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MISE AU POINT
a
Université Victor-Segalen Bordeaux-2, Bordeaux, France
b
Inserm U657, IFR99 de santé publique, Bordeaux, France
c
Centre Carreire, centre hospitalier Charles-Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux, France
d
Département de néphrologie CHU Pellegrin, Bordeaux, France
MOTS CLÉS Résumé Cette revue de la littérature porte sur la prévalence, les facteurs de risque, les
Lithium ; stratégies d’identification et la prise en charge des complications rénales lors d’un traitement
Rein ; au long cours par lithium. La prise prolongée de lithium, à doses thérapeutiques, est responsable
Insuffisance rénale chez 20 % des patients d’un diabète insipide néphrogénique (DIN) secondaire à une diminution
chronique ; de la capacité à concentrer les urines. Seul le retentissement fonctionnel éventuel de la polyurie
Diabète insipide ; conduira, soit à l’arrêt du lithium pour un autre thymorégulateur, soit au traitement du DIN,
Effets indésirables ; en particulier par amiloride, dans le cas d’une poursuite de la lithothérapie. Le lithium peut
Pharmacovigilance également être responsable d’une insuffisance rénale chronique (IRC) lentement évolutive dont
la prévalence exacte n’est pas connue, témoignant d’une néphrite interstitielle chronique.
L’arrêt du lithium ne sera envisagé que devant une clairance de la créatininémie inférieure
à 60 ml/mn. L’évaluation du rapport bénéfices/risques en vue de la réalisation d’une biopsie
rénale et de la poursuite ou non de la lithothérapie relève alors d’une collaboration étroite
entre psychiatre et néphrologue.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Summary
KEYWORDS Introduction. — After 40 years of use of lithium in the treatment of mood disorders, the renal
Lithium; risks associated with the long-term exposure to lithium are better known.
Kidney; Objectifve. — This review is aimed at summarizing the information available in the literature
Renal insufficiency; regarding the impact of lithium on renal structure and function, the prevalence of renal abnor-
Diabetes insipidus; malities, the associated risk-factors and the strategy for their identification and management.
Side-effects; Method. — Articles were selected using a Medline search. The keywords were lithium, renal
Drug monitoring function, kidney, nephrotoxicity, renal insufficiency, side-effects, polyuria, diabetes insipidus
and drug monitoring.
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : helene.verdoux@u-bordeaux2.fr (H. Verdoux).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2008.12.007
606 V. Le Roy et al.
du tube collecteur à l’hormone antidiurétique (ADH). Il est intentionnelle de la part du patient qui restreint de lui-
retrouvé chez 20 % des patients traités [9]. Le DIN est, la même ses apports en eau dans l’espoir d’atténuer sa
plupart du temps, sans conséquence clinique mais peut à polyurie. Elle peut être également non intentionnelle et
travers la polyurie qui s’ensuit créer une gêne sociale et/ou s’observer dans le cadre d’une rechute thymique du trouble
professionnelle, voire perturber le sommeil du patient. La bipolaire. Il faut donc expliquer au patient qu’il ne doit
polyurie peut atteindre ou dépasser 4 à 6 l/j. Elle peut pas restreindre ses apports en eau mais au contraire
également entraîner de façon indirecte une obésité en l’encourager à boire selon sa soif.
