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Introduction
1. Court historique
Alain Chaptal (2003) fait remonter l’origine de l’utilisation d’une technologie éducative en
classe… au XVIIe siècle, en 1646 exactement, date à laquelle le jésuite Athanase Kircher «
publie son traité Ars Magna Lucis dans lequel il décrit une lanterne magique dont il fait
également la démonstration et qu’il aurait, selon certains, inventé » (p. 27). Les personnes
intéressées par l’histoire de ces pionniers d’un autre temps pourront se reporter aux premières
pages de l’ouvrage d’Alain Chaptal, dont des extraits sont accessibles en ligne sur Google
Book. Pour ce qui est des technologies numériques, il faut attendre le milieu du XXe siècle
pour voir se développer ce que l’on appelait alors les premières machines à enseigner. En
France, on compte une vingtaine d’ordinateurs dans les universités au début des années 1950.
Dans la foulée de la création du mot « informatique » en 1962, des formations spécifiques se
développent, des écoles d’ingénieurs intègrent l’ordinateur à l’enseignement scientifique et
technique et des initiatives se mettent en place dans quelques établissements scolaires :
initiation à la programmation, mais aussi réflexions quant aux implications pédagogiques
d'une informatique intégrée à l'enseignement dans les disciplines scientifiques (Pélisset,
1985). Il est toutefois communément admis que c’est en 1970 que l’introduction de
l’informatique dans l’enseignement général trouve son origine, suite à un séminaire organisé
par le Centre International des Études Pédagogiques (CIEP) de Sèvres en collaboration avec
l’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Économique) sur le thème
suivant : « L’enseignement de l’informatique à l’école secondaire ». C’est à la suite de cet
événement que l’informatique fait son apparition pour la première fois dans le Bulletin
Officiel de l’Éducation Nationale (BOEN 70-232, n° 22 du 28 mai 1970) et que sera lancée
l’expérience dite des 58 lycées. Moins connue que le plan informatique pour tous qui
interviendra plus tard dans les années 1980, cette expérience a deux objectifs :
• « Développer une formation de culture générale à l'informatique qui aurait pour but, « non
pas d’apprendre l’informatique, mais d’apprendre que l’informatique existe, à quoi elle peut
servir, ce qu’elle ne peut pas faire, quelles sont ses limites, quels sont les aspects économiques
qui lui sont associés » ;
Contrairement au choix que feront d’autres pays à cette époque, il n’est pas prévu que soit
créée une discipline informatique, mais que cette dernière soit introduite à travers les
disciplines existantes (Baron & al. 1980). Au cours de cette expérience, 530 enseignants de
différentes disciplines (lettres, langues, philosophie, mathématiques, sciences physiques, etc.)
seront formés à l’informatique, notamment à la programmation, dans un premier temps
directement auprès de constructeurs d’ordinateurs (IBM, CII, Honeywell-Bull), puis dans les
universités. De retour dans leurs établissements respectifs, ils créeront au fil des six années de
l’expérience, des fiches pédagogiques, à la fois pour sensibiliser les élèves à l’informatique
mais aussi pour inciter leurs pairs à introduire l’ordinateur dans leurs enseignements, un
bulletin de liaison et une banque de 400 logiciels.
Il est important de garder à l’esprit qu’à cette époque, l’informatique était cantonnée dans les
centres de recherches scientifiques et les entreprises et ne touchait que de manière très
marginale le grand public. La technologie, alors, dépasse la plupart des utilisateurs. Les
langages de programmation étaient difficiles d’accès et les machines encore peu fiables. Par la
suite, les utilisations de l’ordinateur en classe gagneront un peu de terrain, lentement, au gré
de l’évolution des capacités des machines (stockage, traitement) et de la mise en œuvre de
politiques de soutien en termes de formation continue des enseignants, d’équipements, de
refonte des programmes et d’incitations diverses : « 10 000 micro-ordinateurs » (1980-1984),
« 100 000 micro-ordinateurs et 100 000 enseignants formés » (1984-1988), « Informatique
pour tous » (1985-1988), raccordement des écoles à Internet (1995-2005), « Écoles
numériques rurales » (2009) et enfin, la « stratégie pour faire entrer l’école dans l’ère du
numérique » (2013 - …).
