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Nidange Aboa

Nolwenn Rouarch
Aurélie Schaller
Florian Devouassoux

TER :

LE POLAR EUROPÉEN
Traduction et diffusion du roman noir en Europe

Sous la direction de Marine De Lassalle

M2 Politique et Gestion de la Culture 2020 - 2021


Nous tenions à remercier les personnes qui nous ont aidés et accompagnés
durant notre travail d’étude et de recherche. Tout d’abord Madame De Lassalle
pour ses conseils et pour l’attention qu’elle a porté à notre recherche. Nous
voulions également remercier Florian Lafani, Valérie Miguel-Kraak et Camille
Paulian pour nous avoir accordé du temps et avoir répondu à nos questions.
SOMMAIRE

INTRODUCTION
2

PARTIE 1 : MÉTHODOLOGIE 5

I. Guide méthodologique de construction de la base de données 5


II. Collecte de données qualitatives : une série de trois entretiens 11

PARTIE 2 : LES ATTENTES DU LECTORAT : MOTEURS DE LA 16


CIRCULATION DES ROMANS POLICIERS ?

I. L’analyse des données 16


II. La circulation des romans policiers en Europe : une envie des lecteurs de
lire/partir ailleurs ? 20

PARTIE 3 : L’INFLUENCE DE L’ENVIRONNEMENT SUR LA DIFFUSION DU


POLAR EN EUROPE 29

I. Des logiques économiques omniprésentes mais non totalitaires 30


II. Un groupe professionnel plus ou moins structuré 34
III. Des politiques européennes volontaristes et favorables mais insuffisantes :
une identité européenne objectivée ? 40

CONCLUSION 45

BIBLIOGRAPHIE 51

ANNEXES 53

1
Michel Bussi, Arnaldur Indridason, Lisa Gardner, Niko Tackian ou encore Camilla
Läckberg sont aujourd’hui les auteurs présents dans les meilleures ventes de polars en
France1. Dans ce classement, on retrouve des auteurs français mais aussi américains, suédois
ou encore islandais. Cet exemple donne une idée du dynamisme de la traduction et les
nombreux échanges littéraires qui existent dans le domaine du roman policier, notamment en
Europe.

Le « polar » ou « roman policier » est défini par le Centre National des Ressources Textuelles
et Lexicales comme un roman « dont l'intrigue est fondée sur des activités criminelles plus
ou moins mystérieuses qui sont élucidées par une enquête conduite par la police, par des
détectives ou par des particuliers »2. On retrouve donc dans un polar des personnages
charismatiques, avec la figure de l’enquêteur plus ou moins professionnel et celle des
suspects engagés dans des situations criminelles originales et rocambolesques. De plus, le
polar s’inscrit dans un environnement social et politique spécifique, certains devenant de
véritables lieux de « critique sociale et politique » avec des thèmes récurrents comme la
violence, la corruption ou la décomposition morale de la société3. Le roman policier s’inscrit
donc dans une société précise avec ses lois, ses vices et ses spécificités.

Les caractéristiques du roman policier laisseraient donc à penser que le genre aurait un
ancrage national et que cela pourrait être difficile de vendre les droits d’un polar à l’étranger,
de l’exporter dans un autre contexte, une autre société. Cependant, les chiffres des meilleures
ventes de polars en France contredisent cette idée. Beaucoup d’auteurs étrangers y figurent
comme nous l’avons vu. De plus, une réelle volonté de diffusion internationale semble
émaner des professionnels du secteur avec de nombreux événements créés autour du polar,
qui tendent à ouvrir les frontières du genre. Depuis 2003, l’hebdomadaire Le Point remet
chaque année le Prix du polar européen lors du Festival Quais du polar de Lyon. En 2021, le
Prix du polar européen a été décerné à Jurica Pavicic, un auteur croate pour son ouvrage
L’eau rouge. Ces différents exemples semblent témoigner d’une volonté de sortir des carcans

1
« Meilleurs ventes Polar/Romans policiers », Fnac
2
Définition de polar, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
3
« Le polar entre critique sociale et désenchantement », Mouvements 2001/3 (no15-16), pp. 5-7

2
nationaux et de traduire de nouveaux romans policiers venant de langue « rare » et non les
bestsellers anglais ou américain. Dans la même veine, la SNCF a également créé un prix en
2004, le Prix SNCF du polar européen4. Le développement de ces nombreux prix montre
l’intérêt croissant pour les romans policiers étrangers et la volonté de créer des liens et des
échanges à l’échelle européenne. L’universitaire danois Kim Toft Hansen utilise le terme
d’« Euronoir » pour désigner « les fictions criminelles produites dans un pays européen » 5.
Tous ces éléments tendent à dessiner les contours d’une notion de « polar européen ».

Mais cette idée de polar européen se traduit-elle dans les faits ? Pour étudier cette question,
il convient de s’intéresser aux dynamiques de traduction et de diffusion des polars en Europe.
L’idée de polar européen peut se traduire de deux façons distinctes. La première concerne
des caractéristiques intrinsèques aux œuvres. Peut-on lister des caractéristiques stylistiques
semblables entre romans noirs européens ? Existe-t-il des thèmes récurrents et développés
par des auteurs de polars venant de différents pays d’Europe ? Les lecteurs plébiscitent-ils
les romans noirs venant d’autres pays européens et pour quelles raisons ?
La seconde façon de définir le polar européen peut être en analysant l’environnement dans
lequel évoluent les œuvres. Des facteurs extérieurs aux considérations littéraires et
esthétiques peuvent influer sur la diffusion ou non d’une œuvre à l’étranger. On peut alors se
poser la question de l’influence des professionnels de l’édition sur les dynamiques de
traduction. La volonté politique peut aussi impacter la diffusion et la traduction.

La notion de « polar européen » a donc plusieurs significations et il convient de l’étudier sous


plusieurs angles. Dans une première partie, nous reviendrons sur la méthodologie utilisée
pour conduire notre recherche et notamment la création d’une base de données des auteurs
de polars européens. En analysant ces données et les différents entretiens que nous avons
menés, nous nous intéresserons ensuite aux critères intrinsèques aux romans qui peuvent
faciliter ou non leur diffusion dans l’espace européen. Enfin, nous analyserons la deuxième

4
« Prix du polar européen », Wikipédia
5
Amir Lucie, Biscarrat Laetitia, Jacquelin Alice, « Impossible Euronoir ? Le polar européen dans sa
réception critique française », ¿ Interrogations ?, n°32

3
catégorie de facteurs ayant une influence sur les dynamiques de diffusion des polars en
Europe, les facteurs extérieurs relatifs à l’environnement professionnelles et aux politiques
misent en place.

4
MÉTHODOLOGIE

I. Guide méthodologique de construction de la base de données


A. Intérêts et utilisations de la base de données en sciences sociales

Avant d’étudier la méthodologie que nous avons utilisée pour créer la base de données
concernant les auteurs de polars européens, il convient de s’intéresser à l’intérêt d’une telle
base et à ses différentes utilisations possibles en sciences sociales. Une base de données se
définit comme « un instrument de mise en forme permettant le stockage et le traitement
d’informations structurées, c’est-à-dire classées sous des rapports prédéterminés et qui sont
rendues accessibles »6 . Ces outils des sciences sociales s’inscrivent dans une démarche
quantitative. Classer puis analyser un grand volume de données permet de dégager des
régularités statistiques, possiblement imperceptibles si l’on étudie ces informations de
manière isolée.

Cependant, l’abondance des données, notamment grâce aux outils numériques et à internet
peut aussi se révéler problématique. Il est ainsi nécessaire d’opérer une sélection dans ce «
Big Data ». En partant de données brutes et de formats différents, le ou les créateurs de la
base vont agencer, hiérarchiser et codifier ces informations pour les rendre lisibles et, dans
le cadre d’une enquête sociologique, exploitables. Un volume important de données peut
ainsi être classé pour donner du sens et objectiver des liens ou des corrélations entre les
différentes informations. Selon Patrice Flichy, la création d’une base de données est « un
travail de mise en visibilité, de dévoilement »7 de l’information.

Ce travail d’agencement et de dévoilement ne doit pas s’opérer de manière isolée. Il est


important de questionner ces données, « de savoir dans quel contexte elles ont été produites
et par qui, avant de les faire parler »8 . Ainsi, l’utilisation des données doit être complétée par
une approche qualitative pour « faire sens ». Les régularités statistiques dégagées par la
compilation et l’étude des entrées de la base doivent être questionnées et prolongées par des

6
Flichy Patrice, et Sylvain Parasie « Présentation », Réseaux, vol. 178-179, no. 2-3, 2013, p.10.
7
Flichy Patrice, « Rendre visible l’information. Une analyse sociotechnique du traitement des données »,
Réseaux, vol. 178-179, no. 2-3, 2013, p.58.
8
Bellin Isabelle, « Les données de sciences humaines et sociales », site internet Dataanalyticsposts

5
entretiens ou encore des observations. Selon Laurent Beauguitte, « Il faut faire les deux, avec
des méthodes mixtes, par exemple en ciblant les entretiens à partir de l’analyse quantitative
préalable »9 .

Ainsi, la création de notre base de données sur les auteurs de polars européens a été
uniquement une première étape dans la recherche sociologique que nous proposons. Nous
avons ensuite complété cette analyse quantitative par des outils qualitatifs et notamment des
entretiens.

B. La base de données des auteurs de polars européens, méthodologie

Pour les besoins de notre étude sur les processus de traduction littéraire en Europe nous
avons créé notre propre base de données. Cette dernière compile les différents ouvrages
qualifiés comme « polars » ou « romans criminels » ayant été écrits par des auteurs européens.
La classification s’est opérée en fonction de la nationalité des auteurs. Une liste non
exhaustive, mais déjà largement fournie, des auteurs de polars par nationalité est disponible
sur la plateforme Wikipédia 10. Cette première liste d’auteurs a été complétée grâce à des
revues spécialisées comme le numéro de Germanica consacré au krimi11 pour la liste
allemande. Ce recensement des auteurs par nationalité n’est bien sûr pas exhaustif. Mais,
avec un nombre d’entrées conséquent pour chaque pays (897 entrées concernant les auteurs
français, 39 pour les auteurs norvégiens, 25 pour les auteurs espagnols, etc.), ces listes
préétablies permettent d’obtenir une approche globale et d’effectuer de possibles
comparaisons entre pays européens. Bien que l’objectif final soit de créer une base complète,
avec des entrées pour les différents pays européens, pour le moment, nous nous sommes
focalisés sur les auteurs allemands, espagnols et suédois.

Nous avons commencé par une base de données compilant les polars et récits policiers écrits
par des auteurs allemands. Le polar germanique représente une part importante des ventes
littéraires du pays ; en 2015, un peu plus de 25% des livres de fiction vendus en Allemagne

9
Cité par Bellin Isabelle, « Les données de sciences humaines et sociales ».
10
« Liste d’auteurs de romans policiers », Wikipédia.
11
« Le roman policier dans l’espace germanophone », Germanica, n°58, 2016

6
appartenaient à cette catégorie 12. Le polar germanique s’exporte dans le monde entier mais
principalement sur le marché européen. En 2015, 61,2% des contrats de cession de droit (soit
environ 4500) ont été passés entre les éditeurs allemands et les éditeurs européens13. Etudier
le polar allemand et sa diffusion est donc intéressant pour notre étude. Avec une liste
recensant environ 59 auteurs de romans policiers, représentant plus de 1600 ouvrages et
traductions, ils nous étaient nécessaires d’organiser et d’homogénéiser ces données pour un
traitement futur.

Nous avons ensuite décidé de nous intéresser aux auteurs de polars espagnols. La compilation
de données sur plusieurs pays nous permettra par la suite d’effectuer des comparaisons, de
faire ressortir des spécificités nationales ou bien de souligner les points communs. Le choix
de l’Espagne n’est pas anodin. Bien que la liste des auteurs de polars espagnols que nous
avons est bien moindre que la liste allemande (25 auteurs contre 59), les auteurs hispaniques
sont reconnus dans le monde du polar avec des écrivains comme Arturo Pérez-Reverte ou
encore Daniel Rojo dont les œuvres sont traduites dans pas moins de dix langues. De plus, la
littérature espagnole s'exporte dans le monde entier et en Europe particulièrement. Par
exemple, en 2017, 421 titres espagnols ont été traduits en français, tous genres confondus,
dont 146 « romans et fictions », catégorie dans laquelle se trouve le roman policier 14 .

Nous nous sommes ensuite tournés vers les pays scandinaves et avons compilé des polars
écrits par 47 auteurs suédois. Le polar nordique a connu ses dernières années un réel
engouement dans une grande partie de l’Europe. Étudier les traductions des œuvres policières
émanant d’auteurs suédois nous semblait donc heuristique.

Pour aller plus loin, il serait intéressant de créer une base de données pour les auteurs de
polars d’un pays anglophone comme l’Irlande par exemple. L’anglais étant la langue la plus

12
Louviot Myriam et Thierry Clémence, Rapport « L’édition de littérature en Allemagne », Département
étudesdu BIEF, octobre 2016, p. 27
13
Louviot Myriam et Thierry Clémence, « L’édition de littérature en Allemagne », p. 36
14
Dutilleul Pierre, Rapport « Les chiffres de l’édition 2017-2018. France et international », Département
statistique du SNE, juin 2019, p.66

7
utilisée dans le monde, on pourrait se poser la question de si cela influe sur la traduction des
livres anglophones.

A la suite de ces différents choix et à partir de la liste des auteurs de polars mise à notre
disposition, nous avons pu entamer le travail de collecte et d’homogénéisation des données.
L’utilisation d’un logiciel pour automatiser ce travail conséquent était nécessaire. Nous avons
opté pour le logiciel Zotero. Ce logiciel, principalement utilisé pour la gestion des références,
s’est avéré un outil efficace mais qui, malgré une automatisation importante, demande une
rigueur et une précision quant à la saisie des données. Une fois le logiciel choisi, il nous a
fallu importer les nombreuses références. Ce travail a été facilité par la base de données en
ligne Worldcat. Cette ressource qui se définit comme « le plus grand catalogue de
bibliothèques au monde » ne recense pas moins de 2 milliards de références littéraires.
L’organisation de cette base de données générale nous a facilité la recherche et l’exportation
des informations dont nous avions besoin pour notre propre base. En effet, une fois l’édition
originale du polar trouvée, il est possible, grâce à Worldcat, d’obtenir un nombre important
de traductions disponibles pour cet ouvrage, avec l’identité du ou des traducteurs et les
différentes éditions.

Les informations contenues sur la plateforme Worldcat nécessitent d’être retraitées et


homogénéisées pour pouvoir ensuite être utilisables scientifiquement. Pour cela, nous avons
exporté les données de Worldcat sur Zotero. Bien que ce transfert soit en grande partie
automatisé, il est nécessaire de s’assurer que les informations aient bien été catégorisées par
le logiciel. Par exemple, lorsque l’on exporte une traduction, l’auteur initial de l’ouvrage et
le ou les traducteurs se confondent. Il est alors nécessaire de codifier manuellement qui est
qui.

Il est important, lors de la création d’une base de données, d’homogénéiser les informations
pour « transformer des données brutes, hétérogènes, difficilement lisibles par celui qui ne les
a pas produites, en une information visible et compréhensible » 15 . Ainsi, certains codes

15
Flichy Patrice, « Rendre visible l’information. », p. 59.

8
partagés par tous sont nécessaires pour créer cette visibilité. Il faut ici s’attarder sur certains
points clés dans la création de notre base de données, certaines informations capitales pour
la suite.

Concernant la compilation des éditions originales, plusieurs points sont à souligner. La


plateforme Worldcat propose, pour chaque ouvrage, toutes les éditions possibles. Dans cette
liste, plus ou moins fournie, il est nécessaire de n’exporter dans la base que la première date
de publication dans la langue d’origine. Ce point est important pour une question de
temporalité. En effet, si la date de publication entrée dans la base n’est pas la date originale,
cela peut créer des situations non compréhensibles comme une traduction ayant été publiée
avant l’ouvrage original. De plus, concernant l’édition dans la langue originale, il peut être
intéressant d’ajouter un court résumé de l’ouvrage. Ce résumé pourra être utilisé pour les
futures analyses, une de nos hypothèses reposant sur l’idée que les lieux dans lesquels se
déroulent l’action du polar peuvent influer sur sa traduction ou sa non-traduction. Enfin, ils
nous semblent nécessaire d’ajouter une courte biographie de chaque auteur. Les informations
socio-professionnelles de chaque écrivain pourraient, selon une autre de nos hypothèses, être
des facteurs favorisant la traduction ou non de leurs écrits.

Exemple de la fiche de l’ouvrage Una comedia ligera de l’auteur espagnol Eduardo Mendoza (on
y retrouve le titre, l’auteur, un court résumé de l’œuvre et la première date de publication).

Sur l’extraction des informations concernant les traductions, il faut être vigilant sur plusieurs
points. Il faut tout d’abord s’assurer que le nom du traducteur apparaît sous la catégorie «
traducteur » et non « auteur ». En effet, lors de l’exportation depuis Worldcat sur Zotero, ce

9
dernier place le traducteur et l’auteur sous la même catégorie. Il est alors crucial pour
l’exploitation des données de labelliser correctement les différentes personnes.

Exemple de la fiche de la traduction allemande de Una comedia ligera (on y retrouve le titre
traduit, le traducteur, la langue et la date de publication).

Enfin, lors de l’exportation des différentes traductions sur la base Zotero, il est nécessaire de
rattacher l’édition originale avec ses différentes traductions. Pour cela, le logiciel propose de
connecter plusieurs entrées via des connexes. Ainsi, lorsque l’on sélectionne un ouvrage
traduit, il est possible de se référer rapidement à l’ouvrage original. Il sera nécessaire, lors de
l’extraction des données sur Excel par exemple, de s’assurer que ces liens sont aussi exportés,
pour gagner en visibilité et en acuité pour le traitement des données futur.

Grâce aux connexes, on retrouve facilement les différentes traductions pour le livre d’Eduardo
Mendoza, Una comedia ligera.

10
Voici donc la méthodologie que nous avons appliquée pour la création de notre base de
données. Comme on vient de le voir, ce travail demande une rigueur et une précision dans
toutes les étapes de saisie des données. Mais ce travail en amont va faciliter le traitement et
l’utilisation des données par la suite.

C. Exploitation de la base

Une fois l’ensemble des données intégrées à la base, il a été nécessaire d’exporter ces
données sur d’autres logiciels comme Excel, afin de pouvoir dégager des régularités
statistiques, des corrélations. Cette extraction est nécessaire à l’analyse des données pour
dégager des éléments de réponse mais aussi des outils qualitatifs.

Pour chaque pays, les données ont été extraites du logiciel Zotero vers un document Excel,
permettant ainsi de les exploiter et analyser via des tris à plats et des tris croisés. Ces tris nous
ont permis d’identifier avec davantage d’aisance les principales langues de traductions pour
les auteurs de chaque pays et ainsi identifier des liens entre les pays européens. Nous avons
donc pu faire des analyses d’ensemble pour chacun des trois groupes d’auteurs (auteurs
allemands, auteurs espagnols et auteurs suédois).

Toutefois, ces extractions supprimaient les liens entre les « connexes » et les éditions
originales, effaçant ainsi une information cruciale qui nous aurait permis de faire des analyses
plus détaillées. En effet, sans ces liens, il nous est difficile d’identifier les œuvres les plus
traduites ou encore les principales langues de traductions pour chaque auteur.

II. Collecte de données qualitatives : une série de trois entretiens

En plus de créer une base de données quantitatives sur les œuvres et les auteurs, nous
avons également voulu collecter des données qualitatives auprès des intermédiaires du
secteurs littéraires susceptibles d’influencer la circulation des polars au sein de l’Europe.

A. Choix des profils pour les entretiens

Nous nous sommes tournés vers des intermédiaires traditionnels a priori nécessaires pour
la circulation des œuvres tels que les maisons d’éditions et les traducteurs. Nous nous

11
sommes également tournés vers les agents littéraires, des acteurs « nouveaux », susceptibles
d’avoir une grande influence sur la circulation des romans policiers.

Il s’agissait, pour nous, de recueillir les informations les plus pertinentes possibles mais aussi
les plus variées possibles. En effet, nous imaginions que les différents intermédiaires auraient
des perceptions différentes du marché et des facteurs de la circulation des œuvres.

Nous nous sommes toutefois limités aux professionnels de maisons d’édition, traducteurs et
agents car ces derniers apparaissent comme les mieux placés pour connaître les dynamiques
qui influencent la circulation des œuvres puisqu’ils tendent à être en lien direct avec les
activités de prospection, d’achat de droits et de traduction.

B. La construction de la grille d’entretien

Nous avons construit trois grilles d’entretiens, chacune spécifiques à chaque métier, avec
toutefois des questions communes. Il s’agissait notamment des questions contribuant à
contextualiser les entretiens et concernant le parcours académique et professionnel de la
personne interrogée et la présentation de la structure dans laquelle il exerce son métier (s’il
travaille dans une structure) ou encore la part du catalogue dédiée au polar (et dans le cas des
agents, la part des auteurs représentés écrivant des romans policiers ou des thrillers).

C. Profils et caractéristiques des personnes interrogées

Nous avons pu interviewer trois intermédiaires, parmi lesquels un directeur éditorial


travaillant dans une maison d’édition et deux agentes exerçant dans des agences
indépendantes. N’ayant pas reçu de réponses positives des traducteurs que nous avions
contactés, nous n’avons pas pu interviewer de traducteurs et n’avons ainsi pas pu explorer
cette perspective. Quelques réponses fournies par les intermédiaires avec lesquels nous nous
sommes entretenus nous ont tout de même permis de combler quelque peu ces lacunes et
d’avoir un petit aperçu de l’influence des traducteurs dans la circulation du polar en Europe.

12
Du fait de la situation de crise sanitaire et de la distance, l’ensemble des interviewés se
trouvant à Paris tandis que nous étions tous les quatre dans différentes villes françaises, les
entretiens ont eu lieu par téléphone ou en visioconférence, via des Microsoft teams et Jitsi.

