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Logistique & Management

Comment rendre l’e-logistique plus verte ?

Bruno DURAND
Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Nantes, (LEMNA – EA 4272)
bruno.durand@univ-nantes.fr

Au cours de cet article, nous souhaitons tout d’abord montrer que la vente en ligne
et, plus particulièrement, que l’épicerie en ligne connaissent un essor significatif en
France. Nous voulons ensuite souligner que ces développements ne peuvent plus
s’envisager, notamment du point de vue de la logistique, en dehors de démarches
environnementales. Sans délaisser le volet économique, notre travail de recherche
a donc pour objectif de souligner les enjeux écologiques de l’e-logistique. Ainsi,
après avoir rappelé la mutation récente du modèle logistique de base de la
cyber-épicerie française, nous élargirons notre analyse à d’autres secteurs
d’activité de la vente en ligne (le floral et l’éditorial), secteurs au sein desquels les
prestataires de services logistiques (PSL) jouent un rôle majeur. Cette démarche
nous permettra, au final, de présenter les conditions que la livraison des
commandes en ligne doit progressivement remplir si elle souhaite demain
s’inscrire dans une perspective plus verte.

Le dernier rapport de la GCI (Global Com- ce cas, éphémère de la LAD ? N’a-t-on pas
merce Initiative), institution internationale intérêt à favoriser des scénarios qui garanti-
qui rassemble à la fois de grands distributeurs raient l’optimisation de la distribution finale
(comme Auchan, Carrefour, Tesco…) et des (c’est-à-dire celle du dernier kilomètre) à tra-
industriels reconnus (tels que Coca-Cola, vers des opérations de mutualisation confiées
Nestlé, Procter & Gamble…), montre que la à des prestataires de services logistiques
livraison à domicile (LAD) et que les com- (PSL) ?
merces de proximité sont appelés à progresser
sensiblement dans un univers où le commerce Notre article se fixe donc comme objectif de
en ligne devrait s’affirmer (Georget et al, mettre en évidence les stratégies et les scéna-
2008). La LAD pourrait ainsi représenter rios logistiques que le développement du
entre 15 et 25% du commerce total en 2016. BtoC impose. Nous avons délibérément fait le
C’est donc sur ce point précis que nous avons choix de nous concentrer sur le volet trans-
choisi de centrer notre article, en nous intéres- port, dans la mesure où ce dernier est le princi-
sant plus précisément aux conditions qui pal facteur d’émission de gaz à effet de serre
devraient permettre à la livraison des com- (GES). Il s’agit ainsi, pour nous, d’esquisser
mandes en ligne de s’inscrire dans une une vision prospective ancrée dans des réali-
démarche écologique. En effet, ne risque-t-on tés opérationnelles et de poser les bases de
pas d’assister, si rien n’est entrepris, à un nouvelles formes d’e-supply chains, plus ver-
développement anarchique et, peut-être dans tes, ouvrant des perspectives au-delà du « fac-

