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Le latino-américanisme français en perspective 21/12/2021 10:54

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Le latino-américanisme français e...

Caravelle
Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien

100 | 2013
Regards sur 50 ans de latino-américanisme
Regards sur 50 ans de latino-américanisme
La construction d’un savoir américaniste

Le latino-américanisme français
en perspective
Panorama des relations culturelles et scientifiques de la
France avec l’Amérique latine, de la fin du XIX e siècle à nos
Français
jours
Portail de ressources électroniques
en sciences humaines et sociales
MONA HUERTA
p. 39-62 OPENEDITION
https://doi.org/10.4000/caravelle.100

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Français Español English OPENEDITION JOURNALS
Cet article se propose de montrer l’évolution souvent contrastée des liens culturels et
scientifiques que la France entretient avec l’Amérique latine, soulignant en particulier les
HYPOTHESES
éléments de leur renouveau après la Seconde Guerre mondiale et leurs transformations au
début du XXIe siècle. Si l’art et la culture ont été le ciment traditionnel de ces relations, depuis
CALENDA
la fin du XIXe siècle, la région a été pour les scientifiques français un laboratoire fécond qui a
inspiré la construction des études sur l’Amérique latine en France. Retour sur une histoire afin
de nourrir, en temps de mondialisation, la réflexion en pleine mutation sur les aires culturelles.
Bibliothèques et institutions
En este artículo se pretende mostrar la evolución a menudo contrastada de las relaciones
culturales y científicas que Francia tiene con América Latina, haciendo especial hincapié en los
elementos de su renacimiento después de la Segunda Guerra Mundial y sus transformaciones
en la primera década del siglo XXI. Si el arte y la cultura han sido OpenEdition Freemium
el cemento tradicional de
estas relaciones desde el siglo XIX, la región fue para los investigadores franceses un
laboratorio científico fructífero que inspiró el desarrollo de los Estudios Latinoamericanos en
Francia. Enfoque sobre esta historia para reflexionar, en tiempos de globalización, acerca del
tema en plena mutación de las áreas culturales. Nos services
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Nos services
This article aims to show the evolution of the often contrasting cultural and scientific ties that
France has with Latin America, emphasizing in particular the elements of their revival after the
Second World War and their transformations in the early twenty-first century. If art and
OpenEdition
culture have been the cornerstone of these relationships since the late Search
nineteenth century, the
region was for the French researchers a fruitful laboratory that inspired the construction of
Latin American Studies in France. Back on a story to feed the reflection on the changing Area
Studies, in times of globalization.

Entrées d’index
Mots-clés : France, Amérique latine, Relations culturelles, Relations scientiques, XXe siècle
Keywords: France, Latin America, Cultural Relationships, Scientific Relationships;
Twentieth century
Palabras claves: Francia, América Latina, Relaciones culturales, Relaciones científicas, Siglo
XX

Texte intégral
1 L’Amérique latine est présente aujourd’hui en France dans les musées, les librairies,
sur les écrans cinématographiques1 ou encore dans les collections des bibliothèques et
archives françaises. En effet, nombreux sont les produits culturels ‘de’ et ‘sur’ cette
région du monde diffusés dans le pays. Les livres et les revues, fruits de l’édition
nationale et internationale, entre autres, permettent à un large public de se familiariser
avec un continent qui fut pour Lucien Febvre et bien d’autres après lui, « un champ
privilégié d’études »2. Depuis l’époque, déjà lointaine, où les intellectuels français
déploraient l’absence de livres américains dans le pays et le peu d’intérêt des Français
pour les œuvres produites de l’autre côté de l’Atlantique, des progrès notables ont pu
être observés, au cours du siècle dernier, dans la diffusion mutuelle des cultures
françaises et latino-américaines3. Cependant, faut-il pour autant en conclure que les
relations entre la France et l’Amérique latine sont satisfaisantes et que ses modèles
CATALOGUE Tout
rencontrent encore dans cette région le succès qu’ils connurent dans l’entre-deux-
ACCUEIL
guerres ? Cet article se propose DES l’évolution
de montrer 570 OPENEDITION
souvent contrastée SEARCH
des liens
OpenEdition
culturels et scientifiques que la France entretient avec l’Amérique latine, soulignant en
particulier les éléments de leur renouveau REVUES
après la Seconde Guerre mondiale et leurs
transformations au début du XXIe siècle.

L’art et la culture, ciment traditionnel


des relations de la France et de
l’Amérique latine
2 Aux premières années du XXe siècle, le penchant des Latino-américains pour la
France était grand. En France, comme outre Atlantique, des intellectuels et des
politiques se révélaient de vibrants porteurs de flamme4. Cependant, si nous nous
arrêtons sur ces relations, il est fréquent de percevoir, que si cette ‘liaison’
transatlantique a presque toujours été marquée par une fascination réciproque, elle n’a
jamais été exempte ni d’incompréhensions, ni de malentendus.

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Une influence de la France en Amérique latine


très sensible
3 Au Brésil, en Argentine, mais aussi au Chili, pour ne citer que quelques exemples, les
livres français rencontraient un vif succès au XIXe et au premier XXe siècle. Ils
arrivaient en tête de liste des titres étrangers choisis par les lecteurs. Des revues
françaises comme L’Illustration, La Revue de Paris, La Revue des Deux Mondes, Le
Mercure de France, la Revue des Sciences politiques étaient au catalogue de toutes les
bonnes bibliothèques publiques ou privées. Il n’est pas sans signification, qu’au cours
de cette période, deux Français, Camille Cléau et Paul Groussac aient été portés à la tête
d’institutions culturelles aussi prestigieuses que les bibliothèques nationales du Brésil
et de la République d’Argentine. Ces éléments, sélectionnés parmi tant d’autres,
permettent sans doute de mesurer ce que fut l’expansion culturelle française en
Amérique latine du XIXe siècle jusqu’au radical couperet de la Seconde Guerre
mondiale.
4 Cette forte présence culturelle se déployait, tant à travers l’étude de la langue (les
Alliances françaises créées en 1883 se multiplièrent rapidement dans la région)5, que
par la présence des livres français qui se révélèrent de remarquables médiateurs. En
effet, l’édition française s’était fait une spécialité de publier des livres en espagnol et
portugais et de les exporter, à partir de Paris, en rayonnant dans toute l’Amérique
latine6.
5 Dans cette période également, les bases traditionnelles de l’influence de la France
dans la région se constituèrent et tout un maillage d’instituts et de lycées français,
religieux ou laïques fortifia efficacement ses posi-tions nationales7. La France connut
alors un formidable rayonnement culturel dans cette région. Le prestige des idées
françaises sur les élites du sous-continent œuvra davantage pour affermir les positions
économiques du pays, que l’apport des capitaux ou le travail des ingénieurs et des
techniciens.
6 Entre tous les poètes latino-américains qui nourrirent ces relations, une mention très
particulière doit être faite à la triade franco-uruguayenne que constituent Lautréamont,
Laforgue et Supervielle. Tous trois relèvent, sans aucun doute, des Lettres françaises.
Leurs œuvres, lien permanent entre deux continents, restent cependant marquées du
sceau américain par le souffle, l’inspiration ou la somptuosité des images qu’elles
recèlent. Célébrés sur les deux rives, ils sont réunis dans la pierre d’un monument à leur
gloire, en ce Montevideo qui les vit naître.

L’attraction de Paris et de la France pour les élites


latino-américaines
7 Pour les intellectuels latino-américains du début du XXe siècle et de l’entre-deux-
guerres, le voyage à Paris avait parfois une valeur rituelle forte. Beaucoup d’entre eux
trouvèrent en France un milieu intellectuel fertile et de nouvelles sources d’inspiration.
8 Il convient d’insister, en particulier, sur le rôle de la colonie intellectuelle hispano-
américaine de Paris. Diverses revues en portent témoignage. L’une des premières fut le
Mercure de France qui, dès 1897, ouvrit une rubrique importante dédiée aux Lettres
hispano-américaines. La Première Guerre mondiale ne changea pas substantiellement
cet état de fait. Quatre revues produites simultanément par des Latino-américains
résidant à Paris virent le jour autour de 1914 : El Nuevo Mercurio de Gómez Carrillo,
Elegancias de Rubén Darío, El Mundial Magazine et La Revue Sud-Américaine. Les

