d’obtenir des résultats qui viennent
éclairer le rôle de l’âge chronologique de
séniors).
l’individu et du contexte de programme sur
l’évaluation publicitaire. Les résultats de
L’effet d’interaction âge/contexte sur l’expérimentation sont discutés et confrontés
l’attitude envers les annonces
à la littérature existante portant sur des thé-
Les résultats indiquent un effet différencié matiques proches. Le recours à d’autres dis-
entre les adultes jeunes et âgés. Ainsi, l’ef- ciplines, telles que la psychologie se justifie
fet de l’appréciation du programme sur Aad par des recherches encore peu nombreuses
n’est pas significatif chez les adultes jeunes. traitant du vieillissement affectif en marke-
En revanche, les résultats indiquent que l’ap- ting. La régulation émotionnelle constitue la
préciation du programme influence positive- principale théorie mobilisée lors de cette re-
ment Aad chez les séniors. Les résultats des cherche pour appréhender l’effet du contexte
analyses de régression pour les deux groupes de programme sur l’évaluation des annonces
d’âges sont présentés (tableau 1). publicitaires chez les adultes âgés.
Communication – 101

Tableau 1 : Effet de l’appréciation du programme sur l’attitude envers les annonces chez les adultes
jeunes / séniors

Adultes jeunes Adultes seniors


Erreur B stan- Erreur B stan-
Variable B T P B T P
standard dardisé standard dardisé
Constante 57,09 5,91 9,65 0,00 38,12 5,70 6,68 0,00
X (a)
0,14 0,39 0,03 0,37 0,70 1,37 0,37 0,33 3,65 0,00

X(a) = (Appréciation du programme)


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Tableau 2 : Résultats de l’effet de la tristesse / joie sur Aad chez les séniors

Effet de la tristesse sur Aad Effet de la joie sur Aad


Erreur B stan- Erreur B stan-
Variable B T P B T P
standard dardisé standard dardisé
Constante 56,21 2,42 23,21 0,00 56,29 3,09 18,17 0,00

X(a) 1,16 1,04 0,10 1,11 0,26 0,79 1,00 0,07 0,78 0,43
(a)
Tristesse / joie

Tableau 3 : Résultats de l’effet de la tristesse / joie sur Aad chez les jeunes

Effet de la tristesse sur AAD Effet de la joie sur AAD


Erreur B stan- Erreur B stan-
Variable B T P B T P
standard dardisé standard dardisé
Constante 67,92 2,37 28,57 0,00 50,40 2,83 17,77 0,00

X(a) -3,83 ,90 -0,37 -4,24 0,00 3,32 0,95 0,31 3,47 0,00
(a)
Tristesse / joie

L’absence de contagion émotionnelle chez pact du contexte de programme sur l’évalua-


les séniors corrobore, d’un côté, les résultats tion publicitaire. Chez les personnes âgées,
de Murry, Lastovicka et Singh (1992) qui l’attitude envers l’annonce est influencée par
montrent que l’appréciation du programme l’appréciation du programme au sein duquel
influence positivement Aad ; et d’un autre elle est diffusée. Les séniors évaluent mieux
côté, cette absence de contagion appuie les les annonces lorsqu’elles sont insérées dans
postulats d’une meilleure régulation émo- un programme apprécié tandis que chez les
tionnelle chez les séniors. Ainsi, l’évaluation jeunes, l’attitude publicitaire est tributaire de
du stimulus publicitaire est plus favorable la valence émotionnelle générée par l’expé-
quand le programme qui l’interrompt est ap- rience télévisée.
précié. Cependant ce constat n’est valide que
pour une cible âgée ; ce qui permet de dé- Chez les adultes jeunes, l’attitude envers
duire que l’appréciation joue un rôle central les annonces est moins favorable dans un
dans la formation des attitudes des séniors contexte de programme triste versus drôle
envers l’annonce. Des résultats opposés sont alors que chez les séniors il n’y a pas de dif-
observés auprès de jeunes adultes, permet- férence significative selon que le contexte soit
tant ainsi de distinguer deux modèles d’im- triste ou drôle (Figure 1).
102 – Décisions Marketing n°76 Octobre-Décembre 2014