En 2014, la société française des sciences de l’information et de la communication organise
son 19e congrès sur le thème : « Penser les techniques et les technologies ». Dans
l’argumentaire de l’axe consacré à l’éducation et aux apprentissages, on peut lire la question
suivante : « S’agit-il de former par le numérique ou de former au numérique, voire à la «
culture numérique » ? Cette distinction entre trois dimensions, et donc trois enjeux du
numérique éducatif, bien qu’elle n’ait jamais été étayée théoriquement, revient souvent dans
les discours sur le numérique :
• dans une tribune du café pédagogique datant du 26 février 2013, les auteurs (A. Lieury, B.
Devauchelle, P. Plantard), s’appuyant sur une typologie des pratiques des TIC établie par
Lucien Sfez dans Critique de la communication (1988), proposent un « modèle de formation
numérique pour l’école » qui s’appuie sur les trois orientations suivantes : former avec le
numérique (le numérique est un moyen), former dans le numérique (s’informer des «
usages qui forment l’environnement socio-technique quotidien des élèves » pour les
transposer en classe), former par le numérique (c’est le stade de l’innovation, lorsque « les
environnements numériques transforment radicalement les interactions éducatives ») ; La
distinction est ainsi faite entre trois objectifs principaux : apprendre avec le numérique, à
savoir « exploiter les potentialités des techniques numériques pour élaborer, développer et
mettre en œuvre des activités d’apprentissage médiatisées », apprendre le numérique (se
former au numérique, développer des connaissances et compétences numériques spécifiques),
et apprendre à l’ère du numérique en tenant compte de la modification profonde de « nos
valeurs et comportements » du fait de la « disponibilité permanente du numérique que promet
l’équipement massif, nomade et connecté » : « Les modes de socialisation ont changé, le
rapport au temps et à l’espace est bouleversé, on voit l’évolution des normes sociales…
»).Bien que les définitions ne se recoupent que partiellement, il semble bien qu’à travers ces
différentes tentatives de classification de pratiques, se dessine une catégorisation que je vais
essayer d’illustrer ci-après.
Le numérique, c’est avant tout un moyen de soutenir les apprentissages. Je m’appuie ici sur
une typologie déjà ancienne mais qui garde toujours une certaine pertinence, malgré
l’évolution des usages et des pratiques pédagogiques. Elle a été élaborée en 1980 par Robert
Taylor dans l’introduction d’un ouvrage devenu célèbre : « The Computer in School : Tutor,
Tool, Tutee ».
Le premier type d’utilisation correspond sans doute au plus ancien dans l’histoire des
technologies éducatives, à savoir utiliser l’ordinateur pour remplacer l’enseignant, ne serait-ce
que dans certains aspects de l’apprentissage : « L'ordinateur pose une question, l'étudiant
répond, l'ordinateur évalue la réponse, et, à partir des résultats de l'évaluation, détermine la
suite du programme. Au mieux, l'ordinateur conserve les enregistrements complets des
sessions de chaque élève ; il a à sa disposition un large éventail de sujets en détail qu’il peut
proposer ; et il a une manière extensive et flexible pour évaluer et ensuite guider l'étudiant à
travers le cours ». Le recours à des machines pour enseigner date d’avant l’apparition des
premiers ordinateurs. Il s’agit alors de répondre aux besoins de formation sans cesse
croissants. L’organisation scientifique de la gestion d’entreprise (système Taylor) qui a lieu à
cette époque dans la grande industrie joue également un rôle non négligeable dans cette
évolution des mentalités.
