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Noesis

32 | 2018
Avicenne. Ibn Sinâ (980-1037). L'être et l'essence

La question de l’être d’Avicenne à


Heidegger
Nader El-Bizri
p. 221-240
https://doi.org/10.4000/noesis.5021

Résumés
Français English
Cet article se propose de lire la Métaphysique d’Avicenne à la lumière de la thèse
heideggérienne de l’oubli de la question de l’être dans l’histoire des ontologies classiques.
L’avicennisme est étudié dans le contexte des discussions philosophiques de la
phénoménologie herméneutique et de l’ontologique fondamentale, dépassant ainsi le
cadre de l’analyse historiographique et philologique. Il est toutefois plus complexe de
juger de l’avicennisme en se situant au dehors des limites de son milieu intellectuel,
historiquement distant du nôtre, les mésententes risquent de devenir encore plus grandes
au vu des débats actuels sur l’ontologie engendrés par la pensée heideggérienne
L’approche du point de vue de l’herméneutique phénoménologique moderne s’appuie ici
sur les textes avicenniens et s’effectue dans le contexte de la critique tangentielle de
l’avicennisme par Heidegger.

This article proposes to read Avicenna’s Metaphysics in the light of the Heideggerian thesis
of forgetting the question of being in the history of classical ontologies. Avicennism is
studied in the context of philosophical discussions of hermeneutic phenomenology and
fundamental ontology, thus going beyond the framework of historiographical and
philological analysis. However, it is more complex to judge avicennism by being outside
the limits of one’s intellectual milieu, historically distant from ours, misunderstandings
may become even more so in view of the current debates on ontology generated by
Hedegerian thought. The approach from the point of view of modern phenomenological
hermeneutics is based here on the Avicenna texts and takes place in the context of
Heidegger’s tangential criticism of avicennalism.

Texte intégral
1 Cet article se propose de lire la Métaphysique (ilāhiyyāt) d’Avicenne, à la
lumière de la thèse heideggérienne de l’oubli de la question de l’être (Seinsfrage)
dans l’histoire des ontologies classiques. Notre étude ne se déroulera pas suivant
le parcours de l’exégèse textuelle conventionnelle, historiographique ou
philologique, qui normalement situe l’analyse descriptive et documentaire des
ouvrages d’Avicenne dans le champ des études orientales. Nous procéderons
plutôt selon l’approche de l’ontologie fondamentale (Fundamentalontologie) et de
la phénoménologie (Phänomenologie) de Heidegger. Nous aborderons
l’avicennisme dans le contexte des discussions philosophiques de la
phénoménologie herméneutique et de l’ontologique fondamentale. Notre analyse
dépassera donc le cadre de l’analyse historiographique et philologique qui
caractérise les études orientalistes et le comparatisme classique avec Aristote ou
les traditions scolastiques médiévales1. En procédant de la sorte, nous n’ignorons
pas qu’il est plus complexe de juger de l’avicennisme en se situant au dehors des
limites de son milieu intellectuel, historiquement distant du nôtre, et que les
mésententes risquent de devenir encore plus grandes en passant par un regard
heideggérien. Nous passerons outre le domaine propre de l’histoire des idées
philosophiques de l’époque médiévale, en vue d’étudier le prolongement
conceptuel de l’avicennisme dans le cadre des débats actuels sur l’ontologie
engendrés par la pensée heideggérienne. Cette approche sera-t-elle susceptible
de générer un «  néo-avicennisme  » philosophique (hypothétique)2 à l’instar du
néo-thomisme, tel qu’il émergea dans l’école de Louvain au début du xxe siècle ?
Quelle qu’en soit l’issue, cette analyse du point de vue de l’herméneutique
phénoménologique moderne s’appuiera sur les textes avicenniens et s’effectuera
dans le contexte de la critique tangentielle de l’avicennisme par Heidegger. Elle
sera abordée précisément dans le cadre de l’analyse heideggérienne qui attribue
la suppression essentialiste médiévale de la question de l’être (Seinsfrage) à la
distinction avicennienne entre l’essence (māhiyya, essentia  ; quiddité) et
l’existence (wujūd, existentia). Suivant cette lecture de provenance
heideggérienne, la distinction avicennienne entre l’essence et l’existence
appartiendrait à une ontothéologie scolastique de la substance (jawhar, οὐσία,
substantia), qui serait ainsi une version médiévale de «  la métaphysique de la
présence  » (Metaphysik der Anwesenheit) ou de l’ousiologie aristotélicienne.
Heidegger s’engage de ce fait dans une déconstruction de la métaphysique
classique en la concevant comme étant a fortiori une histoire impensée et
amnésique de l’oubli de l’être (Seinsvergessenheit, Seinsverlassenheit). Nous
viserons diagonalement les aspects ontologiques de cette critique heideggérienne
de la métaphysique médiévale par le biais d’une interprétation ontologique des
modalités de l’être (wujūd) dans la pensée d’Avicenne3.

