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Annales littéraires de l'Université

de Besançon

Les mathématiques dans la cité grecque au Ve siècle


Maurice Caveing

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Caveing Maurice. Les mathématiques dans la cité grecque au Ve siècle. In: Clisthène et la démocratie athénienne. Actes du
Colloque de la Sorbonne tenu le 15 janvier 1994. Besançon : Université de Franche-Comté, 1995. pp. 7-22. (Annales littéraires
de l'Université de Besançon, 553);

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LES MATHEMATIQUES
DANS LA CITÉ GRECQUE AU Ve SIÈCLE

Maurice CAVEING

II est extrêmement délicat de décider de l'état des


mathématiques en Grèce à l'époque de Clisthène. Mais il est
possible de présenter des conjectures vraisemblables pour le
siècle suivant. A partir de là il sera possible aussi de s'interroger
sur l'effet qu'ont pu avoir sur le développement du savoir les
nouveaux principes politiques apparus dans le cadre de la Cité.
La commémoration de l'œuvre de Clisthène, pensons-nous, n'y
perdra rien et l'exposé qui va suivre y gagnera en vérité
historique.
On pourrait penser cependant que les débuts des
mathématiques en Grèce ancienne sont bien connus, à en juger
par le résumé historique qu'on en donne le plus souvent. C'est
précisément contre cette illusion que nous voudrions mettre en
garde avant d'entrer dans notre sujet, afin d'éliminer autant qu'il
se peut faire quelques affirmations hâtives qui entretiennent une
légende. C'est ainsi qu'on rencontre d'abord l'opinion
d'Hérodote sur l'origine égyptienne de la Géométrie. Or, dans les
textes égyptiens qui nous sont maintenant connus, on ne trouve
rien qui annonce la manière grecque d'étudier cette branche des
mathématiques. Sans doute trouve-t-on des calculs portant sur
des terrains et des problèmes relatifs à leur mesure, mais rien ne
dit que ce soit là véritablement l'origine de cette science.
L'opinion d'Hérodote a été reprise par Proclus qui la couple avec
l'idée que l'Arithmétique aurait été empruntée aux Phéniciens. La
fragilité de cette tradition vient de la parenté manifeste qu'on peut
constater entre les notions arithmétiques explicitées par les Grecs
et les procédés calculatoires des Egyptiens. Vient ensuite la
vulgate concernant Thaïes et son fameux théorème. Il faut savoir
que l'appellation "théorème de Thaïes" pour la proposition
correspondante d'Euclide est une innovation d'auteur moderne de
manuel. Elle repose probablement sur une interprétation
mathématique d'un procédé que Plutarque attribue à Thaïes dans
8 Maurice CAVEING

son Banquet des Sept Sages pour la mesure de la hauteur des


Pyramides d'Egypte. Il n'y a donc là aucune certitude historique
concernant le théorème. Il en est de même du "théorème de
Pythagore", expression consacrée, issue de l'importance que la
Renaissance accordait à Plutarque et à ses affirmations. En fait il
ne semble pas qu'il y ait unanimité chez les Anciens pour
l'attribution à Pythagore. Il convient donc de maintenir une
prudente réserve à l'égard de l'histoire vulgarisée.
Il convient aussi de distinguer entre les mathématiques
considérées comme sciences et les calculs éventuellement
associés à des opérations de mensuration. Ces calculs existent
dans toutes les civilisations, en Mésopotamie, en Egypte, en
Inde, en Chine, et probablement en Grèce. Mais il n'y a pas de
passage inévitable au stade supérieur, celui d'une connaissance
assortie de preuves démonstratives. C'est une chose de
rencontrer, dans des calculs ou des mesures, des propriétés
d'ordre mathématique et de savoir en tirer parti ; c'en est une
autre de savoir les conceptualiser, les mettre en ordre, les
déduire. Surtout cela exige de toutes autres motivations que le
calcul pur et simple. On connaît historiquement des civilisations
dont les calculateurs ont répété pendant des siècles et davantage
des calculs codés par des procédés stéréotypés sans que jamais
aucun théorème ne soit énoncé, et pourtant les documents
conservés prouvent que les scribes qui conduisaient ces
procédures étaient des virtuoses : c'était le cas par exemple en
Mésopotamie ou en Egypte.
Avec la documentation de ces deux contrées, caractérisée
par les listes de problèmes, les codes de calcul et les prescriptions
dogmatiques, les mathématiques grecques marquent une rupture
dont il faut préciser la nature. Or, il est un domaine qui, en tout
pays, peut être investi par les calculs, mais qui en Grèce présente
une forte originalité : c'est celui de l'astronomie. Déjà en elle-
même la conception grecque rompt avec l'approche des Orientaux
et des Egyptiens, et du même coup elle suscite des problèmes
difficiles pour la solution desquels on ne peut se contenter des
procédés efficaces dans l'environnement terrestre usuel. Nous
nous proposons par conséquent d'aborder le tableau des
mathématiques du Ve siècle par le détour de l'astronomie
grecque.
Les mathématiques dans la cité grecque au Ve siècle 9

