Vous êtes sur la page 1sur 15

TRIBALIQUES

HENRI LOPES

TRIBALIQUES

ÉDITIONS CLÉ/PRESSES POCKET


La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de
l'Article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement
réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un
but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction inté-
grale oupartielle, faite sans le consentement del'auteur ou deses ayants droit
ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'Article 40).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit,
constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et
suivants du Code Pénal.
© by Editions CLE, Yaoundé (Cmeroun), 1971
ISBN 260-12815-
ANirva
PRÉFACE

Voici un ton. nouveau. Celui que nous attendions


depuis longtemps. Et qui s'affirme avec un courage
tranquille dans ces quelques nouvelles dont la moder-
nité nue sonne juste et vrai.
Ni voix brouillée de larmes ni complaisance mal-
saine à l'égard de soi. Pas même cette indignation
rétrospective qu'il est d'usage de prodiguer en évo-
quant, à grand renfort rhétorique, les méfaits d'un
colonialisme qui n'en finit pas de mourir.
Le colonialisme —le plus redoutable, celui qui ne
pardonnepas —c'est nous qui leportons, entre cuir et
os, comme un virus têtu dont le nom va changeant
au gré de nos intérêts : réalisme, traditionalisme,
tribalisme, népotisme. Pour tout dire en un mot :
arrivisme. Telle est la leçon que ces récits ensei-
gnent.
Récits brefs et bravement menés qui, mieux que la
fiction romanesque, permettent à l'auteur de braquer
le projecteur de l'analyse sur tel ou tel aspectparticu-
lier de la réalité africaine d'aujourd'hui.
Pas celle d'hier ou d'avant-hier, bien sûr. Mais
celle-là même qu'on croise au coin de la rue, dans le
dancing d'à côté, aux portes des lycées (de jeunes
filles depréférence), dans les bureaux et les ateliers,
sur les stades, et dans ces bars climatisés où les élites
désabusées vont chercher l'oubli aufond d'un verre
de whisky.
Cette Afrique nouvelle, celle du couple qui se
cherche, delafemme, compagneetégaledel'homme,
celle de la camaraderie virile des combats, mais celle
aussi des bassesses, dela suffisance etdesreniements,
cette Afrique-là dont les traits émergentpeu àpeu de
l'ombre, l'auteur nous la raconte avec une espèce
d'âpre tendresse qui souventnous émeut.
«Les voiturespassaientdansles rues maléclairées.
Celles qui croisaient Carmen l'éblouissaient. Celles
qui allaient dans le mêmesens qu'elle manquaient de
l'écraser etpersonne nes'arrêtait pour la prendre. Et
elle savait qu'au moins une voiture sur deux était
conduite par un nègre comme elle. Aujourd'hui
chacun va sa vie. » Tel est le ton. Il s'élève parfois
jusqu'à une sorte de violence prophétique quand il
dénonce la lâcheté et la corruption de certains hauts
fonctionnaires.
«Plus j'y pense moins j'ai envie de faire mon
rapport. On le lira peut-être. On tapera du poing
sur la table et puis on classera l'affaire. Vuillaume
ne sera pas expulsé; la Somian continuera à faire
fructifier ses affaires. Il y a en face de moi toute
une machine sociale qu'il faudrait faire sauter. Je
sais que cela viendra. Ce jour-là, je ne sais ce
qu'onfera d'un hommecharmant et honnête comme
Ndoté. »
Comme on le devine, plus que d'aimables récits
pour amuser la galerie, ce que le lecteur trouvera ici,
c'est le témoignage direct d'un hommequis'interroge
tout haut sur sa propre condition et sur celle de son
peuple. Voilà qui est littérature.
Bravo Lopes! Continue denous battre le bon tam-
tam.
Guy Tirolien
1
LA FUITE DE LA MAIN HABILE