Prélude « heideggérien » ?
2 Au cours du semestre de l’été 1927 à Marburg (Marburger Vorlesung
Sommersemester), Heidegger traite des problèmes fondamentaux de la
phénoménologie (Die Grundprobleme der Phänomenologie). Dans sa critique de la
tradition métaphysique scolastique, il aborde avec clarté la réception
herméneutique de l’ontologie aristotélicienne à travers les commentaires
avicenniens (traduits en Latin). Il attribue l’occultation médiévale de la question
de l’être (Seinsfrage) aux méditations ousiologiques de la métaphysique de la
présence et de la substance (οὐσία) sur la constitution existentielle d’un étant qua
existant à partir de sa quiddité (essentia) et de son existence (existentia)  : «  Zur
Seinsverfassung eines Seienden gehören das Wassein (essentia) und das
Vorhandensein (existentia)  ». La problématique ontologique de l’être se dévoile
ainsi grâce à la distinction entre l’essentia et l’existentia (Unterscheidung von
essentia und existentia), qui est associée dans ses origines, selon la lecture
heideggérienne, à la Metaphysica avicennienne dans sa version latine,
correspondant dans la langue d’Avicenne à la différenciation entre māhiyya
(essentia) et wujūd (existentia). Heidegger indique ainsi que le problème remonte
tout d’abord à la philosophie arabe et, en particulier, à Avicenne et à son
commentaire4.
3 Précisons, ici, qu’Avicenne n’était pas simplement l’un des commentateurs les
plus autorisés d’Aristote conformément à la réception latine médiévale de sa
philosophie, il était lui-même un critique autant qu’un continuateur de
l’aristotélisme. Son penchant néoplatonicien, toutefois, fit que sa transmission en
Europe au Moyen Âge donna lieu à une rencontre de l’avicennisme avec des
courants augustiniens5.
4 Heidegger affirme que le problème concernant la doctrine de la distinction
entre l’essence et l’existence a des ramifications théologiques directes dans le
catholicisme à travers l’impact du thomisme, jusqu’en 1914. Il note également
que l’influence de cette doctrine est évidente dans La critique de la raison pure
(Kritik der reinen Vernunft) de Kant et dans La science de la logique (Wissenschaft
der Logik) de Hegel. Cette problématique de l’ontothéologie classique remonte,
selon lui, à l’époque médiévale sous l’influence de la philosophie arabe dans le
milieu intellectuel européen latin. La métaphysique d’Avicenne, en particulier, a
joué un rôle important en introduisant une tendance néoplatonicienne dans
l’aristotélisme dans la lignée de la Théologie d’Aristote et du Liber de causis (Kitāb
al-iḍāḥ li-Arisṭūṭālis fī al-khayr al-maḥd, ouvrages comme l’on sait conçus
erronément comme étant des traités aristotéliciens)6. Selon le philosophe de
Fribourg, la doctrine avicennienne de la distinction entre l’essence et l’existence
s’est exprimée dans la pensée scolastique européenne latine selon trois
modalités : la distinctio realis (De ente et essentia et De entis quidditate de Thomas
d’Aquin), la distinctio modalis (Reportata Parisiensia de Duns Scot et la distinctio
sola rationis (Disputationes metaphysicae de Suárez)7.
5 Selon la critique heideggérienne de l’histoire de la métaphysique et des
ontologies classiques, et sa conception de la différence ontologique entre l’être
(Sein, Seyn) et les étants (Seiendes), la distinction d’origine avicennienne entre
l’essence et l’existence conduit au Seinsverlassenheit ou Seinsvergessenheit
(l’oubli de l’être). Heidegger y voit la régression médiévale de la conception
aristotélicienne classique de la séparation de la question de l’être (Sein, Seyn,
εἶναι) de celle des étants (Seiendes, τὰ ὄντα), et qui figurait dans une
métaphysique antique comme une science (ἐπιστήμη) ontologique qui étudie
l’être/étant qua être/étant (τὸ ὂν ᾗ ὂν) afin d’élucider les multiples significations
de l’usage de l’appellation « être » (τὸ ὂν λέγεται πολλαχῶς)8.
6 Il est important de préciser, dans ce contexte, que Heidegger utilise les termes
« Wassein » pour « essentia » et « Vorhandensein » pour « existentia ». La notion
du « Vorhandensein », interprétée comme « existence », appliquée à la distinction
entre l’existentia et l’essentia, est conçue ontologiquement dans Sein und Zeit
(L’être et le temps)9 comme étant mutatis mutandis «  une présence objective  ».
Appréhender l’être à partir du Vorhandensein conduit, dès lors, à une
métaphysique de la présence (Metaphysik der Anwesenheit) ou à une ousiologie
(métaphysique de la substance qua οὐσία), qui tombera ainsi dans l’oubli de l’être
(Sein, Seyn). Dans Sein und Zeit la notion de «  Vorhandensein  » évoque
parallèlement l’analyse heideggérienne de la conception pratique et utilitaire des
choses (Dinge) suivant l’ordre technique du «  Zuhandensein  ». Les étants qua
existants (Seiendes, τὰ ὄντα) sont ainsi manipulables comme des πράγματα qui
sont aussi disponibles pour servir les fonctions du πρᾶξις (Umgang) comme des
outils10. Cela prendra un sens plus précis dans la pensée heideggérienne
ultérieure (après le tournant, die Kehre) en considérant la question de l’essence
de la technique (Die Frage nach der Technik) et de son Gestell (le dispositif, en-
framing) destinal qui encercle l’être des étants/existants (Seiendes, τὰ ὄντα) et les
transforme en Bestand (fonds et réserves de puissance)11. Ce phénomène est ainsi
conçu par lui comme constituant une dangereuse et ultime apogée d’une volonté
de puissance (Wille zur Macht) qui produit un nivellement indifférencié de
l’être12. La τέχνη devient le fondement de l’ἀλήθεια comme dévoilement de la
vérité13. Cette caractérisation technicienne de l’être nous parvient des origines de
la métaphysique classique et, en particulier, de la conception aristotélicienne du
mouvement en tant que passage de la puissance qua potentialité (δῠ́νᾰμῐς) à
l’acte qua actualité (ἐνέργειᾰ) par la médiation de la cause (αἴτῐος) dans ses
quatre types  : matérielle (ὕλη  ; materialis), formelle (εἶδος, formalis), efficiente
(κινοῦν, efficiens), et téléologique (τέλος, finalis)14.
7 De même, la méthode consistant à concevoir les νοήματα qua représentations
comme des correspondances (Angleichungen) avec les choses (Dinge), selon la
formulation traditionnelle de l’essence de la vérité (Wahrheit) propre à la
doctrine thomiste de l’« adaequatio intellectus et rei », est elle aussi attribuée par
Heidegger à une lignée qui remonte à Avicenne15. L’analyse heideggérienne se
propose ainsi de libérer les fondements ontologiques de la vérité, comme
dévoilement qua ἀλήθεια, de ce tournant avicennien de la pensée médiévale. Il
s’agit ici, pour Heidegger, de restaurer le lien ontico-ontologique originaire du
phénomène de l’ἀλήθεια, comme dévoilement de la vérité, avec la question de
l’être (Seinsfrage) dans la sphère de l’ontologie fondamentale et de l’Analytik des
Daseins.
8 En somme, Heidegger a cherché à établir une nouvelle reconstitution de
l’ontologie au-delà de la πρώτη φιλοσοφία, en transcendant la philosophia
perennis qui relève d’une constitution onto-théologique de la métaphysique (Die
onto-theologische Verfassung der Metaphyik). Il est préoccupé en ce sens par la
question  : «  Comment Dieu entre-t-il en philosophie  ?  » (Wie kommt der Gott in
die Philosophie ?)16, car pour lui l’onto-théologie ramène l’existence de l’existant à
«  Dieu  » comme ens summum, elle ne vise donc pas l’être, mais vise plutôt une
pensée de la divinité comme fond de l’être (Sein-Grund). Toutefois, pour
Heidegger l’affaire de la pensée demeure celle de la question de l’être (Seinsfrage)
et du dévoilement de sa signification, sa vérité, et son lieu. L’ontothéologie réduit
l’être (Sein) à l’existant qua étant suprême et se déploie de la sorte dans le registre
de la présence suivant une compréhension réductrice, ontique et théologique de
l’ontologie. Comme disait Kant : la théologie transcendantale qui croit connaître
son existence, sans l’aide de la moindre expérience, se nomme ontothéologie
(ohne Beihülfe der mindesten Erfahrung, sein Dasein zu erkennen, und wird
Ontotheologie genamt)17. L’ontothéologie désigne ainsi une partie de la
métaphysique qui lie la théologie au domaine de ce qui existe indépendamment de
toute expérience.
9 Notre considération, ici, de la question de l’être dans l’ontothéologie
d’Avicenne suivant la critique heideggérienne, commence précisément à partir
de l’endroit où Heidegger lui-même n’est pas allé plus loin dans son analyse. Je
cherche donc prima facie à compléter la critique heideggérienne de l’histoire de
la métaphysique et de l’ontologie classique dans un domaine qui n’a pas été
suffisamment élaboré par Heidegger, et qui fut simplement indiqué par lui. Je
scruterai ultérieurement l’ontothéologie avicennienne, tout en montrant certains
côtés qui rendent problématique la critique heideggérienne et la dépassent
éventuellement. Cela passe, en premier lieu, par une réinterprétation de la
distinction entre l’essence et l’existence à travers une analyse ontologique des
modalités de l’être en se concentrant sur la notion de la « nécessité de l’être ». On
évoque ainsi un mode ontologique avicennien, qui transcende possiblement les
limites de la métaphysique de l’οὐσία, qui n’est pas dans un sujet. Le concept de
« l’être des étants » (Sein des Seienden) n’est pas définissable (Der Begriff Sein ist
undefinierbar)  ; il n’est pas un genus (οὔτε τὸ ὂν γένος)18 et il est attribué aux
étants qua existants (Seiendes ; τὰ ὄντα) per prius et posterius.

