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Le problème de l'intentionnalité dans la philosophie de E.

Levinas
Author(s): Craig R. Vasey
Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 85e Année, No. 2 (Avril-Juin 1980), pp. 224-239
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40902043
Accessed: 22-08-2014 18:35 UTC

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Le problèmede l'intentionnalité
dans la philosophiede E. Levinas

La penséed'EmmanuelLevinasa toujoursété étroitement liée à la


phénoménologie de Husserl, de tellesortequ'uneprésentation la philo-
de
sophie de Levinas ne peut éviter quelquesremarquessur la relation
qu'elleentretientavec la penséehusserlienne.Il ne s'agitpas de montrer
une simpledépendance,mais de voir commentla philosophieparfois
anti-phénoménologique de Levinasrepenseet radicalisecertaines notions
fondamentales de la phénoménologie et metcelle-cien questiontouten
s'en inspirant.La notionla plus fondamentale de la phénoménologie
husserlienne est sans doute l'intentionnalité. Notrepropos dans cet
articlesera de suivrele développement de cettenotionclé dans l'œuvre
de Levinas. Nous commencerons en rappelantla doctrinehusserlienne
de l'intentionnalitételleque Levinasla comprend et la critiquedansson
de Husserl1.Nous en
étude Théoriede Vintuitiondans la phénoménologie
suivronsl'évolutionchez Levinas depuissa critiquede 1'« intellectua-
lisme» de Husserljusqu'à ses propresrecherchesdans les deux grands
qu'êtreou au-delà de Vessence2.
ouvrages, Totalitéet infiniet Autrement
On verraque la positionde Levinasne représente pas seulementune
positionautreque cellede Husserl,maisque sespropresidéessurl'inten-
tionnalitéont beaucoupévolué,surtoutdans les étudesplus récentes
où les analysesde la proximitévontplusloinque cellesde l'intentionnalité
non-objectivante de la jouissance.
I

impliqueen son essence- quoiqu'onpuisse


« Tout vécuintentionnel
sa
trouverpar ailleursdans composition concrète- la positiond'au
1. E. Levinas, Théoriede Vintuitiondans la phénoménologiede Husserl, Paris, Vrin,
1930. 1970ündiaué ci-dessouspar le sigle TI PH).
2. E. Levinas, Totalitéet infini,La Haye, MartinusNijhofî,1961, 1974 (TI) et
Autrementqu'êtreou au-delà de l'essence,La Haye, Martinus Nijhofî, 1974 (AQE).

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Levinas et Vintentionnalité

moinsun, en règlegénéralede plusieurs' caractèrespositionnels ', de


' thèses' »3.
plusieurs
Selon Husserlun acte de consciencen'est pas seulementconscience
d'un objet,maispose le moded'être-donné de ce dontil est conscient,
de tellesorteque l'êtrese présentecommele corrélatif objectifde la vie
intuitiveou du vécu. Le mode d'être-donné de l'objet faitpartiedu
noèmecompletet dépendde l'actepositionnel ou objectivant. OrLevinas
montreque cet acte objectivant n'estriend'autreque la représentation,
dans son explicationde la fameusephrase des Recherches logiques:
« ChaqueErlebnisintentionnel est,soit un acteobjectivant, en a un
soitil
semblableà sa base, c'est-à-direil contientnécessairement, dans ce
dernier cas, l'acte objectivant, en tant que pièce constitutive...»4.
Mais ce n'est pas seulementdans les Recherches logiquesque Levinas
trouveunefondation de toutvécudansla représentation. Mêmedansles
Idées,avec la doctrinede la thèsedoxiqueet de son universalité - à
proposde laquelle Husserlavait écrit: « Tout acte, ou tout corrélat
d'acte,enveloppeen soi un facteur'logique' implicite ou explicite»5 -
il ressort
quetouteintentionnalité resteune représentation ou est fondée
dansunereprésentation6. C'estsurce pointque se manifeste le véritable
conflitentreLevinaset Husserl: « Dans sa philosophie (et c'estpeut-être
là que nousauronsà nousen séparer),la connaissance, la représentation
n'est pas un modede vie du mêmedegréque les autres,ni un mode
secondaire.La théorie,la représentation... sertde base à toutela vie
consciente ; elle est la formede l'intentionnalité qui assurele fondement
de toutesles autres»7.
C'estdoncà partirdu refusde cetteidéede l'intentionnalité que Levinas
entreprend ses propresrecherches. Il s'orienteversla notionde l'inten-
tionnalitéincarnée,qu'il évoque déjà en 1947 dans ses analysesde
Thypostase et de la localisationde la conscience dansla position8.Nous
définirons ses premières idéessurune autreintentionnalité en nousréfé-
rantà De Vexistence à Vexistant,dontune deuxièmeéditiona récemment
été publiéechez Vrin.En effetce petitlivre,qui se dit préparatoire,
doitêtrelu prudemment, étantdonnéles modifications d'approcheaussi
bienque de terminologie qui onteu lieu chezLevinasdepuistrenteans,
maisnouspouvonsquandmêmey trouver, danslesanalysesdel'hypostase
et du présent,un filconducteurqui nous mèneraà Totalitéet infini.
Ce filsera précisément le rapportqui existeentrele sujet qui est dans

3. E. Husserl, Idées directricespour une phénoménologie,Paris, Gallimard, 1950,


trad. P. Ricœur, p. 397 (traductionmodifiée).
4. b,. MussERL,LogischeUntersuchungen II, Halle, Niemeyer,1901,p. 493,cité par
Levinas, TIPH, p. 97.
5. Husserl, Idées,p. 400.
6. Levinas, TI, p. 95.
7. Levinas, TIPH, p. 86.
8. Levinas, De l'Existence
à l'existant,
Paris,Vrin,1947,1978,(EE), p.*56,115-124.

