Vous êtes sur la page 1sur 3

IMAGES DE LA MUSIQUE DE CINÉMA BLANCHARD GÉRARD, EDILIG,

1984, 331 P.

Odile Cortinovis

NecPlus | « Communication & langages »

2013/4 N° 178 | pages 224 à 225


ISSN 0336-1500
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2013-4-page-224.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour NecPlus.


© NecPlus. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
© NecPlus | Téléchargé le 08/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.1.225.156)

© NecPlus | Téléchargé le 08/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.1.225.156)


dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


224 LES LIVRES

de production d’une connaissance transmise. de soi : musique de montage et de mixage,


Remarque importante : Blanchard fait ainsi le lien incluant tout un travail et une réflexion sur la
entre le moment du développement du papier spatialisation du son, le dispositif sonore, elle est
et celui du linge de corps. Ce dernier, devenant éminemment cinématographique. On pourrait en
abondant et entrant dans la composition du revanche s’interroger a priori sur l’apport d’un
papier, en permet la production à moindre coût homme du texte et de l’image du texte. Certes,
et entraîne de ce fait la possibilité d’une dif- nous découvrons un Blanchard mélomane – qui
fusion plus grande d’impressions moins chères. fait montre ici d’un autre pan encore de son
Au titre des théories soulevées et défendues érudition –, mais c’est aussi avec son œil de
par Blanchard, il faut aussi souligner celle de sémiologue et typographe qu’il voit la musique de
l’invention de la « page » avant l’invention de la cinéma, comme ce qui anime et informe l’image
« lettre » : l’auteur impose dans son texte l’idée cinématographique.
que la structure de l’écrit précède l’arrivée d’un Blanchard, comme Chion notamment, considère
signe normé, stable et reproductible, ainsi déjà la musique de cinéma en tant que genre ou
cadré. L’écho avec les effets des outils numérisés « système spécifique » (p. 221) recouvrant la
contemporains est donc fort. bande-son dans son entier, ce qu’il rappelle en
Ainsi, à la surface des écrans des « machines conclusion : la musique de cinéma est un « mixte
à communiquer » (ordinateurs, tablettes, télé- (bruits, parole, musique) » (p. 322).
phones mobiles), les sites et les applications Il est aujourd’hui entendu qu’elle n’est pas, ou
présentent des agglomérats de petites formes n’est plus, seulement descriptive, redoublant ce
éditoriales, porteuses chacune d’un imaginaire que l’on voit à l’écran, ni un simple “habillage”
et d’une histoire particulière du rapport à l’écrit des images ; qu’elle ne se contente pas non
et à la médiation des connaissances : un cadre plus de “rythmer” ou “dramatiser” l’image en
permettant « l’embarquement » d’une photo rap- mouvement. Mais c’est à une approche assez
pelle nécessairement les logiques d’organisation singulière que Blanchard nous convie. « Ce qui
de l’album ou du portfolio. Quant au bas du est important dans l’image, c’est le son » :
cadre, lorsqu’un champ de formulaire se dessine c’est par cette affirmation volontairement provo-
à l’interface d’un back-office d’un outil en ligne de catrice, mais aussi programmatique, qu’il ouvre
management de contenu, il s’agit d’inscrire une Images de la musique de cinéma. « L’œil écoute »
légende, parfois étendue quand le cadre accepte (p. 10), rappelle-t-il citant Claudel, et la musique
de s’élargir, si sa programmation à l’écran l’a de cinéma, spécifiquement, est une musique
anticipé. Toutes ces infimes réglures aujourd’hui non seulement qu’on n’écoute pas mais qu’on
informatisées sont les héritières du cadre de la n’entend pas : « qu’on voit » (p. 28). Plus encore,
page et du rapport à l’espace délégué à l’écrit et elle a à voir, et pas seulement métaphoriquement,
à ses dessins. À défaut d’avoir envisagé dans sa avec les arts de la mémoire, en tant que véritable
thèse la totalité des desseins des industriels de « système d’images », comme l’écrit Blanchard
la télématique, Blanchard aura ainsi retracé les dans « Textes, images et lieux de mémoire », paru
en 1975 dans Communication & langages4 . De
© NecPlus | Téléchargé le 08/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.1.225.156)