Une autre utilisation, peu connue et peu répandue de l’ordinateur en éducation, consiste à
faire écrire aux élèves des algorithmes, voire des programmes, permettant à la machine de
reproduire, certains diront de simuler, des actions ou opérations du monde réel. Le précurseur
en la matière est Seymour Papert. Intrigué par le rôle que joua dans le développement de ses
compétences en mathématiques son intérêt pour les engrenages et les différentiels lorsqu’il
était enfant, il acquit la certitude, au contact de Piaget, que « n’importe quelle notion est facile
à acquérir dès l’instant où l’on peut la rapprocher de modèles déjà assimilés » (Papert 1994 :
11). C’est à partir de ce postulat qu’il élabora le fameux environnement LOGO, constitué
d’un ordinateur, d’un clavier, d’un écran alphanumérique et de périphériques variés
(imprimante, boîte à musique, écran graphique, tortue de plancher, censé permettre aux
enfants d’acquérir, par leur propre expérience et sans enseignement formel, des concepts et
des opérations intellectuelles fondamentales. L’une des activités les plus en vogue dans les
années 1980 consistait à faire réaliser aux élèves toutes sortes de figures géométriques sur
ordinateur en les amenant à saisir, par l’intermédiaire d’un clavier alphanumérique, les
commandes appropriées. En cas d’erreur, il fallait modifier le programme et ce, jusqu’à ce
que la figure corresponde à ce qui était demandé. On espérait ainsi que les apprentissages
puissent avoir lieu par tâtonnement, au fil des phases de modélisation (« représentation d’un
système réel par un ensemble de symboles où les interdépendances entre les éléments
constituant le système sont explicitées » (Marbeau & Hatt 1992)) et de simulation (mise en
œuvre du modèle, rendue possible par l’ordinateur). Supposons par exemple que l’on ait à
écrire un programme de génération de verbes du premier groupe. Malgré le fait qu’ils soient
relativement « réguliers », on s’aperçoit très vite, après une première tentative de
modélisation, que la décomposition des formes verbales en trois parties - les pronoms, la
racine et les terminaisons - n’est pas satisfaisante. Car, si cela suffit pour des verbes comme
chanter (je chante/nous chantons), laver (je lave/nous lavons), parler (je parle/nous parlons),
ou sauter (je saute/nous sautons), ce n’est pas le cas pour les verbes manger (je mange/*nous
mangons), aimer (*je aime/nous aimons). Une nouvelle phase de modélisation s’avère alors
nécessaire pour éviter des erreurs de ce type. Papert rapporte ainsi dans l’un de ses articles la
réaction d’une élève lors d’un projet d’écriture d’un générateur de phrases aléatoires :« Alors
c’est pour ça que nous appelons certains mots « noms » et « verbes ». Elle voulait dire : pour
la première fois je vois une utilité à classifier les mots. » [Papert 1981 : 124]11. Il s’agit alors
de donner aux élèves « l’occasion de penser musicalement, de manipuler et transformer des
faits musicaux, de confronter les situations qu’ils ont élaborées avec les créations exécutées
par d’autres, et par là d’arriver à des questions fondamentales sur la compréhension de la
musique » [Berdonneau 1984 : 48].
On voit quelle distance sépare les tuteurs intelligents des environnements ouverts, et combien
les principes didactiques, psychologiques et éducatifs sous-jacents sont différents. L’objectif
des premiers est de transmettre des contenus, tandis que les seconds visent le développement
des stratégies cognitives des apprenants. La dernière catégorie de la typologie élaborée par
Taylor est celle de l’ordinateur outil : « Pour être utilisé comme outil, l’ordinateur doit
seulement disposer de programmes utilitaires permettant de faire de l’analyse statistique, du
calcul, ou du traitement de texte. Les élèves peuvent ainsi les utiliser pour les aider dans une
variété de disciplines. Par exemple, ils pourraient l’utiliser comme une calculatrice en
mathématiques et dans diverses tâches scientifiques, comme un éditeur de cartes en
géographie, comme un interprète infatigable en musique, ou comme un éditeur de texte en
anglais ». L’essor de la micro-informatique dans les années 1980 en effet, élargit
considérablement le marché. La notion d’interface, développée dans l’approche micromonde,
fait son chemin. Progressivement, l’objectif est de donner au grand public un accès à la
technologie informatique, de lui offrir, sans qu’il lui soit nécessaire d’acquérir des
compétences trop complexes, des possibilités réelles d’expression et d’exploration. Parmi les
applications qui verront le jour, les logiciels de traitement de texte trouveront rapidement des
applications à l’école. Non seulement en raison de ce qu’ils peuvent apporter à une didactique
de la production textuelle (l’imprimé favorise la distanciation et donc les opérations de
révision – insertion, effacement, déplacement –, la présentation se voit accorder de
l’importance, même parfois dès le premier jet), mais aussi pour le rôle qu’ils peuvent jouer
dans l’appréhension de la langue ou même de notions littéraires. François Mangenot (1996)
mentionne d’autres outils informatiques au service de l’enseignement du français, ou tout du
moins d’une didactique de l’écriture, comme les logiciels de lexicométrie, les correcteurs
orthographiques et syntaxiques, les logiciels de PAO (Production assistée par ordinateur) et
enfin les générateurs d’hypertextes. Aujourd’hui, il existe un nombre sans cesse croissant
d’applications de toutes sortes, souvent multiplateformes (c’est-à-dire utilisables sur
ordinateur, tablettes et téléphone intelligent), conçues ou non pour une utilisation éducative,
qui peuvent venir en soutien d’activités pédagogiques.