cas d’ingestion de boissons hypercaloriques. Le DIN peut Martin A. [23] propose quatre étapes dans la prise en
aboutir aussi à une complication clinique aiguë. En effet, charge du DIN induit par le lithium :
la polyurie peut entraîner une déshydratation, facteur de
baisse d’élimination du lithium ainsi accumulé entraînant • étape 1 : monitoring des lithiémies entre 0,45 et
une intoxication clinique ; un cercle vicieux s’installe ainsi, 0,75 mEq/l et monoprise possible jusqu’à quatre compri-
avec pertes digestives, troubles de la conscience modifiant més par jour ;
la sensation de soif, aggravant à leur tour la déshydratation. • étape 2 : supplémentation en potassium (1 à 20 mEq/j) ou
Bendz et Aurell ont répertorié trois cas mortels consécu- alimentation riche en potassium : bananes, carottes, lait
tifs à un DIN induit par le lithium [6]. La survenue d’un écrémé. Le potassium réduirait la polyurie en augmentant
DIN dû au lithium est associé à la durée du traitement et la fraction d’eau réabsorbée au niveau du tube distal en
à des taux élevés de lithiémie [11,14,41]. Il est également contrant l’effet du lithium sur l’ADH. Mais cet effet n’est
associé au nombre de prises par jour [19] ; à savoir que pas encore clairement établi [17,38]. À ce stade, si la
le schéma en deux prises par jour serait associé à un plus polyurie persiste et reste mal tolérée par le patient, un
grand risque de développer un DIN par rapport à une prise switch avec un autre anticonvulsivant ou un antipsycho-
[10,16,34,40]. L’hypothèse retenue est qu’une monoprise tique ayant obtenu une AMM dans les troubles de l’humeur
par jour permet d’avoir une période sur la journée où la peut être envisagé avant de passer à l’étape 3 [6] ;
lithiémie est basse, ce qui autoriserait alors la régénéra- • étape 3 : si le relai avec un autre anticonvulsivant ou
tion des cellules tubulaires rénales [29,34]. Les études qui antipsychotique ayant obtenu une AMM dans les troubles
ont montré cette association ont cependant un artefact non de l’humeur est inenvisageable et que la polyurie est
négligeable, si l’on prend en compte le fait que la prise en supérieure à 4 l/j, le traitement de référence (initié et
deux fois expose à une dose cumulée sur la journée plus éle- surveillé par un néphrologue) est alors l’amiloride (diu-
vée qu’une monoprise le soir pour l’obtention de lithiémie rétique) (10—20 mg/j) avec surveillance rapprochée de la
équivalente [38]. De plus, deux autres études [1,28] n’ont lithiémie, du ionogramme sanguin, de la fonction rénale
pas montré de réduction de la diurèse lors du passage d’un et du volume urinaire. L’effet sur la polyurie apparaît
schéma de plusieurs prises par jour à un schéma de mono- au bout d’une semaine. En cas d’échec d’un traitement
prise. Muir et al. [27] trouvent, eux, que le DIN est réversible par amiloride à 20 mg/j, on peut envisager l’adjonction
si le changement de schéma s’effectue dans les cinq pre- d’hydrochlorothiazide (diurétique) à 50 mg/j mais avec
mières années du traitement. Néanmoins, il est probable dosages très réguliers de lithium du fait du risque de
qu’une monoprise par jour dès l’introduction du lithium toxicité accrue. L’inconvénient de l’hydrochlorothiazide
réduise le risque d’atteinte tubulaire [20]. Dans le doute, est que, contrairement à l’amiloride, il existe un risque
un schéma en monoprise, pour peu qu’il soit toléré, est tou- d’hypokaliémie qui peut accentuer le DIN et qu’il existe
jours plus facile d’utilisation pour le patient et répond à un un risque d’augmentation de la lithiémie lié au traitement
principe de précaution dans la mesure où, jusqu’à présent, par thiazidique lui-même et au régime désodé adjuvant ;
le schéma en multiprise n’a jamais montré une meilleure • étape 4 : en dernier recours, des traitements courts
efficacité [14,34]. d’indomethacine (anti-inflamatoire non stéroidien) à
50 mg/j ont des effets plus rapides que l’amiloride. Un
Réversibilité traitement par anti-inflamatoires non stéroidiens (AINS)
nécessite également une surveillance lithiémique rappro-
Le DIN induit par le lithium peut survenir dès le dixième chée dont une quatre à cinq jours après l’introduction
jour du traitement et persister plus de six mois après son de l’AINS, ainsi qu’une autre à l’arrêt. Le traitement par
arrêt, voire ne plus être réversible. Le DIN serait réversible AINS ne doit jamais être maintenu au long cours car il
si l’arrêt du lithium survient dans la première décennie de existe un risque d’altération de la perfusion du rein et de
l’atteinte tubulaire, sinon l’anomalie de concentration des la filtration glomérulaire [2].
urines devient d’autant moins réversible que la durée du
traitement a été prolongée, jusqu’à devenir irréversible car Insuffisance rénale chronique
lié à des lésions structurelles définitives du tube collecteur
[14]. Imputabilité de l’IRC au lithium
• surveillance annuelle de la tension artérielle, de la fonc- [3] Alexander MP, Farag YMK, Mittal BV, et al. Lithium toxicity: a
tion thyroïdienne (TSH) et de la fonction parathyroïdienne double-edged sword. Kidney Int 2008;73:233—7.
