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La traduction chez les Arabes

Aperçu historique
La traduction sous les Omeyyades
La traduction, chez les Arabes, a commencé à l'époque omeyyade, bien qu'ils
soient occupés par les conquêtes. La majorité des livres traduits en ce moment-là
concernaient la chimie, sous l'impulsion de l'émir Khaled Ben Yazid Ben Muawya.
Intéressé par la recherche et non par la politique, l'émir a chargé de cette mission des
philosophes grecs vivant en Egypte et maîtrisant l'arabe. Les œuvres originales
avaient été rédigées en grec ou en copte.

Un peu plus tard, Massarjawayh, médecin de Basra, a été le premier à traduire


un livre de médecine en arabe. L'original avait été écrit en syriaque. Par ailleurs,
Yakoub Ar-Rahawi a traduit beaucoup de livres théologiques du grec en arabe.

D'autre part, Al-Hajjaj, gouverneur d'Irak, a demandé à Saleh Ben Abd Ar-
Rahman de traduire les documents administratifs du persan en arabe. Le traducteur a
accompli la mission, quoique les persans lui aient proposé 100 mille dirhams pour le
dissuader. Parallèlement, le khalife Abd Al-Malik Ben Marwan a chargé Abou Thabet
Sulaiman Ben Saad de traduire les documents administratifs en Syrie du latin en
arabe. Ainsi, ce dernier est devenu la langue administrative dans le large Etat arabo-
musulman, de quoi démentir les sceptiques qui avaient longtemps mis en doute sa
capacité à assumer cette tâche très importante.

La traduction sous les Abbasides


La traduction a atteint son apogée à l'époque des Abbasides pour plusieurs
raisons :

 connaissant la stabilité après de longues années de conquêtes, les


Arabes se sont mis à s'intéresser à la philosophie et à la recherche

 un large débat théologique opposait musulmans et non-musulmans et


il existait même entre plusieurs courants intellectuels islamiques, de
quoi pousser les musulmans à traduire la philosophie grecque
généralement et Aristote particulièrement pour y puiser des
arguments dans le débat.
Le Khalife Al-Mansour a créé toute une agence de traduction pour faire
traduire des livres spécialisés dans différents domaines. Georigis Ben Gébraïl,
médecin d'Al-Mansour, lui a traduit beaucoup de livres grecs. Le khalife Ar-Rachid a
élargi l'agence de traduction. A son époque, beaucoup de livres grecs ont été traduits
en arabe, surtout en astronomie.

Or, l'âge d'or de la traduction sous les Abbasides a été à l'époque du khalife
Al-Mamoun. Celui-ci s'est intéressé surtout à la traduction de livres philosophiques. Il
a d'ailleurs créé La Maison de la Sagesse, qui était à la fois une académie de sciences,
un observatoire et une bibliothèque. Al-Mamoun y a en outre installé des traducteurs
payés par l'Etat. Commandant énormément de livres spécialisés grecs dans ses
correspondances avec les Romains, il chargeait les traducteurs de les faire passer en
arabe. Notons que la philosophie n'était pas le seul domaine qui intéresse les
traducteurs abbasides sous Al-Mamoun, mais il y avait également la géométrie, la
médecine, la musique, l'astronomie et les mathématiques. D'autres mécènes,
courtisans ou riches, ont pris Al-Mamoun pour exemple en commandant d'anciens
chefs-d'œuvre spécialisés dans l'empire romain ou en Asie Mineure pour les soumettre
à des traducteurs, qu'ils récompensaient généreusement.

Le plus important traducteur à l'époque était Hunain Ben Ishaq qui travaillait
également comme médecin. Il a traduit du grec en syriaque 95 livres, dont il a
retraduit en arabe 39. Il a en outre révisé et consolidé des dizaines de livres traduits
par les autres. De plus, il a formé toute une génération de traducteurs, dont son propre
fils Ishaq Ben Hunain. Il y a par ailleurs Thabet Ben Qurra qui a traduit en arabe
énormément de livres grecs dans les domaines de l'astronomie, des mathématiques et
de la médecine. Notons que la plupart des traducteurs à l'époque étaient syriaques, vu
l'importance particulière accordée par cette communauté à la recherche, notamment
en théologie et en philosophie. Nous signalons que la traduction chez les Syriaques
avait commencé dès avant l'islam : ils avaient traduit vers leur propre langue des
livres philosophiques grecs, persans et indiens. Ils ont plus tard interagi avec le
mouvement de traduction chez les Arabes.