I. La motivation astronomique

A. Pourquoi des astronomes ?

L'observation du ciel répond en Grèce à des préoccupations


compréhensibles dans un pays où les travaux des champs ne
peuvent être ceux d'une monoculture réglée par un phénomène
naturel comme l'était en Egypte la crue du Nil. Déterminer le
moment opportun de certains travaux agricoles dans l'espoir
d'obtenir une meilleure récolte est une première raison de
surveiller le cours des astres. Aussi le poète liera-t-il de façon
mémorable les travaux et les jours. Mais il est une autre raison,
fort impérieuse : la régularisation du calendrier.
Les dates des fêtes religieuses sont en effet fortement
corrélées en Grèce avec les phases de la Lune, notamment la
pleine Lune, et les noms des mois s'y rapportent ; mais en même
temps le rituel religieux accompagne les moments principaux de
la vie agraire et il importe qu'il se déroule avec exactitude dans
son cadre saisonnier annuel : le simple bon sens d'ailleurs
conseille qu'une action de grâces pour la moisson ne tombe pas
avant les semailles. Or, le mois lunaire couvre 29 jours et demi,
et quelque peu davantage. Alors que treize mois, soit à peu près
384 jours, excéderaient l'année, douze mois, soit 354 jours, sont
trop courts de onze jours par rapport à une année solaire de 365
jours. Au bout de 33 ans, le retard pris est au moins de
1 1 jours χ 33 = 363 jours
et une date a parcouru le cycle complet des saisons, si bien que
dans la moitié, soit en seize années, elle passe, par exemple, de
l'hiver à l'été. Les Grecs sont donc confrontés en permanence au
problème de mettre sur pied un calendrier luni-solaire satisfaisant.
Pratiquement, on procède à des intercalations de mois lunaires,
qui sont, à Athènes, décidées par l'archonte. Le fait le plus
remarquable dans le "calendrier des prytanes" de Clisthène, c'est
le remplacement du nombre 12, qui est celui des mois lunaires,
par le nombre 10 de périodes légales de durée appropriée. Ce
calendrier est purement "politique", mais le nombre 10,
caractéristique du comput digital, est d'usage aisé pour tous. Les
cités grecques auront donc longtemps des calendriers locaux,
disparates, pendant que les doctes rechercheront une solution
optimale universelle, inaccessible sans un certain développement
de la science astronomique.
10 Maurice CAVEING

Β. L'enfance du savoir astronomique

Les plus anciens textes nous renseignent quelque peu sur


les rudiments de connaissances astronomiques existant aux
origines de la science. Homère connaît l'opposition de l'Orient et
de l'Occident, certains astres ou constellations qu'il désigne
nommément comme "l'étoile du matin", "l'étoile du soir", les
Pléiades, l'inégalité des jours selon les saisons (qui en grec se
nomment les Heures) et la brièveté extrême des nuits d'été dans
les régions nordiques ; il mentionne aussi les phases de la Lune
et indique que l'Ourse ne se baigne pas dans l'Océan, ce qui
signifie que les étoiles que nous qualifions de "circumpolaires" ne
se couchent jamais. Peut-être y a-t-il enfin dans Homère l'idée du
coucher héliaque des étoiles ; il s'agit du dernier coucher visible
en début de nuit, juste après le coucher du Soleil : le lendemain
l'étoile aura disparu du ciel pour une durée de plusieurs semaines
variable selon la latitude du lieu d'observation 1. Or, pour un
observateur placé à un même point de la Terre, une étoile se lève
ou se couche, chaque année, à la même date au même point de
l'horizon ; les levers, ou couchers, héliaques permettent donc de
constituer une "horloge" pour jalonner la durée de l'année.
L'autre moyen est évidemment de repérer les points de l'horizon
où le Soleil lui-même se lève ou se couche, ce qui est beaucoup
plus difficile, et qui fut peut-être tenté par les civilisations qui ont
édifié des cercles de menhirs.
La liste des astres nommés s'enrichit avec Hésiode, qui
mentionne
"retours" les Hyades, Orion, Sirius, Arcturus. Il connaît les
(tropai) périodiques du Soleil, c'est-à-dire le
changement de son cours vers le Nord ou vers le Sud aux
solstices, points de référence du cycle des saisons. Chez lui
apparaît le compte des jours qui s'écoulent entre divers
événements célestes : levers et couchers héliaques des astres,
solstices, avec l'idée claire que l'année recommence son cycle
(periplomenou eniautou) lorsque l'étoile reparaît au ciel ; il fixe le

