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Voir au puits des prunelles comme au noir de la nuit s'éveiller les feux

où palpitent les cieux; voir s'éclairer nos vœux comme au sésame des
yeux, la pépite d'une âme où lévite une flamme. Dans les corps qui se
lèvent au bord de l'inouï, c'est l'écrin des présences dont s'accomplit
la chance.
 
Tant de foyers dans le ciel étoilé : autant de lieux qui nous donnèrent
lieu d'être, penchés à notre fenêtre ! Dans l'urne du ciel nocturne,
l'étoile des astres éteints se souvient de briller. Et c'est, à la traversée
de la nuit, comme le firmament d'une âme où notre corps s'éclipse
dans le vase des mânes, le crépitement d'un rêve dans le mystère qui
nous vit naître d'un bouquet de lumières, tandis que nous nous
acquittons des ombres.

Comme un oiseau qui bute contre le pare-brise, le plafond de verre,


mon cœur bat de l'aile dans le lit défait du ciel.

Dans l'orangeade, le nom de l'orange est si dégradé qu'on ne voit plus


que le soleil s'en répand à travers les barreaux pour élargir le ciel.
  
Si l'on pouvait mettre le soleil en bouteille, je me ferais Pierrot pour
l'encapsuler d'un clair de lune.
 
L'automne déménage les arbres de leur feuillage. Nous nous sommes
tant aimés, le ciel et moi, que je m'y suis couché.

L'humaine créature évolue entre deux chaises, entre l'immersion des sens et la représentation mentale.
Comme le notait l'ethnologue Claude Lévi-Strauss, il ne suffit pas que l'aliment soit bon à manger; encore
faut-il qu'il soit bon à penser. Ainsi louvoyons-nous entre le réel et le vrai, entre ce que nous vivons et ce
que nous en concevons.

Ainsi en est-il de ces « Photographies de Bretagne » où se love le poème. Recueil nostalgique, entre deux
départs et deux retours de Bretagne, plus voyage dans le temps que dans l'espace, retour sur une mythique
Brocéliande traversée de présences, où le gui se rappelle encore aux druides
"Quel autre habit que la rivière au repos d’une anse pour y glisser notre peau tels des poissons
dans l’eau ! Nous en soulevons des éclaboussures de rires. Nos corps allégés des sueurs semblent
y polir leur rive, la main faite pour empaumer le galet où se résout le silex de nos jours. 

Le soleil a pigmenté les feuillages et nos corps, jadis verts, ont foncé avec l’été. Nous habitons un
rêve où le ciel descend sur nous. La tête au ras de l’eau est tranchée de lumière, tandis que nous
nous armons de la patience du bonheur au profond des heures. 

Nulle eau ne peut nous dénier d’être. Le soleil nous est aussi léger que flocons aux épaules d’un
bonhomme de neige, créatures filées de chair aux courbures du courant, peignant le ciel aux cils
de l’eau. Nous sommes l’œil du peintre à son pinceau, peignés au fil des doigts où nous en
démêlons le flux.

Plus lourde est l’eau que la neige et la glace, plus charnelle d’être fluide, et pourtant, nous en
sommes allégés comme par l’onction d’une chimère. Nous nous approprions d’être au filet des
ondes, nés de la rivière dans l’irréversible détour des jours, méandres où notre peau louvoie avec
la nuit. Un visage y affleure comme d’un ancien rivage."

Ce temps ne commença pas.


Il précédait nos pas comme la saison anticipe la saison, revient sur elle-même dans une course
ininterrompue. Les arbres le savent, qui rapatrient leur sève au téton des feuilles noircies. Je ne
réponds pas de la sève car elle répond de moi.

Quelle voie sur la carte, sur le plan que j'ausculte, froisse et déplie au liseré du réel, où je
m'invente des parcours faussement prédictifs, car la route est un faux chemin où nous aveuglons
nos sens, quelle voie pouvait mener à cet arbre des temps où les fougères galopaient le printemps,
quelle passerelle emprunter par où renouveler l'éternité de l'enfance, quand les mains nouent les
coeurs avant même que les coeurs ne s'habillent de sexe et ne se voilent de raison ?

Si la mort est paronyme de l'amour, c'est que veille la tour dont l'enchanteur maintient l'horizon
pour lignes de nos mains. Les sentiers n'ont pas de fin, qui nous ramènent au présent éternel de
notre présence. Ils sont parcourus d'une nuée de fuseaux horaires où perdure des amants l'intem-
porelle fugue, tandis que vire autour d'eux, autour de deux, l'ombre des arbres où ils s'appuient,
tantôt sous le soleil, crayonnée de pluie, martelée de lune ou transfigurée d'étoiles, celle à jamais
où leur tendresse est née.

Chair de peau

« Est-elle limite ou contenu? Elle est tapis volant du corps et frôle un ciel aux constellations des
pores. Elle dégage une forêt, chante sous les doigts. Elle n'est pas de bois pourtant mais feuillage
aux aguets sur l'écorce des os. Elle est aubier extérieur, parasol et parapluie. La peau connaît la
montagne que la foi renverse. Elle est draperie de mémoire où les dormeurs s'enroulent, rêve dont
les frissons soliloquent. Elle sait les morts à la surface de la pierre et les mots sur les lèvres que
la langue délie. Elle est diapason des humeurs, et le prisonnier s'évade sur les noeuds qu'elle
tresse avec les draps du coeur.
Tantôt se lisse, se plisse, elle s'apparente à la toile derrière laquelle se tient le peintre. La peau de
l'autre est tendue aux yeux des cimaises. On dit que le bonheur est dans ses cordes. »

« La main se fait spirituelle dans le regard aigu du peintre.


Est-elle là pour caresser le crâne? Elle traverse la boîte d'os pour mieux fendre l'apparence. Elle
est l'oeil intime du peintre dont la colombe paraît le bénir. Une aura du tangible où s'estompe le
visible.
Le peintre peint la main qui peint. Elle est la peau du désir qui tente de saisir la toile, l'intangible
fait surface, la peau du fruit et celle de l'aile.
On pourrait en goûter le suc et, sur un visage, le paysage d'une âme. La peau faite femme et, sur
le bord des lèvres, comme une origine du monde où déborde l'onde.
La main est transmise.
S'il est un art de la peau, non comme textile mais tactile, c'est le grand art d'aimer.
La main cherche son double et veut former un couple. Elle est main de souche, gant de peau dont
les doigts volent. La main n'est pas de bois mais feuillages et ramages, sablier entre les doigts.
Sur les lignes de paume, elle est fontaine versée, baume apeuré au lit des veines. Elle se fait
phalanges aux nervures de l'alkékenge. Elle a essuyé les rires et les larmes, le grain du sommeil
où se métamorphose l'ivraie. Elle se souvient du sein qui berçait ses lèvres, d'arrondir le monde à
son hémisphère. La main n'est pas avare et son ombre chinoise chantourne un faune. Elle
remonte au coeur où fut donné le sang. »

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