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Schane
Schane Sanford A. L'élision et la liaison en français. In: Langages, 2e année, n°8, 1967. pp. 37-59.
doi : 10.3406/lgge.1967.2891
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1967_num_2_8_2891
SANFORD A. SGHANE
Université de Californie, San Diego
1. Truncation.
1.1. Truncation entre mots.
On appelle élision et liaison les ajustements phonologiques faits entre
un mot et celui qui le suit. Dans la plupart des grammaires et des manuels
qui traitent de la prononciation française on les a, en général, étudiées
comme deux phénomènes distincts 1. L'élision est définie comme la sup
pression ou l'effacement de la voyelle finale d'un mot devant un autre
mot commençant aussi par un son vocalique :
le ami /lami/
mais
le camarade /lekamarad/
La liaison, par contre, a été définie comme l'attachement de la
consonne finale d'un mot à un mot commençant par un son vocalique,
la consonne étant, sinon, muette ou amuie :
* Cet article est une adaptation du chapitre I de French Phonology and Mor
phology (à paraître).
1. Grevisse donne les définitions suivantes de l'élision et de la liaison : «L'élision
est l'amuissement d'une des voyelles finales a, e, i, devant une initiale vocalique. L'éli
sion n'est pas toujours marquée dans l'écriture; quand elle l'est, la voyelle qui s'élide
est remplacée par une apostrophe » (p. 60). « Une consonne finale, muette dans un
mot isolé, se prononce dans certains cas, devant la voyelle ou l'A muet initial du mot
suivant et s'appuie même si intimement sur ce mot que, pour la division en syllabes,
elle lui appartient : c'est ce qui s'appelle faire une liaison. » (Grevisse, Le bon usage,
p. 56.)
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tous les cas, par une consonne et que cette consonne s'efface chaque fois
qu'il y a absence de liaison : par exemple, en position finale d'énoncé ou
devant un mot commençant par un son consonantique 2. Supposons que
ce point de vue concernant les formes de base et la nature de la liaison
soit correct. On peut alors considérer comme un même processus l'élision
des voyelles et l'absence de liaison des consonnes : ce ne serait en somme
que l'amuïssement d'un segment occupant une position finale dans le
mot; c'est-à-dire qu'une voyelle finale sera omise ou tronquée devant un
autre mot commençant par une voyelle, alors qu'une consonne finale est
omise devant un autre mot commençant par une consonne. De manière
à adopter une position neutre entre les deux termes, élision et absence de
liaison, nous donnerons le plus souvent à ces deux processus apparentés
le nom de troncation 3.
Un mot peut commencer, en dehors d'une voyelle ou d'une consonne,
par une liquide, ou par ce que l'on appelle souvent une semi-voyelle (en
anglais glide). Les effets de la troncation sur ces deux dernières classes
de sons ont été généralement ignorés, dans la mesure où on admettait
que les liquides ne sont qu'un type de consonne et les glides qu'une sous-
classe des voyelles. Ce point de vue n'est pas entièrement incorrect mais
il est cependant nécessaire de traiter les liquides et les glides séparément
puisqu'en position finale, comme nous le montrerons, les liquides ne se
conduisent pas comme des consonnes ni les glides comme des voyelles.
Étant donné qu'un mot peut se terminer par une consonne, par une
voyelle, par une liquide ou par une glide, et que le mot suivant peut aussi
commencer par l'une de ces quatre classes de sons, il s'offre donc à
nous un total de seize possibilités. Ces seize combinaisons, avec des
exemples appropriés, sont exposées dans le tableau suivant. (# indique
la limite du mot et C, V, L, G signalent consonne, voyelle, liquide et
glide respectivement. Les colonnes verticales représentent la position
initiale du mot et les horizontales la position finale.) La troncation a été
indiquée par une ligne oblique en travers de la lettre appropriée 4.
# C # L # G
D'après les données ci-dessus nous pouvons formuler les règles sui
vantes :
1) En position finale :
a) Les consonnes sont tronquées devant les consonnes et les liquides.
b) Les voyelles sont tronquées devant les voyelles et les glides.
c) Les liquides et les glides ne sont jamais tronquées.
En termes de traits distinctifs, les quatre classes de segments ment
ionnés ci-dessus peuvent être différenciés les uns des autres en tirant
parti au maximum de seulement deux traits : consonantique et vocalique;
chaque trait ayant la valeur + ou — 5.