Cela tient à ce que l'année sidérale est plus courte que l'année solaire de
24 heures : la Terre en tournant 365 fois sur elle-même fait une fois le
tour du Soleil, donc un tour de plus sur elle-même : il s'ensuit que, dans
la rotation apparente diurne des astres pour un observateur terrestre, les
étoiles sont en avance quotidiennement sur le Soleil de 1°, soit 4 minutes
de temps.
Les mathématiques dans la cité grecque au Ve siècle 11

lever héliaque des Pléiades à une date située entre le 5 et le 10


mai.
Bien entendu la question de la cause des éclipses hante les
esprits de façon constante. L'éclipsé de Soleil que mentionne
Archiloque est actuellement identifiée avec certitude comme celle
du 6 avril 647. La doxographie veut que Thaïes en ait prédit une,
laquelle selon toute vraisemblance ne saurait être que celle du 28
mai 585. La prédiction aurait supposé une connaissance précise
des durées des cycles solaire et lunaire, la valeur des déviations
en latitude de la Lune par rapport à l'écliptique, et enfin la
connaissance précise de la latitude géographique de Milet —
toutes connaissances impossibles à réunir à l'époque si nous en
jugeons par tout ce qu'elles supposent et qui n'a été connu
qu'ultérieurement. Tout ce que Thaïes pouvait annoncer, c'est si
une éclipse était exclue ou possible, et cela à condition d'admettre
qu'il ait connu certaines éphémérides concernant les cycles luni-
solaires établies par les Babyloniens. Claude Ptolémée disposera
de listes d'éclipsés depuis la première année du règne de
Nabonassar, soit 747 avant J.-C. En 585 on ne pouvait donc
disposer que de 162 ans d'observations.

C. La conception du Tout

Le cas des éclipses montre que les données d'observation


ont besoin d'être expliquées, l'explication à son tour devant
rendre possible la prévision. Or, l'explication des données de
l'observation astronomique pose la question de savoir où se
trouve situé l'observateur. C'est pourquoi apparaît à un certain
moment, chez les Milésiens précisément, la question du lieu de la
Terre, quelle que soit l'idée que l'on se fait de sa forme. Quel lieu
occupe-t-elle par rapport aux astres et d'où vient le contraste
apparent entre des astres qui se meuvent et une Terre qui demeure
stable ?
Cette question va conduire à des réponses de plus en plus
argumentées touchant la conception du Tout, c'est-à-dire de
l'ensemble formé du Ciel et de la Terre. En tenant compte des
querelles érudites qui pèsent sur l'interprétation de textes souvent
fragmentaires ou elliptiques, on peut résumer comme suit la ligne
de développement de la pensée grecque sur cette question, dont
seul le point d'aboutissement nous importe.
12 Maurice CAVEING

II semble bien que pour Anaximandre, qui recherche les


causes des éclipses et des phases de la Lune, les mouvements qui
emportent les astres soient circulaires. Heraclite, qui cherche
aussi les causes de ces phénomènes, est le premier à employer le
mot kosmos, suggérant que le Tout forme un système ordonné. Π
y voit à la fois une permanence : les étoiles sont au ciel pendant
le jour, et une périodicité : les mouvements solaires annuels sont
responsables des Heures, des saisons ; l'Ourse, Arktos, forme
les limites du matin et du soir, mais fondamentalement la nuit et le
jour ne sont qu'un : le nychthémère est une période unique,
destinée comme unité à mesurer le temps.
Parménide conçoit dans le ciel des "couronnes" alternées de
feu et de nuit, et affirme ce qui était latent dans les notions
antérieures d'unité, de périodicité, de cycles et de cercles, et qui
les synthétise : la sphéricité de l'Univers. Il reconnaît l'identité
de "l'étoile du soir" et de "l'étoile du matin" et décrit la Lune,
avec ses phases, comme un luminaire nocturne, se mouvant
autour de la Terre, brillant d'une lumière "venue d'ailleurs" et
tournant toujours sa face vers les rayons du Soleil.
Empédocle emploie pour désigner le Cosmos la fameuse
formule du "Sphairos arrondi heureux dans sa solitude circulaire"
et, sur seize de ses Fragments présentant un intérêt astronomique,
sept contiennent le mot kuklos ou un dérivé. Il enseigne les
orbites circulaires de la Lune et du Soleil, la lumière "étrangère"
de la Lune, et que la Terre produit la Nuit en s'interposant devant
les rayons solaires : la cause des éclipses semble donc reconnue.
Anaxagore enfin enseigne de même le mouvement circulaire
des corps célestes, que le Soleil donne à la Lune sa lumière, et il
fournit l'explication des éclipses.
Ainsi d'Anaximandre à Anaxagore, soit d'environ 540 à
environ 440, s'écoule un siècle où se constitue et s'affirme la
représentation sphérique du Cosmos, caractéristique majeure de
l'astronomie grecque, quoique bien entendu cela ne signifie pas
que tous les penseurs l'acceptent déjà. Or, de ce siècle Clisthène
occupe à peu près le milieu.

