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DERRIDA ET LA QUESTION DE LA PRÉSENCE : UNE RELECTURE DE LA

VOIX ET LE PHÉNOMÈNE

Françoise Dastur

Presses Universitaires de France | « Revue de métaphysique et de morale »

2007/1 n° 53 | pages 5 à 20
ISSN 0035-1571
ISBN 9782130561842
DOI 10.3917/rmm.071.0005
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Dossier : f20593 Fichier : Meta01-07 Date : 11/6/2007 Heure : 15 : 20 Page : 5

Derrida et la question de la présence :


une relecture de
La Voix et le phénomène

RÉSUMÉ. — On a souvent considéré que la partie la plus importante de l’œuvre de


Derrida résidait dans les cinq livres publiés entre 1967 et 1972. On se propose ici, à
travers une relecture du texte le plus décisif de cette période, La Voix et le phénomène,
de mettre en lumière la manière propre à Derrida d’unir la question de la disruption de
la présence à celle de l’écriture. Ce qui est par conséquent interrogé est l’accent mis
par Derrida sur la mort, considérée comme la condition même de possibilité du langage
et de l’écriture. Comme Derrida le montre à bon droit, Husserl, en dépit de l’importance
qu’il confère à l’écriture dans le processus d’idéalisation, n’a pas pris conscience du
fait que le rapport à la mort constitue la structure concrète du présent vivant. Mais,
d’un autre côté, en opposant d’une manière trop dualiste la présence et l’absence, la
vie et la mort, Derrida ne s’est pas lui-même montré capable de voir que la condition
du langage n’est pas tant la mort du sujet que l’être-pour-la-mort et la finitude du
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Dasein.

ABSTRACT. — It has often been considered that the most important part of Derrida’s
work consisted in the five books published between 1967 and 1972. This paper intends,
by way of a re-reading of Derrida’s most powerful text from this period, Speech and
Phenomenon, to bring to light Derrida’s specific manner to unite the question of the
disruption of presence to the question of writing. What is therefore questioned is Der-
rida’s emphasis on death, considered as the very condition of possibility of langage and
writing. As Derrida rightfully shows, Husserl, in spite of the importance he confered to
writing in the process of idealization, was not aware of the fact that the relationship to
death constitutes the concrete structure of the living present. But on the other hand, by
still opposing in a too dualistic manner presence and absence, life and death, Derrida
himself was not able to see that the condition of langage is not so much the death of the
subject as the being toward death and the finitude of Dasein.

On a souvent considéré que la partie la plus importante de l’œuvre de Derrida


a consisté dans les cinq premiers livres qu’il a publiés entre 1967 et 1972,
période durant laquelle Derrida devint soudainement un philosophe célèbre, et
en un sens plus célèbre encore aux États-Unis qu’en France, en particulier à la
suite de la conférence qu’il donna en 1966 à Baltimore sur « La structure, le

Revue de Métaphysique et de Morale, No 1/2007


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signe et le jeu dans le discours des sciences humaines » 1. Il est vrai que durant
les années suivant la publication en 1962 de son introduction à L’Origine de la
géométrie de Husserl, Derrida a développé dans un laps de temps extrêmement
court ce qu’on pourrait considérer comme le fondement de ce qui se nommera
par la suite « déconstruction ». Au cours de la seule année 1967, il publia non
seulement L’Écriture et la différence, un recueil d’articles rédigés entre 1959
et 1966, mais aussi les deux parties de De la grammatologie, qui furent écrites
en 1965 et 1966, et son célèbre essai La Voix et le phénomène, probablement
rédigé durant la même période et immédiatement suivi de deux essais plus
courts, qui seront repris en 1972 dans Marges de la philosophie : « La diffé-
rance », texte d’une conférence faite devant la Société française de philosophie
le 27 janvier 1968 2 et « Ousia et Grammè », texte publié en 1968 dans L’Endu-
rance de la pensée, recueil dédié à Jean Beaufret 3, qui avait enseigné à l’École
normale au cours des années pendant lesquelles Derrida y était étudiant.
Sans revenir sur les étapes de son interprétation de la phénoménologie hus-
serlienne de 1954 à 1967 4, ni sur la question du rapport entre Heidegger et
Derrida au sujet du jeu et de la différence 5, on se propose simplement ici de
s’interroger sur les deux thèmes fondamentaux de pensée que Derrida a trouvés
chez Husserl et qui constituent la base de son projet de déconstruction du
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logocentrisme et du phonocentrisme.

***

Le premier de ces thèmes se trouve dans L’Origine de la géométrie, là où


Husserl, après avoir affirmé l’indépendance de l’objectivité idéale à l’égard de
son expression linguistique, montre, dans un renversement soudain, que non
seulement l’incarnation linguistique, mais l’écriture elle-même sont le médium
indispensable de la constitution de la vérité et des objets idéaux 6. L’écriture a
toujours été considérée comme ce qui donne une certaine permanence à ce qui

1. Cf. J. DERRIDA, L’Écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, pp. 409-428.


2. D’abord publié dans le Bulletin de la Société française de philosophie, vol. LXII, no 3,
juillet-septembre 1968, et repris dans Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, pp. 1-29.
3. Cf. L’Endurance de la pensée. Pour saluer Jean Beaufret, Paris, Plon, 1968, pp. 219-259.
Repris dans Marges de la philosophie, op. cit., pp. 31-78.
4. Cf. F. DASTUR, « Finitude et répétition chez Husserl et Derrida », in Alter, Revue de Phéno-
ménologie, no 8, « Derrida et la phénoménologie », 2000, pp. 33-51.
5. Cf. F. DASTUR, « Heidegger and Derrida : On play and difference », in Epoché, A Journal for
the History of Philosophy, Brigham Young University, 1996, pp. 1-23. Une nouvelle version fran-
çaise de ce texte paraîtra sous le titre « Heidegger, Derrida et la question de la différence » dans
les actes du colloque « Derrida et la tradition de la philosophie » qui eut lieu à l’ENS de la rue
d’Ulm en octobre 2005.
6. Cf. E. HUSSERL, L’Origine de la géométrie, traduction et introduction de J. Derrida, Paris,
PUF, 1962, p. 83. Noté par la suite OG.
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Derrida et la question de la présence 7

