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Kajima

Port-Dorée
11

Le Makeba se tenait fièrement en fin de rue. C'était un bâtiment de six étages


élégant et sobre avec des appartements de trois, quatre et cinq pièces. C'était
exactement ce que Naïa Koré cherchait. Elle ne supportait plus la vie avec Francine
et Ingrid, le confinement n'avait fait qu'accentuer ce sentiment. De plus à vingt-
quatre ans, elle se sentait largement prête à quitter le nid familial et le Makeba
semblait être la solution toute trouvée à son tourment. C'était le huitième bâtiment
qu'elle visitait ces deux derniers jours. Elle avait l'impression d'avoir arpenté tout
Port-Dorée à la recherche de l'appartement de ses rêves. Il y avait toujours un détail
qui la dérangeait, soit c'était un voisinage plutôt étrange, soit la vue ne lui convenait
pas ou encore il n'y avait tout simplement pas de balcon. Déjà, le Makeba ne
rencontrait pas ce dernier soucis. Il avait également l'avantage d'être dans la même
rue que le Lotus, un restaurant qu'elle adorait. Elle entra dans le bâtiment quasiment
persuadée d'avoir trouver son bonheur avant même d'avoir vu l'appartement. Un
homme chauve d'une quarantaine d'année aux jambes longilignes et vêtue d'une
chemise en lin et d'un jean légèrement délavé était assit sur l'un des fauteuils vert
pâle du hall d'entrée et lisait un magazine. Elle se dirigea vers lui d'un pas assuré.

— Bonjour, excusez-moi, vous êtes bien monsieur Oulin ? demanda t-elle une
fois à son niveau.

—Oui oui, c'est bien moi. Vous êtes là pour le 6B ?

Elle acquiesça et le suivit lorsqu'il se dirigea vers l'ascenseur. Il appuya sur le


bouton ''6'' tandis que les portes se refermaient avant de lui lancer un sourire. Naïa
lui rendit un sourire crispé en se espérant qu'il n'engage pas la conversation, elle
souhaitait simplement visiter l'appartement et s'en aller. Après tout, ce n'était pas les
femmes qui manquaient dans le petit état insulaire de Vastia situé à deux cent
cinquante kilomètres au sud du Cap-Vert dans l'océan atlantique. Ce minuscule
point sur la carte de l'Afrique était composé de trois îles paradisiaques, Tula, Deto et
le joyaux de la couronne Port-Dorée, la capitale. Ce paradis fiscale aux plages de
sable fins, aux eaux bleues avec ses récifs magnifiques et aux montagnes vertes
abritaient sûrement certaines des plus belles femmes de tout le continent. Mais cela
rendait les hommes encore plus pervers, sinon pour quelle raison cet homme faisant
sûrement le double de son âge la regarderait ainsi. Un rapide regard à son annulaire
ne fit qu'accentuer son agacement grandissant, en plus ce vieux vicelard était marié.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent enfin sur un couloir couleur crème avec
quatre portes placées deux à deux en face de l'autre. Il la devança encore et s'arrêta
devant celle du fond à gauche, y inséra un clé avant d'ouvrir la porte de bois vernis.
Elle le suivit dans la pièce et réprima un sourire de contentement. L'appartement
était lumineux avec de grandes fenêtres et une baie vitrée donnant sur un balcon
d'où on apercevait la plage. Le salon était séparé de l'espace cuisine par un mur
avec une ouverture en demi cercle comme une fenêtre. La chambre principale était
tout aussi spacieuse et lumineuse avec un autre balcon plus petit et deux grandes
fenêtres l'encadrant. La seconde chambre était également charmante et n'avait rien
d'autre à envier à sa voisine que son balcon. Une douche centrée avec un ciel de
pluie terminait de la séduire.

—Monsieur Oulin, combien pour cet appartement ? demanda t-elle avec un


grand sourire lorsqu"elle eût terminé son exploration.