Figure 1 : Récapitulatif des résultats


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Ces résultats sont cohérents avec la propo- fine des mécanismes sous-jacents aux effets
sition selon laquelle le traitement de stimuli de programme chez les jeunes adultes et les
émotionnels donne lieu à des réponses affec- séniors.
tives différenciées chez les adultes jeunes et
chez les adultes âgés (Scheibe et Carsten- Cette recherche permet d’améliorer les
sen, 2010). Si les séniors ressentent bien les connaissances relatives aux effets de l’âge
émotions induites par le film, il est probable chronologique et du contexte de programme
qu’ils adoptent des mécanismes qui per- sur les mécanismes du processus de persua-
mettent d’atténuer l’impact du contexte sur sion publicitaire. Les apports de ce travail
leurs réponses. Il semble qu’un effort de réé- sont théoriques et managériaux. Au-delà
valuation de la situation dramatique permet d’une simple revue de littérature portant sur
aux séniors de percevoir les annonces sans la régulation émotionnelle, cette recherche a
subir l’influence négative du contexte. Cette mis en perspective les stratégies d’adaptation
réévaluation constitue une des stratégies de ou d’évitement des séniors pour faire face
la régulation émotionnelle. Il semble que les aux émotions induites suite à l’exposition
séniors soumis à la condition triste arrivent d’un contexte émotionnel. Par conséquent, ce
à inhiber le processus de contagion émotion- travail permet de mettre en exergue les dif-
nelle en exerçant un meilleur contrôle sur férences dans la gestion émotionnelle issue
leur ressenti. d’un effet de l’âge chronologique. Si, confor-
mément à la littérature, un effet de la conta-
Le contrôle des émotions est aussi exercé gion émotionnelle, selon l’approche positive,
par les séniors dans les situations plaisantes. est constaté chez les adultes jeunes qui ont
Ce résultat converge avec les travaux de tendance à évaluer l’annonce en fonction de
Vieillard et Pijoff (2010) qui stipulent que la polarité émotionnelle véhiculée par le pro-
l’impact de l’âge sur la perception des émo- gramme, ceci n’est pas le cas pour les séniors.
tions musicales se traduit par des jugements Ainsi, la prise en compte de l’effet de l’âge
moins extrêmes, qu’il s’agisse de l’éveil pour dans l’étude de l’effet de la programmation
les stimuli menaçants ou de la valeur hédo- relativise l’apport de l’approche positive de la
nique pour les stimuli gais. Ces constatations contagion émotionnelle. En ce sens une autre
permettent d’avoir une compréhension plus dimension du contexte de programmation
Communication – 103

apparait comme cruciale lorsqu’il s’agit de lors de leur présentation du programme télé-
téléspectateurs âgés. C’est l’appréciation du visé (en précisant le type de films à program-
programme qui affecte l’attitude des séniors mer). Ainsi, un meilleur placement pour une
et non pas leurs réactions affectives ressen- annonce destinée aux séniors ne consiste pas
ties lors de la visualisation du programme. nécessairement à la diffuser autour et pen-
dant des programmes à forte audience (prime
time) mais plutôt lors de programmes et
Mise en perspectives des résultats
d’horaires appréciés par cette cible (tranche
Pour ce qui est de l’apport managérial de de 9h à 12 h / 14h à 19h) 9. Ces pratiques per-
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cet article, il convient de noter l’importance mettraient une meilleure rentabilité pour les
d’une telle recherche pour les annonceurs et annonceurs et les média-planneurs en garan-
les média-planneurs. Les résultats permet- tissant une certaine performance publicitaire
traient de recommander une approche diffé- (scores d’attitude envers l’annonce plus éle-
renciée en fonction de la cible visée. vés). De plus, cette recherche montre qu’au-
près d’une population d’adultes âgés, il est
Dans leur stratégie de média-planning, afin possible d’envisager un choix de programme
d’éviter une contagion émotionnelle négative, plus étendu incluant les programmes tra-
les annonceurs pourraient renoncer à diffu- giques et humoristiques.
ser leurs messages publicitaires pendant les
programmes à contenu triste (évitant ainsi de Il faudrait également considérer les nouvelles
rendre tristes les individus lors des coupures perspectives de médias-planning offertes par
publicitaires). Les résultats de cette recherche les nouvelles formes de visionnages des pro-
montrent que, s’ils ciblent les séniors, ce type grammes (on parle de multi-écrans que ce
de contexte (triste) n’est pas préjudiciable aux soit sur ordinateur, mobile, TV, ou Internet)10
annonces insérées, car les séniors sont plus qui permettent une meilleure adaptation des
« hermétiques » émotionnellement. écrans publicitaires aux caractéristiques des
audiences de ces chaines.
Pour une cible d’adultes jeunes, il est impor-
tant de prendre en compte l’effet de conta- Ce travail met aussi en évidence combien il
gion émotionnelle qui peut se produire entre est important pour les créatifs publicitaires et
le programme et les publicités insérées. Pour les média-planners de ne pas se contenter de
cibler les séniors, cette recommandation est critères quantitatifs (ex : mesure d’audience)
relativisée au profit d’un intérêt à l’apprécia- mais de tenir compte de critères qualitatifs
tion du programme télévisé. Pour s’adresser à concernant l’évaluation des programmes et
cette cible, il faudra accorder un intérêt par- l’évaluation publicitaire.
ticulier à leur avis par rapport au programme
(forum, pré-test du concept ou du programme Bien que cette recherche présente des ap-
auprès de la cible) et ainsi choisir de diffuser ports, des limites sont à signaler. A l’avenir,
les publicités destinées aux séniors pendant il serait utile : (1) d’étudier l’influence de
des programmes appréciés8. variables modératrices, (2) d’étudier d’autres
contextes de programmes, (3) de répliquer
Il convient aussi à ce niveau de préciser qu’un
effort particulier devrait être négocié avec les 9/ www.ipeut.com/marketing/le-marche-des-se-
niors/213/les-seniors-et-la-television92213.php ;
chaines qui devraient donner plus de détails Les [50 ans et plus] passent 5h02 min devant la TV
(2012 / 2013) selon Médiamétrie – Média mat du
8/ http://blog.seniorenforme.com/les-seniors-et- 31/12 /2012
la-television/ ; http://www.revue-medias.com/Les- 10/ http://www.mediametrie.fr/television/communi
seniors-sont-ils-televores,549.html ; http://www. ques/l-audience-de-la-television-en-fevrier-2014.
mediametrie.fr php?id=1028
104 – Décisions Marketing n°76 Octobre-Décembre 2014