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trois premières entièrement rédigées en espagnol contrastaient avec la dernière publiée


en français par Leopoldo Lugones. En France de grands médiateurs tels Remy de
Gourmond ou Valery Larbaud travaillèrent sans relâche pour faire connaître les
littératures luso-brésiliennes et hispano-américaines8.
9 Beaucoup d’artistes firent des études en France, occupèrent des fonctions
diplomatiques9, voyagèrent ou vinrent se réfugier à Paris. Francophiles et parfaitement
francophones, tous à un moment ou à un autre invitèrent Paris et la France dans leurs
œuvres.
10 Grâce à une bourse du Secrétariat de l’instruction publique du Mexique, obtenue
pour poursuivre ses études et achever sa formation en Europe, Diego Rivera, par
exemple, resta quelques années à Paris où il fréquenta assidûment le Cercle des
cubistes. Le Chilien Vicente Huidobro fit de Paris l’un des points cardinaux de sa
production. Collaborateur de Pierre Reverdy, sa contribution à Nord-Sud fut essentielle
et influença durablement sa poésie. C’est en français qu’il écrivit dans cette revue
comme dans les différentes revues d’avant-garde auxquelles il participa. Il ne fut pas le
seul Latino-américain à substituer sa langue maternelle et à choisir le français comme
support de sa création. Son amour pour la France éternelle, le conduisit même, à la fin
de sa vie, à s’engager dans l’armée française et à poursuivre l’ennemi jusqu’à Berlin.
11 Nombreux donc furent les artistes latino-américains qui furent attirés par
l’effervescence de Paris d’entre les deux guerres. Le poète péruvien César Moro
s’abandonna, lui aussi, à ses charmes. Il gravita autour des surréalistes et écrivit une
grande partie de son œuvre poétique en français. Plus tard il enseigna le français à
Mario Vargas Llosa. Comme son contemporain liménien, l’Équatorien Alfredo
Gangotena était essentiellement bilingue. Il fut l’ami de Michaux, se donna à lire dans
de nombreuses revues françaises et publia des recueils à faibles tirages. La redécouverte
de son œuvre, à la fin du XXe siècle est sans aucun doute une contribution importante à
l’influence de la culture française en Amérique du Sud.

Le surréalisme et l’Amérique : un mariage


d’amour
12 Le surréalisme, qui, entre les deux guerres, fut un creuset pour de nombreux artistes
de la région, courtisa l’Amérique latine d’un bout à l’autre de son histoire. Des écrivains
et des peintres latino-américains participèrent très tôt à l’activité parisienne du
mouvement : le Péruvien César Moro, nous l’avons vu, est à Paris en 1924 puis en 1934 ;
par l’intermédiaire de Salvador Dali, le Chilien Roberto Matta rejoint le surréalisme en
1938, quelque temps avant que le Cubain Wilfredo Lam ne se rapproche d’André
Breton et de ses amis.
13 Des écrivains latino-américains et non des moindres (Miguel-Angel Asturias, Alejo
Carpentier) collaborèrent à des revues d’avant-garde et diffusèrent avec d’autres – Aldo
Pellegrini en Argentine, Cardoza y Aragón au Mexique, César Moro au Pérou et
ailleurs – les doctrines et les positions du mouvement.
14 Les Caraïbes, carrefour de l’Afrique, de l’Europe et de l’Amérique, ne pouvaient que
fasciner les « rêveurs définitifs »10 : dans une Martinique « charmeuse de serpents »11
ou au cœur de l’« étrange vase communi-quant et grand reposoir de la pensée
poétique »12 que demeure Haïti, les confrontations entre hommes et rites invitent pour
toujours « à rompre avec les modes de penser et de sentir », et à la suite d’Aimé Césaire
et de Magloire Saint-Aude, nombreux furent les artistes qui, sur ces terres
incandescentes, furent influencés par le surréalisme et l’influencèrent à leur tour.

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15 La présence assidue des surréalistes français en Amérique latine contribua à nourrir


l’univers du mouvement : Benjamin Péret vécut au Brésil de 1929 à 1931, Antonin
Artaud voyagea sur les terres des Tarahumaras en 1936 et André Breton se rendit à
Mexico une première fois en 1938 avant d’y revenir à nouveau avec quelques-uns de ses
compagnons, après la débâcle de 1940.
16 De déclarations en prises de position, de voyages en études, de revues en expositions,
toute l’activité du mouvement concourut à faire de l’Amérique latine une matière
ardente et une étape singulière dans la construction de l’imaginaire surréaliste. De
nombreuses œuvres sont là pour en témoigner, celles de tous ceux que nous venons de
citer mais aussi d’autres, inattendues et surprenantes. Les tableaux ou sculptures
d’Agustín Cárdenas, de Jorge Camacho, de Rufino Tamayo et d’Alberto Gironella, sont
autant d’éclats de ce miroir de feu. L’Amérique des surréalistes, le surréalisme de
l’Amérique restent vivants en France. Chacun peut les surprendre au détour de son
chemin sur les cimaises d’une galerie ou d’un musée, à la devanture d’un libraire, dans
les collections d’archives et de bibliothèques.

L’Amérique latine, un laboratoire pour


les Sciences Humaines et Sociales
françaises

Un ‘champ précieux d’expériences et de


comparaisons’
17 Au nom d’une identité latine redécouverte (rappelons ici que le 5 avril 1909, Anatole
France, célébrait en Sorbonne le ‘génie latin’, avant de s’embarquer pour l’Argentine,
l’Uruguay et le Brésil) de nombreux hommes politiques firent, eux aussi, le voyage sud-
américain13 afin de fortifier les relations transatlantiques.
18 Pour la coopération universitaire française, l’Amérique latine fut, en ces temps, une
véritable terre de mission. Le Groupement des universités et des grandes écoles de
France pour les relations avec l’Amérique latine fut créé le 4 février 1908, à l’initiative
des professeurs Georges Dumas de la Faculté de Paris et Henri Le Châtelier du Collège
de France. Ce groupement s’était donné pour objectif de favoriser les relations
intellectuelles entre la France et les ‘républiques sœurs d’Amérique latine’, tout en
cherchant à remédier à la grande ‘méconnaissance’ dont souffrait cette région dans le
pays. Sous la houlette de l’hispaniste Ernest Martinenche14, ce Groupement fut aussi
efficace pour valoriser le laboratoire latino-américain auprès des chercheurs en France,
que pour diffuser, en Amérique latine, la pensée, les méthodes et les savoirs français.
19 Ses objectifs clairement opposés à l’hégémonie anglo-saxonne consistaient à
« maintenir et développer les affinités intellectuelles existant entre les Latins
d’Amérique et ceux de France, organiser une collaboration méthodique des universités
et des grandes écoles françaises et américaines, faire connaître en France l’Amérique
latine »15.
20 L’une des opérations de ce Groupement eut un grand retentissement, d’abord en
Amérique latine, puis en France. Georges Dumas au début des années trente fit valoir,
face à la concurrence européenne, l’excellence de l’Université française en soutenant la
candidature de jeunes enseignants français pour contribuer, à partir de 1934, à la

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création de l’université de São Paulo16, puis celles de Rio de Janeiro (1935) et de Porto
Alegre (1937). Parmi ceux–ci, officièrent Paul Arbousse-Bastide, Fernand Braudel,
Claude Lévi-Strauss, Pierre Deffontaines, Pierre Monbeig, Roger Bastide et bien
d’autres encore. En s’appuyant sur leurs observations et leurs expériences, tous allaient
faire du Brésil et de l’Amérique latine un vaste laboratoire d’expérimentation pour les
sciences sociales, dès leur retour en France.

1939-1959 : du coup d’arrêt de l’expansion


culturelle française au regain d’intérêt pour
l’Amérique latine en France
21 Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’influence et le rayonnement français
en Amérique latine étaient considérablement amoindris. Paris avait durablement perdu
l’attraction culturelle qui avait été la sienne avant-guerre. La France allait se vouer
toute entière à sa propre reconstruction et ne portait guère d’attention à des pays, qui
pourtant, dans les durs moments de la défaite, avaient su la chanter, à l’unisson de
Miguel Angel Asturias17 :

[…] Je te chante, France, auprès des hauts fourneaux tropicaux, / là où la


sueur coule le long de la peau, comme les lézards, / je te chante avant que tes
morts se dressent avec résolution /dans la bataille somnambule de ceux qui ne
sont pas vaincus […]

22 Cependant, dans l’optimisme de la Libération du pays, à l’initiative des Français


libres qui œuvrèrent en Amérique latine, un sursaut émergea, afin de redonner à
l’Amérique latine une place particulière dans la stratégie diplomatique que la France
entendait mettre en œuvre pour retrouver son rang dans le concert des Nations.