Nous avons pu interviewer Florian Lafani, directeur éditorial depuis 3 ans à Fleuve éditions.
Florian Lafani est un professionnel de l’édition depuis 15 ans qui, après avoir fait des études
de lettres classiques et avoir exercé en tant que professeur, a commencé sa carrière dans le
secteur de l’édition en lisant des manuscrits et en travaillant dans la partie numérique de
l’édition. Il a ensuite travaillé chez Izneo, une plateforme de bandes dessinées en ligne en
France et en Europe prenant la forme d'un site web et d'applications mobiles. Enfin, avant
d’intégrer Fleuve éditions, Florian Lafont a également travaillé pendant 6 ans auprès des
Editions Michel Lafon, une maison d’édition indépendante où il a pu faire le lien entre cette
partie numérique de l’édition et la partie plus traditionnelle du secteur. Au sein de Fleuve
éditions, en tant que directeur éditorial, il a pu occuper « un rôle de chef d’orchestre, de
construction de programmes et de stratégies ».

Fleuve éditions est une maison d'édition française spécialisée dans le roman populaire. Cette
maison a été créée en 1949 par Armand de Caro, André de Caro, Robert Bonhomme et Guy
Krill sous le nom Fleuve Noir. Depuis 2013, la maison d’édition porte le nom Fleuve éditions,
nom moins segmentant sur le marché littéraire qui lui permet de diversifier son image et ainsi,
publier plus facilement de la littérature générale. Selon Florian Lafani, les polars et thrillers
constituent encore 60% du catalogue de Fleuve éditions, il s’agit d’un mélange équilibré entre
auteurs français et auteurs étrangers.

Cet entretien était particulièrement intéressant car Florian Lafani, en tant qu’intermédiaire du
secteur littéraire démontrant d’une grande familiarité avec le genre du polar et d’une
excellente compréhension des dynamiques encadrant la circulation des œuvres, correspondait
parfaitement au profil que nous recherchions pour approfondir les aspects qualitatifs de notre
analyse.

13
A défaut de pouvoir interviewer un traducteur, nous avons pu nous entretenir avec deux
agents littéraires Camille Paulian travaillant à Trames XYZ et Valérie Miguel-Kraak,
fondatrice de l’agence littéraire Hyphen.

Camille Paulian décrit un parcours académique similaire à celui de Florian Lafani puisqu’elle
a, elle aussi, fait des études de lettres. Pendant ses études, elle a effectué un stage au sein de
la maison d’édition Seuil et a ensuite occupé un poste d’assistante de presse au sein de la
même maison. Elle a ensuite successivement travaillé pour L’Olivier, Plon, Les Escales et
Autrement avant de co-fonder Trames XYZ en 2018 avec Sylvie Pereira, Violaine Faucon et
Kinga Wyrzykowska, trois autres professionnelles du secteur littéraire.

L’agence Trames XYZ est une petite agence indépendante qui représente à la fois des auteurs
et des maisons d'édition, toutefois, elle ne représente pas ou très rarement des auteurs de
polars ou de thrillers. Ainsi, bien que cet entretien ait été très intéressant, en tant qu’il nous a
permis d’acquérir une meilleure compréhension du métier d’agent ainsi que sur la circulation
des œuvres en général, du fait du manque de familiarité de l’agence et de Camille Paulian
avec le genre étudié et les dynamiques qui contribuent à la circulation du polar au sein de
l’Europe, il s’est montré moins pertinent que les deux autres entretiens pour analyser les
facteurs d’une éventuelle européanisation du polar.

Nous avons ensuite interviewé Valérie Miguel-Kraak, fondatrice de l’agence littéraire


Hyphen. Cette dernière a également fait des études de lettres mais, à la différence des deux
intermédiaires présentés ci-dessus, a eu un parcours académique moins linéaire puisqu’elle
s’est ensuite tournée vers un Master de géopolitique européenne avant de revenir, un peu plus
tard, vers les métiers du livres via un Master en management d’édition à l’École Supérieure
de Commerce de Paris. Après ces études, elle a travaillé pendant 15 ans chez le groupe Editis
Vivendi, elle a exercé le métier de directrice éditoriale chez Fleuve éditions et chez la maison
d’éditions de mangas, Kurokawa. Enfin, il y a 3 ans, en 2018, elle a fait le choix de
l’indépendance et a lancé son agence littéraire Hyphen et travaille maintenant en partenariat
avec Marleen Seegers de 2 Seas Agency, une agence basée en Californie. Hyphen représente

14
neufs auteurs français, belges et taïwanais, et leur assure un suivi de proximité centré tant sur
le travail de texte que sur leur promotion à l’échelle nationale et internationale.

Du fait de sa connaissance du secteur littéraire, du genre et du marché du polar, ce dernier


entretien avec Valérie Miguel-Kraak fut particulièrement intéressant en tant qu’il nous a
permis d’obtenir davantage d’informations et nous a donné l’occasion d’observer le même
sujet mais d’un point de vue différent.

Il est important de noter qu’au vu du petit nombre d’entretiens que nous avons réalisé, il est
très difficile de généraliser les observations et les discours qui ressortent de nos échanges.

15
LES ATTENTES DU LECTORAT : MOTEURS DE LA
CIRCULATION DES ROMANS POLICIERS ?

En Allemagne, un tiers du chiffre d’affaires du secteur du livre est réalisé grâce aux ventes
de livres de fiction et en particulier grâce aux romans à « suspense »16. Cela montre
l’importance du genre pour le secteur du livre. Des chiffres comme ceux-ci nous laissent à
penser qu’il est intéressant de se pencher sur l’influence que peuvent avoir les lecteurs dans
la traduction des romans policiers. Est-ce que la volonté des lecteurs de lire du polar étranger
pousse les maisons d’édition à en traduire davantage ? Une certaine lassitude des lecteurs
envers les classiques du genre tels que les romans policiers et thrillers anglo-saxons peut-elle
pousser les maisons d’édition à publier des auteurs dont les nationalités ont jusqu’ici été peu
représentées ? Nous allons voir que la nationalité de l’auteur peut fortement impacter la
manière dont un roman policier est écrit et pensé, la manière dont l’intrigue est construite.
Traduire un roman policier étranger permet aux maisons d’édition de satisfaire les lecteurs
qui souhaitent lire un polar différent, venu d’ailleurs. Nous allons également nous demander
quels sont les polars étrangers qui sont le plus susceptibles d’intéresser les lecteurs des pays
européens : sont-ils européens ? Non européens ?

I. L’analyse des données

Une fois les trois bases de données exportées sur Excel, nous avons ainsi pu faire des tris
à plat à l’aide de tableaux croisés dynamiques. Nous avons entrepris d’effectuer un tri à plat
sur les langues de traduction en fonction du nombre de polars traduits pour chaque nationalité
(allemand, espagnol, suédois).

En effet, une première donnée qui nous intéressait particulièrement était de savoir dans
quelles langues les polars allemands, espagnols et suédois étaient les plus traduits. Sur Excel
nous avons donc uniformisé les langues pour qu’elles rentrent chacune dans une catégorie.
Par exemple sur Worldcat il était parfois renseigné « English » et parfois « In english », nous

16
Louviot, Thierry, « L’édition en Allemagne » 2016, p.18

16
avons ainsi uniformisé tous les livres en anglais dans la catégorie « English ». Afin de former
notre premier tableau dynamique, nous avons mis en relation une variable quantitative - le
nombre de polars entrés dans la base de données - avec une variable qualitative - les langues
des romans policiers. Une fois le tableau établi, nous avons exclu les romans en allemand
(les romans originaux) pour ne laisser que les romans traduits.

Tableaux croisés dynamiques sur les langues de traduction des polars (en %)

Polars allemands Polars espagnols Polars suédois

17
Adaptation en secteur 2D langues de traduction des polars allemands

Grâce à ce tableau croisé dynamique nous pouvons constater que les polars allemands
de notre base de données sont le plus souvent traduits en français (15,81%), en néerlandais
(10,82%) ainsi qu’en anglais (10,40%). Ensuite, les polars allemands sont également souvent
traduits en italien (6,52%), en tchèque (5,96%), en espagnol (5,83%) ainsi qu’en polonais
(5,41%). Plus minoritaires : la langue danoise, turque, japonaise, russe…

18
Adaptation en secteur 2D langues de traduction des polars espagnols

Adaptation en secteur 2D langues de traduction des polars suédois

19
De ces graphiques et tris à plat, nous constatons une chose : les auteurs de polars que
nous avons étudiés sont tous et toutes de nationalité européenne (allemands, suédois,
français) et leurs polars sont les plus traduits dans les pays voisins ou proches, qui sont donc
également des pays européens. Cela est flagrant avec les langues de traduction des romans
policiers suédois : la première langue de traduction est l’anglais (11,57%) puis vient le danois
(10,99%), le français (10,77%), l’allemand (8,89%), le polonais (7,38%), le néerlandais
(6,22%), le norvégien (5,71%), le finlandais (5,06%). Les pays du Nord échangent donc
beaucoup de romans policiers via la traduction.
Même constat pour les romans policiers espagnols : ils sont les plus traduits dans la langue
française (17,08%), italienne (12,54%), anglaise (8,93%), allemande (8,31%), polonaise
(7,99%), catalane (4,86%) etc. Ces pays sont proches géographiquement. Nous remarquons
que contrairement aux romans policiers suédois, les pays du nord n’apparaissent qu’en 13ème
position dans les langues de traduction des polars espagnols (avec le danois, 1,72%). Cela
montre une corrélation entre la proximité des pays (géographiquement et culturellement) et
la probabilité que les titres soient traduits dans la langue des pays voisins / proches.

II. La circulation des romans policiers en Europe : une envie des


lecteurs de lire/partir ailleurs ?

Par l’analyse de nos données, nous remarquons que pour les trois nationalités que
nous avons étudiées, les premières langues dans lesquelles les romans policiers sont traduits
correspondent à des pays proches géographiquement et culturellement. Nous avons donc
émis plusieurs hypothèses qui pourraient expliquer ces données.

A. Partager une histoire commune : le roman policier, un roman historique, une


critique sociale et politique ?

Nous pouvons penser que cela émane en partie d’une volonté affirmée des lecteurs de lire
des romans venant de pays proches, voire voisins. Ou bien que cela peut également émaner
d’une volonté plus abstraite, inconsciente. En effet, un lecteur peut être inconsciemment attiré

20
par des romans policiers dont l’intrigue se déroule à une époque, dans des événements que le
pays d’origine a également traversés. Par exemple, dans le cas de la France et de l’Allemagne,
nous pouvons imaginer que les romans policiers se déroulant pendant la Seconde Guerre
mondiale ou la période d’après-guerre puissent attirer des lecteurs français, qui ont vécu ou
intégré cette histoire commune entre les deux pays.
En effet, à l’image des romans historiques, les romans policiers sont souvent ancrés dans un
contexte historique, social ou politique. C’est notamment le cas de la trilogie Selb de l’auteur
allemand Bernhard Schlink. De ces trois enquêtes émane une forte critique sociale et
politique17. La période nazie de l’Allemagne est évoquée, Selb le personnage central aurait
lui-même vécu cette période. L’auteur a également inscrit dans son roman une critique de la
justice allemande, qui serait une justice de façade. Notamment suite à la réintégration
d’anciens magistrats de la période nazi dès 1948 18.

« Schlink a créé avec Selb (...) un personnage qui lui permet d’exprimer de manière
originale ses doutes sur le passé allemand, sur les derniers acteurs du nazisme, sur la transmission
de l’Histoire, sur le fonctionnement de l’appareil judiciaire de l’Allemagne, et plus généralement
sur son pays qu’il considère se fourvoyant dans une culture commémorative « diplomatique » plutôt
que dans une vraie intégration de son passé. »

C’est peut-être ce passé commun, mais des points de vue différents qui donnent envie
aux lecteurs de découvrir la littérature policière allemande. Cela pourrait expliquer pourquoi
les premières langues de traduction des romans policiers allemands sont aussi des pays
voisins ou proches, dont les populations ont traversé les mêmes guerres, les mêmes
événements historiques majeurs. Ce passé commun confère aux romans policiers
suffisamment de familiarité pour que les thèmes abordés encouragent les lecteurs à se tourner
vers des œuvres et des auteurs nouveaux. Dans son premier roman Legos de aquel instante
(Jamais je ne t'oublierai) publié en 1996 et dans Nadie es inocente (Nul n'est innocent) publié
en 1998, deux romans situés à Bilbao, José Javier Abasolo livre « de nombreuses réflexions

17 Ingeborg Rabenstein-Michel, « Entre quête et enquête : passé et présent dans la trilogie « Selb » de
Bernhard Schlink », p.82
18 Ibid, p.90-91

21
sur la violence qui déchire [...] le Pays basque ». En effet, l'année 1959, avec la création de
l'Euskadi Ta Askatasuna (ETA), un mouvement basque et nationaliste se positionnant contre
le régime franquiste, est le début d'une période marquée par des attentats et des confrontations
qui ont contribués à créer une coopération antiterroriste entre la France et l'Espagne dans les
années 1990. On peut supposer que ces éléments historiques communs ont favorisé la
traduction de ces deux romans par des maisons d’éditions françaises. De même, certaines
intrigues d’auteurs allemands tels que Fred Andrea, auteur de Flucht ins Dunkel, Mechtild
Borrmann, autrice de Wenn das Herz im Kopf schlägt (Rompre le silence en français) et Der
Geiger (Le Violoniste en français), ou encore Victor del Arbol, auteur de La Tristeza del
samurái (La Tristesse du Samouraï), se déroulent sur fond de Seconde Guerre mondiale ou
période d’après-guerre. Autant d’exemples qui montrent l’intérêt que peuvent porter les
lecteurs à des intrigues dont l’essence recoupe le passé de leur propre pays.

Si nous pouvons penser que cette hypothèse pourrait également être vérifiée avec les romans
historiques par exemple, Florian Lafani nous livre une caractéristique qui est propre aux
romans policiers et à leurs auteurs. Selon lui, les auteurs de polars se démarqueraient en ce
qu’ils permettraient d’en apprendre davantage sur les enjeux des sociétés dont ils sont issus :

« Les auteurs de polars sont plus sensibles à leur époque, à ce qu’il se passe, à des sujets de
société et du coup, ils nous livrent des textes empreints avec l’actualité et parfois même un peu
avant-gardistes. »

Cela rejoint donc l’idée selon laquelle le polar est intéressant pour les lecteurs parce que
souvent, il permet d’en apprendre davantage, non pas seulement sur l’histoire d’un pays mais
également sur le contexte social et politique. Dans le cas des romans policiers espagnols, cela
s’avère particulièrement marquant, notamment car beaucoup d’écrivains de polars, par
exemple Moreno Cuñat, González Ledesma ou encore Mariano Sánchez Soler sont, ou ont
été, journalistes19. Nous pouvons donc imaginer que leur profession influence fortement leur

19
Tyras, Georges. « Le noir espagnol : postmodernité et écriture du consensus », Mouvements, vol. no15-16,
no. 3, 2001, p. 75.

22
manière de construire leur récit, qu’ils analysent la société, les événements historiques et
politiques et qu’ils les intègrent dans leurs romans. Cela, pour le plus grand plaisir des
lecteurs étrangers qui souhaiteraient en connaître davantage sur les événements traversés par
leurs voisins. Nous pouvons notamment donner en exemple les derniers tomes de la série
Carvalho, écrits par le journaliste Manuel Vázquez Montalbán, qui dénoncent
l'institutionnalisation de la corruption dans les hauts postes du pouvoir espagnol20.

D’autre part, avec des auteurs tels que Jakob Arjouni et Ani Friedrich, les polars d’auteurs
européens évoquent également des problématiques communes. L'œuvre d'Arjouni évoque
des préoccupations du monde urbain contemporain. Un de ses protagonistes récurrents, le
détective privé Kemal Kayankaya, confronte les problèmes du racisme et de
la xénophobie dans la métropole de Francfort, les néo-nazis, l'antisémitisme et le
révisionnisme. Ces thèmes sont abordés dans Magic Hoffmann, Hausaufgaben (Devoirs
d'école) et Edelsmanns Tochter. Dans son roman German Angst, Ein Fall für Tabor Süden
(Droit du sang), Ani Friedrich fait écho à des problématiques communes à bien des pays
européens, l’auteur allemand aborde des thèmes liés à l’immigration en Europe ou encore les
notions de droit du sang et droit du sol.

B. Des liens culturels forts

La propension à la traduction de romans policiers venant de pays voisins peut


également s’expliquer par des liens culturels forts. En effet, lorsque deux pays entretiennent
des relations fortes, au niveau politique ou diplomatique, cela se répercute sur le quotidien
de ses habitants.
Dans le cas de la France et de l’Allemagne, nous savons que les liens qui unissent les deux
pays sur la scène diplomatique sont très forts. Ainsi, en découle nécessairement plusieurs
éléments. Il est à noter que : « en Allemagne, dans l’enseignement secondaire, le français est

20
Lissorgues, Yvan. Le «roman noir» espagnol actuel: un réalisme des sous-sols, Biblioteca Virtual Miguel
de Cervantes, 2012.

23
la deuxième langue vivante enseignée, après l’anglais »21. En France, l’allemand est la
troisième langue vivante enseignée, après l’anglais et l’espagnol. Autre élément : « au sein
des universités, on compte 7 000 étudiants français qui étudient en Allemagne et inversement
9 000 étudiants allemands qui étudient en France. »22 . Ces échanges culturels entre les deux
pays, de par l’apprentissage des langues et de leurs cultures respectives, consolident
inévitablement les liens entre ceux-ci et l’intérêt que porte la population française / allemande
à la culture du pays voisin. Cela peut également être un autre élément de compréhension qui
expliquerait pourquoi le français est la première langue de la liste lorsque nous regardons
dans quelles langues les romans policiers allemands sont les plus traduits. En revanche, il est
possible que cela ne concerne pas uniquement le genre du roman policier, il serait intéressant
de voir si cela est également avéré pour les romans de littérature générale par exemple.

C. L’importance de la construction de l’intrigue et du dépaysement dans la


circulation des romans policiers entre les pays européens.

Lors de notre discussion avec Florian Lafani, directeur éditorial des éditions Fleuve, nous
avons évoqué la volonté des lecteurs de lire des romans venant d’autres pays que les pays
anglo-saxons, en particulier d’Angleterre et des Etats-Unis qui sont toujours prépondérants
dans les traductions. Cela notamment car l’intrigue peut vite tourner en rond, les auteurs
américains étant par exemple souvent spécialisés dans le suspense psychologique :

« C’est vrai que chez les romans anglo-saxons on peut très vite se retrouver avec des
copycats, des choses qui se ressemblent vraiment. Au bout d’un moment, des choses qui sont très
proches c’est un peu compliqué et je crois qu’il y a une appétence pour aller découvrir de nouvelles
langues et il y a des maisons qui sont créées un peu sur cette ADN là, d’aller faire découvrir de
nouveaux pays et des nouvelles voix du polar : cette année, le prix à Lyon, c’est un polar croate qui
l’a obtenu donc ça montre bien qu’il y a quand même une vrai appétence à ce niveau-là ; l’année
dernière on a sorti un roman espagnol, on sentait aussi que les gens étaient contents de découvrir le

21
Louviot, Thierry, « L’édition en Allemagne » 2016
22
Louviot, Thierry, « L’édition en Allemagne » 2016

24
polar espagnol même s’il y en a déjà pas mal finalement mais c’est peut-être moins présent donc les
lecteurs ont l’impression de découvrir autre chose. »

Se tourner vers des pays dont les romans policiers ont historiquement été moins traduits à
l’étranger est donc un moyen de renouveler l’intérêt des lecteurs pour le polar. L’utilisation
du terme de « nouvelle voix du polar » montre que lorsqu’on change de pays, de nationalité
d’auteur, souvent l’intrigue est différente, se renouvelle. Cela sûrement grâce aux différences
culturelles qui existent entre les pays et qui impactent forcément la manière dont les auteurs
de polars construisent leurs intrigues. Cela permet ainsi au lecteur de découvrir de nouvelles
intrigues grâce à l’importation de romans policiers venant de pays étrangers. D’autant plus
que selon Florian Lafani, le lecteur de polar moyen est un lecteur qui lit beaucoup :

« Plutôt un lecteur de poche que grand format qui va acheter beaucoup de polar, qui va en
lire beaucoup et comme un peu à chaque fois quand vous lisez beaucoup de choses, vous saturez. Et
effectivement l'idée de se dire qu’on va changer de pays, de nationalité, de décor, ça peut être un
argument pour un lecteur qui enfile déjà tous les thrillers français et tous les suspens psycho anglais.
Il se dit « je tourne un peu en rond or je suis toujours dans une appétence et une envie de lire des
polars. Qu’est-ce que je vais trouver ? Ah tiens un polar finlandais, un polar croate, espagnole, ah
ben oui tiens pourquoi pas, ça peut être intéressant ».