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teur 2,5 » de réduction des émissions de des années 90, sous l’impulsion des enseignes
carbone. L’objectif visé tient en effet dans l’a- du commerce intégré : Auchandirect pour
mélioration de la performance écologique, Auchan, Ooshop pour Carrefour, Houra pour
c’est-à-dire clairement dans la réduction de Cora, Cmescourses pour Casino et Telemarket
l’écart par rapport au « facteur 4 ». pour les Galeries Lafayette. Le démarrage de
l’épicerie en ligne fut, cependant, relativement
Au cours de l’article, nous souhaitons tout d’a- difficile en France : cela ne fait finalement que
bord souligner le développement significatif de quelques mois que les taux de rentabilité des
l’épicerie électronique en France. Nous rappel- pionniers de la cyber-épicerie sont en effet
lerons également, dans cette première partie, devenus positifs. En 2008, le résultat net
les caractéristiques des deux modèles de base d’Ooshop se situait encore à – 14 millions
de la logistique du BtoC : la préparation de d’euros pour un chiffre d’affaires de 73 mil-
commandes sur site dédié (entrepôt ou dépôt) lions, quand celui d’Houra était proche de zéro
et la préparation en magasin. Nous y mention- pour un chiffre d’affaires de 80 millions (Ran-
nerons bien sûr les choix stratégiques effectués vier et Sury, 2009). Toutes les initiatives ne
par les cyber-épiciers français. Puis, au cours furent donc pas couronnées de succès, bien au
d’une deuxième partie, nous élargirons notre contraire, ce qui amena certains distributeurs,
regard à d’autres secteurs d’activité de la vente comme le stéphanois Casino, à renoncer pré-
en ligne, celui des produits floraux et celui des maturément à leur projet.
produits éditoriaux. Nous serons ainsi amené à
montrer le rôle joué par les PSL : absents de Aujourd’hui, l’épicerie en ligne semble être
certains scénarios de la cyber-épicerie, les PSL entrée dans une nouvelle ère, comme le pres-
occupent pourtant, et généralement, une place sentait Chétochine (2005). Toutes les ensei-
de choix au sein des alternatives logistiques du gnes de la grande distribution française même
BtoC. La performance logistique du commerce les plus hésitantes, c’est-à-dire celles du com-
électronique, en particulier celle de la livraison merce associé, ont finalement hoisi de s’y
des commandes, est en effet plus à mettre au positionner. C’est ainsi le cas d’Intermarché
crédit des PSL choisis, il est vrai, par le com- avec son site Expressmarché et de Système U
merçant en ligne que sur le compte de ce der- via CoursesU. C’est même le cas, de manière
nier. Du fait des difficultés rencontrées lors des plus mesurée cependant, du mouvement
opérations classiques de LAD, nous nous inté- Leclerc avec son cybermarché Expressdrive.
resserons en priorité aux acteurs clés de la LHD D’autres, encore, font leur retour comme
(livraison hors domicile), une alternative qui Casino qui a complètement revu sa stratégie
connaît un très fort développement à l’heure logistique, point sur lequel nous reviendrons.
actuelle. Nous serons enfin amené à préciser La cyber-épicerie connaît, par conséquent, un
conditions qui devraient permettre à l’e-logis- certain développement : en décembre 2008,
tique de s’inscrire demain dans une démarche une enquête conduite par Médiamétrie et la
plus respectueuse de l’environnement. Fevad estimait à 10% la proportion de conso-
nautes ayant fréquenté le « Top 5 » des cyber-
marchés français, « Top 5 » composé
Quand la cyber-épicerie tente les d’Ooshop, d’Auchandirect, d’Houra, de Télé-
plus hésitants… market et d’Expressmarché. Quelle explica-
tion pouvons-nous donner à cette progression
Après des débuts hésitants, la croissance du
de la cyber-épicerie française ?
BtoC connaît désormais un rythme soutenu en
France : son chiffre d’affaires devrait dépas- Revenons, pour cela, à la place que tient la
ser, selon la Fevad (Fédération de la vente à logistique dans la stratégie des sites mar-
distance), les 45 milliards d’euros en 2012. chands. Pour Dornier et Fender (2001), la
Sur certains segments de marché (culture, logistique est vraiment clé dans le succès (ou
voyages, informatique, habillement…), près l’échec) des ventes en ligne : elle fait partie de
de 50% des achats se font déjà en ligne, et sur la transaction. Pourtant, son statut reste
d’autres (hygiène, équipement de la mai- secondaire : quand le consonaute reçoit sa
son…), le e-commerce enregistre une pro- commande en ligne dans les conditions pré-
gression régulière, y compris dans le secteur vues, il n’y a en effet aucune raison de s’y
délicat de la cyber-épicerie. attarder. En revanche, quand la performance
logistique laisse à désirer, cela peut être rédhi-
La cyber-épicerie française : l’arrivée des
bitoire quant à la poursuite des achats sur le
groupements d’associés
site fréquenté. En même temps, comme le
Commençons par rappeler que les premiers soulignent Baglin et al (2005), il y a quasi-
cybermarchés français ont été créés, dès la fin ment autant d’e-logistique que de familles de

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produits. Dans le cadre de l’épicerie en ligne (quelques milliers d’articles en ligne contre
par exemple, la préparation et la livraison des quelques millions dans l’éditorial). Ainsi, les
produits, aux marges faibles et aux contrain- produits d’épicerie, qui sont essentiellement
tes fortes (encombrement, poids…), nécessite des produits à forte rotation, sont stockés en
la mise en œuvre de solutions relativement aval du canal de distribution sur des sites
performantes. Ainsi, concernant plus précisé- dédiés au distributeur, gérés en propre
ment la préparation des commandes en ligne, (comme les dépôts de proximité) ou bien délé-
deux modèles principaux se détachent gués (comme certains entrepôts à vocation
aujourd’hui : (1) celui de la préparation sur un régionale). Concernant la livraison finale, on
site dédié, soit en amont, sur un entrepôt note également deux variantes, selon que la
régional, ou soit en aval, sur un dépôt de LAD est déléguée ou internalisée (cf.
proximité ; (2) celui de la préparation en figure 1).
magasin. Détaillons ces alternatives logisti-
Dans un premier temps, les enseignes de la
ques majeures en prenant soin d’y préciser les
distribution intégrée ont toutes fait le choix,
choix stratégiques effectués par les cyber-épi-
en ce qui concerne la préparation de leurs
ciers français.
commandes en ligne, de s’appuyer sur des
La préparation des commandes entrepôts dédiés (warehouse-picking), natio-
sur entrepôt ou sur dépôt naux ou régionaux, et donc de s’engager dans
des investissements spécifiques, souvent
Le stockage sur un site dédié au BtoC, qu’il lourds. A cette première difficulté financière
s’agisse d’un entrepôt ou d’un dépôt, paraît s’en est ajoutée une deuxième : les sites de
une nécessité dès quele nombre de références préparation étant peu nombreux, une couver-
du catalogue électronique est élevé et/ou dès ture nationale n’était pas très aisée à mettre en
que l’activité en ligne n’est plus marginale œuvre. Cora a ainsi réduit celle d’Houra, ne
(De Koster, 2002). Trois alternatives sont conservant qu’un département sur quatre. A
envisageables : (1) le stockage de produits à l’inverse, Télémarket, le cybermarché initia-
faible rotation en amont du canal de distribu- lement francilien, a choisi de se déployer sur
tion, sur un entrepôt de fournisseur ; (2) le une bonne partie du territoire national par le
stockage d’articles à forte rotation plus en biais de Chronopost. De son côté et dans le
aval, sur un entrepôt régional dédié à l’épi- cadre de son extension territoriale, Auchan
cerie en ligne et piloté par un distributeur ou qui s’appuie pour son site Auchandirect sur
bien par un PSL (Abbad et Boissinot, 2009) ; six entrepôts régionaux, implantés dans de
(3) le stockage d’articles à forte rotation très grandes agglomérations, a opté pour la diffé-
en aval, sur un dépôt de proximité dédié à la renciation de ses circuits de distribution.
cyber-épicerie et géré par le distributeur. Auchan a ainsi développé un concept, unique
Précisons que la première alternative, celle de et original, celui du Chronodrive. Il s’agit de
la préparation sur un entrepôt « producteur », dépôts de proximité, dédiés uniquement au
comporte plusieurs variantes (Durand, 2009). stockage et à la préparation d’articles référen-
Limitons nous à celle qui permet de minimiser cés au catalogue électronique, d’où le nom de
le nombre de LAD. L’internaute passe une depot-picking par analogie au warehouse-pic-
commande de plusieurs lignes sur un site mar- king. Les internautes viennent y retirer et
chand. Le cybercommerçant, qui ne joue alors
qu’un rôle d’infomédiaire, la fait suivre aux Figure 1 : Stockage et préparation en aval sur des dépôts
producteurs concernés. Ces derniers en effec- de proximité dédiés, la LAD étant assurée par le distributeur
tuent la préparation avant de remettre leurs
colis à un PSL dans le but d’éviter des livrai-
sons multiples. Un regroupement des colis par
client est ensuite réalisé. fois assemblée, la
commande part immédiatement pour être
livrée au cybernaute. La recherche de l’unicité
de la LAD fait incontestablement de cette
variante la plus économique et la plus écolo-
gique.
Ajoutons que cette première alternative n’est
pas développée en cyber-épicerie. L’une des
raisons tient dans la caractéristique majeure
des catalogues électroniques des cybermar-
Source : adapté de Chopra et Meindl (2004)
chés : l’offre y est particulièrement réduite

