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de Krishnamurti
Les mystères de la transmission
Couverture et mise en page : Yannick Baca
© Copyright Arkanorum 2013
Editions Charles Antoni / L'Originel
25 rue Saulnier - 75009 Paris
Tél. & Fax. : +33 (0)1 42 46 75 78
http://www.loriginel.com
editions@loriginel.com
Tous droits de reproduction réservés pour tous pays
Dépôt légal : 2éme trimestre 2013
ISBN : 979-10-91413-46-6
Henry Damay
L'empreinte
de Krishnamurti
Les mystères de la transmission
Collection Non-Dualité
Sommaire
Avant-propos
1 - Krishnamurti et la voie directe, les mots peuvent-ils déchirer le voile ?
2 - L'hypnose collective, y a-t-il quelqu'un dans la personne ?
3 - Enseignements spiritualistes et vie réelle, La Grande fracture
4 - Monde objectif et identité fictive ; s'installer dans la conscience ne
demande pas d'effort, nous y sommes déjà... !
5 - La compréhension interceptée, piège millénaire imparable
6 - La sensation d'existence, une illustre inconnue ?
7 - Le non savoir, ultime recours vers le grand mystère
8 - Peut-on faire progresser un égo qui n'existe pas ?
9 - Les arcanes secrètes de la pensée
10 - L'unicité de toutes choses, concept ou réalité ?
11 - Krishnamurti et ses auditeurs, une seule énergie qui joue tous les rôles à
la fois...
12 - L'Être humain, machine à turpitudes, vu par Krishnamurti
13 - Qui suis-je vraiment ? L'inconcevable réalité... ! Le commencement de la
fin... !
14 - Qui peut se « Libérer du connu » si celui qui veut se libérer n'a pas
d'existence propre... ?
15 - Condamnation à vivre égal manque à être ; insatisfaction endémique
masquée par de belles histoires !
16 - Connaître Dieu, c'est ne plus vouloir le connaître
17 - La dynamique du vide, prochaine étape de l'espèce. Le grand coup de
balai...
18 - Le mot n'est pas la chose, disait Krishnamurti. Mais où donc se cache la
chose... ?
19 - Absolu intemporel et conscience manifestée. Un jeu de l'unicité avec
elle-même ?
20 - Le déguisement du créateur en créatures, grande farce cosmique...
21 - Les paradoxes de l'intelligence, aphorismes et phrases clefs, à ne pas
prendre au sérieux...
22 - Divine amoralité... Chaque société dispose d'un arsenal préfabriqué de
moralités, LA VIE N'EN A AUCUNE ? Personne n'y peut rien, le non savoir
est la seule réponse. Il faut faire avec, seul subsiste CE QUI EST... !
Avant-propos
Le présent ouvrage n'a pas pour but une quelconque remise en question
de l'enseignement de Krishnamurti, mais tente de jeter un regard sur les
répercussions, dans le temps et l'espace, qui ont pu se produire chez un
fervent admirateur inconditionnel, en son temps, de cette nouvelle et
puissante forme de pensée, émanant du personnage.
C'est un saut dans l'inconnu où l'on arrive chez soi, avec la reconnaissance
que nous y avons toujours été...
1 - Krishnamurti et la voie
directe, les mots peuvent-ils
déchirer le voile ?
Si Krishnamurti a été une étape marquante dans l'univers de
l'exploration de l'humain, d'autres enseignements non-dualistes braquent la
projection sur le fait que la personnalité autonome, disposant d'un libre
arbitre présumé, n'est qu'une croyance illusoire, qu'il est très possible de
vérifier directement et sans intermédiaire.
Les noms donnés à cette intuition varient en fonction des pays et des
races ; des groupes d'humains, subjugués par des précurseurs qui mettaient en
forme cette intuition, ont créé des organisations appelées religions.
Force nous est de constater que ces entreprises n'ont changé en rien l'état
précaire et malheureux de la majorité des habitants de la Terre.
Si nous ne les saisissons pas, nous constatons que les pensées viennent
d'une vacuité pour y retourner comme elles sont venues ; c'est ce genre de
constat qui commence à nous rendre dubitatif sur le fait qu'il se pourrait que
notre identification à la pensée ne soit qu'une croyance qui ne correspond pas
à une réalité, jusqu'alors totalement occultée.
« Cette force de vie n'est pas autre chose que notre véritable nature ».
Si le rien que nous sommes n'est pas reconnu nous partons avec la
croyance qu'il y a quelqu'un qui meurt.
D'une façon comme d'une autre, la manière dont nous allons quitter le
Monde n'est pas de notre fait et ne représente pas un but à atteindre, surtout
lorsque la présomption d'être quelqu'un qui possède la vie est tombée.
Cela peut être très frustrant, mais le contraire peut se produire ; les
choses sont ce qu'elles sont et il ne peut en être autrement ; tout se passe dans
le silence qui connaît tout ce qui arrive dans le théâtre des apparences.
Quels sont les signaux qui peuvent nous faire réaliser que nous sommes
prisonniers d'un déterminisme aussi radical ?
Qui suis-je alors ? Ces trois états permanents qui se succèdent tout au
long de la vie, ou l'énergie impersonnelle d'où surgissent ces trois états ?
L'aperçu le plus significatif qu'il nous est possible de vivre réside dans le
sommeil profond ; cette phase est comme une plongée dans sa propre
Source ; la pseudo personnalité disparaît. Nous la retrouvons à chaque réveil,
en quelque sorte, on pourrait dire : le Monde existe parce qu'il y a quelqu'un
pour le voir.