A la recherche d’un temps perdu


23 La volonté de quelques uns conduisit à la fondation d’organismes français de
recherche et de diffusion culturelle, en France et en Amérique latine, dans l’esprit de ce
qui avait été la politique de coopération d’avant-guerre. Les fers de lance de cette
stratégie furent la création à Mexico de l’Institut français d’Amérique latine, en 1944, de
ceux de Port-au-Prince en 1945, de Santiago du Chili en 1947 et du Centre français des
études andines à Lima, en 194818. Ces institutions constituaient les pièces maîtresses du
dispositif mis en place pour la diffusion de l’influence scientifique et culturelle française
en Amérique latine, entre autres par Paul Rivet, co-fondateur du Musée de l’Homme et
éminent représentant de la France-Libre. Parallèlement et dans ce même esprit de
reconquête, la Maison de l’Amérique latine fut fondée à Paris en 1945, à la demande du
ministère des Affaires étrangères. La nécessité de faire repartir la machine économique
en direction des territoires américains, incita à l’ouverture le 7 mai 1946 de la Chambre
de commerce France-Amérique latine. Dans ce même contexte d’intérêt pour le sous-
continent, le Groupe parlementaire d’amitié France-Amérique latine commença ses
travaux à l’Assemblée nationale l’année suivante.
24 Le Groupement des universités et grandes écoles de France pour les relations avec
l’Amérique latine, bravant les difficultés, poursuivait le travail qu’il s’était assigné au
début du siècle. Depuis son bureau parisien du boulevard Raspail, il continuait à
œuvrer pour que les universitaires français n’oublient pas l’Amérique latine.

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L’instauration d’un centre universitaire en France se faisait singulièrement attendre et


aucune chaire n’était réservée encore à cet enseignement.
25 Robert Ricard, premier hispaniste français voué à l’américanisme, regrettait déjà en
1932 « l’état inorganique des études hispano-américaines »19. Quinze ans après, la
situation sur ce plan n’avait guère changé, même si un mouvement en faveur des études
sur l’Amérique latine se dessinait. Fernand Braudel, en même temps qu’il dispensait
son enseignement aux agrégatifs en Sorbonne, parlait de « l’Amérique latine
contemporaine » aux étudiants de l’Institut d’études politiques de Paris20. Sous son
impulsion et celle des différents missionnaires de l’entre-deux-guerres, des chercheurs
de plus en plus nombreux allaient bientôt s’investir pleinement dans cette voie.
26 La revue Annales. Économies, sociétés, civilisations, dirigée alors par Lucien Febvre,
défendait en 1948 « les Amériques latines » comme sources d’études et incitait les
jeunes chercheurs à travailler sur cette aire culturelle21. Attentive à l’évolution des
recherches, elle rappelait, sans répit, la nécessité d’organiser en France les études
spécialisées sur cette région22.
27 En 1948 également, Marcel Bataillon avait pour l’Amérique un intérêt qui, selon lui,
aurait pu rester « platonique et livresque » s’il n’avait été « attiré au Nouveau monde
par les amicales instances d’Alfonso Reyes et poussé dans la même direction par Paul
Rivet »23. Au retour de ce voyage décisif, il donna ses premiers cours au Collège de
France sur des thèmes américains : « L’esprit des évangélisateurs du Mexique » et
« L’humanisme de Las Casas »24. Cet enthousiasme pour les études latino-
américanistes lui fit écrire un article-manifeste « Notre hispanisme devant
l’Amérique »25 incitant les hispanistes français à reconnaître que « toute culture
hispanique comporte aujourd’hui une connaissance rénovée des sommets de la
littérature d’Amérique latine avec leur arrière plan de géographie et d’histoire ».
28 Cette prise de position traduisait, sans doute aussi, le désamour du militant
antifasciste avec l’Espagne franquiste. L’hispanisme devait désormais s’abreuver à
d’autres sources. C’est ce que pensait, d’ailleurs, un autre hispaniste : Jean Sarrailh,
recteur de l’académie de Paris.

L’Institut des hautes études de l’Amérique latine,


premier pas de l’institutionnalisation du latino-
américanisme français
29 En créant l’Institut des hautes études de l’Amérique latine en 1954, sous l’égide du
rectorat de Paris, Jean Sarrailh poursuivait les mêmes objectifs qu’avant-guerre : la
culture et le savoir scientifique devaient être, comme dans le passé, les avant-postes de
la reconquête économique de la région. Pour marquer avec éclat l’acte de renouveau du
latino-américanisme, la première Encyclopédie de l’Amérique latine sous la direction
d’Édouard Bonnefous et coordonnée par Pierre Gerbet, sortit des presses en 1954. Elle
bénéficiait du prestigieux patronage de Robert de Billy, de Jean Sarrailh, d’André
Siegfried, de Paul Rivet, de Raymond Ronze et de Pasteur Vallery-Radot26.
30 Le Groupement, toujours présent, participait au mouvement. Son président
Raymond Ronze fut le premier directeur du nouvel institut et la participation au
développement de l’influence française en Amérique latine, fut hautement réaffirmée.
Dès 1955, sous le titre « L’Amérique latine et l’Europe », l’Institut organisa des
conférences bihebdomadaires confiées à des ingénieurs, des chefs d’industrie, des
banquiers, des attachés commerciaux, pour attirer l’attention des étudiants et des
acteurs du monde économique sur les problèmes posés par l’expansion française en

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Amérique latine. Sa démarche était d’unir « les efforts de l’Université et des


représentants les plus qualifiés de la science technique et de l’économie françaises »,
afin de dresser un bilan permanent des nécessités d’équipement de l’Amérique latine,
de susciter la participation de la France à cette œuvre indispensable et mettre en relief
les possibilités offertes au monde économique27.
31 Lorsqu’en 1957, Pierre Monbeig, ancien missionnaire à São Paulo, fut nommé
directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, une nouvelle inflexion fut
donnée à l’institution. Avec Braudel, Bataillon, Rivet et quelques autres, l’importance
des études sur le sous-continent commençait à s’imposer. De jeunes chercheurs étaient
engagés dans cette voie (Pierre Chaunu, Frédéric Mauro, Jean Roche, Michel
Rochefort…) au moment où les grandes thèses issues de l’expérience latino-américaine
commençaient à être publiées28.
32 L’université française en pleine mutation n’allait pas tarder à faire face à une arrivée
massive d’étudiants qui changerait complètement la physionomie de l’enseignement et
de la recherche dans le pays. Pour autant et malgré les efforts consentis par les latino-
américanistes, l’Amérique latine était loin d’être une priorité pour les politiques
gouvernementales de cette époque, tant la décennie des années cinquante était placée
avant tout sous le signe de la reconstruction et de la clôture du fait colonial.

Des années charnières pour une


redécouverte spectaculaire de
l’Amérique latine
33 Les sociétés latino-américaines, comme de nombreuses autres sociétés dans le
monde, connaissaient de rudes blocages et demeuraient marquées par un fossé entre
les élites et le reste de la population. Le président Truman proposa dans sa déclaration
du 20 janvier 1949 de faire bénéficier les pays insuffisamment développés des progrès
de la science et de l’industrie. La politique des États-Unis au sud du continent
américain qui allait suivre, allait s’inscrire très clairement dans cette ligne.
L’Organisation des Nations unies avait décrété « le droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes ». Avec la création en 1949 de la Commission économique pour l’Amérique
latine (CEPAL), les États latino-américains essayèrent de trouver des solutions au sous-
développement économique de la région.

Une décennie propice aux débats et… à la


consommation
34 La décennie 1950-1959 fut propice à une formidable confrontation d’idées sur la
décolonisation, les relations antagoniques Nord-Sud, la faim dans le monde. L’époque
était marquée par la peur de l’apocalypse nucléaire et l’affrontement des blocs. Le débat
tiers-mondiste se cristallisa sur l’impérialisme, l’échange inégal, l’exploitation de
classes par les féodalités ou bourgeoisies, les luttes sociales29. La Conférence de
Bandung, ce ‘réveil des peuples colonisés’30 réunit du 17 au 24 avril 1955 vingt-neuf
pays afro-asiatiques. Acte important dans le processus de décolonisation, elle stimula
sans aucun doute la prise de conscience d’un nécessaire développement pour les
peuples dominés. Le Martiniquais Franz Fanon, auteur dès 1952 d’un ouvrage de grand

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retentissement Peau noire, masques blancs, fut l’une des figures les plus
emblématiques de ce mouvement. Plus tard, dans les années 1960 et 1970, son ouvrage
Les damnés de la terre devint une référence pour chaque militant engagé dans les
luttes de libération nationale31.
35 Au cours de ces mêmes années, la situation économique de la France, dopée par
l’European Recovery Program (Plan Marshall) s’était considérablement développée.
Elle était caractérisée par le retour au plein emploi, une croissance forte de la
production industrielle, une expansion démographique importante. Le niveau
d’éducation et d’expérience des travailleurs restait important et permettait un
rattrapage technologique vis-à-vis des puissances plus développées comme les États-
Unis.
36 Cependant, le pays était encore englué dans ses guerres coloniales et n’arrivait pas à
régler le problème algérien. Contre toute attente, l’Amérique latine en ces années fut en
première ligne, et occupait la devanture des librairies. Gallimard, pour ne citer que
cette maison d’édition, accueillait dans deux de ses prestigieuses collections, Du monde
entier et La croix du Sud initiée par Roger Caillois, les grands auteurs de la littérature
latino-américaine. Les événements politiques qui suivraient ne la laisseraient pas seule
sur ce marché.