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régler leurs commandes (se reporter à l’enca- transport ? L’équation ne semble vraiment pas
dré 1), sans pour autant y pénétrer. A ce jour, simple à résoudre. De plus, la généralisation
une vingtaine de sites fonctionnent en France. de la LAD ne risque-t-elle pas d’accroître l’é-
Cette alternative permet de contourner le très mission des GES ? Un certain nombre de dis-
délicat problème de la LAD et c’est sans doute tributeurs, dubitatifs face à la rentabilité du
pour cela qu’Auchan s’est fixé de parvenir à modèle de l’entrepôt et face, plus encore, aux
100 sites d’ici peu (Silly, 2008). contraintes de la LAD qu’il impose, a ainsi
préféré attendre pour finalement adopter le
La préparation des commandes en magasin
store-picking dans la mesure où ils pouvaient
(ou store-picking)
s’adosser sur des réseaux existants de maga-
Ce n’est que depuis peu de temps (depuis sins. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler
2004), que le store-picking se développe en ici que la LAD des produits alimentaires cons-
France. Dans ce deuxième modèle, les pro- titue une réelle difficulté pour peu que ces der-
duits sont toujours stockés chez des distribu- niers soient frais ou surgelés, difficulté qui
teurs mais, en revanche, tout en aval du canal s’aggrave bien entendu quand le consonaute
de distribution. Les cybercommerçants, qui est absent au moment de la livraison. L’option
optent pour l’adossement à un réseau de du retrait en magasin, rendue possible par le
magasins, font le choix d’un processus rapi- deuxième modèle, a convaincu les distribu-
dement opérationnel. Ce modèle repose sur le teurs les plus hésitants, et en particulier les
fait que la commande en ligne est transmise au trois groupements français du commerce
magasin de l’enseigne le plus proche d’un lieu associé.
de vie du consonaute : nous sommes d’emblée
dans les derniers kilomètres. Un préparateur y Intermarché en constitue incontestablement
prélève ensuite les articles en rayons et, une le meilleur exemple. C’est en effet sur 400
fois le panier constitué, la livraison est réalisée supermarchés implantés dans 70 départe-
par le commerçant lui-même ou par un PSL ments qu’Expressmarché, le site d’épicerie en
(Hiesse, 2009). Utilisant des infrastructures ligne du Groupement des Mousquetaires,
déjà existantes, la préparation en magasin se peut désormais s’appuyer. Intermarché
caractérise par un ROI rapide. Le store-pic- semble ainsi vouloir tirer parti du maillage de
king possède un autre atout : l’internaute peut son réseau de supermarchés : un magasin tous
opter pour le retrait de son papier directement les 18 km. Si la prestation offerte autorise la
en magasin. Ce modèle comporte un inconvé- LAD, Expressmarché propose également
nient quand le volume des commandes est res- deux alternatives de retrait : le retrait en maga-
pectable : celui de la perturbation des clients sin et le drive, cette dernière formule dispen-
traditionnels par des préparateurs en activité. sant l’internaute de descendre de son véhicule
Face à un risque éventuel de fuite de clientèle, (la commande est directement chargée dans le
Ogawara et al (2003) suggèrent d’adopter coffre). Du côté de Système U, le site d’épi-
alors la préparation en entrepôt ou en dépôt. cerie électronique Coursesu s’appuie sur
environ 250 points de vente. La stratégie du
Revenons sur l’alternative du retrait qui n’en distributeur vendéen reste, cependant, avant
finit plus de séduire. Comment parvenir effec- tout axée sur la fréquentation de ses maga-
tivement à une maîtrise des coûts logistiques sins par les consommateurs. La formule du
alors même que le développement de la LAD retrait y est donc, de loin, privilégiée à celle de
1 - http://www.expressdrive.fr
devrait entraîner une hausse des coûts de la LAD. Quant au mouvement Leclerc, l’épi-
cerie en ligne semble s’y développer plus par
résignation que par réelle conviction : une
Encadré 1 : Chronodrive, l’alternative du depot-picking vingtaine d’hypermarchés1 s’est lancée, mais
Le site permet de passer commande parmi 5.000 produits alimentaires courants. La la LAD ne fait pas partie de la prestation pro-
commande peut se faire plusieurs jours à l’avance mais il est également possible de posée (le drive est la seule alternative).
retirer ses achats sans passer commande au préalable, grâce à des bornes interacti-
ves présentes sur le parking. La possibilité de passer commande immédiatement ré- Les commerçants associés ne sont plus les
duit cependant le choix de produits. seuls, désormais, à miser sur le modèle de la
La zone de préparation et de retrait des commandes (intégrant l’accès des véhicules) préparation en magasin. Fervent partisan du
s’étend sur environ 4.000 m². Elle comprend un dépôt et une aire de préparation de warehouse-picking, Carrefour a ainsi choisi
1.500 m². Au moment du retrait, le client valide sur une borne interactive sa réfé- de s’adosser à des magasins de Nantes ou de
rence client correspondante au compte créé sur le site et à la commande à retirer.
Un ticket de caisse est alors imprimé. Il indique au client à quelle place de parking se
Bordeaux dans le cadre du développement de
stationner. Un livreur charge le coffre du véhicule quelques minutes plus tard. La son cybermarché sur l’Ouest de la France.
clientèle-type est familiale, motorisée et elle réside à environ dix minutes du site. Carrefour expérimente également, en région
Source : actualisé de Durand et Senkel (2007) parisienne, des points de « prêt-à-emporter »
distincts de ses magasins. Monoprix (filiale