D. La question du plan de l'écliptique

La poursuite des recherches sur le calendrier dans le cadre


de l'astronomie sphérique conduit à des problèmes géométriques
non triviaux.
Les mathématiques dans la cité grecque au Ve siècle 13

Vers 430, deux astronomes, Méton et Euctémon, effectuent


des observations astronomiques à Athènes, dans les Cyclades, en
Macédoine, et en Thrace. Ils observent le solstice d'été de l'année
432 à une date correspondant au 27 juin, soit avec une erreur de
seulement un jour et demi, car il eut lieu le 28. Cette observation
parut cependant suffisamment précise à Hipparque, trois siècles
plus tard, pour qu'il l'utilisât pour fixer la durée de l'année (soit
365 + 1/4
Méton" : période
- 1/300 de jour).
19 ansElle
égale
futàaussi
235 àmois
la base
lunaires
du "cycle
(dontde7
intercalaires) soit 110 de 29 jours et 125 de 30 jours, totalisant
6940 jours, ce qui donne une année de 365 + 5/19 de jour.
L'année est alors trop longue de trente minutes et le mois lunaire
moyen de moins de deux minutes, ce qui est une très bonne
approximation. Euctémon donna aussi la longueur des saisons
astronomiques, soit à partir du solstice d'été : 90, 90, 92 et 93
jours (les valeurs modernes sont : 92, 89, 90, 94), ce qui
implique, outre la détermination des solstices, celle des
équinoxes.
L'ensemble de ces résultats n'aurait pu être obtenu sans la
mise en œuvre de certains concepts, à savoir celui de sphère
céleste, dans une certaine mesure celui de sphère terrestre, enfin,
celui d'un plan, dit "de l'éclip tique", ou zodiacal, dans lequel
s'effectue le mouvement apparent annuel du Soleil et qui est
incliné sur le plan de l'équateur. Or, ce modèle astronomique
dans lequel on travaillera désormais semble bien avoir été mis en
place par Œnopide de Chio, un contemporain d'Anaxagore. Il
s'agit d'un astronome également géomètre qui introduisit l'idée
de l'inclinaison de l'écliptique et qui travaillait sur les mêmes
problèmes que Méton, puisqu'il proposa lui aussi une évaluation
de la "Grande Année" (un cycle de 59 ans avec 730 mois lunaires
de 29 jours et demi et 1 mois exceptionnel de 22 jours, ce qui
donne une année de 365 et 22/59 de jour). La question se trouve
donc posée depuis Œnopide d'évaluer l'inclinaison de l'écliptique
sur l'équateur, c'est-à-dire la longueur de l'arc de méridien entre
chaque tropique et l'équateur, qui est, comme on sait, de 23°27'.
L'idée simple qui se présente est de considérer un arc
comme une fraction, ou "partie" de la circonférence du cercle, et
la méthode conduisant à diviser cette circonférence en parties
égales consiste à inscrire dans le cercle un polygone régulier
ayant autant de côtés qu'on veut obtenir de parties, ces côtés
découpant alors sur la circonférence des arcs égaux. Proclus
14 Maurice CAVEING

rappelle que l'approximation traditionnelle pour la distance d'un


tropique à l'équateur était d'un quinzième de cercle (24°). Pour
découper un tel arc, il faut inscrire dans le cercle un polygone
régulier à quinze côtés, ou pentadécagone, ce qui pose des
problèmes géométriques complexes. Précisons que la division du
cercle en 360 parties égales ou degrés est beaucoup plus tardive,
puisque Eudoxe contemporain d'Aristote ne l'utilise pas encore.
Elle sera appelée par l'utilisation d'un zodiaque de 12 signes
égaux obtenu par dichotomie des arcs découpés par l'hexagone
inscrit. La différence des deux graduations, en 12 et en 15, donne
1/60 de cercle, arc qui par dichotomie donne 1/120. Il faut alors
diviser ce dernier arc en trois parties égales pour obtenir 1/360,
c'est-à-dire le degré : c'est là le fameux problème de la trisection
d'un angle, fort ardu puisqu'il n'est pas soluble par la règle et le
compas. Ainsi les questions astronomiques nous ont conduit au
cœur de la géométrie de l'époque, laquelle doit être pensée de
façon d'autant plus rigoureuse que la précision des observations a
des limites.

Π. Retour aux mathématiques

II est donc dans la logique des choses que le même


Œnopide se soit, en tant que géomètre, intéressé à l'angle. C'est
la prise en considération de l'angle formé par deux rayons d'un
cercle, ou "angle au centre", qui permet de passer de la notion
d'arc à celle d'angle et de leur associer la même mesure. Cette
notion est spécifiquement grecque. Les civilisations qui se sont
développées antérieurement en Egypte ou en Mésopotomie,
l'ignorent.
"pente" ou un
Leurs
"fruit"
calculateurs
en mesurant
savent
avec seulement
des unités évaluer
de longueur
une
l'écart que fait une oblique pour une certaine hauteur. Les Grecs
ont été les premiers à définir l'angle comme un objet géométrique
fondamental, et de façon tout-à-fait générale comme l'inclinaison
de deux lignes (ou de deux surfaces), et à lui associer une mesure
comme à une grandeur, en tant que partie d'un cercle. Un tel
angle n'est autre que celui que font deux rayons visuels, quand
on observe successivement deux étoiles dans le cadre de
l'astronomie sphérique et l'on peut penser que ce modèle est pour
quelque chose dans l'émergence de cette notion.
Or, si l'on en croit Proclus, Œnopide résolut deux
problèmes concernant l'angle : mener la perpendiculaire à une
Les mathématiques dans la cité grecque au Ve siècle 15