nos résultats à d’autres médias, (4) d’intégrer émotionnel. Bien qu’on ait toujours attribué
d’autres mesures, comme par exemple des aux séniors une image négative caractérisée
mesures psychophysiologiques (réponse élec- par le déclin, ils arrivent souvent à maintenir
trodermale, le rythme cardiaque, la tension un niveau de bien-être élevé (Charles et Cars-
artérielle, le rythme respiratoire etc.), (5) de tensen, 2009).
considérer un échantillon plus important. Ces
A la lumière de ces constats, il est envisa-
limites constituent autant de voies de futures
geable de confirmer l’importance de la prise
recherches à exploiter. Il est alors recomman-
en compte de l’effet de l’âge dans l’étude de
dé d’intégrer des mesures de l’âge cognitif ou
persuasion publicitaire (Chevalier et Lichtlé,
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des mesures de besoin en émotions comme


2012). Les différences constatées entre les
variables modératrices. Il est intéressant de
deux groupes d’âges interrogés ont aussi été
vérifier si la contagion émotionnelle se dif-
discutées. Ainsi, si la théorie du transfert
férencie lorsque les émotions sont véhiculées
d’affect a été validée au niveau des adultes
uniquement par du son. Il faudrait répliquer
jeunes, la théorie de la régulation émotion-
cette recherche à d’autres médias, comme la
nelle semble être un cadre explicatif perti-
radio qui occupe la deuxième place après la
nent chez les adultes âgés. L’absence d’un
télévision comme moyen de divertissement
effet significatif du contexte de programme
chez les séniors. Il serait utile aussi de conce-
sur Aad chez les adultes âgés a été interprétée
voir d’autres programmes télévisés en mani-
comme le témoin d’une meilleure régulation
pulant l’intensité des émotions véhiculées
émotionnelle. Si dans le cas du film triste ce
en variant l’intensité du plaisir véhiculé par
phénomène est compréhensible du fait que
le programme pour identifier si la stratégie
les séniors procèdent à une réévaluation de
du maintien des émotions positives constaté la situation négative en essayant de contrô-
dans cette expérimentation reste valide pour ler les ressentis tristes, il l’était moins dans
différents degrés du plaisir. En effet, il serait le cas d’un film joyeux. Pourquoi, dans une
intéressant de vérifier les propos de certains situation plaisante, les séniors essayent de
auteurs concernant les conditions de la régu- réguler leurs émotions ? Il est possible de
lation émotionnelle (Labouvie-Vief et al., penser que, dans cette situation, les séniors
2003). Ces auteurs stipulent, qu’en présence qui ont tendance à privilégier les contextes
d’émotions peu intenses, les adultes âgés positifs perçoivent les annonces diffusées
pourraient maintenir un niveau satisfaisant comme une interruption irritant leur bien-
de bien-être. être et activant le processus de régulation
émotionnelle qui vise le maintien d’une situa-
Conclusion tion favorable. Ainsi, dans les deux cas, les
adultes âgés exercent un contrôle sur l’expé-
Une volonté d’étudier l’influence des pro- rience émotionnelle vécue du moment qu’elle
grammes émotionnels sur les annonces insé- semble discordante avec ce qu’ils souhaitent
rées, auprès de deux cibles d’âges différents a ressentir. Ce travail a permis de montrer que
constitué l’objectif de ce travail. Les adultes le contexte de programme peut amener les
jeunes ont été, jusqu’à présent, le centre séniors à adopter des mécanismes de régula-
d’intérêt des recherches traitant de l’effet du tion émotionnelle. Les émotions induites par
contexte de programme sur les processus de un programme sont généralement sujettes à
persuasion publicitaire. L’étude de la littéra- une adaptation émotionnelle, présentant ainsi
ture a révélé que les recherches sur le vieil- une motivation hédoniste qui se traduit par
lissement en marketing se sont focalisées une volonté de rechercher, intensifier, inhi-
jusqu’à présent sur l’aspect cognitif du vieil- ber, maintenir ou garder un état émotionnel.
lissement, négligeant ainsi le vieillissement La stratégie permettant d’atteindre cet état
Communication – 105