Il nous explique également qu’un lien peut être fait avec l’audiovisuel. En effet, lorsqu’un
film, un téléfilm ou une nouvelle série est importée de l’étranger et appartient au genre du
polar ou thriller, cela peut encourager les lecteurs à acheter des polars de la même nationalité.
Par exemple, si un thriller allemand ou espagnol est diffusé en France, même si ce n’est pas
nécessairement une adaptation d’un roman policier, cela peut influencer le lecteur qui, s’il a
apprécié le visionnage, peut avoir envie de découvrir l’univers du polar allemand ou
espagnol. Florian Lafani a personnellement fait cette constatation :

« On a sorti une auteure espagnole l’année dernière et j’ai pu apercevoir des commentaires
dans lesquels les gens disaient “comme je viens de me faire deux polars espagnols sur Netflix, ah
oui ça a l’air hyper bien j’ai envie de découvrir cet auteur. »

25
Si la construction de l’intrigue peut différer d’un pays à l’autre, certaines inspirations /
ressemblances peuvent tout de même expliquer le succès d’un roman policier à l’étranger.
Par exemple, nous avons vu que les romans policiers suédois étaient beaucoup traduits en
France et en Allemagne. Cela peut notamment s’expliquer par une similitude dans la
construction de l’intrigue car « les auteurs suédois ont commencé à écrire des romans “à
sensation” après avoir vu traduits en suédois des romans policiers de France ou d’Europe du
“centre”. Puis ils ont reproduit jusqu’aux intrigues en substituant simplement les lieux. » 23.
Les lecteurs français ou allemands par exemple ont donc pu, au moins au début,
particulièrement apprécier les romans policiers suédois parce qu’ils reprenaient les grandes
lignes des intrigues qu’ils aimaient et connaissaient, tout en plaçant l’intrigue dans un cadre,
une société, un pays différent. Dans ce cas-là, c’est moins l’intrigue qui est recherchée qu’un
certain dépaysement, comme l’explique Florian Lafani :

« Je pense que tout ce qu’on appelle « le décor », l’atmosphère globale est extrêmement
importante. C’est une forme de dépaysement aussi le polar. »

Même s’il tempère son propos en disant que bien sûr, ce n’est pas quelque chose de propre
au roman policier. La littérature générale a depuis longtemps permis aux lecteurs de s’évader
dans un autre pays, une autre culture par la lecture.
Parfois, des livres sont simplement traduit car l’intrigue du polar se déroule dans le pays de
traduction comme le souligne Valérie Miguel-Kraak à propos d’un polar français qui a été
traduit dans des pays de l’est :

« C’est par rapport aux thématiques ! Heu… parce qu'une partie de l’intrigue du roman en
question se passait en Pologne. Donc je pense que y avait un intérêt par rapport à l’histoire du
pays. »

23
La littérature policière suédoise moderne : policiers, femme et étude sociale, p.5

26
Selon Hans H. Skei, un écrivain norvégien, dans le cas des romans policiers et en prenant
notamment l’exemple de la vague de succès qu’ont rencontré les polars des pays du nord
récemment, cela prend tout son sens. Il affirme que le succès des polars des pays du nord est
notamment dû à leur « exotisme »24. Marc Auchet, auteur de Le roman policier scandinave
— une entreprise de démystification ? explique que :

« L’attrait particulier des paysages et du climat des pays scandinaves est souvent souligné
par les commentateurs. Les lecteurs étrangers se laissent volontiers envoûter par cette atmosphère si
différente des polars américains avec leur prédilection pour la jungle des grandes villes. »25

Ces paysages vont créer une ambiance froide, tragique directement au polar.
Selon Yves Reuters, il existe trois types de romans policiers : le roman à suspense (le thriller),
le roman à énigme « à l’anglaise » et le roman noir qui deviendra polar en France26. Le polar
est un genre qui porte un grand intérêt au paysage urbain. Traditionnellement, le roman
policier américain se tourne plus vers de grands espaces tandis que le roman scandinave a
plutôt tendance à se baser dans des grandes villes. La ville, est le lieu du crime par excellence
dans le polar européen, elle en devient presque un protagoniste à part entière. Les descriptions
de celle-ci sont indissociables de l’intrigue. On comprend donc l’importance qu’elle peut
revêtir dans le choix et la diffusion du polar, si les décors sont si développés, il peut être
intéressant de diffuser les polars dans les pays où se basent l’intrigue, ou du moins des
paysages qui s’en rapprochent

Enfin, lire un roman provenant de l’étranger permet aussi de changer les « règles »
du roman policier. En effet, la figure du détective masculin reste la plus fréquente. Cependant,
dans les pays scandinaves est apparue une littérature policière à orientation féministe,
communément appelée « femikrim », écrite par des femmes qui a commencé à émerger dans
les années 199027. Dans ces romans, sont abordés « la question du rôle de la femme dans la

24
Auchet, Marc. « Le roman policier scandinave — une entreprise de démystification ? », Études
Germaniques, vol. 260, no. 4, 2010, p.714
25
Ibid, p. 715
26
Reuter Yves, Le Roman policier, Paris, Nathan université, « Lettres 128 », 1997
27
Ibid, p. 717

27
société, la vie professionnelle et la famille »28. Cela pourrait également être un facteur qui
participerait à l’intérêt que portent les lectrices, à l’étranger, à ces romans scandinaves :

« Les Suédoises Lisza Marklund et Camilla Läckberg, les Norvégiennes Kim Småge et
Anne Holt et les Danoises Elsebeth Egholm et Sara Blædel, etc. — ont fortement attiré l’attention
sur elles à partir des années 1990, en publiant des romans policiers écrits dans une perspective
spécifiquement féminine — les enquêtes étant la plupart du temps menées par des policières — et
même parfois féministe. »29

Ces trois hypothèses nous permettent de nous interroger sur l’influence des lecteurs
dans la circulation des polars en Europe. Le marché du livre étant un marché de l’offre, ce
sont généralement les maisons d’édition qui créent l’envie chez le lecteur d’acheter et donc
de lire un roman, et cela s’applique également au roman policier. En revanche, on peut tout
de même penser que dans le cas bien particulier des romans policiers dont l’intrigue doit
nécessairement être renouvelée, les lecteurs ont pu avoir une influence sur l’importation
d'œuvres venues des pays voisins ou européens. Par exemple, si un roman policier étranger
provenant d’un pays dont les œuvres n’ont pas encore beaucoup été traduites en France se
vend très bien, les maisons d’édition peuvent y voir un intérêt des lecteurs. C’est ce qui s’est
notamment passé avec les romans policiers nordiques. L’engouement des lecteurs était tel
que les maisons d’édition ont continué à traduire des auteurs des pays du nord.
Cependant, nous pouvons nous demander quel poids représente l’intérêt des lecteurs dans la
circulation des romans policiers en Europe. Quel poids ont les autres acteurs du marché tels
que les traducteurs, les agents littéraires dont les métiers existent grâce à ces échanges et qui
ont tout intérêt à encourager cette circulation ? C’est que nous allons essayer de mesurer dans
la prochaine partie.

28
Wopenka, Johan. « La littérature policière suédoise moderne : policiers, femmes et étude sociale », Études
Germaniques, vol. 260, no. 4, 2010, p. 750.
29
Auchet, Marc. « Le roman policier scandinave — une entreprise de démystification ? », Études
Germaniques, vol. 260, no. 4, 2010, p.717

28
L’INFLUENCE DE L’ENVIRONNEMENT SUR LA
DIFFUSION DU POLAR EN EUROPE

Comme on vient de le voir, les critères intrinsèques au romans policiers comme le


récit, le lieu ou encore les références culturelles communes nous rapprochent de l’idée d’un
« polar européen », d’une touche européenne.

Mais les facteurs esthétiques et littéraires ne suffisent pas à comprendre les logiques de
traduction et la diffusion des polars au sein d’un espace. L’acte de traduction, la décision de
traduire tel titre dans telle langue et non dans une autre langue dépend d’une multitude de
facteurs et non uniquement de la qualité littéraire de l’œuvre. Selon Gisèle Sapiro et Johan
Heilbron, l’espace international de traduction est un « espace social comme un autre » 30.
C’est-à-dire qu’il se compose d’acteurs propres, de logiques propres et de rapports de forces
spécifiques. Selon les deux auteurs, on peut noter trois logiques prédominantes qui favorisent
ou non la traduction littéraire : une logique politique qui repose sur les relations entre les
pays, une logique du marché international du livre (logique économique) et la logique des
échanges culturels. Pour comprendre l’acte et la décision de traduction il convient donc
d’étudier ces logiques et ces acteurs. C’est-à-dire, dans notre cas précisément, s’intéresser
aux professionnels de la traduction en Europe, au marché littéraire mais aussi aux initiatives
politiques qui favorisent les échanges culturels entre nations.

Dans cette deuxième partie, nous allons nous intéresser aux logiques économiques, qui
peuvent aller à l’encontre de critères exclusivement littéraires dans la décision de traduire ou
non. Il faudra ensuite s’intéresser aux « professionnels » de la traduction et du monde
littéraire. On pense bien sûr aux auteurs et aux traducteurs mais d’autres acteurs comme les
maisons d’éditions et les agents littéraires jouent un rôle prédominant dans la constitution ou
non d’un réseau européen de traduction littéraire, dans notre cas particulier, de la traduction

30
Heilbron, Johan, et Gisèle Sapiro. « La traduction littéraire, un objet sociologique », Actes de larecherche
en sciences sociales, vol. 144, no. 4, 2002, p.4

29
d’œuvres policières, de polars. Enfin la question de la volonté politique et des actions mise
en place au niveau européen et impactant les réseaux de traductions sera étudiée.

I. Des logiques économiques omniprésentes mais non totalitaires

Un des premiers facteurs qui régit les logiques de traduction est le facteur économique.
L’édition et la traduction s’inscrivent sur un marché économique établi, traversé par des
logiques capitalistes, de coûts et de bénéfices, d’offres et de demande. Ce marché est lucratif.
En 2015, le montant total des ventes des maisons d’édition dans l’Union européenne et dans
l’aire économique européenne était d’approximativement 22.3 milliards d’euros31. Le secteur
de l’édition est aussi un secteur fournissant des emplois pour plus de 150 000 personnes en
Europe. Mais, ces chiffres européens globaux renferment des disparités fortes entre marchés
nationaux.

(Source: Turrin Enrico, « The book sector in Europe, facts and figures », Federation of European
Publishers, 2017, p.8)

Comme on peut le voir, certains pays possèdent des marchés du livre très dynamiques, la
France, le Royaume-Uni ou encore l’Espagne et l’Italie. Le pays européen avec le marché du

31
Turrin Enrico, « The book sector in Europe, facts and figures », Federation of European Publishers, 2017
p.5

30
livre le plus important reste l’Allemagne, avec un marché d’une valeur de plus de 6 000
millions d’euros en 2015. A l’opposé de ces importants marchés, les pays de l’Est semblent
en retrait avec des marchés qui valent en moyenne 200 millions d’euros. On peut supposer
que ces disparités peuvent avoir un impact sur la diffusion des œuvres littéraires.

Au sein de ces marchés de l’édition nationaux, les acteurs de l’édition ont intégré les logiques
économiques. On peut observer cela dans le discours mais aussi dans les façons de travailler
des professionnels que nous avons interrogés. Cette intégration des logiques économiques
par les acteurs de l’édition et de la traduction impacte directement les logiques de traduction
des polars. Pour Florian Lafani, l’économie du polar est dynamique et concurrentielle, que
ce soit sur les marchés nationaux mais aussi sur le marché global de la traduction : « le polar
c’est un genre très puissant. Il y a beaucoup de choses qui se passent, donc la concurrence est
très très rude ».

Ainsi, la décision de traduire peut-être dictée non pas uniquement par un intérêt artistique
certain mais aussi par des considérations économiques. Ainsi, pour expliquer leurs décisions
de traduire telle ou telle œuvre, les professionnels interrogés évoquent les « chiffres de vente
de l’ouvrage », « sa potentialité auprès du lectorat », etc. Au-delà de la décision de traduire,
certains facteurs pratiques comme le nombre de signes de l’ouvrage ou la langue de
traduction et sa rareté peuvent impacter sur les coûts de traduction : « souvent ça peut
débloquer car c’est une question de coups en fait. C’est vite 10 000/12 000 euros à ajouter ».
(Entretien Camille Paulian). Ces logiques économiques pourraient expliquer en partie les
nombreuses traductions dans des langues courantes comme l’anglais, le français ou encore
l’allemand. Les coûts de traduction dans ses langues semblent moins importants que dans les
langues « rares ». Ainsi, Gisèle Sapiro souligne que « Si l’on étudie les langues représentées,
on constate au pôle de la grande production, régi par la logique de la rentabilité à court terme,
que l’anglais est partout dominant, au point de concurrencer les langues nationales dans les

31
genres les plus commerciaux, à savoir les best-sellers, les thrillers et les romans
sentimentaux »32.

La question du nombre de signes du polar et son impact sur sa traduction ou non est un thème
récurrent dans nos entretiens. Florian Lafani souligne ainsi que : « L’économie d’un polar
étranger est très lourde. Le polar c’est souvent assez gros par rapport à des textes de littérature
générale du coup c’est un coût de traduction plus important ». Ce coût de traduction élevé
amène les acteurs, et notamment les intermédiaires, à adopter des techniques qui peuvent
paraître étonnantes, comme nous l’explique Valérie Miguel-Kraak, agent littéraire :

« Un thriller en général c’est assez gros, les polars ça peut être plus ramassés. mais, on pouvait
négocier, par un contrat d’édition (faut aussi l’expliquer à l’auteur), de proposer des coupes. Ça peut
aller jusqu’à 25% du corpus pour réduire le nombre de signes pour que ça coûte moins cher à la
traduction. Et ça on l'a déjà fait. Quand ça bloquait. »

Comme on vient de le voir, les considérations économiques sont omniprésentes dans les
décisions de traduction. Elles impactent les langues de réception mais aussi l’ouvrage lui-
même. Mais, il serait inexact de dire que ces logiques sont totalitaires et sont les uniques
facteurs qui motivent les décisions des acteurs et notamment des intermédiaires.

Gisèle Sapiro souligne une spécificité propre aux marchés des biens culturels comme l’art,
l’industrie musicale ou encore l’édition : la place centrale de l’offre dans ces marchés, « c’est
ce qui est proposé, et pris en considération par un certain nombre de médiateurs, qui arrive
jusqu’au lecteur. »33. Ainsi, cette analyse réfute en partie l’idée d’un lecteur/consommateur
qui influerait sur l’offre littéraire et l’offre des traductions. Les intermédiaires, comme on va
le voir plus tard, ont une place centrale dans la décision de traduire ou non.

Les lieux d’échanges des œuvres littéraires sont aussi originaux et différencient le marché de
la traduction littéraire de marchés classiques. En effet, les échanges s’effectuent à deux

32
Sapiro Gisèle, « Des échanges inégaux : géographie de la traduction à l’heure de la mondialisation »,
Société des gens de Lettres
33
Sapiro Gisèle, « Des échanges inégaux : géographie de la traduction à l’heure de la mondialisation »,
Société des gens de Lettres

32
niveaux, à l’échelle nationale avec la vente des œuvres originales et des œuvres traduites et
à l’échelle internationale avec les différentes négociations et les échanges de droits étrangers.
Ces deux marchés répondent à des logiques différentes, comportent des acteurs différents
avec des visions différentes. Cette dichotomie et ces différences peuvent faciliter ou bien au
contraire freiner les échanges et les traductions. Ainsi, Florian Lafani explique qu’une des
différences majeures entre les marchés français et américains, et qui peut être un frein aux
échanges littéraires entre les deux pays, est la vision de la littérature partagée par les acteurs.
Ainsi, selon le directeur éditorial des éditions Fleuves, “les États-Unis, ont une vision très
américaine, capitaliste du truc [l’édition et le livre], « Ça marche, ça marche, ça ne marche
pas, ça ne marche pas ». Nous on a une vision plus culturelle”. Ainsi, selon lui, en France,
les professionnels adoptent une vision “patrimoniale”, et imaginent leur profession comme
dotée d’une mission culturelle, mission qui peut aller à l’encontre des logiques économiques.
Florian Lafani donne l’exemple suivant :

« Après ce qui peut jouer évidemment c’est sur la dimension presque plus patrimonial si vous avez
un auteur dont vous sentez que, c’est un auteur étranger mais que voilà, il a une voix à part et que
dans les années qui viennent, à un moment donné, ça va repartir, vous continuez à publier, vous ne
publiez pas à perte, il y a une forme d’investissement vous disant qu'à un moment donné cette
auteur va décoller. »

Comme on vient de le voir, les logiques économiques sont centrales dans les choix de
traductions et surpassent parfois les critères esthétiques. Ces considérations favorisent
certaines traductions (vers les langues dominantes, avec des acteurs ayant des visions
partagées) et en freinent d’autres (les polars trop volumineux, la traduction vers les langues
rares).

Mais, les logiques économiques ne sont pas les seules à influer sur les choix de traduction et
la diffusion des œuvres. Nous avons déjà évoqué plus haut le rôle central des intermédiaires
(maisons d’édition, agents littéraires, etc.) sur les logiques de diffusion. Pour comprendre ses
logiques et étudier les échanges, notamment entre pays européens, il convient de s’intéresser
au « groupe professionnel » des acteurs littéraires et de la traduction.

33
II Un groupe professionnel plus ou moins structuré

Pour comprendre les logiques de traduction, on vient de le voir, les seuls facteurs
esthétiques et culturels ne suffisent pas. Le facteur économique est omniprésent et pousse les
acteurs de la « chaîne de traduction » à adopter des stratégies spécifiques, comme la coupe
du texte pour réduire les coûts de traduction et ainsi répondre aux exigences économiques.
Un deuxième facteur qui semble peser sur les logiques de traduction est la structuration plus
ou moins avancée des acteurs en réseaux. Ces réseaux d’interconnaissances et de savoirs et
savoirs faire communs semblent faciliter la diffusion des œuvres et notamment des polars
dans la zone européenne.

Nous nous intéresserons dans cette partie aux groupes des intermédiaires de la traduction, les
acteurs chargés de la diffusion des œuvres. On peut citer bien sûr les maisons d’édition, les
gestionnaires de droits étrangers, les traducteurs. Mais il faut inclure dans ces acteurs
traditionnels de la chaîne littéraire, une profession nouvelle et qui s’impose petit à petit dans
le paysage de l’édition française, les agents littéraires. Ce nouvel intermédiaire opère entre
les auteurs et les maisons d’édition. Pour Gisèle Sapiro et Tristan Leperlier, les agents
littéraires occupent une « fonction d’intermédiation culturelle [...] assumée auparavant par
une diversité d’acteurs (agences de presse, traducteurs, agences étatiques, services de cession
des maisons d’édition), elle a été progressivement concentrée par des agents qui se
professionnalisent et se spécialisent dans ces échanges »34.

Les agents littéraires, dans la veine des agents artistiques, accompagnent, conseillent et
promeuvent leurs auteurs. Camille Paulian, agent littéraire et directrice générale de l'agence
Trames note plusieurs missions afférentes à l’agent : la lecture du manuscrit, la décision ou
non d’accompagner l’auteur et enfin la promotion de l’œuvre et de l’écrivain auprès des
maisons d’édition. L’agent a donc une mission de mise en relation et d’accompagnement des
auteurs. Mais, il est aussi force de proposition et peut, avec l’accord de l’auteur, influer sur
le contenu artistique des romans pour les rendre « adéquats » au marché et à l’attente des

34
Sapiro, Gisèle, et Tristan Leperlier. « Les agents de la globalisation éditoriale. Stratégies de conquête et de
résistance », Réseaux, p.130

34
maisons d’édition et des lecteurs : « On retravaille les textes des auteurs, quand on arrive à
une version qui correspond à l’auteur et à ce que lui voulait faire, on envoi le texte [aux
maisons d’édition] ». Au-delà du simple accompagnement administratif, l’agent littéraire
influe aussi sur le contenu des œuvres. Ce métier nécessite une connaissance aiguë des autres
acteurs (maisons d’édition, traducteurs, lecteurs) et de leurs attentes. Ainsi, au sein de
l’agence Trames, les quatre employées viennent toutes du monde de l’édition : « on a travaillé
dans différentes maisons, en attaché de presse ou relations libraires, on garde un petit peu en
mémoire ou en travaillant comme consultante la façon dont travaille la maison. ». Dans ce
cas précis, les agents utilisent les connaissances du réseau dans lesquels ils sont intégrés pour
diffuser les œuvres qu’ils accompagnent. Cette notion de « réseaux » est centrale pour
comprendre les logiques de diffusion et les décisions prises, notamment la décision de
traduire ou non une œuvre.

L’idée d’un “polar européen” ne repose pas uniquement sur des critères littéraires mais aussi
sur des facteurs d’organisation des professionnels entre pays, leur interconnaissance. Pour
analyser ce groupe de professionnels internationaux, il est tout d’abord nécessaire de définir
les caractéristiques des « groupes professionnels ».

Didier Demazière et Charles Gadéa, développent la notion de « groupe professionnel », qui


permet d’appréhender les acteurs d’un même secteur, ici le secteur littéraire, sans se focaliser
sur une profession particulière 35. Ainsi, à la différence de la notion de profession, qui renvoie
à des traits spécifiques et précis (monopole, compétences requises, savoirs, socialisation des
membres, etc.), les groupes professionnels « sont des ensembles flous, soumis à des
changements continus, caractérisés à la fois par des contours évolutifs et des hétérogénéités
internes »36. Le groupe professionnel est donc un réseau moins structuré mais, ses membres
gardent des spécificités communes, des points communs. Cette notion peut s’appliquer au
groupe des acteurs de la chaîne de traduction. Bien qu’au sein de la chaîne, les professions
sont multiples et ne recouvrent pas les mêmes réalités (maisons d’édition, auteurs,

35
Demazière, Didier, et Charles Gadéa. « Introduction », Didier Demazière éd., Sociologie des groupes
professionnels. Acquis récents et nouveaux défis. La Découverte, p.20
36
Demazière, Didier, et Charles Gadéa. « Introduction », p.20

35
traducteurs, agents, etc), ces professionnels travaillent sur un même objet, le livre, et
dépendent les uns des autres dans la réalisation de leurs missions.