2) En position finale :
a) Les consonnes sont tronquées devant les segments [-f- cons].
b) Les voyelles sont tronquées devant les segments [ — cons].
c) Les liquides et les glides ne sont jamais tronquées.
/ssr wazo/, pareil camarade /parej kamarad/, pareil rabbin /parej rabs/, pareil ami
/parej ami/, pareil oiseau /parej wazo/. Le t renversé et le e renversé à droite
équivalent a t et e barrés.
5. Cf. Jakobson, Fant, Halle, Preliminaries to Speech Analysis, pp. 18-20.
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En position finale :
+ cons
a) Les segments sont tronqués devant les segments [-j- cons],
— voc
— cons
b) Les segments sont tronqués devant les segments [ — cons].
+ voc
En utilisant les traits, il n'est pas nécessaire de commenter le fait que les
liquides et les glides ne se tronquent pas; car le troisième énoncé de la
règle 2 se déduit automatiquement de la règle 3. Des règles telles que la
règle 3 — à la différence des énoncés tels que 1 — traduisent des général
isations importantes existant dans une langue. Ainsi la règle 3 énonce
explicitement de quelle manière consonnes et liquides s'apparentent et
comment elles définissent une classe de segments qui tronquent une
consonne précédente; autrement dit les consonnes et les liquides à l'ini
tiale du mot sont apparentées d'une tout autre façon que les consonnes
et les liquides en finale du mot ne le sont. On peut faire une remarque
semblable au sujet des voyelles et des glides.
Les deux parties de la règle 3 sont très similaires et on est donc amené
à se demander si la règle ne pourrait pas être simplifiée encore davantage
et conduire à une généralisation importante. Nous pouvons observer que
partout où nous avons un + dans la partie (a) de la règle nous avons un
— dans la partie (b) et vice versa; autrement dit, (a) et (b) ne diffèrent
que par la valeur assignée à chaque trait mais non par les traits eux-
mêmes. C'est sur cette complète symétrie des deux règles que nous voulons
baser notre généralisation. En conséquence, nous remplacerons la valeur
(c'est-à-dire le signe du trait) par une variable (la lettre grecque a), la
convention étant que si on assigne à a la valeur + dans une partie de
la règle, a doit en conséquence conserver cette valeur + où qu'elle appar
aisse dans la règle; de même, si la valeur initiale d'à est — , elle doit
rester telle partout 6. Dans une règle en alpha, il peut arriver que l'on
veuille assigner à a une valeur opposée à celle qu'on lui avait assignée
initialement. On peut le faire en utilisant — a.
Par l'utilisation de la notation en alpha les deux sous-règles de 3)
sont exprimées comme suit :
4) Règle de truncation :
En position finale :
a) | pgtit # kamaradg # |
pgtit # ami #
p9tit
pgtit # ami
+ S ##kamaradg
, + S #
c)
d) pgtit + S # ami + S # |
Nous avons montré que la troncation affecte le segment qui précède
immédiatement la frontière du mot, de telle sorte que pour les formes
7. S'il arrivait que les deux règles suivantes apparaissent dans une langue :
a) Les segments _ I sont tronqués devant les segments [+ nasal].
b) Les segments + 1 sont tronqués devant les segments [+ voc].
^
1
en
elles
Quand
français
neonseraient
contraste
: quecedeux
cas hypothétique
cas de troncation
avec ne
la situation
présentantque
aucun
l'on trouve
rapportactuellement
entre elles.
cons
a) Les segments | ^_ voc sont tronqués devant les segments [-f cons],
— w"'
cons
b) Les segments II +. voc sont tronqués devant les segments [ — cons].
le rapport de symétrie qui existe entre les deux dernières règles de troncation se
fait jour. C'est une symétrie de cet ordre que nous voudrions voir refléter par les
règles de grammaire.
8. Dans les formes de base + indique une frontière de morphème et # une
frontière de mot. Nous représentons le morphème du pluriel par S (un archiphonème
dont le voisement n'est pas spécifié) puisque dans la liaison le voisement peut se
prédire.
Règle du voisement dans la liaison.