Les découvertes qui peuvent nous apporter une vision objective des trois
états, c'est que le déroulement dans le temps et l'espace obéit à une loi subtile,
très révolutionnaire pour le mental contemporain.
Un humain est appelé une « personne » et cela n'est pas anodin car si
l'on regarde en soi-même notre manière de fonctionner risque de nous
procurer quelques surprises.
Nous sommes bien placés pour cela, aux premières loges de l'étonnant
spectacle de ce va-et-vient de pensées ininterrompues qui imprègnent notre
quotidien, à notre insu et en toute inconscience.
Que devient alors le libre arbitre présumé et cette impression que nous
dirigeons bel et bien notre existence en faisant des choix à tout instant ?
Ces choix que nous prétendons détenir, sont-ils vraiment nos choix ou
ne font-ils que survenir ?
A l'origine, nous héritons des gènes des parents avec le plus d'un A.D.N.
Dont nous dépendons naturellement, fondation déjà inscrite de la maison Moi
je... Il y a ensuite une programmation familiale qui va régir tout un
conditionnement inconscient. La nation, l'éducation, la religion vont être
également enregistrées, créant les innombrables tendances qui forment le
pseudo ego.
Cela va se traduire par une entité qui répond aux provocations de la vie
avec les programmes absorbés de longue date, en croyant choisir alors que ce
sont des automatismes inconscients qui mènent la danse.
Ce n'était donc qu'un rôle dans le film de la vie.... et j'ai fait semblant d'y
croire !
S'il est vu que le moi se crée et se recrée à tout événement, c'est que le
sens du vide a été intégré, le regard porté sur la vie devient non mental avec
la vision que dans ce nouveau contexte les réponses aux provocations
viennent tout naturellement sans qu'il y ait personne pour s'en emparer.
Mais cette vision ébranle subtilement les certitudes acquises, dans les
zones de compréhension où la pensée n'a plus court, avec l'impression qu'il se
pourrait que toutes les idées reçues sur la spiritualité relèvent plus du
domaine de l'illusion, une forme de mensonge.
Quels que soient les états ou mon état qui traversent tous les êtres
sensibles, la conscience est toujours présente dans la vie comme dans la
mort ; en fait, elle joue avec elle-même faisant l'expérience de sa
manifestation à travers des milliards d'êtres sensibles. Mais le mental ne
pourra jamais comprendre ce qu'est la conscience car il ne peut
l'expérimenter ; ce n'est que lorsqu'il s'absente que la conscience est. Mais il
n'y a plus personne pour le constater, bien que les pensées puissent continuer
à se produire dans le silence.
Pour les esprits dits rationnels, toutes ces considérations peuvent être
ramenées à n'être que des élucubrations sans aucune réalité car elles ne
peuvent être soumises aux critères expérimentaux d'une démarche
scientifique traditionnelle.
3 - Enseignements spiritualistes
et vie réelle, La Grande fracture
A ce stade d'écriture de ce petit ouvrage, où nous sommes partis de
l'enseignement de Krishnamurti en élargissant le champ d'exploration à
d'autres enseignements d'avant et après Krishnamurti, la réflexion se précise
et se poursuit en tant que témoignage de quelqu'un ayant consacré 10 années
de sa vie à s'investir dans cet enseignement.
Tout ce long périple n'aurait donc servi à rien d'autre que de rajouter du
savoir à du savoir, aucun mystère transcendantal n'avait été dévoilé, quelque
chose d'essentiel n'avait pas été perçu, mais quoi ?
Cela s'effaçait aussi vite qu'avait été son apparition ; le système cognitif,
un instant silencieux, reprenait vite sa sarabande, avec comme objectif
d'analyser le phénomène et concocter la stratégie pour retrouver cet état,
voire le rendre permanent.
Pendant ces périodes, il n'est pas facile de réaliser qu'il ne s'agit que de
projections mentales mises en place et fortifiées par de nombreuses
expériences de conscience modifiée ainsi que par les visites, lectures, etc...,
collectées dans le marché de la spiritualité d'une riche moisson de concepts.
La plus haute utilité du mental réside dans son extinction, lorsqu'il n'est
plus là l'intellect joue ses films et jette l'éponge, s'abandonnant au non-savoir.
Notre vie quotidienne va osciller entre ces deux pôles, l'implication avec
le manifesté va être entrecoupée de flashs où une vacuité apparaît de
nouveau.
Le maléfice est déjoué lorsqu'il est vu qu'il n'y a rien d'autre à faire qu'à
laisser se dérouler ce qui se passe dans cette apparence que nous croyons être
nous-même, abandonnant toute lutte, et il ne reste que ce qui est.
5 - La compréhension
interceptée, piège millénaire
imparable
L'enseignement de Krishnamurti est en quelque sorte une gageure, il
parlait à partir de sa propre profondeur et était reçu dans la plupart des cas,
par des systèmes cognitifs de nature intellectuelle qui classaient sans tarder
aux archives cette manne céleste.
L'auteur est bien placé pour dire que ce genre de message va au-delà des
mots et de la pensée. Celui qui ne voit pas ne verra toujours pas le plan sous-
jacent de l'enseignement étant intercepté par la mémoire et le savoir.
Mais celui qui voit comprendra sans qu'il y ait besoin de chercher à
comprendre, ce qui n'a pas été le cas, à l'époque, de l'auteur de ces lignes.
C'est comme une mystérieuse alchimie secrète qui peut faire exploser les
contractures ou bien contribuer à fabriquer d'innombrables faux-semblants et
fictions sécurisantes.
Sans le savoir, ces instants magiques ne sont pas autre chose que soi-
même qui retrouve la sensation d'existence pure dans le moment présent.