3. D’autres enjeux
Comme le relève Alain Chaptal (2003) dans son ouvrage qui porte sur l’étude comparative
des systèmes éducatifs français et américains, la première raison régulièrement avancée pour
justifier l‘utilisation de moyens technologiques dans l’enseignement « renvoie à l’évolution de
la société civile où ces technologies connaissent des développements spectaculaires et, partant
du principe qu’un des rôles de l’école [est] de préparer les élèves au monde moderne, il
[convient] que l’univers éducatif aussi utilise directement ces outils ». Cet argument est bien
présent dès les premiers temps de l’informatique éducative. On relève ainsi dans le Bulletin
Officiel de l’Éducation Nationale dont il a été question précédemment : « […] l'informatique
est un phénomène qui est en train de bouleverser profondément les pays industrialisés […].
L'enseignement secondaire tout entier et dès la classe de 4e ne peut rester à l'écart de cette
révolution. Il doit préparer au monde de demain dans lequel ceux qui ignoreront tout de
l'informatique seront infirmes » . On retrouve cette même idée quelques années plus tard dans
un rapport de l’Académie des sciences, sous la plume de Jacques Hebenstreit, chercheur et
ingénieur en informatique à l’école supérieure d’électricité. Bientôt, dit-il, « chaque individu
[sera] entouré d’ordinateurs » permettant d’accéder à des « ressources », des « services »,
ainsi qu’« aux logiciels existants dans le monde entier » (Hebenstreit 1984 : 390).
Visionnaire, il va jusqu’à anticiper un monde où « tous les élèves [auront] dans leur poche un
ordinateur comme ils ont aujourd’hui une calculette ». Il est essentiel selon lui que les
pratiques pédagogiques préparent« les élèves [à] l’environnement qui sera le leur dans la
société informatisée de demain » (ibid., p. 394). De nos jours, le discours n’a pas changé. À
ceci près qu’il ne s’agit plus de préparer les apprenants à des transformations sociales et
sociétales à venir, mais de les aider à développer les compétences numériques nécessaires
pour « évoluer de façon critique et créative, autonome et socialisée dans l’environnement
médiatique contemporain» (Fastrez & De Smedt 2012 : 47). Les enjeux ne sont plus les
mêmes. D’autant plus que l’écart se creuse, comme on le verra dans le chapitre suivant, entre,
d’une part, la culture scolaire, qui repose « sur la transmission des savoirs, privilégie l’écrit,
entraîne la séparation de l’écolier par rapport à la vie adulte ainsi que du savoir par rapport au
faire […] » (Guy Vincent, cité par Poyet (2011)) et, d’autre part, la culture numérique qui, au
contraire, repose sur le faire, « renforce les individualités au sein des groupes par
l’intermédiaire des réseaux sociaux » (Poyet 2011 : 33) et « favorise l’expression individuelle
au détriment de l’ordre collectif imposé par la forme scolaire » (ibid., p. 34). Autrement dit,
après avoir considéré le numérique comme un moyen au service des apprentissages (former
avec le numérique), il convient de le considérer comme un objet d’enseignement (former au
numérique). Contrairement à une opinion couramment répandue, y compris parmi les
enseignants, les « jeunes », ne sont pas uniformément connectés et doués de qualités
spécifiques envers les technologies numériques. S’il est indéniable que les usages sont
marqués par un effet générationnel important, qu’un nombre non négligeable d’enfants,
d’adolescents et de jeunes adultes est immergé depuis sa naissance dans l’univers numérique,
ce n’est pas pour autant qu’ils sont tous technocompétents.