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Revue de Méta. - N° 2, 1980. 15

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un certainsensune substance9 et le mondesurlequelil se pose et où il


se
peut reposer.
Levinaspartde la phrasede Descartes,« je suisune chosequi pense»,
et remarque la précision du mot« chose» pourindiquerle faitque la pen-
sée individuelle a unebase. « La penséea un pointde départ.Il ne s'agit
pas simplement d'uneconscience de la localisation, maisd'unelocalisation
dela conscience qui ne se résorbepas à son tour en conscience, ensavoir»10.
Cettelocalisation- la relationavec une base qui peutaussi devenirun
refuge, car la conscience peut suspendre Vil y a en dormant11 - est en
faitle corps.C'estle corpsqui constitue pour Levinas un « ici » à partir
duquel la conscience vient au monde ; elle ne serait pas déjà dans le

monde, ne venant à soi qu'à partir du monde comme horizon12. L'analyse
de De VExistence à Vexistant fait apparaîtreun conceptdu sujet qui,
n'étantpas de primeabordextatique,n'estpas nonplus« librecommele
vent» et en pleinepossession de soi.Le sujetn'estpas seulement le corps,
il estla manièredu corpset se constituecommesujet,commemaîtrede
sonexistence, dansla relationentrel'effort etla fatigue.Ainsise caracté-
risele présent: « un effort de présentdans un retardsurle présent»13.
L'effort d'agirconstituedéjà un poids,est accompagnéd'unefatigue, de
tellesorteque le sujetest déjà encombré de soi-même. C'estprécisément
cet encombrement, cetteréférence à soi, qui constituele présentet la
relationavecla base qui définissent le sujet.
On observedans cetteanalyseque le sujet ou la conscienceest vu
existerà partird'unebase concrètequi est le monde(un thèmequi est
développédavantagedans Totalité etinfini), et que ce refusdu primatde
l'extatiqueet ce renfermement dansle présentindiquentunenotiond'un
sujetdéterminé de primeaborddansune passivité(uneidée qui voitun
développement plus élaboréet subtildans Autrement qu'être).Dans tout
cela la notiond'intentionnalité constitutive et objectivante de la repré-
sentation ne peutplustrouversa place.Sans formuler explicitement dans
cet ouvragede 1947 la notiond'une intentionnalité non-objectivante,
Levinasse fondeimplicitement sur une tellenotion.
Levinasmontreplustard,dans « Intentionnalité et métaphysique »14,
la
que dans philosophie corps du de Husserl toute intentionnalité non-
objectivanteet incarnéeseraitconstituéepar une intentionnalité plus
profonde du Moipur.L'opacitéde Fintentionnalité incarnéeest résorbée
dansla consciencede...,commeon le voitdans la doctrinehusserlienne
de la thèsedoxiqueet du primatdu théorétique. Avec« Intentionnalité et

9. Levinas, EE, p. 138.


10. Ibid., p. 137.
11. Ibid.,pp. 119-121.
12. Ibid., pp. 121-122.
13. Ibid., p. 45. _ _, .....
et métaphysique
14 E. Levinas, « Intentionnalité » in ün découvrant avec
i existence
Husserlet Heidegger,Paris,Vrin,1974 (EDHH) pp. 137-144.

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Levinas et Vintentionnalité

métaphysique » nouspouvonsmieuxcomprendre le rapportentrela cri-


tiqueque faitLevinasde l'intellectualisme de Husserlet sonpropreprojet
de trouverun autresenspourle termed'intentionnalité. Levinaspensele
corps comme intentionnalité transitive et originaire15 qui, précisément
parceque corps,n'aboutitpas à une possessionde soi ou une conscience
de soitotales.En opposition à Husserl,Levinasne caractérise pas l'esprit
le
par savoir16, mais affirme plutôtque l'intentionnalité transitivede
l'incarnation exclutla possibilité d'unMoipurderrière le mouvement du
corps. Pourlui la « de
spiritualité l'esprit » consiste plutôt dans le mouve-
mentde franchir où il trouveaussile sensétymologique du mottranscen-
dance: « La transcendance se produitpas la kinesthèse »17.
PourLevinasl'identitéde la conscience ne résidepas dans un mouve-
mentde retourà soi,nidansundomaineabsolud'intériorité. Dans Totalité
etinfiniil décritles étapesdansla constitution de l'intériorité parla rela-
tionavecle monde,et refuse« la monotone ' Moic'estMoi' »18.
tautologie
Autrement dit,selonLevinasla consciencene seraitde primeabordni
intérioriténi savoir,et on ne pourrait parlerde conscience sansintroduire
l'extérioritéet l'altérité.On est par là trèsloin des Méditations carté-
siennes.Ce qui sépareici Husserlet Levinas,c'est surtoutl'absence
explicitede Vautre dansla conscience husserlienne, car Levinascomprend
l'incarnationde l'intentionnalité, i.e. le caractèreimpressionnel de la
conscience,comme indiquantirréfutablement que la conscience est
« possédéeparle non-moi, la ' facticité ' »19.C'està
par l'autre,par partir
de ce primatde l'autresurle moi (ou la conscience)que Levinasbâtira
toute sa philosophie.

Il

Totalitéet infini,que Levinasappelleun « essai surl'extériorité », se


caractérisecommeun refusde l'idée selonlaquellela structure noèse-
noèmeseraitla structure primordiale de l'intentionnalité. Le sous-titre
souligne le faitque dans ce livrel'extérioritéou l'altérité
(ce qui estexté-
rieurau moi)est considérée commequelquechosede fondamental et de
primordial, qui n'est aucunement constitué par l'ego transcendantal,
tel que cela se passe chez Husserl.
Levinasveut montrer que l'altérité,qui est constituéedans le Même
commechez Husserl,n'est que l'altéritéde l'objet,et que l'analysede
Husserl« dissimuledans chacunede ses étapesque l'on prendpourune
description de la constitution, des mutationsde la constitution d'objet
15. Ibid., pp. 141-142.
16. E. Levinas, « La philosophieet l'éveil » in Les EtudesPhilosophiques.
3, 1977,
p. 316.
17. E. Levinas, « Intentionnalité
et sensation» in EDHH (pp. 145-162).p. 160.
18. TI, p. 7.
19. EDHH, p. 162.