—Ce petit bijou vous coûtera seulement 3000 Dorn par mois, répondit-il avec
un sourire en frappant du plat de la paume la charpente de la porte d'entrée. Si vous
voulez mon avis, c'est quasiment donné.

Naïa était tout à fait d'accord

—Je le prends !

—Nay-Nay, pourquoi t'étais hystérique au téléphone ?

Abel Daro s'assit en face de Naïa à une table du Juice, leur bar préféré. Ils
étaient amis depuis qu'elle avait quatre ans et ils étaient inséparables depuis. Ils
formaient un trio infernale lui, Naïa et son frère jumeaux Nolan. Et même si depuis,
ce trio était devenu un duo, le lien qui les unissait était toujours aussi fort. Peut-être
même un peu plus.

—J'ai une mauvaise nouvelle à t'annoncer, annonça Naïa en posant sa main


sur celle d'Abel

—Encore Francine ?

—En quelques sortes... En fait...

Naïa avait retiré sa main et triturait nerveusement la serviette en papier devant


elle.

—Nous ne pourrons plus être voisins maintenant, finit-elle par lancer en riant
—T'as trouvé un appartement ? s'écria Abel, surpris.

Il était persuadé qu'elle y passerait au moins un mois, vu sa capacité à trouver


la petite bête. Mais elle ne cherchait que depuis deux jours.

Les filles assises à la table à côté d'eux leur lancèrent des regards, d'abord à
cause de leur cris mais elles se mirent à glousser en observant Abel.

Il y avait de quoi après tout. Depuis leur adolescence, Abel avait un succès fou
avec les filles. Le garçon timide et curieux beaucoup trop grand pour son âge s'était
transformé en ce jeune homme au yeux en amandes rieurs, aux lèvres fines et
charnues avec ce corps de basketteur aux épaules larges et aux hanches étroites. Il
avait les cheveux rasés sur les cotés avec une coupe en dégradé sur le haut. Mais
son teint couleur chocolat au lait était sûrement l'un de ses plus grands atouts. Naïa
avait l'habitude avec lui. Elle-même attirait beaucoup l'attention des hommes, sa
peau couleur café, sa taille fine, sa silhouette en poire avec sa poitrine menue mais
insolente, ses hanches évasées et ses fesses rebondies accompagnée de ce visage
aux fossettes obsédantes faisait d'elle une sorte de créature venue tester la droiture
d'esprit du genre masculin. Cependant, à la différence d'Abel, lorsqu'ils étaient
ensemble, les hommes se tenaient respectueusement à distance alors que les filles
ne se gênaient pas pour signaler leur présence.

—Je crois que tu as encore des admiratrices, chuchota Naïa en pouffant.

Elle se pencha au dessus de la table de sorte à ne pas être entendue.

—J'y peux rien. C'est un don divin, lança t-il avec suffisance en s'adossant au
dossier de sa chaise les mains derrière la nuque.

Elle savait qu'il plaisantait mais elle lui frappa quand même le genou avec sa
jambe, sous la table.

—Attention, c'est mon jogging préféré!

—Ils sont tous tes préférés! Tu ne portes que ça, s'exclama t-elle avec une
indignation amusée.

—Petit un, ils sont hyper confortable ET passe-quasiment-partout et petit deux,


je porte autre chose pour le boulot mais revenons à nos moutons. Alors cet
appartement, il est situé où?

Naïa leva les yeux au ciel, amusée. Il avait commencé à travailler à


Clairemont, une prestigieuse boîte d'architecture depuis sa remise de diplôme, un
mois plutôt. Le grand patron était un bon ami de sa famille, mais il se plaignait
comme un fonctionnaire quinquagénaire usé.

—Le Makeba, tu sais le petit immeuble rose pâle à la cité...

Ils furent interrompus par un serveur qui leur apporta une dizaine de shots
colorés.

—De la part du barman,dit-il en l'indiquant d'un signe de tête.

Ils suivirent son regard et virent Frédéric Guouss, le cousin d'Abel et sûrement
son deuxième ami le plus proche.

