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Gaston Bachelard (1950) La dialectique de la durée 38

descendre plus avant. Psychologiquement, on peut tout expliquer dans


le discontinu. D'ailleurs, nous n'avons même pas le droit de totaliser
toutes les séries, ajoutant trop souvent le connu à l'inconnu. Notre de-
voir philosophique est plutôt de rester dans une série particulière
d'événements, de chercher des liaisons aussi homogènes que possible,
reliant par exemple directement l'esprit à l'esprit, sans passer par l'in-
termédiaire biologique.
Alors sur un plan particulier, au niveau d'une fonction [29] particu-
lière, plus de doute, c'est la dialectique et non la continuité qui est le
schème fondamental. Comme le dit Rivers, « l'alternative de deux ré-
actions opposées rend indispensable l'inhibition de l'une d'elles 11.
Autrement dit, le jeu contradictoire des fonctions est une nécessité
fonctionnelle. Une philosophie du repos doit connaître ces dualités.
Elle doit en maintenir l'équilibre et le rythme. Une activité particulière
doit comporter des lacunes bien placées et trouver une contradiction
en quelque manière homogène à elle-même. Le repos, qui peut accep-
ter des activités contraires, doit refuser des activités hétéroclites. Mais
il n'est pas temps de nous étendre sur ces conclusions. Restons pour le
moment en face de notre problème temporel. Voici alors comment
nous résumerions les résultats de notre discussion sur les rapports de
l'être et du néant.
Prise dans n'importe lequel de ses caractères, prise dans la somme
de ses caractères, l'âme ne continue pas de sentir, ni de penser, ni de
réfléchir, ni de vouloir. Elle ne continue pas d'être. Pourquoi aller
chercher le néant plus loin, pourquoi aller le chercher dans les cho-
ses ? Il est en nous-mêmes, éparpillé le long de notre durée, brisant à
chaque instant notre amour, notre foi, notre volonté, notre pensée. No-
tre hésitation temporelle est ontologique. L'expérience positive du
néant en nous-mêmes ne peut que contribuer à éclaircir notre expé-
rience de la succession. Elle nous apprend en effet une succession net-
tement hétérogène, clairement marquée par des nouveautés, des éton-
nements, des ruptures, coupée par des vides. Elle nous apprend une
psychologie de la coïncidence. Mais alors où est le véritable problème
psychologique du temps ? Où faut-il chercher la réalité temporelle ?
N'est-elle pas à ces nœuds qui marquent les coïncidences ? N’y a-t-il

11 RIVERS, L'instinct et l'inconscient, trad. p. 87.

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