Le morphophonème S devient [+ voisé] devant les segments [— cons]. Dans
certains styles toutes les constrictives de liaison sont voisées alors que les occlusives
(« non-constrictives ») ne le sont pas : par exemple : neuf heures /nœv œr/, grand ami
/grât ami/, long été /lok ete/. On rendrait compte de ces cas par une règle alpha •
En position finale de mot :
r+
— voc
cons ~| deviennent [a voisé] devant les segments [— consl.
a constrj
43
a) | patit + 3 # kamarada # |
b) | patit + a # ami + a # |
c) j patit + a + S # kamarada + S # |
d) j patit + a + S#ami + a + S#|
La règle de troncation supprimera la consonne finale de petites dans c)
puisqu'elle est suivie d'un segment consonantique. Le « e muet » féminin
de petite(s) sera supprimé seulement dans b) où il est suivi d'une autre
voyelle. Il sera retenu dans les autres formes puisqu'il est alors suivi
d'une consonne. Cela signifie qu'en conséquence de nos règles, des formes
13. « Ce n'est que dans le français régional (en Gascogne, en Saintonge, en Bre
tagne et surtout en Lorraine et dans la Wallonie orientale) que Y h aspiré se prononce
avec un souffle, comme Y h allemand ou anglais par exemple. Exceptionnellement,
même en français correct, l'h aspiré se prononce avec un souffle dans le cas d'exclamat
ions poussées avec force (cf. han! hola! hep! hop! hue! halte!, etc.), dans le cas de sen
timents violents (cf. je te hais, c'est une honte, etc.) et, comme moyen expressif, lorsqu'on
veut donner de l'accent à tel ou tel mot, par exemple dans le cas des verbes halter, se
hisser, hurler, etc. » (Fouché, Traité de prononciation française, p. 252.) Voir aussi
Martinet, La prononciation du français contemporain, pp. 185-187.
14. « ...[l'h aspiré] ne permet pas, comme le fait n'importe quelle consonne simple,
la chute d'un e final devant lui : tandis que l'on dit ' un(e) tache ' sans e, on prononce
Ye de une dans 'une hache '. » (Grammont, Traité pratique de prononciation française,
p. 124.) Cette observation concernant le « e muet » devant l'« h aspiré » fournit aussi
une autre justification à avoir des « e muets » dans la représentation de base (particu
lièrement en position finale où ils sont pratiquement toujours supprimés). Des formes
telles que le onze, le yacht, etc., pourraient être considérées comme des mots commençant
par l'«t h aspiré ». Cependant la dernière de ces formes pourrait mieux être considérée
comme un emprunt. Les mots étrangers, les noms propres, les emprunts dialectaux,
devront être classés comme tels dans le lexique, puisque ces formes n'obéissent pas
toujours aux mêmes contraintes phonologiques que l'ensemble des mots qui forment
la souche indigène. Ceci signifie que les morphèmes doivent être groupés en différentes
classes, puisque des règles phonologiques spéciales ne seront pas nécessairement appli
cables à tout morphème au sein du langage mais seulement à une catégorie d'entre eux.
Ceci est similaire à la situation où, en morphologie, les racines des verbes, par exemple,
sont assignées à des classes différentes pour permettre de les conjuguer.
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Ainsi, de tels mots devront être catalogués dans le lexique comme des
exceptions aux règles de suppression 15. Il n'est cependant pas nécessaire
de désigner tous ces mots comme des exceptions à la fois à la règle de
troncation et à celle de suppression des consonnes finales, mais plutôt
de les classifier comme étant des exceptions seulement à l'une des deux
règles. C'est en comparant le comportement des numéraux « 3 », « 6 », et
« 7 » à la fois devant un segment vocalique, devant un segment consonan-
tique et isolément, que l'on peut le mieux illustrer ce phénomène :
15. Dire qu'un mot fait exception à une règle, implique qu'il n'y a pas de raison
structurale à son comportement irrégulier; ou plutôt que le fait qu'il ne puisse suivre
une règle est un caractère idiosyncrasique de ce mot et que cette observation doit être
notée dans le lexique. Que des mots à consonne finale prononcée soient vraiment
des exceptions aux règles d'omission plutôt que des cas de certaines règles non-découv
ertes, peut être constaté en examinant des mots à formes variables, c'est-à-dire
dans lesquels la consonne finale peut être ou ne pas être prononcée. Grammont cite :
sens, donc, soit!, granit, but, fat, fait, accessit, vivat, aconit, exact, porc, cerf, mœurs, ours.
