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L’Encéphale (2009) 35, 605—610

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP

MISE AU POINT

Complications rénales chroniques induites


par le lithium : revue de la littérature
Chronic renal complications induced by lithium

V. Le Roy a,c, Y. Delmas d, H. Verdoux a,b,c,∗

a
Université Victor-Segalen Bordeaux-2, Bordeaux, France
b
Inserm U657, IFR99 de santé publique, Bordeaux, France
c
Centre Carreire, centre hospitalier Charles-Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux, France
d
Département de néphrologie CHU Pellegrin, Bordeaux, France

Reçu le 24 juin 2008 ; accepté le 15 décembre 2008


Disponible sur Internet le 22 avril 2009

MOTS CLÉS Résumé Cette revue de la littérature porte sur la prévalence, les facteurs de risque, les
Lithium ; stratégies d’identification et la prise en charge des complications rénales lors d’un traitement
Rein ; au long cours par lithium. La prise prolongée de lithium, à doses thérapeutiques, est responsable
Insuffisance rénale chez 20 % des patients d’un diabète insipide néphrogénique (DIN) secondaire à une diminution
chronique ; de la capacité à concentrer les urines. Seul le retentissement fonctionnel éventuel de la polyurie
Diabète insipide ; conduira, soit à l’arrêt du lithium pour un autre thymorégulateur, soit au traitement du DIN,
Effets indésirables ; en particulier par amiloride, dans le cas d’une poursuite de la lithothérapie. Le lithium peut
Pharmacovigilance également être responsable d’une insuffisance rénale chronique (IRC) lentement évolutive dont
la prévalence exacte n’est pas connue, témoignant d’une néphrite interstitielle chronique.
L’arrêt du lithium ne sera envisagé que devant une clairance de la créatininémie inférieure
à 60 ml/mn. L’évaluation du rapport bénéfices/risques en vue de la réalisation d’une biopsie
rénale et de la poursuite ou non de la lithothérapie relève alors d’une collaboration étroite
entre psychiatre et néphrologue.
© L’Encéphale, Paris, 2009.

Summary
KEYWORDS Introduction. — After 40 years of use of lithium in the treatment of mood disorders, the renal
Lithium; risks associated with the long-term exposure to lithium are better known.
Kidney; Objectifve. — This review is aimed at summarizing the information available in the literature
Renal insufficiency; regarding the impact of lithium on renal structure and function, the prevalence of renal abnor-
Diabetes insipidus; malities, the associated risk-factors and the strategy for their identification and management.
Side-effects; Method. — Articles were selected using a Medline search. The keywords were lithium, renal
Drug monitoring function, kidney, nephrotoxicity, renal insufficiency, side-effects, polyuria, diabetes insipidus
and drug monitoring.

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : helene.verdoux@u-bordeaux2.fr (H. Verdoux).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2008.12.007
606 V. Le Roy et al.

Result. — A well-recognized adverse effect of lithium exposure is the occurrence of nephrotic


diabetes insipidus (NDI) resulting in polyuria and polydipsia, which occurs in 20% of the patients
on long-term lithium treatment. This side-effect is linked to a deficit in urine concentrating
ability. Its occurrence is associated with the duration of lithium therapy. Although this effect
of lithium is initially functional and may disappear if the treatment is rapidly stopped, it may
become structural and permanent over time. The decision to stop lithium or to treat the NDI
with amiloride is mainly based upon its functional impact.
Discussion. — A debate has been ongoing for decades regarding whether or not the long-term
use of lithium may cause slowly progressive renal failure. According to the recent literature,
progressive renal failure occurs in approximately 20% of the patients on long-term lithium
treatment, among whom a few develop severe renal insufficiency due to lithium (possibly in
conjunction with other somatic factors) in the form of interstitial nephritis. However, there
is an increasing number of reports of patients requiring dialysis after long-term exposure to
lithium.
Conclusion. — Current recommended strategies for minimising the renal side effects of lithium
include: avoiding acute episodes of renal toxicity; monitoring serum lithium concentrations
in order to achieve optimal efficacy at the lowest possible concentrations; monitoring serum
creatinine levels at least on a yearly basis, with discontinuation of lithium use, discussion with
a nephrologist if creatinine clearance decreases below 60 ml/mn; and the possible application
of lithium into single daily dose.
© L’Encéphale, Paris, 2009.