Les modalités de l’être


10 La pensée métaphysique avicennienne est marquée par un caractère positif,
car elle porte un positum axiomatique ontothéologique qui guide la
considération de la question de l’être en connexion avec des méditations sur la
divinité  ; sa metaphysica relève essentiellement des «  ilāhiyyāt  » (des
«  divinités  »). Son parcours philosophique est alors éclairé par une certaine
compréhension de l’être suivant un cercle herméneutique qui risque de penser le
divin comme une présence objective d’un étant qua existant (mawjūd) et non-pas
comme une ouverture à penser l’être (wujūd, Sein/Seyn) per se.
11 Avicenne a établi les fondements de son ontologie naturalisée sur la logique.
Dans les divisions logiques de son Kitāb al-shifā’ (Livre de la guérison) et du Kitāb
al-najāt (Livre de la délivrance), il pose trois modalités  : la nécessité (wujūb), la
contingence qua possibilité (imkān), et l’impossibilité (imtināʿ, ou istiḥāla)19. Son
analyse conduit aux propositions ontologiques et logiques  : le nécessaire (al-
wājib) ne peut qu’être, il s’ensuit qu’il est impossible qu’il n’existe pas  ; donc,
affirmer son non-être est une contradiction. L’impossible (al-muḥāl, al-mumtaniʿ),
dès lors, ne peut pas être et il n’existe pas nécessairement  ; affirmer qu’il est,
entraîne une contradiction. Tandis que le contingent qua possible (al-mumkin)
peut être ou ne pas être, et son être ou non-être n’est ni nécessaire ni impossible ;
il est ontologiquement neutre comme une potentialité pure d’exister ou de ne pas
exister. Affirmer l’existence du contingent ou son inexistence n’entraîne pas une
contradiction. Le contingent a ainsi besoin de ce qui est autre que lui-même pour
le conduire du non-être à l’être  ; puisque le contingent n’est qu’une simple
potentialité en soi (bi-dhātih), il existe nécessairement en réalité seulement à
cause de ce qui est autre que lui (bi-ghayrih).
12 Une réflexion sur l’être en tenant compte a fortiori de la nécessité (wujūb)
aboutit à deux modes différents de l’existence (wujūd) : (1) celui de l’existant qua
étant qui est nécessaire à cause de lui-même (wājib al-wujūd bi-dhātih), et
(2) celui d’un existant qua étant qui est nécessaire à cause de ce qui est autre que
lui (wājib al-wujūd bi-ghayrih)  ; ce dernier est le contingent (mumkin) qui est
actualisé comme l’effet d’une cause existentielle (wujūdiyya) qui lui est
antérieure et qui est extérieure à son essence. En fin de compte, l’existant
nécessaire à cause de ce qui est autre que lui (wājib al-wujūd bi-ghayrih) est
introduit dans l’existence actualisée au moyen d’une chaîne de causalité
continue, finie, et hiérarchique, et qui le relie à l’existant qua étant qui est
nécessaire à cause de lui-même (wājib al-wujūd bi-dhātih).
13 Dans une perspective prima facie ontothéologique, le «  wājib al-wujūd bi-
dhātih » est « Un Existant Nécessaire en soi » qui est réductible à l’idée du divin
(θεός  ; ilāh). Cet Existant est un Étant et non-pas «  l’être  » (Sein) per se dont
l’essence n’est rien d’autre que sa propre existence, il n’y a pas de distinction
entre essence et existence. Cet Existant qua Étant est simple, égal à aucun autre,
ne dépend de rien dans son existence. Il n’a pas de cause, il n’est ni relatif, ni
changeant, ni multiple. Il est unique et sans équivalent, au-dessus du parfait,
sans définition (ḥadd) ni description (rasm). Comme principe premier de
l’existence (mabda’ awwal li’l-wujūd), il est la vérité (al-ḥaqq) en tant qu’il est
caeteris paribus l’unité-triadique  : intellect, intelligeant, intelligible (‘aql, ʿāqil,
maʿqūl  ; νοῦς νόησις νοητόν)20. Le wājib al-wujūd bi-dhātih est absolument
immatériel21. Il est une actualité pure sans affection de ce qui vient de hors de
lui22. Il est ainsi nécessaire dans tous ses aspects et attributs primaires23. Son
essence est son existence per se, qui n’existe pas dans un sujet mais qui n’est pas
une substance et ne reçoit pas d’accidents24  ; il est dès lors sans tajawhur
(devenir substance, ou substantialisation)25 – quod erat demonstrandum selon
Avicenne.
14 Lorsque l’être est pris en compte en termes de la nécessité en soi per se, il est
posé dans un sens ontologique comme « être [wujūd] nécessaire » et notamment
comme « wujūd al-mawjūdāt » (être des étants, Sein des Seienden). Néanmoins, si
on le considère dans une perspective ontico-ontothéologique, il sera conçu
comme « Un Existant [mawjūd] Nécessaire ». Dans les deux cas, cette « nécessité »
existentielle est auto-suffisante et dérivée de soi. Par conséquent, le « wājib » en-
soi se trouve dans un registre ontologique radicalement différent, comme
l’altérité existentielle qui cause le «  mumkin  » en-soi à devenir un «  wājib al-
wujūd bi-ghayrih  ». Le «  mumkin  » (contingent qua possible) en-soi qui devient
«  nécessaire par un autre  » a une nature corruptible (fasād) en tant qu’existant
engendré et créé (muḥdath). La nature métaphysique du contingent est celle de
l’être emprunté qui ne soutient pas les raisons de son existence dans sa
quiddité26, il est mumkin en soi et wājib par un autre. À la différence de l’être
nécessaire-en-soi et de l’être impossible, qui ne sont pas unis à une cause, les
contingents dépendent de la causalité existentielle pour être. Ils sont créés
suivant les aspects nomologiques de la nature, générés et représentés dans les
arts plastiques et visuels, ou décrits dans les narrations rhétoriques par des
termes poétiques ou mythologiques.
15 Dans le cas de penser à propos de l’impossibilité, une distinction peut être
décrite entre deux modalités de l’impossible. Par exemple, l’unicorne est
impossible suivant une impossibilité existentielle et synthétique a posteriori  :
nous pouvons imaginer, représenter, et avoir une conversation sensée au sujet
de l’unicorne. En revanche, un « cercle carré » désigne a priori une impossibilité
logique et analytique par définition : on ne peut pas l’imaginer ou le représenter,
et cela entraîne une réduction à une preuve per impossibile, ou reductio ad
absurdum (ἡ εἰς τὸ ἀδύνατον ἀπαγωγή).