Il indique aussi un grand nombre de mots où la façon de prononcer la consonne finale
par des locuteurs du Sud diffère de la norme courante. (Grammont, Traité pratique de
prononciation française, pp. 93-95.) Ainsi, différents locuteurs auront différentes séries
de mots qui sont des exceptions aux règles d'omission, de telle sorte que ce qui est une
exception pour un locuteur ne l'est pas obligatoirement pour un autre.
16. De la même façon, des formes qui font exception à la règle de troncation le
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font aussi à la règle qui rend voisées les sifflantes finales de mot devant une voyelle.
Ainsi sens /sâs/, sens unique /sâs ynik/; comparez cette dernière avec une forme qui
subit la troncation : sans /sa/, sans amour /sâz amur/.
17. Les règles de suppression nous permettent d'expliquer les quelques noms
« irréguliers » dans lesquels la consonne radicale finale se prononce au singulier mais
non au pluriel.
boeuf /bœf/ boeufs /ba/
oeuf jcetf oeufs /a/
nerf /nerf/ nerfs /ner/
os /os/ os /o/
Ces morphèmes sont des exceptions à la règle de troncation chaque fois qu'ils ne
sont pas combinés avec des morphèmes qui les suivent : (par exemple, la désinence
du pluriel). Ainsi, au singulier, où la consonne finale de la racine du nom est en posi
tion finale de mot, la consonne n'est pas supprimée. Au pluriel, la consonne finale de
la racine n'occupe plus la position finale de mot. Ainsi, puisque dans cet environnement
ces formes ne sont pas des exceptions à la règle de troncation, la consonne radicale
sera supprimée; le S est alors supprimé puisque ce morphème est en position finale et
est toujours supprimé dans cet environnement. De même, dans des noms composés du
type : boeuf gras /ba gra/, cerf -volant /ssr vola/, la consonne radicale finale du premier
mot du composé se tronque; ici, comme au pluriel, les formes en question sont combi
néesavec un morphème qui les suit.
18. Outre les solutions qui reviennent à classifier ces formes comme des excep
tions à la règle de troncation ou à les assigner à diverses classes phonologiques, il
existe une autre alternative pour traiter ces formes à consonne finale pro
noncée. Dans leurs représentations de base, ces formes pourraient se terminer par
un segment vocalique arbitraire (par exemple une voyelle que l'on ne rencontre
pas ailleurs phonétiquement en position finale). La présence d'une voyelle finale
empêcherait alors la consonne précédente d'être supprimée, puisque cette consonne
ne serait plus, ni immédiatement suivie d'un segment consonantique, ni en position
finale. Une autre règle (après que les règles de suppression ont été appliquées) serait
requise pour supprimer cette voyelle abstraite puisqu'elle ne possède aucune manifes
tationphonétique. Le postulat d'une voyelle de base en position finale est parallèle
49
Ce procédé est similaire à celui adopté dans le classement de tous les noms
en deux genres dans des buts de morphologie et de syntaxe. Il n'est pas
plus anormal qu'il existe des classes phonologiques que des classes mor
phologiques (voir note 14).
Nous avons montré que certains mots possèdent des consonnes finales
qui font exceptions soit à la règle de truncation, soit à la règle de suppres
sion de la consonne finale, soit finalement aux deux. De la même façon, il
existe des voyelles finales qui ne subissent pas la truncation. Dans une
forme telle que : joli ami /îcoliami/ la voyelle finale de joli ne s'élide pas
devant le segment vocalique suivant. Si nous admettons que chaque mot
français possède une voyelle accentuée, nous pouvons alors expliquer les
cas réguliers d' élision en imposant comme condition que seules les voyelles
non-accentuées peuvent se tronquer 19.
L'accent d'intensité au niveau du mot est prévisible et la règle de
son attribution est bien connue : la voyelle finale porte l'accent d'intensité
à moins que cette voyelle ne soit un « e muet », auquel cas Vaccent d'intensité
tombe sur la pénultième. Lorsque l'on applique la règle de l'accent d'intens
ité à l'exemple cité ci-dessus, le mot joli recevra un accent sur la voyelle
finale; puisque cette voyelle est accentuée elle ne subira pas d'élision.
