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Messe d’action de grâces pour la béatification de Jean-Paul II

Cathédrale de Reims St-Remi Charleville-Mézières


4.5.2011 5.5.2011

Vous vous souvenez probablement du 2 avril 2005. C’était le samedi de Pâques. Les
nouvelles de Rome n’étaient pas bonnes. Jean-Paul II s’était montré une dernière fois une
semaine plus tôt à sa fenêtre, une ombre qui ne pouvait plus ni parler, ni lever la main pour
bénir. Vers 22h ce soir-là, la nouvelle était rendue publique. Il était passé, comme l’on dit, de ce
monde au Père. Je me souviens du temps de prière le lendemain à la basilique St-Remi (de
Reims), et des messes célébrées ensuite à la Cathédrale, puis à St-Remi de Charleville-Mézières.
C’était comble. On était venu de partout. Des croyants, des mal-croyants, des vieux, des jeunes –
beaucoup de jeunes -, des personnes engagées dans l’Eglise, dans la société, dans rien du tout. Je
me souviens de ce jeune musulman, venu accompagner sa mère qui ne savait pas le français, et
qui m’a dit : « Nous avons voulu honorer un homme de Dieu, et nous sommes dans la peine avec
les catholiques ».

Depuis dimanche Jean-Paul II nous est donné en exemple. Plus exactement, c’est sa foi qui
nous est donnée en exemple. Car si nous pouvons être sûr d’une chose, c’est du sentiment qui
l’habitait d’être pécheur. Il avait peur de se prendre pour ce qu’il n’était pas, d’enseigner ses
propres idées. Alors tous les matins, avant ses rendez-vous, il travaillait dans sa chapelle : on y
dressait une table, et c’est là que pendant 2h ou 2h1/2 il rédigeait lui-même ses documents, ses
homélies et ses livres. Pourquoi dans sa chapelle ? A votre avis ? Mais je ne suis pas là pour
ajouter des détails nouveaux ou édifiants à des chroniques largement connues.

Le mystère de l’homme, si mystère il y a – parce que je pense que sa vie fut au contraire
d’une limpidité et d’une cohérence extraordinaire – ce mystère tient peut-être à deux passages
d’Evangile. Le premier passage, vous venez de l’entendre, est cette invitation à un surcroît
d’amour : « M’aimes-tu ? M’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Personne ne peut accepter une
charge, une mission, dans l’Eglise ou au service des frères, s’il n’entend et ne met en pratique
l’invitation à aimer comme le Christ. Comme le dit St Jean, et comme le rapportent la 4ème prière
eucharistique et la liturgie du Jeudi Saint à propos de Jésus : « Quand l’heure fut venue où tu
allais le glorifier, comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au
bout ». C’est ce que Jean-Paul II a cherché à réaliser spirituellement, et aussi physiquement au
fur et à mesure que ses forces déclinaient.

Si Jean-Paul II l’a fait, il l’a fait pour lui-même, par conviction. Cependant il avait aussi la
conviction que la question de Jésus ressuscité à Pierre n’était pas réservée à celui-ci. Il pensait
qu’elle était d’abord un signe formidable pour rappeler à l’homme qui avait trahi qu’il était
toujours aimé, et qu’il était appelé à se relever. Et puis, pour lui, la question de Jésus était la

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question éternelle posée à l’homme, dans l’histoire, pour entrer dans un dialogue d’amour avec
le Christ. C’est pourquoi il la posa à son tour à la foule, devant Notre-Dame de Paris, lors de son
premier voyage en France. Et c’est pourquoi, en mémoire de lui, je vous pose à nouveau la
question de Jésus : « M’aimes-tu ? M’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Puisqu’il est permis à
présent de s’adresser à Jean-Paul II, demandons-lui de nous inspirer la cohérence qui était la
sienne entre la foi qu’il professait et sa manière d’agir dans la vie, et demandons-lui de prier
pour notre diocèse, afin que des jeunes comprennent ce que signifie aimer jusqu’au bout, en
donnant leur vie pour Dieu et pour les autres.

L’autre passage d’Evangile qui explique un peu la personnalité du bienheureux se réfère à


la place donnée dans son ministère, justement aux jeunes, aussi bien quand il était aumônier
d’étudiants que plus tard, avec les JMJ. C’est le passage qu’il utilisait et commentait très
souvent, de la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche. Vous connaissez l’histoire. Un
jeune séduit parce que le Christ lui parle de choses dont on ne parle jamais ou pas assez. La vie
n’assourdit-elle pas les oreilles de multiples chansons, alors que l’on n’a pas appris à aimer
jusqu’au bout ? J’en reviens toujours à ce jusqu’au bout qui est un peu la trame de mon
homélie. L’histoire, pour une fois, n’aura pas une fin heureuse, puisque le jeune homme repartira
tout triste. Faute d’oser franchir le pas, d’être prêt à renoncer à des biens éphémères pour des
biens éternels. Nous retrouvons bien là Jean-Paul II. Un pape exigeant ? Je ne sais pas. Plutôt
quelqu’un qui regarde en permanence vers la source du vrai bonheur, et qui brûle de
communiquer cette flamme.

Voilà donc quelqu’un qui croit et n’a pas peur, ni honte, de le dire. D’où une étonnante
liberté de parole dans ses enseignements, dans ses initiatives, dans ses voyages, dans ses
entretiens avec quasiment tous les responsables du monde, fussent-ils dictateurs de droite ou de
gauche. Il dit ce qu’il a à dire, et il le fait, apôtre de la paix, de la liberté religieuse, de la justice
sociale et de l’Evangile de la vie, voix des sans-voix, éducateur des jeunes, pèlerin de la foi. Un
homme blessé, malade, dont le Christ est la seule force. Un homme qui savait très bien que, pour
parvenir à Jésus, la route la plus sûre était de se tourner vers Marie, et qui nous a tellement
appris à faire confiance à la Mère de Dieu !

Remercions Benoît XVI d’avoir béatifié Jean-Paul II. Dimanche dernier, après avoir suivi
sur le petit écran la cérémonie, je me disais : c’était très beau, c’était digne, c’était sobre, et puis
surtout il y a eu ces trois temps de silence pour le recueillement et la réflexion. Puisse l’exemple
de Jean-Paul II nourrir notre silence intérieur, et nous encourager à aimer jusqu’au bout.

+ Thierry JORDAN
Archevêque de Reims

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