Introduction dans la littérature [22,33]. Le syndrome néphrotique sur-


vient généralement au cours de la première année du
traitement par lithium et, le plus souvent, se traduit cli-
Depuis plus d’une quarantaine d’années, le lithium reste
niquement par l’apparition d’œdèmes et d’une asthénie.
le traitement de référence dans le trouble bipolaire de
L’évolution vers une insuffisance rénale terminale est raris-
l’humeur, malgré la mise sur le marché d’autres thymoré-
sime [8]. La protéinurie régresse typiquement quelques
gulateurs [21]. Comme tout médicament prescrit dans le
semaines après l’arrêt du lithium mais la réinstauration du
cadre d’un trouble affectant le patient sur la vie entière,
lithium se solde par la réapparition du syndrome néphro-
son utilisation au long cours interroge les prescripteurs et
tique [4,33]. Ce syndrome est secondaire, dans la plupart
les usagers sur les risques de répercussions toxiques sur les
des cas à une néphrose lipoïdique [22], mais peut aussi
différents organes et sur leur évolutivité. Cette revue a pour
dans certains cas être secondaire à une glomérulosclé-
objectif de recenser les données de la littérature concernant
rose segmentaire et focale [37] ou exceptionnellement
les complications rénales liées à une exposition chronique
à une glomérulopathie extramembraneuse. Dans le cas
au lithium et de proposer des stratégies d’identification,
de la néphrose lipoïdique, le lithium chargé positive-
de prévention et de prise en charge de ces anomalies. Les
ment perturberait l’équilibre des charges au niveau de la
complications rénales chroniques liées à l’exposition au
membrane basale glomérulaire ; il entraînerait une perte
lithium correspondent à l’acidose tubulaire, au syndrome
des charges négatives du capillaire glomérulaire, ce qui
néphrotique, au diabète insipide néphrogénique (DIN) et à
diminuerait la répulsion des protéines chargées négative-
l’insuffisance rénale chronique (IRC). L’acidose tubulaire,
ment et faciliterait leur passage de la membrane basale
étant une complication rare et peut-être non spécifique
glomérulaire.
au vu du très faible nombre de cas rapportés, nous ne
l’évoquerons pas dans cette revue. Les articles sélectionnés
pour cette revue de la littérature ont été identifiés par une Diabète insipide néphrogénique
recherche sur les bases de données Medline, Martindale [24]
et Meyler’s [26]. Les mots-clefs utilisés étaient : lithium, Définition et fréquence
renal function, kidney, nephrotoxicity, renal insufficiency,
side-effects, polyuria, diabetes insipidus, drug monitoring, L’exposition chronique au lithium peut s’accompagner, du
avec une dernière actualisation en mars 2008. fait de l’atteinte tubulaire, de deux types de complica-
tions : une diminution de la capacité de concentration des
Syndrome néphrotique urines et un DIN [13]. La diminution de la capacité de
concentration des urines, qui se définit par le maintien
Le syndrome néphrotique, qui, rappelons le, traduit une d’une osmolalité urinaire basse lors d’un test de restriction
augmentation de la perméabilité de la membrane basale hydrique, est retrouvée chez plus de 50 % des patients trai-
glomérulaire, associe une protéinurie supérieure à 3 g/j, tés. Cliniquement, l’apparition d’une miction nocturne est
une protidémie inférieure à 60 g/l, une albuminémie infé- fortement évocatrice d’une diminution de la capacité de
rieure à 30 g/l. C’est une complication rénale rare de concentration des urines. Le DIN se définit par une poly-
l’exposition chronique au lithium, avec seulement 26 cas urie supérieure à 3 l/j, due à une insensibilité des cellules
Lithium et rein 607