La règle d'attribution de l'accent d'intensité et celle de truncation doivent
s'appliquer dans cet ordre — s'il en était autrement le /i/ final de joli
s'éliderait.
Dès que nous révisons la règle de troncation de façon à élider seul
ement les segments non-accentués, des formes telles que joli cessent d'être
des exceptions à cette règle. Le coût de l'élimination de ces pseudo-
20. La condition établissant qu'un segment doit être non-accentué afin d'être
tronqué s'appliquerait sans raison aux consonnes, puisque celles-ci sont par nature
non-accentuées. On doit remarquer qu'au niveau du mot, l'accent d'intensité n'est
pas seulement postulé comme un moyen d'empêcher la troncation de la voyelle;
l'accent d'intensité peut aussi conditionner le choix d'alternances morphématiques
(par exemple : devons, doivent; voulons, veulent) où la voyelle radicale présente des
variantes accentuées et inaccentuées. Ainsi, bien que l'accent d'intensité soit un env
ironnement conditionnant l'élision des voyelles, sa présence n'est pas uniquement associée
à ce seul phénomène. Donc, au niveau du mot, l'accent d'intensité remplit deux impor
tantes fonctions : 1) il empêche la troncation des voyelles et 2) il conditionne certains
changements de voyelles. On a cependant fait remarquer qu'en français, au niveau de
la proposition, les mots isolés ne sont pas nécessairement accentués, que tous les mots
ont en général le même degré d'accentuation si ce n'est le dernier dont la voyelle finale
ou pénultième se parle avec une intensité légèrement plus grande. « Toute suite de
mots qui exprime une idée simple et unique constitue un seul élément rythmique et
n'a d'accent que sur sa dernière syllabe... L'accent n'appartient donc pas au mot, mais
au groupe, et un mot donné le porte ou ne le porte pas, selon la place qu'il occupe
dans le groupe et le rôle qu'il y joue. » (Grammont, Traité pratique de prononciation
française, pp. 105-106.) Quoique l'accent soit significatif au niveau du mot, où on en
a besoin pour rendre compte de l'élision et de l'alternance vocalique, il ne joue pas
un rôle pertinent dans la phonétique d'unités syntactiques plus grandes. (Nous ne
considérons pas ici l'accent d'intensité de contraste ou « accent d'insistance ».) Nous
aurons donc besoin d'une règle qui, à l'intérieur de la proposition, supprime tout
accent de mot si ce n'est l'accent d'intensité portant sur le mot final.
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pareil /parej/
travail /travaj /
fenouil /f enuj /
œil Ml
vil /vil/
sel /ssl/
bal /bal/
bol /bol/
nul /nyl/
seul /sœl/
finir /finir/
car /kar/
pour /pur/
cor /kor/
sur /syr/
fleur /flœr/
21. L'observation que /j/ ne se produit pas après /i/, ni /l/ après /u/, ni /r/ après
/s/ se vérifie à quelques exceptions près. Des mots tels que drill /drij /, mandrill /mâdrij /,
sont évidemment des emprunts; capitoul /kapitul/ est dialectal; tamoul /tamul/ est un
emprunt; maboul /mabul/ est argotique, alors que redoul /redul/ possède aussi une
forme régulière sans l : redou. Une exception d'un genre différent est cul /ky/ (voir
culotte /kylot(a)/); ici le /!/ a été supprimé après /y/, un environnement dans lequel il
aurait dû être gardé. De même le pronom il (s) /i/ dans la langue populaire peut pré
senter une liquide supprimée. Les exceptions intéressantes sont celles en /er/ : air /er/,
ber /ber/, fer /fer/, enfer /âfsr/, hier /jer/, cuiller /kyijer/ (mais aussi cuillère), clair /kler/,
mer /mer/, amer /amer/, pair /per/, chair /ser/, cher /êer/, ter /ter/, vair /ver/, hiver
/iver/. Beaucoup d'entre elles sont des monosyllabes. Dans ces cas-ci le |r| final peut
être expliqué, attendu qu'un |er| monosyllabique ne devient pas /e/. Ainsi le vrai
nombre des exceptions est en fait très minime. Des formes telles que frater /frater/,
poker /poker/ sont bien entendu des emprunts. Le changement |er| -*■ je/ est pro
ductif et rend compte des infinitifs de la première conjugaison du type parler
/parle/. Le fait que les verbes de la première conjugaison offrent un |r| comme
marque de l'infinitif dans la représentation de base peut se reconnaître en considé
rant les autres groupes de verbe où l'infinitif |r| est toujours présent, ainsi : finir
/finir/, vouloir /vulwar/, vendre /vâdr/.