droite donnée par un point extérieur, c'est-à-dire construire un


angle droit — construire un angle égal à un angle donné en un
point donné d'une droite. Comme ces constructions sont
aisément réalisables avec une simple équerre et que l'on n'a pas
dû attendre l'époque d'Œnopide pour tracer des perpendiculaires,
il est vraisemblable que celui-ci les a effectuées à la règle et au
compas. Il instituait ainsi une maîtrise canonique de l'angle :
égalité de deux angles, fixation d'un étalon de mesure, l'angle
droit, deux choses qui faisaient entrer les angles rectilignes dans
la classe des grandeurs que l'on savait manipuler.
En gardant le milieu du Ve siècle comme point central de
référence, nous pouvons maintenant user de la méthode qui
consiste à le comparer avec ce qui avait précédé et avec ce qui le
suivit.

A. AvantŒnopide : la Géométrie des Ioniens

Proclus attribue aux Ioniens en la personne de Thaïes un


certain nombre d'énoncés de Géométrie, utilisant comme source
vraisemblablement Eudème de Rhodes, auteur d'une Histoire
entreprise à l'initiative du Lycée. Sont concernées les propriétés
suivantes :
- le diamètre partage le cercle en deux parties égales ;
- le triangle isocèle possède aussi ce que nous appelons un
axe de symétrie qui le partage en deux parties égales et les angles
à la base sont égaux ;
- deux droites qui se coupent font des angles opposés
égaux ;
- deux triangles sont égaux à certaines conditions
minimales d'égalité de certains de leurs éléments, par exemple un
côté et deux angles, pris dans chacun des deux triangles.
Cette façon de procéder, quoique les propriétés puissent
paraître simples et intuitives, est tout-à-fait remarquable. On
constatera en effet :
- qu'il est question principalement de droites, de cercles, et
d'angles, c'est-à-dire d'objets relativement abstraits, ceux-là
même qu'on retrouvera chez Œnopide dans un contexte
astronomique, Thaïes étant d'ailleurs lui-même donné comme
astronome ;
- que l'on cherche des relations de grandeur indépendantes
de toute mesure particulière, donc en toute généralité ; en fait des
16 Maurice CAVEING

relations d'égalité qui résultent de la configuration des objets


observés ; cette thématisation de l'égalité est significative ;
- enfin le triangle n'est pas une forme empruntée au monde
sensible : champs, édifices d'habitation, récipients, meubles,
carrelages ; ou bien c'est un aspect d'un édifice très spécial : les
Pyramides d'Egypte, ou bien c'est la figure au nombre de côtés
minimal en laquelle on peut décomposer toute autre figure
(triangulation) c'est-à-dire une forme abstraite.
Si l'on considère les diverses sortes de graphisme à cette
époque : celui des arts décoratifs (vases à motifs "géométriques",
par exemple), celui de la cartographie, dont les Milésiens
paraissent les initiateurs (Anaximandre, Hécatée), celui des
croquis cotés qui apparaissent dans les textes mésopotamiens ou
égyptiens et devaient aussi servir aux architectes, on doit penser
que
"figure"
la Géométrie
: schéma, ionienne
différentes'invente
de tous en
ceux-là
inventant
et promise
la notion
à une
de
belle destinée mathématique.
A vrai dire, la figure, comme objet graphique, n'est que la
visualisation d'un objet abstrait bien identifié par sa morphologie
et pourvu d'un nom technique spécialement créé, comme
"trigone", "tétragone", "cercle", etc., rarement métaphorique.
Ainsi conçue, elle est un lieu où s'observent certaines relations
spécifiques entre ses parties constitutives, sans qu'il soit besoin
de leur associer des mesures numériques particulières comme
dans les croquis cotés. Quand un dessin représente une certaine
configuration de lignes diverses chargée de visualiser, par
exemple, des données astronomiques, il porte le nom de
diagramma. Le "diagramma" peut résulter de la combinaison de
plusieurs schêmata, et même de certaines lignes auxiliaires : par
exemple un hexagone inscrit dans un cercle dont un diamètre est
tracé. La connaissance des propriétés caractéristiques des
éléments des schêmata permet de résoudre des problèmes
visualisés dans les diagrammata. Ainsi l'observation des astres se
prolonge-t-elle dans l'observation des figures, structures
générales qui apparaissent investies comme parties propres dans
des dessins représentatifs des configurations célestes. On saisit là
le
"contemplative"
premier stade d'un
pourmode
suivre
de connaissance,
le grec de plus
encore
près,intuitive,
que nousou
appellerons : théôria I.
Au lieu d'être simplement la fin ou l'occasion d'un calcul,
le schéma est interrogé en lui-même, invité à exhiber ce qui le
Les mathématiques dans la cité grecque au Ve siècle 17