est dit, et, de la même manière, Husserl voit en elle ce qui confère aux idéalités
un être perpétuel. Mais, comme Derrida le souligne bien, un tel être perpétuel,
qui n’a rien à voir avec une infinité actuelle, n’est que la forme pure de l’itération
infinie (OG, p. 48), de sorte que l’ouverture à l’infinité qui prend place dans
l’histoire humaine sous la forme de la géométrie, c’est-à-dire de la philosophie
– qui n’est rien d’autre pour Husserl que la capacité de neutraliser la facticité
empirique –, n’est nullement l’ouverture à un royaume anhistorique d’entités
éternelles, mais au contraire à ce que Derrida nomme, à l’aide d’une expression
empruntée à un manuscrit de Husserl, une « histoire transcendantale », l’histoire
paradoxale de ce qui demeure identique et peut être indéfiniment répété.
Ce renversement soudain de Husserl constitue le principal intérêt de ce court
manuscrit, comme Merleau-Ponty fut le premier à le souligner, en particulier
dans son cours de 1959-1960 7, mais pour Merleau-Ponty, s’il y a bien là un
« geste décisif » (OG, p. 83), il continue à prendre place à l’intérieur du langage,
dans la mesure où l’apparition de l’écriture n’est rien d’autre qu’une « mutation
essentielle du langage » 8, alors que Derrida considérera plus tard le même
« geste » comme la base de sa propre inversion de la relation entre parole et
écriture. Cela impliquera une rupture avec Husserl aussi bien qu’avec la phé-
noménologie, car, comme il le soulignera dans La Voix et le phénomène, l’écri-
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ture est encore pour Husserl un mode de la parole, ce qui veut dire qu’il demeure
prisonnier du « phonocentrisme traditionnel de la métaphysique » dans la
mesure où l’écriture étant pour lui exclusivement une écriture phonétique, elle
permet à tout moment la réactivation de la parole dans l’écriture, de l’expression
dans l’indication 9.
Ceci nous conduit au second thème de pensée découvert dans la phénomé-
nologie de Husserl qui amènera Derrida sur le chemin d’une grammatologie, à
savoir l’analyse du soliloque qui prend place dans la première Recherche logique
à la lecture de laquelle Derrida dédiera son célèbre essai de 1967 – un essai
qui, en dépit de tous les commentaires qu’il a suscités dans le monde, n’a
peut-être pas encore été réellement lu, c’est-à-dire interrogé et discuté. Mais,
bien qu’il constitue une œuvre tout à fait originale, il est cependant nécessaire
de le replacer dans son contexte spécifique, Derrida ayant toujours été très
perméable aux influences extérieures. Il nous faut donc brièvement rappeler que
cette période qui a vu le développement du structuralisme en France a été
marquée par l’intérêt porté par les philosophes à la linguistique, et en particulier

7. M. MERLEAU-PONTY en donne un premier commentaire dans son cours du collège de France


intitulé « Husserl aux limites de la phénoménologie » (cf. Résumés de cours, Paris, Gallimard, 1968,
pp. 157 sq.).
8. M. MERLEAU-PONTY, Résumés de cours, op. cit., p. 166.
9. J. DERRIDA, La Voix et le phénomène, Paris, PUF, 1967, pp. 90-91. Noté par la suite VP.
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au Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure, qui avait été publié


en 1916, mais qui fut redécouvert par Claude Lévi-Strauss, Maurice Merleau-
Ponty et Roland Barthes au cours des années 1950. C’est ce qui explique que le
problème du signe soit également l’objet de l’enquête derridienne en 1966, une
enquête qui va dans deux directions différentes : dans une direction proprement
philosophique, avec La Voix et le phénomène, dont le sous-titre est précisément
« Introduction au problème du signe dans la phénoménologie de Husserl », et
dans une direction scientifique et anthropologique, avec la première partie de De
la grammatologie, qui est le développement d’un essai consacré au commentaire
de trois livres traitant du problème historique de l’origine de l’écriture 10.
Étant donné les limites de cet article, la préférence sera plutôt donnée dans
ce qui suit à la direction philosophique et phénoménologique de l’enquête
derridienne.
Dans La Voix et le phénomène, Derrida tentait d’expliquer pourquoi Husserl,
qui a constamment affirmé que les objets idéaux ne peuvent être trouvés que
dans des énoncés et que non seulement le langage parlé, mais aussi l’écriture
étaient requis pour leur constitution, a considéré dans la première Recherche
logique que, dans le soliloque, dans le discours intérieur, nous ne faisons usage
d’aucun langage de fait, dans la mesure où nous ne sommes pas situés dans
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l’espace de l’indication et de la communication, mais dans celui de l’expression
pure, expression signifiant ici proximité immédiate de la pleine présence du
signifié. Dans le soliloque, je ne me parle pas à moi-même de la même façon
que je le fais avec les autres, je ne m’indique rien à moi-même, parce qu’il n’y
en a alors nul besoin, et cette inutilité de la communication intérieure provient,
comme le dit Derrida, de « la non-altérité, la non-différence dans l’identité de
la présence comme présence à soi » (VP, p. 65).
Mais nous ne pouvons évidemment pas trouver chez le penseur du « présent
vivant » l’idée d’une simple identité à soi du présent identifié au maintenant, et
comme Derrida l’explique, la présence du présent perçu « compose continûment
avec une non-présence et une non-perception », c’est-à-dire avec la rétention et
la protention (VP, p. 72). Cela signifie par conséquent qu’il y a bien une altérité
dans la présence à soi du sujet, altérité qui est la condition même de la présence
et de la présentation, dans la mesure où seule une conscience non instantanée
peut être conscience de quelque chose d’autre qu’elle-même. Il est donc possible
de tomber d’accord avec Derrida lorsqu’il dit que cette relation à la non-présence
dans le présent vivant « détruit toute possibilité d’identité à soi dans la simpli-
cité » (VP, p. 73), mais cela ne signifie pourtant pas qu’il n’y ait plus de