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en unerelationavecAutrui»20.Dans Totalité etinfinil'AutrepourLevinas


ne peutêtreconsidéré commeAutreque s'il vientde dehors,c'est-à-dire
que s'il n'apparaîtpas dansla sphèredu Même,maisapparaîtplutôten
tant que venantdu dehorset indépendant de cettesphèreprimordiale.
Derridamentionne dans son article « Violenceet métaphysique » que
pour Levinas l'altérité des choses ne serait pas une altéritévéritable. Il
écrit: « Les corps,les chosestranscendantes et naturelles sontdes autres
en généralpourma conscience. Ils sontdehorset leurtranscendance est
le signed'unealtéritédéjà irréductible. Levinasne le croitpas, Husserl
le croitet croitque ' autre' veutdéjà direquelquechosequandil s'agit
des choses.Ce qui estprendre au sérieuxla réalitédu mondeextérieur »21.
Loin de pouvoirdireque Levinasne prendpas au sérieuxla réalitédu
mondeextérieur, il est indéniableque Levinasla prendtrèsau sérieux.
Que le mot « autre » ne portepas son sensfortlorsqu'ils'agitdes choses
est un signeque la philosophie de Levinasn'estpas simplement un réa-
lismegrossier et naïfet qu'elleest loind'en êtreun.
Ce que Levinasaperçoitet montre dansses descriptions de l'intériorité
dans Totalité etinfinic'est que l'altéritédes choses,qui est certesphysi-
quementune altéritéirréductible, c'est-à-dire une extériorité, n'estpas
irréductible quant à son sens.C'est une réalitéqui estd'abord là, commeà
ma disposition, innocemment pour moi et par essence maîtrisable. Or la
possession est la de ce
suspension l'altérité, qui indiqueque qui peut ce
êtrepossédén'estpas d'unealtéritéirréductible.
Pour Levinasle mondedes chosestranscendantes est aussi le monde
danslequelle Moiséjourneet s'identifie. Ce mondeet ces chosesne sont
autresquedeprimeabord,etce fait-làconstitue la condition mêmedela vie
humaine: « La possibilité de posséder,c'est-à-dire de suspendre l'altérité
mêmede ce qui n'est autreque de primeabordet autrepar rapportà
moi- estla manière du Même»22.
Levinasprendtrèsau sérieuxla réalitédu mondeextérieur enmontrant
la possibilité de l'identitédu Moi ou du Mêmedansun travaild'identifi-
cationdanset à traversle mondequ'il habite.« L'identification du Même
dans le Moi ne se produitpas commeune monotonetautologie: ' Moi
c'est Moi'... La manièredu Moi contre1" autre' du monde,consisteà
séjourner, à s"1
identifier en y existantchezsoi » »23.Ce travaild'identifi-
cationcommence parla présencedu corpssurterre,qui se tientsurce qui
lui est extérieur, et qui « peut» à traversce qui lui est extérieur24. « Le
' chezsoi ' maisun lieu où
n'estpas un contenant je peux,où, dépendant

20. T/,p. 39.


21. J. Derrida, « Violenceet métaphysique» in L'Ecritureet la difference,
fans,
Éditionsdu Seuil, 1967,p. 182.
22. 77, p. 8.
23. Ibid.
¿4. loia.

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Levinas et Vintentionnalitè

d'uneréalitéautre,je suismalgrécettedépendance, ou grâceà elle,libre.


Il suffît
de marcher,de fairepourse saisirde toutechose,pourprendre »25.
Il fautcomprendre que Faltérité
du mondequi pourLevinasn'est pas
irréductible,n'est pas pour autant constituéepar le Même. Cela serait
précisément ne pas prendre au sérieuxla réalitédu monde.
PourLevinas,un êtrequi certesestdépendant de l'Autre,estvu positi-
vementcommeindépendant, i.e. agissant.Mais il est constitué comme
Même,sujetd'uneactivité,par une condition de besoinet d'incertitude.
A partirde cela on pourraitfairel'observation, que le Mêmeestle Même
sa
pluspar conditionnon-choisie où il est soumis à ce qui lui est autre
(« persécutée » dans un sens par la menace de Faltérité du monde)que par
uneexistence causasui commele Même.Et cela estdû à la base corporelle
de l'existence: « sonindigence - ses besoins- affirment 1" extériorité '
commenon-constituée, avanttouteaffirmation »2<5.
L'autresensde l'Autrequ'on trouvedans Totalitéet infini,et qui va
de pairavec un sensplusfortde 1'«extériorité », concerne l'Autrecomme
Autrui.Là nousvoyonsl'altéritéde l'Autrecommeirréductible, et une
« extériorité » au sensfort,c'est-à-dire une extériorité qui restetoujours
extériorité. Si l'extériorité
du mondevis-à-vis du Mêmeest,commenourri-
la
ture, condition de sonœuvred'identification de soi,et si cetteextério-
ritéou altéritédu mondeest dans ce sens« réductible », i.e., « intériori-
sable », capabled'êtreréduite,dans la conception et la possession, aux
projetsdu Même,l'extériorité et l'altéritéd'Autruine le sontcependant
pas. Levinasparleà ce sujetde l'altérité absolueet de l'extériorité absolue
ou de l'infini.
On observechez Husserl,dans les Méditations cartésiennes, une tenta-
tive d'explication de cettealtéritéabsolue,mais qui échouenécessaire-
mentparceque cettealtéritéseraitconstituée et auraitla sourcede son
sens dans le Même.
Levinasvoit dans la jouissance« une intentionnalité tout autre»27
que l'intentionnalité de la représentation, intentionnalité objectivante
dontnousavonsdéjà tantparlé; et cetteintentionnalité toutautresera
en faitprésentéepar Levinas commela conditionde l'intentionnalité
de la représentation. Bien que l'intentionnalité de la jouissancesoit la
conditionde l'intentionnalité de la représentation, elle peut se décrire
par opposition car elleest orientée
à celle-ci28, dansun sensopposé29. La
différence fondamentale entreces deux intentionnalités résidedans le
problèmeévoqué par Derrida: quelleest celle des deux qui prendau
sérieuxla réalitédu mondeextérieur ? Or commenous l'avonsdéjà dit
25. Ibid.
26. Ibid.. d. 100.
27. Ibid.. p. 98.
28. Ibid., p. 100.
29. Ibid., p. 95.

