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Sociologie de L'art Contemporain Questions de Méthode Nathalie Heinich
Sociologie de L'art Contemporain Questions de Méthode Nathalie Heinich
Heinich Nathalie. Sociologie de l'art contemporain : questions de méthode. In: Espaces Temps, 78-79, 2002. A quoi œuvre l'art
? Esthétique et espace public. pp. 133-141;
doi : https://doi.org/10.3406/espat.2002.4189
https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_2002_num_78_1_4189
Abstract
This article explains how we can think about a sociological approach of art, without including other
disciplines such as arts history, aesthetic and a critical aspect. The sociological position and his
analyse doesn't include the appreciation and the interpretation of books. As a consequence, it opens to
a pragmatical and a sociological reflexion which procedes with specific uses. It analyses plurality of
aprroaches in art : profanes, scientifics and artists, and sociologues. This text is all about the artists
freedom. We all know that this question is differently interpreta- ted considering different categories of
reflexion : individual or plural, inside or outside, possibility or performance. This is how we can melt
both sociology and contemporary art.
Nathalie Heinich
Cet article tente de spécifier ce que peut être une approche strictement sociologique
de l'art, qui n'empiète pas sur les autres disciplines - histoire de l'art, esthétique,
critique. La position analytico-descriptive, excluant tant l'évaluation que
l'interprétation des œuvres, ouvre la voie à une sociologie pragmatique qui, elle,
propose une approche spécifique par rapport à d'autres tendances de la sociologie. La
pluralité des approches de l'art- celles des profanes et des savants, des artistes et
des sociologues- est illustrée par la question de la liberté de l'artiste, qui reçoit des
interprétations différentes selon qu'on privilégie l'individuel ou le collectif,
l'intériorité ou l'extériorité, la compétence ou la performance. Par-delà toute tentation
hégémoniste, le constat peut cependant être accompli qu'il existe une affinité de
fait entre l'art contemporain et la sociologie.
This article explains how we can think about a sociological approach of art,
without including other disciplines such as arts history, aesthetic and a critical
aspect. The sociological position and his analyse doesn't include the appreciation
and the interpretation of books. As a consequence, it opens to a pragmatical and
a sociological reflexion which procèdes with specific uses. It analyses plurality of
aprroaches in art: profanes, scientifics and artists, and sociologues. This text is all
about the artists freedom. We all know that this question is differently interpreta-
ted considering different categories of reflexion: individual or plural, inside or
outside, possibility or performance. This is how we can melt both sociology and
contemporary art.
Nathalie Heinich est sociologue, Cral, (CNRS).
EspacesTemps 78-79/2002, p. 133-141.
Loin d'être secondaires ou purement techniques, les questions
de méthode sont la principale voie d'accès à l'objet, dans le
processus de recherche comme dans sa restitution. Ce sont
d'elles que je voudrais traiter ici, en m'interrogeant sur la spécificité de
l'approche adoptée dans mon travail sur l'art contemporain, sur ses
ressources et sur ses limites.1 1 Cf. «Nathalie Heinich, Le Triple jeu
de l'art contemporain. Sociologie des
arts plastiques, Paris Minuit, 1998 ;
L'Art contemporain exposé aux rejets.
:
Par rapport aux autres disciplines. Étude de cas : Nîmes, «Jacqueline
Chambon, 1998, Pour en finir avec la
querelle de l'art contemporain, Paris
Si l'on met à part l'historiographie, qui s'attache à décrire les L'Échoppe, 2000.
:
œuvres et à établir la factualité des connaissances sur l'art
(attributions, dates, localisations,...), on peut considérer, schématiquement,
que les disciplines s'intéressant à l'art se partagent traditionnellement
en deux grands types de discours : évaluatif d'une part,
herméneutique ou interprétatif de l'autre. La critique d'art est particulièrement Les disciplines s'intéressant
chargée de produire une évaluation des œuvres - avec tous les à l'art se partagent en deux
problèmes d'objectivité du jugement y afférant, et que nous n'aborderons grands types de discours :
pas ici. L'esthétique, la philosophie et la psychologie de l'art se évaluatif d'une part,
réservent plutôt l'interprétation des significations ou intentions — quel que herméneutique ou
soit le "chiffre", le domaine de référence à partir duquel sont interprétatif de l'autre.
produites ces interprétations. L'histoire de l'art oscille, elle, entre
description plastique et catégorisation, évaluation et interprétation.