10. Cf. J. DERRIDA, De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967, Avertissement, p. 7, note 1. Noté
par la suite DG.
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différence entre la rétention et la représentation, le souvenir primaire et le


souvenir secondaire, et que la représentativité du signe et de l’indication puisse
déjà se trouver dans la relation à soi du sujet. Il y a bien en vérité un « abîme »
qui sépare la rétention et la représentation, dans la mesure où la conscience a
besoin, afin de re-présenter quelque chose, d’être déjà constituée, ce qui n’est
possible que sur la base de la rétention, la rétention étant quelque chose d’essen-
tiellement différent de la répétition du passé immédiat.
Comme Merleau-Ponty le montre dans son analyse de la phénoménologie
husserlienne de la conscience intime du temps, il n’y a pas d’instants discrets
qui « sont successivement », comme nous pourrions l’imaginer à la vue du
diagramme du temps que trace Husserl, mais ils « se différencient l’un de
l’autre » de sorte qu’« il y a là, non pas une multiplicité des phénomènes liés,
mais un seul phénomène d’écoulement » 11. En d’autres termes, le « mystère »
du temps provient de son essentielle continuité, qui doit être pensée comme un
processus de différenciation, comme « un éclatement, une désintégration »,
« une fuite générale hors du Soi » ou « comme dit Heidegger, une “ek-stase” » 12.
Il ne semble donc pas possible, comme le fait Derrida, de chercher la « racine
commune » de la rétention et de la représentation « dans la possibilité de la
ré-pétition sous sa forme la plus générale, la trace au sens le plus universel »
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(VP, p. 75). Le mot « trace » apparaît ici sans autre explication, mais dans De
la grammatologie, où le mot est souvent utilisé et constitue le concept central,
Derrida indique que le choix de ce terme lui a été imposé par des discours
contemporains. Pourtant le premier nom qu’il mentionne, et qui est de loin le
plus important, est celui de Lévinas, avant ceux de Nietzsche et Freud (DG,
pp. 102-103). Certes, Derrida précise que cette notion est prise ici, par-delà
Lévinas, dans une intention heideggérienne, afin d’ébranler ce qu’il nomme
alors la « métaphysique de la présence ». C’est néanmoins la signification lévi-
nassienne de la trace qui demeure la base de la notion proprement derridienne
de trace, qui est définie comme étant marquée « par le rapport à l’autre » (DG,
p. 69) et comme « retenant l’autre comme autre dans le même » comme le fait
la rétention (DG, p. 92).
Par opposition à Merleau-Ponty, qui montre comment Husserl transforme la
« ligne » du temps en un « réseau d’intentionnalités » 13, et qui fait une claire
distinction entre les « synthèses d’identification » que requiert le souvenir secon-
daire et les « synthèses de transition » qui constituent la rétention en tant que
telle 14, Derrida considère que la « dialectique » husserlienne de la rétention et

11. M. MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, p. 479.


12. Ibid., pp. 479-480.
13. Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 477.
14. Ibid., pp. 478 et 480.
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de la protention ne fait que « compliquer la structure du temps tout en lui


conservant son homogénéité et sa successivité fondamentales », de sorte que
Husserl en reste à un modèle linéaire du temps (DG, pp. 97-98). Dans ce chapitre
de la Phénoménologie de la perception consacré à la temporalité, Merleau-Ponty
tente d’unir, peut-être de manière trop rapide, les conceptions husserlienne et
heideggérienne du temps en mettant l’accent sur le fait qu’« il n’est pas besoin
d’une synthèse qui réunisse du dehors les tempora en un seul temps » 15. Derrida
voudrait plutôt pour sa part opposer ces deux conceptions et, du moins dans De
la grammatologie, il identifie la conception linéaire du temps qui, selon lui,
commande encore la phénoménologie husserlienne de la conscience intime du
temps au « concept vulgaire du temps » (DG, p. 105). Il est en fait tout à fait
possible de penser que l’analyse husserlienne de la temporalité en tant qu’elle
est fondée sur l’expérience musicale ne représente qu’une re-construction arti-
ficielle de l’expérience proprement temporelle ou, comme le dit Gérard Granel,
« une maquette ontique de la vérité ontologique » 16. Mais ce qui doit être
questionné dans l’analyse husserlienne n’est nullement sa thèse de la continuité
fondamentale du temps, mais plutôt le fait qu’il tente de donner une représen-
tation de ce qui se retire de manière essentielle, à savoir cette transition elle-
même qu’est le temps. Husserl était en effet pleinement conscient du fait que,
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pour décrire la temporalité, « les noms nous font défaut », de sorte que seules
des métaphores, c’est-à-dire des modèles ontiques, peuvent être utilisés dans ce
cas 17.
La question est alors : est-il possible de considérer, comme le veut Derrida,
la rétention et la représentation comme « deux modifications de la non-percep-
tion » (VP, p. 73) sans présupposer une discontinuité générale du temps ? En
disant que la rétention est perception et que le souvenir secondaire est repré-
sentation, à savoir présentation seconde du passé, Husserl veut dire qu’il y a
une fusion du passé et du présent dans la rétention qui ne permet aucune distance
entre eux. Comme il l’explique, la rétention n’est pas une représentation, parce
que c’est un processus qui consiste en une sorte plus originelle de l’intention-
nalité que l’intentionnalité représentative, une « fungierende Intentionalität »,
une intentionnalité opérante, qui opère longitudinalement et est le fondement

15. Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 481.


16. Cf. G. GRANEL, Le Sens du temps et de la perception chez E. Husserl, Paris, Gallimard,
1968, p. 112. Rappelons ici que Gérard Granel et Jacques Derrida firent leurs études en même
temps à l’École normale de la rue d’Ulm et qu’ils étaient à cette époque des amis proches. Granel
a écrit un des tout premiers textes consacrés à Derrida qui fut publié dans Critique en 1967, de
sorte qu’il est fort probable que de son côté aussi, Derrida ait eu connaissance des recherches que
Granel consacrait à Husserl en cette même période.
17. Cf. E. HUSSERL, Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, Paris,
PUF, 1954, § 36, p. 99.
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Derrida et la question de la présence 11

