idées L’art doit-il

MAGAZINE
REN ZHENGFEI, LE CHEF 
DE GUERRE DE HUAWEI être moral ? PAGE S 2 8 -2 9

UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,

EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

WEEK-END
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019 - 75E ANNÉE - N O 23251 - 4,50 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Goulard : l’affront fait à Macron par les eurodéputés
▶ Le Parlement européen ▶ Les eurodéputés ont ▶ Mme Goulard a aussi subi ▶ Ce vote est un camouflet ▶ La France étudie
a rejeté à une large sanctionné la candidate la fronde des conserva­ pour Emmanuel Macron, de nouveaux noms
majorité la nomination en raison d’une affaire teurs du PPE, conduite par qui avait pesé de tout son à soumettre à la prési­
de la Française Sylvie Gou­ d’emplois fictifs en France Manfred Weber, dépité poids en faveur de la can­ dente de la Commission,
lard comme commissaire et d’une mission rémuné­ de n’avoir pas été nommé didate et se voit reprocher Ursula von der Leyen
au marché intérieur rée effectuée à Bruxelles à la tête de la Commission une forme d’arrogance PAG E 4

Environnement
La Méditerranée 
AVEC LES KURDES DE SYRIE  se réchauffe à 
vitesse accélérée

 SOUS LES BOMBES  TURQUES  Le changement
climatique menace les
500 millions d’habitants
qui vivent sur ses rives
PAGE 7

1
▶ L’armée turque ▶ A Kamechliyé, ▶ Alors qu’Erdo­
et ses alliés notre envoyé gan reste sourd
D É B AT S
Hamit Bozarslan
Social
syriens poursui­ spécial Allan Kaval aux appels revient sur la trahison
de Trump, Ahmet
ÉDITORIAL Les « Michelin » 
vaient leur pro­ raconte la détresse des Occidentaux,
gression, vendredi de la population le Conseil de sé­ Insel sur la fuite KURDES :  de La Roche­
en avant d’Erdogan. LA HONTE 
11 octobre,
appuyés par des
kurde et sa colère
d’avoir été
curité de l’ONU
tente de parvenir
L’appel à la mobilisa­ ET LA GUERRE
sur­Yon sonnés
tion de Bernard­
bombardements abandonnée à une résolution Henri Lévy PAG E 3 2 La fermeture de l’usine
meurtriers par les Etats­Unis PAGE S 2- 3 PAGE 30
de pneumatiques qui em­
ploie 619 salariés a provo­
qué stupéfaction et colère
PAG E 1 4

Universités Enquête Francis Ford Coppola, Automobile

Fin de partie
La gratuité des  la vie rêvée de l’empereur du vin pour le directeur
droits entérinée  général, Thierry
Bolloré, à la tête
par le Conseil  de Renault
constitutionnel PAGE 15

La décision du gouverne­
ment d’augmenter les Nouvelle­Calédonie
droits pour les étudiants Les partis locaux
étrangers extracommu­ s’accordent sur
nautaires a été invalidée
PAGE 12
un calendrier
PAGE 11

Littérature Gare du Nord

Le Nobel Avis favorable
de Peter Handke  des autorités pour
le projet contesté
critiqué PAGE 18
Francis Ford Coppola et sa petite­fille Gia Coppola,
La récompense de l’écri­ en juillet 2014, en Californie. JASON KEMPIN/GETTY/AFP
vain autrichien, couronné Droite
au titre du Nobel 2019, le cinéaste américain Francis
Ford Coppola, qui s’apprête à re­
12 millions de bouteilles produi­
tes chaque année. « Je ne suis pas
Les Républicains
fait polémique en raison
de ses anciennes prises cevoir le prix Lumière, à Lyon, a riche. Je suis immensément riche », en quête d’un chef
entamé le deuxième acte de sa s’amuse le réalisateur qui se di­
de position pro­Serbes carrière en faisant fortune grâce à versifie aussi dans le cannabis.
et d’un avenir
PAGE 23 son vignoble californien et ses PAGE 22 PAGES 8-9
Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 4,70 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 4,70 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA
 INTERNATIONAL
0123
2| SAMEDI 12 OCTOBRE 2019

L A  GUERRE  EN  SYRIE

« Erdogan ! 
Qu’est­ce qu’ils t’ont 
fait, ces enfants ? »
L’offensive turque dans le Nord­Est syrien a fait
au moins 56 morts, dont 10 civils, et 70 000 déplacés.
A Kamechliyé, les Kurdes crient à la « trahison » américaine

REPORTAGE fensive terrestre lancée la veille en plu­

sieurs points de la frontière contre les vas­
kamechliyé (syrie) ­ envoyé spécial
tes territoires tenus par les Forces démocra­

L
e jour décline tôt, l’automne, tiques syriennes (FDS), à dominante kurde
dans l’est de la Syrie. Dans les fau­ et alliées depuis 2014 à la coalition interna­
bourgs poussiéreux de Ka­ tionale en lutte contre l’organisation Etat is­
mechliyé, la plus grande ville lamique (EI).
kurde du pays, la nuit s’est an­ Autour de Tall Abyad et de Ras Al­Aïn, les
noncée au milieu de l’après­ forces turques alliées à des rebelles syriens
midi. Et avec elle, une menace insidieuse, ont conquis onze villages, selon l’Observa­
bruyante mais invisible. toire syrien des droits de l’homme (OSDH).
Jeudi 10 octobre, dans le quartier d’Ante­ L’offensive a poussé près de 70 000 person­
rieh, les premiers échos de la guerre se sont nes à l’exode, selon l’organisation qui a dé­
fait entendre vers 15 heures. D’abord un bruit nombré au moins 56 morts, dont 10 civils,
sourd qui retentit, venu du nord, de la Tur­ dans les frappes aériennes et les tirs d’artille­
quie toute proche. Une munition vient d’être rie de l’armée turque depuis mercredi. Les
tirée. Les rares passants, dont les ombres s’al­ autorités turques ont, elles, annoncé la mort
longent sur des rideaux métalliques tirés de 6 civils et plusieurs dizaines de blessés
prématurément, restent suspendus un mo­ par des roquettes kurdes tirées sur des villes
ment, semblant compter les secondes avant frontalières en Turquie. LE DOCTEUR FOUAD  droit. « Je me suis fait ça en Turquie, quand je
l’impact. La munition est tombée. Un adoles­
cent convertit son sursaut naissant en un LES « DEMI-VÉRITÉS » DES RÉSEAUX SOCIAUX ELIAS A LES MAINS  Che, c’est le symbole de la liberté ! De la paix
bref fou rire. Pas très loin. Pas trop près. On A Kamechliyé, pour peu qu’on puisse se his­
est encore en vie. ser sur le toit d’un immeuble, on verrait HUMIDES. IL VIENT  boutique de maquillage, Hazni dit être res­
L’armée turque reprend ses tirs d’artille­ peut­être le territoire turc. Mais à hauteur de
rie sporadiques sur la ville, prolongeant l’of­ rue, l’ennemi est invisible.
D’AMPUTER LA JAMBE  Aucun homme en uniforme n’est visible.
Au croisement de deux ruelles aux maisons EN LAMBEAUX D’UNE  « C’est comme au début de la révolution ! Les
basses, le silence, entre deux frappes, est
ponctué de quelques éclats de voix. Un FILLETTE DE 5 ANS.  des armes », raconte­t­il.
groupe d’une dizaine de jeunes hommes aux
TURQUIE coiffures étudiées tient l’angle des deux rues. SON FRÈRE DE 9 ANS  ques défaites et de grandes victoires, ce se­
Kamechliyé Chaises en plastique, cigarettes, pistolet dans EST ARRIVÉ MORT  rait donc, pour les Kurdes, le retour à l’incer­
Gaziantep le pantalon. « On a combattu Daech, on ne va
Tall Abyad
pas avoir peur des Turcs ! », clame l’un d’entre À LA CLINIQUE
Ras Al-Aïn eux, Kanaa, plus fort en gueule que les autres.
Il montre sa cheville déformée, dit avoir été
Alep Rakka blessé en 2017 à Rakka alors qu’il combattait
dans les rangs des FDS pour reprendre la capi­
SYRIE IRAK tale du « califat » autoproclamé de l’EI. Ses voi­
Zone de TURQUIE sins approuvent. Il poursuit : « Les Américains
peuplement nous ont trahis… On s’est battus et on est morts
kurde pour eux. On n’en revient toujours pas… »
SYRIE Femmes et enfants de ce quartier périphéri­
50 km
que et populaire ont été envoyés dans les vil­
La Russie prête à profiter du « lâchage » des Kurdes par les Etats-Unis
en se proposant comme médiateur dans la toire contrôlé par ce dernier. Les derniers dévelop­
crise, Moscou espère renforcer sa position domi­ pements dans le nord du pays pourraient offrir là
nante dans le dossier syrien. « Nous allons désor­ aussi une fenêtre d’opportunité. Moscou n’a ja­
mais défendre la nécessité d’établir un dialogue en­ mais rompu le contact avec les groupes kurdes, es­
tre la Turquie et la Syrie », a affirmé jeudi 10 octobre sayant de les convaincre d’accepter une tutelle de
Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères Damas. La méfiance des Kurdes et l’intransigeance
russe, tout en disant « comprendre l’inquiétude de de Damas quant au degré de souveraineté accordé
la Turquie concernant la sécurité de ses frontières ». aux zones kurdes ont jusque­là fait échec à ce pro­
Dans un premier temps, Moscou s’était contenté jet, mais la pression mise par l’offensive turque
de timides appels à la retenue, M. Poutine con­ pourrait changer la donne. Sergueï Lavrov a ainsi
seillant notamment à son homologue turc, Recep affirmé, jeudi, vouloir établir des contacts entre
Tayyip Erdogan, de « bien réfléchir », lors d’un en­ Damas et les organisations kurdes.
tretien téléphonique mercredi.
« La situation actuelle a tout pour renforcer Mos­ Les risques d’une déstabilisation rapide
cou, assure Alexandre Choumiline, directeur du « Les Kurdes sont pour Moscou une variable d’ajuste­
Centre d’études sur le Moyen­Orient de l’Académie ment utile, comme ils le sont pour Washington, es­
des sciences de Russie. La Russie sait tirer parti des er­ time encore M. Choumiline. Et, dans la situation ac­
reurs des autres et prendre les espaces laissés vides, tuelle, Moscou est prêt à les abandonner face à des in­
comme en 2013 après la décision d’Obama de ne pas térêts supérieurs. Ce fut déjà le cas début 2018 à Afrin,
frapper Damas [en dépit des “lignes rouges” fixées quand les forces russes ont laissé les YPG dans la ville
par les Etats­Unis]. Aujourd’hui, Washington est à face à l’opération turque “Bouclier de l’Euphrate”. »
nouveau en retrait et en position de faiblesse. Quant à Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue
la Turquie, elle va se retrouver de plus en plus isolée. » Russia in Global Affairs, estime aussi que la Russie
Quand bien même les intérêts d’Ankara et de Mos­ pourrait tenter de profiter de la situation pour « ac­
cou sont divergents sur la Syrie et leurs relations croître son activité » à Idlib, principale région dans le
fluctuantes, la Russie peut ainsi se réjouir de voir une nord­ouest de la Syrie dont le contrôle échappe en­
nouvelle faille se creuser entre Turcs et Américains, core à Damas. Moscou pourrait ainsi laisser Ankara
alliés au sein de l’OTAN. La décision turque de se mu­ constituer une zone tampon dans le nord de la Syrie,
nir du système de défense aérienne russe S­400 avait mais reprendre « en échange » la main sur les opéra­
déjà provoqué une crise entre les deux pays, à l’été. tions de reprise d’Idlib, au côté de l’armée syrienne.
La priorité russe reste toutefois de protéger son M. Loukianov, observateur réputé proche du
allié Bachar Al­Assad, à Damas, et d’étendre le terri­ Kremlin, pointe toutefois les dangers que fait planer
lages des environs, que l’on dit plus sûrs. Eux
montent la garde et le jurent : ils ne céderont
pas leurs positions avant la dernière balle.
Chevauchant un scooter, un trentenaire
corpulent, sourire aux lèvres, roule lente­
ment. Maillot rouge, kalachnikov à l’épaule
gauche, tatouage à l’effigie du Che au bras
travaillais dans le bâtiment, à Iskenderun. Le
aussi », dit­il en souriant. Propriétaire d’une
ponsable de la sécurité de son quartier.
premières forces kurdes, c’était des civils avec
Après huit années de lutte, de morts, quel­
titude, aux zones grises où la vie quoti­
dienne et la guerre se mélangent.
Hazni dit que ce soir il ira au front. Le front ?
Où ça ? Il ne sait pas vraiment. Le front, la
frontière, l’immensité voisine de la Turquie
ennemie. Tout se confond dans la brume des
rumeurs alimentées par le bourdonnement
de Twitter, de WhatsApp et de Facebook. Tou­
tes les paires d’yeux du Nord­Est syrien sem­
blent rivées sur les écrans fluorescents des
téléphones avec leurs demi­vérités, leurs
images de corps martyrisés, de rues en flam­
pour Moscou une déstabilisation brutale du nord de
la Syrie. « Ce qui est à craindre, c’est que la situation
échappe à tout contrôle, et que l’opération turque se
transforme en conflit de grande ampleur. C’est aussi
pour cela que la Russie n’a pas intérêt à un retrait total
des Américains, qui créerait un vide trop important. »
Autre danger : que le changement soudain des
équilibres affaiblisse un peu plus les tentatives rus­
ses de résolution du conflit syrien, menées notam­
ment dans le cadre du processus de paix d’Astana,
aux côtés de la Turquie et de l’Iran, qui a pour sa part
appelé à une « cessation immédiate des attaques et
d’un retrait des unités militaires turques déployées
sur le territoire de la Syrie ». Après des mois de négo­
ciations, Moscou a obtenu en septembre, sous
l’égide de l’ONU, un accord sur la formation d’un Co­
mité constitutionnel, censé servir d’instance de dia­
logue entre Damas et l’opposition syrienne.
Renforcée par les atermoiements américains, la
Russie se voit donc obligée de suivre une ligne de
crête étroite pour espérer tirer profit de la situation.
« Moscou tire une grande fierté de sa capacité à parler
à tout le monde au Moyen­Orient – Israéliens comme
Arabes, Iraniens comme Saoudiens… – mais c’est sur­
tout vrai tant que la Russie reste à l’écart, constate Ta­
tiana Kastouéva­Jean, de l’Institut français des rela­
tions internationales. A chaque nouveau développe­
ment sur le terrain, cette position apparaît de plus en
plus intenable. Et la diplomatie russe reconnaît désor­
mais ouvertement qu’elle ne peut pas proposer un rè­
glement du conflit qui satisfasse tous les acteurs. » 
benoît vitkine (moscou, correspondant)
mes, leurs cris de propagande et leurs vrais
mensonges que l’on se répète en fumant des
cigarettes de contrebande. C’est ainsi, dans le
bruit intermittent de frappes aux cibles in­
connues, que la ville sombre dans la peur.
Le long des faubourgs crépusculaires de Ka­
mechliyé, des camions de fabrication asiati­
que roulent trop vite, avec, serrés, sur leur
plate­forme arrière, tout un peuple de voiles
fleuris et de visages enfantins. Il faut quitter
la ville. Des femmes pleurent, sacs en plasti­
que à la main, en quittant leurs foyers. Les
rues sont presque désertes au seuil de la nuit.
« ILS NE CHANGENT PAS, CES OTTOMANS ! »
Dans une artère du centre­ville, un membre
des forces de sécurité regarde disparaître
vers l’ouest une camionnette chargée de
femmes et d’enfants. « Les gens sont ef­
frayés, ils s’enfuient… C’est une guerre de ré­
seaux sociaux, personne ne sait ce qui se
passe, mais tout le monde a peur », résume­
t­il. Dans la ville abandonnée, son détache­
ment en uniforme paraît bien isolé. Daniel
fait signe à des hommes armés de mi­
trailleuses et de lance­roquettes, juchés sur
un toit. C’est justement par les réseaux so­
ciaux qu’un hôpital situé à quelques rues de
là vient de lancer un appel aux donneurs de
sang. Pour des blessés. Ce serait des enfants.
La façade de l’hôpital privé Al­Salam est
baignée d’une lumière blafarde dans la nuit
noire. Dans le hall, des pleurs, des visages in­
terdits. Le docteur Fouad Elias a les mains
humides. Il vient d’amputer la jambe en
lambeaux d’une fillette de 5 ans. Un parent
explique que Sara Youssef se tenait devant la
porte de la maison familiale, dans un quar­
tier arabe de la ville, avec son grand frère de
9 ans quand, vers 15 heures, quelque chose
est tombé du ciel. C’était un obus de mortier.
Le frère est arrivé mort à la clinique. Il a eu la
poitrine arrachée par les shrapnels. Sur un
téléphone portable, on montre une photo­
graphie de l’enfant, ses yeux sans vie, mi­
ouverts sur un ciel de néon.
« Un attentat à la bombe, ça va. On soigne les
blessés, on enterre les morts, et puis c’est fini.
Des frappes, on ne sait pas quand ça va s’arrê­
ter, dit le chirurgien. Les Turcs tuent les Kurdes,
les Arabes, les chrétiens… Ils ne changent pas,
ces Ottomans ! » Comme toutes les vieilles fa­
milles chrétiennes de Kamechliyé, fondatri­
ces de la ville il y a près d’un siècle, celle du
docteur Elias a fui le génocide des chrétiens
syriaques, perpétré en même temps que celui
des Arméniens de l’Empire ottoman, en 1915.
Au premier étage de l’hôpital, des femmes
sont assises ou appuyées au mur, envelop­
pées dans leur voile. Leurs lèvres semblent
former des mots silencieux dans le halo froid
d’un néon. « Erdogan, fils du péché ! Qu’est­ce
qu’ils t’ont fait, ces enfants ? », lance soudaine­
ment l’une d’entre elles. La mère des enfants
sanglote à genoux au pied d’un grand lit d’hô­
pital, le visage blotti contre la main de sa fille
au petit corps amputé, et qui dort, paupières
remuantes, sous une couverture à fleurs. 
allan kaval
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019 international | 3

Donald Trump se déchaîne contre

les démocrates à Minneapolis
Le président, en meeting, a attaqué la presse et le fils du candidat Joe Biden

A Kamechliyé, minneapolis ­ envoyé spécial mocrates se sont embarqués dans Ilhan Omar « est l’une des raisons Sans attendre les attaques du pré­
jeudi une croisade pour détruire notre pour lesquelles nous gagnerons le sident, Michele et Keith Jansen ont

B
10 octobre. ousculé à Washington
XINHUA/MAXPPP par une procédure de
mise en accusation (im­
peachment) de la Cham­
bre des représentants, Donald
Trump s’est rendu à Minneapolis
pour renouer avec sa base électo­
rale, jeudi 10 octobre. Il s’agissait
du premier meeting depuis qu’a
éclaté l’affaire ukrainienne. Elle a
été révélée par un lanceur d’alerte
après une conversation du prési­
dent des Etats­Unis avec son ho­
mologue ukrainien, Volodymyr
Zelensky, au cours de laquelle le
premier avait demandé au second
d’enquêter sur Hunter Biden, le fils
de l’un de ses adversaires politi­
ques, l’ancien vice­président Joe
Biden. M. Trump affirme que sa
conversation a été exemplaire.
Devant une salle presque aussi
conquise que bien remplie,
comme de coutume, le président a
laissé libre cours à son animosité,
comme pour desserrer l’étreinte
de la procédure qui le vise. Il s’en
est pris avec une virulence inéga­
lée à la presse, pourtant régulière­
ment prise à partie lors de ses réu­
nions publiques, comme aux son­
deurs, qualifiés de « tordus », alors
que les enquêtes ont montré un
basculement de l’opinion en fa­
démocratie. Nous ne les laisserons Minnesota » en 2020, a assuré le mis en cause la sincérité des insti­
pas faire », a­t­il ajouté. président. Un peu plus tôt, il avait tuts de sondage. « Je ne dis pas qu’ils
Parmi ses adversaires, une élue affirmé que la procédure de mise font des erreurs, je dis qu’ils font ex­
du Minnesota a eu droit à un trai­ en accusation allait entraîner en près de publier les résultats que l’on
tement spécial : Ilhan Omar, née novembre 2020 « un sursaut dans voit », assure Michele, qui peste
en Somalie et qui a grandi dans un les urnes sans équivalent dans no­ contre les républicains qu’elle juge
camp de réfugiés au Kenya avant tre histoire ». L’Etat compte, avec le insuffisamment loyaux par rap­
d’émigrer aux Etats­Unis. Réguliè­ Nouveau­Mexique, parmi les ter­ port à Donald Trump. « Paul Ryan
rement visée par Trump, elle est la res démocrates où M. Trump veut [l’ancien speaker de la Chambre,
représentante du district où se créer la surprise, comme avec le ancien élu du Wisconsin voisin] a
trouve l’arène sportive réservée Wisconsin, le Michigan et la Penn­ toujours travaillé contre lui, et
par l’équipe de campagne du prési­ sylvanie en 2016. quand j’entends Ben Sasse [du Ne­
dent, jeudi. Ce dernier a qualifié la braska, qui a émis quelques criti­
jeune femme, de confession mu­ « Une vaste blague » ques après l’appel lancé à la Chine
sulmane et qui porte le voile, de L’agressivité du président n’a pu par le président pour enquêter éga­
« socialiste qui déteste l’Amérique » que combler ses fidèles. Interrogés lement sur Hunter Biden], ça me
et de « honte pour notre pays ». avant son arrivée, Andrew Chiara­ dégoûte », poursuit la sexagénaire.
Son évocation a coïncidé avec la valle et Melissa Taylor ont affirmé « Il faut qu’on soutienne notre
diffusion sur les écrans de la salle venir pour soutenir un président président parce qu’il est attaqué
d’un portrait disgracieux de la « qui n’a rien fait de mal ». « Cette af­ comme ça depuis le premier jour.
jeune femme qui a déchaîné les faire d’impeachment est une vaste Ce sont les démocrates qui ont
huées. Au contraire, la baisse de blague, les démocrates n’ont pas de commencé, et durement, lui ne fait
85 % des installations de réfugiés, candidat sérieux, c’est pour cette que répliquer. C’est incessant, c’est
revendiquée par Donald Trump, a raison qu’ils ont inventé cette his­ tous les jours, toutes les heures »,
soulevé les applaudissements. toire », assure Andrew. peste Michele. A part Marc Con­
noly, qui regrette parfois que le
président « l’ouvre trop », toutes les
Deux proches de Giuliani arrêtés personnes interrogées n’ont
aucun reproche à lui adresser.
Les démocrates qui supervisent l’enquête en vue d’une procédure Tous sont convaincus que la frac­
de destitution (impeachment) contre Donald Trump ont exigé, ture qui partage les Etats­Unis va
jeudi 10 octobre, la coopération de Lev Parnas et Igor Fruman, être durable. « Les démocrates veu­
deux hommes d’affaires arrêtés dans une procédure distincte lent détruire les normes sur lesquel­
alors qu’ils allaient quitter les Etats-Unis. Ces citoyens américains les le pays a été bâti », jure Jim

Le Conseil de sécurité veur de la mise en accusation.

Le deuxième fils du président,
Eric, avait ouvert le feu sur Hunter
nés en Ukraine et en Biélorussie sont soupçonnés d’avoir servi
d’émissaires à Rudy Giuliani, l’avocat personnel du président,
pour convaincre l’Ukraine de livrer des informations
Kinne. « Donald Trump a été choisi,
poursuit­il, pénétré, ce conflit est
celui du Bien contre le Mal. » 
de l’ONU très timoré face Biden, mis en cause pour avoir
siégé au conseil d’administration
compromettantes sur le candidat démocrate Joe Biden. gilles paris

d’une entreprise gazière privée de

à l’offensive de la Turquie 2014 à 2019. Au point de pousser la
foule à entonner le « coffrons­le ! »,
réservé naguère à la démocrate
Un projet de texte invite Ankara à revenir Hillary Clinton.
à la diplomatie, sans condamner ses frappes
Le « lèche-cul » d’Obama
CAMILLE LEPAGE ÉTAIT JEUNE,
Son tour venu, Donald Trump a
renchéri. « Hunter, tu ne sais rien
IDÉALISTE, HUMANISTE ET PHOTOJOURNALISTE :
new york (nations unies) ­
correspondante
qu’un retour éventuel de réfugiés
se fasse sur la base du volontariat.
du secteur de l’énergie, tu ne sais
rien de la Chine [où il a eu des acti­ LE FILM DE BORIS LOJKINE LUI REND ENFIN JUSTICE.
Il n’a pas été adopté en l’état, car le vités de conseil], tu ne sais rien de L’OBS

L’ offensive turque dans le

nord­est de la Syrie divise
les quinze membres du
Conseil de sécurité de l’ONU, qui
tentent de se mettre d’accord sur
représentant russe, Vassily Ne­
benzia, a requis plus de temps
pour en référer à Moscou.
Le projet sera réexaminé dans
l’après­midi du 11 octobre et il
rien, en vérité. Hunter, tu es un
raté », a clamé le président des
Etats­Unis. Il s’en est pris ensuite
dans les termes les plus vulgaires à
l’ancien vice­président, qualifié de
UNITÉ DE PRODUCTION PRÉSENTE

un texte sans ambition appelant
Ankara à préférer les canaux diplo­
matiques « plutôt que militaires ».
Les pays membres européens
(France, Allemagne, Royaume­
Uni, Pologne et Belgique), qui
avaient saisi le Conseil de sécurité
en urgence, ont échoué, jeudi
10 octobre, à obtenir l’unanimité
sur un texte. C’est donc à cinq
qu’ils ont appelé Ankara « à cesser
son offensive ».
La représentante américaine,
Kelly Kraft, s’est refusée à con­
damner l’opération turque, tout
en se démarquant ostensible­
ment des justifications données
par Ankara, répétant que le prési­
dent américain n’avait en aucun
cas donné son feu vert et évo­
quant des « conséquences » pour
Ankara si l’offensive turque me­
nait à une crise humanitaire.
Pékin ménage Erdogan
Sans surprise, et comme le plus
souvent sur le dossier syrien,
Chine et Russie sont restées
muettes. Pékin ménage Erdogan,
car celui­ci évite de dénoncer
ouvertement la détention mas­
sive par les autorités chinoises
des membres de la minorité
ouïgoure, turcophone et musul­
mane, et est ouvert aux projets
d’infrastructures chinois en Tur­
quie. La Russie, quant à elle, est
restée impassible.
Les membres du Conseil de sé­
curité sont sortis de cette réunion
avec un projet de déclaration pro­
pourrait, après quelques modifi­
cations, être adopté à l’unani­
mité, ses formulations étant
assez vagues pour permettre à la
Russie de se joindre au reste des
membres du Conseil de sécurité,
sans trop froisser M. Erdogan. Le
projet colle à la ligne du Kremlin,
demandant qu’Ankara et Damas
se parlent directement pour ré­
soudre la question kurde. Pour
Moscou, la poursuite des opéra­
tions turques affaiblit les combat­
tants kurdes des Unités de protec­
tion du peuple (YPG). Ceux­ci con­
trôlent encore un quart de la Syrie
environ, et ils restent l’obstacle
principal pour que Bachar Al­As­
sad reprenne tout le pays. « Plus
les Turcs auront de temps pour
leurs opérations, plus les YPG en
souffriront », analyse Richard Go­
wan, de l’International Crisis
Group, un think tank américain
spécialisé dans la résolution des
conflits.
Ce texte de compromis, s’il de­
vait être adopté à l’unanimité, sa­
tisferait aussi les Européens. Il
montrerait l’unanimité du Con­
seil de sécurité, ce qui est rare sur
le dossier syrien, tout en évitant
de mettre trop Ankara en accusa­
tion, alors que Recep Tayyip Er­
dogan menace de laisser les
3,6 millions de réfugiés hébergés
en Turquie partir vers l’Europe.
En aparté, un diplomate euro­
péen rappelle « l’extraordinaire
générosité de la Turquie » dans
son accueil des réfugiés, et af­
« mauvais sénateur » qui a été « un
bon vice­président simplement
parce qu’il a compris comment être
lèche­cul avec Barack Obama ».
Hunter Biden s’étant montré
particulièrement discret depuis le
début de la controverse, le prési­
dent des Etats­Unis a fait mine
d’inventer le slogan d’un nouveau
tee­shirt de campagne (« Où est
Hunter ? »). Le vêtement était en
fait déjà en vente sur le site animé
par l’équipe chargée de la réélec­
tion du milliardaire.
Donald Trump ne s’est pas con­
tenté d’agonir la presse et la fa­
mille Biden. Il a jugé que la speaker
de la Chambre des représentants,
Nancy Pelosi, est « soit très stu­
pide », « soit elle a perdu la tête »,
« soit elle est malhonnête ». « Nous
sommes face à certaines personnes
qui sont dérangées, des grands ma­
lades », a poursuivi le président.
Comme il ne cesse de le marteler
depuis le début de la procédure, la NINA MEURISSE
mise en accusation est selon lui
une manœuvre des démocrates
pour annuler le résultat de l’élec­
tion de 2016. « Ils veulent effacer
votre vote comme s’il n’avait ja­
mais existé. Ils veulent effacer votre
voix et ils veulent effacer votre ave­
nir », a­t­il mis en garde. « Les dé­
« Nous sommes
face à des grands un film de BORIS LOJKINE
malades », a jugé
AU CINÉMA LE 16 OCTOBRE
©2019 / PHOTO : JEAN-BAPTISTE MOUTRILLE / AFFICHE : PYRAMIDE - LOUISE MATAS

posé par les Etats­Unis invitant firme qu’il serait prématuré

Ankara à revenir à la diplomatie, d’évoquer des sanctions à l’égard
Donald Trump
sans condamner ses frappes et d’Ankara. « Les sanctions n’ont à propos de
n’exigeant pas de cessez­le­feu. Le pas du tout été à l’ordre du jour »,
texte réclame aussi une protec­ affirme­t­il. 
la Chambre des
tion des civils et insiste pour carrie nooten représentants

4 | international
L’échec de Goulard, un fiasco pour Macron
Les eurodéputés ont rejeté la candidate française pour la Commission, sur fond de fronde du Parlement
bruxelles ­ bureau européen
M
ême les interprètes
s’y sont mis, bien
malgré eux. L’es­
pace de quelques
minutes, le micro du traducteur
du français à l’allemand et de l’al­
lemand au français n’a plus fonc­
tionné. Et Sylvie Goulard a dû
s’interrompre, le temps que la
panne soit réparée. Comme si
rien ne devait lui être épargné
pour cette seconde audition de­
vant le Parlement européen.
Jeudi 10 octobre, les eurodépu­
tés ont rejeté sa nomination à la
Commission, où Ursula von der
Leyen, qui doit prendre la tête de
l’exécutif communautaire le
1er novembre, souhaitait lui
confier le très stratégique porte­
feuille du marché intérieur. « Je
prends acte de la décision du Parle­
ment européen, dans le respect de
la démocratie », a tweeté Sylvie
Goulard dans la foulée.
Le vote au sein des commis­
sions parlementaires concernées
par ses dossiers a été sans appel :
ils ont été 82 à s’opposer à la can­
didate française, 29 à la soutenir,
et un à s’abstenir. Les libéraux de
Renew, dont la liste Renaissance
de la majorité d’Emmanuel Ma­
cron est la principale formation,
lui ont tous apporté leurs voix.
Pour le reste, des conservateurs
du Parti populaire européen (PPE)
à l’extrême gauche (GUE), en pas­
sant par les sociaux­démocrates
(S&D), les Verts et l’extrême
droite (ID), les eurodéputés, à de
rares exceptions près, se sont pro­
noncés contre sa nomination.
Sylvie Goulard a buté, une nou­
velle fois, sur les réserves des
députés, liées à sa mission de
« consultante » pour plus de
10 000 euros brut par mois, entre
2013 et 2015, pour l’Institut Berg­
gruen. Et elle a refusé de s’engager
à démissionner si elle devait être
mise en examen dans le cadre de
l’affaire des emplois fictifs du Mo­
Dem. Alors qu’elle avait, à cause
de cette même affaire, quitté ses
fonctions de ministre des armées
de M. Macron, en juin 2017, à
peine un mois après avoir été
nommée. Un deux poids, deux
mesures difficile à justifier.
« La faute de Macron »
Pour la France, c’est un camouflet
sans précédent. Et pour M. Ma­
cron, qui n’a eu de cesse de vouloir
incarner le renouveau de l’Europe,
c’est un revers cinglant. D’ailleurs,
jeudi, ils étaient nombreux, dans
les couloirs du Parlement euro­
péen, à évoquer, comme Yannick
Jadot (Verts), « la faute de Macron »
qui, en proposant la candidature
de Mme Goulard, « a affaibli les
positions françaises en Europe ».
Von der Leyen otage des luttes de pouvoirs entre Etats et Parlement
Emmanuel Macron met la pression sur la responsable allemande, afin de préserver le vaste portefeuille promis jusqu’ici à Mme Goulard
bruxelles ­ bureau européen
D écidément, les débuts
d’Ursula von der Leyen
sont des plus laborieux.
Depuis qu’elle a été nommée pré­
sidente de la Commission par le
Conseil européen, l’Allemande cu­
mule les déconvenues. Après avoir
été confirmée par le Parlement
européen, à une très courte majo­
rité, le 16 juillet, elle a subi, jeudi
10 octobre, le refus des eurodépu­
tés d’avaliser la nomination de la
Française Sylvie Goulard comme
commissaire au marché intérieur.
L’Assemblée législative vient
ainsi d’infliger un sérieux revers
à celle qui doit remplacer Jean­
Claude Juncker le 1er novembre.
D’autant que les parlementaires
avaient déjà déclaré « inaptes »,
pour cause de conflits d’intérêts,
Sylvie
Goulard,
lors de
son audition
au Parlement
européen,
à Bruxelles,
le 10 octobre.
KENZO TRIBOUILLARD/
AFP
« J’ai besoin
de comprendre
ce qui s’est joué
de ressentiment,
peut-être
de petitesse »
EMMANUEL MACRON
« Je me suis battu pour un porte­
feuille, j’ai soumis trois noms » à
Mme von der Leyen, a répondu le
chef de l’Etat, en déplacement à
Lyon. Celui de Sylvie Goulard,
mais aussi ceux de Ségolène
Royal et de Clément Beaune, son
conseiller à l’Europe.
Mme von der Leyen avait une pré­
férence pour Mme Goulard qu’elle
connaît bien, et disait avoir obtenu
l’accord des groupes PPE et S&D, a­
t­il expliqué. « Je ne comprends
pas » ce qui s’est passé, a poursuivi
le président : « J’ai besoin de com­
prendre ce qui s’est joué de ressenti­
ment, peut­être de petitesse. »
A sa manière, M. Macron fait ici
un aveu : il n’a pas mesuré la crise
d’identité que traverse le Parle­
ment européen. Une crise qu’il a
lui­même alimentée sans bien en
évaluer l’ampleur ni les consé­
quences. Une crise qui lui revient
aujourd’hui en boomerang.
Car la vendetta parlementaire
qu’a provoquée la nomination de
Sylvie Goulard ne s’explique pas
seulement par les faiblesses de la
le Hongrois Laszlo Trocsanyi,
pressenti à l’élargissement, et la
Roumaine Rovana Plumb, an­
noncée aux transports.
« Nous devons maintenant or­
ganiser sans délai la suite du pro­
cessus avec le Parlement », a dé­
claré jeudi Ursula von der Leyen,
après avoir rencontré les prési­
dents des trois principaux grou­
pes parlementaires, Manfred
Weber pour les conservateurs du
PPE, Iratxe Garcia Perez pour les
sociaux­démocrates (S&D),
Dacian Ciolos pour les libéraux
de Renew ainsi que David Sassoli,
le président du Parlement.
Les discussions avec Bucarest et
Budapest ont commencé. Mais
l’éviction de Sylvie Goulard pour­
rait amener Mme von der Leyen à
leur demander de reconsidérer
leur choix, si elle souhaite assurer
Française. A son corps défendant,
elle est devenue le symbole des
bouleversements qui traversent
la vie politique européenne,
comme ils ont bousculé la vie po­
litique française et allemande.
« Sylvie Goulard a été l’otage de
jeux politiques », assure l’eurodé­
puté (Renew) Stéphane Séjourné,
proche de l’Elysée, reprenant une
antienne qu’on a beaucoup enten­
due ces dernières semaines :
« Avec Goulard, le Parlement veut
se venger d’Emmanuel Macron. »
Lapidaire, incomplet, certes. Mais
ce commentaire résume aussi
l’état d’esprit d’un cénacle en perte
de repères et en quête de pouvoir.
Les élections de mai ont en effet
représenté un véritable cata­
clysme dans le monde parlemen­
taire européen. Pour la première
fois depuis 1979, les conserva­
teurs et les sociaux­démocrates
ne détiennent plus, à eux deux, la
majorité. Dans ce contexte, les li­
béraux se sont imposés comme
une troisième force politique in­
contournable. Au passage, le PPE
et les S&D ont perdu la capacité
d’imposer au Conseil européen
– et donc aux Etats membres –
l’une de leur tête de liste à la prési­
dence de la Commission, en vertu
du système du Spitzenkandidat.
Et M. Macron ne s’est pas privé
de le leur signifier, à sa manière,
parfois brutale, voire mépri­
sante. Il s’est montré particuliè­
rement virulent avec l’Allemand
Manfred Weber, qui a dirigé la
campagne du PPE aux européen­
la parité au sein de son équipe, ce
qui était l’un de ses engagements.
« Ce qui m’importe, c’est le porte­
feuille », a commenté Emmanuel
Macron, en déplacement à Lyon,
après avoir assuré que Mme von
der Leyen lui avait donné toutes
les assurances selon lesquelles
Mme Goulard obtiendrait le feu
vert parlementaire. « J’aime que,
quand les engagements sont pris,
ils soient tenus », a­t­il insisté.
En plus du marché intérieur, Syl­
vie Goulard devait être en charge
de la défense, de l’espace, de la poli­
tique industrielle ou encore du nu­
mérique. Une force de frappe iné­
dite qui n’est pas du goût de tout le
monde, notamment outre­Rhin.
Au Parlement européen, les so­
ciaux­démocrates comme les con­
servateurs n’ont pas caché leur vo­
lonté de dépecer ce qu’ils considè­
nes. Et que Nathalie Loiseau, tête
de liste de la majorité présiden­
tielle en France avait qualifié, lors
d’un « off » avec des journalistes,
le 5 juin, d’« ectoplasme » qui « n’a
jamais rien réussi »…
Le passif entre M. Macron et les
sociaux­démocrates est moins
lourd. Mais leur leader, le Néer­
landais Frans Timmermans, se
serait bien vu, lui aussi, à la tête de
la Commission. Et puis, les tenta­
tives de Renew de débaucher des
députés socialistes avant la cam­
pagne ont laissé des traces. Les li­
béraux, d’ailleurs, espèrent en­
core rallier des Portugais et des
Italiens, alors que M. Macron cul­
tive sa proximité avec Antonio
Costa, le premier ministre portu­
gais, et Matteo Renzi, qui vient de
former un parti très macroniste.
« Macron a détruit l’ordre établi »,
juge un diplomate allemand.
Paris et Berlin se sont finale­
ment mis d’accord pour proposer
la candidature d’Ursula von der
Leyen, une Allemande issue de la
Démocratie chrétienne (CDU) – et
donc du PPE –, pensant que cela
suffirait à calmer M. Weber et ses
troupes. Ce que le Conseil euro­
péen a entériné le 2 juillet. « Ma­
cron ne s’est pas rendu compte à
quel point le Parlement européen
s’est senti violé par la désignation
de von der Leyen », affirme Ar­
naud Danjean, eurodéputé PPE.
« On a surestimé Merkel et von
der Leyen », corrige un proche du
président. M. Macron n’a pas
mesuré combien la chancelière,
En plus du
marché intérieur,
Mme Goulard
devait être
chargée
de la défense,
de l’espace
et de la politique
industrielle
rent être un trop gros cadeau fait à
Renew, groupe au sein duquel la
liste de la majorité de M. Macron
aux élections européennes est la
principale formation.
« Le président s’est senti trahi par
Mme von der Leyen », confie l’un de
en fin de règne, est affaiblie dans
son pays et dans son propre
camp. Pas plus qu’il n’a apprécié
l’impopularité de l’ex­ministre al­
lemande de la défense auprès
d’une partie de la CDU, qui la juge
trop à gauche. « Le péché originel
de Macron, c’est von der Leyen »,
résume M. Danjean.
Etincelle
Bilan, entre des sociaux­démocra­
tes peu enclins à voter PPE et des
conservateurs peu convaincus, la
protégée de Mme Merkel et de
M. Macron risquait de voir les
eurodéputés ne pas avaliser sa no­
mination cet été. « En exprimant
ses réticences, le PPE a mis Mme von
der Leyen entre nos mains », dé­
crypte un proche de l’Elysée. Pour
qu’aucune voix Renew ne lui
manque, la présidente de la Com­
mission a concocté un pro­
gramme « macroncompatible »,
qui devait aussi plaire aux so­
ciaux­démocrates.
Les libéraux ont été au rendez­
vous, mais cela n’a pas suffi à assu­
rer à Mme von der Leyen une majo­
rité confortable. Le 16 juillet, à
Strasbourg, elle n’a passé
l’épreuve qu’avec neuf voix
d’avance. Un diplomate évoque
« une fronde allemande ». Un tiers
des députés sociaux­démocrates,
dont des élus SPD, lui ont fait dé­
faut, mais aussi de nombreux con­
servateurs – on parle d’une qua­
rantaine –, notamment des CDU,
qui n’ont pas apprécié la colora­
tion sociale de son programme.
ses proches. Et, à n’en pas douter, il
va se servir de ce ressentiment
pour faire pression sur la prési­
dente de la Commission. « Mme von
der Leyen est une création de
Macron et Merkel », lance un habi­
tué de l’Elysée. Comprendre : si elle
ne tient pas ses engagements, elle
pourrait avoir du mal à obtenir le
soutien des libéraux lors du vote,
prévu à Strasbourg le 23 octobre,
sur son collège de commissaires.
Couteaux sortis
Les couteaux sont sortis. Comme
l’atteste cette déclaration de
l’eurodéputé (Renew) Stéphane
Séjourné. « Avec une attitude
aussi revancharde dans sa ma­
nière de faire de la politique, je
m’interroge sur la capacité de
Manfred Weber à prendre les rê­
nes du Parlement européen en
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
Le portefeuille
de Sylvie Goulard
donnait
à la France
une sphère
d’influence
sans précédent
La présentation de son collège
par Mme von der Leyen, le 10 sep­
tembre, a ravivé les tensions. Le
S&D a regretté qu’elle ait décidé,
in extremis, pour donner des ga­
ges à la droite, de faire de Valdis
Dombrovskis un vice­président
chargé de l’économie, aux côtés
de Frans Timmermans et de Mar­
grethe Vestager. Sans parler de
l’intitulé du portefeuille du Grec
Margaritis Schinas – « la protec­
tion de notre mode de vie euro­
péen ». Quant au PPE, il n’a tou­
jours pas digéré l’épisode estival.
Mais c’est le portefeuille de
Mme Goulard qui a fédéré l’exaspé­
ration des deux groupes. L’éphé­
mère ministre des armées de
M. Macron se voyait confier le
marché intérieur, la défense et
l’espace, la politique industrielle,
mais aussi le numérique. Elle avait
sous sa responsabilité trois direc­
tions générales et plus de 3 000
fonctionnaires européens, ce qui
donnait à la France une sphère
d’influence sans précédent. Et ce
qui n’était pas tout à fait du goût
des industriels allemands.
Ne manquait plus que l’étincelle
qui allait catalyser les méconten­
tements. En déclarant, au nom de
conflits d’intérêts, un PPE – le
Hongrois Laszlo Trocsanyi – et
une socialiste – la Roumaine Ro­
vana Plumb – « inaptes » à être
commissaires, et donc en épar­
gnant Renew, la commission par­
lementaire des affaires juridiques
a joué ce rôle. Ce faisant, elle a
aiguisé l’acrimonie des pays de
l’Est, pour qui Mme Goulard devait
être traitée avec la même exi­
gence. Et donné des arguments
aux pays scandinaves, très atta­
chés aux questions d’éthique.
Dans ce contexte, il devenait dif­
ficile de sauver la Française. L’Ely­
sée a eu beau jouer de la proxi­
mité de M. Macron avec le pre­
mier ministre espagnol, Pedro
Sanchez, pour tenter d’influencer
le vote social­démocrate, cela n’a
pas suffi. Pas plus que les mena­
ces des libéraux de Renew de ne
pas voter pour la commission von
der Leyen, le 23 octobre à Stras­
bourg ; ou les pressions sur Man­
fred Weber, qui est censé devenir
président du Parlement euro­
péen dans deux ans et demi… 
virginie malingre
deuxième partie de mandat », a
déploré ce proche de l’Elysée.
Plusieurs hypothèses circulaient
déjà, jeudi soir, pour évoquer le
remplacement de Mme Goulard.
« Pas question de prendre Michel
Barnier, c’est un PPE », confie une
source bien informée, alors que le
nom du négociateur en chef de la
Commmission pour le Brexit re­
venait en force. Florence Parly, la
ministre de la défense, elle, a déjà
refusé l’offre à plusieurs reprises.
Cet été, avant d’arrêter son choix
sur Mme Goulard, M. Macron avait
aussi envisagé d’envoyer à Bruxel­
les Clément Beaune, son conseiller
Europe. Peut­être le président sou­
haitera­t­il reconsidérer cette pos­
sibilité. A moins qu’il ne profite du
fait que Benoît Cœuré, qui vient de
quitter la BCE, soit disponible. 
v. ma.
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
Irlande et Royaume­Uni tentent
de sortir le Brexit de l’impasse
Boris Johnson et Leo Varadkar ont entrouvert la porte à un accord
londres ­ correspondante
L
e lieu est resté secret jus­
qu’au milieu de la mati­
née du jeudi 10 octobre.
Ni Londres ni Dublin.
Mais un endroit « neutre » : le ma­
noir de Thornton, une demeure à
colombages dans la péninsule de
Wirral, dans le nord­ouest de l’An­
gleterre, loin des regards. C’est là
que le premier ministre irlandais,
Leo Varadkar, et son homologue
britannique, Boris Johnson, se
sont finalement rencontrés. Un
ultime déjeuner avant un som­
met décisif à Bruxelles les 17 et
18 octobre. Et un regain d’espoir ?
Selon une source diplomatique
européenne, citée par le Financial
Times, Boris Johnson aurait fait à
M. Varadkar une nouvelle offre
« substantiellement différente »
sur l’épineuse question de
l’union douanière.
Surprenant tout le monde, les
deux premiers ministres sont
sortis tout sourire, trois heures
plus tard, de leur rendez­vous, dé­
clarant « voir un chemin vers un
possible accord ». A vingt jours –
théoriquement – du Brexit, le
31 octobre, une entente conclue
dans les temps tiendrait du mira­
cle. Reste que les deux hommes
auront tenté, ce jeudi, de faire
oublier les désastreux échanges
des derniers jours.
Soutien indéfectible
En début de semaine, des sources
anonymes à Downing Street
avaient accusé Dublin de bloquer
le Brexit, et Leo Varadkar de ne
« pas vouloir d’accord ». Si cette
allégation paraît peu vraisembla­
ble, elle souligne une situation qui
énerve au plus haut point les
« Brexiters » (partisans d’un Brexit
brutal). Car la petite Irlande, cette
ex­colonie anglaise ayant conquis
son indépendance il y a près d’un
siècle, est en position de force.
La République d’Irlande détient
les clés du divorce entre le Royau­
A Budapest, gauche et extrême droite unies contre le Fidesz
Une coalition inédite espère emporter les municipales face au maire sortant de la capitale, proche d’Orban
budapest ­ envoyé spécial
J e n’aurais jamais imaginé par­
ler avec quelqu’un du Jobbik
sur la même scène. Cela mon­
tre qu’on peut se rapprocher et
vivre ensemble. » Ce mercredi
9 octobre, sur la scène du Trip, un
bateau amarré sur les bords du
Danube au cœur de Budapest, le
célèbre metteur en scène Robert
Alföldi, ouvertement gay,
s’étonne encore de s’afficher en
public avec un candidat de ce
parti d’extrême droite hongrois
au programme homophobe et
aux pratiques longtemps antisé­
mites. « J’ai préféré ne pas lui poser
de question sur les homosexuels »,
plaisante l’artiste après être re­
descendu de la scène, sur laquelle
il a animé un débat entre les re­
présentants de six partis d’oppo­
sition, unis pour la première fois
de l’histoire de la Hongrie démo­
cratique, en vue des élections mu­
nicipales, organisées dimanche
13 octobre.
Allant des socialistes au centre,
en passant par les Verts, et donc
aussi par l’extrême droite, cette
coalition s’est donné un objectif,
résumé par son chef de file, Ger­
gely Karacsony : « Briser le mythe
que Viktor Orban est invincible ».
A 44 ans, ce professeur de scien­
ces politiques compte bien ravir
au Fidesz, la formation du pre­
mier ministre ultraconservateur,
La République
d’Irlande a réussi
un vrai tour
de force
diplomatique :
faire de ses
intérêts une
priorité des
Vingt-Sept
me­Uni et l’Union européenne
(UE), l’accord dépendant de la
solution à trouver pour éviter le
retour d’une frontière physique
avec l’Irlande du Nord (province
britannique), condition du main­
tien des accords de paix du Ven­
dredi saint, en 1998.
A Dublin, si la rhétorique agres­
sive de l’entourage de M. Johnson
irrite, les dirigeants refusent tout
ce qui, de près ou de loin, revien­
drait à réintroduire des contrôles
douaniers sur l’île, même à dis­
tance de la frontière – réelle mais
physiquement indétectable – avec
l’Irlande du Nord. La solution de
M. Johnson, d’un maintien de l’Ir­
lande du Nord dans le giron du
marché intérieur européen, mais
d’une sortie de l’union douanière
pour la province ? Non, a signifié
abruptement Leo Varadkar, à
peine vingt­quatre heures après
qu’elle a été rendue publique à
Londres, début octobre – car elle
n’éliminerait pas à 100 % le risque
de contrôles physiques.
Même veto de Dublin aux idées
qui tournent à Bruxelles depuis
des mois – sans jamais avoir été
sérieusement discutées – d’une li­
mitation dans le temps du
« backstop », cette assurance
contre le retour de la frontière,
agréée par Theresa May et les
Européens, mais que Boris John­
son refuse (elle revient à mainte­
nir, pour un temps indéfini, le
la capitale, où vivent 1,8 million
d’habitants. Lui­même est prési­
dent d’un petit parti de centre
gauche et n’est pas un nouveau
venu en politique : en 2018, il
était le chef de file de la gauche
pour les élections législatives.
Une aventure qui s’est finie par
un piètre score de 11,9 %, bien
loin derrière Viktor Orban.
« Les éléments radicaux partis »
Mais Gergely Karacsony et l’oppo­
sition hongroise assurent avoir
appris de leurs défaites successi­
ves, et présentent des candidats
communs dans la quasi­totalité
des municipalités, alors que le Fi­
desz contrôle actuellement 19 des
23 plus grandes villes. « Ces élec­
tions sont beaucoup plus que des
municipales, le changement peut
enfin avoir lieu, espère Robert Al­
földi. Si on ne réussit pas cette fois,
ce sera foutu pour quarante ans. »
Au prix de quelques contor­
sions, Gergely Karacsony a été dé­
signé à l’issue d’une primaire
ayant mobilisé 67 000 Budapes­
tois, à laquelle le sulfureux Jobbik
s’est dispensé de présenter un
candidat. Le logo de ce parti, long­
temps néonazi, ne figure pas non
plus sur les affiches de campagne,
mais il appelle à voter pour lui et
un des 23 arrondissements de la
ville a été réservé pour un de ses
candidats, qui était présent sur la
scène du Trip. « Le Jobbik n’est plus
Royaume­Uni dans l’union doua­
nière). Sur le papier, un backstop
voué à disparaître dans quatre ou
cinq ans semble un compromis
atteignable. « Je ne pense pas que
Dublin et l’UE seraient prêts à ac­
cepter, cela vide l’assurance de sa
substance », estime néanmoins
Katy Hayward, politiste à la
Queen’s University de Belfast.
Si le gouvernement irlandais
reste inflexible, bien que l’impos­
sibilité de résoudre le Brexit
a gangrené la vie politique britan­
nique et maintient l’UE dans une
situation de crise prolongée, c’est
aussi qu’il a pu compter jusqu’à
présent sur le soutien indéfectible
de Bruxelles. Soutien qui ne s’est
pas démenti ces derniers jours,
malgré les pressions de Londres.
Les équipes de Michel Barnier, le
négociateur en chef des Vingt­
Sept, sont sur la même longueur
d’onde que Dublin : préserver l’ac­
cord de paix et l’intégrité du mar­
ché intérieur à tout prix. « Ils ne
bougeront vers un compromis que
si Dublin donne son feu vert »,
avance un bon connaisseur des
arcanes bruxellois.
Le souvenir du « rideau de fer »
La République d’Irlande a réussi
un vrai tour de force diplomati­
que : faire des intérêts de ce petit
pays aux marges occidentales de
l’UE, par ailleurs peu coopératif
sur d’autres sujets sensibles à
Bruxelles (la fiscalité, par exem­
ple), une priorité des Vingt­Sept.
Pour Federico Fabbrini, direc­
teur du Brexit Institute à Dublin,
en multipliant les contacts, la
pédagogie, « Leo Varadkar a très
habilement manœuvré pour que
la frontière irlandaise ne soit pas
traitée comme une question pure­
ment domestique ou bilatérale
entre Dublin et Londres. »
« Même la Hongrie n’ose pas re­
mettre en cause cette priorité », in­
siste un diplomate européen.
« Quand ils viennent visiter la fron­
tière nord­irlandaise, les responsa­
un parti d’extrême droite, les élé­
ments radicaux sont partis », justi­
fie le responsable de gauche, en
s’appuyant sur le récent virage
politique de la formation. Dé­
pouillé de son électorat par la li­
gne anti­immigrés de Viktor Or­
ban, le Jobbik se présente désor­
mais comme un parti « populaire
national » de « centre droit ». Plu­
sieurs membres du parti ayant
tenu des propos antisémites dans
le passé sont toutefois toujours
en poste. « A Budapest, nous
n’avons accepté que des candidats
qui n’ont jamais tenu de propos ra­
cistes », jure M. Karacsony.
Pour espérer battre Istvan Tar­
los, 71 ans et maire Fidesz de Bu­
dapest depuis neuf ans, avait­il
un autre choix ? Le mode de scru­
tin hongrois prévoit que le candi­
dat arrivé en tête à l’issue d’un
tour unique soit élu. Il suffit
« Nous n’avons
accepté que des
candidats qui
n’ont jamais tenu
de propos
racistes »
GERGELY KARACSONY
candidat d’opposition
à la mairie de Budapest
bles politiques originaires de pays
ayant subi le rideau de fer com­
prennent très bien nos craintes »,
explique une source à Dublin. Le
retour de la guerre civile est dans
toutes les têtes. Et tout ce qui res­
semble à une guérite de douanier
est considéré par les républicains
irlandais comme une provoca­
tion. Les Européens pensent aussi
que lâcher un Etat membre au
profit d’un autre sur le point de
quitter le club n’a aucun sens.
Quant au gouvernement irlan­
dais, il a gagné la confiance des
Vingt­Sept en refusant toutes dis­
cussions directes et secrètes avec
Londres qui se feraient dans le
dos des négociateurs bruxellois.
Autre force de la position irlan­
daise : le large consensus régnant
dans le pays sur la gestion du
Brexit par le taoiseach (le nom
donné au premier ministre du
pays). Leo Varadkar, chef du parti
Fine Gael, est à la tête d’un gou­
vernement minoritaire, mais
l’autre principal parti à la Cham­
bre basse, le Fianna Fail, approuve
ses grandes décisions. Celle sur le
budget pour 2020 par exemple –
celui­ci a été présenté officielle­
ment le 8 octobre –, prévoyant
plus de 1 milliard d’euros de dé­
penses en cas de « no deal ». Les
débats au Parlement ont été d’un
calme étonnant, comparé au
chaos qui règne à Westminster.
L’opinion publique approuve
aussi, très largement, la politique
de fermeté de M. Varadkar.
Cette unité autour du Brexit,
considéré comme une urgence
nationale, a échappé en partie
aux Brexiters, qui ont semblé jus­
qu’au bout espérer un lâchage de
Dublin par l’UE. « Il y a une frange
des conservateurs, nationalistes,
qui ont encore des difficultés à ad­
mettre que la République d’Irlande
est un pays indépendant et souve­
rain », relève Matthew O’Toole,
ex­porte­parole à Downing Street
et bon connaisseur de l’Irlande. 
cécile ducourtieux
d’une majorité relative pour tout
emporter. « La plupart du temps,
le Fidesz gagne les élections avec
35 % ou 40 % des voix, face à une
opposition divisée », souligne le
politologue Robert Laszlo. Aux
élections européennes du 26 mai,
le Fidesz avait ainsi obtenu 41,2 %
des voix dans la capitale.
Le pouvoir n’en est pas moins
fébrile. Viktor Orban a écrit aux
Hongrois pour les avertir que
l’enjeu était de choisir des « mai­
res pour ou contre l’immigration
à la tête de nos villes et nos villa­
ges » – une rhétorique efficace.
Prostituées et cocaïne
La police a débarqué dans un des
QG de l’opposition pour le perqui­
sitionner, dans une simple affaire
de protection des données. Et la
section jeune du Fidesz, Fidelitas,
s’est, elle, déplacée à plusieurs
meetings de l’opposant pour les
perturber en diffusant une musi­
que de cirque à plein tube. « Nous
voulons juste montrer, avec des
méthodes jeunes, son incapacité à
faire une coopération avec les
autres partis », défend le prési­
dent de Fidelitas, Laszlo Böröcz.
« C’est comme si vous aviez en
France une coalition entre Marine
Le Pen et Emmanuel Macron, com­
ment vont­ils pouvoir gérer des vil­
les ensemble ? », fustige, à ses cô­
tés, Adam Balazs, candidat Fidesz
dans le 9e arrondissement de Bu­
international | 5
Explosions sur un
pétrolier iranien au large
de l’Arabie saoudite
L’opérateur de la flotte de pétroliers iraniens
évoque de possibles frappes de missiles
U n tanker iranien a été
touché par deux explo­
sions, vendredi 11 octo­
bre, alors qu’il naviguait en mer
Rouge à une centaine de kilomè­
tres du port saoudien de Djedda,
a annoncé son propriétaire. La
National Iranian Tanker Com­
pany (NITC), opérateur adminis­
trant la flotte de navires pétro­
liers de l’Iran, a déclaré dans un
communiqué que les « deux ex­
plosions » ayant touché la coque
du navire « ont probablement été
causées par des frappes de mis­
sile ». « Tous les membres de l’équi­
page sont sains et saufs », a ajouté
la NITC, précisant que les person­
nes à bord du Sabiti tentaient de
réparer les dégâts. Les explosions
ont occasionné une fuite de pé­
trole dans la mer Rouge mais, « il
n’y a pas d’incendie à bord », a pré­
cisé la compagnie.
Cela fait craindre un nouveau
regain de tensions dans le Golfe
après une série d’incidents au
cours des derniers mois. Depuis
l’annonce, en mai 2018, par le pré­
sident américain Donald Trump
d’un retrait unilatéral de l’accord
sur le nucléaire iranien et du réta­
blissement de sanctions écono­
miques et financières contre Té­
héran, un véritable bras de fer se
joue entre, d’un côté, l’Iran et, de
l’autre, l’Arabie saoudite et son al­
lié américain. Le durcissement
des sanctions, en mai 2019, par
Washington, avec la suppression
des exemptions pour l’achat de
pétrole dont bénéficiaient les
huit principaux clients de l’Iran,
dont la Chine, le Japon et l’Inde, a
vu une multiplication d’attaques
contre des intérêts pétroliers
dans cette région stratégique.
De mystérieuses attaques ont
visé des navires pétroliers dans le
détroit d’Ormuz, à l’embouchure
du golfe Arabo­Persique, que les
Etats­Unis ont imputées à l’Iran.
Plusieurs tankers ont été saisis
par l’Iran dans le Golfe, tandis
dapest. Mais les deux hommes
admettent aussi que « nous avons
eu un tellement bon résultat
en 2014 que le conserver est pres­
que impossible ».
La campagne a basculé dans un
niveau de violence inédit. Des
médias proches du pouvoir ont
publié une vidéo d’ébats sexuels
d’un élu socialiste avec une pros­
tituée, et des enregistrements se­
crets censés prouver des pactes de
corruption. Dans l’un d’entre eux,
on voit un conseiller municipal
budapestois du Parti socialiste en
train de consommer de la co­
caïne, puis de se vanter « que
même en tant qu’élu local, on peut
se faire beaucoup d’argent ».
Vendredi 4 octobre, le Fidesz est
à son tour éclaboussé par une vi­
déo compromettante : un blog
anonyme publie des images du
maire de Györ, dans l’ouest du
pays, ayant des relations avec des
prostituées sur un yacht de luxe
en Croatie. Ces divers enregistre­
ments ont déjà un impact sur la
campagne. En quittant le Trip,
mercredi, Gergely Karacsony et le
metteur en scène Robert Alföldi
sont assaillis par un supporter ul­
tra de football, brandissant un vi­
bromasseur en leur intimant
« d’aller jouer avec ça plutôt
qu’avec Budapest ». La séquence
finira sur le site de ce fervent sou­
tien de Viktor Orban. 
jean­baptiste chastand
qu’un pétrolier iranien a été arrai­
sonné au large de Gibraltar, avant
d’être autorisé à repartir le
15 août. Le plus grave incident est
survenu le 14 septembre avec des
attaques de missiles de croisière
et de drones chargés d’explosifs
contre deux importants sites pé­
troliers dans l’est de l’Arabie saou­
dite. Riyad et Washington ont ac­
cusé l’Iran d’être derrière les atta­
ques contre le champ de Khurais
et l’usine de traitement du brut
d’Abqaïq, qui a réduit de moitié la
capacité de production d’Aramco,
la compagnie nationale pétro­
lière saoudienne.
Raid d’une grande précision
Téhéran a nié toute responsabi­
lité dans ces attaques, revendi­
quées par les rebelles houthistes
au Yémen. Cependant, les experts
estiment que les missiles qui ont
été utilisés n’ont pas une portée
suffisante pour atteindre des si­
tes dans l’Est de l’Arabie saoudite
depuis le Yémen. Des officiers et
des experts proches de la défense
en Israël ont affirmé au Monde
que ce raid d’une grande préci­
sion, qui a impliqué quatre missi­
les de croisière et une vingtaine
de drones kamikazes portant
chacun une vingtaine de kilos
d’explosifs, portait « la marque
d’une agression iranienne » qui
aurait impliqué « toute la chaîne
militaire iranienne ».
Des responsables iraniens ont
confirmé l’attaque de vendredi
contre le Sabiti à l’agence de presse
iranienne IRNA, mais ils n’ont pas
précisé qui ils suspectaient d’en
être à l’origine. Le lieutenant Pete
Pagano, un porte­parole de la
5e flotte de la marine américaine,
stationnée au Moyen­Orient, a in­
diqué que les autorités avaient été
informées de l’incident, sans faire
plus de commentaires. Les cours
du pétrole ont bondi de 2 % ven­
dredi matin. 
hélène sallon
ROUMANIE
Le gouvernement
renversé par
un vote de défiance
Le gouvernement de gauche
roumain est tombé, jeudi
10 octobre, après le vote d’une
motion de censure par l’oppo­
sition libérale et ses alliés
au Parlement. Sur 465 élus,
238 se sont prononcés
pour le départ de la première
ministre, Viorica Dancila, pa­
tronne du Parti social­démo­
crate. Héritière de l’ex­parti
communiste, cette formation
est accusée de saper l’Etat de
droit dans le pays et d’isoler
la Roumanie sur la scène
européenne par ses critiques
répétées des instances de l’UE.
Mme Dancila est le troisième
chef de gouvernement
roumain débarqué depuis
le retour au pouvoir de ce
parti, fin 2016. – (AFP.)
ÉQUATEUR
La principale formation
indigène rejette le
dialogue avec Moreno
La principale organisation
indigène d’Equateur a rejeté,
jeudi 10 octobre, le dialogue
avec le gouvernement de
Lenin Moreno, appelant
à « radicaliser les actions » de
protestation contre la hausse
du prix de l’essence après une
semaine de manifestations
qui ont fait cinq morts.
« Aucun dialogue avec
un gouvernement assassin »,
a lancé la Confédération
des nationalités indigènes
de l’Equateur. – (AFP.)

6 | international
En Pologne,
l’opposition
libérale démunie
face au PiS
Les ultraconservateurs sont favoris
des législatives du 13 octobre
varsovie ­ correspondance
A
la veille du scrutin des
législatives, dimanche
13 octobre, les forces
politiques en présence
en Pologne avancent en cinq blocs
compacts, dont les intentions de
vote n’ont quasi pas évolué depuis
deux mois, en dépit d’une campa­
gne mouvementée. Les ultracon­
servateurs du PiS (Droit et justice),
au pouvoir depuis 2015 et large­
ment favoris, sont crédités de 42 %
à 45 % des voix, la Coalition civi­
que (KO), centriste, de 23 % à 26 %
des voix, et la liste d’union de la
gauche de 11 % à 14 %.
Quant aux conservateurs pay­
sans du PSL et à l’extrême droite de
Konfederacja, ils oscillent autour
du seuil électoral de 5 %. Si les sco­
res du PiS et des trois partis « anti­
PiS » amenés à former une éven­
tuelle coalition paraissent à peu
près égaux, il faudrait à ces der­
niers environ huit points supplé­
mentaires pour espérer former
une majorité à la Diète, compte
tenu du mode de scrutin.
« L’eau tiède » libérale
Sur les bords de la Vistule, chacun
s’attend à une participation élec­
torale record. Et pour cause : aussi
bien dans la majorité que dans
opposition, chacun sait que ces
élections sont, par leur enjeu, les
plus importantes depuis 1989 et
la chute du communisme. La Po­
logne choisira dimanche le mo­
dèle de société qu’elle souhaite
adopter : une démocratie euro­
péenne libérale classique, avec un
système de séparation des pou­
voirs clair et d’équilibre institu­
tionnel, ou un modèle similaire à
« Le parti au pouvoir a imposé un fort discours identitaire »
Porté par sa politique sociale et soutenu par l’Eglise, le PiS pourrait réussir une percée dans les fiefs des libéraux et de la gauche
REPORTAGE
poznan ­ envoyé spécial
L e siège du conseil régional
de la voïvodie de Grande­
Pologne, à Poznan, a été
Berlin
construit à l’image de ce que repré­
sente cette région pour le pays :
un bâtiment ultramoderne, lumi­
neux, au décor presque futuriste.
La ville de Poznan et sa région font
partie des territoires dont l’éco­
nomie est la plus dynamique du
pays, et où la longue domination
AUTRICHE
germanique, au cours de l’histoire,
a laissé l’empreinte d’un fort esprit
d’entrepreneuriat au sein de la po­
pulation. C’est un bastion histori­
que des libéraux de la Plate­forme
civique (PO), où ils gouvernent
main dans la main avec les conser­
vateurs paysans du PSL depuis la
chute du communisme.
Mais les temps changent : depuis
les législatives de 2015, le parti ul­
traconservateur Droit et justice
(PiS), qui a pris le pouvoir à Varso­
vie, a fait une poussée importante
dans ces terres. A moins de trois
jours des élections législatives, où
le parti de Jaroslaw Kaczynski fait
office de grand favori, les pronos­
tics électoraux en Grande­Pologne
donnent de nombreuses circons­
criptions partagées à moitié entre
la majorité populiste et l’opposi­
tion de centre droit. Un phéno­
ceux en vigueur à Budapest et à
Ankara : des institutions ver­
rouillées au service du parti au
pouvoir, où l’Etat et son idéologie
s’immiscent dans tous les domai­
nes de la vie publique. Mais pour
beaucoup de Polonais, c’est aussi
et surtout le choix entre le mo­
dèle d’un Etat­providence fort
proposé par le PiS, et ce que le dé­
bat public polonais a pris l’habi­
tude d’appeler péjorativement
« l’eau tiède » libérale en matière
économique et sociale.
Face à ces enjeux, les partis de
l’opposition démocrate n’ont été à
la hauteur ni durant les quatre der­
nières années, ni pendant la cam­
pagne électorale. La dernière ligne
droite a commencé par un aveu
d’échec : poussé par des sondages
catastrophistes, six semaines
avant le scrutin, le leader de Plate­
forme civique, le principal parti
d’opposition, Grzegorz Schetyna, a
retiré sa candidature au poste de
premier ministre, en faveur de
Malgorzata Kidawa­Blonska. Une
manœuvre symbolique du bilan
de quatre années d’opposition :
problème de leadership, défaut de
stratégie, communication mal­
heureuse, impossibilité de s’impo­
ser dans le débat face à la rhétori­
que populiste du PiS.
Ainsi, le 6 septembre, la conven­
tion censée lancer la nouvelle tête
de liste centriste et marquer le dé­
but de la campagne, n’a pas ras­
semblé, dans le hall d’un restau­
rant huppé de la capitale, plus
d’une centaine de personnes, es­
sentiellement des cadres du parti.
Derrière les sourires de façade, les
visages sont alors graves et cris­
pés : personne ne croit vraiment à
une possible victoire.
Mer Baltique LITUANIE
RUSSIE
Granowo
ALL.
Poznan
POLOGNE
GRANDE-
POLOGNE
Varsovie
BIÉL.
Kielce
RÉP. TCH. Cracovie
SLOVAQUIE UKR.
100 km HONGRIE
mène sans précédent, dans une
région où le taux de chômage
moyen est de 2,8 %, de 1,1 % pour la
seule ville de Poznan.
Pour Marek Wozniak, président
PO du conseil régional de Grande­
Pologne depuis 2005, « le PiS a
réussi à élargir son électorat de ma­
nière très inattendue ». Selon lui, ce
n’est pas un clivage de classe so­
ciale, mais plutôt « d’approche de
vie » : « Ceux qui ont la possibilité de
mener leur vie à leur guise grâce à
leur activité économique, leurs
qualifications, sont moins attirés
par le discours sur le “fort Etat­pro­
vidence” offert par le PiS. » Pour
M. Wozniak « ce phénomène tou­
che ceux qui ressentent un retard
Lors d’un meeting du chef de file du PiS, Jaroslaw Kaczynski, mercredi 9 octobre, à Kielce. WOJTEK RADWANSKI/AFP
Le lendemain, dans les rangs du
PiS, lors d’une convention rassem­
blant des milliers de personnes
dans une ambiance chauffée « à
l’américaine », Jaroslaw Kaczynski,
dans un long discours, annoncera
la couleur idéologique des années
à venir avec franchise. Cette fran­
chise sur ses objectifs sera une
constante durant toute la campa­
gne, durant laquelle il fera preuve
d’une remarquable hyperactivité.
Selon la vision du président du
PiS, la Pologne doit être un pays
qui ne reconnaît que deux com­
munautés : la famille « tradition­
nelle » et la nation, qui ne peu­
vent se développer et s’épanouir
que sous la supervision de l’Etat et
de l’Eglise. Cette dernière est
d’ailleurs la seule source reconnue
de morale, tout ce qui lui échappe
est qualifié de « nihilisme » – la
cause LGBT étant la première cible
de cet ordre moral. Tous ceux qui
ne reconnaissent pas le modèle de
société brandi par le PiS seront
considérés comme des citoyens de
seconde catégorie, et ne pourront
bénéficier pleinement des privilè­
ges réservés aux « bons Polonais ».
Le 30 septembre, l’homme fort du
pays a évoqué, à cet égard, avec des
accents très proches de ceux du
de niveau de vie par rapport à
d’autres communes ou villes. Le PiS
promet de réduire ces inégalités ».
Pour se rendre dans les coins re­
culés de Grande­Pologne, il faut
rouler des dizaines de kilomètres
sur des autoroutes, ce qui, en Polo­
gne, est loin d’être le cas partout.
La commune de Granowo, à 45 ki­
lomètres de Poznan, a été l’un
des territoires où la poussée des
conservateurs a été le plus spec­
taculaire. La commune compte
5 000 habitants répartis en une
quinzaine de hameaux, séparés
par de vastes étendues agricoles.
Ici, entre les législatives de 2011 et
celles de 2015, le score du PiS est
passé de 30 % à 41 %. Une progres­
sion qui s’est faite largement au
détriment des conservateurs pay­
sans du PSL, dont le score a fondu
de 18 % à 5 %. Les libéraux de PO
ont aussi chuté de 35 % à 28 %.
« Renversement des convictions »
Le maire de la commune, Zbi­
gniew Kaczmarek, lié au PSL mais
à la tête d’une coalition non parti­
sane, a été témoin de ce « renverse­
ment des convictions politiques »
chez les paysans, mais aussi du
côté de l’électorat historique de la
gauche. La première des causes en
fut la généreuse politique sociale
proposée par le PiS : 500 zlotys
(125 euros) par mois et par enfant.
Un dérapage
de l’ex-président
Lech Walesa
en plein meeting
a contraint la
Coalition civique
à des excuses
Hongrois Viktor Orban, la néces­
sité de construire une « nouvelle
élite économique ».
Une fois lancée, la dynamique de
la campagne a profité exclusive­
ment au parti au pouvoir. Peu im­
porte que les médias progouver­
nementaux et les membres de la
majorité fassent preuve, en pro­
portion, d’une agressivité rhéto­
rique incomparablement supé­
rieure à celle de l’opposition : ce
sont les libéraux qui devront se
justifier de la présence, sur leurs
listes, d’une candidate qui s’illus­
tre par de vulgaires satires des em­
blèmes nationaux polonais sur les
réseaux sociaux. Ce sont aussi les
libéraux qui devront s’expliquer
sur la présence, dans leurs rangs,
de responsables d’une page Face­
Une véritable révolution en Polo­
gne. « Les agriculteurs sont des
gens très pragmatiques, souligne
M. Kaczmarek. Les revenus de leur
travail sont instables. Jamais la
campagne polonaise n’avait reçu
autant d’argent qu’avec le pro­
gramme 500+. Les agriculteurs se
sont habitués depuis longtemps
aux subventions européennes,
qu’ils considèrent comme un dû. »
M. Kaczmarek souligne aussi
l’influence de l’Eglise : « Les prêtres
qui font ouvertement de la poli­
tique sont rares. Mais ce que prê­
chent les hiérarques de l’Eglise est
ouvertement en contradiction
avec le programme de certains
partis. » Un constat que partage
Killion Munyama, député PO et
candidat à sa réélection. « L’Eglise
joue un rôle beaucoup plus actif
qu’avant en politique. Il y a des égli­
ses où des tracts du PiS sont distri­
bués, des paroisses où des politi­
ques du PiS prennent la parole.
Tout cela était impensable avant. »
D’origine zambienne, docteur en
économie, M. Munyama est une
personnalité atypique à l’échelle
du pays. Seul député noir de la
Diète, il vit en Pologne depuis 1981
et est engagé en politique locale
depuis 2002. « Faire campagne est
devenu de plus en plus dur ces der­
nières années, affirme­t­il. Le parti
au pouvoir a imposé un discours
book qui tourne en dérision les ha­
bitants des campagnes. Alors que
la nouvelle candidate au poste de
premier ministre fait campagne
sur le thème de « l’apaisement »
d’une société chauffée à blanc, le
mépris de classe passe mal.
Le PiS hermétique aux scandales
Le PiS démontre également, une
fois de plus, son caractère inébran­
lable face aux plus tumultueuses
des affaires. Le 21 septembre, une
enquête télévisée révèle que Ma­
rian Banas, président de la Haute
Chambre de contrôle (équivalent
de la Cour des comptes), est pro­
priétaire d’un immeuble loué à un
prix très en dessous du marché à
des hommes proches des milieux
du crime organisé. L’immeuble se
révèle être une maison close. Le re­
portage montre un des responsa­
bles de l’établissement en train
d’appeler Marian Banas pour se
plaindre de la présence des jour­
nalistes. L’intéressé, fervent catho­
lique affiché, qui fut, dans plu­
sieurs gouvernements PiS, res­
ponsable de la lutte contre la
fraude fiscale, s’est alors mis de lui­
même en « congé sans solde. » Les
intentions de vote en faveur du
PiS, elles, n’ont pas frémi.
identitaire, une distinction entre les
bons et les mauvais Polonais. Les
gens viennent me voir et me disent :
“Vous êtes catholique, pourquoi
êtes­vous membre de la Plate­
forme civique et pas du PiS ?”».
« Le PiS donne du liquide »
Rafal Grupinski, le chef de la Pla­
te­forme civique de la voïvodie
de Grande­Pologne, est un des
membres fondateurs du parti,
au début des années 2000, et un
des compagnons de la première
heure de l’ancien premier minis­
tre Donald Tusk. Chef du groupe
parlementaire de la majorité de
centre droit avant que le PiS ar­
rive au pouvoir, il admet certai­
nes « erreurs de communication »
qui expliquent cette poussée
inattendue du PiS. « Nous aurions
dû faire un meilleur travail de
pédagogie en amont, avant de
mettre en place l’augmentation
de l’âge de départ à la retraite.
Cela nous a beaucoup coûté. »
Le PiS est par la suite revenu sur
cette réforme.
Mais en matière de politique
sociale, dit­il, « tout est une ques­
tion de perception ». « En 2015,
nous avons dépensé 34 milliards
de zlotys dans diverses politiques
sociales. C’est 10 milliards de plus
que ce que coûte chaque année
le programme 500+. Mais le PiS
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
Le 6 octobre, lors d’un meeting
de la Coalition civique, censé lui
donner une impulsion dans le
sprint final, le parti a pris le ris­
que de donner la parole à un
homme qui s’est illustré par des
sorties hautement controver­
sées ces dernières années : Lech
Walesa. Muni de ses sempiternel­
les lunettes sportives orange
fluo, l’ancien président qualifie
alors de « traître » au syndicat
Solidarnosc Kornel Morawiecki,
le père du premier ministre,
Mateusz Morawiecki, mort quel­
ques jours plus tôt et enterré la
veille, à qui la classe politique
avait rendu un hommage una­
nime. La dernière semaine de
campagne a ainsi été, pour les li­
béraux, celle des excuses et des
prises de distance.
Furieux, Lech Walesa a retiré,
dès le lendemain, son soutien à la
Coalition civique, pour l’apporter
aux conservateurs paysans du
PSL. Ces derniers, bataillant à la
limite du seuil électoral, se sont
immédiatement distancés de
cet encombrant ralliement. La dé­
mocratie polonaise, plus fragile
que jamais, méritait sans doute
une meilleure fin de campagne. 
jakub iwaniuk
donne aux gens du liquide. Notre
politique sociale apprenait aux
gens à pêcher, celle du PiS leur
donne du poisson. » Pour Rafal
Grupinski, ces élections ne sont
pas « pleinement démocratiques ».
« Il y a une immense disproportion
de moyens, aussi bien en matière
de fonds pour mener campagne
qu’en matière de communication.
Le PiS injecte des milliards d’argent
public dans des médias qui ne sont
que des relais de propagande et ne
respectent aucun équilibre. »
Magdalena Kosakowska est la
treizième candidate sur la liste de
PO pour la circonscription de Poz­
nan. Sur une liste de quarante
noms, ce n’est pas une position
privilégiée. Son budget de campa­
gne est de 1 500 zlotys : 350 euros.
« Que peut­on faire à ce prix ? Les
candidats PiS reçoivent beaucoup
plus d’argent de la centrale. »
Comme la plupart des politiques
qui arpentent le terrain, Mme Ko­
sakowska sent une différence
avec les précédentes campagnes.
« Ici, on joue toujours à domicile,
mais l’atmosphère a changé.
Beaucoup de familles avec des jeu­
nes enfants nous ignorent genti­
ment, font semblant de ne pas
nous voir. Le pragmatisme écono­
mique semble remplacer peu à
peu le domaine des idées. » 
j. iw.
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
Objectif financier atteint
pour le Fonds contre
le sida et le paludisme
Quatorze milliards de dollars ont été réunis,
jeudi à Lyon. Un « espoir pour les malades
du monde entier », selon les ONG
I n extremis. L’objectif de re­
cueillir des engagements à
hauteur de 14 milliards de
dollars (12,7 milliards d’euros) en
faveur du Fonds mondial de lutte
contre le sida, la tuberculose et le
paludisme pour la période 2020­
2022 a été atteint jeudi 10 octobre
à Lyon au terme d’un sprint final
épique. L’appel à « accélérer le
mouvement », en augmentant
d’au moins 15 % les contribu­
tions, a porté ses fruits. La
somme record devrait per­
mettre, selon le fonds mondial,
de sauver 16 millions de vies sup­
plémentaires et de mettre fin
aux épidémies dues aux
trois maladies d’ici à 2030.
La séance consacrée à l’an­
nonce des engagements con­
crets s’est ouverte par le témoi­
gnage d’Amanda Dushime. Cette
jeune fille burundaise de 18 ans a
découvert sa séropositivité à
l’âge de 11 ans. Dans un plaidoyer
vibrant, elle a affirmé : « Nous ne
voulons plus être traités à l’aveu­
glette. Nous voulons que soient
respectés nos droits à l’accès aux
soins, à une prise en charge adap­
tée et de qualité, notre droit à
l’éducation, notre droit de vivre et
d’espérer. Nous ne voulons pas
être cantonnés à un rôle de béné­
ficiaire, mais être les acteurs de
notre propre traitement. »
Pression sur plusieurs pays
Rebondissant sur cette inter­
vention, le président français,
Emmanuel Macron, a rappelé
que l’objectif « d’éliminer le sida,
la tuberculose et le paludisme de
la surface de la Terre » pour 2030
était « atteignable si, aujourd’hui,
nous sommes à la hauteur de
nos responsabilités ».
M. Macron a ensuite détaillé
ses décisions, en commençant
par l’accroissement de l’aide bila­
térale de la France, qui, « depuis
un peu plus de dix ans, avait été
quasiment annihilée ». Il y aura
donc une remobilisation de
l’aide française au développe­
ment sur « ce sujet vital ».
Puis est venue l’annonce très
attendue de la contribution de la
France au fonds mondial. Ayant
demandé à tous une augmenta­
tion de 15 %, la France ne pouvait
pas faire moins. Elle ne prenait
pas le chemin d’en faire plus.
Le président de la République
relativisait en soulignant le
maintien du « plein engagement
pour Unitaid » avec 85 millions
d’euros par an pour les trois pro­
chaines années.
Une telle annonce ne satisfai­
sait pas les ONG qui, tout en re­
connaissant le travail accompli
par la France depuis un an,
réclamaient une augmentation
d’au moins 25 % par rapport au
1,08 milliard d’euros que le pays
verse depuis le cycle 2011­2013.
Une fois le dénouement connu,
elles ont salué un « succès pour la
France et l’espoir pour les mala­
des du monde entier ».
Emmanuel Macron a mis la salle
dans sa poche en « mettant la
pression » sur plusieurs pays qui
avaient déjà fait un effort
afin d’accroître leur contribution,
La somme
record devrait
permettre
de sauver
16 millions de vies
supplémentaires
et de mettre fin
aux épidémies
d’ici à 2030
Les Etats africains
contribuent
L’élan pour « accélérer le
mouvement » a été partagé par
de nombreux Etats africains qui
n’ont pas voulu être cantonnés
au seul rôle de bénéficiaire
et ont souhaité devenir des
contributeurs ou augmenter
leur participation au Fonds
mondial de lutte contre le sida,
la tuberculose et le paludisme.
Le Kenya a ainsi accru sa
contribution de 20 % et la porte
à 6 millions de dollars, le Nigeria
la porte à 12 millions de dollars.
La Côte d’Ivoire a promis
1,5 million de dollars et le
Zimbabwe 1 million de dollars.
Le Mali devient donateur avec
la somme d’un demi-million
d’euros et la République centra-
fricaine s’est engagée pour
près de 1 million d’euros.
sans atteindre les 15 % supplé­
mentaires. Etaient montrés du
doigt : le Japon, la Norvège et l’Aus­
tralie. Si le Japon n’a pas modifié
sa promesse de 840 millions de
dollars, l’Australie a accru de 10 %
la somme annoncée et atteint
l’équivalent de 148 millions d’eu­
ros. La Norvège a doublé l’aug­
mentation prévue en promettant
202 millions d’euros.
Le président français a égale­
ment titillé trois Etats du Golfe
– les Emirats arabes unis, le Qatar
et l’Arabie saoudite : « Si ces trois
pays pouvaient se réconcilier et
contribuer ensemble à 100 ou
150 millions de dollars en rejoi­
gnant le club des donateurs… »
Le Qatar a par la suite annoncé
qu’il multipliait par cinq sa
contribution en passant à 50 mil­
lions de dollars. L’Arabie saou­
dite doublait la sienne, atteignant
ainsi 30 millions de dollars.
Rebondissements
Sur un ton de chauffeur de salle,
Emmanuel Macron a martelé ses
propos en référence à l’objectif
financier : « On n’y est pas. Si les
pays que j’ai cités font un effort
supplémentaire, on les atteint. Je
ne laisserai personne sortir de
cette salle ni quitter Lyon tant que
nous n’aurons pas atteint les
14 milliards [de dollars]. Harcelez
les pays que je viens de citer, au té­
léphone, sur les réseaux sociaux ! »
Son énergique invitation aura
donc été entendue, non sans un
sérieux coup de collier et des re­
bondissements dans les derniè­
res heures de la conférence.
A l’issue de la litanie des annon­
ces de contribution des Etats ou
du secteur privé, le but n’était pas
encore atteint. Emmanuel Ma­
cron a alors affirmé que la France
verserait 60 millions de dollars
(54,5 millions d’euros) supplé­
mentaires, ce qui portait la contri­
bution à un total de 1,287 milliard
d’euros, soit une majoration de
20 %. Bill Gates imitait le prési­
dent français et ajoutait 60 mil­
lions de dollars à ses 700 millions
annoncés. Le compteur affichait
alors 13,92 milliards de dollars.
Avec l’engagement de dernière
minute de Bill Gates et du chan­
teur Bono – qui recueille des fi­
nancements privés pour le fonds
mondial à travers la marque
RED – de trouver dans les semai­
nes qui viennent 100 millions de
dollars supplémentaires, le cap
des 14 milliards sera franchi.
Les Etats­Unis demeurent le
premier contributeur au fonds
mondial avec la confirmation
par le Congrès d’un soutien de
4,68 milliards de dollars sur
trois ans, suivis par le Royaume­
Uni et la France. 
paul benkimoun
planète | 7
La Méditerranée se réchauffe 20%
plus vite que le reste du globe
Une synthèse d’études alerte sur les conséquences du changement
climatique pour les 500 millions d’habitants de cette région du monde
barcelone sérieuses mesures d’atténuation
ne sont pas engagées.
Le « lac » en question compte
précisément 517 millions de per­
7,5 %. Avec 5 °C de plus, comme le
prévoit le pire des scénarios du
I
l existe deux façons de ren­ « Les mois des étés les plus frais sonnes. La population y a presque Groupe d’experts intergouverne­
dre concrets les effets du demain seront plus chauds que les doublé depuis 1970 ; celle d’Afri­ mental sur l’évolution du climat,
changement climatique plus caniculaires d’aujourd’hui », que du Nord et du Moyen­Orient les récoltes chuteront de 37,5 %. »
dans le bassin méditerra­ note Wolfgang Cramer, profes­ a été multipliée par 3,5. Les contributeurs du rapport
néen. Soit en évoquant ce qui va seur d’écologie globale (directeur Comment donner à boire à tout se sont aussi penchés sur le sort
advenir d’ici à la fin du siècle : de recherche CNRS, Aix­Marseille le monde ? La question à elle seule des écosystèmes. En Méditerra­
Venise baignant sous les flots, université) et coordinateur du donne le vertige : la baisse de la née, le changement climatique
Pantelleria (7 800 habitants, rapport. Avant de glisser sobre­ disponibilité en eau douce devrait n’est bien sûr pas le seul respon­
83 km2 entre la Tunisie et la Sicile) ment : « C’est assez effrayant. » être comprise entre – 2 % et – 15 % sable du mauvais état des stocks
et d’autres îles en Italie et en Grèce Des sécheresses extrêmes et des pour une hausse de 2 °C, soit l’une de poissons, dont 90 % sont su­
englouties avant même que le ni­ inondations dues à des pluies in­ des plus fortes du monde. Dans rexploités. Le poids moyen de ces
veau de la Grande Bleue ne soit tenses (sauf en été), des popula­ vingt ans, plus de 250 millions poissons devrait d’ailleurs conti­
monté d’un mètre vers 2100. Soit tions rendues plus vulnérables, de personnes devraient être nuer à baisser fortement, selon
en rapportant ce qui s’y passe déjà. des déserts qui avancent au sud de « pauvres en eau », c’est­à­dire les chercheurs. Ces derniers ob­
« En Tunisie aujourd’hui, avec les l’Europe et sur les rives qui lui font qu’elles disposeront de moins servent depuis quelques années
intrusions d’eau de mer, il n’y a plus face sont à prévoir. Erosion des de 1 000 mètres cubes par an, des proliférations de méduses qui
aucune nappe souterraine d’eau sols, disparition de terres agrico­ contre 180 millions en 2013. La perturbent les écosystèmes.
douce qui ne soit pas salée », assure les et de biodiversité, dégradation Grèce et la Turquie pourraient
ainsi Semia Cherif, professeure à des forêts, recrudescence d’incen­ passer sous ce seuil d’ici à 2030. 700 espèces non indigènes
l’université El Manar de Tunis, qui dies, arrivée d’espèces invasives, « Au rythme où son eau s’évapore Comme ailleurs, les coraux et les
est l’une des coordinatrices du multiplication des pathogènes et actuellement, le barrage Kasseb, coquillages pâtissent de l’acidifi­
premier rapport global sur « Les des pollutions… figurent égale­ un réservoir de 437 hectares en cation de l’eau de mer. Dans les mi­
risques liés aux changements cli­ ment parmi les conséquences du Tunisie, sera vide en 2085 », an­ lieux marins et terrestres, plus de
matiques dans la région Méditer­ réchauffement énumérées dans nonce Semia Cherif. A la tribune, 700 espèces animales et végétales
ranée », rendu public jeudi 10 oc­ la synthèse du rapport, rédigée à la scientifique redouble de péda­ non indigènes ont été identifiées.
tobre, à Barcelone (Espagne). partir des contributions de plus gogie pour alerter l’auditoire de Beaucoup sont arrivées par le ca­
Ce document souligne que, sur de 80 scientifiques de vingt pays diplomates et de ministres venus nal de Suez, comme le redoutable
les vingt villes du monde qui vont et de plusieurs centaines d’études. assister au quatrième Forum ré­ poisson­lion par exemple. Selon
le plus subir l’élévation du niveau Lancé en juillet 2015, ce travail gional de l’UPM. « Impossible de les scénarios les plus pessimistes,
des océans d’ici à 2050, plus de la répond à une demande des res­ dresser la liste des impacts, il y en a « plus de 20 % des poissons et inver­
moitié se trouvent autour de la ponsables politiques réunis au trop ! Il serait plus juste de parler tébrés exploités actuellement dans
Méditerranée. Car celle­ci devient sein de l’Union pour la Méditerra­ d’effet domino avec des consé­ l’est de la Méditerranée vont dispa­
plus chaude de 0,4 °C par décen­ née (UPM), une organisation offi­ quences en cascade qui s’ampli­ raître de la région entre 2040 et
nie depuis 1985 et s’élève de plus ciellement créée en 2008 qui fient les unes les autres, prévient­ 2059 », indiquent les auteurs. Or, le
en plus vite, de 3 millimètres par compte quarante­trois Etats, dont elle. Ainsi nous mangeons du pain, bassin méditerranéen est aussi un
an en moyenne depuis vingt ans. les vingt­huit membres de du couscous, des pâtes. Or, à cha­ « hot spot » de biodiversité.
l’Union européenne (UE), les pays que degré de réchauffement, la Ce rapport, un travail prélimi­
« C’est assez effrayant » riverains et la Mauritanie. Les mi­ production de blé va baisser de naire, devrait s’étoffer en 2020
Avec les pays qui la bordent, cette nistres souhaitaient savoir à quoi d’études et de chiffres supplémen­
partie du monde se classe parmi s’en tenir sur l’avenir de la région. taires. Pourquoi l’avoir diffusé
les « hot spots » – les points les plus « En tant que diplomate généra­ dans sa forme inachevée ? « Parce
touchés de la planète – des évolu­ liste, je suis frappé d’apprendre que Dans vingt ans, que nous ne pouvons pas nous per­
tions climatiques en cours. Elle la Méditerranée est la deuxième mettre d’attendre, répond Gram­
s’est réchauffée de 1,5 °C depuis région du monde la plus impactée
plus de menos Mastrojeni, secrétaire gé­
l’ère préindustrielle, 20 % plus ra­ après l’Arctique, résume l’Egyp­ 250 millions néral adjoint de l’UPM. Un an, ça
pidement que la moyenne mon­ tien Nasser Kamel, secrétaire compte. Le constat est si alarmant
diale. D’ici à 2040, la région devrait général de l’UPM. Je comprends
de personnes que j’y vois tout de même un élé­
connaître une température plus bien que l’état de l’Arctique est im­ devraient ment positif : cela peut amener le
élevée de 2,2 °C par rapport à la fin portant pour la planète, mais Nord et le Sud à lancer ensemble
du XIXe siècle, et même de 3,8 °C nous, nous sommes 500 millions
être « pauvres des dynamiques d’action. » 
d’ici à 2100 par endroits si de autour de ce petit lac… » en eau » martine valo
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Charte des droits environnementaux des enfants
Groupe de défense des droits environnementaux des enfants *
I. Tout être humain a le droit de ne pas être exposé dans l'utérus à des facteurs
environnementaux dangereux qui peuvent affecter sa santé physique et mentale.
II. Tous les enfants doivent avoir l'accès à de la nourriture, de l'eau et de l'air sans
contaminants capables de nuire à leur santé de manière aigüe ou à long terme.
III. Un environnement local sain libre de tout risque physique, chimique, biologique
ou psychologique doit être fourni à tous les enfants à la maison, dans les aires
de jeux et à l'école.
IV. Les enfants ont le droit de vivre sur une planète propre, où il y a une approche
durable des ressources naturelles, une conscience responsable de l'impact
humain sur le climat, et un respect de la biosphère et de la biodiversité.
V. Les enfants des futures générations doivent être protégées en encourageant
ceux d'aujourd'hui à défendre plus tard les droits de l'environnement de leur
propre descendance.
VI. Les principes de précaution et de prévention doivent toujours être appliqués aux
droits environnementaux des enfants.
* Ce document a été élaboré par le Groupe de défense des droits environnementaux des enfants,
créé au Forum « Environnement et cancer de l'enfance », qui a eu lieu au Centre des enfants Boldrini
à Campinas, au Brésil, le 16 Septembre 2019.
 FRANCE
0123
8| SAMEDI 12 OCTOBRE 2019