Cette immense vague de traduction à l'époque abbaside a entraîné la création


de très nombreux termes spécialisés servant à désigner les nouveaux concepts
indiqués dans les textes originaux. Des milliers de ces termes ont été d'origine arabe,
alors que des centaines ont été empruntés à des langues étrangères. Citons en
philosophie les exemples suivants :

، ‫ ان لِدر‬،‫ انود جج لاناد َر‬،‫ ان د ل لانِددلو‬،‫ ان لِهدح لانًِهد ل‬،،ٌ‫ انحدد‬،‫ انمدٌى‬،‫ األتد‬،‫ األزل‬،‫انفهطفح‬
.‫انخ‬..‫ انمٍاش لاالضتُتاج‬،ً‫ انكهً لاناسئ‬،‫انً ض ع لانًحً ل‬

En médecine, de nouveaux termes arabes ont été créés, comme :

‫ اخ ل‬،‫ االضتطدماذ‬، ‫ انرتد‬،‫ ان ُذ لِتحدح‬،‫ انخاَ ق‬،ٌ‫ انطرطا‬،‫ انكحانح‬،‫ انتشرٌح‬،‫اناراحح‬


،‫ انثل اضدٍر‬،‫اناُدة‬
.‫انخ‬..‫ انثلرضاو‬،‫ انمُ نلُج‬،‫انتلرٌاق‬

D'autres nouveaux termes ont désigné des plantes, citons-en :

،ٌ‫ انثا ل َاددا‬،‫ ان لخٍدداج‬،‫ نطدداٌ انكهددة‬،‫ َددن ان لِاددم‬،‫ اٌ ان لُِددس‬،‫ ألرٍددر األج ددم‬،‫ اٌ انفدديج‬،‫نطدداٌ انر د ج‬
.‫انخ‬..ٍ‫ ان َّط لض‬،‫ انه تٍاذ‬،‫ األلالٍا‬،‫ األُت ُر ّج‬،ٌ ًٍ‫ انه‬،‫ انثات َلج‬،‫ان لًمدلَلص‬

De nouveaux termes ont également été connus en mathématiques, comme :

.‫انخ‬..‫ ان لًًاش‬،‫ اناٍة‬،‫ انًخرلط‬،‫ انًرتع‬،،‫ انًره‬،‫ انمطر‬،‫اندائرج‬

La majorité de ces nouveaux termes ont été créés par Hunain Ben Ishaq :
contrairement à ses prédécesseurs qui empruntaient les termes grecs tels quels, Ben
Ishaq et ses disciples suivaient les manières suivantes :

 donner une nouvelle signification à un mot arabe qui existait déjà


(‫)تح ٌر انًُِى انهغ ي األصهً نهكهًح انِرتٍح‬

 dériver un nouveau terme d'un mot arabe qui existait déjà (‫)االشتماق‬

 traduire un terme étranger selon la signification (‫)انتر ًح‬

Ainsi, les traducteurs arabes ont ressuscité le savoir des anciennes civilisations
(grecque, persane, indienne…), favorisant la créativité dans différents domaines sous
les Abbasides : la physique, l'optique, la géographie, la chimie, les mathématiques,
l'astronomie, l'agriculture, la médecine, l'histoire, l'architecture… Bref, toute une
civilisation arabe s'est développée, avec la traduction pour point de départ.