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etcommeLevijnas le montre dansla section« Jouissanceetreprésentation»,


pourrintentionnalité de la
objectivante représentation qui se posecomme
nettement de
contemporaine son objet, « toute du donnése
antériorité
réduità l'instantanéitéde la penséeet, simultanée avec elle,surgitdans
le présent»30.C'estdansce sens-làque la représentationestconstituante.
Or Levinasrefuseque cela soitle derniermotet voit dans le corps,
dansl'existencecorporelledansun mondeautreet étranger, la constatation
de Vantériorité
irréfutable du mondeà la conscienceconsti-
et de Vextériorité
tuante. Pourcettedernière l'extériorité du mondene compterait que dans
la mesureoù elle est constituée commeextériorité pour la conscience.
Mais,pourle corps,l'extériorité du mondene se suspendpas : « tenirà
l'extériorité n'équivautpas simplement à affirmer le monde- maisà s'y
posercorporellement »31. L'affirmation de l'extériorité se faiten deux
sens : le monde comme antérieur au maintenant de la conscience, et le
mondecomme extérieur et comme condition matérielle de la conscience :
«le mondequeje constitue menourrit et mebaigne»32.
L'intentionnalité de la jouissancen'est donc pas une intentionnalité
objectivante : « le corpsest une permanente contestation du privilège
attribue la conscience de ' le sens ' à toutechose»33.Cette
qu'on k prêter
contestation est en faitun des thèmesdéveloppésdans les écritsplus
récentsde Levinasoù l'on retrouve l'imageévoquéedans ce passagede
Totalitéet infini: « Un mouvement radicalement différent de 1stpensée
se manifeste quand la constitution la
par pensée se trouve une condition
ce
dans qu'elle a librement accueilli ou le
refusé,quand représenté vire
enpasséqui n'aurait pas traversé le de la
présent représentation, comme un
passé absolu ne recevant pas son sens de la mémoire »34.
Le thèmed'unpasséqui n'a jamaisétéprésent, et la notionde la trace,
deviennent centrauxdans ses derniersécrits,alors que dans Totalité et
leur
infini importance était moindre. Nous y viendrons plus tard. Notons
ici que la jouissancesertd'aprèsLevinasde condition à l'intentionnalité
de la représentation parceque c'estdansla jouissance,dansla sensibilité
qui se suffit
à elle-même, que va apparaître ensuitele sujet qui pourrase
représenter des choses. C'est-à-dire qu'il n'y a aucunsujet qui pré-existe
à la jouissance.On ne peutmêmepas direque le corpssoitun sujetanté-
rieurà la jouissance- Levinasl'avaitdéjà refuséen disantque « c'estle
psychisme et non pas la matièrequi apporteun principed'individua-
tion»35.Ce n'estdoncpas la chose(le corps)qui estle psychisme, mais

30. Ibid., p. 100.


31. Ibid.
32. Ibid., p. 102.
ôô. luid., p. 1U2.
34. Ibid.. p. 1U3.
35. Ibid., p. 30.

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sa manière, ce qui est toutl'existerautochtoneet Politologie spontanée


et pré-théorique36.
AprèsTotalité etinfiniLevinasa commencé à prêterdavantageatten-
tionà la passivité.Maintenant nouspouvonsobserverla place centrale
que vientoccupercettenotiondans ses écritsrécentsquandil s'agitdu
statutdu sujet et de l'intentionnalité. L'importance de la notionde la
passivitédérivede l'importance que reçoit chez Levinasl'Autrepar rap-
port au Même.
La divisionentrele Mêmeet l'Autreest fondamentale à cettepenséeet
en constitueune des clés. Mais la fameuse phrasede et infini:
Totalité
« L'êtrese produitcommemultiple et commescindéen MêmeetenAutre.
C'estsa structure ultime»37,ne reflète pas l'importance de touslesthèmes
et de tousles aspectsdu primatde l'Autredanscettedivisionqui animent
Autrement Le développement
qu'être. qui a lieudanssa philosophie depuis
Totalitéet infinise voitdansl'introduction du thèmede la « proximité »
et dansle rôlenouveauque reçoitla notion,ou les notions,de l'intention-
nalité.
En sachantdoncque la passivitéva jouerun rôleimportant danscette
pensée, et un rôle qui reflètele primat de l'autre surle même,nouspou-
vonsterminer notreenquêteactuellesur l'intentionnalité chez Levinas
en nous demandantcommentl'intentionnalité incarnée,dite aussi « de
l'affectif
», diffèrede la « proximité » des derniersécrits.

III

Dans « Langageet proximité » Levinasparlede la proximité en parlant


La sensation,
de la sensibilité. dit-il,« n'équivautpas au rôled'une ' pen-
sée pensantquelquechose' »38,maiselle consisteplutôtenunemanière
de « ' percer' les savoirsrecueillispour pénétrerdans l'intimitédes
choses»39.Ce qui se passe dans la sensationn'est pas consciencede...,
mais contactimmédiat: « Le sensibledoit s'interpréter à un titrepri-
mordialcommetoucher»40.Le toucherde ce contactest « pureapproche
et proximité,irréductibleà l'expérience de la proximité»41.Irréductible
à la consciencede ce toucher,la proximité estle sensiblepur42.La proxi-
mitéestla présenceproche,elleest une « présenceanachronique »43,car
toujourselle précèdel'ordrede la conscience.
La proximité par excellenceest la proximité du prochain.La relation

36. Ibid.,p. 7, p. 132.


37. loia. p. 247.
38. tíDHH, p. 226.
39. Ibid.
40. Ibid., p. 227.
41. Ibid.
42. Ibid., p. 228.
43. Ibid., p. 22y.