émotionnel est choisie en fonction de la situa- sarjian (Eds.), Handbook of Consumer Behavior,
tion dans laquelle se trouve la personne âgée. 188-240, Englewood Cliffs, NJ, Prentice Hall.
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bués aux séniors. Si ces derniers présentent Derbaix C. (1995), L’impact des réactions affectives
effectivement des capacités cognitives infé- induites par les messages publicitaires : une ana-
lyse tenant compte de l’implication, Recherche
rieures à celles des jeunes, ils sont, en re-
et Applications en Marketing, 10, 2, 3-30.
vanche, dotés d’une capacité de gestion émo-
Droulers O. et Roullet B. (2014), Contexte de pro-
tionnelle qui est perçue comme un avantage
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gramme violent à la télévision et mémorisation


lié à l’expérience vécue. Autrement dit, les des publicités : rôles respectifs du niveau de vio-
personnes âgées ne semblent pas perdre leurs lence et de la narrativité, Recherche et Applica-
capacités à ressentir des émotions et à les ex- tions en Marketing, 29, 1, 61-78.
primer. Au contraire, la régulation émotion- Goldberg M.E. et Gorn G.J. (1987), Happy and Sad
nelle permet un gain au niveau affectif. Ce TV Programs: How They Affect Reactions to
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travail met en avant un profil plus complexe
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du consommateur âgé. Ce dernier devrait
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Annexe 1 : Les mesures faites lors de l’expérimentation

1 – Juste avant de débuter le film, il était demandé aux participants de compléter l’échelle de mesure affective
(en 9 points) SAM (Self-Assessment Manikin ; Bradley et Lang, 1994).
2 – A la suite de l’exposition au film, les répondants étaient invités à évaluer une seconde fois leur humeur.
Ils devaient ensuite indiquer les émotions ressenties pendant le programme à partir d’une échelle sémantique
différentielle à 5 points comprenant cinq réactions affectives négatives (tristesse, peur, dégoût, colère, sur-
prise désagréable) et deux réactions affectives positives (joie, surprise agréable). Ces 7 items sont extraits de
l’échelle des réactions affectives de Derbaix (1995).
3 – Les participants étaient ensuite invités à évaluer le programme et à donner leur avis sur les films en
général.
L’appréciation du programme a été mesurée à l’aide d’échelles sémantiques différentielles à 4 points consti-
tuées des items : pas ennuyeux du tout / très ennuyeux ; très captivant / pas captivant du tout ; très passionnant
/ pas passionnant du tout ; j’étais concentré sur le film / je n’étais pas concentré sur le film (Lacoste-Badie,
Malek et Droulers, 2013 ; Droulers et Roullet, 2014).
4 – L’attitude envers l’annonce pour les trois annonces cibles (échelle de Holbrook et Batra, 1987), l’attitude
envers la marque pour les 3 marques considérées (échelle de Spears et Singh, 2004).
5 – Les participants devaient aussi préciser s’ils connaissaient les marques et les publicités retenues.

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