de la conscience elle-même 18. Une telle intentionnalité est « consciente » au


sens où elle appartient à la conscience, mais elle n’est pas objective. C’est la
raison pour laquelle Husserl déclare que la « rétention d’un contenu inconscient
est impossible », car tout contenu étant en lui-même déjà « originairement
conscient » (urbewusst), il serait dépourvu de sens de supposer qu’il devienne
conscient seulement par la suite 19. Derrida cite ce passage 20 afin de montrer
que la phénoménologie rejette « l’“après-coup” du devenir conscient d’un
“contenu inconscient”, c’est-à-dire la structure de la temporalité impliquée par
tous les textes de Freud » (VP, p. 71). Le nom de Freud apparaît ici de manière
soudaine, mais Derrida renvoie en note à son texte « Freud et la scène de
l’écriture », d’abord publié en 1966 dans Tel Quel et repris en 1967 dans L’Écri-
ture et la différence. Dans ce texte, afin d’expliquer la Nachträglichkeit freu-
dienne, Derrida fait usage du concept de « retard originaire » dont il rappelle
en note qu’il s’est « imposé » à lui dans sa lecture de L’Origine de la géométrie
de Husserl (ED, p. 302).
Si nous revenons alors à l’introduction de 1962, nous trouvons dans les
dernières pages, où apparaît de manière explicite le motif de la différence,
l’énoncé suivant : « Que le retard soit la destinée de la Pensée elle-même comme
Discours, seule une phénoménologie peut le dire et faire affleurer en une phi-
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losophie » (OG, p. 170). Dans les premières pages de ce texte, il déclarait que
ce retard n’est thématisé par la phénoménologie que dans la mesure où la
réduction, la méthode de la phénoménologie, « a besoin, comme de son point
de départ, du résultat constitué qu’elle neutralise » (OG, p. 20). Derrida a trouvé
chez Husserl lui-même l’idée d’une « complication originaire de l’origine » 21 :
à savoir le fait que le sens originaire ne peut être déchiffré que de manière
rétroactive dans le produit final d’un développement historique (OG, p. 170).
Il reconnaît donc qu’il y a une « authenticité du retard et de la limitation
phénoménologiques » et en conclut que « la Réduction n’est que la pensée pure
de ce retard, la pensée pure en tant qu’elle prend conscience de soi comme
retard en une philosophie » (ibid.), une philosophie qui n’est rien d’autre que
la ré-pétition, dans le discours, de l’originaire.

***

18. Ibid., § 39, p. 107.


19. E. HUSSERL, Zur Phänomenologie des inneren Zeitbewusstseins, Den Haag, Nijhoff, 1966,
Beilage IX, p. 119 ; trad. fr. pp. 160-161.
20. Derrida reproduit ici une erreur de lecture du traducteur, Henri Dussort, qui a transformé
l’adjectif « urbewusst » en « unbewusst. »
21. C’est l’expression de Derrida lui-même dans l’Avertissement au texte de son mémoire de
maîtrise de 1954, Le Problème de la genèse dans la philosophie de Husserl, Paris, PUF, 1990, p. VI.
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12 Françoise Dastur

Que se passa-t-il donc entre 1962 et 1967 qui pourrait expliquer que la phéno-
ménologie est maintenant considérée comme incapable de penser le retard origi-
naire et doit par conséquent être intégrée à la « métaphysique de la présence » ?
Non pas seulement la lecture de Freud et la reconnaissance de la psychanalyse en
tant que science qui, tout comme la linguistique, n’est plus « dominée par les
questions d’une phénoménologie transcendantale ou d’une ontologie fondamen-
tale » (DG, p. 35), de sorte qu’elle peut être considérée comme ayant un « sens
archontique » dans la mesure où elle traite de la constitution et de la valeur des
objets de manière non théorique et formelle (DG, p. 132). Car Derrida n’a jamais
accepté les dogmes de la métapsychologie freudienne et a toujours mis en ques-
tion la notion même d’inconscient sans jamais néanmoins la laisser complète-
ment de côté, mais plutôt en essayant de la comprendre de manière non métaphy-
sique 22. Comme il l’explique dans « La différance », Freud a donné le nom
d’inconscient à une altérité qui ne peut jamais être présentée comme telle et
considérée comme « une conscience virtuelle ou masquée », de sorte que « le
discours métaphysique de la phénoménologie est inadéquat » pour décrire « cette
altérité radicale par rapport à tout mode possible de présence » 23. La phénomé-
nologie est un discours métaphysique à ses yeux parce qu’elle comprend le
processus temporel comme une unité et une continuité alors qu’avec l’altérité de
l’inconscient nous avons affaire à « un “passé” qui n’a jamais été présent » 24,
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expression qui est explicitement empruntée ici à Lévinas, qui dans « La trace de
l’Autre » explique que la face de l’Autre est « un passé immémorial », « un passé
absolu qui réunit tous les temps » 25.
Comme Derrida le rappelle dans un texte dédié à Ricœur quelques mois avant
sa mort, ce fut à l’occasion d’une visite chez Ricœur en 1961 qu’il entendit ce
dernier parler avec enthousiasme de Totalité et infini, la thèse de Lévinas qui
allait bientôt être soutenue et que Ricœur, qui faisait partie du jury, était en
train de lire. C’est ainsi, explique Derrida, que, dès le livre publié, il se plongea
dans sa lecture 26. Dans l’essai, au demeurant fort critique, qu’il lui consacra

22. Voir par exemple ce qu’il en dit dans J. DERRIDA/É. ROUDINESCO, De quoi demain…, Paris,
Flammarion, 2003, pp. 279-280.
23. J. DERRIDA, Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, p. 21.
24. Ibid., p. 22.
25. E. LÉVINAS, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1967, pp. 198
et 201. En fait l’expression « un passé originel, un passé qui n’a jamais été présent » peut déjà être
trouvée sous la plume de Merleau-Ponty (Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 280) en
relation non pas à l’autre, mais au fonds irréfléchi toujours présupposé par la réflexion. Lévinas
emploie l’expression de « passé irréductible à un présent qu’il eût été » dans un texte beaucoup
plus tardif, « Diachronie et représentation » (Entre nous. Essai sur le penser à l’autre, Paris, Grasset,
1991, p. 41).
26. Cf. J. DERRIDA, « La parole », Ricœur, Paris, L’Herne, 2004, pp. 21-22. Ce fut en 1961, et
non comme l’écrit Derrida en 1962, que Totalité et infini fut publié.
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Derrida et la question de la présence 13

