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Gaston Bachelard (1950) La dialectique de la durée 57

qué, c'est parce que les malades n'ont pas construit l'acte de mémoire,
ils sont trop bêtes pendant ce délire. »
Ainsi le souvenir est un ouvrage souvent difficile, ce n'est pas une
donnée. Ce n'est pas un bien disponible. On ne peut le réaliser qu'en
partant d'une intention présente. Aucune image ne surgit sans raison,
sans association d'idées. Une psychologie plus complète devrait, sem-
ble-t-il, souligner les conditions rationnelles ou occasionnelles du re-
tour sur le passé. En particulier, la psychanalyse aurait intérêt à mettre
l'accent sur l'importance présente des traumatismes passés. Dans le
style même de M. Pierre Janet tout prétendu récit d'un rêve en est pré-
cisément la narration. Ce n'est pas loin d'être une justification, une
démonstration. On pourrait donc doubler la psychanalyse. Pourquoi le
malade a-t-il fait ce rêve, demande-t-elle ? Il faudrait ajouter : Pour-
quoi le raconte-t-il ? On reviendrait ici à l'examen des conditions pré-
sentes de la psychose.
Pour M. Pierre Janet, précisément « le problème de la remémora-
tion est avant tout un problème de déclenchement et de stimulation.
Pourquoi donc notre individu qui a différé l'acte, va-t-il cesser de le
différer ?... Le mérite et le miracle de la mémoire, c'est d'avoir cons-
truit un acte qui se déclenche à propos de quelque chose qui n'est pas
précis, qui n'est pas encore arrivé. C'est une préparation à obéir à un
autre signal que les signaux ordinaires ». C'est un engrenage qui at-
tend son déclic d'une coïncidence future. [51] La mémoire ne se réali-
se donc pas d'elle-même, par une poussée intime. Il faut la distinguer
de la rêverie précisément parce que la mémoire véritable possède une
substructure temporelle qui manque à la rêverie. L'image de la rêverie
est gratuite. Elle n'est pas un souvenir pur parce qu'elle est un souve-
nir incomplet, non daté. Il n'y a pas de date et de durée où il n'y a pas
de construction ; il n'y a pas de date sans dialectique, sans différences.
La durée, c'est le complexe des ordinations multiples qui s'assurent
l'une sur l'autre. Si l'on prétend vivre dans un domaine unique et ho-
mogène, on s'apercevra que le temps ne peut plus marcher. Tout au
plus, il sautille. En fait, la durée a toujours besoin d'une altérité pour
paraître continue. Ainsi, elle paraît continue par son hétérogénéité,
dans un domaine toujours autre que celui où l'on prétend l'observer.

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