caractérise et le différencie d'une autre espèce de figure : il


devient en soi un objet d'étude, et le tracé graphique ne représente
plus rien que lui-même : un carré représente le carré. Si les
Ioniens ont été considérés par les historiens du Lycée comme les
pères de la Géométrie, ce n'est pas seulement pour avoir formulé
tel ou tel énoncé, mais pour avoir inauguré le style géométrique,
la manière grecque de transformer la figuration en figure.

B. Après Œnopide : la situation vers 430

Le premier texte de géométrie qui nous soit parvenu nous a


été transmis par Simplicius, commentateur d'Aristote, citant
l'Histoire d'Eudème de Rhodes. Cet extrait assez étendu et
abondamment étudié par l'érudition a acquis la célébrité : il s'agit
de la quadrature de certaines lunules par Hippocrate de Chio.
L'entreprise est liée au problème de la mesure du cercle, qui nous
reporte à l'astronomie sphérique, et qu'Hippocrate espérait sans
doute résoudre indirectement. Ce géomètre appartient à la
tradition d'Œnopide et fleurit vers 430. Son texte nous permet
d'avoir directement une idée de l'état de la géométrie à cette
époque, tant en ce qui concerne le contenu que la forme.
Ce qui frappe c'est l'extension considérable des
connaissances depuis les Ioniens du Vie siècle. Le texte contient
un ensemble important de résultats de géométrie plane mobilisés
en vue de résoudre des questions non triviales. On pourrait les
ranger sous les rubriques suivantes : propriétés des triangles,
conditions d'équivalence en mesure des aires planes, quadrature
d'une figure rectiligne, propriétés des angles dans le cercle,
construction de certains polygones réguliers, proportions entre
grandeurs, construction de certains segments de droite
incommensurables avec un segment donné. L'ensemble
représente une quarantaine d'énoncés correspondants pris dans
les Eléments d'Euclide.
Au point de vue formel d'autre part, l'exposé est présenté
de façon déductive, prouvant logiquement les résultats à partir de
lemmes posés au départ. Comme Proclus par ailleurs nous
apprend qu'Hippocrate écrivit des Eléments, les premiers à voir
le jour, et qu'il excellait à réduire un raisonnement à un autre, on
a tout lieu de penser que, sous réserve du choix des énoncés
liminaires qui est toujours délicat, les géomètres à cette époque
18 Maurice CAVEING

usaient normalement de la forme démonstrative sous laquelle


nous connaissons la géométrie grecque.
Il est tout-à-fait impossible que ce corpus de connaissances
ait été constitué en une génération, dans le temps séparant
Œnopide d'Hippocrate, et il est peu vraisemblable aussi que les
règles du raisonnement soient sorties tout armées de la tête d'un
seul géomètre comme Athéna de celle de Zeus. Dans ce cas
encore, il faut placer ces développements entre 530 et 430,
période à l'intérieur de laquelle se situe Clisthène.

C. La Géométrie dans la première moitié du Ve siècle.

Connaissant ce qui a précédé et ce qui a suivi, on peut


maintenant lever le doute méthodique qu'il fallait appliquer à
l'école de Pythagore en raison des légendes accumulées
ultérieurement, et faire le compte des résultats que l'on peut lui
attribuer sans invraisemblance étant donné le niveau atteint après
elle.
Vers 529, Pythagore quitte Samos, vers 450 les
Pythagoriciens sont bannis de Crotone. Dans cette période sont
acquis des résultats importants qu'on peut reconnaître sinon au
mâitre, du moins aux géomètres de l'Ecole. C'est d'abord la
valeur de la somme des angles du triangle, égale à deux droits,
proposition qui introduit l'importante notion de l'additivité des
angles comme grandeurs mesurables. A elle se rattache
directement la conception du "pavage du plan" : seules trois
figures régulières peuvent servir à paver le plan autour d'un point
(soit quatre angles droits) : le triangle équilatéral (il en faut six),
l'hexagone régulier (il en faut trois), le carré (il en faut quatre).
Puis vient le théorème du triangle rectangle, dit "théorème de
Pythagore", qui s'accompagne d'une série de résultats sur
l'équivalence des aires rectilignes, servant à une méthode de
transformation des figures appelée "application des aires". Puis,
en relation notamment avec la division du cercle, vient l'étude des
polygones réguliers, leur contruction et leur inscription dans un
cercle donné, celle notamment, particulièrement délicate, du
pentagone, qui rendra possible celle du pentadécagone
mentionnée plus haut. Enfin les Pythagoriciens tenteront
vraisemblablement la construction de certains polyèdres réguliers
en agençant leurs faces qui sont des polygones réguliers pour
former des angles solides : ils formeront ainsi le cube ou
Les mathématiques dans la cité grecque au Ve siècle 19

