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Gaston Bachelard (1950) La dialectique de la durée 80

compréhension réclame la conscience de la possession d'une forme.


On ne l'éprouve pas dans le premier essai, on n'en voit pas le prix dans
la première lumière. Il faut précisément que la causalité intellectuelle
soit montée. Ce dynamisme est contemporain d'un recommencement.
Il est alors structure et construction. C'est une cause qui sait reprendre
après son effet. C'est un rythme. On s'en rend maître en préparant la
succession des événements intellectuels, atteignant ainsi une véritable
succession en soi, bien vidée des durées de déroulement et d'expres-
sion, délestée au possible de toutes les obligations physiologiques.
Toutes les durées psychologiques, clairement figurées dans des
convictions raisonnées, se constituent ainsi, à la faveur d'une hétéro-
généité de la forme et du contenu, à la faveur d'une loi rationnelle
sans cesse confirmée par une expérience. Les durées se forment
d'abord. Elles s'étoffent, elles se remplissent ensuite. Ce qui les oc-
cupe n'est pas toujours ce qui les constitue vraiment. Tout au plus, la
durée, en apparence continue, du psychisme subalterne, du psychisme
monotone et informe, consolide-t-elle la forme plus lacuneuse des ac-
tions et des pensées intelligentes. Mais l'ordre voulu reste de toute
évidence la réalité temporelle antécédente. Quand on néglige cette
distinction primordiale, on manque du principe hiérarchique nécessai-
re pour analyser correctement les connaissances temporelles. On ne
voit pas que l'histoire du voyage est fonction de sa géographie. Im-
possible de bien décrire sans un principe [77] préalable de repérage.
Impossible de décrire la psychologie temporelle sans donner aux ins-
tants décisifs leur causalité majeure.

Une telle doctrine du remplissage n'est d'ailleurs pas un retour à


une métaphysique du plein, car il y a toujours hétérogénéité entre le
contenant et le contenu et suprématie de la forme. On comprendra
peut-être mieux le caractère fondamental de cette dualité si l'on choi-
sit des exemples de consolidation temporelle dans lesquels l'hétérogé-
néité entre contenant et contenu est particulièrement nette. Nous nous
appuierons pour traiter ce problème sur une théorie de la consolida-
tion que M. Dupréel a exposée dans des pages d'une singulière portée.
Cette théorie nous apporte de bons exemples de constitution active
d'une durée. Elle nous montre lumineusement que la durée est, non
pas une donnée, mais une oeuvre. Pour lui garder son unité, nous lui
consacrerons une leçon spéciale.

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