Toujours selon les deux sociologues, le groupe professionnel est doté d’une « visibilité
sociale [...] d’une identification et d’une reconnaissance. »37 Les notions de connaissances
mutuelles et de reconnaissance sont à la base de la création et de la structuration d’un groupe
professionnel. Cette reconnaissance peut être interne, les membres du groupe partageant des
points communs, des savoirs et des savoirs faires. Ainsi, lors des différents entretiens menés,
la notion de connaissance des autres acteurs est revenue de façon récurrente. Par exemple,
Camille Paulian souligne que la gestionnaire des droits dans son agence littéraire « connaît
les goûts, les habitudes de négociation » des acteurs littéraires étrangers. De même, pour
Valérie Miguel-Kraak de l’agence littéraire Hyphen, « la connaissance des éditeurs, de la
ligne éditoriale » permet, selon elle, des envois ciblés de manuscrits à des maisons d’édition
et ainsi facilite la diffusion des œuvres et leur chance d’être publiées ou traduites. Au
contraire, si les acteurs ne partagent pas des références communes ou des façons de faire
similaires, les relations professionnelles peuvent être plus compliquées. Camille Paulian
souligne cette difficulté à travailler avec des acteurs aux façons de faire très différentes :

« Au départ je devais représenter Canada francophone, Belgique francophone et France et


finalement j’ai réduit à Belgique et France parce que c’est très compliqué le marché québécois. [...]
il y a aussi un marché spécifique »

Ainsi, cette agent littéraire préfère travailler avec la Belgique qu’avec les acteurs canadiens
car les mécanismes, la législation et le marché au Canada sont trop différents du marché
français. Au contraire, travailler avec la Belgique semble plus simple de par le parallélisme
des façons de faire.

Cette connaissance des autres acteurs de la chaîne passe aussi par des instances de
socialisation et de rencontre que sont les événements rassemblant les professionnels du
secteur. Ils peuvent prendre la forme de foires, de festivals ou encore de colloques réservés

37
Demazière, Didier, et Charles Gadéa. « Introduction », p.20

36
aux membres du groupe, aux professionnels du secteur. Ces événements représentent un
temps fort dans la structuration des réseaux professionnels. Les acteurs se rencontrent,
partagent des savoirs, des contacts et acquièrent une connaissance de leurs homologues,
autant d’éléments qui facilitent ensuite les futures relations professionnelles.

Ces événements sont nombreux dans le monde littéraire. En Europe par exemple, on ne
compte pas moins de 32 festivals consacrés au polar aujourd’hui38. On peut citer ici des
festivals comme Quai du Polar à Lyon, qui pour son édition 2021 mettait à l’honneur les
auteurs européens de polars. Bien que ces événements aient pour objectif premier de susciter
l’attrait du public, ils servent aussi aux professionnels du secteur comme des plateformes
pour se rencontrer, découvrir les dernières sorties et créer des contacts avec les professionnels
étrangers. Le festival Quai du Polar organise ainsi, en parallèle de la manifestation grand
public, des rencontres professionnelles, « polar connection ». Le but de ces rencontres est
clairement exprimé : « Durant les 3 jours du festival, Polar Connection permet aux experts
internationaux et français d’échanger lors des tables-rondes sur les différents enjeux de leurs
métiers, et lors de rendez-vous formels et informels dans un espace dédié au networking »39.
Deux objectifs sont soulignés ici : mieux appréhender l’environnement professionnel, ici le
marché du polar mais aussi créer des contacts avec les autres acteurs.

Les foires littéraires comme celles de Francfort ou de Londres représentent encore plus ces
logiques de réseaux et d'interconnaissance entre professionnels des secteurs littéraires et de
traduction. Dans un sondage réalisé lors de l’édition 2021 de la foire internationale du livre
de Francfort, la troisième raison la plus important pour la participation des professionnels
était le réseautage (networking) et garder un lien en temps de pandémie avec les autres acteurs
(maintaining contacts)40.

38
Carte DETECT
39
https://www.quaisdupolar.com/polar-connection/
40
Rapport « Facts and Figures 2020 », Frankfurter Buchmesse

37
Ainsi, les événements rassemblant les acteurs d’un même groupe professionnel permettent
de souder ce groupe autour de savoirs et de savoirs faires communs et de favoriser de futures
interactions entre acteurs.

Dans leur étude sur les groupes professionnels, Didier Demazière et Charles Gadéa
soulignent l’importance de cette « socialisation professionnelle » :

« la socialisation professionnelle s’inscrit dans le temps long d’apprentissages par paliers et dans
une multiplicité d’interactions et d’échanges, pour aboutir à une véritable conversion identitaire.
Pour autant, la socialisation professionnelle n’assure pas nécessairement une homogénéité des
pratiques et des conceptions du travail, même si elle marque les recrues, en les dotant de savoirs
spécialisés, de valeurs particulières, de référents symboliques. » 41.

Enfin, un des critères de définition d’un groupe professionnel réside dans la présence au sein
du groupe « d’interactions qui conduisent les membres d’une même activité de travail à
s’auto organiser, à défendre leur autonomie et leur territoire et à se protéger de la
concurrence »42. Traditionnellement, cette organisation autour de cause à défendre s'observe
dans la création de syndicats et d'associations regroupant les membres d’une même
profession. Une telle structure existe pour les professionnels de la traduction européen : le
Conseil Européen des Associations de Traducteurs Littéraires (CEATL). L’association se
donne les missions de « faciliter l’échange d’idées et d’informations entre associations de
traducteurs littéraires de différents pays européens, et renforcer les actions visant à améliorer
le statut et les conditions de travail des traducteurs littéraires. »43. On retrouve ici un des
éléments de définition d’un groupe professionnel : l’organisation du réseau et la défense
d’intérêt commun.

Cette association a une organisation originale. Elle regroupe les associations nationales
émanant de différents pays européens. Parmi les membres on peut citer l’Association des
Traducteurs Littéraires de France (ATLF), la Seccion Autonoma de Traductores de Libros

41
Rapport « Facts and Figures 2020 », Frankfurter Buchmesse p.22
42
Rapport « Facts and Figures 2020 », Frankfurter Buchmesse p19
43
Rubrique « Qui sommes nous ? » Centre Européen des Associations de Traducteurs Littéraires

38
(Section autonome des traducteurs de livres) venant d’Espagne, etc. Ce sont pas moins de 34
associations qui se sont regroupées sous cette structure « parapluie ».

Basé sur la même organisation, on retrouve aussi le Réseau Européen des Centres
Internationaux de Traducteur littéraires (RECIT). Ce réseau regroupant les centres de
traduction littéraires propose des résidences pour les traducteurs européens 44.

Ces associations renforcent le sentiment d’appartenance à un groupe professionnel et


facilitent l’émergence d’intérêts communs des acteurs de la traduction, qu’ils soient auteurs,
éditeurs, traducteurs ou encore agents littéraires. Par exemple, lors des négociations autour
du Partenariat commercial transatlantique (TTIP) qui visait à faciliter les échanges
économiques entre l’Union Européenne et les États-Unis, le CEATL a publié une note pour
retirer l’édition et la littérature des objets de négociations. Ainsi, en février 2015, le CEATL
a publié une note qui « demande donc l’inclusion du secteur du Livre parmi les activités
culturelles ne relevant pas de l’accord TTIP »45. Cette note illustre parfaitement
l’organisation des professionnels de la traduction et du secteur du livre autour d'intérêts
communs.

Pour conclure, l’organisation des professionnels de la chaîne de la traduction littéraire au sein


d’un groupe professionnels, plus ou moins structuré et objectivé, peut favoriser une
coopération accrue entre les acteurs et ainsi favoriser la diffusion des œuvres littéraires, et
donc des polars, entre les différents pays d’Europe. La reconnaissance des acteurs entre eux,
le partage de savoirs-faires et de références communes et la mise en place d’événements
favorisant la structuration du réseau comme les foires et les festivals, peuvent donc être des
facteurs qui tendent à affirmer l’idée d’un espace européen de traduction fort et dynamique.
Mais, cette structuration en réseau est loin d’être parfaitement aboutie et objectivée,
notamment par les acteurs eux-mêmes. De plus, des disparités, notamment de statues et de
rémunérations existent entre les traducteurs des différents pays européens. Dans deux études
publiées en 2008 et en 2014, le CEATL pointe ainsi des disparités en termes de formation et

44
Rubrique « About us », RECIT
45
CEATL communication on TTIP, 2 février 2015

39
en termes de rémunération des professionnels de la traduction européens. Dans sa conclusion,
le Centre Européen évoque ces disparités comme de possibles facteurs impactant la diffusion
des œuvres littéraires entre pays européens. La question des rémunérations faibles pour
certains traducteurs dans des pays européens est notamment pointée du doigt : « Que dire en
effet de la qualité des échanges littéraires entre nos sociétés, si les traducteurs littéraires sont
obligés de bâcler leur travail pour pouvoir manger ? »46

III. Des politiques européennes volontaristes et favorables mais


insuffisantes : une identité européenne objectivée ?

La littérature est soumise à des critères externes en plus de la valeur littéraire,


esthétique de l'œuvre car elle s’inscrit dans un marché. Selon Dubois « la présence derrière
l’écrivain, d’un groupe ou d’une classe qui est, de quelque manière, le véritable sujet de la
création littéraire et qui détermine la forme et le contenu des œuvres en fonction de ses
intérêts particuliers, de ses positions »47. La littérature est un produit social soumis au champ
littéraire et ses impératifs, à savoir des critères économiques comme nous l’avons vu, mais
aussi politique.

Finalement, pour comprendre les logiques de traductions, il est donc important de se pencher
sur les politiques qui vont encourager, ou non, la circulation des œuvres. On peut s’interroger
sur l’influence des politiques européennes, de la politique dans le processus
d’européanisation du polar. Nous verrons que, si une influence existe belle et bien, elle n’est
toujours pas aboutie.

Comme l’indique Sapiro, « La géographie imaginaire de la traduction épouse cependant


l’évolution des rapports de force internationaux : la chute de l’intérêt pour les littératures des
pays d’Europe de l’Est après 1989, la montée de l’Amérique latine et de la Chine, en
témoignent. C’est sans doute du côté de l’Espagne et de la Chine que l’on peut attendre une
reconfiguration de cette géographie, étant donné la hausse significative de titres traduits de
l’espagnol et l’investissement considérable de la Chine dans la traduction actuellement. Les

46
Fock Holger, de Haan Martin, Lhotova Alena, « Revenus comparés des traducteurs littéraires en Europe »,
CEATL, 2007/2008
47
Dubois, Jacques. 1978. L’institution de la littérature, introduction à une sociologie p.14

40
pays arabes, qui ont une tradition ancienne de traduction, mais sous une forme qui ne suivait
pas les lois du marché international – avec notamment la pratique de la contrefaçon – et qui
souffrait de la faiblesse du système de distribution, sont en train d’en faire l’apprentissage.
»48. On voit que les fréquences et pays de traduction fluctuent selon le contexte politique.

Aujourd’hui, la traduction en Europe est soutenue tout d’abord par des financements,
festivals, prix et regroupements professionnels que nous allons interroger.

Tout d’abord, il est important de mentionner le programme de recherche européen DETECT


(Detecting Transcultural Identity in European Popular Crime Narratives) qui souhaite entre
autres, comme son nom l'indique, montrer quelque chose qui dépasse l’identité nationale au
sein notamment des polars. Ce projet est financé par l’Union Européenne et le programme
Horizon 2020. Ce projet de recherche propose même un site internet dédié au polar
européen49 lié à une exposition. Du point de vue des financements européens liés au polar,
on peut aussi mentionner le polar croate L’eau rouge de Jurica Pavicic, de la maison d’édition
Agullo. Il a été le premier à être traduit en français, grâce à un cofinancement du programme
Europe Creative. Le but de ces financements est de permettre une diffusion européenne des
œuvres. On voit donc bien l’ampleur que jouent les financements européens dans la diffusion
du polar au sein de l’Europe en lui donnant un cadre, par le terme de Europe du polar ou
encore Euronoir ainsi qu’une légitimité symbolique et intellectuelle par le biais d’une
exposition et de recherches liées à ce thème.

En effet, la culture, par son caractère mobile, et parfois immatériel par le biais des réseaux,
joue un grand rôle dans la diffusion de représentation, créant une culture partagée en Europe.
Elle a toujours été un acteur majeur de la création européenne, et continue à l’être aujourd’hui
avec l’importance accordée de plus en plus grande aux industries créatives50, surtout à la

Sapiro Gisèle, « Des échanges inégaux : géographie de la traduction à l’heure de la


48

mondialisation », Société des gens de Lettres


49
Site internet « Europe du polar »
50
Avis d’initiative Comité économique et social européen, « Industries créatives et culturelles : un atout
européen à valoriser dans la compétition mondiale », septembre 2015

41
sortie de cette crise sanitaire. En témoigne également l’obtention d’un budget record de 2,44
milliards pour Europe Creative 51.

En plus des financements européens, ce sont les prix qui ont une importance dans le processus
de légitimation du polar européen. Les prix, les festivals et les labels sont des instances de
consécrations52. Ils vont permettre de donner une valeur symbolique et marchande aux
œuvres afin de créer une distinction. La présence de prix « européen » renforce cette idée
d’un groupe, à part entière de polar. On peut citer le prix du meilleur polar en Europe, créé
en 2003 par Le Point, ou encore le prix SNCF du polar européen créé en 2004. Ces prix,
comme tout prix en littérature, vont influencer les professionnels et les publics en donnant
une légitimité aux œuvres. En effet, les prix sont au cœur d’une logique culturelle et
économique. C’est aussi au travers des festivals que se diffuse cette idée d’un polar européen.

51
Ledroit Valentin « Europe créative : l’Union Européenne renforce son action dans le secteur de la culture et
de la création », Toute l’Europe.eu
52
Ducas Sylvie, « Légitimité soluble dans le marché ? L'exemple des prix littéraires », Belphégor [En ligne],
mai 2019

42
Sur la carte sont indiqués les nombreux festivals dédiés au polar en Europe. A l’instar de
Quais du polar, ces festivals permettent de rencontrer des auteurs, des traducteurs de
différents pays qui vont être invités, permettant une rencontre entre professionnels européens,
mais aussi entre le public. On peut voir que dans la plupart des festivals, de nombreux auteurs
sont invités. Il est question dans ces festivals du rapport à l’Europe, comme au programme
du Quais du polar cette année avec des conférences autour de l’Europe comme « L’Europe
en mutation : Globalisation économique, flux migratoires, retour des nationalismes, mise à
mal des modèles démocratiques: comment le polar rend-il compte de ce qui secoue le conti-
nent, dans l’Union et en dehors ? » ou encore la remise du prix du meilleur polar en Europe.
Les festivals participent donc largement à diffuser l’idée d’un polar européen par la rencontre
de professionnels et de passionnés.

L'appellation « polar européen » est fortement dépendante de la diffusion de la traduction.


En se penchant plus spécifiquement sur celle-ci, on remarque qu’il existe des programmes de
pouvant favoriser la traduction à l’échelle européenne. Nous pouvons citer le programme
Goldschmidt. Destiné aux jeunes traducteurs venant de France, d’Allemagne et de Suisse.
Depuis sa création en 2000, 150 traducteurs en début de carrière ont pu profiter des ateliers
de traduction qui se déroulent chaque année sous la tutelle de traducteurs expérimentés au
CITL, à Arles, et au Literarisches Colloquium, à Berlin. On peut prendre l’exemple de
l’institut Goethe : créé au départ comme étant européen « littérature européenne, c’est à dire
littérature-monde », il a désormais une vocation internationale : « La littérature nationale ne
signifie plus grand chose maintenant : le temps de la littérature-monde est arrivé, et chacun
doit s’employer à hâter l’avènement de cette époque » indiquait Goethe. On ne cherche
dorénavant plus à promouvoir une littérature nationale mais qui va au-delà, sans pour autant
enlever les spécificités nationales.

Il existe aussi des rassemblements de traducteurs, comme le CEATL, soit le Conseil européen
des associations de traducteurs littéraires. Cette association permet d’échanger entre
traducteurs européens. Il y a donc une volonté de se connaître entre professionnels du milieu,
d’échanger dans un cadre européen.

43
Le polar, comme tout objet social, est fortement soumis aux impératifs économiques et
politiques. On peut citer l’exemple de George Arion, auteur roumain qui va dès 2014
participer à des petits festivals locaux, avant de finir en tête d’affiche du Quais du Polar en
2019. Le fait de mettre en avant cet auteur n’a pas été un hasard : il s’agissait de l’année
France-Roumanie. « Les manifestations culturelles auxquelles participent Arion sont le plus
souvent chapeautées par des politiques publiques locales et des accords bilatéraux »53 à
l’instar d’accords bilatéraux tels que le jumelage de la petite ville de Mauves-sur-Loire (qui
accueille le festival de Mauves-sur-Loire auquel a participé Arion) avec la ville de Siria en
Roumanie.

Ainsi, s’il existe des festivals, des prix, ou encore des financements européens en faveur d’un
polar européen, on voit qu’il y a un réel engouement politique autour de cette notion. L’Union
européenne cherche à promouvoir une culture commune et ce, même au travers du polar. De
manière réaliste, il n’existe pas de polar européen : les polars sont multiples. Ils sont plutôt
« régionaux » à l’instar du polar nordique, ils peuvent avoir des thèmes communs comme la
critique sociale… mais par la création de labels, programme de recherche, conférence on
renforce ce sentiment d’appartenance autour d’un polar. L’appartenance et ce pôle se crée
toujours en opposition à quelque chose : on peut supposer que la création du polar européen
est faite en opposition au polar américain. Tout d’abord, on note qu’aux États-Unis la
littérature étrangère ne représente que 3% de l’ensemble de la production et il existe peu
d’éditeurs publiant du français. A contrario, la France est très friande de littérature
américaine54. Pour sortir de la littérature, nous pouvons voir l’exemple des séries policières.
Le succès des séries policières américaines en Europe a transformé la narration des fictions
policières en montrant la police en train d'enquêter. On peut citer les séries La Crim’ (1999-
2006), la série allemande SOKO München ou la série italienne RIS, Delitti imperfetti (2005-
2009). Les États-Unis sont vu comme un modèle du genre qu’il s’agit d’adapter à l’Europe.
Nous pouvons prendre l’exemple de Netflix, qui oscille entre une stratégie de mondialisation

53
Amir Lucie, Biscarrat Laetitia, Jacquelin Alice, « Impossible Euronoir ? Le polar européen dans sa
réception critique française »
54
Joubert Sophie, « Entre la France et les États-Unis, un marché du livre asymétrique », Site France-
Amérique, septembre 2021

44
et de localisation à l’instar de la Casa de Papel. On veut créer quelque chose typiquement
européen pour un public qui va être majoritairement extra européen, donner ce côté «
exotique »55, que cela ne « se soit pas que belgo belge ou franco français ou que ce soit trop
typé parce que sinon c’est pas exportable » pour reprendre les mots de notre enquêtée de
l’agence Hyphen. Cela est plus flagrant du point de vue du contenu cinématographique du
fait des lois obligeant l’apparition d’un certain quota de contenu européen dans les catalogues
(30%). Chose qui n’est pas possible d’un point de vue littéraire. Cela prend donc d’autres
formes moins visibles. Finalement, on pourrait se demander si la création de ces labels,
festivals européens, etc. ne sont pas là pour renforcer une identité objectivée du polar
européen afin de l’opposer à une identité américaine. On observe d’ailleurs dans les entretiens
une dichotomie claire entre le roman « européen » et « américain » :

« C’est-à-dire qu’il faut distinguer polar et thriller. Le polar est plus engagé. Il y a une qualité
accrue de l’écriture. Je dirais que le thriller américain ça peut être une écriture blanche on s’en
fiche. Ce doit être efficace c’est tout. Le polar européen va y avoir 50/50 ou au moins 60%
d’intrigue et 40% d’écriture. Il faut que ce soit bien écrit pour être considéré. »

Le polar américain serait moins psychologique, il serait caractérisé par une moindre
critique sociale et se rapprocherait du thriller. On peut donc supposer que pour concurrencer
cette littérature américaine, on crée une identité européenne afin de pousser les lecteurs à se
pencher sur de la littérature européenne.

Pour reprendre Sapiro et Heilbron : « Pour comprendre l’acte de traduire, il faudrait donc
l’analyser comme imbriqué dans des rapports de force entre des pays et leurs langues, et, par
conséquent, le situer dans la hiérarchie internationale. »56.

On pourrait ainsi se demander si cela est spécifique au polar, ou plus largement à la littérature.
Au sein de l’Union, il y a une volonté claire, que cela soit dans la culture comme dans d’autres
secteurs de promouvoir un sentiment européen, des idées communes. Par le biais de ces
stratégies de labels, financements, le concept de polar européen prend vie, il devient une

55
Site internet « Europe du polar »
56
Heilbron, Johan, et Gisèle Sapiro. « La traduction littéraire, un objet sociologique », p.2

45
réalité par la création de son concept. Il y a un processus d’objectivation permettant de donner
à ce concept l’impression d’être évident 57. Aussi, le sociologue Charles Tilly propose de
définir les identités politiques comme des « arrangements sociaux », des histoires, des récits
qui permettent aux individus de dire à la fois qui ils sont par rapport aux autres, et de
caractériser les relations qui unissent les membres d’un même groupe. Le critère récurrent du
polar européen serait la critique sociale, qu’on met en avant tout d’abord dans nos entretiens,
mais également sur le site d’Europe du polar 58.

Enfin, on peut supposer que ce concept de polar européen n’est pas visible par le grand public,
car il s’agit de logique circulant parmi les professionnels au sein des divers évènements. De
plus, on se rend compte que l’Union européenne dispose globalement d’une « importance
invisible »59. C'est-à-dire que si l’Union européenne a beaucoup d’importance, elle n’est pas
visible par le public. Celui-ci ne se rend compte de son importance que dans des moments
très spécifiques comme les élections. Les citoyens n'ont donc qu’une vision parcellaire de
son pouvoir, et donc il est plus ou moins facile de s’approprier ses concepts.

Il est important aussi de souligner le poid de la presse, qui participe à la production de la


valeur symbolique et marchande des œuvres tout autant qu’à la régulation du flot éditorial60.
Dans un article dédié au polar européen, ou Euronoir comme il est cette fois appelé, des
chercheurs participant à l’enquête DETECT, montrent l’absence d’un label Euronoir en
France de par sa faible occurrence dans la presse. A contrario, les polars nordiques ou du sud
ont une réalité pour la presse.