52
remarque que les formes ne sont pas seulement des exceptions inexpli
cables à une tendance plus ou moins générale. Dans presque tous les cas
la suppression de la liquide ou de la glide est attribuable au caractère
phonétique de la voyelle précédente. Ainsi, il n'est pas nécessaire d'ajouter
à la règle de troncation des restrictions supplémentaires, mais de requérir
seulement une série de règles spéciales qui convertissent |ij| en /i/, |ul|
en /u/, et |sr| en /e/.
22. « Words which have preserved a liaison form are generally words which occur
in close grammatical relationship with the following word, or words for which liaison
performs a special function, e. g. indicates the plural, expresses a change of meaning.
Thus it is not surprising to find that many of them are adjectives which can precede
nouns, pronouns, adverbs of degree, prepositions, verbs of very common use, plural
nouns. » (Armstrong, The Phonetics of French, p. 161.)
23. « La liaison ne se fait jamais après la consonne finale d'un nom au singul
ier... » (Grevisse, Le bon usage, p. 60.) « Des expressions comme ' le sang-humain, le
respec(t)-humain ' sont livresques. » (Grammont, Traité pratique de prononciation
française, p. 132.) Des formes telles que Champs-Elysées, accent-aigu sont probablement
mieux envisagées comme mots composés similaires à pied-à-terre, cerf-volant, etc.
(voir note 17).
24. La linguistique américaine post-bloomfieldienne — avec son insistance sur
la séparation stricte des niveaux — ne permettait pas de recourir à des informations
d'ordre syntactique sur le plan phonologique. Les grammairiens traditionnels, d'un autre
côté, se sont appuyés sur des informations d'ordre syntactique pour décrire les proces
sus phonologiques (par exemple, le traitement de la liaison en français). En fait, le sys
tème complexe de l'élision et de la liaison est sans doute un des exemples les plus clairs
de la nécessité de tenir compte de l'analyse syntactique des constituants en jeu pour
décrire d'une façon simple certains phénomènes phonologiques. Sur la relation entre
les composantes syntactique et phonologique d'une grammaire generative, voir
Chomsky, « Current Issues in Linguistic Theory » et Aspects of the Theory of Syntax, et
Postal, Aspects of Phonological Theory.
53
que ces deux syntagmes nominaux ont des analyses syntaxiques diff
érentes :
Ce qui est ici important phonologiquement, c'est que, lorsque savant est
un nom, sa consonne finale est supprimée, quoique le mot suivant com
mence par une voyelle.
Jusqu'ici nous avons proposé deux règles de suppression — la règle
de truncation et celle de suppression de la consonne finale. Est-ce que l'une
de ces deux règles pourrait justifier l'absence de la consonne finale dans
le cas où savant est un nom? La règle de truncation ne pourrait pas rendre
compte de la suppression de t dans savant /anglais puisque cette règle
énonce qu'une consonne peut être supprimée lorsque le segment suivant
est soit une consonne, soit une liquide. Puisque anglais commence par une
voyelle la condition d'environnement requise n'est tout simplement pas
remplie. La règle de suppression d'une consonne finale fait qu'une consonne
est supprimée chaque fois qu'elle se trouve en position finale de syntagme
ou en position finale d'énoncé. Cette suppression ne dépend pas de la
nature phonologique d'un quelconque des segments suivants. Si nous
étendons l'application de cette règle de façon à l'appliquer à tous les noms
singuliers aussi bien qu'aux mots qui viennent en position finale de syn
tagme, et si nous la limitons de façon à ne pas l'appliquer aux adjectifs,
nous pouvons alors rendre compte des formes indiquées ci-dessus. Ainsi,
lorsque savant anglais possède la structure nom-adjectif, la consonne finale
de savant sera supprimée. D'un autre côté, quand cette locution offre la
structure adjectif-nom, la consonne finale de savant ne sera pas supprimée.