D le taxi qui l'amenait de Maya-Maya à son


domicile, Mbouloukoué voyait Brazzaville s'éveil-
ler. Il yavait peu de monde dans les rues. Quelques
femmes, leur moutête sur la tête, allaient au marché
ou bien des hommes à bicyclette, sans doute des
boys, rejoignaient leur travail. Il était cinq heures et
demie du matin. L'air était frais, et pourtant il
semblait à Mbouloukoué plus lourd que celui qu'il
venait derespirer, il yavait àpeine quelques heures,
en Europe. Le taxi pénétra dans le quartier O.C.H.
proche de l'hôpital. Toutes les fenêtres étaient
encore fermées.
Mbouloukoué n'avait pas dormi de la nuit. Il ne
dormait jamais en avion. Pourtant il n'avait pas
sommeil ce matin. Il se demandait comment il
annoncerait la nouvelle à Mbâ. Bien qu'on fût
dimanche il ne voulait pas se présenter chez elle
aussi tôt. Il se mit à des occupations qui pourraient
lui faire gagnerdutemps. Il se déshabilla, se doucha,
se vêtit légèrement. Ensuite il défit ses bagages, mit
de côté un paquet qu'Elo lui avait justement remis
pour Mbâ.
Il se rendit du côté de la poste centrale. Il yavait
là une pâtisserie qu'il connaissait et où il pourrait
prendre un petit déjeuner. Quand il eut fini, il
téléphona au 28.72. Asa voix, il sut que Mbâétait
déjà réveillée.
—Toi, Mbouloukoué? Tu es déjà revenu?
—Oui, tout à l'heure !
—Alors?
Elle voulait déjà savoir. Et quoi lui répondre?
—J'ai un cadeau qu'Elo m'a remis pour toi. Je
peux passer?
—Oui, tout de suite...

Mbâ, Elo et Mbouloukoué étaient nés tous trois


au village Ossio. Ensemble tous les matins, ils
avaient traversé la Nkéni et fait des kilomètres à
pied pour aller à l'école de Ngamboma. Ils avaient
passé le certificat d'études la même année. Puis ils
étaient venus à Brazzaville. C'est surtout là que leur
amitié s'était fortifiée. Ensemble ils se retrouvaient
pour échanger leurs impressions de cours.
Mbâ aimait également Elo et Mbouloukoué,
comme s'ils avaient été ses frères.
Elle trouvait Mbouloukoué plus beau. Lui aussi,
lorsqu'il regardait Mbâ ou qu'il avait l'occasion de
rester seul à discuter avec elle, il lui découvrait
quelque chose que les autres n'avaient pas. Les filles
qui allaient au collège avec Mbâ ne semblaient pas
beaucoup s'intéresser à ce qu'on leur y apprenait.
Chaque jour, elles allaient au cours un peu avec le
même esprit qu'on peut avoir en allant à une
surprise-partie. Elles étudiaient leur habillement et
la manière de tenir leur cartable, pour que les
hommes qui les verraient passer dans la rue puissent
les remarquer. Elles y allaient aussi pour retrouvèr
Henri Lopes est né le 12 septembre 1937 à Kinshasa.
Après l'école primaire à Brazzaville et Bangui, il pour-
suivra dès 1949 ses études en France : lycée à Nantes
et Université à Paris. Muni d'une licence et d'un
D.E.S. d'histoire, il enseigne deux ans dans les lycées
de la région parisienne. Pendant la période de 1957
à 1965, Henri Lopes a été membre du Comité exécutif
de la Fédération des Etudiants d'Afrique Noireen France
et président de l'Association des étudiants congolais.
De retour au Congo-Brazzaville en 1965, il passa rapi-
dement de l'enseignement de l'histoire à l'Ecole
Normale d'Afrique Centrale à la direction générale de
l'Enseignement avant de devenir Ministre de l'Educa-
tion nationale, Premier Ministre et Ministre des Finances
par la suite.
Auteur d'articles et de poèmes, il a publié également
deux romans : La nouvelle romance en 1976 et
Sans tam-tam en 1977.
Ce recueil, Tribaliques, que nous présentons en
sixième édition a obtenu le Grand Prix Littéraire de
l'Afrique Noire. Il contient huit nouvelles qui sont autant
de portraits. Huit portraits qui dépeignent autant des
individus que la société dans laquelle ils vivent. Huit
histoires fortes, variées, bien écrites, qui, sans avoir
l'air d'y toucher, abordent quelques problèmes essen-
tiels de l'Afrique moderne et les passent au crible d'une
critique toute de finesse et de discernement.
Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès
par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement
sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012
relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au
sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.
Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire
qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections


de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*
La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original,
qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia
‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒
dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

Vous aimerez peut-être aussi