© NecPlus | Téléchargé le 08/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.1.225.156)


destins de la lettre de son berceau aux prémisses
des premiers écrans de la télématique « à la même que les arts de la mémoire, la musique
française ». de cinéma contribue à fixer – ou « marquer »
– les lieux, les temps, à organiser des « points
VALÉRIE JEANNE-PERRIER d’impacts », à conduire « l’œil, d’une certaine
façon, d’un point à un autre »5 , mais aussi à tisser
des liens, entre les personnages et les scènes, et
IMAGES DE LA MUSIQUE DE CINÉMA à convoquer ce qui est absent de l’image car il y
a un “hors champ” de la musique de cinéma.
BLANCHARD Gérard, Edilig3 , 1984, 331 p. Là encore, Blanchard ne dit pas seulement que
la musique de cinéma posséderait un pouvoir
d’évocation analogue à celui des images, mais
Images de la musique de cinéma paraît la même
qu’elle est elle-même image, et en tant que telle
année que La voix au cinéma et un an avant Le
serait tout autant du côté de l’espace de la figu-
son au cinéma de Michel Chion, dans la lignée
ration que du temps de la narration : elle n’est pas
des travaux de Pierre Schaeffer, à un moment de
que « le véritable temps de l’image, elle est le lieu
« mutation sonore extraordinaire » (p. 10) ouverte
de l’image » (p. 19). Ce qui intéresse Blanchard
par la musique enregistrée, les possibilités de
mixage et de diffusion qu’elle permet. L’intérêt
des acteurs de l’électroacoustique et de la 4. Gérard Blanchard, « Textes, images et lieux
musique concrète pour le cinéma semble aller de mémoire », Communication & langages, 28,
1975, p. 45-69, publié de nouveau dans le n◦ 177
3. Maison d’édition de la Ligue française de (septembre 2013).
l’enseignement et de l’éducation permanente. 5. Ibid., p. 69.

communication & langages – n◦ 178 – Décembre 2013


LES LIVRES 225

est alors « comment la musique (appartenant au au sens jungien et « les images de la mémoire
temps) peut devenir [. . .] espace » (p. 31), avec retrouvent quelques-unes de ces grandes images
sa perspective, ses plans, ses couleurs (celles culturelles » (p. 289).
des sons), et un espace que l’on parcourt. Car La musique de cinéma est « musique d’images »
la musique de cinéma est aussi un véhicule des (p. 322), ou musique « à » images, comme
images (p. 65). Elle fonctionne comme un art de la le dit ailleurs Blanchard (p. 271), et « l’écran
mémoire, produit des images, donne un parcours ne fait que visualiser [. . .] le sonore » (ibid.).
de lecture, participe à l’effet de « circulation de Et c’est à dessein que Blanchard parle, non
sens » (p. 82, citant Michel Fano). de musique de « film », mais de musique de
On pourrait ici rappeler qu’il n’y a en effet pas « cinéma » : une musique dont la spécificité
de son sans espace, en tant qu’il nécessite un est d’exister en dehors du film comme musique
milieu de propagation, et que la portée du son cinématographique, musique « à images ».
délimite en même temps un territoire ; que le son Loin d’être réductrice, cette pensée “figurale” de
permet un « ancrage » des images (p. 73). Mais la musique de cinéma livre des « voies d’accès »
c’est aussi en tant que musique enregistrée que (p. 10) ouvrant à un ample parcours : de la voix
la musique de cinéma « a un rapport physique – et même du cri – à la musique en passant
avec l’image qui tient d’abord à la matérialité de par le bruit, du cinéma muet (qui a toujours été
son enregistrement et de son montage » (p. 29), parlant) à des œuvres « opératiques », d’une
le disque étant lui-même « une sorte d’imprimé » musique « plaquée », qui n’a pour fonction
(p. 41). que de redoubler ce que l’on voit à l’écran, à
Elle a une fonction de « marquage » : des lieux, « l’établissement de codes spécifiques aux sons
des temps, que ce soit le temps extérieur (his- cinématographiques » (p. 165), de la musique
torique) ou intérieur (psychologique), jusqu’au héritière du XIXe siècle et de ses « codes » à la
temps physiologique, celui dont les marques les bande-son.
plus simples sont celles du rythme du cœur, du On pourrait alors reprocher, inversement, à cette
souffle et du pas, et la forme musicale celle de approche d’être le prétexte à une exploration
la marche. Blanchard s’intéresse notamment au de l’ensemble de notre monde sonore (depuis
marquage des heures et plus particulièrement l’environnement utérin), qui dépasse l’ ”espace”
au nocturne, à la fois temps (heure), « temps de la musique de cinéma, à moins d’y entendre
psychologique » (p. 274) et forme musicale, une invitation à explorer les « résonances »
créant « des atmosphères » et se prêtant, (p. 10) des images sonores de la musique de
comme la marche, à toute une gamme de cinéma.
connotations. Il y a, surtout, une grande cohérence entre
Certes, de même que l’on peut considérer, en ce l’objet et la forme de cet essai de Blanchard :
sens, certaines musiques du XIXe siècle comme mixe d’analyses, descriptions (de scènes, de
déjà « cinématographiques » – et Blanchard musiques), citations, entrecoupées de définitions
pense plus particulièrement à Berlioz –, il faut et ponctuées de courts aphorismes qui sont
© NecPlus | Téléchargé le 08/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.1.225.156)