LR, un parti 
exsangue 
en quête 
de chef
Les adhérents du parti
de droite, déboussolés par
les défaites successives,
ont jusqu’à dimanche pour
élire leur nouveau président
De gauche à droite, Guillaume Larrivé, Christian Jacob et Julien Aubert, à La Baule (Loire­Atlantique), le 31 août. SÉBASTIEN SALOM-GOMIS/AFP

D
eux ans à peine après
l’élection de Laurent
Wauquiez, les adhé­
rents du parti Les
Républicains (LR) sont appelés
aux urnes les 12 et 13 octobre
pour désigner un successeur à
même d’assurer la survie de
leur parti. Depuis 2017, les trou­
pes ont fondu : de 235 000 adhé­
rents en 2017, le parti en a
perdu 100 000 et revendique dé­
sormais 131 268 adhérents à jour
de cotisation.
En 2017, M. Wauquiez avait
été élu avec 74,64 % des voix et
la participation, honorable, de
100 000 militants. Ce week­end,
le parti mise sur moitié moins en­
viron. « Ce serait pas mal si on ar­
rivait à 60 000 », estime un
député LR. Le vote, électronique,
aura lieu du samedi 12 octobre,
20 heures, au dimanche 13, même
heure ; quelque 200 permanen­
ces ouvriront pour assister, si
besoin, les militants munis de
codes reçus dans leur message­
rie électronique et leur permet­
tre de départager les trois dépu­
tés candidats.
Question pronostic, rares sont
ceux qui envisagent un second
tour, ou alors avec effroi. « Je vois
Christian Jacob passer au premier
tour, confie l’un de ses soutiens à
l’Assemblée. C’est lui ou le chaos. Si
c’est pas lui, on éteint la lumière. »
En face, les députés du Vaucluse
Julien Aubert et de l’Yonne Guil­
laume Larrivé contestent. « Rebel­
lez­vous ! », ont­ils lancé pendant
la campagne à des militants dé­
boussolés, les invitant à s’affran­
chir des conseils de vote des pré­
sidents de fédération, largement
favorables à Christian Jacob, dé­
puté de Seine­et­Marne et prési­
dent du groupe LR à l’Assemblée
nationale. « L’idée que ce soit plié
au premier tour me semble proba­
ble mais pas plausible », a déclaré
M. Aubert à l’avant­veille du scru­
tin, tout en estimant que dépas­
ser 30 % serait une « très bonne
nouvelle ». Pour contrer la fatalité,
les deux challengeurs se sont pro­
mis de se nommer mutuellement
vice­président du parti si l’un
d’entre eux était élu.
La tenue d’un second tour, qui
donnerait lieu à un report des
voix entre les deux quadras,
serait en tout cas un désaveu pour
Christian Jacob et la preuve que la
discipline des fédérations n’est
plus ce qu’elle était.
Pour expliquer l’incertitude des
militants, il faut admettre aussi
que le casting n’a pas déchaîné
les passions. Connu sur la scène
parlementaire, M. Jacob l’est
« Si on a vraiment
l’envie de
travailler
ensemble, c’est
dans la famille,
la grande maison
que nous devons
le faire »
CHRISTIAN JACOB
président du groupe LR
à l’Assemblée
moins du grand public. Quant à
M. Aubert, empêché il y a deux
ans de se présenter faute de par­
rainages, c’est l’un de ses premiers
tours de piste nationaux, comme
pour M. Larrivé, révélé à l’été 2018
comme corapporteur de la com­
mission d’enquête sur l’affaire
Benalla à l’Assemblée nationale.
Présidence ingrate
Quel que soit le gagnant, cette
présidence s’annonce ingrate.
Conformément au vœu du pré­
sident par intérim Jean Leonetti,
les candidats ont mis à distance
toute ambition présidentielle.
Ces temps­ci, les vues sur 2022 se
cultivent plutôt à l’extérieur du
parti, comme pour les présidents
de région et anciens LR Xavier
Bertrand (Hauts­de­France) ou
Valérie Pécresse (Ile­de­France).
Cette fois­ci donc, on ne pourra
accuser le président de LR d’être
obnubilé par des horizons natio­
naux, un procès qui avait été fait
notamment à Laurent Wauquiez
dans son exercice solitaire du
pouvoir, rue de Vaugirard. L’enjeu
sera de garantir la survie du parti,
en passant d’abord le cap des
élections municipales, puis en
permettant sa reconstruction
d’ici à 2022.
De ce point de vue, les trois
candidats incarnent des droites
distinctes. M. Jacob est un chi­
raquien historique, ses deux
concurrents appartiennent à la
génération d’Emmanuel Macron,
que Julien Aubert a même côtoyé
à l’ENA. « C’est quelqu’un du
passé », jugent ses détracteurs,
tandis que ses soutiens, nom­
breux dans l’état­major, pourfen­
dent l’opportunisme de quadras
vexés par l’ascension fulgurante
du chef de l’Etat.
S’il fallait résumer leurs postu­
res : M. Jacob est tenant d’une
droite large et d’un rassemble­
ment maximal, sur le modèle de
l’UMP, M. Aubert assume une
nostalgie du RPR et la constitu­
tion d’une ligne droitière aban­
donnant les centristes, déjà
nombreux à avoir quitté d’eux­
mêmes les rangs de LR. M. Larrivé,
enfin, parle de transformation
tout en revendiquant un héritage
sarkozyste et une sensibilité libé­
rale et régalienne. Sur l’échiquier,
bon gré mal gré, Julien Aubert est
celui qui réunit les parrains
les plus à droite. Soutenu par
plusieurs parlementaires curieux
des discours de Marion Maréchal,
dont le député de l’Ain Xavier
Breton et le sénateur du Val­d’Oise
Sébastien Meurant, il sera ce
week­end le choix d’Erik Tegnér,
relais auprès des LR de la petite­
fille de Jean­Marie Le Pen, adhé­
rent du parti et ancien frontiste.
Face aux ténors repliés en
région, les candidats divergent.
Christian Jacob affiche pour
slogan « Rassembler, réconcilier,
rebâtir ». « Si on a vraiment l’envie
de travailler ensemble, c’est dans la
famille, la grande maison que
nous devons le faire », a­t­il
martelé pendant sa campagne,
professant le souhait « d’ouvrir
les portes et les fenêtres ». Il main­
tient un dialogue avec les anciens
LR, dont Valérie Pécresse, vue en
tête­à­tête après sa déclaration de
candidature, et Xavier Bertrand,
« Je vois Christian
Jacob passer
au premier tour,
confie un
de ses soutiens à
l’Assemblée. C’est
lui ou le chaos.
Si c’est pas lui, on
éteint la lumière »
qui en a été prévenu.
Pour ses deux concurrents,
cette « grande maison » ne va pas
de soi, même s’il leur arrive de rê­
ver à la possibilité d’un retour.
« Ceux qui sont partis par la porte,
on ne les laissera pas forcément
rentrer par la fenêtre », prévient
M. Aubert. « Je ne vais pas aller me
prostituer pour demander à X ou
Y de bien vouloir revenir », abonde
M. Larrivé.
Surenchère
Les campagnes ont eu des diffé­
rences de style. M. Jacob s’est
refusé à débattre avec ses concur­
rents. M. Larrivé et M. Aubert se
sont jetés dans la bataille avec
appétit, quitte à tomber parfois
dans la surenchère de propo­
sitions plus à droite les unes
que les autres, à apporter leur
soutien au polémiste Eric Zem­
mour après ses propos contre les
immigrés et l’islam.
Les adhérents étaient le cœur
de cible : Christian Jacob leur a
promis une gestion interne asso­
ciant davantage les élus locaux,
tandis que ses rivaux ont proposé
la suppression de la primaire
ouverte, avec des alternatives
variables (intégration de sympa­
thisants, conseil électoral) et
des référendums militants. Sans
dérouler de véritables program­
mes, les candidats ont abordé
d’autres thèmes. L’immigration
notamment, à la faveur d’une droi­
tisation des débats, favorisée par
l’inscription du sujet à l’agenda
par le chef de l’Etat, sur lequel les
trois candidats n’ont pas manqué
de se positionner. Le thème, mé­
dité de longue date par M. Larrivé,
lui a fourni l’occasion de s’illustrer
par des thèses proches de celles de
l’extrême droite : fin du droit du
sol, suspension du regroupement
familial, sortie de certaines con­
ventions internationales, quand
M. Aubert proposait « un blocus de
la marine nationale ». Même M. Ja­
cob, dont le leitmotiv rassembleur
semblait parfois incompatible
avec l’élaboration d’un projet pré­
cis, a publié douze pistes, incluant
notamment l’idée d’un retour aux
lois Pasqua limitant le droit du sol.
Quelle que soit l’issue du vote,
le défi s’annonce de taille. Jean­
François Copé, candidat victo­
rieux en 2012 à l’issue d’une
campagne fratricide face à Fran­
çois Fillon, en sait quelque chose.
Jeudi, sur France Inter, il résu­
mait ainsi : « Après le désastre de
la présidentielle et ces deux années
d’errance lamentable qui ont
abouti à 8 % des voix aux euro­
péennes, il y a tout à refaire de fond
en comble ! » 
julie carriat

VENTES AUX ENCHERES PUBLIQUES Gérard Larcher, « mètre étalon de l’union »

01.49.04.01.85 - annonces@osp.fr Le président du Sénat s’est érigé en référence morale à droite, si ce n’est en recours pour 2022
12 SCP LARGUIER AIMONETTI BLANC BRINGER MAZARS
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26 Avenue de la République -12100 MILLAU Tél : 05 65 60 44 55
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Un ensemble immobilier composé d’un château et d’un grand corps de logis avec piscine,
G râce à toi Gérard, aujour­
d’hui on est rassemblé. »
La présidente d’Ile­de­
France, Valérie Pécresse, est un
peu pressée, ce jeudi soir 10 octo­
une maison indépendante et terres attenantes d’une contenance totale de 1 ha 72 a 83 ca
avec vue imprenable sur les coteaux bre à Sèvres (Hauts­de­Seine),
L’audience d’adjudication est fixée au VENDREDI QUINZE NOVEMBRE pour la dernière des conventions
DEUX MILLE DIX NEUF à 14 HEURES de Gérard Larcher, aussi passe­t­
devant le Tribunal de Grande Instance de RODEZ (Aveyron)
au Palais de Justice Boulevard Guizard
elle vite sur les absents. Le 4 juin,
après la débâcle des européennes,
MISE A PRIX : 880 000 € le président du Sénat, troisième
UNE VISITE DES LIEUX EST FIXEE LE 28 OCTOBRE 2019 de 14h à 16 h personnage de l’Etat, autorité
PAR ME BOUZAT-NOYRIGAT, HUISSIER DE JUSTICE A ESPALION (12500)
Outre les frais en sus du prix et les conditions du cahier des conditions de vente, les morale à droite, avait réussi
Enchères ne peuvent être portées que par un Avocat inscrit au Barreau de l’AVEYRON l’exploit de réunir au Novotel de
étant précisé que le cahier des conditions de vente peut être consulté au Greffe du la Tour Eiffel les présidents
TGI de RODEZ ou au Cabinet de Me Christophe BRINGER, Avocat Associé de la SCP des groupes LR au Parlement,
d’Avocats LARGUIER AIMONETTI BLANC BRINGER MAZARS
ceux des trois grandes asso­
ciations d’élus locaux et la plupart
des présidents de région de la
droite et du centre.
Des « quatorze » du Novotel, cer­
tains manquent à l’appel ce jeudi,
« pas beaucoup », souligne Gérard
Larcher : ni Laurent Wauquiez ni
le président du groupe LR à l’As­
semblée, Christian Jacob, dans les
dernières heures de sa campagne
pour la présidence du parti, ni le
président par intérim Jean Leo­
netti ne sont là. Malgré les préven­
tions répétées du président de la
Chambre haute, qui martèle que
son initiative « France territoires »
est « sans concurrence avec nos
formations politiques », son tour
de France a forcément suscité des
parallèles avec une campagne
interne en mal de dynamique.
« Je n’exclus rien »
Depuis juin, Gérard Larcher a
sillonné les « territoires » qu’il
affectionne en dix étapes, dix ren­
contres avec des ténors plus ou
moins éloignés de l’appareil des
Républicains, du président des
Hauts­de­France Xavier Bertrand
à Valenciennes (Nord) à Laurent
Wauquiez à Vichy (Allier), en pas­
sant par la Normandie du cen­
triste Hervé Morin. Ce faisant, la
rumeur de son ambition person­
nelle a couru, encouragée par son
livre d’entretiens Contre­pouvoir,
à paraître le 16 octobre aux Edi­
tions de l’Observatoire. « Je n’ex­
clus rien. Je déciderai en fonction
des circonstances », peut­on y lire.
« J’ai toujours privilégié le Sénat. Si
les événements et les circonstances
politiques le décidaient, j’assume­
rais. Mais ce n’est pas le rêve de ma
vie. » L’incertitude aura duré trois
jours. Lundi 7 octobre sur RTL, le
troisième personnage de l’Etat
lâchait : « Je ne suis pas candidat à
l’élection présidentielle de 2022. »
Aussi jeudi, passé ces clarifica­
tions, le président du Sénat était à
l’aise dans ses habits de gardien
de la majorité sénatoriale pour
cette onzième convention. « Les
élections territoriales sont, dans
les dix­huit mois à venir, les
rencontres majeures que nous de­
vons avoir avec les Français », a­t­il
conclu, assurant qu’il rendrait,
d’ici un mois, un « référentiel » po­
litique, « mis à la disposition des
élus qui partagent nos valeurs ».
Quant aux murmures, ils vise­
raient plutôt désormais le prési­
dent de l’Association des maires
de France, François Baroin, qui a
fait applaudir l’organisateur – « Gé­
rard Larcher est le mètre étalon de
l’union, du rassemblement, dans
le respect de la diversité » – avant
quelques paroles d’encourage­
ment nationales, contre la « dua­
lité mortifère » tissée entre La Ré­
publique en marche et le Rassem­
blement national, et communa­
les : « Il y aura des bonnes surprises
au lendemain des municipales. » 
j. ca.
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
Fillon sort de son silence
pour critiquer Macron
le « petit joueur »
L’ancien candidat à la présidentielle a commenté
la politique française à la télévision suisse
C’ est le retour d’un
« grand brûlé ». Retiré
de la vie politique
depuis son échec à la présiden­
tielle de 2017, François Fillon est
sorti de son silence cette semaine
pour livrer, notamment, son ana­
lyse de la situation de la droite.
Les premiers signaux de fumée
sont apparus lors du décès de
Jacques Chirac : l’ancien candidat,
désormais employé de la société
de gestion et d’investissements
Tikehau Capital, a salué le « lion de
la politique française » sur Twitter.
Rien que de très normal pour
son ancien ministre. Dans la fou­
lée, cependant, il a pris position,
lundi 7 octobre, sur le « poison du
totalitarisme islamique », après la
tuerie de la Préfecture de police,
puis exhorté, mardi, dans une
leçon de géopolitique, la France
à ne pas « laisser lâchement
tomber » les combattants kurdes
après le retrait américain dans le
nord de la Syrie.
Enfin, mercredi, dans une inter­
view diffusée sur la chaîne suisse
RTS, François Fillon a ouvert les
vannes et il a délivré une parole
d’homme « libre », selon les mots
de son entourage, malgré l’immi­
nence d’un procès dans lequel il
encourt la prison.
Absence d’idées
A quelques mois de l’ouverture de
son procès pour « détournement
de fonds publics » et « complicité
et recel d’abus de biens sociaux »
–programmée pour le 24 fé­
vrier 2020 –, l’ancien premier
ministre de Nicolas Sarkozy
dresse un portrait sans complai­
sance de sa famille politique. « La
droite française s’est suicidée avec
ses divisions », déclare­t­il.
Des regrets, des remords, des
rancunes ?, lui demande­t­on.
« Un peu des trois, forcément »,
admet­il. « Il y a des compor­
tements humains qu’on ne peut
pas complètement pardonner »,
ajoute l’ex­candidat éliminé dès
le premier tour au printemps
2017, à l’issue d’une campagne en­
tachée par les soupçons d’emploi
fictif visant notamment son
épouse, Penelope Fillon.
« C’était intéressant de voir, aux
obsèques du président Chirac,
tous ces hommes et ces femmes
qui s’étaient battus les uns contre
les autres, qui avaient sorti les
poignards, tout le monde était
rassemblé, réconcilié autour de la
figure du président. »
L’auteur d’un programme prési­
dentiel encore cité en exemple
par certains au sein du parti
Les Républicains (LR) critique, en
outre, l’absence d’idées de ses
anciens collègues.
F ÉMIN IC I DES
Unanimité à l’Assemblée
pour le bracelet
anti-rapprochement
Les députés ont achevé jeudi
10 octobre l’examen d’une
proposition de loi du député
Les Républicains Aurélien
Pradié pour lutter contre
les violences conjugales.
Ils ont adopté à l’unanimité la
généralisation du bracelet
anti­rapprochement pour
maintenir à distance les con­
joints et ex­conjoints violents.
Le texte doit être adopté
en première lecture mardi.
F INA NC ES
Les députés retoquent
la baisse du budget des
chambres d’agriculture
En commission des finances,
jeudi 10 octobre, l’opposition
et une partie de la majorité
à l’Assemblée ont supprimé
« Je vais être un
peu prétentieux
mais quand j’étais
ministre des
affaires sociales,
j’ai mis 2 millions
et demi
de personnes
dans la rue »
FRANÇOIS FILLON
« Il y a quand même depuis une
vingtaine d’années des batailles
uniquement personnelles, uni­
quement individuelles, unique­
ment d’ego, et il n’y a pas beau­
coup de débats idéologiques », as­
sure ainsi François Fillon à la télé­
vision suisse qui l’interroge.
L’ancien chef du gouvernement
égratigne au passage Emmanuel
Macron, dont il dénonce la
faiblesse face aux manifestations
des « gilets jaunes », pour vanter
son propre bilan lorsqu’il était
aux affaires. « Si on réfléchit bien,
c’est pas grand­chose, cette af­
faire de “gilets jaunes”. Il y a eu
au maximum des manifestations
150 000 à 180 000 personnes dans
toute la France, explique­t­il. Je
vais être un peu prétentieux mais
quand j’étais ministre des affaires
sociales, j’ai fait une réforme des
retraites, j’ai mis deux millions et
demi de personnes dans la rue. Ma­
cron, c’est un petit joueur à côté. »
Ce retour médiatique n’est en
rien le signal d’une quelconque
ambition politique, promet­il
cependant. « J’ai choisi une autre
vie qui me satisfait pleinement. »
Sa garde rapprochée assure qu’il
ne faut pas « surinterpréter » ses
sorties en y voyant le signe d’une
volonté de retour en politique. Ses
tweets portent sur des sujets « qui
lui tiennent à cœur, qu’il juge im­
portants et sur lesquels il ne peut
pas rester inerte », explique­t­on.
Quant à l’interview, « il était invité
à un débat en tant que président de
la commission des constructeurs
de la Fédération internationale de
l’automobile. Que le journaliste dé­
borde, c’est inéluctable… »
« Je ne pense pas que ce soit un re­
tour calculé », renchérit le prési­
dent des sénateurs LR et l’un de
ses soutiens de la dernière heure
en 2017, Bruno Retailleau. « C’est
un homme libre de dire ce qu’il
pense », ajoute son entourage,
tout en se réjouissant au passage
que ce grand brûlé de la politique
puisse « encore surprendre ». 
julie carriat
et alexandre lemarié
du budget les dispositions
relatives aux chambres d’agri­
culture afin de contester la
baisse de 45 millions d’euros
du budget de ces organismes
prévue par le gouvernement
dans le projet de loi de finan­
ces (PLF). « C’est juste inadmis­
sible », a lancé le LRM
Jean­Baptiste Moreau. Le
débat reprendra lors de l’exa­
men du PLF dans l’Hémicycle.
S É NAT
Pas de commission
d’enquête sur l’attentat
à la Préfecture de police
Le président de la commis­
sion des lois Philippe Bas (LR)
écarte « à ce stade » la créa­
tion d’une commission
d’enquête au Sénat sur la tue­
rie à la Préfecture de police,
mais a fait des propositions
pour mieux détecter des si­
gnes de radicalisation. – (AFP.)
Municipales : LRM cherche
le bon atterrissage à Marseille
La direction du mouvement présidentiel penche pour une alliance entre
l’universitaire Yvon Berland et la sénatrice des quartiers nord Samia Ghali
marseille ­ correspondant
C’
est un véritable cas­
se­tête. Depuis plu­
sieurs mois, La Ré­
publique en marche
(LRM) s’interroge sur la stratégie à
adopter et le candidat à adouber à
Marseille pour les élections mu­
nicipales de mars 2020. Si aucun
choix définitif n’a encore été pris,
le dossier marseillais a, récem­
ment, connu quelques avancées
du côté de LRM.
Les intentions de la majorité se
précisent, à la suite d’un déjeuner
à l’Elysée organisé mardi 8 octo­
bre autour d’Emmanuel Macron,
réunissant les responsables du
parti présidentiel et de la com­
mission nationale d’investiture
(CNI). Lors de cette rencontre in­
formelle, les cas de Paris, Lyon et
Marseille – suivis de très près par
le président de la République –
ont été étudiés.
Concernant la deuxième ville
de France, l’idée d’une alliance
dès le premier tour avec Les Répu­
blicains (LR), envisagée avant l’été,
semble définitivement abandon­
née. Insufflée par le maire LR sor­
tant Jean­Claude Gaudin, qui en­
tretient des relations cordiales
avec M. Macron, cette union était
repoussée en bloc par les mar­
cheurs locaux. « On ne partira pas
avec la droite au premier tour »,
confirme aujourd’hui un mem­
bre de la CNI, alors que deux can­
didats se sont déclarés chez Les
Républicains : la présidente du
conseil départemental et de la
métropole Aix­Marseille, Martine
Vassal, et le sénateur et président
de la fédération LR des Bouches­
du­Rhône, Bruno Gilles. En revan­
che, LRM ne ferme pas la porte à
une éventuelle alliance avec Mar­
tine Vassal au second tour, dans
l’idée de créer un vaste rassemble­
ment républicain pour barrer la
route à l’extrême droite.
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D’ici là, les macronistes s’accor­
dent désormais sur l’option
d’une candidature sous leurs
propres couleurs au premier
tour. Et parmi les deux candidats
à l’investiture LRM et les multi­
ples prétendants dont le nom cir­
cule, Yvon Berland fait désormais
figure de favori. Désigner l’ex­
président d’Aix­Marseille Univer­
sité (AMU), plutôt que l’autre can­
didat officiellement déclaré, le
député Saïd Ahamada, est vu, à
Paris, comme « l’hypothèse la
plus probable », selon plusieurs
sources. Même si la perspective
de lancer dans l’arène cet
homme de 68 ans, qui a quitté ses
fonctions à la tête de l’université
fin août, s’est déclaré candidat à
l’investiture en juillet, et a déposé
son projet à la CNI à Paris le 2 oc­
tobre, ne fait pas encore totale­
ment consensus en interne.
« Il ne pèse que 10 % »
Peu connu du grand public, no­
vice en politique, M. Berland a
été crédité de 8,5 % à 10,5 % des
intentions de vote au premier
tour dans un sondage Elabe dif­
fusé le 27 septembre. « Il ne pèse
que 10 % donc il faut qu’il élar­
gisse pour le premier tour », souli­
gne un cadre de LRM.
Pour « élargir » ce socle électo­
ral, le parti pense désormais à
une alliance avec la sénatrice Sa­
mia Ghali, qui se dit « compatible
avec tous, sauf avec les extrêmes ».
L’élue des quartiers nord de Mar­
seille, que les sondages classent,
mois après mois, comme une des
personnalités politiques les plus
connues de la ville, s’est affran­
chie du Parti socialiste – dont elle
n’est plus adhérente – et défend
l’idée d’un large rassemblement.
Elle entretient des relations cha­
leureuses avec plusieurs figures
de LRM, comme le ministre du lo­
gement Julien Denormandie, qui
était à Marseille vendredi 4 octo­
bre, ou la secrétaire d’Etat à l’éga­
lité entre les femmes et les hom­
mes, Marlène Schiappa.
L’expérience du terrain de Sa­
mia Ghali, élue depuis 1995, sa
capacité à aller au contact des
électeurs, et son ancrage dans les
quartiers nord de la ville sont
autant d’atouts qui manquent
cruellement au très compassé
candidat Berland. La récente dé­
cision d’Europe Ecologie­Les
Verts (EELV) Marseille de rejeter
une alliance à gauche est un
autre bon point pour la séna­
trice. Pendant la campagne des
élections européennes, elle avait
reçu Yannick Jadot dans son fief.
Et elle reste, selon Sébastien Bar­
les, la tête de liste écologiste
choisie le week­end dernier,
« une interlocutrice possible pour
le second tour ».
Un ticket Berland­Ghali ? « Au
sommet de La République en mar­
che, on considère que c’est un tan­
dem complémentaire, qui per­
mettrait de réconcilier le nord et le
sud de Marseille, confirme­t­on
dans l’entourage de Mme Ghali.
Mais rien ne prouve aujourd’hui
que la solution ira à son terme. »
Pour avancer encore, la sénatrice
aimerait notamment avoir la ga­
rantie que l’Etat s’engagera finan­
cièrement à soutenir Marseille
après les élections, notamment
dans les domaines des trans­
ports et de l’habitat indigne.
L’expérience du
terrain de Samia
Ghali, élue depuis
1995, représente
autant d’atouts
qui manquent au
très compassé
candidat Berland
france | 9
Dans le camp d’Yvon Berland,
on se dit « uniquement concentré
sur la course à l’investiture » et on
s’interroge sur la forme que
pourrait prendre ce ticket avec
Samia Ghali, alors que mairie et
métropole seront en jeu. « Nous
parlons avec elle et son entou­
rage, bien sûr, comme nous le fai­
sons avec d’autres forces progres­
sistes, mais on préférerait une in­
vestiture claire avant d’ouvrir des
négociations de ce type », expli­
que­t­on.
L’ancien doyen de la faculté de
médecine a fait connaître publi­
quement son agacement le 3 oc­
tobre en exhortant la commis­
sion nationale d’investiture de
LRM à désigner « rapidement » sa
tête de liste pour les municipales.
« Il faut y aller maintenant ! », a­
t­il déclaré, en faisant valoir que
« chaque jour qui passe sans inves­
titure est un jour perdu pour expli­
quer notre projet aux Marseillai­
ses et aux Marseillais ».
Si la candidature d’Yvon Ber­
land tient la corde, les hésita­
tions de LRM laissent toujours la
porte ouverte à d’autres préten­
dants. L’entrepreneur Johan Ben­
civenga, repéré par le président
Macron lors d’un déplacement
marseillais en juin, a démis­
sionné le 7 octobre de la prési­
dence de l’Union pour les entre­
prises des Bouches­du­Rhône
(UPE13) pour se rendre disponi­
ble. L’architecte et urbaniste Co­
rinne Vezzoni, elle, se dit « en ré­
flexion face aux sollicitations con­
tinues dont [elle] fait l’objet ». Une
réflexion qui « pourrait aboutir
dès ce week­end », selon elle. A
LRM, on se donne un peu plus
d’un mois pour régler le cas mar­
seillais. « Le dossier doit atterrir
avant la mi­novembre », affirme
un responsable du parti prési­
dentiel. 
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 0123
10 | france SAMEDI 12 OCTOBRE 2019

A Paris, guerre de positions entre Griveaux et Villani

Les rivaux macronistes tentent d’obtenir le ralliement de Bournazel et le soutien du MoDem aux municipales

D
rôle de coïncidence. en tant que nouveaux arrondisse­ En public, ils se refusent à dire parti sous sa propre bannière. gant, parfois rude. Un aspect ré­
Samedi 12 octobre, à
Entre les deux ments », déclarait­il dès avril. du mal l’un de l’autre, d’autant Sans le soutien d’un appareil par­ vélé par la fuite de l’enregistre­
cinq mois des munici­ députés LRM, Deux salles, deux ambiances, que leur idole commune, Emma­ tisan, il s’est doté d’une équipe de ment d’une conversation privée
pales, les candidats à deux visions des priorités pour la nuel Macron, a fait de la « bien­ campagne, d’un siège loué à un où il traitait ses concurrents
Paris Benjamin Griveaux et Cédric
la confrontation capitale. Il va falloir s’y habituer : veillance » une valeur­clé. Der­ généreux bienfaiteur sur l’île de d’« abrutis », de « fils de pute », etc.
Villani réunissent leurs troupes. est partie entre les deux députés LRM qui rière, leurs équipes se lâchent. la Cité, de relais dans tous les ar­ Les deux macronistes mènent
Et, surprise, ils ont choisi pour briguent le fauteuil d’Anne Hi­ « Villani n’a pas de programme, rondissements. « Cédric continue actuellement une intense campa­
l’occasion deux lieux distants d’à
pour durer dalgo, la confrontation est partie pas d’idée, il serait temps qu’on à organiser des dîners pour lever gne de séduction auprès du Mo­
peine 300 mètres, au bord du pour durer. Sans doute jusqu’au puisse saisir le sens de sa démar­ des fonds, et l’argent rentre », Dem. Le mouvement de François
canal Saint­Martin, un quartier premier tour des municipales, che », critique un proche de Ben­ ajoute son directeur de campa­ Bayrou n’a pas fait son choix pour
branché du nord­est parisien. Cédric Villani a au contraire le 15 mars 2020. Voire jusqu’au jamin Griveaux. « Son équipe est gne, Baptiste Fournier. Paris. « On finalise d’abord notre
Samedi, Benjamin Griveaux a choisi de voir « Paris en grand ». deuxième, où triangulaires et composée de beaucoup d’ex­so­ projet, on discutera ensuite », indi­
donné rendez­vous aux 240 « re­ Après avoir sondé les maires de quadrangulaires sont autorisées. cialistes et de militants frustrés Campagne de séduction que Maud Gatel, la présidente du
lais de quartier » de La Républi­ communes voisines, il veut dé­ Globalement, les deux hommes de ne pas avoir eu le poste qu’ils Un temps, les hiérarques de LRM parti dans la capitale. « Le MoDem
que en marche (LRM). Un pour battre samedi de l’extension de se réclament de valeurs identi­ visaient », ajoute un autre. Et ont espéré que Cédric Villani fini­ fait partie de la majorité présiden­
chacun des microquartiers iden­ la ville avec des experts et ques (progressisme, lutte contre quand le candidat officiel de LRM rait par rentrer dans le rang. Benja­ tielle et souhaite l’alternance à
tifiés par Mounir Mahjoubi, l’ex­ 350 militants, tester sur eux ses la pollution…), même si Cédric préconise de mieux réguler les min Griveaux lui a tendu la main, Paris, il a donc vocation à rejoindre
concurrent de Griveaux devenu propositions. Villani est un peu plus marqué à trottinettes, le porte­parole de ouvert les bras. Aujourd’hui, il n’y Benjamin Griveaux », veut croire
son allié. « C’est à cette échelle­là A ses yeux, Paris intra­muros gauche. L’un joue à fond la carte Villani le corrige illico : « La pre­ croit plus. Les sondages de sep­ un de ses soutiens, le sénateur
que, demain, nous pourrons agir n’est plus l’échelon pertinent du scientifique de haut vol, capa­ mière mesure à prendre sur l’éco­ tembre, attribuant à Villani 15 % LRM Julien Bargeton.
pour améliorer la propreté, la pour traiter les problèmes des ble de moderniser la ville, prêt à logie n’est certainement pas de ré­ des intentions de vote et le plaçant Pierre­Yves Bournazel a droit lui
sécurité ou renforcer la solidarité, transports ou de la pollution. choisir certains de ses colistiers duire les mobilités douces. » en troisième position derrière la aussi à une double danse du
en redonnant du pouvoir aux Comme en 1860, « Paris a voca­ par tirage au sort. L’autre se veut Après l’investiture accordée à maire socialiste sortante et le can­ ventre. Depuis plusieurs mois, ce
maires d’arrondissement », af­ tion à s’agrandir encore, en inté­ pragmatique, terre à terre, mais Benjamin Griveaux, le candidat didat officiel de LRM, ne peuvent député juppéiste rallié à Macron
firme Mounir Mahjoubi. grant des communes limitrophes connaissant à fond ses dossiers. malheureux des primaires est qu’inciter le mathématicien à avance sous ses propres couleurs.
poursuivre l’aventure. De même Rêvant de devenir maire de Paris,
que l’absence de sanction du parti. il fait équipe avec plusieurs élus
Le mystérieux sondage qui teste les candidatures Borloo et Buzyn Chacun espère sans y croire que
le candidat adverse chutera dans
de droite qui ne se reconnais­
sent plus dans Les Républicains,
les sondages, et se retirera. Pour comme le maire du 15e, Philippe
depuis plusieurs semaines, Benjamin ver une porte de sortie, souffle un proche. ris », s’agace un cadre macroniste. Si les re­ l’heure, les partisans de Benjamin Goujon. Mais les sondages n’ac­
Griveaux et Cédric Villani guettent le choix On ne peut pas rester dans une impasse à six lations du maire de Pau sont fraîches avec Griveaux observent avec plaisir cordent pour l’heure à ce troi­
du MoDem, qui n’a toujours pas décidé mois d’une élection. » Jean­Louis Borloo, son vieux rival cen­ les débuts de campagne un peu sième candidat macroniste que
quel candidat soutenir aux élections muni­ Du côté du MoDem, on feint l’ignorance triste, « il a, en revanche, beaucoup d’affec­ chaotiques de Villani, les yeux 5 % à 6 % des intentions de vote. Si
cipales à Paris en mars 2020. Las, le parti ou on dément (mollement) avoir com­ tion pour Agnès Buzyn », rappelle un pro­ parfois hagards, incapable de for­ la courbe ne se redresse pas, il
de François Bayrou semble avoir d’autres mandé une telle enquête. « Je ne suis pas au che. M. Bayrou avait déjà essayé d’imposer muler un discours clair sur le lo­ pourrait renoncer. Nul ne sait s’il
plans en tête. Selon plusieurs sources au courant, je n’ai pas vu ce sondage », assure sa candidature comme tête de liste aux gement, évoquant les « Guignols rejoindrait alors Cédric Villani ou
sein de LRM, le MoDem aurait commandé Maud Gatel, présidente de la fédération pa­ élections européennes, en mai. « Elle a tou­ de l’info » pour célébrer la mé­ Benjamin Griveaux. Les deux ne
un sondage testant les candidatures dans la risienne. « Ce n’est pas le MoDem qui l’a jours dit qu’elle n’avait pas l’intention d’être moire de Jacques Chirac. « Son cessent de lui faire passer des
capitale… d’Agnès Buzyn, ministre de la commandé, contrairement à ce que beau­ candidate », insiste­t­on dans l’entourage équipe le surprotège, ils ont peur de mots doux, et semblent prêts à lui
santé, et de Jean­Louis Borloo, ancien mi­ coup croient », jure un cadre bayrouiste, qui de Mme Buzyn. « Borloo n’est pas crédible, et ce qu’il peut lâcher en public », cin­ laisser la tête de liste dans son fief,
nistre de Nicolas Sarkozy. François Bayrou assure néanmoins avoir vu le sondage : Buzyn n’a pas assez de charisme et n’est pas gle un proche de Griveaux. le 18e. Lui qui se voyait comme
rechigne en effet à soutenir Benjamin Gri­ « On m’a montré que Borloo et Buzyn assez politique », tranche pour sa part un Ce dernier, ancien porte­parole l’homme capable de gagner Paris
veaux, qu’il trouve trop clivant, et craint étaient testés, mais je n’ai pas les résultats. » dirigeant macroniste. La formation de du gouvernement, n’est pas à en réconciliant centre droit et
que son duel fratricide avec Cédric Villani Ces atermoiements irritent au sein de François Bayrou, elle, donne rendez­vous l’abri des dérapages pour autant. centre gauche pourrait, à défaut,
ne conduise la majorité à la défaite. « Fran­ LRM. « Comme Bayrou s’est toujours rêvé en « fin octobre » pour dévoiler son choix.  Et il sait qu’il pâtit d’une image jouer les faiseurs de roi. 
çois pense que c’est mal barré, qu’il faut trou­ troisième homme, il en cherche un pour Pa­ olivier faye et alexandre lemarié difficile à corriger d’homme arro­ denis cosnard

Quatre nuances de Verts autour de Yannick Jadot

Des motions devaient être déposées vendredi en vue du congrès d’EELV. Objectif : conduire le parti à la présidentielle de 2022

Pas question pour

C’ est un moment char­
nière pour Europe Eco­
logie­Les Verts (EELV).
Un moment qui dira si la forma­
tion écologiste passe enfin à la
maturité politique. Pour cela, il lui
faudra tourner définitivement la
page des luttes intestines et deve­
nir un parti de gouvernement.
Mais aussi une écurie présiden­
tielle dans la perspective de 2022.
Vendredi 11 octobre, les « mo­
tions d’orientation en vue du
congrès » seront déposées. C’est
sur la base de ces documents que
les près de 8 000 adhérents d’EELV
se prononceront pour élire leur
future direction, qui sera désignée
fin novembre, lors du congrès,
à Saint­Denis (Seine­Saint­Denis).
Durant son mandat de trois ans,
la nouvelle équipe dirigeante − Da­
vid Cormand, le secrétaire natio­
nal sortant, ne se représente pas –
aura la lourde tâche de préparer les
élections municipales de 2020, les
régionales et les départementales
de 2021 et d’installer Yannick Jadot
en candidat crédible pour succé­
der à Emmanuel Macron à l’Elysée.
Le programme est donc chargé.
Pendant plusieurs semaines,
une « motion de synthèse » était
envisagée dès le premier tour
pour montrer l’unité des écolo­
gistes. Las ! Les querelles auront
eu raison de cette utopie. Le
congrès verra donc s’affronter
quatre textes. Celui de la direction
sortante, « L’Ecologie au pouvoir,
grandir ensemble pour gagner
enfin », porté notamment par les
porte­parole Julien Bayou et
Sandra Regol et soutenu par Da­
vid Cormand. La motion de l’an­
cienne députée de l’Essonne Eva
Sas, « Le Temps de l’écologie ». Et
deux contributions plus mar­
quées à gauche, « Le Souffle de
l’écologie » du secrétaire national
adjoint Alain Coulombel et « Dé­
mocratie écolo » de Philippe Sta­
nisière (membre du bureau exé­
cutif) et Christine Juste, qui était
sur la liste EELV aux européennes.
Difficile de faire la différence,
dans le fond des propositions, en­
tre les deux premières motions.
Toutes deux veulent faire de l’éco­
logie politique « le nouveau para­
digme » autour duquel doit se res­
tructurer l’opposition. Pour les
deux textes, l’heure n’est pas à la re­
composition de la gauche, il s’agit
de redéfinir un corpus idéologique
pour construire un parti « capable
d’exercer le pouvoir ». Et bienvenue
aux formations « écolo­compati­
bles » pour de futures alliances.
« Contre-gouvernement »
« Il n’y a pas de grandes différences
avec le texte d’Eva Sas, concède Ju­
lien Bayou. Cela a achoppé sur les
noms pour le poste de secrétaire
national. Elle n’a pas voulu discuter
d’une motion de synthèse dès le
premier tour. » Pour se différen­
Yannick Jadot
de se prononcer :
il doit apparaître
comme
le rassembleur
cier, Eva Sas met en avant son ex­
périence de parlementaire, et son
expertise sur les questions bud­
gétaires. « On doit travailler sur le
fond des dossiers, le programme.
On propose, par exemple, un
contre­gouvernement. Il faut re­
construire l’appareil théorique des
écolos en étant en lien avec des in­
tellectuels. » Beaucoup voient la
motion d’Eva Sas comme celle,
en sous­main, de Yannick Jadot.
Ce dernier ne cache pas qu’il
trouve le binôme Bayou­Regol
trop à gauche. M. Jadot veut, en ef­
fet, séduire un électorat venant de
LRM. Pas question, donc, d’ef­
frayer les déçus du macronisme.
De son côté, Eva Sas souligne sa
« relation de confiance avec Yan­
nick » : « Je l’ai toujours soutenu. »
Mais elle revendique ses nuances.
« On est complémentaires car j’ai
une fibre plus sociale », continue
celle qui estime que l’écologie « est
incompatible avec le libéralisme ».
Officiellement, pas question
pour Yannick Jadot de se pro­
noncer : il doit apparaître comme
le rassembleur. « Je ne signerai
aucune motion. Ma responsabilité
est que le parti reste uni autour
de la ligne que je défends : recom­
poser le paysage politique autour
de l’écologie et nous dépasser pour
construire un rassemblement
écologique et social », résume­t­il.
Dans ce contexte, difficile pour
les autres listes d’exister. Le texte
d’Alain Coulombel – signé par
l’ancien ministre Yves Cochet et
l’ancien eurodéputé Vert Alain
Lipietz – défend notamment la
« construction d’un espace politi­
que avec une partie de la gauche
qui est en voie d’écologisation » ;
comprendre la gauche « non pro­
ductiviste » comme Génération.s,
Nouvelle Donne ou Place publi­
que, voire La France insoumise.
Philippe Stanisière, lui, reven­
dique « représenter la gauche
du parti ». Le texte qu’il présente
veut, entre autres, « renouer avec
l’écologie populaire » mais aussi
donner une « perspective » face à
« l’effondrement » de la planète.
M. Stanisière prône aussi une
« écologie plurielle ». « D’autres
partis peuvent nous rejoindre.
Mais rien n’est possible avec la gau­
che productiviste comme le PS ou
le PCF », prévient­il. Une chose est
sûre : avant de vouloir rassembler
l’opposition, EELV doit d’abord se
rassembler elle­même. 
abel mestre

QUESTIONS POLITIQUES
ALI BADDOU, YAËL GOOSZ, FRANÇOISE FRESSOZ ET JEFF WITTENBERG
EN DIRECT SUR FRANCE INTER ET SUR FRANCEINFO (TV CANAL 27)
DIMANCHE 13 OCTOBRE À 12H
© photo : Christophe Abramowitz

NICOLAS BAY
DÉPUTÉ EUROPÉEN RN

RÉAGISSEZ SUR TWITTER #QUESTIONSPOL TV canal 27

0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019 france | 11

Nouvelle­Calédonie :
un accord au forceps
Le deuxième référendum aura lieu
le 30 août ou le 6 septembre 2020

L
a montagne a accouché
d’un souriceau. Au terme
de seize heures de discus­
sion, le 19e comité des si­
gnataires de l’accord de Nouméa a
tout juste évité, dans la nuit du 10
au 11 octobre, de se séparer sur un
constat de désaccord. Les repré­
sentants des forces politiques de
Nouvelle­Calédonie, loyalistes et
indépendantistes, réunis à Mati­
gnon autour d’Edouard Philippe,
ont – difficilement – abouti à un
compromis permettant d’envisa­
ger la tenue du deuxième référen­
dum d’accession à la pleine sou­
veraineté le 30 août ou le 6 sep­
tembre 2020. La date définitive
sera fixée « dans les quinze jours »,
a indiqué le premier ministre à
l’issue des travaux.
Mais ce « souriceau », si chétif
soit­il, permet de préserver l’es­
poir de porter à son terme, de
manière consensuelle, le proces­
sus politique et institutionnel
mis en œuvre à partir des accords
de Matignon du 26 juin 1988 puis
de Nouméa du 5 mai 1998. Et c’est
presque avec soulagement que les
acteurs de cette longue négocia­
tion, parfois au bord de la rupture,
ont accepté de s’en contenter, tant
les positions de départ étaient
divergentes.
Ce comité des signataires inter­
venait en effet après le premier ré­
férendum d’autodétermination
du 4 novembre 2018, qui a donné
une majorité de 56,7 % en faveur
du non à l’indépendance. Et, sur­
tout, après les élections provincia­
les du 12 mai marquées par la vic­
toire, à droite, d’un courant radical
opposé à « toute nouvelle conces­
sion aux indépendantistes ». Chef
de file de ce courant et tête de liste
de L’Avenir en confiance (AEC),
Sonia Backès a fait campagne en
martelant que la deuxième con­
sultation prévue par l’accord de
Nouméa en cas de victoire du
non au premier devrait avoir lieu
« au plus vite » afin d’ancrer défini­
tivement la Nouvelle­Calédonie
dans la République.
Contraintes d’organisation
Les indépendantistes du Front de
libération nationale kanak et so­
cialiste (FLNKS), convaincus que
le temps joue en leur faveur et en­
couragés par leur score du 4 no­
vembre (43,3 %), tiennent à ce que
le processus institutionnel – qui
prévoit encore un troisième réfé­
rendum dans les deux ans si le
non à l’indépendance l’emportait
de nouveau au deuxième – aille à
son terme. Ils s’opposent à toute
modification du calendrier.
Ainsi, à l’ouverture de ce comité
des signataires, les loyalistes d’AEC
souhaitaient­ils que le deuxième
Le premier
ministre,
Edouard
Philippe,
a présidé
le 19e comité
des signataires
de l’accord
de Nouméa,
à Paris,
le 10 octobre.
NICOLAS MESSYASZ/SIPA
référendum ait lieu en juillet 2020
afin, comme l’expliquait Mme Bac­
kès, d’« entreprendre des discus­
sions statutaires pour que le troi­
sième porte sur la validation d’un
nouveau statut ». L’essentiel, pour
la présidente de la province Sud,
était que le processus soit terminé
« avant la fin de la présidence
Macron ». Or, les contraintes d’or­
ganisation des consultations, en
suivant ce calendrier, aboutis­
saient alors à faire coïncider le
troisième référendum avec la pé­
riode électorale nationale de la
présidentielle et des législatives.
Une perspective qui faisait « froid
dans le dos », selon le député de la
droite modérée Philippe Gomès
(Calédonie ensemble), craignant
que « le dossier calédonien ne soit Chacun y trouve ainsi matière à
instrumentalisé politiquement à ne pas se déjuger. « Nous avons
l’échelle nationale ». obtenu que la date [du deuxième
référendum] soit avancée, et la
Sujet épidermique possibilité de mener le processus à
Les dates du 30 août ou du 6 sep­ son terme avant la fin de la man­
tembre 2020 « permettent de con­ dature peut être envisagée », se fé­
server l’ensemble des alternatives licite Mme Backès, jugeant le bilan
possibles visant à éviter la conco­ « positif ». « Notre point de départ,
mitance des échéances électorales c’était fin octobre, début novem­
nationales du printemps 2022, à bre. Le premier ministre a coupé la
préparer la sortie de l’accord de poire en deux », reconnaît Roch
Nouméa et à envisager une Wamytan (FLNKS), président du
éventuelle troisième consultation Congrès de Nouvelle­Calédonie,
en 2021 ou en 2022 », note le relevé se satisfaisant pour sa part qu’il
de conclusions, pesé au trébu­ n’y ait pas de modification de la
chet. Il a en effet été exclu que cel­ loi organique concernant l’ins­
le­ci soit organisée « entre le mi­ cription des électeurs admis à
lieu du mois de septembre 2021 et prendre part à la consultation
la fin du mois d’août 2022 ». référendaire.
La question des listes électorales,
en effet, constitue en Nouvelle­Ca­
lédonie un sujet épidermique. Les
loyalistes souhaitaient que les na­
tifs de droit commun (non kanak)
nouveaux majeurs ayant plus de
trois ans de résidence soient ins­
crits d’office, comme le seront
ceux de droit coutumier (kanak),
ce qui supposait l’adoption d’une
nouvelle loi organique. Le pre­
mier ministre a proposé un dispo­
sitif d’« incitation » des électeurs
concernés sans changer la loi. Là
aussi, les apparences sont sauves.
Telle est bien en définitive la quin­
tessence de ce compromis mini­
mal qui contente tout le monde
sans satisfaire personne. 
patrick roger

La Cour des comptes met en garde

l’exécutif sur la réforme des retraites
Une comédie irrésistible. TÉLÉRAMA
Honoré est un génie. Une merveille d’humour.
PARIS MATCH

Une bulle de plaisir.

L’institution s’inquiète, dans un référé, de la précarité des seniors CAUSETTE
Un quatuor dément.
PREMIÈRE

L
ELLE

Une comédie hilarante. On adore.

a Cour des comptes a dé­ les dernières années », déplore
Le nombre de
cidé de peser de tout son
poids dans le débat sur la chômeurs de plus
M. Migaud. L’État est montré du
doigt, ainsi que Pôle emploi.
Somptueux.
LES INROCKS LE JDD

Un enchantement.Un bijou.
réforme des retraites. Après avoir L’opérateur public « n’a pas défini SUD OUEST
passé au crible les régimes de 50 ans « a été au niveau national d’actions spéci­
spéciaux en juillet et les disposi­ multiplié par deux fiques au profit des demandeurs
tifs permettant un départ anti­ d’emploi » âgés, regrette le pre­ LE POINT
cipé il y a quelques jours, elle ap­ depuis 2008 », mier président de la Cour : « Ils ne L’OBS Étourdissant.
porte une nouvelle contribution selon la Cour sont pas plus nombreux [que les LE FIGARO
– cette fois­ci sur « les fins de car­ autres tranches d’âge] en accom­
des comptes
CHIARA VINCENT CAMILLE BENJAMIN
rière ». Une thématique que la pagnement renforcé (…) et ont
haute juridiction aborde dans un également moins accès aux pres­
référé, c’est­à­dire une communi­ tations » proposées par ce service
cation de quelques pages, trans­ une douzaine d’années, leur « an­ public. Un tel « délaissement »
MASTROIANNI LACOSTE COTTIN BIOLAY

mis à Edouard Philippe le
23 juillet et rendu public jeudi
10 octobre. Alors que l’exécutif
distille, depuis plusieurs mois,
l’idée selon laquelle il faudra tra­
vailler plus longtemps, le premier
président de la Cour des comptes,
Didier Migaud, lance une mise en
garde au sujet du devenir des se­
niors sur le marché de l’emploi.
Réticence des entreprises
Sur cette problématique, la situa­
tion s’avère très contrastée, avec –
à la fois – des signes d’améliora­
tion et la persistance de gros
points noirs. La part des indivi­
dus de 55 à 64 ans qui travaillent
a, certes, « nettement progressé »,
passant de 36,4 % en 2003 à 52,3 %
au premier trimestre 2019,
comme le rappelle la Cour. Mais
ce ratio est inférieur à la
moyenne de l’Union européenne
(59,1 %). Un écart qui s’explique
par « la faiblesse du taux d’em­
crage dans le chômage étant de
plus en plus marqué » car ils
« éprouvent de grandes difficultés
à retrouver » un poste. Les entre­
prises ont une grande part de
responsabilité, en raison de leurs
« réticences à recruter des salariés
âgés ». Elles « n’ont pas pleine­
ment répercuté (…) sur la gestion
de leurs effectifs » le fait que l’âge
légal de départ à la retraite a été
repoussé de 60 à 62 ans par la loi
Woerth de 2010.
Résultat : parmi les 60­64 ans,
ils sont de plus en plus nombreux
à bénéficier de l’assurance­chô­
mage, de l’allocation de solidarité
spécifique (versée aux deman­
deurs d’emploi en fin de droit) ou
d’un autre minimum social. La
prise en charge des seniors, tou­
chés par la réforme de 2010 « et
qui se trouvent exclus du marché
du travail », représente un coût
d’« environ 1,5 milliard par an »,
d’après la haute juridiction. Au
CHAMBRE 212
doit cesser « à la veille d’une nou­
velle réforme des retraites », insis­
te­t­il, en formulant plusieurs re­
commandations (expérimenter
une aide à l’employeur pour les
CDD seniors, inscrire l’emploi des
salariés âgés comme un volet
obligatoire de négociation dans
les entreprises, etc.).
Sollicité par Le Monde, Mati­
gnon indique qu’une réponse
sera très prochainement adressée
à la Cour des comptes. Lors de son
discours devant le Conseil écono­
mique, social et environnemen­ Prix d’interprétation
tal, le 12 septembre, le premier mi­ Chiara Mastroianni
UN CERTAIN REGARD
nistre avait appelé sur ce sujet à FESTIVAL DE CANNES
« un nouveau souffle » qui néces­
site « très clairement (…) la mobili­
sation des employeurs ». De son
côté, Misoo Yoon, directrice géné­
rale adjointe de Pôle emploi, ex­
plique que l’opérateur ne rai­
sonne pas par « catégories admi­
nistratives ou par tranches d’âge ».
« Notre offre de services est cons­
Marc Paufichet pour la Flibuste / photo : © Jean-Louis Fernandez

ploi » des 60­64 ans (32,2 %, soit
presque treize points en moins
par rapport à l’UE). Ces données
reflètent un « retrait précoce du
monde du travail ».
D’ailleurs, le nombre de chô­
meurs de plus de 50 ans « a été
multiplié par deux depuis 2008 ».
Le sort des seniors à la recherche
d’une activité « s’est dégradé » en
passage, elle s’inquiète de la
« trappe à pauvreté » qui se re­
ferme sur les seniors.
Pourtant, les gouvernements
successifs ont pris de « nombreu­
ses initiatives » durant les deux
décennies écoulées pour résou­
dre le problème. Mais le bilan « se
révèle décevant » et « la mobilisa­
tion est restée très faible (…) dans
truite en fonction des besoins iden­
tifiés pour chaque demandeur
d’emploi, ajoute­t­elle. D’un senior
à un autre, la problématique peut UN FILM DE
CHRISTOPHE HONORÉ
ne pas être la même ; dans certains
cas, il faudra agir sur la mobilité de
la personne, dans d’autres, envisa­
ger une action de formation. » 
raphaëlle besse desmoulières ACTUELLEMENT
et bertrand bissuel
 0123
12 | france SAMEDI 12 OCTOBRE 2019

Le principe Crise à l’hôpital: médecins

de gratuité de
l’université entériné
et soignants appellent à s’unir
Le Collectif Inter­Hôpitaux veut organiser une grande manifestation
Le Conseil constitutionnel estime que
les droits d’inscription dans l’enseignement le 14 novembre, à Paris, pour obtenir un « plan d’urgence »
supérieur doivent rester « modiques »

M
édecins, chefs de en son sein, les médecins grévis­ partiel ou dans le privé. « Beau­
service, infirmiers,
« C’est la dernière tes pourraient théoriquement coup de praticiens se demandent

L’ écho devrait parvenir

bien au­delà de nos fron­
tières. Vendredi 11 octo­
bre, le Conseil constitutionnel a
rendu publique une décision très
de l’enseignement public gratuit et
laïque à tous les degrés est un de­
voir de l’Etat », défendaient les as­
sociations étudiantes.
Mais il n’avait jamais été, jus­
internes… Quelque
400 salariés de l’hô­
pital public ont assisté, jeudi
10 octobre, à la faculté de méde­
cine de la Pitié­Salpêtrière, à Paris,
chance de sauver
l’hôpital public
auquel nous
entraîner une perte de recettes
pour leur établissement.
« C’est un geste politique, ça veut
dire : on ne joue plus », a lancé An­
dré Grimaldi, diabétologue à la Pi­
s’ils finiront leur carrière à l’hôpi­
tal public alors qu’ils ne se l’étaient
jamais demandé jusque­là », a
ajouté Hélène Gros, médecin à
l’hôpital Robert­Ballanger, à Aul­
attendue entérinant le principe qu’ici, précisé si l’enseignement à la première assemblée générale
croyons » tié­Salpêtrière, qui combat de lon­ nay­sous­Bois (Seine­Saint­De­
de gratuité à l’université. L’an­ supérieur était concerné par ce du Collectif Inter­Hôpitaux (CIH), ANTOINE PELISSOLO gue date « l’hôpital entreprise ». A nis). Pour Rémi Salomon, chef de
nonce risque de constituer un sé­ principe, au même titre que l’en­ une structure née dans le sillage chef de service en psychiatrie l’hôpital parisien Robert­Debré, service à l’hôpital Necker, à Paris,
rieux revers pour le gouverne­ seignement primaire et secon­ du collectif Inter­Urgences, qui à l’hôpital Henri-Mondor une telle grève a débuté le 23 sep­ il y aurait aujourd’hui, chez
ment qui avait décidé en novem­ daire, ni de quelle manière. C’est représente les 260 services d’ur­ de Créteil tembre et elle s’est étendue cette certains praticiens hospitaliers,
bre 2018 d’augmenter les droits chose faite. gences en grève à travers le pays. semaine à pratiquement tous les « une forme de sidération devant
d’inscription universitaires pour Objectif de ce rassemblement services, selon Stéphane Dauger, la catastrophe annoncée ».
les étudiants étrangers extra­ Droits « différenciés » transcatégoriel sans précédent tants », comme cela a été le cas le chef du service réanimation « De grands professeurs cra­
communautaires. Cette réforme La plus haute juridiction précise, depuis plus de dix ans : agréger les pour les 750 millions d’euros sur pédiatrique de cet établissement. quent, de jeunes infirmiers quittent
avait entraîné une large contes­ pour la première fois, comment différentes colères qui agitent un trois ans récemment promis par leur métier de plus en plus tôt. Com­
tation chez les étudiants, les en­ cette obligation de gratuité s’ap­ hôpital public épuisé par des an­ le gouvernement en réponse à la « Catastrophe annoncée » bien de professionnels viennent
seignants ou encore les prési­ plique, dans un monde universi­ nées de restriction budgétaire et crise des urgences. Consultations saturées, nombre nous confier colère, tristesse, in­
dents d’université. taire particulier puisque des obtenir un « plan d’urgence » avec Et pour alerter sur « l’effondre­ trop faible de lits, délais d’examen compréhension ? Combien de lar­
« Le Conseil constitutionnel droits d’inscription y sont tout de « un financement à la hauteur des ment » du système hospitalier, d’imagerie à rallonge… C’est le por­ mes viennent couler dans nos bu­
déduit de façon inédite du trei­ même pratiqués. « Cette exigence besoins de santé de la popula­ plus question de se contenter de trait sombre d’un hôpital public reaux et combien de colères faut­il
zième alinéa du préambule de la ne fait pas obstacle, pour ce degré tion ». « Nous sommes à la croisée tribunes dans la presse ou de let­ en crise qui a été dressé jeudi soir. essuyer ? La frustration gagne du
Constitution du 27 octobre 1946 d’enseignement, à ce que des des chemins, c’est la dernière tres ouvertes au chef de l’Etat. Le « La situation est critique », a alerté terrain dans tous les couloirs de
que l’exigence constitutionnelle droits d’inscription modiques chance de sauver l’hôpital public principe d’une grande manifesta­ Noël Garabedian, le président de la nos hôpitaux. Nous sommes deve­
de gratuité s’applique à l’ensei­ soient perçus, confirment les ju­ auquel nous croyons tous et qui tion de tous les personnels hospi­ commission médicale d’établisse­ nus des manageurs de la colère »,
gnement supérieur public », indi­ ges constitutionnels. En tenant étouffe, asphyxié par la contrainte taliers, le 14 novembre à Paris, a ment de l’Assistance publique­Hô­ ont fait valoir des cadres de santé,
que l’institution. compte, le cas échéant, des capaci­ budgétaire », a fait valoir Antoine été voté à l’unanimité. « Toutes les pitaux de Paris (AP­HP), le « parle­ dans un texte très fort lu par une
En juillet, celle­ci avait été saisie tés financières des étudiants. » Pelissolo, chef de service en conditions sont réunies pour que ment » des médecins, à quelques médecin. Constatant les dégrada­
d’une question prioritaire de Prochaine étape sur le terrain ju­ psychiatrie à l’hôpital Henri­ ce mouvement prenne de l’am­ jours de la fin de son mandat. tions de leurs conditions de tra­
constitutionnalité, à la suite du ridique : le Conseil d’Etat devra Mondor, à Créteil (Val­de­Marne). pleur », estime Anne Gervais, L’avant­veille, Martin Hirsch, le di­ vail, ces cadres ont jugé qu’ils
recours de plusieurs organisa­ examiner de nouveau cet arrêté membre du comité de coordina­ recteur général du groupe hospi­ étaient devenus « les agents d’une
tions étudiantes – l’Union natio­ au regard de l’exigence de gratuité. « On ne joue plus » tion du CIH. « Ces derniers mois, talier, avait annoncé en CME que mission devenue impossible ».
nale des étudiantes en droits, Le Conseil constitutionnel, en Quelques jours après l’annonce on cherchait l’étincelle qui allait al­ près de 900 lits sur un total de Dans une motion adoptée à
gestion, AES, sciences économi­ revanche, n’a pas jugé inconstitu­ par la ministre des solidarités et lumer l’incendie », ajoute Christo­ 20 000 étaient actuellement fer­ l’unanimité, les participants à
ques, politiques et sociales tionnelles les dispositions con­ de la santé, Agnès Buzyn, d’une phe Prudhomme, médecin ur­ més en raison de « difficultés de re­ l’assemblée générale ont de­
(Unedesep), l’association du Bu­ testées de la loi de finances de hausse de l’enveloppe budgétaire gentiste et représentant de la CGT­ crutement et de fidélisation ». mandé une « augmentation im­
reau national des élèves ingé­ 1951, qui prévoient que le pouvoir pour l’hôpital public limitée à Santé, qui rappelle sa demande Cette perte d’attractivité de l’hô­ médiate de 300 euros net men­
nieurs et la Fédération nationale réglementaire fixe les montants + 2,1 % en 2020, alors que l’aug­ d’une augmentation de l’enve­ pital public est unanimement suels de tous les salaires », « l’arrêt
des étudiants en psychologie. annuels des droits perçus par les mentation naturelle des « charges loppe budgétaire d’au moins 5 %. perçue comme l’ultime symp­ des fermetures de lits d’hospitali­
Une démarche à laquelle établissements publics d’ensei­ en soins » est supérieure à 4 %, les Un « préalable », selon lui. tôme de la gravité de la crise. « On sation » et l’abandon de la tarifica­
s’étaient associés d’autres syndi­ gnement supérieur et acquittés membres du collectif ont sou­ Un appel à la « grève du codage » sent des collègues en train de lâ­ tion majoritaire à l’activité, la rè­
cats étudiants et enseignants. par les étudiants. « Il juge qu’il ap­ haité engager un rapport de force des actes a également été lancé, cher prise », a raconté Renaud Pé­ gle devant être « le juste soin pour
Les associations avaient atta­ partient aux ministres compétents avec le gouvernement afin d’obte­ jeudi soir. En arrêtant de trans­ quignot, président du syndicat de le malade au moindre coût et non
qué, devant le Conseil d’Etat, l’ar­ de fixer sous le contrôle du juge, les nir « des budgets supplémentaires mettre les informations permet­ médecins Action Praticiens Hôpi­ la recherche du tarif rentable pour
rêté du 19 avril 2019, qui fixe les montants de ces droits. » et non se limiter à des redéploie­ tant à l’hôpital de facturer à l’Assu­ tal, décrivant la multiplication l’établissement ». 
nouveaux droits d’inscription En novembre 2018, le gouverne­ ments de financements exis­ rance­maladie les actes réalisés des demandes de passage à temps françois béguin
pour les étudiants étrangers ex­ ment avait annoncé son inten­
tra­européens, à hauteur de tion d’augmenter les droits d’ins­
2 770 euros en licence (contre cription dans le cadre d’une
180 euros pour les étudiants fran­ stratégie baptisée « Bienvenue
çais et européens) et 3 770 euros
en master (contre 243 euros).
La juridiction administrative
en France », visant à attirer plus
d’étudiants internationaux :
500 000 à l’horizon 2027 – contre
Normandie Logistique et Lubrizol nient toutes
avait décidé de surseoir à statuer,
le 24 juillet, jusqu’à ce que le
Conseil constitutionnel tranche
324 000 actuellement.
Seules sept universités (sur en­
viron 75 établissements) ont mis
deux être à l’origine de l’incendie de Rouen
la question de constitutionna­ en place dès cette rentrée des Des perquisitions ont été menées, jeudi, dans les locaux administratifs des entreprises
lité soulevée. droits « différenciés » pour les
La Constitution prévoit en effet étudiants extracommunautai­
que « la Nation garantit l’égal ac­ res. La majorité des établisse­
cès de l’enfant et de l’adulte à l’ins­
truction » et que « l’organisation
ments ont choisi d’utiliser la pos­
sibilité d’exonération ouverte
par un décret de 2013. Chaque
université peut dispenser de
droits d’inscription 10 % de ses
P endant que des perquisi­
tions étaient en cours,
jeudi 10 octobre, à Rouen,
dans les locaux administratifs de
l’usine Lubrizol et de la société
drait bien du voisin Lubrizol.
Dans un entretien au Parisien pu­
blié jeudi, le président monde de
Lubrizol, Eric Schnur, a, quant à
lui, redit que « le feu a d’abord été
mesure de donner ces informa­
tions. « Nous allons fournir les
listes aux services de l’Etat dans
les délais fixés par l’arrêté, ven­
dredi 11 octobre », a précisé le di­
Des prélèvements réalisés sous
le panache de l’incendie, jeudi
26 septembre, ont mis en évi­
dence des niveaux de dioxines
« inhabituels » à certains en­
La Constitution étudiants. Un dispositif utilisa­ voisine, Normandie Logistique, observé et signalé à l’extérieur du recteur général de l’entreprise. droits. Les dioxines sont des pol­
prévoit que ble, si les établissements le déci­ les dirigeants de cette dernière, site Lubrizol », citant « le circuit de Il a justifié ce retard par des « dif­ luants potentiellement cancéro­
daient, en faveur des étudiants également touchée par l’incen­ surveillance vidéo interne » et ficultés techniques » : les systè­ gènes. Des produits chlorés stoc­
« l’organisation extracommunautaires. die du jeudi 26 septembre, « des rapports de témoins oculai­ mes informatiques de l’entre­ kés chez Normandie Logistique
de ’enseignement L’inquiétude demeure de savoir avaient convoqué les médias res ». Le fabricant de lubrifiant, prise ont été déplacés sur un ont­ils pu se dégrader en dioxi­
si ce quota permettra encore aux pour un point presse. qui selon le journal Les Echos du autre site depuis l’incendie et nes ? Là aussi, le patron de l’entre­
public gratuit et universités qui le souhaitent « On collaborera en toute trans­ 11 octobre s’est engagé à indemni­ les conditions d’accès aux han­ prise n’a pas la réponse : « S’il y en
laïque à tous les d’exonérer leurs étudiants étran­ parence. On n’a rien à cacher de ser les agriculteurs touchés par la gars ayant en partie brûlé avait, ce serait des quantités extrê­
gers, l’an prochain. Encore plus spécial », a déclaré le président de pollution à hauteur de 50 mil­ n’étaient pas suffisamment sé­ mement faibles. Je ne sais pas, je
degrés est un en 2021.  Normandie Logistique, Sylvain lions d’euros, a d’ailleurs déposé curisées pour réaliser un inven­ ne suis pas chimiste. »
devoir de l’Etat » camille stromboni Schmitt. Le parquet de Paris a une plainte, dès le 28 septembre, taire complet, selon le dirigeant. Interrogé sur les explications
ouvert une enquête pour mise en pour « destruction involontaire Ces difficultés à identifier la na­ du directeur de Normandie Lo­
danger d’autrui. Confiées au pôle par explosion ou incendie ». ture et la quantité des produits gistique, le directeur de la direc­
santé publique du tribunal de entreposés sur le site de Nor­ tion régionale de l’environne­
grande instance de Paris, les inves­ Flou sur la dangerosité mandie Logistique entretien­ ment, de l’aménagement et du
APPEL D’OFFRES - AVIS D’ENQUETE tigations ont démarré sur le ter­
rain mardi 8 octobre. Elles visent
Outre l’origine de l’incendie, une
autre zone d’ombre persiste :
nent le flou autour de cette so­
ciété coincée entre deux sites Se­
logement (Dreal) Normandie, Pa­
trick Berg, n’a pas caché pas son
01.49.04.01.85 - annonces@osp.fr tout d’abord à « déterminer les quelles sont la quantité et la dan­ veso, mais qui ne fait pas l’objet agacement jeudi soir. « J’attends
Avis d’Appel d’Offres National Ouvert causes de l’incendie » et à « locali­ gerosité des produits qui ont de la même surveillance de la de sa part sa stratégie environne­
ASECNA/DGDD/DGDP/004/2019 ser avec certitude l’origine du sinis­ brûlé dans les entrepôts de l’en­ part des services de l’Etat au titre mentale et la liste des produits qui
----------&&&&-------- tre », toujours indéterminée deux treprise ? En effet, ce ne sont pas des inspections classées. ont brûlé. Je ne l’ai toujours pas à
Dans le cadre de la mise en oeuvre de son Plan des Services et Equipements, semaines après les faits, selon le seulement les 5 253 tonnes de cette heure. Il est 17 h 41 et c’est
l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar
(ASECNA) lance un Appel d’Offres Ouvert National pour l’Acquisition et la procureur de Paris, Rémy Heitz. substances chimiques du site extrêmement anormal, a­t­il af­
Livraison de véhicules de fonction pour la Direction Générale de l’ASECNA « Nous avons la quasi­certitude classé Seveso « seuil haut » de firmé. C’est un stockiste, il doit
basée à Dakar (SENEGAL). que l’incendie ne vient pas de chez Lubrizol qui ont brûlé, mais po­
« Les premiers pouvoir dire où était quoi. Et donc
Le Dossier d’Appel d’Offres (DAO) peut être consulté et retiré à partir du Lundi 14 nous, a affirmé Sylvain Schmitt tentiellement le double avec éléments ce qui a brûlé (…). Il faut savoir si
octobre 2019 contre le paiement obligatoire d’une somme non remboursable de Deux durant la conférence de presse. celles de Normandie Logistique. tous les prélèvements prescrits
Mille Cinq Cent Euros (2.500€) à la Délégation de l’ASECNA à Paris, 75 rue la Boétie
C’est ce que disent nos experts en Plus de 9 000 tonnes de mar­
techniques sont suffisants. Car il y a des pro­
– 75008 PARIS,Téléphone : 01 44 95 07 18 – Email : DGDP-secretariat@asecna.org
Les offres devront être adressées à l’adresse suivante : assurances sur la base des déclen­ chandises stockées dans les han­ laissent penser duits très dangereux qui peuvent
Secrétariat de Madame le Délégué de l’ASECNA, au 75 rue la Boétie 75008 chements d’alarme. » « Les pre­ gars de Normandie Logistique, brûler sans émettre de substances
PARIS 2ème étage. miers éléments techniques lais­ dont 4 157 tonnes sont des « pro­
que cet incendie dangereuses et, à l’inverse, des
La date limite de remise des offres est fixée au Lundi 18 novembre 2019 à 12 sent penser que cet incendie ne duits Lubrizol », selon la préfec­ ne part pas produits non dangereux qui peu­
heures. part pas de nos locaux », a insisté ture de Seine­Maritime, étaient vent, en brûlant, émettre des subs­
L’ouverture des plis aura lieu le Lundi 18 novembre 2019 à 13 heures dans le directeur général de Norman­ conservées dans trois entrepôts,
de nos locaux » tances dangereuses. » 
la salle de réunions au rez-de-chaussée de la Délégation à Paris en présence
des soumissionnaires qui le souhaitent, ou de leur représentant dûment mandaté die Logistique, Christian Boulo­ dont un a brûlé entièrement. CHRISTIAN BOULOCHER stéphane mandard
Le Délégué de l’ASECNA à Paris, Mariam BERGEY-ACYL cher, laissant sous­entendre que MM. Schmitt et Boulocher ont directeur général de et gilles triolier
l’origine de l’incendie provien­ indiqué qu’ils n’étaient pas en Normandie Logistique (rouen, correspondance)
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019 france | 13

Procès Mediator : l’étude qui aurait pu alarmer

J USTI C E
Information judiciaire
ouverte après la mort
d’Ibrahima à Villiers-le-Bel
Le parquet de Pontoise a an­
L’épidémiologiste ayant dévoilé les risques mortels liés aux anorexigènes était entendu jeudi noncé l’ouverture d’une in­
formation judiciaire contre X,
jeudi 10 octobre, après la mort
d’Ibrahima B., 23 ans, à moto,

E
n 1999, à quelques se­
maines d’intervalle, un
cas de valvulopathie est
recensé à Marseille, et un
cas d’hypertension artérielle pul­
monaire (HTAP) à Paris. Point
commun chez les deux malades,
et dans les deux cas, c’est une pre­
mière : ils sont sous Mediator et
rien d’autre. C’est de ce médica­
ment que vient leur mal. Le risque
qu’il fait courir à ceux qui le con­
somment est alors patent, et 1999
passe pour l’année à partir de la­
quelle il est véritablement scan­
daleux que le Mediator n’ait pas
été retiré du marché – il le sera dix
ans plus tard.
En réalité, la première alarme
aurait dû sonner quatre ans plus
tôt au sein des laboratoires Ser­
vier, qui comparaissent depuis le
23 septembre devant le tribunal
correctionnel de Paris pour
« tromperie aggravée » et « homi­
cide involontaire ». L’audience,
prévue jusqu’en avril 2020, aura le
temps de revenir sur les deux cas
de 1999. Elle se penchait, jeudi
10 octobre, sur un premier ren­
dez­vous manqué : 1995.
Cette année­là furent publiés les
résultats d’une vaste étude épidé­
miologique internationale sur
l’HTAP, l’IPPHS (pour Internatio­
nal Primary Pulmonary Hyper­
tension Study), dont Lucien Aben­
haïm fut le directeur. « Merci de
me donner l’occasion de formuler
mon témoignage sur cette affaire
dramatique », souffle le profes­
seur de 68 ans à la barre, avant de
dérouler le récit de cette étude lan­
cée en 1992, après que plusieurs
cas d’HTAP, maladie rare et mor­
telle, avaient été signalés en
France. Une hypothèse principale
avait émergé d’emblée : « On sa­
vait que cette pathologie était pro­
bablement liée aux anorexigènes. »
Un quart de siècle plus tôt, l’Ami­
norex, pilule coupe­faim apparte­
nant à cette catégorie, avait provo­
qué une épidémie d’HTAP. L’hypo­
thèse se vérifiera, et l’étude IPPHS
démontrera la « causalité » entre
HTAP et anorexigènes : « Les con­
sommer pendant plus de trois mois
multipliait les risques par 9 ou 10 »,
se souvient Lucien Abenhaïm.
Manœuvres de déstabilisation
Le Pondéral et l’Isoméride, deux
coupe­faim vedettes des labora­
toires Servier, voient alors leur
prescription limitée à trois mois.
En 1997, ils sont retirés du marché.
Le Mediator, lui, échappe à ce sort,
et pour cause : officiellement, il ne
s’agit pas d’un anorexigène. C’est
pourtant bien pour son effet
coupe­faim qu’il est prescrit à tour
de bras par les médecins généra­
listes… une fois le Pondéral et
l’Isoméride disparus.
Lors de sa mise sur le marché
en 1976, le Mediator avait été com­
mercialisé comme antidiabète, et
non comme anorexigène, même
s’il en avait les propriétés. Plu­
sieurs études préalables à sa com­
mercialisation – conduites par les
laboratoires Servier eux­mêmes –
l’avaient démontré, et c’est bien
pour cela que l’Organisation mon­
diale de la santé lui avait donné le
nom générique de « benfluorex »,
le suffixe « orex » regroupant tous
les anorexigènes. Servier avait dé­
cidé de le positionner sur le cré­
neau des antidiabète pour des rai­
sons commerciales, soutient l’ac­
cusation, notamment pour ne pas
faire d’ombre au Pondéral. Pas du
tout, a répliqué un représentant
de Servier en début de semaine,
expliquant que « les effets amai­
grissants du Mediator étaient trop
modestes » pour revendiquer l’in­
dication anorexigène.
En échappant à cette indication,
le Mediator va passer entre les
mailles du filet. Lors de l’étude IP­
PHS, les laboratoires Servier se
garderont bien de révéler à Lucien
Abenhaïm la parenté chimique
du Mediator avec le Pondéral ou
l’Isoméride : « On ne nous a jamais
dit que le Mediator avait un effet
anorexigène. J’ai rencontré plu­
sieurs fois les équipes de Servier,
personne ne m’a dit : “Tu sais, le
Mediator est assez proche de l’Iso­
méride et du Pondéral, tu devrais
l’étudier.” Ça n’aurait pas changé le
résultat de l’IPPHS, car le Mediator
était très peu utilisé à l’époque,
mais j’aurais été au courant, je me
serais renseigné sur son devenir.
C’est ça, la différence. »
Peut­être Lucien Abenhaïm
aurait­il alors mis fin à la carrière
du Mediator, sauvant ainsi des
centaines de vies, lors de son arri­
vée à la tête de la direction géné­
rale de la santé en 1999. « Si je
l’avais su, le produit ne serait pas
resté deux heures en pharmacie »,
avait­il dit aux juges d’instruc­
tion. « Disons que le délai aurait
peut­être été de deux semaines »,
corrige­t­il à la barre, qu’il aura
« Clairement,
il y a eu
un contexte
de pression »,
témoigne
l’épidémiologiste
Lucien Abenhaïm
tenue pendant plus de cinq heu­
res. Le temps d’une déposition
par ailleurs éclairante sur certai­
nes méthodes glaçantes du
groupe Servier.
Sur le plan commercial, d’abord :
alors qu’à la suite de l’étude IPPHS
l’Isoméride est peu à peu retiré du
marché européen, Servier par­
vient à imposer sur le marché
américain le Redux, qui en est la
copie conforme. Il faudra une
nouvelle étude, baptisée « SNAP »
et financée par Lucien Abenhaïm,
révélant de nombreux cas d’HTAP
chez les consommateurs du Re­
dux, pour qu’il soit retiré.
Deux couronnes mortuaires
Ses positions vaudront à l’épidé­
miologiste une sévère campagne
de déstabilisation. En mars 1996,
la directrice internationale du
groupe Servier, Madeleine Derô­
me­Tremblay, par ailleurs épouse
de Jacques, le fondateur, écrit une
lettre au vice­président des labo­
ratoires Wyeth, partenaires de
Servier aux Etats­Unis : « Ce serait
une bonne idée que vous et le
Dr Faich prépariez plusieurs plans
qui pourraient contrecarrer l’ac­
tion de ces messieurs, sans paraître
agressif à leur égard. »
Quelques mois plus tard, l’étude
IPPHS a l’honneur d’être publiée
dans le New England Journal of
Medicine (NEJM), revue médicale
de référence. Fait rare, l’étude est
précédée d’un éditorial négatif,
qui remet en cause la qualité de la­
dite étude. « On s’est rendu compte
qu’il avait été écrit par deux hom­
mes dont il était de notoriété publi­
que qu’ils étaient consultants pour
Servier », déclare en souriant
Lucien Abenhaïm. L’un des deux
signataires était le Dr Faich. « Le
NEJM s’est excusé, et a réécrit un
éditorial, positif cette fois. »
« Clairement, il y a eu un contexte
de pression », poursuit­il, en évo­
quant les deux couronnes mor­
tuaires retrouvées sur sa porte, les
voitures stationnant longuement
devant chez lui, ou ce mystérieux
coup de téléphone : « Un homme
se disant employé de la Caisse des
dépôts et consignations m’a dit :
“J’ai une très grosse somme d’ar­
gent à transférer sur votre
compte.” Je demande de qui ça
vient. “Je ne pourrai vous le dire
que quand j’aurai versé l’argent.” Je
lui ai demandé son nom et son nu­
méro de téléphone. Quand j’ai
voulu le rappeler, le numéro était
faux. J’ai rappelé la banque, le nom
n’existait pas chez eux. J’étais per­
suadé que ça venait du service d’es­
pionnage industriel de chez Ser­
vier. Alors je leur ai dit d’arrêter, si­
non j’allais vraiment m’énerver. Ils
ont nié, mais ça s’est arrêté. » 
henri seckel
à proximité d’une opération
de police à Villiers­le­Bel, di­
manche. L’enquête, désor­
mais diligentée par un juge
d’instruction, doit permettre
d’éclaircir « les circonstances
entourant la chute », a dit
le procureur. Selon l’avocat
de la famille du jeune
homme, Me Yassine Bouzrou,
des « témoins qui ont assisté
à toute la scène ont indiqué
qu’un véhicule de police a pu
être responsable de la chute
mortelle ». – (AFP.)
FA ITS D IVE RS
Inscriptions antisémites et
antimigrants au domicile
d’un maire alsacien
La préfecture du Bas­Rhin a
dénoncé un acte « haineux »
après la découverte d’inscrip­
tions antimigrants et antisé­
mites au domicile de Sébas­
tien Zaegel, maire de
Geispolsheim (Bas­Rhin),
jeudi 10 octobre. « La haine
n’a pas sa place dans notre
société et ces démonstrations
d’intolérance et de rejet de
l’autre ne sauraient remettre
en cause l’engagement de
l’Etat à accueillir les personnes
qui, compte tenu des risques
pesant sur elles et leur famille,
nécessitent d’être protégées »,
souligne la préfecture dans
son communiqué. Lundi, des
tags antimigrants et antisé­
mites avaient déjà été décou­
verts sur la mairie de Fors­
theim, un village du nord
du département. – (AFP.)