À propos des critères non littéraires pouvant forger le terme de polar européen, nous
avons pu constater que ce sont bien les intermédiaires qui sont au cœur du processus de
décision, et donc de la création d’un « polar européen ». La politique, les professionnels et
l’économie sont des facteurs qui peuvent sembler en marge du champ littéraire mais ils sont

57
Berger, Peter, et Thomas Luckmann. La Construction sociale de la réalité. Armand Colin, 2018
58
Vidéo Youtube, « L’Europe du polar : the thriller as social criticism, a European specificity »
59
Sophie Duchesne. « Quelle identité européenne ? » Les Cahiers français : documents d’actualité, La
Documentation Française, 2008, p. 6
60
Naudier, Delphine. « La fabrication de la croyance en la valeur littéraire », Sociologie de l'Art, vol. ps4, no.
2, 2004, p.54

46
pourtant très importants. Le secteur du polar est en effet comme tout secteur impacté par des
logiques économiques qui vont engendrer des stratégies, comme nous avons pu le voir à
propos de la traduction et donc, de la diffusion des œuvres. Aussi, nous voyons que les
politiques européennes cherchent, par le biais de financement, à conforter ce concept de polar
européen dans le but d’augmenter la diffusion des œuvres à une échelle européenne. On peut
imaginer que cette stratégie est créée afin de concurrencer le polar américain.

Pour conclure, nous pouvons ainsi dire que le concept de polar européen semble plus ressortir
d’un concept politique que d’une réalité. Les politiques, professionnels et les facteurs
économiques sont moteurs de ce terme, permettant d’englober une catégorie de livres, afin
de constituer des prix et des réseaux. On pourrait alors s’interroger plus largement sur la
littérature européenne.

47
CONCLUSION

Créer une base de données alimentée d’auteurs de romans policiers provenant des
trois pays différents nous a permis d’extraire des grandes lignes de réflexion. Nous nous
sommes donc interrogés tout au long de ce dossier sur les raisons qui expliqueraient pourquoi
un roman policier est-il plus traduit qu’un autre. Quels caractéristiques intrinsèques ou
éléments extérieurs encouragent la circulation, l’exportation et l’importation de ces œuvres
dans d’autres pays.

Nous avons d’abord constaté grâce à nos données, que les polars européens étaient
majoritairement traduits dans des pays proches géographiquement, culturellement ou voisins.
Nous nous sommes donc demandé si les lecteurs pouvaient influencer la traduction de polars
provenant des pays étrangers et si oui, pourquoi encouragent-ils la traduction d’œuvres
provenant de pays proches géographiquement. Les lecteurs de polars étant ce qu’on appelle
communément des « gros lecteurs », ils trouvent un intérêt au polar étranger en ce qu’il
permet d’ouvrir sur d’autres lieux, d’autres paysages. Les lecteurs diversifient également
leurs lectures par des changements d’intrigues, d’enquêtes. En effet, nous avons constaté que
les auteurs de polar construisaient différemment leurs intrigues selon leur nationalité.

Si les romans policiers allemands, suédois et espagnols sont majoritairement traduits dans
des pays proches ou voisins, c’est peut-être parce que ces lectures permettent d’en apprendre
davantage sur l’histoire, le contexte social et politique d’un pays voisin. Cela d’autant plus si
le roman rappelle un passé commun, auquel les lecteurs s’identifient, sans pour autant avoir
une impression de « déjà lu ». En revanche, nous pensons que les motivations des lecteurs de
lire un roman étranger ne sont pas propres au polar et peuvent être sensiblement les mêmes
pour les romans historiques ou la littérature générale. De plus, nous ne savons pas quel poids
ont les lecteurs dans cette circulation.

Le marché du livre étant un marché de l’offre, ce sont les maisons d’édition et les
intermédiaires qui dictent les règles du jeu. L’économie du polar est, nous l’avons vu, très
importante dans le secteur du livre. Les facteurs économiques poussent les intermédiaires à
adopter des pratiques parfois étonnantes. Certains agents littéraires ont déjà coupé des
passages d’un roman pour économiser des coûts de traduction et permettre ainsi à un livre
d’être traduit. Les traducteurs, de leur côté, proposent régulièrement des textes qu’ils ont
repéré à l’étranger afin de les proposer à des éditeurs. Ce sont ces intermédiaires qui

48
prospectent, trient, proposent, et créent réellement l’intérêt des lecteurs pour les romans
policiers étrangers.

Ces professionnels s’organisent en réseaux, comme avec l’exemple de « polar connection »


au Festival Quai du polar. De nombreux prix du polar européen sont créés. Cependant, nous
constatons que si ces notions de polar européen ou « Euronoir » ont un sens pour les
professionnels du secteur qui travaillent spécifiquement pour le genre du roman policier, ces
notions restent abstraites pour les lecteurs. Le polar européen s’institutionnalise mais est loin
d’être une notion reconnue / connue du grand public. Enfin, l’Union européenne est un acteur
important de la circulation des œuvres littéraires en Europe. Notamment grâce à des
programmes de recherche comme le DETECT ou des soutiens à la traduction via Europe
Créative.

Cette étude nous a permis de nous interroger sur les éléments qui permettent la circulation
des romans policiers en Europe. Si certains éléments sont nécessairement propres au polar,
nous nous sommes demandé si les actions que réalisent les intermédiaires n’étaient pas
généralisables aux œuvres littéraires. De même, il serait intéressant de constituer des données
pour d’autres genres comme le roman historique par exemple, pour voir si nous retrouvons
les mêmes tendances ou non.

Concernant la notion de polar européen, nous sommes arrivés à la conclusion que les lecteurs
se portent naturellement vers des polars étrangers qui proviennent de pays voisins car ils se
retrouvent dans les intrigues, l’histoire, et non pas parce qu’ils sont attirés par un genre qui
serait celui du “polar européen”. Seuls les professionnels du secteur utilisent et se rassemblent
en réseau grâce à cette notion de polar européen.

Nous devons mettre en perspective notre recherche sur la traduction des polars en Europe
avec l’importance accrue que prennent les autres sources de revenu des maisons d’édition.
En effet, les cessions audiovisuelles, notamment grâce à l’émergence de nouvelles
plateformes comme Netflix, constituent une source de revenu importante. Le livre audio a
également émergé depuis quelques années. Ainsi, comme l’expliquait une agent, la traduction
qui était la cession « noble » par excellence, devient petit à petit moins importante au profit
des autres types de cessions. D’autant plus que les adaptations d’œuvres littéraires en série
permettent de diffuser les œuvres de manière beaucoup plus large que par la lecture, et de
dépasser le cadre européen. Nous pouvons notamment prendre pour exemple la série Lupin

49
inspiré des aventures d'Arsène Lupin (série policière de Maurice Leblanc), Les rivières
pourpres (film) inspiré du roman de Jean-Christophe Grangé.

50
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52
ANNEXES

Annexe 1 : Entretien avec Florian Lafani, Directeur éditorial des éditions Fleuve (anciennement
Fleuve noir).

Aurélie : Si vous voulez on va commencer par des questions sur par exemple votre parcours, ce
que vous avez fait avant et ce que vous faites maintenant.

Florian Lafani : Alors moi j’ai une formation très classique : j’ai un DEA d’études grecques, j’ai fait
beaucoup d’études de lettres classiques, j’ai été prof très rapidement et ça fait maintenant 15 ans que
je travaille dans l’édition.

J’ai commencé un par lire des manuscrits et après j’ai beaucoup travaillé dans la partie numérique de
l’édition, version webmarketing, version livre numérique aussi. J’ai travaillé sur tous les aspects
webmarketing chez XO, ensuite j’ai créé une maison d’édition numérique dédiée vraiment au livre
numérique, ensuite j’ai travaillé un peu chez Iznéo qui est la plateforme de bande-dessinée, de média
participatif de bande dessinée numérique et puis après j’ai travaillé 6 ans chez Michel Lafon où j’ai
commencé à faire le lien entre la partie très numérique et la partie éditoriale, notamment en publiant
parmi les premiers des auteurs auto-édité qu’on amenait dans l’édition traditionnelle. Ca a duré 6 ans
et là ça fait à peu près 3 ans et demi ou un peu plus que je suis dans la direction éditoriale du Fleuve
avec un rôle de chef d’orchestre et de construction de programme, de stratégie avec 2 grands axes
qu’on essaye de mettre en place depuis 3 ans :

 le premier est de réduire la production : en 3,5 ans on sera passé de 55/60 titres à 35 titres par
ans, dans une volonté de limiter le nombre de titres pour vraiment les soutenir et avec une
vrai analyse de surproduction sur le marché. Aujourd’hui ça marche plutôt bien, on vend plus
de livres en en produisant moins et les ventes moyennes des livres ont tendance à monter, ce
qui est plutôt positif
 un deuxième axe qui est d’essayer de coller un peu plus à une ADN/ une image auprès des
libraire, des lecteurs, etc. Le Fleuve a une image très très populaire. C’est beaucoup plus dur
de faire des choses estampillées/ littéraires au Fleuve en ayant un ADN populaire qui vient
notamment de San Antonio ou Frédérique Darc, étant notamment l’auteur populaire par
excellence. Il y a une volonté d’assumer ce côté très populaire sur la littérature française et
étrangère, sur le polar français et étranger et sur l’imaginaire, en gros c’est les 3 collections
qu’on essaye de continuer à développer.

La maison, historiquement, elle a 70 ans et elle s’appelait Fleuve Noir et il y a une bonne dizaine
d’années elle est devenue Fleuve Edition, ce qui permet de faire de la littérature générale plus
facilement. Et elle a une collection qui s’appelle Outre Fleuve qui est plutôt dédiée à l’imaginaire.

A : D’accord. Donc en fait c’était vraiment initialement une maison qui était uniquement du
polar, thriller, c’est ça ?

FL : Ouais ! C’était polar… Et déjà c’était déjà un peu imaginaire parce qu’il y avait une grande
collection qui s’appelait Anticipation qui a été créée un peu après la création de la maison. Voilà !
C’était très polar et imaginaire, c’était que du Poche, de la création jusqu’au début des années 2000.
Après on a des acteurs Poche plus généralistes qui ont été très puissants, ce qui n’a plus permis au
Fleuve d’exister en tant qu’édition Poche, donc Au Fleuve est devenu un éditeur de grand format qui

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s’est mis à avoir du succès avec le Diable s’habille en Prada, les comédies de (???) Garnier sous la
marque Fleuve Noir et à ce moment-là il a été de décidé de créer une marque Fleuve Edition
permettant d’être moins segmentant sur le marché.

A : D’accord. Vous nous avez déjà un peu présenté la ligne éditoriale de la maison. Est-ce que
vous voulez encore préciser d’autres choses ?

FL : Non… En gros c’est ça ! C’est-à-dire que l’axe majeur c’est de la littérature populaire de qualité,
ça n’empêche pas d’avoir des prix dans le polar. Il y a une vraie volonté d’assumer ce côté très grand
public, populaire. Après derrière, ça nous permet de faire des choses un peu différentes : l’année
dernière on a sorti un roman graphique, cette année on fait la rentrée littéraire avec un titre,
uniquement, d’une auteure française. On se permet des choses qui sont un peu à la marge, mais ça
doit être vraiment à la marge parce que ça demande plus de temps pour être travaillé parce que encore
une fois on en revient à l’image de la maison : on attend plutôt le Fleuve sur des choses très grand
public, donc si on fait des choses plutôt littéraire ça va nous demander plus de temps pour être bien
travaillées.

A : Donc vous avez dit publier environ 35 titres par an et dans ces 35 titres quelle est à peu près
la part de polars et thriller ?

FL : Aujourd’hui la part du polar doit, grosso modo, peser 60% du catalogue.

A : Et entre les auteurs Français et étrangers ? C’est majoritairement des titres étrangers
ou… ?

FL : Non, on est quasiment à l’équilibre aujourd’hui. On essaye de sortir un auteur français et un


auteur étranger par mois, à peu près, parfois un peu moins. Voilà ! C’est assez équilibré sachant qu’on
a des auteurs récurrents à la fois en étrangers et en français, qui écrivent quasiment tous les ans et qui
créent un socle un peu pour le catalogue. Et régulièrement on essaye de trouver de nouvelles voix
pour le catalogue que ce soit en français ou à l’étranger mais finalement c’est assez équilibré. Il y a
une petite prédominance de l’étranger certaines années parce que historiquement on a plus d’auteurs
récurrent à l’étranger mais c’est en train quasiment de s’équilibrer.

A : Comme nous on travaille sur la circulation des romans policiers en Europe, du coup on est
plutôt intéressés par le côté des traductions et des romans qui viennent de l’étranger. Est-ce que
vous avez certaines nationalités qui sont prépondérantes ou est-ce que vous avez des romans
qui viennent d’un peu partout dans le monde et il n’y a pas forcément une nationalité qui ressort
particulièrement ?

FL : Historiquement, la langue anglaise a toujours été pourvoyeuse de beaucoup de succès à


l’étranger.

Aujourd’hui, si je vous prends le programme de 2021, cette année on sort une auteure danoise, une
auteure anglaise, un auteur américain, un auteur italien, une autre auteure anglaise, une autre auteure
anglaise, un auteur anglais – vous voyez – un auteur polonais. Donc ça c’est sur l’année 2021 en polar
étranger.

54
Et sur l’année 2022, on aura 2 auteurs espagnols, une auteure danoise, 2 auteurs italiens, 1 américain
et 2 anglais. Donc on se rééquilibre un tout petit peu. On a moins de prépondérance des auteurs anglo-
saxons, c’est vrai qu’on a essayé de regarder d’autres marchés, c’est vrai que le marché anglo-saxon
est assez saturé. Après ça coûte aussi beaucoup plus cher d’acheter en Angleterre et au États-Unis, il
y a beaucoup plus d’enchères que dans certains pays qui sont beaucoup moins recherchés et pour
lesquels on a moins d’informations indirectes. Vous le savez aux Escales– je ne sais pas si vous avez
des scouts sur les marchés étrangers aux Escales. Sur les marchés anglais et américains beaucoup
d’éditeurs ont des scouts donc forcément, ils sont beaucoup plus à même d’aller offrir sur des romans
anglo-saxons ou américains plutôt que sur des romans espagnols ou allemands.

A : Et est-ce que c’est qu’une volonté de votre part ou il y a justement une certaine saturation ?
Est-ce que vous ressentez aussi une envie des lecteurs de lire des romans policiers qui viennent
d’autres pays que les romans anglo-saxons ?

FL : C’est vrai que chez les romans anglo-saxons on peut très vite se retrouver avec des copycat, des
choses qui se ressemblent vraiment. Au bout d’un moment, des choses qui sont très proches c’est un
peu compliqué et je crois qu’il y a une appétence pour aller découvrir de nouvelles langue et il y a
des maisons qui sont créées un peu sur cette ADN là, d’aller faire découvrir de nouveaux pays et des
nouvelles voix du polar : cette année, le prix à Lyon, c’est un polar croate que l’a obtenu donc ça
montre bien qu’il y a quand même une vrai appétence à ce niveau-là ; l’année dernière on a sorti un
roman espagnol, on sentait aussi que les gens était content de découvrir le polar espagnol même s’il
y en a déjà pas mal finalement mais c’est peut-être moins présent donc les lecteurs ont l’impression
de découvrir autre chose.

Donc oui ça joue aussi clairement sur la volonté d’équilibrer et de ne pas publier que des auteurs
anglais ou américains.

A : Est-ce que la plupart du temps c’est vous qui prospectez à l’étranger en lisant
éventuellement dans la langue originale les titres que vous allez traduire, notamment pour les
nouveaux auteurs que vous traduisez en France, ou est-ce que c’est parfois des agents étrangers
qui vous contactent ou des maisons d’éditions étrangères qui prospectent une maison d’édition
française pour traduire ses livres ?

FL : Oui il y a beaucoup de prospection de la part des maisons d’édition et des agents. On est
effectivement amené à être sollicité par beaucoup de pays parce que beaucoup d’entre eux ont compris
que c’était un moyen de créer plus facilement de l’intérêt en sollicitant directement. Donc on a
beaucoup de sollicitations.

Après comme c’est des marchés sur lesquels on n’a pas un retour d’information aussi précis et aussi
tôt que sur les marchés anglais et américains, moi je regarde aussi ce qu’il se passe sur ces marchés-
là régulièrement, je vais voir sur les maisons d’édition sur les sites de E-commerce, je regarde un peu
ce qui se passe. L’avantage c’est que juste sur un pitch on arrive, sans même maîtriser la langue, à
trouver un petit intérêt et à se dire que peut-être il faut le faire lire. Après on travaille avec des lecteurs
qu’on fait lire pour nous remonter. Parfois on a aussi des traducteurs qui nous sollicitent, eux sont
aussi force de proposition pour trouver de nouveaux textes et ils nous sollicitent avec des textes qu’on
n’a pas forcément regardés.

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A : D’accord ! Donc dans certains cas c’est les traducteurs eux-mêmes qui sont un peu des
moteurs ?

FL : Exactement !

A : Je me disais aussi que forcément vous ne parlez par 36 langues et que c’est pas évident dans
ces cas-là de connaître le fond d’un livre avant d’en acheter les droits.

FL : En général on essaye de faire traduire comme on peut un résumé pour voir si le sujet peut nous
intéresser. Après si on veut aller au-delà on trouve des traducteurs ou des lecteurs qui sont capables
de nous faire des fiches de lecture.

A : D’accord. Donc vous demandez aussi des fois aux traducteurs spécialisés dans certaines
langues de lire des livres qui vous intéressent et de vous faire un retour, c’est ça ?

FL : Exactement !

A : Et quand c’est des traducteurs qui vous proposent un texte, est-ce que c’est des traducteurs
avec lesquels vous travaillez régulièrement ou est-ce que ce sont des traducteurs avec lesquels
vous n’avez pas forcément l’habitude de travailler qui viennent vers vous ?

FL : C’est plutôt des gens avec lesquels on ne travaille pas forcément mais qui essayent de placer des
textes qui leur plaisent et qu’on ne connaît pas forcément. Ça arrive assez régulièrement que ce soit
plutôt des gens qu’on ne connaît pas forcément mais qui cherchent une maison pour certains projets.

A : D’accord. Et dans ces cas-là, j’imagine que ça vous « force » à les embauche si le projet vous
plaît ?

FL : Ah oui oui, c’est assez cohérent. Après, il faut que ce qu’ils rendent soit à la hauteur. Mais un
traducteur qui vient proposer un livre, on ne va pas le faire traduire par quelqu’un d’autre. C’est un
peu un pacte de déontologie.

A : D’accord. Et justement, est-ce que dans les cas où vous faites de la prospection et que vous
repérez des livres dans les meilleurs ventes, etc., quels sont les arguments prépondérants qui
vous donnent envie de traduire le livre ? Est-ce que ce sont par exemple, les prix qu’ils ont pu
recevoir à l’étranger, les ventes ou est-ce que vous avez d’autres repères qui vous orientent ?

FL : Les prix et les ventes sont souvent liés et sont souvent importants dans le sens où c’est ce qui fait
qu’on va nous proposer le livre ou que nous on va le repérer. Ça m’arrive d’aller à l’étranger, quand
je vais dans les librairies je regarde forcément ce qui est mis en avant, etc. Donc oui, c’est forcément
une clé d’entrée parce que les marchés sont tellement énormes que sinon on est incapables de trouver
des choses à l’intérieur. Donc c’est un moyen effectivement de les distinguer.

Pour les langues qu’on ne parle pas, c’est que sur fiche de lecture donc on fait assez confiance aux
gens qui nous sollicitent, au moins sur l’intérêt global du livre. Après, et notamment dans le cas du
polar, c’est aussi la capacité à être original et être différent de ce qu’on publie déjà. On publie peu de
textes, dans l’année on a publié une petite vingtaine de polars, et le but c’est pas de publier 20 fois
des thrillers psychologiques où l’héroïne n’est pas fiable et à la fin ça se retourne. On arrive à trouver

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des équilibres et on essaye de garder ça en tête pour que tous les genres et sous-genres du polar
puissent être représentés. Donc ça, ça compte aussi, si demain j’ai une très bonne fiche de lecture d’un
polar mais qui est vraiment très très proche de quelque chose que j’ai déjà, j’ai pas forcément intérêt
si c’est pour que ça viennent sur les plates-bandes d’un auteur avec lequel je travaille déjà ce serait
un peu dommage.

A : Okay, donc il y a vraiment plusieurs lignes qui vous font décider.

FL : Oui ! La qualité du texte et le retour positif d’un traducteur, c’est évidemment important.
Derrière, il y a aussi l’histoire au sens où se projeter sur la réception d’un lectorat français. C’est vrai
qu’il y a parfois des polars qui sont très très bon mais la dimension historique ou politique du lieu est
extrêmement importante : bon, voilà, est-ce qu’on est capable de la défendre ? Encore une fois je
reviens à l’ADN, on fait des choses très grand public, on ne va pas forcément acheter les mêmes
polars à l’étranger que Rivage ou que Actes Sud parce qu’on ne les fera pas lire de la même façon et
surtout que les lecteurs ou même les libraires ne vont pas les recevoir de la même façon.

A : C’est vrai qu’on a beaucoup lu, dans des textes de sciences politiques faits sur les polars et
les thrillers, que le public était souvent assez intéressé par cet aspect social ou politique des
polars. C’est quelque chose que vous ressentez aussi ?

FL : Oui je pense que tout ce qu’on appelle « le décor », l’atmosphère globale est extrêmement
importante. C’est une forme de dépaysement aussi le polar.

Après je pense que ce n’est pas spécifique au polar. Je pense que la volonté d’apprendre des choses
en lisant un roman, elle est extrêmement forte depuis longtemps. La littérature générale le faisait
beaucoup plus pendant un temps mais effectivement aujourd’hui, le polar, avec des intrigues qui
peuvent être des jeux de l’esprit avec le lecteur, essaye à chaque fois d’avoir des sujets de société
aussi via lesquels le lecteur peut apprendre des choses, que ce soit la génétique, la science, peu
importe.

Mais c’est vrai que les auteurs de polars sont plus sensibles à leur époque, à ce qu’il se passe, à des
sujets de société et du coup, ils nous livrent des textes empreints avec l’actualité et parfois même un
peu avant-gardistes.