Au cœur du débat tiers-mondiste, livres et revues


37 En France, les éditions sur la décolonisation se multiplièrent, un livre répondant à un
autre. Depuis 1955, la librairie La joie de lire, fondée dans le quartier latin par François
Maspero, réunissait, entre livres et revues, tout le monde de gauche : étudiants,
chercheurs, et travailleurs qui lisaient, se rencontraient, débattaient.
38 Jean-Paul Sartre et François Maspero étaient à la pointe du ‘combat’. Le créneau était
large, les Éditions ouvrières étaient présentes et bien d’autres éditeurs ne tardèrent pas
à y monter. Les presses universitaires ne dédaignèrent pas le débat32. De nombreux
numéros spéciaux de revues33 furent publiés et le succès médiatique, dont les quelques
citations produites ici illustrent l’importance, fut au rendez-vous.

L’irruption sur la scène internationale de Fidel


Castro et de ses « barbudos »
39 En janvier 1959, les guérilleros du mouvement révolutionnaire cubain ‘Movimiento
del 26 de julio’ dirigés par Fidel Castro prirent La Havane et libèrent Cuba de la
dictature de Fulgencio Batista. Le leader révolutionnaire et ses compagnons d’armes,
Ernesto ‘Che’ Guevara et Camilo Cienfuegos appelèrent à la grève générale : sa réussite
leur permit de prendre le pouvoir. Cet événement est sans doute celui qui influença le
plus fortement l’idéologie tiers-mondiste de l’époque. Il fut même à l’origine d’une
véritable mythologie. Le phénomène fut tel que la figure de Che Guevara et la
transposition du modèle cubain de « foyer de guérilla » allaient nourrir l’imaginaire
révolutionnaire un peu partout et faire de Cuba un point de mire pour plusieurs
décennies.
40 L’immédiat après-guerre avait été marqué par la pénurie, mais, dans cette période,
l’augmentation du niveau de vie allait permettre l’accession à des biens d’équipement. Il
ne s’agissait plus de satisfaire seulement les besoins essentiels comme la nourriture, les
vêtements ou le logement, mais aussi d’acquérir des biens durables, éléments de

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confort et de statut social. Le poste de télévision fut l’un de ces produits34. Fidel Castro
et ses compagnons furent de remarquables médiateurs pour relancer l’Amérique latine
dans l’imaginaire européen. Des films, comme celui de Chris Marker, Cuba sí, et des
reportages dans des émissions comme Cinq colonnes à la une popularisèrent, au-delà
de toute mesure la ‘geste héroïque’ des guérilleros cubains. La télévision participa à
donner aux événements cubains un retentissement inédit.

Romantisme et tourisme révolutionnaires : le


voyage à Cuba de Sartre et De Beauvoir
41 Ces médias furent indéniablement de puissants vecteurs pour reparler de l’Amérique
latine et la rapprocher du grand public. Cependant un événement y contribua sans
doute plus qu’un autre : le voyage en février-mars 1960 de Jean-Paul Sartre et Simone
de Beauvoir dans la République « unitaire et démocratique » de Cuba.
42 Sartre décida de ce voyage pour, disait-il, « s’arracher au cynisme orthodoxe » d’une
France où l’on torturait depuis cinq ans, espérant que les jeunes révolutionnaires
barbus le persuaderaient « qu’on peut encore changer la vie ». Le nouveau régime,
comblé par l’auguste visite, ne ménagea pas ses efforts : il convia le couple à des
conférences, entretiens, débats, cours à l’université et visites du pays. Durant quarante-
huit heures, les deux écrivains accompagnèrent Fidel Castro en tournée dans l’île, ce qui
contribua sans doute à forger leur opinion : « La révolution cubaine est une véritable
révolution ». Sartre rapporta, dans ses carnets de voyage, une réflexion enthousiaste
sur le nouveau régime cubain, mais celle-ci n’aurait pu avoir de retentissement sans
l’appui du grand journaliste Pierre Lazareff35.
43 Sartre proposa à Lazareff « de dire la vérité sur Cuba » ; il souhaitait que son
témoignage « ait la plus large audience ». Le journaliste ne se déroba pas et publia au
nom de la liberté d’expression, le long plaidoyer du philosophe qui fut « libre
d’exprimer dans [les colonnes du journal] certaines opinions auxquelles [France-Soir]
ne souscrivait pas ». Ainsi, les lecteurs de l’époque purent du 28 juin au 15 juillet 1960
lire seize articles réunis sous le titre emblématique d’Ouragan sur le sucre. Cette
tribune contribua à mettre sous les feux de l’actualité, Cuba bien sûr, mais plus
largement encore l’Amérique latine.

Une occasion pour contrer l’emprise


des Etats-Unis sur l’Amérique latine
44 En 1961, après la désastreuse défaite de la Baie des Cochons, Kennedy déclara : « Une
nation de la taille de Cuba est moins une menace pour la survivance des États-Unis
qu’elle constitue une base de subversion dirigée contre les autres pays libres des
Amériques ». Contrairement aux Nord-Américains, les pays d’Europe ne perçurent
nullement la révolution cubaine comme un défi à leur influence. Au paroxysme de la
Guerre froide, la crise des missiles, installés par les Soviétiques à quelques encablures
des côtes américaines, inaugura à l’automne 1962 un nouveau tournant dans les
relations Est-Ouest ; leur intérêt pour les pays d’Amérique latine, en sommeil depuis la
fin de la guerre, était enfin réveillé. L’Europe connaissait une expansion économique
sans précédent, en même temps qu’elle se passionnait à nouveau pour l’Amérique
latine. Il est intéressant d’observer ce retour de flamme, tel qu’il put se traduire dans les

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milieux culturels et scientifiques36.


45 Tandis que les États-Unis se mobilisaient contre l’influence du communisme dans la
région et développaient l’ambitieux programme dit de « l’Alliance pour le progrès »,
dont la Banque interaméricaine de développement (BID) et l’Agence américaine pour le
développement international (USAID) étaient les principaux agents, des tentatives pour
infléchir les choses dans le sens d’une troisième voie émergèrent. La France fut l’un des
pays d’Europe les plus actifs en ce domaine.

L’Amérique latine, fer de lance de la politique


étrangère française
46 Le conflit algérien n’était pas encore terminé que le général de Gaulle, de retour aux
affaires depuis l’année précédente s’inquiétait, déjà, de « réorienter la politique
extérieure de la France vers le grand large »37. En envoyant André Malraux dans les
pays du Cône Sud en 1959, il proposait aux peuples d’Amérique latine la collaboration
de son pays et appelait les nations latines à constituer une troisième force propre à
‘sauver les valeurs humaines gravement menacées’ par ceux qui se disputaient alors la
domination du monde : « Pourquoi ne pas espérer qu’un jour doive s’établir de part et
d’autre de l’Atlantique un monde latin uni et renouvelé ; et qui sait si ce n’est pas là, en
dernier ressort, l’avenir de la raison, c’est-à-dire de la paix du monde38 ».
47 Au printemps et à l’automne 1964, lorsque la question algérienne fut réglée, le
général de Gaulle visita l’Amérique latine39. Il répéta, au cours de ses voyages, sa foi en
la latinité, soulignant l’étroite identité culturelle existant entre la France et les pays
d’Amérique latine. Partout il affirma la nécessaire indépendance des pays de la région
vis-à-vis de l’un ou l’autre des deux blocs. Triomphalement accueilli dans toutes les
capitales de la région, De Gaulle encouragea les peuples et les dirigeants latino-
américains à définir et mettre en pratique leurs propres solutions, se gardant, autant
que possible, des « deux impérialismes ». Ces voyages se soldèrent par un immense
succès personnel mais très vite, l’impitoyable réalité s’imposa : la France à peine sortie
de ses guerres coloniales n’avait pas les moyens de ses ambitions politiques. Entre 1965
et 1970, elle dut se contenter d’accords de coopération prévoyant l’envoi de coopérants
français en Amérique latine, d’étudiants et de chercheurs latino-américains en France.
La coopération technique et économique fit l’objet d’appuis particuliers, mais ces
efforts étaient bien dérisoires face aux espoirs soulevés par la tournée présidentielle.
Les quelques dizaines de millions mobilisés par la France étaient bien peu de chose,
face à la massive contribution nord-américaine et internationale40.