Ces différents éléments expliquent sans doute pourquoi plusieurs pays et organisations
internationales ont cherché à se doter de documents de cadrage pour accompagner le
développement des compétences numériques des citoyens. En 2012, un rapport publié par
l’Institut de prospective technologique du Centre commun de recherche de la commission
européenne présente une synthèse de 15 référentiels émanant aussi bien d’institutions
éducatives que d’organisations indépendantes. La distinction est faite entre ceux qui sont
centrés sur les outils (savoir utiliser tel ou tel logiciel ou appareil) et ceux qui mettent l’accent
sur les compétences. 7 familles de compétences sont retenues dans un premier temps, avant
d’être réduites à 5 dans le document final intitulé The Digital Competence Framework for
Citizens (Vuorikari & al. 2016)
3. « Création de contenu ». S’il est vrai que les internautes, en proportion, sont davantage
consommateurs que producteurs d’informations, il n’en demeure pas moins que la frontière
entre pratiques amateurs et professionnelles tend à se déplacer et que la production et la
diffusion de contenus n’ont jamais été aussi accessibles au plus grand nombre. Ce qui bien sûr
entraîne de nouvelles problématiques en termes de respect du droit d’auteur ou de
comportement sur la Toile (cf. Netiquette) ;
5. « Résolution de problème ». Cette compétence me semble pour ma part ne pas devoir faire
l’objet d’une catégorie à part puisqu’elle est transversale aux autres…
—2. savoir communiquer et collaborer en utilisant différents objets techniques, dans des
situa-tions de communication variées,
• ces trois grands champs d’activité (s’informer, communiquer, créer) impliquent bien
évidemment des compétences transversales comme savoir gérer son identité numérique, se
protéger des attaques virales et autres dangers de l’internet, respecter les droits d’auteur et les
règles de bienséance. Mais la compétence fondamentale reste selon moi la capacité à
développer une pensée critique (et constructive). Comme le rappelle encore une fois
l’UNESCO, les médias, mais aussi les bibliothèques, les musées, les fournisseurs
d’information sur internet, constituent de puissants agents de changement à travers le monde.
Ils ont tendance à « usurper les rôles joués autrefois par les familles, la communauté, la
religion, la politique, les affaires et, de toute évidence, l’éducation » (UNESCO 2013 :27). De
nos jours, l’autonomie et la responsabilité des citoyens sont plus que jamais sollicitées : « […]
en dernière analyse, […] ce sont nos comportements envers les machines qui déterminent leur
devenir. Les infrastructures numériques de demain se décident - en partie - dans notre
capacité actuelle à réfléchir de façon critique à leurs usages et à leurs implications. C’est à
cette réflexion critique que devraient s’attacher les institutions d’enseignement, à tous les
niveaux et dès le plus jeune âge
Cette fois-ci, le numérique est considéré comme un milieu, un monde dans lequel les
pratiques, les usages, diffèrent de ceux en vigueur dans le monde physique, même s’il reste
difficile, comme le note Rémy Rieffel, de saisir en quoi exactement nos comportements
connectés évoluent, « en raison du caractère par définition instable des changements en cours
et de notre manque de recul et de hauteur de vue, immergés que nous sommes dans le bain
numérique » (p. 15). Les études par sondage sont trop souvent monothématiques (jeux en
ligne, e-commerce), et se révèlent par ailleurs inefficaces pour comprendre la réalité des
pratiques. Les enquêtes de type ethnographiques, les observations longues d’usagers sont
encore trop rares (cf. toutefois le travail passionnant d’Élisabeth Schneider (2013)). Sans
compter que les objets techniques utilisés et les expériences vécues varient fortement d’un
individu à l’autre. Toutefois, il est possible, à partir de la littérature sur le sujet, mais aussi de
l’observation de ses propres pratiques, d’identifier les grands domaines de l’expérience
humaine qui semblent affectés par le numérique : les rapports à soi (à travers notre présence
sur la Toile, que ce soit sur les réseaux socionumériques, ou ailleurs sur le web, nous donnons
de nous une certaine image, un certain ethos, dont nous pouvons jouer à dessein. On parle
d’identité numérique, d’« e-réputation »), aux autres (depuis l’avènement des blogs à la fin
des années 1990, internet est devenu un lieu de rencontre, de partage, de collaboration, bref un
lieu où se déroule un grand nombre de pratiques sociales), au temps, à l’espace (nos vies
privée, personnelle, professionnelle et parfois, éducationnelle, ont tendance à s’entremêler, à
tel point qu’il n’est pas rare d’être présent dans différents espaces-temps en même temps. Cf.
les notions de nomadisme et d’ubiquité) et aux savoirs.
Former dans le numérique, c’est essayer d’ouvrir la classe à la vie numérique (Soubrié 2013),
en optant par exemple pour des modalités de travail collaboratif, en encourageant les relations
interpersonnelles entre apprenants, en privilégiant les échanges avec des personnes extérieures
à la classe, en orientant les séances de cours vers des activités de création, en ouvrant la classe
vers de nouvelles temporalités et spatialités, bref, c’est s’appuyer sur les technologies
numériques et l’analyse de leurs usages pour essayer de faire évoluer la forme scolaire (cf.
chapitre suivant).