Mon point de vue est que la sociologie n'a pas à empiéter sur les
autres disciplines, en cherchant à faire mieux qu'elles : de cet
hégémonisme ne peuvent sortir, au mieux, que des déclarations
programmatiques, des évaluations critiques pauvrement équipées, ou encore
des interprétations qui tâchent, avec plus ou moins d'habileté, de
tracer des liens de cause à effet, rarement très convaincants, entre un
objet (l'œuvre d'art) et un collectif- la famille, la classe sociale ou "la
société" dans son ensemble, selon les cas.2 Mieux vaut appliquer le 2 Pour une présentation de ces
principe de spécificité, et s'attacher à produire autre chose que ce principales tendances, cf. «Nathalie Heinich,
La Sociologie de l'art, Paris La
qu'offrent les autres disciplines.3 En l'occurrence, j'ai essayé de m'en Découverte, collection Repères, 2001.
tenir à une approche pragmatique, aux deux sens du terme : :
3 Sur ce principe de spécificité, cf.
pragmatique au sens épistémologique, puisqu'il s'agit d'analyser les •Tzvetan Todorov, Les Morales de
phénomènes artistiques en situation, dans leur contexte, et non pas de l'histoire, Paris Grasset, 1991.
:
(elles émeuvent). Elles font agir : on les encadre, on les transporte, on renvoie pas ici à la tradition
philosophique et son souci normatif est
les assure, on les restaure, on les accroche. Et puis, elles font parler, étranger au pragmatisme sociologique.
elles font écrire, elles font discourir. Elles déplacent les gens, elles
déplacent les foules, elles déplacent les regards. Mais aussi, elles
déplacent ces objets moins palpables que sont les catégories
mentales, les cadres de perception, les critères d'évaluation : c'est, en
particulier, le propre de l'art moderne et, surtout, contemporain, qui ne
cesse de déplacer les frontières entre art et non-art, en les faisant
reculer toujours plus loin, ouvrant toujours plus largement l'espace
imparti à l'art.
Il n'est pas étonnant que les outils dont dispose le sociologue soient
beaucoup plus développés du côté de ce qui constitue
traditionnellement le point fort - sinon la raison d'être - de l'approche sociologique,
c'est-à-dire la mise en évidence des conditions de circulation d'un objet,
des effets contextuels, des médiations, voire des rapports de pouvoir
qui conditionnent sa situation dans le monde. C'est ainsi que le marché,
les institutions, la configuration des publics, le statut professionnel des
intermédiaires, bénéficient à ce jour de travaux assez développés.
Or cette focalisation sur ce qui est extérieur à l'œuvre d'art va à l'en-
contre des valeurs esthétiques, lesquelles sont spontanément
considérées comme intrinsèques à l'objet créé. Ce qui fait la valeur d'une
œuvre, pour un esthète, ce sont ses caractéristiques intrinsèques,
qu'elles soient matérielles ou spirituelles, purement formelles ou
exprimant des significations plus générale ; ce qui fait sa valeur, pour un
sociologue, c'est la valorisation qui lui est accordée par les acteurs,
produite par l'ensemble des opérations d'accréditation esthétique. On Le projet sociologique, même
comprend dans ces conditions que le projet sociologique, même s'il se s'il se veut purement
veut purement descriptif, produit forcément des effets critiques : il aura descriptif, produit forcément
toutes chances d'être interprété comme une mise en cause de l'au- des effets critiques.
INDIVIDUEL
COMPETENCE PERFORMANCE
PUISSANCE ACTE
INCONSCIENT CONSCIENT
(implicite) (explicite ou dissimulé)
INTERIORITE
nécessité liberté
contrainte individuelle jeu
EXTERIORITE sociokm.ii;
régler n'importe quoi
contrainte collective jeu cynique
COLLECTIF