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Méditation entre mer et ciel…

Ce soir je vous convie à partager quelques réflexions …Celles qui naissent ainsi, lorsque avec
Julia nous naviguons le jour loin de toute terre, ou que nous sommes de « quart » c'est-à-dire de
veille, la nuit sous la voûte étoilée.

En ce qui me concerne, nul autre endroit, et nul autre moment n’est aussi propice à ces
méditations, à ces introspections, à ces recueillements.

Dans l’angoissante pénombre nocturne, la mer, l’élément liquide qui me porte, me transporte
dans cet état second, où cohabitent préscience du présent (la maîtrise du bateau) et toutes ces
interrogations qui naissent dans la méditation.

Nous sommes tous, ici ce soir, unis par des liens familiaux, amicaux, fraternels, d’autant plus
solides que nos différences (apparentes) comme le disait Saint Ex , loin de nous séparer ,
favorisent nos enrichissements.

F.’. ou S.’., profanes, croyants et incroyants, nous sommes des cherchants, notre quête est
identique …Qui sommes nous ?, d’où venons nous, où allons nous ?....

Fermez les yeux quelques instants …Laissez-vous transporter …Le bateau, comme avec précaution
franchit doucement les crêtes dans une gite presque confortable, le vent clément pour l’instant
caresse la mer, mais comme pour un propriétaire jaloux il faut se rappeler que cet espace lui
appartient…

Quand vous ouvrirez les yeux, remarquez dans l’immensité du ciel boréal le chariot majestueux
de la « Grande Ourse ». Dans nos Loges elle est au centre de la voutée étoilée, car comportant 7
étoiles, 7 ce nombre infiniment symbolique et sacré…

Pourtant…Les télescopes modernes nous précisent que l’apparence n’est pas réalité…La grande
Ourse, la plus célèbre de nos constellations, compte un nombre impressionnants d’étoiles
brillantes, et le fameux chariot n’a pas 7 étoiles mais 8, car deux d’entre elles, bien qu’éloignées
par des années lumières, mais situées presque dans le même axe se confondent dans une même
brillance …

Ainsi entre apparence et réalité…

Bien que mis en garde par le « Méfiez-vous des apparences », nous sommes dans la vie, marqués
par nos idées reçues. Reconnaissons que nous faisons souvent un usage très sélectif et négatif de

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l’apparence…Car en règle générale, par un frileux principe de précaution nous transformons le
« méfiez-vous des apparences en ne vous fiez pas aux apparences »…

Dans la vie …Et bien sur dans nos Loges (Je pense au passage sous le bandeau)… Trop souvent
nous ne jugeons « que l’apparence » et sans le recul nécessaire nous imaginons que « c’est trop
beau pour être vrai »…

Bergson dans un texte « l’art pour éveiller notre sensibilité » aborde ce sujet.

«  Je regarde et je crois voir…J’écoute et je crois entendre..Je m’étudie et je crois lire dans le


fond de mon cœur…Mais ce que je vois et ce que j'entends du monde extérieur, c'est simplement
ce que mes sens en extraient pour éclairer ma conduite ; ce que je connais de moi-même, c'est ce
qui affleure à la surface, Mes sens et ma conscience ne me livrent donc de la réalité qu'une
simplification  »

Tout à l’heure quand le soleil se lèvera à l’horizon il me semblera plus gros qu’à midi au zénith…Et
pourtant le soleil ni ne diminue ni ne grossit…C’est ma perception qui est trompeuse.

Il en est de même dans la vie, comme le sens de la mesure nous fait souvent défaut, nous sommes
les illusionnistes de notre présent, inconsciemment parfois, mais trop souvent, dans un silence
intérieur coupable, en occultant la raison ou les faits, nous orientons notre jugement et notre
bon sens pour ne discerner et n’admettre qu’une réalité trompeuse.

Nous sommes les Don Quichotte du travestissement de nos moulins à vent en géants ennemis et
menaçants…

Citation attribué à Aristote puis à Platon ...

Il y a les vivants les morts et ceux qui sont en mer…

Nous savons que, dans la symbolique biblique la mer représente l’inquiétant milieu de la mort,
infernal abîme où l’homme peut disparaître, nous pensons à Jonas qui séjourne trois jours et trois
nuits dans les entrailles du poisson, ou à la tempête sur le lac de Galilée, ou les apôtres crurent
périr.

La mer, ou l’immensité des grands lacs, tient un rôle central dans les évangiles et principalement
dans celui de Marc.

Les premiers disciples sont des hommes qui naviguent, pêcheurs habitués aux navigations en
barque sur le lac de Tibériade. Leur métier est difficile, dangereux, marqué par les longues nuits
de veille, mais, à l’époque, comme aujourd’hui encore, il est le ciment de cette solidarité, cette
extraordinaire Fraternité, entre tous ceux « gens de mer » qui exercent ce métier dangereux et
aléatoire, les marins « plaisanciers » en sont les héritiers…

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Nous naviguons depuis des heures…. Crépuscule en mer… Ce soir le ciel est bas, la densité de l’air
a changé. Au loin, la mer, dans les prémices d’une colère annoncée, se transforme en agitation
étrange et menaçante…Les derniers oiseaux semblent fuir sur l’étendue liquide. Le vent forcit,
l’écume livide blanchit la ligne noire d’un horizon qui semble courir vers nous….. Le bateau ne
glisse plus sur l’onde, mais semble labourer ces courtes vagues méditerranéennes qui épuisent
coques et équipages..