hexaèdre, la pyramide à base triangulaire ou tétraède régulier,


enfin le dodécaèdre formé de pentagones. Il y a là un ensemble
dont la cohérence est apparente.
Mais dans la même période il y a un second fait à
considérer : c'est la mise en place de la démonstration dont
l'usage régulier est constaté chez Hippocrate. Si le théorème de
Pythagore est désigné comme théorème, c'est qu'il est établi dans
le cas général, par une méthode encore sans doute imparfaite,
mais en tout cas indépendante des cas d'espèce. Il est probable
que les premières connaissances des Ioniens n'étaient que des
commentaires oraux des figures, peut-être résumés sous forme de
sentences à mémoriser. Mais Hippocrate procède par hypothèses
et déductions : si j'admets, ou fais, telle chose, que s'ensuit-il ?
En outre il ne se demande pas, par exemple, combien mesure le
cercle, par rapport au diamètre, mais s'il est possible de le
mesurer, serait-ce indirectement. Il y a là un tout autre point de
vue : à la "preuve" numérique des calculateurs montrant que la
solution d'un problème est "juste", à l'intuition fragile des figures
analysée ci-dessus, succède la justification du bien-fondé d'une
assertion par un logos, un raisonnement qui doit être exempt de
contradiction. La preuve logique doit permettre à l'esprit de
contempler la vérité au-delà des imperfections de la figuration,
dans sa liaison nécessaire avec les hypothèses admises. Un palier
est franchi dans la connaissance, qui demeure cependant
contemplative, mais dans un nouveau sens. C'est ce que nous
appellerons le stade de la théôria IL

III. La double originalité de la science grecque et la


structure politique de la Cité.

Au terme d'une investigation rendue indirecte par les


difficultés de la documentation, nous venons d'aboutir à un
tableau de l'état de la Géométrie grecque dans la première moitié
du Ve siècle, c'est-à-dire dans la période qui suivit les réformes
de Clisthène. Par rapport aux savoirs non-grecs, cette période est
celle d'une double rupture qui marquera l'originalité radicale de al
science grecque. D'une part apparaît l'astronomie sphérique,
partie intégrante des sciences mathématiques, qui institue un
modèle explicatif des données d'observation et motive une
géométrie des figures, objets d'une étude d'abord intuitive ou
théôria I. Mais la connaissance vraie du Cosmos manifeste une
20 Maurice CAVEING

exigence que ne peuvent satisfaire les procédés applicables aux


choses terrestres. Une seconde rupture s'annonce avec
l'introduction, au-delà de l'intuition, de la démonstration
mathématique, comme opération du logos, ou théôria II. De
calculatoire en Orient, la géométrie est devenue théorique en
Grèce. On pourrait ajouter que, de même, la Musique pure, qui
peut être d'ailleurs la "musique des sphères", motive, pour la
définition de ses intervalles, une Arithmétique théorique, au-delà
des calculs vulgaires.
Or, la question qui nous était posée revient à se demander si
ces deux ruptures ont quelque rapport avec la structure politique
de la Cité. Comme il s'agit de processus intellectuels qui
s'accomplissent sur la durée d'un siècle au moins et qui n'ont pas
de localisation dans une ville particulière, il est difficile de
prendre en considération isolément la réforme démocratique de
Clisthène dans une ville qui n'est pas encore le foyer intellectuel
de la Grèce. Il faut plutôt la prendre comme un moment dans un
processus historique plus ample. Celui-ci, c'est le développement
et l'élargissement de Yisonomia, l'égalité entre tous ceux qui
participent à l'exercice du pouvoir. Le terme est encore, au temps
de Clisthène, générique en quelque sorte et s'applique aux formes
de pouvoir politique dont le principe est l'opposé de la tyrannie.
Il est donc employé dans le cas des oligarchies, mais la
démocratie, dont le nom apparaîtra bientôt, est un degré capital
dans l'affirmation de Yisonomia, qui est alors l'égale participation
de tous à la vie publique. La rotation au pouvoir des prytanes des
dix tribus athéniennes au cours de l'année évoque le cercle
originaire de la polis au centre duquel, comme l'a montré J.P.
Vernant, était censée être déposée la puissance publique. Pour
répondre à notre question sur le rôle qu'a pu jouer sur le plan
intellectuel le modèle politique de Yisonomia, reprenons sous cet
angle l'analyse des deux ruptures.