Étiologie existentielle
16 En évoquant le phénomène de l’existence des existants, nous pourrions
également établir une nuance entre la génération et la conservation, à savoir
entre ce qui cause quelque chose à exister et ce qui le soutient dans son
existence27. Ce qui est engendré et créé en vertu d’une autre chose que lui-même
a besoin de cette altérite existentielle pour subsister dans sa propre existence,
qui est essentiellement marquée par le devenir et destinée à la corruption. Dans
l’actualisation, la cause externe réalisatrice est elle-même amenée d’un état de
potentialité à un état d’actualité en produisant un effet réceptif. Toute entité
existante, pour laquelle l’existence n’est pas intrinsèquement nécessaire, est
contingente en elle-même et n’existerait pas à moins qu’elle ne soit réalisée
comme un effet nécessaire d’une cause existentielle autre qu’elle-même. Tel est
le cas, puisque la cause d’une entité existante est ce qui est autre qu’elle et
qu’une cause est ce qu’elle est en vertu d’un effet qui résulte d’elle par nécessité.
Toutefois, l’accent qui est mis ici sur le lien nécessaire entre un effet et sa cause
invite, du point de vue religieux, à proposer les contre-arguments de
«  l’occasionalisme  »28 et d’un penchant sceptique envers la véracité du
raisonnement inductif et de l’étiologie (αἰτιολογία).
17 Repenser les modalités de l’être selon l’analyse avicennienne nous amène à
rendre compte du fonctionnement du principe de causalité (sababiyya, ʿilliyya)
dans l’ontothéologie. Une conception de la contingence (imkān) par rapport à la
causalité repose sur l’intervention continuelle des causes pour soutenir
l’actualisation de leurs effets. En fin de compte, le mumkin dépend toujours de ce
qui n’est pas lui pour être ou ne pas être. En ce sens, la chaîne causale mène au
wājib al-wujūd bi-dhātih comme à la source ontologique et cosmologique du
fondement existentiel de tous les existants en étant également leur τέλος  29. Cela
évoque la notion d’émanation (al-sudūr  ; ou al-fayḍ), d’inspiration néo-
platonicienne, de la source de l’être et du retour (al-maʿād) à elle30.
18 À partir des explications d’Avicenne sur la causalité, on peut affirmer que les
quiddités des existants seront indignes d’être si elles sont séparées, même in
abstracto, du wājib al-wujūd bi-dhātih. En conséquence, une quiddité (māhiyya)
qui est séparée de sa relation avec le nécessaire-en-soi per se mérite le «  non-
être  ». Donc, un contingent qui serait retiré de la chaîne causale existentielle
n’existerait plus, puisque sa relation avec l’être ou le non-être est indéterminée et
dépend continuellement de l’altérité existentielle qui détermine causalement son
existence. L’existant s’actualise ainsi suivant l’horizon d’une métaphysique
causale de la production. L’existence est donc extérieure à la structure
substantielle des existants dont les essences n’engendrent pas le mode
d’existence. L’existence est un événement (Ereignis), un don, qui advient à
l’essence d’une chose et cette éventualité donatrice est déchiffrable selon des
explications causales naturalisées. Cependant, il ne peut pas y avoir un
enchaînement d’une cause à une autre ad infinitum  31, étant donné que le lien
causal n’est pas circulaire ou autoréférentiel en raison de sa complexité
inhérente et interne. L’auto-subsistant (qā’im bi-dhātih) est donc seulement
postulé en termes ontologiques et cosmologiques comme étant le Principe
Premier du Tout 32.
19 En repensant les subtilités existentielles de la nécessité, l’expression arabe
« wājib al-wujūd » est interprétable ontologiquement comme « être nécessaire ».
Elle est aussi interprétée suivant la perspective ontique comme un «  existant
nécessaire  ». L’ambivalence ontico-ontologique signifie, ici, que l’appellation
« wājib al-wujūd » n’implique pas simplement la notion d’une Déité Absolue, mais
elle peut aussi désigner un sens neutre de l’être (wujūd) qui est ontologiquement
différent de l’étant (mawjūd).
20 Dans un sens cognitif, le « nécessaire en-soi per se » n’est pas antérieur à l’être
(wujūd) ni au-delà de lui. Le « nécessaire en-soi per se » figure plutôt comme un
antécédent épistémique par rapport à l’être et à la nécessité en tant que conditio
sine qua non d’une détermination modale. Il conserve de la sorte sa priorité
logique, ontologique, et épistémique. La notion de «  nécessaire en-soi per se  »
désigne une primauté dans l’esprit et une immédiateté étant donné que l’idée
d’un «  existant nécessaire  » n’est pas auto-évidente, mais dérive plutôt
épistémiquement et cognitivement de la nécessité de l’être. La métaphysique ne
commence donc pas par la modalité d’un « nécessaire en-soi per se » comme son
terme primitif, cette notion se dévoile et se révèle au cours d’une enquête
ontologique33. Cela n’implique pas, nonobstant, que nous devions apporter des
preuves démonstratives en ce qui concerne le «  nécessaire en-soi per se  » ou
qu’une réfutation de l’idée ontologique d’une «  existence Nécessaire  » doive
aboutir à un rejet de la «  Divinité  »34  ; pourtant, ces déterminations de l’être
touchent à la question de l’essence divine et de ses attributs (al-dhāt wa’l-ṣifāt)35.
21 Avicenne a soutenu qu’il ne peut y avoir plus qu’un seul et unique « nécessaire
en-soi per se » et qu’aucune différence (faṣl) permet de le distinguer d’un autre.
Au cas où il y aurait plus qu’un «  Existant nécessaire en soi  », ils ne seraient
différenciables que par ce qui est autre qu’eux-mêmes suivant la différence
(faṣl). Mais cela entraînerait le fait qu’ils ne seraient plus nécessaires en soi, étant
donné qu’ils dépendraient d’une différenciation extérieure à leur essence les
séparant l’un de l’autre. Chacun serait alors nécessaire en soi et en même temps
nécessaire par un autre, or cela n’est pas soutenable en toute rigueur selon la
logique de la non-contradiction. Nous pourrions argumenter qu’un tel problème
serait peut-être résolu par des méthodes dialectiques qui rendraient compte de
ce qui est déterminé en soi par opposition à ce qui est déterminé par ce qui est
autre que soi. Pourtant, même ce genre de dialectique ne permettrait pas
d’affirmer simultanément une détermination en soi et une détermination par un
autre. Malgré tout, cela est logiquement problématique à moins que l’on adopte
une quasi-logique de l’ambiguïté qui n’obéit pas au principe logique de la non-
contradiction, mais dans ce cas ses énoncés ne seraient pas ceux du λόγος et
