Gaston Bachelard (1950) La dialectique de la durée 84
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II
Pour bien comprendre la Théorie de la consolidation, le mieux est
de partir de l'image proposée par M. Dupréel pour définir les « conso- lidés de coexistence » fort propres eux-mêmes à nous faire saisir la réalité des « consolidés de succession » qui nous intéressent plus spé- cialement 32. « Dans toute fabrication, en général, on peut distinguer deux états successifs bien caractérisés : dans un premier état, les par- ties de l'objet à construire sont rassemblées et mises dans l'ordre où elles devront demeurer. Mais à ce moment du travail cet ordre ne se maintient que par des moyens extérieurs et provisoires. Ce n'est qu'à un état second et définitif que, par un aménagement intérieur, les par- ties garderont d'elles-mêmes les rapports de position que comporte l'objet achevé. S'agit-il de faire une caisse, pendant quelques instants, ce sont les mains de l'ouvrier qui retiennent l'une contre l'autre les planches qu'il va réunir par des clous. Ceux-ci étant enfoncés, la cais- se « tient toute seule » : elle est passée du premier au second des deux états dont nous venons de rappeler la succession. Cela est encore plus apparent dans l'opération du moulage ; la dualité des temps de l'opéra- tion y apparaît marquée par celle du moule et de l'objet moulé. Avant la prise du ciment, les parties de l'objet sont déjà placées dans l'ordre qui convient, mais la force qui maintient cet ordre leur est extérieure, c'est la solidité du moule. » Ainsi il y a passage d'un ordre éphémère à un ordre durable, passage d'un ordre tout extérieur et contingent à un ordre interne et nécessaire. M. Dupréel propose alors sa thèse des consolidés de succession 33. « Ce qui se produit pour des relations spatiales ne se produirait-il pas aussi pour des relations temporelles ? Certains ordres de succession ne seraient-ils pas d'abord [81] assurés par une cause extérieure, qui arriveraient ensuite à se soutenir, c'est-à-