Jusqu’à 30 ans de réclusion pour

l’attentat raté de Notre­Dame
présentent
La peine la plus lourde a été requise contre Inès Madani, 22 ans

S i le véhicule avait pris feu, si

les bonbonnes de gaz
avaient explosé, personne
dans cette salle ne se poserait la
question de la sanction. Ce serait
évident : il faudrait prononcer la
réclusion criminelle à perpétuité. »
Jeudi 10 octobre, au terme de son
long réquisitoire, l’avocat général
Jean­Michel Bourlès a réclamé
trente et vingt­cinq ans de prison,
avec une période de sûreté aux
deux tiers, respectivement contre
Inès Madani, 22 ans, et Ornella
Gilligmann, de dix ans son aînée
« Ce n’est pas une
bande de jeunes
égarés qui se sont
rencontrés au
centre médico-
social du coin »
THIBAULT DE MONBRIAL
avocat des parties civiles
humain. Comme tout être hu­
tyre », le 8 septembre 2016, lors­
qu’elle a menacé avec un couteau
un agent de la direction générale
de la sécurité intérieure (DGSI),
avant son interpellation à Boussy­
Saint­Antoine (Essonne).
Contre Sarah Hervouët, 26 ans,
la troisième complice, il a été re­
quis une peine de vingt ans de ré­
clusion, assortie d’une période de
sûreté aux deux tiers. Elle est ac­
cusée d’avoir porté un coup de
couteau à un agent de la DGSI en
civil, en planque dans une ca­
mionnette, et de l’avoir blessé à

LE SALON DES
et mère de famille. main, elle doit pouvoir évoluer. » l’épaule. La jeune radicalisée
Les deux femmes, impassibles L’un des avocats des parties civi­ s’était rendue à Boussy­Saint­An­
dans le box des accusés, sont ju­ les, Thibault de Montbrial, a balayé toine ce 8 septembre 2016 pour

gées par la Cour d’assises spéciale
de Paris pour avoir tenté d’incen­
dier une voiture remplie de bon­
bonnes de gaz, dans la nuit du 3 au
4 septembre 2016, rue de la Bûche­
« les excuses sociales, économiques
et sectaires » avancées par les avo­
cats d’Inès Madani – qu’il qualifie
de « figure majeure du djihadisme
en France et experte en manipula­
GRANDES ÉCOLES
retrouver Amel Sakaou, mère de
famille de 39 ans désireuse de ral­
lier la Syrie et l’EI, et Inès Madani.
« Le sang a coulé dans ce dossier,
a souligné l’avocate générale, qui a

16 & 17 NOVEMBRE 2019

rie près de Notre­Dame de Paris.
Ce projet d’attentat, conçu au nom
de l’Etat islamique (EI), a échoué
car le tandem avait imprégné le
véhicule de gasoil, un carburant
moins inflammable que l’essence.
Le représentant du Parquet na­
tional antiterroriste (PNAT) est
longuement revenu sur « les ver­
sions divergentes, les déclarations
fluctuantes et variables » des deux
femmes, mises en examen pour
« association de malfaiteurs terro­
riste », et sur l’emprise exercée sur
Ornella Gilligmann par Inès Ma­
dani. Cette dernière avait séduit sa
future complice en se faisant pas­
ser durant plusieurs mois, sur les
réseaux sociaux, pour un djiha­
diste dénommé Abou Souleyman,
Abou Omar ou Abou Junayd.
« La seule raison qui me pousse à
ne pas demander la perpétuité
contre Inès Madani, c’est son âge
au moment des faits [19 ans], a dé­
claré Jean­Michel Bourlès. Je ne
peux pas ne pas espérer en l’être
tion » – et d’Ornella Gillingmann.
« Ce n’est pas une bande de jeunes
égarés qui se sont rencontrés au
centre médico­social du coin, c’est
un réseau de terroristes islamistes,
a­t­il insisté. Gilligmann était sale­
ment radicalisée avant de connaî­
tre son prince charmant virtuel :
elle n’a pas basculé par l’amour, sa
bascule a favorisé l’amour. »
« Envie de tuer et de mourir »
La veille des réquisitions du PNAT,
le psychiatre Daniel Zagury avait
livré à la cour les conclusions de
son expertise consacrée au profil
psychologique des deux femmes.
« Chacune a voulu montrer à
l’autre qu’elle était la plus grande
djihadiste et, aujourd’hui, cha­
cune reproche à l’autre de l’avoir
entraînée dans cette galère. »
Les représentants du PNAT ont
estimé qu’Inès Madani, qui réfute
les accusations de « tentative d’as­
sassinat », « était animée par l’en­
vie de tuer et de mourir en mar­
requis l’anonymat depuis l’ouver­
ture du procès, le 23 septembre. La
preuve du désengagement [de l’is­
lam radical], c’est à Sarah Hervouët
de l’apporter. Il est trop tôt pour en­
visager une peine différente. » Le
parquet antiterroriste a réclamé
10h - 18h
vingt ans de réclusion à l’encontre
d’Amel Sakaou, qui refuse de com­
paraître devant la cour. « J’aurais ENTRÉE GRATUITE
requis une peine inférieure si elle
s’était présentée devant justice », a
reconnu sa représentante.
La réclusion à perpétuité a été re­
quise contre le djihadiste et recru­
teur Rachid Kassim, grand absent INFOS & INSCRIPTIONS : SALON-GRANDES-ECOLES.COM
de ce procès et dont la mort en Irak
a été annoncée en février 2017.
Trait d’union entre les quatre prin­
cipales accusées, il est perçu par
Me Bourles comme « l’inspirateur,
le coordinateur, l’instigateur » qui
les a incitées à « commettre des ac­ PARVIS DE LA DÉFENSE
tions violentes » au nom de l’EI. Le 92044 PARIS LA DÉFENSE
verdict est attendu pour la se­
maine du 14 octobre. 
rémi dupré
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
14 |
A La Roche­sur­Yon, les « Michelins » sonnés
L’équipementier français a confirmé aux 619 salariés la fermeture du site vendéen d’ici à la fin 2020
la­roche­sur­yon ­ correspondant
C
ertains regards sont ha­
gards. D’autres, sont em­
plis d’une rage sourde.
A 8 h 45, jeudi 10 octobre,
les 619 salariés du géant du pneu­
matique français ont collecti­
vement encaissé le message qu’ils
craignaient d’entendre. En rai­
son des « difficultés du marché »
et « d’une concurrence exacer­
bée », la direction leur a annoncé
qu’ils perdraient leur emploi « d’ici
à la fin 2020 ».
« En vingt minutes à peine, ils
nous ont dit “merci vous pouvez
rentrer chez vous” », lance dans un
calme paradoxal, Frédéric, vingt­
deux ans d’ancienneté sur le site
de La Roche­sur­Yon. Vous parlez
d’un modèle social ! Florent Mene­
gaux [président du groupe depuis
le 17 mai] n’a même pas eu le cou­
rage de venir nous l’annoncer en
face, poursuit le quinquagénaire.
Il a délégué le sale boulot au direc­
teur du site. C’est d’une violence ! »
« S’il n’y avait pas eu les débraya­
ges de la semaine dernière, com­
plète Guillaume, ancien salarié
parisien arrivé sur le site vendéen
il y a un peu plus de trois ans, on
serait toujours sur nos lignes à tra­
vailler et on aurait fini par appren­
LES CHIFFRES
22,2 MILLIARDS
C’est, en euros, le chiffre
d’affaires réalisé par Michelin
pour l’année 2018. Le groupe
a réalisé 1,66 milliard d’euros
de bénéfices.
117 400
C’est le nombre de salariés du
groupe Michelin dans le monde.
En France, il en emploie un peu
moins de 19 000, selon les don-
nées du dernier rapport annuel
de la multinationale.
LA SCIENCE DU BIEN-ÊTRE
CAHIER NEUROSCIENCES
CE QUI NOUS POUSSE
À FA I R E L’ I M P O S S I B L E
AV EC NOTRE PROGR A MME
GRE ATER GOOD SCIENCE
D E L’ U N I V E R S I T É
BERKELE Y EN CALIFORNIE
LA BELLE RENCONTRE
LA CHANTEUSE ROSE
« L A MÉ D I TAT ION E T
L E Y OG A M’ON T S A U V ÉE »
Dormir
enfin !
Dr Rangan Chatterjee
Le good docteur de la télévision britannique
La science du bien-être
EN VENTE
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
« La santé
financière
de la boîte est
excellente et
on nous vire ?
L’esclavagisme,
ça suffit ! »
GUILLAUME
salarié
dre la nouvelle par les médias.
C’est donc ça, le modèle social tant
vanté par Michelin ? »
Cigarette au coin des lèvres, le
trentenaire, regard digne, ne déco­
lère pas. « On est en train d’être
foutus dehors comme des chiens.
Après avoir accepté de passer des
3/8 en 4/8. Après avoir plié l’échine
comme on nous l’a demandé et,
alors même que la santé financière
de la boîte est excellente, on nous
vire ? L’esclavagisme, ça suffit ! »,
s’emporte­t­il.
« Un effet domino »
En écho à la colère des mots, sur
le parking de l’usine, des « Miche­
lins » montent une petite pyra­
mide de pneus usagés, consolidée
à coup de palettes de chantier. Une
fumée âcre noircit la zone indus­
trielle de la route de Nantes. Un
stand s’installe sur le parking et les
langues se délient. « Mon frère aîné
travaille ici depuis quinze ans, ra­
conte, sonné, Jérôme, à peine trois
ans d’ancienneté. Qu’est­ce qu’il va
devenir ? Comment va­t­il payer sa
maison, les activités de ses gamins ?
On nous parle du “miracle écono­
mique vendéen”, pourquoi pas ?
Mais retrouver un emploi dans
l’agroalimentaire ou la plaisance et
devoir redémarrer de zéro alors
qu’après quinze ans de boîte, on
était payés 1 800 euros sans comp­
ter les primes et l’ancienneté, ce
n’est pas du tout la même chose »,
réagit le jeune homme.
Du côté de l’équipementier
français, annonce a été faite, en fin
# 13 - AUTOMNE 2019
EXERCEZ-VOUS
AU YOGA DU RÊVE
LES RÈGLES D’OR
POUR RETROUVER
LE SOMMEIL
CE QU’ON APPREND
EN DORMANT
DE L’AUTOHYPNOSE
ANTI-INSOMNIE
Un ouvrier de Michelin de La Roche­sur­Yon, après l’annonce de la fermeture, jeudi 10 octobre.. LOÏC VENANCE/AFP
de matinée et par voie de commu­
niqué, de la mise en place d’une
enveloppe de provisionnement de
120 millions d’euros donnant ainsi
« la possibilité à chaque salarié
concerné de rester au sein de l’en­
treprise en France ». Dans ce même
document, Michelin assure égale­
ment qu’il n’y aurait « pas d’im­
pact [de cette décision] pour les sa­
lariés des autres usines françaises ».
Ce dont doutent les syndicats.
D’après Antony Guilloteau, délé­
gué CGT du site, « 74 autres postes
du site de Cholet » (Maine­et­Loire)
devraient également être concer­
nés par la fermeture du site de
La Roche­sur­Yon. « Là­bas, les
gars fabriquaient un mélange de
gomme spécifique à la concep­
tion des pneus poids lourds de La
Face à la pression du low cost, le groupe
ferme ses usines en Europe de l’Ouest
Huit sites et 4 600 emplois ont disparu au cours des trois dernières années
L a production industrielle de
pneumatiques en France a­
t­elle encore un avenir ? La
question vient fatalement à l’es­
prit lorsqu’on fait le bilan sur plu­
sieurs années de fermeture d’usi­
nes de pneus Michelin. La dernière
en date, le site de La Roche­sur­
Yon, 619 emplois, a été annoncée
jeudi 10 octobre.
Pour « Bibendum », ce ne sont
pas moins de 4 600 emplois et
huit sites industriels qui ont dis­
paru dans les trois dernières an­
nées en Europe.
Outre l’usine vendéenne où l’on
produit des pneus pour poids
lourds, le groupe de Clermont­
Ferrand venait tout juste d’annon­
cer, fin septembre, la fermeture du
site allemand de Bamberg, en Ba­
vière (pneus de voitures, 858 em­
plois). Un an auparavant, c’était ce­
lui de Dundee, en Ecosse (pneus de
voitures, 845 emplois), qui dispa­
raissait de la liste. Fin 2016, l’entre­
prise avait déjà annoncé plusieurs
fermetures quasiment simulta­
nées en Irlande du Nord, en Italie,
en Hongrie et en Allemagne, tou­
tes dans l’activité poids lourds.
A la direction, on justifie ces déci­
sions par des conditions de mar­
ché mettant ses sites français et
européens sous intense pression.
« Il y a deux phénomènes, expli­
Roche », explique le syndicaliste.
« Et, contrairement à ce qu’annonce
la direction, la décision prise ce
matin pourrait bien provoquer un
effet domino sur l’ensemble du
Grand Ouest. »
« Au­delà des quelque 1 800 em­
plois indirects qui pourraient être
touchés en Vendée et ailleurs, pré­
vient encore Antony Guilloteau,
je ne suis pas loin d’imaginer une
possible fermeture du site de Van­
nes qui, lui aussi, fournissait les fils
métalliques que l’on utilisait dans
nos ateliers. »
Un scénario qui fait parler
autour du feu de palettes et
de pneus. « A chaque fois, c’est la
même histoire », explique Phi­
lippe qui a « déjà fermé » Poitiers,
en 2005, et Joué­lès­Tours (Indre­
quait Florent Menegaux, le nou­
veau président de Michelin, le
10 octobre, dans un entretien au
quotidien Ouest­France : les pneus
asiatiques ont envahi le marché. Il y
a cinq ans, ils étaient encore margi­
naux. Aujourd’hui, ils représentent
un tiers du marché. Simultané­
ment, nous avons un ralentisse­
ment économique mondial qui fait
que les camions roulent moins
parce qu’ils ont moins de marchan­
dises à transporter. »
Dégonflement des marges
Dans une récente étude interne
sur la compétitivité de ses sites in­
dustriels, le groupe français insis­
tait sur la montée des pneus à bas
prix (produits soit en Europe de
l’Est, soit en Asie) dans deux sec­
teurs très importants du marché
européen en raison des volumes
de gomme qu’ils représentent : le
pneu camion et le pneu tourisme
de petite taille (16 pouces).
Cette montée du low cost s’est
faite au détriment du pneu pre­
mium, la spécialité de Michelin,
qui est tombé sous les 50 %, voire
40 %, de parts de marché alors que
le haut de gamme tutoyait les
deux tiers il y a huit ans.
La conséquence logique de cette
pression des prix bas est un dé­
gonflement des marges qui met
et­Loire), en 2013. « La direction
provisionne une enveloppe, promet
que chaque salarié concerné aura
la possibilité de rester au sein de
l’entreprise en France. Résultat, les
vieux comme moi vont anticiper
un départ à la retraite ou négocier
le montant de leurs indemnités.
Au final, il ne restera plus que des
jeunes sans ancienneté, bien plus
faciles à “reclasser”. »
Ce que confirme indirectement
Michelin, qui promet qu’au­delà
« des mesures de préretraite, notre
objectif, c’est que tous les salariés
retrouvent rapidement un emploi
et de vérifier que celui­ci soit de
qualité, sur un territoire vendéen
très dynamique ». Un plan de sau­
vegarde de l’emploi (PSE), accom­
pagné d’une prime de licencie­
Plutôt que
de délocaliser,
l’entreprise
préfère massifier
ses sites
et fermer ses
« petites » usines
en danger les sites de l’ouest de
l’Europe où le coût de la main­
d’œuvre manufacturière est trois à
quatre fois supérieur à celui ob­
servé dans les pays de l’Est. Face à
cette situation, certains indus­
triels comme Continental et Brid­
gestone, le numéro un mondial,
ont délocalisé leurs usines euro­
péennes de l’Ouest vers l’Est (une
zone qui représente les deux tiers
de leur empreinte industrielle).
C’est un choix que n’a pas fait Mi­
chelin, qui produit encore 62 % de
ses pneus à l’Ouest. La multinatio­
nale préfère, plutôt que de déloca­
liser, massifier ses sites et en finir
avec son chapelet de « petites » usi­
nes, produisant moins de 100 000
tonnes de pneumatiques par an,
un seuil critique de rentabilité se­
lon Michelin. Dans le pneu pre­
mium, Bibendum disposait de
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
ment de 30 000 euros par salarié,
qu’entendent bien contester la
CGT et son avocat, Fiodor Rilov.
Contacté par Le Monde, ce der­
nier confirme que « selon les der­
niers rapports financiers que j’ai
pu consulter, tous les voyants sont
au vert. Sur le dernier exercice,
le résultat net de Michelin, après
imposition, est d’1,6 milliard
d’euros ! Comprenez que, tant sur
le plan économique qu’humain, il
est juste scandaleux d’annoncer la
fermeture d’un site qui condamne,
à terme, 619 familles et autant de
sous­traitants. A l’heure où je
vous parle, le but n’est pas de négo­
cier des indemnités, mais bien
de préserver les emplois », pré­
vient l’avocat. 
pierre­yves bulteau
vingt­trois sites en Europe de
l’Ouest en 2002. Avec les fermetu­
res annoncées ces derniers jours,
le groupe n’en comptera plus
qu’une dizaine.
Michelin compte encore en
France des petites usines aux vo­
lumes un peu juste selon les critè­
res de la direction. Si certaines
s’en sortent parce qu’elles produi­
sent pour des marchés spécialisés
(Troyes, Aube, pneus agricoles) ou
très haut de gamme (Roanne,
Loire), quatre autres, représen­
tant 1 400 emplois, ont été mar­
quées d’une croix rouge par la di­
rection. Il s’agit du site de Cata­
roux, à Clermont­Ferrand (pneus
de compétition), de Cholet (Mai­
ne­et­Loire, tourisme et camion­
nette) et d’Avallon (Yonne, recha­
page poids lourds).
« Cela fait des années que l’on
nous sert cet argument du différen­
tiel de compétitivité, s’insurge Jé­
rôme Lorton, délégué syndical
central SUD de Michelin. Cela n’a
rien de nouveau. Ce qui est nou­
veau et inquiétant, c’est cette accé­
lération et cette brutalité dans la
décision. M. Menegaux a été
nommé en mai et il ferme une usine
en octobre. Sans préparation, sans
anticipation. Il y a une rupture sur
la forme et sur le fond. » 
éric béziat
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
Fin de partie pour Thierry Bolloré chez Renault
Le conseil d’administration du constructeur a acté, vendredi 11 octobre, le départ de son directeur général
L
e grand chamboule­tout
au sommet de Renault a
bien eu lieu. C’est le der­
nier rebondissement de
l’interminable affaire Ghosn. Ven­
dredi 11 octobre, dans la matinée,
le conseil d’administration du
groupe au losange, convoqué en
urgence, a révoqué avec effet im­
médiat Thierry Bolloré, son direc­
teur général depuis janvier. Aucun
administrateur n’a voté contre.
En attendant de trouver un
successeur, la directrice finan­
cière de Renault, Clotilde Delbos
(52 ans), devait être nommée di­
rectrice générale par intérim.
Passée de Constellium (ex­Pechi­
ney) à Renault, en 2012, Mme Del­
bos est la patronne des finances
du constructeur depuis 2016.
La quête d’un nouveau directeur
général en titre devrait être lan­
cée dans la foulée.
Le conseil d’administration a re­
proché à son dirigeant opération­
nel la médiocre performance fi­
nancière du constructeur français
en 2019. Entre janvier et juin, les
bénéfices ont plongé de 50 % à
1 milliard d’euros. Surtout, Re­
nault a brûlé 700 millions d’euros
de trésorerie en six mois, en rai­
son, arguait l’entreprise, d’une
augmentation substantielle des
investissements. Les premiers
éléments financiers concernant
le second semestre ne semblent
pas conformes aux attentes, selon
un bon connaisseur du dossier.
Un « coup de force inquiétant »
La convocation d’un conseil
d’administration pour examiner
le cas Bolloré n’était cependant
pas planifiée aussi rapidement.
Selon nos informations, Jean­Do­
minique Senard, le président de
Renault et PDG de l’Alliance Re­
nault­Nissan­Mitsubishi, ainsi
que l’Etat, actionnaire principal
de Renault avec 15 % du capital,
avaient prévu de patienter jus­
qu’au conseil du 18 octobre pour
statuer sur le sort de son
dirigeant. Le conseil était pro­
Chez General Motors, une grève contre les usines mexicaines
La PDG du groupe, Mary Barra, a rencontré en secret les syndicats à Detroit pour tenter de sortir de l’impasse
new york ­ correspondant
U ne hausse des salaires ne
suffit pas, encore faut­il
que l’emploi soit garanti
par une production pérenne sur
le sol des Etats­Unis. C’est, au
fond, le vrai sujet de la grève des
salariés syndiqués de General
Motors (GM), qui paralyse la
firme de Detroit depuis lundi
16 septembre. Les négociations
ont été rompues, lorsque la direc­
tion de l’entreprise a refusé de
prendre tout engagement sur la
localisation de la production.
« Les gains économiques d’un ac­
cord ne valent rien, s’il n’y a pas la
sécurité de l’emploi », a écrit,
mardi 8 octobre, Terry Dittes, vi­
ce­président du syndicat United
Auto Workers (UAW). « Les véhi­
cules GM vendus ici doivent être
produits ici. » Les 46 000 salariés
en grève ne vont pas toucher, ven­
dredi, leur paie pour la deuxième
quinzaine d’affilée et vont devoir
se contenter des 250 dollars (soit
227 euros) par semaine versés par
leur syndicat. L’entreprise, qui
voit plus d’une trentaine de sites
de production bloqués, aurait,
elle, perdu 1 milliard de dollars
dans l’affaire, et se trouve con­
trainte de mettre au chômage
technique certaines de ses usines
mexicaines, en panne de pièces
détachées.
La crise se répercute sur les sous­
traitants automobiles, qui ont ré­
duit la paie ou mis au chômage
Thierry Bolloré (à gauche), alors directeur général de Renault, et Jean­Dominique Senard, le président du constructeur
français et PDG de l’Alliance Renault­Nissan­Mitsubishi, à Paris, le 24 septembre. ÉRIC PIERMONT/AFP
grammé de longue date pour
éplucher les comptes définitifs
du troisième trimestre. Mais, des
fuites dans Le Figaro, mardi 8 oc­
tobre, sur l’intention d’évincer
le numéro deux, ont précipité les
événements.
M. Bolloré ne s’est pas rendu
sans lutter. Dans un entretien
surprise donné en dernière mi­
nute au quotidien Les Echos, dans
la soirée du jeudi 10 octobre, il a
défendu bec et ongles son bilan
et dénoncé un « coup de force in­
quiétant ». « La brutalité et le ca­
ractère totalement inattendus de
ce qui est en train de se passer sont
stupéfiants, a­t­il déclaré. (…) Cela
technique 75 000 salariés, mena­
çant la croissance de la région des
Grands Lacs, dans le nord­est des
Etats­Unis. Pour la première fois,
mercredi 9 octobre, la PDG de GM,
Mary Barra, a rencontré secrète­
ment les syndicats à Detroit (Mi­
chigan) pour tenter de débloquer
la situation, sans que rien ne filtre
des négociations.
Trois défis
Retour sur cette grève, la première
depuis la grande crise financière
de 2008, qui avait poussé GM à la
faillite. Le groupe avait été ren­
floué par l’administration Obama
et avait sacrifié des salariés. Plus
de dix ans après, la firme de De­
troit est en apparence prospère. La
grève a été déclenchée alors que
l’accord salarial quadriennal arri­
vait à expiration, un an après que
la direction a annoncé, à froid,
une restructuration d’ampleur de
sa production américaine.
Celle­ci passe par la fermeture
de quatre usines américaines et la
suppression de 15 000 emplois.
General Motors est confronté à
trois défis : les investissements
massifs à accomplir dans la voi­
ture sans conducteur et les mo­
teurs électriques, qui exigeront
beaucoup moins de
main­d’œuvre ; le retournement
probable de la conjoncture auto­
mobile, qui a déjà frappé la Chine ;
et, enfin, la concurrence mon­
diale, alors que GM souffre d’un
problème de coût.
est d’autant plus inexplicable que
Renault est l’un des très rares
constructeurs automobiles à
n’avoir pas fait de profit warning
[« alerte sur les résultats »] en
dépit du contexte de crise que
nous traversons. »
A la décharge de Thierry Bolloré,
le groupe, il est vrai, ne bénéficie
pas, contrairement aux années
précédentes, de remontées positi­
ves semestrielles liées à la prise de
participation de Renault dans
Nissan (43,4 % du capital). Sur les
six premiers mois de 2018, l’allié
japonais avait rapporté 805 mil­
lions d’euros à son premier ac­
tionnaire. Au premier semestre,
GM produit
plus de 830 000
véhicules par an
au Mexique,
30 % de plus
que Fiat Chrysler
et trois fois plus
que Ford
Selon les statistiques du Center
for Automotive Research, les
coûts salariaux par véhicule pro­
duit ont été divisés par deux en­
tre 2007 et 2014, mais sont repar­
tis à la hausse depuis (les véhi­
cules comme les pick­up ou les
SUV – les 4 × 4 urbains – sont
beaucoup plus chers et comple­
xes à assembler). Tout compris, le
coût du travail horaire chez GM
est de 63 dollars, légèrement su­
périeur à celui de Ford et de Fiat
Chrysler (61 et 55 dollars) et, sur­
tout, beaucoup plus onéreux que
les 50 dollars versés par les cons­
tructeurs automobiles étrangers
installés dans le sud non syndi­
qué des Etats­Unis.
Les salariés syndiqués, eux, en­
tendent défendre leur statut. Ils
craignent de voir les avantages de
leur formidable assurance­santé
réduits (ils ne paient directement
que 3 % de leurs dépenses mé­
dicales, contre 28 % pour la
moyenne des salariés améri­
économie & entreprise | 15
cette contribution était négative,
à – 21 millions. D’où l’importance
pour Renault d’un rapide redres­
sement de Nissan et d’un redé­
marrage sans tarder de l’Alliance.
Purge des dirigeants
Du côté de Nissan, sous l’aiguillon
de cette urgence de relancer le
partenariat franco­japonais, la
purge des dirigeants, liés de près
ou de loin à la figure tutélaire de
M. Ghosn, a été largement enta­
mée. Hiroto Saikawa, l’homolo­
gue de M. Bolloré chez Nissan, a
démissionné le 9 septembre. Hari
Nada, le directeur juridique et
principal dénonciateur de Carlos
cains). En fait, ce sujet ne semble
pas vraiment sur la table.
Le second thème porte sur les
revenus. Chez GM, le salaire d’en­
trée est de 17 dollars et monte à
30 dollars au bout de huit ans. Les
syndicats voudraient des hausses
plus rapides, et garanties chaque
année. La direction préfère des
primes dépendantes des résul­
tats, ce qui permet de réduire les
coûts fixes à l’approche d’un ra­
lentissement. Pendant la période
de rebond, les salariés ont profité
de ce système de bonus et de par­
ticipation aux résultats. Sur la pé­
riode 2015­2018, les syndiqués de
GM ont touché 45 000 dollars de
bonus et de participation au ré­
sultat par an, contre 33 400 et
20 500 chez Ford et Fiat Chrysler,
selon la chaîne CNBC. Mais, à l’ap­
proche d’une période de vaches
maigres, ce système est moins sé­
duisant pour les syndicats, qui
veulent des revenus moins dé­
pendants de la conjoncture.
Dernier et principal sujet, le lieu
de production. Les syndicats sont,
sur ce point, alignés avec les res­
ponsables politiques. Avant la
grève, fin août, Donald Trump s’en
était pris, sur Twitter, à GM à pro­
pos de sa production chinoise :
« General Motors, qui était jadis le
géant de Detroit, est désormais le
plus petit fabricant automobile
[des Etats­Unis]. Ils ont déplacé les
plus grandes usines en Chine. »
Le reproche n’est pas infondé :
GM, qui n’a pas embauché de syn­
Ghosn, s’est vu retirer ses fonc­
tions exécutives et a été mis sur la
touche mardi 8 octobre.
Ce même jour, un nouveau
directeur général et administra­
teur de Nissan, Makoto Uchida, a
été désigné. Quinquagénaire, très
tourné vers la performance opé­
rationnelle, il incarne, avec son
nouveau directeur des opéra­
tions, l’Indien Ashwani Gupta,
passé par Renault, une rupture
avec le passé.
Du côté français, la greffe entre
M. Senard et M. Bolloré, les deux
hommes formant le binôme de
gouvernance du Losange depuis
le 24 janvier, n’a jamais vraiment
diqués depuis le début de la décen­
nie, en emploie désormais moins
que Ford (+ 35 % de syndiqués) et
Fiat Chrysler (+ 100 %). En revan­
che, contrairement à ce que dit
M. Trump, les emplois ne sont pas
partis en Chine (les 3,6 millions de
véhicules produits en Chine sont
écoulés sur place), mais au Mexi­
que. GM y produit plus de 830 000
véhicules par an (30 % de plus que
Fiat Chrysler et trois fois plus que
Ford), largement réexportés aux
Etats­Unis. Au total, près du quart
de ses ventes américaines vien­
nent du Mexique. GM assure avoir
investi 23 milliards de dollars dans
ses usines des Etats­Unis et
compte y consacrer 7 milliards
pour en créer ou en sauvegarder,
mais continue néanmoins de se
mondialiser.
Une relocalisation est fortement
improbable. La production mexi­
caine est en début de cycle, et un
changement de chaîne d’assem­
blage, coûteux, n’intervient en gé­
néral qu’à l’occasion de la sortie
d’un nouveau modèle, au bout de
cinq années, au moins. Surtout,
l’accord commercial renégocié
avec le Canada et le Mexique a
éloigné le risque d’une taxation à
25 % des pick­up produits au sud
du rio Grande, et ne permet pas à
Donald Trump de remplir sa pro­
messe : rapatrier la production
automobile dans les Etats de la
« ceinture de la rouille », qui ont
fait sa victoire en 2016. 
arnaud leparmentier
Entre janvier et
juin, les bénéfices
du constructeur
ont plongé de
50 %, à 1 milliard
d’euros
pris, si l’on en croit plusieurs té­
moins de leurs relations de tra­
vail. Dans le clan Bolloré, on dé­
plorait une tendance à ne pas par­
tager toutes les informations.
L’équipe Senard, elle, ne se sentait
pas totalement en confiance.
Mais la raison fondamentale de
l’éviction de M. Bolloré, c’est la
volonté d’en finir une bonne fois
pour toutes avec la période de
graves turbulences qui secoue le
groupe français, et plus large­
ment l’Alliance­Renault­Nissan­
Mitsubishi, depuis que son PDG
fondateur, Carlos Ghosn, a été ar­
rêté pour malversations financiè­
res au Japon, en novembre 2018.
Thierry Bolloré l’analyse d’ail­
leurs lucidement : « La seule chose
que l’on me reproche peut­être,
c’est d’avoir été nommé directeur
général adjoint début 2018, sur
proposition de Carlos Ghosn, à
l’unanimité du conseil », a­t­il dé­
claré dans son interview du 10 oc­
tobre, envoyant, au passage, une
pique aux treize administrateurs
actuels de Renault – sur un total
de dix­huit –, qui étaient déjà pré­
sents à l’époque.
M. Bolloré en a appelé solennel­
lement à l’Etat, « garant des règles
de gouvernance », et « pour ne pas
déstabiliser Renault, fleuron de l’in­
dustrie française. » Dans sa ré­
ponse, le ministère de l’économie
a choisi son camp : « Nous faisons
confiance à Jean­Dominique Se­
nard pour proposer au conseil
d’administration les décisions né­
cessaires pour mettre en œuvre la
stratégie de l’alliance et de Renault,
soutenue par l’Etat actionnaire. » 
éric béziat
E-COMMERC E
LDLC souhaite reprendre
le site Top Achat
Le groupe de vente en ligne
d’informatique et de high­
tech LDLC a annoncé, ven­
dredi 11 octobre, être entré en
négociation exclusive avec
Rue du commerce (groupe
Carrefour) en vue d’acquérir le
site Top Achat spécialisé dans
la distribution de produits
informatiques et high­tech.
CONSOMMATION
Loi alimentation :
un « chèque en blanc »
à la distribution
Votée en 2018, la loi alimenta­
tion, et notamment le relève­
ment du seuil de revente à
perte (SRP), a conduit à signer
un « chèque en blanc de
1,6 milliard d’euros à la grande
distribution », dénoncent,
vendredi 11 octobre, l’UFC­
Que choisir et la Confédéra­
tion paysanne. « Alors que la
hausse de 10 % du SRP inflige
aux consommateurs une in­
flation qui devrait représenter,
selon nos calculs, 1,6 milliard
d’euros sur deux ans, le rééqui­
librage des négociations com­
merciales tant attendu par les
agriculteurs et promu par la
loi n’a pas eu lieu. »
INFORMATIQUE
Démission du PDG
de SAP
Bill McDermott, PDG du fabri­
cant allemand de logiciels
d’entreprises SAP coté à Franc­
fort, quitte ses fonctions de di­
rigeant, a annoncé le groupe,
vendredi 11 octobre. Les rai­
sons de cette démission n’ont
pas été précisées. – (AFP.)

18 | économie & entreprise
Gare du Nord: avis favorable pour
le projet contesté de rénovation
La Commission nationale d’aménagement commercial a approuvé le
programme de la SNCF et Ceetrus. La Ville de Paris veut faire évoluer les plans
F
eu vert pour la future gare
du Nord. La Commission
nationale d’aménagement
commercial (CNAC) a
donné un avis favorable, jeudi
10 octobre, au projet de rénovation
et d’agrandissement de la pre­
mière gare d’Europe, porté par la
SNCF et Ceetrus, la filiale d’immo­
bilier commercial d’Auchan. Lancé
dans la perspective des Jeux olym­
piques de 2024, ce qui s’annonce
comme l’un des plus importants
chantiers de la capitale a tourné à
la controverse politique : la Ville de
Paris a annoncé, le 1er octobre,
qu’elle rejetait ces plans, prônant
un programme plus modeste et
davantage centré sur les missions
d’une gare multimodale.
Pour agrandir les espaces de la
gare, dont le trafic devrait passer
de 700 000 voyageurs par jour à
quelque 900 000 d’ici à 2030, la
SNCF et Ceetrus ont élaboré un
vaste programme immobilier à
600 millions d’euros. Au menu, le
doublement des espaces pour les
voyageurs, qui passent de 30 000 à
60 000 m2, la multiplication des
escaliers mécaniques, la création
d’un nouveau terminal de départ.
Mais aussi la construction d’un
massif bâtiment de 300 mètres de
long, 50 mètres de large et cinq
étages, à côté de la halle historique.
L’échéance des JO 2024 en question
Comment s’assurer que la rénovation de la gare du Nord soit
achevée pour les Jeux olympiques (JO) de 2024, dont elle sera
l’un des importants carrefours ? « Avec le projet actuel, on ouvre
fin 2023. Repartir à zéro, c’est trois à cinq ans pour construire le
projet, puis deux à trois ans de travaux. On se retrouve en 2027,
2028… », estimait Guillaume Pepy, président de la SNCF,
le 1er octobre. Pour la Ville de Paris, au contraire, l’ampleur du
projet et sa complexité technique, sans même parler des recours
probables, rend impossible une ouverture pour les JO, que
seul un projet plus modeste pourrait garantir.
L’Inde se lance dans une nouvelle tentative
de privatisation d’Air India
Le gouvernement Modi avait déjà essayé, en 2017, de vendre la compagnie aérienne
bombay ­ correspondance
L a relance économique a un
coût et c’est Air India qui, la
première, va en subir les
conséquences. La compagnie aé­
rienne détenue par l’Etat indien
va être de nouveau mise en vente
dans les toutes prochaines semai­
nes, conformément à ce qu’avait
indiqué dès le mois de juillet la
ministre des finances, Nirmala Si­
tharaman. La presse du sous­con­
tinent parle d’un appel à candida­
tures « d’ici à la fin du mois d’octo­
bre » et d’un lancement du proces­
sus de privatisation proprement
dit « dans le courant du mois de
novembre ».
Après une première tentative ef­
fectuée en 2017, qui s’était soldée
par un constat d’échec en
juin 2018, faute de candidat, le
gouvernement de Narendra Modi
juge le moment opportun pour
une deuxième tentative, dans un
contexte de ralentissement éco­
nomique inédit qui l’a ainsi con­
duit, en septembre, à baisser dras­
tiquement le taux de l’impôt sur
les sociétés.
Une mesure qui va réduire les
recettes de l’Etat de 1 450 milliards
de roupies (soit 18,6 milliards
d’euros), alors que la collecte fis­
cale globale est déjà inférieure de
32 milliards d’euros aux prévi­
sions budgétaires pour l’année
« Trop dense », selon la Ville, et
surtout « trop commercial » : des­
tiné aux voyageurs dans sa partie
basse, cet édifice, signé par
l’agence d’architecture Valode
et Pistre, doit surtout accueillir
13 000 m2 de bureaux, 12 000 m2
d’équipements sportifs et cultu­
rels, 11 000 m2 de « parc urbain »
en toiture et une bonne partie des
19 000 m2 de boutiques prévus
dans l’ensemble du projet, contre
moins de 5 000 m2 aujourd’hui.
Finalement, un triplement de la
surface de la gare, dont une mino­
rité seulement servira au trans­
port, regrette la municipalité,
pour qui les fonctions multimo­
dales – station de vélos, gare de
bus – sont bien trop à l’étroit.
Un recours non exclu
C’est l’ampleur de cette opération
immobilière qui permet à la SNCF
de financer la rénovation sans dé­
bourser un centime. Les futurs es­
paces hors transport seront ex­
ploités, pour une concession de
quarante­six ans, par une coentre­
prise détenue par Ceetrus, à 66 %,
et par la SNCF, à 34 %. Un montage
qui fait dénoncer à ses opposants
la « privatisation » d’une partie de
l’emprise de la gare.
En juin, la commission départe­
mentale d’aménagement com­
fiscale 2019­2020 qui court jus­
qu’au 31 mars 2020.
Si les astres s’annoncent cette
fois­ci plus favorables, c’est parce
que des enseignements ont été ti­
rés de l’échec précédent. Les trans­
porteurs aériens qui s’intéressent
à Air India avaient déclaré forfait
pour deux raisons essentielles :
l’Etat souhaitait, à l’époque, con­
server 24 % du capital et céder au
repreneur 70 % de la dette. Sur ce
premier point, la ligne est
aujourd’hui très claire. « La vo­
lonté du gouvernement de privati­
ser Air India va de soi. Ce devrait
être une privatisation totale et
nous devons obtenir le meilleur ac­
cord possible dans les plus brefs dé­
lais », a déclaré, fin août, le secré­
taire d’Etat chargé de l’aviation ci­
vile, Hardeep Singh Puri. Il s’agit
donc désormais de trouver un ac­
quéreur pour 100 % du capital.
Une mariée plus attirante
Sur le second point, la mariée est
plus attirante. Certes, la dette de la
compagnie publique a continué
de progresser dans l’intervalle,
pour approcher, au 31 mars, le
montant de 7,5 milliards d’euros
(+ 6 % sur un an). Mais, en janvier,
le gouvernement Modi a consti­
tué une structure de défaisance
pour alléger ce fardeau, en y lo­
geant les actifs les moins renta­
bles (Air India Transport Services,
« On ne se
contentera pas
de modifications
marginales : tout,
dans ce projet,
est insoutenable »
EMMANUEL GRÉGOIRE
premier adjoint à la maire
(PS) de Paris, Anne Hidalgo
mercial avait retoqué le projet, ju­
geant la hausse des surfaces
« surdimensionnée » et pouvant
« porter atteinte au tissu commer­
cial environnant » et à « la vie ur­
baine du quartier ». En appel, les
arguments développés devant la
CNAC par Emmanuel Grégoire, le
premier adjoint de la maire PS de
Paris, Anne Hidalgo, accompagné
par l’adjointe au commerce, Oli­
via Polski, et la maire du 10e arron­
dissement, Alexandra Cordebard,
n’ont visiblement pas convaincu.
La municipalité plaidait pour
une remise à plat complète du
dossier, contestant le programme
commercial, comme les futurs
aménagements de la gare, qui pré­
voient de séparer les flux d’arri­
vée, dans le hall historique, et les
flux de départ, passant par le nou­
veau terminal et un système de
passerelles permettant d’accéder
aux quais. Un dispositif qui « défi­
gure » la halle historique du
XIXe siècle, estime l’adjoint chargé
de l’urbanisme et de l’architec­
ture, Jean­Louis Missika, comme
un collectif d’architectes et urba­
nistes renommés, qui ont jugé le
projet « inacceptable » dans une
tribune publiée par Le Monde.
En théorie, l’avis favorable de la
CNAC ouvre la voie à la délivrance
Airline Allied Services, Air India
Engineering Services and Hotel
Corporation of India) et en y
transférant 3,8 milliards d’euros
de dette.
Autre élément favorable, le mar­
ché indien compte aujourd’hui un
acteur de moins, la compagnie Jet
Airways, qui détenait, il y a encore
un an, 15 % de parts de marché,
ayant déclaré faillite au printemps.
Par ricochet, la position des autres
acteurs s’est trouvée renforcée. In­
diGo, le leader incontestable, con­
trôle actuellement près de 50 % du
marché indien, devant SpiceJet
(14,8 %) et Air India (13,5 %). « Le re­
tour de Jet Airways étant très im­
probable, Air India offre une oppor­
tunité de rêve à qui veut prendre
position en Inde », estime Dhiraj
Mathur, ancien expert du secteur
aérien au cabinet PwC India.
La compagnie, qui compte
16 000 salariés et une flotte de
128 avions, devrait « cette fois­ci
attirer beaucoup de monde,
avance la société de conseil Capa,
spécialisée dans l’aviation. Nous
n’excluons pas la possibilité que
des opérateurs globaux, notam­
ment originaires des pays du
Golfe, concourent à la privatisa­
tion, en groupement avec des com­
pagnies locales ».
Pour le moment, en effet, l’Inde
interdit à toute compagnie étran­
gère de détenir plus de 49 % du ca­
du permis de construire par le pré­
fet de Paris et de l’Ile­de­France,
Michel Cadot. Face à la fronde de la
Ville de Paris, l’Etat et la région
avaient fermement soutenu le
projet, le secrétaire d’Etat aux
transports, Jean­Baptiste Djebbari,
allant jusqu’à assurer par avance,
dimanche 6 octobre, que le pro­
gramme serait « validé ». Difficile,
toutefois, pour la SNCF d’imposer
un programme de cette ampleur
en s’opposant frontalement à la
Ville, espère l’exécutif municipal.
La Mairie de Paris appelle désor­
mais à « l’organisation d’une réu­
nion des parties prenantes auprès
du préfet de région » pour « faire
bouger le projet », se disant tou­
jours prête à financer une partie
de la rénovation pour compenser
les pertes commerciales. « On ne
se contentera pas de modifica­
tions marginales : tout, dans ce
projet, est insoutenable », prévient
Emmanuel Grégoire. Le premier
adjoint « n’exclut pas un recours
contentieux sur la décision de la
CNAC ou sur le permis de cons­
truire, si le dialogue ne permet pas
de faire évoluer le projet ».
Un dialogue qui n’a, jusqu’ici, pas
porté ses fruits : c’est parce qu’elle
n’obtenait pas assez d’avancées à
ses yeux que l’équipe Hidalgo a dé­
cidé de s’opposer subitement à ce
projet qu’elle soutenait jusque­là :
M. Missika avait fait voter un avis
favorable par le Conseil de Paris, le
10 juillet, après des débats hou­
leux. Le changement de ton de
l’exécutif parisien avait alors été
dénoncé par ses adversaires
comme un revirement tactique à
l’approche des municipales de
mars 2020, alors que les alliés éco­
logistes et communistes de la ma­
jorité sont vigoureusement oppo­
sés au projet de la SNCF. 
grégoire allix
pital d’une compagnie indienne.
Il y a dix­huit mois déjà, plusieurs
noms de repreneurs potentiels
circulaient sans qu’aucun d’entre
eux ne confirme être intéressé.
Parmi eux, Vistara, Air France­
KLM, Etihad, Lufthansa et British
Airways.
La privatisation d’Air India, si
elle finit par aboutir, ne sera
qu’une goutte d’eau dans le déficit
des comptes publics que le minis­
tère des finances espère toujours
limiter à 3,3 % du produit intérieur
brut (PIB) cette année. Alors que le
prix de la compagnie était évalué
il y a deux ans entre 3,8 milliards
et 5,1 milliards d’euros, les analys­
tes parlent maintenant d’une
enveloppe tournant autour de
2,5 milliards seulement.
C’est sans doute la raison pour
laquelle le gouvernement insiste
sur le fait que cinq autres entre­
prises devront également bas­
culer très vite dans la sphère pri­
vée : la compagnie pétrolière
BPCL, la société de fret ferroviaire
Concor, le transporteur maritime
SCI et les électriciens THDC et
Neepco. L’Etat a prévu d’engran­
ger, cette année, 13,5 milliards
d’euros de recettes de privatisa­
tions. A peine plus de 10 % du pro­
gramme sont réalisés, en raison
du retard occasionné par les élec­
tions générales du printemps. 
guillaume delacroix
PERTES & PROFITS | DYSON
p a r ph il ippe esca n de
La fin d’un rêve
électrique
Le roi de l’aspirateur ne sera pas
celui de la voiture électrique.
Le pari semblait très audacieux,
les deux objets ayant à peu près
autant de points communs qu’un
batteur à œufs et un train à
grande vitesse. Sir James Dyson
est l’inventeur le plus turbulent
du Royaume­Uni. Anobli par la
reine pour avoir supprimé les
sacs des aspirateurs, il s’était mis
en tête de devenir le Henry Ford
du XXIe siècle. Celui qui réinven­
tera l’automobile à l’ère du numé­
rique et de la batterie. D’ailleurs
n’est­il pas lui­même un spécia­
liste du domaine avec ses sèche­
cheveux et balais aspirants ?
Annoncé en fanfare en 2008,
après deux ans d’études, le projet
de produire des voitures « radica­
lement différentes » a été officiel­
lement abandonné ce jeudi
10 octobre. « Nous avons travaillé
dur, mais n’avons pas trouvé le
moyen de rendre ce projet com­
mercialement viable. » Amer
constat alors que le site de pro­
duction à Singapour avait été
choisi et que le marché pour ces
véhicules est promis à un très
brillant avenir compte tenu de la
mort annoncée du moteur ther­
mique. La rupture technologi­
que, avec des engins plus sim­
ples, nécessitant trois fois moins
de composants qu’une automo­
bile classique, abaisse d’un coup
la barrière à l’entrée de ce métier.
Mais M. Dyson a buté contre
deux règles immuables de l’inno­
vation : l’embouteillage de pré­
tendants et la riposte des domi­
nants. Car il n’a pas été le seul à
avoir cette bonne idée. Le succès
Malgré la polémique,
Eric Zemmour
revient sur CNews
Le chroniqueur confirme qu’il sera lundi à
l’antenne de la chaîne info du groupe Canal+
C inq ans après l’avoir quit­
tée, Eric Zemmour va re­
trouver, lundi 14 octobre,
l’antenne de CNews, qui a succédé
à i­Télé. Le polémiste participera à
une nouvelle émission de débats
de la chaîne d’informations,
comme l’a confirmé le groupe Ca­
nal+ jeudi 10 octobre. « Face à
l’info » est programmée de 19 heu­
res à 20 heures du lundi au jeudi.
Eric Zemmour débattra de l’ac­
tualité pendant trente minutes
aux côtés des journalistes Eric Re­
vel, Eric de Riedmatten et Marc
Menant, sur le plateau de Chris­
tine Kelly, ex­membre du Conseil
supérieur de l’audiovisuel (CSA).
La deuxième partie de l’émission
sera consacrée à un duel opposant
M. Zemmour à un contradicteur.
Inquiétude de la rédaction
Visiblement, la chaîne a du mal à
recruter des participants, alors que
la polémique née du discours tenu
par l’essayiste lors de la « conven­
tion de la droite », le 28 septembre,
est encore fraîche. « J’ai souvent dé­
battu avec Eric Zemmour mais j’ai
considéré qu’après ce discours de
guerre civile, ce n’était plus possi­
ble », indique le directeur de la ré­
daction de Libération, Laurent Jof­
frin, démarché par CNews. A ce
stade, la nouvelle star de l’antenne
elle­même ne sait pas à qui elle
fera face.
Jeudi, la rédaction de la chaîne a
exprimé son inquiétude et a fait
savoir au directeur de l’informa­
tion délégué, Thomas Bauder,
qu’elle attendait des garanties
quant à ce retour.
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
commercial du pionnier améri­
cain Tesla, créé en 2003, a fait des
envieux, même s’il n’a jamais ga­
gné un centime sur ses bolides.
C’était le modèle de Dyson,
comme de celui de myriades de
start­up. Selon l’agence Bloom­
berg, depuis 2011, près de 18 mil­
liards de dollars (16,3 milliards
d’euros) ont été récoltés par les
aspirants constructeurs dans le
monde entier, 43 modèles mis
sur le marché pour une produc­
tion de 3,9 millions de voitures,
soit les ventes annuelles de PSA.
Embouteillage
Conséquence de cet embou­
teillage sur un marché encore bal­
butiant, une guerre des prix et
des modèles économiques aussi
fragiles qu’une tour Eiffel en allu­
mettes. La première bourrasque
les a fait voler en éclats. En juillet,
le marché du véhicule électrique
a chuté de 23 % dans le monde,
plombé par les très mauvais chif­
fres en Chine. La société NIO, qui
se présente comme le Tesla chi­
nois, a vu son cours de Bourse
s’effondrer, et ses rivaux sont au
bord de la banqueroute. Une bulle
électrique est en train d’éclater.
La situation de ces nouveaux
acteurs est d’autant plus précaire
que les géants du secteur jettent
toutes leurs forces dans la ba­
taille. Volkswagen va investir
plus de 30 milliards d’euros pour
s’offrir une gamme complète
d’ici à 2025. C’est dix fois plus
que ce que pouvait engager Dy­
son. Il est donc temps pour lui de
replier la toile et de retourner à
ses chers aspirateurs. 
« Nous n’offrons pas une tribune
sans filtre ni même un créneau d’ex­
pression libre », a assuré en fin de
journée à l’AFP Gérald­Brice Viret,
directeur général des antennes du
groupe Canal+. « Nous avons ob­
tenu des garanties de la part de
M. Zemmour, notamment sur le
fait qu’il n’est pas là avec un calen­
drier politique. S’il est candidat,
Serge Nedjar [patron de la chaîne]
aura la possibilité de le suspendre
de l’antenne », indique­t­il.
Le mal­être est prégnant dans la
rédaction de CNews, qui demande
plus de moyens depuis 2016, an­
née d’une grève sans précédent
qui a entraîné de très nombreux
départs. « La rédaction craint pour
la crédibilité de la chaîne », expli­
que Sébastien Cochelin, chef mon­
teur au groupe et délégué CFDT.
Serge Nedjar souhaitait faire re­
venir l’essayiste depuis juin, afin
de faire remonter l’audience qui
était de 0,7 % en septembre, contre
0,9 % pour LCI et 2 % pour BFM­TV,
selon Médiamétrie.
Même si M. Zemmour réalisait
de bonnes audiences, cela pourrait
être un coup d’épée dans l’eau
pour CNews. Gros annonceurs du
petit écran, Ferrero, la MAIF, Grou­
pama et Monabanq assurent avoir
retiré leurs campagnes des émis­
sions auxquelles participe le polé­
miste. « Il n’est pas ici question de
censure, d’atteinte à la liberté d’ex­
pression, encore moins de chan­
tage ou de politique, mais bien d’ali­
gnement entre nos discours et nos
actes », précise la MAIF. 
sandrine cassini
et mouna el mokhtari
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
toronto ­ envoyé spécial
S
ur la friche portuaire
qui borde le lac Onta­
rio, coincée le long des
voies surélevées de la
Gardiner Expressway,
d’austères silos à soja
à l’abandon dressent leur profil
de béton. Difficile de croire que
pourrait germer sur cette frange
poussiéreuse du centre­ville de
Toronto, au Canada, un concentré
de ville durable et futuriste, la
première smart city conçue et dé­
veloppée en direct par un géant
du numérique. Depuis deux ans,
la genèse de « Google City » a bra­
qué sur la métropole de l’Ontario
les regards des amateurs de villes
et de nouvelles technologies.
Décidées à transformer en
quartier exemplaire les 5 hecta­
res de Quayside, idéalement si­
tués en front de lac et à proximité
du cœur de la métropole, les
autorités canadiennes ont cliqué
avec enthousiasme, en octo­
bre 2017, sur le projet proposé par
Google. Ou plus exactement par
Sidewalk Labs (le « laboratoire du
trottoir »), une société new­yor­
kaise filiale, comme Google, de la
maison mère Alphabet. Son am­
bition : rien de moins que « créer
le quartier du futur » et « établir de
nouveaux standards pour une
planète plus saine », selon les
mots de son directeur général,
Daniel Doctoroff.
Deux ans après, rien ne va plus.
Débordés par l’insatiable appétit
de leur partenaire, les Canadiens
se demandent s’ils peuvent en­
core remettre le diable new­yor­
kais dans sa boîte. Waterfront To­
ronto, l’autorité qui réunit la ville,
la province et l’Etat fédéral pour
aménager les bords du lac, a
sommé la firme d’éclaircir ses in­
tentions et s’est donné jusqu’au
31 octobre pour poursuivre
l’aventure ou prononcer un re­
tentissant divorce.
« Nous voulons un quartier à la
pointe de l’innovation dans tous
les domaines, et c’est Google qui a
fait la meilleure proposition. Mais
aujourd’hui ils vont trop loin », ad­
met la conseillère municipale
Ana Bailao, responsable de l’urba­
nisme, rencontrée à l’occasion
d’un voyage d’étude du think tank
La Fabrique de la cité, auquel Le
Monde était invité.
Depuis des mois, Sidewalk Labs
égrène ses esquisses et ses idées
pour l’aménagement de Quay­
side. Emerge l’image d’un éco­
quartier aux énergies vertes et
aux espaces publics attrayants et
PLEIN CADRE
A Toronto,
« Google City »
à quitte
ou double
Les projets du géant du numérique
pour aménager un quartier futuriste
inquiètent. La métropole canadienne
a jusqu’à la fin octobre pour
poursuivre ou non l’aventure
facilement modulables, des rues
chauffées l’hiver et donnant la
priorité aux piétons ; des bou­
quets d’immeubles écologiques
en bois, un programme souple,
mêlant étroitement commerces,
équipements collectifs, loge­
ments et bureaux.
Côté technologies, des voitures
autonomes évoluent en surface,
des robots évacuent les déchets et
livrent des colis à travers des tun­
nels… Surtout, la ville « physique »
est doublée d’une véritable « cou­
che » numérique : des batteries de
capteurs enregistrent en temps
réel le moindre mouvement dans
le quartier, des systèmes d’intelli­
gence artificielle analysent com­
portements et usages, donnant
corps au rêve – ou au cauchemar –
d’une ville intégralement admi­
nistrée grâce à ses données.
« DONNÉES URBAINES »
« Sidewalk Labs veut capter les
données et commercialiser ses
produits, et pour cela essaie de
vendre un projet de smart city fi­
nalement assez peu innovant, dé­
nonce Thorben Wieditz, porte­pa­
role du collectif citoyen #BlockSi­
dewalk. En réalité, Google rêve
d’une ville gouvernée par le mar­
ché, où la technologie régule
tout. » Une condamnation parta­
gée par Roger McNamee, l’un des
premiers investisseurs de Face­
book et ex­conseiller de Mark
Zuckerberg, qui a pressé au mois
de juin les élus de Toronto d’aban­
donner ce projet, le qualifiant de
« version la plus évoluée à cette
heure du capitalisme de sur­
veillance ».
Les craintes sur la confidentia­
lité et le risque d’un usage mer­
cantile des données ont été ren­
forcées par la démission de plu­
sieurs des figures morales recru­
tées par Sidewalk Labs pour
donner des gages de sa bonne foi.
Et par la définition extensive que
livre la société de ces futures
« données urbaines » collectées :
des « informations recueillies
dans l’environnement physique
d’une ville, y compris dans les
lieux publics, les espaces accessi­
bles au public et même certains
bâtiments privés ».
« Ce n’est pas seulement une
question de respect de la vie privée,
mais aussi de privatisation de l’es­
pace public », alerte Bianca Wylie,
cofondatrice de l’Open Data Insti­
tute de Toronto. Alors que les pla­
tes­formes numériques font pro­
fession de monétiser les données,
cette activiste s’inquiète « du
brouillage concomitant des no­
tions d’espace public et de donnée
personnelle ».
Pour Ken Greenberg, ancien di­
recteur de l’urbanisme et de l’ar­
chitecture de la ville de Toronto,
économie & entreprise | 19
devenu consultant et conseiller
de Sidewalk Labs, ces opposants
se trompent de combat : « Le mo­
dèle économique de Quayside et
de Sidewalk Labs n’est pas celui de
Google. Le projet n’est pas gou­
verné par la technologie – elle sera
en arrière­plan, invisible. Nous
n’employons jamais le terme de
“smart city” : c’est d’abord un pro­
jet urbain. »
C’est bien le projet urbain qui in­
quiète la ville aujourd’hui. Le
24 juin, après presque deux ans de
travail et quelque 50 millions de
dollars canadiens (34 millions
d’euros) investis dans le proces­
sus, Sidewalk Labs a rendu public
un schéma directeur de dévelop­
pement et d’innovation qui a fait
« Ce n’est pas
seulement une
question de
respect de la vie
privée, mais aussi
de privatisation
de l’espace
public »
BIANCA WYLIE
cofondatrice de l’Open Data
Institute de Toronto
aux élus l’effet d’une douche
froide. Car la firme new­yorkaise
pousse l’exercice bien au­delà du
cahier des charges.
Géographiquement d’abord.
Elle propose non seulement des
plans pour les 5 hectares de l’ap­
pel d’offres, mais revendique
aussi une parcelle voisine de
8 hectares où Google pourrait no­
tamment implanter son siège ca­
nadien, et définit un périmètre de
77 hectares où généraliser ses so­
lutions techniques sur les futurs
aménagements de cette friche
portuaire, arguant que c’est à
cette échelle seulement que ses
innovations seront viables.
Sur son rôle ensuite : Sidewalk
Labs ne se cantonne pas à définir
le plan d’urbanisme mais se pro­
jette en aménageur et en promo­
teur de l’opération, ce dont il
n’avait jamais été question, ainsi
qu’en fournisseur d’une partie
des innovations. Pour relier le fu­
tur quartier au centre­ville, la so­
ciété engage la collectivité à créer
une nouvelle ligne de métro léger
et propose, magnanime, de lui
prêter les fonds. Enfin, estimant
qu’on ne peut pas innover dans
les vieux cadres réglementaires,
Sidewalk Labs suggère qu’on le
laisse créer cinq organes de gou­
vernance ad hoc pour gérer les
transports, l’urbanisme, les dé­
chets, etc., en lieu et place des
autorités municipales existantes.
PROFONDES FRACTURES
« Cela reviendrait à créer une zone
économique spéciale, avec une pri­
vatisation de la gouvernance : c’est
un accaparement du pouvoir, dou­
blé d’un accaparement de terres et
d’un accaparement de données »,
fulmine Thorben Wieditz. Sen­
tant le danger, Waterfront To­
ronto a immédiatement pris ses
distances avec ce plan. « Il y a dans
leurs propositions certains aspects
qu’on ne peut pas accepter et beau­
coup de points à clarifier, admet
Kristina Verner, vice­présidente
de l’autorité d’aménagement des
bords du lac. Nous ne sommes pas
en mesure aujourd’hui d’évaluer si
le projet est dans l’intérêt de la col­
lectivité. »
Professeur associé au départe­
ment de géographie et d’aména­
gement de l’université de Toronto
et témoin privilégié de ce crash
test, Matthew Siemiatycki le dit
avec moins de précautions : « Dé­
sormais, cette affaire n’apparaît
plus comme un partenariat public­
privé pour faire émerger des inno­
vations, mais comme le combat
Vue d’artiste
du projet de
Sidewalk Labs
pour le quartier
de Quayside,
à Toronto.
PICTURE PLANE LTD
d’un groupe privé pour extorquer
des avantages à une collectivité
publique. »
Les réponses et les précisions
demandées à Sidewalk Labs déter­
mineront si, le 31 octobre, « Goo­
gle City » est toujours dans la
course. Mais les vifs débats
autour de ce fantasme de cité
idéale ont réveillé les profondes
fractures de la métropole. Qua­
trième ville la plus peuplée
d’Amérique du Nord, deuxième
pôle financier du continent et im­
portant centre d’innovation, To­
ronto est confronté à une grave
crise de croissance, alors que la
population de l’agglomération
devrait bondir de 6 à 7 millions
d’habitants d’ici quinze ans…
Sur fond de lutte de pouvoir en­
tre la municipalité et la province
et de finances publiques assé­
chées, ses infrastructures sont
exsangues, ses routes conges­
tionnées, ses transports publics
aussi coûteux qu’anémiques. Les
sveltes gratte­ciel de verre qui
s’élancent par dizaines autour de
la CN Tower, emblème de la ville,
n’offrent que des appartements
de luxe pour un marché d’inves­
tisseurs fortunés, alors que la
municipalité se débat dans une
pénurie dramatique de loge­
ments abordables qui renvoie les
classes moyennes en lointaine
périphérie…
Dans ce contexte, Quayside
est­il une manière de reprendre la
main, un mirage, une diversion ?
« Google n’a jamais construit
aucun logement, jamais réalisé le
moindre quartier, ils n’ont fourni
aucune démonstration des tech­
nologies qu’ils proposent, et ils
prétendent résoudre tous nos pro­
blèmes ! », selon la conseillère mu­
nicipale Kristyn Wong­Tam, char­
gée du logement, qui doute du
projet. « La ville est ruinée par des
années de politiques ultralibérales
et de coupes budgétaires, du coup
un gros acteur privé arrive et prend
sa place : c’est le dernier clou dans
le cercueil », regrette le porte­pa­
role de #BlockSidewalk.
Une vision que rejette l’urba­
niste Joe Berridge, conseiller de la
société new­yorkaise : « La gou­
vernance de Toronto est très faible,
mais la relation avec Sidewalk
Labs pose des questions intéres­
santes pour toute ville : qui est en
charge de développer les actifs pu­
blics ? Qui doit prendre les risques ?
Quelle relation établir entre sec­
teur public et secteur privé ? » De ce
point de vue aussi, Quayside a va­
leur de test au­delà de Toronto. 
grégoire allix
20 | argent
Comment assurer des œuvres d’art
Nombre d’amateurs ne jugent pas utile de prendre des contrats spécifiques. Un mauvais calcul
F mariée à Las Vegas
aut­il assurer ses œuvres
d’art ? Nombreux sont les
collectionneurs à se poser
cette question, à quelques
jours de la FIAC, qui ouvre ses por­
tes le 17 octobre au Grand Palais.
Les plus frileux redoutent l’intru­
sion du fisc. Sauf que l’obligation
qu’ont eu les assureurs de déclarer
à l’administration fiscale l’iden­
tité de leurs souscripteurs pour
tout contrat d’une valeur supé­
rieure à 15 000 euros a été sup­
primée en 2004.
Les réticences sont aussi d’ordre
financier. Les œuvres d’art étant
généralement moins sujettes au
sinistre que l’habitation, beau­
coup d’amateurs ne jugent pas né­
cessaire de prendre des contrats
spécifiques. Un mauvais calcul à
en croire les assureurs. Les dom­
mages sont certes moins fré­
quents, mais leur impact est im­
portant, induisant parfois une
dépréciation de 90 % de la valeur
d’une œuvre.
En 2004, le collectionneur bri­
tannique Charles Saatchi a ainsi
vu partir en fumée une cen­
taine d’œuvres de sa collection
stockée dans un entrepôt. « La
prime d’assurance peut être vue
comme la sécurisation d’un in­
vestissement financier », avance
Julie Hugues, experte art et
clientèle privée chez Hiscox. En
refusant d’assurer ses œuvres
d’art, on prend le pari qu’il ne leur
arrivera rien pendant des années.
Le jeu en vaut­il la chandelle ? »
Une question que doivent aussi
1 000
C’est la prime annuelle, en euros, que l’on doit acquitter chez
Axa Art pour garantir en tous risques et sans franchise un
volume d’œuvres estimé à 500 000 euros, la prime annuelle
étant ramenée à 500 euros pour un montant de 200 000 euros.
D’une manière générale, il est désormais possible de s’assurer
mieux pour moins cher que par le passé, les taux ayant forte-
ment baissé en dix ans.
GESTION COLLECTIVE
Les fonds de sociétés foncières ne manquent pas d’intérêt
A près une année 2018 dans
le rouge, les sociétés fon­
cières cotées de la zone
euro sont de nouveau en terri­
toire positif depuis le début de
l’année, même si leurs performan­
ces restent en retrait par rapport
à l’évolution des principales pla­
ces boursières en Europe. Toute­
fois, sur les cinq dernières années,
c’est l’immobilier coté qui l’em­
porte, notamment si l’on tient
compte des dividendes réinvestis.
Le rendement est l’un des prin­
cipaux atouts des foncières cotées
qui investissent dans les bu­
reaux, les centres commerciaux…
Ainsi, au cours des vingt dernières
années, l’immobilier coté euro­
péen a rapporté 320 % aux inves­
tisseurs, soit 7,7 % par an, d’après
une récente étude publiée par
l’European Public Real Estate As­
sociation. Et une part non négli­
geable de cette performance pro­
vient des dividendes versés par les
sociétés immobilières grâce aux
loyers payés par leurs locataires.
Selon Bloomberg, le rendement
du secteur en Europe est actuel­
lement proche de 4,5 % pour 2019
et 2020. « Dans un monde où les
rendements des obligations d’Etat
sont négatifs ou très faibles »,
comme le rappelle Lars Flaoyen,
responsable de la recherche im­
mobilière chez Aberdeen Stan­
dard Investments, on comprend
tout l’intérêt de détenir ce type de
valeurs dans un portefeuille bour­
sier. Cerise sur le gâteau, « cet envi­
ronnement de taux bas est tout bé­
néfique pour les sociétés foncières
se poser les entreprises, qui se
contentent parfois de contrats
multirisques basiques.
« De tels contrats peuvent couvrir
des objets de valeur, mais ils dispo­
sent de fortes franchises, de limi­
tes et sous­limites, et très souvent
appliquent une vétusté sur les ob­
jets, ce qui est un non­sens pour
des œuvres d’art », objecte­t­on
chez Allianz, qui s’est lancé en
2017 en France, avec pour cible les
fondations et les sociétés.
Reste les moyens de protection
et préventions demandés en préa­
lable. « Les exigences sont moins
importantes que celles des compa­
gnies généralistes, assure Philippe
Bouchet, expert chez Axa Art. Et
d’ajouter : « En définitive, des pro­
tections mécaniques du type porte
blindée avec serrure à trois points
d’ancrage seront demandées jus­
qu’à 200 000 euros, un système
d’alarme relié à une station cen­
trale de télésurveillance pour un
montant supérieur. Ce qui corres­
pond aujourd’hui aux standards
de protection de nombre d’appar­
tements et de maisons. »
Des produits sur mesure
Pour s’adapter aux différents pro­
fils de collectionneur, les deux
compagnies leaders du marché,
Axa Art et Hiscox, ont imaginé
des produits sur mesure, permet­
tant d’assurer des patrimoines
évalués de quelques milliers à des
dizaines de millions d’euros. Le
contrat « tailorMade » d’Axa offre
ainsi une solution globale, tant
Nom du fonds
Les cinq meilleurs fonds immobiliers
(société de gestion)
DPAM INVEST B Real Estate Eurp Div E Dis
(Degroof Petercam AM)
Allianz Immo C
(Allianz Global Investors)
ASI Eurpan Real Estate I Inc
(Aberdeen Asset Management)
Groupama Europe Actions Immobilier M
(Groupama AM)
AXAWF Fram Eurp Rl Est Secs F Cap EUR
(AXA IM)
en leur permettant de se financer
à moindre coût pour constituer
leur patrimoine », ajoute Damien
Marichal, gérant chez Degroof
Petercam Asset Management.
Des conditions favorables
Autre bonne nouvelle : les condi­
tions locatives sont aujour­
d’hui clairement favorables aux
bailleurs, grâce à une croissance
organique des loyers s’expliquant
par « des tensions sur le marché
immobilier, en raison d’un manque
de biens disponibles, en particulier
sur le segment des bureaux et du
résidentiel, comme à Paris en ce
moment », rappelle Thierry Che­
rel, gérant de fonds immobiliers
chez Allianz Global Investors.
Cependant, tout n’est pas rose
pour autant, à commencer par la
LES DOMMAGES SONT  clarée à partir d’une liste et d’une
MOINS FRÉQUENTS, MAIS  ses soins. Dans le premier cas, il
LEUR IMPACT IMPORTANT  n’a pas à apporter la preuve de la
INDUIT PARFOIS
UNE DÉPRÉCIATION
DE 90 % DE LA VALEUR
D’UNE ŒUVRE
pour le bien immobilier que pour
le contenu, d’un minimum de
300 000 euros. Il couvre la perte,
la disparition inexpliquée et les
dommages accidentels, incluant
également la casse des objets de
nature fragile comme le verre ou
la porcelaine, sans sous­limita­
tion, avec des garanties de base
très larges et des plafonds élevés.
En 2018, Hiscox a lancé le
contrat « Small Fine Art », dont
la souscription est 100 % en ligne.
Les « digital natives » peuvent y
assurer en quelques clics, sans
franchise – avec des taux de
l’ordre de 250 euros pour
25 000 euros d’œuvres d’art – jus­
qu’à 500 000 euros d’objets d’art,
dont des objets en métal pré­
cieux et du vin.
Les nouveaux dispositifs de
dématérialisation de l’expertise,
avec des certificats type block­
chain, révolutionnent depuis
peu l’assurance. Difficile tou­
tefois de se passer d’une exper­
tise de visu par un spécialiste
patenté. « Sauf à avoir concomi­
tamment des éléments attestant
de l’origine, de la provenance
et de l’historique de l’œuvre, il est
bien délicat pour un expert de se
prononcer sur une image numé­
rique, qui plus est lorsqu’elle n’est
pas haute définition, prévient
Philippe Bouchet. La question de
l’expertise reste essentielle, sur­
tout dans le marché actuel, où les
enjeux financiers sont grands. »
Au collectionneur de détermi­
ner s’il souhaite s’assurer en va­
Performances
sur un an sur trois ans
en % en %
+ 7,74 + 7,31
+ 5,97 + 6,93
+ 7,88 + 6,15
+ 3,66 + 4,43
+ 2,87 + 4,10
SOURCE : MORNINGSTAR, OCTOBRE 2019
menace de l’e­commerce qui
pèse sur le secteur, en particulier
sur les foncières spécialisées
dans les centres commerciaux
car « les habitudes de consomma­
tion de la population sont en train
de changer », ajoute M. Cherel.
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard
si « les sociétés spécialisées sur ce
segment immobilier, à l’image
d’Unibail­Rodamco­Westfield et
de Klépierre, ont récemment été
malmenées en Bourse, sous­per­
formant le reste du secteur », rap­
pelle Damien Marichal.
Toutefois, les professionnels ne
croient pas pour autant à la dis­
parition du commerce physi­
que. Certains d’entre eux jugent
même la sanction boursière des
foncières spécialisées sur les cen­
tres commerciaux plutôt sévère.
L’épouse s’était déjà
leur agréée avec l’assureur ou dé­
estimation précise fournie par
valeur en cas de sinistre et le
paiement s’effectue générale­
ment dans les quarante­huit
heures. En valeur déclarée en re­
vanche, le souscripteur doit ap­
porter la preuve de la valeur, et
l’indemnisation peut prendre
jusqu’à deux à trois mois, au gré
des expertises et contre­exper­
tises. Plus généralement, Irène
Barnouin, responsable art et
clientèle privée chez Gras Savoye,
conseille de « revaloriser tous les
trois ans l’estimation de la collec­
tion, car il peut y avoir des ten­
dances haussières ou baissières ».
« Tranquillité d’esprit »
Enfin, que se passe­t­il lorsqu’on
prête à un musée pour une expo­
sition ? « Beaucoup de collection­
neurs s’appuient sur l’assureur des
institutions qui leur demandent
une œuvre ou un objet en prêt, et
reçoivent une attestation d’assu­
rance au moment de l’enlève­
ment », précise Philippe Bouchet,
d’Axa Art, qui assure les exposi­
tions du Greco et de Toulouse­
Lautrec au Grand Palais ainsi que
de Degas au Musée d’Orsay.
Mais les prêteurs sont aussi li­
bres d’imposer leur propre com­
pagnie d’assurance. Chez His­
cox, le prêt est couvert par le
contrat d’assurance, sans décla­
ration préalable, le risque n’étant
pas calculé en soi, mais tarifé de
manière globale, en fonction
de la nature de l’œuvre. « Cela
donne une grande latitude et
une liberté au collectionneur
ainsi qu’une inestimable tran­
quillité d’esprit, précise Julie Hu­
gues. Le collectionneur est ainsi
en mesure de mettre l’œuvre à
disposition du public tout en
améliorant la bibliographie de
son objet, qui participe de fait à
sa valorisation. » 
roxana azimi
CLIGNOTANT
Le « niveau de valorisation de ces
foncières est devenu attractif,
avec des décotes très fortes par
rapport à la valeur de leur actif
net réévalué (ANR), ce qui offre
aux investisseurs une certaine
marge de sécurité », juge Damien
Marichal. Aux cours actuels,
« une valeur comme Unibail­Ro­
damco­Westfield offre aujour­
d’hui un rendement proche de
9 % », précise­t­il.
Néanmoins, les experts recom­
mandent aux investisseurs « de
QUESTION À UN EXPERT
diversifier leur portefeuille, en se
positionnant sur des titres spé­
cialisés dans le résidentiel, les bu­
reaux ou encore la logistique,
même si leur niveau de valori­
sation par rapport à l’ANR est plus
élevé que sur le segment commer­
cial », selon Thierry Cherel.
Pour mettre toutes les chances
de leur côté, les investisseurs
peuvent se tourner vers un
fonds immobilier spécialisé sur
les foncières cotées. Bien évi­
demment, il n’est pas forcé­
ment évident de faire son choix
parmi les nombreux produits
disponibles. Il faut privilégier
ceux disposant d’un solide his­
torique de performance et gérés
par une équipe de gestion qui a
pu montrer sa capacité à générer
du rendement à travers plu­
sieurs cycles de marché.
Enfin, un dernier détail qui a
son importance : généralement,
les fonds de foncières ne sont
pas éligibles au plan d’épargne
en actions (PEA). 
romain thomas
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
SOS CONSO 
CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
L
e 3 avril 2012, Bruno X (les prénoms sont modifiés),
avocat en instance de divorce, assigne son épouse,
Catherine YX, afin de faire annuler leur mariage,
célébré le 21 juin 1995 à Paris. Il assure avoir récem­
ment découvert qu’elle serait « bigame » : quatorze ans
avant de s’unir à lui, elle aurait convolé à Las Vegas (Etats­
Unis), capitale du mariage express, avec Thomas Z, et leur
union n’aurait jamais été dissoute.
Il produit une copie de leur certificat de mariage, dûment
« apostillé » (authentifié) par les autorités américaines. Il
rappelle qu’aux termes du code civil, « on ne peut contrac­
ter un second mariage avant la dissolution du premier ».
L’annulation de leur mariage devant entraîner celle de leur
divorce, il réclame le remboursement des sommes qu’il
a déjà payées dans ce cadre. Catherine YX répond qu’elle­
même et Thomas Z se sont effectivement mariés, à Las Ve­
gas, le 8 avril 1981, mais que c’était sur un coup de tête, pen­
dant un séjour dans l’Ouest américain. Ils auraient sacrifié
au « rite » du mariage en dix minutes, « par simple jeu », et
sans que cela ait aucune conséquence ju­
ridique, puisque, d’une part, cette union
LA LOI FRANÇAISE  n’a pas été précédée, en France, d’une
EXIGE publication des bans, comme l’exige le
code civil, et que, d’autre part, elle n’a
LE CONSENTEMENT pas fait l’objet d’une transcription sur les
registres de l’état civil français.
DES ÉPOUX
Prestation compensatoire
ET L’INTENTION  Catherine YX indique que l’acte de nais­
MATRIMONIALE sance de Martine Z, la fille qu’elle a eue
de Thomas Z, en août 1981, et qui a été re­
connue par celui­ci, ne fait aucune allusion à ce mariage.
Elle affirme que Bruno X était informé de l’événement
avant qu’il ne l’épouse ; elle estime qu’en voulant faire
annuler leur mariage, il entend éviter de lui payer une pres­
tation compensatoire. La cour d’appel de Versailles, qui
examine l’affaire le 22 décembre 2017, estime que, si
les « conditions de forme », imposées par la loi du Nevada,
ont bien été respectées, tel n’est pas le cas des « conditions
de fond », qui relèvent de la loi française et qui exigent
« le consentement » des époux. Elle considère en effet
que Catherine et Thomas « ne se sont prêtés à la cérémo­
nie qu’en vue, manifestement, d’atteindre un résultat étran­
ger à l’union matrimoniale ».
Dans le cas contraire, « ils auraient conféré à l’enfant née
peu après leur voyage le statut d’enfant légitime », en faisant
transcrire l’acte, et ils ne se seraient pas remariés chacun
de leur côté. La cour conclut que, faute d’intention matri­
moniale, « le mariage célébré à Las Vegas n’est pas valable
en France », et déboute M. X. Celui­ci se pourvoit en cassa­
tion, mais il essuie un rejet, le 19 septembre. 
I MMO B ILIE R
L’assurance plus chère que le crédit
Alors que les taux battent des records à la baisse,
le coût de l’assurance emprunteur devient plus cher
que celui du crédit immobilier. Contrairement
au coût du crédit, l’assurance est calculée, dans la
très grande majorité des cas, sur le capital emprunté
au départ. Elle est donc non amortissable.
Par exemple, le courtier Meilleurtaux.com a calculé
que, dans le cas d’un couple qui souscrit un crédit
de 200 000 euros sur vingt ans à 1,25 %
avec une assurance à 0,36 %, le coût du crédit est de
26 114 euros, et celui de l’assurance de 28 800 euros.
Etes-vous concerné par la réforme
des retraites ?
dominique prévert, d’Optimaretraite
Vous ne pouvez pas ignorer que le gouvernement travaille actuelle-
ment à un nouveau système de retraite universel dit « à points ».
Mais, croulant sous les informations souvent confuses et quelquefois
contradictoires, vous ne savez plus à quelle sauce vous allez être
mangé ! Alors éteignez vos télés et vos radios et revenez aux choses
simples et essentielles… car, en réalité, deux seuls cas de figure
se présentent. Soit vous êtes né en 1963 ou après, vous faites
effectivement partie de ceux qui seront concernés par la prochaine
réforme. Soyez alors vigilant et attentif aux nouvelles règles du jeu,
qui vous concerneront forcément ! Soit vous êtes né avant 1963,
vous ne serez alors aucunement concerné par la réforme. Dans
ce cas, les règles du jeu qui prévaudront sont celles d’aujourd’hui.
Ne vous laissez pas détourner des enjeux majeurs d’une stratégie
de fin de carrière et de départ à la retraite que vous devez élaborer
en identifiant notamment : votre âge légal de départ à la retraite,
l’âge de votre taux plein, les possibilités de rachat de trimestres
et l’intérêt de ce rachat, les possibilités de cumul emploi-retraite,
la manière dont vous protégez votre conjoint par la réversion…
Tout cela continue de vous concerner et vous devez rester pilote
de vos propres choix, en fonction de vos propres intérêts. 
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019 | 21

Une tempête de Mais pas de quoi apaiser l’Italie,

sans doute l’équipe la plus re­
montée. Son sélectionneur irlan­
tranche Alan Gilpin. Ce que nous
avons vu au cours des trois pre­
mières semaines nous conforte
« On s’attend à ce
qu’un plan soit
doute plane toujours sur la ren­
contre du Japon contre l’Ecosse,
censée se tenir dimanche 13 octo­

questions s’abat
dais, Conor O’Shea, a regretté
cette manière « horrible » de quit­
ter la compétition. En théorie, les
Italiens avaient encore une très
dans le fait que c’était la bonne dé­ bre à Yokohama, sur le terrain où
cision de venir au Japon. »
mis en place pour aurait dû se dérouler France­An­
Pour World Rugby, cette pre­ que [l’Ecosse] gleterre un jour plus tôt. Le typhon
mière sur le sol asiatique répond étant surtout attendu pour sa­
joue sa place en

sur le Mondial
petite chance de se qualifier pour
les quarts de finale. Il leur aurait
fallu une victoire historique
contre les triples champions du
monde néo­zélandais, déjà quali­
d’abord à une volonté d’expan­
sion, et au souhait de transformer
ce continent en l’un de ses prés
ovales. La discussion pourrait
aussi se prolonger l’année pro­
medi, les organisateurs semblent
quarts de finale conserver un espoir. « Les sites de­
vront être soumis à un contrôle mi­
sur le terrain » nutieux après le passage du ty­
GREGOR TOWNSEND phon, dimanche matin », selon le

de rugby fiés, sans que ceux­ci inscrivent

un point de bonus. « On ne sait ja­
mais ce qui peut se passer sur un
terrain, considère O’Shea, très
chaine en d’autres circonstances,
au regard des catastrophes natu­
relles et de la forte chaleur qui
peuvent frapper l’archipel japo­
sélectionneur écossais

tionneur des All Blacks, « ça nous

Après l’annulation de deux matchs
à cause du typhon Hagibis,
les organisateurs sont critiqués
oita (japon) ­ envoyé spécial
cette « décision difficile », jeudi, à
Quand Alan Gilpin a annoncé
déçu. Ces garçons ont donné leur
vie pour le rugby italien, et leur
Coupe du monde s’est terminée sur
un terrain d’entraînement au lieu
du stade. » Même incompréhen­
sion de la part du capitaine, Ser­
gio Parisse, qui estime « ridicule »
l’absence de toute alternative au
scénario actuel. « Ce n’est pas nou­
veau que des typhons frappent le
Japon », rappelle­t­il.
nais. A l’été 2020, la ville de Tokyo
organisera en effet les Jeux olym­
piques, comme en octobre 1964.
Poursuites judiciaires
Contactée jeudi par Le Monde, la
Fédération internationale de
rugby n’a pas souhaité apporter
de clarification au­delà de sa com­
munication officielle. A l’adresse
des 70 000 spectateurs attendus à
donnera plus de temps pour prépa­
rer notre quart de finale. » Annuler
une date du premier tour attribue
d’office deux points aux équipes
concernées, comme si elles
avaient concédé un score nul
(0­0). De quoi conforter l’Angle­
terre à la première place du
groupe C, et la France à la
deuxième. Deux équipes quali­
fiées dès leur avant­dernier match
communiqué de jeudi.
La question est d’importance. Si
la direction de World Rugby reti­
rait cette échéance du calendrier,
elle entraînerait l’élimination de
l’Ecosse, mais aussi la qualifica­
tion du Japon… et des Irlandais.
Ces derniers affronteront les Sa­
moa samedi à Fukuoka, dans le
sud, une ville à l’écart du cyclone.
Or, en cas de victoire (et en fonc­
tion des bonus), l’Ecosse assure­
rait sa qualification. « La fédéra­
tion écossaise s’attend à ce qu’un
plan soit mis en place pour pou­

H
agibis ». Ce mot, qui
signifie « rapidité »
dans l’un des idiomes
parlés aux Philippi­
nes, est devenu familier ces der­
niers jours à n’importe quel ama­
teur de rugby. Alerte au typhon
Hagibis : l’annonce tournait en
boucle dans les bulletins météo­
rologiques. C’est la dix­neuvième
tempête de la saison au Japon. Po­
tentiellement la plus forte aussi.
Au point de conduire à annuler
deux matchs de la Coupe du
monde prévus samedi 12 octobre,
en clôture du premier tour : Fran­
ce­Angleterre à Yokohama et
Nouvelle­Zélande­Italie à Toyota.
L’annulation s’avère inédite, en
neuf éditions. Et regrettable pour
World Rugby, la fédération inter­
nationale. Son président anglais,
Bill Beaumont, s’attendait à une
« Coupe du monde spectaculaire ».
Mais pas dans ce sens­là.
Tokyo, le directeur du tournoi a
invoqué la sécurité comme
« priorité absolue ». « Il serait ex­
trêmement irresponsable de met­
tre en danger les équipes, les sup­
porteurs, les bénévoles et d’autres
membres du personnel de la com­
pétition durant ce qui est an­
noncé comme un typhon de forte
intensité. » Certes.
« La Coupe
du monde
[de l’Italie]
s’est terminée
sur un terrain
d’entraînement
au lieu du stade »
CONOR O’SHEA
sélectionneur italien
Le règlement interdit le report
d’un match au premier tour.
Mais, un peu plus tôt dans la
compétition, les organisateurs
avaient laissé entendre qu’ils se
réservaient la possibilité d’une
délocalisation en cas de condition
impraticable. « Dans le cadre de
nos nombreuses solutions possi­
bles en cas d’imprévu, si le match
n’avait pu être joué à Fukuoka, un
autre stade aurait été utilisé », ex­
pliquaient­ils au sujet de la ren­
contre France­Etats­Unis, finale­
ment maintenue le 2 octobre. Un
autre typhon menaçait alors,
avant de dévier sa route vers la Co­
rée du Sud, où il a causé la mort
d’au moins six personnes.
Ces aléas climatiques relancent
un débat. Celui de l’organisation
du Mondial au Japon en cette pé­
riode de l’année, connue pour ses
risques de fortes tempêtes. « Nous
n’avons absolument aucun regret,
Yokohama et des 45 000 à Toyota, de poule. Cette configuration voir jouer sa place en quarts de fi­
l’institution a promis le rembour­ place les Bleus sur la route des Gal­ nale sur le terrain, a fait valoir le
sement des billets vendus. Sans lois en quarts de finale, dimanche sélectionneur, Gregor Townsend,
évoquer la question des trans­ 20 octobre, à Oita ; sauf si les Aus­ jeudi, lors d’une conférence de
ports et de l’hébergement. traliens parviennent à prendre la presse convoquée en urgence. Elle
Pour en revenir au terrain, la sup­ tête du groupe D. saura s’adapter à toute solution
pression des deux matchs a évi­ En attendant, un autre rendez­ trouvée. » Dans le Telegraph, les
demment suscité moins de crispa­ vous du premier tour pourrait dirigeants écossais ont laissé en­
tions auprès des équipes déjà qua­ aussi faire l’objet d’une annula­ tendre qu’ils envisageraient des
lifiées. Pour Steve Hansen, le sélec­ tion. Pas n’importe lequel : un poursuites judiciaires contre
World Rugby dans l’éventualité
d’une annulation. Ultime préci­
Le Grand Prix de F1 également affecté sion, cependant : si l’organisation
décidait de reporter la rencontre à
Le passage du typhon Hagibis sur une partie du Japon ne un autre jour, elle irait à l’encon­
perturbe pas seulement la Coupe du monde de rugby. Il touche tre… de son propre règlement.
également le Grand Prix de formule 1, qui doit se dérouler Avec déjà trois succès, le Japon
sur le circuit de Suzuka dimanche 13 octobre. Mobilityland, occupe pour l’instant la tête du
le promoteur de l’épreuve, et la Fédération japonaise groupe A. Sans encore savoir dans
de l’automobile ont décidé, vendredi, que les écuries ne roule- quelles circonstances elle se
ront pas samedi 12 octobre. Les qualifications ont été reportées jouera, le pays hôte attend tou­
à dimanche 10 heures locales (3 heures à Paris) et les essais jours sa première qualification en
libres 3 annulés. Ce report reste conditionné à la météo quarts de finale. Tout comme le
dimanche, de fortes rafales de vent étant encore attendues. prochain bulletin météo. 
La course reste, elle, programmée à 14 h 10 (8 h 10) dimanche. adrien pécout

Au Japon, le XV de France
ne manque pas de capitaines
Porteur officiel du brassard, Guilhem Guirado a été titulaire une fois, HORS-SÉRIE
relayé par Louis Picamoles et Jefferson Poirot. Une option déroutante

UNE VIE, UNE ŒUVRE

kumamoto (japon) ­ envoyé spécial Chez les joueurs, discours una­ Derrière, c’est plus facile pour faire
nime : « Le brassard appartient à passer les messages. »

E t voilà les rideaux violets.