s’inscriraient plutôt dans des récits du µῦθος36. Non sequitur, la narration
mythologique n’est pas dépourvu de sens, mais elle ne s’accorde pas avec les faits
évidents et concrets, elle est ainsi épistémiquement et logiquement fausse du
point de vue d’une théorie de la vérité comme adéquation de l’intellect au réel
(« Veritas est adaequatio intellectus et rei »).

Essence et existence
22 L’intuition concernant « l’être en tant être » (al-wujūd bi-mā huwa wujūd ; τὸ ὂν
ᾗ ὂν) advient à l’esprit sans définition (ḥadd) ni description (rasm). La
métaphysique avicennienne s’écarte ainsi de l’ousiologie aristotélicienne
concernant le questionnement de l’être en tant qu’être. Le «  wājib al-wujūd bi-
dhātih » d’Avicenne n’a pas de quiddité (lā māhiyya lahu), étant donné qu’il n’est
pas un genus (jins), qu’il n’a pas de différence (faṣl) et qu’il transcende l’οὐσία
(substantia, jawhar)37. En dépit de cette méditation directe sur la question de
l’être en tant qu’être, un tournant sur-théologique est déjà attesté dans la
conception aristotélicienne de la métaphysique comme étant aussi liée à la
θεολογία. Néanmoins, une nouvelle phase fondamentale de la pensée
métaphysique apparaît avec l’attribution avicennienne de l’autonomie à
l’ontologie et des déterminations théologiques de la question de l’être, mais en
étant toujours marquée par un aspect dissimulé de l’ontothéologie. Si Avicenne
transcende l’ousiologie comme une métaphysique de la substance, son ontologie
n’est pas fondamentale au sens heideggérien du mot, car elle ne présuppose pas
une conception de l’être à partir d’une considération intégrale de l’analyse
existentielle du Dasein (existenziale Analytik des Daseins). Le «  Da-sein  »
désignant ici l’être humain dans les circonstances affectives et existentielles de
son «  être-là  » in concreto dans le monde (In-der-Welt-Sein), ou même de son
« être-le-là »38 et dans la chair 39.
23 Aristote avait énoncé que le traitement des «  êtres dans un sens premier  »
mène à une enquête sur ce à quoi « tous les êtres sont renvoyés », à savoir l’οὐσία
(substantia)40. Sur la base de cette lecture, tout ce qui est (en tant qu’il est posé
sous les catégories) montre que le « premier être » est οὐσία et ce qui est au sens
premier est l’οὐσία41. La substance est ici première selon la définition, la
connaissance, et le temps. La question métaphysique exprimée de longue date
« qu’est-ce qui est ? », à savoir « qu’est-ce que l’être ? » se réduit donc du point de
vue aristotélicien à la question : « qu’est-ce que la substance ? »42. L’essence de la
question, cependant, est plutôt  : «  qu’est-ce que c’est  ?  ». Le «  est  » dans cette
question désigne le verbe « être » qui apparaît continuellement et se dissimule au
sein des interrogations sur la relation entre l’essence et l’existence. Ceci est le cas
même si la distinction entre l’essence et l’existence est suggérée avec
ambivalence dans la tradition aristotélicienne concernant la réflexion sur ce que
veut dire « τὸ τί », à savoir le « ceci » ou le « cela » comme chose présente dans la
« singularité de son identité »43. L’acte de montrer « ceci » ou « cela » en disant
«  τὸ τί  » peut-être ainsi contrasté avec la notion vague et plus difficile à
appréhender du « τὸ τί ἦν εἶναι » : « qu’était une chose afin qu’elle soit la chose
qu’elle est  »  ! La doctrine ousiologique de l’être d’Aristote rapporte
l’entrelacement de deux déterminations  : elle répond à la question de l’essence
de quelque chose, mais tout en posant aussi cette chose comme un individu44. En
outre, étant donné la variété des êtres et, par conséquent, leurs multiples
significations, ils se réfèrent néanmoins dans leur unité à l’οὐσία en tant que
ὑποκείμενον45. Ce fond est toujours présent au cœur de toutes les significations
de « l’être » comme son sens fondamental à partir duquel les autres significations
peuvent être dites. En parlant des êtres, on murmure quelque chose à côté, c’est-
à-dire «  l’être lui-même  », l’εἶναι, auquel se rapportent les catégories et qui est
l’οὐσία.
« Avicenna Latinus »
24 Les réflexions ontothéologiques d’Avicenne sous-tendent les débats médiévaux
de la scolastique européenne latine sur la distinction et la composition entre la
quiddité qua essentia d’un existant et sa manière d’existence qua existentia. La
distinction entre l’essence et l’existence a été exprimée comme une distinctio
realis (réelle) dans la tradition du thomisme (Thomas d’Aquin), elle a été une
distinctio formalis ou modalis (formelle ou modale) dans l’héritage du scotisme
(Duns Scot), et elle est articulée comme une distinctio rationis (rationnel et dans
l’esprit) selon les commentaires de Suárez46. L’ontologie scolastique est
structurée en termes binaires et disjonctifs, en dyades telles que : ens infinitum vs
ens finitum (infini vs fini)  ; ens increatum vs ens creatum (incréé vs créé)  ; ens
necessarium vs ens contingens (nécessaire vs contingent)  ; ens per essentiam vs
ens per participationem (être par essence vs être par participation) ; actus purus
vs ens potentiale (réalité vs potentialité). En conséquence, le Divin est conçu
comme ens perfectissimum, ens a se, ens infinitum, ens increatum, ens
necessarium, ens per essentiam, actus purus (Le Parfait existe essentiellement en
soi, comme Existant infini, incréé, et purement actuel) : « sicut dixit Avicenna » !
Ces notions latines reposent sur des adaptations de la réflexion avicennienne sur
la différence ontologique entre « wājib al-wujūd bi-dhātih » (« être nécessaire en
soi  ») et «  wājib al-wujūd bi-ghayrih  » («  existant nécessaire par un autre  » et
« contingent en soi »)47.
25 Les méditations scolastiques sur la distinction et la composition entre la
quiddité (essentia) d’un existant et sa manière d’exister (existentia), inspirées par
des interprétations adaptatives et des conceptualisations assimilatrices de
l’ontologie avicennienne, vont finalement étayer selon la lecture heideggérienne
« la thèse kantienne sur l’être ». Cela passe par une spéculation sur l’impossibilité
d’avoir une preuve ontologique par la réflexion sur les inférences dialectiques
transcendantales de la raison pure. L’être ainsi n’est pas saisi comme un «  vrai
prédicat », il figure plutôt comme une « fonction copulative » (ce qui est désigné
en arabe : « wujūd rābiṭ »). La thèse de Kant dans sa Kritik der reinen Vernunft se
lit comme suit :