du tube collecteur à l’hormone antidiurétique (ADH). Il est intentionnelle de la part du patient qui restreint de lui-
retrouvé chez 20 % des patients traités [9]. Le DIN est, la même ses apports en eau dans l’espoir d’atténuer sa
plupart du temps, sans conséquence clinique mais peut à polyurie. Elle peut être également non intentionnelle et
travers la polyurie qui s’ensuit créer une gêne sociale et/ou s’observer dans le cadre d’une rechute thymique du trouble
professionnelle, voire perturber le sommeil du patient. La bipolaire. Il faut donc expliquer au patient qu’il ne doit
polyurie peut atteindre ou dépasser 4 à 6 l/j. Elle peut pas restreindre ses apports en eau mais au contraire
également entraîner de façon indirecte une obésité en l’encourager à boire selon sa soif.
cas d’ingestion de boissons hypercaloriques. Le DIN peut Martin A. [23] propose quatre étapes dans la prise en
aboutir aussi à une complication clinique aiguë. En effet, charge du DIN induit par le lithium :
la polyurie peut entraîner une déshydratation, facteur de
baisse d’élimination du lithium ainsi accumulé entraînant • étape 1 : monitoring des lithiémies entre 0,45 et
une intoxication clinique ; un cercle vicieux s’installe ainsi, 0,75 mEq/l et monoprise possible jusqu’à quatre compri-
avec pertes digestives, troubles de la conscience modifiant més par jour ;
la sensation de soif, aggravant à leur tour la déshydratation. • étape 2 : supplémentation en potassium (1 à 20 mEq/j) ou
Bendz et Aurell ont répertorié trois cas mortels consécu- alimentation riche en potassium : bananes, carottes, lait
tifs à un DIN induit par le lithium [6]. La survenue d’un écrémé. Le potassium réduirait la polyurie en augmentant
DIN dû au lithium est associé à la durée du traitement et la fraction d’eau réabsorbée au niveau du tube distal en
à des taux élevés de lithiémie [11,14,41]. Il est également contrant l’effet du lithium sur l’ADH. Mais cet effet n’est
associé au nombre de prises par jour [19] ; à savoir que pas encore clairement établi [17,38]. À ce stade, si la
le schéma en deux prises par jour serait associé à un plus polyurie persiste et reste mal tolérée par le patient, un
grand risque de développer un DIN par rapport à une prise switch avec un autre anticonvulsivant ou un antipsycho-
[10,16,34,40]. L’hypothèse retenue est qu’une monoprise tique ayant obtenu une AMM dans les troubles de l’humeur
par jour permet d’avoir une période sur la journée où la peut être envisagé avant de passer à l’étape 3 [6] ;
lithiémie est basse, ce qui autoriserait alors la régénéra- • étape 3 : si le relai avec un autre anticonvulsivant ou
tion des cellules tubulaires rénales [29,34]. Les études qui antipsychotique ayant obtenu une AMM dans les troubles
ont montré cette association ont cependant un artefact non de l’humeur est inenvisageable et que la polyurie est
négligeable, si l’on prend en compte le fait que la prise en supérieure à 4 l/j, le traitement de référence (initié et
deux fois expose à une dose cumulée sur la journée plus éle- surveillé par un néphrologue) est alors l’amiloride (diu-
vée qu’une monoprise le soir pour l’obtention de lithiémie rétique) (10—20 mg/j) avec surveillance rapprochée de la
équivalente [38]. De plus, deux autres études [1,28] n’ont lithiémie, du ionogramme sanguin, de la fonction rénale
pas montré de réduction de la diurèse lors du passage d’un et du volume urinaire. L’effet sur la polyurie apparaît
schéma de plusieurs prises par jour à un schéma de mono- au bout d’une semaine. En cas d’échec d’un traitement
prise. Muir et al. [27] trouvent, eux, que le DIN est réversible par amiloride à 20 mg/j, on peut envisager l’adjonction
si le changement de schéma s’effectue dans les cinq pre- d’hydrochlorothiazide (diurétique) à 50 mg/j mais avec
mières années du traitement. Néanmoins, il est probable dosages très réguliers de lithium du fait du risque de
qu’une monoprise par jour dès l’introduction du lithium toxicité accrue. L’inconvénient de l’hydrochlorothiazide
réduise le risque d’atteinte tubulaire [20]. Dans le doute, est que, contrairement à l’amiloride, il existe un risque
un schéma en monoprise, pour peu qu’il soit toléré, est tou- d’hypokaliémie qui peut accentuer le DIN et qu’il existe
jours plus facile d’utilisation pour le patient et répond à un un risque d’augmentation de la lithiémie lié au traitement
principe de précaution dans la mesure où, jusqu’à présent, par thiazidique lui-même et au régime désodé adjuvant ;
le schéma en multiprise n’a jamais montré une meilleure • étape 4 : en dernier recours, des traitements courts
efficacité [14,34]. d’indomethacine (anti-inflamatoire non stéroidien) à
50 mg/j ont des effets plus rapides que l’amiloride. Un
Réversibilité traitement par anti-inflamatoires non stéroidiens (AINS)
nécessite également une surveillance lithiémique rappro-
Le DIN induit par le lithium peut survenir dès le dixième chée dont une quatre à cinq jours après l’introduction
jour du traitement et persister plus de six mois après son de l’AINS, ainsi qu’une autre à l’arrêt. Le traitement par
arrêt, voire ne plus être réversible. Le DIN serait réversible AINS ne doit jamais être maintenu au long cours car il
si l’arrêt du lithium survient dans la première décennie de existe un risque d’altération de la perfusion du rein et de
l’atteinte tubulaire, sinon l’anomalie de concentration des la filtration glomérulaire [2].
urines devient d’autant moins réversible que la durée du
traitement a été prolongée, jusqu’à devenir irréversible car Insuffisance rénale chronique
lié à des lésions structurelles définitives du tube collecteur
[14]. Imputabilité de l’IRC au lithium