Des protections déployées
pour dissuader les journa­
listes de tout regard sur le terrain.
Mais pas assez pour chasser les
questions en début de semaine, à
Kumamoto, dans le hall du stade
d’entraînement. En particulier
celle, structurelle, du capitanat.
Pas la moindre, dans un sport col­
lectif. Quel joueur pour assumer
la fonction, donner le ton sur le
terrain, relayer la parole des en­
traîneurs ? Lors de ses trois pre­
miers matchs victorieux dans
cette Coupe du monde 2019, le XV
de France a déjà compté trois capi­
taines : le talonneur Guilhem Gui­
rado contre l’Argentine, le troisiè­
me­ligne Louis Picamoles contre
les Etats­Unis et le pilier Jefferson
Poirot contre les Tonga.
Une charnière instable
« Vous avez posé beaucoup de
questions sur ça », constatait déjà
Guirado, juste avant le début du
Mondial. Depuis, le Toulonnais
(et futur Montpelliérain) se tient
à l’écart des conférences de presse
et autres rendez­vous médiati­
ques. La parole officielle est assez
claire. Sur le papier, Guirado
« reste notre leader », le capitaine
attitré du XV de France, selon le
sélectionneur Jacques Brunel, qui
l’affirmait dès le mois d’août.
Sur le terrain, c’est moins lim­
pide. Le choix de reléguer le talon­
neur sur le banc contre les Etats­
Unis et les Tonga peut s’interpré­
ter doublement. Soit pour le faire
souffler lors des deux matchs a
priori les moins difficiles du pre­
mier tour. Soit pour donner le
champ libre au jeune Camille
Chat, apparu plus en jambes.
Guilhem Guirado. » Ce 1er octobre,
Jefferson Poirot s’exprimait ainsi
à la veille du match contre les
Tonga, où c’est lui qui assumait
cette fonction. De même qu’il
l’avait déjà fait contre l’Ecosse et
l’Italie en match de préparation,
en août, en l’absence de Guirado
sur le terrain.
En temps normal, la conférence
de presse du capitaine est un
exercice solitaire. A Kumamoto, le
pilier bordelais a procédé avec
deux joueurs à ses côtés. Manière
aussi de mieux répartir la pres­
sion. « Quand on le voit jouer, on
comprend qu’il sait mener ses
hommes. Il montre la voie, se
donne », dit de lui le deuxième­li­
gne Sébastien Vahaamahina. « Il
est très à l’écoute, poursuit l’ar­
rière Maxime Médard. C’est le ca­
pitaine du futur. » Et déjà du pré­
sent, donc, par intermittence.
Cela se voit à ses réponses, à ses
sourires : Poirot, 26 ans, est à
l’aise. « Par le passé, j’avais telle­
ment peu de vécu commun avec
cette équipe que c’était assez diffi­
cile de me projeter sur la tâche de
capitaine », rappelle­t­il. Avant de
louer les bienfaits de la prépara­
tion avec ses coéquipiers. « Cet été
a changé des choses : il a permis de
créer des liens autres que le rugby.
« Jefferson Poirot
est très
à l’écoute.
C’est le capitaine
du futur »
MAXIME MÉDARD
arrière du XV de France
Ces réflexions autour du capita­
nat remontent au dernier Tournoi
des six nations. En février, au len­
demain du naufrage (44­8) en An­
gleterre, il aurait été question de
ÉDITION
2019
confier le capitanat à Poirot et d’en
déposséder Guirado. Une initia­
tive de Serge Simon, vice­prési­
dent de la Fédération française de
rugby, rapportait L’Equipe. Et de­ Friedrich
Nietzsche
puis le début du Mondial, la nomi­
nation de Fabien Galthié comme
entraîneur adjoint de Jacques Bru­
nel a ajouté de l’incertitude. Le
technicien a travaillé avec Guirado
L’éternel retour
à Toulon en 2017­2018. Pas une
franche réussite. Ni pour le joueur
ni pour l’entraîneur, ce dernier
étant licencié en fin de saison.
« A l’intérieur du groupe, on s’est
posé moins de questions que
vous », assurait Guirado avant le
match contre l’Argentine. « Il y a
des relais pour les entraîneurs :
moi, Jeff [Poirot], des joueurs d’ex­
périence, la charnière. » Une char­
nière, elle aussi, instable : trois
matchs et déjà trois duos titulari­
sés aux postes essentiels de demi Avec Dorian Astor, Clément Rosset, Peter Sloterdijk, Philippe Sollers…
d’ouverture et de demi de mêlée.
Sans Guirado, et sans Poirot, c’est
donc Louis Picamoles qui a pris le
relais contre les Etats­Unis, capi­
taine pour la première fois à 33 ans.
« Louis épaule déjà Guilhem au
Irrécupérable. Nietzsche dérange les philosophes
quotidien : il est le plus capé, celui
qui est là depuis le plus longtemps »,
raconte le centre Gaël Fickou, au
FRIEDRICH universitaires, les théoriciens conservateurs à qui il
oppose un réquisitoire contre le christianisme, les
sujet des deux seuls joueurs du
groupe à disputer leur troisième NIETZSCHE penseurs de gauche à qui il objecte une critique
radicale de l’État en dénonçant l’égalitarisme et la
Mondial avec les Bleus. Prochain
rendez­vous : le quart de finale à
Un hors-série du « Monde » démocratie. À travers ses textes et ceux de ses
120 pages - 8,50 € commentateurs, ce hors-série dépeint un philosophe
Oita, dimanche 20 octobre. Les
Bleus affronteront les Gallois ou, Chez votre marchand de journaux pour qui l’homme doit inverser toutes les valeurs, se
hypothèse faible, les Australiens. et sur lemonde.fr/boutique réinventer. Dire « oui » à la vie.
Avec quel capitaine ? 
a. pt.
22 | horizons 0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019

rutherford (états­unis) ­ envoyé spécial

E
ncore récemment, pour pénétrer
dans le domaine vinicole d’Ingle­
nook, à une heure de voiture au
nord de San Francisco, il suffisait
de dévier de sa route pour se
garer, puis d’aller à la rencontre
de son illustre propriétaire, le cinéaste Francis
Ford Coppola. C’est lui, autant que son fief,
que les touristes brûlaient de voir. « Des mil­
liers de personnes débarquaient ici, déplore­
t­il, une foule incroyable. Je me sentais mal à
l’aise. Cela ne pouvait plus durer. » Les portes
du domaine ont donc fini par se refermer.
Aujourd’hui, le visiteur y pénètre toujours par
la même route, mais celle­ci se transforme en
voie sans issue s’il n’est pas attendu. S’il a ren­
dez­vous, le portail peut s’ouvrir. Commence
alors une interminable allée où l’on trouve au
bout, tout au bout, le maître des lieux,
l’homme du Parrain et d’Apocalypse Now.
Il est là, assis à une table d’extérieur, à l’extré­
mité gauche de son « château », en fait un bâti­
ment de trois étages en pierre de taille, dans le
style d’un hôtel particulier français du
XIXe siècle. Le rez­de­chaussée accueille un res­
taurant. A l’étage est entreposée sa collection
de lanternes magiques, l’ancêtre des appareils Eleanor et Francis Ford Coppola dans le chai du domaine d’Inglenook, à Rutherford (Californie), en avril 2016. JIM WILSON/« THE NEW YORK TIMES »-REDUX-REA
de projection. Francis Ford Coppola, qui s’ap­
prête à recevoir le prix Lumière à Lyon au Festi­

Francis Ford Coppola,

val Lumière (du 12 au 20 octobre), passe une
bonne partie de ses journées assis à cette table,
devant une tasse de café, à contempler son do­
maine. Il revendique le côté parisien du décor :
les platanes ressemblent à ceux du jardin du
Luxembourg ; idem pour les chaises en fer et
les bacs à fleurs, importés de France.

Bien sûr, l’homme a un peu changé – les
cheveux sont plus clairsemés, et il a forte­
ment maigri à la suite d’un régime –, mais sa
barbe demeure fournie, comme pour main­
tenir une continuité physique avec son
visage du début des années 1970, quand le
triomphe fulgurant du Parrain fit de lui une
vedette. C’est une affaire de génération : à
cette époque, les talents du Nouvel Hol­
lywood, Martin Scorsese, Brian De Palma,
George Lucas, Steven Spielberg et Coppola,
donc, portaient tous la barbe.
A 80 ans, le voilà transformé en ascète
(1 500 calories quotidiennes, pas une de
plus), et décidé à profiter de la prospérité de
son domaine. Depuis qu’il a commencé à y
investir, en 1976, il n’a eu de cesse d’acheter
et de réunir ses différentes parcelles, jusqu’à
racheter, en 2011, le nom du domaine, afin
de pouvoir l’inscrire sur l’étiquette de ses
grands crus. Une montée en puissance qui
lui rappelle sa trajectoire au cinéma. « J’ai été
assistant réalisateur, puis scénariste et, enfin,
réalisateur. J’ai appris petit à petit. Le vigno­
ble, c’est la même chose. »
«ÇA ENVOIE DU STEAK »
En 2006, le réalisateur a ajouté à Inglenook un
autre site où il produit du vin, Geyserville
dans le comté californien de Sonoma. En 2018,
il a également investi à Vista Hills, dans l’Ore­
gon. Ses activités se sont aussi diversifiées
dans la production d’huile d’olive, les planta­
tions de cannabis – dont la vente est légale en
Californie depuis 2016 –, et la fabrication de
sauce tomate. « Avec 105 hectares, le domaine
d’Inglenook n’est pas très vaste en superficie,
explique Stéphane Derenoncourt, œnologue
et consultant viticole, entre autres pour Cop­
pola. Deux cuvées grand cru sont produites :
“Inglenook Rubicon”, et “Inglenook Cabernet
Sauvignon”, soit 168 000 bouteilles écoulées
par an. Mais le plus gros du business Coppola se
situe à Sonoma, où il produit un vin meilleur
marché. Là, nous parlons de plusieurs millions
de bouteilles vendues par an. Ça “envoie du
steak”, comme on dit. »
En fait, le total atteint plus de 12 millions de
bouteilles par an, distribuées sous de multi­
ples labels : « Francis Ford Coppola Archi­
mede », « Francis Coppola Diamond Collec­
tion », « Francis Ford Coppola Director’s Cut ».
Ce qui fait dire à l’intéressé : « Je ne suis pas
riche. Je suis immensément riche. » Les vins
Inglenook Rubicon et Inglenook Cabernet
Sauvignon sont vendus entre 60 et 200 euros,
voire plus pour certains crus exceptionnels.
Ceux produits à Sonoma, le plus gros de sa
production, commencent à 10 euros.
Son dernier film, Twixt, remonte à 2012, et
sa carrière cinématographique le préoccupe
à l’évidence beaucoup moins que ses vignes.
« Cela m’a frappé au 80e anniversaire de Fran­
cis, remarque William Friedkin, le réalisateur
de French Connection (1971) et de L’Exorciste
(1973), et intime du cinéaste. Ce sont essentiel­
lement des gens du monde du vin qui étaient
la vie de château
Le réalisateur, qui s’apprête à recevoir le prix Lumière
à Lyon, a le sens des affaires. Le cinéaste est devenu
un empereur américain du vin et s’est diversifié
dans l’huile d’olive, le cannabis et la sauce tomate
présents, très peu du cinéma. Il évolue désor­
mais dans ce monde­là. » Lorsque Coppola
évoque un éventuel nouveau film – Megalo­
polis, en chantier depuis la fin du XXe siècle,
l’histoire d’un architecte tentant de créer une
société utopique à New York –, c’est avant
tout pour souligner l’extrême difficulté à le
financer. Le deuxième acte de sa carrière lui
dessine un autre horizon, un paysage de
vignobles et des priorités de businessman.
« On me demande pourquoi j’ai arrêté de faire
des films, je dirais plutôt que c’est le cinéma
qui m’a laissé tomber. »
Sa découverte d’Inglenook remonte à 1975.
Après le succès du Parrain puis celui du
Parrain II, son compte en banque se trouve
pour la première fois crédité d’une somme
significative. Le réalisateur, alors installé à
San Francisco, cherche une résidence secon­
daire dans la Napa Valley, un endroit où il y
aurait des arbres pour ses enfants, et peut­
être un hectare de vignoble, histoire de pro­
duire un vin artisanal, comme autrefois son
grand­père. « Le domaine était d’une taille
significative, avec un lac, et cette demeure
devant laquelle je me trouve, raconte­t­il. Je me
souviens avoir fait remarquer à mon épouse :
“Les gens très riches vivent ainsi.” »
Inglenook a aussi une histoire singulière.
Sa fondation date de 1879. On la doit à
Gustave Niebaum, un capitaine de mer fin­
nois ayant fait fortune grâce au commerce
de fourrure. Passionné par le vin, marié à une
Californienne, il s’installe dans la Napa
Valley, dont les vignobles donnent des vins
ordinaires, destinés aux immigrants.
Niebaum, lui, vise plus haut, et s’il a choisi
l’enclave d’Inglenook, réputée bien placée,
c’est qu’il espère en tirer des grands crus, sus­
ceptibles de concurrencer les vins français.
Le domaine Niebaum continuera de prospé­
rer après sa mort, en 1908, jusqu’à ce que son
rachat, dans les années 1960, par un fonds
d’investissement, place le vignoble en
jachère, loin de ses rêves de grandeur.
Cette histoire de transmission séduit Cop­
pola, qui rebaptisera par la suite le domaine
« Niebaum­Coppola ». Le respect de l’héritage
est central aux yeux de cet homme toujours
prompt à souligner qu’en cent vingt ans, cinq
générations de Coppola se sont succédé au
cinéma : son grand­père paternel était l’un
des concepteurs du procédé Vitaphone qui
donna naissance au cinéma parlant ; son
grand­père maternel distribuait des films
muets en provenance d’Italie aux immigrés
aux Etats­Unis ; ses enfants, Roman et Sofia, et
sa petite­fille, Gia, sont tous réalisateurs.
En 1975, Coppola formule une première
offre pour Inglenook, jugée trop faible. Dix­
huit mois plus tard, le consortium proprié­
taire du domaine n’ayant pas le droit, en
vertu des lois protégeant les terres agricoles,
QUAND SA FEMME  de mener à bien son projet de promotion
LUI DEMANDE :   immobilière, remet le domaine sur le mar­
ché. Coppola propose un peu plus de 1 mil­
« FRANCIS, TU NE SAIS  lion de dollars et rafle la mise. Quelques
semaines après, en mars 1976, il part avec sa
PAS FAIRE DU VIN,  famille aux Philippines tourner Apocalypse
Now. Quand sa femme lui demande : « Fran­
COMMENT  cis, tu ne sais pas faire du vin, comment comp­
COMPTES­TU T’Y  tes­tu t’y prendre ? », il lui répond : « Je ne
savais pas non plus faire de cinéma, je m’en
PRENDRE ? », IL LUI  suis quand même sorti. » Depuis, il a appliqué
à la vigne les principes hérités du cinéma,
RÉPOND : « JE NE  ceux d’un apprentissage permanent, d’un art
SAVAIS PAS NON PLUS  que l’on perfectionne, sachant illusoire son
absolue maîtrise. « Je vais animer une “master
FAIRE DE CINÉMA,  class” au Festival Lumière à Lyon. Master class
n’est pas le bon terme. Je serai un étudiant
JE M’EN SUIS  s’adressant à d’autres étudiants. »
QUAND MÊME SORTI »
LE FACTEUR CHANCE
Après le succès d’Apocalypse Now, sorti
en 1979, son rêve est de monter son propre
studio, Zoetrope Pictures, à San Francisco.
Une première pour un réalisateur, depuis la
création en 1919 de United Artists par Charlie
Chaplin, Douglas Fairbanks, Mary Pickford,
et D. W. Griffith. Ses intuitions, auxquelles
l’avenir donnera raison, s’appuient sur l’idée
que l’on s’apprête à entrer dans une ère nou­
velle, avec l’irruption de la technologie
numérique. Coup de cœur (1982), une comé­
die musicale, inaugure cette ère du cinéma
« électronique ». Le film est un échec : Cop­
pola doit 25 millions de dollars aux banques,
il a hypothéqué ses biens, vignoble compris.
C’en est fini de son rêve d’entrepreneur de
cinéma. « Je me souviens de moi sur ce terre­
plein où je vous parle, regardant le paysage et
me disant : “C’est si beau, mais je vais tout per­
dre à cause de ce film, et je ne reverrai plus ja­
mais ce domaine.” »
Fort du succès de La Guerre des étoiles, son
ami George Lucas lui propose alors de rache­
ter temporairement sa propriété, pour la lui
restituer dès qu’il aura terminé de rembour­
ser ses dettes. Coppola s’y emploiera tout au
long des années 1980, réalisant pratique­
ment un film par an – Outsiders (1983), Rusty
James (1983), Cotton Club (1984), Peggy Sue
s’est mariée (1986), Jardins de pierre (1987),
Tucker (1988), Le Parrain, 3e partie (1990) –
pour se remettre à flots, jusqu’à ce que le suc­
cès, en 1992, de Dracula lui permette non seu­
lement de redevenir propriétaire d’Ingle­
nook, mais de l’étendre. « Mes erreurs commi­
ses par inexpérience dans le cinéma ont béné­
ficié au commerce du vin. » Le contexte l’aide
un peu : lorsque son vignoble prend son en­
vol, dans les années 1990, plusieurs rapports
scientifiques, repris par la presse, soutien­
nent que le vin s’avère bénéfique pour la
santé, ce qui en fait soudain une boisson à la
mode aux Etats­Unis. « Dans le temps, dans
une conversation ordinaire, il était de bon ton
de demander quel film vous aviez vu récem­
ment. Ce n’est plus le cas désormais. A la place,
on vous demande quel vin vous buvez. »
L’isolement des milliardaires, murés dans
leur résidence, protégés du monde extérieur,
confinés dans leur solitude, bref le fameux
syndrome Howard Hughes, l’a toujours
effrayé. Il veut donc qu’Inglenook soit ouvert
sur le monde et géré en équipe. Dans ses
éphémères studios Zoetrope, il avait pour
habitude de conserver les mêmes collabora­
teurs, sur le modèle d’une troupe de théâtre.
Il a gardé ce principe pour son domaine, où
s’activent parfois une cinquantaine de per­
sonnes. « On parle souvent du 1 % d’individus
détenant 90 % des richesses de la planète. Je
suis certain que ce petit nombre mène une vie
misérable. Les gens heureux évoluent avec les
mêmes amis, ou travaillent avec des collabo­
rateurs fidèles. Mon ami George Lucas fait
partie de ce 1 %, il est heureux certes, mais pas
davantage qu’à l’époque où il était jeune. »
Coppola, c’est toute autre chose : la prospé­
rité de son « business » n’est rien d’autre que
l’indice d’un bonheur personnel, atteint sur
le tard, mais qui ne peut plus lui échapper. 
samuel blumenfeld
 CULTURE
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019 | 23

Peter Handke, 
Prix Nobel
de littérature
Le couronnement de l’Autrichien
pour 2019 a été critiqué à cause de
ses prises de position pro­Serbes

O
lga Tokarczuk et Peter
Handke, Prix Nobel de
littérature. Non pas ex
aequo, mais l’un au ti­
tre de l’année 2018 et l’autre, pour
2019. Cette double attribution est
due au scandale mêlant accusa­
tions de viol, de harcèlement
sexuel, de conflits d’intérêts et de
délit d’initié ayant éclaboussé des
membres de l’Académie suédoise,
et pris de telles proportions que la
Fondation Nobel avait décidé de
ne pas remettre le prix en 2018.
Pour 2019, c’est donc l’Autri­
chien Peter Handke qui, après
l’avoir longtemps frôlé, se voit dé­
cerner ce prix venant récompen­
ser « son œuvre influente qui a ex­
ploré avec ingéniosité linguistique
la périphérie et la spécificité de
l’expérience humaine ». En dépit
de l’indiscutable qualité de son
écriture, ce couronnement a
longtemps été retardé par ses pri­
ses de position pro­Serbes pen­
dant la guerre en ex­Yougoslavie
et sa présence en 2006 aux obsè­
ques de Slobodan Milosevic, l’ex­
président accusé de crimes con­
tre l’humanité et de génocide.
« Ceci est un prix littéraire, pas un
prix politique », a déclaré Anders
Olsson, l’un des académiciens
suédois, ajoutant que « la contro­
verse politique » avait fait partie
terme à ses études de droit. Le li­
vre n’est pourtant pas facile.
Construit autour de la notion de
souvenir, ce premier roman à ca­
ractère autobiographique évoque
la journée d’un adolescent à la
campagne à laquelle vient se gref­
fer un autre fil narratif qui élargit
le temps à une semaine, puis à un
mois, puis aux saisons et enfin au
retour à l’enfance. Handke a parlé
de « cabrioles » pour qualifier ce
procédé qui n’est pas étranger au
Nouveau Roman et à la littérature
expérimentale. Refusant tout réa­
lisme, il reconnaît sa dette envers
Kafka et Beckett, et adhère aux va­
leurs du Wiener Gruppe, labora­
toire de recherche de style et d’ex­
pression nouveaux.
La même année, le jeune
homme d’allure timide crée le
scandale en montant à la tribune
d’une session du Groupe 47, dont
Günter Grass est l’un des ténors.
Fondé en 1947, ce groupe d’écri­
vains s’était donné pour tâche de
réfléchir sur les nouvelles don­
nées de la littérature allemande
« Ceci est un prix
littéraire,
pas un prix
Peter Handke, à Chaville (Hauts­de­Seine), et Olga Tokarczuk, à Bielefeld (Allemagne), le 10 octobre. C. HARTMANN/REUTERS ET S. SCHUERMANN/AFP
pour qu’accède à la parole « une
génération qui se tait » : la jeu­
nesse restée muette devant l’hor­
reur. En quelques minutes, cette
jeunesse prend un coup de vieux.
Handke accuse d’incapacité les
membres de ce groupe presti­
gieux, et d’« impuissance à dé­
crire » toute la littérature contem­
poraine de langue allemande,
n’épargnant pas non plus la criti­
que jugée « tout aussi insignifiante
que cette littérature insignifiante ».
A rebours des modes
Le ton est donné : désormais
Handke n’hésitera ni à se faire
des ennemis ni à écrire à rebours
du temps, des modes. Ce scandale
apparaît comme une répétition
générale de la pièce Outrage au
public jouée six semaines plus
tard dans une mise en scène de
Claus Peymann. Pièce sans intri­
de temps dans le pays où il est né
en 1942, à Griffen en Carinthie. Ce
n’est qu’après de longs périples
autour du monde, qui l’emmè­
nent de Dortmund en Alaska, de
Francfort à New York et à Paris,
qu’il retourne en Autriche
en 1979. Durant cette période de
voyages, il ne cesse de publier, ro­
mans, essais et pièces de théâtre,
parmi lesquels : L’Angoisse du gar­
dien de but au moment du penalty
(1970 ; Gallimard, 1972) ; La Che­
vauchée sur le lac de Constance
(1971) ; La Courte Lettre pour un
« UN DES FILMS LES PLUS BEAUX ET TOUCHANTS DE XAVIER DOLAN »
long adieu (1972 ; Gallimard,
1976) ; Le Malheur indifférent
(1972 ; Gallimard, 1975)… Presque
tous ces livres et ces succès ont été
traduits par l’immense Georges­
Arthur Goldschmidt, qui a permis
à Handke de s’imposer en France.
C’est là qu’il s’installe en 1990, à
Chaville (Hauts­de­Seine), non
loin de Versailles, un endroit qui
va donner naissance à un livre
magnifique, Mon année dans la
baie de Personne (1994 ; Galli­
mard, 1997), traduit cette fois par
Claude Eusèbe­Porcell. Cette baie,
LE MONDE
dont l’adorable gare de Chaville
est l’épicentre, est aussi le point
de départ de son dernier roman,
La Voleuse de fruits, à paraître
bientôt chez Gallimard, où
Handke redonne au mot « épi­
que » ses lettres de noblesse, dans
une prose rythmée par les allures
et les ruptures de son crayon,
mine sismographique de sa créa­
tivité. Cette créativité que le Nobel
vient, enfin, de couronner. 
pierre deshusses
(collaborateur
du « monde des livres »)

des débats, mais qu’elle « ne pou­
vait pas [les] guider ».
Pour Handke, tout a commencé
en 1966 avec la publication des
Frelons (Gallimard, 1983), qui du
jour au lendemain le propulse sur
le devant de la scène et met un
politique », pour gue, sans fil narratif, qui se ra­ SEVILLE INTERNATIONAL, MK2 et DIAPHANA
présentent une production SONS OF MANUAL
conte elle­même, un des grands
Anders Olsson, manifestes de la pensée théâ­
l’un des membres trale, toujours jugée injouable et
toujours jouée.
de l’Académie Handke est aussi un grand voya­
suédoise geur, et il a finalement passé peu

Olga Tokarczuk, écrivaine polonaise

au carrefour des peuples, distinguée
Le Nobel de littérature 2018 lui a été décerné avec une année de retard

P ar un clin d’œil de l’his­

toire, c’est à la romancière
polonaise Olga Tokarczuk
adeptes prônent le mouvement
perpétuel pour éviter la damna­
tion. Elle­même a érigé le noma­
Mariant précision historique,
imaginaire poétique et mystique,
l’œuvre d’Olga Tokarczuk se carac­

qu’échoit le prix Nobel de littéra­
ture 2018, décerné avec une année
de retard, jeudi 10 octobre. Coïnci­
dence malicieuse que ce prix
disme en idéal et en pratique de
vie. Mais, dans la Pologne commu­
niste, le voyage s’effectue dans les
volumes et les encyclopédies que
MATTHIAS
térise par une écriture originale,
procédant par fragments, dont
l’harmonie émane de l’intérieur
du texte plutôt que de l’ajuste­

« fantôme » pour une écrivaine
qui a fait du chirurgien flamand
Philip Verheyen (1648­1710), théo­
ricien du « membre fantôme »
senti malgré son amputation, un
des personnages de ses Pérégrins
(Noir sur Blanc, 2010). Cet ouvrage
lui avait valu dans son pays le prix
Niké, équivalent polonais du Gon­
court et, en 2018, le prestigieux
Man Booker International Prize.
Ce Nobel rend hommage à une
œuvre importante, malgré la jeu­
nesse relative de son auteure.
Olga Tokarczuk est en effet l’écri­
vain polonais le plus traduit hors
de son pays et, en Pologne, ses li­
vres se vendent à des dizaines de
milliers d’exemplaires. La récep­
tion française a été jusqu’ici plus
discrète. Après Robert Laffont, ses
principaux ouvrages sont parus
chez Noir sur Blanc, maison diri­
gée par Vera Michalski qui est éga­
lement son éditrice polonaise.
Olga Tokarczuk est née en 1962 à
Sulechow (Basse­Silésie). Dans Les
Pérégrins, elle évoque une secte
russe du XVIIIe siècle dont les
lui prête son père, bibliothécaire.
De là provient peut­être son goût
pour les ouvrages­monde, dont
certains lui ont coûté des années
de documentation, de lectures et
d’exploration. Ainsi des Livres de
Jakob (Noir sur Blanc, 2018), re­
constitution épique de l’existence
de l’hérétique juif Jakob Frank à
travers la Turquie, la Podolie et l’Al­
lemagne, au siècle des Lumières.
Une écriture originale
Après une enfance dans le cocon
d’une école alternative, elle entre
à l’université de Varsovie, où elle
étudie la psychologie. Elle reste
marquée par l’état d’urgence et la
reprise en main du pays par les
militaires qui a suivi les premiers
succès de Solidarnosc. Elle finit
par obtenir la possibilité de se
rendre à Londres et publie son
premier ouvrage, un recueil de
poésie, en 1989. Olga Tokarczuk
s’installe ensuite à Wroclaw (ex­
Breslau), dans le sud­ouest du
pays, ville à mémoire plurielle
(prussienne, polonaise, juive).
& MAXIME
ment rigoureux dû à un narrateur
extérieur et tout­puissant. Com­
me dans l’échelle de Jacob gravie et
descendue par des anges, ses récits
s’élèvent par échelons, chacun Un film de XAVIER DOLAN
laissant place à un protagoniste
différent. Cela ne l’empêche pas
d’explorer différents genres, dont
le policier écologique, dans Sur les
ossements des morts (Noir sur
Blanc, 2012), où l’on voit les ani­
maux se venger de leurs chas­ avec
seurs. Dotée d’une capacité hors
norme à changer d’univers et de GABRIEL D ALMEIDA FREITAS
personnages, elle met au premier XAVIER DOLAN
plan les femmes, aussi bien dans PIER-LUC FUNK
ses fresques que dans l’intimité SAMUEL GAUTHIER
des trois générations de Polonai­
ANTOINE PILON
ses décrites dans Récits ultimes
(Noir sur Blanc, 2007). ADIB ALKHALIDEY
Elle n’arbore pas de drapeau, ANNE DORVAL
mais des dreadlocks tressées par MICHELINE BERNARD
un coiffeur jamaïcain à Bangkok.
Ne cherche­t­elle pas à redonner
Marilyn castonguay LE 16 OCTOBRE AU CINÉMA
et CATHERINE BRUNET
vie à la diversité refoulée qui com­
pose la nation polonaise ? Son prix
Nobel vient récompenser ce refus
de l’homogène. 
nicolas weill
 0123
24 | culture SAMEDI 12 OCTOBRE 2019

250 000 œuvres

du Louvre bientôt
au sec à Liévin
Le centre de conservation du musée, inauguré
dans le Pas­de­Calais, s’étend sur 18 500 m2
lille ­ correspondance
E n juin 2016, la montée des
eaux de la Seine avait fait
craindre le pire pour les
œuvres du Louvre situées en zone
inondable. Malgré son plan de
protection contre les inondations
(PPCI), en cas de crue centennale,
le musée ne pourra pas mettre à
l’abri toutes ses collections, no­
tamment celles situées dans les
réserves en sous­sol, soit près de
10 000 mètres carrés.
Un peu plus de trois ans après
cette frayeur climatique, voilà les
pépites du musée bientôt au sec.
A Liévin, dans le Pas­de­Calais, à
quelques centaines de mètres du
Louvre­Lens, vient d’être inau­
guré le nouveau centre de conser­
vation du Louvre.
Le bâtiment de plain­pied, semi­
enterré, s’étend sur 18 500 mètres
carrés, dont 9 600 mètres carrés
réservés au stockage des œuvres
et 1 700 mètres carrés à leur étude
et leur traitement. Le cabinet d’ar­
chitecture britannique Rogers
Stirk Harbour a choisi la sobriété
pour cet espace bioclimatique.
« Beau, sobre, élégant, il s’insère
dans la continuité des grands ges­
tes architecturaux que le Musée du
Louvre multiplie depuis trente
ans », estime Jean­Luc­Martinez,
président­directeur du Musée du
Louvre, listant la pyramide de Pey
ou le dôme de Jean Nouvel à Abou
Dhabi.
Ce chantier titanesque a donc
vu naître en un temps record une
cathédrale de béton, baignée de
lumière naturelle et protégée des
aléas climatiques. Les huit espa­
ces de stockage, composés de
rayonnages de rangement de six
mètres de haut, permettent de re­
grouper les œuvres en fonction
de leur format et de la sensibilité
de leurs matériaux. Ici seront
acheminées, dès le 28 octobre,
250 000 œuvres sur les 620 000
du Louvre. Le transfert, éche­
lonné sur quatre ans, commen­
cera par les 150 000 œuvres si­
tuées en zone inondable. Les
252 000 dessins, pastels, estam­
pes et manuscrits du départe­
ment des arts graphiques, fragi­
les, resteront, eux, au cabinet des
dessins du palais du Louvre.
« Impacts négatifs directs »
Selon le directeur, le transfert vers
Liévin de ces collections
(aujourd’hui dispersées dans
63 lieux) va être l’occasion de les
dépoussiérer, photographier et
JEAN-MARC DUMONTET PRÉSENTE
numériser. En plus de l’espace
consacré à la conservation de ce
patrimoine, plusieurs ateliers de
traitement des œuvres ainsi que
des salles d’étude seront mis à la
disposition des chercheurs. « Dans
l’atelier de 320 mètres carrés dédié
aux très grands formats, on
pourra dérouler de grandes toiles
ou tapisseries conservées », expli­
que Brice Mathieu, directeur délé­
gué du centre de conservation.
Mais dans un communiqué,
l’intersyndicale du Musée a dé­
noncé ce projet mis en œuvre
« contre l’avis des personnels du
Louvre ». Le texte souligne les
« impacts négatifs directs », en
particulier sur les coûts de fonc­
tionnement du musée, et la dé­
gradation des conditions de tra­
vail du personnel. « Ce projet met­
tra en danger les interventions et
la recherche menées sur les œuvres
qui seront rendues particulière­
ment difficiles, voire impossibles
selon la nature des collections, en
raison de l’éloignement. » En 2014,
une pétition signée par
42 conservateurs du Louvre (sur
58) avait été envoyée à la ministre
de la culture pour manifester l’op­
position des responsables à cette
délocalisation.
Défi fou
Avec ce nouveau bâtiment, Liévin
et son voisin Lens veulent faire
émerger un pôle d’excellence à
l’échelle européenne. Si le British
Museum construit actuellement
ses futures réserves à Shinfield, à
80 kilomètres de Londres, et que
les Pays­Bas sont en train de se
doter d’un centre à Amersfoort, à
50 kilomètres d’Amsterdam, le
Louvre est le premier musée au
monde à se lancer dans ce défi fou
de transférer plus d’un tiers de ses
collections à 200 kilomètres de
son cœur parisien.
Le centre de conservation du
Louvre aura coûté plus de 60 mil­
lions d’euros, financé par le Lou­
vre (34,5 millions d’euros) grâce à
la licence accordée au Louvre
d’Abou Dhabi, mais aussi par
l’Union européenne (18 millions),
la région (5 millions), le ministère
de la culture (2,5 millions) et la
communauté d’agglomération de
Lens­Liévin (2,66 millions). Mais
le Louvre n’en a pas fini avec les
chantiers : la région des Hauts­de­
France souhaite désormais s’atta­
quer à la rénovation complète de
la galerie du Temps du
Louvre­Lens. 
laurie moniez
Kira Mouratova, cinéaste
de la discordance humaine
Une rétrospective à La Cinémathèque française salue cette réalisatrice
méconnue, persécutée par la censure soviétique
CINÉMA
U
n an après sa dispari­
tion en juin 2018, à
l’âge de 83 ans, les oc­
casions se multiplient
de célébrer le cinéma décapant de
Kira Mouratova, réalisatrice so­
viétique, puis ukrainienne, à la­
quelle La Cinémathèque fran­
çaise consacre une rétrospective
intégrale jusqu’au dimanche
20 octobre, tandis que cinq de ses
films (dont deux inédits) ressor­
tent en salle en version restau­
rée. Convergence heureuse puis­
que Mouratova, sans être totale­
ment ignorée, tarde encore à
occuper la place qui lui revient
dans l’histoire : celle d’une gran­
de cinéaste, parvenue à forger un
regard à la fois autarcique et uni­
que sur son époque (la seconde
moitié du XXe siècle par­delà la
perestroïka et la chute de l’Union
soviétique), et dont l’œuvre sem­
ble vouée à nous apparaître tou­
jours nouvelle.
A contretemps, le cinéma de
Mouratova l’est à plus d’un titre,
lui qui fut inlassablement per­
sécuté par la censure soviétique
pour s’être construit à rebours de
la bienséance doctrinale de son
temps. Née en 1934 en Bessarabie
roumaine (l’actuelle Moldavie),
Mouratova se forme au VGIK, la
prestigieuse école de cinéma de
Moscou, et tourne ses deux
premiers films aux côtés de son
mari d’alors, Alexandre Mou­
ratov. Elle n’entame une véritable
carrière personnelle qu’à partir
de Brèves rencontres, en 1967. Af­
filiée aux Studios d’Odessa, en
Ukraine, elle appartient à cette
génération – celle des Tarkovski,
Guerman, Iosseliani et Kont­
chalovski – qui eut affaire au lent
et très relatif desserrement de la
tutelle cinématographique avant
la perestroïka.
Psychés féminines « Citoyens de deuxième classe » (2000), de Kira Mouratova. COLLECTION PARTICULIÈRE
Des seize longs­métrages que
compte sa filmographie, seuls
cinq seront finalisés durant les par la voir jouer dans Brèves moderne et stylisée, où règnent
vingt premières années de sa car­ rencontres, coup de maître dont
Son style l’incommunicabilité et les
rière (de 1967 à 1987), au prix d’in­ elle eut le culot d’interrompre le déconstructiviste subjectivités en vase clos. Le
vraisemblables entraves bureau­ tournage pour remplacer elle­ Syndrome asthénique (1989)
cratiques, qui iront de l’interdic­ même une comédienne au pied
passe la société montre ainsi la débâcle du
tion pure et simple (Les Longs levé. Les cheveux courts et le re­ au prisme système soviétique à travers
Adieux, 1971) à son renvoi specta­ gard perçant, elle interprète une l’incohérence galopante des
culaire (mais momentané) des citadine moderne, intelligente,
de ses plus comportements, l’absurdité gé­
studios en 1983. fonçant dans le plan avec une as­ profondes nérale d’un corps social gagné
Pour saisir quelque chose du surance lézardée de mélancolie. par des accès subits de violence
caractère bien trempé de Valentina, responsable munici­
contradictions ou de sommeil.
Mouratova, il faut commencer pale des eaux et canalisations, re­ Bien loin des mythes collecti­
cueille chez elle une jeune ména­ vistes, Kira Mouratova n’a jamais
gère venue de la campagne (Nina d’après Somerset Maugham, filmé de masses unanimes, mais
Rouslanova). Les deux femmes se révèlent, sous les oripeaux du des individus isolés dans leur
languissent du même amant, un drame bourgeois (deuil ou adul­ propre soliloque, butant aveuglé­
géomètre vagabond (le célèbre tère), l’existence de criantes iné­ ment les uns contre les autres, li­
chansonnier Vladimir Vyssotski), galités sociales : misérables dé­ vrant une vision désenchantée,
présent seulement dans leurs couverts dans les décombres atomisée, de la condition

RICHARD BERRY souvenirs. Dès ce premier film, le

cinéma de Mouratova est déjà
d’une église abandonnée ou
frange indigène déconsidérée. A
humaine – raison sans doute de
sa radicale insolubilité dans

PLAIDOIRIES
celui d’une incroyable efflores­
cence narrative et formelle, en­
chevêtrant passé, présent et fan­
tasme en une saisissante aus­
cultation des psychés féminines.
JE VOUS DEMANDE L’IMPOSSIBLE Films « en chantier »
L’art mouratovien est ainsi fait de
discontinuité : il décompose les fi­
gures et leur environnement pour
mieux comprendre quelles lignes
de fractures les traversent. Son re­
gard n’est pas mimétique, mais
Le Parisien « analytique », comme on le disait
du premier cubisme. Les Longs
L’OBS Adieux, qui retrace une journée
entre une mère possessive et un
fils qui rêve de s’en détacher, se
présente comme un magnifique
patchwork de présences et de
regards, ressaisissant dans un
même geste les tensions contra­
DERNIÈRES dictoires dont est tissé le lien filial.
Parmi les pierres grises (1983),
REPRÉSENTATIONS d’après Vladimir Korolenko, et
Changement de destinée (1987),
chaque fois, le style déconstructi­
viste de Mouratova passe la
société au prisme de ses plus
profondes contradictions.
A l’image du sublime triangle
amoureux d’En découvrant le
vaste monde (1979), s’établissant
dans un quartier en travaux, les
films de Mouratova semblent
eux­mêmes « en chantier » : ses
récits s’arrachent au chaos, ses
éléments entrent en conflit, à
commencer par l’image et le son.
Jouant sur l’asynchronisme, la
cinéaste orchestre d’ahurissants
dialogues de sourds, où les voix
se chevauchent et les échanges
tournent en rond, la musique
prenant parfois le relais d’un
langage tout bonnement inopé­
rant, voire psychotique.
Refusant toute forme de natu­
ralisme, Mouratova a fini par
conduire ses acteurs – amateurs
et professionnels confondus –
sur la voie d’une théâtralité
l’appareil idéologique de l’Etat
soviétique. Ses films se tenaient
résolument du côté des indivi­
dus qui déraillent : fous, origi­
naux, artistes ou vagabonds. Et
l’on comprend finalement au
contact de ceux­ci, parfois si
perchés, l’importance vitale qu’a
pu recouvrir sa peinture si obsti­
née de la discordance humaine,
dans un monde dont l’imagi­
naire bureaucratique en niait
radicalement jusqu’à la seule
possibilité. 
mathieu macheret
Rétrospective Kira Mouratova
à La Cinémathèque française
(Paris 12e), jusqu’au 20 octobre.
Cinq films de Kira Mouratova
au cinéma Reflet Médicis
(Paris 5e) : Brèves rencontres
(1967), Les Longs Adieux (1971),
Parmi les pierres grises (1983),
Changement de destinée (1987),
Le Syndrome asthénique (1989)
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
Les lutteurs mexicains, soupapes du quotidien
« Luchadores » dresse le portrait de ces comédiens masqués du ring, héros adulés
CANAL+ SPORT
SAMEDI 12 - 20 H 00
DOCUMENTAIRE
I
magine­t­on trouver dans
une ville française une
grande statue en hommage
au Bourreau de Béthune
(Jacques Ducrez) ou à l’Ange blanc
(Francisco Pino Farina), catcheurs
mythiques des années 1950­
1960 ? Sans doute pas. En revan­
che, sur une place de Mexico, on
peut tomber nez à nez (ou plutôt
face à masque) avec la statue d’El
Santo (Rodolfo Guzman Huerta),
figure légendaire de la lucha libre
mexicaine, décédé en 1984 et tou­
jours vénéré par des millions
d’amateurs. Car au Mexique, la
lucha libre est bien plus qu’un
spectacle sportif scénarisé. Dans
certaines salles, ils sont parfois
des milliers à hurler leur amour
ou leur colère à l’égard de lutteurs
masqués, des nains aux géants,
véritables dieux vivants.
Les bons d’un côté, les méchants
de l’autre : sur un ring de catch, les
rôles sont bien établis. Mais les in­
sultes, les masques colorés, les per­
sonnages sortis tout droit d’une
BD, les interactions entre lutteurs
faussement agressifs et public
vraiment enthousiaste, on ne les
trouve qu’au Mexique. Au fin fond
d’une salle de village comme dans
la majestueuse Arena Mexico,
avec ses 20 000 places. La lucha
Autour d’un astre triste, une rutilante constellation d’acteurs
La cinéaste Claire Denis et la romancière Christine Angot s’inspirent de leurs déceptions sentimentales
OCS MAX
SAMEDI 12 - 20 H 40
FILM
A la source de ce film, l’as­
sociation de la cinéaste
Claire Denis et de la ro­
mancière Christine Angot dans
l’écriture d’un film qui s’inspire,
assez drôlement, de leurs expé­
riences malheureuses dans le do­
maine amoureux. Ainsi est né Un
beau soleil intérieur, qui a ramené
Claire Denis sous les sunlights,
quatre ans après Les Salauds, film
amer et mal reçu. Le résultat de
GRILLE N° 19 - 239
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V de l’héritage. IX. Négation. Cogne en
VI
VII
VIII
IX
X suivre les surréalistes. 5. Traquenard
SOLUTION DE LA GRILLE N° 19 - 238
HORIZONTALEMENT I. Interminable. II. Neuraux. Irun. III. TB. Rye. Unité.
IV. Rudesses. Mer. V. Iléus. Tape. VI. Givrée. Niera. VII. Ases. Rate. Et.
VIII. Net. Pile. Ici. IX. Trivial. Alto. X. Satisfaction.
VERTICALEMENT 1. Intrigants. 2. Nébulisera. 3. Tu. Dévêtit. 4. Erreurs. Vi.
5. Raysse. Pis. 6. Mues. Eriaf (faire). 7. Ix. Es. Alla. 8. Usante. 9. Ain. Pie.
At. 10. Brimée. Ili. 11. Lute. Recto. 12. Enervation.
Image extraite du documentaire « Luchadores ». CANAL+ SPORT
libre, c’est la réunion baroque et
festive d’un peuple autour d’un
ring : jeunes et vieux, femmes,
hommes et enfants, tour à tour dé­
chaînés, fascinés, hilares.
Un Français dans l’arène
Ce documentaire aussi court
(vingt­huit minutes) qu’émou­
vant suit quelques héros
masqués. Ils y parlent de leur dou­
cette genèse à la fois sinueuse et
impromptue est une passion­
nante et, rapportée au cinéma de
Claire Denis, surprenante expé­
rience cinématographique.
L’opération prend la forme d’une
rutilante constellation d’acteurs,
tous excellents, tous tournant, à ti­
tres variés et en durées inégales,
autour d’un astre triste qu’in­
carne, de manière bien sentie, avec
un quelque chose de sensuelle­
ment relâché, Juliette Binoche.
Quinquagénaire un peu pau­
mée, très à fleur de peau, divorcée
avec enfant, à la recherche de
7 8 9 10 11 12
ble identité (ne jamais sortir sans
masque), de leurs peurs et de leur
grande passion. « La lucha libre,
c’est notre culture, notre identité »,
résume Alberto, promoteur de
combats. « Les lutteurs ont été les
premiers super­héros du Mexique.
Quand Superman ou Batman
n’existaient pas, nous avions El
Santo, Blue Demon ou Mil Masca­
ras ! » Les mises en scène specta­
l’amour véritable, Isabelle, artiste
peintre, navigue à vue dans une
sociologie et une topographie pa­
risiennes qui semblent vouées à
ne fabriquer que du même. Aussi
bien passe­t­elle d’un amant à
l’autre comme un bateau glisse,
au risque de se briser, entre un
chapelet d’écueils.
Une scène radieuse
Xavier Beauvois y pose, avec une
gourmande nonchalance, en ban­
quier marié et goujat offreur de
fleurs. Philippe Katerine est le voi­
sin sympa et déprimé qui ma­
HORIZONTALEMENT
I. Bien moins dangereux au labora-
toire que dans notre entourage.
I. Haïras au plus haut niveau. III. Se
remplit pendant le gueuleton. Note.
Gardas pour toi. IV. Préposition.
Ses moments finissent par causer
des problèmes. V. Parents et amis.
Engagea dans l’espoir de voir durer.
VI. Bien innocents. Graisse de
sanglier. Pour les proches. VII. Tête
couronnée défaite. Traitas durement.
VIII. Atteignent la perfection. Chargé
force. Permet de garder l’anonymat.
X. Cessèrent toutes activités.
VERTICALEMENT
1. Risque de ne plus tenir debout.
2. En mettre un grand coup. 3. Propre
pour chacun. Fait des choix. 4. Protec-
tions rapprochées. Dada avant de
ou chausse-trappe. Lettres de Valéry.
6. Ouverture de compte. Installes sur
de bonnes bases. 7. Possessif. Capi-
taine au régiment d’Auvergne.
8. Chaste et cruelle enfant de Zeus et
de Léto. Personnel. 9. Possessif.
Homme de spectacles et d’organisa-
tion. 10. Soutenir au palais. Point.
11. Assure un bon rapprochement.
Refus catégorique. 12. Rétablissent
un bon fonctionnement.
culaires et la créativité des lut­
teurs sont au rendez­vous.
Interrogés dans la Sala de Armas
de Mexico, des spectateurs aux pro­
fils très divers se lâchent pendant
que, sur le ring, un vilain semble
dézinguer un gentil musculeux :
« Je me soulage de tous mes problè­
mes en insultant leur mère ! », avoue
face caméra une femme d’un cer­
tain âge. « Autour du ring, tu peux te
raude en bob et cabas à la pois­
sonnerie Secrétan, tentant à cha­
que fois le plan « invitation au pied
levé » sans y croire une seconde,
ce en quoi sa lucidité l’honore.
Mais encore Laurent Grévill,
dans le rôle de l’ex qui tente de se
remettre dans la course à marche
et geste forcés, Nicolas Duvau­
chelle dans celui de l’acteur inca­
pable de s’arrêter de mettre à
l’épreuve son pouvoir de séduc­
tion, et bien d’autres encore. Tous
ne peuvent être cités, il y en a trop.
Pour contredire enfin les esprits
chagrins qui s’en réjouiraient,
SUDOKU
N°19 239
9 7
5 6
2 4 9 Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
3 8 1 grille avec des chiffres
3 7 5 Chaque chiffre ne doit
5 2 1 6 3 seule fois par ligne,
4 1 9 par colonne et par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Chaque jeudi,
l’essentiel
de la presse
étrangère
CHEZ VOTRE MARCHAND
DE JOURNAUX
télévision | 25
laisser aller. A tout moment, tu peux
crier, soutenir le gentil ou le mé­
chant selon ton humeur », lance un
jeune homme.
La lucha libre, exutoire pour le
public mais aussi moyen de bien
gagner sa vie. Comme pour cet
athlète d’une quinzaine d’années
surnommé « Aguila de oro »
(« l’aigle d’or »). « A l’âge de 6 ans,
j’ai commencé à m’entraîner avec
mon grand­père qui était lucha­
dor », souligne­t­il. Sa mère, Mari­
bel, ne cache pas ses inquiétudes :
« Lorsque je le vois sauter hors du
ring, je ferme les yeux ! Il a dit une
fois de ne pas nous inquiéter s’il
mourait en combattant, parce
qu’il partirait sûrement avec le
sourire. C’est difficile à entendre
pour une mère. »
Au milieu de ces lutteurs, un ath­
lète au crâne rasé combat à visage
découvert. Et n’hésite pas à insul­
ter adversaires et public, comme
le veut la tradition. Il s’appelle
Heddi Karaoui, est français, formé
à la lutte gréco­romaine, installé
depuis une dizaine d’années au
Mexique où sa capacité à se faire
(faussement) détester lui apporte
plaisir, popularité et gains appré­
ciables. Un personnage digne des
plus grands héros locaux. 
alain constant
Luchadores, de Rémi Vorano
(Fr., 2019, 28 min). Rediffusion
dimanche 13 à 12 h 20.
cette épopée du désenchante­
ment mène droit à une scène d’es­
sence surréelle et radieuse, au
cours de laquelle Isabelle con­
sulte, en la personne délicate de
Gérard Depardieu, un voyant.
Scène d’anthologie, assurément,
du cinéma français, petite mer­
veille atmosphérique façon
« beau soleil intérieur ». 
jacques mandelbaum
Un beau soleil intérieur, film
français de Claire Denis, avec
Juliette Binoche, Gérard Depardieu,
Philippe Katerine (1 h 34).
7 1
5 6
2 8
9 9 4 1
8 2
5 1 6 3
1 5
4 9
3 7
Très difficile
Complétez toute la
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
8 carré
de neuf cases.
SOCIÉTÉ NOS ENNEMIS
LES RATS
CONTROVERSE — JOKER, UN FILM DANGEREUX ?
TUNISIE — LE CASSE-TÊTE DE LA PRÉSIDENTIELLE
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
SAME DI   12   OCTO BR E
TF1
21.05 Danse avec les stars
Divertissement présenté
par Camille Combal et Karine Ferri.
23.05 Danse avec les stars,
la suite
Divertissement présenté
par Camille Combal et Karine Ferri.
France 2
21.05 La Course des champions
Divertissement présenté
par Laury Thilleman, Teddy Riner,
Sandy Heribert et Olivier Minne.
23.10 On n’est pas couché
Divertissement présenté
par Laurent Ruquier.
France 3
21.05 Les Murs du souvenir
Téléfilm de Sylvie Ayme.
Avec Gaëlle Bona, David Kammenos,
Mhamed Arezki (Fr., 2018, 90 min).
22.35 Les Brumes du souvenir
Téléfilm de Sylvie Ayme.
Avec Gaëlle Bona, David Kammenos,
Mhamed Arezki (Fr., 2016, 105 min).
Canal+
21.00 L’Intervention
Film de Fred Grivois.
Avec Alban Lenoir, Olga Kurylenko,
Sébastien Lalanne
(Fr., 2019, 100 min).
22.40 Le Secret des Kennedy
Film de John Curran.
Avec Kate Mara, Jason Clarke,
Bruce Dern (EU, 2017, 105 min).
France 5
20.50 Echappées belles
Italie : escale dans les Pouilles
Magazine présenté par Tiga.
22.25 Le Mystère Huppert
Documentaire de Sandrine Veysset
(Fr., 2019, 50 min).
Arte
20.50 Ultima Patagonia
Documentaire de Gilles Santantonio
(Fr., 2019, 95 min).
22.25 Le Retour des
envahisseurs invisibles
Documentaire de Thierry Berrod
(Fr., 2018, 60 min).
M6
21.05 Instinct
Série. Avec Alan Cumming, Bojana
Novakovic, Daniel Ings (EU, 2018).
23.30 Elementary
Série. Avec Jonny Lee Miller, Lucy Liu,
Aidan Quinn (EU, 2018).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à
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Suisse 6,70 CHF TOM 850 XPF
Liban 9 000 LBP Maroc 41 DH
Andorre 5 € Autriche 5,40 €
No 1510 du 10 au 16 octobre 2019
Canada 7,75 $CAN DOM 5€
Espagne 5,20€ G-B 4,60£
Afrique CFA 3 400 FCFA
Laurence Bonicalzi Bridier
courrierinternational.com
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Tunisie 7,20 DT
France : 4,50 €
80, bd Auguste-Blanqui,
75707 PARIS CEDEX 13
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
TRUMP
EST-IL
FICHU ?
L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Toulouse (Occitane Imprimerie)
La procédure de
destitution peut-elle
Montpellier (« Midi Libre »)
aboutir ? La presse
américaine est divisée
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
26 | styles
l’acadie,
un petit coin
de paradis
Destination n° 1 du « Monde »
en 2019, la province canadienne
du Nouveau­Brunswick regorge
de sites naturels à couper le souffle.
On y découvre aussi l’héritage
du peuple acadien, lointain
descendant des colons français
VOYAGE
dieppe (nouveau­brunswick,
canada)
E
n ce 15 août, jour de fête
nationale de l’Acadie, la
petite ville de Dieppe, au
Nouveau­Brunswick, est
entièrement pavoisée de bleu­
blanc­rouge étoilé de jaune, les
couleurs du drapeau acadien. Sur
la scène dressée place 1604, pen­
dant que la jeune chanteuse Caro­
line Savoie enchaîne ses chansons
douces, la cérémonie protocolaire
se prépare. Quand Justin Trudeau,
le premier ministre du Canada, et
les autres officiels commencent à
prendre la parole, on s’étonne :
tous passent méthodiquement du
français à l’anglais, parfois pour ré­
péter une phrase, parfois simple­
ment en poursuivant le fil de leur
pensée, mais toujours dans le
souci de cet équilibre qui donne
son identité au Nouveau­
Brunswick, le bilinguisme.
Dans les faits, ici, le public est très
majoritairement francophone. A
17 h 55 précises, le grand Tinta­
marre s’élance. Cette marche toni­
truante où chacun fait du bruit
avec ce qu’il a est de tradition ré­
cente. Le premier eut lieu en 1955,
pour marquer le 200e anniversaire
de la déportation des Acadiens par
les Britanniques lors du Grand Dé­
rangement, l’exode forcé des habi­
tants des anciennes colonies fran­
çaises d’Amérique du Nord à partir
du milieu du XVIIIe siècle. On
pense qu’un tiers seulement des
18 000 Acadiens de l’époque par­
vinrent à rester, beaucoup d’entre
eux en se cachant dans les forêts.
D’autres sont revenus à partir de
1764 et c’est cette mémoire dou­
loureuse qui se traduit désormais
par ce vacarme annuel dont le sens
est simple : on est là !
Le Congrès mondial acadien a
lieu tous les cinq ans, et ce festival
est l’occasion de donner une am­
pleur particulière aux réunions de
famille. Des Acadiens du monde
entier convergent au Nouveau­
Brunswick pour participer à la réu­
nion des Broussard, des Landry,
des Cormier ou d’une des dizaines
de familles qui font le Tintamarre
en brandissant des banderoles à
leur nom. Dans la foule colorée, on
rencontre un Français, Baptiste
Matel, qui est secrétaire de l’asso­
ciation Belle­Ile Acadie, à Belle­Ile­
en­Mer. Son t­shirt « L’Acadie, là où
mon histoire commence » fait fu­
reur, et plusieurs personnes lui de­
mandent où le trouver. « Je suis un
Français descendant des Acadiens
déportés en 1755, nous explique­
t­il. Nos ancêtres ont d’abord été
présentés sur les côtes de Virginie,
qui les a refusés, puis emprisonnés
en Angleterre. Libérés en 1763, ces
Acadiens ont été ramenés à Mor­
laix et Saint­Malo. Au même mo­
ment, Belle­Ile, que les Anglais oc­
cupaient depuis deux ans, a été res­
tituée à la France. Comme il fallait
repeupler le territoire, ces familles
acadiennes sont venues s’installer
à Belle­Ile, dont la mienne. »
Très familiale, la fête est aussi
très musicale en Acadie. Zachary
Richard, Les Hay Babies, Lisa Le­
Blanc, Edith Butler ou encore le
groupe 1755 : la chanson aca­
dienne a ses vedettes et elles sont
toutes sur scène ce soir, au Musi­
quArt. Le jeune humoriste Jass­
Sainte Bourque, hilarant ambas­
sadeur du chiac, fait office de mas­
ter of ceremony. Avec le français
comme langue matricielle, les
Acadiens du Nouveau­Brunswick
ont fabriqué le chiac, un franglais
vertigineux, à la fois déroutant et
poétique, inventif pour les uns
mais préoccupant pour certains
parents qui entendent leurs en­
fants parler ce sabir.
Moncton n’est pas la capitale du
Nouveau­Brunswick, mais avec
plus de 70 000 habitants, c’est à la
fois la ville la plus peuplée et la
plus centrale de la province. A ma­
jorité anglophone et longtemps
assez puritaine, elle s’est « acadie­
nisée » ces dernières années sous
l’effet de nouveaux arrivants fran­
cophones et au contact de sa voi­
sine à majorité francophone,
Dieppe, devenue « la plus grande
ville acadienne du monde ». Au
musée acadien, à l’université de
Moncton, le t­shirt « Chirac chez
les Chiacs » avait sa vitrine bien
avant la disparition de l’ancien
président de la République. Il rap­
pelle la visite de Jacques Chirac à
Moncton en 1999, à l’occasion du
Sommet de la francophonie. Ce
petit musée est une excellente in­
troduction à l’histoire des Aca­
diens. Il aborde aussi, en partie,
les relations des Acadiens avec les
premières nations, dont les repré­
sentants n’expriment pas à
l’égard des francophones les mê­
mes ressentiments que vis­à­vis
des anglophones.
Un pow-wow annuel
Les Améridiens du Nouveau­
Brunswick sont principalement
les Micmac. Pour les rencontrer,
direction Miramichi, à 200 kilo­
mètres au nord de Moncton, et
plus exactement à Burnt Church,
sur la côte. Le pow­wow annuel
rassemble les meilleurs danseu­
ses et danseurs traditionnels. Per­
les, plumes, os, peaux, cornes et
dents d’animaux, les bijoux et les
habits traditionnels sont riche­
ment décorés. A une heure de
route, le parc historique de Mete­
penagiag est construit en pleine
forêt, sur les lieux du plus ancien
village habité de façon continue
au Nouveau­Brunswick, le long de
la rivière Miramichi, où se trouve
aussi un site archéologique de la
période dite « précontact ». Ce cen­
tre culturel qui rassemble objets
du quotidien, maquettes et pho­
tos, a pour vocation « d’inciter les
jeunes à apprendre la langue mic­
mac pour qu’ils puissent participer
à la préservation de l’identité mic­
mac ». Cette identité par la langue
est l’un des points communs avec
les Acadiens.
Troisième pointe du triangle
commencé à Moncton et pour­
suivi à Miramichi, Fredericton, la
capitale provinciale, est située
sur les rives du fleuve Saint­Jean.
On trouve dans cette petite cité
Au Congrès mondial acadien, à Moncton, en août. JEREMY SUYKER/ITEM
anglophone un drôle de lieu, la
Galerie Beaverbrook, musée
d’art provincial du Nouveau­
Brunswick. La collection perma­
nente mélange un ensemble dé­
routant de tableaux de Salvador
Dali, une épatante Lady Macbeth
marchant dans son sommeil,
d’Eugène Delacroix, et des espa­
ces consacrés aux jeunes artistes
locaux. Un merveilleux tableau
du milieu du XIXe siècle, Campe­
ment indien de la côte ouest, signé
Paul Kane, témoigne de l’habitat
traditionnel des Micmac, qui vi­
vaient non pas dans des tipis
mais dans des wigwams couverts
d’écorce de bouleau.
À SAINT­ANDREWS,  riche. A Saint­Andrews, un village
À LA FRONTIÈRE DES  Etats­Unis, on peut sortir en mer
ÉTATS­UNIS, ON PEUT  bicéphales noirs ou les dauphins à
SORTIR EN MER POUR  nez blanc. On ne voit pas grand­
OBSERVER LES BALEINES,  mais on flotte dans un coton épais,
LES GLOBICÉPHALES  qui orientent la course du bateau.
NOIRS OU LES DAUPHINS  En longeant la baie vers le nord, on
À NEZ BLANC
Francophones, anglophones,
premières nations, tous les habi­
tants du Nouveau­Brunswick ont
en partage des sites naturels à cou­
per le souffle. La baie de Fundy et le
parc de Kouchibouguac sont les
deux perles de cette nature sau­
vage présente dès qu’on sort des
(petites) villes. On découvre le parc
national de Kouchibouguac en fat
bike. Ces gros vélos aux roues
surdimensionnées permettent de
passer partout si on veut faire un
tour dans la forêt ou rouler confor­
tablement sur le chemin côtier, le
long des lagunes. Les tourbières et
les marais salés typiques du parc
accueillent une faune riche, entre
sternes et pluviers siffleurs.
La baie de Fundy est encore plus
proche du Maine, à la frontière des
pour observer les baleines, les glo­
chose si le brouillard s’en mêle,
bercé par les chants des baleines
s’arrête au cap Enragé – rendu célè­
bre par le tube homonyme de Za­
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
Dans la baie
de Fundy
et ses fameux
« pots de fleurs ».
JEREMY SUYKER/ITEM
QUÉBEC
CANADA
NOUVEAU-
BRUNSWICK
Fredericton
Moncton
NOUVELLE-
ÉTATS-UNIS ÉCOSSE
Océan atlantique
200 km
C A R N E T
D E   R O U T E
Notre journaliste a voyagé
avec l’aide de Tourisme
Nouveau­Brunswick et
de Destination Canada.
Y ALLER
La belle saison est courte,
de mi­juin à septembre. Le
15 août est le meilleur mo­
ment pour fêter l’Acadie
avec les Acadiens. Vol Paris­
Montréal sur Air France, al­
ler­retour à partir de 345 €.
Réservations et informa­
tions : Airfrance.fr et 3654.
Vol Paris­Moncton via Mon­
tréal sur Air Canada : aller­
retour à partir de 454 €.
Aircanada.com
OÙ DORMIR
A Moncton ou Fredericton,
l’idéal est de se loger en
consultant les adresses du
Petit Futé Nouveau­
Brunswick (4,95 € avec la
version numérique).
Ailleurs, nous avons testé
deux adresses de charme :
Le Red Bank Lodge, le long
de la rivière Miramichi, est
une maison de trappeur en
chary Richard – pour admirer le bois juste à côté du parc his­
phare et la vue, qui porte jusqu’en torique de Metepenagiag.
Nouvelle­Ecosse. Enfin, on s’arrête A partir de 160 $ (109 €)
forcément aux rochers Hopewell. la nuit. Redbanklodge.com
C’est de là qu’on observe le mieux et Metpark.ca
les plus hautes marées au monde… A Saint­Andrews, le Ross­
à marée basse ! Les fameux « pots mount Inn est une auberge
de fleurs » sont des pinacles déta­ pleine de charme. A partir
chés de la falaise sur lesquels de 138 $ (94 €) la nuit.
pousse encore une végétation Rossmountinn.com
luxuriante qui leur vaut ce sur­
nom. La balade à pied au fond de DÉJEUNER, DÎNER
l’océan est si impressionnante que A Moncton, aux Brumes
le site est un des plus touristiques du coude, le chef Michel
du Canada. On peut d’ailleurs re­ Savoie fait une chaudrée de
venir le lendemain pour faire du homard généreuse. Centre
kayak 14 mètres plus haut ! culturel Aberdeen, 140, rue
Mais le Nouveau­Brunswick ne Botsford Street, suite 19.
serait pas l’une des plus belles pro­ Réservations :
vinces du Canada sans son em­ (506) 858 0777.
blème, le homard ! A Shédiac, Lesbrumesducoude.com
autoproclamée capitale mondiale On trouve du homard à la
du homard, une sculpture colos­ carte de presque tous les
sale représente le crustacé dans un restaurants des provinces
style plus proche du réalisme so­ maritimes, à partir de 20 $
cialiste que de l’art contemporain. (13,70 €). Par exemple à Shé­
Mais c’est à Alma, charmant vil­ diac, dans l’une des bonnes
lage de pêcheurs de la baie de adresses de Main Street, et à
Fundy, au Tides Restaurant, que Alma, au Tides Restaurant.
nous avons mangé notre plus Tidesrestaurant.net
beau spécimen. Un délice qui s’ap­ et Shediac.ca
précie dans toutes les langues. 
thomas doustaly
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019 carnet | 27
M. Philippe Debet, Sablé-sur-Sarthe. Viviane Mula-Daran,

Le Carnet
son fils
Et toute sa famille,

ont la douleur de faire part du décès

Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).

Lionel,
son fils,
Juliette,
sa tante,
Philippe Daran,
son neveu,
Marie-Hélène Perriau,
sa compagne,
Marie­José Nat
Vos grands événements
Naissances, mariages,
de

anniversaires de naissance
Avis de décès, remerciements
anniversaires de décès,
souvenirs
Colloques, conférences,
séminaires, tables-rondes,
portes-ouvertes, journées
d’études, congrès,
nominations,
assemblées générales
Soutenances de mémoire,
thèses,
Expositions, vernissages,
signatures, lectures,
communications diverses
Vous pouvez nous envoyer
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le samedi et les jours fériés
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complémentaire Carnet :
01 57 28 28 28
M. François DEBET,
sa belle-fille,
Jeanne,
sa petite-fille,
Nadine de Courtenay,
sa belle-fille, Actrice
Marina et Oleg, ont la tristesse de faire part du décès
ses neveux, de
survenu le 7 octobre 2019,
dans sa quatre-vingt-seizième année. ont la grande tristesse d’annoncer la Guy VANIER,
disparition de
médecin psychiatre,
La cérémonie religieuse aura lieu aviateur,
Mme Liliane PARLIER, né le 8 août 1931, à Sfax (Tunisie), En 1970. AFP
le lundi 14 octobre, à 10 h 30, née FRADISS,
en l’église Saint-François-de-Sales, survenu le 19 septembre 2019, à Paris.
survenue le 9 octobre 2019,
6, rue Brémontier, Paris 17e, suivie de
à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
Les obsèques auront lieu le lundi
l’inhumation dans l’intimité, au
cimetière de Charlieu (Loire). Une cérémonie religieuse sera 14 octobre, à 15 heures, au
célébrée le mercredi 16 octobre, crématorium du cimetière du Père-
à 10 h 30, en l’église Notre-Dame de Lachaise, Paris 20e.
Daniel Jeannin, Isabelle et Claude Sablé-sur-Sarthe. L’inhumation aura
Gorin, lieu au cimetière du Montparnasse,
ses neveux et sa nièce, Paris 14e, vers 15 h 30, le même jour.
Anniversaire de décès
François Lacour-Gayet, Charlotte Il y a onze ans, le 12 octobre 2008,
Mme Parlier repose à la Maison
et Arthur Jeannin, disparaissait
funéraire Bouvet, 109, rue Saint-
Thomas, Laurent et Claire Gorin, Nicolas, à Sablé-sur-Sarthe.
ses petits-neveux et nièces, Hélène CALEF,
Condoléances sur registres. pianiste,
Fabien de Castilla, François Robin-
Champigneul, Thibault Lacour- « On ne meurt jamais
Gayet,
Cet avis tient lieu de faire-part.
dans la mémoire des gens
ses arrière-petits-neveux PF Bouvet, qui vous ont aimé. »
et leurs familles, Sablé-sur-Sarthe, Jemima Pitt /Anne Perry.
Tél. : 02 43 95 02 98.
Tous ceux qu’elle a enchantés se
font part du décès le 8 septembre souviennent.
2019, de Grace Pillepich,
son épouse, Elle continue d’habiter nos vies.
Jane Huygens,
Georgette ELGEY, sa belle-sœur,
commandeur Sa famille et ses amis.
Hervé Lemoine,
de la Légion d’honneur, son neveu
grand-croix Ainsi que toute sa famille, Hommage
de l’ordre national du Mérite, ont la tristesse de faire part du décès
présidente d’honneur de Charlotte LE GALL,
du Conseil supérieur des archives. 28 mai 1966 - 25 novembre 2018,
Alain PILLEPICH, professeur agrégée d’anglais.
ancien greffier

AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Toulouse. Lavaur.
Beaumont-de-Lomagne.
M Lucienne Albarede, née Robert,
me
son épouse,
M. et Mme Jean-Pierre Albarede,
son fils,
Mme Anne Albarede,
sa fille
et son compagnon, Claude Gaisne,
Hugo, Maxime, Max, Gaspard,
ses petits-enfants,
M. et Mme Rémy Albarede,
son frère et sa belle-sœur
et leurs enfants,
Parents et amis,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Jean-Louis ALBAREDE,
professeur de la faculté de médecine
de Toulouse,
survenu le 7 octobre 2019, à Toulouse.
La cérémonie religieuse a été
célébrée en l’église Saint-Pierre
d’Espertens (Coustelies), à Lautrec (Tarn),
le vendredi 11 octobre.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Salina Bellon,
Alexandra Rai-Pastorino,
Jean-Roger Pastorino (†),
ses filles et son fils,
Daniel Ziskind, Ajay Rai et
Delphine Pastorino,
ses gendres et sa belle-fille,
Pauline, David et Amandine,
ses petits-enfants,
Roger Bellon, Rose Sloan,
son neveu et sa nièce
et leur fils, Benjamin,
Alain Bellon,
son cousin,
ont la douleur de faire de la disparition
de
Joelle BELLON,
décédée brutalement dans sa quatre-
vingt-unième année, le jeudi 3 octobre
2019, à Meyrals (Dordogne).
Une messe sera célébrée pour elle,
ce vendredi 11 octobre, à 14 h 30,
en l’église Saint-Jean-Baptiste, à Neuilly-
sur-Seine, 158, avenue Charles-de-
Gaulle.
Pierre-Antoine Blum,
son époux,
Ses enfants,
Ses petits-enfants,
Son arrière-petite-fille,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Claude BLUM,
née GUYONNAUD,
survenu le 4 octobre 2019,
en sa quatre-vingt-treizième année.
L’enterrement a eu lieu dans
l’intimité au cimetière d’Antony.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Les obsèques auront lieu le lundi
14 octobre, à 10 heures, en l’église
Saint-Séverin, suivies de l’inhumation,
à 12 heures, au cimetière du
Père-Lachaise, 8, boulevard de
Ménilmontant, Paris 20e.
(Le Monde du 10 octobre.)
Sylvie Jobard,
Agnès Jobard,
Louis et Véronique Jobard,
ses enfants,
Thomas Jobard et Livia Saboia,
Margaux Jobard,
ses petits-enfants,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès du
docteur Régine JOBARD,
née BANDA,
pédiatre
et psychothérapeute de l’enfant
à Tours,
survenu à Paris, le 5 octobre 2019,
dans sa quatre-vingt-quatorzième
année.
Selon sa volonté, son corps sera
incinéré après une cérémonie
célébrée dans l’intimité familiale.
Le présent avis tient lieu de faire-
part et de remerciements.
Marc, Anne et Stéphan Lampert
Ainsi que toute la famille,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
Mme Eliane LAMPERT,
née BENIGNUS,
survenu le 8 octobre 2019.
Le culte aura lieu le mercredi
16 octobre, à 14 h 30, en l’Église
réformée Saint-Paul de Strasbourg.
Camille-Renaud et Virgile Merlen,
ses petits-fils,
Huguette Hornstra, Frédérique
Baulieu et Geneviève Merlen,
Judith, Hugo et Cassia Naudet-
Baulieu,
François Nizet, Marie-France Peyrat,
Gilles Naudet, Florence Naudet
et tous leurs enfants,
Magdalena Harm,
Ses voisines, ses voisins
Et ses amis,
ont le chagrin de faire part du décès
de
Marion NIZET-MERLEN,
institutrice et directrice d’école,
survenu le 4 octobre 2019, à Paris,
dans sa quatre-vingt quinzième année
et rappellent le souvenir de ses fils,
Olivier et Renaud MERLEN.
crmerlen@gmail.com
de la Cour internationale de Justice
de l’ONU,
survenu le 7 octobre 2019.
Une cérémonie religieuse sera
célébrée le mardi 15 octobre, à 10 heures,
en l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas,
252, rue Saint-Jacques, Paris 5e, suivie
de l’inhumation au cimetière de
Bois-Colombes, à Asnières-sur-Seine.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Famille Pillepich,
8, rue du Val-de-Grâce,
75005 Paris.
Les membres du comité de
rédaction de la revue Espaces et
sociétés
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Jean REMY,
ancien directeur de la revue,
survenu à Ottignies (Belgique),
le 6 octobre 2019,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
La célébration religieuse de ses
funérailles a eu lieu le jeudi 10 octobre,
à 10 h 30, en l’église Saint-François
de Louvain-la-neuve (Belgique).
Verdun (Meuse).
Sa famille
Et ses amis,
font part du décès de
M. Marc ROCHETTE,
survenu à Verdun, le jeudi 3 octobre
2019.
2, rue du Bastion Saint-Paul,
55100 Verdun.
Louis Vaillant,
son époux,
Jean-Christophe Vaillant
et Anne Casetta,
Louis-Jacques
et Anne-Marie Vaillant,
Alain Vaillant,
ses fils et leurs conjointes,
Anne-Sibylle et Nicolas, Solène
et Alexis, Romain, Cyrille et Laure,
Juliette, Marion et Florian, Hélène
et Cédric, Philippe, Olivier,
ses petits-enfants et leurs conjoints,
Joya, Elise, Adèle, Aurore, Diane,
Arthur, Lucas,
ses arrière-petits-enfants,
Anne-Marie et Gérard Saniez,
sa sœur et son beau-frère,
Ses neveux et nièces,
Les familles Delmotte, Lebriez,
Maréchalle, Saniez, Vaillant, Wissocq,
Ses amis de la commune de
Mentque-Nortbécourt,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Marcelle VAILLANT,
née LEBRIEZ,
chevalier
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
survenu dans sa quatre-vingt-
quinzième année.
Les obsèques seront célébrées le
samedi 12 octobre 2019, à 10 h 30,
en l’église de Nortbécourt (Pas-de-
Calais).
38, rue Desaix,
75015 Paris.
Charlotte, ma belle,
Il s’est passé presque une année
depuis ta mort, incongrue malgré
cette maladie avec laquelle tu ne
partageais absolument pas l’idée
d’issue fatale.
Nous ne savions pas vivre sans toi
mais tu nous aides.
La cérémonie du 30 novembre 2018,
à Marseille a rassemblé ta famille, tes
amis, tes collègues, tes élèves qui
t’ont rendu un vibrant hommage.
Ils ont tous loué ton grand
professionnalisme, ta modestie, ton
courage, ta joie de vivre, ton humour
décapant.
Tu reposes maintenant, comme tu
le souhaitais, au cimetière Sainte-
Brigitte de Grasse où nous irons
planter un jasmin d’hiver aux fleurs
jaunes éclatantes.
Nous ressentons chaque jour ton
cœur d’amour inépuisable.
Jean-Yves, Marius et Antoine Gallo.
Communications diverses
SOS AMITIE
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par téléphone et par internet
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Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,
Sébastien Carganico, vice-président
L’
actrice Marie­José Nat,
née le 22 avril 1940 à
Bonifacio, d’un père
kabyle militaire de car­
rière, Abdelkader Benhalassa, et
d’une mère bergère corse,
Vincentine Biancarelli, est décé­
dée jeudi 10 octobre, à Paris, à
l’âge de 79 ans. « Nat », son nom
de comédienne, lui aurait été
donné par l’un de ses tout pre­
miers partenaires de jeu (dans un
roman­photo), Jean­Claude Pas­
cal, à cause de ses cheveux tres­
sés. La brune Marie­José Benha­
lassa a rêvé très tôt de devenir co­
médienne, quittant Ajaccio, où
elle a grandi, pour s’installer à
Paris avec sa famille, en 1955. Elle
travaille alors comme manne­
quin, s’inscrit au Cours Simon et
fait de la figuration aux côtés
de Bernard Blier et de Nicole
Courcel. Contemporaine aussi de
Marina Vlady et de Michèle
Mercier, elle débute discrète­
ment au cinéma à la fin des an­
nées 1950. Le réalisateur Georges
Lampin la remarque et la dirige
en 1956 dans Crime et châtiment,
avec Jean Gabin et Bernard Blier.
Elle obtient son premier grand
rôle dans Rue des Prairies (1959)
de Denys de La Patellière, où elle
incarne la fille de Jean Gabin : ce­
lui­ci, Henri Neveux, revient de la
guerre de 1939­1945 après deux
ans de captivité et élève seul ses
trois enfants après la mort de sa
femme. Dans ce film où appa­
raissent les premiers grands en­
sembles en banlieue parisienne,
à Sarcelles, contrastant avec la
populaire et grouillante rue des
Prairies, dans le 20e arrondisse­
ment, Marie­José Nat incarne
une jeune fille pressée de quitter
ses origines sociales, qui se marie
par intérêt avec un homme riche.
L’année suivante, dans La Vérité
(1960) d’Henri­Georges Clouzot,
Marie­José Nat joue la sœur de
Brigitte Bardot, accusée devant la
cour d’assises du meurtre de son
amant (Sami Frey). Puis le réalisa­
teur Michel Drach la contacte
pour Amélie ou le Temps d’aimer
(1961). Dans La Vie conjugale
(1964) d’André Cayatte, Marie­José
Nat représente l’archétype de
l’épouse de cette époque.
La rencontre avec Michel Drach
Sa collaboration avec Michel
Drach – qui fut son deuxième
mari, de 1965 à 1981, après une
première union avec l’acteur Ro­
ger Dumas – lui permet d’obtenir
quelques­uns de ses plus grands
rôles (jusqu’au Passé simple
en 1977). Dans Elise ou la vraie vie
(1970), la comédienne incarne
une jeune femme qui, s’ennuyant
à Bordeaux, « monte » à Paris pour
rejoindre son frère, employé dans
une usine et membre du Front de
22 AVRIL 1940 Naissance
à Bonifacio (Corse)
1959 Premier grand rôle
dans « Rue des Prairies »,
avec Jean Gabin
1970 « Elise ou la vraie vie »
1974 Prix d’interprétation
féminine à Cannes
pour « Les Violons du bal »
1984 Joue au théâtre dans
« Désiré » de Sacha Guitry
10 OCTOBRE 2019 Mort
à Paris
libération nationale (FLN) pour
l’indépendance de l’Algérie. Elle
vit une histoire d’amour avec un
militant algérien, Arezki (Moha­
med Chouikh), rendue difficile
par le racisme environnant. Puis
son rôle dans le film autobiogra­
phique de Michel Brach, Les Vio­
lons du bal, lui vaudra le prix d’in­
terprétation féminine au Festival
de Cannes en 1974. Dans ce film,
le réalisateur revient sur son en­
fance de jeune juif pendant la se­
conde guerre mondiale. Michel
Drach adulte est incarné par
Jean­Louis Trintignant, Marie­
José Nat interprétant son épouse,
donc elle­même.
Une carrière au théâtre
Parallèlement à ses collaborations
avec Michel Drach, Marie­José Nat
travaille avec Gérard Oury (La Me­
nace, en 1961, avec Robert Hos­
sein), Alexandre Astruc (L’Educa­
tion sentimentale, en 1962, avec
Jean­Claude Brialy), Claude
Autant­Lara (Le Journal d’une
femme en blanc, en 1965, avec
Claude Gensac), Michel Boisrond
(Dis­moi que tu m’aimes, en 1974,
aux côtés de Mireille Darc et Jean­
Pierre Marielle). Après avoir
tourné avec Jean­Pierre Mocky
dans Litan (1982), elle s’éloigne du
cinéma – elle participera plus tard
à des coproductions internationa­
les, comme Train de vie (1998) de
Radu Mihaileanu.
Commence alors pour l’actrice
une carrière au théâtre, dans les
années 1980, notamment dans
Désiré (1984) de Sacha Guitry,
face à Jean­Claude Brialy, et Voi­
sin voisine (1985) avec Victor La­
noux. On la vit aussi souvent à la
télévision, où elle joua dans la sé­
rie Les Gens de Mogador (1972) ou
Terre Indigo, le feuilleton de l’été
1996. Et bien plus tard dans
Colette, une femme libre (2004),
de Nadine Trintignant.
Marie­José Nat a vécu ses
dernières années en Corse, à Bo­
nifacio, avec Serge Rezvani, pein­
tre et auteur de chansons (J’ai la
mémoire qui flanche, Le Tour­
billon de la vie, interprétées par
Jeanne Moreau), avec lequel elle
s’était mariée en 2005. 
clarisse fabre
 IDÉES
0123
28 | SAMEDI 12 OCTOBRE 2019

L’art
doit-il être
moral ?
Accusée d’être parfois raciste, sexiste
ou homophobe, la création esthétique
est aujourd’hui sommée de se plier
à des préceptes politiques, sociétaux,
voire moraux. L’« art pour l’art » est­il
derrière nous ? Un nouveau type de
censure est­il en train de naître ? Dialogue
entre la philosophe Carole Talon-Hugon
et la sociologue Violaine Roussel

LAURENT CORVAISIER

ENTRETIEN Théophile Gautier (1811­1872), qui en fut un qui, dans leurs œuvres, avaient manifesté desquels on pourrait juger de la réussite ou