Et je pense que le côté étranger, le côté « je voyage aussi et je vais apprendre une autre culture, une
autre histoire », ça peut aussi être important pour le lecteur qui fait un peu deux lectures en une.

A : Je sais que certains instituts, comme par exemple l’institut Goethe, qui permettent d’avoir
des subventions quand on traduit certains livres. Est-ce ça, ça vous encourage aussi à aller plutôt
vers un pays qu’un autre, vers un auteur étranger selon la langue qu’il parle (et donc vers des
subventions qui peuvent aider à traduire ses livres) ou est-ce que c’est plutôt un bonus si vous
réussissez à obtenir une subvention ?

FL : C’est plutôt un bonus parce que la plupart des subventions se font après signature du contrat avec
le traducteur. A ce stade de toute façon on est engagé et il faut de toute façon être capable d’assumer
les frais même si on n’a pas la subvention.

En Russie ou en Roumanie, c’était un peu dans l’autre sens : au départ, si vous achetez tel ou tel titre
on vous assurait une subvention. Mais c’est, grosso modo, assez rare. En général il faut faire un

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dossier pour une subvention et dans ces cas-là, il faut que vous ayez le contrat d’achat et d’édition et
le contrat avec un traducteur.

De ce point de vue-là, ce n’est pas ça qui décide puisque vous pouvez ne pas l’avoir et il faut être
capable d’assumer les frais sans cette subvention.

Maintenant quand ça arrive, on est content. Économiquement c’est sûr que c’est super intéressant.
L’économie d’un polar étranger est très lourde. Le polar c’est souvent assez gros par rapport à des
textes de littérature générale du coup c’est un coût de traduction plus important.

A : D’accord. Est-ce que vous privilégiez, maintenant que vous êtes là depuis longtemps et que
vous connaissez pas mal de maisons étrangères, est ce que ça vous a permis de constituer un
socle de maisons étrangères avec lesquelles vous travaillez régulièrement, où vous regardez
systématiquement leurs nouvelles parutions ? Ou est-ce que vous n’êtes pas forcément attaché
à une maison étrangère en particulier et que vous prospectez de la même façon pour d’autres
maisons que vous ne connaissez pas forcément encore ?

FL : Oui, alors en gros il y a des ADN à l’étranger où on peut y voir des liens quand on partage
plusieurs auteurs. Maintenant la réalité, et c’est un peu le cas déjà sur le marché français, c’est que la
plupart des maisons en réalité font un peu tout. Il y a des maisons dont l’image est plus littéraire plus
grand public mais à l’arrivée, le prochain grand succès commercial peut arriver d’une maison hyper
littéraire aux États-Unis, en Italie ou en Allemagne. On ne peut pas se créer trop de freins de ce point
de vue là car la plupart des maisons vont au-delà de leur ADN. Après c’est sûr qu'il y a des maisons
d’éditions on est plus proche de (???) en Italie que d’une maison plus littéraire. Évidemment de ce
point de vue-là il y a des ADN on va dire et c’est vrai que ça se retrouve parfois dans les achats de
certains auteurs. Maintenant on ne peut pas se réduire à ça parce qu’encore une fois des bonnes
histoires grand public il y en a dans beaucoup de maisons.

A : D’accord. Et vous parlez d’auteurs qui étaient récurrents que vous traduisez en fait d’un
roman à l’autre, une fois par an etc. Est-ce que dans ces cas-là vous passez de manière officielle
ou officieuse un genre de contrat d’exclusivité avec la maison d’édition étrangère ou est-ce que
c’est plutôt officieux ?

FL : C’est très officieux dans le sens ou à partir du moment ou l’on publie un auteur on n’a pas
spécialement [arrêt dans l’enregistrement de quelques secondes] Après on achète titre à titre, on peut
acheter plusieurs titres à l’avance pour être sûr que ce ne sera pas publié ailleurs mais parfois c’est
compliqué car des auteurs publient dans des genres différents. De ce point de vue là on ne peut pas
avoir une exclusivité parce que si demain il écrit un livre jeunesse ou je ne sais quoi ça ne viendra pas
chez nous. Après il y a une forme de ……. En général quand vous publiez un auteur c’est quand
même assez rare que tout d’un coup on vous annonce qu’il va être publié ailleurs sans vous en avoir
parlé. Il n’y a pas besoin de signer un contrat, c'est un peu une évidence pour tout le monde de trouver
un mode de collaboration plutôt sain de ce point de vue-là.

A : Et est-ce que quand un titre par exemple justement sur les je ne sais pas si vous avez aussi
des séries policières ?

FL : Avec des titres récurrents vous voulez dire ?

A : Oui c’est ça. Est-ce qu’enfin, est ce que vous avez déjà eu certains tomes pour faire simple,
certains tomes de la série qui des fois baissent un peu dans les ventes et dans ces cas-là est ce

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que vous choisissez par fidélité pour le lectorat de continuer à le publier ou est ce qu’il y a quand
même un moment ou vous décidez d’arrêter si vraiment le socle de lecteur est trop faible ?

FL : Oui c’est une vraie question enfaite. Pour ces titres récurrents il y a toujours un socle, toujours
des gens qui sont vraiment en attente du prochain. Après il y a une logique économique qui est là, on
ne peut pas publier, surtout parfois les séries sont plus longues que nous on l’avait prévu. Parfois on
achète une trilogie et il y a un quatrième tome, un cinquième, un sixième alors que c’était pas du tout
prévu. Nous on est un peu embêtés car à la fin de la trilogie nous on est sur une économie euh limite
déjà, du coup si on doit continuer à publier c’est compliqué. Après ce qui peut jouer évidemment c’est
sur la dimension presque plus patrimonial si vous avez un auteur dont vous sentez que, c’est un auteur
étranger mais que voilà, il a une voix à part et que dans les années qui viennent, à un moment donné,
ça va repartir, vous continuez à publier, vous publiez pas à perte, il y a une forme d’investissement
vous disant qu'à un moment donné cette auteur va décoller. Vous ne pouvez pas forcément vous le
dire sur tous les auteurs mais c’est une partie importante qui peut nous amener à continuer une série
alors qu’économiquement titre à titre c’est plus forcément viable mais si on se projette sur 5, 10, 15
ans on se dit qu'à un moment donné se sera viable ou parce qu’il aura une série télé etc. C’est toujours
un peu frustrant d’arrêter une série car on sait qu’on crée une déception assez forte chez les fans qui
sont vraiment là, il y a en toujours, mais oui l’équilibre financier doit forcément être à un moment
donné, ça participe à la prise de décisions

A : Et, on a aussi vu dans les données qu’on a pu constituer que c’est vraiment une ligne que
dans une série ou pour un auteur c’est très très très très souvent le même traducteur qui traduit
toute la série ou tout le même auteur et j’imagine que c’est pareil pour Fleuve ?

FL : Oh ben oui on privilégie évidemment le même traducteur car en fait c’est beaucoup plus simple,
le traducteur connaît les personnages, l’univers, le style de l’auteur. Clairement on gagne du temps,
on a des meilleures traductions, changer de traducteur ça peut se faire que dans des cas de forces
majeures : le traducteur ou la traductrice qui n’est pas dispo, un changement de genre de l’auteur qui
peut nécessiter un autre traducteur. Mais sinon on a aucun intérêt à changer de traducteur, ce serait,
on proposerait un texte différent, écrit de manière différente or le lecteur qui apprécie un auteur et un
univers, il a envie de retrouver cet univers et ça passe aussi par le style de la traduction. On privilégie
au maximum le même traducteur pour la même série.

A : D’accord, et les traducteurs vous les embauchez en free-lance, en général j’imagine ? C’est
par contrat ?

FL : Oui c’est par contrat, par titre.

A : Et donc vous avez aussi des, par exemple, je sais qu’aux Escales elles ont un socle de
traducteurs assez récurrents, chez vous c’est pareil ?

FL : Nous aussi on a des traducteurs avec lesquels on a l’habitude de travailler évidemment surtout
pour les auteurs récurrents, on garde ce socle-là, il y a des traducteurs effectivement avec qui on a
déjà travaillé.

Après on est toujours, on trouve toujours, le moyen d’aller chercher des nouveaux traducteurs quand
on a des nouveaux auteurs. Parfois c’est l’occasion de trouver une nouvelle collaboration avec un
nouveau traducteur. Car en plus le traducteur fonctionne au projet du coup ça arrive aussi assez
souvent qu’il ne soit pas forcément disponible or nous on a parfois des impératifs de publication et

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donc de date de traduction sur lesquels on ne peut pas trop jouer. Du coup si le ou les traducteurs avec
qui on travaille ne sont pas dispo, ça nous oblige aussi à aller chercher des nouveaux traducteurs et
ça arrive assez régulièrement.

A : D’accord et pour ceux avec lesquels vous travaillez régulièrement dans le cas ou vous devez
par exemple arrêter une série en cours parce qu’il n’y a plus assez de lecteurs, j’imagine que
des fois ça peut être un peu délicat vis-à-vis du traducteur ou est-ce qu’eux sont dans une logique
où ils comprennent ou pas forcément ?

FL : Si, enfin, ils comprennent, après c’est toujours compliqué car ils ont pris cette habitude là et
qu’ils fonctionnent au contrat donc quand ça arrive on essaye de le faire le plus tôt possible pour
qu’ils aient l’occasion de trouver de nouveau projet ou directement chez nous ou avec des confrères
mais c’est toujours dommage pour un traducteur d’arrêter une série. Maintenant il a plus intérêt de
toute façon à traduire une série qui va marcher aussi donc là-dessus il comprend. Ça fait partie de la
règle du jeu aussi finalement de savoir qu’un auteur qu’on publiait, il est plus publié. On parle des
séries mais c’est valable juste pour un auteur même sans série. Il y a des auteurs publiés une fois,
deux fois, trois fois et après c’est terminé. Bon voilà c’est un peu la réalité du marché sachant que
grosso modo en France on est plutôt et toute maison confondue plutôt dans une logique où on soutient
beaucoup les auteurs. Aux États-Unis, c’est très très rare. Ils en achètent un deuxième si le premier a
marché. En France grosso modo le second roman est quasiment toujours acheté par l’éditeur, même
si le premier n’a pas marché. Après 3 ou 4 peut être un peu moins. Mais il y a des pays ou clairement
c’est un et après c’est fini Nous on est plutôt dans un pays ou le traducteur quand il traduit le livre
d’un auteur, normalement, il sait qu’il y en aura un deuxième.

A : D’accord et ça c’est plutôt, cette différence entre États-Unis et France vous l’expliquez
comment ? Parce que vous souhaitez quand même donner une seconde chance à l’auteur ?

FL : Il y a plusieurs éléments. Un élément très pratique qui fait qu’ils arrivent plus à nous vendre de
titre d’abord alors que nous on leur en demande qu’un. Quand on a acheté deux romans, il faut bien
publier le deuxième. Après il y a un rapport à l’édition et au livre un peu différent je pense que les
États-Unis, à l’échelle de leur marché, ont une vision très américaine, capitaliste du truc, « Ça marche,
ça marche, ça ne marche pas, ça ne marche pas ». Nous on a une vision plus culturelle, et on a souvent,
et on continue grosso modo à mettre beaucoup en avant tous ces auteurs qui ont décollé au 3ème,
5ème ou 10ème roman. Culturellement en France, les éditeurs ont quand même tendance à se dire «
ce serait peut-être dommage que j’arrête la alors que le prochain va peut-être décoller ». Cet état
d’esprit là, il y a suffisamment d’exemple justement d’auteur qui parfois change de maison et d’école
ou finisse pas décoller après 3, 4 ou 5 romans dans la même édition en France ou à l’étranger des
auteurs étrangers ou français ce qui fait que culturellement la réflexion d’un éditeur français est pas
la même qu’un éditeur américain.

A : C’est intéressant. Est-ce que vous en avez aussi certains, j’imagine, certains de vos titres
qui sont achetés à l’étranger par des maisons étrangères ? Si ce n’est pas indiscret c’est un ratio
de combien sur votre catalogue ?

FL : C’est un ratio très faible parce que vendre à l’étranger c’est extrêmement compliqué. Je n’aurais
pas de ratio mais je ne sais pas, sur 10 polars publiés dans l’année, il y en a deux vendus à l’étranger
à mon avis. Pour une raison simple, dans tous les marchés, le notre aussi ceci dit, le polar c’est un
genre très puissant. Il y a beaucoup de choses qui se passent, donc la concurrence est très très rude et

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tous les marchés sont plutôt très bien lotis d’auteurs du pays, donc voilà. Ça joue beaucoup sur le
volume d’achat des étrangers.

A : Est-ce que vous pensez aussi que le fait qu’en France, les auteurs ont en moyenne moins
d'agents qu’à l’étranger par exemple ça joue aussi sur le fait qu’un livre aurait plus de mal à
être acheté à l’étranger ?

FL : Non car le travail de l’agent c’est notre responsable des droits à l’étranger qui le fait. Il présente
le manuscrit en amont, il en parle, il va aux foires, il rencontre ses interlocuteurs. Ce n’est pas un
agent en tant que tel mais ça reste une personne dont l’ambition est la même devant les droits à
l’étranger. Je ne suis pas sûr que ça joue forcément beaucoup là-dessus, je ne pense pas. Je pense que
les maisons d’édition sont équipées avec des ressources pour faire ce travail des « agents » entre
guillemet qui représente des textes très en amont. Je pense que c’est juste un marché difficile et sur
lesquels on n’a peut-être pas encore réussi, je crois qu’on en avait déjà parlé l’année dernière d’un
point de vue communication sur le label « thriller à la française ». On a eu le « suspens psychologique
à l’anglaise », les polars nordiques, les polars italien, locaux etc. Et on n’a peut-être pas forcément
aujourd’hui à l’étranger, la création d‘un « label polar à la française » qui en ferait presque un genre
à part entière sur les marchés étrangers, et qui pourrait du coup peut être générer une sorte d’appel
d’air pour aller vendre beaucoup plus de polar français à l’étranger. Aujourd’hui ils achètent polar
par polar alors qu’en France aujourd’hui, vous pouvez acheter un polar nordique, suédois vous dites
« c’est le polar nordique quoi ». Je ne crois pas qu’à l’étranger ils aient ce sentiment la quand ils
achètent un polar français comme ce n’est pas estampillé comme un genre ça peut être plus compliqué.

A : D’accord. Et sinon des questions un peu plus sur les lecteurs en général. Dans votre
catalogue, est-ce que vous avez l’impression que certains titres de polars ou thriller fonctionnent
mieux en France par rapport à l’étranger ? Vous avez déjà eu des déceptions ? J’imagine que
oui comme tous les éditeurs mais sur des titres qui ont très bien marché à l’étranger mais qui
ne prennent pas bien en France ?

FL : Oui oui, fin des déceptions on en a plein car les marchés sont très différents et puis parce qu'en
fait si vous voulez ces déceptions sont logiques. Si vous prenez le top 10 des auteurs en France, il n’y
en a pas beaucoup qui connaissent un succès à l’étranger. Si vous sortez Guillaume Musso et Valérie
Perrin, qui aujourd’hui explosent, notamment en Italie, bon. Vous n’avez pas forcément des auteurs
qui sont des stars à l’international. Ils peuvent être des stars dans certains pays. Oui on a des
déceptions mais qui sont assez logiques quand on va acheter des textes qui fonctionnent à l’étranger,
ça fonctionne dans un marché, avec des auteurs qui sont présents, parfois des stars là-bas, qui sont
animateurs de radio. Parfois ils ont un autre métier ou parfois la presse s’est emballée pour une histoire
particulière qui ne va pas forcément être reprise en France. Des déceptions on en a tout le temps.
Acheter un polar à l’étranger c’est le mettre dans un autre univers.

Voilà après est-ce qu’il y a des choses qui marchent mieux que d'autres dans le polar ? C’est assez
cyclique. Là, il y a la veine du crime qui est en train d’exploser. On a eu le polar nordique qui est un
peu en baisse mais qui a été très puissant. Après dans les sous genres, si vous prenez les meilleures
ventes en France, le thriller au sens sanguinolent du terme, quand vous voyez Minier [Bernard],
Thilliez [Franck], oui il y a une tendance à être plus fort qu’un polar un peu plus classique. Même si
vous avez un Olivier Norek qui peut être un poil plus classique, encore qu’il soit entre polar et thriller,
je pense. Lui ce qu’on appelle « polar à la française », roman noir social, typiquement, aujourd’hui
c’est peut-être moins puissant. Le thriller en tant que tel est beaucoup plus fort. Après dans les petites
niches vous avez toujours un thriller historico ésotérique entre Giacometti Raven, Roland Portiche

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une sorte de niche qui fonctionne toujours un peu, qui est un peu la fin de comète d’un Da Vinci Code.
Voilà après je pense que c’est cyclique, sortir des modes c’est assez compliqué, aujourd’hui s’il y
avait une mode ce serait le crazy crime qui est un truc que tous les éditeurs achètent à tour de bras

A : Vous avez évoqué les polars nordiques où clairement on a tous senti que ça devenait à ce
moment-là un vrai argument de vente car il y a eu un engouement des lecteurs pour les polars
nordiques. Est-ce que justement, la nationalité c’est quelque chose que vous mettez beaucoup
en avant comme argument de vente ou pas toujours ? Ou c’est surtout quand il y a, justement
comme pour les polars nordiques, un vrai engouement que là ça devient un vrai argument de
vente ?

FL : En fait, c’est toujours un argument dans le sens ou on sait qu’il y a des lectorats qui aiment bien
l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne etc. De toute façon, le mettre en avant et le dire est toujours
intéressant car les lecteurs se projettent juste en lisant une quatrième et en se disant tiens « c’est un
auteur espagnol ça m’intéresse ». C’est important de le mettre car ils se projettent plus. Après
aujourd’hui euh est ce que vraiment il y a des nationalités qui font plus vendre que d’autres ? Ça je
ne suis pas sûr, je pense que le polar nordique faisait partie de ces rares phénomènes ou la nationalité
jouait plus qu’un genre ou qu’une patte véritable. Il y avait ce côté effectivement dépaysement
nordique ou là je suis assez d’accord c’était presque un argument de dire qu’il était danois ou suédois.
Aujourd’hui je suis moins sûr qu’il y a vraiment un pays qui déclenche un acte d’achat. En revanche,
dire qu’un auteur est de tel ou tel pays c’est effectivement porteur.

A : Donc vous pensez que les personnes qui achètent des thrillers ou des polars qui viennent de
l’étranger c’est en partie aussi le lieu dans lequel se déroule l’action, comme on l’a évoqué, le
contexte social, ou historique dans lequel il se situent ? Ou est-ce que c’est juste peut-être aussi
car il y a d’autres mécaniques chez certains auteurs étrangers qu’on ne retrouve pas forcément
chez les auteurs français ?

FL : Alors ça dépend des genres. Si on prend le suspense psychologique, si vous aimez ce genre-là,
vous allez acheter des anglais ou des américains car historiquement c’est un peu une mécanique qu’ils
ont beaucoup développée et qui n’est pas forcément beaucoup reprise par d’autres pays. Vous allez
vous retrouver effectivement avec certains pays en tête.

Après je pense aussi que le lecteur de polar, je ne suis pas spécialiste des études de lecteurs, mais je
pense que globalement on l’identifie plus comme un gros lecteur. Plutôt un lecteur de poche que grand
format qui va acheter beaucoup de polar, qui va en lire beaucoup et comme un peu à chaque fois
quand vous lisez beaucoup de choses, vous saturez. Et effectivement l'idée de se dire qu’on va changer
de pays, de nationalité, de décor, ça peut être un argument pour un lecteur qui enfile déjà tous les
thrillers français et tous les suspens psycho anglais. Il se dit « je tourne un peu en rond or je suis
toujours dans une appétence et une envie de lire des polars. Qu’est-ce que je vais trouver ? Ah tiens
un polar finlandais, un polar croate, espagnole, a ben oui tiens pourquoi pas, ça peut être intéressant
». Ça, ça joue.

Après il y a un lien qui peut se faire avec l’audiovisuel. C’est à dire parfois vous pouvez avoir aussi
des veines de polar espagnol qui passent à la télé ou cinéma et les gens vont se dire « ah ben oui tient
le polar a l’espagnol ah ben là j’en ai trouvé un (ça n’a rien à voir avec les films) mais j’ai vu un film
qui est un thriller espagnol hyper bien, je me replonge dans un autre polar espagnol ».

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A : Ça peut être l’audiovisuel, une porte d’entrée, ce que les gens peuvent voir ailleurs que juste
dans le milieu de la littérature.

FL : Oui, on a sorti une auteure espagnole l’année dernière et j’ai pu apercevoir des commentaires
dans lesquels les gens disaient « comme je viens de me faire deux polars espagnols sur Netflix, ah oui
ça a l’air hyper bien j’ai envie de découvrir cet auteur ». La découverte se fait car ils ont vu des polars
espagnols sur Netflix, qu’ils ont adoré et ils se disent « ah tient le polar espagnol, ça a l’air sympa ».

A : Je crois que j’ai fait le tour des questions que je voulais vous poser. Vous voulez rajouter
quelque chose ?

FL : Non je pense qu’on a parlé de pas mal de choses assez différentes. N’hésitez pas si jamais vous
avez d’autres questions, vous me dites.

Annexe 2 : Entretien avec Camille Paulian, Directrice générale de Trames

Nidange : On peut commencer l’entretien. Alors est ce que vous pourriez me parler
rapidement de votre parcours, quelles études vous avez pu faire, peut-être les emplois
que vous avez eu précédemment qui vous ont menés vers ce métier d’agent ?

Camille Paulian : J’ai fait des études de lettres. J’ai fait une fac de lettre moderne. J’ai un, ce qu’on
appelait un DEA, donc un master de recherches. J’étais à Nanterre en master de recherche où je
travaillais sur Sade et le 18ème siècle.

N : D’accord ok. Vous faisiez ces études avec l’intention de faire ce métier ?

