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Sophie Boutillier
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des chambres d’allaitement pour les ouvrières venues en masse remplacer les
hommes pendant cette période. Les frères Michelin ou Citroën ne sont pas
considérés (et à juste titre) comme des entrepreneurs sociaux. Ces entrepre-
neurs ont cherché à développer de nouvelles méthodes de gestion de ressour-
ces humaines, pour accroître la motivation de leurs salariés, sans alourdir la
masse salariale, ou bien encore pour attirer de la main-d’œuvre qualifiée qui
faisait gravement défaut à l’époque. Godin a également été confronté à cette
question. Nous pourrons multiplier les exemples en ce sens. Dans ce cas, le
vocable d’entrepreneuriat social n’est pas approprié, nous lui substituons
celui de paternalisme. Ce qui est bien différent. Et que dire de Henry Ford et
de sa politique du « five dollars day » qui avait augmenté de manière consé-
quente le salaire de ses ouvriers en raison d’un turn over élevé ? La contrepar-
tie de cette augmentation résidait dans un contrôle très étroit de la vie
privée des salariés (vie de famille, fréquentation des cabarets et autres lieux
de loisirs…).
L’entrepreneur social se définit d’abord par les objectifs qu’il se fixe :
développer une action sociale laquelle répond aux besoins d’une population
déterminée. Ce qui le distingue au premier abord est que l’activité d’Owen
(Chanteau, 1996 ; Mercklé, 2006 ; Paquot, 2005 ; Vergnioux, 2002), de
Citroën ou des Michelin se présente d’emblée comme une activité économi-
que dont la finalité est le profit. Ce qui n’est pas le cas de l’entrepreneur qui
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démarrage du projet ; (3) les entrepreneurs sociaux sont confrontés aux mêmes
difficultés que les autres. Ce sont essentiellement des problèmes économi-
ques (gestion, rentabilité, etc.). Mais, la difficulté majeure des entrepreneurs
sociaux réside dans le fait qu’ils développent leur activité dans un environ-
nement économique et social particulier. Les auteurs du rapport soulignent
la faiblesse du capital humain des entreprises sociales ce qui rend le projet et
sa rentabilité plus précaires. En revanche, les projets des entrepreneurs sociaux
peuvent bénéficier des ressources publiques ; (4) l’entrepreneur social et
l’entreprise sociale sont mal connus et peu compris tant par les représentants
de l’État que du marché. D’où les difficultés auxquelles ces entrepreneurs
sont confrontés pour collecter les fonds donc ils ont besoin ; (5) l’entrepre-
neur social est issu de processus très différents de ceux mis en scène par
l’entrepreneuriat classique. L’entrepreneur social dispose d’un fort capital
social lié à l’action communautaire, citoyenne, bénévole, environnementale
ou collective d’une manière générale, mais son capital humain lié à la fonc-
tion entrepreneuriale est faible pour trois raisons majeures : d’abord en rai-
son de l’insuffisance de l’offre de formation en entrepreneuriat, ensuite parce
que l’ensemble du discours managérial et gestionnaire est fondamentalement
structuré en fonction d’entreprises répondant uniquement à des finalités
économiques. Enfin, en raison de la faiblesse des réseaux des entrepreneurs
sociaux ; (6) l’entrepreneur social apprend à faire avec les compétences dont
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une large part en leur sein des populations misérables venues des campagnes.
Les logements ouvriers sont vétustes et sans confort. Dès leur plus jeune âge,
les enfants vont travailler en usine. Ils ne sont pas scolarisés, sont l’objet de
graves carences alimentaires comme l’a montré le rapport de Villermé
(1782-1863), publié en 1840 un Tableau de l’état physique et moral des ouvriers
employés dans les fabriques de coton et de soie. En 1845, Engels publie La situa-
tion de la classe laborieuse en Angleterre. Les romanciers dénoncent également
les dures conditions de vie de la classe ouvrière (Sue, Zola, London, etc.). À
la fin du XIXe siècle, la « question sociale » devient primordiale pour les éli-
tes politiques. Mais, nombre de penseurs prônent le socialisme, société nou-
velle qui repose sur les principes d’équité. Ils sont pour nombre d’entre issus
d’un milieu modeste (souvent ouvrier) et sont déçus par la révolution fran-
çaise pour laquelle certains ont combattu. Ils imaginent (exceptés Marx et
Engels) une société reposant sur de petites entités de production et de consom-
mation fonctionnant selon le principe de la coopération entre les parties
sur une base égalitaire. Nombre d’entre eux comme Owen, Fourier ou Godin,
ont cherché à mettre leurs idées en pratique.