A
u cours des dernières années, l’art
est devenu le théâtre de mobilisa­
tions en faveur de causes politi­
ques ou sociétales comme le
genre, l’orientation sexuelle ou la
« race ». Mouvement #metoo,
dénonciation de l’« appropriation cultu­
relle », mobilisation contre une représenta­
tion jugée « raciste » des Suppliantes
d’Eschyle : ces affaires viennent questionner
la fonction même de l’art. La création esthé­
tique doit­elle se plier à nos attentes mora­
les ? Le beau doit­il – aussi – être juste ? Quel
est le rôle politique de l’artiste ? Pour mieux
comprendre ces enjeux, la philosophe
Carole Talon­Hugon, spécialiste d’esthéti­
que et de la philosophie de l’art, auteure no­
tamment de L’Art sous contrôle. Nouvel
agenda sociétal et censures militantes (PUF,
144 p., 14 €), et la sociologue Violaine Rous­
sel, qui étudie les industries culturelles et
l’engagement des artistes et a dirigé Art et
contestation aux Etats­Unis (PUF, 96 p.,
9,50 €), débattent des finalités que nous at­
tribuons à l’art.
Carole Talon­Hugon, vous estimez dans
votre livre que depuis quelques années
le monde de l’art a pris un « tournant
moralisateur ». Qu’entendez­vous par là ?
Violaine Roussel, vos travaux vous
amènent­ils à porter le même regard ?
Carole Talon­Hugon : En utilisant cette ex­
pression, je veux mettre en lumière le fait
qu’au cours des dernières années se sont
multipliées des œuvres qui affichent de
façon explicite des intentions de type moral.
Plus précisément, elles endossent une posi­
tion revendicatrice pour servir des causes
sociétales – le genre, la race, l’orientation
sexuelle ou le devenir de la planète. Pen­
sons, pour la seule année 2018, au Festival
d’Avignon, qui avait mis la question du
genre au cœur de sa programmation, mais
aussi à la pièce Trans (Més Enllà), où Didiez
Ruiz mettait en scène des personnes trans
témoignant de leur parcours, à l’exposition
« Mademoiselle », du Centre régional d’art
contemporain de Sète, tout entière consa­
crée à la cause féministe, ou à la Manifesta
de Palerme, dédiée à l’écologie.
Mon intention n’est pas de remettre en
question la justesse de ces causes, mais de
souligner le changement des finalités assi­
gnées à l’art. Cette évolution tranche sur le
grand mouvement d’autonomisation de
l’art initié à la Renaissance et parachevé par
les mouvements rangés sous la bannière de
« l’art pour l’art » au XIXe siècle. L’écrivain
de ses porte­parole, affirmait que l’art ne
devait servir aucune autre cause que lui­
même, et que ses œuvres ne devaient pas
être jugées sur des critères moraux. Sur fond
d’autonomie conquise et de souveraineté,
l’art au XXe siècle s’est volontiers tourné
vers la recherche de sa propre essence (for­
malismes), ou a fait de l’art « à propos de
l’art » en mettant en cause ses normes : en se
saisissant de l’ordinaire et du kitsch, le pop
art, par exemple, a contesté la beauté et le
bon goût.
L’art du XXe siècle a certes été, parfois,
moralement transgressif. Au début du siè­
cle, le mouvement dada a ainsi appelé à une
subversion absolue de tous les principes,
notamment moraux. L’actionniste viennois
Otto Muehl soutenait que « tout mérite
d’être exposé, y compris le viol et le meurtre »,
et Andres Serrano, en 1987, a photographié
un crucifix plongé dans l’urine (Piss Christ).
Mais si les œuvres de cet art transgressif
entretenaient inévitablement un rapport
avec la morale, c’était pour la subvertir, non
pour la servir.
On pourrait m’objecter que l’art sociétal
n’a rien de nouveau et que l’art à portée poli­
tique a toujours existé. La Mort de Marat, de
David, par exemple, entendait servir la
Révolution, mais cette finalité était celle
d’une œuvre artistiquement remarquable,
qui peut porter une cause parce qu’elle se
supporte artistiquement par elle­même. Ce
n’est pas toujours le cas dans celles de l’art
sociétal d’aujourd’hui, où la frontière entre
le militant et l’artiste est devenue très floue.
Violaine Roussel : En tant que sociologue,
ma perspective est différente : je ne m’inter­
roge pas sur ce que l’art doit faire, je
m’intéresse plutôt à l’activité des artistes
eux­mêmes. Il y a une transformation, c’est
sûr, mais je n’y vois pas un tournant morali­
sateur, et, en tant que sociologue, je
n’adopte pas un point de vue normatif. Mes
enquêtes de terrain, tout particulièrement
celles que j’ai menées à Hollywood auprès
de professionnels du cinéma, m’amènent à
dire que, si nous assistons effectivement à
une transformation des interactions entre
engagement civique et création artistique,
elle s’explique par un contexte particulier lié
à la crise de légitimité de la politique comme
profession.
Il y a une quinzaine d’années, j’avais
observé, aux Etats­Unis, la distance que les
professionnels des arts s’attachaient à
maintenir avec la création explicitement po­
litique. Lorsque je me suis intéressée aux
mobilisations d’artistes américains contre
la guerre en Irak, les acteurs, les réalisateurs
et les scénaristes du cinéma hollywoodien
leur opposition à cette guerre m’ont dit
avoir payé le prix de cet engagement en ter­
Carole Talon-Hugon mes de carrière : on leur disait que ce mé­
est professeure de lange des genres n’était pas professionnel et
philosophie à l’univer- on remettait en cause la qualité esthétique
sité Nice-Côte d’Azur. de leur travail. Cela était également vrai des
Elle est en outre la pré- professionnels d’autres mondes de l’art.
sidente de la Société Au début des années 2000, embrasser des
française d’esthétique causes militantes et politiques dans l’art
et la directrice de était donc souvent coûteux pour les artistes.
publication de la « Nou- Pour éviter cette stigmatisation, beaucoup
velle revue d’esthéti- ont choisi, à cette période, de séparer leurs
que ». Ses travaux por- activités militantes et leurs travaux artisti­
tent sur la philosophie ques : ils ont d’un côté produit des œuvres,
de l’art, l’esthétique, et de l’autre pris la parole dans le débat
les théories des émo- public en s’appuyant sur leur statut d’artiste
tions et l’histoire de la et leur capacité à atteindre une large
philosophie classique. audience. Cela témoignait justement de
Elle est notamment cette autonomie de l’art dont vous parliez :
l’auteure de « L’Art sous l’idée d’un art qui ne s’assigne aucune autre
contrôle » (PUF, 144 p., fin que lui­même.
14 €) et d’une « Histoire Dans mes travaux les plus récents, qui
personnelle et philoso- portent sur les mobilisations d’artistes
phique des arts » en contre Donald Trump, je constate en revan­
quatre tomes (PUF). che que cette tendance à la différenciation
Elle a également dirigé des activités est nettement moins marquée.
« Les Théoriciens de Il y a là une véritable nouveauté. Le mono­
l’ar t » (PUF, 2017) pole que les professionnels de la politique
ont pu revendiquer sur le rôle de porte­pa­
role de la population a été profondément
Violaine Roussel est remis en cause et certains artistes occupent
professeure de sociolo- une place plus importante qu’auparavant
gie à l’université dans l’espace public. Dans le contexte de
Paris-VIII et professeure l’élection présidentielle qui a porté Trump
associée à l’université au pouvoir, ils ont affiché des engagements
de Californie du Sud beaucoup plus explicites politiquement, y
(Etats-Unis), cher- compris dans leurs œuvres.
cheuse associée à l’Ins- Je n’irais pourtant pas jusqu’à dire que les
titut des sciences socia- finalités ou les fonctions sociales de l’art ont
les du politique (ISP, changé, parce que les créateurs continuent à
CNRS-université Paris- accorder une très grande importance à la re­
Ouest-Ecole normale connaissance par leurs pairs de la valeur
supérieure de Cachan). proprement artistique de leur travail. C’est
Elle a dirigé l’ouvrage toujours là le cœur de leur identité profes­
« Art et contestation sionnelle. Je pense que nous voyons plutôt
aux Etats-Unis « (PUF, les effets sur le champ artistique de la déspé­
96 p., 9,50 €). Elle est cialisation des rôles politiques.
l’auteure de « Repre- C. T.­H. : Quand je parle de « tournant mo­
senting Talent. Hol- ralisateur », je ne déroge pas à la neutralité
lywood Agents and the du chercheur : je ne fais que prendre acte des
Making of Movies » déclarations d’intention éthique explicites
(University of Chicago qu’on lit dans l’abondante production
Press, 2017, non tra- discursive qui entoure les œuvres en ques­
duit) et d’« Art vs war. tion. S’il existe une crise de la politique
Les artistes américains comme profession, comme vous le
contre la guerre en soulignez, il faudrait ajouter qu’il existe
Irak » (Presses de aussi une crise de l’art comme profession.
Sciences Po, 2011). Depuis des décennies de « dé­définition » de
l’art, comme le disait le critique d’art Harold
Rosenberg, les normes de valeur en art,
c’est­à­dire les critères de qualité au nom
de l’échec d’une œuvre, sont introuvables.
La valeur artistique étant devenue
problématique, il n’est pas surprenant que la
valeur éthique se substitue à elle : il est plus
difficile de se prononcer sur la réussite artis­
tique d’une œuvre que d’affirmer que le
bien est préférable au mal…
L’art est soumis à de profonds boulever­
sements provoqués par les nouvelles
technologies. Quel est l’impact de
ces transformations sur les évolutions
artistiques que vous décrivez ?
C. T.­H. : Dans l’introduction au livre que
vous avez dirigé, vous montrez, Violaine
Roussel, que les plates­formes numériques
comme Netflix, parce qu’elles produisent
énormément de films et de séries, ont
ouvert un nouvel espace aux artistes qui ont
des ambitions militantes. En créant des
groupes cibles spécifiques, elles leur offrent,
dans un monde de vive concurrence, des pu­
blics de niche : les réalisateurs peuvent tour­
ner des films avec des Noirs à destination
des Noirs, ou avec des personnes gay à desti­
nation des personnes gay, etc.
En tant que philosophe, j’estime cepen­
dant que la recherche de reconnaissance ne
doit pas se dérouler seulement à l’intérieur
d’un groupe de pairs : elle doit être plus
globale. L’innovation technique, parce
qu’elle crée des publics fragmentés, engen­
dre aujourd’hui une balkanisation de la
culture : elle accélère la segmentarisation de
la société, ce qui représente, à mes yeux, un
risque majeur. Je redoute les effets pervers
de ces formes d’art qui font leur fond de
commerce de la division, et, ce faisant,
l’entretiennent et la renforcent.
V. R. : Je reconnais qu’il y a, dans le monde
du cinéma américain, une volonté de défen­
dre la diversité en produisant des œuvres
mettant en scène certaines « communau­
tés » et destinées à des publics composés de
ces mêmes groupes. Mais je ne dirais pas
que ce phénomène relève de la balkanisa­
tion : je parlerais plutôt d’une fragmenta­
tion. Aux Etats­Unis, ce phénomène n’est
pas nouveau : dans les années 1990, les chaî­
nes de télévision du câble avaient déjà initié
cette tendance en produisant des séries ou
des films destinés aux adolescents ou à la
communauté africaine­américaine. Au fil
des ans, cette tendance à la fragmentation
s’est renforcée et le public a été subdivisé en
niches. Aujourd’hui, avec les plates­formes
de streaming, une individualisation sans
précédent est possible. La télévision qui trô­
nait dans le salon commun en imposant ses
horaires et sa programmation est appelée à
disparaître.
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
Avec Netflix ou Amazon, un nouveau
terme est apparu pour désigner le public :
l’utilisateur. Les plates­formes de vidéo à la
demande le placent au centre de leur démar­
che. Avec lui, de nouveaux professionnels
ont fait leur apparition à Hollywood : les in­
génieurs et les analystes de données déve­
loppent des outils qui permettent de
connaître en temps réel les habitudes de
consommation de chaque utilisateur. Il ne
s’agit plus de penser les publics sous forme
de groupes sociodémographiques et de s’en
remettre aux créateurs pour toucher les seg­
ments de population les plus vastes possi­
ble, mais de prévoir, via des algorithmes, ce
que des utilisateurs individuels voudront
consommer, et donc ce qui doit être produit
et distribué. C’est une vraie révolution dans
la définition de la valeur d’une œuvre. Nous
assistons à un changement de paradigme :
les artistes ne sont plus en position de dicter
au public ce qu’il est supposé aimer. Cette
évolution est d’autant plus forte que les in­
termédiaires qui faisaient naguère le lien
entre les créateurs et le public, comme les
critiques, sont de plus en plus faibles.
Certaines associations militantes se
mobilisent parfois contre des œuvres
parce qu’elles les jugent offensantes.
Faut­il craindre l’essor d’un nouveau
type de censure ?
C. T.­H. : Je dirais que la spécificité de la si­
tuation actuelle tient à la conjugaison de
trois facteurs. D’abord, à la multiplication
préoccupante des appels à la censure. Parmi
quantité d’autres, rappelons ceux, récents,
qui ont concerné le tableau de Balthus Thé­
rèse rêvant, les nus d’Egon Schiele au Musée
Leopold de Vienne, l’installation Printemps,
d’Adel Abdessemed, la pièce Kanata, de
Robert Lepage, une photographie de Neïl
Boulafa exposée dans le cadre de son instal­
lation L’Ennemi de mon ennemi, la mise en
scène des Suppliantes d’Eschyle par Philippe
Brunet ou une toile de Di Rosa à l’Assemblée
nationale…
Ensuite, à la nouveauté de ces formes de
censure : elle n’est plus portée par l’Etat,
comme ce fut le cas au XIXe siècle pour Les
Fleurs du mal, de Baudelaire, ou Madame
Bovary, de Flaubert, mais par des associa­
tions ou des groupes d’individus. Quant à
son modus operandi, ce n’est plus le procès
juridique, mais la pétition, la tribune et la
manifestation auxquelles les nouvelles
technologies – réseaux sociaux, sites Inter­
net, etc. – fournissent de nouvelles caisses
de résonance.
Enfin, à la radicalité de ce type de critique.
Le moralisme « modéré », que je défends
pour ma part, affirme que la valeur éthique
les artistes que j’ai interrogés, ce dénigre­
« AU COURS DES  ment qui ne s’apparente en rien à une
DERNIÈRES ANNÉES  commission de censure du cinéma
constitue une forme d’atteinte à la liberté de
SE SONT MULTIPLIÉES création, et elle est totalement nouvelle.
DES ŒUVRES QUI  Woody Allen continue de faire des films,
même si de graves soupçons de pédophi­
AFFICHENT DE FAÇON  lie pèsent sur lui. Que vous inspire cette
EXPLICITE DES  affaire ? Un interdit moral doit­il nous
empêcher de voir ses films ?
INTENTIONS C. T.­H. : Cette affaire, comme celles ayant
impliqué Roman Polanski ou l’acteur Kevin
DE TYPE MORAL » Spacey [les poursuites engagées contre lui
CAROLE TALON-HUGON pour agression sexuelle et d’attentat à la
pudeur ont été abandonnées cet été], ont
pour particularité de concerner non pas des
œuvres immorales, mais des œuvres mora­
d’une œuvre joue un rôle dans sa valeur glo­ lement neutres réalisées par des individus
bale et doit légitimement entrer en compte ayant eu des conduites moralement répré­
dans son évaluation : on ne peut considérer hensibles. Tout se passe comme si, par
que l’artisticité d’une œuvre l’immunise contamination, la malignité de l’homme se
contre des contenus racistes ou sexistes, par transmettait à son œuvre, et comme si la
exemple, et qu’elle ne serait pas affectée par condamnation du premier réclamait celle
ces défauts moraux. Mais les critiques dont de la seconde.
nous parlons ici relèvent d’un moralisme C’est là un autre aspect de ce moralisme
radical, qui, lui, estime que la valeur de intransigeant pouvant conduire à une relec­
l’œuvre tient tout entière dans sa valeur ture intégriste de l’histoire de l’art qui vide­
morale, si bien qu’une œuvre moralement rait une partie des musées et des bibliothè­
problématique par un de ses aspects doit ques ! Ne faudrait­il pas en effet décrocher
être censurée. les toiles de Gauguin, qui avait abandonné
V. R. : Que des œuvres fassent scandale n’a femme et enfants en France et engrossé
rien de nouveau. Ce qui est différent, deux fillettes de treize ans pendant son
aujourd’hui, ce sont les moyens employés séjour dans les îles du Pacifique, mais aussi
par ces mobilisations : les réseaux sociaux celles de Picasso, qui a maltraité bien des
jouent désormais un rôle déterminant et ils femmes ? Faudrait­il arrêter de lire Lewis
ne fonctionnent pas de la même manière Carroll, qui avait un penchant pour les très
que les canaux d’expression que nous avons jeunes filles, Arthur Rimbaud, qui s’était
connus par le passé. Les distinctions sociales livré au trafic d’armes en Ethiopie, ou
n’ont évidemment pas disparu mais le François Villon, qui avait trempé dans de
contrôle de la parole publique est moins sombres affaires de meurtre ?
fort : sur ces nouveaux canaux, chacun peut V. R. : Je constate que Woody Allen a peu
se faire entendre. Les controverses peuvent d’alliés à Hollywood et qu’il lui est mainte­
donc prendre de l’ampleur extrêmement ra­ nant très difficile de trouver un distributeur
pidement. L’effervescence de ces polémi­ aux Etats­Unis. Les choses sont en revanche
ques surprend, mais je ne crois pas pour plus simples hors de son pays, notamment
autant qu’elles révèlent une fragilisation du en France, où son film a été distribué en sal­
monde de l’art sous l’assaut du public. les : peu de groupes se mobilisent, dans no­
Les professionnels du cinéma que j’ai ren­ tre pays, pour décourager le public d’aller
contrés n’ont pas l’impression de faire da­ voir ses films. C’est le signe que les codes et
vantage l’objet d’une censure populaire les normes de jugement des artistes sont
qu’auparavant. Les campagnes menées sur différents en France et aux Etats­Unis. La si­
le réseau Twitter intimident, bien sûr, mais tuation peut bien sûr changer, mais elle doit
les professionnels redoutent plutôt que le nous amener à avoir une discussion collec­
gouvernement les réduise au silence – sur­ tive sur le lien entre normes morales et nor­
tout celui de Donald Trump. Le président a mes artistiques : que faisons­nous quand
réduit les financements destinés au nous décidons qu’un artiste ne peut pas pré­
cinéma : il affirme que les fonds de soutien à senter son travail ? Mais aussi, qui est socia­
la création et à l’art ne servent à rien. Ces lement autorisé à le faire, et selon quels
propos sont considérés comme profondé­ principes ? 
ment stigmatisants, car ils dénient toute propos recueillis par
valeur symbolique au monde de l’art. Pour marc­olivier bherer
idées | 29
LE LIVRE
DANS LA « JUNGLE »
DE LA DIPLOMATIE
INTERNATIONALE
L
es Mémoires d’ambassadeurs retraités sont un clas­
sique, mais même s’il est de brillantes exceptions,
ils ne sont pas toujours passionnants. En quittant
ses fonctions à Washington au printemps, Gérard
Araud reconnaît avoir hésité. « Le genre littéraire me lais­
sait sceptique. On y verse facilement dans l’égocentrisme et
les potins et je n’étais pas sûr d’échapper à ces défauts »,
écrit­il dès les premières pages d’un livre bilan dense,
émaillé de quelques portraits bien croqués et de bon nom­
bre d’anecdotes, qui se veut avant tout une réflexion sur
quatre décennies de politique étrangère française. « La vie
internationale est une jungle sans juge ni gendarme où cha­
que Etat doit veiller à sa sécurité, seul gage de sa survie »,
rappelle l’auteur, qui se définit lui­même comme un « réa­
liste » à la recherche de compromis « pour éviter le pire », et
méfiant vis­à­vis « des solutions globales et des cathédra­
les intellectuelles qu’affectionne le Quai d’Orsay ».
Brillant et volontiers provocateur, ce diplomate passé
par Polytechnique et l’ENA a été l’une des figures de proue
de la diplomatie tricolore. Les postes qu’il a occupés sont
parmi les plus prestigieux : Washington, après avoir été à
New York à l’ONU, à la direction des affaires stratégiques, à
celle des affaires politiques – le cœur du ministère des af­
faires étrangères –, ainsi qu’ambassadeur en Israël. Il s’agit
donc d’un témoin privilégié, et ce d’autant plus que sa
carrière correspond à une période charnière des relations
internationales. Il entre au ministère en plein retour de la
guerre froide alors que Reagan s’installe à la Maison Blan­
che, pour le quitter deux ans après l’arrivée au pouvoir de
Trump, qu’il commente d’un Tweet assassin mais
visionnaire : « Après le Brexit, après Trump, un monde
s’effondre. Vertige. » Ses récits du fonctionnement de
l’administration Trump en politique étrangère comme
des relations entre Emmanuel Macron et son homologue
américain valent à eux seuls la lecture.
« On était antiaméricain sans se l’avouer »
Depuis son entrée au Quai d’Orsay, un peu par hasard,
en 1982, parce qu’il rêvait d’ailleurs, Gérard Araud séduit
autant qu’il irrite. Dans le monde feutré de la diplomatie,
il aime à prendre la lumière. En outre, souvent, il lui est
arrivé de défendre des positions à rebours de celles du
« gaullo­mitterrandisme » qui fut, jusqu’à la fin des
années Chirac, la dominante de la politi­
que étrangère d’une France « alliée mais
non alignée », selon la formule d’Hubert
Védrine, faisant clairement entendre sa
différence par rapport à Washington.
Cet antiaméricanisme, « bien que tem­
péré par le besoin d’un parapluie militaire
face à la menace soviétique », était omni­
présent au ministère. « On était donc anti­
américain sans se l’avouer. Il était interdit
d’utiliser l’adjectif “occidental” dans notre
correspondance », raconte­t­il, ironisant
notamment sur les tiers­mondismes et la
« politique arabe de la France » qui impré­
gnaient alors la diplomatie tricolore au
point de fermer les yeux sur les exactions
PASSEPORT  des pires dictatures, notamment l’Irak de
DIPLOMATIQUE.  Saddam Hussein.
QUARANTE ANS  « Je savais que la diplomatie, c’était parler
AU QUAI D’ORSAY au diable, mais rien ne m’obligerait jamais
de Gérard Araud, à dire que le diable est un ange », relève Gé­
Grasset, 384 pages, rard Araud, qui se revendique dans ses
22 euros Mémoires comme « le fils de son époque,
non plus celle des grands combats pour
l’indépendance, mais celle pour les droits
de l’homme et la démocratie ». L’ingérence humanitaire et
la défense active du camp occidental avec ses valeurs fu­
rent les marqueurs d’une génération de diplomates accu­
sés d’être des « néoconservateurs » proches des vues de
Washington, voire d’Israël. Montant en puissance au sein
du Quai d’Orsay, ils auraient inspiré la politique étrangère
de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande.
Douze ans de négociations autour du nucléaire iranien
Passant, selon ses propres mots, pour « le grand prêtre de
cette chapelle », l’ancien ambassadeur rappelle que les
hauts fonctionnaires conseillent ou exécutent une
politique mais ils ne la décident pas. Ces lignes de fracture
au sein de la diplomatie française ne sont pas, en outre,
aussi tranchées qu’on pourrait le croire. Ainsi, c’est Domi­
nique de Villepin, l’opposant à la guerre d’Irak de 2003, qui
le nomma cette même année ambassadeur en Israël, afin
de resserrer les liens avec ce pays.
L’un des points forts du livre est le récit des douze ans de
négociations pour arriver à l’accord sur le nucléaire ira­
nien de juillet 2015, où la France joua un rôle majeur,
« maintenant de 2003 à 2015 la même ligne de fermeté ».
C’est lui, Gérard Araud, qui en donna le coup d’envoi
en 2003, alors qu’il était à la direction des affaires stratégi­
ques, impliquant aussi Londres et Berlin, puis les Etats­
Unis, la Russie et la Chine entrèrent à leur tour dans le jeu.
L’accord de Vienne est aujourd’hui sérieusement ébranlé
par le retrait de Trump, qui prétend vouloir le renforcer et
l’élargir, mais navigue à vue. « C’est un peu le résumé de
l’approche de cette administration : annoncer une politique
puis ne pas en déduire de stratégie parce qu’il n’y a pas de
stratège dans l’avion », pointe Gérard Araud. 
marc semo
 0123
30 | idées SAMEDI 12 OCTOBRE 2019

Hamit Bozarslan La lourde trahison américaine

L Le directeur d’études à l’EHESS analyse le retrait
e 7 septembre 2015, en pleine
crise des réfugiés en Europe,
l’éditorial d’Ibrahim Karagül, ré­
dacteur en chef du journal pro­
Erdogan Yeni Safak, portait le titre sui­
vant : « Ouvrez les portes, que les mil­
lions se déversent sur l’Europe ». Aux
yeux de l’éditorialiste, repris à plu­
sieurs reprises par Erdogan lui­même,
la première guerre mondiale, qui
aurait eu pour seul objectif d’anéantir
l’Empire ottoman, continuait, avec ses
batailles décisives encore à venir. Et ces
batailles allaient être lancées par la
Turquie, enfin prête à prendre sa re­
vanche sur l’Occident, cet ennemi « on­
tologique » ayant perdu depuis sa « viri­
lité ». Le 26 janvier 2016, Karagül reve­
nait à la charge : « Comprenez bien cela !
C’est nous qui allons dessiner la [nou­
velle] carte » du Proche­Orient.
La nuisance comme pouvoir a donc
fini par payer : les Etats­Unis, la plus
grande démocratie du monde, elle­
même livrée à un « égocrate », ont choisi
de capituler devant l’une des antidémo­
craties les plus inquiétantes du XXIe siè­
cle, qui, depuis des années, n’a cessé de
l’humilier et de s’allier avec ses autres
ennemis déclarés : Poutine et l’ayatollah
Khamenei. Ce Munich des temps mo­
dernes est d’autant plus révoltant qu’An­
kara n’a jamais fait mystère de ses objec­
tifs : mettre en place sa politique de
« dékurdification » de l’est de l’Euphrate,
qu’Abdülhalik Renda, l’un des architec­
tes du génocide des Arméniens de 1915,
proposait déjà en 1925 comme solution
radicale et ultime à la question kurde en
des troupes américaines à la frontière turco­syrienne
comme une capitulation de Donald Trump
face au président turc, Recep Tayyip Erdogan
Turquie. Comme les hommes de 1915­ nettoyage ethnique, que ne cessent de
1925, ceux de 2015­2019 restent profon­ dénoncer depuis l’ONU et Amnesty In­
dément attachés au darwinisme social, ternational. Face à la tragédie d’Afrin, les
qui considère les communautés humai­ démocraties pouvaient encore se pré­
nes comme des espèces en guerre pour valoir d’un alibi : l’espace aérien de cette
la survie et établit un lien organique en­ région était contrôlé par la Russie de
tre l’« espace », à purifier, et l’« espèce », à Poutine, dont le cynisme à toute
faire prospérer. épreuve ne laissait aucune marge de
Le sort qu’Afrin a subi à l’hiver 2017­ manœuvre pour une intervention occi­
2018 a déjà montré les objectifs de la dentale. Il n’en va pas de même de l’est
stratégie de conquête de l’erdoga­ de l’Euphrate, que Trump offre à Erdo­
nisme : les djihadistes pro­Ankara ont gan sans dissimuler l’admiration qu’il a
considéré que cette ville kurde était un pour lui. L’homme fort d’Ankara n’a­t­il
butin de guerre, se livrant à la confisca­ pas libéré en octobre 2018 le pasteur
tion de ses richesses et à un véritable américain Andrew Brunson, qu’il déte­
nait en otage ? Les deux leaders mani­
festent un même mépris pour la justice,
les institutions et les procédures, pour
ne croire qu’en les paroles qu’ils se don­
nent mutuellement.
La démocratie à terre
TRUMP ET ERDOGAN La trahison américaine est lourde de
MANIFESTENT conséquences pour les démocraties, à
commencer par les Etats­Unis, où l’exé­
UN MÊME MÉPRIS cutif élargit son autonomie par sa capa­
cité à paralyser des institutions bisécu­
POUR LA JUSTICE, laires. Ainsi, non seulement le Congrès,
LES INSTITUTIONS dont l’écrasante majorité est contre le
lâchage des alliés kurdes de Washing­
ET LES PROCÉDURES ton, a été humilié, mais les rapports du
Pentagone sur la résurgence de l’organi­
sation Etat islamique, envers laquelle
Ankara a mené une politique d’extrême
complaisance entre 2014 et 2016, ont
été purement et simplement ignorés.
L’administration Trump ressemble
désormais à un bateau ivre, comman­
dant une puissance jamais égalée mais
qui n’a plus d’autre cible à détruire que
la démocratie américaine elle­même.
Les démocraties européennes, ensuite,
qui, depuis des années, répondent aux
chantages d’Ankara par un langage poli
et des concessions en série, qui ne font
que revigorer Erdogan et ses alliés ultra­
nationalistes, à chaque moment où ils
sont affaiblis dans les urnes. Des dizai­
nes de milliers de démocrates croupis­
sent dans les geôles turques dans l’at­
tente que la politique de « dialogue » de
Bruxelles et des capitales européennes
porte enfin ses fruits.
Du côté des gagnants, il y a bien sûr
l’erdoganisme, qui, à moins d’un sur­
saut du Congrès américain, ne s’arrêtera
pas à la « conquête » des villes de Ras Al­
Aïn (Serê Kaniyê en kurde) et Tall Abyad
(Girê Sipî). Mais il n’est certainement
pas le seul : l’autocrate russe et le mollah
iranien, censés garantir l’unité territo­
riale de la Syrie, justification officielle de
leur intervention armée dans le pays de­
puis de longues années, célèbrent déjà
l’événement : preuve à l’appui, ils peu­
vent désormais démontrer que les for­
ces démocratiques du Proche et du
Moyen­Orient ne peuvent compter sur
les démocraties occidentales, que seul
leur ordre régnera dans la région, que,
de gré ou de force, opposition et minori­
tés doivent capituler devant leur diplo­
matie milicienne et leur politique pré­
datrice. Ils clament d’ailleurs haut et
fort que les Kurdes syriens, pour les­
quels ils versent en passant quelques
larmes, doivent désormais se soumettre
à l’autorité du maître de Damas. Certes,
ils ne portent pas pour autant le prési­
dent turc, leur ennemi d’hier, dans leur
cœur. Mais par leurs machinations avec
Ankara, ils ont su mettre à terre la dé­
mocratie. Ils savent que, demain, ce sont
eux qui seront les maîtres des horloges.
A moins d’un revirement de la politi­
que américaine, leur stratégie pourrait
être payante. Les Kurdes syriens et leurs
alliés n’ont en effet que deux choix : se
battre jusqu’au dernier au prix de souf­
frances énormes, ou capituler devant
Bachar Al­Assad pour empêcher la
transformation du Rojava en un « djiha­
distan » comme Afrin. De quel droit les
capitales occidentales, qui n’ont pas re­
tenu la leçon que leur professait Ray­
mond Aron dans les années 1930, pour­
raient­elles les accuser de lâcheté – « Les
démocraties sont obligées de répondre
aux élites dirigeantes des Etats totalitai­
res qui les croient trop lâches pour se
battre : “Si vous nous y contraignez, nous
nous battrons” » ? 
Hamit Bozarslan est historien
et sociologue

Ahmet Insel La fuite Turquie dans le nord de la Syrie depuis

2016, officiellement pour chasser les « for­ Bernard-Henri Lévy
en avant d’Erdogan N’abandonnons pas
ces terroristes », mais avant tout pour
couper la continuité territoriale entre les
cantons kurdes autoproclamés, et, en­
suite, en chasser une partie de ses habi­

les Kurdes syriens !

tants pour y installer des Arabes sunnites.
C’est ce qui s’est passé à Al­Bab puis à Afrin.
Pour le politiste, l’intervention décidée par le président La nouvelle expédition a les mêmes
buts. Erdogan, lors de son intervention à
turc en Syrie poursuit surtout des buts de politique l’ONU, a présenté un projet d’installation
intérieure, alors que la population exprime de 2 millions de réfugiés syriens dans la
« zone de sécurité » qu’il prétend instaurer. Le philosophe et un collectif de signataires,
un mécontentement croissant à l’égard du régime Cette nouvelle opération d’ingénierie dé­
mographique, même si elle n’aboutit pas, dont Bernard Kouchner et Raphaël Glucksmann,
risque de créer une plus grande instabilité demandent à l’Europe de réagir à l’offensive armée

L
dans cette région et d’aggraver le conflit
es dictatures et les autocraties en s’étaient mises partiellement d’accord. kurde en Turquie. de la Turquie dans le nord­est de la Syrie, le 9 octobre
déclin précipitent souvent leur Mais Recep Tayyip Erdogan voulait bien Tout aussi importants pour le président

chute par des aventures militaires
hasardeuses. En prenant le risque de
s’enliser en Syrie, le président turc, Recep
Tayyip Erdogan, pourrait avoir fait le pas
de trop et accélérer la fin de son règne
autocratique. Largement condamné par la
communauté internationale, combien de
temps peut­il espérer continuer cette of­
fensive quand bien même son pays, de par
sa position géostratégique, continue d’être
pour les Occidentaux un allié essentiel ?
L’armée turque occupe déjà la zone
d’Al­Bab depuis août 2016 et celle d’Afrin
depuis janvier 2018. Cette troisième opé­
ration, baptisée « Source de paix », a été
rendue possible par l’annonce inattendue
de Donald Trump, le 6 octobre, du retrait
immédiat des militaires américains de
leurs postes d’observation près des villes
syriennes de Tall Abyad et Ras Al­Aïn, le
long de la frontière. Annonce faite contre
l’avis du Pentagone et d’une grande partie
des membres du Congrès américain.
La Turquie demandait depuis quel­
ques années aux Etats­Unis la mise en
place d’un « corridor de sécurité » dans le
nord de la Syrie. En août, les deux parties
LE ROJAVA,
LE TERRITOIRE DES
KURDES SYRIENS,
EST DEVENU
LA PRINCIPALE
OBSESSION
SÉCURITAIRE DES
DIRIGEANTS TURCS
plus que des patrouilles communes
sur une partie de la frontière. Il veut
contrôler, en appui avec les supplétifs
de l’Armée libre syrienne, un territoire
s’étendant jusqu’à 30 km de profondeur.
Nous ne savons pas, pour le moment,
quelle sera la réaction des Forces démocra­
tiques syriennes, à dominante kurde, face
à l’intervention d’Ankara. Abandonnées
par leur allié américain, mais lourdement
armées par lui, vont­elles montrer une
résistance farouche contre les occupants
ou se tourneront­elles vers Damas pour
demander protection, abandonnant en
grande partie leurs velléités d’autonomie ?
Pari aventureux
La réussite, du point de vue militaire et à
court terme, de cette expédition trans­
frontalière dépendra de l’option choisie
par les forces kurdes syriennes, de la politi­
que menée par le gouvernement de Da­
mas avec ses protecteurs russes et ira­
niens, mais aussi de l’attitude des tribus
arabes de la région. Par ailleurs, l’armée
turque, fortement ébranlée par des arres­
tations massives d’officiers depuis le coup
d’Etat raté de juillet 2016, risque d’être à la
peine, surtout si les Etats­Unis ferment
l’espace aérien dans le nord de la Syrie.
Le pari de Recep Tayyip Erdogan est en­
core plus aventureux sur le long terme.
En s’engageant, en 2012, dans le conflit sy­
rien, l’homme fort d’Ankara misait sur un
renversement rapide de Bachar Al­Assad
et l’accès au pouvoir des Frères musul­
mans syriens. Ce fut un échec complet.
En outre, la guerre civile syrienne a permis
la formation des entités autonomes kur­
des au long d’une frontière de 910 km,
avec la présence des cadres du PKK (Parti
des travailleurs du Kurdistan), qui mène la
lutte armée contre Ankara depuis 1984.
Dès lors, le Rojava, le territoire des Kur­
des syriens, est devenu la principale obses­
sion sécuritaire des dirigeants turcs. D’où
les opérations militaires successives de la
turc sont les enjeux de politique inté­
rieure. Il veut créer un élan nationaliste
alors que s’érode le soutien électoral dont
bénéficie son parti, l’AKP (Parti de la jus­
tice et du développement), qui, lors des
élections municipales du printemps, a
perdu Istanbul et Ankara. Les électeurs
turcs sont las de dix­sept ans d’arbitraire
et de règne sans partage du parti islamiste.
Ils s’inquiètent de la crise économique.
Mais ils expriment aussi un mécontente­
ment croissant contre la présence d’envi­
ron 3,5 millions de réfugiés syriens dans le
pays. D’où le projet du pouvoir d’installer
une grande partie d’entre eux dans le nord
de la Syrie. Mais l’inévitable enlisement
militaire en Syrie et l’isolement diplomati­
que sans précédent d’Ankara ne peuvent
qu’accélérer la chute de popularité de celui
que ses partisans appellent le « reis ».
Une des questions cruciales est celle des
djihadistes prisonniers, notamment
européens, gardés par les Kurdes. Donald
Trump avait à l’origine annoncé qu’ils
pourraient être confiés à la Turquie. De­
puis, Ankara affirme que ce sera à leurs
pays d’origine de les prendre en charge.
Ainsi le président turc pourrait avoir en
main, dans sa relation tortueuse avec ses
partenaires européens, un nouveau
moyen de pression et de chantage, en plus
de celui des réfugiés.
Dans une fuite en avant qui dure depuis
2013, Recep Tayyip Erdogan semble jouer
sa dernière carte. Mais, malheureu­
sement, ce sont des centaines de mil­
liers d’hommes et de femmes qui payent
dans l’immédiat, comme toujours, le prix
de son hubris. 
Ahmet Insel est politiste. Il a
notamment écrit « La Nouvelle Turquie
d’Erdogan » (La Découverte, 2017)
R
ien n’y a fait. Ni l’indignation
de l’opinion mondiale. Ni l’in­
compréhension des militaires,
des diplomates, des repré­
sentants démocrates et républicains
américains. Ni, en France, le président
Macron qui a reçu, à l’Elysée, mardi
soir, quelques heures avant l’attaque,
une délégation venue du Kurdistan
syrien à qui il a redit la solidarité de la
France. L’impensable est arrivé.
Le président turc Recep Erdogan a
lancé, ce mercredi 9 octobre, en fin
d’après­midi, son offensive contre le
Kurdistan syrien. Cet homme fut,
pendant les années de la guerre
contre Daech [l’organisation Etat isla­
mique], le passeur en chef des milliers
de djihadistes ralliant le « califat » via
la Turquie. Et il a commencé de bom­
barder ces Kurdes syriens qui furent,
pendant les mêmes années, avec les
peshmergas du Kurdistan irakien, les
résistants les plus déterminés.
Forfaiture et trahison
Et il l’a fait avec l’assentiment de
Donald Trump. Le président améri­
cain avait pris soin d’annoncer quel­
ques heures plus tôt qu’il donnait
son feu vert à l’opération, qu’il enta­
mait le retrait de ses 2 000 forces spé­
ciales et n’avait que faire de cette
querelle « ancestrale et ridicule » en­
tre les démocrates kurdes et un néo­
sultan qui est l’ami, partout dans le
monde, des Frères musulmans. L’on
ne se souvient pas avoir vu, dans les
années récentes, pareil cas de forfai­
ture et de trahison. Jamais les démo­
craties ne se sont trouvées confron­
tées à ce cas de figure catastrophique
d’un membre­clé de l’OTAN agres­
sant un peuple libre. Et c’est tout l’ac­
quis de la guerre anti­Daech, ce sont
tous les fruits de cette longue lutte
Manifestation à Paris
Samedi 12 octobre, à 11 h 30, place du
Trocadéro, sur le parvis des Droits-de-
l’Homme, les signataires organisent,
avec l’Institut kurde de Paris, la revue
La Règle du jeu, les Arméniens de
France, une manifestation en soutien
aux Kurdes de Syrie.
qu’Américains, Européens, Kurdes de
Syrie et d’Irak ont menée et gagnée
ensemble, au coude­à­coude, qui vo­
lent aujourd’hui en éclats. L’Europe
va­t­elle accepter le fait accompli ?
Nous rendrons­nous complices de ce
lâchage sans précédent d’un peuple
ami et en lutte pour notre liberté ? 
Pascal Bruckner, philosophe ;
Hugues Dewavrin, vice-président
de l’ONG La Guilde ; Caroline
Fourest, journaliste, essayiste
et cinéaste ; Patrice Franceschi,
écrivain ; Raphaël Glucksmann,
essayiste et eurodéputé (S&D) ;
Gilles Hertzog, journaliste et écri-
vain ; Bernard Kouchner, ancien
ministre des affaires étrangères ;
Bernard-Henri Lévy, écrivain,
philosophe, membre du conseil de
surveillance du « Monde » ; Kendal
Nezan, président de l’Institut
kurde de Paris ; Bernard Schals-
cha, journaliste et secrétaire gé-
néral de l’association France Syrie
Démocratie ; Mohamed Sifaoui,
journaliste ; Dominique Sopo,
président de SOS-Racisme ; Ara
Toranian, directeur du magazine
« Les Nouvelles d’Arménie »
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019 idées | 31

Naissance d’une parole antimafia en Corse

ANALYSE Ces paroles dispersées ont eu un écho
auprès du pouvoir politique de l’île qui a eu le
d’ascension sociale structurée, pas de rites
initiatiques obligés, pas de structure interne
des repères identitaires. Désormais, la peur,
justifiée par des assassinats bien réels,

C
omment débarrasser la Corse de la
mafia ? Longtemps apparue sans
fondement aux yeux des principa­
les figures de l’île ou de l’Etat, qui
niaient l’existence d’un tel système, cette
question a fini par émerger dans le débat pu­
blic insulaire. Deux événements ont fait sur­
gir cette parole. Au cours de l’été, un candidat
sérieux à la prochaine élection municipale
« CERTAINS ÉLUS  d’Ajaccio a vu ses entreprises ciblées par des
ONT DES POROSITÉS  incendies criminels. Puis, le 12 septembre,
Maxime Susini, un militant nationaliste, a
CRITIQUABLES  été assassiné, à Cargèse. L’émotion suscitée
par ces actes a entraîné la création de deux
AVEC CES MILIEUX, Y  collectifs antimafia et l’annonce, par le prési­
dent du Conseil exécutif de Corse, Gilles Si­
COMPRIS CHEZ LES  meoni, de l’ouverture, fin octobre, d’une
NATIONALISTES » session extraordinaire de l’Assemblée terri­
toriale sur la violence.
GILLES SIMEONI Pour défaire la Corse de l’emprise mafieuse,
président (autonomiste) il faut, en effet, d’abord la nommer. Fin sep­
du Conseil exécutif tembre, à Ajaccio, une vingtaine de personna­
lités de la société civile ont baptisé leur ras­
semblement « A maffia no, A vita iè » (« non à
la mafia, oui à la vie »), revendiquant
2 500 membres. Le second, appelé « Massimu
Susini », a vu le jour, début octobre, à Cargèse,
où vivait la victime. Ces deux collectifs enten­
dent fédérer tous ceux qui veulent « résister à
la mafia ». Une démarche relayée par un débat
sur l’emprise criminelle sur la société, orga­
nisé à l’université de Corte, fin septembre,
ayant connu un certain succès d’affluence.
mérite de le fédérer et de confirmer que le
mal concernait l’ensemble du territoire.
Gilles Simeoni, président (autonomiste) du
Conseil exécutif, interrogé le 25 septembre
par France 3 ViaStella, s’est exprimé claire­
ment : « Il y a une situation de dérive mafieuse
en Corse et ce phénomène est ancien. » Fort de
ce constat, a­t­il dit, « nous allons faire passer
notre société d’une logique archaïque et mor­
tifère à une logique de vie et de respiration dé­
mocratique ». Selon lui, « il faut dire haut et
fort que n’avons pas peur », « les élus doivent
prendre leurs responsabilités ; certains ont des
porosités critiquables avec ces milieux, y com­
pris chez les nationalistes ».
Ces propos ne sont pas anodins dans une
société de grande proximité, qui compte
seulement 360 000 habitants. Depuis bien­
tôt quarante ans, le grand banditisme corse
pris en otage un territoire et une popula­
tion. Si les figures mafieuses ont changé
au fil des années, le pouvoir de la mafia ne
s’est pas affaibli. La mafia n’est pas un
mode d’organisation, c’est un phénomène
social en perpétuel mouvement. Celle qui
règne en Corse n’est pas assimilable à celle
qui prévaut en Sicile ou au Japon, car elle
s’inscrit dans une société, une histoire et
une culture spécifiques.
En Corse, point de coupole dirigeante mais
des associations criminelles indépendantes
qui cohabitent, passent des alliances ou se
font la guerre. A Ajaccio ou à Bastia, pas
régimentaire en soldats, sous­chefs ou chefs
comme à Palerme ou à Corleone, en Italie.
Mais les membres du crime organisé insu­
laire doivent intégrer des règles et démon­
trer des aptitudes afin de progresser au sein
de la pègre corse. Ici, les vendettas se mêlent
aux règlements de comptes classiques sur
fond de contrôle d’activités illégales et léga­
les. La structure clanique traverse les asso­
ciations criminelles.
Repli sur soi et individualisme
Les Corses, dans leur majorité, ont pris pour
acquis que la pègre était même une compo­
sante inaliénable de la société. Ils semblent
avoir admis qu’une partie de la richesse soit
captée par les truands et leurs prête­noms.
Sur cette île, l’inversement des valeurs n’est
pas une vue de l’esprit. Les homicides sont
pris, ici, comme une composante de la vie,
des vecteurs de régulation d’une justice pri­
vée qui échapperait au droit commun, mais
obéirait à des règles non dites, celles d’un
pouvoir parallèle, davantage craint que celui
de l’Etat. Chacun, de près ou de loin, mesure
son emprise sur le commerce, le foncier, les
marchés publics, les élections et toute acti­
vité générant des bénéfices.
Cette prégnance du milieu sur les mentali­
tés atteste la gravité du problème. Elle parti­
cipe et accompagne la déstructuration d’un
lien social et familial qui maintenait une
certaine cohésion collective et pérennisait
précipite cette société vers le repli sur soi et
l’individualisme.
Mais c’est parce que la mafia pèse sur l’en­
semble de la société corse que le refus ex­
primé par la population et les élus revêt une
importance plus grande que face à toute
autre forme de violence spécifique.
L’Etat a, évidemment, un rôle important à
jouer. Lui seul peut opposer une force légi­
time à celle de la mafia. Il a fallu attendre
l’automne 2012, alors que l’ex­bâtonnier
Antoine Sollacaro venait d’être abattu, pour
qu’un ministre de l’intérieur, Manuel Valls,
change le registre sémantique de l’Etat. Oui,
il y a une « mafia », oui « la Corse ne va pas
bien », dit­il alors. Le dogme dictait qu’il n’y
avait pas de mafia en France. Le terme
sonnait comme une infamie aux oreilles
d’un Etat sacralisé qui ne pouvait souffrir
aucune contestation de son autorité.
Les pouvoirs publics ont­ils, pour autant,
adapté leurs moyens de lutte à ce diagnos­
tic, rien n’est moins sûr. Ce désintérêt et
l’indifférence de la communauté française
face au sort d’une région transformée en
zone de non­droit mettent pourtant en
cause les fondements de l’Etat et de la dé­
mocratie. Accepter ce fait, c’est entériner
que la Corse est une terre sans loi. Laisser
prospérer un tel système sur l’île équivaut à
abandonner sa population. 
jacques follorou
(service international)

VIE DES IDÉES Abandon | par serguei

Au Portugal, un musée
sur la dictature d’Antonio
Salazar fait polémique

Q uarante­cinq ans après la « révolution des œil­

lets », qui a mis fin à plus de cinquante ans de dic­
tature, une controverse réveille, au Portugal, de
vieux fantômes qui pouvaient sembler enfouis.
En août, le maire de la ville natale d’Antonio Salazar (1889­
1970) a en effet annoncé qu’il voulait construire, près de la
maison du dictateur et à quatre kilomètres du cimetière où
il est enterré, un « centre d’étude et d’interprétation de l’Etat
nouveau ». Lorsque Leonel Gouveia, l’élu socialiste de Santa
Comba Dao, une ville de 11 000 habitants située au nord du
Portugal, a annoncé son projet, il a insisté sur le fait que ce
lieu ne serait pas « un musée pour encenser ou diaboliser
la figure de l’homme d’Etat », ni un « sanctuaire destiné
aux nationalistes ». « Il s’agira d’un lieu d’étude destiné à
analyser avec rigueur cette période historique, apprendre des
erreurs et regarder vers l’avenir. »
Malgré les bonnes intentions proclamées par l’édile, l’idée de
bâtir un musée sur Salazar et l’Etat nouveau ne passe pas –
même si un certain nombre d’habitants du village
ont adhéré au projet, y voyant l’occasion de doper
le tourisme et de revitaliser l’économie locale
BEAUCOUP  dans une commune oubliée de l’intérieur. Beau­
DE PORTUGAIS  coup de Portugais y voient en effet une
manœuvre opportuniste. Les historiens se sont
Y VOIENT  ainsi montrés très critiques : certains ont critiqué

UNE MANŒUVRE 
l’emploi du mot « homme d’Etat » plutôt que « dic­
tateur », d’autres se sont étonnés de la référence à LE CARNET DE DOUTES D’ANNE KROPOTKINE
l’idée de ne pas le « diaboliser », d’autres encore
OPPORTUNISTE ont souligné l’incongruité, si le but est scientifi­
que, d’y exposer des objets personnels ayant
LA REVUE DES REVUES tre­Temps, fondée en octobre 2018
et attachée à la chaire de l’historien
en effet découvert une autre his­
toire, celle du camp où se trouvait
appartenu au dictateur. Près de 200 anciens pri­
sonniers politiques ont, de leur côté, signé un manifeste con­
tre cet « instrument au service du blanchiment du régime fas­
ciste » de Salazar. Quelque six mille Portugais ont, eux aussi, si­
gné une lettre ouverte allant dans le même sens.
D e Sadok B., soldat tunisien
fait prisonnier par les Alle­
mands pendant la Grande
Guerre, il reste une voix. Une voix
enregistrée dans le camp où cet
Patrick Boucheron, professeur au
Collège de France.
Chercheuse en histoire et docu­
mentariste sonore, Anne Kropot­
kine arpente depuis déjà des années
Sadok B., transformé en base mili­
taire par les Soviétiques pendant la
guerre froide (il était alors en Alle­
magne de l’Est) : il est aujourd’hui
utilisé comme camp de réfugiés où
ouvrier agricole originaire de ce fonds extraordinaire abrité par vivent des hommes et des femmes
Un « affront à la démocratie » Monastir se trouvait en captivité, l’université Humboldt, à Berlin. A venus de l’autre rive de la Méditer­
Enfin, le 11 septembre, le Parlement portugais, à la demande SUR LA PISTE près de Berlin, en 1916. Dix­neuf l’occasion du centenaire de la ranée, comme Sadok B., mais dans
du Parti communiste, a adopté une déclaration symbolique DE SADOK B : minutes au total, durant lesquelles Grande Guerre, elle en a tiré une un tout autre contexte et à un siè­
condamnant la création d’un « musée dédié à la mémoire du LE DÉPART il raconte notamment ceci : « Entre performance en forme de « récit so­ cle de distance.
dictateur Antonio de Oliveira Salazar ». Adopté grâce au vote est disponible deux montagnes, j’ai été blessé. Seul. nore » à plusieurs voix, réalisé avec Confrontée à ce télescopage inat­
des partis de gauche et à l’abstention de la droite, ce texte en gratuitement J’ai saigné. J’ai pleuré. J’ai hurlé. Les sa complice Marie Guérin et intitulé tendu entre passé et présent, Anne
considère que ce projet de musée est un « affront à la sur le site Allemands m’ont récupéré. Sous Même morts nous chantons. Kropotkine fait part de ses ques­
démocratie et aux valeurs démocratiques consacrées dans la Internet leurs verrous, ils m’ont enfermé. Moi tionnements, des difficultés aux­
Constitution de la République » ainsi qu’un « délit contre la Entre-temps.net qui croyais enfin rentrer chez moi. Télescopage quelles elle se heurte pour tisser
mémoire des victimes de la dictature ». En Belgique, on m’a fait souffrir. Et Dans le prolongement de ce projet, un récit. « C’est la première fois que
Aujourd’hui encore, les pages sombres du passé du pays j’ai cru que j’allais mourir. » qui a tourné en Allemagne et fut (…) je raconte par écrit le processus
continuent à diviser les Portugais. En 2007, Salazar avait Cette archive fait partie d’un présenté à la Maison de la radio, d’enquête historique et d’enquête
ainsi été élu « meilleur Portugais de l’histoire » par les specta­ fonds constitué de 1 651 disques en elle travaille actuellement à une tout court qui accompagne une de
teurs du concours « Les grands Portugais » de la télévision gomme­laque sur lesquels sont création radiophonique qui sera mes créations sonores en train de se
publique du pays – devant Alvaro Cunhal, fondateur du conservées les voix de quelque diffusée sur France Culture à faire », confie­t­elle. Cet article
Parti communiste portugais, et le consul Aristides de Sousa 2 000 prisonniers de guerre enre­ l’automne 2020, mais cette fois rend parfaitement compte de l’am­
Mendes, qui avait aidé 30 000 juifs à fuir le régime nazi du­ gistrées par la Commission phono­ centrée sur le seul Sadok B. bition d’Entre­Temps, revue gra­
rant la seconde guerre mondiale. Depuis, le pays a cepen­ graphique royale prussienne, entre C’est de ce travail, en cours, que tuite, collaborative et élégamment
dant avancé dans son travail de mémoire. En 2015, la ville de 1915 et 1918. Mais que faire d’une témoigne l’article publié par Entre­ mise en forme, qui se propose de
Lisbonne a ainsi inauguré un musée mettant en valeur la telle voix, un siècle plus tard ? Com­ Temps. Une sorte de carnet de « rendre visibles la diversité et l’in­
lutte contre la dictature dans une ancienne prison de la po­ ment lui faire reprendre vie en lui notes qui est aussi un carnet de ventivité des nouvelles formes
lice politique de Salazar. L’an prochain, un musée national redonnant du sens ? Ce sont les doutes, dans lequel Anne Kropot­ d’écriture de l’histoire en les repé­
de la Résistance et de la liberté ouvrira dans la forteresse de questions que pose Anne Kropot­ kine fait part du vertige dont elle rant, les valorisant et en les connec­
Peniche, au nord de la capitale.  kine dans un très bel article ac­ est saisie face à ce projet. Pendant tant entre elles ». 
sandrine morel (madrid, correspondance) cueilli par la revue numérique En­ son enquête, la documentariste a thomas wieder

32 | 0123
CULTURE | CHRONIQUE
pa r m i ch e l gu e r r i n
Jeff Koons,
son cadeau et le mécénat
L
a polémique Jeff Koons
est retombée comme un
soufflé depuis que son
Bouquet of Tulips, offert
aux Parisiens, qui semblaient peu
goûter le cadeau, comme une
partie du monde de l’art, est ins­
tallé dans un jardin du 8e arron­
dissement, entre les Champs­Ely­
sées et la Seine. La preuve que le
nœud de la discorde était le lieu
d’accueil, le financement aussi,
bien plus que l’œuvre elle­même.
Ce qui a fait hurler, c’était l’idée
de planter cette main géante
brandissant onze tulipes colorées
entre le Musée d’art moderne de
la Ville de Paris et le Palais de To­
kyo. Un site flamboyant. Et elle est
où, depuis le 4 octobre ? Dans une
sorte de no man’s land, où per­
sonne ne passe, hormis les voitu­
res qui filent en front de Seine. Un
lieu sans identité, habitation ni ri­
verain, où l’œuvre a pour seuls
compagnons des arbres et le cul
du musée du Petit Palais. L’écrin
glorieux est devenu exil.
Autre chose. A tort ou à raison,
les élites, politiques et culturelles,
sont accusées de confisquer le
pouvoir et d’imposer le beau.
Aussi la rue est devenue un rare
lieu de débat. Pour le meilleur et
le pire. On l’a vu avec les « gilets
jaunes », puis avec Emmanuel
Macron, qui a multiplié les inter­
ventions sous les préaux comme
un maire multiplie les réunions
de quartier. Et là, on a imposé
sans dialogue une œuvre de
60 tonnes culminant à 13 mètres.
Malaise
Il ne serait donc pas surprenant
que ce bouquet connaisse le sort
de la majorité des œuvres monu­
mentales installées dans l’espace
public : un objet décoratif susci­
tant plus le selfie que le débat.
Tout le contraire de ces œuvres
qui sont « désirées » et choisies
par les usagers d’un site – on
pense au remarquable pro­
gramme « Nouveaux commandi­
taires » de la Fondation de France.
Personne ne veut s’emparer du
bouquet, pas même ceux et celles
à qui l’artiste le destine : les victi­
mes des attentats de 2015 et de
2016. L’association Life for Paris,
qui réunit des survivants et pro­
ches de victimes, a dit son ma­
laise. Ce projet a coûté 4,5 millions
d’euros. Un million a été payé par
l’artiste. Les 3,5 autres viennent
de mécènes américains et fran­
çais, dont des collectionneurs de
Koons, comme Bernard Arnault,
le patron de LVMH.
Anne Hidalgo répète que ce
Koons ne coûte pas 1 euro aux Pa­
risiens. Et aux Français ? Nos mé­
cènes vont pouvoir défiscaliser
leur don à hauteur de 60 %, soit
un manque à gagner pour l’Etat
de 900 000 euros environ. Ce qui
a fait réagir Life for Paris sur le site
Les Jours : « Notre budget annuel
représente une infime partie du
coût de cette sculpture et nous
avons du mal à le boucler. Nous
sommes choqués de voir que
l’œuvre sera financée par des dons
défiscalisés et donc par le contri­
buable. » Cette association va
néanmoins bénéficier de 80 %
des droits générés par les pro­
duits dérivés du bouquet (cartes
postales, tee­shirts).
Cette affaire de sous arrive au
moment où la loi mécénat de
2003, dite Aillagon, du nom du mi­
nistre qui l’a portée, pourrait être
LA LOI MÉCÉNAT  voir le texte afin de distinguer la
DE 2003, 
DITE AILLAGON,  lions d’euros à Notre­Dame
POURRAIT  meurtrie. Ils ont précisé qu’ils ne
ÊTRE ROGNÉE
Tirage du Monde daté vendredi 11 octobre : 184 603 exemplaires
KURDES :
LA HONTE
ET LA GUERRE
LE « BOUQUET  ter [son] action militaire unilatérale ».
OF TULIPS » A COÛTÉ  des, le plus grand peuple de la planète à être
4,5 MILLIONS D’EUROS.  ton, pas la première fois qu’ils sont aban­
UN MILLION A ÉTÉ PAYÉ 
PAR L’ARTISTE. 
LES 3,5 AUTRES 
VIENNENT DE MÉCÈNES
rognée. Trop généreuse. Le gou­
vernement envisage de réduire de
60 % à 40 % le taux de défiscalisa­
tion pour les dons supérieurs à
2 millions d’euros (sauf pour ceux
allant aux plus démunis).
Depuis, c’est lobby contre lobby.
Attendons de voir ce que dira la loi
de finances de 2020. Corriger le tir
viserait moins à gagner des sous
qu’à mettre fin aux « dérives » du
système. Le gouvernement ne
donne pas de nom. Citons celui
dont tout le monde parle : la Fon­
dation Louis Vuitton, qui a ouvert
un bâtiment d’art spectaculaire
en 2014 dans le bois de Boulogne.
Un coût autour de 800 millions
d’euros, selon la Cour des comp­
tes, et près de 500 millions de dé­
fiscalisation. Beaucoup moins,
selon Bernard Arnault. Mais le
mal est fait. C’est une mauvaise
publicité pour le mécénat, au
point que certains citent l’es­
sayiste Paul Lafargue, il est vrai
gendre de Karl Marx, pour qui la
philanthropie consiste à « voler en
grand et restituer en petit ».
C’est à la fois injuste et pas faux.
Injuste, car Bernard Arnault n’a
volé personne, il a profité d’une
loi et mis beaucoup d’argent dans
un musée qui, pour ne prendre
qu’un seul exemple, a attiré
1,2 million de visiteurs en 2017
pour l’exposition de la collection
Chtchoukine. Et puis le bâtiment,
dessiné par l’architecte Frank Ge­
hry, sera la propriété de la Ville de
Paris dans cinquante ans.
D’un autre côté, la France des
musées a vu naître un établisse­
ment dont elle ne voulait pas, son
offre est déjà riche, surtout à Pa­
ris, ce qui accentue la fracture
avec les régions, elle n’a pas de
prise sur la programmation de
Louis Vuitton, elle pâtit même de
sa concurrence, et le site porte le
nom d’une marque – l’opération
n’est pas vraiment désintéressée.
Mais qui va vraiment souffrir si
on rogne la loi Aillagon ? Les gran­
des entreprises ou mécènes en
ont déjà profité en ouvrant des
bâtiments qui profitent aussi à
tous – on attend, en juin, celui de
François Pinault, qui n’entend pas
profiter de la loi mécénat – et il est
probable que ce mouvement est
derrière nous. En revanche, les
mécènes à plus de 2 millions
d’euros, qui apportent 60 % du
mécénat chaque année et répar­
tissent leur argent entre plusieurs
musées, festivals ou salles de con­
cert, risquent de réduire leur don
global. Ce serait inquiétant à un
moment où le mécénat ne va pas
bien, où les lieux culturels sont
incités à refuser les donateurs ju­
gés peu vertueux et où l’Etat cul­
turel réduit ses subventions.
Le problème est plus large.
L’image du mécénat a perdu en
éthique, trop associé à la fiscalité
et moins à l’intérêt général. La loi
Aillagon devait inciter les entre­
prises à donner aux autres. Pas à
donner à soi­même pour valori­
ser sa marque. Pourquoi ne pas re­
philanthropie de la niche fiscale ?
MM. Pinault et Arnault ont donné
respectivement 100 et 200 mil­
défiscaliseraient pas leurs dons.
Ils ont montré la voie. 
0123
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019
 
 
Donald Trump, après avoir donné impli­
citement son feu vert au président turc,
a hypocritement qualifié de « mauvaise
absurdité potentiellement lourde de consé­
quences. L’onde de choc provoquée par
ce nouvel accès d’isolationnisme améri­
idée » l’offensive contre la zone frontalière
contrôlée par les forces kurdes. Les cinq
membres européens du Conseil de sécurité
cain déstabilise une région déjà ravagée par
huit années de conflit. Fuyant les bombar­
dements turcs, des dizaines de milliers de
ont eu raison de la condamner, jeudi 10 oc­ civils vont se retrouver sur les routes, fai­
tobre, et de demander à « la Turquie d’arrê­ sant peser la menace d’une crise huma­
nitaire. Fragile, la victoire sur l’EI, acquise
Ce n’est pas la première fois que les Kur­ voici seulement quelques mois, pour­
rait être remise en cause. Les quelque
privé d’un Etat, sont lâchés par Washing­ 10 000 prisonniers – dont 400 à 500 Fran­
çais – ex­combattants terroristes gardés
donnés après avoir été utilisés. Les Occi­ par les combattants kurdes, pourraient
E n diplomatie, le cynisme peut
conduire non seulement à la trahi­
son, mais à la tragédie. La Turquie
de Recep Tayyip Erdogan, en bombardant le
nord­est de la Syrie et en y prenant position,
dentaux, qui n’ont jamais voulu affronter
directement le dictateur syrien Bachar Al­
Assad, bourreau de son peuple, ont été bien
aises de faire appel à eux lorsque, en 2013,
la guerre contre les islamistes a commencé
profiter du chaos provoqué par l’offensive
turque, pour disparaître dans la nature,
voire repartir à l’attaque.
En se retirant, Donald Trump laisse de fait
le champ libre à la Russie, trop heureuse de
depuis mercredi 9 octobre, n’agresse pas à dominer le multiforme conflit syrien. Ex­ renforcer son influence dans la région. L’in­
seulement un pays voisin, elle se lance à cluant d’envoyer une force d’interposition tervention turque, elle, en armant et utili­
l’assaut des Kurdes à qui les pays occiden­ au sol, constatant la capacité des miliciens sant des supplétifs syriens anti­Assad avi­
taux doivent d’être débarrassés de la me­ kurdes à tenir seuls le territoire libéré des des de revanche contre leurs rivaux kurdes,
nace de l’organisation Etat islamique (EI). islamistes, ils ont alors fermé les yeux sur relance la guerre et pourrait jeter ces der­
Les Etats­Unis de Donald Trump, pivots de la proximité des combattants des YPG avec niers dans le giron du régime syrien. La
l’alliance anti­EI, en ordonnant le retrait des les rebelles du Parti des travailleurs du Kur­ violence et le chaos ne peuvent qu’éloigner
forces spéciales américaines, livrent, de fait, distan (PKK), ennemi juré d’Ankara qualifié la seule perspective porteuse de paix : la né­
à l’armée turque les miliciens kurdes des de « terroriste » tant par l’Union euro­ gociation d’un statut d’autonomie pour les
YPG (Unités de protection du peuple) qui péenne que par Washington. Kurdes au sein de la Syrie. Le retrait améri­
ont joué un rôle décisif dans la lutte contre Mais le lâchage des alliés kurdes par cain, en permettant l’agression turque, est
les islamistes. Cet abandon est une for­ Donald Trump n’est pas seulement un l’une de ces honteuses lâchetés dont les
faiture aux lourdes conséquences, commise outrage, d’autant plus grave qu’il est com­ Européens savent qu’elles sont porteuses
de la pire manière : en s’en lavant les mains. mis par un membre de l’OTAN. C’est une de guerres futures. 
PASSIONNANT!
François Busnel, France 5,
La Grande Librairie
« L’excellent essai de
Pascal Bruckner ne se
contente pas d’explorer
les questions existentielles
soulevées par l’allongement
de la vie humaine, il insiste
constamment sur les
ambivalences de la situation. »
Roger-Pol Droit, Le Monde des Livres
« Ce livre est doux,
ce livre fait du bien. »
Nicolas Demorand, France Inter
« Une ode au désir,
à la passion de vivre. »
Claire Chartier, L’Express
« Un essai revigorant. »
Saïd Mahrane, Le Point
« Un formidable éloge
de la longévité. »
Gilles Pudlowski
« Brillant. »
Pierre Lescure, France 5, C à Vous
« Ce nouvel essai est
absolument passionnant. »
Isabelle Morizet, Europe 1
« Bruckner ne fait pas la morale
mais espère nous corriger.
Quand on refait sa vie,
c’est elle qui nous refait. »
Jean-Luc Marion, L’Obs
« Une belle méditation sur
les entrelacements du temps. »
Catherine Portevin, Philsophie Magazine
DANS TOUTES LES LISTES
DE MEILLEURES VENTES
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 M Le magazine du Monde n o 421. Supplément au Monde n o 23251/2000 C 81975
SAMEDI 12 OCTOBRE 2019. Ne peut être vendu séparément.
Disponible en France métropolitaine, Belgique et Luxembourg.

REN
LE CHEF DE GUERRE
À LA TÊTE DE HUAWEI

ZHENGFEI
 dans la maison atelier de l’artiste Louise bourgeois, à new york, en 2014.
françois halard, cour tesy the easton foundation

CARTE BLANCHE À François Halard.

au gré de ses voyages, Le photographe français
françois haLard révèLe La spLendeur d’intérieurs insoLites.
“M” Lui ouvre sa carte bLanche jusqu’au 21 déceMbre.

5
 Au programme L’entrep rise est un Lieu d’observation
passionnant. Rapports hiérarchiques, tics de langage,
habitudes vestimentaires et sentiments troubles… Les
journalistes Guillemette Faure, ici même dans M Le
magazine du Monde, et Nicolas Santolaria, dans le sup-
plément du Monde « L’Époque », sont passés maîtres
dans l’art d’en décortiquer les us et coutumes. Mais c’est
aussi, évidemment, un univers impitoyable où règnent
la pression, la souffrance et souvent une forme d’absur-
dité organisationnelle. Ce numéro en offre deux
exemples particulièrement intéressants, et pour tout
dire assez terrifiants. Il y a d’abord la firme chinoise de
télécommunications Huawei, menée par le mystérieux
et tout-puissant Ren Zhengfei. Dire que cette société
cultive le secret est un euphémisme, mais les journa-
listes Harold Thibault et Simon Leplâtre à Shanghaï ont
tout de même enquêté sur la vie du patron et celle de
son entreprise… Un groupe où, dit-on, « un ingénieur
fait le travail de deux mais gagne le salaire de trois » et
où règne « la culture du matelas » car les employés ont
coutume d’en avoir un sous la main pour dormir
quelques heures pendant les interminables journées de
travail, au sens premier du terme. Une entreprise où
l’on cultive « l’esprit du loup », car il convient de « s’y
6
battre comme des bêtes, d’attaquer en meute, de harceler
ses proies (…) ». Et où le patron a l’habitude de s’adresser
à ses salariés dans de très longues lettres aussi épiques
que dramatiques. Dans l’une d’elles, alors que des diffi-
cultés s’annoncent, il rappelle : « N’oubliez pas que le
Titanic a quitté le port dans l’allégresse.»
Dans une autre sphère, le journaliste Robin d’Angelo a
enquêté sur l’entreprise Marc Dorcel, le leader de la pro-
duction pornographique, qui célèbre ses 40 ans. Si
Dorcel – dont le fils Grégory a pris la suite pour toutes
les questions de business et de management – est l’in-
venteur du « porno chic », il n’a pas toujours fait régner
l’élégance dans les rapports de travail. Sur les tour-
nages, quand on crie « action », il est interdit d’avoir mal
au dos : on tourne coûte que coûte. Dans la vie, les
actrices Dorcel sont incitées par contrat à ne pas se
Chiffres dessinés par Helena Kadji
montrer avec un sac à dos et à ne pas s’afficher avec des
gens moches. Le tout fait assez froid dans le dos. Et il y
a fort à parier que Guillemette Faure ou Nicolas
Santolaria ne trouvent pas matière à sourire des us et
coutumes, entre machine à café et photocopieuses, de
ces deux boîtes-là…
Marie-Pierre LANNELONGUE
Le sommaire

la semaine le magazine

Copyright Peter Hujar Archive, LLC. The Morgan Librar y & Museum. Cour tesy Pace/MacGill Galler y,
20 Entre-soi 34 Débat de soirée 45 Ren Zhengfei, homme les rois du feel good movie.
Rires et cantons. Est-ce un bon plan d’appareils. Le patron de Leur nouveau film,

de devenir le patron
21 L’art sarcastique
des Républicains ?
de Jerry Gogosian.
36 À titre personnel
24 La mère de Camille Lepage
Élise Fiaux, médecin
toujours au combat.
à l’hôpital, à Rouen.
26 En Inde, bouffée
38 Il est comme ça
d’optimisme pour les
Monseigneur Michel
vendeurs de bidis.
Aupetit.
28 Catherine Vieu-Charier,
39 C’est peut-être
donneuse de noms.
un détail pour vous…
30 C’est là que ça se passe Au défilé Thom Browne.
La Préfecture de police
40 La première fois que
de Paris.
“Le Monde” a écrit
32 Face à face Banksy.
Les recyclés de luxe
44 La série
de la Macronie.
Marseille, la guerre
du trône, épisode 3.
Huawei dirige le géant
chinois de smartphones
d’une main de fer. La guerre
commerciale entre les
62
États-Unis et la Chine
freine ses ambitions.
52 La grande vague
des surfeurs du métro.
Ces casse-cou adorent
se balader sur les toits des
métros du monde entier.
Leur spot favori : la
68
portion Bir-Hakeim - Passy,
sur la ligne 6.
56 Les gentils. Depuis
“Intouchables”, en 2011, les
réalisateurs Éric Toledano et
Olivier Nakache sont
New York and Fraenkel Galler y, San Francisco. Chad Wys pour M Le magazine du Monde
“Hors normes”, aborde
le sujet de l’autisme. Sans
oublier de faire rire.
Les dessous pas si chics
de Dorcel. Montages
financiers, films au rabais,
actrices mal payées… Dans
l’empire des Dorcel père
et fils, rois autoproclamés
du « pornochic », tout
est loin d’être rose…
Un simple regard. Le
photographe Peter Hujar
a saisi en noir et blanc
le New York underground
des années 1970 et 1980. À
découvrir au Jeu de paume.

8
 le goût
79 Épique époque. 112 L’esprit du lieu 128 Traitement de saveur
À paris, David Zwirner Une idée légumineuse.
88 Michael Stipe,
veut épater la galerie.

Jo metson scott pour m le magazine du monde. Composition florale simone Gooch

photo sensible. 130 Le haut du panier
116 La ruée vers l’Uruguay. La nigelle.
92 Fétiche.
Objectif Lune. 120 Chemin faisant 132 C’est le bouquet
Séoul, le temps retrouvé. Sec plus ultra.
94 Variations
la couverture
Gardiens de nuit. 122 Carte sur table 134 Avis recommandés a été réalisée
Buffet de jardin. par Camille durand
95 Librement inspiré 136 Jeux / M Le magazine thurstan redding pour m le magazine du monde.
Grand train. 124 Le sens du détail du Monde,
138 Le goût de… d’après Hector
La noble tache
96 D’où ça sort ? Pascal Greggory. retamal/aFp.
de Xavier Dolan.
Les hôtels à chambre
unique. 125 Sur tous vos écrans
Stallone à la réalisation.
98 Réédition
Maillon fort. 126 Vu sur le Net
La petite évasion. Coordonées de la série « l’empire automate », p. 100.
100 L’empire automate. acne studios : acnestudios.com — ann demeulemeester : anndemeulemeester.com/ — Balenciaga : balenciaga.
com — Barrie : barrie.com — Brunello Cucinelli : brunellocucinelli.com — Brut : brut-clothing.com — Char vet :
127 Sans filtre char vet.com — Clara-Vintages : instagram.com/clara.vintages — dar y’s : dar ys-bijouterie-paris.fr — dries Van
110 À l’origine noten : driesvannoten.be — eric Bompard : eric-bompard.com — etro : etro.com — iro : iroparis.com — levi’s :
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Bagage culturel. margaret Howell : margarethow ell.fr — nodaleto : nodaleto.com — saint laurent : ysl.com — see by Chloé : chloe.
com — tant d’avenir : tantdavenir.com — tom Ford : tomford.com

10
 Palais Royal
142 Galerie de Valois, 75001 Paris

Saint-Honoré
324 Rue Saint-Honoré, 75001 Paris
 DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION_
Marie-Pierre LANNELONGUE

DIRECTEUR DE LA CRÉATION_
Jean-Baptiste TALBOURDET-NAPOLEONE

RÉDACTION EN CHEf ADJOINTE_

Grégoire BISEAU, Agnès GAUTHERON, Clément GHyS
DIRECTRICE DE LA MODE_
Suzanne kOLLER
RÉDACTRICE EN CHEf TECHNIqUE_Anne HAzARD

RÉDACTION Samuel BLUMENfELD, zineb DRyEf, Philippe RIDET, vanessa SCHNEIDER, Laurent TELO.
Style-mode_Chloé AEBERHARDT (chef adjointe Style), vicky CHAHINE
et Caroline ROUSSEAU (chefs adjointes Mode), fiona kHALIfA (coordinatrice Mode)
Chroniqueurs_Marc BEAUGÉ, Carine BIzET, Guillemette fAURE, Philippe RIDET
Assistantes_Christine DOREAU, Marie-france WILLAUME

DÉPARTEMENT vISUEL Photo_Lucy CONTICELLO et Laurence LAGRANGE (direction),

Hélène BÉNARD-CHIzARI, françoise DUTECH, federica ROSSI
Graphisme_Audrey RAvELLI (chef de studio) et Marielle vANDAMME (adjointe).
Avec Camille DURAND.
Photogravure_fadi fAyED, Philippe LAURE. Avec yaniv BENAÏM.

ÉDITION Stéphanie GRIN, Julien GUINTARD (chefs adjoints) et Paula RAvAUX (adjointe numérique).
Boris BASTIDE, Béatrice BOISSERIE, Nadir CHOUGAR, Agnès RASTOUIL.
Avec Geneviève CAUX, Anouk DELPORT, Sébastien JENvRIN et Joël MÉTREAU.
Révision_Jean-Luc fAvREAU (chef de section), Adélaïde DUCREUX-PICON.
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PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Louis DREyfUS

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Documentation : Sébastien CARGANICO (chef de service), Muriel GODEAU et vincent NOUvET / Infographie : Le Monde / Directeur de la diffusion et de la production : Hervé BONNAUD / fabrication : Xavier LOTH
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Origine du papier : Italie. Taux de fibres recyclées : 0%. Ce magazine est imprimé chez Maury certifié PEfC. Eutrophisation : PTot = 0.018kg/tonne de papier. Dépôt légal à parution. ISSN 0395-2037
Commission paritaire 0712C81975. Agrément CPPAP : 2000 C 81975. Distribution Presstalis. Routage france routage. Ce numéro comporte un encart “fAE” destiné aux abonnés france métropolitaine.

12
 1 – HaroLd tHibauLt est chef adjoint du
service international du Monde, et
ancien correspondant à Shanghaï. Il a
enquêté sur le groupe chinois Huawei
et son fondateur, Ren Zhengfei, un
homme discret dans un pays où tout
peut être jugé «sensible». «Même les
plus critiques à l’égard de Huawei
reconnaissent son avance technolo-
gique. Nous avons essayé de com-
prendre comment Ren Zhengfei s’est
hissé aussi haut, et comment cet ancien
de l’armée chinoise, après avoir navi-
gué à travers les tumultes politiques de
son pays, réussit à survivre dans la
guerre que lui livre l’administration
Trump.» P. 45
Ils ont participé à ce numéro.
Tim Franco. Benoît Barbier. Le Monde. Thomas von Wittich
1 2
2 – Simon LePLâtre est journaliste 3 – antoine FLandrin est journaliste 4 – tHomaS von WitticH, photographe
indépendant. Cette semaine, pour M, indépendant, et collabore régulière- allemand indépendant, s’intéresse au
il cosigne avec Harold Thibault l’en- ment au Monde. « Tous les jours, je phénomène du « subway surfing »
quête consacrée au patron de Huawei. prends la ligne 6 du métro parisien. J’ai depuis cinq ans. Après avoir suivi les
«Après avoir appris le mandarin en été frappé d’apprendre que trois jeunes Berlin kidz, groupe de tagueurs
France, j’ai eu la chance d’obtenir une s’étaient tués en faisant du “subway « subway surfeurs » berlinois, entre
bourse pour étudier à Taïwan, juste surfing” sur cette ligne depuis 2015. 2014 et 2017, il s’est installé à Paris,
après mon école de journalisme, puis Intrigué, j’ai voulu comprendre les où il a photographié les casse-cou
une première correspondance pour le motivations de ceux qui s’adonnent à du métro parisien, notamment sur
journal La Croix, à Pékin. Cinq ans et cette pratique, devenue un problème la ligne 6. P. 52
demi plus tard, j’ai troqué la poussière public en Russie et en Australie. Avec
pékinoise pour la pluie shanghaïenne et Thomas von Wittich, qui photographie
je travaille principalement pour les“subway surfeurs”à Paris et à Berlin
Le Monde, tout en continuant à colla- depuis cinq ans, je suis allé à la ren-
borer avec d’autres journaux et radios. contre de ces trompe-la-mort». P. 52
Impossible de s’ennuyer ici : les repor-
tages m’emmènent aux quatre coins de
ce pays-continent, qui change à une
vitesse étourdissante.» P. 45
3 4
5 – PAsCAle nivelle est journaliste
free-lance et ravie de l’être après une
longue carrière à Libération. Pour M,
cette semaine, elle a rencontré Éric
Toledano et Olivier Nakache, réalisa-
teurs auréolés du succès planétaire
d’Intouchables, en 2011. L’inséparable
duo, maître du feel good movie à la
française, récidive avec Hors normes,
comédie à thèse tournée avec des
autistes, des éducateurs de banlieue et
des stars. « On a mêlé toutes les
embrouilles de la société, expliquent-ils
tranquillement. Mais, rassurez-vous,
on continue à s’amuser.» P. 56
Ils ont participé à ce numéro.
5 6
14
6 – Tex bishoP est un photographe
franco-britannique qui partage son
temps entre Londres et Marseille.
Quel que soit le cadre – reportage,
nature morte ou portrait –, c’est tou-
jours une même approche sensible et
chaleureuse qui caractérise ses pho-
tos. Il travaille, entre autres, pour le
Financial Times, Wallpaper et The
Plant Magazine. Dans ce numéro
de M, il a réalisé les portraits des
cinéastes Olivier Nakache et Éric
Toledano. P. 56
7 8
7 – Robin d’Angelo, journaliste indé-
pendant, s’est immergé pendant un
an et demi dans l’univers du porno
amateur, s’improvisant caméraman
ou figurant. Il en a titré un livre, Judy,
Lola, Sofia et moi, paru aux éditions
Goutte d’Or en octobre 2018. Depuis,
il continue d’enquêter sur le monde
du porno, miroir de notre société et de
ses rapports de domination. Cette
semaine, il signe la saga de l’empire
Marc Dorcel, producteur de films X
français depuis quarante ans, qui a
survécu à toutes les révolutions du
secteur. P. 62
8 – ChAd Wys est un peintre, sculpteur
et «collagiste» transmédia américain
qui vit et travaille à Peoria, dans l’Illi-
nois. L’artiste du Midwest utilise diffé-
rents supports qu’il juxtapose l’un à
l’autre, et interroge la façon dont les
gens perçoivent et interprètent l’infor-
mation visuelle. Pour M, il a illustré
l’enquête de Robin d’Angelo sur Marc
Dorcel, en parsemant de pois les
images floutées, comme dans sa série
«Arrangement In Skintones». P. 62
Pascale Nivelle. Tex Bishop. Teresa Suárez. Chad Wys
 M U ST B E M O Ë T & C H A N D O N*
*M O Ë T & C H A N D O N G R A N D V I N TAG E, À L’ É V I D E N C E M O Ë T & C H A N D O N
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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

Le M de la semaine.
« deux barques en morbihan. » Roland degLAin

roland deglain

Pour envoyer vos photographies de M : www.lemonde.fr/lemdelasemaine

Pour nous écrire : mediateur@lemonde.fr ou M Le magazine du Monde, courrier des lecteurs,
80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13.

16
Mouvement automatique Maison, Boîte acier 40 mm baume-et-mercier.com
ENTRE-Soi rires et cantons.
à la rencontre du public de la bajon, humoriste très populaire parmi les “gilets jaunes”.
Ce dimanche, les fans de La Bajon
l’attendent à la salle Jacques-Prévert de
Villeparisis, en Seine-et-Marne.
Quelques jours plus tôt, ils étaient à
Saint-Ciers-sur-Gironde. Dans moins de
deux semaines, ce sera Thaon-les-
Vosges. Le public de l’humoriste
semble éparpillé dans une France des
villes connues en premier lieu par ceux
qui y vivent. Cinquante mille personnes
ont assisté à son spectacle au cours de
la dernière saison. Des gens venus voir
en vrai celle qu’ils suivent déjà en ligne,
car c’est sur YouTube et Facebook qu’a
émergé la comédienne au public
constitué selon elle de gens qui « vont
chercher sur Internet ce qu’ils ne trou-
vent pas dans les grands médias ».
Même s’il est arrivé que des « gilets
jaunes » viennent l’accueillir avec des
bouquets de mimosas (jaunes),
La Bajon ne veut pas être étiquetée
« humoriste des “gilets jaunes” ». Sa
popularité doit pourtant énormément
au partage au sein de leurs groupes
Facebook de son sketch Trésor public
(18 millions de vues), dans lequel une
boulangère se fait dépouiller par le fisc.
Elle l’avait mis en ligne en octobre 2018
et assure n’avoir rien vu venir. « J’avais
des indignations personnelles, mais je ne
savais pas qu’il y avait ce ras-le-bol.»
Les « gilets jaunes » s’y sont reconnus.
«Je m’étais habillée en jaune, pour repré-
senter l’or. Certains y ont vu un signal…»
Leurs signes distinctifs
Les admirateurs de La Bajon savent
qu’ils ne sont pas la France d’en haut,
se marrent quand elle leur annonce un
spectacle « proposé en partenariat avec
les magasins Lidl » ou lorsqu’elle pré-
tend que « c’était un rêve de petite fille
de venir jouer à Villeparisis ». Rarement
jeunes, ils se déplacent souvent en
grappes. C’est un inconditionnel qui
emmène sa famille, ses voisins ou ses
collègues de travail. À la sortie du spec-
tacle, quand ils viennent poser pour
une photo avec leur star, on les recon-
naît à leur façon de mimer une paire
de ciseaux, ce qui signifie « vous cou-
perez », gimmicks de ses vidéos et titre
de son one-woman-show. Car La Bajon
est supposée dire des choses qui pour-
raient choquer (lesquelles s’avèrent
plutôt des blagues graveleuses dignes
des « Grosses Têtes » de RTL, période
Philippe Bouvard).
Leur façon de parLer
« Des barres de rires sur des sujets qui
devraient nous faire pleurer », écrit un
fan sur Facebook. Au cours de la repré-
sentation, un spectateur pousse un
grand « oui, c’est ça ! » quand, interpré-
tant une chef d’entreprise, La Bajon
marche sur le corps d’un employé
avant d’annoncer un suicide au travail
(« J’ai une bonne nouvelle pour ceux qui
n’aimaient pas Gérard ») ou le départ
en préretraite de « Roger, 79 ans, le seul
qui a connu le CDI ». « Coluche, sors de
ce corps ! », lui répète-t-on sur les
réseaux sociaux. Parmi ses person-
nages, des flics un peu bourrins et
racistes (« Kikafaitunattentat, je vous
demande pas les origines. […] Bingo, il
était fiché S. Oui madame, on savait
qu’il était dangereux »), des services
publics abandonnés (« Buzyn qui
cherche à ne pas voir de médecin pour
décompresser pendant les vacances, je
lui ai conseillé d’aller aux urgences ») et
bien sûr des riches qui bouffent du
pauvre (« Macron va promettre aux
SDF de supprimer la taxe d’habita-
tion »). « Notre Coluchette », comme
elle est surnommée sur Facebook, est
supposée venger la France d’en bas :
« Lâchez rien et collez-leur z’en plein la
tronche », lui écrit un supporteur.
Toujours à la sortie du spectacle, au
moment de la photo souvenir, on lui
glisse : «C’est sympa d’être venue jusqu’à
nous!» Sur les réseaux sociaux aussi, on
la croit susceptible de se rendre dans
n’importe quelle ville moyenne. « Et
Texte Guillemette FAuRE
Saint-Quentin sur l’Aisne c’est pour
quand ? » « Il y a une belle salle pour
vous accueillir à Monswiller (67)»
Leurs poncifs
Tous pourris. Les 1 % s’en mettent plein
les poches. Brigitte Macron est vieille.
Les blagues de cul, c’est drôle. Les
médias nous enfument (« La dernière
semaine de congés payés, on l’a suppri-
mée pendant que vous regardiez la sai-
son 48 des “Anges de la télé-réalité”»).
Leurs questions existentieLLes
La Bajon est-elle censurée ? Avec le
« vous couperez ? », certains admira-
teurs ne demandent qu’à le croire. Lu
sur Facebook en multiples exemplaires :
« C’est normal que la dernière minute à
peu près du premier sketch sur Balkany
je n’ai plus de son… Ça n’a pas été censuré
quand même?» La Bajon a-t-elle le droit
de rire des « insoumis » ? « J’ai moins
aimé le passage sur Jean-Luc Mélenchon…
La France insoumise est assez harcelée»,
ose un internaute. Peut-être fait-il allu-
sion au sketch où les «insoumis», ayant
décidé que les gens assis à l’avant de
l’avion seraient désormais relégués à
l’arrière, envoient les pilotes s’asseoir à
la queue de l’appareil.
Leur graaL
Pouvoir dire qu’on la suit « depuis le
début », sous-entendu au moins depuis
son premier sketch sur l’avocate de
Penelope Fillon en 2017 (20 millions
de vues aujourd’hui). Se retrouver
parmi les spectateurs du premier rang
à qui elle jette des oranges prévues
pour sa visite à Balkany.
La faute de goût
Les fans qui, parce qu’elle interprète
l’avocate de Penelope Fillon ou celle
d’Emmanuel Macron, de Nicolas
Sarkozy ou encore de Patrick Balkany
lui demandent si elle est vraiment
avocate.