Qui conscientise cet état pour affirmer ce stupéfiant constat : Je suis la
vie même, et cela est vecu comme un néant.
Toutes recherches de vérité prennent alors un autre sens, pourquoi
chercher ce que nous sommes déjà ?
C'est comme un secret très ordinaire, mais tellement simple qu'il n'est
généralement jamais percé à jour.
Une telle cécité psychique qui perdure depuis la nuit des temps,
provoque un questionnement dont la réponse pourrait peut-être permettre,
avec la pensée relative, de clarifier certaines projections mentales insolites.
L'homo sapiens sapiens, en tant que mammifère doué de la capacité de
penser, est-il vraiment l'échelon ultime du développement des espèces ?
Ne serait-il pas comme ses prédécesseurs qui ont jalonné le passé, qu'un
être inachevé, en transition vers un nouveau statut et connaissant les phases
d'une gestation laborieuse ?
Ceci est une question sans réponse mais peut-être que la solution de
l'énigme repose au fond de soi-même ?
Ce que je suis est le néant dans lequel les choses arrivent, tout simplement,
toute signification mentale devient caduque.
Dans ces cas, le renoncement à l'intellect est la voie royale, nul besoin
de l'observer, il suffit de ne pas le saisir.
Il continue à jouer son rôle, mais cela n'est plus notre affaire.
Tout ce qui agite les personnalités fictives pour se libérer du connu
représente une décantation nécessaire, sinon indispensable, cela peut être
aussi vu comme le néant qui joue lui-même à travers les humains.
Investiguer les sujets dont il est question dans ces pages s'avèrent
presque être une exploration impossible, les mots n'étant que limités pour
définir ce qui est-au delà de toutes limites.
C'est un peu décrire la vie en connaissant qu'il n'y a personne qui la vie
et que, entre celui qui écrit et celui qui lit, il n'y a aucune séparation.
Le film de notre vie passée nous apparaît alors comme une histoire où
les évènements se sont produits sans que nous n'ayons jamais décidé quoi que
ce soit, comme si tout était déjà joué.
C'est le moteur basique qui agite les humains dans le grand théâtre de la
vie, avec comme inconvénient majeur que le simple fait d'exister les place en
situation d'entrer automatiquement en conflit avec ses semblables.
Beau, laid, positif, négatif, bien, mal, heureux, malheureux, sujet, objet,
attraction, répulsion, plaisant, déplaisant, moi et l'autre, etc, etc... représentent
les facteurs qui donnent l'impression d'un agir personnel où chacun détient la
vérité.
Par contre, la dualité peut devenir la voie royale qui est tant cherchée à
l'extérieur.
Laisser la vie être sera la réponse, une action se fera ou ne se fera pas,
mais cela jaillira d'une tranquillité impersonnelle en phase avec la situation ;
il n'y a donc rien à gérer ni personne pour le faire.
Il ne faudrait pas croire qu'un être ayant reconnu l'état naturel soit
épargné par la survenue de ses programmes dualistes ingérés depuis
l'enfance ; ceux-ci surgissent sans demander la permission, très incrustés dans
le psychisme.
Pour certains, c'est un grand rire de soulagement, pour d'autres cela peut
être mal vécu, la peur jouant son rôle habituel.
Ce qui lance un humain dans une recherche du sens de la vie paraît être,
en premier examen, un acte de la volonté, mais là encore l'exploration
approfondie réduit à zéro cette thèse ; cela est déjà en germe à la naissance et
ne fait qu'apparaître au moment où cela doit se produire.
Il est vu alors qu'il s'est engagé dans une démarche sans issue, le mental
questionneur ne pouvant devenir l'énergie qui l'anime déjà, et ne peut que se
fondre en elle.
Le « Qui suis-je » devient alors une base pour vivre un état différent,
quelques secondes pour commencer, cette non-réponse prenant de plus en
plus de force, quand la multitude des options émanant de la mémoire sont
vues comme factices et irréelles.
Suis-je ce mental intermittent et périssable ?
Tout cela est le spectacle qui se déroule dans le vide que je suis.
Dans un cas comme dans l'autre, cela n'a aucune importance, ce ne sont
que des histoires qui amènent, si cela doit se produire, la fin du film
individuel, ce qui peut permettre radicalement de ne plus se faire aucun souci
quant aux péripéties des scénarios passés et futurs, lorsqu'il est vu que tout se
joue dans la sensation d'existence de l'instant présent.
L'auteur se trouve désimpliqué du fait qu'il sait qu'il ne joue qu'un rôle
dans le film de la vie.
Plus le Moi Je est combattu plus cela lui donne de force ; nous
pratiquons une forme de judo avec les caractéristiques qui le constituent,
utilisant leurs énergies comme outil de décantation, cela n'empêche pas de les
aimer telles qu'elles sont... en tant que partenaires privilégiées dans le jeu du
grand théâtre planétaire - où rien n'est séparé du rien.
Une fois ces instants reconnus, l'existence habituelle devient très
intéressante, les évènements, qu'ils soient insignifiants ou percutants, font
lever en nous les réflexes conditionnés habituels, nous nous sommes mis au
balcon et pouvons assister au magnifique spectacle des aspects les plus
cachés de notre programmation.
Dans le premier cas, nous prenons tout à notre compte, dans le deuxième
il y a joie d'une écoute sans but.
Dans cette simplicité de l'état naturel, nous sommes loin des définitions
où la libération, l'éveil sont souvent décrits en des termes relevant d'un état
extraordinaire, alors qu'en réalité il n'est personne pour recevoir
l'illumination. « Quand l'unité se vit en soi-même, ce n'est rien de spécial ».