dans les mois qui suivirent et qui fut publié en 1964 sous le titre « Violence et
métaphysique », Derrida désirait apparemment encore défendre Husserl contre
Lévinas en affirmant que « la notion d’un passé dont le sens ne pourrait être
pensé dans la forme d’un présent (passé) marque l’impossible-impensable-indi-
cible non seulement pour une philosophie en général, mais même pour une
pensée de l’être qui voudrait faire un pas hors de la philosophie » (EC, p. 194) 27.
Il insistait en effet sur la nécessité de comprendre l’absolue identité du « présent
vivant » comme « identité à soi de la non-identité à soi » et tentait de montrer
que la cinquième Méditation cartésienne pouvait résister à la critique lévinas-
sienne en rappelant que la question de l’antériorité en rapport à la constitution
de l’altérité propre et de l’altérité de l’autre était « une fausse question » (Ibid.).
Mais en 1967, dans La Voix et le phénomène, il se situe lui-même non plus à
l’intérieur de la phénoménologie et de la philosophie, mais à leurs « marges »,
dans une proximité à la fois avec l’« hétérologie » lévinassienne et la « Des-
truktion » heideggérienne de l’onto-théologie. Il reconnaît qu’« il n’y a d’ail-
leurs aucune objection possible, à l’intérieur de la philosophie, à l’égard du
privilège du maintenant-présent » qui « définit l’élément même de la pensée
philosophique » et oppose la « philosophie de la présence » à ce qu’il tente lui-
même de promouvoir sous le nom de « pensée de la non-présence » (VP, p. 70).
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Il semble donc que, de manière non explicite, entre 1962 et 1967 Derrida en
soit venu à adopter la conception lévinassienne du temps comme « diachronie »
et relation à l’« infini de l’absolument Autre » 28 et qu’il l’a suivi dans son
« évasion » hors de la pensée traditionnelle de l’être 29. Husserl est maintenant
accusé de participer « au désir [métaphysique] obstiné de sauver la présence et
de réduire ou de dériver le signe » (VP, p. 57) et la trace est dite être « plus
vieille que la présence » (VP, p. 76), la non-identité à soi étant considérée
comme l’« origine » de l’identité à soi.
Mais cette altérité dans le soi n’est pas pour Derrida immédiatement reliée à
l’altérité de l’autre sujet, comme c’est le cas pour Lévinas. C’est l’altérité de la
mort et de la contingence de l’existence de fait, laquelle est dissimulée dans la
croyance métaphysique que la présence est la forme universelle de la vie trans-
cendantale : « C’est donc le rapport à ma mort (à ma disparition en général) qui
se cache dans cette détermination de l’être comme présence, idéalité, possibilité
absolue de répétition » (VP, p. 60). Comme Derrida l’explique dans l’introduc-
tion à La Voix et le phénomène, la phénoménologie husserlienne est une philoso-

27. Comme il l’indique en note au début de son essai (L’Écriture et la différence, op. cit., p. 117),
Derrida ne put faire que de brèves allusions à « La trace de l’Autre », texte qui a été publié en
1963, pendant la période où Derrida écrivait « Violence et métaphysique ».
28. Voir la préface de 1979 à Le Temps et l’autre, Paris, PUF, 1983, p. 10.
29. Voir le premier livre de Lévinas, De l’évasion, Montpellier, Fata Morgana, 1982.
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14 Françoise Dastur

phie de la vie qui ne voit dans la mort qu’un accident mondain et qui découvre,
comme le fait la métaphysique tout entière, à l’intérieur même de la vie la
possibilité d’une duplication entre deux niveaux d’expérience qui forme la base
de la différence entre ego empirique et ego transcendantal. Mais cela ne veut
cependant pas dire que cette duplication doive être comprise comme une nouvelle
forme de platonisme, car l’ego transcendantal n’est pas un double ontologique de
l’ego empirique, il demeure au contraire de manière paradoxale identique à
celui-ci, en dépit de sa transcendantalité. Et cette transcendantalité peut être
découverte dans le langage lui-même, qui, comme Derrida le souligne, est ce qui
semble « unir la vie et l’idéalité » (VP, p. 9). En 1962, il avait déjà remarqué que
le langage constituait l’élément même de la réduction, dans la mesure où il opère
une neutralisation spontanée de toute facticité, la parole étant en elle-même « la
pratique d’une eidétique immédiate » (OG, p. 58). Mais ce pouvoir de donner la
mort que possède le langage, qui, comme Derrida le souligne, a déjà été thématisé
par Hegel et les poètes français Mallarmé et Valéry, qui ont été marqués par
l’hégélianisme, n’est que le revers de son pouvoir constitutif par lequel il ouvre
le royaume infini de l’idéalité. En 1962, Derrida expliquait que le mot a une
valeur idéale parce qu’« il ne se confond avec aucune de ses matérialisations
empiriques, phonétiques ou graphiques » (ibid.) qui sont considérées comme
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également factuelles et mondaines. En 1967, la parole et l’écriture ne sont plus
mises au même niveau et il insiste maintenant sur le fait qu’en prononçant un mot
je m’élève au niveau de son contenu idéal, qui peut être indéfiniment répété, de
sorte que la parole apparaît alors comme le moyen par lequel je peux surmonter
ma facticité et ma mortalité propres, l’idéalité étant, selon ses propres termes, « le
salut ou la maîtrise de la présence dans la répétition » (VP, p. 8).
À partir de là, on pourrait considérer que l’opération d’idéalisation par
laquelle le sujet parlant devient en quelque sorte immortel ne concerne que la
structure logique et grammaticale du langage et non ses manifestations sensibles
dans la parole et l’écriture. Mais l’élément phonétique du langage n’appartient
pas entièrement au sensible, car, comme Saussure l’a montré, il y a une diffé-
rence entre le « mot réel » et son « image acoustique », et c’est seulement cette
dernière, en tant qu’« impression psychique », qui constitue le signifiant. La
différence entre le signifiant et le signifié ne coïncide donc pas avec la différence
entre le sensible et l’intelligible, de sorte que le signe devient dans sa totalité
une réalité interne. Saussure peut donc à bon droit déclarer que « sans remuer
les lèvres ou la langue, nous pouvons nous parler à nous-mêmes ou nous réciter
mentalement une pièce de vers » 30. La possibilité du discours intérieur est ainsi