Inauguration de
l’édition 2018 de la Foire
internationale d’art
contemporain, au Grand
Palais, à Paris.
L’art sarcastique
de jerry gogosian.
À quelques jours de l’ouverture de la FIAC,
le 17 octobre, à Paris, un instagrameur
anonyme bouscule l’ambiance feutrée
du monde de l’art. Sous le pseudo de
Jerry Gogosian, il épingle les excès
comme les petites cruautés du milieu, pour
le plaisir de ses quelque 42 000 abonnés.
Nicolas Tavernier/Re a
Texte Roxana Azimi
La semaine
AvAnt l’ouverture de toute mAnifestAtion
internAtionAle, les habitués du monde de l’art (collectionneurs,
galeristes…) ont l’habitude de passer en revue Instagram, leur
réseau social favori, abreuvé d’œuvres à liker. Ils y repèrent les
stands à ne pas rater, les coqueluches du moment… ou la der-
nière bonne blague. Un compte, particulièrement, affole cette
petite communauté. Depuis neuf mois, un certain Jerry
Gogosian raille les mastodontes du marché, en particulier les
artistes multimillionnaires et les mégagaleries qui les représen-
tent. Sur un post de juillet, le distingué marchand David Zwirner
tient par l’épaule son cher artiste Jeff Koons, qu’il partage avec
Larry Gagosian, son plus grand concurrent. La légende est un
dialogue : « Que te donne Larry que je ne peux t’offrir ? »
Réponse : « Un jet, un yacht, un chalet à Vail, une villa à la
Barbade, des gens assez gogos pour surpayer du mauvais art,
des pyjamas en cachemire et des louanges éternelles. »
Les photos choisies sont parfois extraites de séries télévisées
comme Friends ou de vieilles revues très eighties, les textes
parfois rédigés à la va-vite. Qu’importe ! Le 30 septembre,
trois jours avant la foire Frieze, à Londres, il (ou elle, personne
ne sait…) a posté une photo d’une grande parade de
21

la garde royale britannique face à
Buckingham Palace. La légende : « L’équipe de
vente de Hauser & Wirth arrive à Londres
depuis leur spa bio et zoo pour enfants végans
du Somerset. » Ésotérique pour le commun des
mortels, cette publication a fait ricaner quelque
2 500 personnes, qui l’ont likée et copieuse-
ment commentée afin que chacun sache
qu’elles aussi ont de l’humour. Avec une délec-
tation d’autant plus grande que la cible, Hauser
& Wirth, est une puissante enseigne d’origine
suisse, plus souvent courtisée que raillée.
Dans un milieu amidonné, où musées,
marchands, collectionneurs et maisons
de vente aux enchères se tiennent par la bar-
bichette, Jerry Gogosian joue le fou du roi.
« On se renvoie ses posts et on est bien
content que quelqu’un brocarde le côté
pathétique et prétentieux de notre milieu »,
commente la galeriste new-yorkaise Valérie
Cueto. « Jerry Gogosian pointe avec finesse,
acuité et perspicacité les mécanismes des
galeries, et c’est hautement salutaire », jubile
Alexandre Devals, directeur de la Fondation
Venet, au Muy, en Provence. Et de résumer :
« Jerry Gogosian, c’est Palace de Jean-Michel
Ribes démultiplié par Loïc Prigent. C’est
plus que de la caricature, c’est du Balzac
en 140 signes ! » Le choix du pseudo est signi-
fiant : le prénom est celui d’un critique d’art
américain influent – Jerry Saltz – et le nom
twiste celui du plus requin des marchands
d’art – Larry Gagosian. Son audience, un peu
plus de 42 000 abonnés, est infime en com-
paraison des millions de followers d’artistes
tels que Banksy ou Kaws, mais l’impact est
déjà suffisant pour obliger le galeriste d’art
contemporain Emmanuel Perrotin à répondre
– gentiment – à l’un de ses posts. Son homo-
logue allemand David Zwirner, lui, coupe très
vite court sur le sujet : « Oui, on m’en a parlé,
mais je préfère le journalisme à la satire. »
Bien qu’il amuse la galerie, le Zébulon ne fait
Quelques-uns des photomontages
moqueurs diffusés sur
Instagram par Jerry Gogosian.
22
“J’ai travaillé gratos, j’ai été méprisé et torturé par des marchands
riches et snobs, je suis allé chercher des doubles cappuccinos
et des jus d’oranges pressées bio en même temps que je faisais
des catalogues pour les artistes”, confie Jerry Gogosian.
pas rire tout le monde. Quelques directeurs
de foire mal embouchés ou galeristes
épinglés auraient bien tenté de l’intimider, par
message privé. Ce à quoi Jerry a riposté illico
par des messages publics les menaçant de
révéler leur identité…
La plume anonyme, assurément, connaît trop
bien les travers du monde de l’art, ses grands
excès comme ses petites cruautés, pour
ne pas en faire partie. Contacté par courriel,
Jerry Gogosian se prétend du milieu, à cheval
entre les côtes ouest et est des États-Unis.
L’instagrameur mystère – l’anglais ne permet-
tant pas de déterminer le genre, assurément
mauvais ! – aime à se définir en « troll qui aime
le monde de l’art », « trop âgé pour Snapchat,
mais assez jeune pour Instagram », qui « veut
apporter terreur et délice à parts égales ».
Lorsqu’on s’enquiert de sa profession, il
répond tout à trac : « Galeriste et curateur,
auteur et artiste. » Jerry, selon ses dires, aurait
étudié l’art pendant sept ans et travaillerait
depuis dix-sept ans dans le milieu.
la semaine
« Deux chiffres malchanceux si l’on est supersti-
tieux », s’amuse-t-il, avant de détailler : « J’ai
été stagiaire, assistant de galerie, directeur
de galerie, stagiaire à nouveau, consultant,
curateur, j’ai eu un centre d’art autogéré dans
mon appartement et puis j’ai ouvert ma gale-
rie… J’ai travaillé gratos, j’ai été méprisé et
torturé par des marchands riches et snobs,
je suis allé chercher des doubles cappuccinos
et des jus d’oranges pressées bio en même
temps que je faisais des catalogues pour les
artistes, en étant critiqué car je n’allais pas
assez vite ! » L’assistant et stagiaire qu’il pré-
tend avoir été « n’était pas préparé à devenir
un martyr pour faire avancer la carrière d’ar-
tistes dans lesquels il ne croyait qu’à moitié ».
Aussi serait-il devenu galeriste. Mais, là encore,
il se serait laissé déborder par le « métier » :
répondre à une cinquantaine de mails au
réveil, distraire les clients, aller dans les soi-
rées, boire plus que de raison, dépenser
l’argent qu’il n’a pas, se mettre sans cesse en
danger. Jerry confie avoir longtemps cherché
une soupape pour traduire l’absurdité de son
quotidien. Ce sera Instagram, « un compte
commencé comme un petit hobby, juste pour
m’amuser », précise-t-il. Mais il s’est tellement
pris au jeu qu’il poste trois ou quatre images
par jour. Le succès lui a même donné des
ambitions, cathodiques cette fois, sur les-
quelles il refuse de s’étendre pour le moment.
Jerry n’est pas le seul instagra-
meur à s’en prendre aux turpitudes du monde
de l’art. D’autres comptes, bien moins popu-
laires, ont vu le jour ces dernières années,
à l’instar de @whatanartshole,
@artreviewpower100 ou du très venimeux
@itstimetostopnow. Ce dernier, qui a fait
de Klaus Biesenbach, directeur du Museum
of Contemporary Art de Los Angeles, sa tête
de Turc, a « balancé », en juin, sur Instagram
l’identité de Jerry. Il s’agirait de Hilde Lynn
Helphenstein, une ancienne galeriste califor-
nienne à la fibre très féministe. Plutôt que
de commenter le post, particulièrement
désobligeant – il y est traité de « millennial
mauvais instagrameur » –, Jerry riposte en
regrettant le peu d’humour du « geignard »
qui se cache derrière @itstimetostopnow.
Cour tesy Jerr y Gogosian
« Si jamais l’art me rendait aussi misérable
que ceux qui se cachent derrière ce compte,
j’arrêterais clairement la profession »,
conclut Jerry Gogosian, caustique, mais
pas cynique pour deux sous.
Avez-vous déjà
été le premier
quelque part ?
#SayYesToTheWorld*
*Dites oui au monde

Quatre minutes après
le sms, le téléphone sonne déjà.
Une heure plus tard, on est chez
elle. Quand il s’agit de sa fille
Camille, Maryvonne Lepage est
du genre zélé. Qu’importe que
l’on soit un samedi soir, qu’elle ait
un tas de linge à repasser et des
paquets de formalités en attente.
L’avant-première du film Camille,
de Boris Lojkine, est prévue trois
jours plus tard, le 1er octobre, au
multiplexe Pathé d’Angers (avant
une sortie en salle le 16 octobre).
Elle est un peu anxieuse, mais elle
assure. Le 13 mai 2014, déjà, elle
répondait aux médias. À 6 h 25
– elle s’en souvient précisé-
ment –, la cellule de crise du Quai
d’Orsay lui avait confirmé que le
corps retrouvé, la veille, en
Centrafrique dans un 4 × 4 par
des militaires français était bien
celui de Camille. Sa fille de 26 ans
avait été fauchée par une rafale
lors d’un accrochage entre les
anti-balaka qu’elle accompagnait
et des rebelles de la Séléka.
Dans la minute qui a suivi,
défendre la mémoire et le travail
La mère de CamiLLe Lepage toujours au Combat.
Cinq ans après l’assassinat de la photojournaliste Camille Lepage
en Centrafrique, sa mère continue à faire vivre les engagements
de sa fille dont le destin tragique est porté à l’écran.
Maryvonne Lepage,
à Angers, le
1 er octobre, jour
de l’avant-première
du film Camille, en
salle le 16 octobre.
de sa fille est devenu une obses-
sion, sa raison d’être. « J’ai joué le
jeu des médias. Ce n’est pas vrai-
ment moi qui parlais, c’était
Camille », dit-elle l’air songeur.
Dans sa maison à pans de bois du
xvie siècle, à deux pas du château
d’Angers, les images fixées par sa
fille en zone de guerre côtoient
celles des jours heureux. On y voit
Camille, encore lycéenne, et son
grand frère Adrien. Posée sur le
bord de son fauteuil en cuir, l’an-
cienne directrice des ressources
humaines, le visage émacié,
paraît fatiguée. Elle attrape une
cigarette – une de plus – et
raconte l’histoire qu’elle sert
au public depuis cinq ans, qu’il
s’agisse d’élèves de collèges et de
lycées, de photographes aguerris
à Perpignan ou du président de la
République François Hollande
lors d’une exposition au ministère
de la culture en 2016. Camille
avait étudié le photojournalisme
et ne voyait son avenir que dans
les zones de conflit. En 2011, elle
avait filé au Caire, impatiente
d’immortaliser le « printemps
arabe ». « Le Caire m’a fait très
peur, parce que c’était très violent
sur la place Tahrir, il y avait beau-
coup de viols », raconte
Maryvonne. Dans la foulée,
Camille veut partir au Soudan du
Sud, puis en République centra-
fricaine. « On a eu des discussions
toutes les deux et je lui ai dit :
“Camille, tu n’as pas d’engage-
ments, rien ne te retient. Si c’est
ça que tu veux, vas-y et je serai là
pour t’accompagner.” Son frère
était contre. C’était une preuve
d’amour, il avait peur pour sa
petite sœur. » Au téléphone,
Adrien confirme : « Ceux qui ont
côtoyé Camille sur le terrain
disent qu’elle n’était pas une tête
brûlée. A posteriori, ça me va,
je suis à l’aise avec cette idée. »
Il n’aime pas trop s’exprimer sur
sa mort mais, puisqu’il est ques-
tion d’évoquer l’engagement de
sa mère, c’est différent. « Elle
porte le truc complètement, elle a
tout pris sur elle. Je suis impres-
sionné qu’elle parvienne aussi
bien à parler en public. Je ne sais
pas d’où ça sort, c’est dingue ! »
la semaine
La flamme du briquet rougit une
autre cigarette. « Adrien me dit de
lâcher prise, parce que c’est fati-
gant, que je dépense beaucoup
d’énergie à faire des discours, à
répondre aux interviews, à me
rendre à l’étranger pour certains
événements. J’y vais parce que
j’estime que je dois le faire, mais
intérieurement ce sont des pleurs,
c’est douloureux. » Boris Lojkine,
réalisateur du film Camille, est
allé voir la famille quatre mois
seulement après l’assassinat. « Ce
que je trouve fort, ce sont les rela-
tions très intimes que Maryvonne
a nouées avec plein de jeunes
photographes. C’est sa manière
singulière de faire son deuil. »
« Faire son deuil », l’expression
hérisse Maryvonne. Elle ne croit
pas qu’elle y parviendra un jour.
De toute façon, ça ne s’arrête
jamais. Elle doit encore aller à
Reims, Strasbourg et Wigan
(Angleterre) pour des expositions.
Il y a l’association qu’elle a créée
avec le père de ses enfants, Guy,
et leur fils Adrien, le site Internet,
les deux livres de photos publiés
en cinq ans, les 40 000 photos
laissées par Camille, qu’il faut
trier, sélectionner et redimension-
ner pour les expositions. Sans
parler du festival Visa pour
l’image de Perpignan, qui
décerne, depuis 2015, le prix
Camille Lepage à de jeunes pho-
toreporters. « On reçoit les dos-
siers, il faut les analyser, réunir le
jury. C’est une façon de vivre pour
moi. Quelque part, Camille m’a
poussée à le faire. Elle me parlait,
je sentais qu’elle était là. Je
connais d’autres parents qui ont
perdu un enfant photojournaliste.
Eux ne font rien, c’est leur choix et
je le respecte complètement. » Le
reste de sa vie est en lambeaux,
elle le sait. « Le piano, depuis que
Camille est décédée, j’ai dû en
jouer trois fois. J’ai du mal. Lire
des romans, je les commence et
Josselyn Clair/PhotoPQR/Le Courrier de l’Ouest/ Ma xPPP
puis j’arrête. Le cinéma, j’y
retourne de temps en temps. Mais
je n’ai plus envie d’être joyeuse ou
gaie. Ou je me l’interdis. Camille
me dirait : “Vas-y, t’es ridicule. De
toute façon, ça ne changera rien.”
Je l’imagine très bien me dire ça.
Peut-être qu’avoir une vie plus
équilibrée serait une bonne
chose. Mais c’est comme ça. »
Texte Yves Tréca-DuranD

En IndE, boufféE d’optImIsmE
pour lEs vEndEurs dE bIdIs.
La récente interdiction de la cigarette
électronique ravit les marchands
de bidis, qui espèrent attirer des
consommateurs privés de vapotage.
Texte Guillaume Delacroix
HarisH sHaH est un homme heureux. Depuis son
bureau décrépit de Dadar East, quartier animé de Bombay, il a
appris, le 18 septembre, que le gouvernement de l’Inde venait
d’interdire le commerce des cigarettes électroniques. C’est,
d’après lui, « une très bonne nouvelle ». Non que cet entrepre-
neur, toujours actif à 75 ans, se soucie de santé publique.
« Je ne crois pas du tout les gens qui prétendent que fumer tue.
Les médecins et les ONG nous mentent », ose-t-il affirmer.
L’argumentaire de ce patron de PME, qui réalise un chiffre
d’affaires annuel de 12,5 millions de roupies par an (un peu
plus de 160 000 euros), laisse songeur : « Il y a encore une
centaine d’années, nos aïeux fumaient tous, mais ils n’attra-
paient pas le cancer pour autant. » D’ailleurs, le cancer est
« un germe parmi d’autres, présent dans le corps de tous les
humains ». C’est, dit-il, « nos modes de vie modernes » qui
déclenchent la maladie, rien d’autre.
Non, si M. Shah est heureux, c’est parce que son commerce
de bidis, en perte de vitesse ces dernières années, va peut-
être reprendre du poil de la bête. La jeune génération tournait
le dos au tabac, mais la voilà désormais privée de vapotage
dans les cours de collèges et de lycées, ce qui devrait l’amener
à revoir sa position, pense-t-il, « malgré les pubs du gouverne-
ment contre le tabagisme ». Et à privilégier la bidi.
Cette mini-cigarette est constituée de tabac haché roulé
dans une feuille de tendu, l’ébène de Coromandel, un arbre
indien. Elle a le bon goût de passer pour de l’eucalyptus au nez
des ignorants. Les bidis sont présentées comme « 100 % natu-
relles » par M. Shah. Un argument qui pourrait faire mouche,
dans un monde hanté par les risques que font courir produits
phytosanitaires et autres perturbateurs endocriniens, si la
dangerosité de la bidi n’était depuis longtemps avérée.
Ainsi que l’a rappelé l’an passé le Centre de recherche sur les
politiques publiques (CPPR) de Cochin, au Kerala, la bidi
contient « moins de tabac qu’une cigarette conventionnelle »,
mais son taux de nicotine est « significativement plus élevé ».
Et le risque auquel il expose le fumeur est bien supérieur,
car il est plus difficile de tirer sur une bidi sans filtre que sur une
cigarette. Le consommateur est obligé d’inspirer plus profon-
dément, faisant pénétrer la fumée plus loin dans ses poumons.
Harish Shah l’ignore sans doute, les maladies que provoque
26
la semaine
la bidi coûtent à la collectivité l’équivalent de 0,5 point de PIB. La fabrication
des bidis est
Mais l’entrepreneur peut dormir tranquille. Si la bidi est dans le une tâche
collimateur des autorités sanitaires, il est loin d’être menacé exclusivement
d’interdiction. D’abord parce que la pratique reste très popu- féminine (ici,
dans un atelier
laire : 81 % du tabac consommé en Inde l’est sous la forme d’emballage
de bidi. Chez les plus de 15 ans, on estime son nombre de Bombay).
d’aficionados réguliers à 72 millions d’individus.
Ensuite, parce qu’il aide des millions de familles à vivre.
La fabrication de la bidi est une tâche exclusivement féminine.
Selon les estimations, 12 millions d’Indiennes en confection-
nent. Que deviendraient-elles si la bidi venait à disparaître ?
Pendant que les hommes sont au travail, les femmes font la
cuisine, s’occupent des enfants et augmentent les revenus
du foyer en roulant, chez elles, les fines cigarettes qu’elles
nouent, une à une, avec un petit fil de coton bleu ou rose, selon
que celles-ci sont plus pimentées ou plus sucrées. Chaque
soir, au coucher du soleil, des nuées de saris convergent vers
de minuscules succursales ouvertes à même le trottoir, pour
y déposer la production du jour, assemblée en fagots.
Au pied des tours étincelantes de Prabhadevi, Ramesh Chatla
compte et recompte ses billets de banque. De mèche avec
Harish Shah, il collecte jusqu’à 200 000 bidis par jour, qu’il
achète 360 roupies (environ 4,70 euros) le millier. Les femmes,
qui en produisent chacune entre 700 et 1 000 par jour,
empochent leur petite monnaie et repartent avec du tabac et
des feuilles de tendu pour leur besogne du jour suivant.
Ramesh Chatla fait alors disposer les bidis en position verti-
cale sur des tamis qu’il glisse, tels des tiroirs, dans une armoire
de séchage pendant plusieurs heures. Le dispositif est ali-
menté par une braise de charbon dont les fumées déposent
leur suie sur les bidis, avant d’être expulsées par un ventilateur
moyen-âgeux. Il ne reste plus ensuite qu’à emballer la mar-
chandise pour l’expédier aux quatre coins du pays.
Harish Shah s’inscrit dans la tradition familiale avec ses frères,
ses fils et ses cousins. C’est son père qui a démarré l’activité
au tournant de l’indépendance de l’Inde, en 1947. Il a transmis
Guillaume Delacroix
à sa descendance l’art de choisir les meilleures feuilles de
tabac chez les paysans du Gujarat et du Karnataka. En la frot-
tant à l’oreille, entre deux doigts. Et en la fumant lui-même,
pour concevoir les savants mélanges censés ravir le client.

Les portraits à L’entrée du
bureau donnent le ton. Le résistant Jean
Moulin, la première vice-présidente de
l’Assemblée nationale Madeleine Braun,
la jeune Française juive déportée Hélène
Berr. C’est une plongée dans les mémoires
de la France avant même de pénétrer dans
l’immense pièce qu’occupe Catherine
Vieu-Charier au quatrième étage de
l’Hôtel de Ville de Paris. Elle nous attend
dans un large fauteuil qui fait face à une
imposante peinture, intitulée Allégorie de
la France. On y voit une femme, symbole
de la République, coupant du blé dans
les champs avec Paris et la tour Eiffel en
arrière-fond. « Ce tableau est assez emblé-
matique de ma délégation », poétise
l’adjointe à la mairie chargée de la
mémoire et du monde combattant.
Mais c’est une de ses fonctions annexes
à la Mairie de Paris qui vient tout juste
de mobiliser cette femme de 52 ans.
Depuis 2014 à la tête de la commission
de dénomination des rues de la capitale,
Catherine Vieu-Charier se retrouve char-
gée du dossier d’une future rue (ou place
ou autre) Jacques-Chirac. Le 2 octobre,
au dernier conseil de la ville, Anne
Hidalgo a assuré qu’un lieu à Paris porte-
rait le nom de celui qui fut le premier
maire de Paris après-guerre. « Pas
besoin de discuter, il y a un consensus
total », se satisfait Catherine Vieu-
Charier, pourtant élue du Parti commu-
niste. Alors que la capitale attend géné-
donneuse de noms. ralement quelques années avant
À la tête de la commission de d’honorer les disparus, l’ancien président
de la République fera exception. « Un
dénomination des rues de Paris, homme comme lui, est-il besoin d’ater-
l’adjointe à la mairie Catherine moyer ? poursuit l’adjointe au maire. Ça
s’impose ! De la même manière que l’on
Vieu-Charier vient d’hériter d’un n’a pas attendu pour célébrer Simone
nouveau dossier : trouver la future Veil. » Une première délibération de la
direction de l’urbanisme est prévue en
avenue ou place Jacques-Chirac. décembre.
Le cas Chirac est un peu à part.
Habituellement, le rôle de Catherine
Vieu-Charier est de veiller à ce que les
dénominations de rue fassent consensus.
« Pour une ville symbolique comme Paris,
il fallait donner un cadre à ces décisions. »
Sa commission, formée notamment de
tous les maires d’arrondissement, reçoit
donc des demandes d’élus ou d’associa-
tions et les examine. Et l’adjointe au maire
insiste pour que les dénominations soient
votées à l’unanimité. « Si un nom ne fait
Catherine Vieu- pas consensus, on le retire. Parfois, on le
Charier devant propose plus tard, quand les mentalités
Allégorie
de la France, ont évolué, sinon on abandonne. » Cela
de Georges Louis n’empêche pas quelques casse-tête
Poilleux Saint- logistiques. Pour chaque nom validé,
Ange, qui orne
son bureau à Texte Robin RICHARDOT la commission travaille avec la direction
l’Hôtel de Ville. Photo Iorgis MATYASSY de l’urbanisme pour étudier les espaces
28
la semaine
disponibles. Les lieux vierges sont rares
et la Mairie de Paris ne débaptise jamais
une rue pour ne pas perturber les habi-
tants. Elle ajoute simplement le nouveau
nom sur la plaque. C’est ainsi que la place
de l’Europe est devenue la « place de
l’Europe – Simone-Veil ».
Un choix de nom peut aussi s’accompa-
gner de querelles inattendues.
Notamment de la part de la famille du
défunt. « Certaines sont très honorées
et nous remercient, explique l’adjointe.
D’autres nous disent que la rue est trop
petite ou pas assez bien placée. » De la
part des maires, les réclamations sont
plus rares. « À ma connaissance, il n’y a
eu qu’un cas qui a posé problème : sœur
Emmanuelle. Tout le monde la voulait
dans son arrondissement ! » Catherine
Vieu-Charier a donc dû trancher parfois,
faire place au dialogue souvent.
Dès l’enfance, passée dans un petit vil-
lage de 250 habitants près de Dieppe,
elle est passionnée d’histoire. « Cela
a toujours été le fil rouge de ma vie »,
retrace-t-elle. Ses études la mènent à
passer le concours d’entrée à l’école nor-
male d’institutrice de Rouen, en 1977.
Un métier choisi par imitation de ses
deux parents et « par manque notable
d’imagination ». Parfois, je me dis que
j’aurais pu regarder ailleurs », concède-t-
elle. Entre-temps, elle s’engage au Parti
communiste, en 1973, après l’assassinat
de Salvador Allende, président du Chili.
C’est donc sous l’étiquette du PCF qu’elle
se retrouve, « un peu par hasard », élue
adjointe au maire d’arrondissement du
20e arrondissement en 1995. L’occasion
de réaliser son premier travail sur les
mémoires parisiennes.
Alors qu’elle est encore directrice d’école
dans son arrondissement, elle découvre
que 64 enfants de son établissement ont
été déportés pendant la guerre. Grâce aux
travaux de Serge Klarsfeld, et avec Henri
Malberg, son mari et président du groupe
communiste, la nouvelle adjointe entre-
prend de faire installer des plaques
commémoratives dans toutes les écoles
de Paris. « Ce travail a sans doute décidé
de ma nomination en 2008 à l’Hôtel de
Ville pour être adjointe à la mémoire »,
avance-t-elle. Mais Catherine Vieu-Charier
ne se représentera pas aux élections
de 2020. « Je vais pouvoir vivre et maîtriser
mon temps », souffle-t-elle. Pas sûr que
l’adjointe au maire ait le droit un jour à sa
propre rue. « Je ne vois pas pourquoi on
me donnerait une rue », fait-elle remar-
quer. Un petit moment de réflexion. « Un
banc peut-être, pour que les gens se repo-
sent. Ça se fait beaucoup aux États-Unis.
C’est joli, un banc. »
 DÉCOUVREZ PLUS:
BAIE D’HALONG
avec la compagnie aérienne qui desse
le plus grand nombre de pays au monde

VIETNAM

De sanglants précéDents
Ce n’est pas la première fois
que la Préfecture de police (PP)
est la cible d’attentats terroristes
au cours de son histoire récente.
le 9 juillet 1986, le « commando
loïc-lefevre » d’action directe
fait exploser une bombe dans les
locaux de la brigade de répres-
sion du banditisme (brb). bilan :
un policier tué et trente blessés.
le 15 septembre 1986, un nouvel
attentat à la bombe au service
des permis de conduire, revendi-
qué par le Comité de solidarité
avec les prisonniers politiques
arabes et du Proche-orient, fait
un mort et cinquante-six blessés.
30
un haut lieu De la sécurité
épicentre du pouvoir policier
situé sur l’île de la Cité, il s’agit
de l’un des endroits les plus
sécurisés de Paris et du pays,
avec le palais de l’élysée et l’hôtel
matignon. un « bunker » placé
directement sous l’autorité du
ministre de l’intérieur. quarante
mille policiers et agents évoluent
sous la responsabilité du préfet
de police, chargé du maintien
de l’ordre public à Paris et dans
sa proche banlieue. toutes les
opérations de sécurité d’enver-
gure sont coordonnées depuis
la Préfecture, qui abrite égale-
ment une partie de la direction
du renseignement, où mickaël
Harpon était affecté.
une institution en crise
avec le déménagement des ser-
vices de police judiciaire du 36,
quai des orfèvres vers le quartier
des batignolles, à proximité du
nouveau Palais de justice, la PP
traverse depuis 2017 une série
de crises internes. dernière en
date, le projet de suppression
de la brigade de recherche et
d’intervention (bri), le seul ser-
vice qui avait été autorisé à rester
au 36. une mesure défendue par
le nouveau préfet de police, didier
lallement, réputé pour sa fermeté
et nommé en mars dernier après
le saccage des Champs-élysées
en marge des manifestations des
« gilets jaunes ». dans une tribune
publiée cet été, sept ex-otages
de l’attentat du bataclan se
sont inquiétés de voir « liquider »
une bri qui a « sauvé leur vie »
en novembre 2015.
la semaine
C’est là que ça se passe
48° 51’ 15’’ N
02° 20’ 48’’ E
C’est dans l’enCeinte
de la PréfeCture de PoliCe
de Paris, l’un des lieux
les Plus séCurisés du Pays,
qu’un agent administratif
radiCalisé a tué au Couteau
quatre de ses Collègues,
le 3 oCtobre.
texte laurent telO
un passé entaché
C’est en 1800 que napoléon
créa ce redoutable lieu de pou-
voir, qu’il confia à son ministre
Joseph fouché. durant la
seconde guerre mondiale,
sous l’autorité de rené bousquet,
elle recense méthodiquement
les Parisiens juifs et organise des
rafles, dont celle du Vél’d’Hiv, les
16 et 17 juillet 1942. Plus récem-
ment, la Préfecture a défrayé la
chronique judiciaire en 2014 avec
le viol présumé, par quatre fonc-
tionnaires de police de la presti-
gieuse brigade antigang, d’une
Canadienne de 34 ans. deux de
ces policiers ont été condamnés
en janvier 2019 à sept ans de
Jacques demar ton/afP
prison ferme, une peine dont
ils ont fait appel.
Signé

Des bureaux aux hôpitaux…

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FaCe à FaCe Les recycLés de Luxe
de La macronie.
LES CoNSEILLERS SyLVAIN FoRT ET ISMAëL EMELIEN oNT
TouS LES DEux quITTÉ L’ÉLySÉE CETTE ANNÉE. LE PREMIER
A ÉTÉ CHoISI PAR FRANçoIS PINAuLT PouR GÉRER SA
CoLLECTIoN D’ART ; LE SECoND A ÉTÉ ENGAGÉ CoMME
CoNSuLTANT PAR LVMH, LE GRouPE DE BERNARD ARNAuLT.
Texte Cédric PieTralunga
32
Sylvain Fort
recruté par pinault
Parti de l’Élysée début 2019,
l’ex-conseiller d’Emmanuel
Macron, 47 ans, a été recruté
par François Pinault
pour « superviser et animer »
sa collection d’art, une fonc-
tion jusqu’ici exercée par
Jean-Jacques Aillagon. Il est
notamment chargé de mener
à bien le chantier de la Bourse
de commerce, à Paris, où une
partie des œuvres du milliar-
daire sera exposée en 2020.
affaires privées Recruté à
l’été 2016 pour s’occuper de
la communication du candi-
dat d’En marche !, Sylvain
Fort a fait toute sa carrière
dans le privé. Il a notamment
écrit les discours de Michel
Pébereau, le patron de BNP
Paribas, travaillé pour le cabi-
net DGM Conseil, mais aussi
monté sa propre agence de
communication. « J’ai toujours
su que la politique serait pour
moi une parenthèse »,
assure-t-il.
passionné d’opéra
Normalien, Sylvain Fort est
un spécialiste de l’art lyrique.
Il dirige une collection aux
éditions Premières Loges.
Il a traduit plusieurs pièces
de Friedrich Schiller. Il a aussi
écrit une autobiographie ima-
ginaire d’Herbert von
Karajan. « Je m’intéresse à
toutes les expressions artis-
tiques », explique-t-il pour jus-
tifier son arrivée chez Pinault.
traumatisé de la politique
Avant de rejoindre Macron,
Sylvain Fort n’avait jamais
vraiment goûté à la politique.
Tout juste avait-il participé à
des dîners organisés par l’ex-
patron de Vivendi Jean-René
Fourtou pour préparer la réé-
lection de Nicolas Sarkozy en
2012. « L’exercice du pouvoir
est une épreuve personnelle
(...) elle altère les personnali-
tés », confie Sylvain Fort dans
Parce que c’était lui, parce
que c’était moi (Grasset), un
livre d’entretiens, réalisés par
Marie-Laure Delorme.
la SEmainE
iSmaël EmEliEn
missionné par arnault
À son départ de l’Élysée, en
mars, Ismaël Emelien, 32 ans,
alors conseiller spécial
d’Emmanuel Macron, disait
vouloir continuer à défendre le
progressisme. Il a néanmoins
créé sa société de conseil,
baptisée unusual
(« Inhabituel »), et décroché
une mission pour LVMH. « Je
vais faire de l’accompagne-
ment stratégique, avec un
focus sur l’environnement »,
explique-t-il, assurant que
cela ne l’occupera que « deux
jours par mois ».
affaires publiques Diplômé
de Sciences Po Paris, Ismaël
Emelien s’est très tôt immergé
dans la politique. Il a notam-
ment fait partie de la bande
d’étudiants qui a préparé la
candidature de Dominique
Strauss-Kahn à la présiden-
tielle de 2007. Repéré par
Gilles Finchelstein, le patron
de la Fondation Jean-Jaurès, il
a rejoint ensuite Euro RSCG,
où il conseillera Pierre
Moscovici mais aussi le
Vénézuélien Nicolás Maduro.
passionné de jupiter
Déjà conseiller d’Emmanuel
Macron à Bercy, Ismaël
Emelien a accompagné l’as-
cension du futur chef de l’État.
Il fut le premier salarié d’En
marche ! et c’est lui qui a théo-
risé la présidence jupitérienne,
le clivage entre nationalistes et
progressistes, etc. un lien très
fort unit les deux hommes, au
point qu’Ismaël Emelien ten-
tera de disculper Alexandre
Benalla, ce qui lui vaudra d’être
interrogé par la police.
obsédé de la politique Malgré Bruno Klein/Divergence. Avenir Pictures/Abaca
son départ, Ismaël Emelien
continue de participer aux évé-
nements de LRM et de parler
au chef de l’État. « Notre rela-
tion n’a pas changé », assure-t-
il. Certains affirment qu’il est
même en train de monter une
équipe chargée de préparer la
campagne de 2022. une infor-
mation que l’intéressé refuse
de commenter.
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 la semaine

débat de soirée Est-cE un bon plan dE dEvEnir

lE patron dEs républicains?
Les adhérents du parti s’apprêtent à voter pour Leur nouveau chef – probabLement
christian Jacob – Les 12 et 13 octobre. La question intéresse peu Le pubLic.
Le poste, Lui, sembLe présenter queLque intérêt. ou pas. texte Vanessa schneider

Le coNtre-argUMeNt à tous ceux qui s’y collent :

de PreStige
dans un parti fracturé, « cheffer »
ne suffit pas pour s’imposer. Fini
l’époque bénie où aucune tête
n’existait hormis celle du patron.
aujourd’hui, il y a à Lr presque
autant de leaders que de militants.
allez demander à François Baroin,
christian estrosi (qui sont dedans
mais pas complètement ) ou
à Xavier Bertrand et Valérie
Pécresse (qui sont dehors mais
pas complètement) de s’aligner
derrière christian Jacob et de le
laisser faire ce qu’il veut ! illusion.
Le coNtre-argUMeNt
HiStoriQUe
tenir les rênes d’un parti puissant
pour gagner la présidentielle,
ça, c’était avant. L’élection
d’emmanuel Macron a fait explo-
ser la jurisprudence en vigueur. et,
depuis quelques années déjà, diri-
ger le principal mouvement de la
droite semble porter la scoumoune
Jean-François copé, élu contesté
en 2012, disparu depuis des écrans
radars ; Nicolas Sarkozy, qui s’est
fait salement battre à la primaire
pour 2017 ; Laurent Wauquiez,
contraint de démissionner avant
même d’approcher l’échéance
rêvée. Le patron de parti fait
désormais figure de chat noir.
Le coNtre-argUMeNt
cHiFFré
Si christian Jacob regarde une
autre donnée, en l’occurrence le
résultat de Lr aux dernières élec-
tions européennes, il n’a plus qu’à
retourner à la chasse, un de ses
passe-temps favoris. avec 8,48 %
des suffrages, le parti a enregistré
son score le plus bas depuis sa
création. Pour rappel, il avait obtenu
20,01% au premier tour de la
présidentielle de 2017 avec la piètre
candidature de François Fillon
et 20,81% lors des européennes
de 2014. La chute libre, donc.

L’argUMeNt de PreStige affidés, savoir-faire et réseau

Présider un parti, ce n’est pas rien :
un beau bureau, des collaborateurs
qui produisent des notes et vous
aident à élaborer une stratégie,
une voiture de fonction, une petite
somme de privilèges qui rendent
la vie d’élu plutôt agréable. Surtout,
c’est l’assurance d’avoir porte
ouverte dans les médias. c’est
vous que l’on invite pour les
émissions de radio, les interviews
dans la presse écrite, dans les
studios télé. Bref, un passeport
pour la notoriété. et christian
Jacob en manque un poil.
L’argUMeNt HiStoriQUe
diriger un parti politique a
longtemps été l’indispensable
prérequis pour arriver à la fonction
ultime. Jacques chirac serait-il
parvenu à l’élysée sans le rPr et
sa redoutable machine de guerre
électorale (militants, argent,
d’élus) ? Que nenni. François
Mitterrand a mis la main sur le
Parti socialiste avant de gagner
en 1981. Sans parler de Nicolas
Sarkozy et de François Hollande
qui ont respectivement présidé
aux destinées de l’UMP et du PS
avant d’être élus.
L’argUMeNt cHiFFré
Les républicains composent
toujours la principale opposition
parlementaire, avec 104 députés
et 144 sénateurs. il dispose aussi
de sept présidents de conseil
régional, d’une trentaine de prési-
dents de conseil départemental et
de nombreux maires de grandes
villes (Marseille, toulouse, Nice…)
comme de communes rurales. Ça
en fait des troupes ! Sans compter
les quelque 100 000 militants qui
ont voté pour la dernière élection
à la présidence du parti, en 2017.

34

à titre personnel Élise Fiaux, 36 ans, mÉdecin
au cHu cHarles-nicolle, à rouen.
Le 26 septembre à 2 h 40, un vioLent incendie s’est décLaré dans un dépôt de L’usine
chimique LubrizoL, cLassée seveso, à rouen. Le sinistre a dégagé un épais panache
de fumée noire et a provoqué une retombée de suie sur La région.
propos recueillis par Gilles triolier
J’étais de garde la nuit du 25 au
26 septembre. En tant que chef, on peut
dormir quelques heures. Mais mes collègues
n’ont pas eu besoin de me réveiller.
J’ai découvert la situation à mon réveil, vers
7 h 30, avec les messages de ma famille et
de mes amis qui me demandaient ce qu’il se
passait au CHU. Rien ! Il n’y avait pas d’entrées
particulières en lien avec l’incendie de Lubrizol.
C’est seulement en fin de journée que quelques
personnes, principalement des patients
asthmatiques, ont commencé à arriver et à se
plaindre de toux et de maux de tête. J’étais très
sereine. Ni panique ni crainte. Aucune gêne
respiratoire en rentrant chez moi, le matin, après
ma garde. La peur est montée peu à peu, jour
après jour, surtout par le biais de l’école, avec des
parents d’élèves extrêmement inquiets. Certains
ont quitté la ville, ont voulu s’éloigner le plus
possible. Dans mon service, c’était comme si de
rien n’était. Hors de l’hôpital, c’était la psychose.
À l’intérieur, une situation normale. D’ailleurs, on
n’en parlait pas vraiment. Peut-être parce qu’on
a l’habitude de gérer des situations de crise. On
sait aussi qu’en termes d’analyses il faut attendre,
rien ne sert de les exiger en une journée. Mais,
si la professionnelle ne s’est pas inquiétée, la
maman de trois enfants que je suis a commencé
à s’interroger. Le samedi suivant, des copains
de mon fils devaient venir fêter son anniversaire,
et trois ont annulé ! Je me suis demandé si je ne
faisais pas n’importe quoi, si je n’avais pas soumis
36
LA SEMAINE
mes enfants à une pollution horrible.
Pouvais-je encore allaiter ma petite dernière ?
Je suis infectiologue, mais je n’y connais pas
grand-chose en chimie. Le risque chimique, de
toute façon, est très mal connu. J’ai aussi été très
en colère face aux mails et aux posts alarmistes
de parents d’élèves, plus anxiogènes qu’autre
chose. Cette angoisse a rejailli sur mon fils de
6 ans, qui se demandait pourquoi des copains
ne venaient plus à l’école. Un jour, il en a pleuré…
Cela faisait vraiment trop « fin du monde » !
C’est cette odeur persistante qui a stressé tout
le monde. La communication a été paradoxale,
avec un préfet qui parlait d’absence de toxicité
aiguë et une ministre de la santé qui disait que
la ville était polluée. Je pense qu’il faut savoir
dire aux gens, comme à un patient, qu’on ne
sait pas, que les analyses sont malheureusement
complexes et inhabituelles. Or, au début, il y a
eu de la précipitation. Maintenant, il s’agit d’avoir
des réponses claires sur la pollution engendrée.
Je crois quand même que l’époque en est à
une défiance généralisée et excessive envers la
parole publique. Bref, je suis passée par diverses
émotions. Mais, depuis quelques
jours, je suis redescendue. On n’a
parlé que de ça pendant des jours, je
n’en pouvais plus.
 la semaine

il esT Comme ça Monseigneur Michel Aupetit.

Texte Philippe RideT
illustration damien CuyPeRs
Archevêque de PAris,
c’est un métier. Un jour il faut
enterrer Jacques Chirac en
saluant chacun des participants
aux obsèques, un autre célébrer
une messe en mémoire des vic-
times de l’attentat à la Préfecture
de police de Paris, un troisième
encourager sans en avoir l’air les
manifestants contre la PMA pour
toutes qui battent le pavé pari-
sien. Enfin, il doit encore supervi-
ser les travaux de réfection de la
toiture de la cathédrale Notre-
Dame, son port d’attache et sym-
bole, en plein cœur de la capitale,
de son pouvoir. « Alors, cette
charpente, mon Père, vous la vou-
lez comment ? » Et dire qu’il rêvait
d’un village, « d’un clocher aux
maisons sages » comme dans une
chanson de Charles Trenet. Mais
la vie lui a servi une chanson de
Jacques Brel : « t’as voulu voir
Vesoul », on a vu… Paris. Il lui suf-
firait, direz-vous, de passer la
Francilienne pour changer de
décor, mais à chaque fois il
semble qu’une force centripète
– le destin, peut-être – l’empêche
d’y parvenir. Dans une première
vie, ce natif de Versailles, en 1951,
a grandi à Chaville et à Viroflay, a
étudié la médecine à Paris, s’est
installé à Colombes, dans les
Hauts-de-Seine. Pourtant, il vou-
lait être médecin de campagne…
Quelque chose a cloché ? Aura-
t-il plus de chance dans une deu-
xième vie ? Voyons voir.
La quarantaine venue, il lâche la
médecine pour le séminaire.
« Dieu m’a fait signe sur le tard »,
dit-il. S’il accompagnait sa mère à
la messe (papa, cheminot, n’y allait
pas), il n’a été ni scout, ni enfant de
chœur, ni élève d’une institution
religieuse. S’il était footballeur
professionnel, on dirait qu’il a
échappé aux filières de détection
de la Fédé. À la lecture des Pères
de l’Église il préférait les aventures
de Popeye en BD dans Le Parisien
libéré. Un point gagnant, toutefois,
dans ce parcours atypique : il joue
de la guitare, ce qui peut être utile
pour égayer les veillées de prières
dans les paroisses. À 20 ans, il
achète sa première bible. À
44 ans, il est ordonné prêtre. Deux
décennies lui suffisent pour coiffer
la mitre : vicaire, aumônier, curé,
vicaire général, évêque auxiliaire,
évêque puis archevêque depuis sa
nomination, en décembre 2017,
par le pape François. Et toujours
Paris comme unique horizon.
Un médecin devenu curé ? Une
aubaine pour l’Église, qui peine à
susciter des vocations et manque
d’incarnation. De plus Mgr Michel
Aupetit se révèle un auteur de
punchlines efficaces dans une ins-
titution où Jésus, né il y a plus de
deux mille ans, continue de fournir
les éléments de langage. Qu’on en
juge : « Il faut lancer les start-up du
Bon Dieu », écrit-il dans la lettre du
diocèse du 92 pour conquérir de
nouveaux fidèles. « L’enfant n’est
pas un dû mais un don », lance-t-il
pour condamner la PMA dans
l’hebdomadaire catholique Famille
chrétienne. « Ce n’est pas parce
qu’une majorité pense quelque
chose que cette chose est juste »,
dit-il dans Le Monde pour
condamner l’euthanasie, dans
laquelle il voit la naissance d’une
« société du déchet ». Bien vu des
tradis, il séduit aussi les fidèles
attachés au message social de
l’Église. Il se veut conservateur
sans être dogmatique. C’est-à-dire
qu’il dialogue volontiers avec ses
adversaires sans que cela change
grand-chose à sa façon de penser.
Sa croisade contre la PMA ne fait
que commencer. Les travaux de
Notre-Dame aussi. Sinon, il aime-
rait bien finir curé de campagne.
Une manie !

38
 C’est peut-être
un détail pour vous... mais pas pour marc beaugé.

LA FASHIoN WEEK A DéFERLé SUR PARIS FIN SEPTEMBRE, LAISSANT

DANS SoN SILLAgE QUELQUES PHoToS HoMéRIQUES. CoMME CELLE-CI,
PRISE AU DéFILé THoM BRoWNE, à L’éCoLE DES BEAUx-ARTS DE PARIS.
LA PHoTo EN DIT PLUS QUE DE LoNgS DISCoURS.

1. matière grise.
Nous voilà donc en front
row du défilé du créateur
new-yorkais Thom Browne,
au milieu des puissants
de ce monde. Qui est qui?
De gauche à droite, on
reconnaît Andrew Bolton,
conservateur en chef du
département mode du MET,
Anna Wintour, l’illustre
rédactrice en chef du Vogue
US, la rappeuse Cardi B,
son styliste Kollin Carter
et, enfin, le mannequin Elsa
Hosk. Pourquoi trois d’entre
eux sont-ils habillés de gris?
Parce que le gris est la
couleur fétiche de Thom
Browne et qu’il n’y a pas
de mal à honorer le travail
d’un créateur quand on
assiste à son défilé. Sauf
Rex/Sipa
2. gOUtte d’ivresse.
Si Cardi B semble ici
esquisser le geste caracté-
ristique de celle qui
accepte un dernier verre,
« mais un petit », « pour la
route », ce n’est peut-être
pas tout à fait un hasard.
Sachez, en effet, que
la rappeuse originaire
du Bronx se fit longtemps
appeler Bacardí, comme
la marque de rhum, un clin
d’œil au prénom de sa
sœur, Hennessy, comme
la marque de cognac.
C’est pour ne pas s’attirer
d’ennuis avec le fameux
alcoolier qu’elle finit par
transformer son nom
de scène en Cardi B
au moment d’accéder
à la célébrité.
3. pépin assUmé.
Entre ses jambes, Andrew
Bolton a posé un parapluie.
Pas n’importe lequel :
l’iconique parapluie bleu
du Ritz. L’occasion de faire
un peu d’histoire et de
chauvinisme. Car le para-
pluie est une invention
française, datant de 1710,
qui eut du mal à s’imposer
à l’étranger. Ainsi, lorsque
Jonas Hanway, après un
voyage dans l’Hexagone,
fut le premier Anglais à se
balader dans les rues de
Londres avec un parapluie,
un cocher l’agressa au pré-
texte que cet objet dénotait
une francophilie excessive
et une fragilité de caractère
coupable. Visiblement,
cela, Andrew Bolton,
4. sOLeiL intérieUr.
Si Andrew Bolton se balade
avec un parapluie, Anna
Wintour porte, comme
à son habitude, des
lunettes de soleil. « Elles
m’aident quand je me sens
crevéeetsomnolente»,confia-
t-elle un jour à leur sujet,
démontant ainsi l’assertion
du célèbre humoriste
américain Larry David
selon laquelle « seuls
les abrutis et les aveugles
portent des lunettes
de soleil en intérieur ».
Les gens fatigués aussi,
cher Larry.
5. mise à sac.
C’est un gros sac que
Cardi B tient en main.
Un sac «docteur» Thom
Browne qui a suscité un
début de polémique après
que la rappeuse s’est vantée
sur Instagram de l’avoir
acheté pour 60000 dollars,
alors que la marque le pro-
pose à la vente en ligne pour
41000 dollars. Combien
vaut vraiment ce sac? Muni
d’une calculatrice et sachant
que, sur le marché actuel
des peaux exotiques, le cuir
de crocodile vaut 9 dollars
au centimètre carré,
vous pouvez vous lancer
dans le calcul. Attention,
il n’est pas exclu que vous
constatiez que la marge
de la marque est très

quand on est Anna Wintour, anglais de naissance, confortable. Mais c’est aussi
évidemment. l’assume complètement. cela, la Fashion Week.

Peindra-t-il un jour les acteurs
d’une salle des ventes en armée de singes ?
Le 3 octobre, lors d’enchères organisées par
Sotheby’s, Devolved Parliament, un tableau
de Banksy représentant la Chambre des com-
munes britannique peuplée de députés chim-
panzés, a été adjugé 9,9 millions de livres
(11,1 millions d’euros). Un record pour la star
du street art. Il a aussitôt précisé sur
Instagram que la toile ne lui appartenait plus
depuis 2011. L’occasion pour l’artiste de se
fendre d’une énième diatribe contre la mar-
chandisation de l’art.
Banksy ou l’art du paradoxe… Si le street art
a aujourd’hui sa place dans les galeries et les
musées, l’artiste y est pour beaucoup. C’est
par une simple dépêche Reuters que celui qui
est « connu sous le seul pseudonyme de
“Banksy” » est mentionné dans Le Monde, le
28 mars 2005. « Un artiste-peintre britannique
est parvenu à entrer dans quatre des plus
grands musées d’art de New York, le 13 mars,
avec ses propres toiles, pour les accrocher
aux murs des expositions, au milieu des
tableaux “légitimes” », apprend-on. « Une de
ces œuvres, une photo de boîte de soupe, est
restée exposée pendant plus de trois jours au
Museum of Modern Art de New York (MoMA),
avant d’être repérée et décrochée. »
Jusque-là connu des seuls initiés, l’artiste
anonyme devient rapidement populaire avec
ses pochoirs insolents disséminés sur les
murs, jusque sur la barrière de séparation iso-
lant les territoires palestiniens d’Israël. Mais
dans les colonnes du journal, il sera toujours
moins question de la teneur militante de ses
œuvres que de leur valeur marchande.
« Certains artistes sont aujourd’hui rattrapés
banksy
le 28 mars 2005, la première fois que “le monde” a écrit
40
par la spéculation. En avril, une toile du
Britannique Banksy a décroché le record de
288 000 livres sterling (323 000 euros) chez
Bonhams ! » s’étonne Roxana Azimi, le 28 mai
2007. Le premier portrait que Le Monde
consacre à Banksy, le 21 juin 2008, s’attarde
déjà sur l’envolée du cours de ses œuvres.
« En 2005, [elles] étaient estimées à 200 dol-
lars. Aujourd’hui, introduites sur le second
marché par Sotheby’s, leurs prix explosent,
constate Frédéric Joignot. Des amateurs for-
tunés veulent l’insolence de Banksy sur leurs
murs. Ainsi, la sérigraphie de l’émeutier au
bouquet de fleurs, achetée 150 livres en 2004,
s’est vendue 150 000 livres sterling.
Le Lénine sur roues, 48 000 livres sterling.
Les deux bobbies rivés à leurs jumelles,
96 000 livres sterling. Brad Pitt et Angelina
Jolie ont acquis plusieurs de ses toiles
200 000 dollars chacune (…). »
Que pense alors l’artiste à « l’humour anar-
chiste » de cette flambée des prix ? « Il a posté
sur son site un dessin représentant une vente
aux enchères, où on lit : “I can’t believe you
morons actually buy that shit” (“Je ne peux pas
croire que ces crétins achètent cette merde”).
Sa dérision n’a pas [empêché] sa cote de
grimper », s’amuse le journaliste, qui cite un
critique d’art du quotidien The Guardian : « Il y
a de l’esprit dans les œuvres de Banksy, de
l’intelligence et un immense sens du [battage
médiatique]. (…) Il me semble juste de l’aimer,
tant que vous ne croyez pas qu’il s’agit d’art.
(…) Si les collectionneurs le croient, eh bien,
moquons-nous d’eux.(…) » Frédéric Joignot
rappelle qu’une affiche signée Banksy montre
« une bande de punks [en train de faire] la
queue pour aller acheter un tee-shirt “Destroy
la semaine
the capitalism” ». Comme une mise en abyme
de son propre succès.
Banksy peut bien se moquer, les spécialistes
savent qu’il fut le principal artisan de cette fré-
nésie. La galeriste parisienne Magda Danysz
explique ainsi au journaliste Harry Bellet, le
11 décembre 2010 : « Il a compris qu’il trouve-
rait une reconnaissance par le marché et les
salles de vente. Il a été un des premiers à faire
savoir qu’il était acheté, par qui et combien. »
L’intéressé semble se justifier auprès du jour-
naliste, l’un des rares à avoir obtenu une inter-
view de l’insaisissable Banksy… par e-mail :
« J’ai toujours vendu quelques tableaux pour
survivre. Le street art n’est pas comme les
autres mouvements artistiques : il n’y a pas de
subventions gouvernementales et vos parents
ne vous donnent pas d’argent pour l’étudier. »
Dans le même article, JR, autre street artiste
très commercial, a cette superbe formule :
« Il mange la soupe dans laquelle il crache ! »
Le summum sera atteint le 5 octobre 2018 :
une version censément originale de son ico-
nique Girl with Balloon s’autodétruit à l’instant
même où elle est cédée aux enchères pour
1,2 million d’euros. « Quelques heures plus
tard, Banksy lui-même revendiquait le sabo-
tage avec une photo accompagnée d’un com-
mentaire ironique : “Going, going, gone”,
l’équivalent anglais d’“adjugé, vendu” »,
raconte Emmanuelle Jardonnet le 10 octobre
2018 dans Le Monde. Et de parier, citant un
spécialiste, que « l’œuvre cisaillée pouvait
avoir pris “plus de valeur” après cet épisode
inédit ». Bankable Banksy n’a pas fini de
s’amuser.
texte agnès Gautheron
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À LA MAIRIE DES 13e Et 14e ARRoNDISSEMENtS.
Assise derrière son petit bureau du
centre de santé de l’Assurance-maladie du
quartier de la Rose (14e), la docteure Michèle
Rubirola a l’air épuisé. Blouse blanche, traits
tirés sous son impeccable carré auburn, sourire
las, la conseillère départementale Europe
Écologie-Les Verts (EELV), d’ordinaire si
énergique, s’occupe en triant les feuilles de
soins qui jonchent sa table de travail. Et rumine,
agacée, les événements du week-end.
Ce samedi 5 octobre, quand elle arrive, flan-
quée de son mari et de ses quelques soutiens,
dans le hall cosy du Novotel Prado, à cinq
minutes du Stade-Vélodrome, l’élue sait déjà
qu’elle ne gagnera pas. La promesse d’une
candidature unique qui réunirait la gauche
marseillaise, du PS à La France insoumise en
passant par les écologistes vit ses dernières
minutes. L’assemblée générale d’EELV va
rejeter sa motion, prônant l’intégration du
Mouvement sans précédent, ce « rassemble-
ment inédit » qui tente de mixer politiques et
collectifs citoyens. Depuis le début de l’été, le
vent a tourné. Sur les huit référents locaux
d’Europe Écologie-Les Verts, sept défendent
désormais l’idée d’un cavalier seul sous
bannière écolo. La faute, sûrement, à Yannick
Jadot, qui a raflé ici 29 120 voix (13,69 %) le
26 mai aux élections européennes et donné
soudain l’impression qu’EELV pesait dans
le paysage local. La faute, peut-être aussi, à
quelques ambitions personnelles.
Deux jours plus tôt, dans une tribune publiée
par le journal La Marseillaise, l’assemblée
générale des écolos a été pompeusement
qualifiée de « vote du siècle ». Sur place, avec
44
ÉPISODE
cOuP DE Sang POur la DOctEurE.
Texte Gilles ROF
sa soixantaine de participants, la réunion res-
semble plutôt à une cousinade. Des enfants
s’amusent sur la moquette imitation marbre.
Des anciens papotent, calés dans les fauteuils
du couloir, en attendant les votes. Les listes
d’émargement révèlent aussi qu’un bon quart
des personnes présentes a des liens de
parenté avec les candidats du jour. Fils et
filles, compagnes et maris, gendres… À EELV
Marseille, l’écologie et les décisions straté-
giques se vivent, visiblement, en famille. Le
« vote du siècle » se résume finalement, pro-
curations comprises, à 73 bulletins. Dont un
nul. La docteure Rubirola n’attend pas les
autres résultats pour quitter la fête de famille.
« Dégoûtée », elle ne se retourne qu’une seule
fois. À mi-escalier, sac sur l’épaule, elle ras-
sure Michèle Poncet-Ramade, une ancienne
conseillère municipale, qui l’interroge du
regard : « Je ne démissionne pas ! »
Comme prévu, la motion portée par Sébastien
Barles, attaché parlementaire de la députée
européenne Michèle Rivasi, triomphe avec
80,8 % des votants : 59 personnes ont donc
tranché la stratégie du mouvement écologiste
dans la deuxième ville de France.
Immédiatement, les réseaux sociaux s’enflam-
ment. Féroces, ils rebaptisent EELV Marseille
« Égologie Les Verts ». Et accusent Sébastien
Barles, 46 ans, désigné dans la foulée tête
de liste pour l’ensemble de la ville, d’être
« un traître à la gauche » et de livrer Marseille
à Martine Vassal, la favorite chez
Les Républicains. Malgré des années de mili-
tantisme commun avec celui qu’elle appelle
encore son « ami Sébastien », Michèle
Rubirola n’est pas loin de penser la même
chose. « Comment peut-on croire qu’en par-
tant seuls les Verts initient une stratégie pour
gagner ? bouillonne-t-elle dans son bureau.
Que certains, chez nous, n’aient pas envie de
s’allier avec La France insoumise ou le Parti
communiste, je le comprends… Mais il faut
la semaine
tenir compte de la situation marseillaise. Dans
une ville tenue depuis vingt-cinq ans par
Jean-Claude Gaudin [LR], où le RN fait 25 %,
si nous partons désunis, nous ne pourrons
jamais nous maintenir au second tour. »
À 63 ans, Michèle Rubirola, elle, est fière
d’être « une verte de gauche ». Sa vie de mili-
tante écolo a commencé sur le plateau du
Larzac, puis sous les réacteurs nucléaires de
Creys-Malville. À sa majorité, elle s’est
affranchie de son père, Joseph, membre fon-
dateur du Parti communiste marxiste-
léniniste de France, en rejoignant les rangs
trotskistes. « J’ai changé depuis. Je sais qu’il y
a des patrons très respectables », sourit-elle.
Si EELV Marseille entend « faire de l’urgence
écologique le cœur de son projet municipal »,
la docteure Rubirola assure la toucher du doigt
quotidiennement. « Moi, je ne suis pas hors
sol », grince-t-elle. À la Rose, au cœur des
quartiers nord, elle mesure, consultation après
consultation, l’impact de politiques publiques
déficientes sur ses patients. La pollution
atmosphérique, amplifiée par les bateaux de
croisière, et son flot de bronchites chroniques
et de crises d’asthme. La malbouffe, avec les
diabètes qui touchent désormais les adoles-
cents des classes sociales appauvries. « Ces
thématiques, on peut les porter au sein du col-
lectif », assure-t-elle, pointant l’ébauche d’un
programme électoral qui traîne sur son
bureau. Au lendemain du scrutin, sa colère
persiste, à peine estompée par les messages
de soutien qui agitent son téléphone. « Ce
chiffre de votants est grotesque », rage-t-elle.
Sur les réseaux sociaux, certains commen-
taires l’imaginent tête de liste du Mouvement
sans précédent, pour mieux couper l’herbe
écolo sous le pied des « traîtres verts ».
Michèle Rubirola ne trouve pas l’idée idiote.
Mais elle attend de voir. À Marseille, unions et
désunions ne font que commencer.
(À suivre…)
 LE MAGAZINE

Ren Zhengfei,
interviewé
par Bloomberg
Television
au siège
de Huawei,
à Shenzhen,
en Chine,
le 24 mai.

Ren Zhengfei, homme d’appareils.

Qilai Shen/Bloomberg via Getty Images

Discrétion, travail et succès. À 74 ans, ren Zhengfei est une parfaite incarnation Des ambitions
chinoises. cet ancien ingénieur De l’armée populaire De libération règne sur huawei, le Deuxième
fabricant monDial De smartphones. un géant Des télécommunications qu’il a construit De ses
mains, À la Dure. et qu’il Dirige De la même manière. une philosophie martiale appliquée aussi Dans
la guerre commerciale que lui livrent aujourD’hui les états-unis. De quoi inquiéter ceux qui le
pensent À la solDe De l’état chinois. Texte Harold THibaulT et Simon leplâTre
 Meng Wanzhou, directrice financière
de Huawei et fille aînée de Ren Zhengfei,
le 6 mars, à Vancouver, au Canada, trois mois
après son arrestation à la suite d’une
demande d’extradition des États-Unis.

46
 l e m ag a zine
Sur leS photoS, le Septuagénaire poSe en
chemiSe bleu ciel, le cheveu encore dru et noir
– sans doute teint, comme le font les dirigeants du Parti
communiste chinois pour ne pas laisser paraître le
poids des années. Ren Zhengfei a une main sur l’épaule
de sa fille Annabel Yao, en robe de dentelle blanche. Sa
seconde épouse, la mère de la jeune fille, se tient
debout, légèrement en retrait. Publiés dans Paris Match
fin 2018, ces clichés ont été pris alors que la jeune étu-
diante en informatique à Harvard s’apprêtait à partici-
per au Bal des débutantes, à Paris, l’événement people
des jeunes bien nés. Pour l’occasion, le patron de
Huawei, le leader mondial des équipements de télé-
communications et numéro deux des smartphones,
“Une fois que nous aurons survécu
au point le plus critique de notre histoire,
une nouvelle armée émergera. Pour
quoi faire ? Dominer le monde”, écrivait
Ren Zhengfei à ses employés dans
un mémo interne en août dernier.
avait accepté d’ouvrir à un photographe les portes de
l’immense propriété de style français, aux sols de
marbre, où il vit, à Shenzhen.
Une mise en lumière qui n’a rien d’anodin dans la Chine
de Xi Jinping, où nombre d’officiels et de patrons ont
été arrêtés pour corruption. Autant dire que l’heure
n’est pas à l’affichage de sa richesse, qui plus est pour
Jimmy Jeong/Bloomberg via Getty Images
Ren Zhengfei, habitué à faire plus simple – il a déjà été
pris en photo montant dans un simple taxi ou dans le
bus menant à l’embarquement sur des vols commer-
ciaux, ce qui a fait sensation sur le Web chinois. Après
des années à ne pas parler du tout aux médias étrangers
et extrêmement rarement à la presse chinoise, il se
résout depuis un an à répondre aux questions du
Financial Times, à celles du Wall Street Journal, des
agences, du New York Times ou encore de The Economist
et de la BBC. L’opération de com’ est plutôt réussie : début juillet, Le Point
optait pour une couverture élogieuse : « Cet homme va changer l’Histoire ».
(Huawei n’a pas donné suite à notre demande d’entretien avec M. Ren
déposée au début du printemps pour cet article.)
Si Ren sort de l’ombre, c’est que la période est cruciale. Cible de l’administra-
tion Trump, Huawei est à un « moment de vie ou de mort », comme Ren l’a
écrit à ses employés. Depuis un an, la firme se retrouve au cœur d’une guerre
commerciale, décrétée par Donald Trump, entre les deux premières puis-
sances de la planète, les États-Unis et la Chine. Depuis un an, diplomates et
agents du renseignement américains font le tour de leurs alliés : ils leur enjoi-
gnent de bannir le groupe dans leur déploiement de la 5G, la nouvelle géné-
ration de réseaux mobiles, soulignant le risque d’une technologie chinoise
pour la sécurité actuelle des échanges et l’exposition en cas de conflit ouvert.
En application des nouvelles restrictions américaines, Google a cessé, en mai,
de vendre à Huawei ce qu’il y a de plus précieux en matière
de téléphonie mobile : le système d’exploitation – ici,
Android –, et tout l’écosystème d’applications qui va avec.
C’est un rideau de fer technologique qui s’abaisse, en repré-
sailles à une Chine qui contrôle strictement les investisse-
ments étrangers et censure sans vergogne.
La crise a pris un tour personnel pour Ren en
décembre 2018. Sa fille aînée, Meng Wanzhou, 47 ans, est
arrêtée à Vancouver, après une demande d’extradition de
Washington. La directrice financière de Huawei est accu-
sée d’avoir eu recours à des sociétés écrans pour dissimu-
ler des ventes à l’Iran, contrevenant aux sanctions améri-
caines. Wanzhou a rejoint Huawei à 21 ans comme hôtesse
d’accueil, avant de gravir les échelons jusqu’à être un
temps considérée comme la dauphine de son père. Il
semble que ce ne soit plus le cas, Ren Zhengfei ayant opté,
bien avant l’arrestation de Wanzhou, pour un système de
direction collégiale.
« Nous sommes proches, mais pas si proches, confiait-il dans
une interview au Financial Times publiée en janvier 2019.
La raison, c’est que, quand elle était jeune, j’ai rejoint l’ar-
mée. Onze mois par an, je ne pouvais pas être avec mes
enfants. (…) Puis il y a eu Huawei. Je devais me battre pour
la survie de l’entreprise. Je passais seize heures par jour au
bureau, et je n’avais en fait pas un moment pour ma famille.
Donc je n’étais proche d’aucun de mes trois enfants. Surtout,
la plus jeune [Annabel Yao]. Tout ce que je peux dire, en tant
que père, c’est que je leur dois quelque chose.» Une confi-
dence presque incongrue dans la bouche d’un homme qui
n’a pas, c’est peu dire, la réputation d’être un sentimental.
Il y a une vingtaine d’années, un vice-président de Huawei,
Li Yuzhuo, décide de démissionner pour retrouver sa
femme, qui ne se plaît pas dans le Sud-Est industriel
chinois. Il l’annonce à son patron qui répond, interloqué :
« Qu’est-ce que tu fais avec une femme comme ça ? » Pour Ren, entre la
famille et l’entreprise, il n’y avait pas à hésiter.
L’ancien de l’Armée populaire de libération a transmis aux 188 000 salariés
du groupe à travers le monde sa philosophie martiale. En juin, M. Ren fait
passer à ses troupes la photo d’un avion de combat soviétique planant
difficilement après avoir subi une attaque. Il l’assortit d’une de ces méta-
phores de motivation dont il s’est fait une spécialité : « On ne naît pas héros,
on le devient. Durant la seconde guerre mondiale, le célèbre IL-2 continua à
voler, criblé de balles antiaériennes et de tirs de mitrailleuses d’autres avions.
Aussi endommagé qu’il fut, il parvint à rejoindre sa base. » L’image a très
certainement été empruntée à un jeu vidéo, se sont permis de faire remar-
quer des internautes.
Dans un mémo interne rédigé en août, Ren exigeait de ses employés qu’ils
forment des «escouades de commandos» pour dégager des solutions face au
blocus américain. Ceux qui se révéleraient inutiles verraient leur salaire réduit
tous les trois mois et pourraient même y laisser leur emploi. « Si vous
 ne pouvez pas faire le job, alors faites place pour le passage de nos rouler dans la farine, perd deux millions de yuans et est
chars », peut-on lire dans la note. Ou encore : « Une fois que nous aurons mis à la porte. Sur le carreau, et alors que son mariage
survécu au point le plus critique de notre histoire, une nouvelle armée émer- vacille, il se rabat sur sa connaissance des réseaux de
gera. Pour quoi faire ? Dominer le monde.» Étrange discours de la part d’un télécommunication et lance une petite affaire : il achète
homme qui tente actuellement de convaincre le monde entier du caractère des tableaux de distribution téléphoniques (switch-
bénin de ses liens passés avec l’armée chinoise. boards) côté hongkongais pour les revendre en Chine
Âgé de 74 ans, Ren Zhengfei fait partie de la toute première génération de continentale. Il les étudie, commence à en faire produire
milliardaires de la République populaire issue d’une Chine pauvre et prise à son tour, et enregistre, en 1987, une entreprise. Les
dans la folie du maoïsme. Il naît dans un village de la province rurale du deux caractères qui forment son nom ont plusieurs
Guizhou. Ses parents sont tous les deux enseignants. Il se rend à l’école pri- sens : « hua » signifie à la fois « splendide » et « Chine »,
maire dans une école d’un village montagneux. Les conditions sont âpres : tandis que «wei » peut aussi bien se traduire par « réus-
les moustiques dans la chaleur de l’été, le vent qui traverse les planches l’hi- site » ou « accomplissement». De sorte que le nom com-
ver. De cette époque, il se souvient de ses habits troués, même s’il a toujours plet « Huawei » est lui-même ambivalent, signifiant à la
pris soin de préciser que sa famille pouvait se procurer du sel, signe qu’elle fois « splendides accomplissements » et « réussite
n’était pas la plus à plaindre. chinoise ». Il ne savait sans doute pas à quel point l’en-
À la fin des années 1950, Mao Zedong ambitionne de rattraper l’industrie treprise allait se révéler conforme à son nom.
britannique en une décennie. L’agriculture est victime d’une
négligence coupable. Bientôt, la famine ronge la Chine des
campagnes. «Dans la bataille contre la faim, la mère de Ren
Zhengfei emmenait les enfants chercher des baies rouges dans
la montagne. Ils retournaient aussi un lopin de terre rocailleux
et plantaient des courges pour survivre», lit-on dans une des
biographies officielles (Ren Zhengfei and Huawei.A Business
and Life Biography, de Li Hongwen, LID, 2017, non traduit).
Malgré l’adversité, il s’accroche à ses études et est admis en
1962 à l’Institut d’architecture et d’ingénierie de Chongqing,
grande cité de l’Ouest chinois sur le fleuve Yangzi Jiang. Mais
le passif familial condamne sa première tentative d’intégrer
le Parti communiste chinois, à l’époque passage obligé vers
le succès. Son père a en effet été comptable pour une usine
de masques à gaz sous le régime précédent du Kouomintang,
le Parti nationaliste, au pouvoir jusqu’en 1949. Faute impar-
donnable dans la Chine de Mao. Le jeune Ren étudie durant
cinq ans avec, pour seul bagage, deux chemises, puis s’en-
gage dans le corps des ingénieurs de l’Armée populaire de
libération, moins regardante et surtout à la recherche de
talents. Envoyé sur un projet d’usine de fibres chimiques
dans l’ancienne Mandchourie, il en devient sous-directeur,
avant d’être transféré vers une usine spécialisée dans l’avia-
tion cette fois, près de son lieu de naissance. Il y développera
un système de communication militaire. Nom de code : 011.
C’est durant ces années qu’il épouse Meng Jun. Elle appar-
tient à l’aristocratie du régime. Son père, Meng Dongbo, est
un maoïste de la première heure. Haut responsable de la
région militaire orientale créée après la prise de pouvoir par
les troupes communistes, il deviendra par la suite vice-
gouverneur de la province du Sichuan. Un énorme bond Le nouveau campus de Huawei,
dans l’échelle sociale pour Ren. Leurs deux enfants pren- à Dongguan, ville industrielle
dront d’ailleurs le nom de leur mère, Meng, un fait rare en située entre Hongkong
et Canton, le 12 avril.
Chine, illustrant la puissance du clan maternel, même si leur
fils Ping utilisera le nom de son père lorsque celui-ci deviendra un des plus Doucement, Huawei accroît ses savoir-faire techniques,
éminents patrons chinois. À quel point les contacts de sa première épouse passant des simples tableaux de connexion de câbles
au sein de l’appareil ont-ils contribué à l’ascension de Ren Zhengfei, dans un téléphoniques aux réseaux bien plus complexes. Ren
pays où les dynasties politiques et l’héritage « rouge » sont cruciaux ? Cela remporte ses premiers contrats. Alors que les grandes
demeure à ce jour un mystère. « Il reste très pudique au sujet de son temps villes chinoises se tournent vers les équipementiers occi-
passé chez les militaires ou des connexions de sa première épouse, ce qui laisse dentaux plus établis, il a l’idée de démarcher les cam-
nécessairement des questions en suspens», dit un ancien employé de Huawei. pagnes. Dans cette œuvre, le patron, qui a divorcé de
Après la mort de Mao, le dirigeant Deng Xiaoping engage les réformes éco- Meng Jun pour épouser sa secrétaire, met la main à la
nomiques indispensables à la survie de l’État-Parti dans une société mise à pâte. Fondateur d’un cabinet de conseil dans les télé-
Kevin Frayer/Getty Images/AFP

sac par la Révolution culturelle. Une partie des forces armées sont démobi-
lisées. Ren Zhengfei se rend à Shenzhen avec sa fille et son fils. Face à
Hongkong, l’ancien port de pêcheurs devient le berceau du capitalisme
chinois. Il y rejoint son épouse, employée par un groupe chargé de dévelop-
per sur 23 kilomètres carrés le plus grand parc industriel de la région. Selon
la bio officielle, il est recruté par la même entreprise étatique, Nanyou. Mais,
n’ayant eu aucune expérience des affaires dans sa première vie, il se fait
coms en Chine, le Britannique Duncan Clark se souvient
avoir fait sa rencontre lors d’un salon sur la téléphonie
mobile, à la fin des années 1990, à Cannes. «Je me bala-
dais entre les stands et je suis tombé sur celui de Huawei.
J’ai discuté pendant cinq minutes avec un type plus vieux,
tout à fait cordial. Ce n’est qu’en lisant son badge que j’ai
compris que j’avais affaire à Ren. Alors que les autres

48
l e m ag a zine
patrons de la tech, chez Motorola, Alcatel ou Ericsson,
organisaient des soirées sur des yachts au large de la
Croisette, Ren tenait le stand en parlant au visiteur lambda.
Son dévouement au travail et son humilité m’ont fait forte
impression», raconte Clark.
Dans son développement, l’entreprise choisit une forme
d’actionnariat très particulière : ni détenue par l’État cen-
tral, comme le sont beaucoup de grandes entreprises
chinoises dans les secteurs stratégiques, ni introduite en
Bourse, comme le feront la plupart des acteurs de l’éco-
nomie du numérique, tel le géant du commerce en ligne
Alibaba. Elle est entre les mains d’une holding dont Ren
Zhengfei détient à peine plus de 1%. Le reste serait par-
tagé entre les employés sous la forme d’un syndicat
– une pirouette juridique puisqu’il n’existe pas de syndi-
cats non étatiques en Chine. Pour faire taire les scep-
En 1990, à Cannes lors d’un salon sur la
téléphonie, “alors que les autres patrons de
la tech, chez Motorola, Alcatel ou Ericsson,
organisaient des soirées sur des yachts
au large de la Croisette, Ren tenait le stand
en parlant au visiteur lambda”, se souvient
le consultant télécom Duncan Clark.
tiques, le siège de l’entreprise renferme une pièce où sont
conservés dix volumes de livres bleus placés sous verre :
ils contiendraient le nom de chacun des employés
actionnaires. Cela ne suffit pas à convaincre les services
américains de l’absence d’accointances entre Huawei et
l’appareil sécuritaire chinois. D’une part, car l’usage de
prête-nom est commun en Chine pour dissimuler les
intérêts en affaires des factions politiques. D’autre part,
car il n’est pas nécessaire d’être actionnaire pour peser
sur une entreprise : sous le régime chinois, on se plie de
toute façon aux requêtes de l’État-Parti, qui a tous les
pouvoirs. Ceux de soutenir et de financer comme ceux
de déstabiliser et de faire arrêter les patrons. Mais les
observateurs soulignent aussi qu’éviter la cotation bour-
sière a permis à Ren d’investir dans des technologies et
des pays dont la rentabilité n’était pas évidente à court
terme, mais qui ont fait son succès. Le système a une autre vertu : fidéliser
les salariés de Huawei, qui reçoivent des «actions virtuelles» dès la deuxième
année. Il s’agit en fait davantage d’un intéressement que d’une possession à
proprement parler : elles ne donnent pas droit à un vote sur la stratégie de
l’entreprise, ne peuvent être revendues à des tiers et sont rachetées au départ
du salarié. Mais elles sont synonymes de généreux dividendes. Ajoutée aux
bonus, la part variable du salaire annuel dépasse facilement 30 % du fixe. De
quoi motiver le personnel pour qu’il se donne à fond. «On dit qu’un ingénieur
chez Huawei fait le travail de deux personnes, mais qu’il gagne le salaire de
trois!», témoigne un salarié qui a quitté l’entreprise au bout de trois ans. «Je
voulais voir grandir ma fille, justifie-t-il. Je partais travailler le matin à
6 heures, je rentrais souvent à 23 heures…»
Cet esprit de sacrifice, qui vient directement de Ren Zhengfei, est qualifié
en interne de « culture du matelas » : les premiers commerciaux qui bat-
taient la campagne chinoise pour Huawei en conservaient un dans le coffre
de leur voiture pour dormir en route. Les employés en rangent un sous leur
bureau pour les coups de bourre. Aujourd’hui, Huawei
assure qu’ils sont surtout utilisés pour les siestes au milieu
de longues journées de travail. Le patron promeut cette
culture d’entreprise à longueur de lettres, à grand renfort
de citations de Mao et de références à la Longue Marche
des troupes communistes qui fuirent à pied l’armée natio-
naliste dans les années 1930 avant de gagner la guerre
civile, en 1949. En 2007, les temps sont durs et l’entreprise
n’hésite pas à exiger de 7 000 salariés qu’ils démissionnent
pour être aussitôt réembauchés sous des contrats courts,
moins rémunérés et surtout moins bien protégés. À la
même période, une vague de suicides vient écorner l’image
du groupe. Ren s’en inquiète… à sa façon : « Moi aussi je
souffrais de dépression et d’anxiété, mais, grâce à l’aide de
médecins et à mon propre optimisme, je suis complètement
guéri ! », assène-t-il à ses salariés.
Dès l’entrée dans l’entreprise, les recrues suivent deux
semaines d’intégration, avec formation aux valeurs de l’en-
treprise et exercices physiques dispensés par d’anciens mili-
taires. «Ren a fait l’armée à une époque où c’était vraiment
à la dure. Il faut avoir une forte personnalité pour tenir le
coup. Il a aussi acquis un sens de l’autorité très fort. Il a
amené cette culture de l’obéissance aux règles et aux chefs
chez Huawei », explique Mo Jia, expert chez Canalys, une
société d’analyse. On voit parfois le PDG rabrouer nommé-
ment, sur la messagerie interne de l’entreprise, des subal-
ternes qu’il juge peu efficaces. Autre particularité emprun-
tée à l’armée : un strict système de rotation des salariés, qui
évite que ne se dégage une figure d’héritier et permet à Ren
de rester le personnage central malgré l’âge. Même aux
postes de direction, personne ne peut rester en place plus
de cinq ans. «Cela crée une structure à la fois forte et capable
de s’adapter rapidement. C’est ce qui leur permet d’innover
constamment», juge M. Mo.
TouT
cela constitue « l’esprit du loup » prôné par le
patron : se battre comme des bêtes, attaquer en
meute, harceler ses proies, et ne reculer devant
aucun sacrifice pour atteindre ses objectifs. Les
commerciaux ne doivent pas compter leurs heures ni ménager leurs efforts
pour remporter des contrats en offrant un service de qualité même aux
clients modestes. Une stratégie apprise dans les campagnes chinoises et
qui, à partir de la fin des années 1990, permettra à Huawei de conquérir la
plupart des pays en développement, notamment africains, délaissés par les
concurrents étrangers. Exemple en 2004 : Huawei est en concurrence avec
Ericsson pour l’obtention du marché tunisien. « Nous n’avions pas la
meilleure technologie, mais Huawei n’a pas hésité à envoyer cent personnes
travailler sur place, gratuitement, pour adapter le produit aux demandes du
client. Nous avons emporté le marché », raconte un ancien salarié chinois
parti à la conquête de l’Afrique, aujourd’hui consultant pour IBM.
 l e m ag a zine

Au début des années 2000, Huawei fait figure de nain dans un secteur fait qu’elle est avec Huawei à la pointe sur les technologies
dominé par les Occidentaux : le suédois Ericsson, les américains Motorola de communication de demain, c’est hautement straté-
et Lucent, le français Alcatel, le finlandais Nokia se partagent les marchés gique », fait valoir l’ex-salarié collaborateur d’IBM.
prestigieux. Ren montre alors qu’il est plus qu’un patron autoritaire et Une position qui n’a rien pour rassurer les Occidentaux.
acharné : il sait apprendre. En 2000, la bulle Internet enfle et il prévient Cela ne tient finalement que marginalement à la person-
dans une lettre interne : « La crise, le déclin, et même la faillite de Huawei nalité de Ren et à son passé, mais davantage au seul fait
sont à venir. Nous sommes au printemps et l’hiver est très proche. N’oubliez que Huawei vient de la Chine de Xi Jinping. Le parti
pas que le Titanic a quitté le port dans l’allégresse ! » L’état de santé de Ren, unique n’a cessé de renforcer son emprise sur tous les
surmené et opéré deux fois pour un cancer de la peau à cette époque, ajoute pans de la société. Le flou sur les nécessaires relations que
sans doute à ses inquiétudes. Conscient de ses faiblesses, il doit faire appel l’entreprise entretient avec le pouvoir chinois ne peut que
aux grands cabinets de conseil pour transformer Huawei. Son groupe, persister. Les journalistes ressortent systématiquement à
réputé pour faire de l’entrée de gamme robuste, veut devenir une multina- Ren cette ligne d’une loi adoptée par la Chine en 2017 :
tionale moderne capable d’innover, comme Ericsson, le modèle à imiter tout citoyen ou organisation doit «soutenir, assister et coo-
pour le fondateur. « Ren a reçu beaucoup de bonnes suggestions en matière pérer avec le travail de renseignement national». Et qui-
de stratégie, notamment à l’international, par des consul-
Ci-contre, à Hongkong, des habitants
tants extérieurs, d’IBM, de Deloitte, de PwC… Il a surtout été pro-Pékin manifestent pour la libération
un bon étudiant », raconte l’ancien de Huawei passé chez de la fille de Ren Zhengfei,
IBM. Avec son style bien à lui, il oblige tous ses employés détenue au Canada, le 29 janvier.
à faire de même : « Il menaçait de virer quiconque n’écou-
terait pas les consultants d’IBM ! »
Dans son ascension, Huawei bénéficie de la bienveillance
de l’État chinois, qui intervient massivement pour soutenir
– et contrôler – ses entreprises : subventions, prêts à taux
quasi nuls, et terrains bon marché. Le nouveau campus de
Huawei, à Dongguan, ville industrielle à mi-chemin entre
Hongkong et Canton, qui accueille des bâtiments inspirés
par Paris, Vérone, Grenade ou Bruges, est construit sur un
terrain de 127 hectares octroyé par la municipalité à un tarif
presque dix fois inférieur aux terrains résidentiels alentour.
Pour s’attaquer aux pays en développement, Huawei peut
compter sur le soutien de la Banque de développement de
Chine, qui prête aux clients incapables de payer cash
(10 milliards de dollars en 2004, 30 milliards en 2009), et
de la Banque d’import-export de Chine (Eximbank).
Sans la pression des marchés boursiers, l’entreprise peut
réinvestir ses bénéfices : elle aurait dépensé jusqu’à 3 %
de son chiffre d’affaires pour payer les services de ces
consultants dans les années 2000, d’après The Economist.
Aujourd’hui, Huawei affirme consacrer 14 % de son
chiffre d’affaires à la recherche et développement, soit
12,9 milliards d’euros en 2018. L’entreprise qui dépose le
plus de brevets au monde a une bonne longueur d’avance
à l’heure du déploiement de la 5G – des opérateurs euro-
péens ont évoqué un retard de deux ans si on leur inter-
disait de faire appel à Huawei. Et ses smartphones n’ont
rien à envier à ceux d’Apple, qu’il a dépassé en nombre
d’unités vendues par an en 2018 pour se hisser juste der-
rière les Sud-Coréens de Samsung.

Huawei
conque le révélerait serait passif de poursuites pénales. En
s’impose face à la concurrence, dépensant des mil- janvier, Ren répondait qu’il préférerait « fermer Huawei

Qilai Shen/Bloomberg via Getty Images. Planet Pix/Zuma-REA

liards de dollars pour être aussi autonome que pos-
sible d’un point de vue technologique. Un ancien de
Lumentum, une entreprise américaine spécialisée dans la fibre optique de
pointe, raconte qu’il a été débauché par Huawei afin de rejoindre une équipe
formée dès 2012 pour apprendre à produire les éléments achetés jusqu’alors
auprès de ce fournisseur. Prémonitoire : début 2019, Huawei est placé sur
une liste noire interdisant aux entreprises américaines, dont Lumentum, de
lui vendre quoi que ce soit. L’entreprise révèle alors l’existence de son
« plan B », en préparation depuis des années, notamment pour tenter de
remplacer les services de Google. Pour cet ancien de Lumentum, Ren est «un
visionnaire et un meneur d’hommes hors pair ». Comme seul une poignée
d’autres géants chinois, Huawei est devenu un tel vecteur de projection de
la puissance chinoise qu’il relève, d’un certain point de vue, de l’utilité
publique. « La Chine profite déjà en termes de prestige, d’emplois créés et du
que de faire quoi que ce soit qui porte atteinte aux intérêts
de nos clients», ajoutant : «Je soutiens le Parti communiste
chinois, mais je ne ferai jamais rien qui nuise aux autres
nations.» «Il peut dire ce qu’il veut, c’est de la poudre aux
yeux. Que lui le veuille ou non, tout le monde est aux ordres.
Parce que c’est la Chine», résume l’ex-employé cité plus
haut. Et Ren Zhengfei doit répondre à deux exigences.
«C’est important pour lui de communiquer pour tenter de
sauver les marchés étrangers, mais son audience principale
reste la direction politique chinoise. Dans la Chine d’au-
jourd’hui il suffit d’un faux pas pour tomber », poursuit
l’ancien salarié. Et d’ajouter que Ren a développé l’instinct
nécessaire en traversant les années Mao. «Il sait survivre
dans un tel contexte. C’est un renard.»

