Vous êtes sur la page 1sur 2

A C T U A L I T É D E L A R E C H E R C H E C NR S I NFO • N ° 389

JANVIER 2001

LES JEUNES ET LA POLITIQUE : AUTANT MAIS AUTREMENT


Sociologue au Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF, CNRS-Fondation
nationale des sciences politiques), Anne Muxel démontre, dans son nouvel ouvrage * Référence :
L’expérience politique
L’expérience politique des jeunes*, comment ces derniers entretiennent avec des jeunes, Anne Muxel,
la politique un lien construit entre héritage et expérimentation. Si leur intérêt pour Presses de Sciences Po,
ce domaine est bien réel, la forme de leur engagement, elle, a changé, tout comme le janvier 2001, 190 p.
contexte même de l’action politique. Une analyse qui bouscule nombre d’idées reçues. 118 F ou 17,98 Euros.

Non, les jeunes ne sont pas dépolitisés ! Loin s’en faut. Plus informés, ils sont plus critiques
et exigeants que leurs aînés à l’égard des politiques, n’ont pas remisé leurs illusions, et leur expé-
rience dans ce domaine se révèle plutôt riche, voire pleine de promesses pour l’avenir.
Les sirènes alarmistes qui retentissent dès qu’est abordée la question du rapport des jeunes à
la politique peuvent donc se mettre en sourdine.
En France, en effet, l’implication de ces derniers dans la vie de la cité et leur participation
électorale - ou plutôt sa faiblesse - reviennent régulièrement dans les débats. Elles sont même
au cœur de maints programmes d’action. Ainsi, des conseils municipaux de jeunes ont-ils
été créés afin de faciliter leur apprentissage de la démocratie ou encore la réforme des lycées
réintroduit-elle l’éducation civique. En fait, les jeunes sont, aujourd’hui, à la fois intéressés et
désintéressés par la politique… comme bon nombre de citoyens. Et pour comprendre le lien
qui les y unit, il faut saisir comment s’effectue le travail de recomposition des normes et valeurs
inhérent à nos sociétés complexes, à travers lequel prend forme la socialisation des indi-
vidus. La jeunesse étant, en outre, confrontée à un double impératif : s’identifier à ses aînés
et innover, c’est via la tension entre héritage et expérimentation que se construit son rapport à
la politique.
Les jeunes rencontrent la politique dans un contexte assez différent de celui de leurs parents,
car le système de repérage, les grands clivages idéologiques, sont désormais en partie brouillés.
Ainsi, notamment, les oppositions gauche-droite ou socialisme-libéralisme économique ne
sont-elles plus aussi évidentes. De même, la mondialisation modifie la perception de l’utilité
de l’action collective dans le cadre purement national. La question sociale - prégnance du chô-
mage et des exclusions oblige - n’a par ailleurs jamais été aussi présente dans la formation des
enjeux politiques et partisans. Autant d’évolutions qui ne pouvaient qu’influer sur les compor-
tements électoraux de nos concitoyens.
Contrairement aux années 60 et 70, le vote des jeunes - dont seule une minorité se rend
aux urnes - ne se démarque guère de celui de leurs aînés. Il n’est plus traversé ni par le désir
de changer radicalement la société ni par des visées anticonformistes. Ce vote porte la marque
des effets de l’alternance, suit globalement les récents changements de camp politique, et s’est
peu à peu rallié aux choix de l’ensemble du corps électoral. S’ils renvoient dos à dos la gauche
et la droite, les jeunes identifient, en revanche, les extrêmes comme étant les seules forces
politiques à partir desquelles se structure le débat. En dehors de ces extrêmes, dont il convient
certes de se protéger, les partis sont peu différenciés. Si le vote Front national a concerné
une forte proportion de jeunes dans les années 90 (18 % lors de la présidentielle de 1995),
leur origine sociale et leur niveau de formation ont un fort impact. Ainsi, en 1995, chez les non-
bacheliers, le score de Jean-Marie Le Pen atteint 24 % ; chez ceux qui poursuivent des études
supérieures, il descend à 4 %. Cette différenciation s’explique par le sentiment d’une certaine
précarité et par la menace de l’exclusion sociale qui favorisent un vote protestataire et popu-
liste parmi les jeunes des milieux populaires.
Mais même s’ils maintiennent une distance, voire nourrissent une certaine méfiance, envers
les hommes et les institutions liés à la politique, les jeunes sont loin d’en déserter la scène.
Bien au contraire, leur activisme est réel et ils sont très mobilisés. Ici, ils s’impliquent dans
la défense des droits de l’Homme, là, ils prennent la tête de mouvements de revendication liés
à l’éducation ou à la formation. Ils sont d’ailleurs plus nombreux aujourd’hui qu’à la fin des
années 80, et autant que l’ensemble de la population, à déclarer s’intéresser à la politique.

3
A C T U A L I T É D E L A R E C H E R C H E CNRS INFO • N° 389

JANVIER 2001

Ce qui a donc changé, c’est d’abord le contenu de leur engagement, mais aussi le contexte
de désinstitutionnalisation de l’action politique dans lequel ils expérimentent la mobilisation
collective. Leurs aînés, en effet, tout en s’orientant également vers des formes autonomes et
spontanées de revendication, conservent, eux, la mémoire des modes d’action traditionnels.
Aussi la socialisation politique des jeunes est-elle plus expérimentale et suppose-t-elle un mode
de participation plus axé sur des actions ponctuelles et ciblées. Les jeunes veulent en fait récon-
cilier terrain des idées et action, aspirent à un retour de l’éthique politique, et prônent l’enga-
Contact chercheur :
gement, la vérité et l’humanité. Anne MUXEL,
En résumé, quatre clés permettent de mieux appréhender les contours de l’expérience poli- CEVIPOF,
CNRS-FNSP,
tique pendant la jeunesse : l’influence toujours dominante mais non dénuée d’ambivalence mél : muxel@msh-paris.fr
de la famille - les conditions de la filiation politique ont une incidence directe sur les choix
des jeunes comme sur leur stabilité dans le temps ; la dissociation de l’univers de la décision Contact département
des Sciences de l’homme
électorale des autres formes d’implication politique des jeunes ; les effets du temps lui-même et de la société du CNRS :
sur la constitution de l’expérience politique - notamment, le temps met à l’épreuve la durabilité Annick TERNIER,
des premiers choix et l’infidélité partisane ou électorale est plutôt la règle ; enfin, la recom- tél. : 01 44 96 43 10
mél : annick.ternier@
position des attentes politiques des jeunes. Et c’est là que bien des images convenues sont cnrs-dir.fr
renversées. Les jeunes ne développent pas un rapport indifférencié à la politique. Les années
de jeunesse ne constituent pas un bloc d’expériences unifié et continu. S’ils votent moins que Contact éditeur :
Christelle MICHEL-FLANDIN,
leurs aînés, les jeunes sont pleinement concernés. S’ils peuvent être en retrait du jeu électoral, Presses de Sciences Po,
ils peuvent être aussi des acteurs, au premier rang de la mobilisation collective. tél. : 01 44 39 39 70

• Anne Muxel est chargée de recherche au CNRS. Sociologue au Centre d’études de la vie
politique française (CEVIPOF), elle travaille sur la formation des attitudes et des choix politiques,
sur la transmission intergénérationnelle des valeurs ainsi que sur le comportement électoral et
les modes d’expression politique. AprèsLes Jeunes et la politique (Hachette, 1996) et Individu
et mémoire familiale (Nathan, 1996), Anne Muxel publie L’expérience politique des jeunes
(Presses de Sciences Po, 2001).

Vous aimerez peut-être aussi