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de proximité précèdecelle qui s'établitdans la consciencede..., et la


structure noèse-noème ; elle précèdele Dit, elle est anachronique et pré-
existante de
à l'ordre l'essence44. Elle sert de
de condition possibilité à des
rapportsqui s'établissent dans le la
Dit,par exempleà transmission des
La de
messages. relation proximité est « le langageoriginel, langagesans
motsni propositions, purecommunication »45.Levinasplacela proximité
« pardelàl'intentionnalité » ; la proximité estavanttoutechosela relation
avecle prochain« au sensmoraldu terme»46.La relationavecle prochain
estdoncla condition de touterelation intentionnelle ou pré-intentionnelle.
Le prochainde cetterelationestAutrui: « Ce qui a un sensimmédiate-
mentavantqu'onle lui prête.Maisce qui a ainsiun sensne se peutque
commeAutrui,commeceluiqui a un sensavant qu'on le lui donne»47.
La proximité, relationavant la connaissance, avant l'intentionnalité et
la thématisation, conditionne celles-ci,elle est une relation avec quelqu'un
et une relationqui signifie par elle-même ; ce n'estpas une relationde
simpleêtre-à-côté-de, mais une relationqui signifie.
« Proximité commedire,contact,sincérité de l'exposition, dired'avant
le langage,maissanslequelaucunlangage,commetransmission de mes-
sages, ne serait »48.
possible Remarquons la
que proximité, intentionnalité
de la sensibilité, estidentiqueavec le Dire,« la signifiance mêmede la
signification »49. Cette signifiance de la signification est entre moi et le
prochain, donc ellefaitpartie de cet événement de l'obsession de moipar
le prochain, etinstaure ce que LevinasappelleVun-pour-V autre.L'un-pour-
l'autreestle sensde la relationd'obsession, une relationoù je suislié à
Autrui50. Le prochainvientà moi,voilàla raisonpourlaquelleje suislié
à lui. Il vientà moi et m'assigne,sa venueme concerneet m'assigne
commemoien tant que lié à lui.
La relationde proximité est d'une autrenatureque les relationsqui
s'instaurent dans la conscience,elle s'en distinguepar son caractère
non-synchronique. Les termes enrapportdansla conscience appartiennent
tousau mêmetemps,à la simultanéité de la représentation. Orla relation
avec le prochaindans la proximité est la rupturede cettesynchronie
et ne faitpas partied'un systèmede puresrelations, parceque l'Autre
vientau Mêmeetle Mêmeestobsédéparl'Autre51. L'approchede l'Autre
ne se traduitpas dansla thématisation, ellerestedia-chronie du faitmême
quel'Autrea unvisage.C'estce que Levinasappellela non-phénoménalité

à AQE surle sensdu mot « essence».


44. Cf.l'introduction
45. EDHH, p. 228.
46. Ibid.
47. Ibid., p. 229.
48. AQE, p. 19.
4y. loia., p. lu/.
50. Ibid.,p. 109.
51. Ibid., p. 107.

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Levinas et Vintentionnalité

du visage,ou la trace.Le visage n'est pas un simplejeu de physiono-


mie,ni l'indicationd'un signifié52.
« Le visagecommetrace- de lui-même, traceexpulséedansla trace-
ne signifie pas un phénomène indéterminé ; son ambiguïtén'estpas une
indétermination d'unnoème,maisuneinviteau beau risquede l'approche
en tant qu'approche- à l'expositionde l'un à l'autre,à l'exposition,
au dire»53.
L' Autrese montredans sonvisage,mais le visageparle.Parlerc'est
briserla synchronie de la manifestation, mêmela manifestation de celui
qui parle; car,parler, c'est « venir de derrière son de
apparence, derrière
sa forme»54. Et la relationobsédanteavec Autrui,le prochain,dans la
proximité, n'est nullementune relationsynchronique : « La proximité
n'est pas un état,un repos,mais,précisément inquiétude, non-lieu, hors
le lieu du repos,bouleversant le calmede la non-ubiquité, de l'êtrequi
se faitreposen un lieu »55.
A ce pointil fautreconnaître qu'il y a une ruptureentreles analyses
de Levinassurl'intentionnalité, et où il en a trouvédeux espèces,et la
notionde la proximité.Même si nous avons vu l'intentionnalité de
l'affectifcommeuneintentionnalité qui ne constitue et ne pose son objet
en aucunemanière, et qui ne faitque confirmer cet objetdansle phéno-
mènenon-objectivant du vivrede...56,il faut reconnaître dans cette
intentionnalité une relationde contemporanéité régiepar Même.Le
le
phénomène du vivrede... s'instaure dans un tempsqui est le tempsdu
Même,encoreque l'autrey occupeune place primaire.Le vivrede...
faitdéjà partiedu système, du Dit,du rassemblement et de la synchronie
de l'être.Levinasaffirme dans« Langageet proximité » que « la proximité
n'est pas une intentionnalité »57,et dans Autrement qu'êtreil écritque
« l'obsessionn'estpas à nouveauuneintentionnalité, commes'il s'agissait
en elle de la visée de quelque termecorrélatif, si complexequ'il soit.
L'obsessionpar Autruidans le visageest déjà l'intriguede l'Infiniqui
ne sauraitse matérialiser en corrélatif - qui excèdela portéede l'inten-
tionnalité»58.
Il fautreconnaître donc que Levinasva, dans ses plus récentsécrits,
au-delà de la notionde l'intentionnalité. Pourtantil n'abandonnepas
l'idéedu non-objectivant qui sertde base à l'objectivation de la conscience
thématisante, maisil trouveque les origines de cettepossibilité de théma-
tisersontplus profondes que l'intentionnalité, mêmenon-objectivante.
Pourcetteraisonil sembleavoirabandonnél'expression « intentionnalité