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des Galeries Lafayette), Franprix-Leader Pas d’e-logistique verte


Price et Casino, dont c’est le grand retour, sans mutualisation
ont eux aussi choisi de s’adosser à leurs
réseaux de magasins : Monoprix pourrait, de Au cours de la première partie, nous nous
ce fait, s’appuyer sur un réseau de 300 super- sommes concentré sur les modèles de prépa-
marchés de centre ville ; Coursengo, le ration de commandes mobilisés par les
cybermarché de Franprix-Leader Price, se cyber-épiciers français. Nous y avons notam-
cantonne à ce jour uniquement sur Paris (50 ment évoqué les alternatives de remise des
points de vente) ; Monsupercasino, le cyber- commandes en ligne : la LAD et les deux for-
marché de Casino, devrait quant à lui bénéfi- mes dédiées de retrait, en magasin et en dépôt
cier à terme de l’entropie relative du réseau le de proximité. En fait, notre recherche explora-
plus capillaire des distributeurs français toire s’inscrit dans une démarche beaucoup
(3000 magasins). plus large, qui englobe également le secteur
floral et le secteur éditorial. C’est pourquoi,
dans la suite de l’article, nous ne nous limite-
Force est donc de constater que le store-pic- rons plus au seul domaine de l’épicerie en
king, longtemps dénigré par les cyber-épi- ligne, un domaine pourtant très riche du point
ciers français, constitue désormais une de vue logistique mais qui ne permet pas, mal-
alternative bien présente qui semble d’ail- gré tout, d’apprécier à sa juste mesure le rôle
leurs accélérer le développement de la croissant que les PSL sont amenés à jouer
cyber-épicerie en France. A cela, deux rai- dans la logistique du B to C.
sons : si la première est financière (ROI plus
rapide qu’en warehouse-picking), la Les PSL : une implication variable au sein
deuxième raison se veut plus pratique. La des logistiques du BtoC
LAD se heurte, en effet, en France au fait Afin de dresser un état de l’art partiel de
que les consonautes ne sont pas équipés de l’e-logistique française, nous avons adopté
boîtes de réception inattendue2, concept une méthodologie de recherche (se reporter à
plus répandu au Royaume-Uni et dans le l’encadré 2), au cours de laquelle nous nous
nord de l’Europe. La conséquence est sans sommes donc intéressé à trois secteurs d’acti-
appel : 30% des LAD échouent parce qu’il vités de la vente en ligne : le floral, l’éditorial
n’y a personne au moment du passage du et la cyber-épicerie. Cette revue logistique
livreur (Botella, 2008). Aussi, quand la nous a permis de constater que les e-supply
LAD peut tenir de l’exploit, inciter l’inter- chains étudiées s’appuient bien souvent sur 2 - Une boîte de réception
naute à pratiquer le retrait en magasin pré- inattendue désigne une unité de
des organisations issues de l’ancienne éco- dépôt tri-température (sec, frais,
sente un avantage économique certain pour nomie, initiées dans certains cas par la VPC surgelé) munie de deux portes :
le cyber-épicier. (Vente Par Correspondance), qui intègrent une du côté de l’habitation à
laquelle le consonaute accède et
déjà un certain nombre de préoccupations une du côté de la rue utile au
Le store-picking constitue donc bien la preuve actuelles en matière de logistique urbaine. livreur. Un foyer ainsi équipé
s’il en était besoin, que le commerce en ligne Nous y avons noté que l’implication des PSL peut donc être absent au
y est vraiment très variable : d’inexistante moment de la livraison.
ne signe pas la mort du point de vente. Au con-
traire, la mobilisation des magasins peut cons-
tituer un précieux support à la Net-logistique.
Les cyber-épiciers semblent l’avoir tous com- Encadré 2 : Méthodologie de recherche
pris, rejoignant en cela l’étude du CREDOC La démarche mobilisée est de nature qualitative. Elle s’est déroulée en deux temps
qui montre que les magasins de proximité- forts. Lors d’une première étape, nous avons entrepris une recherche documentaire,
à la fois académique à travers des articles de référence tirés principalement de Logis-
semblent les mieux placés pour l’épicerie en tique & Management, de la Revue Française de Gestion Industrielle et de Décisions
ligne (Pouquet, 2001). Soulignons encore à Marketing, mais aussi managériale grâce à des témoignages d’acteurs de premier
travers ces deux modèles de base, modèles qui plan parus dans Logistiques Magazine ou dans Stratégie Logistique. Cela nous a per-
font d’ailleurs toujours l’objet de travaux aca- mis de dégager les premières caractéristiques logistiques des cybercommerces fran-
démiques (Marouseau, 2007), le chemine- çais. Puis, au cours d’une deuxième étape, nous avons conduit 16 entretiens
ment croisé des acteurs britanniques et semi-directifs auprès d’acteurs de la vente en ligne (cybercommerçants et e-PSL).
Ces entretiens, menés en face à face et d’une durée moyenne d’une heure trente, se
français. La préparation sur site dédié ne s’est sont déroulés avec des responsables logistiques ou des supply chain managers : 3
ainsi imposée aux distributeurs anglais, et en ont eu lieu dans le secteur floral (Interflora, Aquarelle et Bebloom), 2 dans l’éditorial
particulier à Tesco, qu’au moment où les (Fnac et Alapage), 9 dans l’alimentaire auprès des 7 grands distributeurs (Carrefour,
cyber-épiciers français, qui l’avaient initiale- Auchan, Cora, Les Galeries Lafayette, Intermarché, Système U et Leclerc). Les deux
ment adoptée, commençaient à l’inverse à derniers entretiens se sont déroulés en compagnie de directeurs de La Poste et du
recourir au store-picking. La tendance à PDG de Kiala. Matériau de base de notre recherche, ces entretiens ont fait l’objet
d’une analyse méticuleuse du discours, au sens de Paillé et Mucchielli (2003), qui a
l’hybridation des modèles est de ce fait permis de mettre en perspective 12 e-supply chains.
aujourd’hui très perceptible.