30. F. de SAUSSURE, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1916, p. 98. Cité par Derrida
dans La Voix et le phénomène, op. cit., p. 51.
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Derrida et la question de la présence 15

assurée. Mais il faut cependant préciser que le présupposé est ici la distinction
que fait Saussure entre la langue et la parole, distinction qui peut ne pas être
considérée comme le dernier mot au sujet de l’essence du langage. Pour Saus-
sure en effet, « les organes vocaux sont aussi extérieurs à la langue que les
appareils électriques qui servent à transmettre l’alphabet Morse sont étrangers
à cet alphabet » 31, de sorte que pour lui, au contraire de Humboldt, l’articulation
sémantique et l’articulation phonétique sont séparées 32. Certes Humboldt aussi
comprend le langage sur la base à la fois de la bouche et de l’oreille, comme
le fait Derrida, qui, dans sa lecture de Husserl, met l’accent sur le fait que
« quand je parle, il appartient à l’essence phénoménologique de cette opération
que je m’entende dans le temps que je parle » (VP, p. 87). Mais ce qui constitue
de manière essentielle le langage, c’est, pour Humboldt, le phénomène d’arti-
culation qui requiert la « résonance vivante » de la voix, de sorte qu’il n’y a
pas pour lui de séparation entre langue et parole.
Si de là nous revenons à Husserl, il nous faut reconnaître qu’il fait une
différence stricte entre le processus logique de signification et le processus
mondain de la parole. Comme Derrida le souligne, le signifiant, qui est encore
une « impression psychique » pour Saussure, devient pour Husserl un composant
non réel de l’expérience vivante, tout comme le signifié, c’est-à-dire le noème
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(VP, p. 52). Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’user de mots réels dans
le soliloque, parce que je ne communique rien à moi-même et je n’ai donc pas
à passer par le monde afin d’indiquer ma pensée à un autre. Mais une telle
description du soliloque n’est valable que sous la présupposition selon laquelle
le processus de pensée n’implique pas nécessairement la prononciation de mots,
c’est-à-dire que la pure expression existe bien. Elle n’est donc valable que pour
l’interprétation phénoménologique de la voix, c’est-à-dire pour la voix phéno-
ménologique, que Derrida, dès l’introduction, définit comme « cette chair spi-
rituelle qui continue de parler et d’être présente à soi – de s’entendre – en
l’absence du monde » (VP, pp. 15-16), mais non pour la voix en tant que telle.
Heidegger lui aussi était dans Être et temps encore sous la dépendance de cette
conception phénoménologique du langage lorsqu’il expliquait dans le § 18 que
le Dasein « peut découvrir quelque chose comme des “significations”, qui, de
leur côté, fondent à leur tour, l’être possible de la parole et du langage », comme
le montre bien l’apostille qu’il a ajoutée par la suite en marge de cette phrase
qui dit : « Faux. Le langage n’est pas en surélévation, mais il est le déploiement

31. Cours de linguistique générale, op. cit., p. 36.


32. Sur la conception humboldtienne du langage et de la voix, je me permets de renvoyer aux
pages qui en traitent dans mon ouvrage, Dire le temps, Esquisse d’une chrono-logie phénoméno-
logique, La Versanne, Encre Marine, 1994, pp. 98-107.
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16 Françoise Dastur

originel de la vérité en tant que Là. » 33 Le langage dans Être et temps n’est
pas, comme ce sera le cas plus tard, après le « tournant », un phénomène
originel, mais, selon l’expression husserlienne, un phénomène « fondé », dont
la fondation ontologique et existentiale doit être cherchée dans le discours, et
la différence ici invoquée entre langage (Sprache) et discours (Rede) est ana-
logue à celle que fait Husserl entre indication et expression. Mais, même là,
dans l’analyse du phénomène de la voix qui prend place dans les §§ 55-59,
celle-ci n’est pas comprise, comme c’est le cas dans le soliloque husserlien,
comme absolue proximité de soi à soi. Il est vrai que la relation du Dasein à
lui-même peut seulement prendre la forme de la « voix de la conscience ». Et
Heidegger insiste à cet égard sur le fait que cette manière de parler de la voix
ou de l’appel de la conscience n’est nullement une métaphore, précisément
parce qu’il n’est pas essentiel au discours d’être effectivement prononcé. Le
mot allemand Stimme n’a d’ailleurs pas le sens vocal de la phonè grecque, mais
signifie simplement « donner-à-comprendre » 34. C’est pourquoi la voix et
l’appel peuvent être des modes du discours et non pas seulement du langage,
exactement de la même manière que l’écoute, qui ne veut pas dire d’abord
perception acoustique. Mais la voix insonore de la conscience, parce qu’elle a
le caractère d’un appel, ne peut pas simplement être comprise sur le mode de
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la présence à soi immédiate, car un appel vient du lointain et est lancé vers le
lointain (aus der Ferne in die Ferne). La présence à soi du Dasein – et non pas
du sujet transcendantal – ne peut qu’avoir le sens d’une proximité dans la
distance, parce que cette auto-affection qu’est l’expérience de l’appel de la
conscience n’a pas lieu dans l’intimité de la vie solitaire, mais dans la quoti-
dienneté, c’est-à-dire chez un être préoccupé par le « monde » et dont le soi
n’est pas pure intériorité mais temporalisation, c’est-à-dire différance et diffé-
renciation par rapport à soi. L’étrangeté ou l’altérité ici – die Unheimlichkeit 35
– vient du caractère étranger de la voix qui appelle. Certes, dans l’appel de la
conscience, c’est bien le Dasein lui-même et non pas un être transcendant qui
appelle, et l’être qui appelle est en même temps celui qui est appelé. Mais l’appel
advient de manière abrupte et involontaire : « cela » appelle (« Es » ruft) 36, et
pourtant il ne s’agit pas de l’appel d’un autre. Cela veut par conséquent dire
que la voix qui appelle ne peut pas provenir de l’intérieur du monde, du Dasein
qui dans la quotidienneté est immergé dans un monde familier. Néanmoins, elle
ne vient pas d’un ailleurs situé hors du monde, elle vient du Dasein en tant que
jeté dans le monde dont la relation au monde n’est pas la familiarité, mais le