Le réveil des européens vis-à-vis de


l’Amérique latine : une nouvelle donne
48 Il est probable, comme le souligne David Stansfield, que les sentiments anti-
américains produits par la révolution cubaine et les mouvements des guérilleros en
Amérique latine contribuèrent à susciter quelques espoirs en Europe pour récupérer, en
même temps que de nouveaux marchés, une partie de l’influence diplomatique perdue
après la guerre au profit des États-Unis41. On assista à la création d’établissements
universitaires propres à étudier et mieux connaître la région dans différents pays
d’Europe occidentale et orientale, ce qui ne s’était jamais produit à cette échelle.

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49 Au Royaume-Uni, en Suède, comme ailleurs en Europe occidentale (France, Pays-


Bas, Allemagne fédérale, Italie, Autriche), ce fut à cette époque et pour les mêmes
raisons, que l’Amérique latine revint sur le devant de la scène.
50 Dans le bloc de l’Est, la coupure des liens entre Cuba et les États-Unis réalisée avec
l’aide de l’Union Soviétique, fut cruciale pour la réinterprétation de l’Amérique latine.
L’établissement de l’institut latino-américain à Moscou en 1961, au sein de l’Académie
des sciences de l’URSS, est sans doute une preuve de ce regain d’intérêt42. Cette
création influença la mise sur pied de programmes latino-américains dans d’autres pays
de l’Est et on assista, dans la même période, à l’inauguration de nouveaux instituts en
République démocratique allemande, en Tchécoslovaquie, en Pologne ou encore en
Hongrie.
51 Pour les deux blocs, l’Amérique latine était redevenue pour longtemps un objet de
convoitises et de pouvoirs. L’Europe occidentale en se réinvestissant dans le sous-
continent ménageait ses intérêts et se positionnait pour le futur.
52 Dans la France des années 1960 et 1970, les Français se montrèrent curieux des
expériences politiques menées dans le sous-continent, notamment à Cuba et plus tard
au Chili. Bien vite des régimes autoritaires s’installèrent dans de nombreux pays et
jetèrent dans l’exil de nombreux Latino-américains (intellectuels pour la plupart)43.
Donnant vie aux déclarations de Carlos Fuentes : « l’ultime patrie d’un Latino-
américain c’est la France », une génération d’artistes (Pablo Neruda, Gabriel García
Márquez, Jorge Amado, Julio Cortázar) avait déjà fait de Paris un refuge, face à
l’étouffement généré par les politiques de leurs pays. D’autres intellectuels les suivirent
et, avec l’appui des gouvernements en place, occupèrent des postes dans les universités
françaises où ils contribuèrent à fortifier les études sur l’Amérique latine (Celso
Furtado, Fernando Henrique Cardoso et Milton Santos [Brésil], Gustavo Beyhaut
[Uruguay], Jacques Chonchol et Roberto Santana [Chili], Rubén Bareiro Saguier et
Augusto Roa Bastos [Paraguay]...).

Les hauts et bas du latino-américanisme français


53 Au moment où le débat tiers-mondiste atteignait son paroxysme, les grandes revues
latino-américanistes voyaient le jour. Les Cahiers du monde hispanique et luso-
brésilien-Caravelle furent publiés en 1963 par l’université de Toulouse, la revue
Problèmes d’Amérique latine, éditée sous l’égide de la Documentation française parut
en 1965 et l’Institut des hautes études de l’Amérique latine diffusa le premier numéro
de Cahiers des Amériques Latines en 1968.
54 Parallèlement, de nombreuses thèses sur l’Amérique latine, tous doctorats
confondus, étaient soutenues en France entre 1970 et 1990 : 973 thèses pour les
premières dix années et 1478 thèses pour la décennie suivante, soit cinq cent cinq
thèses supplémentaires en dix ans ; on relevait parmi celles-ci, un nombre non
négligeable émanant de Latino-américains44. Ces créations et soutenances pouvaient
témoigner de la vigueur du latino-américanisme et de son expansion, dans une
université devant faire face, pour la première fois de son histoire, à un nombre massif
d’étudiants.
55 La formidable transformation de l’université après les mouvements estudiantins de
1968 allait avoir des effets très contrastés sur le latino-américanisme. Le bastion de la
rue Saint-Guillaume fut fortement ébranlé : autrefois institut de la seule université de
Paris, il fut rattaché à l’une des treize universités issues de la restructuration
universitaire45.
56 Avec la création de nouvelles universités, nombreux furent les latino-américanistes

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qui occupèrent des postes en région. Dans le milieu des années soixante-dix, ils se
dotèrent des moyens pour faire entendre leur voix et structurer le latino-américanisme
dans leur nouveau port d’attache. C’est ainsi que Jean Meyer publia L’Ordinaire du
Mexicaniste46 à Perpignan, suivi quatre années plus tard de la revue Études mexicaines.
La création de nouveaux centres de recherches fut accompagnée de nouveaux titres :
Amérindia fut le premier. Á partir de 1976, il aida à la diffusion des travaux spécifiques
produits en linguistique amérindienne au Centre national de la recherche scientifique.
Le développement des universités, et notamment des unités spécialisées sur l’étude des
langues et civilisations ibériques et ibéro-américaines contribua notablement à la
publication de nouveaux titres surtout à la fin des années soixante-dix et dans les
années quatre-vingts. Citons en particulier Ventanal, Marges, Iris, América, Cahiers
du CRIAR, et Cahiers du CRISOL. Ce mouvement, important dans l’université, et pas
seulement dans le domaine littéraire47, put être observé également dans les centres de
recherches spécialisés, du CNRS ou d’autres institutions de recherche. Cahiers du
Brésil contemporain en est un exemple48. La plupart des nouveaux centres fondés dans
les années quatre-vingts bénéficièrent du développement de l’informatique et des
programmes de traitements de texte. La production de revues devenait alors
techniquement plus aisée, grâce à la multiplication des ordinateurs et des
photocopieurs.
57 Il fallut attendre un nouveau statut pour que l’Institut des hautes études de
l’Amérique latine, fortement diminué par son déclassement, et la création d’un
dispositif identique à l’université de Toulouse-Le Mirail, pour que les institutions
strictement latino-américanistes reprennent des couleurs. En 1985, ce fut chose fait
grâce à l’intervention du géographe Romain Gaignard, alors en poste au ministère de
l’Éducation nationale.
58 A Paris, l’Institut travaillait très étroitement avec le Centre de recherche et de
documentation sur l’Amérique latine créé au Centre national de la recherche
scientifique en 1968 ; l’Institut pluridisciplinaire des études sur l’Amérique latine à
Toulouse, fondé en 1985 et le Groupe de recherche sur l’Amérique latine, laboratoire du
CNRS, dirigé par Claude Bataillon depuis sa création en 1977, essayaient de mettre sur
pied les études sur l’Amérique latine dans leur université, en regroupant un petit noyau
d’enseignants et de chercheurs prêts à défendre leurs positions contre les forteresses
disciplinaires. Pendant quelques années une coopération documentaire entre ces
structures de Toulouse et de Paris fortifia le travail latino-américaniste. Le CNRS ayant
donné les moyens de développer une documentation commune, le Réseau Amérique
latine se développa entre 1980 et 200749. La période facilitait le développement des
technologies des bases de données et la réussite du Réseau fut d’exporter en Europe son
modèle dès 1989. Le Réseau européen d’information et de documentation sur
l’Amérique latine (REDIAL) fut porté par les latino-américanistes français jusqu’en
2010, avant que des directions européennes ne le conduisent sur de nouveaux chemins.
Ce réseau put travailler avec les nombreux centres d’Europe, existant souvent depuis les
années 1960. Grâce à Romain Gaignard, président, à la fin des années 1990, du réseau
de chercheurs Consejo Europeo de Investigaciones Sociales de América Latina
(CEISAL), une coopération entre REDIAL et CEISAL vit le jour et permit de valoriser et
diffuser la recherche européenne spécialisée en sciences humaines et sociales sur
l’Amérique latine, en Europe d’abord puis sur le continent américain50. Cette politique
coopérative est assez unique en France et en Europe, et on ne l’observe guère pour
d’autres aires culturelles.
59 L’Amérique latine était alors devenue une cible de la construction d’un monde
multipolaire, la France se devait de réagir pour essayer d’être « dans le jeu ». Après la
tentative de De Gaulle dans les années 1960 de rompre le face à face Est-Ouest, les