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chez les cyber-épiciers du commerce associé à adossent (par exemple Interflora) ; (2) soit ils
très développée chez les pure-players. possèdent des magasins mais ils préfèrent uti-
liser des infrastructures dédiées au
Nous venons de dresser un état de l’art partiel retrait (Auchan via sa solution Chronodrive) ;
des alternatives logistiques mobilisées par les (3) soit ils ne possèdent aucun magasin (ou
cyber-commerçants français. Force est de pas suffisamment) et font dans ce cas appel
noter que la comparaison des deux processus aux e-PSL, dans le cadre de démarches volon-
de préparation de commandes, le store-pic- taires de mutualisation. Intéressons nous à
king et le warehouse-picking, n’est pas des cette troisième alternative, et plus particuliè-
plus aisées. Nous pouvons cependant souli- rement aux offres de Kiala et de La Poste.
gner un niveau de performance plus élevé du
premier processus, quant aux coûts de trans- Le savoir-faire de la VAD : l’exemple de Kiala
port et aux délais de livraison : les distances à
parcourir sont, en effet, généralement faibles La livraison en dehors du domicile (LHD)
en raison du fort maillage des réseaux exis- doit en fait beaucoup au savoir-faire des
tants (par exemple celui d’Intermarché). En acteurs de la VAD, notamment à La Redoute
même temps, nous ne pouvons pas nous limi- et aux 3 Suisses, à l’origine des premiers
ter à ce seul constat : nous avons bien relevé réseaux de points relais. Mondial Relay,
que des alternatives existaient du côté des filiale du Groupe 3 Suisses International, en
commerçants possédant déjà des magasins, constitue certainement l’exemple embléma-
mais qu’en est-il pour les pure-players et les tique. Créé en 1997, Mondial Relay dispose
VADistes ? Comment parviennent-ils en effet de centres de tri et de plates-formes régiona-
à livrer leurs clients alors qu’ils ne possèdent les, qui garantissent aux VADistes comme
aucun point de vente ? Leur e-logistique aux pure-players une distribution domestique
impose un nécessaire recours aux PSL. C’est sécurisée via un réseau de près de 4000 com-
pourquoi, il nous paraît primordial d’exami- merçants de quartier. Ce maillage de proxi-
ner, maintenant, les solutions logistiques clés, mité fait de Mondial Relay un e-logisticien
mobilisables par les « sans magasin ». urbain incontournable : il permet à l’inter-
Une forte émulation entre les PSL naute de disposer de ses commandes sous 24
heures, commandes qu’il vient retirer dans un
Comme nous l’avons précédemment mis en magasin proche de l’un de ses lieux de
évidence, les acteurs du BtoC sont actuelle- vie (épicerie, station service, pressing, fleu-
ment attirés par les livraisons hors domicile. riste…). Ces points de retrait offrent des pla-
Trois alternatives s’offrent à eux : (1) soit ils ges horaires d’ouverture plus larges que celles
possèdent un réseau de magasins et ils s’y des bureaux de poste : certains sont même