Si l'on regarde les milliers de chercheurs qui s'agitent en tous sens pour
acquérir ce dont parle Krishnamurti, ainsi que d'innombrables autres
enseignants, à toutes les époques, dans toutes les parties de la planète, cela
amène à se demander quelles peuvent être les motivations d'une telle
démarche.
Face à ces constats, les plus déterminés se disent qu'il doit exister une
autre façon de vivre, ils se tournent alors vers l'alternative ultime,
entreprendre une recherche du sens de la vie.
Cela peut se traduire par adopter et créditer une religion, une secte, de
faire des retraites de trois ans, de courir le monde à la recherche d'éveillés
qualifiés qui pourraient être une aide pour atteindre cet objectif.
Pour résumer, si l'homme recherche le divin, c'est qu'il n'est pas très
content de ce qu'il est, il y a certainement mieux que de subir une existence
dont l'intérêt devient de moins en moins évident lorsque s'épuise le cortège
des illusions salvatrices.
Il se peut aussi que beaucoup se sentent mal dans leur peau, dépressifs,
anxieux, suicidaires, les drogues, l'alcool, le sexe sont des recours pour ne
plus ressentir ce mal-être ; pour d'autres, l'appel à une puissance supérieure
est le remède qu'ils choisissent.
Toutes ces alternatives sont des tentatives pour échapper à ce que nous
vivons, c'est-à-dire, à des états souvent malheureux, inconfortables et
insatisfaisants.
Cet espoir peut nous habiter de nombreuses années, voire toute une vie,
mais là aussi l'espoir commence à s'éroder, rien ne change fondamentalement,
l'accumulation de connaissances dans le domaine des concepts spiritualistes
s'est considérablement élargie et enrichie ; mais cela n'est pas suffisant car la
récompense de tant d'années d'effort, de démarches, de séminaires, d'ascèses
plus ou moins sévères amène au constat suivant :
Cette sortie de toutes nos misères et cet espoir de vivre autrement, une
fois l'éveil atteint, ne serait qu'une projection fascinante d'un modèle qui
n'existe que dans un monde imaginatif.
Ils savent que tout individu est la conscience universelle qui s'est
identifiée à un organisme corporel individuel.
Mais le point le plus marquant est que le disciple se trouve en face d'une
vacuité impersonnelle, ce qui le renvoie soudainement et abruptement dans
une zone de lui-même qu'il n'avait jamais ni situé ni fréquenté.
Pour celui ou celle à qui cela arrive, cette vision suffit quelquefois à
permettre la prise de conscience capitale que son propre espace intérieur est
identique à l'espace qui sous-tend l'Univers.
15 - Condamnation à vivre égal
manque à être ; insatisfaction
endémique masquée par de
belles histoires !
Il est vrai que celui ou celle qui perçoit ne serait-ce que quelques
secondes, la réalité de sa nature originelle découvre qu'il n'est pas une
individualité déterminée mais l'une des multiples formes qu'emprunte la vie
pour se manifester, tout reste identique, exactement comme avant cette
expérience, mais il n'y a plus personne pour le commenter.
Le même potentiel de souffrances est présent dans les deux cas mais la
gestion sera différente s'il y a identification ou non à ce qui advient.
De nombreux éveillés sont morts d'un cancer, d'autres ont hérité d'un
corps où l'A.D.N. et le plan génétique avaient déjà, dans leurs programmes
originels, toute une gamme de déficiences physiologiques mais aussi
psychologiques, auxquels ils ont dû faire face.
Dans une telle écoute, ce que nous vivons n'est qu'un incident où nous
sommes libre de toute attente, le psychisme va peu à peu quitter son
dynamisme, permettant le constat que l'origine des souffrances réside dans
l'imaginaire et l'illusoire, ce qui nous fait réaliser l'aspect dérisoire de nos
engagements.
Cette écoute sans appropriation est la seule solution qui peut amener à
voir apparaître un type d'humain d'une espèce différente, l'homo sapiens
sapiens n'étant à ce jour qu'un embryon d'homme inachevé, dont le potentiel
est encore en jachère, pour la majorité.
Pendant ce court passage dans un corps humain nous nous situons dans
une dynamique quasi universelle qui pourrait se définir par le terme avoir.
Cela est tout à fait naturel ; à l'égal de tous les êtres sensibles vivant sur
la planète, l'homme est une créature de besoins qui ne peut se développer
sans recevoir ce qui est indispensable à sa survie ; sans ces conditions, la
névrose et les pathologies diverses ont beau jeu de mener la danse de la
marionnette, nul ne peut y échapper.
Sur les sept milliards d'êtres humains, la majorité ne bénéficie pas des
conditions matérielles élémentaires pour satisfaire ses besoins légitimes,
matériel et psychologique.
Dans ces cas, le besoin d'avoir devient une forme de maladie qui tenaille
sans répit les couches socio-culturelles à niveau de vie élevé, qui, d'un état de
manque chronique, sombrent dans une avidité sans limite.
Ce besoin inextinguible d'avoir toujours plus repose sur une base qui ne
pourra jamais être satisfaite ni comblée : le manque à être.
A toutes les périodes de l'existence humaine, la recherche du bonheur se
fixe sur les objets, depuis l'ours en peluche, en passant par la Bugatti rouge
grand luxe ou le partenaire idéalisé, l'humain ne cesse jamais d'aspirer à
combler son vide intérieur par une multitude d'aspirations qui, la plupart du
temps, s'avèrent ensuite lassantes, décevantes ou embarrassantes, à moins que
cela ne devienne une addiction compulsive.