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Français se rendirent vite à l’évidence que leur influence dans le monde était devenue
très limitée. Avec François Mitterrand, la politique étrangère de la France connut un
tournant décisif51. Une interaction avec l’Europe paraissait nécessaire, dès lors que
l’Espagne et le Portugal avaient rejoint l’Europe communautaire. Il semblait évident
que les efforts devaient être portés pour qu’une politique européenne puisse émerger. A
défaut de politique étrangère à l’échelle de l’Europe, difficile à mettre en place, des
programmes de coopération régionale virent le jour, tels ALFA (América Latina
Formación Acádemica) et ALBAN (Bourses d’études de haut niveau pour l’Amérique
latine), dans le domaine de la coopération universitaire ou encore URB-AL,
programmes pour le développement des politiques urbaines par le truchement des
collectivités territoriales et des gouvernements locaux.
60 Depuis le début des années 1980, l’Amérique latine avait connu des bouleversements
importants qui la conduisirent à la démocratisation de ses structures politiques et à
l’ouverture économique. Pour les observateurs et chercheurs sur ces pays, il
apparaissait plus que jamais nécessaire d’articuler les approches disciplinaires afin de
mieux comprendre les évolutions de ces sociétés. Des questions comme, par exemple,
celle de l’intégration, des religions, ou des migrations, montraient qu’il existait, de plus
en plus, une fluidité des thématiques entre les aires culturelles du Nord et du Sud du
continent. Prenant acte de cette prégnante réalité, les latino-américanistes invitèrent
les nord-américanistes à mettre sur pied un Institut des Amériques, permettant les
comparaisons fertiles et le développement d’axes transaméricains et transdisciplinaires.
61 À partir de 2007, cette ultime mutation bouleversa le système à la fois structuré et
fragile du latino-américanisme. Le GIS Amérique latine élargit son champ d’application
pour que naisse le GIS Institut des Amériques qui allait façonner ce nouvel institut, en
accueillant les recherches sur les États-Unis et le Canada.

Pour conclure : les aires culturelles en


temps de mondialisation
62 Eu égard ces transformations, les outils conceptuels semblent inadaptés à l’examen
de la nouvelle donne. Dans l’ère de la mondialisation, qui se déploie à partir des années
1990, la place de l’Amérique latine invite à revisiter les découpages usuels du monde en
aires culturelles. Cette structuration, héritée en France des travaux de Fernand Braudel
et de quelques autres, ne permet pas aujourd’hui d’analyser, dans toutes leurs diversités
et conséquences, les dynamiques politiques, économiques et culturelles à l’échelle
mondiale. Pour rendre compte par exemple de l’influence du vote hispanique dans le
sud des États-Unis ou de l’empreinte culturelle latino-américaine sur ce territoire, il
faudrait sans doute sortir de la vision dépréciative de l’Amérique latine, telle qu’elle a
pu apparaître dans l’opposition Nord-Sud. Or, les mécanismes de dévalorisation restent
à l’œuvre dans toutes les sphères de la société nord-américaine, que ce soit au niveau
politique, social ou universitaire52. La recherche française n’est pas en reste. En
étudiant les prises de position des chercheurs français, Areski Cherfaoui met en
évidence une typologie de quatre profils de chercheurs, qu’ils retiennent le paradigme
des aires culturelles, encore dominant dans les structures institutionnelles, ou s’en
écartent53. Selon l’auteur, même si beaucoup restent fidèles à l’idée d’une consistance
culturelle géographique, force lui est de constater que pour nombre de chercheurs en
sciences humaines et sociales, les marqueurs politiques, culturels et économiques
deviennent plus ambigus. La vision braudélienne qui oppose le Sud au Nord, l’Est à

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l’Ouest et l’Orient à l’Occident54 fait débat, alors que germent de nouvelles catégories
analytiques pour penser le monde, comme c’est le cas par exemple de l’ABRIC55. Pour
mieux apprécier la place des acteurs émergents et de leurs territoires, en ce début du
XXIe siècle, sans doute sera-t-il nécessaire de forger de nouveaux instruments
conceptuels : de ce point de vue, des pistes de travail surgissent, en termes de carte
cognitive des dirigeants des pays émergents56 ou en termes de ‘zones de contact’,
espaces interstitiels – politiques économiques et culturelles- entre grandes aires
traditionnelles57. Ces pistes mériteraient certainement d’être privilégiées et
approfondies… Cela apparaît indubitablement aujourd’hui pour l’ABRIC, mais pourrait
concerner les Caraïbes pour les Amériques, le Sahel pour l’Afrique ou encore la
Méditerranée.

Notes
1 Des festivals spécialisés sur le cinéma latino-américain permettent, régulièrement, de
valoriser en France, les cinémas d’Amérique latine (Biarritz, Toulouse, Nantes, Pessac,
Paris…).
2 Rappelons ici les paroles de Lucien Febvre, dans son texte fondateur pour les latino-
américanistes « Un champ privilégié d’études : l’Amérique du Sud » in Annales d’histoire
économique et sociale, 1929, n° 2 : « De cette Amérique du Sud qui pendant si longtemps, a
vécu dans un isolement relatif et en tout cas dans l’ignorance totale des civilisations
européennes, la nature et l’histoire ont fait pour nous un champ précieux d’expériences et de
comparaisons. Pour nous, qui que nous soyons, préhistoriens ou ethnographes, historiens ou
géographes, curieux du présent ou investigateurs du passé, il est excellent qu’il y ait des
américanistes, spécialisés dans l’étude d’un monde largement original ».
3 Ernest Martinenche, président du Groupement des universités et grandes écoles de France
pour les relations avec l’Amérique latine, déclarait dans les années 1920 : « L’Amérique latine
nous a fait jusqu’ici l’honneur de nous connaître infiniment mieux que nous ne la connaissons.
Elle a lu nos livres, ceux où l’on travaille aussi bien que ceux où l’on se repose. Nous n’avons
longtemps répondu à cette prédilection que par les maladresses d’une sympathie confuse et
mal éclairée. L’organisation de l’enseignement de l’espagnol date d’hier chez nous, et c’est à
peine si le portugais commence à se faire dans notre Université une place beaucoup trop petite.
C’est donc au public de langue française qu’il convient de faire mieux comprendre l’Amérique
latine dont l’expansion européenne demeure notre plus cher souci ». Rapporté par Charles
Lesca in Histoire d’une revue. Hommage à Ernest Martinenche (Études hispaniques et
américaines), Paris, Éd. d’Artrey, 1939, p. 437.
4 Déjà en 1850, on trouve des traces d’une admiration réelle pour les pays du cône Sud chez
Victor Hugo et Alexandre Dumas pour ne citer ici que les auteurs les plus emblématiques.
Nous ne reviendrons pas sur le mouvement qui poussa les Français à intervenir au Mexique,
mais celui-ci revint au tournant du siècle lorsque, hors de tout bellicisme, les politiques
vantaient les républiques-sœurs d’Amérique latine.
5 Selon l’article premier de ses statuts, l’Alliance française est une association à but non lucratif
qui a pour objet de « diffuser la langue française » et de « regrouper tous ceux qui désirent
contribuer au développement de la connaissance et du goût de la langue et de la pensée
françaises ».
6 Au début du XXe siècle, certaines maisons d’édition comme Garnier Frères, les Éditions
Veuve Bouret, la librairie Ollendorff et d’autres développaient un commerce florissant dans
une Amérique latine francophile, qui permettait la diffusion d’œuvres en français et en
espagnol dans toute cette région. Jean François Botrel, cite à ce propos deux témoignages très
parlants : « En París, Garnier se gloria en ganar con sus libros en castellano más que todos los
editores juntos de Madrid » et « La Viuda Bouret, tiene casi monopolizado el mercado de
México ». Cf. Jean François Botrel, La sociedad de ediciones literarias y artisticas. Librería
Paul Ollendorff (contribution à l’étude de l’édition en langue espagnole, à Paris au début du
XXe siècle Bordeaux, Institut d’études ibériques et ibéro-américaines, 1970, 27 p.
7 Notons qu’à partir de la loi du 7 juillet 1904 qui stipule la suppression en France des
congrégations religieuses enseignantes, nombreux furent les religieux français qui partirent
fonder des établissements à l'étranger. L'Amérique, du Nord (Québec) et du Sud, fut une