Tableau 1 : Etat de l’art partiel de l’e-logistique en France


Type
Offre Pilotage des flux Modèle logistique Implication des P.S.L.
d’e-supply chain
Tiré Préparation en magasin pour le Inexistante
Limitée brick-and-mortar Interflora Internalisation des livraisons
Produits floraux Assemblage du Préparation sur entrepôt dédié
Quelques dizaines Délégation du transport à des
bouquet à la demande pour les pure-players Aquarelle
de références PSL (Chronopost…)
(built-to-order process) et Bebloom
Poussé Préparation sur entrepôt dédié
Très importante
- internalisé pour le Délégation du transport à des
Produits éditoriaux Stocks importants en brick-and-mortar Fnac PSL (Chronopost…) et même de
Plusieurs millions de
amont chez les - externalisé pour le pure-player l’entreposage pour Alapage
références
fournisseurs Alapage
Préparation en magasin pour les Inexistante
Poussé distributeurs associés :
Intermarché, Système U et Système U et Leclerc ne livrent
Produits Importante Stocks importants en Leclerc pas ou peu
alimentaires aval chez les
Plusieurs milliers de distributeurs Préparation sur entrepôt ou
Très variable
(cyber-marchés) références traditionnels dépôt dédié pour les
distributeurs intégrés :
Carrefour préfère déléguer,
(brick-and-mortar) Carrefour, Auchan, Cora
tandis qu’Auchan internalise
et Télémarket

Source : élaboration personnelle

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ouverts le week-end ! L’internaute est averti délicate du BtoC : le dernier kilomètre, « les
instantanément de l’arrivée de sa commande derniers mètres » disent même certains, cons-
par SMS, e-mail ou bien encore par message titue en effet le maillon faible de l’e-logis-
vocal. Ajoutons que l’offre de Mondial Relay tique. Il s’agit donc de préciser les conditions
est commercialisée en France par un infomé- qui doivent permettre aux opérations de LAD
diaire : Kiala, société belge créée en 2000. Il et de retrait de s’inscrire pleinement dans des
s’agit là d’une alternative logistique privée démarches plus écologiques, évitant en parti-
aux tarifs particulièrement attractifs : en culier les kilomètres inutiles. Notre objectif
moyenne de 10 à 15% inférieurs au service est de poursuivre ici la présentation des résul-
Colissimo de La Poste. Le mérite de Kiala est tats de nos entretiens semi-directifs, en insis-
d’avoir professionnalisé le système artisanal tant sur quatre facteurs clés : deux concernent
des vépécistes, en pariant notamment sur une la LAD, le troisième renvoie à la gestion des
identification performante par code-barres. retraits et le quatrième porte sur les CDU
Expert en livraison aux particuliers, Kiala (Centre de Distribution Urbaine).
s’est également positionné sur le secteur de la
La condition du « 0-commande non livrée »
logistique inversée prouvant, avec sa procé-
dure d’échange « Swap » (l’ancien produit La LAD pose une vraie difficulté pour peu
étant récupéré lors du retrait du nouveau), sa qu’elle concerne des produits fragiles et pour
réelle aptitude à collecter les colis qui font peu, surtout, que le consonaute soit absent au
l’objet d’un retour. moment du passage du livreur. Aujourd’hui,
même si des progrès sensibles ont été accom-
Cityssimo : le « petit dernier » de La Poste
plis, une LAD sur trois échoue encore. Le pre-
Répondre à la demande du BtoC constitue mier objectif des acteurs du e-commerce
également un enjeu stratégique pour La Poste, (cyber-commerçants, internautes et e-PSL)
qui propose trois formules : (1) le service est, par conséquent, de diminuer ce taux d’é-
Colissimo de LAD ; (2) le Chrono Relais de chec. Il s’agit ainsi de tendre vers le « 0-com-
Chronopost via 3000 buralistes (réseau mande non livrée » et, donc, de réduire les
à2pas) ; (3) le Cityssimo. La Poste livre déjà retours vers leur base des commandes non
une grande majorité des colis destinés aux livrées. La gestion de ces retours engendre en
particuliers. La Poste ambitionne d’ailleurs de effet, du fait des remises ultérieures en livrai-
s’imposer comme « L’ » e-PSL de référence, son, un double impact : (1) financier (du fait
objectif qui ne paraît pas totalement impos- du temps passé) ; (2) écologique en raison des
sible à atteindre dans la mesure où elle peut kilomètres parcourus lors du deuxième pas-
s’appuyer sur un réseau de proximité de sage au domicile de l’internaute. L’identifica-
11500 points de retrait via ses bureaux de tion des différents systèmes de LAD apparaît
quartier (Brillet, 2008). Désormais, depuis alors fondamentale et les travaux de Patier
2005, ColiPoste propose la solution Citys- (2009) et de Bessec (2009) semblent, à ce
simo, un système de consigne automatique titre, précieux en vue d’élaborer des scénarios
qui permet de contourner le problème des pla- permettant de tendre vers le « 0-retour ».
ges d’ouverture des bureaux de poste ou celui
La condition du « tout en une livraison »
des magasins. L’internaute peut ainsi retirer
ses achats 24h/24 et 7 jours sur 7 : il lui suffit En admettant que l’on parvienne demain à
d’indiquer, lors de sa commande, le point éviter les non-livraisons, un autre problème
Cityssimo sur lequel il souhaite être livré. Une émerge depuis quelques mois compte-tenu de
fois le point de retrait livré, le consonaute est l’accélération du développement des ventes
alerté par e-mail ou SMS (servive e-Como). en ligne. Les consonautes sont-ils, en effet,
Un code lui est communiqué et il dispose de prêts à être dérangés plusieurs fois dans une
quelques jours pour effectuer son retrait. Une même soirée à l’occasion de la livraison de
trentaine de Cityssimo fonctionne aujourd’ commandes différentes ? Si l’internaute opte
hui en France. Certains automates sont ados- pour la LAD, ce n’est pas pour être dérangé de
sés à des bureaux de quartier et d’autres sont manière intempestive à son domicile. Ces
installés dans des gares ou des galeries mar- dérangements pourraient donc, s’ils deve-
chandes. A terme, ColiPoste devrait renforcer naient récurrents, constituer un frein au com-
son maillage en s’appuyant, en particulier, en merce électronique dans la mesure où ils
région parisienne sur le réseau de la RATP. contribueraient en plus à l’aggravation de
l’engorgement des centres de vie (Gratadour,
Les conditions d’une e-logistique plus verte
2004). Ne perdons pas de vue, en effet, que le
Ne perdons pas de vue que la remise du colis commerce en ligne ne supprime pas la vente
est sans doute l’opération logistique la plus en magasin et, donc, les déplacements des