CP : J’ai fait ces études en pensant éventuellement faire de la recherche et enseigner et enfaite j’ai
voulu travailler dans l’édition. J’ai fait un stage au Seuil à l’époque avant de finir mon Master 2. Et
au lieu de commencer une thèse, j’ai trouvé un poste d’assistante de presse aux éditions du Seuil et
j’ai commencé à travailler en même temps que mes études.

N : Je vois plutôt bien en quoi consiste le métier d’agent mais c’est un métier peu courant en
France d’après ce que j’ai pu remarquer mais qui se développe de plus en plus. Pouvez-vous
rapidement me dire en quoi consiste votre métier ? En détail, en quoi cela consiste-t-il ? Que
faites-vous au quotidien en tant qu’agent ?

CP : En tant qu’agent on lit des manuscrits qui nous sont envoyés spontanément ou que nous adresse
des relations de relations. Nous sommes quatre chez Trames. Et à la lecture d’un manuscrit nous
décidons ou pas d’accompagner le texte ou son auteur vers une publication. Soit on refuse si le texte
ne nous séduit pas ou nous acceptons le manuscrit et nous travaillons avec l’auteur.

Nous fonctionnons par binôme au sein de l’agence. Nous sommes systématiquement deux à accepter
un texte et son auteur. Ensuite nous travaillons le texte pour arriver à une version qui nous semble
lisible auprès des éditeurs. Ont réfléchi à une maison d’édition à laquelle on pourrait proposer le texte,
si possible selon le texte entre deux et dix maisons.

Ont retravaille les textes des auteurs, quand on arrive à une version qui correspond à l’auteur et à ce
que lui voulait faire, on envoi le texte. Ensuite on attend des retours des éditeurs. Si un ou plusieurs

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des éditeurs sont intéressés, on leur demande des propositions concrètes, de manières contractuelles
qui vont de propositions financières qu’on appelle « avoir » qui est une avance sur recettes en passant
par les pourcentages sur les ventes de droits, des provisions.

Selon les contrats on peut évoquer une date de parution. On étudie les propositions, on en discute
avec l’auteur. On choisit les plus adaptés à son souhait. Evidemment ce n’est pas forcément financier.
On mène la négociation de ce contrat en accord avec l’auteur.

Après nous venons tous de l’édition [au sein de Trames], on a travaillé dans différentes maisons, en
attaché de presse ou relations libraires, on garde un petit peu en mémoire ou en travaillant comme
consultante la façon dont travaille la maison.

N : D’accord. C’est ce que j’imaginais en quoi consistait le métier d’agent. Est-ce que vous
pourriez aussi me présenter votre agence? Quel type d’auteurs est-ce que vous privilégiez pour
les représenter, comme vous m’aviez dit que vous ne faites pas beaucoup de polars ?

CP : Parmi les auteurs qu’on représente, aujourd’hui il y en a une bonne vingtaine. Quelqu’un comme
Clémentine Beauvais qui écrit de la littérature jeune adulte, ou un auteur comme Patrick Autréaux
qui écrit de la littérature. On a aussi quelques auteurs et autrices de non-fiction. On a aussi Julien
Chavanes, Diadié Dembele, Jean-Pierre Ancèle, etc.

Ce sont principalement des textes de littérature et de non-fiction. Effectivement, je ne pourrais pas


citer d’auteur de polar chez nous.

N : Je vais vous demander votre avis sur le secteur lui-même puisque vous avez travaillé dedans
et que vous avez fait vos études en littérature et dans le secteur de la littérature. Je me
demandais ce que vous en pensiez vous-même. Pensez vous que l’idée d’un polar européen a du
sens ?

CP : Franchement je ne pourrais pas vous dire. Je ne connais pas assez le milieu du polar pour
répondre à cette question. Je dirais oui mais je n’aurais pas tellement d’arguments.

Nous par exemple on travaille avec une maison de polar coréen, on n’est pas agent de la maison mais
de l’auteur. La première réception quand vous dites que c’est du polar coréen, il y a un story telling
qui est simple. Après je trouve que c’est aussi très enfermant de dire « polar coréen », « européen »,
« Anglo-saxon », ou encore « polar nordique ». Au bout d’un moment c’est plus tant les auteurs qu’on
lit mais une espèce de géographie littéraires qui s’essouffle forcément un peu.

Je sais que nous on a eu plusieurs papiers [dans la presse] ou quelques tournées sur l’idée du polar
coréen. Mais le problème une fois que vous l’avez fait une fois ce n’est pas déclinable à l’infini. Vous
ne pouvez pas refaire auprès de la presse « ben tien on va refaire un papier sur les reines du roman
coréen ». Des fois les journalistes, surtout les journalistes qui l’ont fait une fois, ils le refont plus.
C’est l’expérience que j’ai avec le polar coréen.

N : Et il vous arrive avec vos auteurs de négocier des droits à l’étranger ?

CP : À l’étranger ? Ah oui bien sûr. Violaine Faucon, qui est la responsable des ouvrages chez Trames,
en plus d’être agent, chaque année elle vend des livres à l’étranger.

N : C’est un métier spécifique la cession de ses droits au sein de votre agence ?

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CP : Non, elle a une formation hypokhâgne, khâgne, des études de lettres. Après, elle a fait une
formation d'édition. Elle était plutôt éditrice au départ et la vie a fait qu’elle s’est retrouvée
gestionnaire de droit. Elle a appris sur le tas, elle s’est formée en partie juridiquement. Après pour
des choses très complexes au niveau de la propriété intellectuelle, il y a des chargés juridiques dans
les maisons. Elle n’avait pas spécifiquement une formation pour être gestionnaire de droit et je pense
que peu de gens l’on a ma connaissance. Mais par contre elle mène des négociations, il y a des pays
où elle connaît les goûts, les habitudes de négociation etc.

N : C’est à la demande des auteurs ou c’est vous qui recommandez ces négociations ? Ou les
pays dans lesquels vous allez négocier ?

CP : Ça ce sont les éditeurs, c’est les maisons d’éditions qui décident de vendre, et les auteurs bien
entendu. Je veux dire le départ pour nous c’est toujours la maison d’édition, même si on n’est pas
agent d’éditeur. Une maison d’édition est propriétaire de l’œuvre. C’est une spécificité française c’est
la maison d’édition qui est propriétaire de l’œuvre.

N : D’accord donc vous travaillez vraiment avec eux. Les relations entre agences et maison
d’édition c’est un travail conjoint pour publier les œuvres.

CP : Dans notre cas oui. Violaine Faucon en l’occurrence c’est elle qui s’occupe des droits. Des droits
des éditions de l’Oliver, de la Manufacture des livres et j’en oublie sûrement. C’est elle qui est
mandatée pour négocier les droits des livres.

N : J’ai une dernière question à vous poser. Si ça ne vous dérange pas. Je pensais que le métier
d’agent existait uniquement aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Est-ce que vous pensez que
les auteurs, les maisons d’éditions se tournent de plus en plus vers les agents littéraires ? Est-ce
un métier qui se développe en France ?

CP : Oui indéniablement.

N : Vous pensez qu’il y a de plus en plus d’agences littéraires ? Ce sont les auteurs qui se
tournent plus vers vous ?

CP : Les deux. De plus en plus d’auteurs cherchent à se faire représenter et de plus en plus de maisons
font appel aux gestionnaires de droits.

N : Merci beaucoup.

Annexe 3 : Entretien avec Valérie Miguel-Kraak, agence littéraire HYPHEN

Nolwenn : Merci beaucoup de m'accorder cet entretien. Je vais vous rappeler un peu ce que je
vous ai dit par mail. On fait une recherche sur la diffusion du polar dans le cadre de notre
master. Donc en gros on a fait une base de données sur le polar sur un logiciel où on a extrait
les données de livres qui ont été traduits pour voir les logiques de traduction, essayer de voir
s’il y avait plutôt une logique européenne. Parce que c’est ça surtout qui nous intéresse. Donc
on essaye de comprendre les logiques de traduction, pourquoi un livre va être plus traduit dans

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une autre langue, dans une certaine langue plutôt qu’une autre. Pour ça, on interroge des
traducteurs, des agents littéraires et des maisons d’édition.

Valérie Miguel-Kraak : D’accord, donc des auteurs francophones traduits à l’étranger ?

N : Ouais c’est ça !

VMK : D’accord. Et sur une base sur Electre vous êtes allés Edistats, Electre ?

N : Non on a fait ça sur Excel et ensuite on a fait extraire par des chercheurs les données mais
les données on les a cherché sur… J’ai oublié le nom du logiciel. C’est un logiciel qui rassemble
tous les livres et toutes les traductions qui ont été faites.

VMK : Normalement c’est Electre, ça appartient à Livres Hebdo c’est la même chose.

N : Non ce n’est pas ce truc là je suis sûre.

VMK : Ça recense tous les ISBN, vous allez vraiment avoir toute la liste avec les ISBN qui sont parus
quoi.

N : Après c’est pas que francophone ce qu’on fait aussi. Parce qu’on cherche aussi d’autres
auteurs européens qui ont pu être traduits en français. C’est dans les deux sens.

VMK : D’accord, c’est dans les deux sens. Ah oui c’est très vaste comme sujet.

N : Ouais, ouais.

VMK : D’accord. Alors moi je représente que des auteurs francophones, c’est pour ça que je vous ai
précisé ça. Euh… Au départ je devais représenter Canada francophone, Belgique francophone et
France et finalement j’ai réduit à Belgique et France parce que c’est très compliqué le marché
québécois. Euh… Eux ils ont une proximité on va dire avec l’Amérique du nord pour les traductions
en théorie, et c’est vrai que ça peut faciliter. Mais après il y a aussi un marché spécifique, je sais pas
si vous avez abordé ce sujet. En fait, vous parlez de diffusion, un auteur québécois, il peut être diffusé
en France sans avoir de maison d’édition. Donc ça veut dire qu’on peut le rendre disponible sans qu’il
ait de maison d’édition, il a sa maison d’édition au Québec. Mais du coup il n’aura pas de promotion,
pas d’office, pas de, de, d’attaché de presse et inversement. Et on peut spliter les droits même
francophones. Ce n’est pas considéré comme une traduction mais vous pouvez garder un territoire et
vendre les droits francophones à un autre territoire, à une maison d’édition, pour justement pas qu’il
soit simplement diffusé mais qu’il soit édité, parfois adapté avec des québécismes et diffusés par les
forces de ventes sur place. Voilà donc ça c’est pas de la traduction mais c’est aussi une vente, une
cession francophone. Il y a des sous-segments en francophonie. C’est peut-être un peu spécifique ce
que je vous dis mais ça peut vous intéresser.

N : Ouais c’est intéressant.

VMK : Voilà, parce que c’est aussi… C’est pas une langue mais c’est une sous-langue je sais pas
comment dire.

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N : C’est un dialecte un peu...

VMK : Voilà ! Donc moi j’ai arrêté ça parce que c’était très compliqué parce qu’en général les éditeurs
français ils veulent avoir tous les droits. Vous voyez bien ce dont je veux parler… Donc en général
un éditeur français il voudrait que l’auteur ne soit pas du tout édité au Québec, avoir les droits, puis
vendre au Québec et vendre ailleurs, et c’est pas possible, souvent c’est très compliqué. Ou de garder
les droits que pour vendre au Québec, et les éditeurs français préfèrent les garder.
Donc du coup j’ai des auteurs belges et français, et donc vous c’est le polar donc moi dans mon
catalogue j’en ai, j’ai commencé avec 15 auteurs. J’ai travaillé 15 ans chez Editis Vivendi. Donc chez
Pocket, donc j’étais la directrice éditoriale et chez Fleuve éditions, idem j’étais la directrice éditoriale
et chez manga Kurokawa. Donc il y avait pas mal de polars, notamment chez Fleuve, anciennement
Fleuve noir. J’ai gardé des auteurs dont j’étais l’éditrice et donc actuellement j’ai gardé la moitié de
mon catalogue initial de mon agence que j’ai lancé il y a 3 ans. Donc j’ai plus que 7 auteurs. Or, c’est
volontaire parce que je veux pas grossir, je veux rester à mon échelle. Et sinon c’est une logique que
j’ai trop connu dans les grands groupes, où on a beaucoup beaucoup d’auteurs et je veux pouvoir
m’en occuper. Et à chaque auteur, c’est tellement d’effort, de travail pour un roman, c’est pas juste,
la vente en librairie qui est importante mais c’est tout ce qui va se passer autour. La traduction en fait
partie, mais y’a pas que ça y’a les adaptations BD, adaptations théâtre, adaptations en livres audio.
Y’a beaucoup maintenant de droits dérivés. Avant c’est vrai que le droit dérivé “Roi” j’allais dire,
c’était la traduction, maintenant y’a plus d’à côtés, qui peuvent être intéressants pour accroître la
notoriété.
Alors je sais pas quelles sont vos questions par rapport à la traduction, vous faites des statistiques ?
Les critères ? La façon dont on prospecte c’est, c’est quoi que vous souhaiteriez savoir ?

N : Euh… Bah déjà j’aurais bien aimé que vous me rappeliez votre parcours, parce que du coup
vous m’avez dit que vous avez fait dans les éditions Vivendi, Fleuve éditions, vous avez fait quoi
comme études. D’abord avoir un retour sur votre parcours et après des questions plus
spécifiques.

VMK : Mon parcours, très bien. Alors, euh… j’ai fait des études de lettres, littérature comparée, je
voulais être prof donc je suis allée jusqu’à l’IUFM pour faire le CAPES. Je me suis rendue compte
avec les stages que ça me plaisait pas du tout et que ce que j’aimais c’était la littérature c’était pas
enseigner (rires). Donc je suis partie en Irlande, deux ans, donc j’ai fait un master, un équivalent DE1
Géopolitique européenne pour travailler dans les institutions type OTAN, Union européenne etc.
Euh… j’ai bossé un an en Irlande dans cette sphère là, pour l’espace schengen, le consulat, rien à voir
avec l’édition. Et pour m'apercevoir que vraiment ça me plaisait pas. C’était vraiment la littérature
qui me plaisait. Et à l’époque j’étais revenue en France, y’avait une copine qui travaillait en marketing
de Dargaud et elle m’a dit “mais Valérie tu devrais travailler dans l’édition” et elle m’avait organisé
un, une interview avec Philippe Ostermann et Guy Vidal qui codirigeaient à l’époque Dargaud donc
j’étais allée voir Média Participation dans le nord de Paris. A l’issue de l’entretien comme j’avais une
expérience professionnelle je m’étais dit “c’est vraiment ça que je veux faire”. Je me suis rendue
compte que voilà c’était pas idéalisé, il y a une partie vraiment… on va dire de… administrative de…
aussi très lourde quand on est éditeur il ne faut pas occulter pour le côté que “paillettes” et je me suis
dit “bon là je vois à peu près, que ça pourrait correspondre à… à ce que j’aimerais faire. Donc j’ai
fait un master en management d’édition à l’ESCP. J’ai postulé puis j’ai été prise. Et à l’issue du master
j’ai fait mon, mon stage chez Solar qui était chez Vivendi, dans la section beaux livres. Puisque
comme j’avais fait l’interview en BD moi je voulais travailler au départ dans le beaux livres. Euh…
Et puis bien sûr, bon, à l’époque l’univers de la BD était très masculin, très phallocratique euh…

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c’était pas du tout aussi ouvert. Donc c’était pour une fille, sans réseau et tout c’était quasiment
impossible de travailler dans la BD. Donc j’ai eu une porte d’entrée avec le, du beaux livres et du
livre illustré chez Solar, j’ai adoré. C’était, j’ai fait des co-éditions avec Géo, des beaux livres sur le
flamenco puisque j’ai fait aussi mon mémoire de littérature comparée sur le flamenco, donc c’était en
relation avec mes études de lettres. Et puis après, souvent dans l’édition, on commence avec des
remplacements de congés maternité, parce que y’a beaucoup de femmes (rires). Et donc j’avais le
choix entre deux congés maternité, un congé marternité aux Presses de la cité qui était dirigé à
l’époque par Debobar (???) Donc de grand format, plutôt du polar, Elizabeth George, de la science
fiction et puis des grands romans avec Danielle Steel etc. OU toujours chez Vivendi, un congé
maternité chez Univers Poche chez Pocket. Et en fait j’ai choisi Pocket en me disant, bon c’est à durée
égale, c’est un CDD, mais je verrai plus de choses avec Pocket puisque c’est un éditeur généraliste,
que dans le grand format. Et en fait j’y suis restée, j’y suis restée très longtemps. Je suis restée 12 ans.
J’ai fait tous les postes chez… J’ai commencé assistante éditoriale, j’ai fini directrice éditoriale.
Hum… Donc c’est une formidable école parce qu’on travaille avec tous les éditeurs puisque ce c’est
des cessions de droits aussi bien dans le groupe, hors groupe ou les éditeurs indépendants. Euh… ça
apprend à aimer et même de la littérature vers laquelle on est attirés. Ça m’a notamment euh… appris
à aimer le thriller. Moi j’étais beaucoup plus polars et j’ai appris les différences et j’ai appris à
vraiment aimer le thriller. D’autant que Pocket à l’époque euh… avait deux collections qu’il a après
fusionné et qui a été longtemps leader sur le marché du polar donc c’était vraiment un segment très
très actif. Hum et puis après j’ai basculé en double direction éditoriale, ce qui peut paraître un grand
écart mais historiquement c’était lié, donc Fleuve éditions qui venait de changer de nom. C’était plus
Fleuve noir et Kurokawa, qui veut dire « fleuve noir » en japonais. C’est pour ça qu’ils sont liés. Au
départ, la direction était double, c’est toujours resté comme ça.

Et là [Fleuve Editions] c’était complètement autre chose puisque là on était dans du grand format avec
une maison qui a changé de positionnement, qui était vraiment un éditeur de genre noir, de
novellisation du genre Buffy Chasseuse de vampires, etc., des choses qui ne sont plus du tout à la
mode aujourd’hui, éditeur historique de Frédéric Dard et qui s’ouvrait, qui avait eu un super succès
avec Le Diable s’habille en Prada, un roman de genre féminin qui n’a rien à voir avec son image de
polar, et qui venait aussi d’avoir un très grand succès avec Gilles Legardinier et Demain j’arrête, le
« feel good » avant l’heure en littérature française.

Donc à ce moment-là, la maison changeait d’image avec les libraires qui avait l’ancienne image du
Fleuve Noir très ancrée avec souvent des polars engagés, type séries noirs maintenant. Et il y a eu
toute une vague de départs d’auteurs, de perte de fonds qui sont partis chez d’autres maisons pour un
positionnement plus thrillers, plus contemporain, la tête de file maintenant c’est Franck Thilliez. Et
des ponts logiques avec Le Poche, avec Pocket qui fait partie de la même maison, c’est le même
groupe. Et puis, au bout de 15 ans de tout ça, j’avais envie d’autre chose. C’est ce que je vous disais.
C’est-à-dire de ne plus avoir, pour Pocket, je crois que c’était 460 titres par an et puis pour Fleuve
c’était entre 60 et 90 à rajouter. Bref, des masses ! Je voulais être dans l’artisanat, je ne voulais plus
du tout être dans le grand capital et l’industrie parce qu’il y a une rapport humain qui était perdu. Et
surtout [perte d’] un rapport au temps, c'est-à-dire de pouvoir construire un auteur, la traduction en
fait partie, c’est-à-dire un auteur on croit en son potentiel mais on ne va pas avoir un retour sur
investissement dans l’année ou dans les deux ans. Ça, ça n’arrive quasiment plus. Il faut donner le
temps à cet auteur de pousser, et il vaut mieux être maître du temps. Je l’ai trouvé ça, en étant
indépendante.

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N : D’accord ! Maintenant que vous êtes agent littéraire, est-ce que vous pouvez me décrire
votre métier ? J’ai l’impression que c’est pas trop développé encore en France.

VMK : Ça commence à l’être là. Le pense que j’étais dans la première vague. En général, les agents
qu’il y avait en France, c’était des sous-agents, des sub-agents, par exemple Michel Lapautre ou
d’autres, c’était des agents qui représentent d’autres agents basés aux USA ou en Angleterre, là où
c’est très répandu. On peut dire que c’était des référents français mais qui n’avaient pas les droits
premiers, c’étaient des intermédiaires.

Après, les seuls qui étaient vraiment des précurseurs, c’était Pierre Astier et sa femme, qui eux sont
vraiment des agents. C’est d’anciens éditeurs. Ils ont été très peu éditeurs et beaucoup plus agents,
moi c’était l’inverse, j’étais beaucoup plus éditrice qu’agente. Et eux, ils ont développé un catalogue
francophone, ils ont été parmi les premiers. Mais aussi, ils représentent, pour les droits étrangers, des
petites maisons indépendantes qui n’ont pas les sous pour avoir un service de droits dérivés. Ils font
ce service-là. Donc ils ont un catalogue dont ils n’ont pas tous les droits, ils ont les droits dérivés. Par
exemple, Paul Collice que je représente, il a été publié à la Manufacture de Livres, Pierre Fourniau,
petite structure qui avait délégué les droits étrangers et droits audiovisuels à Pierre Astier, et quand
Paul Collice est venu chez Fleuve il a continué à garder une partie de ses droits, même si Fleuve avait
un service de droit dérivés, c’était ces agents qui continuaient à le représenter parce qu’ils avaient
toute sa backlist.

Moi, mon parti-pris c’est de ne pas représenter des éditeurs, c’est vraiment d’être un agent d’auteurs.
C’est un positionnement fort, ça veut dire que je n’ai pas d’ambiguïté sur qui est mon employeur, ce
ne sont plus les éditeurs qui me payent, c’est l’auteur. Ça c’est une révolution culturelle en France.
Ce que vous disiez, [le métier d’agent] c’est pas trop répandu en France, parce que pendant longtemps,
l’agent littéraire n’était pas compris ou c’était un intermédiaire inutile ou au mieux comme un agent
immobilier qui prenait une commission un peu injustifiée. Il n’ y avait pas vraiment de
compréhension. A l’heure actuelle, j’ai pas vérifié récemment, mais il n’y a pas de fiche métier pour
l’agent littéraire par exemple, il y en a pour le libraire, il y en a pour l’éditeur. Et moi, ce qui m’a plu,
c’est cette liberté-là, en fait tu fais le poste. Ma fiche de poste, c’est moi qui la fait.