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destination privilégiée.
8 Cf. Jean-Claude Villegas, Paris, capitale littéraire de l’Amérique latine, Dijon : EUD, coll.
« Écritures », 2007 ; Nathalie Froloff, « Dernière tentation de Valery Larbaud : le Brésil »,
Cahiers des Amis de Valery Larbaud, éditions des Cendres, 2005.
9 Alfonso Reyes par exemple arriva à Paris en 1925, en qualité d’ambassadeur du Mexique en
France.
10 André Breton, « L’homme, ce rêveur définitif, de jour en jour plus mécontent de son sort,
fait avec peine le tour des objets dont il a été amené à faire usage ». Extrait du Manifeste du
surréalisme, Paris, Éditions du Sagittaire, 1924.
11 André Breton, Martinique charmeuse de serpents, Paris, Jean-Jacques Pauvert éditeur,
1972, 117 p.
12 André Breton, Discours au Savoy-Club de Port-au-Prince, 14 décembre 1945. Repris dans
« Alentours I », Œuvres complètes, volume 3, Paris, Gallimard, 1999. (Bibliothèque de la
Pléiade, n° 459).
13 Jean Jaurès par exemple se rendit en 1911 au Brésil, Uruguay et Argentine de mi-juillet à fin
octobre. Une récente publication rend compte de ce voyage : Jean Jaurès. Discours en
Amérique latine (1911), éd. Bruno Leprince, 2010. Georges Clémenceau visita ces mêmes pays,
lui aussi en 1911 et publie la même année ses Notes de voyages dans l’Amérique du Sud.
Argentine- Uruguay-Brésil, Paris, Hachette, 1911.
14 Le Groupement en la personne d’Ernest Martinenche, titulaire de l’enseignement d’espagnol
(son poste parisien, créé en 1906, fut transformé en 1919 en chaire de l’université de Paris),
bénéficiait de la récente réorganisation de l’enseignement des langues vivantes en France, et
plus particulièrement de celui de l’espagnol.
15 Charles Lesca, « Les oeuvres américaines de Paris. le Groupement des universités et des
grandes écoles de France pour les relations avec l'Amérique latine » in France-Amérique, août
1912, p. 103-106.
16 Voir Jean-Paul Lefèvre, « Les missions universitaires françaises au Brésil dans les années
trente », Vingtième siècle revue d’histoire, 1993, n° 38, p. 24-33.
17 Miguel Angel Asturias, « Une certaine idée de l’Amérique latine », Espoir, n° 114, 1998.
18 Aujourd’hui Institut français d’études andines (IFEA).
19 Robert Ricard, « Introduction », La conquête spirituelle du Mexique, essai sur l’apostolat et
les méthodes missionnaires des ordres mendiants de la Nouvelle Espagne de 1523-24 à 1572,
Paris, Institut d’ethnologie, 1933.
20 Cf. Giuliana Gemelli, Fernand Braudel, Paris, Odile Jacob, 1995 p. 64.
21 Comme en 1929, les Annales défendaient l’Amérique latine comme une région propice au
développement de recherches originales. Cf. « A travers les Amériques latines », cahier spécial
des Annales. Économies-Sociétés-Civilisations, octobre-décembre 1948, Paris, Colin, 191 p.
Deuxième partie, chapitre 1. Jean-Pierre Berthe nous confiait : « Avec le recul, je crois pouvoir
dire que cette lecture a probablement fixé ma vocation d’historien de l’Amérique, sans que j’en
aie eu pleinement conscience sur le moment ». [Entretien avec Jean-Pierre Berthe, 24 juillet
1996].
22 C’est ainsi qu’en 1951, dans une note brève publiée dans la rubrique « outillage et
documentation », la revue revenait sous la plume de Fernand Braudel, sur les carences qui
demeuraient en ce domaine. Cf. Fernand Braudel : « Où étudie-t-on l’histoire des Amériques »,
Annales. Économies-Sociétés-Civilisations, 1951, n°6, p. 91.
23 Jacques Lafaye insiste sur l’importance de ce voyage dans l’évolution de l’oeuvre de Marcel
Bataillon. « El estudio de Hispanoamérica en Francia » in Arbor, ciencia, pensamiento y
cultura, Tome CII, n° 400, avril 1979, p. 85 [541]- 100 [556]. Marcel Bataillon revient lui-
même sur ce voyage p. VII de l’introduction qu’il signe pour présenter un recueil de ses travaux
sur Las Casas : « Pour aider à faire de moi un lascasien, il fallut aussi que, peu avant de partir
pour l’Amérique le ‘seiziémiste’ que j’étais eût, grâce à Silvio Zavala, la révélation de Vasco de
Quiroga, disciple de Thomas More et défenseur, comme Las Casas, des Indiens contre
l’esclavage. Au cours d’un voyage de plusieurs mois, je vis, en 1948, les Indiens de la région de
Pátzcuaro, où la mémoire de Don Vasco est toujours vénérée ; ceux des parages d’Atitlán et de
Chichicastenango, par où Las Casas et ses compagnons missionnaires approchèrent la Tierra
de Guerra qu’ils allaient changer en Vera Paz ; ceux du Cuzco et ceux de Machu Picchu qui fut
peut-être le refuge de l’Inca rebelle de Vilcabamba. La vie de Las Casas et ses écrits se lièrent

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indissolublement pour moi, à cette Amérique qui, aujourd’hui encore, garde un visage indien,
et qui parle espagnol ». Cf. « Introduction », in Études sur Bartolomé de Las Casas réunies
avec la collaboration de Raymond Marcus, Paris, Centre de recherches de l’Institut d’études
hispaniques, 1965 (Thèses, mémoires et travaux n°5).
24 Depuis le 4 décembre 1945, date de sa leçon inaugurale, Marcel Bataillon occupait la Chaire
de langue et littérature de la Péninsule ibérique et de l’Amérique latine au Collège de France. Il
se livra lors de sa leçon inaugurale à l’inventaire de l’héritage légué à la nouvelle chaire par un
siècle de travaux consacrés à la langue et à la littérature de la Péninsule ibérique et rendit un
hommage particulier aux hispanistes français. Dans son recueil Études sur Bartolomé de Las
Casas il précise (p. VII de l’introduction) que le titre même de sa chaire avait été conçu « en
préjugeant de [son] intérêt pour l’Amérique ». Cet intérêt, nous l’avons vu, s’amplifia après le
voyage de 1948.
25 Marcel Bataillon, « Notre hispanisme devant l’Amérique » in Les Langues néo-latines,
n° 112, 43e année, février-juin 1949, p. 1-7.
26 Édouard Bonnefous, dir., Pierre Gerbet, coord., Encyclopédie de l’Amérique latine
politique, économique culturelle. Préface d’Édouard Bonnefous, Paris, PUF, 1954, 628 p. On y
trouve des contributions de : Paul Arbousse-Bastide, Louis Baudin, Roger Bastide, Jean Borde,
Marc Bouloiseau, Igor Boussel, Jean Cassou, François Chevalier, Pierre Deffontaines, René
Durand, Henry Lavachery, Jean Meyriat, Jacques Oudiette, Marc Pieyre, Georges Poussot,
Georges Raeders, Georges Sachs, Abelardo Saenz, Filoteo Samaniego, Jacques Soustelle,
Michel de Toro, Jean Touchard, Angel Trapero-Ballesteros, Jean Vellard, Auguste Viatte, Jean
Viet, Alberto Zerega-Fombona.
27 Cf. « La France dans le monde » in Cahiers français d’information, 15 mars 1955, p. 23.
28 François Chevalier, La naissance des grands domaines au Mexique (XVIe-XVIIe siècles,
1949/ Pierre Monbeig, Pionniers et planteurs de São Paulo, 1952/ Paul Arbousse-Bastide, Le
positivisme politique et religieux au Brésil : de l’Empire à la Constitution républicaine (1850-
1891), 1953/ Germain Bazin, L’architecture et la sculpture décorative des églises brésiliennes
à l’époque baroque, 1954. Viendraient ensuite les thèses des jeunes chercheurs constituant la
seconde génération des latino-américanistes comme par exemple celles de Frédéric Mauro, Le
Portugal et l’Atlantique au XVIIe siècle, étude économique, 1957 / Jean Roche, La colonisation
allemande et le Rio Grande do Sul, 1957 / Michel Rochefort, Rapports entre la pluviosité et
l’écoulement dans le Brésil subtropical atlantique : étude comparée des bassins de Guaiba et
du Paraiba du sud, 1958 / Pierre Chaunu, Séville et l’Atlantique (1504-1650), 1960.
29 Voir Philippe Hugon, « La pensée francophone en économie » in Choquet, C., Dollfus, O.,
Le Roy, E., Vernières, M., dir. État des savoirs sur le développement, op. cit., p. 49.
30 Tel est, en effet, le titre qu’Odette Guitard donne à son ouvrage Bandung et le réveil des
anciens colonisés, publié aux Presses universitaires de France.
31 Franz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Éd. Du Seuil, 1952 ; Les damnés de la
terre, préface de Jean-Paul Sartre, Paris, François Maspéro, 1961.
32 Citons, par ordre chronologique de parution, ceux qui eurent le plus de retentissement :
Jean Lacouture et Henri Baumier, Le poids du tiers monde, Paris, Arthaud, 1962 ; Gabriel
Ardant, Le monde en friches, Paris, PUF, 1963 ; R. Gendarme, La pauvreté des nations, Paris,
Cujas, 1963 ; A. Sauvy, Malthus et les deux Marx, le problème de la famine et de la guerre,
Paris, Gonthier, 1963 ; J., Austruy Le scandale du développement, Paris, M. Rivière, 1965 ; Y.
Lacoste, Géographie du sous-développement, PUF, 1965 ; J. Freyssinet, Le concept du sous-
développement, Paris, Mouton, 1966 ; Pierre Jalée, Le tiers monde dans l’économie mondiale,
François Maspero, 1966 ; J. M. Albertini, Les mécanismes du sous développement, Paris,
Editions ouvrières 1967 ; Pierre Jalée, Le pillage du tiers monde, François Maspero, 1969 ; C.
Furtado, La politique économique de l’Amérique latine, Paris, Sirey, 1970 ; P. Bairoch, Le tiers
monde dans l’impasse, Paris, Gallimard, 1974 ; René Dumont, L’Utopie ou la mort, Paris,
Seuil, 1974 ; D. C. Lambert, Les économies du tiers monde, Paris, Armand-Colin, 1974 ; etc.
33 Les principales revues françaises spécialisées dans lesquelles ce débat s’est exprimé au fil du
temps sont les suivantes : Les Cahiers de l’ISEA (Institut de sciences économiques appliquées);
Économies et Sociétés : Développement et Civilisation (Institut de recherche et de formation
en développement, IRFED) ; Économie et Développement (Centre d’études et de recherches en
développement international, CERDI) ; Économie et Humanisme ; Les Cahiers de l’ORSTOM;
Mondes en développement (Institut des sciences mathématiques et économiques appliquées
ISMEA) ; Population (Institut national d’études démographiques, INED) ; Tiers monde
(Institut d’études sur le développement économiques et social, IEDES) ; Stateco (Institut
national de la statistique et des études économiques, INSEE).