La traduction chez les Arabes sous An-Nahda

La traduction spécialisée chez les Arabes sous An-Nahda


Le mouvement de traduction a continué chez les Abbasides après Al-Mamoun.
Or, moins les Arabes étaient forts, moins ils s'intéressaient à la recherche et, par la
suite, à la traduction. Petit à petit, ce sont les Européens qui se servaient de la
traduction pour profiter du patrimoine arabe, que ce soit pendant les Croisades, en
Sicile ou surtout à Tolède en Andalousie. Se basant sur les chefs-d'œuvre arabes
traduits, les Européens ont développé leurs propres civilisations. Ils ont emprunté au
passage des centaines de termes arabes, comme :

‫ انشدداظ‬،)coton ٍ‫ انمُطدد‬،‫ انترٌدداق‬، ‫ ان لًط د‬،)manne ٍ‫ ان لًدد‬،‫ ان ًُدد ّر‬،)safran ٌ‫ انسرفددرا‬،‫انكددار ج‬


.‫انخ‬..‫ انتًر انهُدي‬،‫انغسي‬

En revanche, les Arabes ont connu une véritable renaissance (An-Nahda) au


début du XIXe siècle, sous l'impulsion de Mohamad Ali qui voulait créer un Etat
moderne à l'instar de la France. Voilà pourquoi il envoyait énormément de boursiers
étudier en France. Ils étaient en outre censés traduire des livres du français en arabe et
envoyer les traductions en Egypte. Ils devaient même continuer à traduire du français
en arabe après leur retour en Egypte. C'est ainsi que Mohamad Ali a pu créer des
écoles militaires, une école de médecine, une école de vétérinaires, des écoles
d'architecture, d'agronomie, d'industrie, d'arts, de traduction et d'administration.
Notons que l'enseignement dans ces établissements a été en arabe jusqu'à l'occupation
anglaise en 1882 où l'anglais a remplacé l'arabe aux facultés scientifiques.

Parmi les principaux traducteurs de l'époque, il y avait le chirurgien Mohamad


Ali Al-Baqqal, Mohamad Al-Chafii, Ali Riyad et Rifaa At-Tahtawi (médecine) ;
Mohamad Nada (zoologie et botanique) ; Mohamad Al-Falaki et Mohamad Al-
Bayoumi (astronomie, géométrie, mathématiques). Ces traducteurs se sont basés sur
les anciens termes arabes : ils en ont maintenu une partie, et ils ont modifié ou
remplacé une autre partie.

Ce nouveau mouvement de traduction vers l'arabe s'est étendu à Beyrouth à la


fin du XIXe siècle : l'Université Américaine de Beyrouth a choisi l'arabe pour langue
d'enseignement, ce qui a entraîné la traduction de plusieurs livres. Or, l'anglais n'a pas
tardé à devenir la langue d'étude à l'Université Américaine de Beyrouth. En revanche,
on a créé la Faculté de Médecine à Damas à la fin de 1919. Les professeurs de cette
faculté se sont engagés à enseigner en arabe. Voilà pourquoi ils ont traduit des livres
et créé de nouveaux termes spécialisés. Pour ce faire, ils se sont référés aux anciennes
œuvres médicales arabes d'Avicenne et d'Ibn Al-Bitar, aux livres de médecine arabes
publiés en Egypte sous An-Nahda et à l'Université Américaine de Beyrouth. De plus,
ils ont mis à la fin de chaque livre une annexe comprenant des termes en français avec
leur traduction arabe. Parmi les plus importants traducteurs syriens qui ont traduit
pour la Faculté de Médecine à Damas, il y a Murched Khater, Ahmad Hamdi Al-
Khayyat, Mohamad Salah Ad-Dine Al-Kawakibi et Husni Sabah.

Nous soulignons que la Faculté de Médecine à Damas a frayé le chemin


d'enseigner en arabe devant les autres établissements universitaires scientifiques ou
humains en Syrie, de quoi encourager la traduction dans le pays. Concernant les
autres pays arabes, la colonisation franco-anglaise, précédée par une très longue
occupation ottomane, a éclipsé l'arabe comme langue d'enseignement. Pourtant, les
pays arabes essayent, depuis leur indépendance au milieu du XXe siècle, d'arabiser
l'enseignement scolaire et universitaire. La Syrie et l'Egypte les aident toujours dans
ce sens en envoyant des enseignants d'arabe et en recevant des apprenants qui partent
perfectionner leur langue maternelle dans les établissements scolaires syriens ou
égyptiens.