[…] l’être n’est évidemment pas un vrai prédicat ; c’est-à-dire, ce n’est pas un
concept de quelque chose qui pourrait être ajouté au concept d’une chose. Il
est simplement la position d’une chose ou de certaines déterminations
comme existant en soi. Logiquement, c’est la copule d’un jugement48.

26 Par conséquent, la distinction entre essentia et existentia ne correspond pas


facilement à une différence ontologique entre être (Sein, Seyn) et étants/existants
(Seiendes). Elle appartient plutôt à l’un ou à l’autre côté de cette bifurcation
ontologico-ontique binaire. L’essence primordiale est donc posée comme une
contrepartie opposée à l’existence primordiale. Chacune de ses deux lignées
établira une nouvelle branche de l’ontothéologie dans la métaphysique  : (1) La
primauté originaire de l’essence  : «  aṣālat al-māhiyya  » (qui sera attribuée à
l’illuminisme de Shihāb al-Dīn Suhrawardī)  ; (2) La primauté originaire de
l’existence : « aṣālat al-wujūd » (selon Mullā Ṣadrā et sa doctrine du mouvement
substantiel : « al-haraka al-jawhariyya »).

« Il y a … »
27 Malgré la nouvelle orientation de l’ontologie d’Avicenne, qui transcende et
surmonte l’ousiologie d’Aristote, la réflexion sur la connexion et la distinction
entre essence et existence, et le dévoilement d’une différence ontologique entre
être (Sein, Seyn) et étants/existants (Seiendes), sa pensée ontologique annonce
encore de profondes tensions internes et des incongruités non-résolues dans sa
doctrine de l’être. En vue de réfléchir sur cette question, nous reconsidérerons
encore et d’une façon critique la question de l’être (Seinsfrage) sous la modalité
du «  wājib al-wujūd bi-dhātih  », tout en essayant d’offrir des prolongements
ontologiques modernes de notre interprétation. Comme je l’ai déjà indiqué ci-
dessus, l’expression «  wājib al-wujūd bi-dhātih  » est indicative d’une nécessité
d’existence ambiguë comme «  être nécessaire en soi per se  », ou –  en se
rapportant à une signification plus littérale – comme « un existant nécessaire en
soi  ». Le premier sens («  être nécessaire en soi per se  ») désigne le fait qu’il y a
une source originaire d’où émane l’hypostase, notamment « il y a » au lieu de « il
n’y a pas ». Dire « il n’y a pas » est une façon d’affirmer qu’ « il y a néant » ; mais
en disant « il y a », on niera « le néant ». Tout ce que nous pourrions dire envers
ce présage est : « il y a » (simplement comme donation de l’être : « es gibt Sein »)49.
28 La surabondance hénologique de l’Un (ἓν)50 néoplatonicien est celle de la méta-
ontologie, de ce qui est au-dessus de l’être (ἐπέκεινα τοῦ εἶναι)51, et non pas
simplement de ce qui est au-delà de l’existant (ἐπέκεινα τοῦ ὄντος). Mais en étant
au-dessus de l’être, l’Un ne serait pas le non-être (μὴ εἶναι), car s’il dépasse l’εἶναι
il n’est pas μὴ εἶναι. Selon une négation du néant : « il y a » (es gibt Sein) au lieu
de « il n’y a pas ». Cela implique alors une certaine παρουσία comme un état de
venir en présence, donc comme une manifestation, une apparition ou épiphanie
(ἐπῐφᾰ́νειᾰ). Le néant est comme le voile de l’être (der Schleier des Seins) qui le
cache tout en le laissant ainsi se dévoiler52. En conséquence, le nécessaire (al-
wājib) n’est pas considéré dans ce sens-là comme un Existant sur-théologique,
mais plutôt comme l’être pur et immédiat per se qui est égal à lui-même, à savoir
l’être-en-soi qui est indifférent à toute détermination d’être. En tant qu’il est une
simple relation avec lui-même, et qu’il est posé a priori, il est nécessaire.
Cependant, lorsque nous interprétons «  wājib al-wujūd bi-dhātih  » comme
« Existant nécessaire en soi », on passe alors de l’être pur à une détermination de
l’être comme [un] existant  53. Cette détermination est auto-posée a fortiori en
excluant toute altérité, à savoir en écartant le Tout, notamment les autres
existants qui sont contingents. L’Un implique l’exclusion du multiple par une
répulsion qui pose le Tout comme altérité. Néanmoins, l’Un reste lié à ce qu’il
exclut de lui-même par le mouvement dialectique inverse de l’attraction.
L’exclusion est l’émanation, et l’attraction est le retour. Le Tout qui émane de l’Un
retourne dans un rassemblement intégratif à sa source originaire dans l’Un. Dans
le double mouvement de répulsion et d’attraction, d’émanation et de retour, l’Un
Nécessaire est révélé comme fondement initiateur et destin final (al-mabda’ wa’l-
maʿād). En tant que fondement, l’Un est présupposé comme étant l’origine
toujours présente à la base du Tout qui émane d’elle ; il est ainsi un ὑποκείμενον.
Suivant cette analyse, le « wājib al-wujūd bi-dhātih » est l’être-pour-soi qui exclut
le Tout en repoussant par émanation le multiple de l’Un. Il est aussi l’être-pour-
l’autre suivant une auto-répulsion vers l’altérité en y recueillant le Tout par
l’attraction du retour54. L’être pur per se devient un existant dérivé et déterminé,
même si la neutralité et l’ambivalence du « il y a » reste paradoxalement comme
une modalité d’exister sans existant (wujūd bi-lā mawjūd).
29 Un déterminisme se produit ainsi dans la métaphysique avicennienne par une
«  sublimation  » (Aufheben), à savoir par une éventualité transcendante d’être
préservé et conservé tout en étant simultanément dépassé et terminé. Ce qui est
sublimé entre dans une unité apparemment effacée avec son contraire, en étant
également élevé par l’effet d’un levier dialectique. Cependant, ce qui sert de base
à ce processus du devenir est aussi englobé dans les replis de ce qui découle de
lui55. L’être pur est ainsi auto-sublimé en devenant un existant déterminé, même
si cette détermination n’est pas associée clairement à une quiddité. Car, ce qui est
indéterminé est sublimé dans ce qui est déterminé, comme c’est le cas avec l’être
pur qui donne la notion de divinité comme Un qua existant nécessaire en soi.
L’être pur, qui est totalement indéterminé, est auto-sublimé lorsqu’il est
considéré comme existant nécessaire et tout en étant déjà soumis à une
détermination par le fait qu’il est nécessaire. Existant en raison de lui-même,
l’être pur laisse apparaître son mode d’être déterminé. Le déterminisme de l’être
dans la modalité de l’existence nécessaire en soi est finalement un mouvement de
l’être-en-soi per se qui est purement sans aucune altérité, même présupposée
autre que lui par différentiation. L’être-pour-soi, qui est auto-médiatisé et auto-
déterminé, se distingue de toute altérité, en se différenciant de ce qui est autre
que lui-même, il pose par conséquent une altérité comme ce qui est autre que lui.
C’est ainsi que l’être-pour-soi se sublime en être-pour-autrui. L’être-en-soi passe
par une auto-négation comme être indéterminé, pour devenir une altérité
déterminée dans le Tout. Le fait qu’il y a, au lieu qu’il n’y a pas, donne l’être (es
gibt Sein). L’émanation est un don de l’être qui passe de l’en-soi et pour-soi à
l’autre de l’Un qui donne le multiple, le Tout. Mais ce qui est ainsi la source
originaire du don se détermine en regroupant le Tout en lui-même comme Un.
L’émanation de la source conduit au retour vers elle comme origine. Sur la base
de cette lecture interprétative, l’être pur, qui est tout à fait indéterminé, est dans
son immédiateté l’être-même (Sein). Il passe ensuite à une détermination, à
savoir à l’«  Existence Nécessaire en-soi  », qui, en tant qu’Unité, transforme son
être-pour-soi en être-pour-autrui par le biais de sa répulsion dans la variété
multiple en tant qu’altérité. L’être pur, qui est sans quiddité, ni définition ou
description, et qui est au-delà des catégories, tout en étant non-médiatisé,
totalement indéterminé, et seulement égal à lui-même, devient un être déterminé.
L’être pur devient l’Existant Nécessaire. Cela révèle une certaine manière de
répondre onto-théologiquement à la question  : «  Comment Dieu entre-t-il en
philosophie  ?  »56, en ramenant l’être (Sein, Seyn, einai) des étants (Seiendes, τὰ
ὄντα) au «  Divin  » et en transformant la question de l’être (Seinsfrage) en une
enquête métaphysique sur la divinité.
30 L’être pur ne peut pas être simplement compris comme un «  étant  » qua
« existant » et il ne peut pas être facilement défini en lui attribuant des étants qua
existants57. «  L’être pur  » per se, «  l’être-pour-soi  » et «  l’être-pour-autrui  »,
décrivent tous des étapes divergentes de l’ontologie d’Avicenne. La question de
l’être pur, en tant que l’être (Sein) lui-même, dévoile la différence ontologique
entre l’être et les étants, tandis que l’existence nécessaire en soi, comme étant ce
qui se sublime en être-pour-soi qui passe à l’être-pour-autrui, dissimule de
nouveau cette différence. Le moment du dévoilement est ainsi acquiescé à l’oubli.
Bien que cet état de choses puisse être considéré du point de vue heideggérien
comme étant révélateur d’une tendance métaphysique classique à céder la
question de l’être à l’oubli (Seinsvergessenheit, Seinsverlassenheit), Avicenne a
néanmoins soulevé la question de l’être à nouveau, même si le moment du
dévoilement a été imprévisiblement couplé avec un autre moment de
dissimulation. L’ontologie d’Avicenne a révélé d’une manière crédible le
paradoxe perpétuel auquel sont confrontés ceux qui abordent avec attention les
subtilités de la question de l’être, en contemplant les mystères stimulants de son
étrange «  auto-envoi  » et «  auto-retrait  » (répulsion et attraction, émanation et
retour). Ce qui nous préoccupe dans ce contexte, et doit être pensé attentivement,
se détourne toutefois mystérieusement de nous, mais tout en nous entraînant
plus près de lui par son propre retrait qui est toutefois attrait58. C’est ainsi que la
mise en lumière de la possibilité interne de la compréhension de la question de
l’être nous sollicite toujours à penser. « Qu’est-ce que l’être ? » reste toujours, et
dans toute sa rigueur pour la pensée, comme « la seule étoile » (« Auf einen Stern
zugehen, nur dieses… »)59.