52. Ibid., p. 119.


53. Ibid., pp. 119-120.
54. EDHH, p. 194.
55. AQE, p. 103.
56. TI, pp. 82-88.
57. EDHH, p. 235.
58. AQE, p. 115,note 31.

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de l'affectif » ; on ne trouvele terme« intentionnalité » dans Autrement


et ce
qu'être dans qui vientaprès,que dans le sens de l'intentionnalité
de la représentation. Finalement la raison de cet abandon résidedansle
de
développement pensée sa de la subjectivité et du rôle de l'Autredans
l'identitédu Même,ou du Moi.Surtouscespointsla philosophie de Levi-
nas constitueun refusde la philosophie traditionnelle, qu'il faut
refus
prendre au sérieux.
Nous avionsdit que le Mêmese constituait à traverssa dépendance
vis-à-visde l'Autredanssonactivitéet sa jouissance.Maintenant Levinas
parle de la constitution de l'identité du sujet dans la proximité travers
à
l'approche de l'Autre (Autrui),qui m'assigne comme moi envenantà moi.
Le moin'existepas commeun moiavantl'exposition à Autrui, etl'exposi-
tion est la conditiond'êtreun corps.La sensibilité de la jouissanceest
aussi la vulnérabilité, l'être-exposésans choix et sans possibilitéde
refuge59. L'incarnation est la possibilité de la douleuraussibienque de la
: «
jouissance exposition à la blessure et à la jouissance- expositionà
la blessuredansla jouissance»60.En tantque corpson estvouéà l'exposi-
tionet à l'expression, sansles avoirchoisieset sansavoirchoisila condi-
tiond'êtreuncorps.Ony estvoué,onne s'yvouepas. Dans ce sensonest
malgrésoi,et on est un soi malgrésoi61,on estun sujetparl'assignation
et l'exposition, i.e. par l'exposition à l'Autreet l'assignation par l'Autre.
La passivitéestau centrede ce qui constitue le sujet: « La subjectivité
du sujet,c'estla vulnérabilité, exposition à l'affection, sensibilité, passi-
vité plus passive que toute passivité,tempsirrécupérable, dia-chronie
inassemblable de la patience,exposition toujoursà exposer,exposition à
exprimer et ainsi à Dire,et ainsià, Donner»62.
L'unicitédu sujetn'estpas choisie,et ne peutpas êtreassuméeaprès
coup non plus. Elle est une exigencecontinueet traumatique63, parce
qu'assignation par l'Autrede manièrediachronique. Levinasmontreque
c'estcettediachronie, le faitd'être« élu » sanspouvoirassumerl'élection,
qui « empêcheque l'un se rejoigneet s'identifie commeune substance,
contemporaine d'elle-même, commeun Moitranscendantal »64.
Le Mêmedoitson statutde Mêmeà l'assignation par l'Autreou à la
proximité. La possibilitépour le Mêmede prendreconsciencede soi-
et
même de se poserégoïstement sera fondéealors dans la proximité
d'Autruiet dansl'exposition qui est en deçà de touteprisede conscience.
La possibilité de la synchronie de la consciencede soi se trouvedansla
diachronie de la proximité où, seulement, le Mêmepeutavoirle moindre

59. Ibid.. p. 93.


60. Ibid., p. 81.
61. Ibid., p. 65.
62. Ibid., p. 64.
63. Ibid.. p. 73.
64. Ibid.

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Levinas et Vintentionnalitê

statutparl'assignation de l'Autre.Son statutde Mêmeest doncde prime


abordpour l'Autre parceque par l'assignation dansla proximité.
« L'âme est l'autreen moi.Le psychisme, l'un-pour-1'autre peut être
possessionet psychose; l'âme est déjà grainde folie»65.Cettepsychose
seraitla condition humaineà sa base,l'existence fondéedansla proximité.
« C'estl'obsessionpar l'autre,monprochain, m'accusantd'unefauteque
je n'ai pas commise librement qui ramène Moi à,soi en deçà de mon
le
identité, tôt
plus que toute conscience de soi,et medénudeabsolument»66.
Le soiendeçàde monidentité estla passivitéabsolue67.« Monidentité »
signifieici moi en tantqueje dis « je », i.e. en tantque je répondsdans la
récurrence à l'expositionà l'autre. Mais avoir à répondrec'est cette
maladiede l'identitéque Levinasreconnaîtdans la responsabilité où,
« assignéou élu - du dehors,assignécommeirremplaçable - s'accuse
le sujetdanssa peau- maldanssa peau»68.C'estquele sujetestempêché
de coïncideravec soi par la diachroniede l'expositionet de l'élection,
maisaussiincapablede ne pas répondre et dire« je ».
Cettediachronie consistetoujoursen un mouvement qui viseà réduire
le sujetà sonin-condition de responsable, à le défairede sonidentité et de
sa sécuritépar rapportà sonidentité. Dans ce sensl'a essence» du sujet,
ou l'êtrede cet étant,seraitune « in-condition », une situationqui n'en
estpas une,ou unesituationintenable.
Cettephilosophie de la subjectivité de Levinasrevient à une destruction
de touteabsoluitéjamaisaccordéeau sujet,la « dé-position ou la dé-sti-
tutiondu Moi »69.Sa philosophieest un « abandonde la subjectivité
souveraineet active»70,car il trouveque l'essentielde la subjectivité
résidedansla signification, ou plusexactement, dansla signification qui
rendsignifiantes les significations, dans ce qui restehorsdu discours
thématisé du Dit. La subjectivité est le secretde la signification, ce qui
est, au fond,signefaitau prochain,« signifiance bailléeà Autrui»71.
L'expositionà Autrui,que nous avons vue dans l'existencecorporelle,
surtoutau niveaude la vulnérabilité de l'immédiateté du sensible,est
aussice que LevinasappelleVintrigue duDire12.
Toutecettephilosophie de la subjectivité a des implications éthiques,
maisil est important aussi de comprendre que ces implications éthiques
sontdes résultatssans êtrele but de son exposéet de sa critiquede la
subjectivitéde la philosophietraditionnelle, et que ce qui est appelé
« éthique» faitun avec l'événement premier(si l'on pouvaitparleren

65. Ibid., p. 86, note 3.


66. Ibid., p. 117.
67. Ibid., p. 134.
68. Ibid.tp. 134.
69. Ibid., p. 65.
70. Ibid.,.?. 61.
71. Ibid., p. 60.
72. Ibid., pp. 58-59.