A. L'isonomia et la sphère étoilée

Nous avons vu que l'observation assidue du ciel révèle la


périodicité de certains événements qui appelle l'idée de cycle :
phases de la Lune, retour des saisons, levers et couchers
hiéliaques des étoiles. Mais ces faits peuvent évoquer tout au plus
l'idée de cercle. D'autre part le phénomène des éclipses et celui
des occultations d'étoiles peuvent laisser penser que certains
Les mathématiques dans la cité grecque au Ve siècle 21

corps célestes passent devant d'autres, encore que d'autres


explications des éclipses aient pu être proposées, semble-t-il. Le
fait capital, c'est que les configurations stellaires sont invariantes
dans le temps en dépit de leur mouvement régulier d'Est en Ouest
chaque nuit : les distances mutuelles et les positions respectives
des étoiles ne changent jamais. Cela ne pourrait avoir lieu, si
leurs distances à l'observateur variaient de façon inégale.
L'invariance des apparences stellaires, le fait que chaque étoile
soit aplanètès, entraîne qu'elle est toujours à même distance de
l'œil. Dès lors l'hypothèse la plus simple pour rendre compte de
la fixité des étoiles, c'est de les supposer fixées sur une sphère,
c'est-à-dire de supposer qu'elles sont toutes et toujours à la même
distance de l'observateur. La sphère est la figure parfaite de
l'égalité, qui est, en tout sens, celle de ses rayons. De plus la
sphère coïncide avec elle-même par rotation : le Ciel est donc à la
fois un et immuable, et en mouvement circulaire éternel. En outre
ce modèle rend compte de la stabilité du centre, où se trouve la
Terre : le centre ne peut subir en effet aucune action
dissymétrique en provenance d'une région de l'Univers ; ou il
n'en subit aucune, ou elles sont toutes égales selon toutes les
directions ; dans les deux hypothèses il demeure en équilibre.
Mais la sphère est aussi une figure de Yisonomia, qui est l'égale
participation de tous les citoyens à la puissance publique centrale.
Cosmos naturel et cosmos politique ont ainsi la même structure,
comme l'a montré J.P. Vernant. La représentation du Ciel comme
sphère étoilée s'accorde ainsi avec l'univers intellectuel de la Cité,
et l'on peut penser que, dans d'autres civilisations, la conception
hiérarchisée et unidimensionnelle du pouvoir n'a pu suggérer une
structure sphérique du Ciel, dont on constate l'absence.
L'exception grecque ne serait donc pas sans rapport avec
l'avènement de Yisonomia dans la Cité, car si l'égalité est la
caractéristique de la Cité idéale, il est plein de sens que le
Cosmos, qui est d'essence divine, y soit semblable.

B. Visonomia et la démonstration mathématique

La démonstration est faite pour convaincre d'une vérité qui


n'est pas évidente de soi, qui est éloignée des évidences, mais
leur est rattachée logiquement. C'est un discours qui doit faire
face à des objections possibles, les prévoir et y répondre
d'avance. Elle implique donc un contexte dans lequel l'inventeur
22 Maurice CAVEING

d'une idée, l'auteur d'une thèse est tenu de la justifier et ne peut


l'imposer.
Être tenu de la justifier, c'est supposer des voies conduisant
au vrai qui soient communes à tous les hommes, en quoi ils sont
égaux de nature. Ne pouvoir l'imposer, cela signifie qu'il n'y a
pas d'autorité, fût-elle intellectuelle, de type tyrannique, que la
parole est libre, la critique agissante, que l'égalité des esprits est
reconnue politiquement. Démontrer consiste alors à partir de
prémisses reconnues et à rester cohérent dans la progression vers
la vérité.
C'est bien ainsi que fonctionne en principe la Cité. Par la
publicité des lois, Solon déjà avait assuré le libre accès à
l'information. La critique des idées d'autrui est bien attestée chez
les penseurs présocratiques. Elle accompagne la recherche de la
meilleure explication du monde, pour laquelle les esprits sont en
compétition ouverte et aiguisent leurs arguments. Cette même
démarche : le choix du meilleur, inspire les discussions sur les
constitutions des cités. La cité elle-même, par son existence, rend
possible le débat sur la meilleure forme qu'elle doit prendre. Nul
modèle imposé par la tradition ou une force quelconque, nul
appel au surnaturel, ne peuvent se substituer à la procédure du
libre examen. Les thèses sont en compétition et il faut
argumenter.
Le statut politique des citoyens sous le régime de
Yisonomia rend compte par conséquent des formes de l'échange
entre eux des idées politiques, et ces formes se transfèrent aux
autres secteurs de la vie sociale — débats contradictoires devant
les tribunaux par exemple — ou de la vie intellectuelle. Le libre
examen qui préside au choix politique s'étend à l'explication du
monde et à toute forme de savoir. Celui-ci ne peut plus
s'imposer, il se démontre.
La mathématique grecque, qui a apporté à la science
universelle les méthodes démonstratives, est ainsi fille de la Cité.
La corrélation est ici étroite et directe, entre la polis et le logos,
ces deux formes incontestables de l'originalité grecque.

Maurice CAVEING
Olivier PICARD
Professeur à l'Université Paris IV

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