(calcémie), au vu du risque de néphrocalcinose. [4] Autret L, Meynard JA, Sanchez MF, et al. Entre efficacité
et toxicité : histoire d’un patient guéri par le lithium chez
qui l’on découvre une néphropathie iatrogène. Encéphale
En cas d’antécédents rénaux ou si l’on constate une 1999;25:485—7.
augmentation progressive de la créatininémie avec le [5] Bassilios N, Martel P, Godard V, et al. Monitoring of glomerular
lithium ou devant toute créatininémie supérieure à 140 M, filtration rate in lithium-treated outpatients: an ambula-
un bilan rénal doit être réalisé afin de guider la déci- tory laboratory database surveillance. Nephrol Dial Transplant
sion. La première étape consiste dans l’estimation de 2008;23:562—5.
la clairance de la créatinine ou du débit de filtration [6] Bendz H, Aurell M. Drug-induced diabetes insipidus: incidence,
prevention and management. Drug Saf 1999;21:449—56.
glomérulaire (DFG), par les formules adéquates (respec-
[7] Bendz H, Aurell M, Lanke J. A historical cohort study of kidney
tivement, Cockroft et Modification of the Diet in Renal damage in long-term lithium patients: continued surveillance
Disease [MDRD abrégée]). Une insuffisance rénale (clai- needed. Eur Psychiatry 2001;16:199—206.
rance inférieure à 60 ml/mn) conduira éventuellement, en [8] Bosquet S, Descombes E, Gauthier T, et al. Nephrotic
concertation avec un néphrologue, à la réalisation d’une syndrome during lithium therapy. Nephrol Dial Transplant
biopsie rénale si la responsabilité du lithium est incer- 1997;12:2728—31.
taine ou si le syndrome rénal est atypique, ou encore si [9] Boton R, Gavira M, Battle DC. Prevalence, pathogenesis and
l’évolution est inhabituellement rapide. L’arrêt du lithium treatment of renal dysfunction associated with chronic lithium
s’impose devant l’association d’une clairance inférieure à therapy. Am J Kidney Dis 1987;10:329—45.
60 ml/mn et la présence de lésions tubulointerstitielles à la [10] Bowen RC, Grof P, Grof E. Less frequent lithium adminis-
tration and lower urine volume. Am J Psychiatry 1991;148:
ponction-biopsie rénale [39]. Devant l’absence d’anomalie
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significative à la ponction-biopsie, malgré une clairance [11] DePaulo Jr RJ, Correa EI, Sapir DG. Renal function and lithium:
basse, la poursuite ou l’arrêt de la lithothérapie devient a longitudinal study. Am J Psychiatry 1986;143:892—5.
une décision pluridisciplinaire qui implique l’évaluation [12] Even C, Grunfeld JP. Insuffisance rénale chronique sous lithium.
concertée entre le psychiatre et le néphrologue d’un Démarche pluridisciplinaire du néphrologue, du psychiatre
rapport bénéfice—risque. Il faudra alors prendre en consi- et. . . du patient. Encéphale 2008;34:440—1.
dération l’évolutivité de la maladie bipolaire, l’efficacité [13] Freeman MP, Freeman SA. Lithium: clinical considerations in
du lithium et, surtout, l’existence de traitements alter- internal medicine. Am J Med 2006;119:478—81.
natifs [12]. En cas d’insuffisance rénale et de poursuite [14] Gitlin M. Lithium and the kidney: an updated review. Druf Saf
de la lithothérapie, les posologies doivent être adap- 1999;20:231—43.
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tées, de façon à maintenir les lithiémies à la limite
pharmacol 1993;13:276—9.
inférieure de la zone d’efficacité (lithiémie inférieure à [16] Hetmar O, Juul Povlsen U, Ladefoged J, et al. Lithium:
0,6 mmol/l) [39]. Meier et al. [25] espèrent que dans les long-term effects on the kidney: a prospective follow-up
années à venir, l’IRM, qui semble capable de détecter study 10 years after kidney biopsy. Br J Psychiatry 1991;158:
les microkystes spécifiques de la néphropathie induite par 53—8.
lithium, remplacera, au moins chez certains patients, la [17] Jefferson JW. Potassium supplementation in lithium patients: a
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Longtemps controversée, la toxicité rénale du lithium, cli- dosage. Neuropsychobiology 1996;34:113—6.
niquement décelable et responsable d’IRC sous forme d’une [20] Lepkifker E, Sverdlik A, Iancu I, et al. Renal insufficiency
néphropathie interstitielle chronique, est aujourd’hui clai- in long-term lithium treatment. J Clin Psychiatry 2004;65:
rement avérée. Cette complication, qui survient le plus 850—6.
souvent après 15 ans au moins de traitement par lithium, [21] Lôo H, Olié JP, Gay Ch. Le déprimé et son lithium. Paris: ed.
peut évoluer vers une IRC terminale, même à l’arrêt du Masson; 1989.
lithium. Elle impose une surveillance au moins annuelle [22] Markowitz GS, Radhakrishnan J, Kambham N, et al. Lithium
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