Prise en charge Longtemps sujette à controverse, l’imputabilité directe du


lithium dans l’apparition d’IRC est aujourd’hui clairement
Le DIN expose au risque de déshydratation intracellu- avérée à la vue des études les plus récentes. Plusieurs études
laire hypernatrémique en cas de restriction des boissons. transversales ou longitudinales ont cherché à mettre en évi-
L’absence de compensation hydrique adéquate correspond dence la toxicité rénale du lithium lors d’une prise prolongée
souvent au mode de révélation d’un DIN. Elle peut être du traitement. Les résultats initiaux ainsi que leur inter-
608 V. Le Roy et al.

prétation n’ont pas été univoques. Certaines études n’ont Réversibilité


pas montré de réduction du taux de filtration glomérulaire,
tandis que d’autres ont mis en évidence une diminution Les effets de l’interruption du traitement sur la progres-
significative de la clairance [9,18,30,35,36,41]. Enfin, des sion de l’IRC sont différents d’un patient à l’autre. Bendz
facteurs de confusion limitaient l’interprétation des résul- et al [6] ont interrompu le lithium pendant 4 à 16 semaines
tats : les effets du vieillissement « physiologique » sur la chez 13 patients traités pendant 15 à 24 ans ; sans observer
fonction rénale, le rôle potentiel d’autres médicaments d’amélioration significative de la fonction rénale, que celle
(psychotropes et autres), l’existence d’antécédents de ci soit ou non diminuée. Les lésions rénales fibreuses, quand
pathologie rénale préexistante à l’introduction du lithium, elles sont constituées, sont probablement irréversibles. En
l’existence d’épisodes aigus d’intoxication au lithium [41]. outre, chez certains patients, l’IRC continue d’évoluer mal-
L’hyperparathyroidie, l’hypertension et/ou l’hyperuricémie gré l’arrêt du lithium. Il y aurait probablement un point de
liées au lithium peuvent être responsables de lésions non-retour où la fibrose rénale continue à progresser mal-
rénales et constituent également des facteurs de confu- gré la suppression de l’agent toxique déclenchant. Le seul
sion [39]. Les études les plus récentes, basées sur des indicateur d’évolution vers une IRC terminale serait un taux
analyses prenant en compte les facteurs de confusion de créatininémie supérieur à 200 ␮M ou un taux de clairance
potentiels, démontrent sans équivoque la toxicité rénale de la créatininémie inférieur à 40 ml/mn [31].
du lithium. De plus, elles ont l’avantage, par rapport
aux études initiales, de concerner des malades traités
par lithium pendant plusieurs décennies, c’est-à-dire avec Recommandations
des durées d’exposition au lithium significativement plus
longues [5,7,15,20,22,31,32,41]. En pratique, la prévention de l’altération de la fonction
Lepkifker E. et al. [20] ont montré que l’IRC induite par rénale lors de la prescription de lithium passe dans un pre-
le lithium peut se développer progressivement même en mier temps par le respect de certaines contre indications.
l’absence d’épisodes d’intoxications au lithium. Presne et Il s’agit de contre-indications absolues comme l’existence
al. [31] ont suivi à l’hôpital Necker 74 patients pendant une d’une IRC sévère déterminée par une clairance de la créati-
durée moyenne de 20 ans. La baisse moyenne de la clairance nine inférieure à 30 ml/mn. Les contre-indications relatives
calculée de la créatininémie est de 2,29 ml/min par an ; correspondent à des associations médicamenteuses telles
ce qui est comparable à ce que l’on observe dans d’autres que les diurétiques thiazidiques, les AINS, les inhibiteurs de