Cela n'a rien d'étonnant, cette insatisfaction qui finit toujours par nous
rattraper, aux diverses étapes de nos vies, vient d'une incomplétude viscérale
d'un être de transition qui ne sait pas comment poursuivre le voyage,
autrement qu'en reproduisant le passé en futur, encore et encore.
De toute évidence, le spécimen humain actuel n'est pas la version
définitive de milliards d'années d'une évolution qui explose dans le monde
sous forme d'un Krishnamurti et bien d'autres précurseurs, connus ou
inconnus.
Les efforts les plus persévérants, les ascèses les plus rigoureuses peuvent
se poursuivre des années, voire toute une vie, et c'est très bien ainsi, puisque
c'est ce qui est. Rien n'est à ajouter ou à retrancher.
Mais le gigantesque paradoxe réside dans le fait qu'un ego a entrepris
cette démarche sans se douter le moins du monde qu'il s'est engagé dans le
processus de sa propre dissolution, sans s'en rendre compte.
Lorsque arrive le découragement total et que le chercheur perd sa
pugnacité, il réalise qu'il n'y a rien à comprendre, et qu'il est ce qu'il cherche,
tel qu'il est.
Si cela se produit, c'est que cela doit se produire. Si cela ne se produit
pas, c'est très bien aussi.
Pour un athée bon teint, qui pense que tout ce qui est dit et prôné
concernant l'existence d'une puissance divine ne sont que des élucubrations
d'esprits faibles cherchant à se rassurer, a aussi sa légitimité, qui est très
respectable, comme toutes autres croyances ; la vie jaillissante se retrouve
dans la multitude des caractéristiques divergentes.
Dans un cas de ce genre, c'est la conscience qui dit qu'elle n'existe pas, à
travers un corps mental... L'humour de la vie est sans limite.
Réaliser que l'énergie qui anime le Cosmos n'a aucun sens moral, aucun
principe sur le bien et le mal ne peut être admissible que si les péripéties du
monde apparaissent comme une énergie en mouvement dont les modalités de
fonctionnement sont hors d'atteinte du mental et de son rêve de perfection.
Nous sommes ici dans les zones où les explications n'ont plus cours et
ne mènent nulle part, sans vision globale, seule cette vision peut permettre
que s'infuse dans le corps et le psychisme le ressenti d'une sérénité qui pointe
vers une sensation d'amour sans objet.
Étant parti sur une base d'investigation présumant que, une fois le but
atteint, tous malaises existentiels étaient censés disparaître, remplacés par un
état inexistant de joie, sérénité, amour, une dure réalité se fait jour, la dualité
est toujours en activité pour renouveler ses scénarios coutumiers.
Si les êtres ayant reconnu la source déclarent que tous ces efforts,
souvent hors contingences, n'ont servi à rien d'autre qu'à meubler une
existence insatisfaisante ; quoi que le personnage ait pu faire, ou ne pas faire,
son destin ne lui appartient pas plus que celui d'une fourmi ou d'une araignée,
comme tout ce qui advient fait partie du jeu de la vie, les rencontres et les
évènements ne servant que de détonateur à des prises de conscience latentes.
C'est une très forte provocation qui est ainsi énoncée ; l'éveil n'a rien à
voir avec tous les efforts que l'individu a pu faire pour l'acquérir ;
paradoxalement, cette décantation a été nécessaire puisqu'elle a eu lieu.
Cet apparent pouvoir est très relatif, lorsque les crises existentielles
arrivent, chaque scénario tendancieux se manifeste pour imposer sa
spécificité, réclamant le titre de, moi je...
C'est là que réside l'ambivalence du fait que lorsque nous croyons
choisir, le choix se fait en nous, avec comme priorité l'identification à la
tendance la plus prégnante.
En avançant dans l'investigation, il est vrai que cela peut paraître une
pure abomination que l'être se manifeste en paraissant ne tenir aucun compte
des effroyables misères et tourments endurés par tous les êtres sensibles
depuis la nuit des temps.
La vérité, le mensonge, la famine, l'injustice, le courage, la lâcheté, la
responsabilité et l'irresponsabilité, les génocides et tueries de toute nature font
partie intégrale de l'unité en manifestation.
Le mental perfectionniste ne comprendra jamais le fonctionnement de
l'impersonnelle totalité s'il ne ressent pas la plénitude du néant où se déroule
sans retenue l'ignominie et le merveilleux. Le vent qui fait trembler les
feuillages, l'écureuil qui saute de branche en branche, le regard d'un enfant, le
coucher du soleil à l'horizon, l'amour d'une mère sont aussi la manifestation
de l'unité.
Les deux états se produisent au sein du néant que je suis, sans signification
particulière.
Dans nos vies familiales, si nos parents manifestaient l'opinion que nous
étions bon à rien, cela s'inscrivait en nous, à notre insu, avec comme résultat
d'innombrables complexes d'infériorité ou de supériorité, culpabilités,
influençant nos comportements, à l'égal d'une programmation informatique :
Sommes-nous ces films venus d'ailleurs ?
Si, par contre, le milieu familial voyait en nous un petit génie, cela allait
se répercuter dans la suite de notre parcours de vie, de différentes façons :
Sommes-nous ce film venu d'ailleurs ?
Ces brefs exemples peuvent nous permettre de constater, sur le plan
individuel aussi bien que collectif, qu'il ne s'agit que de processus
programmés à notre insu qui viennent des autres et finissent par constituer
un ensemble que nous prenons pour nous-même.
Si, par la vision sans implication, il est perçu que les opinions et
croyances que les autres nous ont transmises, volontairement ou
involontairement, ne nous appartiennent absolument pas,
Qui sommes-nous ?