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faitdu « premier» commed'un principe,là où il s'agit de l'an-archie,


l'absenced'une « archie») de la subjectivité.L'éthiquene constitue
nullement un ordred'obligations imposéde quelquemanièreque ce soit
- de dehorsou de l'intérieur - à la conditionhumaine.Car Levinas
situe l'an-archiefondamentale - dérangement essentielet sans cesse
de l'ordrequ'elleentraîne - dansl'exposition de l'unà l'autredansl'exis-
tencecorporelle ; expositionqui, commenous avons dit,équivautà la
réponse à autrui et à la miseen causeincessante de la prétendue substan-
tialitédu Mêmeou du Moi. Le premierévénement humainest l'être-lié
qui assignel'unà sonunicitéde sujetparrapportà l'autre73, et cetévéne-
mentde la subjectivitéest l'être-déjà-en-train-de-répondre à autruiet
ce
pour autrui, qu'il nomme la responsabilité. Mais ce qui reçoit cette
appellation est la situation à laquelle on ne peutéchapper, l'assignation
à laquelleon ne peutse dérober, la condition instableet toujoursen train
de se défaire dela subjectivité, au furetà mesurequ'ellese fait.
Si le sujetestcaractérisé parsa sujétionet sa sensibilité74 dansla proxi-
mitédu prochain,cetteproximité est tout l'inversedu rassemblement
qu'effectue la conscience absolue: elleen estplutôtla rupture, l'impossi-
bilitéd'unetellesynchronie. Cettesynchronie est rompuepar la proxi-
mité,ce qui est la dia-chronie de la présencede l'autre,sa visitation75,
i.e. sa présentation par la tracedans le visage.Le rôlede la notionde
passivitérendle sujetnon-souverain et, de primeabord,passifen tant
que sujet.En refusant de séparerla subjectivité du sujetde sa corporéité,
Levinastrouvele premier événement de la subjectivité dansYexposition,
la significance bailléeà autrui,et nonpas dansle savoircommeHusserl.
Cettesignifiance baillée16 à autruiou ce signefaità autruin'estpas
une signification ; elle est toujoursla signifiance de la signification.Le
savoir,la certitude, n'est pas à la base de cettesubjectivité de chairet
de sang. On a montréque, sa conditionde base étantla proximité (la
distancede la diachronie et non pas la distancede la consciencede...),
ellen'estqu'aliénation et inquiétudeen sonfond.Base à.jamaistroublée,
où le moien tantqu'intériorité est aliénéincessamment « par l'hôtequi
lui est confié»77.
Si Levinasa abandonnéle termed'intentionnalité, c'estdoncparcequ'il
a abandonnétoute idée d'une subjectivitédéfinissable à partird'elle-
mêmeetisolément, dansl'absoluitéde sa subjectivité. L'égoïsmedu sujet
ne peutêtrequ'unepossibilité un
pour sujetqui est d'abord moinsqu'un
égoïsme. Le terme intentionnalité a servi dans Totalité et infinioù Levinas
pensait une intentionnalité tout autre, non-objectivante, ne
qui posaitpas

73. Cf. AOE.. DD. 130-139,« la récurrence».


74. AQE, p. 17.
75. Cf.« La tracede l'autre»,p. 194.
76. Cf. e.g., AQE, p. 60.
77. AQE, p. 99.

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Levinasetl'intentionnalité

ses objetsmais qui les confirmait plutôtdans le vivrede... ou dans le


discours. Mais s'il refusait que l'intentionnalité ait la propriétéd'être
constitutive de primeabord,dans Autrement qu'êtreil va plus loin en
refusant toute au La
absoluité sujet-pôle. proximité estplusradicaleque
l'intentionnalité et
non-objectivanteincarnée, car la proximité estl'impos-
sibilitéde se posercommecentreet commeidentitéfixesautourdesquels,
d'unemanièreou d'uneautre,un mondeet un autrepourraient se confir-
mer.La subjectivitéest ici la dernièrearrivée,toujoursla dernièreà
arriver, toujoursen retard,car toujoursdéjà assignéepar autrui.Là où
le Mêmene se constitueen Mêmeque par l'assignationde l'Autre,il
n'estpluspossibledepenserVintentionnalité - quelque soitl'attribut qu'on
lui accorde- comme originelle dans la subjectivité. La subjectivité a ses
origines dans une an-archie qui lui échappe quiet est en deçà toute
de
intentionnalité. Levinas caractérisel'intentionnalité dans Autrement
qu'êtrecomme« aspirationà combleret remplissement, mouvement
centripète d'une conscience qui coïncide avec soi et se recouvre et se
retrouvesans vieilliret reposedans la certitudede soi, se confirme, se
double, se consolide »78.Cet de
usage l'expression « mouvement centripète »
nousrappelleTotalité etinfinioù le Mêmeétaitvu constituer un tempsà
lui seul,un tempshomogène, une synchronie égoïstequi seraitdérangée
par l'arrivée de l'Autre et l'hétérogénéité tempsde l'Autreau sien.
du
Maisdans Autrement qu'être le moin'a pas le temps,si l'on peut dire,
d'avoirune synchronie de la conscienceni un égoïsmeoriginel.En sa
couchela plus profonde il est déjà le ne-pas-reposer-sur-soi, déjà l'autre
en moi; originellement donc il n'a aucun refugeet aucuneintériorité.
La proximité est distanceparce qu'elle est diachronie de la signifiance
dansla condition de
corporelle l'exposition : « La proximité du prochain
demeurerupturediachronique, résistancedu tempsà la synthèsede la
simultanéité »79. La proximitéest signification incessante80, toujours
signifiance de la signification, i.e. toujourssignefaità autruiet toujours
dia-chronique. Pourcetteraisonon ne peutpas penserque la proximité
soitla confusion de moiet de l'autre,unesubjectivité à deux,niunrepos,
ni un état.
Dans Autrement qu'êtreil n'y a jamais la possibilitéd'un mouvement
centripète. A chaqueinstantle mouvement de la sensibilitéestjouissance
et souffrance dans cettejouissance; à chaque instantle noyau qui se
noueraitse dénoue.Dans ces conditions il n'estpas possibled'employer
le termed'intentionnalité. Dans Totalité etinfinile sujetétaitcontempo-
raindu sensde sa vie égoïste,et on pouvaitparlerd'uneintentionnalité
autre que l'intentionnalité objectivante,mais qui gardait sa forme
78. AQE, p. 62.
79. E. Levinas, « Dieu et la philosophie»,in Le NouveauCommerce,
30-31,1974-75,
p. 119.
SU. Al¿t£.tp. 182.