50
Le graffeur Feito
sur le spot le
plus prisé des
surfeurs urbains :
le viaduc de
Bir-Hakeim,
sur la ligne 6 du
métro parisien.
l e m ag a zIne

La grande vague
des surfeurs
Texte Antoine FLANdrIN
Photos Thomas VON WITTICH du métro.
Ils s’appellent Ikarus, FeIto ou m Ister puma. sous ces
noms de code, ces trom pe-la-mort s’adonnent à une
actIvIté à haut rIsque totalem ent prohIbée : évoluer
sur les toIts des métros du monde entIer. leur
everest ? la traversée de la seIne, Face à la tour
eIFFel. un engouem ent tel que la ratp a dû, cet été,
Installer des grIlles dIssuasIves sur la lIgne 6.

Ce jour d’été, à 8 heures du matin, sur le quai

bondé de la station de métro Stalingrad, un individu mas-
qué grimpe sur le toit de la rame, sous le regard médusé des
passagers. Le conducteur, qui n’y a vu que du feu, s’engage
sur le viaduc dressé au milieu du boulevard de la Villette.
L’acrobate masqué se met alors à courir sur le toit des
wagons qui amorcent un virage au-dessus du canal Saint-
Martin avant d’entrer dans la station Jaurès, où le haut-
parleur annonce d’une voix monocorde : « Pour des raisons
de sécurité, le trafic est interrompu sur la ligne 2.» Les pas-
sagers ont à peine le temps de lâcher un soupir d’agace-
ment que l’acrobate, lui, est déjà loin.
Le long du canal, il tombe son masque de carnaval, laissant
apparaître un visage juvénile. Il se présente : Ikarus. Ce nom
de code lui va comme un gant. La mort, ce jeune Icare l’a
déjà tutoyée. à un peu plus de 20 ans, ce Berlinois en a
passé six à faire des acrobaties sur le toit des trains en mou-
vement. Un drôle de passe-temps, que les initiés appellent
le « subway surfing ». « C’était bon, surtout le virage ! Ça
change de Berlin, où ça va tout droit.» Puis de montrer ses
mains noires comme du charbon : « Par contre, votre métro
est dégueulasse ! », raille-t-il.
L’acrobate s’avance vers le canal, à la surface duquel flotte
un gros poisson mort entouré de détritus. Il y plonge ses
pognes pour les laver. « Le subway surfing est un sport de
rue », balaie-t-il. Chaque session lui procure une dose
d’adrénaline qu’il compare à une drogue dure. Ikarus jure
y être moins accro qu’à ses débuts. « Ce n’est plus une obses-
sion, assure-t-il. Avant, je faisais du subway surfing pour
aller au lycée, voir un pote ou acheter de l’herbe. Maintenant,
je ne le fais que si ça m’apporte une sensation nouvelle.» Le
jeune homme explique vivre de petits boulots qui lui per-
mettent de payer son loyer et, surtout, de voyager. Ces der-
niers temps, il est allé faire du subway surfing à Vienne et
du « bus surfing » à Barcelone.
C’est la deuxième fois qu’il vient à Paris. En avril, Ikarus a
décroché le Graal des trompe-la-mort du métro : surfer sur
le toit d’une rame de la ligne 6, celle qui relie Charles-de-
Gaulle-Étoile à Nation en passant par Montparnasse. Mais
pas sur n’importe quel tronçon : juste entre les stations
Passy et Bir-Hakeim, au-dessus de la Seine, face à la tour
Eiffel. « Il n’y a pas de plus bel endroit sur terre pour

53

faire du subway surfing », s’exclame-t-il.
Cette portion de la ligne 6 est une sorte d’Everest.
De nec plus ultra.
Ce spot est depuis cinq ans le plus couru de la pla-
nète. Postées sur Instagram ou YouTube, les
images de leur performance devant la « Dame de
fer » sont de redoutables objets viraux. Car un
subway surfeur est toujours accompagné d’un ou
deux acolytes pour filmer ses exploits, qui, une fois
postés sur les réseaux sociaux, agissent comme
une machine à booster les ego. Ikarus l’admet :
provoquer la mort lui donne un sentiment de
toute-puissance. « La première fois que tu fais du
subway surfing, tu es tétanisé. Tu penses qu’une fois
sur le toit le vent va t’emporter. Mais, quand tu
atterris dessus et que le train démarre, tu te rends
compte que tu t’en aies fait toute une montagne. La
concentration est telle que la peur s’efface.
L’adrénaline prend le dessus. Tu te sens alors en
pleine possession de tes moyens.»
Quand le graffeur français Feito s’est décidé à sur-
fer sur le toit du métro parisien, il a commencé lui
aussi par ce tronçon mythique de la ligne 6.
«J’étais déprimé, j’avais besoin de ressentir quelque
chose d’intense », précise-t-il. Il est allé à Passy, où,
il y a peu, il suffisait d’enjamber un grillage pour
se retrouver sur le toit de la station. Lorsque le
train est passé, il a sauté sur la rame, puis s’est
couché. « C’était la première fois, j’avais pas trop
de repères, alors je suis resté allongé sur le toit pen-
dant cinq stations. En descendant, je me suis dit
que je le referai, mais debout, cette fois.» Un chal-
lenge qu’il a relevé, les jambes fléchies, le bras
tendu, mimant un surfeur sur sa planche. « Je
n’avais jamais fait de surf mais, lancé au-dessus de
la Seine, c’est comme si j’étais à l’océan, avec la
tour Eiffel devant moi. Ça m’a fait l’effet d’un
manège à Disneyland ! », décrit-il. La vingtaine
fougueuse, ce graffeur, qui décrit son état d’esprit
comme « antisystème », ne se lasse pas des cas-
cades du commissaire Jean Letellier, incarné par
Jean-Paul Belmondo dans Peur sur la ville (1975).
Lancé à la poursuite d’un truand, « Bébel » courait
sur les toits d’une rame de la ligne 6, dans les tun-
nels puis (déjà) sur le viaduc de Bir-Hakeim. De
James Bond, dans Octopussy (1983) et Skyfall (2012),
à Mission impossible (1996), en passant par Spider-
Man 2 (2004), les courses-poursuites et les bagarres
sur le toit des trains sont des grands classiques de
l’histoire du cinéma qui ont nourri l’imaginaire des
surfeurs urbains en herbe.
Le mouvement est apparu en Allemagne au
début des années 1990. Mais, à l’époque, les
jeunes avides de sensations extrêmes ouvraient
les portes des trains en marche et se balançaient
au-dessus des rails en s’agrippant à une poi-
gnée. Après plusieurs accidents, cette pratique a
été délaissée pour réapparaître à la fin des
années 2000. À Paris, Berlin, Moscou, Melbourne,
New York, Stockholm et Bombay, le toit des
métros est alors redevenu un terrain de jeu.
Les Parisiens Astoria et Piksu, de la Déjà Vu
Collective, ont également traversé le viaduc de Bir-
Hakeim, pas sur le toit mais calés entre deux voi-
tures d’une rame. Une performance filmée à la
GoPro, qu’ils ont diffusée sur Instagram. « Le
l e m ag a zine
subway surfing, c’est une manière facile de s’échap-
per de l’ambiance robotique de la ville. Des pay-
“La première fois, tu penses
sages magnifiques défilent : les bâtiments hauss- qu’une fois sur le toit, le vent
manniens, la tour Eiffel qui brille dans le ciel bleu…
T’as le vent qui siffle et tu entends rien, à part les
va t’emporter. Mais quand le
wagons qui crient sur les rails», explique Astoria. train démarre, la peur s’efface.
Les surfeurs de la 6 n’ont pas tous réussi à éviter le
pire. Trois accidents mortels ont eu lieu
L’adrénaline prend le dessus.
depuis 2015 sur le réseau RATP, le dernier étant Tu te sens alors en pleine
survenu le 24 octobre 2017 à la station Bir-Hakeim.
Et, en janvier 2019, un adolescent s’est blessé griè-
possession de tes moyens.”
vement en chutant du toit d’une rame. La RATP Ikarus
assure qu’elle est particulièrement attentive à ce
phénomène. Si elle estime que cette « pratique
illégale» est aujourd’hui de «faible ampleur», elle
craint son émergence «du fait de sa forte visibilité
sur les réseaux sociaux ». Et de rappeler qu’elle
porte systématiquement plainte lorsque des faits
de train surfing sont avérés : les contrevenants
sont passibles d’une peine d’un an de prison et de
15000 euros d’amende. La régie a même lancé, en
juin 2018, une campagne de prévention sur
Instagram, intitulée #stoptrainsurfing, avec le cas-
cadeur urbain et influenceur Johan Tonnoir.
Celui-ci y multiplie les sauts spectaculaires dans les
rues du 16e arrondissement de Paris, jusque sur le
toit de la station Passy, où il explique à ses
28000 abonnés pourquoi il ne fera jamais de train
surfing. « Parce qu’il y a des choses que je ne vais
pas pouvoir contrôler, comme la vitesse du train, un
freinage inattendu, un oiseau qui passe et qui me
fait perdre l’équilibre.» Malgré ces avertissements,
les trompe-la-mort n’ont cessé d’affluer, obligeant
la RATP à employer les grands moyens. En juillet-
août, elle a fermé toutes les stations aériennes de
la ligne 6 entre Montparnasse et Trocadéro, afin
de rénover ses viaducs, et en a profité pour suré-
lever les grilles aux abords de la station Passy. Avec
leurs longues pointes en forme de lances en fer
forgé, ces clôtures devraient (en théorie) avoir un Toute cette petite internationale de surfeurs
effet dissuasif. urbains se connaît par cœur. Mais, si certains
Paris
s’adonnent au subway surfing pour la seule adré-
n’est pas la seule métro- naline, Ikarus, lui, le fait aussi par rébellion. Il est,
pole confrontée au pro- depuis 2014, membre des Berlin Kidz, qui se sont
blème. À Melbourne, en fait connaître par un film produit par leurs propres
Australie, les autorités soins, mis en ligne en 2015, vu près de 800000 fois
ne savent plus à quel saint se vouer. Les jeunes sur YouTube. Ikarus et ses complices y multiplient
s’adonnent au subway surfing, mais aussi au les actions suicidaires. Sur les toits des S-Bahn, ces
« back riding », qui consiste à faire un trajet trains jaunes qui parcourent l’immense capitale
accroché à l’arrière d’un train. En 2015, le métro allemande, on les voit faire du vélo, des saltos
de Melbourne, le City Loop, déplorait une cen- avant, jongler avec un ballon de foot ou sauter
taine de back ridings. En Russie, les acrobaties dans la Spree, la rivière de Berlin. « Courir sur les
sur le toit et à l’arrière des trains sont également rames, c’était devenu de la routine, raconte Ikarus.
devenues un problème public. La police a pro- Alors, on a poussé le délire à chaque fois un peu plus
cédé à 1 000 arrestations de surfeurs de train loin jusqu’à installer une table et des bancs et
en 2011. Une mode qui attire également les improviser un dîner avec du vin.»
filles : blonde, masquée, vêtue de noir, la dénom- Comme de nombreux subway surfeurs, les Berlin
mée Kobzarro, 21 ans, s’affiche sur Instagram Kidz pratiquent d’autres disciplines urbaines : le
surfant sur le toit des trains lancés jusqu’à parkour (qui consiste à franchir des obstacles
250 kilomètres-heure à travers la banlieue urbains et à sauter sur les toits et les murs), le
enneigée de Moscou. « C’est une philosophie. graffiti, le tatouage, le skateboard et l’urbex (la
Quand je fais du train surfing, je me sens absolu- visite de lieux abandonnés, souvent difficiles et
ment libre. Je crée mes propres règles. Personne ne interdits d’accès). Leur conception du tag comme
peut me contrôler », dit-elle, bravache, dans une du subway surfing se veut aussi extrême que poli-
vidéo intitulée « Feels: Train Surfing in Russia », tique. Les Berlin Kidz descendent la nuit en
vue plus de 150 000 fois sur YouTube. rappel le long des façades des immeubles pour
Le Berlinois
Ikarus, en avril,
sur la ligne 6.
y tracer à la bombe de peinture d’énormes ins-
criptions, dans lesquelles se cachent des mes-
sages politiques, le plus récurrent étant
« Freiheit » (« liberté »). « Nos actions ne sont pas
faites pour plaire, mais pour dire aux riches : la
ville nous appartient et, nous aussi, on peut vous
faire payer », lâche Ikarus.
Originaire de Neukölln, un quartier du sud de
Berlin, où vivent nombre d’immigrés du Proche-
Orient et des Balkans, il dénonce la gentrification
qui y sévit. « Un groupe immobilier étranger a
racheté l’immeuble où j’ai grandi, y a augmenté les
loyers pour nous foutre dehors et y loger des riches.
On veut casser ce système qui rend malade notre
planète », argue-t-il. Pour ça, il est prêt à y laisser
beaucoup de plumes. L’un de ses amis a failli
perdre la vie lors d’un surf sur le toit d’un métro.
Après avoir percuté à pleine vitesse la structure
métallique d’un pont, il est tombé dans le coma.
« Il s’en est sorti, mais il a perdu 40 % de la vue.
Après ça, j’ai arrêté le subway surfing pendant un
an », reconnaît Ikarus, encore troublé. Il ne s’est
pas trop penché sur les raisons qui l’ont poussé à
recommencer. « Je ne sais pas. Peut-être juste
parce que c’est tellement grisant… », répond-il
après un temps de réflexion. Depuis, il n’a cessé
de mettre sa vie en danger.
Pionnier du mouvement, le cascadeur parisien
Mister Puma, 43 ans, a commencé le subway sur-
fing en 2008. En cet après-midi d’août, il arrive
dix minutes en avance au rendez-vous qu’il a fixé
à la station Bercy, sur la ligne 6. Débardeur blanc,
musculature d’acier, casquette vissée sur la tête,
il vient de se réveiller. « Je suis un ermite qui aime
la nuit. Un lève-tard », explique-t-il. Après s’être
calé entre deux voitures, il grimpe à mains nues
sur le dos de la rame, qui, une fois sortie de terre,
passe au-dessus de la Seine avant de finir sa
course à la station Quai-de-la-Gare. Pour lui aussi,
rien ne remplace le tronçon Passy - Bir-Hakeim.
« Le vrai kiff, ce serait de boire du champagne
avec ma copine assis sur le toit d’un métro qui
passe devant la tour Eiffel », lance-t-il.
Contrairement aux Berlin Kidz, Mister Puma est
un oiseau solitaire. Sa démarche n’a rien de poli-
tique. Il le reconnaît bien volontiers : il n’est pas
fait pour travailler quarante heures par semaine
et un salaire moyen. Sa vie, il la gagne en donnant
des cours de boxe et des séances de remise en
forme. Quand il a un coup de mou, il va faire du
subway surfing. « C’est ma thérapie », dit-il. Mais
Mister Puma sait faire le buzz. En 2014, sa vidéo
intitulée Métro Jump, où on le voyait sauter sur le
toit d’un métro lancé à 50 kilomètres-heure entre
les stations Anvers et Barbès, sur la ligne 2, a été
vue plus de 200 000 fois sur Internet. La perfor-
mance ne s’était toutefois pas passée comme il
l’avait prévue. En chutant sur le toit, il a rebondi
sur le dos et s’est cogné la tête. « C’était à un
moment de ma vie où j’avais la rage. J’en avais
marre de chercher ma place dans ce monde. Il
fallait que je le fasse pour me valoriser.»
Ce jour d’été 2019, pas de temps à perdre, il file à
Jaurès, sur la ligne 2, où il lui faut trente secondes
pour grimper tel un félin sur le toit de la station,
un auvent en verre peu épais. Un métro passe, il
atterrit dessus « en douceur ». Son truc à lui, c’est
de marcher sur les mains sur le toit du métro.
Cette figure, il s’y est entraîné plusieurs heures par
jour depuis plus de vingt-cinq ans. Un usager qui
l’a vu avertit le conducteur, qui immobilise aussitôt
la rame. Mister Puma saute sur le quai et disparaît.
Son troisième « ride » de la journée, il l’effectue
entre Stalingrad et Jaurès, debout sur le wagon de
tête, menton levé tel César sur son char. Le
conducteur d’une rame déjà à quai l’aperçoit, des-
cend de sa cabine et se saisit d’un combiné télé-
phonique pour donner l’alerte. Mister Puma bon-
dit alors sur le quai, descend les marches de la
station sans se presser, se fond dans la masse,
avant de disparaître fier comme Artaban.
55
 les gentils.
Ils sont à l’image du film phénomène qui a fait leur succès en 2011, “Intouchables”.
Entourés d’un cercle de fidèles, dont le comédien Omar Sy, les réalisateurs Éric Toledano
et Olivier Nakache cavalent sur le box-office. La formule de ces autodidactes est simple,
des sujets difficiles mais enrobés d’humour, sans crainte du consensuel. Une recette appliquée
à leur nouveau long-métrage, “Hors normes”, l’histoire vraie de deux éducateurs spécialisés,
interprétés par Vincent Cassel et Reda Kateb, en salle le 23 octobre.
L e m ag a zine
Texte Pascale NIvELLE
Photos Tex BIShOP
Dan s les an n ées 2000, Vincent cassel surVeillait
nakache et toleDano d’un peu loin. «Tiens, se disait-il, un den-
tiste et un avocat font du cinéma ». Et puis, comédie après comédie,
il les a vus « taper dans le mille ». Remplir des salles hilares avec des
sujets pas commodes : handicapés, sans-papiers, juifs orthodoxes,
loulous de banlieue, chômeurs… Quand le duo (auréolé entre-
temps du succès planétaire d’Intouchables, en 2011, 43,8 millions
d’entrées en Europe) lui a proposé le premier rôle de Hors normes
(en salle le 23 octobre), il a signé sans lire le scénario. C’est comme
ça que celui qui a tourné avec Steven Soderbergh et David
Cronenberg s’est retrouvé sur un plateau avec des enfants autistes,
une kippa sur le crâne. Excellent en samaritain à la tête d’une
association d’aide aux familles. « Moi qui voulais sortir des rôles de
méchant, j’ai été servi, dit Cassel. Et enfin, j’ai fait un film que je
peux montrer à mes enfants ! »
C’est vrai pour toutes les comédies signées Toledano-Nakache, poil
à chatouiller de nos contradictions. Sept longs-métrages, sept feel
good movies, où il n’y a pas de fin du monde, pas de pervers.
L’époque est déprimée ? À moins que ce ne soit la France ? Olivier
Nakache et Éric Toledano sont là. Tout le monde est gentil dans
leurs films ? Ils le sont aussi, tels qu’on les découvre dans leur
bureau de Clichy, au cœur d’une ancienne usine de roulements à
billes où a été installée une machine à pop-corn et des affiches de
leurs films. Chez eux, même les méchants ont une âme. « On aime
tout le monde, explique Olivier Nakache. Dans la vie aussi, il arrive
que le plus con de tous les cons devienne votre meilleur ami.» En
2011, à la sortie d’Intouchables, des critiques avaient encensé la Olivier Nakache
(à gauche) et
bienveillance du duo. Sauf les Inrocks, Technikart et Libération, qui Éric Toledano,
avaient moqué leur bien-pensance. Ce qui n’a pas empêché près le 20 septembre,
de vingt millions de Français d’aller voir le film. à Clichy.
À les voir avec leur barbe de cinq jours, leur sourire, les mêmes
baskets blanches, le même habit noir, on pense à des frères
cinéastes connus, les Coen ou les Dardenne. Mais les Toledano-
Nakache ne sont pas frangins, même s’ils en ont tout l’air. Leurs
familles viennent d’Afrique du Nord, au temps où le Coran et la
Torah parlaient de la même histoire. Ils ont tous deux grandi dans
l’Ouest parisien cossu. Enfants, ils partaient chaque année dans la
même colonie de vacances juive, Yaniv. Leur chaudron de potion
magique. À bientôt 50 ans, ils continuent d’en parler comme s’ils
y repartaient demain, et ils y envoient chaque été leurs enfants :
« Pendant trois semaines, c’est la vraie vie, il faut se faire une place.
Cela a été notre apprentissage de l’existence. » Étrangement, ils
n’ont pas fraternisé autour d’un feu de camp. Entre 17 et 22 ans,
devenus moniteurs, ils se tenaient encore à distance, un peu
rivaux. Pourtant, chacun dans son coin rêvait de cinéma, collec-
tionnait les films des années 1970 et se passait en boucle les
répliques du Père Noël est une ordure.
Leur
tandem s’est formé bien plus tard, quand la
réalisatrice Diane Kurys a pris Éric Toledano
en stage sur un tournage. Olivier Nakache l’a
su et s’est précipité avec respect : « Pour moi, un gars qui avait fait
un stage sur un film, c’était un gars qui avait fait un film.» Le jour
suivant, ils écrivaient à quatre mains un scénario sans lendemain.
Pas question de pousser la porte d’une école de cinéma, « la moi-
tié des élèves s’y prennent pour Scorsese ou Cassavetes », eux
allaient casser la baraque en autodidactes. Sans réseau, sans
argent et sans parents dans le métier (leurs pères ont réussi dans
le commerce et l’informatique), la route s’annonçait longue. « Elle
l’a été, témoigne Géraldine Nakache, sœur cadette d’Olivier, elle
aussi réalisatrice. Mais dès le début, ils ont été deux et cela a été
leur force.» En l’écoutant, surgit une scène de Themroc, comédie
française des années 1970 de Claude Faraldo du genre qu’ils
apprécient, où apparaissaient la plupart des acteurs du Café de la
Gare. Chaque matin, Michel Piccoli rencontre au même carrefour,
à la même heure, son collègue de l’usine. Sur leurs vélos, ils se
frôlent, s’équilibrent et partent au boulot épaule contre épaule.
L’un sans l’autre, c’est l’accident.
Toledano et Nakache roulent à scooter. Le matin, ils se retrouvent
à Clichy, devant l’ex-usine reconvertie en maison de production. À
9 heures, ils sont dans leur bureau qui ressemble à celui du détec-
tive privé Marlowe, devant une grande page blanche, leur « tableau
à idées ». Deux mécanos du cinéma qui écrivent ensemble, man-
gent ensemble, tournent ensemble, et se ressemblent. Au jeu des
différences, Géraldine Nakache nous met sur la piste : « Mon frère
est discret, Éric est plus volubile, mais ils ont exactement le même
ADN, rire pour mieux pleurer en cachette.» De fait, ils disent plus
souvent « nous » que « je » et parlent d’une seule voix. « Vous ne
pourriez pas vous engueuler un peu ? Ça m’énerve à la fin », râlait
Jean-Pierre Bacri sur le tournage du Sens de la fête.
Ce sixième long-métrage racontait un bout de leur vie, comme les
précédents. Les mariages bourgeois, côté cuisine, Olivier Nakache
et Éric Toledano connaissent par cœur. Entre 1992 et 2002,
57
 l e m ag a zine

Omar sy racOnte ce jOur

de 2004, quand les deux
réalisateurs débutants
lui Ont prOpOsé le rôle
ils ont passé leurs week-ends comme serveurs, chauffeurs, d’un mOniteur de cOlOnie
ambianceurs ou photographes dans les mariages huppés, pour
financer leurs films et nourrir leurs enfants. À Noël, ils s’enrôlaient
de vacances, pOur
dans une agence spécialisée. « On était trente mecs qui ne fêtaient “nOs jOurs heureux” :
pas la Nativité, tous bruns donc. On faisait la tournée des cadeaux
en costume de père Noël dans les beaux quartiers », se souvient
“j’essayais de devenir
Olivier Nakache. Leur deuxième court-métrage, Les Petits Souliers, humOriste, à l’épOque,
avec Gad Elmaleh, Roschdy Zem et Jamel Debbouze, montrait ces
éclopés de la vie, perdus sous leurs barbes blanches. Depuis ce
et leur ai dit ‘vOus êtes
petit coup de maître, presque tous leurs films parlent d’eux. Nos gentils mais je ne suis
jours heureux (2006) évoque leur jeunesse dans les colonies de
vacances. Tellement proches (2009), le couple à 30 ans, la famille,
pas un acteur,
la religion. Le Sens de la fête (2017) éclaire leurs « années compli- vOus savez.’ ils m’Ont
quées ». « Quand on parle de nous, on parle de tout le monde »,
expliquent-ils. Tout les intéresse, « sauf le foot », et tout peut faire
répOndu : ‘Ça tOmbe bien,
film. Fin septembre, pendant la promo de Hors normes, Olivier nOus ne sOmmes pas
Nakache notait discrètement ses impressions sur les journalistes.
En Belgique, l’un d’eux, interrompu toutes les cinq minutes par sa
réalisateurs.’”
fille sur son portable, lui répondait très gentiment, compromettant
l’interview, jusqu’à ce qu’il finisse par éclater : « Tu vas la fermer
oui ? » Et hop, une idée de scène, raccord avec leur sujet du
moment, l’omniprésence des écrans, source de conflits généra-
tionnels, etc. « Ils radiographient les gens en permanence, ce sont
des junkies des gens », dit Géraldine Nakache.

Omar
Sy, quatre films T&N au
compteur, en témoigne.
Ils l’ont scanné à la télé à
l’époque où il était en
duo avec Fred Testot et
ne l’ont plus lâché. Depuis Intouchables, l’acteur né à Trappes est
devenu la personnalité préférée des Français, à égalité avec Zidane,
et vit à Los Angeles. Au téléphone, il raconte ce jour de 2004,
quand les deux réalisateurs débutants lui ont proposé le rôle d’un
moniteur de colonie de vacances, pour Nos jours heureux :
« J’essayais de devenir humoriste, à l’époque, et leur ai dit “Vous êtes
gentils mais je ne suis pas un acteur, vous savez.” Ils m’ont répondu :
“Ça tombe bien, nous ne sommes pas réalisateurs.” Ils m’ont fait
confiance, et c’est parti… » Parti pour le cinéma grand public,
Intouchables, les Césars, les nominations aux Oscars, les box-
offices explosés, les tournées sur tous les continents. « Cela a été
un délire, témoigne leur producteur, Nicolas Duval Adassovsky, le
patron de Quad Cinéma : « En province, des multiplexes passaient
le film dans sept salles en même temps.» Dix ans plus tôt, il avait vu
débarquer Éric Toledano et Olivier Nakache, des projets de clips
publicitaires sous le bras : « J’avais du mal à les voir dans la pub.
C’étaient des auteurs de façon évidente, alors je les ai accompagnés
et on a fait tous leurs films ensemble. Le plus dingue, c’est qu’ils sont
restés avec moi.» C’est lui qui leur a aménagé le bureau de Clichy.
« Ils avaient peur d’être seuls dans leur coin et voulaient voir des
gens ». À l’heure du café du matin, le duo traverse les open spaces,
semant bonjours et sourires. Ils ont besoin de rituels, de routine,
de têtes familières. Depuis le premier jour, ils ont le même produc-
teur, et les mêmes monteur, distributeur, acteurs… « Les gars sont
fidèles », témoigne Jean-Paul Rouve, qui a tourné trois fois sous leur
direction. « Ils n’ont pas perdu leurs amis, ni le sens du plaisir. »
La tornade Intouchables a propulsé Omar Sy à Hollywood où il joue
dans X-Men et Jurassic World, en attendant le prochain Nakache et
Toledano. « Dès qu’ils m’appellent, j’arrive. Je leur dois tout, le désir
de travailler avec eux ne s’éteindra jamais.» Elle a épargné les deux
réalisateurs, peu tentés par une carrière internationale. Après la
tournée mondiale, ils sont repartis épaule contre épaule fabriquer
le prochain film, de 9 heures à 19 heures. Leur vie avait changé,
mais rien ne devait bouger. François Cluzet, le héros en fauteuil
d’Intouchables, a son explication : « Ils sont trop intelligents pour
perdre leur humilité.» Leurs enfants ont continué d’aller en colo
Yaniv, eux d’aller au cinéma, spectateurs lambda des films de
Woody Allen, Jacques Audiard, ou James Gray, cinéastes qu’ils
vénèrent presque autant que la troupe du Splendid.
Rien n’a bougé, sauf une chose, Intouchables les a rendus invincibles.
« On peut proposer n’importe quel film, on sait que les financiers et
le public vont nous suivre.» Ils auraient pu lancer «Intouchables 2»,
pour faire plaisir. Cela a été Samba, histoire d’un sans-papiers avec
Omar Sy et Charlotte Gainsbourg, qui a un peu dérouté leur public
– « seulement » 3 millions d’entrées. Puis ils se sont attelés à Hors
normes, un projet vieux de vingt ans qu’ils n’auraient jamais pu
réaliser avant Intouchables. « Trop casse-gueule ! Ce sujet mélange
toutes les embrouilles de la société française : autisme, religion,
banlieues, réinsertion, quartiers difficiles… il fait peur.»
Avant d’écrire la première ligne du scénario, ils avaient en tête les
décors et les personnages, encore une fois inspirés de leur

58

vraie vie. Pour des raisons qu’ils n’ont pas envie de dévelop-
per, Nakache et Toledano connaissent bien les associations Le
Silence des justes et le Relais Île-de-France, fondées par Stéphane
Benhamou et Daoud Tatou. L’un est juif, l’autre arabe. Deux
hommes qui se battent pour sortir les autistes des institutions où
la plupart sont enfermés, parfois attachés et drogués. Cause juste,
rencontres improbables, gros tabous… les ingrédients d’un film
Toledano-Nakache étaient réunis dès le départ et tout s’est déroulé
sur un tapis rouge. Les producteurs ont suivi, Vincent Cassel et
Reda Kateb, pressentis dès le départ, n’ont pas hésité une seconde
à se mettre dans la peau des deux directeurs. Restait à écrire, puis
à tourner une comédie avec tout ça. Ils ont fait comme d’habitude,
cherché « la bonne chimie ».
ping-pong
verbal devant le
tableau blanc, traits
d’humour validés ou
recalés, caricatures interdites, pièges recensés, dialogues au scal-
pel… « On se prenait l’état de la France et on devait faire des bla-
gues », raconte Olivier Nakache. Puis il y a eu la distribution des
seconds rôles à de vrais autistes et de vrais éducateurs de ban-
lieue, les repérages dans les associations, ce qui laissait présumer
que le prochain Toledano-Nakache ne serait pas une comédie
comme les précédentes. «Au début, je me suis dit que je m’embar-
quais dans leur premier drame, ce qui n’était pas le plan, se
60
l e m ag a zine
souvient Vincent Cassel, mais ils ont réussi à y mettre leur humour, Dans leur
c’est fort ! » Hélène Vincent, actrice fidèle des productions du duo, bureau, à Clichy,
le 20 septembre.
n’a eu aucun doute : « Je connaissais leur humanité et leur intérêt
pour les sujets graves, douloureux. Et je savais qu’ils allaient trou-
ver un espace pour la légèreté et le rire.»
Sur le plateau, la comédienne de théâtre a retrouvé l’ambiance de
troupe qu’elle aime, rare au cinéma. « Il n’y a pas de place pour
l’ego avec eux, tout le monde fait ce qu’il a à faire et chacun est
respecté ». Reda Kateb, qui a lui aussi signé sans lire le scénario,
était en parfaite confiance. La suite lui a donné raison. « Il se passe
quelque chose avec eux, de l’ordre de la transmission de pensée.»
Un jour, sur le plateau, Reda Kateb croit voir un « cas lourd d’au-
tisme tomber brutalement à terre ». Quand le garçon se relève, il
réalise qu’il s’agit d’un acteur. « Entre les neuro-normaux, les
autistes, les comédiens qui faisaient les autistes et les comédiens
tout court, on ne savait plus qui était qui. Comme si le curseur de
la normalité s’était décalé.»
Quelque chose a changé aussi pour Olivier Nakache et Olivier
Toledano. Dans les salles obscures où Hors normes est projeté en
avant-première, pour la première fois depuis qu’ils réalisent des
films, l’émotion prend le pas sur les rires. La preuve qu’ils ne sont
pas « enfermés dans une case », ce qui était leur hantise après
Intouchables. Mission accomplie, « les deux frères qui n’ont pas le
même nom », comme les surnomme Jean-Pierre Bacri, peuvent
poursuivre leur chemin, épaule contre épaule.
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EIDERIS
chaudière
avec suivi
à distance
89 % des Français craignent la panne de chaudière(1), surtout en plein
hiver. D’où l’importance de l’entretenir chaque année, mais surtout de
choisir le bon équipement afin d’offrir confort et sécurité à toute la
famille. Aujourd’hui, la chaudière se réinvente et devient intelligente : Le top de la connectivité
économies d’énergie, pilotage et suivi à distance… On fait le point sur pour optimiser sa
ces innovations qui vont vous simplifier la vie. consommation d’énergie
La chaudière Eideris
d’ENGIE Home Services est
CHAUDIÈRE CONNECTÉE EIDERIS, LE SERVICE « TOUT-EN-UN » D’ENGIE accompagnée d’un thermostat
ET SUIVIE À DISTANCE : LA HOME SERVICES QUI RÉINVENTE LA CHAUDIÈRE(2) connecté Honeywell - filaire
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DU CONFORT ET DE LA une expérience de 50 ans dans la maintenance des systèmes de chauf- une application simple et
TRANQUILLITÉ fage des particuliers pour mettre au point sa propre chaudière à Très ergonomique compatible
On connaissait déjà le thermos- Haute Performance Energétique : Eideris. La chaudière Eideris est la avec Google Home, Amazon
Alexa et IFTTT. Allumer et
tat connecté permettant de régler première à inclure le service de suivi à distance en temps réel(3) par éteindre sa chaudière, la
son chauffage à distance depuis des experts : pression d’eau, défaut d’allumage, remontée des codes programmer pour la semaine
son smartphone ou sa tablette. défaut… En cas de dysfonctionnement, un code erreur est transmis et activer le chauffage à
distance n’aura jamais été
Aujourd’hui, l’arrivée de la nou- à l’expert chargé du suivi afin qu’il puisse effectuer un diagnostic à aussi simple. Cerise sur le
velle génération de chaudières à distance. Il vous contacte alors dans les deux heures. Si le dysfonc- gâteau : parce qu’Eideris est
Très Haute Performance Energétique tionnement est mineur, comme un manque d’eau dans le circuit, votre une chaudière à condensation,
vous pouvez réaliser jusqu’à
va encore plus loin en matière de expert vous envoie un tutoriel par mail et vous guide par téléphone 20% d’économies d’énergie
confort et de connectivité : suivi à pour vous aider à le résoudre à distance. Dans le cas d’une panne par rapport aux chaudières
distance et gestion rapide des pannes, majeure, qui nécessite par exemple le remplacement d’une pièce et standard !(5)
contacts facilités avec les techni- l’intervention d’un technicien, un rendez-vous à domicile sera rapide-
ciens... Le système idéal pour retrou- ment fixé en fonction de vos disponibilités(4). Grâce au diagnostic à
ver la confiance et passer un hiver distance, le technicien intervient directement avec la bonne pièce pour
en toute tranquillité ! rétablir votre confort au plus vite. C’est simple, fiable et tout confort.

L’énergie est notre avenir, économisons-la !

(1)
Etude IFOP, 07/2018
(2)
Le service EIDERIS tout compris est une offre packagée sous conditions d’ENGIE Home Services incluant la vente d’équipements posés (une chaudière parmi une sélection
de deux chaudières de marque ENGIE Home Services et un thermostat connecté parmi une sélection de deux modèles à marque Honeywell) et la souscription d’un contrat
d’entretien PACK EIDERIS auprès d’ENGIE Home Services.
(3)
Le contrat d’entretien PACK EIDERIS inclut une prestation de suivi à distance par ENGIE Home Services du fonctionnement de la chaudière grâce à la remontée et
l’analyse d’informations techniques des chaudières. En cas de dysfonctionnements, ENGIE Home Services décide des actions à mener et peut contacter le client pour
planifier, par exemple, une intervention si nécessaire. Conditions détaillées au contrat d’entretien PACK EIDERIS.
(4)
Le délai d’intervention d’un technicien, en cas de dépannage, et sauf cas de force majeure, est de 48 heures ouvrables à compter de la demande d’intervention. Ce délai
est ramené à 24 heures ouvrables en cas de panne totale de chauffage et/ou d’eau chaude sanitaire. Les interventions de dépannage peuvent avoir lieu les dimanches et
jours fériés de 8 h à 18 h sous conditions. Cette prestation n’est pas disponible sur la totalité du territoire. Conditions détaillées au contrat d’entretien PACK EIDERIS.
(5)
Les chaudières performantes (source Ademe).
l e m ag a zine

l
les dessous
pas si chics
de dorcel. Texte Robin D’AnGELO
Illustrations Chad WYS
C’est la plus célèbre marque française de films X.
En 40 ans d’existence, de la cassette VHS à la VOD,
l’entreprise Marc Dorcel père & fils n’a cessé de prospérer
avec des productions soigneusement estampillées
“pornochic”. Mais, derrière le vernis du glamour et de
la respectabilité, une autre image se dessine. Celle d’un
petit empire fait de montages financiers, d’une holding
à l’étranger, de films au rabais et d’actrices mal payées.
Son déguiSement eSt fin prêt. Après
avoir été un directeur d’école, en 2009, puis un
maréchal d’Empire, en 2014, Marc Dorcel a choisi
cette année une tenue de maharaja. «Avec un tur-
ban et des couleurs chamarrées », précise-t-il.
Vendredi 18 octobre, le groupe Dorcel organise
son traditionnel bal masqué quinquennal. Plus de
2 000 invités dans un lieu prestigieux de l’Ouest
parisien, encore tenu secret. Il fallait bien cela
pour fêter les 40 ans de la plus célèbre marque
française de films pour adultes. Un label connu de
tous, un nom passé dans le langage commun. Et,
surtout, une entreprise presque comme les
autres, qui vient de s’installer au cœur d’un pôle
média, à deux pas de Radio France, dans le
16e arrondissement de Paris, dans un immeuble
avec open spaces et salles de réunion vitrées où
une cinquantaine d’employés se répartissent
entre les services de distribution de programmes
adultes, de marketing ou de commerce de détail.
Parmi ses activités, la plus rentable est la VOD
(vidéo à la demande), qui représenterait à elle
seule entre 60 % et 70 % du chiffre d’affaires, le
reste étant réparti entre les six chaînes de télé et
une griffe de sextoys.
L’univers du porno a vu des labels émerger et
disparaître, des nababs devenir richissimes puis
ruinés, des cinémas X remplis tous les soirs puis
fermer les uns après les autres, remplacés par
des vidéoclubs, eux-mêmes délaissés quand
Internet est arrivé… Et aujourd’hui, en dépit des
plateformes de vidéos pornographiques en ligne
qui rendent les films X accessibles en quelques
clics, Dorcel est toujours là, une entreprise fami-
liale qui subsiste à toutes les révolutions du sec-
teur, et qui fait aujourd’hui 37 millions d’euros
de chiffre d’affaires annuels avec de la pornogra-
phie hétéro, gay et trans. « Nous sommes un
acteur global d’entertainment, un peu comme
Disney ou Warner », se félicite Grégory Dorcel,
directeur général arrivé dans l’entreprise de son
père en 1998, après un diplôme obtenu dans une
école de commerce.
Pour promouvoir la marque, les rôles sont bien
rodés entre le père et le fils, actionnaires quasi
uniques de la société. Grégory, quadragénaire
imposant, est prompt à célébrer la bonne santé
économique de l’entreprise quand le père, Marc,
85 ans, président du conseil de surveillance,
raconte la légende. Une histoire qui a démarré
en 1979, avec Jolies petites garces, le premier
porno de France tourné pour la VHS. Marc Dorcel,
alors éditeur de revues pour adultes, après avoir
créé des entreprises dans le secteur du transport
et de l’intérim, est sollicité par un réparateur de
magnétoscopes pour produire une vidéo X. Le
film est tourné à Pigalle en deux jours, dans
63
 l e m ag a zine

“Avec Dorcel, fAllAit comme ça et tu fais comme ça.”» « Ce n’est pas un

se tenir à cArreAu. Avec
les Autres réAlisAteurs,
tu pouvAis Dire :
‘AujourD’hui, non, j’Ai
mAl Au Dos.’ lui, c’étAit :
‘t’As mAl Au Dos, je m’en
fous, c’est écrit comme
çA et tu fAis comme çA.”
Marilyn Jess, actrice de “Jolies petites garces”
et “des Mauvaises rencontres”.
l’appartement d’un couple gay, où l’apprenti
cinéaste de 45 ans a l’habitude de réaliser des
romans-photos. Les tapisseries rococo et les
dorures du mobilier s’accordent avec les culottes
soyeuses des actrices. « Tout le monde me prenait
pour un dingue parce que j’achetais de la lingerie
chez Chantal Thomass et que ça coûtait une for-
tune, s’amuse Marc Dorcel. Moi, je voulais que cela
brille à l’image. Que cela ne fasse pas pute, avec le
haut du bas qui dépasse de la jupe.»
Les décennies suivantes seront faites de Rolls-
Royce et de châteaux. Le fameux style « porno-
chic » qui fera tant pour son image et que Dorcel
finira par déposer comme marque à l’institut
national de la propriété intellectuelle (iNPi),
en 2001. «Dorcel, c’est aussi les intrigues autour du
consentement, nuance son ancien complice Michel
Barny, avec qui il a signé une vingtaine de films
entre 1981 et 1998. Pour lui, il fallait toujours que
la fille dise “non, non, non…” Jusqu’à ce qu’elle
finisse par craquer et en redemande. Ce sont les
seules fois où on s’est engueulés. Et, pour cause, on
était dans une période de libération sexuelle où il
n’était plus question de forcer quelque nana que ce
soit.» Jolies petites garces n’échappe pas à la règle.
La première séquence porno du film met en scène
une jeune femme dans un parking, où elle est dés-
habillée de force par son partenaire, avant de
céder à ses avances. «En ce temps-là, il n’était pas
acceptable qu’une femme avec une libido forte se
jette sur des mecs. Elles ne pouvaient pas dire “oh!
oui, prends-moi!”», désamorce Marie-Laurence de
Rochefort, première attachée de presse de la
marque, toujours au service de son patron.
En tout cas, les ventes sont au rendez-vous. Marc
anar libertaire comme Gérard Kikoïne [réalisateur
c’était le “ne pas approcher les gens bas de gamme,
moches ou vulgaires”. Ça, c’était le pompon ! Je
phare de l’âge d’or du porno] », ajoute Guillaume n’avais pas le droit non plus d’être vue avec un sac
Le Disez, auteur de Rayon X, la première antho-
logie de jaquettes de cassettes de films X. Il com-
à dos ou un sac plastique à la main.» Et, une fois
sortie des plateaux télé de Cauet ou d’Ardisson, la
mence à une époque où le porno a perdu son côté réalité du porno reprend ses droits, loin de l’image
provoc’ et s’est embourgeoisé.» Homme d’affaires
plus que de cinéma, Marc Dorcel délègue rapide-
glamour mise en avant par Dorcel. Oksana se sou-
vient avoir été payée 1 500 euros net par mois, un
ment ses tournages à d’autres réalisateurs pour cachet englobant ses tournages mensuels et ses
se consacrer à la distribution. « On l’appelait
“Monsieur” et on le vouvoyait, se souvient un
prestations pour la marque. « Je vivais dans un
logement étudiant qui me coûtait 400 euros, pour-
technicien présent sur les productions de Dorcel suit l’ex-vedette du X, aujourd’hui camgirl (femme
de 1987 à 1993. Il venait une fois au début du
tournage, pour vérifier que tout allait bien, puis il
s’exposant contre rémunération par le biais d’une
webcam) dans le nord de la France. Quand des
repartait faire ses affaires.» Notamment s’atteler journalistes voulaient m’interviewer chez moi pour
à la communication, qu’il soigne depuis les pre- connaître la vraie vie d’une actrice de porno, je
miers jours de la marque. « J’aurais pu appeler ça devais trouver des combines pour refuser. Il y avait
“Les films du canapé”, décrypte l’entrepreneur, un petit côté “pauvresse de service”.»
mais Vidéo Marc Dorcel, cela met en avant le per-
sonnage. Marc Dorcel existe, il est là, il est photo-
graphié. Il y a un interlocuteur, une image.»
À la fin des années 1980, Canal+ consacre cette
stratégie marketing. « Le porno était à l’image de
la chaîne : marginal, transgressif et rigolo. C’était
le bon alibi pour en diffuser, raconte Henri Gigoux,
responsable des acquisitions adultes de 1992
à 2016 pour la chaîne cryptée. Et puis, il n’y avait
pas ce regard qu’on a aujourd’hui, vis-à-vis du
sexe et des femmes.» Marc Dorcel comprend vite
les bénéfices qu’il peut tirer de cette exposition.
Comme le ferait Gaumont ou Pathé, il insère
avant ses films un amorçage au nom de sa
marque, mettant en scène, à grands coups d’ef-
fets spéciaux, un toucan à l’œil rieur. « J’y suis allé
fort ! rigole-t-il. J’ai fait un amorçage qui durait au
moins vingt-quatre secondes en me disant que ça
ferait de la pub. Et ça a fait connaître la boîte de
façon incroyable. Le “vu à la télé”, c’était magique.»
« Le journal du hard », dernière émission de la
grande époque de la chaîne à être encore à l’an-
tenne aujourd’hui, parachève le travail. Alexandre
Devoise, l’un des animateurs de l’émission,
retient l’effervescence de la cérémonie des Hot
d’or, sorte d’Oscars du X ayant lieu en marge du u début des années 2000, Marc Dorcel a passé la
Festival de Cannes, largement couverte par main à son fils Grégory. Et le modèle économique
Canal+. «Tout le monde se battait pour récupérer de la petite entreprise familiale s’est adapté au
le précieux sésame qui permettait de rentrer. Des XXie siècle, et à la VOD. Néanmoins, elle tire profit
gens de la télévision, du cinéma… Il fallait en être des quatre décennies d’expérience et de son
alors que c’était ennuyeux comme pas possible ! » image « chic ». « Dans un monde pornographique
À la même époque, au milieu des années 1990, qui n’est plus maîtrisé, on a là une marque repère
Dorcel lance sa première Dorcel Girl, inspiré en très forte qui sort du lot », vante le responsable
cela par le contrat d’exclusivité signé entre la VOD d’un grand opérateur téléphonique. La
superstar du X américain Jenna Jameson et la marque distribue son catalogue de films à plus de
société de production Wicked Pictures. il est alors 75 opérateurs à travers le monde qui se chargent
autant question pour ces actrices de jouer dans de les revendre sur leurs propres plateformes. En Illustrations Chad Wys pour M Le magazine du Monde

Dorcel rempile pour d’autres cassettes, à une
époque où les vidéoclubs sont en plein boom, le
porno pouvant représenter 30 % de leur chiffre
d’affaires. La professionnalisation est en route.
Ses inconvénients avec. «Avec Dorcel, fallait se
tenir à carreau et, moi, ça me chiffonnait, tique
Marilyn Jess, vedette de Jolies petites garces et
plus tard des Mauvaises Rencontres et compagne
de Barny. Avec les autres réalisateurs, tu pouvais
dire : “Aujourd’hui, non, j’ai mal au dos.” Lui,
c’était : “T’as mal au dos, je m’en fous, c’est écrit
des films que de représenter la marque dans les
talk-shows. Des sortes de Miss France du X. «Si tu
penses qu’être pornstar c’est juste écarter les cuisses,
Dorcel, c’est tout le contraire, abonde Anna Polina,
l’une des dernières égéries, en 2011. Moi, cela m’a
forgée. J’ai appris la communication, à savoir quoi
dire aux journalistes, comment mettre la marque en
valeur.» Un travail de représentation qui confine
parfois à l’absurde. «On m’avait remis une liste de
chose à faire pour se starifier, se remémore Oksana,
Dorcel Girl de l’année 2007. Ce qui m’avait fait rire,
France, le marché se porte bien. « Cela représente
une très grande partie du chiffre d’affaires de la
VOD », atteste Tristan Arnoud, chargé des acqui-
sitions adultes pour la Canal+. Même chose pour
l’un des quatre grands fournisseurs d’accès du
pays (qui requiert l’anonymat), qui annonce
vendre chaque année avec sa box un peu moins
de 10 millions d’euros de vidéos porno. Pour tous,
Dorcel est le partenaire numéro un.
Aussi, l’entreprise doit chaque jour alimenter
son catalogue, notamment pour la France,

64

son principal marché. « Les fantasmes sont
propres à la culture de chaque pays, rappelle
Ghislain Faribeault, qui fut numéro deux de
l’entreprise de 2007 à 2016. Un Français est plus
intéressé par Monique, boulangère à Orléans, que
par Jesse, pom-pom girl au Texas.» Si Dorcel est
le distributeur exclusif en Europe du studio
américain Digital Playground, il est aussi très
présent sur le marché français du « pro-am »
(contraction de professionnel et amateur), qui
propose des films réalisés avec très peu de
moyens, jouant sur la proximité, souvent des
compilations de scènes bas de gamme autour
d’un thème (la mère de famille, la secrétaire…).
Dorcel en achète à presque tout ce que le pays
compte de petits producteurs. Sa force de
frappe lui permet de leur imposer ses condi-
tions. Un partage de revenus sur les ventes, qui
laisse rarement plus de quelques milliers d’euros
de chiffre d’affaires à ses fournisseurs.
En échange, ces derniers cèdent l’exclusivité de
la diffusion pour deux ans. L’accord ne porte pas
sur un titre unique, mais sur un catalogue à venir.
Un moyen pour Dorcel d’inciter ses producteurs
à produire, tout en veillant à ne pas apparaître
comme donneur d’ordre. « Ils font bien attention
à rester distributeur car, à partir du moment où
tu es producteur, tu es redevable des gens qui sont
dans les films, analyse un bon connaisseur de la
maison. Grégory Dorcel, le notable, n’a pas envie
d’atterrir au tribunal parce que telle fille a fait un
gang bang et que ce n’était pas prévu à l’origine.»
Et, pour préserver l’image de marque, les équipes
de Dorcel veillent au grain. « Ça arrive que la fille
fasse une drôle de tête parce qu’elle n’aime pas
trop ce qu’on lui fait, reconnaît un responsable
du groupe, rencontré au printemps 2018. Alors
on va demander au producteur de couper le pas-
sage, de la même manière qu’on lui demanderait
de le faire s’il y avait un micro ou une perche à
l’image.» Quant à savoir dans quelles conditions
le film a été tourné, ce n’est pas du ressort de la
société. « La seule chose que je peux demander,
c’est : “Ce que l’on voit à l’écran est-il légal ou
grégory dorcel s’investit
désormais dans la
protection des mineurs.
en ligne de mire, la mise
en place d’un système de
vérification de l’âge.
“dorcel, la pornographie
responsable et éthique !”,
ironise l’ex-ministre de
la famille, de l’enfance
et des droits des femmes
laurence rossignol.
non ?”», se justifie Grégory Dorcel.
Pour être sûr de ne jamais manquer de contenus
français, Dorcel produit également en interne
une soixantaine de films pro-am par an. Des stu-
dios aux noms gaillards, comme Made in France
ou Les Compères. Mais également les vidéos de
La Banane Prod et de France Interdite. Celles-ci
sont commandées par Fred Coppula, un des vété-
rans du X hexagonal, par le biais de .G La Prod,
sa société, dont Dorcel est l’actionnaire majori-
taire avec sa holding luxembourgeoise,
1979 Invest. Là encore, des productions au rabais,
avec des budgets pouvant descendre à
4 000 euros le film de trois scènes, soit un cachet
de 250 euros à 350 euros pour les actrices, sauf
pour les très rares vedettes du secteur. Pour les
mettre en scène, Dorcel pioche dans le même
vivier de réalisateurs, d’acteurs et d’actrices que
Jacquie & Michel (J&M), le spécialiste du porno
low cost, désormais son concurrent sur le marché
de la VOD en France. Après quelques scènes chez
J & M, Tina (le nom a été modifié) est ainsi rapi-
dement accueillie dans les bureaux de Dorcel, où
on lui propose de tourner pour les petites pro-
ductions de la marque. « On dit J&M ceci, J&M
cela, mais Dorcel, c’est pareil. Moi, je suis tombée
sur un réalisateur qui bossait pour les deux, com-
mente la jeune femme, à l’époque prostituée
occasionnelle. Par contre, ils m’ont fait changer de
pseudo pour que cela ne fasse pas réchauffé.» Bien
sûr, tous ces films produits par Dorcel ne sont pas
marketés comme tel, le nom de la marque n’ap-
paraissant jamais. Pas assez propre. Et, lorsque
l’actrice de l’une de ces vidéos s’enthousiasme
sur les réseaux sociaux pour avoir participé à un
« Dorcel », le community manager l’incite à reti-
rer son post. Car le label Dorcel est réservé à une
vingtaine de productions « haut de gamme » par
an. « Ces films, c’est le défilé haute couture de
Dorcel, compare Ghislain Faribeault. C’est ce qui
fait l’image de la marque. Ensuite, le business se
fait sur le catalogue et les produits dérivés.»
Mais, même pour ces vidéos, l’entreprise prend
des dispositions pour se tenir éloignée de la pro-
duction exécutive, c’est-à-dire la gestion adminis-
trative des tournages, qui est sous-traitée à des
 l e m ag a zine

sociétés étrangères. Il en va ainsi pour la petite

dizaine de longs-métrages tournés en France par
le réalisateur maison Hervé Bodilis. Dans ce cas,
Dorcel délègue la production exécutive à Originale
Prod, une société de droit estonien dirigée par
l’acteur-producteur-réalisateur Tony Carrera,
comptable de formation. L’Estonie présente le
double intérêt d’être un pays où l’on peut créer sa
société en deux clics et profiter d’une fiscalité
avantageuse. Originale Prod s’exonère également
du paiement des cotisations sociales et des charges
patronales. En effet, un contrat que M a pu consul-
ter atteste que, dans le cas de ce tournage précis,
la personne employée est rémunérée en cash et
doit régler elle-même les taxes en vigueur en
France. Un document auquel s’ajoutent les témoi-
gnages de plusieurs actrices, acteurs et techni-
ciens, habitués de ces productions. Ce montage
sert également à financer au moins une partie des
films pro-am produits par Dorcel.

AutAnt
de prestataires
dont beau-
coup n’ont pas
été invités au bal masqué anniversaire. « Nous,
on fait notre route, et le milieu du X en France, je
ne sais pas ce que c’est », évacue Grégory Dorcel.
Lui-même n’a assisté qu’à un seul tournage
porno au cours de sa vie, il y a maintenant plus
de vingt ans. Mais, au bal masqué, il y aura des
journalistes, des influenceurs, des chargés des
relations publiques, et bien sûr ses partenaires
commerciaux. En 2019, Dorcel a d’ailleurs réalisé
deux gros coups en nouant, en août, un accord
Illustrations Chad Wys pour M Le magazine du Monde
Blanquer ou au cabinet de l’ancienne ministre
de la famille, de l’enfance et des droits des
femmes Laurence Rossignol. « Dorcel, la porno-
graphie responsable et éthique ! », ironise cette
dernière. Le producteur-distributeur s’est égale-
ment rapproché d’associations de protection de
l’enfance, comme l’Observatoire de la parenta-
lité et de l’éducation numérique. Avec succès.
« Grâce à lui, j’ai pu être mis en relation avec l’ac-
trice Anna Polina pour tourner une vidéo de pré-
BETC, pour participer à une table ronde sur le
sexe et la robotique.
Mais la communication a ses limites. Le premier
entretien avec Grégory Dorcel a été conditionné
à la présence de son attachée de presse, venue
avec un Dictaphone pour consigner notre
échange. Puis il a fait annuler l’interview avec
son père, quelques heures à peine avant le ren-
dez-vous. L’auteur de ces lignes étant accusé de
tenir « des propos diffamatoires en privé » à l’en-

de distribution de son catalogue avec la chaîne
Sky Italia et, en janvier, avec l’américain Comcast,
un des plus gros opérateurs Internet au monde
avec près de 40 millions d’abonnés.
Une notabilité qui s’accompagne d’efforts poli-
tiques. Après avoir longtemps milité contre le
piratage, en réclamant notamment aux fournis-
seurs Internet de couper l’accès aux sites de
contrefaçon, Grégory Dorcel s’investit désormais
dans la protection des mineurs. Sur son ordina-
teur, les copies des lettres qu’il a envoyées au
ministre de l’éducation nationale Jean-Michel
vention afin de rappeler aux mineurs l’aspect
fictionnel des images porno », se félicite son pré-
sident, Thomas Rohmer. En ligne de mire pour
Dorcel, la mise en place d’un système de vérifi-
cation de l’âge qui pourrait passer par l’entrée
d’un numéro de carte bancaire, et porterait ainsi
un coup fatal aux tubes (plateformes porno gra-
tuites). Et, pour parfaire sa communication,
l’homme d’affaires s’improvise conférencier
tech. Le 7 septembre, il était l’invité du colloque
Futures of Love, aux Magasins généraux, un lieu
à Pantin qui appartient à l’agence de publicité
contre de la société. Ce n’est qu’après avoir été
sermonné dans son bureau, où il a fait allusion à
son droit de nous poursuivre en cas de diffama-
tion, que nous serons finalement autorisés à
poursuivre les entretiens et à réaliser des photos.
Mais celles-ci ne seront jamais prises, Grégory
Dorcel débarquant pour annuler le shooting,
inquiet de la teneur de notre article. Pour l’illus-
trer, son attachée de presse enverra finalement
des clichés du père et du fils. Deux hommes au
sourire crispé, en costume sombre, avec un air
austère de notables.

67
Page de droite :
Ethyl Eichelberger as
Minnie the Maid, 1981.

John Heys in profile, 1985.

Copyright Peter Hujar Archive, LLC. The Morgan Librar y & Museum.
Cour tesy Pace/MacGill Galler y, New York and Fraenkel Galler y, San Francisco
Photos Peter HUJar
Texte Clément GHYS
le portfolio

Un
simple
regard.
Comme Robert Mapplethorpe ou Diane Arbus, Peter Hujar avait le goût du noir et blanc
et fréquentait l’underground. Mais l’Américain fait partie des oubliés de la photographie.
Près de trente ans après sa mort des suites du sida, ses clichés puissants à la beauté
presque classique sont exposés au Jeu de paume, à Paris, à partir du 15 octobre.
69

Gary in Contortion (1) and (2), 1979.
En mars 2015, la photo en noir et blanc d’un homme plissant les
yeux surgit dans les rues de New York. En quelques semaines, celui dont
on ne sait s’il pleure, dort ou gémit de plaisir se multiplie sur les tables
de chevet, les bancs des parcs ou les cuisses des passagers du métro.
L’image fait la couverture d’un livre, Une vie comme les autres, de Hanya
Yanagihara (Buchet-Chastel, 2018), vite devenu un best-seller. Il s’en ven-
dra un million d’exemplaires. Son auteure, rédactrice en chef du maga-
zine T, un supplément du New York Times, s’est battue auprès de son
éditeur pour que cette photographie de Peter Hujar illustre son récit, sur
plusieurs décennies, des liens entre quatre hommes new-yorkais, tour à
tour colocataires, amis, amants, veufs… Une intrigue à l’image de la vie
de l’artiste, qui se voyait exposé en 2017 à la Morgan Library and Museum
dans le cadre de « Speed of Life ». Cette même exposition s’installe à partir
du 15 octobre au Jeu de paume, à Paris.
Comme une grande partie des visiteurs américains, beaucoup de Français,
à cette occasion, découvriront sans doute tout de Peter Hujar, mort en 1987,
à 53 ans, d’une pneumonie liée au sida. Celui qui fut l’un des photographes
américains les plus importants des années 1970 et 1980 est aussi, parado-
xalement, l’un des plus méconnus. L’auteur d’une œuvre dense, entamée à
l’adolescence et qui ne s’achèvera que dans les derniers moments de la
maladie. Un corpus d’images qui voit traités avec le même respect, et de la
même façon, en noir et blanc, anonymes, figures de la vie artistique new-
yorkaise (les auteurs Susan Sontag ou William Burroughs, entre autres),
amants, animaux, momies du cimetière des Capucins à Palerme, la superstar
warholienne Candy Darling sur son lit de mort ou encore des paysages…
Bref, un travail dont l’ampleur aurait dû lui assurer la célébrité. Sauf que
Peter Hujar est auréolé d’un mystère que chérissent les initiés. Le 29 mai
1980, Hervé Guibert, alors journaliste au Monde, écrivait à son sujet : « Son
curriculum vitae, plus intime, semble pour le moins apocryphe : il serait né à
Hollywood d’un père boulanger d’origine ukrainienne et d’une mère actrice
qui ne connut aucune notoriété. Un séjour de deux ans dans un couvent de
trappistes lui aurait révélé son goût de la photographie au début des
années 1960. Il vivrait maintenant retiré du monde en Floride, dans une ferme,
70
Copyright Peter Hujar Archive, LLC. The Morgan Librar y & Museum. Cour tesy Pace/MacGill Galler y, New York
and Fraenkel Galler y, San Francisco.. Copyright Peter Hujar Archive, LLC. The Morgan Librar y & Museum.
Cour tesy Pace/MacGill Galler y, New York and Fraenkel Galler y, San Francisco.
où il élèverait des chèvres tout en s’occupant de son fils attardé.» Évidemment,
tout était faux. Peter Hujar était né dans le New Jersey, avait étudié la pho-
tographie et démarré dans des magazines de mode, notamment aux côtés
de Richard Avedon et du directeur artistique Alexey Brodovitch. Mais, quand
beaucoup débutent dans la marge pour finir dans le mainstream, lui a fait
l’inverse. Selon Joel Smith, commissaire de l’exposition «Speed of Life», «au
début des années 1970, il a décidé d’être pauvre, pour ne pas voir sa création
polluée. Il s’est installé dans un loft de l’East Village, alors misérable ».
Pendant ce temps-là, un autre prenait toute la place : Robert Mapplethorpe.
De douze ans son cadet, celui-ci partageait avec Hujar le goût du noir et
blanc, des nus masculins et des références à un certain classicisme. «En réa-
lité, ils étaient opposés », précise Joel Smith. Mapplethorpe avait un mécène
richissime, une ambition dévorante – notamment celle de dépasser la célé-
brité de Warhol –, et cherchait le sensationnel dans chaque cliché. Tout l’in-
verse de Hujar, qui disait «photographier simplement des êtres complexes.»
Mapplethorpe n’était pas son seul concurrent. À la même époque, Diane
Arbus court New York à la recherche de travestis, de handicapés, de margi-
naux qu’elle saisit dans ses portraits en noir et blanc et au format carré. Des
portraits encensés, tandis que Hujar, amer, reste dans l’ombre. « Sa retenue
et sa sévérité l’ont sans doute éclipsé », juge Quentin Bajac, directeur du Jeu
de paume et cocommissaire de l’exposition. Sauf qu’aujourd’hui, sans éclip-
ser Mapplethorpe ni Arbus, le travail de Hujar prend une nouvelle réso-
nance. Il est devenu classique, adjectif qui lui était interdit de son vivant
parce qu’il traitait frontalement d’homosexualité, de nudité, de marginalité.
« Il laissait les modèles, êtres humains, chiens ou paysages, être eux-mêmes.
Voilà le vrai classicisme», affirme Joel Smith. Une beauté qui échappait à son
époque et que devinait déjà Hervé Guibert en 1980, en écrivant dans
Le Monde : « Le tout est à la fois plat et intense, mais davantage d’une plate
intensité que d’une intense platitude : empli par le silence.»
« Peter Hujar, SPeed of Life », du 15 octobre au 19 janvier,
au jeu de Paume, 1, PLace de La concorde, PariS 8 e. jeudePaume.org
 Copyright Peter Hujar Archive, LLC. The Morgan Librar y & Museum.
Cour tesy Pace/MacGill Galler y, New York and Fraenkel Galler y, San Francisco
Le portfoLio

Bouche Walker (Reggie’s Dog), 1981.

Lotte Eisner in Paris (2), 1980.
Copyright Peter Hujar Archive, LLC. Cour tesy Pace/MacGill Galler y,
New York and Fraenkel Galler y, San Francisco
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Cour tesy Pace/MacGill Galler y, New York and Fraenkel Galler y, San Francisco
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John Heys With Orange Breasts, 1983.

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74
New York, 1984.
Grass Port Jefferson, Copyright Peter Hujar Archive, LLC. The Morgan Librar y & Museum. Cour tesy Pace/MacGill Galler y, New York and Fraenkel Galler y, San Francisco
 Copyright Peter Hujar Archive, LLC. Collection of Ronay and Richard Menschel, cour tesy Pace/MacGill Galler y, New York and Fraenkel Galler y, San Francisco. . Copyright Peter Hujar Archive, LLC. The
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Le portfoLio

Susan Sontag, 1975.

David Wojnarowicz, 1981.

William Burroughs (1), 1975.

Rockefeller Center (2), 1976.
De haut en bas et de gauche à droite :

75
76
Christopher Street Pier (2), 1976.
Le portfoLio

Copyright Peter Hujar Archive, LLC. The Morgan Librar y & Museum.
Cour tesy Pace/MacGill Galler y, New York and Fraenkel Galler y, San Francisco
Wave, Sperlonga, 1978.
Camille Bombois, Fillette à la poupée, 1925, 55 x 46,5 cm, P124, Collection privée, Photo : © Jean-Louis Losi, © Adagp, Paris, 2019
 Textes Sophie ABRIAT, Vicky CHAHINE
Fiona KHALIFA et Caroline ROUSSEAU.
1 - Balenciaga.
1 — les pleins pouvoirs.
« Si un vêtement n’est que ce qu’il montre, si,
quand on tend la main, on ne touche qu’une jupe,
ce n’est pas suffisant.» La citation est d’Alessandro
Michele, directeur artistique de Gucci, mais, dans
un genre très différent, elle peut tout aussi bien
s’appliquer au travail de Demna Gvasalia. Le
29 septembre au matin, à la Cité du cinéma, à
Saint-Denis, le créateur d’origine géorgienne,
arrivé chez Balenciaga en 2015, a encore démon-
tré la puissance et la profondeur de sa vision, plus
généreuse que les crinolines de ses robes, plus
troublante que les joues et les lèvres faussement
Estrop/Getty
siliconées de ses mannequins. L’autorité mais
aussi l’humanité avec lesquelles il embarque son
public dans son imaginaire sont la marque d’un
Épique
Époque.
m essages écologiques et passion seventies…
la fashion week de paris a marqué un tournant. et placé la
mode face à ses enjeux : aussi esthétiques que politiques.
vrai créateur, capable de déranger autant que
d’émouvoir. Il pourrait faire des films. Il fait de la
mode, et son casting mélange top-modèles et
vraies gens. Entre science-fiction et histoire
contemporaine ou histoire de l’art, le vestiaire du
printemps-été 2020 emprunte aux combinaisons
moulantes de Star Trek, aux costumes glaçants
des bureaucrates, aux uniformes des agents
(secrets ou de sécurité) affublés de lunettes à
LED, aux minirobes des stagiaires des
années 1980 mais aussi au vestiaire des Ménines,
de Velázquez, cher à Cristobal Balenciaga. Dans
un décor tendu d’un bleu européen, le podium
suivait une ellipse tourbillonnante et centrifuge.
Il donnait l’impression aux invités, assis en un
long rang unique, de siéger à une grande
LE GOÛT
assemblée. Ce faisant, il replaçait les rédacteurs
et les critiques dans leur rôle de « juges » et de
« parties », et la mode dans ce qu’elle ne doit
jamais cesser de faire : observer et questionner
l’époque. Gvasalia s’est penché là sur ce qu’on
appelle le power dressing, sorte de workwear
appliqué au secteur tertiaire où le tailleur-jupe ou
pantalon et la robe à col lavallière symbolisent
l’importance de celles qui les portent.
L’expression de power dressing semble étrange-
ment ringarde et mal taillée pour cette mode-là
qui inquiète et fascine, repousse toujours plus
loin l’idée de « proportions acceptables », inter-
roge l’avenir tout comme l’uniformisation du
goût, et signifie donc beaucoup plus que ce
qu’elle donne à voir.
79

2 – Isabel
Marant.
2 — à point nommé.
On le croyait réservé aux guéridons, aux coupes de
fruits ou aux bibelots, mais voici que le désuet nappe-
ron inspire la mode. Ce printemps, on retrouve ses
motifs ornementaux sur des robes longues roman-
tiques chez Celine, en version courte chez Isabel Marant
et chez Loewe, et même en boucles d’oreilles chez
Stella McCartney.
3 — grains de sable.
Dans une industrie où rien est laissé au hasard, les inci-
dents pendant les défilés apportent parfois un néces-
saire grain de folie. Chez Chanel, c’est la youtubeuse
Marie s’infiltre qui s’est invitée (toute seule, donc) sur
le podium. Vêtue d’un tailleur en tweed et d’un cha-
peau, l’humoriste s’est rapidement fait raccompagner
par la top-modèle Gigi Hadid, mais les vidéos filmées
par les invités ont fait le tour des réseaux sociaux.
Même viralité pour l’extrait du défilé féminin Maison
Margiela, clôturé par un jeune mannequin allemand de
20 ans, Leon Dame. Son regard perçant et son déhan-
ché saccadé ont médusé l’assistance et déclenché
jusqu’au rire de la placide Anna Wintour, rédactrice en
chef du Vogue US.
4 — déFilons sous la pluie.
La Fashion Week de Paris aura commencé comme elle
s’est terminée : sous une pluie torrentielle. Dès le
deuxième jour, Marine Serre a anticipé les conditions
météorologiques pendant son défilé en plein air, à
l’hippodrome d’Auteuil. Pour sa collection baptisée
« Marée Noire », la jeune créatrice avait envoyé une
invitation dotée d’un parapluie noir pliant, siglé ton sur
80
Le goût
2 - Stella McCartney. 2 - Loewe.
ton de son emblématique croissant, qu’on était prié de
prendre avec soi pour s’abriter. Le lendemain, Lanvin a
fait défiler ses mannequins sous la même cloche trans-
parente que ses invités. Et le dernier jour, Lacoste puis
Louis Vuitton, qui clôturait cette semaine de la mode
parisienne, avaient judicieusement prévu un stock de
parapluies pour leurs invités. Et comme un clin d’œil 2 - Celine par Hedi Slimane.
fortuit, chez Nina Ricci, un rideau de pluie séparait la
salle… sans mouiller l’assistance.
5 — à bras raccourcis.
Faisant écho au retour de la mode seventies déjà
observé dans les collections automne-hiver, plusieurs
silhouettes de l’été prochain se sont délestées d’une
manche. Des asymétries repérées sur des robes longues
chez Givenchy, Saint Laurent par Anthony Vaccarello,
et Valentino.
6 — Fleur de l’âge.
Elles ont défilé pour les plus grands : Amalia Vairelli
pour Yves Saint Laurent et Versace, Axelle Doué pour
Madame Grès, Christian Lacroix ou encore Claude
3 - Chanel.
Montana. Récemment réunies par l’historien Olivier
3 - Maison Margiela.
Saillard à l’occasion de ses performances autour de la
mode, les revoici sur les podiums de plus jeunes créa-
teurs. Reconnaissable à sa chevelure blanche et à son
port altier, Axelle Doué défilait ainsi chez Off-White en
pantalon de cuir et débardeur blanc ; quant à Amalia
Vairelli, elle a fait partie du casting très inclusif de
Marine Serre. Une façon aussi de faire découvrir à la
jeune génération ces visages qui ont marqué les
podiums. Il n’y a pas que Claudia Schiffer et Cindy
Crawford !
Frederique Dumoulin. Stella McCar tney. Loewe. Celine. Victor Virgile/Gamma-Rapho/Getty. Valerio Mezzanotti.
Adam Peter Johnson. Swan Gallet/W WD/Rex/Sipa. Valentino. Alessandro Lucioni/Gorunway.com. Off-White

5 - Valentino. 5 - Givenchy.

6 - Off-White.
4 - Lanvin. 4 - Nina Ricci.
7 - Dior.
7 - Marine Serre.

Hier, la mode, l’une

des industries les plus
polluantes, pouvait
choisir de s’engager
ou non en faveur de
l’écologie ; aujourd’hui,
c’est indispensable. Il faut
Dior. Thomas Samson/AFP. Lillie Eiger

désormais savoir mettre

en scène cet engagement
et les défilés sont des
vitrines tout indiquées.
Le goût
7 — nature humaine.
Le 23 septembre, jour d’ouverture de la Fashion Week de
Paris, Greta Thunberg prononçait un discours remarqué
à la tribune de l’ONU, interpellant les dirigeants de la pla-
nète : « Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et
mon enfance avec vos paroles creuses. Je fais pourtant par-
tie de ceux qui ont de la chance. Les gens souffrent, ils meu-
rent. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au
début d’une extinction de masse…»
Il y a encore quelques années, la mode, l’une des indus-
tries les plus polluantes, pouvait choisir de s’engager ou
non en faveur de l’écologie ; aujourd’hui, c’est devenu
indispensable. Mais il faut désormais savoir mettre en
scène cet engagement et les défilés sont des vitrines tout
indiquées. Ainsi, le lendemain du discours de Greta
Thunberg, Maria Grazia Chiuri, directrice artistique de
Dior, plaçait la nature au cœur de son défilé, conçu comme
un manifeste écologique. Dans le bois de Boulogne, à
l’hippodrome de Longchamp, une vaste boîte en bois brut
avait été dressée. À l’intérieur, une forêt recréée avec plus
de 160 arbres d’une soixantaine d’essences (châtaignier,
tilleul, olivier, sapin, chêne, bouleau…). Un « jardin inclu-
sif » selon les mots de la directrice artistique, imaginé en
partenariat avec l’atelier parisien du collectif de paysa-
gistes Coloco. Les arbres, insiste Dior, seront tous replan-
tés dans la capitale ou en région parisienne dans le cadre
de projets durables – leurs racines ont d’ailleurs été soi-
gneusement emballées dans de la toile de jute. « Un défilé
de mode comme celui de Dior a un écho médiatique très
fort, c’est l’occasion de capter l’attention d’un large public,
pas forcément sensibilisé à la cause écologique », souligne
Nicolas Bonnenfant, l’un des trois associés de l’atelier
Coloco. Chaque arbre portait une étiquette #plantingfor-
thefuture indiquant son origine et sa prochaine destina-
tion. Dior a préféré prendre les devants, devançant d’éven-
tuelles critiques. Pour éviter aussi la polémique suscitée
par le défilé automne-hiver 2019-2020 de Chanel, qui avait
7 - Stella McCartney.
fait couper des chênes et des peupliers pour le décor. Bien
que la maison se soit engagée à planter une parcelle de
100 nouveaux chênes, les critiques avaient fusé sur les
réseaux sociaux et la fédération France Nature
Environnement avait dénoncé une « hérésie ».
L’engagement écologique est désormais un enjeu de com-
munication primordial pour les marques.
Longtemps discrets sur le sujet, les grands groupes multi-
plient les annonces de bonne conduite. Le 24 septembre,
en pleine Fashion Week de Paris, Kering s’est engagé « à
devenir totalement neutre en carbone (…) sur l’ensemble de
[ses] activités et de [ses] chaînes d’approvisionnement ». Le
lendemain, lors de l’événement Future LIFE Paris au siège
de LVMH, à Paris, le groupe, qui vise lui aussi « l’excellence
environnementale », annonçait avoir réduit de 16 % ses
émissions de CO2 entre 2013 et 2018, malgré une forte
croissance de son activité. Son objectif est d’atteindre un
repli de 25 % entre 2013 et 2020 et ce, sans mesures
compensatoires.
Pionnière dans la mode éthique et durable, la créatrice
Stella McCartney, qui a quitté le giron du groupe Kering
pour rejoindre LVMH en juillet, était présente en qualité
d’invitée d’honneur. Quelques jours plus tard, lors de son
défilé à l’Opéra Garnier, elle choisissait la carte du second
degré pour rappeler son engagement. Au mur étaient pro-
jetés des gifs représentant des animaux en train de copu-
ler, une métaphore plus parlante que n’importe quel dis-
cours. Et sur chaque siège était posée une note retraçant
chronologiquement ses activités pro-environnement (elle
n’a jamais utilisé de fourrure, a recours à du coton bio
depuis 2008, a banni le PVC en 2010, le mohair en 2018…).
La créatrice Marine Serre, lauréate du prix LVMH 2017, a
quant à elle choisi une tout autre manière de communi-
quer sur l’urgence climatique. Son défilé baptisé Marée
Noire, organisé en plein air à l’hippodrome d’Auteuil,
misait sur une ambiance volontairement anxiogène. Sur
un podium recouvert d’une bâche noire, des manne-
quins passent, masque à oxygène sur le visage. Ce sont
des « survivants de l’apocalypse, des guerres climatiques,
des vagues de chaleur, de l’extinction de masse », indique
sa note d’intention. Cinquante pour cent de la collection
a été réalisée avec des tissus existants, comme ces robes
confectionnées à partir de draps et de rideaux. « La mode
est un univers très désirable et très convoité qui peut aider
à faire changer les mentalités, mais il n’est pas certain que
la carte du catastrophisme soit la plus efficace », souligne
Barbara Coignet, fondatrice de l’agence 1.618, spécialisée
dans le luxe durable.
Chez Atlein, le classique podium installé au Palais de
Tokyo ne laissait rien présager d’un éventuel engage-
ment écologique, mais son fondateur, Antonin Tron, est
venu saluer vêtu d’un tee-shirt Extinction Rebellion.
Vingt pour cent des bénéfices des ventes des tee-shirts
de la collection (dont 60 % des tissus sont issus de stocks
d’invendus) seront reversés au mouvement, dont le créa-
teur est membre. « Ces initiatives ne doivent pas cacher
la réalité du coût environnemental d’un défilé : l’em-
preinte carbone des invités venus du monde entier qui se
déplacent en voiture, la dépense en papier pour les invi-
tations, la consommation d’énergie que requièrent la
lumière et le son », tempère Barbara Coignet, qui invite
d’ailleurs à une réflexion sur l’avenir des défilés.
Réflexion qui semble inévitable.
83

8 — l’eau à la boucle.
Elle se faisait plutôt discrète, fine, unie, voire nouée sur
le côté. Mais la ceinture ne sert plus seulement à ajuster
un pantalon trop grand, elle marque aussi la silhouette.
Particulièrement cette saison, avec d’imposantes
boucles en argent en forme de fleur façon lotus chez
Isabel Marant et de papillon chez Paco Rabanne.
Comme une version plus féminine de cet accessoire
échappé du vestiaire de cow-boy.
9 — esprit de corps.
Sur chaque siège était posée une rose avec une éti-
quette « DVN × CLX ». Cela aurait dû mettre la puce à
l’oreille des invités de Dries Van Noten à l’Opéra Bastille.
Pourtant, la surprise a été totale lorsque le créateur
belge est sorti saluer en compagnie de Christian
Lacroix, dont la maison a fermé en 2009. Et l’émotion
encore plus forte lorsque les convives ont compris que
ces silhouettes poétiques étaient signées à quatre
mains, qu’elles dégageaient aussi bien l’excentricité
maîtrisée du premier que la flamboyante féminité des
créations du second. Un moment d’une rare beauté
dans une industrie qui multiplie, même quand elles
manquent de sens, les collaborations entre les marques.
8 - Isabel Marant. 8 - Paco Rabanne. 11 - Celine par Hedi Slimane.
9 - Christian Lacroix ×
Dries Van Noten.
10 - Hermès. 10 - Chloé.
84
Le goût
10 — revers médaillé.
Alors que l’exposition «Back Side, dos à la mode», orga-
nisée par le Palais Galliera au Musée Bourdelle à Paris,
remporte un franc succès, les créateurs ont cette saison
porté une attention particulière au verso des vêtements.
Ainsi, ces pièces croisées dans le dos chez Hermès et
Chloé dévoilent juste ce qu’il faut.
11 — bien FicHus.
Sur les podiums, coiffure et maquillage font souvent
écho aux vêtements. Ainsi, cette saison, les cheveux
étaient lâchés avec une raie au milieu, comme pour
répondre aux silhouettes seventies. Chez Celine et Saint
Laurent, des fichus en soie à motifs cachemire ou léo-
pard couvraient le haut de la tête pour accentuer l’effet
hippie chic.
12 — belles des cHamps.
Motif central des collections d’été, la fleur se métamor-
phose selon les maisons. Peinture impressionniste chez
Nina Ricci, tapisserie seventies chez A.P.C., version tro-
picale chez Isabel Marant, ou herbier chez Dior, et dans
sa forme la plus attendue, la romantique petite fleur
des champs, chez Miu Miu et Stella McCartney.
Isabel Marant Peter White/Getty. Bestimage. Alessandro Viero/Ima xtree. Armando Grillo/Ima xtree.
Ik Aldama/AFP. Monica Feudi. Dior. Mar tin Zahringer. Stella McCar tney
 Motif floral au cœur
des collections d’été et collaboration
remarquée à l’Opéra Bastille.
12 - Stella McCartney.

12 - Miu Miu.
12 - Dior.

12 - A.P.C.
 Le goût

13 - Saint Laurent par Anthony Vaccarello.

13 — courts métrages.
Alors que le bermuda fait sa réapparition cette saison,
son cousin, le short, a, lui aussi, été aperçu sur les
podiums, coordonné avec une veste. Sophistiqué avec
des paillettes chez Saint Laurent, en combishort en
tweed chez Chanel, à rayures banquier chez Chloé ou
en soie et raphia écossais chez Dior, il devient une ver-
sion estivale du costume.

14 — or norme.
Même si le maquillage naturel, qu’on appelle nude dans
le jargon, continue de coloniser les défilés, certains ont
opté pour des fards brillants qui illuminent le regard.
Option argentée chez les amazones de Balmain, ou
dorée et précieuse comme un bijou chez Valentino.

15 — courant d’air.
Après une apparition dans les années 1990, le ventre à
l’air a disparu de la mode. Éternel cycle des tendances
oblige, l’été prochain lui redonne une seconde chance.
En version sportive chez Issey Miyake avec une
brassière, bohème chez Isabel Marant avec un top en
crochet et sophistiquée avec un boléro en maille et

Chanel. Saint Laurent. Francesca Beltran. Greg Kessler/KesslerStudio

fourrure chez Loewe. Attention aux courants d’air.

16 — L’envoLée du voLant.
Associé à la danse, le volant est sur toutes les jupes du
printemps. Sur un modèle court en taffetas de soie chez
13 - Chanel.
Louis Vuitton, mi-long en broderie anglaise chez Cédric
14 - Balmain. 14 - Valentino.
Charlier ou encore transparent comme un jupon en
dentelle chez Alexander McQueen.
 15 - Loewe. 15 - Issey Miyake.

« Ce qui se passe autour

du défilé relève tout autant
de la performance que ce
qui se passe sur le podium. »
Marco Pecorari
16 - Cédric Charlier. 16 - Alexander McQueen.
16 - Louis Vuitton.

17 — « les défilés sont pensés comme

des divertissements instagrammables »
Marco Pecorari, directeur du master fashion studies à
la Parsons The New School for Design Paris, raconte
l’évolution du « théâtre » de la mode.

en quoi le premier rang des défilés est-il un enjeu

pour les marques et les invités ?
C’est un espace symbolique qui met en scène les hiérar-
chies et les relations de pouvoir régissant le système de
la mode. Lorsque nous parlons du «théâtre» de la mode,
nous ne pensons pas seulement au spectacle des collec-
tions, mais aussi aux personnes impliquées et à leur
comportement (rang, heure d’arrivée, gestuelle, etc.). Ce
qui se passe autour du défilé relève tout autant de la per-
formance que ce qui se passe sur le podium.

les réseaux sociaux et les influenceurs ont-ils

induit une nouvelle hiérarchie ?
On note un changement au début des années 2000
avec les premiers blogueurs invités aux défilés.
Loewe. Frederique Dumoulin. Pierre Mouton. Alexander McQueen. Louis Vuitton

Aujourd’hui, ce sont les instagrammeurs que les

marques placent au premier rang en vue de démulti-
plier l’impact du show. La montée en puissance du
numérique est donc matérialisée dans l’espace phy-
sique. En parallèle, les défilés sont désormais pensés
comme des divertissements « instagrammables ».

en quoi est-il judicieux, pour certaines marques,

d e r é d u i r e l e n o m b r e d ’ i n v i t é s , co m m e o n l e
constate parfois ?
La mode s’est construite sur le concept d’exclusivité.
Pour les marques, réduire la liste de ses invités traduit
un besoin constant de différenciation, c’est aussi l’occa-
sion de créer une stratification, du désir entre les invités
et ceux qui ne le sont pas. Une stratégie en opposition
avec le mouvement d’inclusivité qui anime la mode
depuis quelques saisons – somme toute partiel et plus
axé sur des perspectives commerciales que sociales.

87
 LE GOÛT

Autoportrait.