Il en est de même pour les pensées, elles restent ce qu'elles sont mais si
leur contenu n'est pas regardé avec tant de sérieux, l'aspect ludique de tout ce
déploiement d'histoires, de jugement et qualifications apparaît comme un film
où se dévoile un personnage auquel il est de plus en plus difficile de prendre
au sérieux. La vie n'est sérieuse que pour qui la prend au sérieux.
En tant que condamné à mort avec sursis, l'être humain ne semble pas
beaucoup prendre ce facteur en compte, vu la manière incohérente avec
laquelle il gère son existence ; cela peut apparaître comme un jugement ou un
constat selon la nature du regard.
3000 guerres en 2000 ans est un bilan qui suscite quelques doutes quant
au potentiel de réflexion de ce curieux animal à deux pattes. Krishnamurti
signalait souvent ce phénomène significatif.
Il ne paraît y avoir aucun remède qui pourrait faire que chaque habitant
de la planète puisse avoir une existence décente dans un partage équilibré des
ressources de la Terre.
Bien que doué d'une intelligence mécaniste super sophistiquée, qui lui a
permis d'aller sur la lune, à partir de sa grotte originelle, l'animal humain se
caractérise par des comportements qui, de génération en génération, se
traduisent par des déchaînements de haine récurrents émanant de programmes
fixés une fois pour toutes.
Cela fait partie d'une hypothèse mais l'ouverture à l'unité n'est pas dans
le futur ; le fait de se surprendre à jouer avec des concepts sur le passé ou le
futur est le signe que toute transformation n'ait plus à attendre ailleurs que
l'évidence de cet instant présent que nous habitons, en toute inconscience, de
la naissance à la mort.
Accepter ce qui se passe en soi, c'est aimer ce qui est, même si cela ne
nous plaît pas, c'est de nous-même qu'il s'agit.
Vient un moment où l'acceptation est dépassée ; l'accueil prend la relève,
nous nous rendons compte qu'il est inutile de vouloir changer l'histoire, ni
l'empêcher, la prétention de diriger notre vie s'efface dans l'évidence de
l'instant.
Pour être très près de soi-même, chaque individu peut dire sans risquer
de se tromper :
Il n'a personne à éveiller car il ne peut y avoir de recherche pour ce qui est
déjà présent.
Nous rejoignons ici les multiples éclairages non dualistes où l'accent est
mis sur ce corps mental tel qu'il est, avec ses défauts et ses qualités, est le
divin qui fait l'expérience de la manifestation.
C'est pour cela que rechercher la libération peut devenir une entrave du
fait que chercheur et cherché reste fragmentés en deux alors qu'il n'est qu'un
sans second.
Il se pourrait que cette énorme désillusion soit porteuse d'une autre façon
d'aborder le problème différemment. Tous les objectifs concernant l'attente
d'un but n'ayant plus de raison d'être, cela laisse la place à une tranquillité
inattendue.
Chez un humain, tant que cette notion est vivace, toute évolution reste
généralement ignorée, car, bien que faisant partie de cette immensité, il n'est
pas réalisé qu'il ne peut exister de personnage séparé et indépendant.
Si nous avons perçu que nous sommes ce que nous cherchons, pourquoi
ne paraît-il pas possible de vivre, situé en permanence dans cet état de
conscience.
Que nous le voulions ou non, nous sommes toujours dans l'état recherché,
l'abandon de toutes recherches étant le critère pour le vivre.
La bonne nouvelle est que cet esclavage n'est pas obligatoire ; pour cela,
une petite formalité est nécessaire, elle consiste à mourir avant la mort.
Pour qui a peur de mourir, c'est une excellente perspective que de lâcher
prise à toute identification à cette personnalité fictive et provisoire.
Si cela se produit, le corps peut tomber mais il n'y a personne pour
mourir, ce qui est éternel en soi retrouve la non-existence d'avant la
conception du corps.
A quoi joue le créateur pour laisser les créatures qu'il manifeste dans
d'aussi innombrables misères, plus proches de l'enfer que du paradis ?
S'abandonner au mystère.
Ce soi-même est un espace ouvert dans lequel la vie se déroule sans qu'il
n'y ait personne pour saisir ce qui s'y passe, ou y a-t-il quelqu'un qui prend en
charge, à son propre compte, le florilège des évènements qui se présentent à
tous moments de l'existence ?
S'il n'y a rien à obtenir, rien à chercher, à quoi bon continuer à en parler
et à écrire des recettes pour parvenir à ce que nous sommes déjà ?
Pourtant, dans le jeu que la vie joue avec elle-même, les adeptes d'une
recherche spirituelle sont-ils à disqualifier comme vestiges de comportements
dépassés ne pouvant mener à autre chose qu'à frustration et désespoir ?
Puisque la vie fait surgir, dans ce présent incontournable qui est sa trame
non reconnue, que des milliers d'êtres humains se mettent en quête d'autre
chose, appelé libération, c'est qu'ils ressentent en eux-mêmes un manque et
une incomplétude qu'ils leur faut combler à tout prix.
Dans un tel cas de figure, s'agit-il d'un individu qui veut retrouver sa
source, ou est-ce la source qui veut retrouver son unité dans l'individu ?
Néanmoins, le fait est, cette investigation intérieure mobilise des milliers
de personnes.
Parmi ceux qui sont en mesure de donner des pistes d'exploration, le
message de Krishnamurti a été en son temps, un puissant catalyseur d'intérêts.