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Logistique & Management

consommateurs (Alligier, 2007). Aussi, il sager sur un dépôt dédié, ce que propose
convient d’identifier précisément les solu- Auchan avec sa solution Chronodrive. Le
tions qui permettent de tendre vers le coup de retrait peut encore s’imaginer en magasin,
sonnette unique, c’est-à-dire de construire des solution aujourd’hui très répandue : il suffit
scenarii minimisant dérangements et déplace- d’observer la multiplication des drive chez les
ments. L’organisation de la distribution du cyber-épiciers. Le savoir-faire logistique de la
courrier par La Poste (passage du facteur quo- VAD peut aussi être mobilisé à travers, cette
tidien mais unique) est, à ce titre, riche d’en- fois, des alternatives mutualisées : le succès
seignements. Cette problématique logistique de Kiala, leader européen des réseaux des
pose inévitablement la question des infras- points de retrait (47 000 unités en Europe), en
tructures de distribution, en particulier celle est le meilleur exemple et La Poste l’a égale-
des Centres de Distribution Urbaine (CDU) ment compris en lançant Cityssimo. Force est
sur lesquels nous allons revenir. Il s’agit, en ainsi de constater que les points de retrait
définitive, de regrouper les commandes d’un constituent désormais de véritables outils de
même internaute, « assembler » écrit Yrjölä mutualisation et, donc, de massification sur
(2003), afin : (1) de réaliser une LAD unique ; lesquels les cyber-commerçants n’hésitent
(2) de réduire, du fait de la mutualisation, les plus à s’adosser. Cependant, si on mesure les
kilomètres parcourus ; (3) d’ouvrir des pers- atouts économique et technique de la LHD
pectives allant au-delà du « facteur 2,5 » de (« 0-commande non livrée »), rien ne prouve
réduction des émissions de GES. pour autant son réel intérêt écologique. Les
travaux de Browne et al (2005) semblent
La condition du développement harmonieux
même montrer que l’alternative de la LHD
des points de retrait
peut être contraire à l’objectif de réduction
Concernant maintenant les LHD, il convient des émissions de GES. Si elle n’est pas un
de rappeler que si cette alternative se déve- minimum organisée, la LHD risque en effet de
loppe, c’est justement du fait des difficultés se traduire par une multiplication anarchique
rencontrées par la LAD. La solution de la des points de retrait et de générer, au final,
LHD paraît en effet séduisante car, a priori, plus de déplacements que dans le cadre du
moins onéreuse (du moins pour les commerce en magasin. L’engouement pour la
cyber-commerçants !). Mais, qu’en est-il LHD ne doit donc pas masquer de probables
exactement ? Et surtout, cette alternative ne difficultés à venir. Il paraît, par conséquent,
comporte-t-elle pas également quelques ris- fondamental d’identifier l’ensemble des solu-
ques ? Lors d’une LHD, c’est l’internaute qui tions favorisant la réduction des déplacements
se déplace : il passe enlever sa commande sur des internautes sur des points de retrait et, à ce
un point de retrait de proximité (Durand, titre, de valoriser l’alternative des CDU.
2008). Le retrait peut éventuellement s’envi-
La condition du nécessaire déploiement des
CDU
Figure 2 : Le CDU, facteur clé d’une e-logistique plus verte
Après le mouvement de délocalisation en
périphérie du grand commerce, mais égale-
ment celui des infrastructures logistiques
majeures (entrepôts, plates-formes…), nous
assistons aujourd’hui à un mouvement
inverse de repositionnement sur des commer-
ces de proximité. Ce « reflux » des marchan-
dises de la périphérie vers le centre de la ville,
au plus près des consommateurs finalement,
pourrait être facilité par la redynamisation, à
des fins logistiques, d’espaces urbains (ELU)
proches de l’hyper-centre, espaces qui exis-
tent déjà aujourd’hui, mais à l’état de friches
foncières (ancienne gare, entrepôt ou usine
désaffectée, ancien centre de tri…). Nous
pourrions assister au développement de CDU
au cœur de ces zones, car si la réduction des
nuisances passe bien sûr par une diminution
du nombre de véhicules en circulation et à
l’arrêt, elle passe également par la baisse des
Source : Patier (2002)
distances parcourues (Boudouin et Morel,