88
 l’ancien leader du groupe r.e.M. n’est pas qu’une icône du
rocK. reconverti dans la photographie, l’auteur de “losing
My religion” publie “our interference tiM es”, un recueil qui
Mêle iMages conceptuelles et clichés autobiographiques.
Michael Stipe,
photo sensible.
Texte Stéphanie ChaYET
O n vO u s e n vO i e i n t e rv i ew e r une
gloire du rock reconvertie dans la photo, avec
pour mission de « raconter le parcours de
l’homme ». Cet homme dont le tube international,
Losing my Religion (sur l’album Out of Time,
écoulé à plus de dix millions d’exemplaires), est
sorti l’année de vos 20 ans, a marqué la bande-
son de la fin du xxe siècle d’une voix que Bono
qualifiait d’« extraordinaire ». Il était le parolier
favori de Thom Yorke (de Radiohead), le mentor
de Kurt Cobain, et trois décennies durant, le lea-
der de R.E.M., le groupe de rock alternatif qu’il
fonda pendant ses études à l’université de
Géorgie avant d’en faire un phénomène plané-
taire aux contrats mirobolants. En préparant l’en-
tretien, vous réécoutez Fall on Me, The One I
Love, Radio Free Europe et Shiny Happy People,
cette joyeuse confection pop sortie en pleine
époque grunge. Et puis, deux jours avant le ren-
dez-vous, la publicitaire de Damiani, l’éditeur
italien qui vient de publier son nouveau livre de
photos, vous prévient par courriel : « Michael
Michael Stipe
Stipe ne répondra pas à des questions sur son
passé avec R.E.M. » Une sévère amputation du
parcours de l’homme.
Bientôt sexagénaire, l’ex-pop star reçoit dans son
atelier de l’East Village, un rez-de-chaussée
immaculé situé sur une portion de l’avenue C où
les épiceries crasseuses – les New-Yorkais disent
« bodegas » – n’ont pas dû beaucoup changer
depuis son arrivée en 1987 dans sa « deuxième
ville natale ». Michael Stipe rêvait de Manhattan
depuis qu’il avait découvert le rock à 15 ans à l’oc-
casion de la sortie du premier album de Patti
Smith, Horses, et décidé le jour même de faire de
la musique. Mais l’image est advenue dans sa vie
encore avant, précise celui qui veut être pris au
sérieux comme photographe. En 1974, il
emprunta le Nikon FX2 de son père pour un
cours de photo au lycée et ne le lâcha plus jamais.
« Il a été volé avec de l’herbe et un bocal de pièces
de monnaie quand je me suis installé avec mon
guitariste, Peter Buck, dans une ancienne église.
Nous étions sans le sou, mais l’assurance de mon
père l’a remboursé, et il m’en a racheté un autre
dont je me sers encore. » Quand devient-on pho-
tographe ? À quel moment sait-on qu’il ne s’agit
pas d’un hobby mais d’une démarche artistique?
« Quand on commence à faire la différence entre
un instantané et une œuvre », répond-il en se
levant (polo vert, pantalon vert) pour montrer un
cliché en noir et blanc pris en 1992 dans un jardin
ensoleillé d’athens, son berceau familial. La cas-
cade de boucles blondes à la Marilyn Monroe
appartient à sa sœur Lynda, le crâne rasé à une
amie chanteuse vénézuélienne. « C’est une image
tellement féminine. J’ai su immédiatement que
c’était une œuvre, sans doute la meilleure photo
que je prendrais jamais. »
après Volume 1, un premier recueil de photos
consacré à ses familles biologique et artistique,
Our Interference Times explore le dialogue impos-
sible entre l’analogique et le numérique à notre
époque de transition technologique,
 Le goût

“J’ai mordu dans une

ampoule quand j’étais
tout petit. Je voulais
devenir le filament,
la source de lumière.”
Ci-dessus et ci-dessous, des photographies issues du livre.
explique-t-il en feuilletant le livre. Une
photo argentique de l’émoji « trou» suffisamment
agrandi « pour y faire passer un corps humain »
montre que ces deux façons de capturer le monde
ne sont pas compatibles. En regardant l’impres-
sion à la loupe, on découvre des formes étranges,
aux contours organiques, ni vraiment pixels, ni
vraiment demi-tons, des hybrides. Cette disso-
nance surgit aussi dans le moiré, ces ondulations
caractéristiques qui apparaissent à l’image quand
on photographie un écran : lorsque d’autres s’en
débarrassent d’un clic sur Photoshop, Michael
Stipe les cultive. Il prend des photos d’ordina-
teurs, des photos de photos – il les appelle des
palimpsestes – et trafique ses autoportraits avec
des applis « pour adolescentes japonaises ». Son
passage préféré est une série d’images zoomées
et rephotographiées de baleines aperçues depuis
un rivage de la Basse-Californie, au Mexique.
« Nous n’avons même pas idée de la suprême intel-
ligence de cet animal, nous savons simplement que
nous sommes en train de le foutre en l’air. Ces
images merdiques des créatures terrestres les plus
magnifiques symbolisent notre niveau de compré-
hension des cétacés.»
Tout, dans cet ouvrage, n’est pas si conceptuel.
Our Interference Times est certes un « registre
visuel de l’époque », mais c’est aussi un journal de
sa vie. De son enfance heureuse dans une famille
aimante bougeant au gré des affectations d’un
père militaire, il reste un ou deux dessins sauvés
d’une cave inondée, et les photomatons d’un
petit garçon au visage angélique. Michael Stipe se
savait différent, excentrique, comme en témoigne
l’ampoule explosée qui apparaît sur la page 15 en
mémoire d’un accident domestique : « J’ai mordu
dans une ampoule quand j’étais tout petit, mon
oncle et mon père ont dû retirer de ma bouche tous
les morceaux de verre et les rassembler pour s’as-
surer que je n’en avais avalé aucun. Je voulais
devenir le filament, la source de lumière, c’était la
seule façon que j’avais trouvée.»
On y croise certains personnages importants de
sa vie, comme son mentor et premier amour
Jeremy Ayers, son compagnon Thomas Dozol, et
son amie Patti Smith. Parfois il montre juste une
Michael Stipe

trace des disparus, comme cette clôture près de

laquelle il vit pour la dernière fois l’acteur River
Phoenix, un petit frère pour lui. « Il est mort le

90
 FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS
même jour que mon cinéaste favori, Federico
Fellini. La disparition de River m’a tellement cho- ROBERT WILSON
& COCOROSIE
qué que j’ai l’impression que Fellini est toujours en
vie, en train de travailler sur un film.» C’est aussi
le carnet de voyage d’un grand nomade.

JUNGLE BOOK
Commencée dans l’enfance et prolongée par
trente ans de tournées avec son groupe, son itiné-
rance se poursuit maintenant entre New York et
Berlin, ses deux bases, la Géorgie, où vit sa famille,
et la France, où son petit ami l’emmène souvent.
Cannes, Lacoste (Vaucluse), la fondation Maeght,
l’atelier Brancusi, Arles… Ils vont aux Rencontres
de la photographie depuis quinze ans.
À une exception près, le recueil ne comporte que Théâtre de la Ville – Le 13e Art
des portraits d’hommes, certains nus, dont lui-
même (« Moi nu, moi nu », murmure-t-il en tour- 6 octobre – 8 novembre
nant les pages). Lorsque des journalistes insis-
tants et des rumeurs de séropositivité l’obligèrent
Offre réservée aux 8-14 ans
à parler publiquement de sa sexualité, à l’apogée 10 € la place & atelier offert !
de sa notoriété, il refusa toute étiquette, se qua-
lifiant d’« obsédé inclusif». « L’Amérique a toujours d’après The Jungle Book
eu un problème avec la nuance. Vous êtes avec de Rudyard Kipling
nous ou contre nous, un ennemi ou un ami, un gay
ou un hétéro, un Noir ou un Blanc. Les choses, on festival-automne.com
le sait, sont souvent plus compliquées. » Il se
réjouit de la déchéance du mâle alpha et de la
fluidité sexuelle revendiquée par les adolescents
d’aujourd’hui. Mais cette jeunesse qui bouscule
les stéréotypes de genre a perdu la notion de jar-
din secret, ce qui l’inquiète. « L’expression “vie
privée” n’est plus dans le vocabulaire des moins de
18 ans, c’est maintenant un concept qu’il faut
enseigner. Il est important que les jeunes aient le
choix entre se soumettre ou échapper à l’œil
omniscient d’Internet. » Lui-même a renoncé à
Twitter et Instagram, « pour [sa] santé mentale ».

certains réflexes suggèrent une

nature angoissée. Il ne boit
pas son café de peur que le barista ait accidentel-
lement interverti les commandes et vous ait donné
son déca. Il vous fait la leçon sur les dangers du
vélo sans casque et dessine le mot « HELMET »
(casque) dans votre carnet. Il parle d’une voix ner-
veuse, sourde, hésitante (on l’appelait souvent « le
marmonneur » au début de sa carrière) qui trahit
selon lui son insécurité en matière d’éloquence.
Mais il fait toujours confiance à ses cordes vocales :
« Ma voix n’a jamais été aussi bonne, son registre
s’est étendu depuis que j’ai arrêté de fumer. » Lui
qu’on n’avait pas entendu depuis la dissolution de
R.E.M. en 2011 s’est remis à écrire des chansons
qu’il se contente pour l’heure d’interpréter sur
scène lors de concerts de charité. «J’aime encore la
musique et je fais de la musique», élude-t-il quand
vous lui demandez s’il prépare un album solo.
Deux semaines après cet entretien, un nouveau
single, Your Capricious Soul, était disponible sur
son site. Le site d’un photographe ou d’une rock
star en plein comeback ? Les choses, on le sait,
sont souvent plus compliquées.
Our Interference tImes : a vIsual recOrd, de Michael
Stipe, avec douglaS coupland, éditionS daMiani.
ce livre Sera préSenté par l’auteur le 20 octobre
à la MaiSon européenne de la photographie, à pariS.
© Lucie Jansch

Avec le soutien de la maison Hermès 91

et de la Fondation Fiminco
 Le goût

Appareil
photo 907X
spécial édition,
Hasselblad,
6 850 €
sans objectif.
hasselblad.com

féTiCHE Objectif Lune. En 1962, la NASA choisit de travailler avec des appareils photo Hasselblad, réputés pour la résis-
Scénographie : Nicolas Mur

tance de leurs boîtiers. Quand, sept ans plus tard, l’astronaute américain Neil Armstrong foule pour la première fois la surface de la
Lune, il immortalise l’événement grâce à un modèle conçu pour fonctionner en apesanteur et en présence des rayonnements cos-
miques. Pour commémorer les 50 ans de la mission Apollo 11, le fabricant suédois édite une version modernisée (et luxueuse) de
l’appareil. Vendu sans objectif, ce boîtier moyen format en aluminium est flanqué d’un gigantesque capteur numérique de 50 méga-
pixels. Et si le modèle original pouvait prendre 200 clichés sur un seul film, celui-ci peut en stocker plus de 2 000 sur sa carte mémoire…
Texte Marie GodfrAiN — Photo KAYSEr & SCHMUCK

92
De gauche
à droite et de
haut en bas,
Masque en
coton, Tediber,
12 €.
tediber.com
Masque en coton
jersey, Zara
Home, 6,99 €.
zarahome.com
Masque Louise
Bourgeois, en
soie imprimée,
Third Drawer
Down, 28 €.
yoox.com
Masque vendu
avec le kit
de nuit pyjama
People, en satin
de soie,
Eres, 830 €.
eresparis.com

Scénographie : Nicolas Mur

variaTions Gardiens de nuit. Protection contre la lumière, le masque de sommeil est le compagnon indispensable des
voyageurs en quête de tranquillité, notamment dans l’avion, où l’éclairage les empêche souvent de dormir. La gêne n’est pas seulement
psychologique : à mesure que l’intensité de la lumière diminue, le niveau de mélatonine, l’hormone naturelle du sommeil, augmente
afin d’indiquer au cerveau qu’il est temps de dormir. Les masques de sommeil « dupent » ainsi l’organisme pour lui faire croire que c’est
la nuit. En vue d’optimiser le confort, les marques misent sur des matières douces, comme le cachemire, la soie ou le coton, avec un
élastique souple. Une paire de bouchons d’oreille en plus, et le tour est joué. Texte Fiona KhaLiFa — Photo KaysEr & schmUcK
 le goût

LibRemeNt iNSPiRé

Grand train.
la parfum euse patricia de
Nicolaï Nous coNvie à bord du
traNssibérieN avec uN jus aux
seNteurs de piN et de bouleau.

Reliant Moscou à VladiVostok (en sept

jours pour le train le plus rapide), le chemin de fer
transsibérien s’étend sur plus de 9 000 kilomètres
de voies, 990 gares et 7 fuseaux horaires. C’est lors
d’un séjour dans la capitale russe que Patricia de
Nicolaï, la créatrice des parfums Nicolaï, s’est mise
à rêver d’une épopée extrême-orientale à bord de
l’un de ces trains, qu’elle a concrétisée olfactive-
ment. « La ligne du Transsibérien traverse d’im-
menses forêts de bouleaux et de pins, deux matières
premières qui offrent de nombreuses possibilités en
parfumerie. Le bouleau possède une senteur boisée,
chaude et fumée, qui m’a amenée sur un parfum cuir,
ma version du cuir de Russie », souligne la créatrice.
Grand classique de la parfumerie du début du
xxe siècle, le cuir de Russie fait référence au cuir
russe, tanné historiquement sur des écorces de bou-
leau. La parfumeuse a associé aux notes de bouleau
une essence de pin fumée un peu salée, « une nou-
velle matière première qui s’éloigne du pin aroma-
tique habituel ». Souhaitant créer une senteur douce
comme le daim, elle a enveloppé la facette cuir dans
un cœur floral rose violette et un fond velouté de
beurre d’iris, fève tonka et musc blanc. C. Dh.
Eau dE parfum Baïkal lEathEr IntEnsE, nIcolaï,
58 € lEs 30 ml. pnIcolaI.com
Olaf-Daniel Meyer. Wolfgang Kaehler/Getty. Ma xime Mudjeredian. Charlène Lamber t

tête CheRCheuSe

Guide éclairée.
Employée dans une grande agence de publicité à londres, charlène lambert (photo) se lan-
guissait de marseille, sa ville natale, quand elle a eu l’idée de créer une collection de guides de
voyage. « J’ai eu envie de m’intéresser non pas aux métropoles ou aux capitales, mais aux villes
moyennes émergentes, pour favoriser l’économie locale », explique la trentenaire. l’originalité
de sa démarche tient aussi au choix des contributeurs, « des gens du cru, qui présentent leurs
lieux de vie au quotidien ». de retour à marseille, elle a rencontré et photographié une chef, un
pêcheur, une artisane bijoutière, un couple de galeristes, un autre de food-truckeurs, tous pas-
sionnés par leur ville. leurs portraits à l’argentique et leurs adresses favorites (restaurants,
lieux culturels, spas, boutiques, villages des environs…) composent le premier opus de
la collection « a Week abroad ». un guide de 116 pages au design épuré, où l’on découvre
des pépites, comme le populaire théâtre nono, aux portes des calanques, le café-brocante
les puces de fifi, dans le 15e arrondissement, ou une cantine vietnamienne du Vieux-port.
prochaine destination : Bordeaux, en février 2020. P. De.
marseille, a WEEk aBroad, 16 €. aWEEkaBroad.com

95

D’où çA SorT ?
Les hôtels à
chambre unique.
Sa nuit à EvErland il y a
douze ans, Cécile Poignant s’en sou-
vient dans les moindres détails :
« Installée sur le toit du Palais de
Tokyo, je n’ai pas dormi, pour profiter
de la vue sur la tour Eiffel. »
Transformée en chambre d’hôtel par
les artistes suisses L/B, cette cabane
vitrée a accueilli des clients chaque
nuit entre 2007 et 2009. «À l’époque,
c’était une aventure rare, unique…»,
raconte la spécialiste des tendances
au sein du cabinet de conseil Utopies.
Dix ans après la fermeture d’Ever-
land, force est de constater que le
modèle d’hôtel à chambre unique a
essaimé dans le monde entier.
À l’étage d’un bar à Zurich (le
Milchbar) ou Copenhague (le Central
Hotel), à l’arrière d’une boutique
viennoise (Grätzlhotel), perdu au
fond d’une forêt suédoise (le Vipp
Shelter) ou dans une ruelle discrète
de Tokyo (Trunk House)… Ces éta-
blissements proposent des expé-
riences différentes : de la chambre
exiguë à la suite grand luxe, mais tou-
jours avec les services d’un grand
hôtel (ménage, literie haut de
gamme, minibar, concierges…).
Malgré les apparences, on est loin de
l’offre d’un Airbnb. « Ces concepts
sont toujours lancés par des profes-
sionnels et les chambres sont soumises
96
Texte
Marie GoDFrAIN
aux mêmes règles que celles de l’hôtel-
lerie traditionnelle », précise Cécile
Poignant. « Nous restons des hôtels
par le professionnalisme et le ser-
vice », renchérit Yoshitaka Nojiri, le
fondateur de Trunk House. Lancé le
1er août par l’équipe de Trunk Hotel,
un jeune établissement de Tokyo, cet
établissement prend la forme d’une
maison sur deux niveaux, cachée
dans une ruelle à l’abri des regards,
dans le quartier de Kagurazaka.
« Nous l’avons imaginé pour nos
clients les plus importants. Nous vou-
lons qu’ils se sentent comme chez eux
tout en profitant des services d’un
hôtel : c’est l’alchimie parfaite ! », se
félicite l’entrepreneur.
Le développement de ces hôtels
d’une seule chambre s’inscrit dans
le goût de l’époque, qui privilégie
l’expérience et le sur-mesure plutôt
que le produit de masse. « Réserver
un endroit unique permet au client
de sortir de la monotonie des offres
standardisées. Si, en plus, sa chambre
est une cabane au fond des bois,
vient s’ajouter le côté roulotte et
madeleine de Proust », affirme en
souriant Cécile Poignant.
C’est précisément ce que propose le
fabricant Vipp. Spécialisée dans les
accessoires en métal pour la mai-
son, l’entreprise danoise a fait
installer en 2014 une cabane en verre
et acier conçue par ses designers au
bord du lac Immeln, en Suède. Au
départ, le lieu avait pour vocation de
servir de décor aux campagnes pro-
motionnelles de la marque. «Pendant
deux ans, nous avons reçu un flot
continu de messages nous demandant
si l’endroit était ouvert au public…
Nous avons fini par céder en 2016 !
Aujourd’hui, les objets en magasin ne
font plus rêver. Cet intérieur équipé
Vipp est une meilleure façon de mon-
trer qui nous sommes», confie Kasper
Egelund, le patron de la marque.
Dans la foulée de ce succès inat-
tendu, Vipp a ouvert deux autres
chambres sur le même concept dans
Copenhague. « Ces lieux sont avant
tout une vitrine, un laboratoire qui
nous permet de tester de nouveaux
produits. Je ne sais pas si c’est un bon
investissement : à court terme, cela
Le goût
Ci-contre, le Grätzlhotel, à Vienne.
Ci-dessous, la Trunk House, à Tokyo.
En bas, le Vipp Shelter, en Suède.
nous apporte surtout de la visibilité»,
nuance Kasper Egelund. Même
logique de la part de l’éditeur de
mobilier hollandais Droog qui a créé
une chambre au-dessus de sa bou-
tique du centre d’Amsterdam. D’une
certaine manière, la démarche des
hôteliers est similaire : à travers ces
projets pilotes, les uns comme les
Heidrun Henke. Tomooki Kengaku. Anders Hviid/Vipp Shelter
autres démontrent qu’ils savent se
renouveler et continuer d’exister
dans la course effrénée au buzz.
La rareté a encore de beaux jours
devant elle.
Milchbar, Zurich, SuiSSe. Milchbar.ch
central hotel, copenhague,
DaneMark. centralhotelogcafe.Dk
grätZlhotel, Vienne, autriche. graetZ-
lhotel.coM
Vipp. Vipp.coM/fr/hotel
trunk houSe, tokyo, Japon.
trunk-houSe.coM/en
Droog, aMSterDaM, hollanDe.
Droog.coM
J.R.R. Tolkien, maquette de la jaquette pour La Fraternité de l’Anneau, 1954. © Bodleian Library/ The Tolkien Trust 2019-2020. BnF, délégation à la Communication

Exposition
 OCTOBRE 
 FÉVRIER 
En partenariat avec Bodleian Libraries, University of Oxford
En partenariat avec Bodleian Libraries, University of Oxford
et avec le soutien de the Raynor Memorial Libraries -
Marquette University, du Tolkien Estate et de la famille Tolkien

François-Mitterrand
Paris 13e I bnf.fr
#expoTolkienBnF
Tolkien ® est une marque déposée par The Tolkien Estate Limited et utilisée avec son autorisation
 LE GOÛT

RÉÉDITION

MAILLON fort.
Van Cleef & Arpels fait partie des rares maisons
joaillières à posséder un patrimoine suffisam-
ment riche pour voyager à loisir dans ses archives.
Cette saison, la marque ressuscite son bracelet
Ludo Hexagone, créé en 1935. « Il fait partie de
nos signatures, au même titre que le Serti
Mystérieux ou la montre cadenas, nés à la même
époque, rappelle Nicolas Bos, le PDG et directeur
artistique de la maison. Nous avions déjà réinter-
prété l’aspect du Ludo pour une montre il y a
quelques années mais, cette fois, nous voulions
revenir à l’esprit Art déco des bracelets originaux,
architecturés et géométriques. » Une renaissance
déclinée en quatre modèles, légèrement transfor-
més pour mieux convenir au goût du XXIe siècle.
Si le bracelet se compose toujours de briquettes
ou d’hexagones et demeure en or (jaune ou
blanc), des pierres précieuses (diamants, rubis,
saphirs) ont été ajoutées, ainsi que quelques
pierres dures (turquoises, lapis-lazuli, onyx) « afin
d’élargir la palette de couleurs ». « Par ailleurs,
complète Nicolas Bos, les maillons ont été fiabili-
sés pour être plus résistants et le fermoir a été
affiné.» Ce bijou, inspiré d’une ceinture, l’acces-
soire qui rehaussait les tenues couture des
années 1930, se fait remarquer au poignet sans
contrevenir à son ambition d’origine : avoir la
légèreté d’un ruban. Valentin PÉREZ
BRACELETS LUDO DE VAN CLEEF & ARPELS,
PRIX SUR DEMANDE. VANCLEEFARPELS.COM

Van Cleef & Arpels. Apple

ÉLÉMENT DE LANGAGE Le triple CAPTEUR photo.
L’an 2000 voit naître le premier téléphone mobile capable de prendre des
photos, un Sharp doté d’un capteur 0,1 mégapixel. À l’époque, personne
n’imagine que les smartphones vont cannibaliser les appareils photo com-
pacts. Et pourtant… Quinze ans plus tard, il ne leur manque qu’un attribut
pour parachever leur conquête : un zoom optique, bloc de verre qui ne
loge pas dans un portable ultrafin. En 2016, LG a une idée déraisonnable :
glisser un second et coûteux capteur photo dans son G5. L’astuce fait flo-
rès. Dès 2018, un troisième capteur photo trouve sa place dans de nom-
breux smartphones Android, suivis par les iPhone en 2019 (en photo,
l’iPhone 11 Pro) : le premier capteur voit très large, c’est l’ultra grand angle
(13 mm) qui excelle en voyage à faire entrer les montagnes dans le cadre.
Le deuxième est celui auquel nous sommes habitués (26 mm), le troisième
est un zoom léger (52 mm) qui permet de tirer des portraits sans déformer
les traits du visage, voire un zoom plus franc (plus de 100 mm) chez
Huawei ou Oppo. Les appareils photo compacts ordinaires ont plus que
jamais du souci à se faire. Nicolas SIX

98
 9 OCTOBRE 2 0 1 9
28 J U I N 2020 À PARTIR DU
23 AVRIL 2019

EXTINCTIONS LA FIN D’UN MONDE ?

www.museum.toulouse.fr
 le goût

100
Page de gauche.
Veste de blazer en laine, Photos Thurstan REDDING
Margaret Howell. Stylisme Véronique DIDRy
Chemise en coton,
CHarvet.
Collant vintage.
Pin’s en métal vintage ,
CHez Brut.

Ci-contre, blouse
en polyester, Mango.
Boucle d’oreille
en perle, Dary’s.

L’empire
automate. blazer oversize, crêpe de soi, bijoux xxl…
l’esprit blade runner plane sur le vestiaire de l’autom ne.
 le goût

102
Page de gauche,
manteau en velours,
BRUNELLO
CUCINELLI.
Pull en laine, ACNE
STUDIOS.
Chemise en coton,
DRIES VAN NOTEN.
Boucle d’oreille en
or vintage.

Ci-contre, chapeau
en fausse fourrure
et col roulé en tricot
de soie, TOm FORD.
Pantalon en laine,
SEE By ChLOé.
Collier et boucle
d’oreille en argent,
TANT D’AVENIR.
Ceinture en cuir,
ChARVET.
Bague en or,
CLARA - VINTAgES.
 le goût

104
Page de gauche,
cardigan en
cachemire, Barrie.
Chemise en coton,
Dries Van noten.
Chapeau en fausse
fourrure vintage .
Boucle d’oreille en
cuivre, lin et perle,
Maison Margiela.

Ci-contre, pull et
pantalon en laine,
saint laurent par
anthony
Vaccarello.
Chemise en coton
vintage .
 le goût

106
Page de gauche,
veste et pantalon
de costume en laine,
IRO.
Col roulé en coton
Acne StudIO.
boucle d’oreille
en argent, clARA-
VIntAgeS.
Ceinture de smoking
en soie, chARVet.
Chaussettes en
coton, FAlke.
Chaussures en cuir,
Ann
demeulemeeSteR.

Ci-contre, pull sans

manches en
cachemire et laine,
ÉRIc BOmpARd.
Chemise en crêpe
de soie, dRIeS VAn
nOten.
Pantalon en laine
mélangée, See By
chlOÉ.
Bague en or,
BAlencIAgA.
 le goût

108
Page de gauche,
Veste de blazer en
cachemire, Loro
Piana.
Chemise en coton
et cravate en soie,
Charvet.
Pince à cravate en
argent, Dary’s.
Collants vintage.
Chaussures en cuir,
noDaLeto.

Ci-contre, polo rayé

en laine, etro.
Jeans, Levi’s.
Chapeau en coton
et badges en métal
vintage , Chez Brut.
Boucles d’oreilles
vintage. Médaille
en argent, tant
D’avenir.

Mannequins : Jane, Clément, Dustin, Léa, Dylan, Taras, Ruinan, Deila, Lou & Kelian — Casting : Finlay MacAulay — Assistants photographe : Clément Dauvent et Aurélien Hatt
Assistantes styliste : Margaux Dague et Clara Viano — Coiffure : Ramona Eschbach, avec Laure Gaudou — Maquillage : Adrien Pinault, avec Mouna Benouhoud et Akari Sugino —
Manucure : Béatrice Eni — Mise en mouvements : Jordan Robson — Scénographie : Alexander Bock @ Streeters, avec Louis Coulais — Robots : 1/Robot Alpha pro de la marque Ubtech 2/
Robots humanoïdes crées par Gaël Langevin pour TSF JAZZ, campagne « It’s a human thing» — Retouches : Studio RM — Production : Cinq Etoiles Productions
 le goûT

1 3

À l’origine Bagage culturel.

TouTes les Tendances onT une hisToire. Pour “M”,
De lourDes armatures en bois ou en
métal structuraient jadis les formes primitives du
sac à dos qu’utilisaient les soldats en campagne
ou les paysans aux champs. Mais c’est dans l’uni-
serge carreira, Professeur à sciences Po eT sPécialisTe
vers des sports de plein air qu’est véritablement
de la Mode, en reMonTe le fil. ceTTe seMaine, le sac à dos.
né celui que l’on connaît aujourd’hui. Malgré l’in-
certitude qui entoure sa paternité, il a su partir à
la conquête des étudiants avant de séduire
les urbains contemporains.
Au début des années 1930, les frères lafuma,
basés dans les Alpes, décident de créer une
société d’équipements pour la montagne. ils per-
fectionnent un sac « tyrolien » avec une ossature
en fer, deux larges bretelles, un fond en cuir et de
 (1) Sac à dos en
cuir et Nylon noir,
Boggi Milano, 219 €.
boggi.com

(2) Sac à dos Graphic

en cuir grainé, Lancel,
675 €. lancel.com

(3) Sac à dos en cuir, 6

Paul Smith, 725 €.
paulsmith.com

(4) Sac à dos Chalk

en toile Monogram
Denim, Louis Vuitton
2 050 €.
fr.louisvuitton.com

(5) Sac à dos

en Nylon,
Prada, 1 150 €.
prada.com

(6) Sac à dos

Downtown en Nylon
et détails en cuir,
Givenchy, 990 €.
givenchy.com

(7) Sac à dos en Nylon

motif cannage, Dior,
4
2 600 €. dior.com

la toile de coton. Lancé à l’été 1936, il offre une
contenance de 40 litres mais pèse près de 4 kilos
et ne s’adresse, donc, qu’aux baroudeurs. Sur
l’autre rive de l’atlantique, gerry cunningham,
un randonneur chevronné, dépose deux ans plus
tard le brevet d’un sac à dos pratique avec ses
fermetures à glissière, aisément destiné aux spor-
tifs. cela leur permet d’y glisser tout leur attirail.
il accompagnera aussi, les décennies suivantes,
les militaires sur le terrain. en 1975, le fabricant
américain d’accessoires sportifs JanSport innove
en proposant un petit modèle léger que les étu-
diants s’arrachent pour transporter livres et
cahiers. L’année suivante, eastpak, fournisseur de
matériel pour l’armée américaine, met également
au point un sac fonctionnel qui vise spécifique-
ment les jeunes, si bien que dès le début des
années 1980, l’université de Washington l’inclut
dans la liste des fournitures obligatoires. il fau-
dra, néanmoins, attendre 1984 pour que l’objet
fasse une entrée fracassante dans la mode.
Miuccia Prada propose une version en Vela, une
toile en nylon à usage militaire, résistante et
imperméable, déclinée dans deux coloris, noir et
marron. elle se retrouve rapidement sur les
épaules des femmes les plus élégantes des
grandes capitales. orné d’un simple triangle,
plaque au logo de la maison milanaise, cet
accessoire radical, pratique et sobre, sera l’un des
premiers actes fondateurs du mouvement de
mode minimaliste qui marquera la décennie sui-
vante. Les créateurs ne vont cesser, dès lors, de le
réinterpréter : en cuir, en tissu, en couleurs,
imprimé et même en peaux précieuses. car,
luxueux ou sportif, le sac à dos a su rester un
indémodable passeport pour l’évasion et la
liberté.
Photos Joaquin Laguinge
Stylisme Laëtitia LePorcq

111
le goût
À Paris,David Zwirner
veut épater la galerie.
L’eSPRiT DU LieU
L’entrée sous verrière
de la galerie David
Zwirner, dans
la cour du 108 de la
rue Vieille-du-Temple.
L’espace sera inauguré
le 16 octobre avec
l’artiste américain
Raymond Pettibon
(ci-dessus, une
de ses œuvres).
pour sa prem ière antenne en france, le galeriste allemand
david Zwirner n’a pas choisi au hasard : l’im m ense et magnifique
espace situé en plein marais, à paris, a appartenu au marchand
d’art yvon lam bert, qui y organisa de mémorables expositions.
« C’est le plus bel espaCe du Marais. »
Depuis son grand bureau de new York, David
zwirner jubile tandis qu’à mille lieues de là,
plusieurs ouvriers s’activent dans sa nouvelle
galerie parisienne, qui sera inaugurée le
16 octobre avec l’artiste californien Raymond
Pettibon. Le mégamarchand, qui possède déjà
des antennes à Londres et Hongkong, n’est pas
fanfaron de nature. S’il vante les mérites de ses
nouveaux pénates, c’est pour mieux en souli-
gner la riche histoire.
Depuis plus de trente ans, des régiments d’ama-
teurs d’art ont religieusement poussé la lourde
porte cochère du 108, rue Vieille-du-Temple, tra-
versé la petite cour pavée, grimpé les six marches
conduisant à une drôle de véranda, avant d’admi-
rer le nec plus ultra de l’art contemporain sous
une majestueuse verrière. Longtemps, le célèbre
marchand Yvon Lambert y a tenu boutique,
orchestrant des expositions mémorables de Cy
Twombly, Lawrence Weiner, Anselm Kiefer ou
Loris Gréaud. Avant de céder le bail en 2014 à une
jeune enseigne, VnH, créée par Hélène nguyen-
Ban et Victoire de Pourtalès. Laquelle a décidé en
juillet dernier de passer le relais à plus puissant.
Respectueux du passé – et surtout pressé par le
temps – David zwirner s’est contenté d’un lifting
léger. À peine deux cloisons ont-elles été ajoutées
de part et d’autre de la première salle. « Même s’il
importe ici quelques détails de ses autres galeries
comme les chaises signées Franz West, David veut
respecter l’espace sans y infuser un esprit Chelsea»,
précise Victoire de Pourtalès, qui codirige
Texte Roxana Azimi
Photos marion BeRRin
désormais la « bouture » parisienne. il faut dire
qu’à Paris, zwirner n’est pas totalement dépaysé.
en son temps, Yvon Lambert avait inventé le
White Cube à la française, un espace neutre,
dépouillé, doté de « volumes inédits, d’un côté
industriel mais élégant », détaille Jean-François
Bodin, l’architecte qui l’avait réaménagé voilà
trente-cinq ans. Un type d’espace, autrefois radi-
cal, désormais bon chic bon genre, écrin obligé
de l’art d’aujourd’hui.
L’Allemand David zwirner n’a pas choisi le marais
par hasard. il ne le dira pas, mais, de manière
adroite, il prend ses distances avec son concur-
rent direct, Larry Gagosian, qui a pris ses quartiers
dans le 8e arrondissement et au Bourget. Car pour
lui, pas de doute : malgré quelques poches de
galeries rive gauche, où pourrait s’installer d’après
nos informations l’importante galerie Hauser &
Wirth, ou à Pantin, où Thaddaeus Ropac s’est ins-
tallé avec force bruit, le marais reste le cœur bat-
tant du commerce de l’art parisien.
Ça n’a pas toujours été le cas. Lorsque, en 1985,
Jean-François Bodin signale cette ancienne usine
de prothèses à Yvon Lambert, ce dernier hésite.
L’ambitieux galeriste est certes à l’étroit rue du
Grenier-Saint-Lazare. mais il est installé à proxi-
mité du Centre Pompidou, ouvert huit ans plus
tôt. Ses consœurs Gillespie-Laage-Salomon et
Ghislaine Hussenot se sont certes établies dans le
marais, mais aucune n’a poussé les limites de la
rue Vieille-du-Temple, alors occupée par les dra-
piers. « C’est loin, trop loin, personne ne viendra »,
rumine Yvon Lambert avant que, sur place,
113
 Le grand espace
sous la verrière
et une salle de
travail. Ci-contre
les directrices
de la galerie,
Justine Durrett,
directrice des
ventes de Zwirner
à New York,
et Victoire
de Pourtalès,
qui avait repris
l’espace à
Yvon Lambert.

114
 Le goût
ses doutes ne se dissipent. Imaginez 800 m2
en plein cœur de Paris, une verrière métallique
étonnamment légère et prodiguant un éclairage
zénithal naturel, une hauteur sous plafond ines-
pérée. À l’ouverture, le 6 novembre 1986, c’est la
cohue. Pendant trente ans, la galerie ne désem-
plira pas. De Francis Bacon à Andy Warhol, de
Pierre Bergé à Farah Diba, tout le gratin de l’art
et de la jet-set a défilé dans ces murs. Mais le
moment que Lambert chérit le plus est le lundi,
jour de fermeture. « La galerie était alors toute à
moi, raconte-t-il. Elle m’appartenait, je revoyais
les expositions seul et cette solitude, dans cet
espace, c’était le bonheur.»
Très vite de plus jeunes confrères s’installent
dans le voisinage, rue Debelleyme et rue de
Turenne. Tout le quartier bat désormais au
rythme de l’art contemporain. En 2014, toute-
fois, Lambert suscite l’émoi : il tire le rideau pour
ne se consacrer qu’aux livres et éditions, son
autre passion. « Je n’étais pas lassé du lieu – com-
ment s’en lasser d’ailleurs –, mais du milieu, de la
folie d’une activité où je me retrouvais avec
quinze employés », confie-t-il. En 2015, il cède
son local à Hélène Nguyen-Ban et Victoire de
Pourtalès. Sans regret aucun. « Ma relation à ce
lieu, c’est comme une histoire d’amour, dit-il. Tu
aimes, tu vis avec, tu tournes une page et tu ne
gardes que les bons souvenirs.»
Pas simple pour VNH de prendre pied dans un
espace si chargé. « On s’était d’abord dit, c’est
© Elisa Haberer / OnP - ES : 1-1075037, 1-1075038, 2-1075039, 3-1075040
DIRECTION MUSICALE
FABIO LUISI
MISE EN SCÈNE
CALIXTO BIEITO
CHEF DES CHŒURS
ALESSANDRO DI STEFANO
ORCHESTRE ET CHŒURS
DE L’OPÉRA NATIONAL
DE PARIS
trop grand, trop mythique, mais nous nous
sommes lancées parce que c’était tellement inspi-
Autour de la gAlerie.
rant pour les artistes », se souvient Victoire de
Au_Top
Pourtalès. Et d’ajouter : « C’est un bel espace,
Rue vieille-du-Temple, le propriétaire
mais pas un espace qui vous domine. » La galerie
des Café La Perle et Café Foufou a ouvert
a beau présenter de bons artistes tels que Mircea
un rooftop où l’on peut déguster des cock-
Cantor ou Candida Höfer, elle peine à trouver un
tails et une cuisine méditerranéo-orientale.
rythme de croisière dans un marché éminem-
L’accès se fait par le numéro 93 de la rue.
ment concurrentiel.
93, rue Vieille-du-Temple. Au-Top.pAris
David Zwirner, lui, n’a pas de problème de fins
de mois. Son chiffre d’affaires annuel frise le
librAirie YVon lAmberT.
demi-milliard de dollars. Mais il est préoccupé
Après avoir quitté son emblématique
par le Brexit. Pour continuer à dialoguer avec les
galerie, Yvon Lambert a ouvert
institutions européennes, la place parisienne lui
une des plus belles librairies d’art de Paris,
semble stratégique. Jusqu’à présent, le méga-
pensée par l’architecte Dominique Perrault.
marchand avait toujours pris pied dans des lieux
On y trouve des éditions rares, mais égale-
à sa mesure, comme ceux de New York, ou flam-
ment des ouvrages à petits prix.
bant neufs comme à Hongkong. Difficile toute-
14, rue des Filles-du-CAlVAire.
fois de résister à l’aura de l’ex-galerie Lambert,
où il se souvient avoir vu des expositions de
ÉTudes sTudio.
Barbara Kruger et d’On Kawara à la fin des
Les initiés reconnaissent les bleus
années 1990. Au printemps prochain, il enga-
de travail ou les tenues aux motifs des graffs
gera de plus importants travaux, principalement
de Keith Haring. Lancée en 2012,
d’éclairage, sous la houlette de son architecte
Études Studio est autant une marque
fétiche, Annabelle Selldorf. Mais assure-t-il, rien
de mode qu’une maison d’édition.
qui puisse compromettre le génie du lieu : « Je
14, rue debelleYme. eTudes-sTudio.Com
vous le promets, Yvon Lambert n’aura pas honte
de moi ! »
GAlerie Zwirner, 108, rue Vieille-du-Temple, pAris 3 e.
dAVidZwirner.Com
Lear
Aribert Reimann
Parce que la famille est le plus cruel
des champs de bataille
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AU 7 DÉCEMBRE 2019
 La ruée
le goût

vers l’uruguay.
au sud du pays, à une centaine foot. « Un jour, David Rockefeller a loué toutes nos Bastille. À tous ces atours vient s’ajouter un
de kilomètres de la capitale, chambres pendant un mois », raconte Tomas entre-soi appréciable. Auquel se greffe, pour
montevideo, et à l’écart Laura, le manageur de l’Estancia Vik, située à dix quelques couples gays qui ne veulent plus vivre
de la tapageuse punta del este, minutes de voiture dans les terres. un sublime dans le Brésil de Jair Bolsonaro, le réconfort d’un
le village de pêcheurs ranch avec vue sur la lagune et les prairies où pays aux lois sociales parmi les plus progressistes
de José ignacio offre une paissent bœufs et chevaux. La chambre la plus au monde.
atmosphère décontractée. luxueuse tourne autour de 1 700 euros la nuit, La chef clo Dimet, qui dirige Posada Paradiso,
attirant une clientèle huppée soit trois fois moins qu’une suite au Playa Vik, un des restaurants les plus réputés de la région,
venue du monde entier. situé en bord de mer. Pour le restaurateur Adolfo juge l’endroit « frénétique durant l’été, d’une
Suaya, qui a ouvert casa Suaya, « José Ignacio, on vitalité incroyable et en même temps décon-
Texte Alexandre Duyck
dirait les Hamptons [dans l’État de new york] tracté, relax, tranquille. Vous pouvez faire la fête
Photos Matilde cAMPoDÓnico
dans les années 1960 ». L’artiste uruguayenne Agó tous les soirs comme vous isoler dans un des
Páez Vilaró, fille du sculpteur carlos Páez Vilaró, endroits les plus apaisants du monde ». De son
ami de Picasso, compare l’ambiance à celle de côté, l’épicier-boucher José Luís, alias Manolo,
Saint-Tropez, du moins celui du Bardot des six- qui vend dans sa boutique des huiles d’olive, du
ties. « Des gens très connus peuvent y marcher vin et des pâtes importées d’italie et de France,
pieds nus pour aller dîner au restaurant sans pour se réjouit de l’arrivée prochaine des estivants :
autant exhiber leur fortune.» « J’aime toute l’année ici, mais je préfère quand
Pourquoi tant d’amour de la part de ces beautiful ça déborde de monde ; c’est incroyablement
people ? « Il y a ici tout ce qu’ils aiment, explique vivant et chaleureux. »
nacho Muse, qui fait découvrir l’uruguay aux La réputation des lieux fait le bonheur de toute
touristes pour l’agence Voyageurs du monde. la région. En roulant trente ou quarante minutes,
Presque pas de trafic automobile, aucune délin- on découvre des paysages grandioses et préser-
quance, une qualité de vie incomparable, des vés. on peut alors choisir de séjourner à
Il y a un e quInzaIn e d’an n ées, José plages incroyables, des spots de surf magiques, des Sacromonte, l’immense domaine viticole, sau-
ignacio s’est glissé sur la microscopique liste des restaurants de grande classe… » ici, pas d’im- vage, luxueux et écologique du Péruvien Edmond
adresses magiques et secrètes pour riches initiés. meubles, mais des maisons, dont certaines sont Borit, où l’on dort dans une maison de verre avec,
un minuscule village de pêcheurs, 400 habitants à couper le souffle. La dernière résidence qui fait le soir venu, une vue imprenable sur les étoiles
à l’année, perdu sur la côte uruguayenne, à deux parler d’elle, Playa Vik, une villa aux toits végé- depuis son lit. À dix kilomètres de là, une des
heures de route de la capitale, Montevideo, en taux, qui appartient, tout comme l’Estancia Vik seules exploitations d’huile d’olive du pays :
direction du Brésil. Des plages de sable blanc à au milliardaire norvégien Alexander Vik, qui l’a Lote 8, 40 000 arbres et une dégustation organi-
perte de vue, quelques restaurants, une épicerie, commandée à carlos ott, coarchitecte de l’opéra sée par Martín Robaina Antía, jeune gérant
des couchers de soleil de carte postale. L’opposé
de sa voisine Punta del Este, haut lieu de la jet-
set, désormais défigurée par les buildings, dont
une Trump Tower…
Aujourd’hui, José ignacio est célébré par le New
York Times, qui qualifie l’endroit de « chic but not
famous ». Not famous ? Les people du monde
entier s’y bousculent pourtant en décembre et en
janvier (puisque nous sommes dans l’hémisphère
Sud). Les stars du foot Diego Maradona, Lionel
Messi et Luis Suárez ; naomi campbell et natalia
Vodianova ; Leonardo Dicaprio et Mark
Zuckerberg… Mais aussi des milliardaires argen-
tins ou brésiliens qui font le bonheur des proprié-
taires des hôtels et des restaurants, quand ils ne
louent pas de somptueuses villas d’architecte
avec des baies vitrées grandes comme la plage et
des terrasses où les enfants peuvent jouer au

116
José Ignacio est
réputé pour sa
plage et ses
bonnes tables (en
haut à gauche, La
Huella). Dans
l’arrière-pays, le
village de Pueblo
Edén affiche 85
habitants.
 Le goût

aux allures de baba cool qui fait goûter ses

huiles sur une terrasse, au milieu des champs de
lavande, avec une vue à 360 degrés sur les envi-
rons. «Au printemps, tu vas sur les plages de José
Ignacio et tu es seul. Et quand je dis seul, c’est
vraiment seul. C’est une sensation incroyable. Et
quand la saison arrive, les estivants sont là, et c’est
tant mieux. L’Uruguay est vide, un peu plus de
3 millions d’habitants ! Nous avons besoin d’eux,
ils sont les bienvenus ! »

On
se dit qu’il faudrait que rien ne
change. On parle de la beauté des
paysages, des plages intactes, du
peu de béton. Mais José Ignacio
n’est déjà plus guère un village de pêcheurs.
Tandis que le champagne et les cocktails coulent
à flots à La Huella, le restaurant de plage « hippie
chic », Javier Fonte se désole. « Je dis à mes enfants
d’étudier parce que c’est fini. Les bateaux de pêche
artisanale comme le mien, il doit en rester à peine
cinq.» À l’inverse, les panneaux « À vendre » plan-
tés au milieu des terrains poussent comme des
champignons. Enfant du pays, Nuble Nuñez
transporte ceux qui atterrissent à l’aéroport de
Punta del Este. « Les gens me disent qu’ils se
retrouvent ici, qu’il y a une âme. Il n’y avait rien
quand j’étais enfant, on était heureux, on était des
sauvages, ça leur a fait envie, aux citadins – les
tradeurs de Wall Street connaissent tous José
Ignacio ! Mais il faut faire attention…» Il montre
du doigt le bord de mer. « C’est la première fois de
ma vie que je vois quatre grues. Ça me fait mal au
cœur. » La chef Clo Dimet n’est pourtant pas
inquiète : « Tous ensemble, nous travaillons à la
préservation de ce lieu. Nous savons à quel point
il est unique et magique.» Et donc très fragile.
Un pêcheur de José Ignacio, le 29 septembre.

Y ALLER À FAIRE OÙ DÎNER daparadiso.com Sacromonte.

Voyageurs du monde, Visiter l’oliveraie Lote 8 José Ignacio est connu Marismo, Un paradis écologique
dont les séjours sont à Pueblo Edén. pour ses tables gastro- Ruta 10 km 185. res- et viticole dans les
désormais compensés lote8.com nomiques, comme taurantmarismo.com collines. Le domaine
en carbone, propose Pratiquer le kite-surf Posada Paradiso, de la est tellement grand
diverses formules pour à la Lazaro Kiteschool. chef Clo Dimet, une SE LOGER qu’il possède ses
découvrir l’Uruguay. À kiteschool.com.uy enfant du pays. À Ruta, Vik Hotels. propres chemins de
partir de 3 200 € par à 10 km, Marismo pro- La ville en compte randonnée. Villa pour
personne pour une OÙ DÉJEUNER pose des repas exclusi- trois, deux en bord de quatre à partir de 410 € Matilde Campodónico pour M Le magazine du Monde

échappée de 11 jours La Huella. C’est le res- vement à l’extérieur, mer, et un troisième, avec le petit déjeuner.
incluant les vols, le taurant de plage du vil- sur de sympathiques l’Estancia, légèrement Cno. La Guillermina
transfert, 8 nuits en lage, avec sa terrasse tables en bois. On en retrait, au milieu des Km 7, Sierra de
pension complète à extérieure protégée du se croirait dans la chevaux. Carapé.
Rocha, la location de vent. Très bonne carte jungle. La spécialité Chambres à l’Estancia sacromonte.com
voiture, une assistance de cocktails et de vins, locale est le jarret à partir de 455 € ; à
24h/24 et un minirou- et excellents poissons d’agneau, cuit lente- partir de 615 € au
teur Wi-Fi. grillés. ment au feu de bois. Playa.
Tél. : 01-42-86-17-70. La Huella, Playa Posada Paradiso, vikhotels.com
voyageursdumonde.fr Brava. paradorla- calle Picaflores
huella.com esquina Biguas. posa

118
le goût
texte Marie GODfRAIn
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y aller
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y dormir
Bonum, 53 Bukchon-ro.
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proximité de Samcheong-
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plus d’informations
french.visitkorea.or.kr
CHEMIn fAISAnt
Séoul, le temps retrouvé.
Plusieurs fois dévastée au cours du xxe siècle, la caPitale
sud-coréenne conserve Peu de traces de sa longue histoire.
À la lisière du quartier Bukchon hanok village, samcheong-
dong street recèle de lieux où le Passé se laisse attraPer.
1 — vie d’antan au musée folklorique de Corée 4 — GlaCe éternelle Chez BukChon BinGsu
Dans l’enceinte du palais impérial, cet immense espace Au bout d’une discrète ruelle se cache ce petit salon de
met en scène les arts et traditions populaires coréens à thé au style désuet, aux confins du kitsch. On y sert jour
travers des reconstitutions de la vie quotidienne au fil après jour du bingsu, la douceur nationale : un dôme de
des saisons ou d’événements historiques majeurs. Dans glace râpée en copeaux et aromatisée de divers parfums
ses vitrines, on trouve également des objets en paille, (thé vert, café, sirops), ici nappé de pâte de haricot rouge.
verre ou céramique d’une étonnante modernité. À l’ex- glaceS : 6 €. 71-5 Samcheong-ro
térieur, la recréation d’une rue d’autrefois invite les visi-
teurs à pousser la porte de boutiques anciennes.
37 Samcheong-ro. entrée gratuite. 5 — Créations de tradition à la Gallery doll
nfm.go.kr Il faut grimper les étages d’un petit immeuble pour
rejoindre cette galerie qui présente des artistes contem-
porains au travail fondé sur des techniques ancestrales.
2 — art CaChé à la kukje Gallery À raison de 10 à 12 expositions par an, cette institution,
Depuis la rue, on ne soupçonne pas l’étendue de fondée en 1995, permet à une nouvelle génération de
cette galerie, qui se dévoile une fois qu’on est engagé créateurs de se faire connaître. Mention spéciale aux
dans la ruelle. Haut lieu de l’art contemporain à Séoul, estampes sur papier brûlé, déchiré et teint de Hong Sung
elle invite figures coréennes et pointures internatio- Yong et aux scènes de la vie aux champs de Lee Ho Joong.
nales à présenter leurs travaux dans ses trois espaces de 87 Samcheong-ro. gallerydoll.com
verre et de béton. Paul McCarthy, Ugo Rondinone
ou Elmgreen & Dragset y ont récemment fait l’objet
d’expositions monographiques. 6 — petits plats de toujours Chez soseonjae
54 Samcheong-ro. kukjegallery.com Ce restaurant traditionnel a investi une bâtisse basse
aux murs chaulés caractéristique du quartier. Après
avoir ôté ses chaussures, on s’installe autour de tables
3 — Cure de jouvenCe Chez lyanature en bois ou sur des tatamis dans de petits salons séparés
Dans cette boutique de cosmétiques naturels imaginés par des cloisons en papier de riz. Au menu : bulgogi
par la star du cinéma coréen Lee Young-ae, le visiteur (bœuf mariné) ou bossam (porc vapeur) agrémentés de
est invité à se laver les mains dans deux lavabos parse- kimchi (légumes fermentés), riz et soupe. À la fois
més de cailloux blancs avant de tester les différentes savoureux et sain.
crèmes des gammes pour adultes et enfants. Classique menu : 12 €. 113-1, Samcheong-ro
dans un pays obsédé par les rituels de beauté… Sur trois
étages sont déclinés masques, crèmes et surtout des
nettoyants pour le visage, la spécialité de Lyanature.
67 Samcheong-ro. lyanature.com
121

CARTE SUR TABLE
POLICHINELLE
51, quai de Grenelle, Paris 15e.
Tél. : 01-87-44-69-14.
polichinelle-restaurant.com
Du lundi au vendredi de midi à 15 h 30
et de 19 h 30 à minuit, jusqu’à 0 h 30 le samedi
et jusqu’à 22 heures le dimanche.
Brunch le dimanche de 11 h 30 à 16 h 30.
LA PROMESSE
Selon le communiqué de presse dif-
fusé à l’occasion de l’ouverture de
Polichinelle mi-septembre :
— Christophe Michalak (pâtissier
star) et Steve Burggraf (fondateur
des restaurants de burgers Big
Fernand) disent vouloir proposer un
« répertoire légumier auquel même
les plus grands viandards ne sau-
raient résister, sans se ruiner ».
— Le tout dans une « adresse spec-
tacle », au sein de l’Hôtel Yooma,
quartier de Beaugrenelle, dans le
15e arrondissement de Paris. Dans
ce restaurant situé sous « le plus
grand potager urbain de France,
cultivé sans pesticides, où Polichinelle
fait pousser ses propres plantes aro-
matiques et légumes saisonniers », le
légume sera servi « dans tous ses
états » sous la forme d’un « buffet
bon, beau et vivant ».
— À ne pas manquer : la terrasse de
70 couverts avec vue sur la
tour Eiffel.
122
LE GOÛT
Buffet de jardin.
Texte Marie ALINE
L’ÉPREUVE DU RÉEL
Dès l’arrivée quai de Grenelle, une chape d’austérité tombe alors même
que les gratte-ciel s’élèvent. Sobre, la petite tour qui abrite l’Hôtel Yooma
surplombe la terrasse de Polichinelle, qui se révèle sous le ciel bas de ce
début d’automne. Déjeuner dehors pour admirer la tour Eiffel présentant
un risque non négligeable de torticolis, les cadres des bureaux alentour se
pressent à l’intérieur, avides de découvrir cette version moderne du buffet.
Chaleureuse, l’équipe d’accueil met à l’aise dans un décor d’allure interna-
tionale, aux banquettes rebondies. Parfois les restaurants d’hôtels parta-
gent avec les business lounge d’aéroport une atmosphère aseptisée.
L’ADDITION
Pas sûr que ce soit le but recherché à Polichinelle, où tout se voudrait dif-
Menu déjeuner 23 €
férent : les assiettes en self-service de salade César au tofu, ou de panacotta
(entrée + plat ou
légumière, sont présentées sur un lit de riz noir. Le potager, qui, après
plat + dessert) ou 29 €
vérification auprès du service de presse, n’est finalement que « l’un des plus
(entrée + plat + dessert).
grands potagers urbains de France », ne fournit pour l’instant que les
Buffet à volonté le soir
aromates et les aubergines…
et le samedi midi : 39 €.
Un délicieux cocktail sans alcool nommé Exode fait office de lever de
rideau avant l’entrée en scène de « la tarte au mètre » (concept michala-
L’INCONTOURNABLE
kien), dont la pâte feuilletée imbibée de l’eau des tomates déçoit malgré la
L’Exode, un cocktail sans
fraîcheur des légumes. L’acidité de la câpre associée à la texture de la figue
alcool : jus de concombre,
fraîche a le caractère malencontreux des sangrias préparées à la va-vite.
fenouil et citron jaune, eau
Heureusement, la panacotta est plus gracieuse entre tomates du potager,
gazeuse et sirop d’orgeat.
olives de Kalamata, feta et pistaches concassées : l’idée audacieuse de mêler
entremets et hors-d’œuvre est honorée. Le talent de Christophe Michalak
LA SENTENCE
et de Steve Burggraf se découvre dans l’alliance réussie du sucré et du salé,
Ni enchanteur ni
incarnée par le pâtisson rôti laqué au miso, pêches rôties, caviar d’auber-
Thomas Deron. Romain Buisson
décevant, Polichinelle
gine et beurre blanc au miso. Malgré un aspect gloubi-boulga une fois dans
n’est pas un restaurant de
l’assiette, le plat intrigue tout en rassurant, nous donne l’impression d’être
destination. Mais, de pas-
un aventurier en goguette sur son canapé. Difficile d’en bouger, d’ailleurs,
sage dans le quartier, cela
après avoir gobé l’île flottante, trop sucrée à tous les niveaux : le caramel
reste un lieu agréable pour
dans la crème anglaise et les éclats de nougatine sont superflus. Cloué au
les personnes en quête
sol, le convive n’attend plus, pour retourner au bureau, que la voix suave
d’originalité soft.
d’une hôtesse au sol qui annoncerait un embarquement imminent.
 Le goût

le sens du détail La noble tAChE de Xavier Dolan. texte Valentin pérez

De l’extrémité de l’œil jusqu’à la frontière de la

mâchoire, une tache de naissance rosée mange
l’une des joues de Maxime, le personnage incarné
par Xavier Dolan dans Matthias & Maxime,
le huitième long-métrage qu’il réalise. Avant de
passer devant la caméra, le cinéaste et acteur est
à plusieurs reprises sorti se promener dans les
rues pour évaluer comment ce détail, obtenu au
maquillage, modifiait les regards des autres sur
lui. À l’écran, pourtant, cette marque physique
demeure secondaire aux yeux des amis de Max,
un Montréalais qui s’apprête à partir s’installer
en Australie. Entouré d’affection, il ne fait jamais
l’objet de mauvaises blagues ni d’attaques acerbes
sur son irrégularité pigmentaire. Ce n’est que
lorsque la relation qui unit Maxime à Matthias,
son meilleur copain, mute peu à peu en amitié
amoureuse – un motif récurrent du cinéma
de Dolan – que la tache sur le visage passe alors
au premier plan. À mesure que le désir monte
et que les tensions s’affûtent, elle devient la
zone de tous les possibles. Celle que l’on peut
perfidement moquer pour mieux blesser
celui qui la porte, celle sur laquelle les larmes
peuvent couler ou qui peut être couverte de
baisers. L’endroit précis qui concentre toutes
les ambiguïtés du rapport entre les deux
héros. Une marque qui émeut et dont
le spectateur redoute qu’on la gifle et prie
pour qu’on l’embrasse.
Shayne Laverdiere

Matthias & MaxiMe (1 h 59), de Xavier dolan. avec Gabriel d’almeida Freitas,
Xavier dolan et anne dorval. en salle le 16 octobre.

124
 SUr ToUS voS écranS Stallone à la réalisation.
De l’aDolescence De sylvester stallone ne subsiste, en
dehors des récits de l’acteur, qu’une rare photo, lui à 15 ans, la main
masquant son nez et sa bouche, comme pour signifier que cet âge
est le plus triste de la vie. Derrière lui, on aperçoit les immeubles
ternes et impersonnels du quartier de Hell’s Kitchen, à Manhattan,
où la star a grandi. Un lieu maudit et chéri, où le futur acteur, com-
plexé, handicapé par sa diction, angoissé par un corps trop fluet,
servait de bouc émissaire à ses camarades. Sylvester Stallone,
en 1978, dans La Taverne de l’enfer, raconte une autre histoire. Le
succès de Rocky, écrit et joué par Stallone, est passé par là, transfor-
mant du jour au lendemain en star cet acteur passé, en désespoir de
cause, par le cinéma porno. Désormais, filmé par ses soins, Stallone,
élégant et musclé, s’affiche en pleine lumière. Même sa diction,
heurtée au point de frôler le handicap, lui offre cette voix distinctive
en forme de signature.
La Taverne de l’enfer est ce film que Stallone se permet d’écrire, de
réaliser et de jouer à un moment où les portes lui sont ouvertes. Il
ne cherche pas le succès à tout prix. Plutôt le plaisir de parler à la
première personne, en retournant sur le territoire de son enfance, à
Hell’s Kitchen, pour y situer le récit de trois frères orphelins se lan-
çant dans l’organisation de combats de lutte dans des tripots clan-
destins. Stallone a choisi de situer l’action en 1946, l’année de sa
Universal/La Taverne de l’enfer
Texte Samuel Blumenfeld
naissance. Et quand il apparaît, c’est avec une boucle à l’oreille, une
cigarette au bec, une casquette sur la tête – exactement celle qu’il
portait à 15 ans sur cette photo de lui –, pour signifier qu’il n’a pas
changé, ne changera jamais, lui le héros en col bleu, incapable de
sortir de cet emploi puisque c’est le rôle de sa vie.
Dans La Taverne de l’enfer, au-delà des corps musclés que Stallone
aime tant filmer, le sien, celui de son partenaire et frère à l’écran, Lee
canalito, dont le destin se joue sur le ring, c’est le sens du détail qui
est le plus impressionnant : un soldat cul-de-jatte au comptoir d’un
bar, un bookmaker incapable d’articuler, le monsieur loyal d’un com-
bat de lutte accompagné d’un ouistiti. Un univers baroque composé
de gens improbables que Stallone sait filmer, car il les aime et les
connaît. L’acteur ne sera plus jamais autant lui-même que dans ce
premier film qu’il réalise, livré en forme de testament à son specta-
teur, la preuve de son talent, de son savoir-faire et de son authenti-
cité. Stallone avait écrit également la version romancée de La Taverne
de l’enfer. Un texte maladroit, alors qu’il filme avec aisance. Plus tard,
Stallone retentera, en 2005, le pari d’un livre, Sly Moves, une méthode
pour maigrir et prendre confiance. Un pari manqué, rappelant qu’il
est l’homme d’une seule histoire.
La Taverne de L’enfer (1 h 47), de sylvester stallone, est édité
en Blu-ray par BQhl.
 Le goût

VU SUR LE NET

La petite évasion.
Pour Thibaut Labey et Ferdinand Martinet,
« crapahuter dans le Jura, c’est aussi sexy que surfer
au Costa Rica ». À l’heure du flygskam (la « honte de
prendre l’avion », en suédois), ces trentenaires
remuants proposent sur le site Chilowé une sélection
de « micro-aventures » en France, sur deux à dix
jours : week-end de surf à Crozon, descente de
la Loire en canoë, balade à vélo dans le Marais
poitevin… Testée par des membres de la
communauté, chaque expérience s’assortit
de conseils d’itinéraires, d’hébergements et
d’équipements. D’autres bonnes idées d’excursions
en France peuvent être trouvées sur le site
Les Others, « le club de la nouvelle aventure »,
qui se décline également en revue. P. De.
ChiLOwe.COM
LesOThers.COM

LES PLUS GRANDS FILMS DU MAÎTRE DU SUSPENSE

ALFRED HITCHCOCK
DANS UN COFFRET COLLECTOR BLU-RAY™

Grégor y Mignard. Les Others

Surfer à Crozon (en haut) ou randonner dans le Vercors (en bas) : deux
des escapades locales suggérées par les site Chilowé et lesothers.com.
Conception graphique : © 2019 Universal Studios. Tous droits réservés.

ÉDITION LIMITÉE
16 BLU-RAY + 1 DVD DOCUMENTAIRE + GOODIES
™
 sans filtre

ÉTUDE N°1
La rencontre

de l’amour
#firstdate.
EXPOSITION, DU 08.10.2019 AU 30.08.2020

Les accros d’Instagram ne cessent de m ettre

CREATION FINGUEUR iN ZENOSE PHOTOGRAPHIE © SHUTTERSTOCK

en scène Leur vIe à coups de hashtags et de
EN PARTENARIAT AVEC EN COLLABORATION AVEC
#DelAmour
Franklin Roosevelt
Champs-Elysées Clemenceau
seLfIes, Lançant La tendance (ou pas). cette palais-decouverte.fr

semaIne, Les amours débutantes.

texte Carine Bizet — illustration aline zalkO

Instagram, c’est l’IntImIté mIse en scène. À chaque étape de
la vie. ainsi, ceux qui se lancent dans un #firstdate (premier rendez-vous en
Vf) sont plus de 410 000 à partager cette expérience en ligne. Un coup dur
pour les célibataires qui n’ont pas demandé à assister au bonheur naissant
des autres? Pas sûr. Car ce hashtag cache aussi une très distrayante compila-
tion «meilleur du pire», pour peu qu’on entreprenne une petite analyse de
ses clichés. Pourquoi autant d’images de nourriture portent-elles le hashtag
#firstdate ? eh bien, il est probable que le rendez-vous de l’autre côté de la
table ne ressemble pas du tout à sa photo de profil de site de rencontre
– merci les filtres et les logiciels de retouche. Même à la lumière de la bougie,
il y a trop de boulot sur facetune pour partager la photo du tricheur ou de la
tricheuse qui fout quand même la honte. On est donc bien obligé de se
concentrer sur les rares points positifs de ce rencard hasardeux : ce qu’il y a
dans l’assiette. et puis, à ce stade, mieux vaut manger, pour oublier, des plats
à l’ail en faisant du bruit avec la bouche si on veut, ce n’est pas comme si le
rendez-vous allait finir au lit. au moins, le soufflé au chocolat, ça console.
Certains passent aussi leur #firstdate à faire des selfies. il faut être bien clair,
la personne la plus importante de tout binôme, c’est eux et personne d’autre.
et s’ils s’éclipsent plusieurs fois dans la soirée pour aller aux toilettes, ce n’est
pas parce qu’ils ont une cystite ou une addiction à la cocaïne, mais plutôt une
envie irrépressible de se prendre en photo dans un miroir aux salissures
douteuses. Évidemment, ils ont tendance à oublier très vite la personne qui
attend à table et qui risque de découvrir ce qui se passe vraiment pendant
son #firstdate en… regardant instagram. Mais ceci est un détail. et d’ailleurs,
il faut aussi retoucher l’image, donc le retour à table n’est pas pour tout de
Conception graphique et photo : La Cinémathèque française/Mélanie Roero.

suite. enfin, il y a les candidats au #firstdate qui affichent des photos de

chiens. a priori, c’est le choix de gens qui ont renoncé au couple comme dans
les publicités pour canapés ou pour yaourts. ils ont opté pour l’amour (en
Courtesy of Twentieth Century Fox

tout bien, tout honneur) et la fidélité canine. À moins que l’idée ne soit en
fait de draguer le vétérinaire ou le propriétaire de l’animal. auquel cas, ce
n’est pas gagné : on est rarement au top de son charme, quand on est allongé
au ras du sol à faire des bruits bizarres pour attirer l’attention de la boule de
EXPOSITION
Co organisée avec

poils. Bref, c’est vraiment trop de complications les #firstdate, heureusement,

il y a de nouvelles séries sur netflix. 09.10.19 > 19.01.20
Grands mécènes de La Cinémathèque française Amie de Partenaire
La Cinémathèque française

BILLETS CINEMATHEQUE.FR et Partenaires média

#EXPOVAMPIRES
M BERCY
 LE GOÛT

TRAITEMENT DE SAVEUR Une idée légumineuse.

AUTEUR ET FORMATEUR CULINAIRE, GILLES DAVEAU AIM E MONTRER QUE
LES ALTERNATIVES VÉGÉTALES PEUVENT ÊTRE SIM PLES, INGÉNIEUSES ET
GOURMANDES, COM M E CE PLAT QUI RÉINVENTE LA BLANQUETTE.

plus de formations, pour les particuliers ou les LE TEM PEH AU

cuisines de collectivité. Aujourd’hui, la pédagogie VIN BLANC DE
culinaire représente l’essentiel de mon activité. Je GILLES DAVEAU
transmets, avec d’autres, une culture des cuisines POUR 3 OU 4 PERSONNES.
nourricières, humbles et ordinaires, libératrices. 200 g de tempeh frais (non
L’accent est mis sur les modes de cuisson, l’as- fumé), 200 g de riz demi-
complet thaï ou basmati,
semblage, l’assaisonnement, les techniques et 2 échalotes (80 g), 2 ou
astuces qui permettent aux gens d’être libres de 3 carottes (200 g), 1 beau
réaliser ensuite leur propre cuisine. L’idée, c’est poireau (200 g), de 4 à
6 champignons de Paris
aussi d’ouvrir les possibles, en diversifiant les (100 g), 12 cl de vin blanc,
plaisirs avec les céréales, les légumes, les légumi- 40 g de crème fraîche épaisse
neuses. Ce plat de légumes au tempeh, une (ou crème de soja), 20 g de
beurre , 1 c. à c. de Maïzena,
forme traditionnelle de soja cuisiné « à la fran- 1 mini-bouquet garni sec
çaise », m’a beaucoup inspiré. C’est le premier (½ feuille de laurier, 1 brin
plat que j’ai goûté, il y a bien longtemps, lorsque de thym et de romarin), persil
frais, pure sauce soja (tamari),
j’ai débuté mon stage dans un restaurant bio qui farine, huile végétale pour
s’appelait La Planète bleue. Le chef, Alain friture (ou huile de tournesol).
Mothais, confectionnait une cuisine tradition- LE TEMPEH. Couper le
nelle mais végétarienne. Il avait toutes sortes de tempeh en gros dés et faire
propositions ingénieuses et savoureuses. Ses mariner 15 min avec 3 c. à s.
de sauce soja. Passer les dés
plats ne copiaient pas la viande, ils proposaient
Texte Camille LABRO dans la farine, puis les faire
autre chose en jouant avec le répertoire culturel frire dans de l’huile de
Photos Julie BALAGUÉ
et gustatif de la clientèle. C’était bon, intelligent tournesol. Égoutter et réserver.
et profondément satisfaisant. Cela m’a ouvert les LE RIZ. Cuire le riz dans
yeux, l’appétit et les horizons.” 1,5 volume d’eau salée
“TRÈS TÔT, JE ME SUIS SENTI CONCERNÉ par les questions bouillante. Couvrir, baisser à
feu doux, sans remuer. Après
d’environnement et de société. À 6 ans, je pleurais devant les CUISINER SIMPLE ET BON, DE BRUNO COUDERC ET GILLES
20 minutes, égrener le riz.
DAVEAU, ACTES SUD, 64 P., 10 €.
images de la guerre au Vietnam ou au Biafra. Sorti de l’adoles- LE MANUEL DE CUISINE ALTERNATIVE, DE GILLES DAVEAU,
cence, je me suis dirigé vers des études de sociologie pour avoir ACTES SUD, 2014, 128 P., 22 €. LES LÉGUMES. Peler et
hacher les échalotes. Tailler
une porte d’entrée sur le monde, avec une forte vocation pédago- les carottes en demi-lunes,
gique. J’ai fait mon service civil en participant au montage d’une laver et émincer le poireau.
coopérative de produits bio, appelée Biosphère, tout en travaillant Dans une casserole à couvert,
faire suer à feu moyen les
sur la problématique du recyclage. Mais j’ai rapidement fait un échalotes avec le beurre et
constat d’ordre sociologique : ce que l’on vendait dans les maga- un peu de sel (3 min), ajouter
sins bio – les graines, le soja, les algues, les huiles végétales incon- les carottes (5 min) puis le
poireau, blanc et vert (3 min).
nues – n’était pas mangé par les gens, ce n’était pas en phase avec Retirer le couvercle et
la société de l’époque. Ces produits pouvaient porter une transi- déglacer avec le vin blanc
tion agricole (parce que, au fond, c’était l’objectif), mais il fallait durant 3 à 5 min.
Ajouter 2 verres d’eau, les
créer des passerelles, donner envie. Et la passerelle principale, c’est champignons en gros dés et
la cuisine. C’est ainsi que j’ai enfilé mon tablier et que je me suis le bouquet garni ; assaisonner
mis aux fourneaux. et ramener à ébullition.
Laisser mijoter à petit feu
Car la cuisine, c’est de la culture. Si on lance des injonctions ou des et à découvert 10 min, puis
accusations, si on dit aux gens ce qu’ils doivent faire pour mieux incorporer les deux tiers du
tempeh frit et laisser cuire
manger et consommer durable, cela ne marche pas. Il faut propo- encore 5 min.
ser des découvertes, du sens, des sens. J’ai ouvert mon restaurant, À la fin, lier avec la crème
à Nantes, en 1988. Il s’appelait L’Arbre de vie. J’y donnais des cours et la Maïzena diluée avec
un peu d’eau. Rectifier
de cuisine et je faisais à manger tous les jours, 100 % bio, à base de l’assaisonnement.
produits bruts frais. C’était végétarien, sans prosélytisme. La carte Garnir du reste de tempeh
changeait au quotidien, on était plein tous les jours. Je voulais que frit, saupoudrer d’un peu
de persil ciselé et servir
les clients se sentent bien, dans une atmosphère simple, qu’ils se avec le riz, à la manière
régalent et repartent contents et rassasiés. Après dix années de d’une blanquette.
restauration, j’ai poursuivi comme traiteur et animé de plus en

128
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ - À CONSOMMER AVEC MODÉRATION
 Le goût

le haut du panier La nigelle. texte Camille labro

illustration patrick pleutin

Parmi les 2 500 espèces de la famille

des renonculacées, la nigelle est la seule
qui se mange. Les autres – anémones,
renoncules, hellébores, clématites – sont
de belles plantes ornementales souvent
toxiques. Trois types de nigelles peuvent
être utilisés à des fins médicinales
ou condimentaires : la nigelle des champs,
ou Nigella arvensis, la nigelle de Damas,
et la nigelle cultivée, Nigella sativa,
la moins toxique (sauf à très haute dose),
qui donne des fleurs blanches
ou bleues et des petites graines
noires aux arômes piquants,
proches de la muscade et du cumin.

SeS appellationS.
Cumin noir, toute-épice, poivrette,
nielle, cheveux d’ange, cheveux
de Vénus, diable-dans-le-buisson.

Sa SaiSon.
Originaire du Proche-Orient, la nigelle
s’est répandue du Maroc,
jusqu’en Inde et en éthiopie. Facile
à cultiver, elle germe au printemps, fleurit
et se récolte durant l’été et jusqu’à
l’automne, moment où ses capsules
séchées libèrent de nombreuses graines.

SeS uSageS.
L’huile de nigelle serait, selon la légende,
« un remède à toutes les maladies,
sauf la mort ». Très prisées dans la cuisine
orientale, notamment indienne, les graines
de nigelle assaisonnent des currys
et garnissent les pains. Au Bengale,
elle entre dans la composition du panch
phoron, un mélange d’épices qui parfume
le dal. Elle peut être légèrement torréfiée
à la poêle, incorporée à des beignets
de légumes ou ajoutée sur du riz,
et se marie très bien avec les poissons.

Pages réalisées par Chloé Aeberhardt, Clément Ghys, Fiona Khalifa et Caroline Rousseau. Et aussi Sophie Abriat, Marie Aline, Roxana Azimi, Carine Bizet, Samuel Blumenfeld,
Serge Carreira, Stéphanie Chayet, Pascale Desclos, Claire Dhouailly, Alexandre Duyck, Laure Gasparotto, Marie Godfrain, Camille Labro, Valentin Pérez, Nicolas Six et John Tebbs.

130
 Le goût

texte John tebbs

Photo Jo Metson sCott

C’est le bouquet SEC plus ultra. Les fLeurs séchées sont à nouveau en vogue, et elles n’ont plus grand-chose à voir avec le bouquet pous- Composition florale Simone Gooch. Traduction : Agnès Rastouil

siéreux qui ornait les commodes de nos grands-mères… Aujourd’hui, les fleuristes spécialistes des grandes compo-
sitions s’en donnent à cœur joie avec les herbes et les fleurs séchées – leur légèreté et le fait qu’elles n’aient pas
besoin d’être arrosées permettent de les placer en hauteur et de jouer au maximum avec les volumes. leur longévité,
leur capacité à être utilisées plusieurs fois constituent d’autres atouts, dans un secteur qui tente actuellement de
devenir plus durable et plus « vert » ou, devrais-je dire dans le cas présent, plus brun. Mais je ne pense pas seulement
aux grandes compositions. Arrangées simplement, ces fleurs sont un délice à la maison. À cette époque de l’année,
on peut en trouver quelques-unes, déjà sèches, au marché ou chez le fleuriste : c’est le cas de l’herbe de la pampa,
des monnaies-du-pape ou des immortelles. D’autres peuvent être achetées fraîches ou cueillies au jardin et sécheront
sans problème, conservant leur forme et leur couleur. Certaines variétés sont réputées pour cela, comme les
hortensias, les épiaires, les achillées, les panicauts et les amarantes. on peut alors les voir passer d’un état à l’autre
et les apprécier tout au long du processus.

132
Avis recommandés.
Des bâtim ents qui
valent le Détour.
alors que le débat fait rage pour
savoir s’il faut reconstruire la cathé-
drale notre-dame à l’identique, les
Journées nationales de l’architec-
ture (du 18 au 20 octobre) rappel-
lent que le patrimoine est un bien
commun en perpétuel mouvement.
avant de devenir un lieu d’exposi-
tion, la Cité des électriciens, par
exemple, était un ancien quartier
ouvrier typique du nord de la
France. dans l’est, une église a été
expos, beaux livres, bonnes adresses… 7 idées pour une semaine
transformée en maison de famille.
la manufacture de parapluies de
Cherbourg a été reconvertie en
logements, l’usine de chaudron-
nerie de la Halle Girard, à lyon, en
incubateur de start-up… Ces quatre
sites, dont le bâti a été sauvegardé
lors de leur changement de fonc-
tion, font partie des 317 qui ouvri-
ront leurs portes en France pour
sensibiliser le public à l’architecture
contemporaine. édifices embléma-
tiques ou maisons individuelles
innovantes : toutes les facettes de
l’art de construire se dévoileront
sur le territoire français. pour pré-
parer ces visites, rendez-vous sur le
site des Journées nationales de
l’architecture, qui propose une
carte interactive des lieux excep-
tionnellement ouverts durant ces
trois jours. m. Go.
journeesarchiTecTure.cuLTure.gouv.fr
D’immeuble en
immeuble dans Paris.
Tout est dans le titre. Dans Ce
qu’on ne voit pas, de l’illustrateur
Stéphane Drillon et de l’écrivaine
Sigolène Vinson, les immeubles
parisiens remarquables, rangés
par arrondissement, sans autre
commentaire que l’adresse, sont
dessinés en couleur, tandis que le
reste de la rue est grisé, comme
passé au second plan. L’ouvrage
invite : 1/ à se balader dans Paris,
les yeux levés vers les bâtiments ;
2/ à aller ensuite faire des
recherches sur les architectes,
contemporains ou anciens, et
sur les styles Art nouveau, Art
déco, moderniste ou autres
qui ont essaimé dans la capitale,
réputée uniformément
haussmannienne. C. GH.
Ce qu’on ne voit pas. paris,
Le Tripode, 176 p., 25 €.
D’arbre en arbre
à versailles.
Quid d’un détour
vers le Grand Siècle ?
En décembre 1999,
la tempête Lothar
traversait l’Île-de-
France, abîmant ou
détruisant 18 500 arbres
du domaine du château
de Versailles. Grâce à
de nombreux dons,
les jardins ont été
reconstitués comme à
l’origine. Pour aider les
visiteurs à comprendre
ce patrimoine végétal,
le château propose,
depuis fin septembre,
un itinéraire balisé à la
rencontre des arbres
les plus remarquables
du domaine, que ce
soit par leur âge, leurs
dimensions ou leur
beauté. Une trentaine
a été recensée, dont
le sophora du Japon
et le cèdre du Liban
Dessin des chiffres par Helena Kadji
de Marie-Antoinette,
plantés au xviiie siècle
dans le jardin anglais
du Trianon. C. ae.
chaTeauversaiLLes.fr
Le goût
Une épopée pop.
À New York, en 1969, Andy Warhol
crée une œuvre d’art particulière :
un magazine où il mêle ses deux
passions, l’underground et les célé-
brités. Avec son ami Bob Colacello,
qui en deviendra le rédacteur en
chef, il lance une aventure de presse
exceptionnelle, encore copiée
aujourd’hui. Les éditions Assouline
publient un ouvrage retraçant cette
épopée, qui a vu naître des monu-
ments de la pop culture actuelle, de
Madonna à Leonardo DiCaprio. Le
livre reprend les images les plus
marquantes, les interviews emblé-
matiques. Alors que la revue connaît
des déboires, ayant été mise en
liquidation l’année dernière et
repartant doucement, l’ouvrage per-
met de revenir autant sur les
grandes heures du magazine
Inter vie w que sur celles de
New York dans les décennies 1970
et 1980, âge d’or du croisement
entre la pop culture et les arts. C. GH
IntervIew: 50 years, Assouline,
364 p., 228 €.
Du rouge avec
Des fruits De m er.
Certes, le vin blanc
ou même la bière
accompagnent bien les
bulots, les bigorneaux et
autres fruits de mer. Mais
le pinot noir reste un
choix heureux. Surtout
s’il est travaillé dans la
un spa à saint-trop’.
légèreté et la fraîcheur
Avec ses formules comme ce ladoix de
façonnées dans sa Philippe Pacalet, situé
ferme du Vermont, aux dans la Côte de Beaune.
États-Unis, Tata Harper Neveu de Marcel Lapierre
s’est imposée comme (le pape du vin nature),
la papesse de la l’artisan perpétue le
cosmétique naturelle savoir-faire familial avec
ce millésime détendu
haut de gamme. Elle
a ouvert cet été son et facile à boire. Autre
premier spa en France possibilité : opter pour
dans l’Hôtel Lou un saint-joseph. Située
Pinet. Le mythique dans les Côtes du Rhône
établissement tropézien, septentrionales, cette
fréquenté par Picasso, Des sculptures appellation présente
Boris Vian ou Françoise remarquables. des atouts (souplesse,
Sagan, a été restauré Au Petit Palais s’ouvre ces
fraîcheur et minéralité)
dans l’esprit bohème jours-ci une exposition de non négligeables
chic d’une maison de
Vincenzo Gemito. Peu connu du
grand public, du moins en France,
pour un plateau de
famille des sixties. Et le sculpteur italien (1852-1929) fruits de mer. Issu de
est l’un de ceux qui ont marqué
c’est comme une grotte la sculpture de son pays, vieilles vignes, L’Olivaie
douillette, au fond du introduisant un réalisme inédit. restera charmant avec
luxuriant jardin, qu’a
Aujourd’hui, ses portraits d’ano-
nymes ou de célébrités prennent
ses tannins soyeux
été imaginé le spa une tournure incroyablement et délicats. L. G.
contemporaine, tant le détail des
Tata Harper. CL. DH.
philippe pAcAlet, lAdoix, rouGe, 2017,
expressions est saisissant. C. GH. 45,50 €. tél. : 03-80-25-91-00.
domAine coursodon, sAint-joseph,
70, chemin du pinet, sAint-tropez (vAr). « vincenzo Gemito », Au petit pAlAis, l’olivAie, rouGe, 2017, 30 €.
loupinet.com du 15 octobre 2019 Au 26 jAnvier 2020. tél. : 04-75-08-18-29.
 jeux

Mots croisés
Philippe duPuis
grille n o 421 Sudoku
Yan georget
n o 421 - difficile

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Compléter toute
i la grille avec des
chiffres allant de 1
ii à 9. Chacun ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
iii par colonne et par
carré de neuf cases.
iV

Vi

Vii Solution de la grille

précédente

Viii

iX

X Bridge n o 421
Fédération Française de bridge
Xi

Xii

Xiii

XiV

XV

Horizontalement i Homme du juste milieu. Hommes du mauvais milieu. ii Fait circuler les
ouvrages. Venu de la première colonie française d’amérique du nord. iii bien située. sur
la portée. entraîne pour tromper. iV égouttoirs. Catherine, élisabeth ou alexandra. trois points.
V Membres de la famille. suit tous nos achats. tour complet. Vi Favorisent le développement
végétal. s’éterniser. Vii dans les décors sur scène. affluent du rhône. début octobre.
Viii attaque en bouche. rejette les divinités. iX divisée pour bâtir. solidement garnie à la base.
X Cours en asie. délicatement colorées. L’étain. Xi Creuses et tapissée de cristaux. Fait monter
l’intensité. aide à retrouver la forme. Xii Changement d’allure et de genre. Mis fin. Xiii bouts
de nœud. Partons en éclats. Cours de suisse. renforce l’assemblage. XiV digérées après excès.
bien disposé ou froissé. XV Préparerais les pois. ébranlé par les coups.
Verticalement 1 ne peut pas favoriser les accords. 2 Voir les choses en grand. transporte
l’or noir. 3 entraîne les étudiants dans de grandes réflexions. Pour les amateurs de toiles venues
d’ailleurs. 4 Mis en boîte. Protégé en façade. Mémoires d’experts. 5 Paresse dans les arbres.
base de départ. entraînent les excommunications. 6 raclait les fonds. Partage d’influence.
7 travailla sur l’œil. ne serviront plus. Préposition. 8 échange de mauvais coups. Passa. refuge
animal. 9 a certainement un oursin dans la poche. arrachera en surface. tête de linotte.
10 Passerais à la réalisation. 11 Linge sacré sur l’autel. interjection. attaque les bronches.
12 est devenu tokyo. Fleurissent les jardins en automne. anneau de cordage. 13 sont étendus.
surréaliste venu d’allemagne. assure la liaison. 14 Fait grand ménage à l’intérieur. Points
en opposition. rend la partie nulle. 15 grimperaient sur les montures ou sauteraient sur
leurs dadas.

solution de la grille no 420

Horizontalement i stratégiquement. ii Caïman. Lutteuse. iii épeires. io. on. iV ain. encéphales. V ussel. orties.
Vi Xs. barbues. salo. Vii déléguée. trépan. Viii er. noé. Liée. Pis. iX satinés. usinée. X ases. saul. têt. Xi ste.
Préférées. Xii obtenues. érin. Xiii Mua. tressée. Con. XiV origan. osèrent. XV neto. égal. sises.
Verticalement 1 sceaux-de-salomon. 2 tapisseras. bure. 3 riens. testait. 4 ami. ébéniste. go. 5 tar. Lagon.
enta. 6 énée. ruées. urne. 7 snobe. sapée. 8 il. Cruel. urss. 9 Quiète. iule. sol. 10 utopistes. Fées. 11 et. Hé.
réitérées. 12 Mélasse. neri. ri. 13 eu. appétences. 14 nsoe. Laie. one. 15 tensions. usants.

136
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le goût De… Pascal GreGGory.
le comédien doit énormém ent À patrice chéreau, m etteur en
scène et réalisateur. car c’est en assistant, À 20 ans, À l’une
de ses pièces que lui est apparue sa vocation pour le théâtre.
« C’était en 1974. J’avais vingt an s.
J’ai vu à Paris La Dispute de Marivaux, monté par
Patrice Chéreau (une pièce qui traite de l’incons-
tance en amour). J’ai observé dans cette pièce,
sans vraiment comprendre pourquoi, la cruauté
que les gens manifestent à l’égard d’eux-mêmes
et des autres. C’est cet apprentissage de la cruauté
que Patrice Chéreau a révélé chez Marivaux, et
cela m’a bouleversé. Dans cette pièce, les person-
nages sont des enfants et ils étaient joués par de
jeunes acteurs, plutôt adolescents. À cette
époque, j’étais moi-même encore un enfant.
Je me souviens bien qu’après la représentation,
dans la rue, je continuais à vivre ces aventures
bouleversantes et très nouvelles pour moi. Dans
mon cerveau, alors, c’était devenu politique. Je
devenais adulte et responsable d’une mission :
changer le monde par le théâtre et l’art. Chéreau
m’ouvrait au monde cruel des adultes. J’ai vécu
une enfance protégée et solitaire, et c’est à partir
138
le goût
RetRouvez
le podcast
“le goût de M”
suR leMonde.fR
et suR toutes
les plate-
foRMes.
nouvel invité :
alex Beaupain.
de cette pièce que ma révolte s’est déclarée.
Depuis, elle me sert à chaque fois que je joue au
théâtre et au cinéma. elle est le moteur secret
de ma vie.
et, par la suite, tout le travail que nous avons fait
ensemble, Patrice Chéreau et moi, fut entretenu
par cette illusion de l’amour : pourquoi les gens
se déchirent, pourquoi les gens se séparent,
qu’est-ce qui fait qu’un homme et une femme,
deux hommes ou deux femmes n’arrivent plus à
s’aimer ? l’idée de l’amour est souvent plus forte
que l’amour lui-même. J’ai été atteint dans ma
chair par ce spectacle fondateur. Ce qui est para-
doxal, c’est que je ne l’ai jamais dit à Patrice. Il est
mort trop tôt. et je mourrai avec ce secret. »
Recueilli par Valentin PéRez
Pascal Gregor y
« ceux qui M’aiMent », lectuRe d’écRits
de patRice chéReau paR pascal gReggoRy,
à l’espace caRdin, 1, avenue gaBRiel, paRis 8 e,
les 15, 16 et 17 octoBRe. theatRedelaville-paRis.coM
 Photographie retouchée

L’Ame du Voyage
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