© NecPlus | Téléchargé le 08/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.1.225.156)


reconnaître qu’une grande part de la musique comme des variations de l’assertion initiale –
de cinéma reste liée à des habitudes d’écoute « Ce qui est important dans l’image, c’est le
du XIXe siècle, donc exploite des clichés son » –, il est construit comme une pièce
(analogiques) ; ainsi du « violoncelle méditatif » d’électro-acoustique, ou comme une bande-son.
(p. 239) ou de la clarinette qui « chante la nuit » Les signes qui tout au long de l’ouvrage in-
(p. 240). Mais selon Blanchard, c’est « en partie diquent et annoncent la nature de l’objet du
grâce à ce système répertoriable de clichés discours empruntent eux-mêmes à la technique
que la musique de cinéma peut être envisagée audio-visuelle : le film  (lecture), le lexique
comme image de l’art de la mémoire » (ibid.).  (pause), le disque  (enregistrement). Blan-
Comme tout art de la mémoire, elle produit des chard l’envisage d’ailleurs comme une création
images « actives », ce qui explique son intérêt sonore faisant « entendre leurs voix [celles des
particulier pour Bachelard et ses « images à musiciens, cinéastes, théoriciens du son, etc.]
rêver » (p. 293). Et il ne s’agit pas seulement dans un fabuleux dialogue » (p. 10), à l’image
des « connotations culturelles » (p. 226) at- de la musique électroacoustique, musique “col-
tachées à certaines musiques, classiques ou lage” faite de citations, mixes, montages. Plus
folkloriques, mais d’images « inconscientes » exactement, Blanchard réalise avec Images de
(p. 295), primordiales, avec lesquelles la musique la musique de cinéma une véritable œuvre
de film entretient selon Blanchard des « rapports « audio-scripto-visuelle » dont nous pourrions
étroits » (ibid.). Car il ne considère pas que la dire – au risque peut-être de forcer l’analogie –
musique classique, folklorique ou « indicielle » qu’elle est aussi un théâtre de la mémoire.
(préfabriquée) mais les sons, bruits, rythmes,
« tonalités, signaux et empreintes sonores », ODILE CORTINOVIS
pour reprendre R. Murray Schafer (p. 295).
« Revigoré », le cliché rejoint alors l’archétype

communication & langages – n◦ 178 – Décembre 2013

Vous aimerez peut-être aussi