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2002). D’ailleurs, comme le souligne Patier Cela signifie que l’e-logistique constitue bien,
(2002) par rapport au BtoB, l’accessibilité quand elle s’inscrit dans une démarche écolo-
n’est pas tout : les lieux de traitement du fret et gique, un réel levier de croissance. Force est
leur implantation dans la ville sont tout aussi d’ailleurs de constater que les considérations
déterminants. Bien entendu, en BtoC, cette environnementales, doublées de considéra-
remarque garde toute sa validité du fait de la tions économiques, poussent aujourd’hui les
capillarité des flux : les sites de grou- cyber-épiciers français à préférer des alterna-
page/dégroupage sont donc absolument tives logistiques décentralisées (en particulier
nécessaires et la pertinence de leur localisa- le drive). Cela pose également la question de
tion est même fondamentale. l’aménagement des ELU de centre-ville et de
périphérie. Le tableau 2, ci-après, reprend les
Véritable plate-forme d’éclatement (Dablanc, principaux enseignements de notre recherche.
1998), un CDU est un centre de tri, sur lequel
les commandes sont regroupées par cyber-
Demain, des bilans carbone plus fins
naute. Il s’agit d’un site de proximité à voca-
devraient nous permettre de vérifier quelles
tion mixte, pouvant tout aussi bien constituer
sont les organisations logistiques du BtoC les
le point de départ de tournées de LAD courtes
plus performantes, en LAD comme en LHD.
(autorisant le recours à des véhicules électri-
Des bilans écologiques plus globaux sont éga-
ques) que jouer le rôle d’un point de retrait
lement attendus afin de compléter ces bilans
(one-stop pickup). Les CDU semblent donc
carbone. Il convient, en effet, de se montrer
appelés à se développer dans la mesure où les
relativement prudent : le bilan d’un commer-
points de retrait existants (ceux de Mondial
çant en ligne peut-il être, en effet, considéré
Relay et de La Poste par exemple), ne sont pas
comme positif quand la réduction de son
adaptés aux produits encombrants ou à tem-
impact carbone est constatée, mais que le
pérature dirigée. Directement approvisionnés
bilan global des déplacements des internautes
par les fournisseurs via des réseaux de pla-
est, lui, négatif ? Conjuguer l’e-logistique
tes-formes prestées fonctionnant en
avec les préoccupations écologiques nécessite
cross-docking (Dablanc, 2007), les CDU
donc d’adopter des démarches globales inté-
constituent de précieux outils de mutualisa-
grant l’ensemble des acteurs de la filière
tion qui devraient permettre de surmonter la
concernée, approches pour lesquelles les tra-
difficulté du dernier kilomètre et de rendre,
vaux portant sur les modes de coopération
ainsi, plus verte l’e-logistique dès que la capil-
logistiques au sein du canal de distribution
larité de leur réseau sera suffisante…
fournissent un cadre théorique tout à fait
adapté. Enfin, si notre article s’est intéressé
Conclusion exclusivement à la remise de la commande à
l’internaute, il conviendrait également de se
Au cours de cet article, nous nous sommes préoccuper de la logistique inverse des pro-
intéressé à la dimension écologique de duits et, notamment, de celle des produits en
l’e-logistique. Plus précisément, nous nous fin de vie (par exemple la rétro-logistique des
sommes interrogé sur les manières de rendre PGC électroniques régis par la directive
plus verte la logistique du B2C. Nous pouvons D3E). Il s’agirait ainsi de mettre en évidence
déjà affirmer que la prise en compte de la comment, en BtoC, la logistique des retours
composante environnementale ne peut que peut intégrer les préoccupations environne-
favoriser le développement du e-commerce. mentales et d’y souligner, une nouvelle fois, le

Tableau 2 : Les alternatives vertes de l’e-logistique


Mode de livraison LAD LHD
Les magasins de proximité, localisés à
Sites de préparation
quelques kilomètres (Interflora,
des commandes en
Intermarché…), sont préférables aux
ligne entrepôts régionaux.
Points de retrait Les points relais mutualisés (Kiala, La
des commandes en Poste…) sont préférables aux points
ligne dédiés (drive en magasin ou en dépôt).

CDU Les CDU constituent des sites de proximité à vocation mixte (autorisant la LAD et la
(Centre de distribution LHD). Confiés à des PSL, ce sont des points de mutualisation qui favorisent le « tout en
urbaine) un » (« tout en un passage » ou « tout en un retrait »).

Source : élaboration personnelle

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