Le point commun est que les tenants de ces enseignements affirment que
la libération se trouve déjà présente en chacun, ce qui peut offrir une
alternative précieuse pour les chercheurs encore focalisés par la croyance
qu'il y a quelque chose à acquérir.
Ainsi s'est gravé dans le psychisme qu'il n'est pas possible d'obtenir quoi
que ce soit sans déployer volonté et énergie pour atteindre n'importe quel
objectif.
Le film que chacun est amené à jouer sur la planète Terre n'est qu'un
scénario dont l'action se déroule et fait partie d'une totalité impersonnelle
dans laquelle nos comportements ne peuvent être autrement que ce qu'ils sont
tant que l'auteur de l'action n'a pas déjoué le sortilège de l'identification au
rôle.
Lorsque cette croyance se dissout, non par un vouloir mais par une prise
de conscience spontanée, il ne reste que l'expérience d'être, rien de spécial
affirme le zen.
A cet instant, les phrases et les concepts pour décrire ce qui se passe
nous font défaut, mais cela suffit, quelques fois, pour que la simplicité et
l'évidence du « rien » amènent une sérénité et apaisement où les explications
n'ont plus court, le mot n'est pas la chose, disait Krishnamurti.
Si l'enseignement de Krishnamurti a marqué beaucoup d'esprits, au
vingtième siècle finissant, il serait intéressant de faire le point et d'explorer
cette vague étonnante d'enseignements non dualistes qui fleurit, toutes ces
dernières années, en provenance, principalement, de Grande-Bretagne.
Les personnes parlant ou écrivant sur ce qui leur est advenu sont issus de
divers milieux et ont comme point commun une phrase qui peut bien résumer
le sens de leurs expériences.
Tout ce que vous lisez et tout ce que vous écoutez ici n'est pas la vérité.
Il n'y a rien à acquérir mais tout est à perdre. Rien n'a besoin d'être
accepté ou rejeté, ce qui est maintenant est la totalité en expression.
Il n'y a rien à changer, tout est à sa place dans l'unité de l'être, s'il y a
changement, c'est que cela doit se faire. Il semblerait qu'une forme
d'évolution des messages de cette nouvelle vague de personnages vivant le
non-conformisme absolu, à l'égal de ce qu'est la vie dans ses innombrables
manifestations, soit en train de se produire.
Le seul précédent était marqué par des enseignements où la plupart
préconisait des disciplines, ascèses et pratiques, en vue d'atteindre un but qui
s'intitulait : Éveil, libération, retour à la source, etc, etc...
Le plus troublant et étonnant est que chacun a vécu cet instant magique
où le sens de la séparation disparaît mais, dans la plupart des cas, « Le secret
ouvert n'est ni accueilli ni reconnu ».
Un coucher de soleil, le bruissement du vent dans les arbres, le regard
d'un bébé, une situation heureuse ou catastrophique, l'union extatique avec
une énergie complémentaire nous plongent quelquefois dans cet espace hors
temps, qui est notre nature fondamentale.
Les danseuses, les patineurs et tous les sportifs de haut niveau vivent le
non-mental un instant. Dans tous les domaines des activités humaines, ces
instants de silence entre deux pensées se présentent à chacun et c'est de là que
jaillit la créativité, celle qui a pu faire que, de sa grotte originelle, l'humain a
pu s'aventurer sur la lune.
Ce bref aperçu peut situer le prochain plan qui attend l'espèce humaine, si elle
ne s'est pas détruite entre temps :
Si la conscience est tout ce qui est, cela implique que l'humain pourrait
s'abandonner au mystère puisqu'il est une partie incluse dans la totalité, le
divin se révèle à la vue par toutes les choses du monde.
Que nous avons longtemps cru qu'il y a une personne à libérer, alors
qu'en fait il n'y a personne que l'être qui s'est scindé en deux, le vide est
forme, la forme est vide.
Il découle de ceci : quoi qui apparaisse présentement, c'est la réalité, si le
moi est clairement vu comme une histoire, peu importe s'il y a absorption
dans l'histoire.
Rien de tout cela n'a d'importance, il s'agit d'une expression de l'être,
seule subsiste la tranquillité. Bien entendu, tout ce qui est est exprimé ci-
dessus, ne sont que des concepts et un concept n'est pas la vérité, il pointe
seulement le doigt vers la lune.
A partir des concepts krishnamurtiens, l'exploration à évoluer vers des
poteaux indicateurs de plus en plus évanescents, privilégiant une non-dualité
conceptuelle certes, mais pointant en direct, là où la verbalisation explose
dans un silence qui est l'ultime réponse à tous questionnements.
Une question se pose alors, si une partie de notre mental s'est mis à son
compte et en profite pour créer le conflit et la discorde, est-il possible de s'en
débarrasser ?
Cette intelligence n'en est pas une car elle est coupée de sa source,
même si elle est vaste en savoir, s'est dévoyée et est limité dans les méandres
de l'ignorance, de la contradiction et du conflit.
A défaut de percevoir le monde tel qu'il est, nous projetons notre vision
à partir de l'image que nous avons de lui, peu souvent en phase avec le réel, le
mental habillant émotions et sensations selon sa construction caractérielle,
alors que celles-ci sont neutres à l'origine.
Dans cette perspective, les besoins naturels peuvent suivre leurs courbes
de vie, naissance, accomplissement et déclins acceptés.
Dans les individus comme dans les sociétés règne une tension nerveuse
endémique astreignant chacun à trouver la prothèse qui va lui laisser un peu
de répit ; peu de personnes ont envie de remonter à la cause première,
préférant utiliser les innombrables substituts que les sociétés produisent en
abondance, aussi bien chimiques que psychologiques, pour tenter de
contrebalancer cette angoisse existentielle dont peu se trouvent indemnes.