33. M. HEIDEGGER, Sein und Zeit, Frankfurt am Main, Klostermann, 1977, GA 2, p. 87.
34. Ibid., p. 271.
35. Ibid., p. 276.
36. Ibid., p. 275.
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Derrida et la question de la présence 17

sentiment de ne pas être chez lui, à savoir l’angoisse 37. La voix qui appelle,
étrangère à la quotidienneté, est cependant amicale, au sens où elle appelle le
Dasein à son pouvoir-être le plus propre 38.
La voix et le langage ne sont donc pas pour Heidegger ce qu’ils sont pour
Husserl, à savoir l’élément de l’idéalité. Cela devient plus évident encore après
Être et temps. Dans une apostille ajoutée par la suite en marge du § 34, où il
est question de la relation entre discours et langage, Heidegger souligne que
« Pour le langage, l’être-jeté est essentiel » 39. Et dans Acheminement vers la
parole, nous pouvons lire la phrase suivante : « Le rapport d’essence entre mort
et parole jaillit tel un éclair, mais il est encore impensé. » 40 Pour Derrida, un
tel rapport d’essence ne peut exister qu’entre l’écriture et la mort, la complicité
entre l’idéalisation et la voix demeurant « indéfectible » chez Husserl (VP,
p. 84). Mais en même temps, il semble bien que ce qui est dit dans La Voix et
le phénomène au sujet de la voix phénoménologique est valable pour la voix
en tant que telle. Derrida explique par exemple que dans la voix le corps sensible
du signifiant « semble s’effacer dans le moment où il se produit » (VP, p. 86) 41,
de sorte que l’acte vivant de la parole « ne risque pas la mort » (VP, p. 87). La
différence principale entre la parole et l’écriture réside cependant dans le fait
que, comme le dit Husserl, l’écriture est une « communication devenue pour
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ainsi dire virtuelle », la communication écrite étant possible en l’absence de
tout sujet actuel (OG, p. 84). Mais pour Husserl l’écriture demeure un moyen
de communication. Pour Derrida, elle devient le « nom courant de signes qui
fonctionnent malgré l’absence totale du sujet par (delà) sa mort », la mort de
l’écrivain et la disparition de l’objet qu’il décrivait n’étant pas susceptibles
d’empêcher un texte de « vouloir-dire » (VP, p. 104). Il apparaît clairement ici
que même si la parole implique une altérité à l’égard de soi-même, seule
l’écriture peut réellement être détachée du sujet vivant. En même temps, l’écri-
ture devient quelque chose de plus général qui concerne aussi la parole dans la
mesure précisément où celle-ci n’est plus considérée dans une perspective phé-
noménologique, c’est-à-dire philosophique. Ceci explique l’apparition soudaine
du terme d’« archi-écriture » à la fin du chapitre consacré à la voix, où Derrida
veut montrer, contre Husserl, que « le s’entendre parler n’est pas l’intériorité

37. Ibid., pp. 276 et 189.


38. Ibid., p. 163.
39. Ibid., p. 161.
40. M. HEIDEGGER, Acheminement vers la parole, Paris, Gallimard, 1976, p. 201.
41. On pourrait aisément montrer que nous faisons l’expérience du même phénomène dans
l’écriture et la lecture, du fait que nous ne visons jamais de manière expresse l’« extériorité »
sensible du graphisme en tant que telle. Cela est vrai même dans le cas de la poésie, dans la mesure
où l’élément sensible, son ou écriture, n’est jamais considéré indépendamment de son sens. Et cela
reste valable pour une écriture non phonétique.
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18 Françoise Dastur

d’un dedans clos sur soi », mais « l’ouverture irréductible dans le dedans, l’œil
et le monde dans la parole » (VP, p. 96).
C’est seulement dans De la grammatologie qu’il deviendra évident qu’« il
ne s’agit pas de réhabiliter l’écriture au sens étroit, ni de renverser l’ordre de
dépendance [entre parole et écriture] » (DG, p. 82). L’archi-écriture inclut par
conséquent à la fois l’écriture au sens « étroit » et la parole, dans la mesure où
en chacune d’elles nous trouvons le même mouvement de différance nommé
« trace » qui ouvre la temporalisation du temps comme « espacement » (VP,
p. 96). Derrida indique qu’il continue malgré tout de la nommer simplement
« écriture », « parce qu’elle communique essentiellement avec le concept vul-
gaire de l’écriture », lequel « n’a pu historiquement s’imposer que par la dissi-
mulation de l’archi-écriture » (DG, p. 83). Une telle décision est lourde de
conséquence, car elle aura, en particulier parmi les soi-disant « derridiens »,
l’effet d’augmenter l’ambiguïté du terme d’« écriture » qui est aujourd’hui
l’objet d’une « inflation » pire encore que ce n’était le cas, comme Derrida le
soulignait, pour le mot « langage » en 1967 (DG, pp. 16 sq.). Ce qui ne devrait
pourtant pas être oublié, c’est le fait que les termes de trace et d’archi-écriture
ne peuvent être utilisés à titre d’outils conceptuels – et il en va de même du
terme de « différance », qui n’est, explique Derrida, pas même un mot – parce
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qu’ils ne peuvent être décrits dans le champ de la métaphysique et demeurent,
comme noms d’une non-origine, totalement « inouïs » (DG, p. 95), de sorte
qu’« une phénoménologie de l’écriture est impossible » (DG, p. 99).
Car ce qu’implique l’écriture en tant qu’archi-écriture n’est rien d’autre que
la mort elle-même, dans la mesure où le rapport à la mort constitue la « structure
concrète du présent vivant » (DG, p. 103). Comme l’explique Derrida dans La
Voix et le phénomène, si l’intention du vouloir-dire peut fonctionner « à vide »
et s’il n’est nul besoin de recourir à l’intuition pour comprendre un énoncé,
comme le déclare Husserl, cela veut dire que « ma mort est structurellement
nécessaire au prononcé du Je », et cela est valable même en présence d’une
intuition pleine et actuelle de moi-même (VP, p. 108). Nous rencontrons par
conséquent ici l’idée paradoxale que la parole requiert la mort du sujet parlant,
la parole en tant que telle et non pas seulement l’écriture, et Derrida insiste sur
le fait que c’est là « l’histoire ordinaire du langage », de sorte que l’anonymat
du Je écrit est la situation normale de tout sujet parlant (ibid.). Le langage peut
être nommé « écriture », parce que, comme elle, il implique la mort du locuteur,
son absence radicale. Selon Derrida, si Husserl ne tire pas la même conclusion
des prémisses qui sont celles de sa « grammaire pure logique » en tant qu’elle
est fondée sur le principe de l’indépendance de l’intention et de l’intuition, c’est
parce que « le motif de la présence pleine, l’impératif intuitionniste et le projet
de connaissance continuent de commander […] l’ensemble de la description »
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Derrida et la question de la présence 19