Cependant, quelle que soit la structure de constituants, la consonne
finale d'anglais sera supprimée, que le mot soit un adjectif ou un nom,
puisque dans les deux cas elle se rencontre en position finale de syntagme,
et que, dans cet environnement, toutes les consonnes finales sont sup
primées 25.
Dans certaines constructions syntaxiques, la liaison est facultative,
sa présence ou son absence étant généralement un facteur de style 26. Par
25. Toutes les consonnes sont supprimées en position finale de syntagme à moins
que la forme n'ait été indiquée comme une exception à la règle de suppression de la
consonne finale (voir note 18). Que le mot anglais doive en fait se terminer par une
consonne dans sa représentation de base peut être constaté en considérant la forme
féminine, anglaise /âglez/.
26. Il existe des environnements grammaticaux dans lesquels la liaison est obli
gatoire, d'autres où elle est interdite, et d'autres encore où elle est facultative. La
liaison facultative est souvent une question de style. « La liaison dépend du style.
t
54
Elle se fait d'autant moins que le style est plus familier. On peut distinguer au moins
quatre styles :
1. la conversation familière,
2. la conversation soignée,
3. la conférence,
4. la récitation des vers.
Dans la conversation familière, on ne fait pas ou presque pas de liaisons facultatives :
Des-hommes/i lustres /ont /attendu. Dans la conversation soignée, on en fait une petite
proportion : Des-hommes /illustres /ont-attendu. Dans la conférence, on en fait la
majorité : Des-hommes-illustres /ont-attendu. Dans la récitation des vers, on les fait
toutes : Des-hommes-illustres-ont-attendu. » (Delattre, Principes de phonétique fran
çaise, pp. 26-27.)
27. La règle de suppression de la consonne finale doit être bien sûr développée
davantage pour rendre compte de tous les autres cas où, dans des environnements syn-
tactiques spéciaux, la liaison est soit interdite soit facultative. Puisque ce n'est pas le
but de cette étude d'examiner à fond les cas de liaison obligatoires, facultatifs, ou
interdits, nos exemples servent plutôt à illustrer la façon dont les contraintes syntac-
tiques imposées à la liaison seraient traitées en phonologie generative. Le problème des
conditions syntactiques de la liaison n'est en aucune façon un problème simple. Il
nous suffit de consulter des ouvrages tels que ceux de Fouché ou de Grammont pour
nous rendre compte de la complexité de la situation. De plus, la quantité de données
présentées n'est pas toujours uniforme d'un auteur à un autre. Non seulement il existe
une multitude compliquée de facteurs phonologiques, morphologiques et syntactiques
entrant en jeu, mais le problème est compliqué encore davantage par des considérations
de style, de dialecte et d'euphonie.
55
a) Syntagme nominal
28. Pour les règles cycliques en phonologie, voir Chomsky, The Logical Basis of
Linguistic Theory; Chomsky et Miller, « Introduction to the Formal Analysis of
Natural Languages »; Chomsky et Halle, Sound Patterns of English.
57
4. Conclusion.
Des suites d'éléments groupés d'une manière adéquate et séparés
par des junctures, constituent la « forme d'entrée » de la composante
phonologique de la grammaire. Ces suites sont alors soumises à des séries
de règles, dont certaines sont appliquées plus d'une fois. La réapplication
cyclique d'un petit nombre de règles simplifie considérablement la des
cription des processus phonologiques. En adoptant cette technique, nous
avons montré que le système complexe de l' élision et de la liaison, qui
existe entre les mots du français parlé, peut être caractérisé d'une manière
concise. La règle de troncation et celle de suppression de la consonne finale,
qui fonctionnent toutes deux à l'intérieur du cycle et suppriment les
segments dans certains environnements phonologiques et syntaxiques
déterminables d'une manière simple, rendent compte de l'interaction
compliquée de l' élision et de la liaison. La règle de troncation explique
aussi certains des processus morphophonologiques qui prennent place à
l'intérieur du mot.
Nous avons représenté un morphème donné par une seule représen
tation phonologique de façon que partout dans le paradigme le même
morphème présente toujours la même forme phonologique. Les variantes
de morphème sont dérivées de la représentation de base au moyen d'une
série ordonnée de règles phonologiques. De cette façon, la représentation
de base met à jour une régularité de structure qui n'est pas toujours
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BIBLIOGRAPHIE