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34 Malgré son coût, la télévision suscita assez vite l’engouement populaire. En 1950 elle ne
fonctionnait que deux heures par jour ; en 1954 moins de 60 000 foyers en étaient équipés ; ce
n’est qu’à la fin de la décennie que ce phénomène prit de l’ampleur : en 1958, 680 000 postes
étaient installés et la télévision couvrit peu à peu l’ensemble du territoire et imposa des rendez-
vous attendus, comme le Journal télévisé qui se transforma peu à peu en un véritable rituel.
L’émission Cinq colonnes à la une est emblématique de cette période. Magazine d’un genre
nouveau, cette émission inaugura le 9 janvier 1959 la naissance du grand reportage télévisé ;
produite par Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et réalisée par Igor Barrère,
l’émission est représentative de la présidence du général de Gaulle puisqu’elle l’accompagna
jusqu’en mai 1968, presque au terme de son pouvoir.
35 Pierre Lazareff à la tête de France-Soir réalisa à la fin de la Seconde Guerre mondiale la
révolution de la presse française. Avec France-Soir, il prit le pari fou d’un journal couvrant à la
fois de grands reportages à l’autre bout du monde, donnant les résultats des courses hippiques,
surveillant les moindres bruissements du Parlement et exposant le dernier fait divers à
sensation. La réussite fut totale. En 1960, le journal tournait 24 heures sur 24, connaissait
jusqu’à huit éditions par jour et tirait quotidiennement à plus d’un million d’exemplaires.
36 Cf. Carmelo Mesa-Lago et Sandra E. Miller, Shirley A. Kregar (collab.), Latin American
studies in Europe, s.l, Tinker Foundation Incorporated, [1979], 190 p. (Latin American
monograph & Document series).
37 Guy Georgy, « De Gaulle et l’Amérique latine » in L’Amérique latine, vingt-cinq ans de
bouleversements, 1963-1988, Toulouse, Université de Toulouse le Mirail, 1989, p. 21.
38 « Une conférence sur l’Union latine » in Le Monde, 12 juillet 1963.
39 Après s’être rendu au Mexique du 16 au 20 mars 1964, le général de Gaulle fit une longue
tournée du 20 septembre au 16 octobre en Amérique du Sud. Il visita dix pays du Cône Sud en
vingt-six jours : Venezuela, Colombie, Équateur, Pérou, Bolivie, Chili, Argentine, Paraguay,
Uruguay, Brésil.
40 Guy Georgy, « De Gaulle et l’Amérique latine », art. cit., p. 32.
41 David E. Stansfield, « The study of Latin American Politics in British Universities » in Latin
American Research Review, vol. 9 n° 2 (Summer 1974), p. 96.
42 Cf. Vladimir Mijailovich Davydov, « Latinoamerística en el cruce de caminos. Alcances
anteriores y búsqudas actuales » in REDIAL. Revista Europea de Información y
Documentación sobre América Latina, 1995-1996, n° 6-7, p. 19-32.
43 Les dictatures militaires installées avec le soutien plus ou moins affiché des États-Unis
affligèrent de nombreux pays : Paraguay (1954), Brésil et Bolivie (1964), Uruguay et Chili
(1973) ; Argentine (1976).
44 Cf. Jean-Michel Guittard, Mona Huerta, « Cent ans de thèses françaises sur l’Amérique
latine », Cahiers des Amériques latines, 1998, n° 28-29, p. 109-137.
45 Université de la Sorbonne nouvelle Paris 3, sans doute la moins adaptée aux orientations de
l’Institut, versé plutôt sur les sciences sociales, puisqu’elle se dédiait plus particulièrement aux
disciplines littéraires.
46 Publié par l’Institut d’études mexicaines de Perpignan à partir de 1974, ce titre sera repris
par le Groupe de recherche Amérique latine de Toulouse en 1984 « sans même perdre un
trimestre ».
47 L’une des plus importantes revues de science politique est publiée par l’université d’Aix-
Marseille : Annales des pays d’Amérique centrale et de Caraïbes qui devient en 1992 Annales
d'Amérique latine et des Caraïbes. L’université de Paris VIII consacre dans sa revue
Perspectives latino-américaines une grande place à l’économie politique. L’université des
Antilles-Guyane édite par l’intermédiaire de son Centre d’études et de recherches sur la
Caraïbe, la Revue du CERC.
48 Notons qu’en 1994, un nouveau titre concernant les études sur le Brésil paraît : Lusotopie.
L’ambition de ce titre est cependant plus large puisqu’il entend couvrir l’ensemble du domaine
lusophone. La revue Cahiers du Brésil contemporain reste la seule revue scientifique française
consacrée exclusivement au Brésil.
49 D’abord Groupement de recherches coordonnées (GRECO) ce réseau perdura grâce à
l’évolution de ses statuts. Il devint Groupement de recherche (GDR), puis Groupement
d’intérêt scientifique (GIS).
50 <http://www.red-redial.net>.

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51 Voir Georges Couffignal, « La politique étrangère de la France vis-à-vis de l’Amérique


latine », Amérique latine 2011. L’Amérique latine est bien partie, La Documentation française,
2011, p. 59-72.
52 João Feres Junior, Histoire du concept d’Amérique latine aux États-Unis, Paris,
L’Harmattan, 2010.
53 Arezki Cherfaoui, « Visions et di-visions du monde dans la recherche en sciences humaines
et sociales ». Colloque international Interculturalités. État des lieux, malentendus,
perspectives, théories et pratiques, 12-14 septembre 2012, Université Versailles-Saint-
Quentin-en-Yvelines.
54 Fernand Braudel, Grammaire des civilisations, Paris, Flammarion, 2008. (Champs
Histoire, 795).
55 Acronyme français pour (Afrique du Sud, Brésil, Russie, Inde et Chine) utilisé ici à la place
de l’acronyme anglais BRICs.
56 Michel Foucher, La bataille des cartes. Analyse critique des visions du monde, Paris,
François Bourin éditeur, 2011.
57 Référence est ici faite à la thèse en cours d’Arezki Cherfaoui, La structuration de la
recherche française dans le champ des aires culturelles, développée dans le cadre du Centre
universitaire de recherches sur l’action publique et le politique - Épistémologie et sciences
sociales (CNRS)-Université Jules-Verne-Picardie.

Pour citer cet article


Référence papier
Mona Huerta, « Le latino-américanisme français en perspective », Caravelle, 100 | 2013, 39-
62.

Référence électronique
Mona Huerta, « Le latino-américanisme français en perspective », Caravelle [En ligne],
100 | 2013, mis en ligne le 02 décembre 2013, consulté le 21 décembre 2021. URL :
http://journals.openedition.org/caravelle/100 ; DOI : https://doi.org/10.4000/caravelle.100

Auteur
Mona Huerta
Institut des Amériques Paris & Réseau européen d’information et de documentation sur
l’Amérique latine

Droits d’auteur

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termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de
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