(VP, p. 109). Il est vrai que la pensée de Husserl demeure prisonnière du schème
de la relation sujet-objet et qu’il continue à définir « le sens en général à partir
de la vérité comme objectivité », ce qui pourrait effectivement mener « à rejeter
dans le non-sens absolu tout langage poétique transgressant les lois de cette
grammaire » (VP, p. 111). Mais le problème ici, c’est qu’une telle « métaphy-
sique de la présence » n’est pas le fait des seuls philosophes, mais peut aussi,
à l’inverse de ce que pense Derrida, être le partage des poètes, qui pourraient
ne pas être enclins à renoncer, même lorsqu’ils jouent avec les mots, à dire
quelque chose, et pour lesquels, comme il est dit dans un poème bien connu de
Stefan George, « Aucune chose n’est, là où manque le mot » 42. Certes, dans
toutes les formes de signification non discursives – et nous pourrions ajouter
dans tous les genres d’énoncés qui ne relèvent pas du logos apophantikos –, il
y a des ressources du sens qui ne font pas signe vers l’objet possible (VP,
p. 111), mais cela n’implique pas qu’ils ne se réfèrent pas aux « choses elles-
mêmes ». Les mots sont ici un moyen de dire une autre sorte de présence que
la présence objective : la présence des choses, qui ne sont pas des objets parce
qu’elles sont inséparables d’un monde qui ne peut être décrit ; la présence de
ce qui est absent, de ce qui a été et de ce qui est à venir, qui ne peut être
représenté de manière objective ; la présence de l’être poétique lui-même qui,
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comme Heidegger le soulignait, n’est pas déjà « mort », mais au contraire
continuellement en train de mourir 43.
Pour Derrida, qui oppose de manière radicale la vie et la mort, la présence
et l’absence, nous sommes depuis toujours et pour toujours exilés dans le laby-
rinthe de la représentation sans espoir de pouvoir jamais en sortir pour accéder
au « soleil de la présence » ; c’est pourquoi, selon lui, nous ne parlons que
« pour suppléer l’éclat de la présence » (VP, p. 117). Selon lui, la vie doit
constamment composer avec la mort et n’est en tant que telle rien d’autre que
cette « économie de la mort » qui implique que « tout graphème est d’essence
testamentaire » (DG, p. 100). Mais la relation à la mort peut avoir un autre sens,
qui peut conduire à une autre attitude à l’égard de l’absence que celle qui tente
d’y « suppléer ». Car il est possible de voir dans la mort, comme le fit Heidegger,
l’écrin du rien en même temps que l’abri de l’être 44. Cela veut dire qu’en tant

42. Voir le commentaire que donne Heidegger de ce poème dans Acheminement vers la parole,
op. cit., p. 205 sq.
43. Cf. M. HEIDEGGER, Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs, Gesamtausgabe, tome 20,
Frankfurt am Main, Klostermann, 1979, p. 437-438. Heidegger explique ici que la véritable défi-
nition du Dasein n’est pas le cogito sum cartésien, mais sum moribundus, le « moribundus » donnant
seul son sens au sum. Derrida déclare au contraire dans La Voix et le phénomène (p. 106) que
l’absence du moi est l’origine du sujet transcendantal et explique l’introduction de l’ergo sum dans
la tradition philosophique.
44. M. HEIDEGGER, Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958, pp. 212-213.
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que mortels, nous ne sommes ouverts à la venue en présence du monde que


parce que nous avons un rapport à cette radicale absence qu’est la mort. Nous
avons à la soutenir, non pas à y suppléer – nous avons même à en témoigner
en existant notre mortalité.

***

« Métaphysique de la présence » : cela semble être à première vue une expres-


sion heideggérienne, mais nous ne pouvons pas la trouver comme telle dans
l’œuvre de Heidegger. Pour la tentative derridienne d’élaboration d’une gram-
matologie 45, présence veut toujours dire « présence pleine » et s’oppose radi-
calement à absence, alors que pour la phénoménologie heideggérienne de
l’inapparent 46 « présence » en régime métaphysique veut dire « présence per-
manente » (beständige Anwesenheit) et s’oppose à l’événement inapparent de
la venue en présence de ce qui vient en présence (Anwesung des Anwesenden).
Pour tous deux « la métaphysique » implique la dénégation de la mort, de
l’occultation et de l’oubli sans limites dont nous émergeons et auxquels nous
devons faire retour. Pour Heidegger, la mort est cette limite qui nous octroie
notre présence temporelle dans le monde ; pour Derrida, la mort est ce qui met
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 21/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.0.180.89)

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le temps hors de ses gonds et disloque la présence.
Dans le texte qu’il dédie en 2004 à Ricœur, Derrida rappelle avec émotion
et approbation le jugement que portait Ricœur sur sa « Mythologie blanche »
dans La Métaphore vive, où on peut lire ceci : « Le coup de maître, ici, est
d’entrer dans la métaphorique non par la porte de la naissance, mais si j’ose
dire, par la porte de la mort. » 47 Ce qui est peut-être resté à jamais impensé
pour Derrida lui-même, c’est le fait que la porte de la naissance et celle de la
mort sont une et la même.

Françoise DASTUR
Professeur émérite de l’Université
de Nice-Sophia Antipolis

45. Tentative seulement, car, comme Derrida le souligne in fine, il ne peut y avoir une « science »,
c’est-à-dire un logos, des grammata.
46. Cf. M. HEIDEGGER, Questions IV, Paris, Gallimard, 1976, p. 339.
47. P. RICŒUR, La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 362. Cf. J. DERRIDA, « La parole »,
Ricœur, op. cit., p. 24. En citant la phrase de Ricœur, Derrida écrit par erreur « métaphysique » à
la place de « métaphorique » — lapsus calami des plus significatifs.

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