Notes
1 Sur l’histoire comparée des idées, dans le contexte établi et conventionnel, consistant à
analyser et à documenter philologiquement et historiquement la réception de la
Métaphysique d’Aristote dans la pensée ontothéologique d’Avicenne, voir A.  Bertolacci,
The Reception of Aristotle’s Metaphysics in Avicenna’s Kitāb Al-Šifā : A Milestone of Western
Metaphysical Thought, Leyde, Brill, 2005 ; R. Wisnovsky, Avicenna’s Metaphysics in Context,
Ithaca, Cornell University Press, 2003 ; A. Bertolacci et D. Nikolaus Hasse (éd.), The Arabic,
Hebrew and Latin Reception of Avicenna’s Metaphysics, Berlin, De Gruyter, 2011.
2 J’ai présupposé par exemple un «  néo-avicennisme  » philosophique hypothétique dans
mon traitement de la philosophie de la conscience, comme un exercice de pensée d’un
point de vue moderne et qui se fonde sur des prolongations conceptuelles adaptées et
inspirées par la philosophie d’Avicenne dans : N. El-Bizri, « Avicenna and the Problem of
Consciousness  », dans S.  Leach et J.  Tartaglia  (éd.), Consciousness and the Great
Philosophers, Londres, Routledge, 2016, p. 45-53.
3 Cela se déroule en m’appuyant sur d’autres études philosophiques complémentaires que
j’ai précédemment publiées autour de ce thème ailleurs  ; et c’est dans ce cadre
ontologique que je présente cet article comme une étude supplémentaire auprès d’autres
de mes publications sur cette question  : The Phenomenological Quest  : between Avicenna
and Heidegger, Binghamton, Global Publications, Binghamton University, 2000 et mon
article : « Avicenna and Essentialism », Review of Metaphysics, no 54, 2001, p. 753-778. J’ai
aussi discuté ailleurs les questions de cette méthodologie dans plusieurs articles  : «  The
Labyrinth of Philosophy in Islam  », Comparative Philosophy, no  1.2, 2010, p.  3-23  ; «  Ibn
Sīnā’s Ontology and the Question of Being », Ishrāq : Islamic Philosophy Yearbook, Moscou,
Russian Academy of Sciences – Iranian Institute of Philosophy, vol.  II, 2011, p.  222-237  ;
«  Le renouvellement de la falsafa  ?  », Les Cahiers de l’Islam, vol.  I, 2014, p.  17-38  ;
« Falsafa : A Labyrinth of Theory and Method », Synthesis Philosophica, vol. 62, no 2, 2016,
p. 295-311.
4 « Zunächst geht das Problem auf die arabische Philosophie zurück, vor allem auf Avicenna
und dessen Kommentar  » (Martin Heidegger, Die Grundprobleme der Phänomenologie,
Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1975, GA  58, §  10, p.  113). Sur le destin des
formulations heideggériennes dans l’historiographie philosophique médiévale, voir
P.  Porro, «  Heidegger, la filosofia medievale, la medievistica contemporanea  », Quaestio,
no 1, 2001, p. 431-461.
5 Avicenne, La métaphysique du Shifaʾ  : Livres I à V, tr. G.  Anawati, Paris, 1978, p.  57.
D’autres influences venaient implicitement des traditions arabo-chrétiennes médiévales et
de la rencontre avec l’avicennisme de ce qui a été hérité des écoles carolingiennes, comme
celle de Saint-Germain d’Auxerre. Voir par exemple  : D.  Logna-Prat, C.  Jeudy et
G.  Lobrichon  (éd.), L’école carolingienne d’Auxerre, de Murethach à Remi 830-908, Paris,
Beauchesne, 1991  ; et pour les particularités des relations Islamo-Chrétienne du Moyen
Âge, voir  : D.  Pratt, J.  Hoover, J.  Davies et J.  Chesworth  (éd.), The Character of Christian-
Muslim Encounter, Leyde, Brill, 2016. Cela est particulièrement important du point de vue
théologique en ce qui concerne la question de la Trinité et sa relation avec l’unicité à
propos de l’essence divine et des attributs divins (al-dhāt wa’l-sifāt).
6 Cf. M. Heidegger, Die Grundprobleme der Phänomenologie, op. cit., § 10, p. 113-114.
7 Ibid., p. 128-140. On retourne à cette question ci-dessous.
8 Aristotle, Metaphysics, éd. W. David Ross, Oxford, 1924, 998b22-23 ; 1001a21 ; 1003b5. On
ajoute ici une proposition logico-ontologique kantienne, notamment que : l’être n’est pas
évidemment un véritable prédicat ; c’est-à-dire qu’il n’est pas un concept de quelque chose
qui pourrait être ajouté au concept d’une autre chose. Il est simplement la position d’une
chose ou de certaines déterminations de celle-ci comme existant en soi. Logiquement, c’est
la copule d’un jugement. Voir  : Kant, Kritik der Reinen Vernunft, Hambourg, F.  Meiner,
1998, A598-B626  ; et aussi  : Heidegger, Die Grundprobleme der Phänomenologie, op. cit.,
p. 109-110.
9 M. Heidegger, Sein und Zeit, Frankfurt am Main, V. Klostermann, 1977, GA2.
10 Ibid., § 15, p. 68.
11 M. Heidegger, Vorträge und Aufsätze, Pfullingen, G. Neske, 1954, p. 13-44 ; en particulier
p. 23-28.
12 P. Caye, «  Destruction de la métaphysique et accomplissement de l’homme  », dans
B. Pinchard (éd.), Heidegger et la question de l’humanisme, Paris, PUF, 2005, p. 153-183 ;
en particulier p. 159.
13 Voir aussi la lecture de Heidegger de la Métaphysique Θ 1–3 d’Aristote.
14 Avicenne, La métaphysique du Shifaʾ  : Livres VI à X, tr. G. Anawati, Paris, Vrin, 1985,
Livre VI, chap. 3-4 (sur les quatre causes).
15 M. Heidegger, Sein und Zeit, op. cit., § 44, p. 214.
16 M. Heidegger, Identität und Differenz, Pfullingen, Neske, 1957, p. 46, 48, 49.
17 Kant, Kritik der Reinen Vernunft, op. cit., A632-B660. Voir aussi C. Lavaud, Itinéraires de
la puissance, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2004, p. 80-81.
18 Aristotle, Metaphysics, op. cit., 998b22-23 ; 1001a21 ; 1003b5.
19 Ibn Sina, Kitāb al-shifaʾ, Metaphysics II, éd. G. Anawati, I. Madkour et S. Zayed, Le Caire,
1975, p. 35 ; Ibn Sina, Kitāb al-najat, Metaphysics I, éd. M. Fakhry, Beyrouth, 1985, p. 255.
Pour l’analyse des modalités du nécessaire, du possible, et de l’impossible, voir aussi  :
Avicenne, La métaphysique du shifaʾ : Livres I à V, op. cit., Livre I, chap. 5-7, p. 110-122.
20 Avicenne, La métaphysique du shifaʾ : Livres VI à X ; Avicenne discute la connaissance
du principe premier de l’existence et ses attributs dans le Livre  VIII. Cela est bien en
résonance avec l’ontothéologie négative de Fārābī telle qu’elle figure dans son traité de La
Cité Vertueuse (al-Madīna al-fādila) ou il affirme que Dieu est le premier être (mawajud
awwal) comme cause première (sabab awwal) de tous les existants  ; qu’il est parfait
(kamil), perpétuel (sarmadi), sans causes matérielle, formelle, téléologique, efficiente
(madiyya, suwariyya, gha’iyya, faʿiliyya [§  1]), sans égal (shabih [§  2]), sans contraire (did
[§  3]), sans définition (hadd [§  4])  ; qu’il est omniscient, sage, vrai, vivant (ʿalim, hakim,
haqq, hayy), et comme l’unicité de l’intellect-intelligent-intelligible (ʿaql ʿaqil maʿqul [§  5]).
Fārābī, Ārāʼ ahl al-madīna al-fādila, éd. Albert Nasri Nader, Beyrouth, 1968, §§  1-5. On
trouve aussi des retentissements sur le Principe Premier du mouvement (al-muharrik al-
awwal) chez Abū Sulaymān al-Manṭiqī al-Sijistānī de l’école philosophique de Bagdad dans
son ouvrage : Siwan al-hikma wa thalath rasa’il, éd. Abdulrahman Badawi, Tehran, 1974,
p. 272-276.
21 Ibn Sīnā, al-Taʿliqat, éd. ‘A. Badawī, Beyrouth, 1984, p. 190.
22 Ibid., p. 151.
23 Ibid., p.  16  ; Ibn Sīnā, al-Ilahiyyat, op. cit., I.6  ; IX.1  ; IX.4  ; Ibn Sīnā, al-Isharat wa-l-
tanbihat, éd. S. Dunyā, Beyrouth, 1993, IV.12.
24 Ibn Sīnā, al-Najat min al-gharaq fi bahr al-dalalat, éd. M. T. Dānishpazhūh, Téhéran,
2000, p. 497.
25 Ibn Sīnā, al-shifaʾ : al-Tabiʿiyyat (al-samaʿ al-tabiʿi), éd. S. Zāyed, Qum, 1984, IV.11, p. 309.
26 Voir par exemple : Avicenna Latinus, Liber De Philosophia prima sive Scientia divina I-
IV, éd. S. Van Riet, introduction G. Verbeke, Leyde, 1977, p. 72.
27 Ibn Sina, Danish nameh (Metaphysica of Ibn Sina), tr. Parviz Morewedge, New York,
1973, p. 50-52.
28 Cela est clair selon les arguments de Ghazālī dans son Tahafut al-falasifa (L’incohérence
des philosophes  ; discussion 17 de la partie sur la physique cum philosophie-naturelle)  :
Ghazālī, Tahafut al-falasifa (The Incoherence of the Philosophers), tr. Michael Marmura,
Provo, 2000, p. 166-177.
29 Ibn Sīnā, Danish nameh, op. cit., p. 76 ; Avicenna Latinus, Liber De Philosophia prima, op.
cit., p.  73-74  ; A.-M.  Goichon, La philosophie d’Avicenne et son influence en Europe
médiévale, Paris, J. Maisonneuve, 1984, p. 24-27, 50.
30 Avicenne, La métaphysique du Shifaʾ, op. cit., Livre IX, chap. 1-7.
31 Ibn Sina, Kitāb al-shifaʾ, Metaphysics II, op. cit., p. 327-328, 340.
32 Ibn Sina, Danish nameh, op. cit., p. 59.
33 P.  Morewedge, Islamic Philosophical Theology, Albany, State University of New York
Press, 1979, p. 191-192.
34 Ibn Sina, Kitāb al-shifaʾ, Metaphysics II, op. cit., p.  354  ; L.  E.  Goodman, Avicenna,
Londres, Routledge, 1992, p.  64  ; P.  Morewedge, Islamic Philosophical Theology, op. cit.,
p. 188-222.
35 On trouve cette question dans la manière dont l’avicennisme est critiqué par Abū
Ḥāmid al-Ghazālī dans al-Munqidh min al-ḍalāl, éd. M.-S. R. al-Būțī et ‘A.-Q. Arnā’ūṭ,
Damas, 1992. J’ai aussi considéré cette problématique dans  : N.  El-Bizri, «  God  : Essence
and Attributes  », dans T.  Winter  (éd.), The Cambridge Companion to Classical Islamic
Theology, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 121-140.
36 Ibn Sīnā, Danish nameh, op. cit., p.  43-47  ; Ibn Sīnā, Kitāb al-isharat wa’l-tanbihat, éd.
S. Dunia, Le Caire, 1960, vol. 3, p. 65 ; Ibn Sīnā, Livre des directives et remarques, éd. et tr.
A.-M. Goichon, Paris, Vrin, 1951, p. 353 ; L. Gardet, La connaissance mystique chez Ibn Sina
et ses présupposés philosophiques, Le Caire, Publications de l’Institut français
d’archéologie orientale, 1952, p.  37, 67  ; Ibn Sīnā, Risala fi al-ʿishq, Traité de l’amour
mystique d’Avicenne, éd. M. Mehren, Leyde, 1894, p. 2-3.
37 Avicenne traite la question de la substance et ses divisions dans le chapitre 4 du livre II
de La métaphysique du Shifaʾ, op. cit.
38 M.  Heidegger, Sein und Zeit, op. cit., §  2. Cf. J.  Beaufret, Dialogue avec Heidegger,
Tome II : Philosophie moderne, Paris, Les Éditions de Minuit, 1973, p. 51 ; id., Dialogue avec