types de néphropathie tubulointerstitielle chronique évolu- l’enzyme de conversion, les inhibiteurs de l’angiotensine-2.
tive. Chez 12 malades traités en moyenne depuis 22 ans, la L’association du lithium avec un de ces médicaments risque
progression vers l’IRC terminale a nécessité le recours à la d’entraîner une élévation anormale de la lithiémie, se sol-
dialyse itérative. dant par un ou plusieurs épisodes d’intoxications aiguës au
Presne et al. [31] trouvent que la valeur finale de la lithium.
clairance de la créatinine est corrélée négativement à la La prévention d’une atteinte rénale lors d’un traitement
durée d’utilisation du lithium. Au total, les études les plus par lithium repose sur plusieurs points [3,14,30,35,39,41] :
récentes vont toutes dans le sens d’une imputabilité directe
au lithium de l’IRC chez un certain nombre de patients.
Une susceptibilité individuelle aux effets du médicament • le dépistage d’une insuffisance rénale avec dosage de la
intervient probablement, par l’intermédiaire de facteurs créatininémie au moins annuelle, puis généralement bis-
génétiques qui prédisposent ou non au développement d’une annuelle après une dizaine d’années de traitement ;
fibrose rénale d’origine toxique [31]. La prévalence de cet • le dépistage d’un DIN en interrogeant fréquemment le
effet secondaire chez les patients traités au long cours par patient sur une éventuelle polyurie et surtout sur la gêne
lithium reste encore à préciser. À ce jour, on estime que ou le handicap socioprofessionnel qu’elle occasionne. Si
l’IRC terminale induite par le lithium représente 0,3 % de le patient est suffisamment organisé et compliant, on
toutes les causes d’IRC en France [31]. Dans les années à lui demandera d’effectuer, par lui-même, une évaluation
venir, on peut en craindre l’augmentation mécanique avec annuelle du débit urinaire de 24 heures ;
l’augmentation du nombre de patients ayant une exposition • une surveillance régulière des lithiémies avec recherche
longue au lithium. Il en découle l’importance des stratégies d’une lithiémie minimale efficace, c’est-à-dire autour de
de prévention et d’identification que nous évoquons plus loin 0,6 mEq/l ;
ainsi que de la sensibilisation des cliniciens à ces stratégies. • une monoprise du lithium tant que la posologie ne dépasse
pas 1000 mg/j (ce schéma serait efficace pour la pré-
vention de l’atteinte tubulaire mais pas sur l’atteinte
glomérulaire) ;
Délai d’apparition de l’IRC • une éducation ayant pour but de limiter les épisodes
d’intoxications aiguës au lithium : information sur les
La durée de traitement par lithium semble être le déter- circonstances d’augmentation de la lithiémie que le
minant majeur de la néphrotoxicité du lithium. La plupart patient doit connaître, recherche régulière de signes
des cas d’IRC apparaissent pendant la deuxième décennie d’intoxication au lithium, réduction, voire arrêt transi-
du traitement, essentiellement après 15 ans de traitement. toire du lithium en cas de vomissement, de diarrhée, de
La latence entre l’instauration du traitement et l’entrée en déshydratation ;
phase terminale de l’insuffisance rénale est en moyenne de • le port d’une carte indiquant que le patient reçoit du
20 ans [31]. lithium ;
Lithium et rein 609

• surveillance annuelle de la tension artérielle, de la fonc- [3] Alexander MP, Farag YMK, Mittal BV, et al. Lithium toxicity: a
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un bilan rénal doit être réalisé afin de guider la déci- tory laboratory database surveillance. Nephrol Dial Transplant
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