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CHAPITRE I : LA LITTÉRATURE D'IDÉES – XVIÈME-XVIIIÈME SIÈCLES

Séquence 3 : œuvre intégrale : Montaigne, Essais, « Des cannibales » et « Des coches »

1er texte étudié de Montaigne, analyse linéaire : Extrait « Des cannibales », (II,31) « Or je trouve…leur naïveté
originelle. »
L’extrait « Des cannibales » qui nous est soumis se situe au début du chapitre, proche des premières pages
dans lesquelles Montaigne s’interroge sur la notion de « Barbarie », concept grec : « les Grecs appelaient ainsi
tous les peuples étrangers ». Pour introduire sa réflexion, Montaigne ouvre son chapitre sur la stupéfaction du
chef de guerre grec Pyrrhus découvrant la disposition organisée des armées romaines. En constatant leur
stratégie, il en conclut que ces romains ne sont pas des barbares. Puis Montaigne évoque la découverte du
nouveau monde notamment du Brésil. Pour donner toute légitimité à sa réflexion, il insiste sur le fait d’en
avoir entendu parler par un homme « simple » et « rustre », gage d’un témoignage authentique, travaillant à
son service et ayant vécu là-bas une dizaine d’années. Dans l’extrait à l’étude, Montaigne dénonce les
préjugés ethnocentristes des Européens. Il opère un retournement de valeur en démontrant que la barbarie
réside dans les artifices qui dénaturent l'homme et dans le goût des Européens pour la torture et la violence.
Ainsi les vrais barbares seraient en réalité les Européens. Nous pouvons observer trois mouvements dans le
texte. Dans un premier temps Montaigne remet en cause l’ethnocentrisme du peuple européen, puis il établit
une comparaison entre les peuples du Brésil et les fruits sauvages et enfin il démontre la supériorité de la
nature sur la culture. Ainsi, nous verrons comment Montaigne interpelle ses contemporains en remettant en
cause l’idée même de barbarie.

Dans un premier temps Montaigne remet en cause le vison ethnocentrique des Européens, c’est-à-
dire leur manière de ne considérer comme valable que leur propre culture.
Le texte commence par un retour à l’idée maîtresse de Montaigne à savoir comment cerner la
barbarie. En effet, il précise « pour revenir à mon propos ». Cela est très caractéristique du procédé de
réflexion de l’auteur, il opère des digressions, puis revient à l’objet de son questionnement. L’expression « je
trouve » insiste sur la subjectivité de la pensée de Montaigne, il modalise son propos, c’est-à-dire qu’il évalue
son propre énoncé.
Montaigne formule sa thèse en réfutant les mots « barbare » et « sauvage », en ce qu’ils
apparaissent péjoratifs. Cette allégation commence par un connecteur logique « Or » qui insiste sur une
contradiction. Ce qu’il avance ne correspond pas à la doxa (l’opinion commune), cela se confirme dans
l’expression suivante : «il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation ». La forme négative, révèle qu’il
nie une idée reçue. L’emploi de l’adverbe négatif « rien » relève d’ailleurs ici de l’hyperbole car c’est ne
reconnaitre aucune part de cruauté à ces peuples tout de même cannibales.
Pour clarifier son propos, et montrer combien les Européens sont autocentrés, Montaigne redéfinit
la barbarie à travers cette périphrase : « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». Les
Européens ne jugent que par rapport à eux-mêmes, ils ne perçoivent la différence que comme une infériorité.
La périphrase insiste sur l’individualité de la pratique de l’usage, de la coutume, le pronom indéfini « chacun »
et le déterminant possessif « son » pour déterminer « usage » en attestent. Cela souligne la dimension
subjective et surtout étriquée de l’usage.
Il insiste sur la fragilité des représentations de la vérité et de la raison perçues par les Européens : « il
semble que nous n'avons d'autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et l'idée des opinions et usances
du pays où nous sommes ». Dans cette antithèse, il oppose les mots « vérité » et « raisons » qui sont des
notions fondamentales et absolues aux mots « exemples » et « idées » qui indiquent des réalités ponctuelles et
subjectives. Encore une fois, Montaigne souligne l'étroitesse du regard ethno-centré à travers la négation
restrictive « nous n'avons d'autre mire » qui insiste sur la restriction de la vision européenne.
Pour sensibiliser davantage le lecteur, Montaigne utilise la première personne du pluriel « nous ». Cela
permet de susciter davantage la réflexion. Le « nous » fonctionne comme un examen de conscience.
D’ailleurs, on peut noter que Montaigne se place du côté des corrupteurs, dans un aveu qui prend ainsi plus de
force.
Il poursuit la dénonciation des préjugés concernant la barbarie en ironisant, « là est toujours la
parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toute chose ». Le « toujours » et la répétition
de l’adjectif « parfait » dans un rythme ternaire constitue une antiphrase et dénonce en réalité un préjugé. Cet
exposé de la conviction de la perfection va avec une critique implicite, ceux qui se croient parfaits entendent
imposer leurs usages et juger les mœurs des autres.