Cela n'est pas innocent car si les souffrances sont occultées, l'individu
les ayant subies, pour y faire face, est devenu rigide, cuirassé, son seul
exutoire étant de faire subir aux autres, sans aucune pitié ni compassion, les
effets de cette bombe à retardement qui s'est constituée en lui.
Ce magnifique spectacle qui se déroule dans nos esprits, avec ces scènes
où le bonheur côtoie le malheur, est à contempler, du vide que nous sommes.
Rester fixés dans ses réactions d'enfance, sans le savoir, est l'écueil majeur
des individus et des sociétés.
La seule chose qui nous reste est d'aller sans crainte au fond de ce
ressenti traumatisant.
Ce qui aggrave son cas ; c'est qu'il n'a plus besoin qu'on lui dise quoi
penser, n'étant plus preneur des projections mentales humaines où foisonnent
opinions et idéologies innombrables contribuant à créer la haine entre les
humains.
Nous croyons agir mais nous sommes agis. C'est lorsque la détente de
nos crispations profondes se produit que nous commençons à percevoir ce
phénomène.
Mais que nous croyions agir ou que nous percevions que nous sommes
agis n'a finalement aucune importance car celui qui a ses croyances est l'unité
qui joue à être deux.
Le retour à la source est folie totale qui plonge dans l'insondable amour.
Un être qui s'est éveillé et qui vit des instants de présence à l'amour sans
objet est un peu comme un fou pour ceux qui résident dans leur mental, ses
actions sont hors normes par rapport aux moralités qui diffèrent selon les
pays et les races ; mais elles peuvent aussi être tout à fait dans les normes.
L'amour sans objet a sa propre loi et bien des adeptes des moralités
traditionnelles ont réservé des sorts ignominieux à ceux qui le manifestent,
chacun à leurs façons.
Pour l'humain, cela est encore plus marqué du fait d'un mental qui vit
dans la certitude d'être un individu séparé du reste du monde et doué d'un
système cognitif auquel il est identifié.
Toutes les formes manifestées dans le cosmos sont animées par une non-
substance douée d'une intelligence qui a permis aux espèces de s'auto-créer
selon les nécessités inhérentes à leurs stades évolutifs dans les arcanes d'une
fonctionnalité universelle.
Les vibrations denses du mental humain qui croit encore être séparé, ne
lui permet pas de se fondre dans la source d'où il émane, s'impliquer dans les
élucubrations de la pensée abstraite est l'entrave.
Les hommes qui dorment vivent dans un monde différent ; ceux qui
s'éveillent dans le même monde.
Dans cet aphorisme, dormir est l'état courant où chacun vaque à ses
occupations dans sa bulle hermétique ; il n'y a pas de liaison entre les
individus autre que la verbalisation et l'union physique, éléments
impermanents et illusoires par excellence.
Par contre, ceux dont la bulle s'est dissoute sont unifiés dans la même
énergie ; de ce fait, une vaste tranquillité les habite, querelles et conflits sont
remplacés par une compréhension interactive multidimensionnelle où les
divergences qui habitent chacun suscitent le rire à la place des pleurs.
Si nous avons appris à ne pas saisir ce qui s'élève et qu'il est perçu en
soi-même le spectacle interactif de nos sensations, émotions, pensées en
pleine phase réactionnelle, l'identification à ces phénomènes se produit de
moins en moins et ce qui surnage est une non-implication dans une liberté
sans mesure, face à la situation.
Dans cette vacuité, les réactions coutumières perdent leurs force, étant
vu pour ce qu'elles sont, des mécanismes automatiques qui partent au quart de
tour, en toute conscience.
Le choix des semences est une affaire de tous les instants ; celui qui
sème des orties piquantes ne récoltera jamais de tendres salades.
Nous sommes aussi très généreux pour semer nos graines chez autrui,
nos enfants, nos compagnons, partenaires, et tous ceux qui croisent notre
chemin en sont les bénéficiaires.
Nos actions, nos paroles, nos comportements sont autant de graines que
nous déposons en eux.
Dans un cas comme dans dans l'autre, un grand détachement est présent,
une nouvelle façon d'aborder les provocations se met lentement en place au
fur et à mesure de la reconnaissance du vide.
Ce que nous vivons est le résultat des graines qui se sont implantées
dans le riche compost de notre inconscient, à chaque moment de la vie, de
nouvelles moissons se préparent.
Mais cela ne peut être réalisé que par la résorption définitive de l'histoire
personnelle ; l'état naturel retrouvé, on s'aperçoit qu'il n'y a pas besoin de
changer pour être ce que nous sommes.
Hélas, aucune réponse ne peut lui être apportée car une fois qu'il a fait le
tour de toutes les hypothèses inventées par l'esprit humain sur le sujet, il ne
s'en trouve pas plus avancé.
Il lui faut donc faire face à l'idée qu'un Dieu créateur sans pitié mène la
danse, ou qu'un Big-Bang venu de nulle part a généré une folle énergie qui
manifeste d'instant en instant cet étonnant déploiement cosmique,
merveilleux pour certains, absurde pour d'autres.
Pris en étau dans ce chaos sans foi ni loi que nous appelons l'existence,
entre les horreurs sans nom et d'étranges moments de plénitude, l'humain
oscille sans cesse, parcourant le chemin non balisé où souffrances et plaisirs
cohabitent sans trêve ni repos.
Dans l'océan de la vie, le mental n'est qu'une petite vague qui se croit
autonome alors qu'elle est aussi l'océan.