Owen (1771-1858) refuse de faire travailler les enfants de moins de dix
ans et les fait instruire gratuitement dans ses écoles. Son affaire périclite, il
s’installe aux États-Unis et y fonde la communauté de New Harmony qui fut
un échec. Il publie de nombreux ouvrages et pense que les hommes sont sou-
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nombreux ouvrages dont Destinées sociales (le premier volume est mis à
l’index par le pape Grégoire XVI). En 1848 (comme Godin) il est élu député
à l’assemblée constituante et participe à l’insurrection populaire (également
comme Godin). Il se réfugie en Belgique, puis au Texas où il fonde une
société communautaire qui périclita.
Le concept de phalanstère de Fourier était basé sur le travail et la vie col-
lective (cuisines, ateliers, fermes, loisirs collectifs). Celui de familistère de
Godin avait pour objectif de préserver la vie familiale (chaque famille a son
propre appartement) et de baser l’économie domestique sur la cellule familiale.
Le blanchissage était à la fois collectif (lavoirs communaux) et individuel
(pour des raisons d’hygiène chaque famille avait son propre lavoir). Fourier
(Freaitag, 2005, p. 106) était très fortement influencé par Rousseau et la vie
à la campagne. Il était rentier, et dépensa la fortune de son père pour réaliser
son projet. Godin était le fils d’un artisan modeste. C’est grâce à la fortune
qu’il accumula dans le cadre professionnel qu’il put réaliser ses ambitions
sociales.
avoir créé un phalanstère. Il explique en substance qu’il n’a pas créé le bon-
heur, mais qu’il a simplement cherché à alléger les souffrances des ouvriers.
Godin garde un souvenir amer de l’échec du phalanstère du Texas, où Consi-
dérant avait fait de lourdes erreurs de gestion. Il ne doit pas perdre de vue que
le succès de son activité sociale dépend étroitement de celui de ses activités
économiques et que dans ce domaine il doit être tout aussi rigoureux et per-
formant. Son succès est officiellement reconnu puisqu’en 1882, il reçoit la
croix et les palmes d’officier d’académie.
Quelles sont les innovations de Godin ? (Capron et Draperi, 2003 ;
Lallement, 2008, 2009)
(1) Education des enfants et émancipation des femmes : les enfants étaient
pris en charge dès le berceau pour construire leur éducation, mais aussi pour
libérer les femmes de cette activité et permettre à ces dernières d’exercer un
emploi rémunéré. D’après les témoignages recueillis par les historiens, tous les
enfants savaient lire, écrire et compter dès l’âge de six ans, mais Godin, partisan
de l’union libre, fut abondamment critiqué pour atteinte aux bonnes mœurs.
(2) Rémunération et productivité du travail : les salariés étaient payés à la
pièce. Les travaux d’entretien, de réparation du matériel, de création de
modèle, d’écritures et de comptabilité étaient payés à l’heure ou au mois. La
moyenne des salaires y était supérieure à celle des entreprises concurrentes.
Le temps de travail y était plus faible (10 heures par jour contre 14 à
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CONCLUSION
L’expérience du familistère de Godin est riche d’enseignements au regard des
débats actuels sur l’entrepreneur social. Dans un contexte économique et
social nouveau, Godin crée une entreprise dans un secteur d’activité alors en
pleine expansion (nous sommes au XIXe siècle, la production de masse dans
la métallurgie se développe). D’origine sociale modeste, il se bat pour un
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