Et l’idée d’agent, c’est pas moi qui l’ai eu en premier, c’est les auteurs. Je pense que ça correspond
aussi à une demande. C’est l’auteur qui choisit l’agent.

Donc quand je suis partie de Fleuve et de Kurokawa, je ne suis pas partie pour quelque chose. Je suis
partie parce que j’étais arrivée au bout d’un cycle et j’avais besoin de réfléchir pour savoir quel serait
le nouveau cycle que je voulais faire. Et certains des auteurs avec lesquels j’étais encore en lien m’ont
dit « éditrice ou agent, on te suis ». C’est eux qui ont mis les deux termes dans la phrase. Et puis j’ai
eu pas mal de contact avec des agents qui m’ont proposé de travailler avec eux, des maisons
d’éditions, directrices de production ou des postes de salariés. Et en fait, j’ai suivi une formation
d’auto-entrepreneur, c’est en rencontrant d’autres personnes et en parlant avec mon référent que je
me suis dite qu’en fait ce que j’ai envie d’essayer, c’est d’être à mon compte toute seule, pas de
m’associer non plus avec un agent. Mes erreurs seront mes erreurs, mes succès seront mes succès.
D’essayer ça.

Là où c’est aussi intéressant, c’est que moi je considère (alors ça c’est mon ancienne casquette
d’éditrice) que le travail sur le texte est très important et que (là c’est plutôt le positionnement anglo-
saxon, on dit agent/ publisher) c’est l’agent qui va travailler le texte avec son auteur parce qu’il va
orienter un positionnement, il va orienter un contenu et puis après le donne à l’éditeur. Et l’éditeur va

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avoir de l’editing mais pas beaucoup, je dirais que l'agent fait 80% de l’editing et il laisse entre 20 et
10% à l’éditeur pour qu’il ait une relation avec l’auteur. Et donc il a une position où il peut orienter
le texte, c’est donc un référent de qualité par rapport au texte et s’il y a des mouvements dans les
maisons, il n’ y a pas de perte de qualité du texte puisque le travail sur le texte est externalisé. On
perd un référent interne mais le cœur, ce qui touche l’auteur, la mémoire externe est entière puisque
c’est l’agent. C’était ça mon positionnement.

Et sachant du coup que ça prend beaucoup de temps de travailler les textes, quand on a une petite
maison, on a environ 10 ou 12 titres par an, 7 auteurs dont Agnès Ledig qui est un énorme auteur, à
mon échelle, je ne peux pas faire plus parce que je travaille tous les textes. Du coup, j’ai cherché un
co-agent pour faire les droits dérivés, ce que vous décrivez, le traductions ; je me suis dite que ça, j’ai
fait des foires, etc. sans vendre directement mais en étroite relation avec les services de droits dérivés.
C’est un autre réseau, c’est très chronophage, il faut voyager tout le temps (avec le Covid, c’est
différent maintenant). Mais je n’avais pas envie de ça, je voulais vraiment me consacrer au texte et à
ce que je vous ai décrit en début d’entretien, à savoir, toutes les formes de droits dérivés qui sont
souvent négligés dans les contrats d’éditions mais qui sont là et sont une source de revenu pour
l’auteur (audiovisuel, théâtre, etc.), ou à organiser des conférences payées ou des dîners littéraires, les
mises en relation qui font partie de la promotion au service du texte, ça nourrit, c’est vertueux.

Donc au départ, j’ai travaillé avec Sharon Guérin qui est basée à Bruxelles, donc elle, elle ne
représente que des auteurs anglo-saxons australiens. J’avais des auteurs belges. Étant basée à
Bruxelles, elle voulait ouvrir une prospection du Français vers l’étranger. On a arrêté notre
collaboration en début d’année parce que ce n’était pas du tout le même réseau, on n’a pas obtenu de
résultats.

Là j’ai changé, je suis avec Marleen Seegers de 2 Seas Agency, une hollandaise basée en Californie
qui elle travaille à la fois avec des petites structures, des éditeurs indépendant type Guillaume Allaris,
ou des personnes comme moi, c’est-à-dire des agents qui ont des petits catalogues quali qu’elle peut
représenter. Je travaille en collaboration avec elle, c’est-à-dire, je vais lui fournir le synopsis, tous les
éléments passés de prospection, l’historique par rapport à tel et tel auteur qui a été publié dans tel
pays, à tel échéance, s’il y a eu un suivi ou pas. C’est moi qui doit lui fournir les extraits traduits, on
n’en voit pas tout le temps des extraits traduits, ça dépend du potentiel, de la complexité, il n’ y a pas
mal de maisons qui lisent le Français, surtout en polar, donc ils peuvent avoir des rapports de lecture.
Mais c’est pas moi qui me déplace, c’est elle qui représente les auteurs de l’agence. Et c’est pareil, en
tant qu’agent, quand je négocie les droits d’un auteur, je fait du cas par cas, c’est pour ça que j’en ai
peu. Si la maison d’édition pense qu’elle est en capacité de bien défendre l’auteur à l’étranger et qu’il
y a un package bah on leur laisse les droits. Si par contre on sent qu’il y a une petite fragilité et c’est
pas leur heu..; leurs atouts principaux on garde les droits. Je je fais à la carte. C’est à dire qu’on va
donner les droits pour le sol français, le club, le poche, le théâtre ou j’en sais rien mais on garde les
droits à l’étranger et les droits audiovisuels. Donc moi j’ai plein de cas de figure et aucun n’est le
même dans mon catalogue. Je fais vraiment à la carte.

N : D’accord et du coup comment vous négociez les droits de… de traduction, est ce qu’il y a
des stratégies spécifiques, des éléments que vous mettez en avant ?...

VMK : Alors heu oui, bon y a deux foires Francfort et Londres, majeures pour la littérature générale,
je parle pas de la jeunesse parce que c’est différent. Il faut voir le potentiel heu… de l’auteur. Si c’est
un primo romancier, s’il a déjà été traduit, la parution en France si elle est avant / après les dites foires

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parce que si c’est après ça veut dire que les éditeurs vont avoir du mal à s’engager, sans chiffres de
ventes, à l’aveugle. Avant ça pouvait être le cas, on pouvait créer un buzz à l’étranger, y a des carrières
qui sont fait comme ça comme Grégoire Delacourt où y a eu un buzz et des préventes avant qu’il soit
vendu en France et ça a décollé, ou comme le Fakir à la dilettante c’est exactement pareil c’est des
buzz avant parution et avec des cessions étrangères qui ont fait décoller les livres mais c’est de plus
en plus rare avec la crise, avec pleins de choses. Y a les budgets pour les traductions qui se réduisent,
et heu y a de plus en plus d'assurances à avoir, tout le plan marketing, le plan promo, tous les articles
de presse, les chiffres de ventes… donc il faut que le livre soit paru. Par exemple là avec Marline j’ai
un auteur dont le roman va paraître au mois de Janvier, et la question c’était est ce qu’on le met sur
le catalogue de Francfort ou on attend celui de Londres. On a décidé d’attendre parce que c’était trop
tôt. Certes il a eu des traductions, heu mais tous les éditeurs n’ont pas suivi donc ça s’est un peu étiolé
donc y a une frilosité, on pense donc il vaut mieux avoir une assurance de sortie, avec des chiffres,
des bonnes mises en place et des articles de presse pour pouvoir re prospecter pour cet auteur. Voilà,
ce sont des stratégies au cas par cas. En fonction des saisonnalités, de l’historique des auteurs fin
voilà.

N : Ok ! Et du coup vous m’avez dit que vous avez sept auteurs, y en a combien qui font du
polar dans ces sept auteurs ?

VMK : Alors j’en ai trois et potentiellement un quatrième qui va passer l’année prochaine de la
littérature à une incursion dans le polar l’année prochaine. Hum… J’ai deux belges et un français. J’ai
Alain Lallemand, qui est grand reporter au Soir et un ancien reporter de guerre. Il est chez Lattès et
au Livre de poche. J’ai Paul Colize qui est publié maintenant chez Hervé Chopin éditions, un éditeur
bordelais indépendant qui est chez Folio. Hum… et j’ai Christian Carayon qui était chez Fleuve et
qui est lui aussi maintenant chez Hervé Chopin éditions et qui est chez Pocket, en poche. Alors, Alain
il a jamais eu de traduction à l’étranger parce que c’est un auteur qui était précédemment publié par
Luce Wilquin et qui vient d’un Zulma mais belge, donc maison hyper haut de gamme mais qui n’avait
pas de service de droits étrangers qui n’avait jamais travaillé justement ses romans à l’étranger. Ou
qui avait essayé et qui avait été tellement effaré de voir la grosse machine à Francfort qui s’était dit
c’est pas pour moi je préfère me concentrer sur les textes etc. Donc lui il a pas eu de traduction, il est
paru, hélas pour lui pour la première fois en France une semaine avant le premier confinement du
covid (rires) donc autant dire que la première expérience française a été assez violente.
Paul, lui, Colize, belge, a eu différentes traductions à l’étranger, dont le fameux graal : la traduction
en langue anglaise. Et dans des maisons prestigieuses. Humm… et Christian il a eu aussi plusieurs
publications mais pas en langue anglaise, il a eu des préventes, ça c’est à souligner, heu quand il est
paru chez Fleuve, il a eu des offres de traduction en Allemagne et Hollande avant la publication
française. Ce que je vous disais. Des préventes, en blind ‘fin juste en ayant le livre sans savoir les
chiffres de ventes sur le potentiel à long terme. Là moi pour avoir parlé avec des collègues récemment,
c’est devenu quasiment… une denrée rare. Donc lui il a été publié par plusieurs maisons d’éditions
mais c’est pas tout d’avoir le contrat, il faut ensuite toucher les sous parce que y a certains pays qui
donnent jamais les avances ou sont des mauvais payeurs, (que je ne citerai pas) ou alors il y a des
pays qui disent “oui oui on adore” et puis c’est comme en France en fait, y a un éditeur qui a pris ce
livre puis en fait, il part de la maison d’édition puis y a son successeur qui arrive qui est bien embêté
parce que soit il adhère pas, soit il veut mettre sa marque et son empreinte sur la maison et donc ne
pas vouloir entendre parler des romans, aussi bon soit-il de ces prédécesseurs et qui vont pas honorer
la publication. Ça arrive. Y a un pourcentage non négligeable de… ou des délais de publications parce
que comme c’est un roman étranger il peut y avoir des actualités dans tel ou tel pays qui prennent une
place de programmation et des fois on peut avoir des des, des publications qui durent… qui trainent

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et qui sont pas publiés avant deux, trois, quatre ans alors que … le contrat a été signé. Voilà c’est un
timing qui est vraiment très différent.

N : D’accord, et du coup vous avez une idée de pourquoi ça a été traduit, pourquoi l’Allemagne
et la Hollande ? C’est par rapport à des thèmes dans son écriture ou heu ….?

VMK : Alors oui heu…. Je pense… par rapport à… c’était.. Dans la veine qui a été porté haut par
Franck Bouysse du rural noir avant que il y ai cette étiquette et Christian Cavayo est de cet mouvance.
Donc je pense que du coup c’était nouveau, pour le genre, parce que c’était classé en thriller mais
c’est pas que ça du tout, c’est plus que ça , c’est sociétal, c’est ancré dans un terroir etc, et heu y’avait
beaucoup, c’était hautement adaptable en série, y’avait un côté très addictif à l’écriture donc ça
matchait l’ère du temps. Et y avait une topique un peu “top of the lake”, une série qui avait bien
cartonnée qui a mon avis pouvait trouver écho dans plusieurs pays européens, parce que c’est une
série qui a tourné aussi. Donc à la fois exotique et à la fois rassurant. J’pense que c’est ça qui a plu.

N : Et vous m’avez dit que vous aviez un autre auteur qui a été traduit dans différentes langues,
quelles langues du coup ?

VMK : C’est Paul Colize.

N : Oui c’est ça, vous m’avez dit anglais mais pas que…

VMK : Ouais heu y a eu polonais, y a dû avoir Estonie. Des pays de l’est après il a eu. Je me demande
si il a pas eu l’Italie aussi. Heu… et lui comment… pourquoi… bah parce que ça avait été des très
beaux heu… succès en France de critique et bouche à oreille. C’est aussi du polar haut de gamme
donc il avait eu pas mal de prix. Donc je pense que ça aide pour la… pour rassurer les lecteurs. Avoir
des prix… Après y a prix et prix hein. Après les éditeurs connaissant les prix, ça les rassure, et
puis si ils savent que y a suffisamment de notoriété ils peuvent faire un bandeau, peuvent buzzer
mettre sur la couverture…

N : D’accord. Et du coup vous pensez que pays de l’est c’est seulement parce que les prix...

V : C’est par rapport aux thématiques ! Heu… parce qu'une partie de l’intrigue du roman en question
se passait en Pologne. Donc je pense que y avait un intérêt par rapport à l’histoire du pays.

N : Est-ce que c’est quelque chose que vous mettez en avant quand vous essayez de proposer
des droits à l’étranger ?

VMK : Ah oui. Ah oui oui ! Justement ! Quand ça se passe justement, moi justement j’essaie, tant
que faire se peut, (après y a des auteurs qui sont pas open à ça je les comprend), mais que par exemple
se soit pas que belgo belge ou franco français ou que ce soit trop typé parce que sinon c’est pas
exportable. Après heu… oui c’est des arguments qu’on met en avant. Mais par exemple Alain
Lallemand c’était très international. Bon après y a eu le covid, L'homme qui dépeuplait les collines.
Ca se passait heu en Europe, avec des participations à Paris, Afrique, en Belgique, en Russie mais ça
n’a pas trouvé ces chiffres de vente, je pense que c’est pas la thématique mais le timing je pense qu'il
aurait eu une carrière normale et puis une promo normale, en plus il a un très beau réseau
journalistique. Bah il aurait sans doute eu un beau réseau mais là tout le monde était frileux.

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N : Donc quand vous revoyez ce que font les auteurs vous regardez si ça peut être exportable à
l’étranger en orientant pour….

VMK : Bah disons que si ils ont beaucoup d’attente ça me permet de soit les tempérer dans
leurs attentes en leur disant bon je pense que ça va être peut être un peu compliqué, pour tel ou tel
raison ou alors on peut dire ah y a une belle accroche on va essayer de… de bien travailler ce pays-
là. En amont quoi. Être très pédagogue pour expliquer. Sans garantie de résultat mais au moins
voilà en orientate de manière argumentée.

N : Et comment ont choisi quel pays on va demander des droits de, enfin pour traduire à,
l’étranger ?

VMK : Je pense c’est plutôt, comme en France un peu, quand on voit un auteur, quand on est éditeur,
on voit dans quelle maison il serait bien, le compagnonnage par rapport au genre. Le positionnement,
plus polar, polar social, polar polyphonique, thriller, thriller sociétal, etc. Ça ne va pas être les mêmes
maisons d'édition. Et ceux qui font, qui sont spécialisés dans les droits étrangers, c’est leur job
justement quand ils lisent un livre de matcher de se dire « ah tiens ça va peut-être intéresser tel éditeur
et donc tel pays ». Ils connaissent très bien les maisons et les positionnements.

On commence toujours par cibler et puis si ça ne mord pas, on arrose plus largement. Mais il vaut
mieux faire des envois ciblés à des maisons car on connaît l’éditeur, la ligne éditoriale. On se dit « ça
c’est pour toi » plutôt que d’arroser, ça ne sert à rien. Et puis c’est pour ça que des fois c’est important
de voir les personnes, de leur parler, d’avoir le contact pour dire ça « ça c’est un enjeu pour cette
maison ». Je pense que dans le cas de Christian Cavaillon pour ???, c’est un énorme enjeu pour Fleuve
car ça représentait le renouveau du catalogue. Et donc c’est un argument auprès des éditeurs « tiens
il y a des maisons comme Fleuves qui a pignon sur rue, qui mise sur cet auteur, donc je prête une
oreille attentive ». Voilà.

N : Ok. Et du coup est ce que vous avez des contacts avec des traducteurs qui vont peut-être
faciliter, en proposant des auteurs, des textes qui vont publier ?

VMK : Alors j’avais ça quand j’étais éditrice, depuis que je suis agente, je fais plus. Mais j’avais
selon les traducteurs, surtout en m’informant comme on travaille avec eux. Ils proposaient des textes
ou bien ils se disaient « j’ai repéré tel texte si tu le prends, moi je suis intéressé ». Après les contacts
ce sont plutôt les auteurs pour des adaptations, des questions d’idées d’adaptations, de sensibilité. Ou
vous poser des questions aux auteurs pour être dans le juste et dans le vrai. Mais moi je ne me sers
pas d’un réseau de traducteurs pour travailler.

VMK : D’accord. Par rapport à la traduction, du polar notamment, est-ce qu’il y a des pays qui
reviennent souvent ? Vous m’avez parlé des pays de l’Est.

N : Qui sont friands ? Alors là faudrait, là ça va être plus les spécialistes vraiment des traductions.
Moi je n’ai pas choisi de me spécialiser là-dedans. A une période, il y avait les fameux pays
scandinaves, on parlait de polars scandinaves. Ils ont cherché à contrario pas mal de polars français
car c’est une source d’inspiration.

Il y a pas mal de traductions dans les pays de l’Est, qui sont assez demandeurs. Traditionnellement, il
y a des pays, on va dire frère ou voisin, ça va être l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne. Par rapport aux
thématiques, c’est souvent vrai pour le roman historique avec l’Allemagne. Mais le marché espagnol

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a vraiment souffert au niveau du livre, du coup il y a beaucoup moins de traductions. Je pense qu’il y
a des affinités culturelles mais aussi des facteurs économiques qui jouent très très fort.

Et des fois des maisons ou on coupe les budgets car ça coûte plus cher de faire traduire que de faire
du « made in » Allemagne ou autre chose. Ce qui arrive aussi en France, on coupe un peu les cases
littératures étrangères c’est pour des questions de coûts en général. Il faut rajouter le coût de
traduction. Par contre ce qu’on peut faire, je sais que pour certains auteurs, un des arguments avancés
pour arrêter ou pour suivre les traductions des pays concernés, c’était la longueur, le calibrage des
titres. Un thriller en général c’est assez gros, les polars ça peut être plus ramassés, mais, on pouvait
négocier, par un contrat d’édition faut aussi expliquer aussi à l’auteur, de proposer des coupes, ça
peut aller jusqu’à 25% du corpus pour réduire le nombre de signe pour que ça coute moins cher à la
traduction. Et ça on a déjà fait. Quand ça bloquait ou pour relance pour certains pays, se dire « est ce
qu’on travaille une version allégée et si on coupe 25% du texte vous prenez » et souvent ça peut
débloquer car c’est une question de coups enfaite. Traduire ça peut être très très cher selon la rareté
de la langue et le nombre de signes. C’est vite 10 000/12 000 euros, faut rajouter ça sur le compte
d’ex, ça pèse.

N : Il y a quand même pas mal de stratégies misent en place pour essayer de faire traduire à
l’étranger un livre.

VMK : Oui, après un des arguments de poids c’est le chiffre de vente mais ce n’est pas non plus
garantie. Ils vont dire que c’est Franco-français et que ça marche mais que ça ne va pas marcher chez
eux.

Il y a les adaptations, bien sur le Graal ce sont les adaptations Netflix. Ça ouvre toutes les portes car
ça arrose tout le monde. Donc tout le monde est touché, tout le monde connaît, d’un coup c’est la
notoriété. Ça passe plus par ça maintenant, par les séries. Ce qui porte vraiment ce sont les séries, le
visuel. La presse ç’est pas parce qu’on magnifie le dossier de presse qu’il va y avoir une traduction à
la clef, ça marche plus du tout.

N : Je vais relire un peu mes notes. J’avais une dernière question, est ce que vous pensez que
l’idée d’un « polar européen » vous parait pertinente ?

VMK : C’est-à-dire « l’idée » ? Le concept ? Qu’il y aurait des tendances qu’on retrouve ?

Je pense que oui car il y a des prix qui ont ce label, « le prix du polar européen ». Notamment «
Transfuge », « Quai du polar ». Ce sont des appellations qui sont entrées en regroupement, versus le
thriller à l’américaine qui est reconnu avec des cliffhangers, une grille de lecture un peu reproductible
avec moins de nuances. Je dirais que le polar européen va être plus cérébral, plus torturé. Torturés, ils
savent faire les Américains, mais pas cérébral et torturé. [Rire].

N : Du coup avoir des droits américains c’est plus compliqué quoi.

VMK : Oui car en général ils savent, ils veulent faire eux-mêmes ou ils savent déjà faire ou ils trouvent
ça trop compliqué. Après, le polar européen il s’ancre aussi dans une histoire commune, l’histoire de
l’Europe, avec des blessures, des traumatismes communs et qui ont impactés différemment car les
cultures sont différentes, mais qui est un terreau commun et qu’on retrouve souvent dans des polars.

N : Dans les thématiques ? Dans les histoires ?

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VMK : Je pense que c’est ça un fil conducteur souterrain. Et puis il y a aussi, je dirais, l’importance
accordé à la langue.

N : C’est-à-dire ?

VMK : C’est-à-dire qu’il faut distinguer polar et thriller. Le polar est plus engagé. Il y a une qualité
accrue de l’écriture. Je dirais que le thriller américain ça peut être une écriture blanche on s’en fiche.
Ce doit être efficace c’est tout. Le polar européen va y avoir 50/50 ou au moins 60% d’intrigue et
40% d’écriture. Il faut que ce soit bien écrit pour être considéré.

N : D’accord. Je vérifie si j’ai encore une question à vous poser. Non je crois que j’ai eu la
réponse à toutes mes questions.

[Discussion de 2/3 minutes]

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