            Déjà 6 siècles avant J.C. alors que l'on demandait à ANARCHARSIS, philosophe scythe, si
les vivants étaient plus nombreux que les morts, il répondit « mais d'abord, ceux qui sont en mer,
dans quelle catégorie les rangez-vous ? ». 

Ce soir, sur notre voilier, en affrontant le mauvais temps, nous sommes comme suspendus dans un
monde irréel, et en nous enfonçant dans la nuit nous mesurons avec humilité et appréhension
notre petitesse.

Comme Jonas, dans le ventre du grand poisson, sur mer l’état est transitoire comme dans une
chambre d’attente, le futur est en suspens, demain est indéterminé…

En mer vous ne serez toujours qu’un modeste apprenti…

Le vent forcit et hurle dans les haubans, les vagues giflent la coque, et rageusement couvrent le
pont..

Dans l’heure nous souhaiterions avoir la sérénité de Khalil Gibran

Votre raison et votre passion sont le gouvernail et les voiles de votre âme navigante. » 

Tout marin en mer, pense à la mort, il l’avoue même tranquillement car comme dit l’adage « Celui
qui n’a pas peur en mer n’est pas un marin  »

Notre finitude, cette disparition inéluctable, mais que sur terre nous espérons lointaine, semble
dans la navigation hauturière toujours border le présent.

Bien que tenant le cap, nous sommes comme perdu sur cette immensité liquide, et même par petit
temps, celui qui s’avance sur mer est confronté en permanence à l’éventualité de sa mort

Il ne s’agit nullement d’un côté morbide, méditer sur la mort n’est rien de plus que de méditer
sur le sens de notre vie.

Nous pouvons même imaginer que l’existence terrestre des hommes ressemble à ces vagues qui
après avoir traversé l’espace et le temps viennent s’échouer, et doucement mourir sur le sable…
En fait elles ne meurent pas puisque, après leur traversée elles retournent dans le liquide
symbiotique originel où tout a débuté.

Quelques soient nos convictions métaphysiques nous savons qu’il en sera de même pour nous, à la
fin de notre voyage nous retournerons aussi dans la grande matrice originelle et infinie.

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«  Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de
nouveau  »

Et puis Gibran encore  :  «  Car qu'est-ce que mourir sinon se tenir nu dans le vent et se fondre
dans le soleil ?  »

Chaque navigation est donc symboliquement le parcours d’une vie. Certains pensent qu’ils font un
voyage, en fait, c’est le voyage qui vous fait…Ou vous défait…

Quitter la côte est comme une naissance lorsque l’on largue les amarres et que l’on quitte la terre
ferme et sécurisante, puis succède l’épreuve de la vie dans les péripéties, les rencontres,
l’imprévu et les exaltations du voyage, et enfin l’aboutissement, la fin du voyage, « l’au-delà » de
la mer, au bout de nous même, alors comme disent les marins « nous posons, enfin, notre sac. »

Et puis, comme un ultime présent, arrive la fin du jour, spectacle magique du coucher de soleil.

Il semble qu’à perte de vue l’eau est comme incendiée…Aussi loin que se porte le regard, l’horizon
tout entier s’enveloppe dans l’ombre rouge, comme inquiétante de couleur noir et sang.

La mer dans cet instant fugitif qui prélude au basculement de l’astre, semble flamboyer dans des
teintes volcaniques et de fournaise,

Et le soleil disparait, comme écrivait le poète « En fermant les branches d’or de son rouge
éventail » (José Maria de Heredia)

Nouvelle méditation, nouvelle mélancolie sur la fuite du temps…

Nulle amertume, nulle tristesse dans cette contemplation, le constat du temps qui passe n’est
pas une tragédie. Ce qui importe, ce n’est pas la route …Mais d’être en route…

La vie, dans l’explosion joyeuse de sa résurrection se renouvelle au fil des jours et des saisons, et
nous qui sommes « les enfants des poussières d’étoiles » faisons partie de ce cycle, et demain, et
après demain, et pour toujours, dans une éternité dont la notion nous dépasse, nous savons qu’une
partie de nous brillera à jamais sous ce soleil.

Chaque vie d’homme est unique, et dans l’histoire du monde, dans l’accomplissement du grand
œuvre, elle n’est jamais totalement insignifiante.

Chaque pierre n’est qu’une pierre, mais assemblée elle devient cathédrale…

Sur les chemins de Compostelle, dans l’immensité des déserts terrestres ou maritimes, dans les
vertes prairies ou sous les sombres futaies, sur les sommets montagneux…Ou tout simplement

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dans les ruelles de nos citées, sur notre cheminement d’homme, ce qui importe, ce n’est pas
d’arriver mais d’être en route…

Alors chers amis, mes F.’. et mes S.’., ce soir, les pieds bien sur terre, mais la tête comme perdue
dans cette voie lactée, noyée dans le bleu profond du ciel étoilé, unis à vous dans une chaîne
d’union virtuelle mais oh combien Fraternelle, je vous souhaite du fond du cœur de marcher sur
le pavé mosaïque de votre chemin de vie, sous l’Arc en Ciel d’Alliance avec ce qui nous dépasse
mais vers quoi nous tendons.

Puissiez-vous avoir des rêves suffisamment grands pour que jamais vous ne les perdiez de vue, et
comme ‘’encore’’ l’écrivait notre F.’. Saint Ex « Faites que ces rêves dévorent votre vie, afin que
la vie ne dévore pas vos rêves.  »

J’ai dit

G.B.

Boscodon le samedi 18 juin 2011

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