—Vous pouvez nous les apporter là-bas, s'il vous plaît, on va s'asseoir au
comptoir, proposa Abel.

Ils allèrent jusqu'a l'immense comptoir de marbre brun derrière lequel se tenait
un Frédéric souriant

—Tu bosses ici maintenant, toi ? lui lança son cousin à peine assis

—Bonsoir Fred, comment vas-tu ? Ca fait combien de temps qu'on s'est pas vu
? demanda Naïa.

Frédéric sourit. Naïa ne put s'empêcher de remarquer à quel point il était


attirant. Ses cheveux étaient coupés courts, ses contours tracés à la perfection, il
avait une couronne de barbe très bien entretenu. Il était grand, svelte et musclé avec
un regard rieur terriblement sensuel. Vêtu tout de noir, sa peau chocolat créait un
contraste saisissant. Elle en resta presque bouche bée. Étant le cousin d'Abel, elle le
connaissait depuis son enfance mais elle ne l'avait pas revu depuis quatre ans
enviro

—Bonsoir Naïa, ravi de te revoir, amorça t-il avec un sourire avant de se


tourner vers son cousin. Ouais, je bosse ici. Depuis hier, en fait.

—Ca veut dire que je ne paierai plus jamais ici, c'est super, s'exclama Abel en
tapant sur la table Puis se ravisant, mais ton père va criser. Il a dit à mon père que tu
avais déjà un poste au cabinet des Bolu.

—J'ai respecté notre accord, j'ai terminé mes études de droit. De toutes
façons, il n'a pas son mot à dire. C'est ma vie.
Abel prit un shot qu'il vida cul sec sans rien ajouter. Les relations entre le père
Guouss et ses fils ont toujours été tendues. Frédéric avait quasiment été élevé par
ses deux frères à peine plus âgés que lui et par leur gouvernante. Sa mère était
morte deux jours après sa naissance des suites de complications liées à
l'accouchement. Marc son aîné avait seulement cinq ans et Paul n'en avait que trois.
Leur père ne pensait qu'au travail bien avant le décès de sa femme et les choses
n'avaient pas changé après.

—Comment vont tes frères ? demanda Naïa

—Paul vit à Johannesburg et est marié. Il a deux adorables petites filles, Émie
et Cathy, répondit-il avec un sourire à la mention de ses nièces. Quant à Marc, il est
au Québec et il est fiancé.

—Et toi, mon gars ? Tu te cases quand ? rigola Abel

Il sourit sans répondre tandis qu'il s'affairait sur des cocktails qu'un serveur vint
bientôt chercher.

—Et toi Naïa, quoi de neuf ? On ne s'est plus vu depuis...

Il s'interrompit, ignorant si il devait ou non finir sa phrase. Abel s'apprêtant à


boire son deuxième shot s'immobilisa un instant avant de le boire d'une traite. Le
sourire de Naïa disparu de son visage. Elle prit elle aussi deux shots qu'elle vida
successivement à la vitesse de l'éclair.

—Salut, les gens, s'écria Mickaela Assante en s'asseyant au bar.


2 2.

Le soleil pointait le bout de son nez à l'horizon. C'était le signal. Fred fit une
petite tape sur l'épaule d'Abel avant d'accélérer. Abel le suivit et le rattrapa assez
rapidement avant de le dépasser. Ils couraient depuis une bonne trentaine de
minutes déjà. Ils le faisaient quatre jours par semaine, c'était une sorte de rituel qu'ils
avaient instauré deux ans plus tôt, lorsque Fred avait emménagé dans son
appartement aux abords de la plage. Ils trouvaient que courir dans le sable rendait
l'exercice plus complet encore.

Ils maintinrent leur rythme sur une minute environ avant de ralentir.

—Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? T'es plus difficile à battre d'habitude.

—Ce sont des sprints, pas des courses, répondit Fred.

—Si tu le dis, fit Abel en haussant les épaules.


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