É
Heidegger, Tome  IV  : Le chemin de Heidegger, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985, p.  113-
115. Pour le traitement de « la constitution existentiale du là » chez Heidegger, voir aussi :
H.  Pasqua, Introduction à la lecture de Être et Temps de Martin Heidegger, Paris, L’âge
d’homme, 1993.
39 Évoquant ainsi le prolongement de l’analyse existentielle de la mondanité du Dasein
suivant la perspective phénoménologique de Maurice Merleau-Ponty à propos du
phénomène de « la chair du monde ».
40 M. Heidegger, Aristoteles : Metaphysik IX 1-3, Frankfurt am Main, 2006, p. 2.
41 Aristote, Metaphysics, op. cit., 1028a13ff.
42 Ibid., 1028b 2-4.
43 Haecceitas ; Duns Scot, Ordinatio II, d. 3, p. 1, q. 2, n. 48.
44 Aristote, Metaphysics, op. cit., 1028a 10.
45 Ibid., 1003a 33.
46 S. Thomas d’Aquin, Quaestiones Quodlibetales, Summa theologiae, De veritate, De ente et
essential ; Duns Scot, Reportata Parisiensia ; Suárez, Disputationes metaphysicae.
47 Ibn Sīnā, Kitāb al-shifaʾ, op. cit., p.  36-39, 43-47, 350-355  ; id., Kitāb al-najat, op. cit.,
p. 255, 261-265, 272-275, 283-285 ; id., al-Isharat wa’l-tanbihat, op. cit., p. 65 ; id., Kitāb al-
hidaya, éd. M. ʿAbdū, Le Caire, 1874, p. 262-263.
48 Kant, Kritik der reinen Vernunft, op. cit., A598-B626.
49 Voir par exemple E. Levinas, Le temps et l’autre, Paris, PUF, 1991, p. 25-26.
50 Plotin, Ennéades, tr. M.-N. Bouillet, Paris, 1957, Tome 3 : Ennéade VI, livre 9 [3] : Τί ἂν
οὖν εἴη τὸ ἓν καὶ τίνα φύσιν ἔχον; Ἢ οὐδὲν θαυμαστὸν μὴ ῥᾴδιον εἰπεῖν εἶναι, ὅπου μηδὲ
τὸ ὂν … ἐκεῖνο δὲ οὔ τι, ἀλλὰ πρὸ ἑκάστου, οὐδὲ ὄν. καὶ γὰρ τὸ ὂν οἷον μορφὴν τὴν τοῦ
ὄντος ἔχει, ἄμορφον δὲ ἐκεῖνο καὶ μορφῆς νοητῆς (Qu’est donc l’Un ? Quelle est sa nature ?
Il n’est point étonnant qu’il soit si difficile de le dire, lorsqu’il est difficile de dire même ce
que c’est que l’être … L’Un n’est point non plus l’être ; car l’être aura une forme spéciale,
qui est celle de l’être, et l’Un est sans forme même intelligible…). Pour des réflexions sur
l’hénologie classique, voir aussi  : H.  Pasqua, Histoire de l’Un  : La question du principe de
Parménide à Nicolas de Cues, Paris, Éditions Universitaires, 1993. Concernant le traitement
mathématique de l’hénologie selon le néo-pythagorisme et le néo-platonisme des
traditions philosophiques issues du milieu islamique, voir par exemple les Épîtres 1, 2, et 6
des Frères de la Pureté (Rasa’il Ikhwan al-Safa’ ; xe siècle A.D., Irak) : Epistles of the Brethren
of Purity. On Arithmetic and Geometry  : Arabic Critical Edition and Annotated English
Translation of Epistles 1 and 2, éd. N.  El-Bizri, Oxford, 2012  ; Epistles of the Brethren of
Purity. On Composition and the Arts  : Arabic Critical Edition and Annotated English
Translation of Epistles 6-8, éd. N. El-Bizri, Godefroid de Callataÿ, Oxford, 2018.
51 Cela évoque aussi l’idée du bien (τοῦ ἀγαθοῦ ἰδέα) qui advient de ses origines des
sections 508e-509b du livre VI de la πολῑτείᾱ de Platon. Le bien per se (ἀγαθοῦ [«  al-
khayr »]) est la Forme (εἶδος) de toutes les autres formes, et qui les génère. Le bien n’est
pas l’être (εἶναί), mais il est plutôt au-delà de lui en rang et puissance  ; étant ainsi la
source qui fournit la connaissance et la vérité, en les surpassant encore en beauté. Comme
le soleil ne donne pas seulement à ce qui est visible la condition de sa visibilité, mais
engendre également sa croissance en n’étant pas en soi la génération (γένεσιν). L’existence
(εἶναί) et l’essence (οὐσίαν) des phénomènes de la connaissance sont dérivées donc du
bien (ἀγαθός), toutefois sans qu’il soit lui-même une essence (οὐσίας) mais qu’il
transcende l’essence (ἐπέκεινα τῆς οὐσίας) en dignité et par un pouvoir surpassant
(δυνάμει ὑπερέχοντος). L’ἀγαθός est alors identifié au ἕν (l’Un), et Aristote affirme aussi
dans la section 988a du livre I de sa Métaphysique que comme les εἴδη (formes) sont la
αἴτια (cause) de tout le reste, ἕν (Un) est la cause des εἴδεσι (formes).
52 M. Heidegger, Was ist Metaphysik  ?, Frankfurt am main, Vittorio Klostermann, 1955,
p. 18.
53 Hegel, Wissenschaft der Logik. Science of Logic, Atlantic Highlands, 1996, p. 95-101.
54 Ibid., p. 164-165, 170-177.
55 Hegel, Wissenschaft der Logik, op. cit., p. 70-74, 107-108.
56 M. Heidegger, Identität und Differenz, Pfullingen, Günther Neske, 1957, p. 46, 48, 49.
57 Jeff Owen Prudhomme, God and Being  : Heidegger’s Relation to Theology, Atlantic
Highlands, NJ, 1997, p. 152.
58 M. Heidegger, Was Heisst Denken ?, Tübingen, M. Niemeyer, 1954, I.1. I ; remarques sur
le Mnemosyne de Friedrich Hölderlin.
59 M. Heidegger, Aus der Erfahrung des Denkens, Pfullingen, Günther Neske, 1954, p. 7.
Pour citer cet article
Référence papier
Nader El-Bizri, « La question de l’être d’Avicenne à Heidegger », Noesis, 32 | 2018, 221-240.

Référence électronique
Nader El-Bizri, « La question de l’être d’Avicenne à Heidegger », Noesis [En ligne], 32 | 2018, mis en
ligne le 15 décembre 2020, consulté le 10 avril 2023. URL :
http://journals.openedition.org/noesis/5021 ; DOI : https://doi.org/10.4000/noesis.5021

Auteur
Nader El-Bizri
Nader El-Bizri est professeur de philosophie et d’étude des civilisations à l’Université Américaine
de Beyrouth, vice-doyen de la Faculté des arts et des sciences et directeur de l’enseignement
général. Il a auparavant enseigné à l’Université de Cambridge, à Nottingham, à Lincoln, au London
Consortium de Londres, et à Harvard, chercheur associé à l’Institut d’études Ismaïliennes à
Londres et au CNRS à Paris. Spécialiste des sciences et de la philosophie arabes. membre de
comités de rédaction (Oxford University Press, Springer, Routledge, Brill, Indiana University
Press). Auteur, entre autres, de The Phenomenological Quest between Avicenna and Heidegger
(SUNY, 2002, réimpr. 2014).

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