Dans un deuxième temps, Montaigne compare les peuples du Brésil à des fruits sauvages. En
procédant ainsi à une analogie, il illustre par un exemple sa thèse sur la barbarie.
Il déconstruit la notion de sauvage en recourant à une antithèse. Tout d’abord il définit ce qui est
considéré comme sauvage par la doxa « ils sont sauvages de même que nous appelons sauvages les fruits que
nature […] a produit. » Montaigne affirme que ce qui est sauvage est ce qui est à l’état de nature, ce qui n’a
pas été modifié par l’action de l’homme. Puis dans un second temps il réfute ce qu’il vient de dire, « là où, à la
vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice [..] que nous devrions appeler sauvages ». La
proposition subordonnée relative compléments de l’antécédent « ceux » pronom ayant pour référent « les
fruits sauvages », révèle la définition de la notion de sauvage théorisée par Montaigne à savoir ce qui est
modifié par l’homme, « altérés par notre artifice », l’emploi du verbe « devoir » à forte valeur injonctive,
employé au mode conditionnel, insiste sur la nécessaire remise en question de nos valeurs. On comprend alors
que pour Montaigne, la nature ne produit pas de sauvage. Le sauvage résulte de l’artifice. Le vocabulaire
péjoratif employé pour caractériser les fruits issus des artifices de l’homme en atteste : « abâtardies »,
« corrompu ».
Au contraire, pour persuader le lecteur d’adhérer à la définition qu’il est en train d’établir au sujet
de ce qui est sauvage et de ce qui ne l’est pas, Montaigne oppose aux fruits sauvages les plus hautes valeurs
reconnues par notre culture européenne. En effet on peut relever deux fois le mot vérité « à la vérité », « les
vraies », les mots « vertus », « vives », « vigoureuses ». Il associe d’ailleurs le terme de vertus à l’adjectif
« naturelles ». [Définition de vertu : force morale avec laquelle l'être humain tend au bien, s'applique à suivre
la règle, la loi morale (opposé à vice).] De plus, l’allitération en [v]met particulièrement en valeur les attributs
des fruits sauvages.
En effet, Montaigne fait l’éloge de la nature « Et si pourtant, la saveur même et délicatesse se trouve à
nôtre goût excellente, à l’envi des nôtres, en divers fruits de ces contrées-là sans culture. » Il poursuit ici son
éloge de la nature symbole de pureté en utilisant le lexique mélioratif : « saveur », délicatesse »,
« excellente » ; termes qui confèrent à la nature une certaine sophistication.

A partir de cette comparaison, entre les civilisations brésiliennes et les fruits sauvages, qui lui sert
d’exemple, Montaigne développe sa réflexion selon laquelle la nature est supérieure à la culture. C’est
ce qu’il démontre explicitement dans le troisième mouvement du texte.
Dans ce troisième mouvement, son argumentation devient directe : « Ce n’est pas raison que l’art
gagne le point d’honneur sur notre grande et puissante mère Nature. ». La civilisation, la culture, est assimilée
à l’art et l’artifice : la nature est ici qualifiée de manière extrêmement positive avec les adjectifs « grande » et
puissante », il s’agit même d’une allégorie, la majuscule en atteste. La nature est ainsi personnifiée, « mère ».
Cette hyperbole insiste sur la dimension essentielle et première de la nature. Rien ne peut l’égaler. Elle prend
quasiment une dimension divine, « mère Nature » évoque une déesse.
Montaigne démontre combien la culture, l’artifice et la technique ont fini par cacher la suprématie
de la nature. Il emploie le terme péjoratif : « étouffée » dans l’expression suivante : « Nous avons tant
rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages que nous l’avons du tout étouffée ». L’adverbe intensificateur
« tant » insiste sur l’action néfaste et répétée de l’homme sur la nature.
Montaigne encore une fois interpelle son lecteur fictif pour le mettre devant ses responsabilités :
« partout où sa pureté réduit, elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises ». L’oxymore
« merveilleuse honte » est l’expression de son indignation. Il cite un auteur latin, Properce, pour exprimer
encore une fois la supériorité de la nature sur l’art : « Et les oiseaux sans art, ont un chant plus doux … ». Cet
argument d’autorité s’ajoute à son exemple des Peuples brésiliens pour appuyer sa thèse.
Il poursuit son argumentation en démontrant que la nature est capable d’une technique bien plus
complexe que celle maitrisée par l’homme. Il recourt à un exemple précis « le nid du moindre oiselet ». La
référence à « l’oiselet » c’est-à-dire au petit oiseau, au jeune oiseau insiste sur la supériorité de la nature qui
permet à l’être le moins abouti de maitriser un art que nos plus grands savants ne sauraient mettre en œuvre.
Enfin il recourt à son deuxième argument d’autorité en citant Platon, qui comme lui affirme la
supériorité de la nature sur la culture. Platon affirme que trois causes sont à l’origine de la création : la
nature, le hasard et la culture. Le superlatifs « plus grandes et plus belles » pour qualifier les choses produites
par la nature confirme le propos de Montaigne.
Dans une sorte de péroraison, Montaigne conclut sa démonstration. Le connecteur logique « donc »
introduisant la conséquence le confirme : « Ces nations me semblent donc moins barbares ». Il revient au lien
établit entre barbarie, nature et culture. La barbarie résultant de la culture qui a perverti les fruits de la nature,
les peuples amérindiens étant plus proche de la nature que nous, sont alors moins barbare que nous.

Conclusion à faire.

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