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d'intentionnalité. La notionde diachronie n'intervenait pas encoredans


Totalitéetinfinisaufdansla relationentredeuxêtresséparés,oùletemps
du Mêmen'étaitpas le tempsde l'Autre.Maisau fondil y avaittoujours
une condition dé synchronie dans Totalité etinfini,ce qui plaçaitle livre
dans la traditionphilosophique qu'il dénonce.
Pour Levinas,à présent,il n'est plus possibled'employerle terme
d'intentionnalité pour caractériser le tout de l'existencehumaine.Il
montredans Autrement qu'êtreque l'intentionnalité apparaîtà un certain
niveaude la relationavecAutrui.Elle n'estpas ce qu'il y a de plusorigi-
nel; elleapparaîtau moment où il fautde la comparaison et de la théma-
tisation, le moment où l'intriguedu Dire de la responsabilité diachronique
exigel'ordresynchrone de la manifestation, car « toutse montrepourla
justice»81.
Et c'estseulement aveccetteapparition de l'intentionnalité que le sujet
se constitue en uneidentitéet uneintériorité commeceluiqui estrespon-
sable devantles autres.C'est-à-dire que la conditionde la proximité,
la diachronie de la responsabilité absoluepourautrui,vireen synchronie
afind'assurerla justicepour tous les autreset non seulementautrui.
Maisque le Direse fasseDit,que la diachronie se fassesynchronie et que
l'allocutiontendeversla neutralisation de renonciation dansl'énoncé82,
lorsquele dialoguetendversun savoiret lorsquela languenaturelle tend
versla languede la science,ne veutnullement direque c'est le Dit, la
synchronie du savoiret de la languede la science,qui l'emportesurle
Direet surl'allocution.Précisément Levinasmontreque le Diretrouble
le Dit,que la diachronie hantela synchronie et que la scienceou la philo-
sophie suscite le
toujours scepticisme.
Dans le cadreà' Autrement qu'être, le Dire qui se faitDit ne disparaît
pas pour autant; philosophiquement le Dire s'identifie avec le scepti-
cismeet justifiece dernier.« Le retourdu scepticisme, malgréla réfu-
tationqui meten contradiction sa thèseavecles conditions de toutethèse,
seraitpur non-senssi tout,dans le temps,étaitmémorable, c'est-à-dire
en mesurede fairestructure avecle présent, sile Direse faisaitrigoureuse-
mentcontemporain du Dit »83. Le Dire ne se fait pas parfaitement
corrélatif au Dit ; le Direestl'approche, l'un-pour-1'autre, qui estraconté
dansle Dit ; maisentantqu'approche, diachronie, le Direresteéquivoque,
insurmontable84. Et cetteapprochedu Dire,cettedia-chronie est,dansles
motsde Levinas,« subversion de l'essence»85.La signifiance, possibilité
du langage,et le faitqu'un discourssans langage,.sans proximité, i.e.
sans signefaità autrui,soit impossible, constituent la diachroniequi
81. Ibid., cf. e.g., p. 195-207.
82. Cf. F. Jacques, « Les conditionsdialogiquesde la référence
», in EtudesPhilo-
sophiques,juillet-septembre 1977,p. 305.
83. AQE, p. 217.
84. Ibid., p. 216.
85. Ibid.

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Levinas et Vintentionnalité

dérangeou qui subvertit la synchronie. « Le langageestdéjà scepticisme »,


ditLevinas,et il demande: « Le discourscohérent s'absorbant toutentier
dansle Dit - ne doit-ilpas sa cohérence à l'État qui exclut,par la vio-
lence,le discourssubversif ? »86.La justice,ordresynchrone exigépar la
responsabilité la
de proximité peut,elle aussi, être mise en cause. Le
discourssubversif, le Dire,le langage,la signifiance, est le dérangement
toujourspossibleet toujoursprésentde Tordresynchrone. Maisla justice
se défendparla voiede la répression. Déjà cette violence cetterépres-
et
sionattestent unetranscendance, attestent la forcedu discourssubversif,
attestentla validitéde cetteéquivoqueinsurmontable87.
La logique,observeLevinas,ne se recoudpas parelle-même à l'occasion
desdéchirures danssontexte: « C'estdansl'associationde la philosophie
et de l'État, de la philosophieet de la médecine,que se surmonte la
rupture du discours »88. Si l'État faitrecoudre ces si
déchirures,l'État,
commeil dit,« ne dénouepas les nœudsmaisles tranche»89,il témoigne
parcetteviolencede la forceet de la validitéde ce qui n'entrepas danssa
synchronie, son ordre,son discours,et il justifiepar là-mêmele scepti-
cismeet le subversif.
Le mouvement de la dénucléation du noyaude la subjectivité estaussi
cettesubversion. Cettesubversion se manifeste là où le discourscohérent
estinterrompu par celuiqui le dit à celuiqui l'écoute90. Et c'està partir
de la diachroniede Vautrement qu'être,de la proximité, « l'indifférence
de
à l'égardde YEssence», i.e. à l'égardde l'êtreou de la totalité,et par la
non-indifférence à l'égardd'autrui,que peut commencer le travailqui
de
permettra distinguer entre idéologie et vérité91.
Craig R. Vasey.

86. lbid.
87. Ibid.
88. Ibid.
89. Ibid.
90. Ibid.
91. Ibid., p. 224.

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