Parmi les nouveaux termes créés en arabe dans le sillage du mouvement de


traduction contemporain, il y a :

،‫ انَُّددد اج‬،‫ انرشددداظ‬،‫ اندتاتدددح‬،‫ انغ اصدددح‬،‫ انحددد ي‬،‫ انهل نلدددة‬،،ِ‫ددْ ل‬
‫ ان لًمد ل‬،‫ ان لحطددداذ‬،‫ ان لً لاهدددح‬،‫اند ّجا دددح‬
.‫انخ‬..‫ان لكه لرب‬

Beaucoup de dictionnaires généraux ou spécialisés ont été publiés pour


diffuser les nouveaux termes arabes, comme :

،)،‫ يحًدد شدر‬.‫ يِادى انِهد و انطثٍدح لانطثٍٍِدح ل‬،)ً‫ررتد‬-‫ انً جل إَكهٍسي‬،)ً‫ررت‬-ً‫انًُهم ررَط‬
‫ انًِاددى انِطددكري‬،)ً‫ يِاددى األنفدداز انسجارٍّددح األيٍددر يوددطفى انشددهات‬،)‫ حًددد رٍطددى‬.‫يِاددى ضددًاذ انُثدداخ ل‬
.‫انخ‬..)‫ح انً جتٍٍِ نن يوطهح‬

Il faut également mettre l'accent sur les efforts déployés par les académies
arabes. En effet, l'Académie Arabe de Damas, fondée en 1919, œuvre toujours pour
collecter les manuscrits précieux, réviser les livres et les termes et publier des
recherches linguistiques dans sa propre revue. Notons que l'Académie Arabe de
Damas est la principale référence terminologique en Syrie. En 1981, le président
Hafez Al-Assad a décrété la création de l'Encyclopédie Arabe. Directement dirigée
par le palais républicain, elle cherche à rassembler les patrimoines arabe et humain et
les présenter au lectorat arabe non-spécialiste avec une langue encyclopédique. Elle
comprend des dizaines de volumes dans les différents domaines (littérature, sciences
humaines, politique, économie, arts, journalisme, sport…). Une quantité colossale de
termes arabisés y est présentée. En 1932, l'Académie Arabe du Caire a vu le jour, se
fixant pour objectifs la préservation de la langue arabe et la rendre capable de
répondre aux besoins scientifiques et artistiques. Voilà pourquoi elle a mis des règles
facilitant la création des termes. De plus, l'Académie Arabe du Caire a créé des
centaines de termes tout en révisant des néologismes faits par les autres. En outre, elle
a publié ٍ‫ انًِادى ان ضد‬et un dictionnaire dédié aux termes coraniques. Elle possède par
ailleurs une revue où l'on peut lire des recherches très importantes. En 1947,
l'Académie Arabe de Bagdad a été fondée à son tour. Elle n'a jamais cessé de
travailler à soigner la langue arabe afin qu'elle réponde aux besoins des sciences, arts
et vie contemporaine. Cet établissement publie également une revue scientifique et
linguistique. Amman a eu aussi sa propre académie arabe en 1976, qui agit avec
enthousiasme et efficacité. Notons que ces quatre académies se sont rassemblées dans
une union censée coordonner leurs différentes activités.

D'autre part, les pays arabes ont fondé en 1961 le Bureau permanent
d'arabisation (B.P.A.) – ‫يكتدة تُطدٍك انتِرٌدة‬. Siégeant à Rabat, le B.P.A. appartient à
l'ALESCO (l'Organisation arabe pour l'éducation, la culture et les sciences). Son
objectif est de coordonner l'arabisation des termes spécialisés. Voilà pourquoi il a
organisé plusieurs conférences où l'on a adopté des dictionnaires pédagogiques dans
les domaines suivants : mathématiques, physique, chimie, géologie, zoologie,
botanique, géographie, histoire, astronomie, santé, électricité, menuiserie,
architecture, commerce, comptabilité, mécanique, production, pétrole et calculatrices.
Le B.P.A. continue à publier ses différents dictionnaires ainsi que sa célèbre revue
ًّ ‫انهطاٌ انِرت‬.

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